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N° 2125

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er décembre 2009.

RAPPORT D'ACTIVITÉ

pour 2009

DÉPOSÉ

en application de l’article 6 septies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1)

L’accès des femmes aux responsabilités dans l’entreprise

ET PRÉSENTÉ

PAR MME Marie-Jo Zimmermann

Députée.

——

(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente ; Mmes Danielle Bousquet, Claude Greff, Geneviève Levy, Bérengère Poletti, vice-présidentes ; Mme Martine Billard, M. Olivier Jardé, secrétaires ; Mmes Huguette Bello, Marie-Odile Bouillé, Chantal Bourragué, Valérie Boyer, Martine Carrillon-Couvreur, Joëlle Ceccaldi-Raynaud, Marie-Françoise Clergeau, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Marie-Christine Dalloz, Claude Darciaux, Odette Duriez, M. Guy Geoffroy, Mmes Arlette Grosskost, Françoise Guégot, M. Guénhaël Huet, Mme Marguerite Lamour, M. Bruno Le Roux, Mmes Gabrielle Louis-Carabin, Jeanny Marc, Martine Martinel, Henriette Martinez, M. Jean-Luc Pérat, Mmes Josette Pons, Catherine Quéré, MM. Jacques Remiller, Daniel Spagnou, Mme Catherine Vautrin, M. Philippe Vitel.

PREMIÈRE PARTIE : ACCÈS DES FEMMES AUX RESPONSABILITÉS DANS L’ENTREPRISE 7

I. L’ENTREPRISE SERAIT-ELLE EXCLUSIVEMENT UNE AFFAIRE D’HOMMES ? 11

A. DES FONCTIONS DIRIGEANTES QUI RESTENT FERMÉES AUX FEMMES 11

1. Les femmes absentes des instances de gouvernance des entreprises 11

a) Des conseils d’administration et des conseils de surveillance 11

b) Des comités directeurs et des comités exécutifs 13

2. Se heurtent à des obstacles dans le déroulement de leur carrière 14

B. UNE PRÉSENCE À AMÉLIORER DANS LES INSTANCES DE REPRÉSENTATION DU MONDE ÉCONOMIQUE 15

1. Les organes de représentation du personnel et les syndicats 15

2. La composition des conseils de prud’hommes 18

II. OUVRIR LES INSTANCES DE GOUVERNANCE AUX FEMMES 19

A. LE RECOURS AUX QUOTAS, INDISPENSABLE POUR FAIRE ÉVOLUER UNE SITUATION BLOQUÉE 19

1. Les expériences étrangères : un saut significatif par la fixation de quotas 19

a) La présence des femmes est généralement très limitée 19

b) 40 % de femmes dans les instances de gouvernance des sociétés norvégiennes 21

c) Les autres pays ayant adopté ou étudié des mesures relatives à l’instauration de quotas 22

2. L’élargissement opéré par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 permet désormais d’agir 23

a) La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales 23

b) L’évolution des positions sur le recours aux quotas 24

B. UN ENJEU DE MEILLEURE GOUVERNANCE 24

1. Un levier pour régénérer la gouvernance 25

a) Un objectif et des modalités réalisables 25

b) Qui pose la question plus large du renouvellement des mandats 27

2. Un outil de performance 28

3. Qui s’inscrit dans l’objectif européen d’une présence équilibrée des femmes dans les instances de décision 30

C. DES QUOTAS POUR IRRIGUER L’ENSEMBLE DE LA POLITIQUE DE L’ENTREPRISE EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE 31

1. Les évolutions de carrières des femmes et les postes de dirigeant 31

2. Impliquer le conseil d’administration sur la politique d’égalité professionnelle dans l’entreprise et garantir la transparence dans ce domaine 32

a) La photographie de l’égalité professionnelle dans l’entreprise : le rapport de situation comparée 32

b) Renforcer le rôle du conseil d’administration en matière d’égalité professionnelle 33

III. PROMOUVOIR LA PLACE DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE REPRÉSENTATION DE L’ENTREPRISE ET DU MONDE ÉCONOMIQUE 34

A. GARANTIR LA PRÉSENCE ÉQUILIBRÉE DES FEMMES DANS LES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL 34

B. DES LISTES DE CANDIDATS PARITAIRES AUX ÉLECTIONS PRUD’HOMALES 35

C. LE CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL EN MARCHE VERS LA PARITÉ HOMMES FEMMES 36

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION ET RECOMMANDATIONS ADOPTÉES 37

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 39

ANNEXE 2 : LA PART DES FEMMES DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRATION DU CAC 40 ET DU SBF 120 144

ANNEXE 3 : LA LOI NORVÉGIENNE IMPOSANT 40 % DE FEMMES DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRATION 145

DEUXIÈME PARTIE : L’ACTIVITÉ DE LA DÉLÉGATION EN 2009 149

I. LES ACTIVITÉS LÉGISLATIVES DE LA DÉLÉGATION 151

A. LE PROJET DE LOI PÉNITENTIAIRE : 151

1. Femmes en prison, une réalité méconnue 151

2. Les modifications adoptées à l’initiative ou avec le soutien de la Délégation 151

B.  RETRAITES : RÉFORME DES MAJORATIONS DE DURÉE D’ASSURANCE DES MÈRES DE FAMILLE 152

1. L’examen de l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale 153

2. La nécessité de traiter dans son ensemble la question des retraites des femmes 153

II. L’ACTIVITÉ INTERNATIONALE DE LA DÉLÉGATION 154

A. RENCONTRE ORGANISÉE PAR LA COMMISSION DES DROITS DE LA FEMME DU PARLEMENT EUROPÉEN 154

B. PRÉSENTATION DU RAPPORT SUR LA PRISE EN COMPTE DU GENRE DANS LES POLITIQUES DE COOPÉRATION 154

C. PARTICIPATION À LA CONFÉRENCE PARLEMENTAIRE INTERNATIONALE SUR LA POPULATION ET LE DÉVELOPPEMENT 155

D. RÉUNION DES COMMISSIONS PARLEMENTAIRES CHARGÉES DES DROITS DES FEMMES DES PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE 155

III. TABLES RONDES : LES NOUVEAUX ENJEUX DU PARTAGE DES RESPONSABILITÉS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES 156

PREMIÈRE PARTIE : ACCÈS DES FEMMES

AUX RESPONSABILITÉS DANS L’ENTREPRISE

MESDAMES, MESSIEURS,

Les femmes qui ont investi massivement le monde du travail, restent cependant sous représentées dans les postes hiérarchiquement les plus élevés des entreprises. Plus précisément, dès qu’il s’agit d’exercer des fonctions à responsabilité et des fonctions stratégiques, les hommes sont alors très largement majoritaires.

La représentation équilibrée des femmes et des hommes dans la prise de décision est pourtant un préalable pour une société démocratique. Elle est aussi le gage d’une gouvernance des entreprises en phase avec la société dans laquelle elles évoluent et constitue un facteur de changement pour l’entreprise dans son ensemble.

Dès lors, se pose le problème des moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour faire évoluer une situation durablement bloquée. En 2006, au moment de la discussion de la loi relative à l’égalité salariale, ce débat a déjà eu lieu : des amendements avaient été adoptés fixant un pourcentage minimum de 20 % d’administrateurs du même sexe dans les instances de gouvernance, mais ces dispositions ont été censurées par le Conseil Constitutionnel.

La révision de la Constitution intervenue le 3 juillet 2008 ouvre la possibilité de reprendre des mesures de ce type. Y recourir apparaît d’autant plus indispensable qu’entre 2006 et 2009 aucun progrès réel n’a été constaté. Par contre, les positions sur cette question ont évolué, comme la Délégation a pu constater au cours des auditions et des consultations qu’elle a effectuées.

Un consensus se dégage aujourd’hui sur la nécessité d’agir de façon contraignante si l’on veut ouvrir les instances de gouvernance des entreprises à des femmes compétentes et qualifiées, pour qu’au travers d’un engagement du conseil d’administration sur les questions d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, des avancées se fassent sentir dans toute l’entreprise.

I. L’ENTREPRISE SERAIT-ELLE EXCLUSIVEMENT UNE AFFAIRE D’HOMMES ?

A. DES FONCTIONS DIRIGEANTES QUI RESTENT FERMÉES AUX FEMMES

Les femmes ne représentent en moyenne, que 17,2 % des dirigeants de société. Ce constat, du rôle limité joué par les femmes à la tête des entreprises - même si les taux varient en fonction des secteurs d’activité car elles sont le plus présentes dans les secteurs du commerce et des services – ne fait que se renforcer si l’on s’intéresse aux fonctions dirigeantes au sein des grandes sociétés. La répartition des rôles y est encore bien plus marquée et rares sont les femmes qui occupent alors des fonctions décisionnelles et stratégiques.

1. Les femmes absentes des instances de gouvernance des entreprises

a) Des conseils d’administration et des conseils de surveillance

Les instances de gouvernance des entreprises, sont très peu mixtes. La part des femmes s’y établit plus ou moins autour de 9 %, en dessous de la moyenne européenne et très loin des pays du nord de l’Europe, en pointe sur ce sujet.

En effet, le pourcentage de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance se situe autour de 10 % pour les sociétés du CAC 40 (cf annexe 2), mais tombe à 8 % au sein des conseils d’administration et de surveillance des 500 premières sociétés françaises(1).

Il ne faut, en outre, pas perdre de vue que ces chiffres sont des moyennes, comme l’a précisé à la Délégation, Mme Monique Bourven, membre du Conseil économique, social et environnemental et auteur du rapport sur la place des femmes dans les instances de décision (2: « Les sociétés du CAC 40 se targuent d’avoir 10 % de femmes dans leurs conseils d’administration, cela relève en partie de l’affichage. Il ne s’agit que d’un nombre limité de sociétés et ce chiffre est une moyenne, c’est-à-dire, en définitive, un « mensonge ». (…) Derrière un pourcentage, se cachent en effet des réalités différentes. Celui de 8 % de femmes dans la ressource managériale et dirigeante, par exemple, peut signifier que certaines sociétés en comptent 15 % et d’autres zéro. De même, si, dans les quatre-vingts premières entreprises françaises par le chiffre d’affaires, le pourcentage de femmes dans les comités de direction s’élève à 7 %, en réalité, 30 % de ces entreprises ne comptent aucune femme parmi les exécutifs, 30 % une seule et les 40 % restantes trois ou quatre. La donnée intéressante à retenir est que, dans 60 entreprises sur 82, ne figure parmi les dirigeants aucune femme ou, au mieux, une seule femme. »

Effectivement, sur les 500 premières sociétés françaises, plus de la moitié (58 %) n’ont aucune femme dans leur conseil d’administration.

Par ailleurs, si l’on se réfère à la distinction entre les administrateurs exécutifs (ayant des responsabilités opérationnelles dans l’entreprise) et non exécutif (extérieurs à l’entreprise), le panel analysé par l’Institut français des administrateurs (IFA) en 2006 portant sur les 100 premières entreprises françaises et donc sur 1158 mandats (3), montre qu’il y a :

- 5,5 % de femmes parmi les administrateurs non exécutifs, mais seulement 2,9 % de femmes parmi les administrateurs exécutifs ;

et que, par ailleurs :

- le taux de femmes parmi les représentants du personnel siégeant au conseil d’administration ou représentants des actionnaires salariés, est bien supérieur à celui des autres administrateurs puisqu’il est alors de 19,3 %.

Un des facteurs de féminisation des conseils tient donc, pour partie, au nombre de femmes qui y siègent au titre de la représentation des salariés de l’entreprise.

Non seulement les femmes sont peu présentes mais leur part n’évolue pratiquement pas.

Si l’on se réfère au suivi effectué par le cabinet Capitalcom (4) il apparaît que l’évolution est tellement lente qu’elle est en réalité insignifiante, et qu’il est plus juste de parler de stagnation de la place des femmes dans ces instances : le nombre de femmes mandataires social a cru de 0,5 % en 2008, par rapport à 2007 et de 0,3 % en 2008 par rapport à l’année précédente.

La part des femmes a même reculé de plus de trois points entre 2008 et 2007 dans les effectifs des groupes du CAC 40 (30,9 % de femmes contre 34,2 %) et dans l’encadrement de deux points (25,7 % contre 27,6 %).

b) Des comités directeurs et des comités exécutifs

Les femmes représentent 6,8 % des membres du comité directeur (codir) ou du comité exécutif (comex) des sociétés du CAC 40. Ce chiffre est lui aussi en très faible augmentation par rapport à 2008 (6,3 %). En outre, 18 comex ne comptent aucune femme parmi leurs membres (5). Ces femmes occupent principalement des fonctions dans la communication (29 %) et dans les ressources humaines (26 %).

Si pour les 500 premières sociétés françaises, ce chiffre est plus élevé (13,5 %), il reste que pratiquement la moitié d’entre elles (42 %) n’ont aucune femme dans leur comité directeur ou leur comité exécutif (6).

Les femmes représentant en moyenne 40 % des cadres administratifs et commerciaux, il est clair que leur progression vers le sommet des hiérarchies des organisations est toujours affectée par des inégalités très fortes.

Ces difficultés d’accès aux fonctions stratégiques ont été mises en évidence par une enquête du cabinet de conseil en ressources humaines, DDI France. Cette étude intitulée « Tenues à l'écart », a été réalisée en 2008-2009 auprès de 12 000 managers et de 15 000 organisations, dans soixante-douze pays. Dans les entreprises interrogées, les femmes sont relativement présentes au premier niveau d'encadrement (42 %) contre 58 % d'hommes, mais leur proportion tombe à 21 % dès lors qu’il s’agit de fonctions stratégiques.

D’autres mécanismes que ceux qui ont permis aux femmes d’accéder aux postes de cadres et de direction entrent donc en jeu. La nécessité d’une action volontariste pour faire évoluer cet état de fait nécessite d’abord une réelle prise de conscience de ce phénomène.

Or, l’enquête menée par l’IPSOS pour l’association GEF (les Grandes écoles au féminin) a montré que le sentiment d’un traitement différent entre hommes et femmes n’était pas ressenti de la même façon par les intéressés selon leur sexe.

À la question, « à diplôme ou qualification équivalente, existe-t-il des différences très importantes, plutôt ou pas importantes entre les hommes et les femmes en ce qui concerne l’accès au top management ? », seulement 33 % des hommes ont répondu oui, pour 71 % des femmes.

De même, ainsi que l’a précisé à la Délégation Mme Véronique Préaux-Cobti, Présidente de l’association Grandes écoles au féminin : « On a demandé dans le questionnaire si les uns et les autres observaient ou avaient observé des différences de parcours professionnel entre les hommes et les femmes diplômés de leurs écoles : 63 % des femmes ont répondu oui, 65 % des hommes ont répondu non. Les hommes ne se rendent pas compte. Leur attitude n’est pas volontaire ; la difficulté n’est pas vue. (…) Tant que les hommes ne se rendent pas compte, on ne peut pas vraiment avancer. La population sur laquelle nous travaillons n’est pas neutre. La mentalité collective ne peut pas imaginer qu’une femme diplômée de Polytechnique ou de l’ENA a plus de difficultés qu’un homme ». (7).

On peut craindre effectivement que les évolutions ne se fassent pas d’elles-mêmes. D’ailleurs, à la question relative à l’horizon auquel les personnes interrogées pensent que la parité sera réalisée au sein du management et du « top management » des entreprises et des administrations françaises, la moitié, hommes comme femmes, répondent dans vingt ans et le quart, hommes comme femmes, dans cinquante ans, c'est-à-dire probablement jamais.

2. Se heurtent à des obstacles dans le déroulement de leur carrière

Différentes causes ont été identifiées qui sont à l’origine des obstacles que les femmes rencontrent toujours dans le déroulement de leurs carrières et, en particulier, pour accéder aux organes dirigeants (8) :

– celles qui sont issues de la société elle-même et de la représentation de la place des femmes en son sein : illégitimité des femmes dans les lieux de pouvoirs – lieux dans lesquels les hommes sont omniprésents ; division sexuelle du travail et hiérarchisation du masculin et du féminin liée à l’orientation scolaire et universitaire des filles et des garçons ainsi qu’au partage inégal des tâches familiales et domestiques ;

– les causes organisationnelles : dans ces lieux où se structurent les relations de pouvoir et les processus informels qui déterminent l’accès au pouvoir, « des règles organisationnelles qui se donnent comme neutres se sont en fait calquées sur des modèles masculins (par exemple un modèle masculin d’investissement professionnel ou d’horaires de travail) qui jouent au détriment des femmes et contribuent à entretenir leur rareté au sommet des organisations ». Il en est de même « des règles soi-disant neutres et impersonnelles qui définissent les conditions de recrutement et de promotion ou de gestion des carrières telles que l’âge, l’ancienneté et le mérite. » (9)

– les causes qui tiennent aux femmes elles-mêmes dans leur arbitrage entre vie familiale et professionnelle, comme l’a évoqué Jacqueline Laufer lors de son audition : « Pour certaines femmes, franchir le « plafond de verre » les place en situation de très grande minorité et leur fait prendre des risques importants (…). Le « poids de la rareté », conduit à un cercle vicieux : plus les femmes sont rares, plus elles ont l’impression d’être observées, et plus elles se disent que certains postes sont trop coûteux, non en raison des compétences qu’ils supposent, mais sur le plan psychique et familial. Les femmes elles-mêmes sont réticentes, parce que le niveau de direction est majoritairement masculin, et que les conditions ne sont pas favorables à sa féminisation : de très longues heures de travail, une très grande mobilité, beaucoup de déplacements professionnels, etc. ». (10)

C’est ainsi qu’une étude conduite en 2007 par le cabinet Mac Kinsey : Women Matter : la mixité, levier de performance de l’entreprise a cherché à analyser le poids des codes masculins dans l’entreprise et les barrières psychologiques auxquelles se heurtent les femmes, que ce soit le modèle de performance (anytime, anywhere), difficilement conciliable avec des tâches familiales encore mal réparties, une ascension professionnelle qui passe par la maîtrise de codes masculins ou les phénomènes de suspension de carrières pour consacrer du temps à sa famille… mais aussi pour des raisons liées à l’insatisfaction au travail.

Ce n’est que par une politique d’égalité professionnelle déterminée et conduite sur les bases posées par les lois du 9 mai 2001 et du 23 mars 2006 relatives à l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes que pourra être donnée aux femmes qui le souhaitent et qui en ont les compétences, l’opportunité d’accéder à ses fonctions.

Les négociations sur l’égalité professionnelle et salariale dans l’entreprise bénéficient à toutes les strates de la hiérarchie. C’est pourquoi la Délégation considère que l’effectivité de l’application de ces lois doit être garantie, au besoin par l’adoption de sanctions financières à l’encontre des entreprises qui n’en respectent pas les obligations, en termes de carrières des femmes et de rattrapage des écarts salariaux.

Recommandation n° 1 : garantir l’application des lois relatives à l’égalité professionnelle et salariale par l’adoption de sanctions financières à l’encontre des entreprises qui n’en respectent pas les obligations.

B. UNE PRÉSENCE À AMÉLIORER DANS LES INSTANCES DE REPRÉSENTATION DU MONDE ÉCONOMIQUE

1. Les organes de représentation du personnel et les syndicats

Les comités d’entreprise et les délégués du personnel comptent en moyenne, depuis le cycle électoral 2004-2005, un tiers de femmes (35 %) alors que celles-ci représentent environ 38 % des salariés concernés par ces élections.

Une évolution positive a donc eu lieu par rapport au cycle électoral 2000-2001, puisque l’écart entre le pourcentage des représentants et celui des salariées s’est réduit à 3 points, alors qu’il était précédemment de 8 points (32 % de femmes élues pour 40 % de salariées).

Les femmes sont pourtant encore sous représentées, car leur présence varie selon les secteurs d’activité. L’écart le plus fort est celui qui existe dans le secteur tertiaire, secteur d’activité dans lequel les femmes sont le plus présentes.

Pourcentage de femmes parmi les élus dans les comités d’entreprise
et les délégués du personnel

Secteurs d’activité ou collèges électoraux

% de femmes

Construction

8 %

Éducation, santé, action sociale

63 %

Collèges encadrement-cadres

25 %

Collèges ouvriers/employés

35 %

Collèges uniques

39 %

Source : Rapport du Gouvernement au Parlement relatif à l’article 16 de la loi n° 2001-397 du 9 mai 2001, 2004.

La proportion de femmes élues varie également fortement selon leur appartenance syndicale.

La part des femmes élues au sein des comités d’entreprises

par organisation syndicale (en % d’élues)

Cycle électoral 2004-2005

Il faut préciser que les résultats différents selon les syndicats s’expliquent pour partie par les différences d’implantation de syndicats selon les secteurs et les catégories de salariés.

Il reste que, la mixité des listes se heurte, dans les faits, comme cela a été souligné dans le rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux, à une présence syndicale qui repose le plus souvent sur des militants en majorité masculins et à un taux de syndicalisation des femmes plus faible. Le faible nombre de sièges à pourvoir, conjugué à la pluralité des listes, suppose en outre, pour que la présence des femmes se traduise dans les résultats, que des femmes soient placées en tête de liste, ce qui rend plus lointain l’horizon de la parité (11).

Cette difficulté à mobiliser les femmes dans les entreprises a été soulignée par Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieux, secrétaire confédérale de la CGT-FO (12).

Elle explique la différence qui existe avec la place prise par les femmes dans les instances de direction de ces organisations où les progrès ont été significatifs.

 

Organisations syndicales

CGT

12 membres élus dont 6 femmes secrétaires confédérales

CFDT

9 membres élus dont 3 femmes secrétaires nationales

CGT-FO

13 membres dont 5 femmes : une trésorière confédérale et 4 secrétaires confédérales

CFTC

16 membres dont 3 femmes, une vice-présidente, une secrétaire générale adjointe et un membre du bureau

CFE-CGC

22 membres dont 9 femmes : 2 secrétaires nationales et 7 déléguées nationales

 

Organisations patronales

MEDEF

Conseil exécutif : 45 membres dont 7 femmes ( 3 femmes sont présidentes de commission)

CGPME

14 membres dont 1 femme, vice-présidente déléguée

Aucune femme présidente d’Unions

UPA

17 membres dont 2 femmes

UNAPL

23 membres dont 5 femmes, 2 vice-présidentes, et 3 membres du bureau

FNSEA

21 membres au bureau exécutif, dont 2 femmes

Source : DGT et SDFE, 2009.

2. La composition des conseils de prud’hommes

En 2008, à l’issue des dernières élections prud’homales les femmes représentent 24,6 % des conseillers élus par le collège employeur et 32,2 % de ceux élus par le collège des salariés. Au total, les femmes occupent 28,4 % des sièges, soit moins du tiers.

La part des femmes dans les conseils de prud’hommes,

par section, en 1997, 2002 et 2008 (en %)

Champ : établissements du secteur marchand, collèges salariés et employeurs confondus.

Source : Hege A. et Dufour Ch., La place des femmes dans les prud’hommes, IRES 2004 et ministère du Travail, des relations sociales, de la famille et de la solidarité, DGT pour 2008.

II. OUVRIR LES INSTANCES DE GOUVERNANCE AUX FEMMES

Depuis quelques années, un consensus s’est progressivement dégagé sur le constat que les instances de gouvernance des entreprises restent sans justification fermées aux femmes et qu’elles le resteront longtemps si aucun facteur déclenchant n’en ouvre l’accès aux femmes compétentes qui peuvent prétendre à ces fonctions.

Cette nécessité ouvre un débat plus large qui est celui qui porte sur la gouvernance des entreprises parfois mise à mal par la récente crise économique

A. LE RECOURS AUX QUOTAS, INDISPENSABLE POUR FAIRE ÉVOLUER UNE SITUATION BLOQUÉE

Permettre l’entrée des femmes dans les instances de gouvernance des entreprises comporte une forte dimension symbolique – il suffit de voir les débats que cette proposition suscite – qui doit donner un signal dans l’entreprise et plus largement dans la société.

La fixation de quotas est une mesure, provisoire, qui a fait la preuve de son efficacité pour sortir d’une situation de blocage. Imposer aux entreprises de compter des femmes dans leurs conseils devrait permettre de mettre fin à une logique de recrutement exclusivement masculine, qui repose pour une large part sur la cooptation.

1. Les expériences étrangères : un saut significatif par la fixation de quotas

a) La présence des femmes est généralement très limitée 

La très faible présence des femmes dans les fonctions de responsabilités n’est pas propre à la France. Le rapport de la Commission européenne sur les femmes et les hommes dans la prise de décision en 2007, regrette que même si des progrès indéniables ont été accomplis, les femmes soient toujours sous-représentées dans toutes les sphères du pouvoir dans la majorité des États membres, ainsi qu’au sein des institutions de l’UE. (13)

Les femmes représentent seulement 32 % des positions dirigeantes (directeurs exécutifs, directeurs et managers de petites entreprises). Ce pourcentage est nettement plus faible que pour les autres emplois, ce qui indique un très net déséquilibre dans la répartition des postes de haut niveau dans l’ensemble de l’économie.

En outre, la sous-représentation des femmes est particulièrement nette dans les entreprises les plus importantes.

% de femmes parmi les présidents des plus hauts organes de décision des plus grandes sociétés cotées en bourse

2003

2007

Moyenne pour l’UE-15

1 %

1 %

Moyenne pour l’UE-27

2,2 %

2,9 %

% de femmes parmi les membres des instances décisionnelles les plus élevées des plus grandes sociétés cotées en bourse

2003

2007

Moyenne pour l’UE-15

7 %

9,9 %

Moyenne pour l’UE-27

7,8 %

10,3 %

Selon le bilan de la Commission européenne : « Ces dernières années n’ont vu que peu d’améliorations, à l’exception notable de la Norvège, où le gouvernement a mené une action positive pour corriger le déséquilibre en imposant 40 % de femmes minimum dans les conseils d’administration ».

Se détachent, les pays du Nord de l’Europe, dans lesquels la participation des femmes s’établit autour de 20 % pour la Suède, la Finlande et le Danemark, avec le cas particulier de la Norvège (cf infra).

Composition du conseil d’administration des plus grandes entreprises européennes
cotées publiquement

Représentation des femmes supérieure à 20 % 

Représentation des femmes comprise entre 10 et 20 % 

Représentation des femmes inférieure à 10 % 

Norvège ( 41)

Suède (27)

Finlande (20)

Danemark (17)

Lituanie et Hongrie (16)

Pays-Bas (14)

Allemagne (13)

Bulgarie,Roumanie, Royaume-Uni (12)

France, Turquie (9)

Espagne (8)

Irlande (7)

Portugal (3)

Source : ec.europa.eu : employment social, women/men statistiques.

Cette analyse est corroborée par l’étude conduite par PWN (14) qui met en évidence que hormis les pays du Nord de l’Europe et à l’exception des Pays-Bas qui sont passés à 12,3 % de femmes (pour 6,5 % en 2006) grâce de nombreuses initiatives privées et l’attention que la presse porte à cette question, l’évolution de la place des femmes dans les conseils d’administration est : « glacially slow ».

Cette étude conclut que parmi les 300 plus grandes compagnies européennes, le taux moyen de présence des femmes dans les conseils d’administration est pour 2008 de l’ordre de 9,7 %, contre 8,5 % en 2006 et 8 % en 2004. Sur un total de 5146 mandats, les femmes en ont 501. La Norvège est championne en Europe (avec 44 % de femmes) grâce aux quotas qui ont été fixés par la loi. Sans la Norvège, le taux moyen en Europe tombe à 9,1 % ce qui induit un taux moyen de progression autour de 0,5 % tous les deux ans depuis 2004. Cette évolution démontre clairement que les quotas sont un moyen efficace d’accélérer la progression du nombre de femmes dans les conseils d’administration.

Pour autant, cette question mobilise et suscite des initiatives allant dans le sens de la promotion des femmes vers des postes de responsabilité. Différents types de mesures ont été expérimentés, en ce sens, en Europe.

Certaines de ces initiatives ont été recensées dans l’étude documentaire conduite par l’ORSE et par l’IFA, ce qui montre bien qu’il s’agit d’une préoccupation partagée par nos partenaires européens. (15)

– en Belgique, est lancé un programme de coaching à l’intention de femmes qui envisagent d’exercer des mandats d’administrateurs ainsi qu’une base de données publique de candidats et de candidates ;

– en Grande-Bretagne, le ministère du commerce et de l’industrie a publié un livre blanc (Brighter Boards for a Brighter Future) formulant des conseils aux entreprises, aux chasseurs de tête et aux femmes ;

– en Suède, malgré un pourcentage déjà relativement élevé de femmes dans les conseils (25 %) atteint par des mesures volontaires mais sous la « menace » de la fixation de quotas. Le débat reste cependant posé sans que la décision de légiférer ait été prise.

EPWN-Paris s’apprête à mettre en place une branche de tutorat de très haut niveau dans le cadre du programme « Women on Boards » : des femmes qui viennent d’accéder à la fonction d’administratrice pourront être « parrainées » par d’autres qui en ont déjà fait l’expérience.

b) 40 % de femmes dans les instances de gouvernance des sociétés norvégiennes

La loi norvégienne votée en novembre 2003 (cf annexe 3) a eu pour objectif de parvenir à une représentation équilibrée des femmes dans les instances de gouvernance des entreprises, afin d’étendre à la sphère économique l’égalité déjà atteinte dans la participation au pouvoir politique par la fixation de quotas.

La loi a donc imposé la présence de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées, d’abord au sein des entreprises publiques, puis dans les entreprises privées.

En tout, environ 1 000 sociétés entrent dans le champ d’application de la loi, dont environ la moitié sont des sociétés privées.

La fixation de quotas a eu pour résultat de permettre rapidement de corriger l’écart de représentation entre les hommes et les femmes. La part des femmes dans les conseils d’administration est passée de 12,8 % en 2005, à 19,3 % en 2006, à 33 % en 2007 et à 40 % en 2008.

c) Les autres pays ayant adopté ou étudié des mesures relatives à l’instauration de quotas

L’Espagne a adopté le principe de quotas fixés par la loi. L’article 75 de loi relative à l’égalité entre les hommes et les femmes votée en juin 2007 prévoit, en effet, qu’à partir de 2015 (c’est-à-dire dans un délai de huit ans), la composition des conseils d’administration doit être équilibrée en comptant 40 % de femmes.

Une réflexion est également en cours aux Pays-Bas sur la fixation d’indicatifs chiffrés relatifs au nombre de femmes dans les conseils d’administration des sociétés de plus de 250 salariés. Le 26 octobre 2009, des parlementaires de trois partis, dont le parti conservateur membre de la coalition, ont déposé un amendement auprès du ministère de la Justice visant à introduire dans la loi des indicatifs chiffrés (de 25 à 30 %) avec une obligation de s’y conformer selon le principe du « appliquer ou expliquer ».

En Belgique, une proposition de loi a été déposée le 28 février 2007 pour instaurer des quotas d’un tiers de femmes dans les conseils d’administration des entreprises faisant publiquement appel à l’épargne et d’un certain nombre d’autres entreprises. La ministre de l’Emploi et de l’égalité des chances, devant le constat que 62 % des entreprises cotées ne comptaient aucune femme dans leur conseil d’administration, vient d’annoncer à la fin du mois de novembre, qu’elle allait proposer des quotas de 30 % de femmes dans les entreprises cotées et les entreprises publiques, dans un délai de sept ans. Si ce délai n’est pas respecté, tout nouveau membre du conseil devra être une femme.

De même, le 14 décembre 2006 le Parlement du Québec a adopté une loi sur la parité de représentation dans les conseils d’administration des sociétés d’Etat. Dans le délai de cinq ans, les conseils doivent d’une part, être constitués de membres dont l’identité culturelle reflète les différentes composantes de la société québécoise et d’autre part, constitués à part égale de femmes et d’hommes.

2. L’élargissement opéré par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 permet désormais d’agir

a) La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales

Les résultats des différentes élections intervenues depuis le vote des lois sur la parité adoptées à partir des années 2000 ont fait la preuve que la fixation de quotas était le plus souvent indispensable à des avancées significatives en matière de représentation des femmes dans les instances politiques.

En effet, dès lors qu’il n’existe pas de mesures contraignantes obligeant à la présence des femmes, les résultats en termes de parité restent de façon persistante désastreux. C’est le cas pour les scrutins uninominaux qui aboutissent à ce qu’ils n’y aient encore que 18 % de femmes à l’Assemblée nationale et seulement 13 % au sein des conseils généraux.

C’est pourquoi, à l’instar des mesures législatives prises en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes en politique, des amendements visant à garantir la place des femmes dans les processus de décisions économiques et sociaux, avaient été adoptés par l’Assemblée nationale et par le Sénat lors de la discussion de la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes.

Ces dispositions, inscrites aux articles 21 à 26 de la loi, prévoyaient la présence d’un minimum de 20 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés privées et des entreprises du secteur public. Elles visaient aussi à garantir la place des femmes dans les comités d’entreprise, parmi les délégués du personnel et dans les commissions administratives paritaires de la fonction publique. Enfin, une disposition similaire à celle adoptée en 2001, visait à favoriser la présence des femmes dans les conseils de prud’hommes.

Ces articles furent censurés par le Conseil constitutionnel (décision n° 2006-533 DC du 16 mars 2006) au motif que : « si aux termes du cinquième alinéa du même article 3 (de la Constitution) : " La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives ", il résulte des travaux parlementaires que cet alinéa ne s'applique qu'aux élections à des mandats et fonctions politiques » et que, « si la recherche d'un accès équilibré des femmes et des hommes aux responsabilités autres que les fonctions politiques électives n'est pas contraire aux exigences constitutionnelles rappelées ci-dessus, elle ne saurait, sans les méconnaître, faire prévaloir la considération du sexe sur celle des capacités et de l'utilité commune ; que, dès lors, la Constitution ne permet pas que la composition des organes dirigeants ou consultatifs des personnes morales de droit public ou privé soit régie par des règles contraignantes fondées sur le sexe des personnes ».

Cet obstacle constitutionnel a été levé par la révision du 23 juillet 2008 qui a inscrit à l’article 1er de la Constitution que : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales ».

C’est à la suite de cette révision qu’une proposition de loi obligeant à la présence d’au moins 40 % de femmes dans les conseils d’administration et de surveillance a été déposée, le 18 mars 2009 (16).

Recommandation n° 2 : instituer, par la loi, des quotas permettant d’ouvrir aux femmes, dans une proportion significative, les instances de gouvernance des entreprises que sont les conseils d’administration et les conseils de surveillance.

b) L’évolution des positions sur le recours aux quotas

La Délégation a pu constater au cours des auditions et des consultations qu’elle a effectuées combien les positions sur la possibilité de fixer par la loi un pourcentage minimal de représentants du même sexe au sein des conseils d’administration, avaient évolué depuis 2006, date du vote des amendements fixant cette proportion à 20 %.

L’instauration d’un quota a été reprise dans les propositions du rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Il y est proposé « d’instaurer une obligation de 40 % d’administrateurs du sexe sous représenté dans les conseils d’administration et de surveillance, dans un délai de six ans, pour les entreprises publiques et les sociétés dont les titres financiers sont admis aux négociations sur un marché réglementé, en adjoignant un critère de taille (1000 salariés). Instaurer une obligation intermédiaire de 20 % d’administrateurs du sexe sous représenté à échéance de deux ans ».

Par exemple, l’Institut français des administrateurs (IFA), qui prônait en 2006 une féminisation des conseils d’administration sur une base incitative et volontaire, s’est depuis officiellement prononcé en faveur des quotas.

Ce changement de position repose sur le constat de la stagnation de la place des femmes au sein des conseils et sur les effets bénéfiques que peut présenter une mesure à la vertu symbolique et mobilisatrice pour répondre à la lenteur des évolutions. 

B. UN ENJEU DE MEILLEURE GOUVERNANCE

L’objectif recherché par la fixation de quotas est bien d’ouvrir, à des femmes qualifiées et compétentes, des portes qui leur sont aujourd’hui fermées pour de mauvaises raisons.

Au-delà même de la légitimité d’une mesure qui permettrait de mettre fin à des inégalités entre hommes et femmes, la présence de femmes et le renouvellement de la composition des conseils qu’elle induirait nécessairement, est de plus en plus souvent vu également comme un enjeu économique.

1. Un levier pour régénérer la gouvernance

Une des raisons pour lesquelles les conseils d’administration et de surveillance sont fermés aux femmes, tient aux modes mêmes leur composition qui reposent, pour une large part, sur des processus de cooptation dans un cercle très étroit composé essentiellement d’hommes.

Le renouvellement induit par la désignation de plus de femmes est une opportunité de renouvellement – certains disent même de régénération – qui devrait conduire à s’interroger sur les processus eux-mêmes.

a) Un objectif et des modalités réalisables

Le recours aux quotas pour faire entrer des femmes dans les conseils se justifie dans la mesure où, plus que le manque de femmes potentiellement susceptibles d’y siéger, ce sont des causes organisationnelles et la prédominance des comportements de cooptation dans la formation des conseils d’administration et de surveillance qui expliquent la situation actuelle et sa persistance.

Cette raison est pourtant souvent avancée : il n’y aurait pas suffisamment de femmes remplissant les conditions requises pour être nommées.

Il est vrai que dans la mesure où on se limite, le plus souvent, à rechercher pour siéger au conseil d’administration des personnes qui sont déjà des dirigeants et qui sont déjà mandataires sociaux, le nombre de femmes potentiellement concernées se réduit d’autant.

Avoir des femmes mandataires sociaux en plus grand nombre supposera donc de faire évoluer les pratiques et notamment celles des chasseurs de tête, en élargissant et donc en renouvelant le profil des personnes sollicitées.

C’est un point qui a été soulevé par Mme Agnès Touraine, administrateur de société et membre de l’Institut français des administrateurs devant la Délégation : « La fonction d’administrateur est devenue aujourd’hui un vrai métier que l’on ne peut exercer véritablement en occupant, par ailleurs des postes exécutifs. Le problème de la mixité est étroitement lié à celui de la gouvernance. Si l’on veut des administrateurs non-exécutifs, indépendants et professionnels, il ne faut pas les choisir parmi les patrons du CAC 40. La mixité sera réalisée quand on acceptera que les administrateurs ne soient pas choisis parmi les dirigeants de groupes similaires. »  (17)

Ÿ Des candidates potentiellement en nombre suffisant :

Si l’on fixe une obligation de composition paritaire du conseil d’administration et de surveillance pour les sociétés cotées (soit pour environ 650 sociétés) et si l’on considère qu’un conseil d’administration compte en moyenne 10 membres (hypothèse haute) : sur un total d’environ 6 500 mandats d’administrateurs, 3 250 au maximum devront être détenus par des femmes.

Sachant que, les conseils d’administration sont, d’ores et déjà, composés de 8 % de femmes (soit environ de 550 femmes ce qui correspond à environ autant de mandat, le cumul des mandats par les femmes en place étant marginal) et sachant que le nombre maximum de mandats pouvant être détenu par administrateur est de cinq, le nombre de femmes qu’il faudrait « trouver » s’étagera dans une fourchette qui va de 1 350 femmes si chacune des nouvelles administratrices cumule deux mandats, à 550 si elles en cumulent cinq (sans compter que le nombre de mandats détenus par les femmes déjà membres des conseils d’administration peut également augmenter).

Cet objectif, à atteindre dans un délai de plusieurs années paraît donc réaliste.

Ÿ Des délais qui laissent le temps aux entreprises de s’adapter :

Cet objectif devrait être fixé par paliers.

Sachant que le taux de renouvellement des membres des conseils est d’environ de 15 % par an, un délai de cinq ans serait réaliste. Comme envisagé dans le rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux  (18), un premier palier intermédiaire de deux ans pour atteindre les 20 % constituerait un progrès significatif vers l’objectif fixé sans être trop éloigné de la situation existante pour présenter de difficultés réelles aux entreprises.

Ÿ En ouvrant de façon significative les instances de gouvernance aux femmes

Dans toute organisation, il existe un seuil critique de représentativité pour que la présence des personnes minoritaires puisse peser sur le fonctionnement de la structure ou sur le processus de décision. Il est généralement admis que ce seuil doit être du tiers. En tout cas, tout le monde s’accorde à dire qu’il faut éviter d’imposer un nombre trop réduit de femmes. En particulier, une seule femme risquerait de réduire son rôle à celui d’un alibi.

Une étude américaine conduite par la Richard Ivey School of Business de l’Université Western Ontario (19), montre, en effet, que la présence d’une seule femme reste sans influence. Elle joue souvent le rôle de la femme porte-drapeau, permettant à l’entreprise de se donner bonne conscience. À partir de trois, conclut cette étude, les femmes ne sont plus une curiosité, elles font partie du groupe à part entière.

Le choix d’un pourcentage de 40 % d’administrateurs du même sexe qui a été retenu par la Norvège apparaît comme permettant de préserver une certaine flexibilité (par rapport à un ratio de 50/50), tout en s’approchant de l’équilibre entre hommes et femmes, et en garantissant une représentation suffisante des femmes pour qu’elles puissent jouer un rôle véritable au sein du conseil.

b) Qui pose la question plus large du renouvellement des mandats

Le renouvellement des mandats d’administrateurs va conduire à se poser la question de la possibilité de cumul de ces mandats, ainsi que celle de leur durée. En effet, plus le renouvellement des fonctions d’administrateur sera fréquent et plus il sera facile de féminiser les conseils.

En application de l’article L. 225-18 du code du commerce, la durée des fonctions d’administrateur est fixée par les statuts de la société, sans que cette durée puisse excéder six ans. Le Code de gouvernement d’entreprise AFEP-Medef recommande, d’ailleurs, que la durée des fonctions d’administrateur n’excède pas quatre ans, de sorte que les actionnaires soient amenés à se prononcer avec une fréquence suffisante sur l’élection des administrateurs.

De même, les articles L. 225-21 et L. 225-77 du code de commerce limitent à cinq le nombre de mandats d’administrateur ou de membre de conseil de surveillance d’une société anonyme ayant son siège sur le territoire français, qui peuvent être exercés simultanément par une même personne physique.

La très forte concentration du pouvoir qui résulte de la pratique du cumul des mandats a été dénoncée par la mission d’information de la commission des Lois sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marchés (20) présidée M. Jean-Luc Warsmann et rapportée par M. Philippe Houillon. La mission a considéré que : « Eu égard à l’importance des fonctions des membres des conseils, on peut s’interroger sur la pertinence d’un nombre aussi important de mandats sociaux cumulables. Surtout, la pratique montre que, dans de très nombreux cas, les administrateurs ou les membres de conseils de surveillance cumulant plusieurs mandats sont par ailleurs dirigeants mandataires sociaux d’autres sociétés cotées ».

Ces deux points – cumul et durée des mandats –, excèdent la seule question de l’entrée des femmes dans les conseils d’administration et de surveillance. Elles participent cependant de la même logique d’accélération du renouvellement des instances de gouvernance et mériteront d’être examinées.

Recommandation n° 3 : Revoir les règles de cumul des mandats sociaux et/ou leur durée maximale pour favoriser le processus de renouvellement des conseils d’administration et de surveillance.

2. Un outil de performance

Le plus large accès des femmes à des postes décisionnels est une évidente nécessité démocratique, une exigence de reconnaissance des qualifications, des compétences et des mérites quel que soit le sexe, mais pas seulement. C’est aussi un enjeu qui a une dimension économique.

Celle-ci a été soulignée par M. Daniel Lebègue, Président de l’Institut français des administrateurs devant la Délégation à propos des raisons qui justifiaient la position de l’institut en faveur de la fixation de quotas : « la conviction, tirée de notre expérience professionnelle, que la capacité d’un conseil d’administration à répondre au mieux aux intérêts de l’entreprise dépendait de son degré d’ouverture.(…) L’essentiel du problème vient d’une faiblesse fondamentale du management à la française que l’on pourrait appeler « le phénomène du petit monde ». La classe dirigeante française est composée d’hommes qui ont suivi le même parcours, se reconnaissent entre eux et vivent en milieu fermé. Ce sont ces hommes qui constituent l’essentiel des conseils d’administration. Or, un monde endogame est un monde moins efficace qu’un monde ouvert et diversifié. » (21).

De plus en plus, les entreprises qui s’intéressent à la place des femmes dans leur management (et à la diversité) le font pour des raisons de performance et d’efficacité.

Mme Clarisse Reille, vice-présidente de l’association Grandes écoles au féminin, a fait valoir que : « La crise que nous vivons est une faillite des élites en place. Les femmes n’auraient peut-être pas fait mieux. En tout cas, nous entrons dans un monde où écouter les autres et avoir l’esprit d’équipe, sera de plus en plus important. Les contraintes subies par les femmes et l’éducation qu’elles ont reçue leur ont fait développer une dimension plus émotionnelle et tournée vers les réseaux. Les cartes vont être rebattues parce qu’on a besoin d’un nouveau type d’élite ». (22)

Il s’agit aussi d’une des motivations importantes qui a guidé la fixation de quotas en Norvège. Mise en œuvre, non par le ministre de l’égalité mais par celui du commerce et de l’industrie, cette réforme y est apparue comme indispensable à un meilleur usage des « ressources » disponibles. En effet, pourquoi des femmes qui ont bénéficié de formations supérieures et développé des compétences ne pourraient-elles pas les mettre à la disposition des entreprises ? De même, plus le panel de candidats est large et plus l’on a de chances de trouver le bon candidat.

Des études ont recherché l’existence d’une corrélation entre la présence de femmes dans les organes dirigeants et les résultats de l’entreprise.

Le cabinet Catalyst a mené en 2007, une analyse (23) qui distingue au sein du classement « Fortune 500 », 132 entreprises ayant le pourcentage le plus élevé de femmes dans leur conseil d’administration des 129 en ayant le moins. Cette analyse n’établit pas de lien de causalité, mais fait apparaître une corrélation significative entre la représentation des femmes dans le management et les performances financières.

Une autre étude menée en Finlande (24), la même année, sur 12 800 entreprises montre que les entreprises dirigées par une femme ont une meilleure performance moyenne (plus 12 %) et que celle avec une majorité de femmes dans leur conseil d’administration ont une meilleure profitabilité (plus 14 %).

Il ne s’agit pas de chercher à démontrer que les femmes exerceraient mieux ou plus mal que les hommes des fonctions de direction. Par contre, il apparaît au vu de ces résultats, que d’une part cette question est une véritable question prise au sérieux et analysée (plutôt dans des pays anglo-saxons ou nordiques) et que les entreprises auraient sans doute tout à gagner à la présence de plus de femmes à des postes de responsabilité.

C’est également la perspective dans laquelle s’inscrit la Commission européenne qui soutient une participation égale des femmes et des hommes aux postes à responsabilité : « Une participation égale des femmes et des hommes aux processus décisionnels est une nécessité démocratique et économique. Dans la situation économique actuelle, il est de la plus haute importance de mobiliser tous les talents et il n’est plus question de gaspiller des compétences et un potentiel économique à cause de perceptions obsolètes du rôle des femmes et des hommes et de leur capacité à diriger. Des études mettent en évidence un lien positif entre la présence de femmes aux postes de direction et les performances financières et organisationnelles. Rechercher un meilleur équilibre entre les sexes dans la conduite des affaires peut améliorer la gestion et la rentabilité des entreprises » (25).

Cela étant, on peut s’interroger sur le point de savoir pourquoi des femmes compétentes et qualifiées pour exercer des fonctions de mandataires sociaux devraient prouver que leur présence dans les conseils d’administration constituerait un plus ? Cette question, comme d’ailleurs celle de la compétence des hommes, n’est a contrario jamais posée.

Ouvrir les conseils aux femmes a pour objectif de permettre à des femmes qualifiées pour ses fonctions de les exercer, ce qui ne serait selon toute vraisemblance jamais le cas ; à charge pour elles de faire ensuite leurs preuves dans l’exercice de leur mandat.

3. Qui s’inscrit dans l’objectif européen d’une présence équilibrée des femmes dans les instances de décision

Le 17 janvier 2008, le Parlement européen a adopté une résolution demandant à la Commission et aux États membres de « favoriser une présence équilibrée entre les femmes et les hommes dans les conseils d'administration des entreprises, notamment lorsque les États membres sont actionnaires de ces entreprises » (26)

Comme cela a été dit, la Commission a également engagé une action pour garantir la place des femmes dans les processus de décision, au travers des priorités définies dans la feuille de route pour l’égalité entre les hommes et les femmes (2006-2010).

Le rapport réalisé, à mi-parcours, sur l’état d’avancement de cette feuille de route (27), réaffirme que « la participation de l’ensemble des citoyens et des citoyennes aux processus politiques et décisionnels est une nécessité démocratique et économique, de même qu’un critère prioritaire de l’appartenance à l’Union. Une plus grande implication des femmes dans les processus démocratiques est l’une des priorités évoquées dans l'Europe pour les citoyens».

Cet objectif est réitéré dans le rapport de la Commission sur l’égalité entre les femmes et les hommes (28) qui affirme que : « Une participation plus équilibrée des deux sexes à la prise de décision demande des actions ciblées et des mesures efficaces, telles que, le cas échéant, une action positive, des plans d’égalité, des parrainages ou des formations ciblées. Toutes les procédures de nomination, de recrutement, d'évaluation des emplois et des compétences, de rémunération et de promotion doivent être transparentes et neutres à l’égard des deux sexes ».

C. DES QUOTAS POUR IRRIGUER L’ENSEMBLE DE LA POLITIQUE DE L’ENTREPRISE EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ PROFESSIONNELLE

Une représentation équilibrée des sexes dans les instances de gouvernance, si elle se justifie pleinement par des impératifs d’égalité entre les sexes et de mixité ainsi que par les opportunités qu’elle ouvre en termes de meilleure gouvernance, ne constitue pas un objectif en soi, qui se satisferait de ce que le nombre de femmes mandataires sociaux ait été doublé ou triplé en quelques années.

Sa portée est bien plus large, tant en matière de promotion des carrières des femmes dans l’entreprise que d’égalité professionnelle en général. On peut, en effet, attendre de ce qui pourrait apparaître comme une mesure isolée ne bénéficiant qu’à quelques-unes, un effet moteur qui permettra d’irriguer toute l’entreprise.

1. Les évolutions de carrières des femmes et les postes de dirigeant

Siéger dans un conseil d’administration suppose un niveau d’expertise et de compétence, ainsi qu’une expérience préalable à l’exercice du mandat d’administrateur.

Une première phase dans la mise en œuvre de quotas réside donc dans l’identification de candidates potentiellement susceptibles de faire partie de ces conseils, mais aussi dans la création des conditions propres à les faire émerger. Faire entrer les femmes dans les conseils devra donc conduire à poser la question des évolutions de carrières différenciées entre les femmes et les hommes.

Comme l’a souligné Mme Monique Bourven devant la Délégation (29), la présence de femmes dans les comités exécutifs passe par une politique volontariste de l’entreprise visant à faire « progresser » des femmes vers les postes de direction.

Une démarche de même nature, c’est-à-dire la fixation de quotas, ne saurait être envisagée pour les fonctions opérationnelles de direction qui correspondent à des postes dans l’entreprise. Si les conseils d’administration et de surveillance relèvent d’une logique institutionnelle et de règles de composition et de fonctionnement qui sont régies par le droit des sociétés, et sont donc susceptibles de faire l’objet de mesures définies par la loi, il n’en va pas de même, en effet, pour ces fonctions. Les quotas ne sont pas alors un outil adapté.

Il s’agit, par contre, d’une question qui relève de la gestion de l’entreprise. Dès lors se pose le problème de savoir comment constituer des « viviers » de femmes potentiellement appelées à diriger des entreprises et comment créer les conditions permettant aux femmes concernées de suivre le parcours qui les amènera à des postes de direction impliquant un certain profil et exigeant une certaine expérience. Offrir à des femmes la possibilité de faire leurs preuves, notamment au travers de leur participation aux conseils d’administration devrait donc faciliter leur accession à ces responsabilités. Dans ce processus, faire entrer des femmes dans les conseils n’est donc pas indifférent.

2. Impliquer le conseil d’administration sur la politique d’égalité professionnelle dans l’entreprise et garantir la transparence dans ce domaine

a) La photographie de l’égalité professionnelle dans l’entreprise : le rapport de situation comparée

La directive n° 2006/54 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail prévoit, dans son article 21 relatif au dialogue social que : « 3. Les États membres encouragent, en conformité avec la législation nationale, les conventions collectives ou les pratiques nationales, les employeurs à promouvoir, de manière organisée et systématique, l'égalité de traitement des hommes et des femmes sur le lieu de travail, dans l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles.

4. À cet effet, les employeurs sont encouragés à fournir, à intervalles réguliers appropriés, aux travailleurs et/ou à leurs représentants, des informations appropriées sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes dans l'entreprise. »

Tel est l’objet du rapport annuel de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, qui doit être obligatoirement élaboré dans les entreprises de plus de 300 salariés (30).

Ce rapport permet d’identifier les inégalités et de définir les actions à mener pour aller vers l’égalité des hommes et des femmes en entreprise. C’est sur la base de ce rapport annuel et de ces indicateurs, que doit s’engager la négociation collective sur l’égalité professionnelle. Il s’agit donc d’un élément de diagnostic, mais aussi d’une base pour agir en faveur de l’égalité hommes-femmes.

Il comporte une analyse permettant d’apprécier la situation respective des femmes et des hommes en matière d’embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de rémunération effective et d’articulation entre l’activité professionnelle et l’exercice de la responsabilité familiale. Il est établi à partir d’indicateurs, définis par décret et éventuellement complétés par des indicateurs tenant compte de la situation particulière de l’entreprise. Il recense également les mesures prises au cours de l’année écoulée en vue d’assurer l’égalité professionnelle, les objectifs prévus pour l’année à venir et la définition qualitative et quantitative des actions à mener à ce titre ainsi que l’évaluation de leur coût.

Ce rapport est transmis au comité d’entreprise ou aux délégués du personnel et les informations relatives à l’égalité professionnelle figurent dans le bilan social qui récapitule annuellement les principales données chiffrées permettant d’apprécier la situation de l’entreprise sur le plan social.

Le bilan social est transmis aux représentants du personnel, aux délégués syndicaux, aux salariés et aux actionnaires dans les sociétés par action, mais dans un cas comme dans l’autre, il n’existe pas d’obligation de publication de ces documents.

b) Renforcer le rôle du conseil d’administration en matière d’égalité professionnelle

L’article R. 225-104 du code de commerce précise les informations sociales contenues dans le rapport du conseil d’administration ou du directoire aux actionnaires. Parmi celles-ci doivent, en principe, figurer, les données relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Compte tenu du fait qu’un grand nombre d’entreprises (plus de la moitié d’entre elles) se dispensent de la réalisation du rapport de situation comparée et compte tenu du caractère incontournable de celui-ci pour procéder à toute évaluation réelle de la situation de l’entreprise sur ce point, il est indispensable d’aller plus loin que les seules dispositions prévues par le décret précité qui manifestement sont insuffisantes à garantir la transparence des entreprises sur cette question.

Le rapport de situation comparée devrait être adjoint au rapport de gestion annuel. Il constituerait alors un document de référence, obligatoirement publié qui engage la responsabilité du conseil d’administration face aux actionnaires.

Au-delà de l’objectif de transparence ainsi recherché, le conseil d’administration ou de surveillance devrait avoir à délibérer annuellement sur la politique d’égalité professionnelle suivie par la société élargissant ainsi à toute l’entreprise la préoccupation d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes concrétisée au plus haut niveau par la présence de femmes au sein des conseils.

Recommandation n° 4 : garantir la transparence sur la composition hommes-femmes des conseils et sur les données relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans l’entreprise, par l’adjonction du rapport de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, aux documents de référence figurant dans le rapport annuel de gestion.

Recommandation n° 5 : obliger le conseil d’administration ou le conseil de surveillance à délibérer annuellement sur la situation de l’égalité professionnelle dans l’entreprise.

III. PROMOUVOIR LA PLACE DES FEMMES DANS LES INSTANCES DE REPRÉSENTATION DE L’ENTREPRISE ET DU MONDE ÉCONOMIQUE

A. GARANTIR LA PRÉSENCE ÉQUILIBRÉE DES FEMMES DANS LES INSTITUTIONS REPRÉSENTATIVES DU PERSONNEL

En 2006, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité salariale des amendements avaient été adoptés pour prévoir l’obligation de constitution de listes paritaires entre les hommes et les femmes pour les élections aux comités d’entreprise ainsi que pour celles des délégués du personnel.

Il conviendrait de reprendre ces dispositions et pour garantir la représentation des femmes dans les instances élues, comme pour les scrutins électoraux, prévoir que ces listes soient composées de femmes et d’hommes de façon alternée.

Recommandation n° 5 : faire figurer sur les listes pour les élections aux institutions représentatives du personnel et de façon alternée un nombre de femme correspondant à la répartition hommes-femmes existant dans l’entreprise.

B. DES LISTES DE CANDIDATS PARITAIRES AUX ÉLECTIONS PRUD’HOMALES

Afin de promouvoir une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les conseils de prud’hommes, la loi sur l’égalité professionnelle du 9 mai 2001 avait fixé comme objectif aux organisations représentatives des salariés et des employeurs, la réduction d’un tiers de l’écart entre le nombre de femmes inscrites et le nombre de femmes candidates sur les listes.

Le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans lequel siègent les partenaires sociaux avait, en effet, proposé d’atteindre la parité au sein de ces conseils en deux étapes : réduction d’un tiers de l’écart en 2002, et pour 2007, un nombre de femmes conforme à la parité.

En conséquence, en 2002 une nette progression des femmes (de 31 %) a été constatée, tant chez les candidates que parmi les élues, par rapport à 1997.

L’obligation votée en 2001 ne valant que pour le scrutin suivant, c'est-à-dire celui de 2002, une disposition similaire a ensuite été adoptée lors de l’examen de la loi de 2006  mais, comme cela a été dit, l’article en question a été déclaré inconstitutionnel par le Conseil Constitutionnel (31).

L’absence d’obligation pour le scrutin de 2008, s’est fait sentir : la progression des femmes dans ces conseils est significativement inférieure à celle de 2002 (de 17 %).

En outre, comme le souligne le rapport Grésy, la mesure de la réduction de l’écart entre le nombre d’inscrite et le nombre de candidates est en réalité très difficile, par manque de données homogènes d’une année à l’autre. On ne sait pas, notamment, pour 2008 combien de femmes étaient inscrites sur les listes de votants.

En tout état de cause, la réflexion en cours sur le mode de désignation des juges prud’homaux ne devra pas laisser de côté la question de la parité.

Recommandations 7 et 8 :

- prévoir des listes paritaires entre les sexes pour la constitution des listes aux élections prud’homales. Pour être recevables, les listes de candidats (de salariés et d’employeurs) devront comprendre un nombre égal de femmes et d’hommes et respecter une stricte alternance entre femmes et hommes ;

- suivre la place des femmes au sein des conseils de prud’hommes à partir de données cohérentes d’un renouvellement à l’autre.

C. LE CONSEIL ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL EN MARCHE VERS LA PARITÉ HOMMES FEMMES

Le projet de loi organique n° 1891 relatif au Conseil économique, social et environnemental qui a été déposé le 25 août 2009 sur le bureau de l’Assemblée nationale, vise à modifier les règles de composition de cette institution en prévoyant notamment que celle-ci sera désormais composée à parité entre les hommes et les femmes.

L’article 6 du projet dispose, en effet, que : « Dans tous les cas où une organisation est appelée à désigner plus d’un membre du Conseil économique, social et environnemental, elle procède à ces désignations de telle sorte que l’écart entre le nombre des hommes désignés d’une part et des femmes désignées d’autre part ne soit pas supérieur à un. La même règle s’applique à la désignation des personnalités qualifiées. »

Cette réforme constituera une avancée majeure en termes de parité pour une institution qui, bien qu’elle soit l’une des plus féminisée ne comptait que 21,65 % de femmes, lors de la dernière mandature.

La Délégation se félicite de ce projet et souhaite que cette réforme soit l’occasion de consacrer à la fois l’existence et la contribution aux travaux du CESE, de sa Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. En effet, actuellement l’existence de cette délégation ne se fonde que sur l’article 13 de l’ordonnance du 29 décembre 1958 modifiée, portant loi organique relative au CES qui prévoit que : « Des commissions temporaires peuvent être créées au sein du Conseil pour l’étude de problèmes particuliers ». Cet article, non modifié par le projet de loi organique, permet de constituer des commissions ad hoc afin de mieux appréhender des sujets transversaux, mais n’est pas adapté au fonctionnement d’une structure pérenne comme la Délégation.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION ET RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

La Délégation aux droits des femmes s’est réunie le mardi 1er décembre 2009, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann pour examiner le rapport d’information.

La Délégation a adopté le présent rapport et les recommandations suivantes :

La Délégation considère indispensable de

1 - Garantir l’application des lois relatives à l’égalité professionnelle et salariale par l’adoption de sanctions financières à l’encontre des entreprises qui n’en respectent pas les obligations.

2 - Instituer, par la loi, des quotas permettant d’ouvrir aux femmes, dans une proportion significative, les instances de gouvernance des entreprises que sont les conseils d’administration et les conseils de surveillance ;

3 - Revoir les règles de cumul des mandats sociaux et/ou leur durée maximale pour favoriser le processus de renouvellement des conseils d’administration et de surveillance ;

4 - Garantir la transparence sur la composition hommes femmes des conseils et sur les données relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans l’entreprise, par l’adjonction du rapport de situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes, aux documents de référence figurant dans le rapport annuel de gestion ;

5 - Obliger le conseil d’administration ou le conseil de surveillance à délibérer annuellement sur la situation de l’égalité professionnelle dans l’entreprise ;

6 - Faire figurer sur les listes pour les élections aux institutions représentatives du personnel, et de façon alternée, un nombre de femmes correspondant à la répartition hommes-femmes existant dans l’entreprise ;

7 - Prévoir des listes paritaires entre les sexes pour la constitution des listes aux élections prud’homales. Pour être recevables, les listes de candidats (de salariés et d’employeurs) devront comprendre un nombre égal de femmes et d’hommes et respecter une stricte alternance entre femmes et hommes ;

8 - Suivre la place des femmes au sein des conseils de prud’hommes à partir de données cohérentes d’un renouvellement à l’autre.

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

AUDITIONS

Audition de Mme Caroline de la Marnierre, présidente de Capital Com. 40

Audition de Mme Sophie de Menthon, présidente du mouvement ETHIC (Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance) 45

Audition de Mme Monique Bourven, auteur du rapport du Conseil économique, social et environnemental : « La place des femmes dans les lieux de décision : promouvoir la mixité » 50

Audition de Mme Bénédicte Bertin-Mourot, co-animatrice de l’Observatoire des dirigeants au CNRS, co-auteure de l’étude « Repenser l’équilibre hommes-femmes dans la ressource managériale et dirigeante » et de Mme Catherine Laval, consultante senior chez Leroy Consultants, groupe BPI et co-auteure de l’étude 59

Audition de Mme Françoise Milewski, co-auteure du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité » 66

Audition de Mme Véronique Préaux-Cobti, présidente, et de Mme Clarisse Reille, vice-présidente de l’association Grandes écoles au Féminin 75

Audition de Mme Tita Zeitoun, Présidente de l’association Action de femme 82

Audition de Mme Françoise Renard, Adjointe au Directeur des relations sociales de la Société générale 87

Audition de M. Daniel Lebègue, Président de l’Institut des Administrateurs (IFA) et de Mme Agnès Touraine, administrateur de société et membre du conseil d’administration de l’IFA 96

Audition de M. Marc Veyron, Directeur des ressources humaines du groupe CSF France et de Mme Estelle Champenois 99

Audition de Mme Charlotte Duda, présidente de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines) 102

Audition de Mme Elisabeth Karako, responsable diversité du groupe BNP Paribas 110

Audition de M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers 116

Audition de Mme Jacqueline Laufer, professeur à HEC, directrice-adjointe du groupement de recherche européen du CNRS : Marché du travail et genre en Europe 122

Audition de Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieux, secrétaire confédérale de la CGT-FO et de Mme Isabel Odoul-Asorey, assistante confédérale 129

Audition de Mme Évelyne Duhamel, présidente de la Chambre de commerce et d’industrie de Dieppe 137

Audition de Mme Caroline de la Marnierre, présidente de Capital Com.


(procès-verbal du 10 décembre 2008)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La loi de mars 2006 sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes comprenait des dispositions relatives à la fixation d’un quota de 20 % de femmes dans les conseils d'administration, avant que cet article ne soit déclaré contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Mme de La Marnierre, présidente de Capital com, à qui je souhaite la bienvenue, nous souhaiterions faire le point avec vous de cette question et des mesures qui pourraient être prises pour accélérer cette évolution. L’exemple de la Norvège montre le rôle décisif de la législation en cette matière. Certains considèrent qu’il faudrait « féminiser sans discriminer ». Ce n’est pas mon sentiment, et je ne conçois pas que l’on puisse attendre simplement une évolution qui ne se fera pas de manière spontanée.

Mme Caroline de La Marnierre. Pour travailler depuis vingt ans avec des entreprises, je me suis forgé une opinion sévère. Je pense, comme vous, que nous n’avons rigoureusement aucune chance d’arriver à un pourcentage de femmes dans les conseils d’administration de l’ordre de celui qu’avait fixé la loi, une proportion au demeurant assez faible, si la législation n’est pas renforcée. Sans aller jusqu’à instituer une discrimination positive, comme le souhaitent certains, il faut faire davantage pour parvenir à un minimum d’équilibre dans les instances dirigeantes des entreprises.

À ce jour, on ne compte encore que 10 % de femmes dans les conseils d’administration et 6 % dans les comités exécutifs des entreprises du CAC 40. Cette situation est parfaitement inacceptable. Nous sommes très loin de celle qui prévaut au Canada et aux États-Unis, où la proportion des femmes dans les conseils d’administration et les comités exécutifs des cent plus grandes entreprises est respectivement de 16 et de 19 %. À l’autre bout du spectre, toujours pour les cent plus grandes entreprises, on ne compte que 2 % de femmes dans des fonctions exécutives au Japon et 4 % en Chine. En Europe, la disparité est très marquée selon que l’on considère les pays du Nord, notamment la Norvège, où la loi a fixé un quota de 40 %, ou les pays du Sud. En Norvège, la législation a permis de porter la proportion de femmes à 27 % dans les instances dirigeantes, conseils d’administration et comités exécutifs confondus. À ce jour, seules la Norvège et tout récemment l’Espagne ont légiféré. Aux États-Unis et au Canada, c’est une ferme incitation à la discrimination positive en faveur des femmes qui a permis un progrès significatif.

Les conseils d’administration sont, par nature, des instances très fermées, ouvertes seulement à un certain profil de responsables et encore moins aux femmes. Même si les chasseurs de têtes ont pour consigne de proposer aux postes exécutifs des candidatures pour moitié masculines et pour moitié féminines, au terme du processus, c’est le plus souvent un homme qui est recruté. La démarche est largement hypocrite. L’argument selon lequel il n’existerait pas de femmes aptes à remplir de telles fonctions est irrecevable, car le gisement de compétences est immense, et très nombreuses sont les femmes intéressées, disponibles, et prêtes à s’investir.

Le fait que les dirigeants ne souhaitent pas recruter des femmes à ces fonctions peut s’expliquer par un certain conservatisme, par une appréhension, par le fait aussi que les femmes n’hésitent pas à mettre les pieds dans le plat quand elles l’estiment nécessaire… Quoi qu’il en soit, l’ouverture ne se fait pas et bien trop nombreuses sont les entreprises qui se satisfont de pouvoir se « vanter » de compter une femme au sein de leur conseil d’administration.

Parallèlement, la terminologie a évolué, ce qui marque un progrès bienvenu. En effet, on ne parle plus tant de la place des femmes dans l’entreprise que de la nécessaire mixité et de l’enrichissement qu’apporterait un équilibre réel dans des conseils d’administration plus ouverts.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est bien entendu que vous distinguez le terme de « mixité » de celui de « diversité » ?

Mme Catherine Coutelle. Je serais également rigoureusement opposée à l’idée que l’on prétende faire des femmes une catégorie alors qu’elles constituent la moitié de l’humanité.

Mme Caroline de La Marnierre. J’en suis d’accord, et c’est bien pourquoi j’ai parlé de « mixité ».

Mme Catherine Coutelle. Je constate qu’en dépit d’une législation très stricte imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, on n’est parvenu, en Norvège, qu’à une proportion de 27 %.

Mme Caroline de La Marnierre. Il s’agit là de la proportion moyenne de femmes, conseils d’administration et comités exécutifs confondus. Mais toutes les entreprises norvégiennes devront être en conformité avec la loi le 1er janvier 2009.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Elles le devront en effet, puisque la sanction prévue est très dure – la dissolution de l’entreprise. C’est pourquoi j’avais été très surprise des réactions, notamment celle du MEDEF, à l’obligation faite aux entreprises françaises d’instaurer un quota de 20 % seulement de femmes au sein des conseils d’administration - un minimum, me semble-t-il.

Mme Caroline de La Marnierre. Quels sont les arguments avancés ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qu’il ne faut pas instaurer de quotas et que les femmes aptes à occuper ces postes manquent… Ce sont pourtant les organisations professionnelles qui devraient, au contraire, participer activement à la dynamique de l’égalité entre hommes et femmes au sein de l’entreprise, à tous les niveaux, pour qu’elle devienne la norme.

Mme Caroline de La Marnierre. Les onze femmes qui, l’année dernière, ont été cooptées au sein des conseils d’administration des entreprises du CAC 40 ont un véritable profil d’administrateur et sont parfaitement à leur place là où elles ont été nommées.

Mme Catherine Coutelle. Je vois deux autres freins à la présence de femmes dans les conseils d’administration : le premier est qu’une fois arrivées à des postes de responsabilité, elles ne font pas nécessairement la promotion des autres femmes ; le second est que les femmes, par manque de confiance en elle, hésitent à prendre des responsabilités.

Mme Caroline de La Marnierre. Cette explication vaut davantage pour les comités exécutifs que pour les conseils d’administration, dont les membres n’ont pas de responsabilités opérationnelles, et si la question se pose effectivement, c’est de moins en moins fréquemment. Il est vrai, par ailleurs, que les femmes sont beaucoup moins enclines que les hommes à se coopter.

M. Guénhaël Huet. On constate les mêmes réticences pour les instances politiques. Je m’en suis rendu compte en voulant constituer une liste électorale. Un homme accepte la proposition d’y figurer en dix minutes mais il faut des heures pour convaincre une femme. Manifestement, l’appréhension de ne pas réussir est très forte. Il en résulte une grande difficulté à constituer plusieurs listes dans les petites communes. La loi sur la parité, qui représente un progrès démocratique a donc aussi pour effet paradoxal « d’assécher » la démocratie car le refus des femmes de s’engager peut empêcher la constitution de listes.

Mme Catherine Coutelle. Les freins proviennent aussi, on le sait, des relations dans le couple. Un mari refuse souvent que sa femme accepte une fonction élective. L’insuffisance persistante du partage des tâches domestiques joue de manière évidente. Par ailleurs, il n’est pas toujours facile d’être le mari d’une élue.

Mme Caroline de La Marnierre. C’est exact. Il est souvent difficile pour un homme d’accepter que sa femme ait des responsabilités supérieures aux siennes.

M. Guénhaël Huet. Cela peut jouer, mais cette appréciation doit être nuancée car il peut arriver aussi que la notoriété de la femme conforte celle de l’époux.

Mme Caroline de La Marnierre. Dans les entreprises, le blocage se produit lorsque la femme atteint un niveau de responsabilité plus élevé que celui de son époux. Cela peut dissuader certaines femmes de rechercher des promotions.

Mme Catherine Coutelle. Un autre problème tient à l’organisation du temps, sujet auquel je me suis toujours intéressé et qui m’a conduite à créer l’Agence des temps à Poitiers. Au contraire de ce qui se passe au Canada, où l’on considère que devoir travailler tard prouve l’inefficacité du travail fait pendant la journée, il est bienvenu, dans les entreprises françaises, de travailler tard le soir. Pourtant, un effort minime des directeurs de ressources humaines suffirait pour prendre en compte les contraintes personnelles des salariés. J’irai jusqu’à dire qu’en tenir compte dans l’organisation du travail ne peut qu’augmenter l’efficacité du travail car les salariés sont alors moins stressés. La deuxième loi sur les 35 heures comportait un article visant à mieux concilier vie professionnelle et vie familiale

Mme Caroline de La Marnierre. Soixante-dix entreprises et associations viennent de signer la Charte de la parentalité en entreprise. Ce faisant, elles se sont notamment engagées à libérer tous leurs salariés à 18 heures 30 au plus tard. Une évolution est donc perceptible, qui profite aux femmes et aux hommes indifféremment. C’est le concept de la mixité en action.

Nous avons étudié l’application de la loi de mars 2006 : nous n’avons pas trouvé un mot sur les dispositions qu'auraient été prises par les entreprises du CAC 40 pour se mettre en conformité avec celle-ci ! Aucune mention, aucun audit, aucune étude ! Dans ces conditions, comment se fera la parité salariale, qui ne peut être que progressive ?

Mme Catherine Coutelle. Une conférence tripartite sur l’égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes s’est pourtant tenue sous l’égide de M. Xavier Bertrand !

Mme Caroline de La Marnierre. Peut-être, mais quelles sont les sanctions prévues ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lors de l’élaboration du texte de 2006, la délégation aux droits des femmes avait demandé que des sanctions fortes et d’application immédiate soient prévues, celles qui figuraient dans la loi de 2001 lui semblant insuffisantes. Le texte finalement adopté avait laissé aux entreprises jusqu’au 31 décembre 2010 pour s’adapter, en prévoyant la promulgation d’une nouvelle loi pour fixer les sanctions applicables après cette date. À la suite de la conférence tripartite de novembre dernier, il a été annoncé que les entreprises qui ne sont pas mises en conformité avec la loi au 31 décembre 2009 seront sanctionnées et le ministre a annoncé le dépôt d’un projet de loi pour créer ces sanctions. Si les rapports de situation comparée ne sont pas publiés, il est impossible de savoir si les entreprises se conforment à la loi. D’évidence, un travail doit être mené pour rappeler aux entreprises leurs obligations.

Mme Caroline de La Marnierre. Les entreprises respectent la loi lorsque les sanctions prévues les y obligent. En outre, de faibles sanctions pécuniaires sont insuffisantes car le rattrapage salarial met en jeu des sommes considérables. Seule du CAC 40, la Société générale a chiffré l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes en son sein et a défini une politique de rattrapage. Encore faudrait-il analyser de manière plus fine les mesures décidées, mais au moins cette entreprise-là déclare-t-elle faire quelque chose. Dans 80 % des cas, il n’y a même pas cela.

Mme Catherine Coutelle. Une entreprise qui recrute un cadre fixe une fourchette de salaire. Comment peut-on expliquer que si la personne recrutée est un homme, son salaire sera supérieur à celui d’une femme ?

Mme Caroline de La Marnierre. Tout tient au déroulement de la négociation d’embauche. Un homme sera vraisemblablement plus accrocheur ; une femme négociera moins spontanément son salaire.

M. Guénhaël Huet. Un autre facteur joue, qui n’est pas sciemment sexiste car tout recruteur demande aux candidats combien ils gagnent dans leur emploi actuel. Les femmes gagnant moins que les hommes, l’écart se perpétue. Cela vaut pour les femmes comme pour les jeunes cadres.

Mme Caroline de La Marnierre. La différence étant que ce qui se conçoit pour les jeunes cadres qui n’ont qu’une expérience restreinte, est injustifiable pour les femmes.

M. Guénhaël Huet. C’est vrai, mais c’est d’abord une économie qui est recherchée.

Mme Caroline de La Marnierre. À compétences égales, les écarts de salaires entre hommes et femmes n’ont aucune raison objective et elles sont anormales. Capitalcom mène des études à ce sujet de sa propre initiative, mais il manque un observatoire chargé de procéder à l’état des lieux nécessaire. Aussi longtemps que l’on ne mesurera pas le progrès accompli, aussi longtemps que l’on ne dira pas les insuffisances de l’application de la loi, les entreprises continueront d’agir comme elles le font. Tous les chiffres relatifs à la proportion des femmes dans les entreprises doivent être publiés. Cela aurait une efficacité immédiate car il est difficile de nier des données objectives.

M. Guénhaël Huet. À condition toutefois que certaines entreprises ne considèrent pas comme un progrès triomphal le fait de compter 10 % de femmes au sein de leurs conseils d’administration, au motif qu’il n’y en avait aucune auparavant !

Mme Caroline de La Marnierre. Bien entendu. À mon sens, l’important est de légiférer, et de légiférer vigoureusement. Si c’est le cas, une évolution significative aura lieu à l’horizon de trois ou quatre ans, le délai de renouvellement du mandat des administrateurs.

M. Guénhaël Huet. Avec le recul, je constate que la loi sur la parité était une heureuse initiative, qui nous a fait gagner trente ou quarante ans. Je ne doute plus que sans ce texte, on en serait encore à 5 % seulement de femmes dans les instances élues.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. De même, en Norvège, les chefs d’entreprises déclarent que, sans la loi, ils n’auraient rien fait et que le texte a eu des effets positifs sur le fonctionnement de leur entreprise.

Mme Catherine Coutelle. C’est pourquoi l’opposition a apporté ses voix à la révision de l’article premier de la Constitution, qui dispose désormais que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

Mme Caroline de La Marnierre. Que l’on impose un quota de 30 % de femmes au sein des conseils d’administration ne me paraîtrait pas choquant. À dire vrai, je pense que cela ne choquerait plus personne. D’immenses gisements de compétences existent, les chasseurs de têtes en sont convaincus, et ils n’auraient aucun mal à trouver ces 30 % de femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsque la loi a été promulguée en Norvège, certains considéraient ses dispositions irréalistes. Il apparaît aujourd’hui que la mesure était applicable, et que bien peu d’entreprises ne respectent pas ce texte qui, à l’époque, avait paru révolutionnaire.

Mme Caroline de La Marnierre. La moindre des choses serait que les entreprises qui n’appliquent pas la loi soient contraintes de se justifier. C’est ce que résume l’expression anglaise « Comply or explain » – pliez-vous à la loi, ou expliquez-vous.

Si la loi est assortie de sanctions rigoureuses, elle sera appliquée. Certaines dispositions qui paraissaient, de prime abord, inapplicables, sont finalement appliquées sans encombre. On l’a vu lorsqu’il s’est agi de publier la rémunération des dirigeants, ce qui semblait inconcevable. Une loi déclenchera des réactions mais elles s’apaiseront et, à terme, ceux-là mêmes qui la vilipendaient admettront que le texte était bon. Et pour cause : c’est le sens de l’histoire. Aucun argument recevable ne peut justifier la différence d’accès des femmes et des hommes aux instances dirigeantes des entreprises.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

Audition de Mme Sophie de Menthon, présidente du mouvement ETHIC
(Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance)


(Procès-verbal du 17 décembre 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je souhaite la bienvenue à Mme Sophie de Menthon, présidente du mouvement ETHIC, Entreprises de taille humaine indépendantes et de croissance.

Nous avons choisi de traiter un thème en relation directe avec la réforme constitutionnelle qui ouvre la possibilité de favoriser l’accès des femmes aux responsabilités professionnelles et sociales en légiférant pour que les femmes soient davantage présentes au sein des conseils d’administration, des syndicats ou des conseils de prud’hommes. L’accès aux postes de responsabilité est essentiel pour faire évoluer les modes de fonctionnement de l’entreprise.

Mme Sophie de Menthon. Pour notre part, nous souhaitions faire inscrire la liberté d’entreprendre dans le préambule de la Constitution aussi afin de promouvoir la diversité. La liberté d’entreprendre ne doit plus être perçue par les jeunes des banlieues, par les populations défavorisées comme n’étant pas faite pour eux. Les mots « entreprendre » ou « entreprise » n’apparaissent nulle part. Il est pourtant important d’affirmer qu’entreprendre est à la portée de chacun.

J’en viens au mouvement que je préside. ETHIC regroupe des entreprises allant de la petite structure de quelques salariés jusqu’à trois groupes du CAC 40, dont Total. Il n’est de richesses que d’hommes : nous nous fondons sur l’être humain. Nous nous battons pour une nouvelle éthique du capitalisme depuis deux ans et nous allons tenir un forum mondial sur le sujet. Nous avons également lancé la Fête des entreprises : « J’aime ma boîte », il y a six ans. Cette année, elle a pour thème : les femmes comme lien social des entreprises. Le supplément d’âme apporté par les femmes dans les entreprises est devenu un facteur fondamental du bien-être des salariés alors que c’était encore un gadget il y a six ou sept ans. Je partage donc votre préoccupation.

Les lois doivent être respectées quand elles existent mais ne doivent pas non plus être pléthoriques, en particulier pour ce qui concerne les entreprises. Je ferais toutefois une exception : je serais partisan d’une loi obligeant à la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises. Le taux de 20 % me semble très adapté pour les entreprises du SBF 120, c’est-à-dire pour un establishment économique impénétrable, qui se caractérise par une consanguinité préjudiciable à la cause des entreprises. L’objectif consiste à instaurer plus d’éthique dans les entreprises, à y créer une ouverture, à y mettre en place une pensée différente et non à promouvoir les femmes en tant que telle. En revanche, ne légiférons par pour les entreprises à taille humaine, car ce sont celles où les femmes sont les plus présentes.

Je me suis beaucoup exprimée sur le sujet, notamment dans un ouvrage intitulé Femme d’affaires, affaires de femme, même si j’appartiens à un mouvement d’hommes et j’ai été élue par des hommes – seuls 2% des chefs d’entreprise du mouvement ETHIC sont des femmes.

Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais constaté de solidarité, de promotion des femmes entre elles et à la limite, il serait plus intéressant que des hommes se mobilisent en faveur de cette cause.

Mme la présidente. Les lois sont votées par des hommes et des femmes. La seule mobilisation des hommes aurait été suffisante pour instaurer la parité en politique.

Il faut savoir que, en Norvège, c’est une loi qui a prévu que toute entreprise dont le conseil d’administration ne comporte pas 40 % de femmes sera dissoute le 1er janvier 2009 – et les chefs d’entreprise paraissent satisfaits de ce texte.

Il est vrai que les textes doivent être appliqués. Une enquête du Sénat a montré que 70 % des entreprises ignorent la loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Sophie de Menthon. Le patronat n’est pas seul responsable, les syndicats sont extrêmement machistes.

À propos des syndicats, j’ouvre une parenthèse pour vous signaler que, dans ma propre entreprise – depuis je l’ai vendue –, j’ai eu un procès avec une salariée voilée qui s’est syndiquée dès que j’ai voulu m’en séparer. Quand j’ai demandé au syndicat comment il pouvait admettre des femmes voilées au sein d’un syndicat laïque et républicain qui défend l’égalité des sexes, je n’ai pas eu de réponse. L’intéressée a été licenciée de mon entreprise avec l’autorisation de l’inspecteur du travail mais a été réintégrée par une décision ministérielle d’Elisabeth Guigou. Depuis, elle est toujours voilée et est payée pour venir deux fois par an dans l’entreprise …

Certes, nul n’est sensé ignorer les lois, mais il y a en a tellement que personne ne les connaît ; donc, elles ne sont pas respectées. Dans les PME, tout le monde se moque de la parité, à commencer par les femmes. Sauf exception, les femmes cadres se montrent individualistes et raisonnent d’abord en fonction de leur carrière.

Les statistiques de l’INSEE montrent que les femmes sont moins payées que les hommes. Cette inégalité provient aussi du fait que les secteurs d’activité où les femmes sont les plus nombreuses ont des salaires inférieurs à la moyenne.

Au-delà, il y a une réalité : le chef d’entreprise qui recrute n’a pas l’intention de payer moins une femme, d’autant que la loi prévoit à travail égal, salaire égal, mais, une femme cadre, c’est-à-dire d’une femme qui a pu être conduite à cesser son activité pendant un certain temps avec pour conséquence des distorsions de salaires avec les hommes, demandera une rémunération en fonction de sa compétence et de ce qu’elle percevait auparavant. Pas un chef d’entreprise ne dira à une femme – surtout en période de crise économique – que ce qu’elle demande est de 20% inférieur à ce que demande un homme…

À l’inverse, mon entreprise, qui emploie 900 personnes, s’est trouvée confrontée à des problèmes de gestion considérables parce que sa directrice générale que j’ai promue, a cumulé six ans et demi de congés maternité liés à la naissance de ses sept enfants.

Mme Catherine Coutelle. Que proposez-vous pour que les femmes fassent des enfants ?

Mme Sophie de Menthon. La France est un pays qui sait soutenir les femmes qui élèvent des enfants. Nous avons soutenu l’entreprise « Les petits chaperons rouges », la première à avoir créé des crèches d’entreprise, et nous encourageons toutes nos entreprises membres à faire la même chose. Nous avons également développé les conciergeries d’entreprise pour aider matériellement les femmes.

Mme Catherine Coutelle. Tant qu’aucun progrès ne sera acquis en ce qui concerne le partage des tâches ménagères, la situation que vous décrivez perdurera. Et n’oublions pas les familles monoparentales, dont le chef de famille est une femme dans 80 % de cas.

L’organisation du travail est en cause : 65 % des Français trouvent que leur entreprise et son encadrement ne prêtent pas suffisamment attention à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. C’est finalement la compétitivité des entreprises qui est en jeu car les études montrent qu’un salarié moins stressé est plus efficace dans son travail.

Les femmes ne veulent pas quitter le monde du travail, mais pourquoi ne pas imaginer des temps différents au cours d’une carrière ? Par exemple, à 50 ou 55 ans, une femme a moins besoin de s’occuper de ses enfants.

Mme Sophie de Menthon. Certes, mais les entreprises ne veulent plus des seniors.

L’entreprise ne peut pas faire avancer la société en ce qui concerne le partage des tâches ménagères. Et si les jeunes partagent plus facilement les tâches, plus les couples vieillissent, plus la femme s’affirme en tant que femme et l’homme en tant qu’homme, avec un partage beaucoup plus sexué de leurs activités respectives. Par ailleurs, les femmes continuent de s’approprier l’éducation et la santé de leurs enfants, même si, en ce domaine, les pères ont accompli de grands progrès.

Pour ma part, employant un grand nombre de femmes, je suis beaucoup intervenue sur l’aménagement du temps de travail : temps partiel choisi, absence les mercredis ...

Toutefois, cette tâche n’a pas été facilitée par les 35 heures dont la mise en œuvre s’est traduite par une pression très forte sur les entreprises, avec des mois de négociation et un coût élevé. Après la mise en place des RTT, il est difficile de nous demander en plus de faire un effort en matière d’aménagement du temps personnel.

Mme Catherine Coutelle. Vous parlez de la loi Aubry 2, dont les modalités d’application étaient en effet plus compliquées. En revanche, dans nombre d’entreprises, la loi Aubry 1 a permis des améliorations considérables. Mais il faut admettre que, dans certains cas, les négociations se sont mal passées.

Mme Sophie de Menthon. Nombre d’entreprises ont subi les 35 heures. Cette loi a manqué de souplesse…

Mme Catherine Coutelle. Les entreprises ont-elles pris conscience que la nouvelle loi votée par le Parlement impose une reprise de toutes les négociations ?

Mme Sophie de Menthon. Une entreprise à taille humaine qui perd des clients, qui perd 25% de son chiffre d’affaires, qui se demande si elle ne va pas devoir licencier, a autre chose à faire que de s’occuper de cela, et ce n’est pas de la mauvaise volonté. Les très grandes entreprises, elles, pourront mieux s’en sortir.

Mme Catherine Coutelle. Les entreprises mais aussi les magistrats se plaignent du trop grand nombre de textes.

Mme Sophie de Menthon. Également les experts comptables. Pourquoi personne ne tape-t-il du poing sur la table ? Il est incroyable que l’on soit incapable de simplifier le droit. Une PME de trois personnes consacre 53 jours de temps homme – expert comptable, expert juridique, conseil extérieur… – à se conformer à la réglementation.

Mme Catherine Coutelle. Je ne suis pas sûre que tout le monde ait intérêt à une simplification.

Mme Sophie de Menthon. On ne peut pas dire que la complexité nourrit son homme. Ce système tue la compétitivité des entreprises et la croissance.

Un exemple : nous avons élaboré un produit de formation et nous voulions nous faire agréer par le 1 % formation. Or, le bureau chargé de cette tâche est ouvert seulement de onze heures à treize heures – ce qui est sans doute favorable à l’aménagement du temps de travail pour les femmes –. Les formulaires à remplir sont à ce point complexes que ma collaboratrice qui a fait six ans de droit ne les comprend pas. Si bien que nous nous sommes arrêtés. La complexité est donc loin de créer de la richesse.

Il y a vraiment des sujets d’irritation. Les chefs d’entreprise ne sont jamais descendus dans la rue, hormis pour un rassemblement spectaculaire contre les 35 heures, à l’appel de M. Seillière, à la porte de Versailles.

Mme Catherine Coutelle. Cette manifestation a d’ailleurs entraîné la loi Aubry 2. De blocages en blocages, la négociation n’était plus possible et il a fallu passer en force. C’est pareil aujourd’hui pour le travail dominical, sachant que l’opinion publique y est majoritairement opposée.

Mme Sophie de Menthon. Selon un sondage publié par le Journal du dimanche, 65% des Français seraient favorables au travail dominical.

Mme Catherine Coutelle. Oui, mais il faut voir le libellé de la question qui était posée : « Vous gagnerez plus le dimanche. Acceptez-vous de travailler ? ». Le consommateur est favorable au travail dominical, mais pas forcément le salarié ; tout le problème est là.

Mme Sophie de Menthon. Sur ce sujet, je suis assez partagée. Les bus, les musées et les cinémas sont déjà ouverts le dimanche. Pour ma part, je suis favorable à l’ouverture des petits commerces de centre ville.

Mme la présidente. Ils en ont déjà le droit !

Mme Catherine Coutelle. S’ils ne le font pas, c’est qu’ils n’ont pas aucun client le dimanche ! C’est ce que me disent les commerçants de Poitiers.

Mme Sophie de Menthon. La France, le dimanche, c’est un véritable cimetière ! Nous avons un mode de vie sinistre. En revanche, en Angleterre, en Italie, en Espagne, en Écosse, aux États-Unis, le dimanche, c’est un bonheur : les commerces sont ouverts, les gens sont dans les rues... Nous sommes en décroissance et nous ne savons pas réformer.

Mme Catherine Coutelle. Cette animation supplémentaire, cela va être les centres commerciaux situés à la périphérie des villes.

Mme Sophie de Menthon. Pourquoi cantonner les grands centres commerciaux à la périphérie des villes ? En interdisant les grandes surfaces dans les villes, on a tué les villes. Et la nouvelle loi autorisant les implantations sur des surfaces inférieures à 1000 m2 est insuffisante.

Mme Sophie de Menthon. Les libéraux, dont je fais partie, veulent que la législation soit appliquée. Mais ils pensent aussi que trop de lois tuent la loi. Je suis plutôt favorable à l’ouverture le dimanche, mais il faut sanctionner les patrons qui ne paient pas double les heures travaillées le dimanche !

Une entreprise ne souhaite ouvrir le dimanche que si elle en tire avantage ; c’est la loi du marché. Si une zone commerciale est ouverte le dimanche et pas le lundi, c’est parce que le dimanche les gens disposent de temps pour effectuer des achats et que, en conséquence, les commerçants font un bon chiffre d’affaires. Au lieu de voter de nouvelles lois, les députés de droite et de gauche devraient s’unir pour faire respecter la législation en vigueur.

Mme la présidente. Nous le faisons dans le cadre des missions d’évaluation.

Mme Sophie de Menthon. Mais pour quel résultat ?

Mme la présidente. S’agissant de l’égalité salariale, faute de sanctions effectives, la loi ne sera effectivement jamais appliquée. Un projet de loi doit être déposé en ce sens.

Mme Sophie de Menthon. Contrairement au Sénat, l’Assemblée est trop peu ouverte aux entrepreneurs, qui reste un univers clos. Le Parlement européen, au contraire de l’Assemblée, s’est montré intéressé. Quant au Sénat, il est premier partenaire  de la Fête des entreprises.

Mme la présidente. Les sénateurs suivent des stages en entreprise.

Mme Sophie de Menthon. C’est moi qui les ai lancés, il y a huit ans. Le Sénat suit, l’Assemblée beaucoup moins. Cela dit, j’ai le souvenir d’expériences formidables avec des députés.

Mme Catherine Coutelle. À un député qui nous reprochait en commission de ne pas aller dans les entreprises, j’ai répondu que celles-ci sont peu enclines à inviter les députés, dans la mesure où, contrairement aux élus locaux, ils véhiculent une image très politique.

Certains lobbies savent s’y prendre, et l’Assemblée organise de nombreux colloques et autres séminaires, sur tous les sujets, dans des salles très adaptées.

Mme Sophie de Menthon. Il n’en demeure pas moins qu’on ne sent pas de culture entrepreneuriale à l’Assemblée. En tout cas, ETHIC soutient la disposition tendant à imposer aux entreprises du SBF 120 la présence de 20 % de femmes dans leurs conseils d’administration.

Mme la présidente. Et vous vous en feriez l’écho auprès du Medef

Mme Sophie de Menthon. Certes, mais sa position consiste à refuser toute nouvelle réglementation.

Mme la présidente. Je vous remercie.

Audition de Mme Monique Bourven, auteur du rapport du Conseil économique, social et environnemental : « La place des femmes dans les lieux de décision : promouvoir la mixité »


(Procès-verbal du 6 janvier 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous accueillons Mme Monique Bourven, membre, au sein du Conseil économique et social, de la section des finances et de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre hommes et femmes.

En 2007, vous avez, madame Bourven, mené un travail sur la place des femmes dans les lieux de décision.

Lors du vote de la loi de mars 2006, j’ai été favorable à l’instauration de sanctions financières lourdes pour les entreprises qui ne respecteraient pas les lois votées en 1972, en 1983 et en 2001, car elles étaient encore 70 % à ne pas le faire. Le MEDEF et d’autres organisations syndicales n’y étaient pas favorables. Des sanctions financières sont-elles, selon vous, nécessaires ? La Délégation doit-elle se mobiliser à ce sujet ?

D’autre part, lors de l’examen du projet de loi de 2006, un amendement avait été voté imposant une présence de 20 % de femmes dans les conseils d’administration. Le Conseil constitutionnel l’a annulé au motif qu’il ne reposait pas sur une base constitutionnelle. Cette base existe aujourd’hui. Estimez-vous qu’il faille se battre pour faire adopter à nouveau cet amendement ? Faut-il imposer, comme en Norvège et en Espagne, un pourcentage de présence féminine dans les conseils d’administration ?

Enfin, avez-vous des suggestions pour améliorer la place des femmes dans les lieux de décision ?

Mme Monique Bourven. Je répondrai à vos questions pour ce qui concerne le monde de l’entreprise.

Notre étude a montré que les choses ont peu bougé depuis le rapport présenté en 2000 par Michèle Cotta. Sur les 200 premières entreprises françaises par leur capitalisation boursière, le pourcentage de femmes dans les comités exécutifs et dans les organes de gouvernance se situe entre 6 % et 8 %. Le taux de femmes créatrices d’entreprise se monte, quant à lui, à 30 %.

Le déséquilibre s’amplifie avec la taille des entreprises: plus l’entreprise est grande et moins les femmes arrivent à franchir le « plafond de verre » et plus elles sont absentes du haut de la pyramide.

Notre rapport a été publié en 2007 sur la base des chiffres de 2006. À mon sens, les choses n’ont guère avancé depuis. Les sociétés du CAC 40 se targuent d’avoir 10 % de femmes dans leurs conseils d’administration, cela relève en partie de l’affichage. Il ne s’agit que d’un nombre limité de sociétés et ce chiffre est une moyenne, c’est-à-dire, en définitive, un « mensonge » dont il existe, comme le soulignait Disraeli, trois formes : le mensonge, le fieffé mensonge… et la statistique ! Derrière un pourcentage, se cachent en effet des réalités différentes. Celui de 8 % de femmes dans la ressource managériale et dirigeante, par exemple, peut signifier que certaines sociétés en comptent 15 % et d’autres zéro. De même, si, dans les 80 premières entreprises françaises par le chiffre d’affaires, le pourcentage de femmes dans les comités de direction s’élève à 7 %, en réalité, 30 % de ces entreprises ne comptent aucune femme parmi les exécutifs, 30 % une seule et les 40 % restantes trois ou quatre. La donnée intéressante à retenir est que, dans 60 entreprises sur 82, ne figure parmi les dirigeants aucune femme ou, au mieux, une seule femme.

L’évolution est très lente et l’on peut craindre qu’avec la crise, les choses aillent de mal en pis.

La fixation de quotas est envisageable dans la gouvernance, c'est-à-dire pour les conseils d’administration mais pas pour les comités exécutifs, au sein desquels la promotion demande compétence et préparation. On ne peut pas obliger, du jour au lendemain, les entreprises, par une approche sexiste, à compter 50 % de femmes dirigeantes. Je citais d’ailleurs, en conclusion de la présentation de mon rapport au Conseil économique et social, Françoise Giroud qui soulignait que la féminité n’est pas une incompétence mais n’est pas une compétence non plus. Le fait d’être une femme ne donne pas directement le droit de diriger.

Si la politique des quotas dans les exécutifs me paraît donc difficile à mener, avoir imposé, en revanche, un pourcentage de 20 % de femmes dans les conseils d’administration, notamment au sein des banques, aurait été une sage décision au vu de la crise actuelle car je suis persuadée que les femmes n’ont pas la même approche du risque.

Je suis l’une des rares femmes à avoir fait toute sa carrière dans la finance, ce qui ne me semblerait plus possible aujourd’hui. Certes, beaucoup plus de femmes travaillent dans ce secteur qu’à l’époque où j’y suis entrée, mais il n’y en a plus qui franchissent « le plafond de verre ».

Une politique de quotas – un taux de 20 % ou 25 % dans les conseils d’administration me paraît tout à fait atteignable – et des sanctions seraient, selon moi, tout à fait bienvenues.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La Norvège a imposé un taux de 40 %.

Mme Monique Bourven. En effet, mais la difficulté a été de trouver ces 40 % de femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les chefs d’entreprise norvégiens reconnaissent que, si la loi ne les y avait pas obligés, jamais ils n’auraient pris l’initiative de nommer 40 % de femmes dans les conseils d’administration. Aujourd’hui, non seulement ce pourcentage est atteint, mais cela a transformé la façon de gérer les entreprises.

Mme Monique Bourven. J’en suis persuadée. Les femmes ont un regard différent de celui des hommes sur l’organisation du travail, les risques et les stratégies. Cela pourrait éviter que les entreprises regardent toutes dans la même direction, ce qui conduit aux catastrophes que nous connaissons.

Sans préjuger l’avis de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre hommes et femmes du CES, je vous encourage, à titre personnel, à persévérer dans cette voie.

Il en va autrement pour le management car il requiert à la fois une compétence de métier – capacité de superviser une branche financière, juridique ou autre – et une expérience de management, or justement celle-ci manque souvent aux femmes.

Il existe par ailleurs différents freins à la promotion des femmes. Certains sont sociétaux et culturels. Une femme est une mère potentielle et cela est associé, dans l’esprit d’un chef d’entreprise, au risque d’instabilité et d’indisponibilité. Au contraire, quand un homme devient père, cela est considéré comme un gage de stabilité et de responsabilité. Pour un homme, avoir un enfant est un plus alors que, pour une femme, c’est un moins.

D’autres freins résultent de l’orientation des femmes qui leur fait dédaigner les professions plus techniques. D’autres encore proviennent des femmes elles-mêmes qui se tournent davantage vers les métiers d’expertise que vers la filière management. Or, pour faire partie d’un comité de direction d’une entreprise, il faut manager.

S’il me paraît difficile d’imposer un quota dans le management, on peut tout de même imposer des objectifs.

Total, entreprise réputée pour sa gestion sociale et la prise en compte de l’équilibre entre hommes et femmes, ne compte aucune femme dans son comité exécutif. Je pourrais citer d’autres exemples, notamment dans les grandes banques, telle la BNP qui ne compte aucune femme parmi les treize ou quatorze membres de son comité exécutif.

Les entreprises pourraient se fixer des objectifs de féminisation de leur comité de direction.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment le leur imposer ?

Mme Monique Bourven. C’est difficile. En 2006 – où la conjoncture était plus favorable – nous considérions que cela pouvait se faire « naturellement » grâce d’abord aux départs en retraite dus au « papy boom ». Cela étant, les dirigeants ont souvent pour dauphins des gens qui leur ressemblent. Ils cherchent à se faire remplacer par des personnes de même formation qu’eux, ayant le même profil.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Certaines femmes ont pourtant ce même profil, étant sorties des mêmes écoles et ayant suivi le même parcours.

Je suis surprise de vous entendre dire qu’il n’est pas possible d’imposer des objectifs de féminisation de leur comité de direction. Si on ne le fait pas, on n’avancera jamais.

Mme Monique Bourven. Il est difficile d’imposer des quotas à des entreprises privées pour des postes de cette importance. Il est, en revanche, possible d’exiger que des efforts soient réalisés, s’indigner qu’il n’y ait aucune femme dans le comité de direction et inciter à ce qu’il y ait un pourcentage de 10 % ou 15 % de femmes dans les deux ans qui suivent. Un tel objectif ne peut toutefois être atteint du jour au lendemain. Cela nécessite une préparation. On ne peut pas renvoyer le directeur général délégué simplement pour le remplacer par une femme.

Dans un conseil d’administration, l’équilibre entre hommes et femmes peut intervenir au moment du renouvellement des administrateurs. Les entreprises seraient obligées de présenter 50 % de femmes à l’élection de l’assemblée générale.

Dans les comités de direction, il est plus difficile d’imposer cela, d’autant qu’il faut que les femmes elles-mêmes le veuillent. Elles ne sont pas si nombreuses qu’on le croit à vouloir être dans le top management.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce que vous dites vaut peut-être pour les femmes de notre génération, mais pas pour celles de trente ou quarante-cinq ans. Je suis convaincue qu’on trouverait des candidates.

Mme Monique Bourven. Certainement, mais encore faut-il qu’elles aient été identifiées, ce qui pose la question du management des personnes et des carrières. La gestion des carrières dans les grands groupes cible les «  hauts potentiels » dans la tranche des trente à trente-cinq ans, qui est une période défavorable pour les femmes. C’est pourquoi la délégation aux droits des femmes a proposé qu’elle soit étendue jusqu’à quarante ans. Les femmes ont souvent leurs enfants entre trente et trente-cinq ans, et passent alors des périodes hors de l’entreprise. Je connais certes des femmes qui se sont arrêtées de travailler juste pour accoucher et qui se sont ensuite remises à travailler chez elles, mais ce n’est pas le cas général.

Les hommes ont, au contraire, des carrières linéaires. Quand un Polytechnicien entre dans une entreprise, on peut lui prédire son cheminement : il sera à tel poste à vingt-huit ans, à tel autre à trente-deux ans et, s’il rentre dans les « hauts potentiels », il peut prétendre à un poste de direction à trente-huit ans, sa carrière étant ensuite fonction des rapports de force avec ses alter ego.

La vie dans une entreprise est, pour les femmes, difficile.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous n’êtes pas très optimiste.

Mme Monique Bourven. Je pars simplement du constat selon lequel 7 % de femmes seulement figurent parmi les dirigeants des principales entreprises françaises.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous l’accorde. Nous pourrions donc, à notre niveau, donner comme impulsion l’objectif de 20 % de femmes dans les structures de gouvernance.

On voit bien que une partie du problème vient de la tendance qu’ont les femmes à se dévaloriser.

Mme Monique Bourven. Cela dépend. Pour ma part, si j’ai fait une carrière exceptionnelle pour une femme dans la banque et la finance c’est parce que j’ai accepté tout ce que l’on m’a proposé.

Il faut en tout cas de la volonté, et que les gens qui travaillent sous vos ordres vous reconnaissent. Il est beaucoup plus difficile d’être un dirigeant quand on est une femme, surtout dans des métiers d’hommes comme le mien. Il faut de l’expérience. Aujourd’hui, nombre de jeunes femmes en ont, mais, en 1968, il n’y avait que des hommes dans le secteur des marchés de capitaux. Pour autant, si les femmes y représentent maintenant la moitié des effectifs, aucune – sans que cela soit pris comme du pessimisme de ma part – ne figure au top management des banques, des compagnies financières ou des assurances.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Que suggérez-vous pour améliorer la situation ?

Mme Monique Bourven. Dans notre rapport, nous estimions qu’il s’agissait d’un travail de longue haleine. Il faudrait jouer sur deux cordes, en démontrant que l’image et la rentabilité de l’entreprise seraient améliorées par un management mixte.

Je crois beaucoup à la mixité du management. Après avoir quitté le Crédit agricole, j’ai créé une filiale d’une banque américaine en France, dont le comité de direction était composé d’un même nombre d’hommes de femmes : chacun apportait sa vision des choses, ce qui était très bénéfique.

Je suis davantage pessimiste quant à la possibilité de réussir sans que les dirigeants le veuillent. Pour certains directeurs des ressources humaines, s’il n’y a pas de femme dans le top management, ce n’est pas une préoccupation : c’est que personne ne s’est jamais posé la question.

Nous pensions donc insister sur ce point : le fait que des femmes occupent des postes de management, améliore l’image de l’entreprise et renforce la motivation de l’ensemble de la pyramide féminine, en ouvrant des perspectives de réussite. Sans aucune femme dans les postes de responsabilité, la motivation des autres est nécessairement moindre.

Une telle argumentation risque toutefois d’être affaiblie par la crise. Aussi faudra-t-il peut-être se montrer plus ferme : dans la situation économique actuelle, la gestion des carrières et le bon équilibre entre hommes et femmes dans le comité de direction sont sans doute le cadet des soucis de la plupart des dirigeants d’entreprise.

Toutefois, la féminisation des conseils d’administration devrait être plus aisée. Leur renouvellement, en cette période de crise, sera certainement perçu de manière positive, les actionnaires ayant été très déçus par les précédents administrateurs. Si, parmi les nouvelles têtes, il y a des femmes, elles devraient bénéficier du soutien des actionnaires lors des assemblées générales.

Il s’agit là cependant d’une mesure adaptée à la conjoncture. Pour le reste, l’objectif me paraît plus délicat à atteindre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous n’êtes pas optimiste !

Mme Monique Bourven. Commencez déjà par modifier la composition des conseils d’administration : ce sera une petite révolution.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les jeunes femmes cadres que je rencontre ne considèrent pas qu’imposer 20 % de femmes dans les conseils d’administration soit une mesure révolutionnaire !

Mme Monique Bourven. C’est vrai : vous pourriez aller jusqu’à 30, 35 voire 40 %. Si l’on prend une mesure de ce type, autant qu’elle soit marquante et, à cet égard, 20 % me paraissent un minimum.

M. Daniel Spagnou. Sans contrainte, on n’arrive à rien. On l’a bien vu en politique : dans les communes qui y ont été obligées, les listes paritaires sont entrées dans les mœurs ; ailleurs, dans les communes de moins de 3 500 habitants, rien ne bouge. Si vous voulez que des femmes fassent partie des conseils d’administration, il faut que la loi soit contraignante.

Mme Monique Bourven. C’est pourquoi le pourcentage de 20 % serait déjà une révolution !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Encore faut-il que nous réussissions à la faire ! Si nous avons obtenu en 2006 la présence de 20 % de femmes dans les conseils d’administration, je crains que l’opportunité ne se représente plus.

Mme Monique Bourven. Il n’y a pas d’argument à opposer à une telle mesure.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le MEDEF, par exemple, y est opposé. Il sera difficile de faire voter un nouvel amendement sur ce point.

S’agissant des carrières des femmes, ce que vous dites m’inquiète : à vous entendre, il n’y a aucun espoir pour qu’elles puissent un jour évoluer dans le système du management.

Mme Monique Bourven. Disons que depuis vingt ans, ce sont les mêmes femmes qui sont en place.

M. Daniel Spagnou. Et les mêmes hommes !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les jeunes générations n’ont pas envie – avec raison – d’attendre indéfiniment.

Mme Monique Bourven. Il est vrai que dans les secteurs nouveaux, comme les services ou l’informatique, on trouve des femmes parmi les dirigeants ; mais elles ont participé à la création de l’entreprise. Le problème se pose plutôt dans les « vieilles » structures, les multinationales, les sociétés de grande taille.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans les grands groupes automobiles, des femmes se trouvent aux commandes des différents services.

Mme Monique Bourven. Je ne parle pas des directions sectorielles : jusqu’à ce niveau, la carrière des femmes se déroule normalement. C’est pour accéder à l’échelon supérieur que les problèmes se posent.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est ce constat que nous voudrions dépasser. Les jeunes femmes actuelles ont des ambitions et elles exigent d’avoir des perspectives de carrière !

Mme Valérie Boyer. Elles ont des résultats ?

Mme Monique Bourven. Elles peuvent évoluer jusqu’à des postes de direction générale, mais pas plus loin.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Certes, mais si nous, parlementaires, nous ne les soutenons pas et n’essayons pas de transformer le système – au besoin par la voie législative –, rien ne bougera.

Commençons par faire respecter la loi sur l’égalité professionnelle en matière de formation, d’embauche et d’évolution des carrières !

Mme Valérie Boyer. Quand, en novembre 2007, Rachida Dati a voulu nommer des femmes à cinq postes de procureurs généraux sur dix, il lui a été répondu que l’on n’en trouverait pas. Pourtant, les femmes sont majoritaires dans la magistrature. La ministre étant alors entrée dans une colère noire, il lui a été rétorqué qu’aucune n’était du niveau !

Mme Monique Bourven. Dans l’administration, ce devrait être plus facile car il s’agit de nominations et que l’on a affaire à des personnes formées et compétentes. Or, si les femmes représentent 26 % du vivier de personnes susceptibles d’accéder au grade supérieur, on ne les retrouve que dans 11 % des postes correspondants. Leur situation se dégrade au fur et à mesure qu’on s’élève dans la hiérarchie administrative.

Mme Valérie Boyer. Mais que faire quand votre patron vous refuse une promotion ? Cela m’est arrivé personnellement. 

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Toutefois, à la différence des femmes de ma génération, vous n’en êtes pas restée là et vous avez changé d’orientation professionnelle.

Mme Valérie Boyer. Mais c’est épuisant…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Notre génération a été celle des précurseures ; la vôtre a commencé à bouger ; les suivantes seront dans l’action pure et dure !

Mme Valérie Boyer. Cela n’est valable que pour les catégories socioprofessionnelles favorisées, où les filles bénéficient de la même éducation et de la même formation que les garçons. Dans les milieux socioculturels défavorisés, notamment ceux issus de l’immigration, les filles doivent adopter d’autres types de stratégies : elles ne peuvent pas faire de sport, sont obligées d’interrompre leurs études, bénéficient d’une moindre liberté de comportement. Dans ce domaine aussi, nous avons des choses à faire.

Nous toutes autour de cette table, nous avons rencontré des difficultés, mais nous avons réussi les surmonter ; à aucun moment, on ne nous a dit – du moins, pas ouvertement – qu’être une femme était un handicap. Ce n’est pas le cas partout.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis totalement d’accord. C’est un des sujets sur lesquels nous devrons revenir, en utilisant le travail que nous avions réalisé concernant les femmes issues de l’immigration.

Mme Valérie Boyer. Dans une entreprise, le fait d’avoir une mauvaise estime de soi, de ne pas pouvoir bénéficier de formations ou d’être obligée de rentrer à la maison à dix-sept heures, constitue autant de freins à la carrière.

Mme Monique Bourven. Il faudrait légiférer en matière d’organisation du travail, qui, au plus haut niveau, est faite par des hommes pour des hommes. C’est un frein à la carrière féminine.

Mme Valérie Boyer. Ne croyez-vous pas qu’aujourd’hui, les pères participent davantage aux tâches ménagères et qu’un des effets induits des 35 heures a été de leur faire prendre en charge une partie des contraintes familiales, ce qui est même devenu valorisant pour eux ?

Mme Monique Bourven. Tout dépend de leur carrière professionnelle. Toutefois, je reconnais que dans les jeunes générations, le partage des tâches ménagères progresse. Cela faisait partie de nos espoirs à long terme.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il y a quelques années, j’étais dubitative sur ce point, mais je dois reconnaître que les choses évoluent en effet. Pensez-vous que la conjoncture actuelle aura des répercussions concernant nos sujets de préoccupation ?

Mme Monique Bourven. Je le crains. Nous allons traverser une période incertaine, qui rendra difficiles les réformes de structure et touchera particulièrement les populations les plus fragiles – et les femmes en font partie.

Il est évident que promouvoir la mixité sexuelle dans les organes exécutifs des entreprises ne sera plus perçu comme une priorité. En revanche, la crise peut favoriser votre projet de réforme des conseils d’administration, dans la mesure où ceux-ci sont rendus responsables de la situation actuelle. Nommer 20 ou 25 % de femmes à l’occasion de leur renouvellement peut être l’occasion de démontrer que celles-ci ont une vision différente des choses. Quoi qu’il en soit, elles représentent la moitié de la population : c’est une simple mesure d’égalité !

Mme Valérie Boyer. Dans ce cas de figure, il faut exiger la même chose dans l’administration. On ne peut pas demander au seul secteur privé de faire des efforts.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Surtout pas !

Mme Monique Bourven. Dans l’administration, les femmes sont encore moins bien traitées.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Françoise Milewski qui a travaillé sur ce sujet va être entendue par la Délégation.

Mme Monique Bourven. C’est elle qui nous a transmis les chiffres que je vous ai cités. Et parmi les cadres des trois fonctions publiques – d’État, territoriale et hospitalière –, la situation des femmes tend, sinon à se dégrader, du moins à stagner.

Cela étant, je suis désolée de vous avoir déçus quant à l’avenir proche.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je comprends vos craintes. C’est pourquoi tant le Conseil économique et social que le Parlement doivent être des forces d’impulsion en la matière.

Mme Monique Bourven. Réformez déjà la fonction publique et les conseils d’administration des entreprises !

M. Daniel Spagnou. S’il y avait une mesure à prendre tout de suite, laquelle choisiriez-vous ?

Mme Monique Bourven. L’introduction d’une proportion minimale de femmes dans les conseils d’administration.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans la fonction publique territoriale, les femmes représentent 74 % de la catégorie C, 14 % de la catégorie B et seulement 7 % de la catégorie A !

Mme Valérie Boyer. Encore faut-il prendre en compte le niveau de diplôme à l’entrée dans les cadres. En outre, l’absentéisme est de plus en plus sanctionné par un refus de toute promotion – ce qui d’ailleurs me semble tout à fait normal. Il faut aller au-delà des chiffres.

Quant à raisonner en termes de quotas, cela ne me semble ni très pertinent ni agréable.

D’ailleurs, pour les scrutins uninominaux, il faut être lucide : on ne peut pas, au nom de la parité, exclure quelqu’un qui fait bien son travail sous prétexte que c’est un homme. En revanche, il n’est pas normal que la parité ne soit pas respectée au niveau des suppléants, qui sont majoritairement des hommes.

Mme Monique Bourven. C’est la même chose pour les comités de direction des entreprises : il faut que la nomination d’une femme soit justifiée. Pour les conseils d’administration en revanche, il suffit de profiter de leur renouvellement. Personne ne vous dira que c’est impossible. Le problème est que l’on retrouve les mêmes personnes dans tous les conseils d’administration.

Mme Valérie Boyer. C’est aussi la conséquence des jeux de captation du pouvoir et de la sclérose du monde syndical.

Mme Monique Bourven. Dans les pays nordiques, grâce aux quotas et avec l’aide de chasseurs de têtes, on a quand même réussi à renouveler les administrateurs. De surcroît, cela s’est fait en douceur, à l’occasion des renouvellements annuels.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame nous vous remercions.

Audition de Mme Bénédicte Bertin-Mourot, co-animatrice de l’Observatoire des dirigeants au CNRS, co-auteure de l’étude « Repenser l’équilibre hommes-femmes dans la ressource managériale et dirigeante » et de Mme Catherine Laval, consultante senior chez Leroy Consultants, groupe BPI et co-auteure de l’étude


(Procès-verbal du 20 janvier 2009)



Mme Marie-Jo Zimmermann. En 2006, dans le cadre d’une recherche sur les ressources managériales et dirigeantes dans les grandes entreprises, vous avez mené une enquête auprès de directeurs de ressources humaines sur la place des femmes dans l’entreprise et l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.

Nous souhaiterions avoir votre analyse sur la façon dont ces DRH expliquent-ils la faible représentation des femmes dans les niveaux supérieurs de l’entreprise et les principaux points de blocage que vous avez relevés ?

Vous insistez sur le fait qu’une modification de la culture d’entreprise ne se décrète pas du jour en lendemain. Ne pensez-vous pas que c’est seulement en imposant des objectifs quantifiés que la loi permettra d’accélérer la transformation des mentalités ?

Avez-vous d’autres actions à suggérer pour favoriser l’accès des femmes à des postes de responsabilité ?

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. J’insisterai d’abord sur le fait que le pessimisme ne doit pas l’emporter : le pourcentage des femmes dans les postes de direction augmente peu à peu, même si c’est très lentement. Si notre travail est plutôt centré sur les entreprises du CAC 40, une étude récente montre que, dans les 500 plus grandes entreprises françaises, 13,5 % de femmes siègent dans les COMEX et les CODIR, où elles exercent des responsabilités essentiellement dans la communication et les ressources humaines.

Mme Catherine Laval. À ce propos, on remarque que les ressources humaines prenant une importance plus grande dans les entreprises – avec les problématiques liées au défi de la diversité et à la gestion des seniors –, la fonction de DRH est de plus en plus valorisée et l’on constate que les hommes s’intéressent de nouveau à ces fonctions.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. Ces DRH sont moins responsables « de l’égalité hommes-femmes », que « de la diversité », problématique qui tend à prendre le pas sur la question transversale de l’égalité ! Elle devrait au contraire être prise en compte quand on parle de diversité. Ainsi, des études montrent que les hommes issus de l’immigration parviennent à des postes plus élevés que les femmes qui en sont elles aussi issues. Études et calculs doivent donc systématiquement prendre en compte la dimension transversale de la question des femmes.

Mme Catherine Laval. Ce glissement de l’« égalité » vers la « diversité » a commencé il y a environ deux ans. Il nous vient des États-Unis, pays où l’on a une approche de la diversité très différente de la nôtre et où l’on parle beaucoup plus facilement de quotas ou de discrimination positive. En France, cela heurte encore les codes et la prégnance de notre modèle culturel traditionnel rend difficile de régler ces questions par la loi.

Mme Catherine Coutelle. C’est le principe d’égalité qui nous pose problème : tous les citoyens doivent être traités de la même manière, et en favoriser certains est contraire à ce principe.

Mme Marie-Jo Zimmermann. En 2006, les quotas de femmes dans les conseils d’administration ont été déclarés inconstitutionnels. C’est pourquoi nous avons adopté de nouvelles dispositions lors de la réforme constitutionnelle de 2008. La Constitution dispose désormais que « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

La question est donc de savoir comment nous présenterons à nouveau les dispositions relatives aux conseils d’administration que nous avions votés en 2006: 20 % de femmes dans les conseils d’administration, ce n’est pas la révolution, surtout comparés aux 40 % en Norvège !

Mme Catherine Laval. La culture de chaque pays entre en ligne de compte. Dans les pays scandinaves, le congé de maternité et le congé de paternité sont des leviers fantastiques pour la parité. La politique familiale et sociale en Norvège permet au couple de gérer leur carrière, le père pouvant prendre le relais auprès des enfants après le congé de maternité de la mère. Ce pays a une législation très favorable, la France en est aux balbutiements.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. En Norvège, les pères peuvent prendre dix-huit mois de congé de paternité tout en touchant 90 % de leur salaire. En France, le congé de paternité dure onze jours et les hommes ne touchent pas de salaire, mais des indemnités journalières plafonnées. Les cadres subissent donc une perte importante car leur rémunération est au-dessus du plafond de la sécurité sociale.

Il faut préciser que si le nombre de femmes augmente dans les conseils d’administration – elles sont plus nombreuses dans les entreprises du CAC 40 qu’il y a deux ans –, ce sont en revanche souvent les mêmes qui cumulent des mandats, ce qui ne va pas vraiment dans le sens de la diversité.

Mme Catherine Laval. Notre étude montre que ces femmes n’ont que peu créé d’effet d’entraînement : elles restent des figures de femmes ayant réussi, mais qui se sont construites dans un monde d’hommes et souhaitent avant tout que leur investissement et leurs compétences soient reconnus. Ce sont encore trop souvent des pionnières qui n’ont pu réussir qu’au prix d’un comportement professionnel coulé dans le moule du modèle de réussite masculine. Cela a pour conséquence, qu’en l’absence de modèle féminin auquel elles pourraient s’identifier, les jeunes femmes cadres rencontrent des difficultés à se projeter dans l’avenir en se construisant une identité de dirigeante.

De plus, les femmes ne font que rarement partie de grands réseaux professionnels formels ou informels alors que ceux-ci sont des facilitateurs voire des accélérateurs de carrière non négligeables. Les études menées par l’organisation américaine Catalyst accréditent le fait que cette absence de réseau des cadres féminins est un phénomène assez général dans les pays occidentaux et constitue une explication non négligeable de la persistance du « plafond de verre ».

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. Les femmes issues des grandes écoles aspirent à une vie professionnelle aussi riche voire davantage que celle de leur époux. Mais progressivement, elles sont découragées. La division traditionnelle persistante des tâches au sein de la famille et la difficile compatibilité vie familiale et professionnelle sont autant de freins à l’accès des femmes aux postes de direction. S’y ajoute le fait, que dans les grandes entreprises les sources d’inégalités sont exacerbées. En particulier, la culture du « temps de travail » y est défavorable aux femmes ainsi que les dispositifs de gestion de carrière.

Cependant, s’agissant des pères, mon étude sur les managers, réalisée avec le cabinet Équilibres et intitulée « Comment concilier vie professionnelle et vie familiale ? », révèle un énorme écart entre les trente-quarante ans et les quarante-cinq-soixante ans. Pour les femmes, la même différence doit exister.

Mme Catherine Laval. Les comportements des jeunes pères vont certainement être un levier de transformation en matière d’égalité entre les hommes et les femmes.

Mme Catherine Coutelle. Il existe un autre écart avec les moins de trente ans. Un chef d’entreprise de quarante-cinq ans voulant embaucher de jeunes ingénieurs sortant de l’école m’a fait part de son désarroi face au rapport au travail de ces jeunes gens qui, avant même de savoir en quoi consiste le poste, commencent par poser des questions sur leurs droits, leurs congés, leur temps libre, etc.

Mme Catherine Laval. En termes d’équilibre, on est certainement à une époque charnière, avec une double évolution : d’une part, les aspirations nouvelles des jeunes pères, d’autre part, le rattrapage du niveau d’études par les femmes dont les aspirations en termes de carrière se rapprochent en conséquence de celles des hommes. Notre étude sur la ressource managériale et dirigeante fait apparaître une corrélation entre le niveau de diplôme des femmes et la projection dans la carrière, notamment dans les grandes entreprises. Il reste, comme l’ont montré certaines interviews que l’on a conduites, que les chasseurs de tête prennent encore faiblement en compte cette question dans leurs cahiers des charges alors que la féminisation de l’encadrement supérieur passe aussi par les recrutements externes.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. Cette étude nous a amenées à la conclusion que tout ce qui serait fait dans les entreprises pour les femmes servirait aux hommes. Cela commence à se confirmer dans les faits.

Mme Catherine Coutelle. Aujourd’hui en France, les jeunes cadres, hommes et femmes, ont des conditions de vie insupportables, subissent un stress extrêmement important avec quarante à cinquante heures de travail par semaine, des délais très serrés sans aucun respect pour leur vie personnelle. Lorsque j’enseignais en IUFM, j’ai vu arriver en nombre des gens ayant quitté le privé pour devenir professeur, dans l’espoir d’un meilleur rythme de vie. Les jeunes femmes cadres finissent par décrocher car elles n’ont plus le droit de compter leur temps et doivent rester aux réunions du soir si elles veulent progresser. D’autres pays, comme les pays scandinaves et le Canada le refusent.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. La gestion des carrières est tout à fait défavorable aux femmes. De nombreux chercheurs soulignent que les modes de gestion de carrière sont « producteurs de différences » dans la mesure où les systèmes d’évaluation des entreprises sont la plupart du temps élaborés à partir d’une logique de progression masculine. Ainsi, les hauts potentiels sont souvent repérés au sein des entreprises dans la tranche d’âge de 30-35 ans alors que c’est justement dans cette période que les femmes peuvent être les moins disponibles pour leur carrière en raison des maternités et de la présence d’enfants en bas âge... Il faudrait donc changer les âges de détection des hauts potentiels dans les entreprises. D’ailleurs, les jeunes hommes expriment, eux aussi, des demandes quant à leur investissement temps.

Mme Catherine Laval. Pour l’évaluation des performances, la culture du présentéisme domine aujourd’hui dans la plupart des grandes entreprises françaises. Or ces horaires très longs de présence au bureau seraient une des causes du découragement de nombre de cadres mères de famille. Les problématiques des hommes et des femmes de la jeune génération se rejoignant, il faudrait trouver des leviers qui satisfassent aux aspirations de tous dans les grandes entreprises : une gestion plus individualisée et moins linéaire des carrières, des critères d’évaluation fondés avant tout sur les résultats et moins sur le présentéisme, la revalorisation des filières d’expertise face à la survalorisation de la filière managériale, une autre approche de la mobilité géographique, etc.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Mais sur tous ces points, on ne peut pas légiférer.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. On peut légiférer sur la diversité, en intégrant systématiquement la dimension transversale des femmes que j’ai précédemment évoquée.

Mme Catherine Laval. Peut-on légiférer autour du temps de travail ?

Mme Catherine Coutelle. Je vous rappelle que la deuxième loi sur les trente-cinq heures comportait un alinéa sur la conciliation vie familiale – vie professionnelle !

Mme Catherine Laval. De ce point de vue, le temps partiel a plutôt joué contre les femmes. Les modèles collectifs, le code des entreprises empêche de manager une équipe dans le cadre d’un quatre-cinquième de temps – même s’il y a des contre-exemples. Les femmes craignent de voir leur carrière compromise si elles font le choix d’un temps partiel. Les freins viennent aussi d’elles : elles s’autocensurent.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Quelles mesures pourrait-on prendre pour favoriser ce que vous appelez « le changement des âges de détection des hauts potentiels » ?

Mme Catherine Laval. Sur l’égalité hommes-femmes, j’avais interviewé les responsables de PSA, où il a introduit non pas la parité ou la discrimination positive, mais la proportionnalité. L’idée était astucieuse : s’il y avait 10 % de candidates pour une promotion, il fallait que 10 % de femmes soient sélectionnées.

Mme Marie-Jo Zimmermann.. C’était une volonté politique de l’entreprise qui, dès 2002, a appliqué la loi de 2001 sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. PSA est l’entreprise qui l’a le mieux appliquée.

Mme Catherine Coutelle. Le problème est que cela n’est pas entré dans les mœurs, mais dépend de la bonne volonté des chefs d’entreprise. Il faudrait s’inspirer de législations récentes, comme celle qui a été adoptée en Espagne.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il reste la question des sanctions.

Mme Catherine Coutelle. Il faut aussi envisager des incitations ! À cet égard, le rôle de l’État pourrait être bien plus important. Or, manifestement, il n’y a plus aucune politique d’aide à la conciliation de la vie professionnelle et familiale. Pourtant, des expérimentations pourraient être menées dans les collectivités. Un projet extraordinaire, intitulé « Temps Dem, le temps Des Enfants à la Maison », pour la garde des enfants, à la maison, à des horaires décalés a été lancé il y a cinq ans dans l’agglomération de Poitiers mais les familles vont l’abandonner car, faute d’aides, cela leur coûte trop cher.

Des incitations positives peuvent être trouvées en direction des sociétés qui y sont favorables, des collectivités, du parapublic, des associations et des entreprises publiques.

Mme Catherine Laval. Les solutions à trouver ne sont pas les mêmes selon que l’on veut favoriser la conciliation vie professionnelle - vie personnelle ou que l’on cherche les moyens de briser le plafond de verre qui existe dans bon nombre de grandes entreprises.

Mme Catherine Coutelle. Le jour où les hommes se mettront vraiment à la conciliation, les femmes comme les hommes qui prendront un jour de congé dans la semaine ou qui travailleront à temps choisi ne seront plus pénalisés. Aujourd’hui, un homme qui choisit un quatre-cinquième de temps pour garder son enfant est très mal vu !

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. À tel point que certains cadres à haut potentiel dont le travail était trop prenant ont changé d’entreprise – mais aucun n’a pris un quatre-cinquième de temps…

J’ajoute que la crise peut provoquer un retour en arrière terrible pour les femmes : selon des études réalisées aux États-Unis, un grand nombre de femmes « retournent » à la maison !

Mme Catherine Coutelle. Le gouvernement actuel y incite fortement les femmes, pour faire baisser les chiffres du chômage ! J’ai violemment critiqué la semaine de quatre jours car les femmes sont obligées de prendre leurs mercredis. Le Gouvernement se désengage dans plusieurs domaines, à commencer par la maternelle.

Mme Catherine Laval. L’étude assez poussée que j’ai réalisée pour la Fédération du Crédit agricole sur les femmes de la quarantaine, cadres supérieurs devant passer cadres dirigeants, a révélé un énorme écart en termes de carrière et de rémunération, car passer cadre dirigeant suppose un surinvestissement et des dépenses très importantes en garde à domicile.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Lors de la convention sur l’égalité hommes-femmes, Xavier Bertrand avait annoncé que la loi sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes s’appliquerait avec un an d’avance, soit le 31 décembre. Or nous ne savons toujours pas quand sera examiné le texte qui doit instaurer des pénalités. J’interrogerai le nouveau ministre du travail sur ce point. En 2006, j’ai été critiquée pour avoir dit haut et fort que si les pénalités n’étaient pas incluses dans le texte, on perdrait trois ans. C’est fait ! Nous devons donc remettre l’ouvrage sur le métier.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. Cette loi serait une très bonne base. Ne pourriez-vous pas, avant 2009, demander leurs rapports aux entreprises ?

Mme Catherine Coutelle. Notre Délégation peut faire part au MEDEF ou à l’Observatoire de la parité de son intention de faire un bilan en préparation de la nouvelle loi.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Ce point doit être vu avec la Direction du travail.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. L’Observatoire de la parentalité en entreprise – je fais théoriquement partie de son comité d’orientation – a été récemment inauguré par Xavier Bertrand, mais il s’est réuni une seule fois !

Mme Catherine Coutelle. Les rapports sociaux des entreprises ont un volet « égalité ». Qui fait la synthèse ?

Mme Marie-Jo Zimmermann. Cela relève du service des droits des femmes et de la direction générale du travail.

Si on arrive à gérer cela, on peut ensuite gérer la carrière des femmes. En revanche, le problème de la conciliation vie professionnelle-vie familiale se pose toujours.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. La charte de l’Observatoire de la parentalité est sortie en juin, mais il ne se passe rien !

Mme Catherine Laval. Il n’y a que des chercheuses qui travaillent sur la question de l’égalité hommes-femmes. C’est un sujet de femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Il y a du travail ! (Sourires.)

J’avoue humblement m’être abstenue en 2001 sur la loi relative à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Devenue présidente de la Délégation aux droits des femmes en 2002, mon premier rapport a porté sur l’application de cette loi. Dans la foulée, le Sénat a rendu en 2004 un rapport faisant apparaître que 72 % des entreprises ne connaissaient pas la loi !

Mme Catherine Coutelle. Il est vrai aussi que les entreprises n’arrivent plus à suivre les législations qui modifient en permanence le code du travail. Il faut donc plutôt un changement de mentalité, et je crois vraiment aux politiques d’incitation.

Mme Marie-Jo Zimmermann. Effectivement, l’incitation est une des clés. Dans le cadre de nos auditions, les cadres d’entreprise ont souligné la nécessité de faire de la pédagogie sur la loi.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. D’autant que les syndicats ne le font pas.

Mme Catherine Laval. Il y a aussi un problème de parité en leur sein.

Mme Catherine Coutelle. Dans le cadre des trente-cinq heures, j’attribue le manque de discussion sur la conciliation des temps à l’absence de femmes déléguées syndicales.

Mme Catherine Laval. Le groupe Danone réfléchit depuis longtemps à la place des femmes et il a plutôt avancé sur la question. Il y avait 20 % de femmes cadres dans le groupe en 1990. Elles représentent près du double aujourd’hui soit 3 200 sur 8 000 managers dans le monde. Plusieurs raisons expliquent un regain d’intérêt récent sur la question de la place des femmes dans la ressource managériale et dirigeante chez Danone. La principale raison justifiant cette préoccupation est liée à la proximité avec les consommateurs. Au-delà du fait que c’est un sujet à la mode, c’est un réel enjeu pour le groupe : les gens qui achètent leurs produits sont en majorité des femmes.

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. Certes, mais il y a le discours et il y a les actes…

Mme Catherine Coutelle. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’Observatoire des dirigeants au CNRS ?

Mme Bénédicte Bertin-Mourot. Michel Bauer et moi-même l’avons créé en 1985, puis Catherine Laval nous a rejoints. Avec des financements d’entreprise et des partenariats, nous avons travaillé pendant vingt-cinq ans sur les dirigeants de haut niveau dans les grandes entreprises, mais nous n’avons pas vu les choses bouger et, finalement, l’Observatoire s’est un peu mis en sommeil de lui-même.

Mme Catherine Laval. Nous avons travaillé sur le mode de production des élites dirigeantes d’entreprise, notamment sur les élites administratives et sur l’ENA. Nous vous communiquerons ces études.

Mme Catherine Coutelle. En son temps, la DATAR avait des programmes « Temps et territoires » et a aidé quatre territoires pilotes, dont Poitiers. Ainsi, avec l’aide de chercheurs, l’association TEMPO Territorial a organisé nombre de « mardis du temps à Poitiers » – le temps des pères, le temps de la nuit…

Mme Marie-Jo Zimmermann. Merci d’avoir participé à cette audition.

Audition de Mme Françoise Milewski, co-auteure du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité »


(procès-verbal du 28 janvier 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie, Madame d’avoir répondu à notre invitation.

Vous êtes économiste à l’Observatoire Français des Conjonctures Économiques (OFCE). Vous avez été rapporteure du Comité de pilotage pour l’égal accès des hommes et des femmes aux emplois supérieurs des fonctions publiques et co-auteure du rapport « Les inégalités entre les femmes et les hommes : les facteurs de la précarité ». Vous êtes également membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Celui-ci se réunit-il régulièrement ?

Mme Françoise Milewski. Après une période pendant laquelle cette instance ne se siégeait plus, le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle a été réuni de très nombreuses fois à l’occasion, de la Conférence sociale sur l’égalité salariale entre les hommes et les femmes de novembre 2007 et, surtout, à l’occasion du travail effectué sur les indicateurs du rapport sur la situation comparée des femmes et des hommes (RSC). J’ai fait partie d’un groupe de travail sur les petites entreprises, chargé de mettre au point les indicateurs pertinents du RSC pour ces entreprises. Jusqu’en août 2008, nous avons été réunis quasiment tous les mois. Depuis, il n’y a pas eu de réunion.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lors de la Conférence sociale de 2007, Xavier Bertrand a promis la présentation en 2008 d’un projet de loi tendant à instituer des sanctions financières. Ce projet n’a pas encore été déposé.

Mme Françoise Milewski. D’après le Service des droits des femmes et à l’égalité – SDFE –, la loi devait en effet être présentée avant l’été. Mais elle a été reportée à l’automne puis à nouveau, si j’ai bien compris…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Au sein du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, avez-vous comme mission de réaliser un suivi de la loi ?

Mme Françoise Milewski. Le conseil est un organisme consultatif, encore faut-il qu’il soit consulté…

Le RSC doit opérer une comparaison entre les salaires des hommes et des femmes. Je suis intervenue plusieurs fois pour dire qu’il fallait prévoir que cette comparaison soit effectuée en « moyenne et médiane », les deux apportant des informations importantes sur l’écart et la dispersion des salaires. La majorité des entreprises ayant un fichier de paie informatisé, ce calcul est très simple et immédiat. Or les décrets publiés fin août précisent que la comparaison s’effectue en « moyenne ou médiane ». Les représentants du patronat ont refusé tout indicateur supplémentaire jugé contraignant. On peut comprendre cet argument pour les petites entreprises, mais pas pour les grandes ! Cette correction n’était même pas sujette à discussion ! On peut espérer que les grandes entreprises feront les deux calculs.

J’ai proposé d’inscrire d’autres indicateurs, comme la nécessité de comparer la durée écoulée entre deux promotions pour les hommes et pour les femmes, mais je n’ai pas non plus été entendue.

Pour dire les choses brutalement, j’ai parfois eu le sentiment de faire partie d’une chambre d’enregistrement. Néanmoins, je souhaiterais que le Conseil supérieur continue d’être réuni… Et, j’aimerais que le rapport de situation comparée soit amélioré, il a le mérite d’exister !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Est-il différent de celui de la loi de 2001 sur l’égalité professionnelle ?

Mme Françoise Milewski. Il comporte quelques indicateurs supplémentaires mis en œuvre dans le secteur privé – mais qui ne le sont plus dans la fonction publique, comme je vais vous l’expliquer.

Mme Catherine Coutelle. Ce que vous avez dit des indicateurs est important. C’est la preuve que nous nous battons sur des amendements, mais que les décrets d’application reviennent l’intention du législateur !

Mme Françoise Milewski. Selon moi, les décrets d’application du rapport de situation comparée ne tuent pas la loi. Même s’il ne comporte que quelques indicateurs nouveaux par rapport au bilan social annuel que doivent faire les entreprises, ce rapport reste un progrès car il est un point d’appui pour faire le constat, mesurer les progrès et lancer des actions. À l’heure actuelle, mon sentiment est que les choses bougent davantage dans le secteur privé, les responsables des ressources humaines étant motivés sur ce thème pour la simple raison que l’encadrement des entreprises se renouvelle profondément à l’occasion des départs à la retraite des baby-boomers. Pour le secteur public, je suis très dubitative.

Mme Catherine Coutelle. La loi est-elle bien connue par les entreprises ?

Mme Françoise Milewski. Je pense que oui. En revanche, les entreprises n’ont pas conscience qu’elles seront soumises à sanction financière si elles n’élaborent pas le rapport de situation comparée.

Désormais, l’administration fournit aux petites entreprises de moins de 50 salariés, par l’intermédiaire des déclarations annuelles des salaires, les indicateurs qu’elles doivent présenter aux partenaires sociaux. Cette démarche très intéressante aide les petites entreprises à surmonter une contrainte importante et donc à maintenir l’obligation annuelle de négocier.

Il semble que les discussions ont avancé plus vite sur les sanctions financières concernant les seniors…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le problème est là : on ne met jamais l’accent sur l’égalité hommes-femmes !

Mme Françoise Milewski. C’est le problème posé par la diversité. Les discriminations à l’encontre des femmes sont spécifiques et ne peuvent pas être combattues de la même manière que les autres, parce qu’elles s’imbriquent à la fois dans la sphère professionnelle et dans la sphère privée – avec les questions de non-partage des tâches familiales, etc.

Certaines entreprises ont reçu le label « égalité » ; d’autres, de plus en plus nombreuses, mettent en place des « pôles diversité ». On ne peut dire qu’elles ont tort ! Mais il faut leur demander ce qu’elles peuvent faire concrètement pour combattre les inégalités hommes-femmes ?

Mme Catherine Coutelle. Un certain nombre d’hommes – mais aussi quelques femmes – ne veulent pas comprendre la différence entre diversité et égalité. La femme est un genre, pas une catégorie ! On peut être femme et handicapée, femme et immigrée. Dans le public, il ne doit pas y avoir d’inégalité salariale entre les hommes et les femmes : à même statut, même salaire.

Mme Françoise Milewski. Le problème vient de ce que la définition des postes n’est pas la même pour les hommes et les femmes.

Quelques expériences intéressantes ont été menées dans le secteur public. La municipalité de Rennes s’est battue pour qu’une femme ayant la responsabilité de quinze personnes dans le secteur sanitaire et social ait le même salaire qu’un homme encadrant quinze personnes dans le secteur des travaux publics. À définition de fonctions équivalentes, le salaire est le même, mais en pratique c’est beaucoup plus compliqué. D’où la question centrale de la définition et de la valorisation des postes. De ce point de vue, les actions de la HALDE peuvent être intéressantes, j’en reparlerai.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Sans parler de la loi de 1972 sur l’égalité de rémunération et celle de 2001 sur l’égalité professionnelle ; depuis on piétine.

Mme Françoise Milewski. On avance à pas de tortue. C’est la raison pour laquelle j’ai personnellement évolué dans mes positions et suis maintenant favorable aux quotas ! Pour la fonction publique, on ne constate que 0,5 ou 1 point de progression par an de la place des femmes dans les emplois supérieurs ! Il arrive un moment où il faut une action volontariste pour monter une marche d’escalier !

Mme Catherine Coutelle. L’écart de salaire entre les hommes et les femmes, après un tassement depuis les années soixante-dix jusqu’au milieu des années quatre-vingt-dix, ne semble plus se réduire. Confirmez-vous cette évolution, sachant que les femmes sont davantage concernées par le travail partiel, choisi ou non, et par les contrats à durée déterminée ?

Mme Françoise Milewski. On constate une interruption de la résorption des écarts, pour deux raisons. D’abord, en haut de l’échelle, les femmes progressent peu pour franchir le plafond de verre. Surtout, vous l’avez dit, le travail précaire touche beaucoup de femmes. Depuis quelques années, alors que le taux d’emploi des hommes régresse – les emplois industriels non qualifiés étant détruits massivement –, celui des femmes progresse dans les services, mais dans des emplois fortement déqualifiés et à temps partiel contraint. Cette tendance risque de se poursuivre avec le développement des emplois de service de proximité, notamment des emplois familiaux, où les femmes sont surreprésentées. Cette évolution – porteuse de création d’emplois, mais aussi de précarité – est constatée dans beaucoup de pays.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. À quel niveau se situe la France s’agissant de l’écart entre les salaires ? Par ailleurs comment voyez-vous l’avenir et quelles actions préconisez-vous pour accélérer les évolutions ?

Mme Françoise Malewski. La France est à peu près dans la moyenne européenne.

S’il faut voter la loi sur les sanctions financières, l’arsenal législatif paraît suffisant et l’essentiel est donc de faire preuve d’une volonté politique forte qui suppose que la fonction publique serve d’exemple au secteur privé. Avec la loi sur l’égalité salariale et l’éventualité des sanctions, le secteur privé n’aura pas le choix. Si, en plus, on incite les partenaires sociaux à se saisir du rapport annuel et à mettre en œuvre des programmes pour remédier aux inégalités, les choses peuvent évoluer, et c’est à cela que je crois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’amendement sur l’obligation d’étude d’impact pour les projets de loi, que nous avons fait passer dans la loi organique de 2009, est-il selon vous une avancée ?

Mme Françoise Milewski. C’est une avancée si l’étude d’impact est réalisée !

Je suis convaincue que toute politique publique devrait être soumise à évaluation. Le problème est que le Comité national d’évaluation n’existe plus et que le Comité de pilotage sur la fonction publique a existé cinq ans mais que personne n’a évalué son action ! D’ici quelques années, ce sera impossible dans la fonction publique car on n’aura plus les chiffres !

Le Comité de pilotage, dont j’ai fait partie, a été créé en 2000. Nous avons présenté trois rapports, nous avons mis en œuvre des outils statistiques, ce qui nous a pris beaucoup de temps, et fait un certain nombre de propositions – justes ou pas. Or au bout de cinq ans, personne n’a examiné si elles étaient intéressantes, le ministre ne nous a pas reçus, et le Comité s’est interrompu en novembre 2005. Depuis, aucune autre équipe n’a été nommée. Formellement, le comité doit exister, mais il n’a pas de réalité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qui en nomme les membres?

Mme Françoise Milewski. Je pense que c’est le ministre de la fonction publique. À l’origine, c’était Michel Sapin.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous n’avez jamais été reçu par les suivants ?

Mme Françoise Milewski. M. Delevoye nous a reçus et s’est intéressé, en particulier, à la retraite des femmes. Nous avons parfois été reçus par un membre de cabinet. Espérons que, d’ici à quelques années, quelqu’un s’intéressera à ce sujet et renommera un comité pour refaire un rapport…

À la Direction générale de l’administration et de la fonction publique – DGAFP –, une personne est chargée de la « diversité », donc des inégalités hommes-femmes. Ne faisant pas partie de la fonction publique, je peux simplement vous faire part de quelques éléments tirés des rapports statistiques que j’ai compulsés et des travaux que nous avons réalisés.

Contrairement à une idée très répandue, la fonction publique – qui comprend 58 % de femmes – n’assure pas plus que le secteur privé l’égalité d’accès aux emplois supérieurs entre les hommes et les femmes. Qui plus est, les obstacles, directs ou indirects, spécifiques ou non à la fonction publique, perdurent.

Dans la haute fonction publique, les femmes sont très minoritaires : 12 % pour l’ensemble des trois fonctions publiques et 14 % pour les administrations civiles de l’État. Surtout, la proportion des femmes dans les emplois supérieurs ne progresse que très peu pour la simple raison que les nominations, en termes de stock comme de flux, ne permettent pas de modifier la situation. En 2003, 11,5 % de femmes ont été nommées dans l’ensemble des trois fonctions publiques, à peine plus de 14 % dans les administrations civiles de l’État et 12,5 % pour les emplois à la décision du gouvernement, dans lesquels les femmes ne sont que 11,9 %. Enfin, la part des femmes dans les viviers de promotion n’est que de 25 %. Une de nos propositions consistait donc à ce que la part des femmes dans les nominations soit au moins proportionnelle à la part des femmes dans les viviers.

Avec l’appui des services statistiques du ministère, nous avions ainsi pu mettre au point un tableau de bord statistique pour chacun des ministères et pour les trois fonctions publiques. Le poursuivre aurait permis de voir l’efficacité des actions entreprises.

Le constat est évident : la situation évolue peu et traduit l’absence d’effort déterminé et surtout régulier pour corriger les déséquilibres. Il faut avoir une culture de résultats, c’est-à-dire d’évaluation et de chiffres – c’est tout le débat sur l’évaluation des politiques publiques.

Comme ailleurs, les inégalités dans la fonction publique dépendent de la société dans son ensemble, le partage des tâches familiales, l’école, la famille faisant que les femmes ne se dirigent pas facilement vers des filières type ENA ou Polytechnique – nous avons étudié en détail ces concours – et accèdent donc très peu aux emplois supérieurs. C’est également vrai pour les IPAG – instituts de préparation à l’administration générale – et les IRA – instituts régionaux d’administration – nos études ayant montré que les femmes cadres B sont moins nombreuses que les hommes à se saisir des opportunités de promotion.

Le statut de la fonction publique reproduit et amplifie des inégalités – des mesures égalitaires pouvant produire des inégalités. Les critères formalisés de déroulement de carrière et les conditions d’âge et d’ancienneté pénalisent les femmes sont pénalisées qui, en interrompant leur activité pour cause de congé de maternité, prennent du retard dans leur déroulement de carrière, sachant qu’elles ont reporté l’âge de leur première maternité. Par ailleurs, faute de mesures de soutien, l’obligation de mobilité dans la fonction publique pénalise les femmes. Enfin, les modes de nomination informels jouent beaucoup : on nomme dans les réseaux d’appartenance, les anciens de tel corps, de telle grande école, ce qui a des effets d’inertie importants.

L’égalité de droit ne suffit donc pas à assurer l’égalité de fait ; il faut – je le répète – une volonté politique.

Le dispositif existant dans la fonction publique est déjà important. La loi de 2001 relative à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, dite « loi Génisson », prévoit une représentation équilibrée aux jurys de concours. Elle prévoyait également la remise tous les deux ans aux assemblées parlementaires d’un rapport sur la situation comparée des hommes et des femmes. Ce rapport spécifique n’existe plus.

Tous les ministères doivent avoir un plan pluriannuel d’accès aux emplois supérieurs mais les règles d’évaluation font là aussi défaut. Ces plans varient beaucoup d’un ministère à l’autre : certains portent sur trois ou cinq ans, d’autres sur dix ans, certains sont chiffrés, d’autres pas. Qui plus est, ils ne sont pas tous mis en œuvre. Malgré nos propositions, aucune structure n’a été créée pour tenter d’harmoniser les plans ou pour se donner de nouveaux objectifs.

Il existe dans les ministères des coordonnateurs de l’égalité hommes femmes. Mais le poste est souvent occupé par une femme motivée, qui fait cela en plus du reste. Quand elle s’en va, il ne se passe plus rien.

Le Comité de pilotage qui s’est interrompu en 2005 a aussi fait des propositions : ne pas organiser de réunion après dix-huit heures, harmoniser et évaluer les plans pluriannuels, mettre en œuvre la loi de 2001, engager des démarches d’actions positives, faire un effort pour que le pourcentage de nominations soit au moins égal à celle des viviers…

Ce qui est frappant, c’est l’absence de cohérence des politiques publiques. Les mesures prises ne s’inscrivent ni dans la durée ni dans une démarche d’évaluation. Or, sans objectifs concrets, évalués au moins une fois par an, on ne progressera pas.

Jusqu’en 2006, le bilan annuel de la fonction publique, qui comprenait plusieurs chapitres sur la diversité et les inégalités hommes femmes, donnait un certain nombre de chiffres. Il montre ainsi qu’en 2006, les femmes représentaient 16 % des emplois supérieurs dans les fonctions publiques – soit un peu mieux que les 12 % de 2003. Mais les choses n’ont pas changé pour les emplois à la décision du Gouvernement, la part des femmes passant de 11,9 %, en 2003 à 10,4 % en 2004, à 10,6 % en 2005 et à 11,6 % en 2006. Et la part des femmes dans les nominations reste encore bien inférieure à leur part dans les viviers.

Il est inquiétant que ce tableau de bord soit moins étendu que celui que nous avions préconisé. D’ores et déjà, on ne connaît que la part des femmes dans les emplois supérieurs et dans les viviers pour la fonction publique de l’État, mais plus dans les autres fonctions publiques. Je crains fort que, dans un an ou deux, on ne dispose que de la part des femmes dans les emplois supérieurs...

Je suis frappée de constater que des actions exemplaires continuent d’être menées dans un certain nombre d’administrations, où des gens sont motivés. La ville de Rennes, que j’ai citée, est la première administration publique à avoir obtenu le label égalité grâce à ses actions inscrites dans la durée, notamment sur les questions de carrières, de valorisation des postes et de visibilité des femmes.

Au ministère des affaires étrangères, de nombreuses actions intéressantes sont menées non seulement parce ce que la responsable des ressources humaines est motivée, mais aussi parce qu’une association de jeunes femmes « Femmes et diplomatie » pousse à la roue et parce que le ministre est réceptif. La responsable nous a même dit vouloir parvenir non pas des quotas, mais une part de femmes dans les nominations, le cabinet lui ayant conseillé de parler de « représentation équilibrée ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans son sens premier, cette dernière expression est pourtant beaucoup plus forte !

Mme Françoise Milewski. Au ministère de la défense, la part des femmes dans les emplois supérieurs est très faible, mais c’est une administration très hiérarchisée et nos rapports avaient montré que le plan pluriannuel était très directif et chiffré et que les décisions prises étaient mises en œuvre.

La fonction publique territoriale fait un rapport – ou faisait, je ne sais pas où elle en est – sur le thème de l’égalité.

On le voit : les choses bougent dans certaines administrations – nationales ou locales – et au niveau territorial.

Au niveau central, je le redis, il n’y a plus de bilan de situation comparée des conditions d’emploi et de formation des femmes et des hommes dans la fonction publique faisant l’objet d’un rapport aux assemblées parlementaires. Ceci aurait été décidé lors de l’avant-dernière loi de finances. Au moment où on impose aux entreprises privées ce rapport de situation comparée avec des indicateurs très intéressants, je ne comprends pas que ce ne soit pas le cas pour la fonction publique. D’ailleurs, un bilan annuel n’est pas un rapport spécifique. C’est bien la raison pour laquelle la loi sur l’égalité salariale avait prévu un RSC. Il n’est pas crédible de demander des choses au privé si l’État ne les fait pas lui-même !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous allons vérifier ce point.

Mme Françoise Milewski. Autre problème : quid des plans pluriannuels d’accès aux emplois supérieurs ? La DGAFP demandait à chaque administration de fournir son plan pluriannuel. Dans notre rapport, nous en avions fait un bilan. Continuent-ils à être mis en œuvre ? Je l’ignore.

On est loin de ce que j’ai appelé une volonté centrale forte et continue.

Pour le secteur privé, j’ai un point de vue mitigé, mais moins défavorable que pour la fonction publique. Certes, le rapport de situation comparée aurait pu faire un peu mieux – j’ai parlé des indicateurs supplémentaires qui auraient été utiles à la mesure des inégalités. Néanmoins, ce rapport peut servir de point d’appui à la négociation et à l’action. En outre, les entreprises privées sont motivées par le renouvellement des cadres, celles que j’ai rencontrées réfléchissant aux moyens d’attirer des femmes cadres supérieures et de les garder. Dans le cadre de leur participation à l’Observatoire de la parentalité, certaines s’intéressent donc à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle et à des services liés à la parentalité, comme les crèches d’entreprise. À l’inverse, la fonction publique est en train de louper le coche pour le renouvellement quasi total des cadres supérieurs – qui doit se faire non pas demain, mais aujourd’hui.

À l’étranger, les lois norvégiennes sont très intéressantes. Elles ont imposé en 2003 et 2004 l’existence d’indicateurs, l’équilibre des sexes dans les conseils d’administration des sociétés cotées, mais aussi des sanctions très fortes : on ne peut créer une société qui ne respecterait pas la loi et celles qui existent peuvent être dissoutes... Ces dispositions ont suscité beaucoup de controverses, mais ont attiré l’attention des entreprises sur des talents qu’elles ne voyaient pas – donc sur la présence des femmes dans les conseils d’administration – et ont fait prendre conscience aux parents que leur fille pouvait accéder à des emplois qu’ils n’avaient jamais imaginés pour elle. Dans la foulée, se sont créés des réseaux de femmes, des forums pour croiser les informations sur les entreprises, et les choses sont allées très vite. Puisqu’en 2008 il y avait 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées en Norvège. Certes, aucune société n’a été dissoute, mais on voit bien là la nécessité des sanctions, donc d’une volonté politique. Des représentants du ministère de l’égalité de Norvège en ont parlé à Lille, lors de la conférence européenne sur l’égalité professionnelle.

Mme Catherine Coutelle. Il nous manque un ministère ou un secrétariat aux droits des femmes qui, lui, exigerait de produire des statistiques et des bilans sur la fonction publique. Les ministères nous répliquent que ce sont des politiques transversales, mais personne ne s’en occupe ! La France régresse !

Mme Françoise Milewski. La conférence tripartite de l’automne 2007 concernait uniquement le secteur privé. Quand, en tant que membre du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, j’ai posé la question du RSC, des statistiques et des mesures dans la fonction publique, on m’a répondu que cela dépendait de la conférence spécifique sur la fonction publique. Or celle-ci n’a pas du tout abordé la question des inégalités.

Il faut un ministère ou un secrétariat aux droits des femmes, vous avez raison, mais aussi des commissions parlementaires qui servent de poil à gratter en posant des questions, et des instances d’évaluation. Certes, le terme d’évaluation des politiques publiques est revenu à la mode, mais qui va la mener ?

Mme Catherine Coutelle. La crise va-t-elle provoquer une pression sur les femmes touchant de bas salaires pour qu’elles sortent du marché du travail, sachant que les mesures d’accompagnement vont disparaître ? 

Mme Françoise Milewski. Oui, car dans toute période de crise – et celle-ci est très grave – les segments les plus défavorisés sont les plus atteints. Les femmes seront tout particulièrement touchées en termes de choix familiaux, d’indemnités, de revenus, etc. Néanmoins, je ne veux pas tenir un discours misérabiliste selon lequel elles seraient les plus atteintes par le chômage car, même si les nombreux emplois créés dans les services, en particulier d’aide à la personne, sont précaires, elles en ont beaucoup bénéficié lors de la dernière décennie.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La crise actuelle n’est pas comparable aux autres. Auparavant, on disait aux femmes de rentrer au foyer. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus vicieux : tous les accompagnements ayant disparu, elles seront contraintes de choisir.

Mme Catherine Coutelle. Comme la semaine de quatre jours qui oblige les femmes à prendre leurs mercredis !

Mme Danielle Bousquet. Il y a un vrai problème d’évolution des concepts dans la société : l’égalité disparaît, diluée dans la diversité. Les évaluations de la diversité dans la fonction publique ne vont-elles pas porter un mauvais coup supplémentaire à l’égalité ?

Mme Françoise Milewski. Vous avez raison, c’est un vrai problème de concepts. La situation comparée des hommes et des femmes permet de réfléchir aux fondements des inégalités et aux moyens de les combattre. On ne peut pas le faire si l’égalité est diluée dans la notion de diversité.

Cette dilution vaut partout : dans le discours ministériel, à la DGAFP où une personne est chargée de la diversité, et dans les entreprises.

Autant je suis pour parler d’égalité hommes-femmes dans l’administration et pour réclamer un ministère, des études, des rapports hommes-femmes, et pas seulement un chapitre hommes femmes dans un bilan annuel ; autant, sur un plan tactique, je ne me vois pas dire aux DRH des entreprises privées que la nomination d’un responsable de la diversité ne convient pas. Nous serons fatalement amenés à travailler avec les équipes qui s’occupent de la diversité, dans laquelle il y aura une composante hommes-femmes.

J’ai été auditionnée par Le Conseil économique et social, qui avait rendu un rapport sur l’accès des femmes aux postes de direction aussi bien dans le privé que dans le public et dans les organismes sociaux, mais il n’en est rien ressorti de concret.

Le fait qu’il n’y ait plus de structure de réflexion n’est pas un problème en soi : il n’est pas forcément nécessaire de prolonger un comité ad vitam aeternam si ses propositions sont mises en œuvre, mais ce n’est pas le cas.

Mme Danielle Bousquet. Je partage votre avis sur la tactique : on ne peut pas mettre en cause la volonté des entreprises en matière de diversité. Une réflexion est-elle engagée pour trouver des pistes afin d’éviter que l’égalité ne soit engloutie ?

Mme Françoise Milewski. Les déléguées régionales à l’égalité disent que leur rôle est restreint, qu’elles vont faire partie de pôles « action sociale » sans très bien savoir ce qu’elles vont devenir.

Je le répète : le plus important, pour la fonction publique en particulier, n’est pas d’accumuler les textes, mais d’avoir une vraie volonté politique car, en matière d’inégalités hommes femmes, il est très facile de revenir en arrière. S’agissant de l’application de loi sur la parité en politique, les partis politiques ont préféré payer des amendes. C’est un bon exemple.

Tout cela rend très pessimiste. Nous avons terminé nos travaux en 2005 avec un sentiment mitigé, car nous avions progressé, mais sans appui de notre administration de tutelle, absente lors de notre dernière conférence de presse.

Une de nos propositions, à laquelle je tiens beaucoup, est de ne pas organiser de réunion après dix-huit heures ! Une représentante du ministère des affaires étrangères allemand nous a appris que ses collègues avaient affiché dans leur bureau : « ce n’est pas parce que ma direction est mal organisée que je dois en subir les conséquences ! ».

Si dans un ministère comme les affaires étrangères, certains services peuvent être ouverts tardivement, il n’y a pas de raison que tous fonctionnent sur ce mode. C’est également vrai pour les entreprises privées.

Les plaintes pour discrimination entre les sexes devant la HALDE sont très minoritaires – 6 % du total –, la moitié étant déposée par des hommes, notamment sur des problèmes de pension de réversion.

Cela dit, la démarche de cette autorité en matière d’inégalités salariales est intéressante : si un homme et une femme, entrés dans une entreprise à des postes équivalents, donc à salaires équivalents, ont des situations différentes au bout de quelques années sans que l’entreprise puisse les justifier, alors elle considère que c’est une discrimination et il y a condamnation. Pour le moment, ces cas sont minoritaires, mais s’ils venaient à être davantage connus, les entreprises feraient très attention – comme les entreprises américaines dont les services juridiques sont aujourd’hui très développés.

C’est une piste très intéressante que nous allons essayer de creuser avec la HALDE. Les rapports de situation comparée sont un point d’appui pour les partenaires sociaux qui s’en servent pour les négociations dans l’entreprise, mais si les négociations n’aboutissent pas, il est possible de saisir cette instance.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup, madame.

Audition de Mme Véronique Préaux-Cobti, présidente, et de Mme Clarisse Reille, vice-présidente de l’association Grandes écoles au Féminin


(procès-verbal du 4 février 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, Mesdames, d’avoir répondu à notre demande pour aborder les points suivants : Lorsqu’elles ont suivi les mêmes formations et acquis les mêmes diplômes que les hommes, comment les femmes avancent-elles professionnellement ? Quels obstacles rencontrent-elles et comment les lever ? Pour vous, légiférer est-il une solution ?

Mme Véronique Préaux-Cobti, présidente de l’association Grandes Écoles au Féminin. Il faudra sans doute légiférer un jour. Autrefois, je n’en aurais pas été partisane. Aujourd’hui, je me dis qu’un accompagnement législatif est nécessaire.

Grandes Écoles au Féminin, c’est la réunion de neuf groupements d’anciennes élèves de grandes écoles, ENA, Centrale, HEC, ESSEC, ESCP-EAP, Mines, Polytechnique, INSEAD et École nationale des Ponts et Chaussées. L’association a été créée en 2001 à partir du constat suivant : ces grandes écoles ont été ouvertes aux femmes il y a une trentaine d’années, et elles ont très vite été mixtes (il y a 25 ans, il y avait déjà 40 % de femmes dans les écoles de commerce même si cela est moins vrai pour les écoles d’ingénieurs) or, on ne retrouve pas aujourd’hui ces femmes dans les organigrammes des entreprises. Pourquoi cela ?

Il apparaît que, dans les associations d’anciens, les femmes sont beaucoup moins présentes que les hommes. En revanche, quand nous avons commencé à les interroger sur leurs carrières, elles se sont mobilisées en nombre, à tel point qu’en 2004, lorsque nous avons présenté les résultats de notre première étude, nous n’avons pas pu accueillir toutes celles qui le souhaitaient ; la salle était trop petite. Nous avons donc organisé une deuxième présentation, au Musée du Louvre à laquelle mille d’entre elles sont venues.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. J’ai pu constater que, à l’ENSAM de Metz, la mobilisation des filles pour leur carrière s’est considérablement développée depuis dix ans.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Ces statistiques et cette mobilisation ont été les deux éléments majeurs du lancement de GEF.

Notre association s’est donnée une triple mission.

D’abord, observer le parcours professionnel des femmes diplômées de ces écoles.

Ensuite, sensibiliser les dirigeants à l’accès des femmes aux responsabilités. Nous utilisons pour cela la diffusion de nos études et, depuis l’année dernière, l’organisation de petits-déjeuners où nous recevons des dirigeants pour des échanges sincères et conviviaux.

Notre troisième objectif est de coordonner les actions et de mettre en réseau les associations. Quand GEF s’est créée, HEC au féminin venait d’apparaître, puis ESCP-EAP femmes, ESSEC au féminin, Centrale au féminin, X au féminin, ENA au féminin. Chacune de ces associations organise régulièrement des manifestations thématiques, des conférences, des formations, mène des actions en faveur des femmes diplômées de leurs écoles. Nous essayons de coordonner ces actions, de façon à ce que chacune des associations profite de celles organisées par les autres. La vocation de GEF est de mettre ces femmes en réseau.

Nos membres sont en réalité les neuf associations d’anciennes élèves. Nous n’avons pas d’adhérentes directes, et cela est volontaire. Lorsque nous organisons une action, nous avons accès à près de 70 000 diplômées, puisque chaque association est en contact avec ses propres membres. Ce mode d’organisation nous permet aussi d’être en relation à la fois avec les hommes et les femmes ; pour avancer, il faut pouvoir parler aussi avec les hommes des sujets que nous traitons entre femmes.

Depuis sa création, GEF a conduit trois études et en a entrepris une quatrième. Nous tenons à communiquer sur des faits, de façon à sortir des idées reçues et des a priori.

La première étude a été menée auprès des grandes entreprises en France, en 2001-2002, en partenariat avec Accenture. L’objectif était de connaître leur position sur la place des femmes dans l’entreprise. En six ans, beaucoup de changements ont eu lieu sur ce point, même si l’on peut regretter qu’il n’y en ait pas eu plus. À l’époque, 70 % des entreprises interrogées ont répondu qu’il s’agissait d’un vrai sujet pour elles-mêmes. En même temps, 90 % des directeurs des ressources humaines et des directeurs généraux considéraient qu’il existait des freins aux carrières des femmes. Il était bien que ce soit dit.

En 2005 nous avons réalisé une deuxième étude, quantitative, en collaboration avec l’IPSOS. Nous l’avons appelée « l’ambition au féminin ». Il s’agissait de montrer que ces femmes diplômées étaient ambitieuses et qu’elles n’avaient pas fait leurs études pour élever leur famille. Ces femmes, qui représentent certes une population très spécifique, mais une partie importante du management des entreprises, déclaraient qu'elles avaient étudié pour faire carrière, même si elles avaient aussi envie de concilier cela avec les autres facettes de leur vie. L’étude a montré qu’un tiers de ces femmes étaient payées moins bien que leur mari, un tiers pareillement, et un tiers mieux qu’eux.

Cela nous a amenées en 2007 à la troisième étude, destinée à recueillir l’avis des hommes. Son objectif était d’établir un comparatif des parcours professionnels des hommes et des femmes depuis la sortie, la même année, de la même école. En préalable, avec IPSOS, nous avons composé un groupe d’hommes, où chacun a pu évoquer librement la vie dans son entreprise, mêlant vie professionnelle et personnelle –certains managers vivent avec des femmes qui travaillent, d’autres avec des femmes qui ne travaillent pas. Cette étape a permis d’élaborer le questionnaire de l’étude quantitative comparée, qui a été envoyé aux 70 000 diplômés ; le taux de réponse a été de 10 % environ, au lieu de 2 % ou 3 % environ pour ce type d’enquête.

L’étude a conclu que les hommes et les femmes diplômés de ces écoles font preuve de la même ambition professionnelle. Lorsqu’on leur demande quelle est leur ambition, ils répondent à 60 %, hommes et femmes confondus, que c’est réussir une carrière. Les femmes sont un peu plus exigeantes sur tout : elles veulent réussir et leur carrière et leur vie personnelle et de famille, tandis que les hommes ont un spectre moins large. En revanche, l’ambition et l’investissement professionnels sont les mêmes : 90 % de ces femmes travaillent.

Mme Clarisse Reille. C’est une différence avec les chiffres habituels. Les femmes issues des grandes écoles ne cessent pas de travailler lorsqu’elles ont des enfants, y compris un troisième.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Elles ont les moyens financiers de se faire accompagner pour cela.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Elles mettent en place une organisation. Dix pour cent sont à temps partiel, mais ce sont des temps partiels à 90 %. C’est une petite flexibilité qu’elles demandent. Elles déclarent le même nombre d’heures hebdomadaires que les hommes, 55 heures, voyagent autant, acceptent la même mobilité.

Or, pour cette même ambition et ce même investissement, on constate que les résultats ne sont pas les mêmes. Elles sont deux fois moins nombreuses que les hommes à encadrer de grandes équipes, ou à siéger dans des comités de direction. On voit aussi des différences de salaires importantes, y compris dès le début de carrière.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Beaucoup de mes anciennes élèves m’exposent que la différence commence dès l’entretien d’embauche et le premier salaire. Je les avertis sur ce point.

Mme Clarisse Reille. L’écart salarial est de 10 % la première année, de 20 % à l’âge de 30 ans.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Et l’écart est encore plus fort si l’on ne retient que le secteur privé.

Les deux causes de cet écart les plus communément admises, par les hommes comme par les femmes, ce sont les enfants et la mobilité. On a donc comparé les réponses des femmes et des hommes, avec enfants ou sans enfants.

Jusqu’à deux enfants – la moyenne nationale – il n’y a pas de différence. Un léger écart apparaît avec le troisième enfant. Ces femmes ont d’ailleurs plus d’enfants que la moyenne. Même si l’on peut les relier au milieu social, ces résultats sont contraires au schéma américain, selon lequel les femmes qui font carrière privilégient celle-ci aux dépens de leur famille.

De plus, 70 % de ces femmes se disent mobiles, à comparer avec 80 % des hommes.

Mme Clarisse Reille. Le seul point sur lequel les réponses des femmes et des hommes diffèrent, c’est que les hommes sont plus nombreux à déclarer qu’ils s’arrêteraient de travailler s’ils en avaient les moyens !

Mme Véronique Préaux-Cobti. Les hommes pensent le vouloir; les femmes savent qu’elles ne le veulent plus…

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Les réponses diffèrent-elles en fonction des tranches d’âge, entre la génération des 25-40 ans et celle des 45-60 ans ?

Mme Clarisse Reille. L’analyse en termes de classes d’âge ne comporte rien de discriminant.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Non, ou très peu. La seule différence notable concerne les résultats de l’étude précédemment citée sur les salaires : la proportion n’est pas la même selon les tranches d’âge.

La maternité ne donne pas envie d’arrêter de travailler. Lorsqu’on demande à ces femmes si, au cas où elles en auraient la possibilité matérielle, elles s’arrêteraient de travailler, la majorité d’entre elles répond non, même lorsqu’elles ont trois enfants ou plus. Les freins habituellement invoqués, enfants et mobilité, sont donc très surestimés. Cela dit, ces motifs constituent des freins du fait même qu’ils sont des a priori.

En revanche, un élément est très significatif. On a demandé dans le questionnaire si les uns et les autres observaient ou avaient observé des différences de parcours professionnel entre les hommes et les femmes diplômés de leurs écoles : 63 % des femmes ont répondu oui, 65 % des hommes ont répondu non. Les hommes ne se rendent pas compte. Leur attitude n’est pas volontaire ; la difficulté n’est pas vue. C’est aussi un motif d’optimisme. Les hommes ne se rendent pas compte de la façon dont les femmes ont évolué, de ce qu’elles veulent.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. On pourrait donc être optimiste ?

Mme Véronique Préaux-Cobti. Oui. Il faut aider les hommes à se rendre compte.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Mais ensuite, la mise en œuvre est une autre affaire.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Tant que les hommes ne se rendent pas compte, on ne peut pas vraiment avancer. La population sur laquelle nous travaillons n’est pas neutre. La mentalité collective ne peut pas imaginer qu’une femme diplômée de Polytechnique ou de l’ENA a plus de difficultés qu’un homme.

Mme Clarisse Reille. Lorsque, dans chacune de nos associations, nous avons présenté cette étude, devant des publics essentiellement masculins, nous avons toutes constaté leur surprise. Pour eux, c’était quelque chose de vraiment nouveau.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Je travaille aussi, à titre professionnel, sur ces différences entre les hommes et les femmes qu’on ne voit pas et qui ne sont donc pas prises en compte. De façon générale, les hommes pensent « à la place de ». Ainsi, on ne proposera pas une jeune femme pour une promotion car elle vient d’avoir son deuxième enfant. Peut-être la veut-t-elle, cette promotion. Mais comme elle a appris à moins s’exprimer, elle ne la demande pas. Une des explications des différences de salaires, c’est que les femmes demandent moins. Dans nos associations, nous leur apprenons à demander.

La position de GEF est de montrer que la situation des femmes dans les entreprises n’est pas voulue. Si l’on aborde la question à partir d’un regard objectif sur l’état des lieux, on réussit à avancer car on sort de la revendication.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. On passe ainsi à la constatation, à partir de laquelle on peut faire prendre conscience. Cela a toujours été ma démarche tant à la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes qu’à l’Observatoire de la parité.

Mme Clarisse Reille. C’est pour cela que nous sommes très attachées à conduire des études solides, avec des partenaires reconnus.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Quand nous disons que 90 % de ces femmes travaillent et sont ambitieuses, certains ne nous croient pas ; ils nous répondent que ce sont celles qui sont ambitieuses qui répondent. Mais l’échantillon statistique n’est pas contestable.

Mme Clarisse Reille. Depuis juin 2008, nous avons lancé les petits-déjeuners « Grandes écoles au féminin » pour échanger de façon très simple et constructive avec des grands patrons. Nous avons déjà reçu plusieurs d’entre eux. Certains considèrent que la place des femmes est un enjeu de compétitivité pour leur propre entreprise. Ils font attention à la proportion des femmes dans les recrutements ou les promotions, agissent de façon volontariste. D’autres, en toute bonne foi, exposent que ce sont les femmes qui font un autre choix que celui de l’entreprise.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Et ce devant 40 femmes issues de grandes écoles, qui sont là pour avancer ! Pour moi, leur raisonnement ne correspond pas à une démarche volontaire.

Notre dernier invité a émis l’idée, qui a mon sens n’est pas fausse, que les difficultés des femmes viennent du mode de management : il se fait en bande, en clan, pas en équipe ; ce peut être le clan qui ne veut pas. La discussion a beaucoup fait évoluer cet invité sur les quotas, à propos desquels il était au départ suspicieux.

Mme Clarisse Reille. Il est arrivé qu’une femme, dans une banque, ait eu le meilleur bonus ; elle nous a dit qu’ensuite on avait augmenté tous les hommes ! On ne verrait pas cela en sens inverse. Une autre a exposé que son mari souhaitait obtenir une augmentation, sans trop savoir comment faire ; elle lui a suggéré de faire valoir que sa femme gagnait plus que lui. Il a réussi !

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. L’ancien PDG d’une grande entreprise automobile que je connais bien était très méticuleux sur la place des femmes dans l’entreprise. Cette question n’est pas la priorité de son successeur. Un changement de PDG peut freiner une évolution en cours.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Aujourd’hui, l’impulsion vient effectivement des présidents des entreprises.

Mme Clarisse Reille. Pour moi, l’automobile est un exemple emblématique. Je suis présidente de Centrale au féminin. Le secteur automobile comporte beaucoup de centraliens. Les centraliennes en revanche ne se font aucune illusion sur les possibilités qu’il leur offre. J’ai envie de résumer les difficultés de ce secteur par le fait qu’il est dirigé par des hommes qui ont construit des produits pour les hommes sans voir que le monde changeait, qu’il comportait de plus en plus de consommatrices détentrices de pouvoir d’achat, que les valeurs devenaient plus émotionnelles. Cela n’aurait pas échappé à une entreprise dont le management aurait été réparti entre hommes et femmes.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. C’est le secteur où l’on peut voir le mieux où et comment une femme est bloquée dans sa carrière.

Mme Clarisse Reille. Une toute jeune centralienne m’a relaté que, lors de son entretien d’embauche dans une société de sous-traitance automobile, il lui a été demandé de s’engager à ne pas avoir d’enfant avant huit années. On peut en déduire ce qu’on peut demander à une jeune femme sortant d’une école de moindre renom !

Nos statistiques détaillées montrent qu’un tiers des jeunes diplômées des grandes écoles tiennent compte de l’entreprise dans leurs décisions d’avoir des enfants.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Des jeunes femmes m’ont demandé à quel âge elles devaient avoir un enfant ! Si elles posent cette question, c’est bien qu’elles sentent la pression de l’entreprise. Il y a quinze ans, bien des femmes, malgré une présence déjà longue dans l’entreprise, n’osaient pas annoncer qu’elles étaient enceintes. Je suis surprise de voir qu’il en est toujours ainsi.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Lors des débats de 2003 sur les retraites, personne n’a contesté la prise en compte du service militaire. Lorsqu’on a évoqué les périodes éventuelles d’arrêt dues aux enfants ou aux parents malades, cela a été tout autre chose.

Mme Véronique Préaux-Cobti. À GEF, nous sommes particulièrement attentives aux jeunes femmes dans les entreprises. J’ai développé une formation spécifique pour elles. Elles sont convaincues qu’elles ne connaîtront pas nos difficultés. Elles croient aussi être en phase avec leur compagnon, et il est vrai qu’en début de carrière, les différences ne sont pas grandes. Lorsque qu’elles découvrent que la situation n’est pas si simple, le choc est d’autant plus fort qu’elles n’auront pas été sensibilisées à cette réalité. Nous expliquons aux jeunes femmes dans les entreprises qu’elles doivent être attentives aux cycles de carrière, et comprendre les règles du jeu.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Mais pourquoi sont-elles ainsi ?

Mme Véronique Préaux-Cobti. Parce qu’elles ont été élevées dans la mixité. Elles sont entrées dans ces écoles par concours. Il n’y a pas de différence à l’école ; elles y réussissent même mieux que les garçons.

Mme Clarisse Reille. Dans le système scolaire, on n’explique pas que l’entreprise n’est pas une entité cartésienne. Les règles du jeu n’y sont pas celles du concours. Ce qui y est efficace, c’est la capacité à entraîner les gens, à se créer une image, à entrer dans les bons réseaux et à avoir les bonnes connexions. C’est cela que nous expliquons.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Notre dernier rapport portait sur l’éducation et l’égalité. C’est effectivement un élément clef.

Mme Clarisse Reille. Beaucoup de femmes ne vont pas vers les carrières d’ingénieur car, très tôt, on ne pense pas à elles.

Mme Véronique Préaux-Cobti. À l’école, les jeunes femmes n’entendent pas ce discours. Au stade actuel de maturité de la question, le bon moment pour leur parler, c’est après deux ans dans l’entreprise. À l’école, c’est trop tôt.

Mme Clarisse Reille. Nombre d’études nous montrent que les entreprises dont le taux de mixité est élevé sont les plus performantes. Dans un monde très complexe, de plus en plus tourné vers l’émotionnel pour lesquels les femmes sont mieux armées, la mixité est un élément d’efficacité supplémentaire pour l’entreprise. Et de plus en plus de femmes sont des consommatrices.

Mme Véronique Préaux-Cobti. De plus en plus, les entreprises qui s’intéressent à la place des femmes dans leur management le font pour des raisons de performance et d’efficacité. On peut donc s’interroger sur la nécessité et les raisons de légiférer. Néanmoins, cela est sans doute utile.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Et les conseils d’administration ?

Mme Clarisse Reille. À titre personnel, je suis aujourd’hui favorable aux quotas dans les conseils d’administration. Autrement, il se produit une sorte d’auto-reproduction.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Un pays comme la Norvège, pourtant en avance depuis des années, a fini par y venir. Pourrons-nous y échapper ?

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. En 2006, j’avais réussi à faire adopter des amendements introduisant un quota de 20 % de femmes dans les conseils d’administration, les conseils de prud’hommes, les organisations syndicales. Le Conseil constitutionnel les a censurés pour absence de base constitutionnelle. À mon initiative, cette base a été introduite dans la Constitution en juillet 2008.

Mme Véronique Préaux-Cobti. Les femmes sont très peu nombreuses dans les états-majors des entreprises. Un signe est cependant intéressant : on ne trouve plus dans les rapports annuels ces photos de groupe du conseil d’administration exclusivement composées d’hommes blancs, de plus de quarante-cinq ans. Désormais, des photos individuelles sont disséminées au cours des pages. Mon interprétation est qu’il est devenu difficile de montrer cette image.

Mme Clarisse Reille. Une étude est parue sur les femmes dans les médias…

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Au contraire des présentateurs, quelles que soient leurs compétences, les présentatrices des journaux télévisés ont tendance à disparaître de l’écran avec l’âge.

Mme Clarisse Reille. Nous lançons en ce moment une nouvelle étude sur les meilleures pratiques en faveur des femmes dans les entreprises. Nous déterminons actuellement les questions à poser à nos anciens et anciennes, pour disposer du regard des salariés ; nous allons ensuite analyser ce regard par catégorie. Nous pensons publier l’étude en septembre.

Dans l’analyse, il ne faut pas sous-estimer l’aspect leadership. Les femmes peuvent se trouver exclues sur ce critère. En général elles sont plus dans la négociation que dans l’affirmation.

La crise que nous vivons est une faillite des élites en place. Les femmes n’auraient peut-être pas fait mieux. En tout cas, nous entrons dans un monde où écouter les autres et avoir l’esprit d’équipe, ce sera de plus en plus important. Les contraintes subies par les femmes et l’éducation qu’elles ont reçue leur ont fait développer une dimension plus émotionnelle et tournée vers les réseaux. Les cartes vont être rebattues parce qu’on a besoin d’un nouveau type d’élite.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente. Merci beaucoup.

Audition de Mme Tita Zeitoun, Présidente de l’association Action de femme


(procès-verbal du 11 février 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, madame, d’avoir répondu à notre invitation. Vous êtes la fondatrice et la directrice de la société d’expertise comptable et de commissariat aux comptes Boissière Expertise Audit et vous êtes également présidente de l’association Action de femme, que vous avez créée en 1997. Cette dernière a pour objectif de promouvoir la présence des femmes dans les conseils d’administration des entreprises et les lieux de décision.

Pourriez-vous nous donner des précisions sur l’action de votre association ? Selon vous, comment renforcer la place des femmes dans les lieux de décision ? Faut-il légiférer ? Quelle proportion de femmes faudrait-il imposer dans les conseils d’administration ? Des syndicalistes et des juristes disent que 20 %, ce n’est pas assez ; qu’en pensez-vous, compte tenu de l’évolution des mentalités et des rencontres que vous avez pu avoir avec les dirigeants d’entreprise ?

Mme Tita Zeïtoun. Mon métier est l’expertise comptable, et l’association Action de femme est en quelque sorte ma danseuse. Je n’en tire aucun profit, mais elle me tient particulièrement à cœur. Je l’ai créée assez tard, à la suite d’une réflexion faite par un président, dans le cadre de mes activités professionnelles, sur l’utilité d’un regard féminin. Cette association est mixte. Je pars en effet du principe que les hommes sont seuls à pouvoir faire une place aux femmes dans les entreprises.

Quand nous avons commencé à réaliser des études sur ces sujets, en 1997, nous avons utilisé une étude générale menée par une universitaire sur les administrateurs, de laquelle il est ressorti, qu’à l’époque, les rares femmes présentes dans les conseils d’administration étaient des héritières. Nous avons ensuite examiné régulièrement l’évolution de la situation, en particulier sur les sociétés du CAC 40. En 1997, 27 de ces 40 sociétés n’avaient pas de femme dans leur conseil d’administration. Aujourd’hui, il en reste encore six qui n’en ont aucune – dont Veolia Eau, Vinci, EADS, Danone et Capgemini. Sachant que les conseils d’administration se réunissent au mois de février, je viens d’écrire à nouveau à leurs présidents pour les inciter à y intégrer des femmes.

Cette année, pour la première fois, nous avons étendu notre étude aux comités de direction (CODIR) et comités exécutifs (COMEX), à partir du Guide des états-majors. Il apparaît dans cette étude, dont je vous ai apporté la synthèse, que sur les 500 premières sociétés françaises, 217 (soit presque la moitié) n’ont pas une seule femme dans leur CODIR ou dans leur COMEX ! Pourtant, il existe un vivier de femmes ayant les compétences requises et qui désireraient exercer ces responsabilités. On constate par ailleurs que les femmes qui sont membres de ces comités travaillent, dans leur grande majorité, dans la communication.

Quant aux pourcentages, il faut les manier avec précaution. Dans un conseil de 15 personnes, imposer 20 % de femmes, soit 3 femmes, c’est bien. Mais dans un conseil de 5 personnes, s’il y a 20 % de femmes, cela signifie qu’il n’y en a qu’une ! Or une femme seule ne peut rien faire. En l’occurrence, pour qu’il y en ait deux, il faut mettre la barre à 40 %.

C’est ce qu’a fait la Norvège, de même que l’Espagne dans une loi votée en mars 2008, qui ne concerne cependant que les sociétés de plus de 250 salariés. Je serais favorable à l’adoption d’une règle de ce type en France, avec un taux de 40 % pour les sociétés d’une taille minimale.

Parmi les 500 premières sociétés françaises, 292 n’ont aucune femme dans leur conseil d’administration. 134 sociétés ont plus de 10 % de femmes dans leur conseil d’administration, mais dans bien des cas cela signifie, en fait, qu’elles n’en comptent qu’une seule.

Au Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, sur les 66 membres élus, il n’y a que 4 femmes ! Pourtant, la profession est très féminisée. Autrement dit, dans ce métier, les femmes sont très souvent des « petites mains », elles travaillent très dur, mais elles ont très rarement le statut d’associée. 

M. Guénhaël Huet. Le nombre de femmes élues doit aussi être mis en regard avec le nombre de celles qui ont voulu se présenter.

Mme Tita Zeïtoun. Certes. Mais il est beaucoup plus facile qu’on ne le prétend de trouver des femmes pour occuper des postes de responsabilité.

Ainsi, il y a deux ans, dans le cadre de l’Ordre des experts-comptables, nous avions organisé un déjeuner avec l’Association des experts-comptables et mandats publics. Nous y avions reçu M. Daniel Bouton, PDG de la Société générale, qui m’a mise au défi de lui trouver quinze femmes qui puissent faire partie de son conseil d’administration. J’ai battu la campagne et, un an après, je lui ai fait parvenir une liste. Je constate qu’en 2008, il a nommé une deuxième femme.

M. Michel Pébereau, il a adhéré à notre association en 2001. À l’époque, il n’y avait aucune femme dans le conseil d’administration de la BNP. Sept ans plus tard, on en compte 4.

En 2003, quand la loi sur la sécurité financière a été votée, à la Société générale qui n’avait alors aucune femme dans son conseil d’administration, ont été nommés comme administrateurs indépendants une femme et un homme.

Je pense qu’il ne faut pas rester à la traîne des pays qui ont fixé la barre à 40 % – même si en Espagne la règle est limitée aux sociétés de plus de 250 salariés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce serait déjà bien de faire de même.

Mme Tita Zeïtoun. En effet. Il conviendrait d’accorder un certain délai aux sociétés concernées, comme on l’a fait en Norvège. Mais il faudrait surtout dire avec force que le vivier existe : il y a plus de femmes compétentes qu’il n’en faut !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Combien d’adhérents votre association compte-t-elle ?

Mme Tita Zeïtoun. 152 adhérents, mais le réseau est beaucoup plus large. Par exemple, notre association fait partie de la fédération « Du Rose dans le Gris », à laquelle appartient aussi l’association Arborus de Cristina Lunghi. J’ai été dernièrement invitée par la directrice de la communication avec six femmes, dans le cadre de rencontres organisées tous les lundis. Ces réunions permettent de faire le point afin d’aller de l’avant.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est très important. Les hommes ont leurs réseaux, mais les femmes commencent seulement à en mettre en place, avec cinquante ans de retard.

Mme Tita Zeïtoun. En effet. Il n’en existe pas encore beaucoup, et il faut s’efforcer de les croiser. De même, Odile Lajoix, qui est juriste, a su réunir un nombre important de personnes, comme le faisait Mme Ameline lorsqu’elle était ministre de la parité. D’autres alors, qu’elle pourraient faire la même chose mais certaines femmes ont tendance à tout garder pour elles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La semaine dernière, nous avons auditionné des responsables de l’association Grandes écoles au féminin. Elles organisent des petits-déjeuners avec les directeurs des grands groupes et veulent développer cette pratique de réseau.

Mme Tita Zeïtoun. Je travaille avec cette association, qui est vraiment très bien. J’ai été invitée récemment à parler devant un groupe qui devait être mixte, mais qui n’a compté finalement que très peu d’hommes car ils se sentent rarement concernés par les questions relatives aux femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai été impressionnée par les représentantes de cette association. Ce sont des femmes qui, professionnellement, ont bien réussi, mais qui ont pris conscience qu’il leur fallait aller vers les jeunes diplômées.

Mme Tita Zeïtoun. Il faut les prévenir qu’on ne leur fera pas de cadeau dans leur vie professionnelle. Cela dit, mettez-vous à la place d’un employeur qui a besoin d’embaucher un directeur financier. Entre une femme de trente ans et un homme de trente ans, à compétences égales et rémunération égale, qui choisiriez-vous ? Moi-même, je choisirais l’homme.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Bien sûr. Parce que la femme va avoir des enfants.

Mme Tita Zeïtoun. Personne ne peut se permettre de le dire, mais c’est la raison principale de la discrimination à l’embauche. On voit donc de plus en plus de femmes, parce qu’elles veulent réussir, renoncer à leur congé de maternité. Elles s’arrêtent une semaine avant la naissance et reprennent très vite après. C’est d’ailleurs ce qui se passe dans les professions libérales, où il n’y a pas de congé de maternité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On voit cela de plus en plus, en effet, dans la jeune génération.

Mme Tita Zeïtoun. Cela étant, au sein de cette jeune génération, on constate aussi un autre phénomène : face aux difficultés qui s’accumulent – frais de garde, problèmes de transports…–, les femmes se découragent et arrêtent de travailler. Cela se voit aux États-Unis, cela se dit en Angleterre. En France, on y vient petit à petit.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est vrai, et on ne me croit pas toujours quand je le dis. Quand les jeunes mères font leurs comptes, elles sont souvent découragées.

Mme Tita Zeïtoun. Je me demande comment font certaines femmes qui travaillent en ayant trois enfants. Cela dit, il faut savoir ce que l’on veut : au début de ma vie professionnelle, tout mon argent allait à la nourrice. Mais j’ai beau être née d’un père tunisien, avoir vécu dans une chambre de bonne et être partie d’un CAP d’aide-comptable, que j’ai transformé en diplôme d’expertise comptable à l’occasion d’une tuberculose, je considère que j’ai eu une vie plus facile qu’elle ne l’est aujourd’hui. À mon époque, il n’y avait pas de chômage et lorsque l’on voulait, on pouvait. Ce n’est plus le cas maintenant.

M. Guénhaël Huet. Il y a trente-cinq ou quarante ans, on savait qu’il fallait travailler beaucoup pour réussir, mais on savait aussi que si on travaillait, on réussirait. Aujourd’hui, homme ou femme, quand on a dix-huit ou vingt ans, la donne a changé.

Je reviens sur la nécessité de sensibiliser aux problèmes de la condition féminine les jeunes femmes qui entrent dans une grande école ou qui débutent leur carrière. C’est à cette époque de leur vie que cette sensibilisation doit se faire. Or malheureusement, ce n’est pas le cas. Les jeunes femmes pensent d’abord à obtenir leur diplôme puis à se lancer dans la vie professionnelle. Vous-même, madame, n’avez créé votre association qu’assez tard. Il est rare de voir une femme d’une vingtaine d’années s’investir sur ce sujet. Il faut soi-même avoir vécu certains événements pour décider d’intervenir pour les autres.

Mme Tita Zeïtoun. Le principal problème, c’est la gestion des grossesses. Je connais des femmes qui, après avoir eu deux ou trois enfants, ont quitté leur employeur pour continuer leur carrière ailleurs.

M. Guénhaël Huet. Dans la fonction publique territoriale, les femmes prennent systématiquement le congé maximal autorisé pour une maternité. Dans la ville dont je suis maire, je n’ai jamais vu une jeune femme ne pas demander de quitter son travail chaque jour une heure avant, comme elle en a le droit.

Mme Tita Zeïtoun. Dans les professions libérales, les femmes pourraient théoriquement faire la même chose, mais elles ne le font pas parce qu’elles doivent gagner leur vie, répondre à leurs clients, diriger leurs équipes. On s’est étonné du peu de succès de l’allocation de maternité – de 5 000 euros – proposée aux femmes exerçant une profession indépendante, mais elles ne peuvent pas se permettre de s’arrêter ! En général, comme je l’ai fait moi-même, elles ne s’arrêtent qu’au moment de la naissance et ne s’accordent que quelques jours de repos – à l’instar de Mme Rachida Dati, qu’il est honteux d’avoir critiquée de cette façon.

J’étais contre les lois sur la parité, mais quand la parité politique a été instituée, je me suis dit que les femmes n’avaient plus qu’à en faire bon usage. Et en 2006, à propos de vos amendements qui ont été censurés, j’ai pensé «  pourquoi pas ? ». Maintenant, en voyant combien les choses évoluent lentement, je me dis qu’il faut agir.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous travaillons pour les générations suivantes, pas pour nous. Les responsables de l’association Grandes écoles au féminin que nous avons reçues, qui pour leur part n’ont pas eu besoin de loi pour avancer, disent elles-mêmes qu’aujourd’hui il faut légiférer pour leurs cadettes.

Lorsque je suis entrée en politique, je n’aurais jamais cru qu’il faudrait légiférer sur ce sujet, considérant que ce que j’avais fait, d’autres pouvaient le faire. Mais je me suis rendu compte, par exemple, que si on ne l’avait pas fait pour imposer la parité dans les conseils municipaux ou régionaux, ils compteraient bien moins de femme. Il ne faut pas « victimiser » les femmes mais leur permettre d’avoir le sens de leurs responsabilités.

Mme Tita Zeïtoun. Je suis d’accord avec vous. Pourquoi avoir ouvert les grandes écoles aux femmes voici une trentaine d’années, si c’est finalement pour les laisser au bord du chemin ? Mes trois enfants sont allés dans une école mixte, et à la maison, chacun apportait la même contribution aux tâches ménagères. Mais ma fille, qui a fait des études de biologie pour travailler dans la parfumerie, s’est aperçue que dans la vie professionnelle, beaucoup d’hommes passaient devant elle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Lorsque j’ai fait le premier rapport sur l’égalité professionnelle, j’ai constaté que ce n’était pas la normalité. C’est la même chose en ce qui concerne la présence des femmes dans les lieux décisionnels.

Mme Tita Zeïtoun. Je vous suggère de faire en sorte qu’on impose la présence de femmes aux commandes des sociétés publiques. Dans son rapport de 1999, Mme Cotta demandait que l’État donne l’exemple. C’est impératif, et normalement il ne devrait pas y avoir besoin de loi.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous avez parfaitement raison. Mme Françoise Milewski a d’ailleurs souligné ici qu’on veut imposer des obligations aux sociétés privées, alors que l’État lui-même n’est pas un modèle.

M. Guénhaël Huet. J’entends bien. Mais ceux qui disent qu’il faut commencer par la fonction publique et les sociétés publiques ne sont pas sincères : si nous les suivons, ils seront les premiers à nous dire ensuite que le secteur privé a des contraintes spécifiques, notamment de productivité, qui l’empêchent de se plier aux mêmes obligations.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faut donc agir en même temps dans le secteur public et dans le secteur privé. Maintenant que nous avons légiféré sur le reste, notre devoir est en effet d’avancer sur la présence des femmes dans les lieux de décision.

Mme Tita Zeïtoun. Je me bats pour que joue désormais un « réflexe femmes ». Cela consiste à mettre les femmes en avant dans tous les domaines, par exemple en conseillant une femme plutôt qu’un homme lorsque l’on vous sollicite. C’est ce que je fais lorsque l’on me demande de trouver un commissaire aux apports ou un avocat spécialisé dans les fusions.

Je suis la seule femme à diriger majoritairement un cabinet qui a des mandats de sociétés cotées en Bourse en matière de commissariat aux comptes. Il ne faut donc jamais perdre espoir. C’est ce qu’il faut dire aux jeunes.

D’ailleurs, ceux qui sont entrés dans la vie active il y a huit ou dix ans ont connu le 11 septembre, une première crise puis une seconde. Ceux qui les suivent savent qu’ils commenceront par gagner le SMIC et qu’il leur faudra se débrouiller pour essayer de progresser. Mais j’ai mal au cœur pour toutes ces filles qui touchent des petits salaires et qui n’arrivent pas à s’en sortir au point que certaines se découragent et ne reviennent pas travailler, comptant sur la solidarité.

Une loi fixant à 40 % la proportion de femmes dans les conseils serait en tout cas motivante pour les femmes, d’autant plus que depuis 2002, le nombre maximal de mandats pour un administrateur a été limité à 5. Mais les femmes elles-mêmes n’ont pas toujours le « réflexe femmes »…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, je vous remercie.

Audition de Mme Françoise Renard,
Adjointe au Directeur des relations sociales de la Société générale


(procès-verbal du 18 février 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, Madame d’avoir répondu à notre invitation. Je précise que vous êtes adjointe au directeur des relations sociales de la Société générale.

En 2005, votre groupe a signé un accord sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, renouvelé en 2008. Il a obtenu en outre le label « égalité ».

Mme Françoise Renard, adjointe au directeur des relations sociales de la Société générale. En effet, ce label, qui est accordé pour trois ans, nous a été confirmé par l’AFAQ AFNOR à mi-parcours, au milieu de 2008, en raison des résultats intermédiaires que nous avions obtenus.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment s’applique à la Société générale la loi sur l’égalité salariale ? Comment intégrez-vous dans les négociations la problématique de l’égalité entre les hommes et les femmes ? Comment parvenez-vous à faire progresser la carrière des femmes ?

Une des dispositions de la loi de 2006, celle qui fixait un pourcentage minimal de 20 % de femmes dans les conseils d’administration, a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel. À la Société générale, il n’y a qu’une seule femme sur les quinze membres du conseil d’administration. Qu’en pensez-vous ? Considérez-vous que ces 20 % constituent un bon pourcentage ou qu’il faudrait aller au-delà, comme en Norvège, et viser 40 % ?

En matière d’égalité, tout un travail reste à mener au sein des entreprises. Quelles sont vos suggestions ?

Mme Françoise Renard. Nous n’avons pas eu vraiment de difficultés à intégrer le sujet de l’égalité dans les négociations que nous menons avec les partenaires sociaux. Ces derniers, au moins dans notre groupe, y sont très sensibilisés. Ce d’autant plus que notre entreprise repose, pour ce qui concerne notre réseau d’agences, sur une structure éclatée, où la problématique de la carrière des femmes se posait, encore récemment, de façon plus complexe que dans services du siège. En effet, dans ce réseau, à un certain niveau de responsabilité, les promotions étaient liées à une mobilité géographique.

Nous avons conclu notre premier accord en 2005, mais une réflexion structurée sur les femmes avait été engagée dès 2000-2001. En effet, alors que notre entreprise était très féminisée, plus on montait dans la hiérarchie, moins il y avait de femmes. Nous avons alors conduit des réflexions avec des groupes de femmes pour identifier les freins et faire progresser la question au sein de l’entreprise. Et le fait de passer un accord avec les partenaires sociaux, au-delà du respect de nos obligations réglementaires et du dialogue social que cela représente, constitue un levier de la Direction des Ressources Humaines Corporate vis-à-vis du management et des DRH des pôles opérationnels.

Je n’ai pas eu le sentiment qu’il y ait eu des difficultés majeures pour travailler sur ces sujets avec les partenaires sociaux, ni avec les pôles des ressources humaines. Quand on réfléchit aux orientations de la négociation on le fait avec ces DRH.

En matière d’égalité homme femmes les principes sont faciles à affirmer, mais nous avons souhaité aller au-delà, en présentant des mesures très concrètes. Travailler en amont et faire des allers et retours avec les partenaires sociaux et avec les DRH au cours des négociations procède aussi de l’évolution et de la sensibilisation de l’ensemble de la ligne RH qui travaille sur ces sujets.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le fait que votre secteur soit féminisé facilite-t-il les choses ?

Mme Françoise Renard. Il est sans doute plus facile d’aborder ces sujets dans le secteur bancaire que dans un secteur très masculin, où l’intégration même des femmes dans certains métiers se révèle plus compliquée. Cela dit, même chez nous, dans certains métiers, il serait encore nécessaire de féminiser les équipes. La faible présence des femmes dans certains métiers comme l’audit et l’inspection peut être liée à des contraintes comme les déplacements qui font que ces postes ont été longtemps moins souvent proposés à des femmes. Or ce sont des voies privilégiées pour parvenir assez rapidement aux postes de responsabilité. Cette sous-féminisation est aussi liée à la formation de très haut niveau que requièrent certains métiers – salle des marchés, modélisation mathématique. Le nombre de femmes dans les promotions des grandes écoles est encore très bas. Or, on ne peut recruter des femmes que proportionnellement au nombre de celles qui sortent de ces écoles.

En dehors de ces cas précis, les métiers de la banque peuvent, au contraire, être considérés comme trop féminisés. Nous avons parfois un équilibre à trouver entre les hommes et les femmes. Il nous faut parallèlement mieux vendre nos métiers bancaires de proximité – chargés d’accueil, chargés de clientèle, par exemple – auprès des hommes. Cela pose, en effet, des problèmes de gestion lorsque, dans certains points de vente de petite taille, il n’y a que des jeunes femmes.

La facilité que nous avons à aborder ces sujets depuis une dizaine d’années s’explique également par la grande implication de notre président Daniel Bouton. Je l’ai entendu tenir devant son management des propos extrêmement forts sur la féminisation – aussi bien d’ailleurs que sur l’internationalisation ou sur la diversité. Cela ne suffit évidemment pas : on ne peut changer les pratiques d’un coup de baguette magique, mais c’est fondamental pour que celles-ci évoluent.

Le discours tenu par notre top management consiste à dire qu’il faut donner les meilleures chances d’évolution à toutes les compétences, d’où qu’elles viennent. Et ces compétences peuvent être présentes chez les hommes ou chez les femmes, chez les Français ou les non-Français, chez les Français d’origine ou ceux issus d’autres cultures, chez les valides ou les handicapés. Ce discours fort tenu depuis deux ou trois ans aboutit à valoriser toutes les compétences et à les faire grandir, où qu’elles se trouvent. Dans un tel contexte, le sujet des femmes s’impose tout naturellement et s’inscrit dans une démarche générale. J’ai entendu certains managers dire que, si l’on ne regardait pas les compétences dont on dispose, notamment parmi les collaboratrices, on risquait d’en priver l’entreprise, qui en aura besoin demain pour les postes managériaux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Comment faites-vous pour réduire les écarts de salaires entre les hommes et les femmes ?

Mme Françoise Renard. Dans notre premier accord de 2005 figuraient déjà des mesures allant dans le sens de l’égalité de rémunération. Une mesure  ponctuelle a été prise en direction les femmes de plus de quarante-cinq ans qui avaient eu au moins un enfant. Nous avions demandé aux lignes de gestion d’apprécier si la maternité de ces femmes avait eu une incidence sur leur rémunération et/ou leur parcours professionnel. Si les managers constataient un retard objectif, soit de carrière, soit de rémunération, ils leur proposaient soit une évolution de rémunération, soit une évolution de poste leur permettant de prendre des responsabilités plus importantes pour justifier d’une promotion. Ainsi, la situation de plus de 2 000 femmes a été revue à cette occasion, ce qui a abouti à des relèvements de salaires, à des promotions et à des changements de fonctions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous n’avez pas beaucoup communiqué là-dessus !

Mme Françoise Renard. Nous sommes une maison très discrète – trop discrète. Nous avons évoqué de façon spécifique cette mesure à l’occasion du label, mais je ne me souviens pas qu’on en ait indiqué le montant, qui doit avoisiner le million d’euros.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelle fut la réaction des hommes ?

Mme Françoise Renard. Pas toujours complètement positive.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Si l’on essaie de réduire les écarts de salaires et que l’on augmente celui des femmes, on ne peut pas, dans la même proportion, augmenter celui des hommes. Selon certains syndicats, cela risque de créer des problèmes.

Mme Françoise Renard. Tout dépend de la façon dont on procède.

Dans le deuxième accord, qui vient d’être signé, nous avons adapté nos mesures en matière d’égalité de rémunération en fonction des textes réglementaires. Nous avons signé par ailleurs un accord sur la résorption des écarts salariaux entre les hommes et les femmes. Cet accord, distinct du premier, a été signé dans le cadre de la NAO – négociation annuelle obligatoire sur les salaires.

L’année dernière, nous avions engagé une négociation sur la résorption des écarts de salaires. Nous n’avions pas débouché sur un accord, mais nous avions tout de même appliqué une mesure dite « unilatérale », celle proposée aux organisations syndicales, en consacrant à cette mesure un budget spécifique.

Pour cela, nous avons identifié les femmes par métiers-repères de la branche professionnelle, par niveau de classification et par tranches d’ancienneté ayant un écart de rémunération supérieur à 6 % par rapport à la moyenne de la rémunération des hommes des mêmes catégories. Pourquoi les organisations syndicales n’ont-elles pas signé ? Peut-être le contexte s’y prêtait-il moins que cette année. Peut-être nous étions-nous insuffisamment expliqués : les organisations syndicales avaient compris que nous n’étudierions que les situations des femmes qui ressortiraient de ce recensement. Pourtant, nous appliquons dans l’entreprise une procédure d’examen des rémunérations qui fait que toutes les situations sont examinées chaque année.

Nous proposions dans cet accord que les cas des femmes qui ressortiraient de ce recensement feraient l’objet d’un examen particulier, et que les lignes de gestion devraient apprécier, au regard de certains critères, tels que les métiers, la formation, le parcours, si les écarts existants pouvaient être justifiés ou corrigés. Bien que nous n’ayons pas signé l’accord, nous avons appliqué cette méthode et consacré un budget de 740 mille euros uniquement pour résorber les écarts salariaux. Les partenaires ont pu constater que nous avions progressé en y consacrant une somme non négligeable.

Cette année, nous avons proposé une méthode très proche de la précédente. Nous l’avons mieux expliquée, en précisant que nous examinerions évidemment tous les dossiers, mais plus particulièrement ces dossiers-là, et nous avons pris l’engagement de procéder à la même démarche sur trois ans, c’est-à-dire jusqu’à la fin de 2010. Cette année, nous nous sommes engagés sur un budget minimal de 800 000 euros, en dépit de la crise, mais il est probable que nous irons au-delà.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelle est l’importance des écarts constatés ?

Mme Françoise Renard. Les écarts sont très variables et dépendent de l’âge, des métiers, des parcours. Si les écarts sont très importants, on ne peut pas les faire disparaître en une seule fois. C’est ainsi que le dossier de certaines des femmes identifiées l’année dernière n’a pas pu être intégralement réglé dès la première année.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quel est le pourcentage de femmes par rapport à l’ensemble des salariés ?

Mme Françoise Renard. 52 ou 53 %. Comment les hommes ont-ils réagi ? Les managers ont compris qu’il y avait une vraie volonté politique de la part de l’entreprise. Je ne dis pas que ce soit facile partout, ni que les directeurs des ressources humaines des pôles n’aient pas à relayer fortement discours et pratiques. Il faut toujours que nous fassions attention : les décisions prises sur le plan individuel doivent être incontestables ; la qualité de la prestation joue aussi dans la rémunération. Jusqu’à présent, nous n’avons pas eu à affronter de « collectif hommes », et très peu de remarques de cet ordre sont remontées jusqu’à nous.

Nous espérons que, progressivement, nous n’aurons plus à procéder à ces rattrapages. L’objectif même d’une politique volontariste en matière de gestion des femmes est de faire en sorte que demain, ou après-demain, nous n’ayons plus à nous préoccuper des écarts salariaux. C’est aussi l’objectif de la loi.

Combien de temps cela demandera-t-il ? Je n’en sais rien. Je constate malgré tout que, depuis de longues années, concernant nos barèmes de recrutement, nous ne faisons aucune différence entre les hommes et les femmes quand il s’agit de personnes qui ont la même formation. Les uns et les autres sont payés de la même façon. Il faut cependant être vigilants par la suite, sur toute la durée de la carrière, notamment après le deuxième ou le troisième poste, au moment où les femmes qui ont des enfants s’absentent. Voilà pourquoi nous avons pris des mesures concernant la parentalité.

Dans nos accords, et de façon plus générale, nous veillons à ce que les carrières des femmes rentrant de congé de maternité continuent de se dérouler normalement. Mais il y a une difficulté, liée au temps partiel : de nombreuses jeunes femmes, à leur retour, demandent à travailler à 80 %. Or, dans les très petites structures, cela peut compliquer la gestion et certains postes s’y prêtent moins bien que d’autres, tant sur le plan pratique que sur le plan managérial. Quoi qu’il en soit, nous avons toujours affirmé que le temps partiel était possible sur tous les postes que l’entreprise.

Il faut aussi que les femmes fassent leurs propres choix et prennent leur destin en main. On ne peut pas tout attendre de l’entreprise. Par exemple, les femmes doivent apprendre à constituer leurs propres réseaux, ce qu’elles ne font pas naturellement.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Selon moi, elles en ont la volonté, mais elles ont également leur vie familiale à mener et elles manquent de temps.

Mme Françoise Renard. Dans les années 2000, j’ai animé un groupe de femmes qui avaient des enfants tout en occupant un poste important. Elles reconnaissaient manquer de réseaux, mais disaient qu’elles ne consacraient pas de temps à en constituer, parce que leur temps, précisément, était compté et qu’elles l’utilisaient le plus efficacement possible dans le cadre de leur travail et de leurs responsabilités, leur priorité étant d’atteindre leurs objectifs.

Le Corporate travaille au niveau du Groupe à la féminisation des postes managériaux, à très haut niveau. On demande aux pôles d’identifier systématiquement les femmes qui auraient les compétences leur permettant d’entrer dans les plans de succession sur ces postes de top management.

Dès le moment où les femmes rentrent dans l’entreprise, il faut détecter leurs talents et les accompagner, en leur désignant des référents dans l’entreprise avec lesquels elles peuvent discuter de leur déroulement de carrière, et en leur proposant des formations. Deux types de formations, selon les niveaux de responsabilité ou les tranches d’ancienneté, sont proposées aux femmes qui ont été identifiées comme étant susceptibles de tenir à terme des postes importants. On les aide à s’interroger sur leurs objectifs professionnels et sur les compétences qu’il leur reste à développer pour atteindre ces objectifs. Dans les niveaux supérieurs, 150 femmes ont suivi la formation « pilotage de carrière au féminin ».

Comme vous pouvez le constater, nous jouons sur tous les leviers : gestion des ressources humaines, leviers managériaux, leviers « femmes » pour permettre à ces dernières de suivre un parcours correspondant à leurs compétences et à leurs ambitions.

M. Jean-Luc Pérat. La formation part-elle de suggestions que vous faites aux femmes ou des aspirations de celles-ci ? Je suppose que les femmes peuvent vouloir se consacrer à leurs enfants, quitte à rebondir au niveau professionnel lorsqu’ils sont devenus autonomes.

Mme Françoise Renard. J’ai fait de la gestion individuelle pendant longtemps, à l’époque où nous commencions à recruter de nombreuses jeunes femmes issues des grandes écoles. Elles étaient très organisées et envisageaient de faire naître leur premier bébé après leur premier poste, au bout de deux ou trois ans. Elles pensaient prendre le congé minimal de maternité, mais plus de la moitié, voire 80 %, finissaient par décider de ne pas reprendre leur activité tout de suite et de profiter de tous les congés que leur offrait la convention collective. On voit bien que les priorités changent, ainsi que le degré d’ambition personnelle. Lorsque la priorité professionnelle revient, si la femme s’est absentée pendant longtemps, la situation est plus compliquée.

Les formations sont organisées en faveur de femmes qui ont été identifiées comme faisant partie des « potentiels », et dont le niveau de performance et d’investissement personnel peut laisser penser qu’elles pourront accéder à des postes de haut management. On fait travailler ces femmes sur leurs objectifs personnels pour qu’elles se projettent dans le futur et pour identifier ce qui leur manque pour concrétiser leurs souhaits. Cela leur donne un plan de travail, de formation, de mise en situation, de coaching, ou d’accompagnement, qui les aidera à atteindre leurs objectifs.

M. Jean-Luc Pérat. Entre vingt-cinq et soixante-cinq ans, y a-t-il des créneaux plus porteurs que d’autres ? Je suppose qu’à partir de quarante ou quarante-cinq ans, les femmes deviennent plus disponibles et peuvent envisager une deuxième partie de carrière.

Mme Françoise Renard. Elles sont certainement plus disponibles. Cela dit, nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour savoir si nous sommes capables de remettre dans une trajectoire de haut niveau des femmes qui auraient mis leur carrière entre parenthèses pendant, dix, quinze ou vingt ans – tout en gardant, bien sûr, leur activité. Le gap risque en effet d’être important.

Par ces accompagnements et par notre vigilance en matière de promotions, nous essayons de faire en sorte que les carrières des femmes qui sont performantes, qui occupent leur poste de façon correcte et qui ont l’ambition de parvenir à des postes plus importants, soient plus linéaires que par le passé.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Une femme de trente-deux ou trente-trois ans qui, tout en travaillant, prend le temps de faire ses enfants, peut-elle espérer, vers quarante-cinq ans, que sa carrière « fasse des bonds » plus importants ?

Mme Françoise Renard. Je ne sais pas. Mais elle peut espérer continuer de progresser en fonction de tous les critères évoqués tout à l’heure, de la même façon que quelqu’un qui n’aurait pas eu d’enfants. La plupart des femmes de « SG au féminin » ont deux ou trois enfants, de même que la plupart des femmes qui ont atteint des niveaux importants dans l’entreprise. Bien sûr, le facteur social intervient, certaines femmes pouvant se faire accompagner au quotidien et mieux articuler leur vie personnelle et leur vie professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Avez-vous prévu, dans l’entreprise, un dispositif spécifique pour les femmes qui, entre trente et quarante ans, ont le souhait d’avoir des enfants et de continuer leur carrière ?

Mme Françoise Renard. Nous versons des indemnités de garde. Ces indemnités sont majorées si ces femmes doivent se déplacer pour participer à une réunion, et donc faire garder leurs enfants la nuit. Nous essayons de faire en sorte que les formations soient dispensées au plus près des lieux de travail et qu’elles soient plus courtes, pour éviter des problèmes d’organisation et des frais financiers supplémentaires. Mais nous n’avons pas pris de mesures financières particulières pour cette tranche d’âge. Je pense d’ailleurs que nous ne pourrions pas le faire : on nous accuserait alors de « discrimination à l’envers ».

Je désire revenir sur la promotion car le sujet me semble important.

Dès le premier accord, nous avions pris l’engagement suivant : dans les promotions qui interviennent chaque année, nous regardons, niveau de classification par niveau de classification, si le pourcentage de femmes promues est équivalent au pourcentage qu’elles représentent dans ce niveau. Si elles représentent 10 % dans un niveau, il est difficile d’imaginer qu’elles bénéficient de 80 % des promotions ; si elles représentent 80 %, il est également inconcevable qu’elles ne soient concernées que par 5 % des promotions. Et nous présentons ces chiffres de promotions chaque année aux partenaires sociaux.

Nous avons repris la même disposition dans l’accord de cette année, en nous accordant une petite marge de 4 %. Nous nous sommes en effet aperçus que, sur de très petites populations, il suffisait qu’il manque 4 ou 5 promotions de femmes pour extérioriser des chiffres qui pouvaient faire croire que l’on n’avait pas conduit ce travail de réflexion.

Il s’agit là encore d’une action qui se développera dans la durée. En lançant une dynamique sur trois ans, cela fait évoluer les mentalités de toutes les parties : managers, lignes RH, hommes, femmes.

Pour appliquer ces mesures, nous faisons des reportings, chaque fois que c’est possible. Nous avons également développé, avec « Théâtre à la carte » un e-learning, à destination de tous les managers, sur la non-discrimination, avec suivi obligatoire. Cet e-learning porte sur la discrimination sous toutes ses formes, mais un de ses volets est consacré à la non-discrimination entre les hommes et les femmes en matière de gestion.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Une part importante de votre politique est ancrée sur l’égalité.

Mme Françoise Renard. C’est « notre fil rouge » : à compétences égales, carrière, promotion et rémunération doivent suivre – même si cela doit prendre du temps.

Les partenaires sociaux ont signé l’accord à cinq – alors qu’ils étaient quatre au départ. Ils ont cependant dit qu’il n’allait pas encore assez loin et fait remarquer que les engagements que nous prenions devaient se concrétiser sur le terrain. Je précise que nous avons une déléguée à l’égalité professionnelle auprès de laquelle ils peuvent faire un recours. Celle-ci ne fait pas partie des structures des relations sociales, justement pour éviter toute confusion des genres.

Si les partenaires sociaux ont signé ce deuxième accord, on peut penser que c’est parce qu’ils considéraient que le premier avait permis de poser des bases et de commencer à faire évoluer les mentalités.

Lorsque nous avons déposé notre demande de label, les organisations syndicales ont apposé leur signature pour attester qu’ils avaient bien eu connaissance des informations que nous fournissions à l’AFAQ AFNOR – et l’ont accompagnée de lettres, énumérant notamment les progrès restant de leur point de vue à accomplir.

Des progrès sont à faire en matière de gestion des maternités. Il conviendrait en effet d’anticiper davantage les départs et les retours de congé de maternité, pour que les choses se passent le mieux possible. Il est vrai que nous avions pris des engagements d’entretiens systématiques, mais sans savoir les compter et sans être certains que, sur le terrain, ils aient lieu dans les délais requis. Nous avons donc mis en place un moyen de les contrôler. Les organisations syndicales ont ainsi pu constater que nous avions une réelle volonté politique, qui se déclinait au niveau local. Ainsi, dans chaque établissement, au moment de la présentation du rapport « égalité hommes-femmes », les chefs d’établissement auront à présenter un bilan sur les départs en congé de maternité, les entretiens qui auront été tenus et la façon dont les retours se seront passés.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous êtes de vrais modèles !

Mme Françoise Renard. Je ne sais pas. En tout cas, nous essayons de faire au mieux. Lorsque nous avons travaillé sur ces deux accords, nous avons fait beaucoup de bench mark et nous n’avons effectivement pas trouvé beaucoup d’autres accords comportant des mesures aussi concrètes et pragmatiques, susceptibles de faire avancer la situation sur la durée.

La Société Générale s’est également engagée en termes de taux de femmes dans l’encadrement. Nous étions partis de 35,7 % en 2005, nous sommes arrivés à 40 % fin 2008. Nous nous sommes engagés sur 42 % pour la fin 2011.

M. Jean-Luc Pérat. Comment remplacez-vous les personnes qui partent en congé de maternité ? Répartissez-vous leur travail entre leurs collègues ou recourez-vous à des intérimaires pour assurer la transition ?

Mme Françoise Renard. Cela dépend des métiers, de leur spécialisation, de l’implantation géographique et de l’ancienneté dans le poste de la personne qui part en congé de maternité.

Notre pratique de gestion, à la Société générale, est de faire bouger les collaborateurs régulièrement, au moins fonctionnellement. L’objectif est de développer leurs compétences et de les faire évoluer vers d’autres fonctions. Cette mobilité joue au bout de trois ans, voire cinq ou six ans – pour les experts, notamment.

Si la femme concernée part lorsque nous considérons que c’est le moment pour elle de changer de poste, on la remplacera par quelqu’un qui prendra ses fonctions, et l’on discutera avec elle du type de poste sur lequel on la réintégrera. Bien évidemment, nous avons l’obligation de la réintégrer sur un métier équivalent. Mais si elle est demandeur d’une évolution de fonction, on profitera de son départ pour rechercher un poste qui, à son retour, lui permette d’évoluer.

L’expertise du métier peut jouer. Si l’on sait qu’une femme, qui est un expert pointu, est sur un poste depuis un an et qu’elle va reprendre ce poste, on la remplacera par une ressource temporaire – s’il n’existe pas le même type de poste dans la même structure.

La croissance du secteur dans lequel se trouve la personne est un autre élément à prendre en compte. Si le secteur est en croissance et que des postes se créent ou se libèrent en permanence, selon un turn over naturel, la femme sera remplacée et pourra retrouver un poste de même nature dans la même structure ou dans une structure voisine.

En termes de gestion individuelle, les cas de figure sont très différents les uns des autres. Nous devons adapter le mode de remplacement de la personne suivant l’appréciation que nous avons de l’évolution, ou non, de la personne hors de son poste, et de la difficulté que nous aurons à la réintégrer ou non sur son poste.

M. Jean-Luc Pérat. Avez-vous constitué un pôle de ressources susceptible d’assurer les remplacements en cas de départ ou de maladie, et de tester les capacités de certains, en vue des prochaines promotions ? Je sais que cela existe ailleurs.

Mme Françoise Renard. Nous n’avons pas de réserves dites « de gestion », qui permettent de remplacer temporairement des personnes qui partent, et de tester les capacités de celles qui viennent les remplacer. Il peut arriver, dans une structure assez importante, si l’absence est assez longue, qu’un manager profite du départ d’une de ses collaboratrices pour positionner une autre collaboratrice, par exemple une chargée d’accueil sur un poste de chargée de clientèle, pour la faire ensuite évoluer dans une autre agence. Mais cela relève de la gestion locale. Nous n’avons pas créé de structure dédiée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci Madame Renard.

Audition de M. Daniel Lebègue, Président de l’Institut des Administrateurs (IFA) et de Mme Agnès Touraine, administrateur de société et membre du conseil d’administration de l’IFA


(procès-verbal du 24 mars 2009)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, Monsieur et Madame d’avoir répondu à notre invitation.

Monsieur Lebègue, vous êtes Président de l’Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises (ORSE) depuis 2008, et également Président de l’IFA. Cet institut s’est penché dès 2005 sur la question de la participation des femmes aux conseils d’administration des entreprises. Quelle a été votre approche et à quelles conclusions êtes vous parvenus ?

M. Daniel Lebègue. L’IFA qui réunit aujourd’hui 1500 administrateurs, a été créé en 2003. Dès 2005, l’institut a pris position en faveur de la participation d’un plus grand nombre de femmes dans les conseils d’administration des sociétés cotées et avait recommandé de viser un objectif de 20 % de femmes en leur sein, dans un délai de cinq ans. On était alors à environ 7,5 %.

Cette position était guidée par l’impératif d’égalité entre les hommes et les femmes, mais aussi par la conviction, tirée de notre expérience professionnelle, que la capacité d’un conseil d’administration à répondre au mieux aux intérêts de l’entreprise dépendait de son degré d’ouverture.

Il n’existe, en France, que peu de travaux de recherche évaluant le lien entre la mixité et les performances de l’entreprise. Ceux-ci sont beaucoup plus développés dans le monde anglo-saxon. Une étude de doctorant menée par Nathalie Del Vecchio et Moez Joudi sur les sociétés de CAC 40 a apporté une réponse très nuancée : quantitativement, la base de sociétés suivie sur le moyen terme ne permet pas de conclure, mais qualitativement, de nombreux arguments permettent d’établir un lien entre bonne gouvernance et diversité des administrateurs. La diversité est entendue au sens large, c'est-à-dire au regard de la nationalité, du sexe, de l’âge, de la formation et des fonctions exercées…

L’essentiel du problème vient d’une faiblesse fondamentale du management à la française que l’on pourrait appeler « le phénomène du petit monde ». La classe dirigeante française est composée d’hommes qui ont suivi le même parcours, se reconnaissent entre eux et vivent en milieu fermé. Ce sont ces hommes qui constituent l’essentiel des conseils d’administration. Or, un monde endogame est un monde moins efficace qu’un monde ouvert et diversifié. Par exemple, la nomination d’un administrateur écossais au conseil d’administration d’Areva a complètement modifié les méthodes de travail de cet organe.

Quant à la méthode que nous préconisions, il est clair que l’IFA préfère des démarches incitatives à une évolution qui résulterait de la loi et c’est pourquoi nous avions formulé une série de recommandations. Toutefois, saisi de nouveau de cette question la semaine dernière, et ayant constaté que l’on faisait du sur place depuis cinq ans, le conseil d’administration de l’IFA, a cette fois répondu oui à la question de savoir s’il fallait en passer par la loi pour opérer un changement. J’ai mandat de vous faire part de cette décision. Pour sortir du blocage, il faut passer par la loi.

On dit souvent qu’avoir des femmes dans un conseil d’administration est une bonne idée mais que l’on manque de candidates. Deux postes devaient être renouvelés au conseil d’administration de l’IFA. Le comité de nomination a proposé cinq candidates qui toutes avaient parfaitement les qualités nécessaires et il n’a eu aucun mal à les trouver. Au sein du club des présidents de comité d’audit des grandes sociétés européennes auquel j’appartiens, je ne suis pas fier des résultats de la France en matière de mixité. À part en Italie, dans les autres pays européens, il existe une dynamique sur ce sujet et des résultats positifs. La France prend du retard.

Mme Agnès Touraine. Avec le recul, je ne peux que déplorer le fait que notre rapport de 2006 s’est révélé dramatiquement inefficace, alors que l’hypothèse de 20 % de femmes nous apparaissait atteignable en quatre ans. Les chiffres sont accablants, on en est toujours autour de 8 %. L’étude de Capital Com sur les sociétés du CAC 40 montre en outre le très faible volontarisme des entreprises en matière d’égalité professionnelle, en dépit d’un discours fort en 2007, mais qui s’est interrompu ensuite. En réalité, les deux vont de pair.

Par ailleurs, on peut craindre que la crise économique n’ait des conséquences très négatives, les femmes constituant dans ces situations une variable d’ajustement. La place des femmes n’est pas une priorité dans un monde extrêmement instable.

Sur le manque d’études établissant le lien entre diversité et performance, j’ai envie de dire qu’il ne faut pas renverser la charge de la preuve : faisons entrer des femmes dans les conseils d’administration, et ensuite on verra bien si cela produit des effets bénéfiques ou non.

La fonction d’administrateur est devenue aujourd’hui un vrai métier que l’on ne peut exercer véritablement en occupant, par ailleurs des postes exécutifs. Le problème de la mixité est étroitement lié à celui de la gouvernance. Si l’on veut des administrateurs non exécutifs, indépendants et professionnels, il ne faut pas les choisir parmi les patrons du CAC 40. La mixité sera réalisée quand on acceptera que les administrateurs ne soient pas choisis parmi les dirigeants de groupes similaires.

Il faut donc élargir le vivier et pour cela il faut mener des actions de formation auprès des femmes et des consultants, obliger les comités de nomination à proposer une moitié de femmes dans leurs listes de candidats et identifier ces femmes dans les entreprises.

Surtout, il ne faut pas perdre de vue que faire siéger 20 % de femmes dans les conseils d’administration des 100 premières sociétés françaises signifie trouver au maximum 70 femmes ! Si chaque femme détient deux mandats, il ne faudrait plus que 35 candidates. Ce n’est tout de même pas insurmontable!

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quel est le seuil qui vous parait le plus adéquat. En 2006 on s’était arrêté sur 20 %. Je pense maintenant qu’il faut aller au-delà, ne serait-ce que parce que dans un conseil de 5 personnes, il n’y aurait qu’une femme, ce qui ne permet pas d’agir réellement

Mme Agnès Touraine. La situation n’évoluant pas, il faut en passer par la fixation de quotas. Un seuil minimal de 40 %, à condition que cet objectif soit étalé dans le temps, sur cinq ans par exemple, paraît réaliste. Les conseils d’administration ont souvent 15 membres, cela signifierait donc qu’ils devraient compter 6 femmes, 5 femmes pour un conseil de 12 membres.

Pour parvenir à de réels progrès, il faudrait aussi que soit publié chaque année un baromètre des femmes dans les conseils d’administration et que la presse lui donne un large écho.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qui pourrait établir ce baromètre ?

M. Daniel Lebègue. Il existe des observatoires comme le cabinet Korn/Ferry qui fait paraître un indicateur sur les pratiques de gouvernance des grandes entreprises dans le monde. Ernst and Young a introduit un indicateur sur les femmes dans les conseils d’administration. Effectivement, pour que ces données aient un impact il faut qu’elles soient relayées par les medias.

Mme Agnès Touraine. Relayées et médiatisées par la remise de prix aux entreprises les plus performantes sur ce sujet… mais aussi peut-être à celles qui le sont le moins… Il faut préciser, cependant, qu’imposer la présence de femmes dans les conseils d’administration, même si cela répond au principe d’égalité n’est pas un objectif en soi. Cela n’a de sens que si cela influence la politique de l’entreprise. Or la présence de femmes dans les conseils d’administration modifie les données du débat sur l’égalité entre les hommes et les femmes dans les entreprises.

M. Daniel Lebègue. Il faudrait traiter en parallèle les conseils d’administration et les comités exécutifs. Ceux-ci n’étant pas des organes juridiques, il est par contre difficile de les réglementer.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avons déjà abordé cette question. La présence de femmes dans les comités exécutifs passe en effet par une politique volontariste de l’entreprise pour faire « progresser » des femmes vers les postes de direction.

Mme Agnès Touraine. Il est navrant qu’un journal féminin titre l’un de ses articles « progression des femmes dans les exécutifs » au vu d’une augmentation de leur part de 0,1 % ! À ce rythme, cela signifie qu’il faudra cent ans pour atteindre 10 %. Il faut absolument que les medias s’engagent de façon très forte sur ces questions.

M. Jean-Luc Pérat. Avoir une place ce n’est pas avoir toute sa place. Sur ces questions, les hommes devraient faire leur autocritique. Les résultats obtenus par la Norvège tiennent aussi à une autre culture de la place de la femme dans la société.

Mme Agnès Touraine. Le dirigeant d’une grande société française n’ayant aucune femme dans son conseil d’administration me disait récemment qu’il préférait n’avoir aucune femme plutôt qu’une femme alibi. Il y aura des femmes quand les règles auront changé, mais justement, si on nomme des femmes, les règles changent.

Pour que les femmes aient toute leur place, il faut aussi les former ne serait-ce que à la prise de parole. Il y a actuellement une vulnérabilité des femmes dont les hommes jouent, consciemment ou non.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie et, encore une fois, je suis frappée des évolutions qui ont eu lieu sur ces questions.

Audition de M. Marc Veyron, Directeur des ressources humaines du groupe CSF France et de Mme Estelle Champenois


(procès-verbal du 24 mars 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie d’avoir bien voulu être entendu par la Délégation. Nous avions déjà eu l’occasion de vous rencontrer au moment des travaux que nous avons effectués sur le temps partiel. Nous avions pu constater que l’égalité hommes femmes était une priorité importante de votre groupe. Nous avons l’occasion aujourd’hui de faire un nouveau point de cette question.

M. Marc Veyron. Je voudrais préciser en préalable que le groupe CSF France vient de signer la charte de la parentalité qui prévoit un certain nombre de mesures destinées à améliorer la conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle.

Nous avions effectivement signé un premier accord sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes qui a pris fin en 2008. Il a été décidé avec les partenaires sociaux de s’engager dans un nouvel accord, le 30 décembre 2008 avec quatre organisations syndicales. Seule la CGT n’a pas signé en raison des dispositions relatives à la polyactivité, mais nous avons été très proches d’un accord.

Le premier axe de cet accord consiste dans le renforcement de la politique de recrutement.

Les femmes et les hommes doivent être recrutés dans les mêmes conditions et selon les mêmes critères de sélection. Une clause de respect de la diversité figure dans tous les contrats passés avec des cabinets de recrutement extérieurs. Un suivi statistique du nombre de candidats hommes femmes et du nombre d’embauches est mis en place. Aucune photo n’est demandée aux candidats lors de leur recrutement et leur situation familiale ne doit pas être prise en compte. Pour favoriser le recrutement de femmes dans l’encadrement, des opérations de promotion sont organisées auprès des écoles de commerce pour inciter à ce qu’elles présentent leur candidature.

Catherine Coutelle. Le nombre inférieur de femmes parmi les cadres tient-il à leur manque d’ambition ou au fait que les hommes les recrutent moins.

Marc Veyron. Il est vrai que les femmes sont réticentes à l’exercice de certains métiers considérés comme des métiers d’hommes. Il faut montrer des exemples réussis de fonctions exercées par des femmes pour faire évoluer les représentations. Un véritable obstacle réside aussi dans les obligations de mobilité. Postuler pour être directeur de magasin implique souvent d’être nommé dans une autre région.

Un autre axe est donc le renforcement de la politique de mixité des emplois.

L’accord s’attache également à garantir un accès identique à la formation professionnelle. Une prime de garde d’enfants de 10 € par jour et par enfant a été créée pour les salariés ayant des contraintes familiales qui freineraient leur accès à des fonctions de formation.

Pour garantir les mêmes possibilités d’évolution de carrière et d’accès aux postes à responsabilités, la promotion interne sera favorisée. Les employés sont à 77 % des femmes. La parité est pratiquement réalisée au sein des agents de maîtrise, mais il y a toujours que 25 % de femmes parmi les cadres. L’accroissement de leur recrutement est donc un objectif. Pour pallier les difficultés liées à la mobilité géographique, la situation familiale de la postulante sera prise en compte, ainsi que l’accompagnement de son conjoint dans la recherche d’un nouvel emploi.

L’accord contient une clause nouvelle relative à l’égalité salariale et à la suppression progressive d’éventuels écarts non justifiés de rémunération entre les femmes et les hommes.

Catherine Coutelle. Fondamentalement, les différences de salaire s’expliquent toujours par le fait que la rémunération de la femme est considérée comme un salaire d’appoint au sein du couple ; S’y ajoute l’impact des interruptions de carrière.

Marc Veyron. L’écart de rémunération s’explique en partie par le fait que ce ne sont pas les mêmes emplois qui sont occupés. Cela nécessite une analyse très fine, niveau par niveau et métier par métier. Par exemple, au sein du niveau 3, qui sont des emplois professionnels, l’écart de 5,3 % entre les hommes et les femmes s’explique en partie par le fait que cette catégorie d’emploi compte des employés de boucherie qui sont des postes qualifiés, pour lesquels le marché de l’emploi est relativement tendu. Ils sont donc mieux rémunérés ; or, ce sont des postes très majoritairement occupés par des hommes. Un diagnostic sur les rémunérations est en cours pour prendre les mesures adéquates. Un test a été mis en place sur neuf magasins.

Estelle Champenois. Le fait que globalement les femmes aient une ancienneté moindre joue également.

Marc Veyron. Le poids du temps partiel est aussi réel. C’est pourquoi le groupe cherche à favoriser le passage à temps complet.

Catherine Coutelle. Le problème ne se limite pas au temps partiel, mais aussi à la fluctuation des horaires. Les délais de prévenance sont très courts dans la grande distribution et par conséquent la polyactivité est difficile.

Marc Veyron. Des dispositions visant à ne pas modifier les horaires de travail des salariés qui exercent par ailleurs un deuxième emploi figuraient dans le premier accord du groupe. Elles ont été reprises dans l’accord de branche.

Catherine Coutelle. Comment ont été choisis les magasins tests ?

Marc Veyron. Ils sont représentatifs de la diversité des magasins.

Je voudrais préciser que la polyactivité est un facteur très important pour développer les perspectives de carrières. En effet, les possibilités d’évolution des hôtesses de caisses sont limitées et elles sont souvent très peu mobiles.

L’accord comprend aussi des dispositions visant à garantir l’égalité de traitement lors des absences liées aux congés de maternité, de paternité, et aux congés parentaux. Des mesures visent à aider les salariés à consolider au mieux vie familiale et vie professionnelle dans la continuité de la charte de la parentalité. Pour éviter le risque d’accouchement prématuré, des mesures de surveillance et d’aménagement ont été mises en place pour les femmes enceintes. Enfin, il a été décidé de faire participer l’entreprise à l’information et à la sensibilisation à la lutte contre les violences faites aux femmes. Nous avons en effet constaté des situations très difficiles vécues par nos salariées.

Estelle Champenois. Lors des dernières négociations annuelles obligatoires sur les salaires, il a été décidé d’étendre le dispositif du CESU à la garde d’enfants.

Marc Veyron. Plus généralement, des progrès supposent une direction motivée et un travail effectué avec les partenaires sociaux. Il faut se fixer des objectifs échelonnés dans le temps. Le nouvel accord aborde désormais la question de l’écart salarial qui est une des plus délicates.

Catherine Coutelle. Réservez-vous des places dans des crèches ou participez-vous à des crèches d’entreprise ? Avez-vous pensé à la mise en place de services de conciergerie comme cela se fait dans certains pays ?

Marc Veyron. Nous avons des places de crèche sur des sites importants comme celui du siège à Levallois. C’est une solution très onéreuse qui n’est pas généralisable. Il existe effectivement au siège un service de conciergerie.

Catherine Coutelle. Quelle est l’amplitude horaire de travail ?

Marc Veyron. En général, les magasins ferment vers 20 heures – 20 heures 30, mais cela dépend de leur implantation géographique. Un seul magasin, situé dans le centre de Paris ferme à 23 heures. Par contre, dans les zones rurales, ils ferment parfois entre midi et deux heures. La mise en rayons se fait vers six heures du matin.

Catherine Coutelle. Les partenaires sociaux sont-ils impliqués sur ces sujets d’égalité hommes – femmes.

Marc Veyron. De façon variable, certains ont mis en place des mécanismes de représentation équilibrée des hommes et des femmes en leur sein.

Audition de Mme Charlotte Duda, présidente de l’ANDRH
(Association nationale des directeurs des ressources humaines)


(procès-verbal du 7 avril 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, madame, d’avoir répondu à notre invitation. Vous êtes présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines, l’ANDRH, et nous avons souhaité vous entendre dans le cadre des travaux que mène la Délégation sur la place des femmes dans les lieux de décision et les obstacles qu’elles doivent franchir pour y accéder.

Pour cela, il importe de savoir comment les lois de 2001 et de 2006 sur l’égalité professionnelle sont appliquées dans les entreprises. La présence des femmes dans les lieux de gouvernance pouvant faire évoluer leur position dans les entreprises, il emporte ensuite de savoir si des actions spécifiques sont menées en ce sens ainsi que pour favoriser l’évolution de leur carrière. Nous souhaiterions, en particulier, connaître votre position sur l’objectif de 40 % de femmes dans les conseils d’administration 

Enfin, lorsque survient une crise économique, les premières victimes sont souvent les femmes. Est-ce une réalité que vous constatez ?

Mme Charlotte Duda, présidente de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). La situation étant très diverse selon les entreprises, je commencerai par plusieurs constats.

Aujourd’hui, si tout le monde s’accorde à dire que les textes législatifs conduisent les entreprises à appréhender sérieusement la problématique de l’égalité professionnelle, celle-ci dépend finalement de leur bonne volonté car il n’y a pas de véritable suivi. Heureusement, un grand nombre d’entreprises s’engagent dans une démarche d’égalité des chances par le biais de la labellisation – label Responsabilité sociale, label Diversité, etc. – et sont, à ce titre, plus attentives à la proportion de femmes en leur sein ainsi et de ce fait qu’à l’égalité professionnelle en matière d’embauche, de rémunération, de gestion de carrière et de promotion.

Cependant, entre l’univers du CAC 40 et des très grandes entreprises, celui des entreprises de taille intermédiaire et celui, massif, des PME et des TPE, les situations sont extrêmement différentes. Il est donc très difficile de donner une réponse globale s’agissant de la bonne connaissance du sujet par les entreprises, ainsi que sur les moyens qu’elles y consacrent. Les très grandes entreprises qui s’engagent dans des actions de non-discrimination sont souvent citées et à juste titre, mais le chemin à accomplir vers plus de parité reste encore important.

Chaque année, les entreprises doivent produire un rapport sur l’état des lieux en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes – de même qu’un bilan social –, mais combien d’entre elles en présentent un à leurs instances représentatives et l’envoient à la Direction départementale du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle ? J’ai cru comprendre que cette obligation n’était pas systématiquement respectée.

Aujourd’hui, il faut une réelle volonté personnelle du DRH et/ou du dirigeant pour que l’objectif d’égalité professionnelle soit pris en compte. Toutes les parties sont responsables, y compris les partenaires sociaux, qui sont majoritairement des hommes et qui ne sont pas toujours aussi combatifs en la matière qu’il le faudrait.

Au sein de l’ANDRH – qui regroupe, dans 80 groupes régionaux un peu plus de 5 000 adhérents issus de divers secteurs d’activités –, le sujet de l’égalité professionnelle est traité au titre des discriminations et des minorités. Je travaille avec Pascal Bernard qui, comme chacun sait a beaucoup œuvré pour le label Diversité, afin que la problématique de l’égalité professionnelle soit dissociée de celle des minorités et des discriminations – même si nombre de femmes en subissent. Si la discrimination peut exister vis-à-vis de personnes en raison de leur appartenance ethnique ou de leur handicap qui provoque peurs, rejet et déni, les positions extrêmes à l’encontre des femmes sont rares : un certain machisme ambiant peut exister mais je n’ai jamais rencontré d’entreprise ayant délibérément mis en place une discrimination à leur égard. Il est en revanche un état de fait qui veut que les femmes soient engagées dans un engrenage qui commence au sein de la famille et à l’école. Aussi pointerai-je particulièrement le problème de l’orientation des filles qui, alors qu’elles sont excellentes à l’école, ne sont pas orientées vers des métiers et des secteurs professionnels porteurs.

Les mentalités changent cependant. C’est ainsi que dans les couples, une grande partie des hommes est plus sensible à l’alternance des chances : telle année est celle de l’épouse ou de la compagne ; tel jour c’est l’homme qui dépose les enfants à l’école. Les hommes se posent de plus en plus de questions en termes de conciliation vie personnelle et vie professionnelle. Certes, le chemin à accomplir est encore important. Aussi faut-il laisser s’exprimer ce type de préoccupation dans les entreprises. D’ailleurs, dans toutes celles qui se sont engagées dans le dispositif du congé de paternité, les hommes ont pris les fameux onze jours. À mon avis, le changement de génération est à l’œuvre.

Il reste que les conséquences des divorces et de la monoparentalité jouent considérablement sur la progression professionnelle des uns et des autres, mais de manière beaucoup plus sensible s’agissant du parcours des femmes. Quant à la grossesse, elle constitue une rupture professionnelle qui peut parfois être longue pour des raisons de santé, mais aussi de sécurité s’agissant de femmes qui ont de longs temps de transport, en particulier en région parisienne, ou qui exercent des métiers très pénibles.

Enfin, lorsqu’il est plus intéressant que l’un des deux conjoints réduise son activité, c’est encore le plus souvent les femmes qui le font, notamment en acceptant un travail à temps partiel. Certes, aujourd’hui, des hommes prennent un congé parental, mais ce phénomène est relativement nouveau et la proportion de femmes travaillant à temps partiel ou en congé parental partiel est toujours bien plus forte.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est bien que les hommes prennent leur congé de paternité, mais certains prennent-ils aussi un congé parental ?

Mme Charlotte Duda. Oui, des hommes prennent bien entendu un congé parental. Dans l’entreprise dont j’ai la charge, des hommes ont choisi de s’arrêter de travailler pour s’occuper de leurs jeunes enfants. C’est un phénomène qui se répète assez régulièrement.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Même si leur poste est supérieur à celui de leur compagne ?

Mme Charlotte Duda. Le niveau du poste n’entre pas en ligne de compte dans ce cas de figure : il s’agit plutôt d’une population de niveau technicien, à BAC + 2 à 4. Tout dépend du degré de stabilité de l’emploi : si la femme est enseignante, c’est plutôt l’homme qui s’arrêtera, le travail dans la fonction publique étant considéré comme plus sécurisant et moins contraignant.

Pour en avoir souvent discuté avec mes jeunes collaborateurs, je sais que pour un couple – dans un raisonnement de gestion de carrière à court terme – il est parfois plus intéressant au regard des coûts de transport, de garde d’enfant et d’autres frais associés, de s’arrêter de travailler dans le cadre d’un congé parental, voire de faire une demande de licenciement, pour passer le cap le plus sensible de l’éducation d’un enfant en bas âge, avant de revenir après un an ou deux sur le marché du travail. Ce phénomène se retrouve dans nombre d’entreprises.

Il existe plusieurs parcours de carrière, selon que les femmes sont non qualifiées, qualifiées ou surqualifiées. Il est évident cependant que l’on est loin du compte s’agissant du plafond de verre et du fameux quota de 40 % dans les conseils d’administration. Néanmoins, il est important de souligner la prise de conscience du fait que rester à la maison pour élever les enfants n’est pas forcément le rôle exclusif de la femme.

Force étant pourtant de constater que les femmes étant majoritairement celles qui interrompent leur carrière, ceci entraîne pour elles certaines conséquences. Après un congé parental de trois ans, une personne qui revient travailler dans le secteur privé ne retrouve plus la même entreprise en termes d’enjeux et de dynamique. Les opportunités sont passées et elle ne peut connaître la même progression financière que ses collègues, lesquels ont évolué en termes de compétence, d’adaptabilité, de visibilité et de salaire. Le retard ainsi accumulé est quasiment impossible à rattraper, sauf dans des cas exceptionnels.

Certaines entreprises cependant – le plus souvent les grandes d’ailleurs – qui prennent à cœur l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans le travail construisent sur cette base des accords d’entreprise afin que ces phénomènes puissent être compensés. Aujourd’hui, par exemple, il est de moins en moins fréquent qu’une femme ne soit pas augmentée pour cause de maternité et donc d’absence de l’entreprise pendant plusieurs mois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La loi de 2006 l’interdit.

Mme Charlotte Duda. Certes, mais ce n’est pas vérifiable puisque les augmentations se font sur la base des compétences et de la performance.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce que vous dites conforte mes craintes au moment du vote de cette disposition.

Mme Charlotte Duda. Il est toujours possible de trouver une justification pour n’attribuer à une femme que 2,5 points au lieu de 2,8 sur l’échelle de la performance. C’est cependant de moins en moins fréquent, nombre d’entreprises s’étant engagées à ne plus du tout discriminer une femme pour cause de maternité.

Une vérification est toutefois possible en calculant la moyenne des augmentations d’un périmètre, mais je reviens là au postulat de départ : l’égalité professionnelle nécessite une volonté de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, dont les partenaires sociaux, ainsi qu’un suivi individualisé, afin de vérifier que l’égalité est bien réalisée. Il n’est pas forcément nécessaire de passer par des accords pour appliquer la loi.

En amont, un vrai problème se pose concernant l’orientation scolaire. Les entreprises héritent de la situation du marché de l’emploi. De plus si, aujourd’hui, de plus en plus de femmes font des études d’ingénieur, contrairement aux deux générations précédentes, encore faut-il, pour exiger des entreprises la parité, qu’il y ait parité de recrutement au départ. Aussi est-ce souvent par le biais des passerelles internes – mutations et opportunités diverses offertes par l’entreprise – que se fait le rééquilibrage, davantage que par le marché de l’emploi.

Certes, les choses bougent, et nous discutons avec l’éducation nationale et les universités. Mais en matière d’orientation, particulièrement des femmes, je ne suis pas certaine, avec tout le respect que j’ai pour les conseillers d’orientation, que ces derniers connaissent bien le monde de l’entreprise. C’est ce qui a régulièrement conduit notre association à proposer que les enseignants et les conseillers d’orientation fassent des stages longs en entreprise pour les connaître. Les entreprises sont beaucoup plus accueillantes qu’on ne l’imagine, et des structures comme le MEDEF et autres organisations patronales et les associations comme les nôtres sont prêtes à apporter leur aide.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Combien de temps devrait durer un tel stage ?

Mme Charlotte Duda. Pour bien comprendre le fonctionnement d’une entreprise, il faut y passer un, deux, voire trois mois. C’est à mon avis le minimum si l’on veut conseiller quelqu’un autrement qu’à partir d’une connaissance théorique des métiers. Cela devrait faire partie de la formation des enseignants – mais tel est le cas dorénavant dans les IUFM – et des conseillers d’orientation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les IUFM sont appelés à disparaître.

Mme Charlotte Duda. Mais les stages font partie intégrante de certains cursus dans les universités. Et si l’on envoie des élèves pour trois jours de découverte en entreprise, il faudrait aussi y envoyer les enseignants.

Je cite souvent l’exemple de ces jeunes qui passent une maîtrise d’histoire. Souvent, les conseillers d’orientation leur disent qu’ils ont choisi une mauvaise orientation et qu’elle ne mène pas un métier. C’est faux : ces jeunes savent rassembler des données, les analyser, les synthétiser, les mettre en forme, voire en perspective, autant de compétences très intéressantes pour les entreprises. C’est pourquoi nous nous attachons au sein de l’association, avec le MEDEF et les universités, à porter un discours qui soit différent concernant les diplômes. Un étudiant ne doit plus seulement arguer d’un diplôme mais il doit y associer des compétences en soulignant les acquis en termes de savoir faire.

Tout le travail qui se fait aujourd’hui pour ouvrir aux jeunes diplômés universitaires et même aux doctorants les portes d’entreprises qui n’auraient pas a priori eu l’idée de les embaucher – c’est-à-dire des entreprises autres que celles qui les recherchent spécifiquement parce qu’elles travaillent dans le même univers, par exemple scientifique ou mathématique – est très constructif, car ces jeunes sont avant tout des généralistes aux nombreuses compétences. Or les entreprises ont aussi besoin de généralistes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Cela n’est pas assez mis en avant.

Mme Charlotte Duda. Pour nous, il est très important de donner à toutes les parties, y compris aux recruteurs, une vision différente des diplômes, car aujourd’hui personne ne sait leur associer des compétences, sauf peut-être pour les diplômes d’ingénieurs de certaines grandes écoles.

Le rôle des réseaux de femmes est également très important en termes d’estime et de confiance en soi. Elles peuvent y trouver la force de dénoncer une discrimination en parlant à des pairs. Contrairement aux idées reçues, les femmes sont très solidaires entre elles, et il est très fréquent qu’une femme en embauche une autre. Lorsqu’une femme prend la tête d’un département, ce dernier a tendance à se féminiser : c’est un phénomène connu. Il est donc important de communiquer sur les réseaux de femmes pour qu’une solidarité interfemmes se mette en place.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En existe-t-il beaucoup ?

Mme Charlotte Duda. Oui et de plus en plus. Vous connaissez l’association Force femmes, qui aide au retour à l’emploi après une rupture longue de la vie professionnelle, et le travail du groupe Grandes écoles au féminin. Il serait intéressant que des sections d’anciennes élèves des lycées se créent également. Les réseaux féminins doivent se développer car ils constituent réellement des réseaux d’entraide importants en termes de gestion de carrière – comme d’ailleurs pour les hommes !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Entre 2002, année où j’ai pris la présidence de la Délégation, et aujourd’hui, l’évolution a été spectaculaire. On ose parler des femmes qui réussissent.

Mme Charlotte Duda. Hier soir, j’ai entendu à la radio les deux femmes qui ont dirigé la rédaction d’un livre sur douze femmes ordinaires à la vie extraordinaire. Ce livre porte – ce qui est tout à fait nouveau – sur douze femmes qui, dans le monde, ont montré par leur manière de travailler, par leurs réseaux, qu’il était possible de faire bouger les mentalités.

Les partis politiques ont aussi un rôle à jouer pour donner une place un peu particulière aux jeunes femmes qui les rejoignent ou pour leur donner envie de faire de la politique.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce n’est pas évident. La sphère politique est difficile pour les femmes.

Mme Charlotte Duda. C’est pourquoi je trouve que l’on demande beaucoup aux entreprises. Non seulement elles héritent de la situation du marché de l’emploi, mais elles n’ont pas toujours l’exemple au plus haut niveau. L’égalité est un vrai faux sujet en termes de volonté politique. Or tout le démontre : pour faire bouger les choses dans une entreprise, dans la société, il faut une réelle envie d’agir. Il nous est très fréquemment arrivé d’interpeller les pouvoirs publics en leur demandant où était leur vraie volonté. Du reste, le plafond de verre ne découle-t-il pas de l’ensemble ?

Lorsqu’une profession commence à se féminiser, les fonctionnements se démasculinisent. Mais si les ressources humaines se sont féminisées ces dernières années, les DRH restent majoritairement des hommes. Nous organisons dix réunions par an avec 70 à 120 numéros un. Il est rare que nous soyons alors plus de cinq femmes professionnelles dans la salle.

Il faut d’ailleurs savoir que depuis la création de notre association en 1947, soit depuis soixante ans, je suis la première femme à la diriger. Même si c’est un signe positif, il est révélateur.

Aujourd’hui, avec le recul de sept années de travail dans les instances nationales de l’association – deux ans comme vice-présidente et cinq ans comme présidente –, je puis en tirer deux conclusions.

Premièrement, il faut dissocier la question de l’égalité professionnelle de celles liées à la discrimination. Les femmes représentent 50 % de l’humanité et la question ne peut donc se poser qu’en termes de diversité. C’est la position officielle de l’association.

Deuxièmement, même s’il a été difficile de l’admettre, seule l’imposition de quotas peut faire avancer les choses. Elle ne règle pas le problème, mais elle aide à le résoudre aussi bien dans le champ de la politique que dans celui des entreprises.

Mme Marie-Jo Zimmermann. C’est un mal nécessaire.

Mme Charlotte Duda. C’est en tout cas une transition nécessaire et d’autres pays ont mis en place des quotas.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’une des premières lois que Barack Obama a signée n’a-t-elle pas portée justement sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes ?

Mme Charlotte Duda. En tout cas, au sein de nos compagnies, nos collègues américaines sont beaucoup plus combatives que nous, et cela ne tient pas seulement à leur nature : ce sujet ne se discute même pas pour elles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En Norvège, la loi a imposé 40 % de femmes dans les conseils d’administration, faute de quoi la loi prévoit sa dissolution.

Mme Charlotte Duda. On n’imagine pas un tel quota en France. En effet, tout ne peut se faire « d’un seul coup ». Aussi, pour rendre réaliste l’imposition de quotas, il faut d’abord procéder par l’exigence d’un pourcentage de progression sur une période donnée. On ne peut pas changer radicalement les choses sur le court terme.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais il est possible d’en imaginer d’autres.

Mme Charlotte Duda. En tout cas, contraindre les entreprises à s’engager est possible. On le fait bien pour la diversité, concernant notamment le handicap. Mais, je le répète, il faut travailler sur les causes en amont pour que les entreprises puissent recruter des femmes.

L’obligation faite aux entreprises permet d’améliorer la situation ; il n’est pas obligatoire pour autant de leur imposer à toutes un même quota, sachant que les emplois en France résident essentiellement dans les PME et les TPE et que la mise en place des quotas n’y est pas évidente. En outre, comment pourra-t-on alors assurer un suivi de toutes les entreprises ? On raisonne toujours par rapport aux entreprises du CAC 40 ou aux grandes entreprises, mais elles ne représentent pas l’essentiel des emplois.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La Délégation a d’ailleurs demandé une adaptation de la loi de 2001 pour les PME-PMI sachant justement la difficulté à y instaurer une égalité. Pour votre part, êtes-vous favorables aux quotas ?

Mme Charlotte Duda. Nous sommes favorables à la mise en place d’objectifs de progressivité et à l’obligation faite aux entreprises de dresser des bilans en matière d’égalité professionnelle. Nous ne sommes pas favorables en revanche à des quotas imposés d’emblée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Que pensez-vous de la mise en place de pénalités ?

Mme Charlotte Duda. Si on demande des comptes, les choses changeront, comme à chaque fois qu’un risque de pénalité est encouru. Il faut au moins exiger que le bilan soit réalisé.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faut simplement faire appliquer la loi.

Mme Charlotte Duda. Il convient par ailleurs que chaque entreprise s’engage, année après année, à dresser un état des lieux et à améliorer la situation. Si cela se révèle impossible, il faut qu’il puisse en être objectivement attesté par toutes les parties.

S’il existe des pénuries de candidates dans certains secteurs, des entreprises ont su convaincre des lycées professionnels d’apprendre par exemple la chaudronnerie à des filles, lesquelles s’en sortent très bien. C’est d’autant plus possible que, dans le bâtiment, le ratio des femmes est maintenant significatif.

Si les femmes ont la possibilité d’investir un espace professionnel, elles le feront, surtout si on ne leur barre pas la route !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En Lorraine, une inspectrice d’académie avait pris l’habitude de nommer des femmes à la tête des lycées professionnels. Les outils permettant de féminiser certaines sections ayant été en outre améliorés en liaison avec la région, la population de ces sections a alors considérablement évolué !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis stupéfaite de l’évolution en cinq ou six ans de l’état d’esprit des gens face à la question de l’égalité ! Il serait intéressant à cet égard de savoir si, de leur côté, les partenaires sociaux ont également évolué en la matière.

Mme Charlotte Duda. Le directeur du travail des Yvelines avait lancé une grande initiative sur le thème de l’égalité entre les hommes et les femmes en réunissant les DRH et les représentants syndicaux de plusieurs entreprises. Ces réunions ont permis de montrer que 90 % des accords d’entreprise ou des démarches vertueuses lancées en la matière étaient dus à l’initiative du DRH ou d’un dirigeant de l’entreprise ou avaient été rendus possibles parce que le délégué syndical concerné était une femme.

Si certaines générations d’hommes se posent la question de l’égalité professionnelle, ils ne la placent pas parmi leurs priorités, sauf lorsque des femmes sont déléguées syndicales, auquel cas ils y sont très sensibles. Mais ces dernières sont parfois seules à porter leur voix au milieu d’un aréopage de représentants du personnel hommes et ne sont pas toujours suivies par leurs collègues.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans certaines entreprises, ce sont les assistantes sociales qui vont solliciter le DRH pour lui demander de faire un point sur l’égalité !

Mme Charlotte Duda. Comme espace d’alerte, les médecins du travail et leurs équipes ont un rôle très important à jouer concernant les conditions de travail et la qualité des managements. Il faut travailler avec eux et les assistants sociaux.

Des travaux le prouvent : il n’y a pas des compétences masculines et des compétences féminines. Un garçon peut être secrétaire ou assistant et une fille peut être chaudronnière. Ce n’est pas une question de genre et il est très important de combattre les idées reçues. Il est malheureusement très rare de voir un homme secrétaire, sauf secrétaire général ! Il faut donc travailler sur les mentalités.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les filles des personnes de notre génération peuvent faire évoluer les choses. C’est pourquoi il faut continuer à nous battre, car même si nous avons légiféré, la question est loin d’être réglée.

Mme Charlotte Duda. Je vous ferai parvenir en mai prochain le document, en cours de finalisation, qui reprend les propositions de notre association.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me reste, madame, à vous remercier.

Audition de Mme Karako
responsable diversité du groupe BNP Paribas,
sur l'accès des femmes aux responsabilités

(procès-verbal du 23 juin 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je souhaite la bienvenue à Mme Élisabeth Karako, responsable diversité du groupe BNP Paribas.

Le groupe BNP Paribas a signé plusieurs accords relatifs à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et a entrepris des actions pour offrir aux femmes et aux hommes les mêmes opportunités de carrière, en vue de briser le plafond de verre. Contrairement à certaines entreprises françaises, qui ont du mal à concrétiser leurs intentions, je crois que les initiatives prises par BNP Paribas méritent d’alimenter la réflexion de la Délégation.

Mme Élisabeth Karako. Notre responsable de la gestion de carrière « monde » avait mis sur pied des groupes de travail sur ce thème, dès la fin de l’année 2003. Ce travail a été facilité ensuite par l’adoption de la charte sur l’égalité professionnelle en 2004, puis par le vote de la loi de 2006. Ceci a effectivement abouti à la conclusion d’un premier accord en 2004, renouvelé le 30 juillet 2007, et d’un accord intermédiaire relatif au rattrapage salarial à la suite des congés de maternité, conclu en 2006. Parallèlement, un groupe d’une dizaine de femmes cadres supérieurs baptisé « Mix City », a été constitué dans le but de promouvoir des femmes dans l’entreprise.

L’accord de juillet 2007 est le plus abouti. Il reprend toutes les étapes de la gestion de carrière, depuis le recrutement jusqu’à la retraite. Pour nous, la mixité fait partie de la diversité car la discrimination à l’égard des femmes procède de la même logique que les autres discriminations. En faisant reculer la discrimination, on fait aussi avancer la problématique des femmes. Les femmes sont généralement discriminées par des hommes ; pour l’homme, la femme est autre. Or toutes les discriminations se fondent sur le fait de considérer une personne comme différente.

Nous avons également, dès 2004, placé la diversité au sein des processus de ressources humaines et de la gestion de carrière. Nous nous sommes en effet rendu compte que ces sujets ne peuvent progresser que par la contrainte. Nous avons enfin cherché à passer des accords pour les personnes handicapées ou les seniors, accords assortis d’indicateurs, afin de permettre une évolution.

Pour réussir, les politiques de diversité et de mixité doivent être portées par des responsables. Si la direction générale, la direction des ressources humaines et les partenaires sociaux n’y croient pas, rien ne peut avancer. Or nous avons immédiatement été très soutenus par Michel Pébereau et Baudouin Prot, ainsi que par notre nouveau directeur des ressources humaines.

Notre société appartenant à un secteur économique qui, contrairement à l’industrie, n’éprouve pas de difficultés à attirer des talents féminins – nous employons environ 53 % de femmes –, le seul problème à traiter est celui du plafond de verre. Il faut donc concentrer les efforts sur ce point.

Nous sommes convaincus que la discrimination envers les femmes est moins liée à de la mauvaise volonté qu’aux stéréotypes et aux représentations. Nos politiques, depuis 2007, ont donc évolué vers des actions de formation sensibilisant nos collaborateurs à ces deux sujets.

Nous embauchons plus de femmes que d’hommes et, au recrutement, les rémunérations sont rigoureusement identiques pour les hommes et les femmes, puisque nous appliquons des grilles. Mais on constate des décalages dans les rémunérations et les promotions, très rapidement, à partir de la deuxième, de la troisième ou de la quatrième année. Pendant longtemps, nous avons cru que ceci était lié aux conséquences des congés de maternité. En réalité, ils les managers vont plus loin : ils les anticipent, inconsciemment et involontairement, en bloquant la promotion ou le salaire des jeunes femmes qu’ils croient susceptibles de quitter l’entreprise ou d’interrompre sa carrière pour ce motif.

Nous avons organisé des audits qualitatifs et quantitatifs à propos des discriminations et ceux concernant les femmes ont confirmé qu’il existe de nombreuses représentations, de stéréotypes et de fausses croyances sur la durée des congés de maternité, le désinvestissement des femmes revenant d’un congé de maternité, etc. Nos managers ayant été sensibilisés, les directeurs de pôle ayant très vite pris le sujet à bras-le-corps, le phénomène est en recul, mais il est toujours présent.

En 2004, « Mix-City » a invité sept membres du G100 – le groupe des cadres supérieurs de la banque – pour les confronter au sujet de l’égalité femmes-hommes en leur demandant de s’exprimer sans langue de bois. Ils ont répondu très sincèrement qu’ils préfèrent promouvoir ou augmenter un homme qu’une femme, qui sera moins encline à protester et à revendiquer. Il faut créer des électrochocs pour faire comprendre certaines choses.

Mme la présidente. J’ose espérer que les hommes n’ont pas conscience de ces comportements.

Mme Élisabeth Karako. J’en suis de plus en plus convaincue.

Mme la présidente. La jeune génération, celle des hommes de trente à quarante-cinq ans, est-elle plus consciente de la réalité ?

Mme Élisabeth Karako. Ils sont plus sensibles au sujet, donc plus conscients, mais ils peuvent très vite adopter les mêmes comportements que les personnes qui travaillent avec eux pour ne pas se différencier du groupe. Chez BNP Paribas, nous intervenons beaucoup dans le champ de la parentalité et nous venons de décider de rémunérer le congé de paternité car l’égalité dans la sphère personnelle et familiale conditionne l’égalité professionnelle. Dans des équipes jeunes où tous les collaborateurs demandent un congé de paternité, il n’y a pas de problème ; en revanche, dans un milieu où cela ne se fait pas, personne ne le demandera, pour ne pas apparaître comme différent.

Mme la présidente. Pourquoi partez-vous de la problématique de la diversité pour traiter de l’égalité entre les femmes et les hommes ?

Mme Élisabeth Karako. En 2003-2004, la première thématique que nous avons traitée était l’égalité. Mais l’égalité dépend du recul de la discrimination, donc de l’avancée de la diversité. Si tous les problèmes de discrimination sont résolus, tous les problèmes d’inégalités le sont aussi. Nous avons d’emblée sélectionné quatre axes de travail – l’égalité femmes-hommes, le handicap, la diversité des origines et la diversité des âges –, sans jamais perdre de vue la discrimination. Parmi nos trente risques opérationnels majeurs, nous avons inscrit le risque de discrimination, ce qui nous permet d’être très vigilants, avec un suivi des actions et des incidents, à partir de dix-huit critères discriminatoires. Si la culture de l’action contre les discriminations entre bien dans la tête de nos collaborateurs, la culture de l’égalité des chances et de la diversité y entrera aussi. Cet angle d’attaque fait notre originalité.

Mme la présidente. Effectivement, appréhender la diversité par les seules origines serait une erreur.

Mme Élisabeth Karako. C’est en effet très dangereux pour la diversité. Sur mes recommandations, BNP Paribas a refusé de signer le label « égalité femmes-hommes », alors qu’elle est la première entreprise à avoir signé le label « diversité ». L’AFNOR, l’Agence française de normalisation, nous a audités à propos du label « diversité », et il apparaît que nous agissons autant sur l’égalité hommes-femmes que sur les autres axes. Si nous signions de multiples labels ayant la discrimination pour point commun, nous risquerions de nous éparpiller et de fatiguer nos collaborateurs.

Les managers sortent différents de nos formations, ils nous le disent et surtout ils le montrent dans leur comportement en changeant de regard sur l’autre. J’avais accepté ce poste de responsable diversité à condition que l’on me laisse travailler sur les peurs et sur l’altérité. J’ai toujours exigé de travailler sur le fond plutôt que dans un esprit de combat ou de recherche de l’égalité. Je m’efforce de sensibiliser tous les salariés au fameux IAT – Implicit Association Test – développé par Harvard, qui montre comment fonctionne le cerveau face à la différence.

Mme la présidente. Parvenez-vous à partager votre mode de fonctionnement avec d’autres entreprises ?

Mme Élisabeth Karako. Nous avons adhéré à de multiples organismes –Association française des managers de la diversité, Institut du mécénat et de la solidarité – afin de partager notre expérience et de nous enrichir de celle des autres. Beaucoup d’entreprises se sont inspirées, par exemple, de notre formation « Manager la diversité ». Depuis l’obtention du label « diversité », je rencontre trois ou quatre entreprises par semaine.

Mme Pascale Crozon. Pour beaucoup, le mot « diversité » fait avant tout référence aux origines. Le danger est d’englober l’égalité entre les hommes et les femmes dans la diversité et donc de mettre au second plan ce combat, qu’il reste pourtant à mener.

Mme Élisabeth Karako. Je parle souvent d’« esprit diversité » car cela ôte la connotation de minorité.

Mme Pascale Crozon. Travaillez vous avec la déléguée régionale aux droits de femmes et à l’égalité, afin de bénéficier des crédits dont elle dispose ? Il serait intéressant que vous provoquiez une rencontre avec elle car vous pourriez aussi bénéficier de ses réseaux.

Mme Élisabeth Karako. Non, mais je n’occupe ce poste que depuis dix-huit mois, et nous sommes par ailleurs beaucoup sollicités pour participer à des observatoires.

Mme la présidente. Votre approche, madame Karako, est originale et intéressante.

Mme Élisabeth Karako. Elle sera intéressante tant qu’elle portera ses fruits !

Il n’en demeure pas moins que le terme « diversité » recèle des dangers et qu’il doit être défini. La coexistence entre deux labels a aussi sans doute jeté un trouble. Mais la sensibilisation interne joue positivement : depuis cinq ans, lorsque nous invoquons la diversité, nos collaborateurs savent que cela va aussi dans le sens du combat des femmes.

Mme Pascale Crozon. Le problème se pose surtout vis-à-vis de l’extérieur.

Mme Élisabeth Karako. Absolument. Je suis d’ailleurs souvent conduite à me faire appeler « responsable diversité et mixité », alors que, au départ, je ne souhaitais pas adjoindre ce deuxième terme, considérant qu’il s’agit du même sujet.

M. Jean-Luc Pérat. Comment les hommes réagissent-ils à la montée en responsabilité des femmes ? Adhèrent-ils à vos efforts de façon contrainte et forcée ? Mon appartenance à cette Délégation traduit le souhait que cela relève davantage d’un état d’esprit. Dans votre entreprise, l’évolution des mentalités est-elle consommée ou bien rencontre-t-elle encore de nombreux freins ?

Mme Élisabeth Karako. La mentalité des hommes dépend de plusieurs facteurs. Leur environnement familial joue : ceux qui ont des filles, notamment, se disent beaucoup plus sensibles à ce sujet que ceux qui n’en ont pas. Une meilleure ouverture d’esprit permet aussi d’aller plus vite dans l’apprentissage de l’égalité. Enfin, un manager de haut niveau, dirigeant une grosse équipe qui avance sur le terrain de la performance grâce à l’égalité et à la mixité sera beaucoup plus ouvert qu’un manager n’ayant jamais encadré de femmes.

Au départ, on s’amusait de notre dispositif, mais ce n’est plus le cas car la direction générale l’a porté et a organisé des formations démontrant que la tolérance, l’égalité et la diversité font progresser l’intelligence, la créativité et la performance. Il faut de la contrainte, à travers les processus de ressources humaines, de la sensibilisation, à travers des formations, et de l’évaluation des performances par le biais d’audits.

L’idéal est de rendre les collaborateurs heureux une fois qu’ils ont accepté et admis la contrainte. Des managers qui avaient participé à notre « soirée électrochoc » nous ont indiqué qu’ils avaient promu des femmes et qu’ils les trouvaient performantes. Je m’interroge toutefois sur la mise en place de quotas car si notre conseil d’administration est très féminisé – à hauteur de 26 % –, notre comité exécutif ne comporte aucune femme et notre plan de relève ne permettra pas de parvenir à la parité dans cinq ans. Je préfère toutefois les changements digérés aux changements imposés, l’évolution des états d’esprit à l’imposition par la loi.

Mme Pascale Crozon. Les deux types d’actions, contraignantes, à court terme, et spontanées, à long terme, ne doivent-elles pas être menées de front ?

Mme Élisabeth Karako. La contrainte a aussi une vertu pédagogique car ses motifs peuvent être expliqués.

M. Jean-Luc Pérat. Votre entreprise a-t-elle impulsé une dynamique d’intégration des personnes handicapées ? Et comment les responsables de service de BNP Paribas se comportent-ils face à la maternité ?

Mme Élisabeth Karako. Je supervise une équipe handicap de quatre personnes et nous avons signé l’accord « handicap » l’année dernière. Nous sommes loin des 6 % d’emploi de personnes handicapées requis par la loi, mais nous agissons exactement comme pour les autres volets de la diversité, par de la sensibilisation, notamment en vue de recruter davantage de personnes handicapées et d’adapter les postes. Mais nous rencontrons toujours des réticences, en particulier nous devons informer sur le fait qu’il existe diverses sortes de handicap. Nous faisons tourner des ateliers dans le groupe afin de montrer à nos collaborateurs que des outils technologiques permettent aux personnes handicapées d’être aussi performantes que les autres.

Le sujet de la maternité est très difficile. Nous rappelons aux hommes qu’un congé de maternité ne court que pendant quelques mois et doit donc être géré comme l’absence d’un malade, par une bonne anticipation, un partage du travail – éventuellement récompensé financièrement – et une bonne préparation du retour. Chez BNP Paribas, les femmes ont une moyenne de 2,1 enfants, ce qui représente seulement quelques mois dans une vie professionnelle de quarante-cinq ans. Bref, nous déconstruisons les stéréotypes. On découvre très vite que le motif d’angoisse n’est pas la maternité en elle-même mais l’après-maternité, avec les absences ou les demandes de congés le mercredi. Nous revenons là sur le terrain du bon management, du management du XXIe siècle, qui recherche non pas le présentéisme mais l’efficacité : l’aménagement et l’organisation du temps de travail permettent de sortir d’un modèle archaïque de présence à horaires fixes. Le groupe Mix City édite d’ailleurs des petites plaquettes très simples, intitulées « Comment gérer un congé de maternité ? » ou « Maternité et adoption ».

Mme Pascale Crozon. Une association spécialisée sur le thème du handicap dans l’entreprise propose un programme très intéressant sur support informatique, en particulier en faveur des sourds et muets, pour adapter le comportement des salariés face à leurs collègues handicapés et ainsi favoriser l’intégration de ces derniers. Je veux bien vous communiquer ses coordonnées.

Mme Élisabeth Karako. Avec plaisir. La problématique du handicap concerne d’abord le système éducatif, car les jeunes handicapés suivent rarement des études supérieures, alors que les entreprises recrutent au niveau de qualification bac ou bac plus deux. Un groupe de travail se met actuellement sur pied sur ce sujet, autour de Valérie Pecresse. Avec une dizaine d’autres banques, nous essayons de contourner le problème par le biais de l’association HandiFormaBanques, dont nous assurons la présidence, qui forme des jeunes handicapés – mais les effectifs concernés ne sont que de quinze ou vingt personnes.

Mme la présidente. En 2008, vous avez consacré 1 million d’euros aux actions de rattrapage des écarts salariaux. Cela a-t-il posé des difficultés ?

Mme Élisabeth Karako. Bien sûr ! Nous avons opéré de façon systématique, en prenant en compte les rémunérations des 40 000 salariés du groupe et en comparant la situation des femmes et celle des hommes à niveau hiérarchique, âge et qualification identiques. Nous avons décidé de rattraper l’écart pour tout le monde en y affectant la somme symbolique de 1 million par an jusqu’à 2010 et en commençant par les femmes les plus pénalisées. En fin d’année, tous les gestionnaires de carrière ont reçu la liste des personnes dont le salaire présente une différence et il leur est demandé de justifier cet état de fait. Ils ont dû se tourner vers les managers, ce qui les a conduits à travailler sur la notion de performance, avec une incidence pédagogique certaine. Au départ, les hommes ont demandé que les décalages constatés entre eux soient aussi compensés et ont prétendu qu’ils seraient bientôt défavorisés et qu’il faudrait alors assurer un rattrapage en leur faveur !

Mme Pascale Crozon. La parité en politique a été très critiquée par les hommes mais elle leur servira peut-être plus vite qu’ils ne le pensent.

Mme Élisabeth Karako. Tout à fait, car tout travail sur l’égalité dépasse rapidement le cadre fixé au départ et finit par bénéficier à tous. Notre directeur des ressources humaines dit toujours que, en matière de parentalité, les hommes se cachent derrière les femmes.

Mme Pascale Crozon. Dispensez-vous de petites formations sur le partage des tâches au travail et, par voie de conséquence, dans la sphère privée ?

Mme Élisabeth Karako. Étant convaincue que l’égalité au travail dépend de l’égalité à la maison, j’ai organisé une opération coup-de-poing en faisant distribuer à tous les hommes du groupe un guide consacré à ce sujet. Il s’agissait de discrimination volontaire !

M. Jean-Luc Pérat. Certains hommes assurent aussi des tâches à la maison.

Mme Élisabeth Karako. Mais la situation évolue très peu et ils relâchent leur effort une fois que leur conjointe met sa carrière entre parenthèses, par exemple après la naissance du deuxième enfant. Je pense donc que les futurs seniors en feront à peu près aussi peu que leurs aînés.

Mme la présidente. Quelle est votre position à propos de la représentation des femmes dans les conseils d’administration ? Nos amendements avaient été votés en 2006, mais déclarés inconstitutionnels par le Conseil constitutionnel. Maintenant que la réforme constitutionnelle a été adoptée, nous attendons de pouvoir revenir su cette réforme en faisant passer le taux de féminisation des conseils d’administrations de 20 à 40 %.

Mme Élisabeth Karako. Notre groupe n’est pas partisan des quotas mais d’une évolution naturelle. Avec 26 % de femmes – dont certaines étrangères –, notre conseil d’administration est le deuxième plus féminisé de France, grâce au travail de Michel Pébereau et de Baudouin Prot. Au sein du conseil d’administration, le dossier égalité a été confié à une avocate allemande, qui assistera à notre formation sur la diversité de septembre.

Mme Pascale Crozon. La notion de quotas n’a pas très bonne presse ; nous nous orientons maintenant plutôt vers la parité.

Mme la présidente. Mais cette notion de quotas est plus politiquement correcte qu’elle ne l’était il y a cinq ans ; elle n’est plus taboue.

Mme Élisabeth Karako. Des femmes emblématiques à la tête de grandes entreprises évoquent de plus en plus le recours à des quotas, constatant l’échec des autres mesures. Cette évolution est très rapide : elle est intervenue en deux ans, depuis mon arrivée à ce poste.

Mme la présidente. Notre première série d’auditions n’avait débouché sur rien. Les mêmes personnes, aujourd’hui, ont intégré la question. Je vous remercie.

Audition de M. Michel Miné
professeur de droit du travail au Conservatoire national des arts et métiers

(procès-verbal du5 mai 2009)

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous vous remercions, monsieur Miné, de venir nous apporter votre éclairage sur le dispositif législatif actuel de lutte contre la discrimination sexuelle et sur la proposition de loi n° 1533 tendant à favoriser l’égal accès des femmes aux responsabilités professionnelles.

M. Michel Miné, professeur de droit du travail au Conservatoire national des Arts et Métiers. Le colloque qui a eu lieu au Conseil économique, social et environnemental a montré que le bilan était très insuffisant.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. C’est aussi mon avis. Il faut procéder à une évaluation précise de l’application des lois, en particulier celle de 2001 relative à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

M. Michel Miné. D’autant que la loi de 2006 relative à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes prévoit, ce qui est unique dans notre législation, une obligation de résultat en requérant la suppression des écarts de rémunération entre femmes et hommes au 31 décembre 2010.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Quelles sont les sanctions existantes ? Sont-elles suffisantes ?

M. Michel Miné. Il faut souligner que des sanctions existent même si elles ne sont pas spécifiques : l’idée selon laquelle il n’y en aurait pas, est fausse. Si une entreprise ne respecte pas l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de valeur égale, le code du travail prévoit des sanctions civiles et pénales. Et, quand les juridictions sont saisies, ces sanctions sont appliquées.

Très récemment, une entreprise a été condamnée pour discrimination sexuelle en raison de la prise en compte des congés de maternité dans le déroulement de carrière. La Cour de cassation a rendu un arrêt très important (chambre sociale, 16 décembre 2008, AFPA) dans cette affaire où la femme s’était vue refuser, à fonction équivalente, la même classification et la même rémunération que les autres salariés au motif qu’elle avait été recrutée comme sténodactylo alors que ses collègues, masculins, avaient des diplômes d’informaticien. L’employeur n’ayant pu apporter la preuve qu’un diplôme obtenu dans le passé suffisait pour apporter au travail effectué une valeur ajoutée supérieure, la Cour en a déduit qu’il n’y avait pas de justification à la différence de rémunération. Elle a donc confirmé le jugement de la cour d’appel qui avait condamné l’entreprise à reclasser la salariée et à effectuer un rappel de salaire de plus de 241 000 euros.

Cette affaire met en lumière des modes de raisonnement qu’il faut mettre en œuvre. Les sanctions existent et, en outre, les juridictions civiles, en application de la jurisprudence communautaire, octroient non seulement des dommages et intérêts, mais opèrent une « réparation intégrale », c'est-à-dire qu’elles procèdent à des requalifications, des modifications de contrat de travail et de rémunération. Elles replacent la personne dans la position qui aurait dû être la sienne si l’acte discriminatoire n’avait pas eu lieu.

La question est de savoir pourquoi il y a si peu de recours.

Le premier point consiste d’abord à mieux cerner les processus discriminatoires.

Il faut pouvoir identifier les discriminations sexuelles dans l’entreprise et d’abord comprendre que la règle d’égalité des rémunérations vaut pour un travail de valeur égale. C’est ce que prévoient la Constitution de l’OIT de 1919 et sa convention sur l'égalité de rémunération de 1951, l’article 141 du traité d’Amsterdam depuis 1997, la directive communautaire de 1975, la loi française depuis 1972. « À travail de valeur égale, salaire égal ». Ce point est capital et fonde de nombreuses décisions de justice.

Il ne s’agit pas de savoir s’il s’agit du même travail. Bien sûr, les hommes et les femmes ne font pas le même travail car le marché du travail est sexué. Bien sûr, au sein d’une même entreprise, les hommes et les femmes n’ont souvent pas les mêmes tâches, quand bien même ils auraient les mêmes fonctions. La question est de savoir si ces tâches différentes sont de valeur égale. Et en cas de rémunération inégale c’est à l’entreprise de démontrer qu’elles ne le sont pas. Si elle ne le peut pas, cela montre a contrario qu’une disparité de rémunération ne se justifie pas. Qu’il n’y ait pas de malentendu : devant le juge civil, il n’y a pas de recherche d’intention, la discrimination peut ne pas être volontaire, mais simplement le fruit des habitudes.

Deuxième point à prendre en compte, l’appréciation des situations dans le temps. Au lieu de se contenter d’une photographie à un moment donné, il faut faire le film, comme au cinéma, du déroulement des carrières et comparer leurs évolutions. Or on le fait peu. Les indicateurs, tels que la durée moyenne entre deux promotions, qu’il est prévu de suivre dans la nouvelle version des rapports de situations comparées marquent une première étape, mais ne sauraient suffire. Replacer l’évolution des carrières dans le temps, mettra en évidence, un peu partout, des plafonds de verre, dont on ne soupçonne pas toujours l’existence. On connaît celui qui bloque l’accès des femmes aux fonctions de cadre supérieur, de direction et à la gouvernance des entreprises. Mais il en existe aussi dans les filières très féminisées. Au bout d’un certain nombre d’années, des femmes aux compétences reconnues n’ont plus aucune perspective de carrière et elles plafonnent très rapidement. Ces cas de figure sont beaucoup plus rares dans les professions très masculinisées, sans doute à cause du mode d’élaboration des grilles de classification : description de postes et critères des emplois. Cela signifie que le problème de l’égalité salariale ne sera pas réglé tant que ces grilles n’auront pas été retravaillées et que leurs critères n’auront pas été passés au peigne fin.

Troisième point, l’évaluation des professions très féminisées. Très longtemps, on a estimé qu’il ne pouvait pas y avoir de discrimination dans ces professions. Mais le droit communautaire, en s’inspirant de dispositifs en vigueur dans d’autres pays, nous conduit à nous demander comment ces emplois seraient traités s’ils étaient occupés par des hommes. Les cabinets spécialisés dans les bilans de compétence sont en mesure d’identifier les compétences que ces emplois exigent, et de les évaluer de la manière la plus objective possible en cherchant à se débarrasser de tous les stéréotypes sexués. Faute d’avoir accompli ce travail en amont, il ne sera pas possible ensuite de réévaluer les emplois au regard de la grille de classification qui existe dans la branche et ils seront oubliés.

Pour attaquer ces trois chantiers, il faut que ceux qui négocient dans l’entreprise – l’employeur et les délégations syndicales – aient été préalablement formés. Sinon, ils passeront à côté du sujet, même avec la meilleure volonté du monde. Toute une série d’arguments qui sont présentés pour expliquer la différence de traitement– la différence de travail, de diplôme,…– ne résistent pas à l’analyse. Ils continuent pourtant à être utilisés, malgré les quelque 200 décisions rendues par le juge communautaire depuis le début des années soixante-dix. Tout le monde ne peut pas les connaître, évidemment, mais l’enjeu est de taille. La chaire de droit social du CNAM propose un cycle de formation sur ces questions puisque les négociateurs ont besoin d’être formés. À défaut, ils concluront des accords dépourvus de véritable portée.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les syndicats en sont-ils conscients ?

M. Michel Miné. Les directions confédérales plus ou moins, car elles travaillent la question depuis longtemps. Mais les équipes qui négocient les conventions collectives de branche n’étant pas formées, risquent fort de passer à côté du sujet quand elles examinent les grilles de classification, les descriptions de poste, les critères de compétence.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le problème est le même pour les organisations patronales. L’une d’entre elles réclamait un canevas pour savoir comment s’y prendre.

M. Michel Miné. On ne peut fournir un livre de recettes. Il faut forcément en passer par une étape de formation. Elle est essentielle, ne serait-ce que pour déconstruire les processus discriminatoires.

Au sein du groupe Adecco, où j’ai été désigné comme expert à la fois par la direction et par les organisations syndicales. La négociation a commencé par un temps de formation en commun. Au moins les délégations ont-elles pu parler ensuite la même langue, éliminant par là même une série de fausses questions qui, en général, empoisonnent la discussion et empêchent de traiter du vrai sujet. C’est particulièrement vrai dans le domaine de l’égalité entre les femmes et les hommes qui met en jeu la représentation que les personnes se font de l’autre.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai l’impression que tout est une question de volontarisme en la matière.

M. Michel Miné. Tout à fait.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Depuis une dizaine d’années, la médiatisation a progressé et l’expertise aussi. C’est bon signe.

M. Michel Miné. La jurisprudence montre que les femmes qui ont saisi le juge, l’inspecteur du travail, et maintenant la HALDE, ont du faire preuve de beaucoup de constance. Avant d’en arriver là, elles ont épuisé toutes les voies de conciliation. Parfois, les entreprises seraient prêtes à reclasser les personnes, mais elles renâclent devant le rappel : 240 000 euros par exemple pour une salariée, ce n’est pas négligeable. Or il est difficile de passer outre, d’autant que la jurisprudence parle de « réparation intégrale », laquelle suppose de mettre à néant la discrimination en termes de classification et d’apurement du passif. Beaucoup de discriminations se cachent derrière des intitulés de poste différents pour des fonctions qui sont, en fait, équivalentes.

Des affaires de discrimination syndicale ont conduit à une réparation du préjudice subi par les syndicalistes, avec apurement du passif. Mais les femmes discriminées dans les entreprises concernées ne bénéficient pas du même traitement. Le paradoxe réside dans le fait que le droit s’est construit au niveau européen contre la discrimination sexuelle, mais qu’en France, il est trop peu utilisé en ce sens. Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, il sert à agir contre la discrimination syndicale, ce qui prouve qu’il n’y a pas de difficulté technique à l’utiliser. C’est une question de volonté de la part des organisations syndicales et des directions d’entreprise. Il y a des directeurs de ressources humaines prêts à jouer le jeu, mais la direction générale ou financière freine.

Pour en venir à la proposition de loi, j’aurais quelques remarques s’agissant de la représentation des salariées par le biais de la représentation du personnel.

Tout d’abord, il ne me semblerait pas juste d’exiger plus des organisations syndicales de salariés que des entreprises. Ainsi, il faudrait des règles équivalentes dans les instances représentatives du personnel et dans les conseils d’administration et autres structures commerciales.

Pour la représentation du personnel – délégués du personnel, comité d’entreprise et selon des modalités spécifiques comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – il faudrait obtenir une même proportion d’hommes et de femmes sur les listes de candidats que dans l’entreprise. Il faut à la fois atteindre cette proportionnalité et éviter que les femmes ne se trouvent en fin de liste, en prévoyant une alternance relative pour que les femmes et les hommes soient répartis de manière équilibrée sur l’ensemble de la liste. On ne peut pas instaurer autoritairement l’équilibre, mais, s’il n’est pas suffisamment respecté, la liste pourrait ne pas être recevable, comme la proposition le prévoit pour les listes prud’homales.

On peut aussi étaler dans le temps la mise en œuvre de ces dispositions en fonction de l’effectif de l’entreprise, par exemple dans quatre ans – soit la durée des mandats – dans les entreprises de plus de 1 000 salariés et moduler ensuite par tranche d’effectif.

Si une évaluation de l’application des lois de 2001 et 2006 est réalisée, il faudra qu’elle soit aussi bien quantitative que qualitative.

J’ai eu accès à un document de travail établi par un consultant pour l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) qui pourrait servir à la négociation de branche. Il vise à permettre de mettre en lumière des différences de rémunération pour des fonctions identiques, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg : quid des discriminations si les fonctions ne sont pas identiques, et du déroulement de carrière ? La jurisprudence a pourtant montré que des solutions existent en la matière. Quant à la question des emplois très féminisés, le même document ne comprenait pas de disposition particulière. Dans l’affaire Buscail contre IBM, la cour d’appel de Montpellier a adopté la méthode du juge communautaire, et mis en lumière que vingt ans environ après avoir été embauchés à des niveaux de qualification et de formation comparables, parmi un ensemble de salariés, tous les hommes étaient cadres, alors qu’aucune femme ne l’était. On s’aperçoit que les femmes restent beaucoup plus longtemps à chaque échelon sans que l’entreprise ne soit en mesure de fournir la moindre explication rationnelle.

Il faut d’ailleurs savoir que la salariée dont je vous ai parlé précédemment, avait, dans un premier temps, été déboutée par le conseil des prud’hommes. Les conseillers prud’homaux salariés n’étant pas habitués à détecter les discriminations sexuelles, le plus souvent ne les voient pas et, d’autre part, les conseillers prud’homaux employeurs sont extrêmement réticents à condamner une entreprise pour ce motif.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le faible nombre de femmes parmi les conseillers joue-t-il ?

M. Michel Miné. Oui. On l’a vu lors d’affaires de harcèlement sexuel : les plaignantes ont été déboutées par des juridictions masculines avant d’obtenir gain de cause devant une cour d’appel. La formation des conseillers, tant salariés qu’employeurs, constitue aussi un enjeu

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La présence des femmes est en faible progression.

M. Michel Miné. Il est souhaitable qu’il y ait davantage de femmes mais il faudrait surtout des conseillers formés sur cette problématique. Dans le monde des représentants des entreprises, les différences sont considérables entre les directeurs de ressources humaines partisans du volontarisme et ceux qui restent sur des schémas anachroniques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me semble que la HALDE elle-même a évolué.

M. Michel Miné. L’environnement ne l’y incitait guère. Le monde associatif féministe ignore encore largement le droit. Il ne constitue pas à ses yeux une ressource pour penser et agir. Les associations sont donc condamnées à une posture protestataire, à la dénonciation, au lieu de l’action. Du coup, la HALDE est très peu sollicitée. Or, tel un juge, elle répond aux questions qu’on lui pose. Il y a désormais des instruments, des modes de raisonnement qui ont été élaborés au niveau européen pour agir contre la discrimination sexuelle et que l’on utilise contre la discrimination syndicale ou raciale, mais trop peu à ce pour quoi ils ont été conçus. Ce n’est pas acceptable. Le « transfert de technologies » s’est fait, mais pas suffisamment, et pas là où on l’attendait.

La question des représentations est extrêmement importante. Dans les entreprises, les discriminations se cachent dans les intitulés de poste. Il arrive que les hommes et les femmes exercent des fonctions équivalentes, mais avec des intitulés différents selon le sexe auquel ils appartiennent. Il faut commencer par là. Et cela ne date pas d’hier. Je vous renvoie à l’arrêt Bocama de 1988 de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Qui, dans l’entreprise, peut se rendre compte de telles discriminations ?

M. Michel Miné. Les salariés en ont une connaissance empirique mais il y a beaucoup de déni et les stéréotypes cachent la réalité. Les délégués du personnel ont un droit d’alerte en matière de discrimination depuis la loi du 30 décembre 1992 et ils commencent à l’exercer. Ils saisissent l’employeur qui doit alors mener une enquête et prendre des mesures pour faire cesser la discrimination. S’il ne le fait pas, le délégué du personnel peut saisir directement le bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui peut ordonner, selon la forme du référé, toute mesure pour faire cesser la discrimination. La procédure est extrêmement efficace quand elle est mise en œuvre, mais elle suppose que les acteurs aient été formés à ces questions.

S’agissant de l’accès des femmes aux responsabilités, certains outils du droit français sont de nature à produire des discriminations indirectes. Les règles sur le temps de travail : par exemple, le régime particulier applicable aux cadres dirigeants et les forfaits jour qui allongent le temps de la semaine de travail – à tel point que le Conseil de l’Europe considère que la France viole la Charte sociale européenne révisée –, sont de nature à dissuader les femmes d’accéder à certains niveaux de responsabilité où elles ne bénéficieront plus, ou presque, de certaines dispositions protectrices.

En outre, eu égard à la répartition sociologique des tâches entre femmes et hommes, ces derniers pourront, eux, accepter des dossiers qui exigent des durées de travail extrêmement importantes si bien que, de manière très objective, l’employeur accordera la promotion à celui qui aura le plus travaillé sur certains dossiers. Le droit favorise cette discrimination, en ne fixant plus de limite.

Les parlementaires ont transposé dans le code du travail l’interdiction des discriminations indirectes en votant la loi du 27 mai 2008. Mais, dans le même temps, ils adoptent des mesures qui produisent de la discrimination indirecte, et qui sont contraires à certains engagements internationaux de la France. Pourtant, on ne peut pas se contenter du statu quo si l’on veut traiter la question de l’égalité professionnelle.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Monsieur le professeur, nous vous remercions.

Audition de Mme Jacqueline Laufer, professeur à HEC, directrice-adjointe du groupement de recherche européen du CNRS : Marché du travail et genre en Europe

(procès-verbal du 3 juin2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame, vous êtes professeur de sociologie au groupe HEC et directrice adjointe d’un groupement européen de recherche du CNRS : « Marché du travail et genre en Europe ».

Quel bilan tirez-vous des lois sur l’égalité professionnelle de 2001 et de 2006 ?

Comment, selon vous, la question de l’égalité professionnelle est-elle appréhendée par les entreprises et par les syndicats ?

Quelles stratégies préconisez-vous pour développer une plus grande mixité au sein des équipes de management, dans un contexte économique qui n’est pas des plus favorables aux femmes ? On nous répond souvent que la volonté d’y parvenir se heurte à un nombre insuffisant de femmes potentiellement en mesure de siéger dans les conseils. La Norvège elle-même, qui a imposé un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, n’a pas les mêmes résultats dans les exécutifs. Mais je remarque que si les lois sur l’égalité professionnelle ne sont pas appliquées dans l’entreprise, plus on montera dans la hiérarchie, moins on aura de chance de trouver des femmes aux postes de direction.

Mme Jacqueline Laufer. Ces deux thèmes : le bilan des lois sur l’égalité professionnelle et la place des femmes dans les équipes de management ont été au centre de mes travaux.

J’ai conduit, avec Rachel Silvera, une recherche sur une quarantaine d’accords négociés, collationnés auprès des syndicats et de l’Observatoire sur la responsabilité sociétale des entreprises. L’analyse de ces accords nous a convaincues du changement d’optique des entreprises. Vous avez mentionné les lois de 2001 et de 2006. Une comparaison s’impose avec la loi de 1983, bien que les actions positives – dont elle avait introduit le concept – aient plutôt concerné les femmes peu qualifiées que les femmes dirigeantes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce sont les femmes de la base qu’il faut faire monter dans la hiérarchie. Je me réfère souvent au cas de PSA, où certaines ouvrières sont devenues agents de maîtrise, puis cadres.

Mme Jacqueline Laufer. L’optique des accords de 2001 est fondamentalement différente de celle des accords de 1983. Les accords de 2001 sont consensuels, ils sont généralement signés par l’ensemble des syndicats, comme l’a été l’accord interprofessionnel de 2004.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. On ne met pas suffisamment en valeur cet accord.

Mme Jacqueline Laufer. En effet. C’est un accord très riche, qui recommande notamment des actions positives.

Les accords de 2001 se caractérisent par la volonté des acteurs d’appliquer le droit, qui est souvent rappelé dans les préambules. Bien que cela choque les juristes, il faut négocier des accords pour appliquer le droit, afin qu’il ne reste pas lettre morte. On y mentionne également que l’emploi féminin est une source de performance pour l’entreprise.

Ces accords témoignent d’une volonté de couvrir l’ensemble de la gestion du personnel : recrutement, formation, évaluation professionnelle, promotion, articulation entre responsabilité familiale et responsabilité professionnelle. Ils invitent à jeter un regard nouveau sur les politiques des ressources humaines et à se poser certaines questions – par exemple : ces politiques sont-elles dénuées de stéréotypes ? Prennent-elles en compte la situation particulière des femmes ? Enfin, ils évoquent l’accès des femmes aux responsabilités, ce qui n’était pas du tout le cas auparavant.

Ce thème est devenu légitime. Même les partenaires sociaux considèrent que la question de l’égalité professionnelle ne concerne plus seulement les ouvrières et les employées, mais également les femmes cadres, qu’il y a un problème en ce domaine et qu’il convient de l’examiner.

Ces accords abordent aussi la question de la neutralisation du congé de maternité (qui a été reprise dans la loi de 2006). Cela signifie que l’on peut concilier maternité et travail et que la maternité n’est pas fatalement une cause d’inégalité professionnelle. C’est fondamental. Il est inscrit, symboliquement et pratiquement, que maternité et travail ne sont pas antinomiques et qu’ils doivent s’articuler dans une perspective d’égalité de traitement et d’égalité des chances. Aujourd’hui encore, certains stéréotypes ont la vie dure, notamment celui qui consiste à dire que si les femmes se trouvent dans des situations inégales, c’est en raison de leurs choix familiaux.

Ces accords marquent donc un net progrès. On dispose malheureusement de peu de moyens pour évaluer leur incidence concrète. Le service des droits des femmes a dégagé un budget, mais il est nécessaire d’aller beaucoup plus loin dans l’évaluation de ces pratiques. Il est fondamental que les entreprises qui développent des pratiques novatrices puissent faire l’objet de rapports de recherche, de colloques, de débats.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La CGPME nous a dit qu’elle manquait d’outils d’évaluation. Nous devons investir davantage dans la recherche et la confrontation des bonnes pratiques.

Mme Jacqueline Laufer. Je peux d’autant plus en témoigner que j’anime depuis quelques années un club « égalité mixité », dans le cadre de l’ANVIE, l’Agence nationale de valorisation interdisciplinaire des sciences humaines et sociales auprès des entreprises. Elle est financée par les entreprises et l’actuel président de son conseil d’administration est M. Bailly, de La Poste.

Nous faisons venir des experts, des chercheurs français et étrangers. Le club réunit cinq fois par an une bonne quinzaine d’entreprises. Ces réunions sont appréciées des entreprises, on s’y renseigne sur ce qui fait ailleurs, on échange les cartes de visite, etc.

Ainsi, au-delà de la négociation d’accords, qui est fondamentale, au-delà de la recherche qui permet d’évaluer les bonnes pratiques, se développe toute une activité d’évaluation, d’animation, d’échanges autour de la question de l’égalité professionnelle. On peut contribuer à structurer la réflexion en matière d’égalité professionnelle en multipliant les occasions, pour les entreprises, d’échanger entre elles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il existe des réseaux de femmes.

Mme Jacqueline Laufer. En 1980, lorsque j’ai publié : « La féminité neutralisée ? Les femmes cadres dans l’entreprise », l’idée même d’un réseau de femmes aurait fait bondir tout le monde, y compris les femmes cadres. Mais l’époque a changé et effectivement ces réseaux se développent.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En 2005, lorsque j’ai organisé des auditions pour discuter d’un éventuel quota de 20 % de femmes dans les conseils d’administration, c’était la révolution ! On me faisait savoir que je ne comprenais rien à l’entreprise. Aujourd’hui, les mêmes personnes approuvent la fixation d’un quota de 40 %. Il ne faudrait pas que les femmes adoptent les mêmes pratiques que les hommes, et multiplient les mandats dans les conseils d’administration, comme c’est le cas en Norvège. En France, le nombre est limité à cinq. A ce propos, Mme Agnès Touraine, que nous avons auditionnée, nous a déclaré qu’elle siégeait dans un conseil d’administration d’une société en Angleterre, et je me demande s’il faut le prendre en compte.

Mme Jacqueline Laufer. Oui.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. En Norvège, nous avons rencontré une avocate qui a abandonné son métier : elle est administratrice de plus de dix entreprises.

Mme Jacqueline Laufer. En Norvège, des entreprises de conseil on exploité le créneau du recrutement des femmes ? Où les trouver ? Comment les convaincre ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’organisation patronale norvégienne a fait un travail considérable à la suite de l’adoption de cette loi pour faire émerger des femmes à promouvoir et pour les accompagner.

Mme Jacqueline Laufer. Je voudrais revenir sur le problème posé par la rareté des femmes dans les cercles dirigeants.

Les réseaux sont devenus des partenaires à part entière. Les études de GEF (Grandes Écoles au Féminin), publiées tous les deux ans, sont passionnantes. Cercle Interelles est un réseau très dynamique ; le 8 mars, il a réuni une quantité impressionnante de jeunes femmes. Il faut donc s’appuyer sur les réseaux existants et ne pas hésiter à créer de temps en temps un évènement autour de cette question particulière de la mise en œuvre de l’égalité professionnelle dans les entreprises.

Vous m’avez interrogée sur l’accès des femmes aux conseils d’administration et aux organes de direction. S’agissant des conseils d’administration, le fait de fixer un quota de 40 % de femmes peut avoir une vertu politique symbolique et répondre à la lenteur des évolutions. S’agissant de la direction des entreprises, les dynamiques sont différentes : il ne s’agit plus de geste politique, mais de gestion de l’entreprise. Comment constituer des viviers de femmes potentiellement appelées à diriger des entreprises ? Comment créer les conditions permettant aux femmes concernées de suivre le parcours qui les amènera à des postes de direction impliquant un certain profil et exigeant une certaine expérience ?

Beaucoup d’entreprises s’attachent à développer des pratiques de gestion des carrières permettant aux femmes d’avoir des parcours plus équilibrés, de ne pas être cantonnées dans la communication, d’acquérir une expérience commerciale, financière, etc. Malgré tout, même dans ces entreprises, le plafond de verre subsiste.

Pour certaines femmes, franchir le « plafond de verre » les place en situation de très grande minorité et leur fait prendre des risques importants. Dans le cadre d’une étude menée pour la DARES, j’ai interviewé de nombreuses femmes qui étaient sur le point de franchir ce plafond. J’ai pu apprécier ce qu’on appelle le « poids de la rareté », qui conduit à un cercle vicieux : plus les femmes sont rares, plus elles ont l’impression d’être observées, et plus elles se disent que certains postes sont trop coûteux, non en raison des compétences qu’ils supposent, mais sur le plan psychique et familial.

Les femmes elles-mêmes sont réticentes, parce que le niveau de direction est majoritairement masculin, et que les conditions ne sont pas favorables à sa féminisation : de très longues heures de travail, une très grande mobilité, beaucoup de déplacements professionnels, etc.

Malgré la volonté de certaines entreprises d’avancer, les difficultés subsistent et la proportion de femmes aux postes de direction reste extrêmement faible. Mais il faut faire très attention aux moyennes car les différences sont grandes selon les secteurs et les entreprises. Le secteur des produits de grande consommation a beaucoup progressé. Chez L’Oréal, il y a maintenant beaucoup de femmes aux postes de direction. Évidemment, chez Bouygues ou dans le bâtiment, il y en a moins.

Aucune recherche n’a été menée sur l’égalité professionnelle dans les PME, ni sur leurs équipes dirigeantes, du point de vue du genre. On ne connaît donc pas leur situation, ce qui est très regrettable. Il faut lancer des appels d’offre, mener des recherches, en prenant la taille comme critère fondamental, si l’on veut pouvoir débattre de ces questions.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. L’inspection du travail n’a t’elle pas un rôle à jouer ?

Mme Jacqueline Laufer. Elle n’a pas un regard de sociologue ou de gestionnaire. Nous avons vraiment besoin d’équipes de recherche, pour obtenir suffisamment d’informations – même si nous disposons de certaines données par l’INSEE ou la DARES sur l’emploi des femmes. On pourrait comprendre comment les entreprises, et les PME en l’occurrence, déclenchent des démarches en matière d’égalité, quelles difficultés elles rencontrent pour y parvenir, quelles actions elles souhaitent privilégier, et connaître la situation des équipes dirigeantes des PME. Sauf erreur, on n’a pas encore mené de recherches sur ce secteur.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous siégez au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle (CSEP). Est-ce qu’il se réunit souvent ?

Mme Jacqueline Laufer. Non, même si les discussions y sont très intéressantes. Dans ce conseil, siègent des personnalités qualifiées, des experts, des fonctionnaires du ministère, du service du droit des femmes et de l’égalité, etc. Mais, par définition, les personnalités qualifiées sont très occupées et il ne peut pas se réunir tous les jours.

Sans être plus fréquentes, les réunions pourraient porter sur des objets un peu différents. Par exemple, une fois par an, nous pourrions analyser les progrès réalisés dans le domaine de l’égalité professionnelle, ne pas se contenter d’étudier le projet de loi qui nous est soumis – et qui est déjà pratiquement décidé – mais faire l’inventaire des thèmes sur lesquels il faudrait que la science progresse et sur lesquels il convient de lancer des appels d’offre. La recherche est en effet nécessaire pour faire avancer l’action.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Le CSEP est un outil qui, malheureusement, n’a pas été mis suffisamment en valeur, ni utilisé ces dernières années.

Mme Jacqueline Laufer. Il a été sollicité par le ministre Xavier Bertrand au moment de la conférence sur l’égalité professionnelle, en 2007.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Mais, entre 2002 et 2007, il semble qu’il ne se soit pas réuni ! Il s’agit pourtant d’un lieu privilégié pour traiter des questions d’égalité professionnelle.

Mme Jacqueline Laufer. Sa création même signifiait que l’égalité professionnelle était un objectif complexe, qui renvoyait à des notions multiples et nécessitait la mise en oeuvre de très nombreuses logiques d’action, qu’elles soient juridiques, administratives, qu’elles relèvent de la gestion ou du dialogue social.

Je pense qu’il faudrait revoir la façon dont on conçoit les missions du CSEP – ce n’est pas une question de personnes, ni de clivage politique droite-gauche.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous avez publié un article intitulé : L’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes est-elle soluble dans la diversité ? Pourriez-vous nous en dire un mot ?

Mme Jacqueline Laufer. Dans cet article, j’ai voulu réfléchir à la question des relations entre égalité et diversité, à un moment où l’on voit monter en régime le thème de la diversité. Nombre d’acteurs, de think tanks et d’instances se sont mobilisés autour de la diversité, bien plus d’ailleurs qu’ils ne l’avaient jamais fait autour de l’égalité professionnelle. Cela dit, les phénomènes de discrimination et de racisme associés à cette question avaient rarement été étudiés, au point que l’on assiste peut-être, comme le disent les psychanalystes, à une sorte de « retour du refoulé ». Quoi qu’il en soit, le thème de la diversité s’est imposé après la crise des banlieues, et les entreprises y ont pris une grande part.

Un certain nombre d’accords de diversité, qui ne sont pas encore très nombreux, ont été conclus à partir de l’accord national interprofessionnel dans lequel il est précisé que tous les motifs de discrimination sont en cause : l’origine, bien sûr, mais aussi le sexe. D’où une certaine tension entre accords d’égalité et accords de diversité, l’égalité pouvant s’apprécier dans la diversité, et la diversité dans l’égalité !

D’aucuns pensent que la promotion de la diversité s’oppose à la lutte contre les discriminations. Certains ne veulent même pas du terme de « diversité », qui nous détournerait de l’objet principal, la lutte contre les discriminations. Mais je n’ouvrirai pas ce débat, qui nous mènerait trop loin. Reste qu’il y a une corrélation entre égalité, égalité professionnelle et diversité.

On pourrait craindre que l’on ne parle plus d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes pour ne plus parler que de diversité – le sexe étant une des dimensions de cette diversité qui s’apprécie à travers 17 facteurs de discrimination, la loi française de 2001 étant particulièrement généreuse en ce domaine

L’égalité professionnelle est souvent présente dans les accords de diversité ; certains disent même qu’elle en est le premier thème. Comme les entreprises ont davantage l’habitude de traiter de l’égalité, on peut se demander si le traitement de l’égalité professionnelle ne sert pas d’apprentissage pour traiter d’autres formes de discrimination.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Nous avons rencontré M. Yazid Sabeg qui dit la même chose.

Mme Jacqueline Laufer. En d’autres termes, lorsqu’on a bien travaillé les questions liées à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, on est mieux armé, en tant qu’entreprise, pour aborder les questions liées à la diversité. Il n’y a donc aucune raison de dissoudre l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes dans la diversité. Il faut développer les politiques d’égalité professionnelle et utiliser cette expérience pour traiter les autres questions liées à la diversité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ne croyez-vous pas que le problème de la diversité se résoudra plus rapidement que celui de l’égalité professionnelle ?

Mme Jacqueline Laufer. Franchement, non. La question de la diversité est très compliquée. Les facteurs de diversité sont nombreux.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il me semble pourtant que le problème de la diversité, du moins de la diversité liée à l’origine, devrait se résoudre plus vite car à partir du moment où la question est posée, la mauvaise conscience joue.

Mme Jacqueline Laufer. Tandis qu’on a moins mauvaise conscience à bloquer une femme à raison de son sexe, habitués que l’on est, depuis des siècles, à côtoyer l’inégalité qui s’exerce contre les femmes ! Il y a d’ailleurs très peu de plaintes pour discrimination de la part des femmes, notamment par rapport au nombre de plaintes pour discrimination à raison de l’origine. Il reste énormément de progrès à faire pour développer la « conscientisation », à la fois des femmes elles-mêmes, des acteurs de l’entreprise et des partenaires sociaux, sur l’ensemble des discriminations que peuvent subir les femmes.

Si l’on compare les accords égalité et les accords diversité, on s’aperçoit que, dans les accords égalité professionnelle, on s’occupe très peu d’un phénomène pourtant fondamental : l’inégalité entre les femmes. Il est plus facile d’y trouver des mesures sur l’accès des femmes aux responsabilités que des mesures sur la précarité ou le temps partiel, qui concernent pourtant de très nombreuses femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je partage votre point de vue. Dans notre rapport de 2003, nous étions partis de l’idée que si l’on ne gère pas le problème de l’égalité dans l’éducation, on ne le gérera pas, plus tard, dans l’entreprise ; et que si on ne le gère pas au bas de l’échelle dans l’entreprise, on ne le gérera pas en haut de l’échelle.

Mme Jacqueline Laufer. On pourrait avoir l’impression que les accords sont passés par les grandes entreprises – bien outillées, avec des spécialistes, des partenaires sociaux stabilisés dans leur rôle –, qui constituent des isolats privilégiés. On pourrait avoir l’impression que les accords concernent surtout les femmes cadres, sans trop se préoccuper des femmes les moins qualifiées, ni de celles qui travaillent dans les PME. La négociation sur l’égalité professionnelle couvrirait donc une partie seulement des problèmes d’inégalité que rencontrent les femmes dans notre société.

Nous assistons à un phénomène de « polarisation ». On ne peut plus parler de femmes en général, mais de catégories de femmes : les femmes diplômées, les cadres, les femmes d’origine diverse, etc. La catégorie « femmes » est de plus en plus difficile à appréhender dans sa globalité, et il faut constater que la mise en œuvre de l’égalité professionnelle n’échappe pas à une telle fragmentation. Nous avons à nous interroger sérieusement à ce propos. Des chantiers sont déjà en place sur « travail, genre et société », sur « le RSA et le genre ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Une autre question me préoccupe beaucoup : comment les femmes seront-elles traitées pendant cette crise économique ? Pour le moment, celle-ci frappe surtout les emplois industriels, mais le risque existe que bientôt les emplois tertiaires soient frappés, où les femmes sont nombreuses.

On parle toujours des jeunes. On ne parle jamais des femmes qui sont confrontées à la précarité : parents isolés, femmes travaillant à temps partiel, femmes de l’immigration, etc. La situation risque d’être extrêmement difficile pour celles qui ont entre trente-cinq et cinquante, voire soixante ans. Je suis très inquiète et j’aimerais bien que les chercheurs puissent s’exprimer là-dessus.

Mme Jacqueline Laufer. La crise soulignera une situation à deux vitesses : politique d’égalité professionnelle pour les femmes qui ont un emploi dans les entreprises de grande taille, dualisation du marché du travail, etc.

Moins de visibilité, moins d’objectifs à but stratégique, fragmentation des publics et des dispositifs eux-mêmes, interrogation générale et non sexuée : voilà à quoi il faut s’attendre. Aux chercheurs d’en mesurer l’impact.

Les accords de diversité concernent fréquemment la diversité sociale. Il faut dire que le sujet moins polémique et que la diversité sociale, ou plutôt l’inégalité sociale peut être un facteur de rassemblement. Ceux qui traitent de diversité à raison de l’origine se rendent bien compte que les discriminations qui sont liées à l’origine sont en général couplées avec des questions d’inégalité sociale. Or, les accords d’égalité professionnelle font peu de place à l’inégalité. Rares sont ceux qui abordent la situation des femmes travaillant à temps partiel – choisi ou subi alors que certains accords de diversité en parlent. En fait, l’inégalité sociale serait peut-être mieux abordée par les accords de diversité que par les accords d’égalité professionnelle. Quoi qu’il en soit, nous devons réfléchir à l’inégalité sociale qui frappe certaines catégories de femmes.

Il serait intéressant de proposer au Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, où siègent des syndicalistes, des entreprises et des chercheurs, de lancer cette réflexion et de travailler sur les accords. Il examinerait les problèmes qu’a pu rencontrer telle entreprise, les raisons pour lesquelles elle n’a pas abordé telle ou telle question, etc. Je ne suis pas une fanatique des « bonnes pratiques », mais c’est au cours des débats de ce type que l’on peut développer une nouvelle problématique et une nouvelle logique d’action.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci beaucoup.

Audition de Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieux,
secrétaire confédérale de la CGT-FO et de Mme Isabel Odoul-Asorey, assistante confédérale


(procès-verbal du 20 mai 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Merci, mesdames, de votre présence. A plusieurs reprises, nous avons eu l’occasion d’évoquer l’application des lois relatives à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. La Délégation travaille en ce moment sur l’accès des femmes à tous les domaines de responsabilité dans l’entreprise, mais aussi dans les administrations et dans les diverses instances de représentation.

Nous souhaiterions connaître votre analyse de la situation actuelle en matière d’égalité professionnelle. Les entreprises s’engagent dans la signature d’accords relatifs à la diversité et à l’égalité. Pensez-vous que cela a de vraies conséquences dans les entreprises ?

On compte très peu de décisions sanctionnant des discriminations en raison du sexe, car peu de plaintes sont déposées, ce qui a été confirmé hier par le représentant de la HALDE, à l’occasion d’un colloque qui se tenait au Conseil économique et social. Les syndicats peuvent-ils jouer un rôle dans ce domaine ?

Quel enjeu représente, selon vous, la présence des femmes dans la gouvernance des entreprises ? D’aucuns disent qu’il y a un vrai progrès lorsque les femmes y sont largement présentes. Pensez-vous que la situation peut évoluer naturellement ? Faut-il fixer des quotas ? Avez-vous réfléchi à des actions susceptibles de favoriser l’accès des femmes à des postes de responsabilité? Pensez-vous que ce soit pertinent dans le contexte actuel ?

J’aimerais aussi que vous abordiez la question des dernières élections prud’homales. La loi de 2001 sur l’égalité professionnelle avait invité les organisations représentatives des employeurs et des salariés à améliorer la représentation des femmes sur les listes pour les élections de 2002. En 2006, le résultat n’est qu’en légère progression et l’on compte toujours que 28 % de femmes dans les juridictions prud’homales. Ne pensez-vous pas qu’il conviendrait de fixer des obligations, comme nous l’avons fait dans le domaine politique, en cas de scrutins de liste ?

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieux. Dans le secteur public, même lorsqu’elles sont nombreuses, les femmes ont du mal à accéder aux postes de responsabilité. Il y a notamment très peu de préfètes. Malgré quelques avancées, par exemple dans les ambassades, il reste encore beaucoup à faire. L’État devrait donc commencer par montrer le bon exemple à l’intérieur de ses services et donner un coup de pouce pour faciliter l’accès des femmes à ces postes de responsabilité. Nous y sommes par principe favorables.

Sur la proposition relative à l’accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions électives ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales qui vise à instaurer des quotas, notre position est claire. Nous considérons que, sur le principe, c’est une très bonne chose. Dans le secteur privé, le seuil de 40 % de femmes dans les conseils d’administration, nous semble pertinent. Je précise qu’à FO, nous sommes plus favorables à la mixité qu’aux quotas et que nous tenons à une certaine souplesse.

Sur les modalités, en revanche, nous sommes partagés. Je vise plus particulièrement les élections professionnelles et les instances représentatives du personnel. Cette proposition, si elle oblige à une parité stricte risque, en effet, d’engendrer des difficultés dans le fonctionnement des instances représentatives du personnel et au moment de la constitution des listes. Dans certains secteurs comme la métallurgie il y a une forte majorité d’hommes. Dans d’autres comme le secteur hospitalier, il y a une forte majorité de femmes. Les organisations syndicales risquent donc d’avoir des difficultés à constituer des listes paritaires, voire d’être dans l’impossibilité de le faire. Une certaine souplesse nous semble donc nécessaire.

En outre, la loi sur la représentativité syndicale est très floue. Comment faire lorsqu’il y a plusieurs syndicats dans une même entreprise ? On risque, du fait de cette loi, dans un an, de ne pas avoir d’instances représentatives du personnel dans certaines entreprises.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. J’ai l’impression qu’il en est de même dans les syndicats et dans les partis politiques. Quand on a commencé à parler de parité en politique, on nous a dit qu’il n’y avait pas de vivier. En mars 2006, quand un quota de 20 % a été voté, certains m’ont dit que, de toute manière, on ne trouverait pas suffisamment de femmes.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieux. Parler d’une égale représentation à partir du seuil de 40 %, ce n’est pas la même chose que de parler d’une « représentation équilibrée », c’est-à-dire faire en sorte qu’il y ait autant d’hommes que de femmes. Mais, si l’on prévoit une représentation égale d’hommes et de femmes et qu’il n’y a pas assez de femmes dans l’entreprise en raison de son secteur d’activité, reconnaissez qu’il y a un problème.

Les femmes ne veulent pas prendre de responsabilités. Il faudrait commencer par régler les inégalités entre les femmes et les hommes, en matière de salaires, dans la famille, etc. Dans mon entreprise, il y a une majorité de femmes. Beaucoup sont à temps partiel contraint. Or, quand on est dans cette situation et que l’on gagne des miettes, on n’a ni le temps ni les moyens…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est clair que les personnes à temps partiel contraint ne prennent pas de responsabilités.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieux. J’organise au moins trois fois par an, avec l’Institut du travail de Strasbourg, des stages sur l’égalité, qui sont ouverts à tous les militants. Il y a aujourd’hui autant d’hommes que de femmes qui s’y inscrivent. C’est déjà un progrès : avant, il n’y avait que des femmes. Mais il s’agit de femmes qui ont de grands enfants, n’ont plus de problème de garde et peuvent s’investir davantage.

L’objectif des ces stages est d’animer la commission « égalité » dans les entreprises et de mettre en place des référents « égalité ». Il n’en reste pas moins que les femmes ont du mal à s’engager. Lorsque l’on fait des listes pour les élections, on en trouve difficilement. Ce n’est pas par manque de volonté de notre part.

Certains secteurs sont très féminisés. Dans ce cas-là, on aura davantage de femmes. Mais on risque de ne pas avoir assez d’hommes.

Nous avons voulu la mixité des listes et nous demandons la mixité partout, y compris dans les instances représentatives du personnel. Mais ce n’est pas évident. Les jeunes arrivent en grand nombre sur le marché du travail. Leur premier souci est de construire leur famille et ces femmes ont du mal à trouver des crèches et des garderies pour leurs enfants. Résoudre ce problème de garde, qui est devenu récurrent, faciliterait leur engagement.

Mme Catherine Coutelle. Dans la deuxième loi Aubry sur les trente-cinq heures, un additif en bas de page demandait aux syndicats une négociation sur la conciliation entre la vie familiale et professionnelle. Comme les représentants syndicaux sont la plupart du temps des hommes, ils ne l’ont pas pris en compte.

Nous avons travaillé sur les services que les entreprises pouvaient mettre en place pour concilier vie familiale et vie professionnelle et nous avons constaté un véritable recul. Les salariés sont très mécontents des services qui leur sont offerts, une enquête publiée il y a une quinzaine de jours le montre.

On n’y arrivera jamais sans changer de discours ! Quand on est jeune et que l’on a des enfants, il n’est pas facile de les laisser le soir pour se rendre à des réunions. On observe les mêmes freins en politique que dans les syndicats – dont les représentations nationales sont majoritairement masculines.

Je reconnais malgré tout que les femmes préfèrent s’investir dans l’associatif, dans le bénévolat plutôt que dans le monde politique ou syndical. Ce n’est pas le genre d’engagement qui leur plaît naturellement. Il ne faut pas non plus attendre des hommes qui leur fassent une place. Les textes sont faits pour cela. Je me demande d’ailleurs si ce texte prévoit des sanctions…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Oui : l’irrecevabilité de la liste.

Mme Isabel Odoul-Asorey. Ce qui pose problème, c’est l’exigence d’une stricte égalité…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je suis très préoccupée par le travail que les syndicats font dans le domaine de l’égalité dans les entreprises. En 2002, la Délégation a travaillé sur l’application de la loi de 2001. J’ai été stupéfaite de constater que les syndicats ne s’en étaient pas emparés. D’autres textes ont été votés. Nous sommes en 2009 et je continue à constater que les choses avancent très peu.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Je participe à la Commission nationale des accords et des conventions collectives. On observe une augmentation des négociations d’accords « égalité », qui talonnent désormais les accords sur les salaires. Mais ces accords de branche sont vides : ils ne font que rappeler la loi. Il n’y a pas de véritable intention d’avancer. C’est pourquoi, je demande systématiquement que les accords « égalité » négociés nous soient envoyés pour en apprécier la teneur véritable.

En outre, lors de la négociation annuelle obligatoire, certains thèmes, dont celui de l’égalité, sont abordés. Mais les employeurs ne fournissent pas les éléments permettant de se rendre compte des difficultés en ce domaine, et les syndicats considèrent aujourd’hui que la négociation en matière d’égalité est un gadget.

Le rapport de situation comparée ne leur permet pas de s’en emparer, et on ne leur donne pas assez de moyens pour former les salariés. Dans le cadre de nos discussions, j’ai rencontré Brigitte Grésy, qui est chargée par le ministre de faire un rapport sur l’égalité salariale et professionnelle. Nous avions demandé des sanctions pénales et des sanctions financières, les sommes recueillies devant permettre de former à l’utilisation du rapport de situation comparée les élus chargés de la commission « égalité ».

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il faut appliquer la loi de 2001, qui prévoit les rapports de situation comparée.

Mme Danielle Bousquet. Mais rien n’est obligatoire ! C’est uniquement si l’on veut bien. Et si l’on ne veut pas…

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les lois de 2001 et de 2006 ont prévu une sanction de 3 700 euros, que personne n’a jamais mise en avant et des sanctions pénales. Ces sanctions ne sont pas spécifiques mais elles existent bien.

Mme Catherine Coutelle. Elles ne sont pas appliquées.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Dans le cadre d’une négociation sur l’égalité, considérant que nous ne disposions pas des outils permettant d’apprécier la situation comparée des hommes et les femmes (par sexe, par catégorie socio-professionnelle, etc.), nous avons saisi les tribunaux. Le juge ne nous a pas donné raison, estimant que les éléments que nous avait fournis l’employeur étaient suffisants.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Ce que vous dites est très grave. Mais que vous avait donc fourni l’employeur ?

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Enormément de documents, ceux qu’il donne au conseil d’administration, mais qui ne permettent pas de faire des comparaisons.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. La loi de 2001 précise les éléments devant figurer dans le rapport de situation comparée : l’embauche, la formation, l’évolution de carrière, la vie professionnelle et familiale, etc. Le directeur des ressources humaines doit être capable d’indiquer la situation où se trouvent, à un moment donné, les gens qui sont arrivés au même moment, avec le même diplôme. Au bout d’un certain nombre d’années, on doit être capable d’établir s’il y a eu ou non discrimination.

Mme Catherine Coutelle. J’ai suivi une société de transports. Il n’y avait aucune femme, dans aucun comité d’entreprise. On finit par y embaucher des femmes chauffeurs de bus, bien que ces messieurs aient eu du mal à l’accepter. Dans cette société, le rapport de situation comparée permettait surtout de comparer l’absentéisme des femmes. Il faut dire que les congés maternité étaient pris en compte !

Il est vrai que les carrières des femmes ne se déroulant pas de façon linéaire (mi-temps, congé de maternité, éventuellement suivi d’un arrêt pendant deux ans). Ainsi, avec les mêmes qualifications de chauffeur de bus que leurs homologues masculins, quinze ans plus tard, les femmes n’en étaient pas au même point de leur carrière. En outre, même quand on dispose des documents, l’exercice est difficile.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Il faut d’abord obtenir les informations prévues pour faire une véritable analyse et construire le cahier de revendications sur l’égalité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Vous ne les obtenez pas ?

Mme Marie-Cécile Medeuf Andrieux. Si on les obtient, ce ne sont pas forcément les bons éléments.

Je suis intervenue à maintes reprises auprès de Xavier Bertrand à propos des sanctions : il voulait en effet qu’il n’y ait plus de sanction pénale mais uniquement une sanction financière. Or on sait pertinemment que les entreprises paieront et s’en tiendront là. Nous sommes en train de faire de nouvelles propositions, M. le Ministre Brice Hortefeux ayant décidé de reprendre le dossier et la question des sanctions.

Nous serons très vigilants. Aujourd’hui, les organisations syndicales ont la possibilité de peser sur les employeurs afin d’obtenir les véritables documents, les analyser et mettre au point de véritables plans de rattrapage.

On peut trouver en ligne un guide de préparation du rapport de situation comparée. Ce guide est exploitable par les DRH, mais pas forcément par les organisations syndicales. Nous avons donc réclamé des moyens pour que les élus qui siègent dans les commissions « égalité » bénéficient d’une formation pour qu’ils puissent s’approprier les différents éléments de situation comparée, qui sont tout de même très complexes.

Mme Catherine Coutelle. Aujourd’hui, l’égalité, n’est pas forcément une priorité dans toutes les confédérations syndicales et les entreprises n’ont pas intérêt à faire émerger les inégalités salariales. Les directions du travail ne sont plus demandeuses, ni exigeantes sur ces sujets. Enfin, j’ai l’impression qu’en période de crise, on cherche plutôt à faire que les femmes s’en aillent des entreprises et retournent à la maison.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. La crise accentue le phénomène. Les rares entreprises qui embauchent aujourd’hui n’offrent que des emplois précaires, majoritairement aux femmes. Il s’agit souvent de femmes, chefs de familles monoparentales, qui ont besoin d’une indépendance financière, qui acceptent des situations impossibles et ne vont pas s’engager dans les entreprises. La tendance est aussi de faire partir les personnes dont les salaires sont les plus lourds pour l’entreprise au moyen de la rupture conventionnelle.

Mme Catherine Coutelle. J’ai vu le cas d’une mère d’un enfant handicapé de six ans, pour lequel on ne trouve pas de place. Quand il n’existe pas de solution de garde ou de transport, les femmes sont contraintes de renoncer – même à un emploi précaire.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Une catégorie de salariées se trouve dans une situation dramatique : celles qui travaillent dans la grande distribution, que nous rencontrons régulièrement.

Mme Catherine Coutelle. Elles ont des horaires très précaires, de 20 ou de 17 heures par semaine, et dispersés. Ces salariées ne peuvent pas s’organiser ni trouver un travail supplémentaire. Le samedi est désorganisé. Autant dire qu’elles ne travaillent pas ainsi de leur propre volonté.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Les salariés du secteur des services à la personne se trouvent également dans une situation très difficile. Il s’agit, là encore, majoritairement de femmes, qui travaillent pour plusieurs employeurs ou sur plusieurs secteurs et ont d’importants frais de déplacement, un seul de leurs trajets étant pris en charge.

Mme Catherine Coutelle. On peut parler de sous-prolétariat. Ces salariées ne touchent même pas le SMIC. Du point de vue du droit du travail, la situation est stupéfiante et toutes les ADMR (associations de service à domicile) sont en difficulté.

Mme Danielle Bousquet. Entre les mandataires et les prestataires, de gros problèmes ont surgi. Les remboursements ne sont pas à la hauteur de ce que cela coûte à l’organisme. Les conditions de travail sont épouvantables. Les gens sont mal payés. Pourtant, dans beaucoup d’endroits, c’est la seule possibilité offerte aux femmes. Et l’on ose nous dire que c’est un secteur porteur, parce qu’il crée des emplois !

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Certains secteurs de l’action sociale risquent d’être transférés à des prestataires extérieurs. Les salariés se retrouveront alors dans une situation encore plus précaire. On utilise la pauvreté des gens pour des raisons de profit, en toute immoralité, quitte à faire souffrir les personnes aidées.

Mme Odette Duriez. Je suis tout à fait d’accord, s’agissant des services à la personne. Mais il ne s’agit pas toujours d’associations privées. Je fais partie d’une association d’élus : on ne peut pas faire autrement pour équilibrer nos budgets, même si on se rend compte que les femmes sont exploitées, à n’importe quelle heure, avec des vacations à l’heure ou à la demi-heure. Le problème est réel.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Une convention collective sur les services à la personne est en cours de négociation. Des conflits ont surgi entre la FEHAP, la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne et l’AFPAM, « Action et formation pour l’aide au maintien à domicile ». J’ai convoqué une réunion sur les services à la personne la semaine prochaine, pour vérifier l’avancée des négociations.

Le risque est que cette convention collective soit négociée à la baisse et que cela se répercute sur les autres conventions collectives, alors que les organisations syndicales étaient parvenues à limiter la casse et à faire en sorte que les salariés des différentes structures de l’action sociale bénéficient d’une couverture acceptable.

Mme Catherine Coutelle. Qui représente les salariés dans votre discussion de branche ?

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Toutes les organisations syndicales, même si les salariés concernés sont très peu syndiqués. Mais nous sommes très vigilants : ils ne gagnent que des broutilles, une fois enlevés les frais de déplacement.

Mme Catherine Coutelle. Toutes les structures sont fragiles. Les ADMR sont en difficulté. Si on leur facture les frais de déplacement, c’est fini pour elles.

Mme Danielle Bousquet. Le niveau de remboursement n’est pas suffisant.

Mme Odette Duriez.  Partout, les associations de services à la personne demandent des compléments aux conseils généraux pour équilibrer leur budget. Il y a quelque chose qui ne va pas. Le personnel est sous-payé.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. On peut s’attendre à des transferts de salariés. Les hôpitaux, par exemple, auront recours à ces structures pour dispenser des soins de suite aux malades.

Mme Danielle Bousquet. Cette tendance est apparue il y a déjà quelques années, lorsque l’on s’est aperçu du décalage entre le coût réel d’intervention d’une personne dans ce secteur et le niveau de remboursement. Dans la fonction publique territoriale, certaines communes font passer des pans entiers de leur activité de service public aux associations en les investissant de missions de service public. Cela se traduit par la précarisation du personnel salarié concerné et la fragilisation des personnes âgées.

Il y a cependant un plus pour les personnes âgées : dans la fonction publique territoriale, les employés ne travaillent pas le dimanche. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles un certain nombre de villes se tournent vers les associations. Les personnes âgées sont aussi âgées le dimanche et on ne pouvait pas leur assurer de portage de repas à domicile, ni d’infirmières, etc. Les associations offrent beaucoup plus de souplesse et répondent beaucoup mieux aux besoins. Cette raison objective a contribué à aggraver la situation des salariés concernés.

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. Ajoutez à cela les difficultés liées à la représentativité qui imposera, de fait, dans les entreprises une multitude de syndicats. Les employeurs pourront, notamment, créer leurs propres syndicats. Il deviendra difficile de constituer des listes. Cela se déjà fait sentir. La loi du 20 août 2008 sera à l’origine d’un important contentieux.

Depuis le mois de septembre, je parcours toute la France. Les salariés ne sont pas tous au fait de cette loi. Le temps d’informer tout le monde, les élections auront lieu. Comme au premier tour, on tient compte de la représentativité, si le seuil de 10 % n’est pas atteint, il n’y aura pas de représentants syndicaux dans l’entreprise. Alors qui négociera ?

Je connais une entreprise où les salariés ont l’habitude de ne se mobiliser qu’au deuxième tour. Au premier tour, de très nombreuses organisations syndicales sont venues, et ont présenté des listes. Aucune n’a obtenu 10 %, du fait de l’éparpillement des voix. Dans cette entreprise, il n’y a donc aucun délégué syndical. Il y a eu bien sûr un deuxième tour pour obtenir des élus. FO a obtenu la majorité des voix, mais ne pourra pas négocier puisque pour cela, il faut avoir obtenu 10 % des voix. C’est une « double peine » : 10 % des voix pour être représentatif en tant que syndicat, et 10 % des voix sur le nom du délégué syndical pour qu’il puisse être désigné et négocier.

Mme Danielle Bousquet. En multipliant les organisations fictives ou créées pour la circonstance, on éparpillerait les voix de telle sorte que personne ne soit capable de négocier. Peut-on imaginer qu’un patron fasse en sorte qu’il n’y ait pas de délégué syndical dans son entreprise ?

Mme Marie-Cécile Medeuf-Andrieux. On peut l’imaginer, de la part de certains employeurs qui ne veulent pas être embêtés, surtout dans les entreprises de moins de 100 salariés.

L’éparpillement des voix, en cas de multiplication des organisations syndicales empêche que se dégage une représentativité suffisante pour désigner un délégué. Dans ce cas, on ne négocie pas et c’est la décision unilatérale de l’employeur qui s’applique. Ce problème existe depuis la loi du 20 août 2008.

C’est une autre raison qui fait que je suis plus favorable à une répartition équilibrée qu’à une répartition strictement égale entre les hommes et les femmes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

Audition de Mme Évelyne Duhamel,
présidente de la Chambre de commerce et d’industrie de Dieppe


(procès-verbal du 1er juillet 2009)


Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Madame Duhamel nous souhaitons aborder avec vous la question de l’accès des femmes aux responsabilités dans tous les domaines. Vous présidez la chambre de commerce et d’industrie de Dieppe. Nous souhaiterions savoir si la question de la représentation des femmes y est abordée ? Comment les CCI peuvent-elles promouvoir la place des femmes dans les entreprises ? Quelle stratégie préconisez-vous pour développer une plus grande mixité au sein des équipes de direction ? Par ailleurs, quel bilan tirez-vous des lois sur l’égalité professionnelle qui sont certainement plus difficiles à appliquer dans les PME que dans les grands groupes ?

Mme Évelyne Duhamel. Aux dernières élections, 8 % de femmes avaient été élues membres des CCI, soit 429 femmes sur 5 150 membres. Dans le secteur de l’artisanat, 41 % des chefs d’entreprises sont des femmes, elles ne sont que 5 à 6 % à être élues. De plus, alors qu’en 2004, six présidentes avaient été élues, nous ne sommes maintenant plus que quatre, à la suite d’une fusion dans laquelle des femmes ont perdu leur poste.

Il est vrai que sauf exception, les femmes, dans le monde de l’entreprise, ont moins de détermination que les hommes pour accéder à des postes de responsabilité.

M. Guénhaël Huet. Il y a 8 % de femmes élues dans les CCI, mais combien s’étaient présentées ?

Mme Évelyne Duhamel. Nous avons beaucoup de mal à convaincre les femmes de se présenter et de prendre sur le temps qu’elles consacrent à leur famille et à leur profession.

M. Guénhaël Huet. Si les femmes ne se présentent pas, que ce soit aux élections consulaires ou à d’autres élections, elles ne risquent pas d’être élues. C’est pourquoi il est important de se demander pourquoi elles ne se présentent pas.

Mme Évelyne Duhamel. Dans le monde consulaire, lorsqu’une femme se présente, elle n’a pas à souffrir de discrimination, mais par la suite, il lui est beaucoup plus difficile d’accéder aux bureaux et aux présidences. Même s’il évolue, ce monde reste très masculin.

Une femme consacre son temps à son entreprise et à sa famille alors qu’un homme a moins de tâches de responsabilité au sein de sa famille. Les deux ne sont pas faciles à concilier. La majorité des réunions, dans toutes les structures, sont fixées le mercredi, jour commode au milieu de la semaine. J’essaie, de mon côté, que ce ne soit pas systématique.

Je préside depuis neuf ans la CCI de Dieppe et j’ai toujours souhaité recruter des femmes. Mais elles ont beaucoup de mal à s’engager aussi parce qu’elles manquent de confiance en elles.

M. Guénhaël Huet. À l’occasion d’élections politiques, j’ai contacté des femmes. Dans 80 % des cas, elles se demandent si elles seront à la hauteur. Jamais je n’ai rencontré un homme qui ait cette réaction. Les femmes font de l’autocensure. Au sein de mon conseil municipal, une femme qui y siège depuis deux mandats a refusé le poste d’adjointe au prétexte qu’elle n’était pas encore mûre pour ce poste. Un homme aurait accepté, même élu pour la première fois !

Mme Évelyne Duhamel. Les femmes tergiversent, alors que les hommes s’engagent tout de suite. J’essaie de sensibiliser les femmes à la prise de responsabilité, ce qui passe par une meilleure information et une meilleure formation.

Dans le monde économique, les femmes travaillent, mais peu d’entre elles souhaitent prendre de responsabilités. Elles représentent 50 % de la population active, mais seules 17 % d’entre elles sont des chefs d’entreprise et 8 % ont des responsabilités dans les grands groupes. Elles ne sont pas moins capables, elles font des études souvent meilleures que les hommes, mais peut-être adoptent-elles ensuite une philosophie de vie différente, plus axée sur leur famille.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Au moment de passer aux responsabilités, les femmes ont tendance à reculer.

Mme Évelyne Duhamel. Dans beaucoup de foyers, il leur faut aussi convaincre leur mari.

Mme la présidente Marie-Jo Zimermann. Je n’y croyais pas jusqu’à ce que des délégués syndicaux m’aient assuré que les femmes pouvaient rencontrer des difficultés pour trouver, au sein de leur famille, le consensus leur permettant de se lancer.

Mme Évelyne Duhamel. C’est certainement une question d’éducation. Ce phénomène devrait, au fil des années, tendre à disparaître avec l’instauration de la mixité dans tous les domaines.

Déjà, les crèches d’entreprise devraient être plus nombreuses afin de pallier les difficultés dues aux horaires des gardes d’enfants J’ai essayé d’en créer une sur le territoire d’une zone commerciale, mais les hommes qui étaient à la tête des entreprises y ont été totalement défavorables : de quoi se mêlait-on ?

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans la zone industrielle de ma circonscription, qui emploie 10 000 personnes, la personne qui a lancé la crèche interentreprises en partenariat avec l’intercommunalité est une femme maire. Les autres élus, qui sont des hommes, ont plutôt tendance à freiner l’initiative.

Mme Évelyne Duhamel. Lorsque les femmes sont à la tête des entreprises, elles parviennent très souvent à faire participer davantage leurs collaborateurs, à instaurer un meilleur esprit d’équipe et un meilleur partage de l’information et du pouvoir. En général, les conflits sont moins nombreux qu’avec des hommes.

En revanche, lorsque se présentent des opportunités, elles ne les saisissent pas. Moi-même, on est venu me solliciter, mais je n’aurais pas eu l’idée de me présenter alors que j’ai toujours travaillé en tant que chef d’entreprise dans un monde masculin.

Il faudrait que nous fassions connaître les femmes qui réussissent. Cela mettrait les autres femmes en confiance. Il n’y a pas de raison qu’à diplôme égal ou à responsabilités égales elles n’accèdent pas à certains postes. Mais je reconnais que cela est dû en grande partie aux femmes elles-mêmes.

M. Guénhaël Huet. Lorsqu’on vous a sollicitée, avez-vous mis du temps avant de donner votre réponse ?

Mme Évelyne Duhamel. Le préfet m’avait convoquée pour me proposer de prendre la présidence de la CCI de Dieppe, en me précisant que j’étais la seule susceptible d’y « remettre de l’ordre ». La succession se révélait en effet très difficile. J’ai alors demandé quarante-huit heures de réflexion pour réunir mon conseil de famille. Si mon mari n’avait pas été d’accord, je ne suis pas sûre que j’aurais accepté. Une entreprise, des fonctions électives et un conflit à la maison : c’eût été trop !

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pensez-vous que la réaction serait encore la même dans la jeune génération ?

Mme Évelyne Duhamel. Beaucoup moins. À ce propos, les femmes acceptent d’apprendre ; les hommes, pas toujours.

M. Guénhaël Huet. Je suis moins optimiste que vous. J’entends les mêmes réponses aussi bien de femmes d’une soixantaine d’années que de vingt-cinq ans.

Mme Évelyne Duhamel. Je stimule sur le plan professionnel les jeunes femmes de mon équipe, et j’y trouve du répondant.

Mme Danielle Bousquet. J’ai eu moi aussi l’occasion de remarquer que les femmes avaient besoin d’être sollicitées. De gros efforts seront nécessaires pour changer la mentalité des femmes comme des hommes. Vous avez suggéré de communiquer sur la réussite de certaines femmes. Avez-vous vous-même expérimenté cette démarche ? Avez-vous réfléchi à la manière de procéder ?

Mme Évelyne Duhamel. Par exemple, j’organise la semaine prochaine à la Chambre de Dieppe, avec une association une journée d’information sur « Les femmes dans l’Europe » – où Mme Françoise Vilain, présidente de la délégation aux droits des femmes du Conseil économique et social, et Mme Ameline, ancienne ministre de la parité nous feront l’amitié de venir. Je « profite » de mon poste électif pour informer les femmes et les inciter à prendre des responsabilités. Certaines, qui sont cadres ou chefs de petites entreprises, hésitent à se lancer, et il faut leur démontrer que certains pays européens font mieux que nous.

J’organise régulièrement de telles rencontres, autour d’un dossier précis. J’y invite aussi des hommes, car ils doivent être conscients des difficultés que rencontrent les femmes.

Il faudrait également faciliter l’accès des petites entreprises au label Égalité professionnelle. Elles se verraient ainsi valorisées. On décerne de nombreux prix aux entreprises innovantes, performantes, qui contribuent au développement durable, mais le label égalité est encore trop confidentiel et davantage accessible aux grands groupes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. il n’est pas toujours facile pour les petites entreprises, d’appliquer les lois sur l’égalité professionnelle.

Mme Évelyne Duhamel. Certains chefs d’entreprise aimeraient bien favoriser les femmes, par exemple en leur accordant plus facilement le mercredi, mais ils ne veulent pas parce qu’ils seraient obligés, pour qu’on ne les accuse pas de discrimination, de faire la même chose pour les hommes.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Pourquoi une telle crainte ?

Mme Évelyne Duhamel. Le chef d’entreprise craint d’agir à l’encontre de la réglementation européenne qui interdit toute discrimination dans l’entreprise, fût-elle positive.

Mme Danielle Bousquet. Le problème vient de la France. L’Europe est l’institution qui nous a tirés vers le haut en faisant avancer les droits des femmes et en s’opposant aux discriminations dont elles faisaient l’objet.

Certes, cette politique de non-discrimination pourra avoir des conséquences négatives, par exemple, sur la retraite des femmes si les hommes contestent les bonifications pour enfant que reçoivent les femmes dans la mesure où ils ont eu eux aussi des enfants. En tout cas, tous les textes français qui ont permis de faire évoluer les droits des femmes sont des transcriptions de textes européens. Je ne suis pas sûre que la France aurait été capable de le faire d’elle-même. Et c’est bien parce qu’il y a eu des avancées que tout le monde doit être traité à égalité.

Malheureusement, ce n’est pas le cas et la part des hommes dans la prise en charge de la famille est toujours négligeable : deux minutes supplémentaires en trente ans ! C’est notre pays qui est en retard.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il est effarant qu’un chef d’entreprise risque d’être accusé de discrimination parce qu’il accorde leur mercredi aux femmes.

Mme Évelyne Duhamel. C’est un risque fondé.

Mme Danielle Bousquet. La solution ne se trouve pas au niveau de la seule entreprise. Les pouvoirs publics devraient prendre l’engagement de faire avancer ces questions, dans la mesure où il n’y a pas de réelle répartition des tâches domestiques dans les foyers français, à la différence des foyers des pays nordiques.

En raison de cette obligation d’égalité, quelle politique les pouvoirs publics peuvent-ils mener pour pallier le retard français ? Il doit être possible de prendre transitoirement des mesures de discrimination positive destinées à parvenir à une situation d’égalité. Il faudrait discuter avec les institutions européennes pour savoir, s’agissant notamment de la retraite des femmes, si des mesures de rattrapage sont possibles. Si nous avons la volonté politique d’assurer l’égalité, la réalité sociale est telle que nous souhaitons mettre en place des mesures de rattrapage provisoires.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Dans ce cadre, le sujet des retraites devra être abordé sérieusement et rapidement.

M. Guénhaël Huet. Si l’on se réfère à la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, l’égalité n’est pas l’uniformité. Si certaines catégories juridiques ne se trouvent pas dans la même situation, il est possible d’instaurer une discrimination entre elles. Ainsi une femme qui a interrompu sa carrière pendant dix ans se trouve dans une situation particulière qui devrait justifier des dispositions particulières.

Mme Évelyne Duhamel. Au quotidien, on nous oppose l’égalité de traitement.

M. Guénhaël Huet. Mais l’égalité de traitement doit viser des situations identiques. On ne peut pas traiter différemment des personnes qui sont dans la même situation, mais on peut traiter différemment des personnes qui sont dans des situations différentes. Le droit français l’autorise depuis longtemps.

Mme Évelyne Duhamel. Prenons le cas d’un couple avec enfants qui travaille dans la même entreprise. Si la mère demande son mercredi et le père aussi, le chef d’entreprise pour ne pas devoir l’accorder à tous les deux et avoir deux salariés absents ce jour-là, préférera le refuser aux deux.

M. Guénhaël Huet. Il est possible de régler le problème en accordant le mercredi à l’un des parents. C’est ce que je fais dans ma ville en organisant les services de façon que la femme, qui a plus de contraintes, bénéficie de plus d’avantages.

Mme Évelyne Duhamel. Beaucoup de femmes de familles monoparentales se voient refuser leur mercredi pour s’occuper de leurs enfants parce que le patron ne tient pas à ce qu’un homme le leur demande aussi. Pour ma part, je m’organise, mais peut-être que d’autres chefs d’entreprise se retranchent derrière les textes. Reste qu’il conviendrait de faciliter la vie des femmes seules, qui assument de nombreuses tâches qui les empêchent d’accéder aux responsabilités.

M. Guénhaël Huet. Le chef d’entreprise et le maire qui créent tous deux un emploi, ont l’obligation de l’ouvrir à un homme comme à une femme, à égalité de chances. De la même manière, lorsqu’il s’agit d’accorder tel ou tel avantage comme le mercredi, il conviendrait d’en faire bénéficier l’un ou l’autre des conjoints. Si on ne procède pas ainsi, aucun d’entre eux n’en bénéficiera.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Il ne faudrait pas se fonder sur la récente décision de la Cour de cassation pour décider qu’on ne peut rien faire. La Cour a fondé sa décision sur la convention européenne des droits de l’homme car il s’agit d’un régime non professionnel à la différence des pensions de la fonction publique.

M. Guénhaël Huet. On ne peut pas s’arrêter sur une seule décision de justice. D’ailleurs, la jurisprudence peut-être contradictoire.

Mme Évelyne Duhamel. J’essaie de continuer à convaincre et à sensibiliser les femmes pour qu’elles se rencontrent et qu’elles s’informent. Mais c’est une question d’éducation et de disponibilité.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Un journaliste m’avait demandé ce qu’il faudrait faire pour les femmes et j’avais répondu qu’il faudrait déjà que les femmes n’aient plus peur de se prendre en charge elles-mêmes. Cela m’a valu de nombreux courriers de protestation. Mes propos n’étaient pas politiquement corrects !

Mme Danielle Bousquet. Certes, il faut que les femmes se prennent en main. Mais cela ne se décrète pas, mais suppose que l’on agisse en amont.

Toutes les filles, concernant le rôle de chacun dans la société, ne sont pas forcément tentées d’être secrétaires ou infirmières. Si l’on n’éduque pas les enfants, on ne changera pas les mentalités, et la quasi-totalité des filles se tournera vers ces métiers. Il faut les mettre en condition de choisir.

M. Guénhaël Huet. Depuis une trentaine d’années, certains métiers restent quasi exclusivement féminins. Mais d’autres sont maintenant choisis par des femmes, où elles y sont parfois majoritaires comme dans l’enseignement, la magistrature ou encore la médecine.

Mme Danielle Bousquet. Si l’on raisonne sur les grands nombres, les filles sont toujours concentrées sur des métiers traditionnellement féminins, même si elles en ont investi d’autres. On les trouve ainsi majoritairement dans le secteur des services à la personne, dans ces pseudo-nouveaux métiers, qui conduisent à la plus grande pauvreté. La hiérarchie n’a pas fondamentalement changé.

M. Guénhaël Huet. Ce n’est pas qu’une question de hiérarchie. Prenez les métiers de la petite enfance. Pourquoi les hommes ne s’occuperaient-ils pas des enfants ? Si les femmes restent cantonnées dans certains métiers, les hommes aussi.

Mme Danielle Bousquet. Qu’est-ce qui fait que les gens n’ont pas la possibilité de choisir et qu’un garçon décide rarement de s’occuper des personnes âgées ?

M. Guénhaël Huet. Les pesanteurs culturelles.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Les gens ne sont pas encore conscients que cette inégalité entre les hommes et les femmes commence dès le début de la vie et qu’il faudrait travailler beaucoup plus en amont qu’aujourd'hui.

Mme Évelyne Duhamel. La situation évoluera d’elle-même. Dans les années soixante, les femmes ne travaillaient pas si elles n’en avaient pas besoin ; les jeunes filles restaient à la maison, s’occupaient des parents et se trouvaient un mari. J’ai vécu cette période – aujourd’hui oubliée.

M. Guénhaël Huet. La situation a changé, mais certaines pesanteurs subsistent. La difficulté est qu’il faut tendre vers plus d’équité entre les hommes et les femmes, sans pour autant nier les particularités des uns et des autres.

Huet. Je ne suis pas si sûr que la situation y soit meilleure, en dépit des statistiques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Que pensez-vous de l’instauration de quotas de femmes dans les conseils d’administration de sociétés ?

Mme Évelyne Duhamel. Je répondrai d’abord concernant les élections politiques. Après avoir eu un premier un mouvement de recul, je considère maintenant qu’ils se sont révélés être un mal nécessaire. Bien sûr, cela peut conduire à des réflexions désagréables, lorsque l’on dit par exemple à une femme que si elle a réussi, c’est parce qu’elle est une femme. Mais il faut assumer, et ne pas s’en préoccuper.

Lorsqu’une femme crée ou reprend une entreprise, son banquier, statistiquement, lui accorde en moyenne 30 % de prêts en moins qu’à un homme. Or la durée de vie de l’entreprise est quasiment identique, qu’un homme ou qu’une femme en soit à la tête: à trois ans, elle est la même ; à cinq ans, elle est même un peu plus importante avec une femme. Cette réaction est là encore d’ordre culturel : on ne fait pas autant confiance à une femme qu’à un homme. Cela dit, c’est peut-être à nous de former les femmes à la gestion et au fonctionnement des institutions bancaires. Mais cette formation devra tenir compte de leurs contraintes horaires et de leur emploi du temps. Plus généralement, toute action en faveur des femmes devrait en tenir compte. Et, petit à petit, la situation évoluera.

M. Guénhaël Huet. La politique des petits pas est en effet nécessaire, mais je ne la crois pas suffisante. Elle ne peut réussir que si on la met au service d’objectifs ambitieux, qu’il faut oser affirmer sans nier pour autant la spécificité des sexes.

Mme Évelyne Duhamel. S’agissant maintenant des conseils d’administration, la parité totale ne me semble pas possible. Pourquoi ne pas fixer un pourcentage de femmes de 30 voire 40 % ? Si on va chercher des femmes, elles répondront, à l’instar de ce qui s’est passé pour les élections politiques.

Mme la présidente Marie-Jo Zimmermann. Je vous remercie.

ANNEXE 2 : LA PART DES FEMMES DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRATION DU CAC 40 ET DU SBF 120

Sociétés du CAC 40 (11/2009)

 

Nombre de sociétés

Nombre de sociétés n’ayant aucune femme

6

Nombre de sociétés ayant 1 femme

19

Nombre de sociétés ayant 2 femmes

9

Nombre de sociétés ayant plus de 2 femmes

6

Sociétés du SBF 120 (11/2009) – sur 80 sociétés

 

Nombre de sociétés

Nombre de sociétés n’ayant aucune femme

32

Nombre de sociétés ayant 1 femme

26

Nombre de sociétés ayant 2 femmes

8

Nombre de sociétés ayant plus de 2 femmes

6

ANNEXE 3 : LA LOI NORVÉGIENNE IMPOSANT 40 % DE FEMMES DANS LES CONSEILS D’ADMINISTRATION

Le ministre du commerce et de l’économie, M. Angsar Gabrielsen membre du gouvernement conservateur et ancien homme d’affaires, a pris l’initiative de proposer que les conseils d’administration des sociétés norvégiennes soient composés au minimum de 40 % d’administrateurs du même sexe.

En effet, bien que les jeunes femmes soient plus présentes que les hommes dans les cursus des études supérieures et malgré leurs qualifications, les femmes ne représentaient que 7 % des membres des conseils d’administration des entreprises. Ce pourcentage n’évoluait pas depuis 20 ans et était inférieur à certains pays européens.

La volonté de mettre fin à un système dans lequel les conseils sont constitués par cooptation au sein de cercles masculins très fermés était également très présente. Une représentation équilibrée des sexes, donc un partage du pouvoir à la tête des grandes entreprises, a été regardée comme un impératif démocratique.

1. Le champ d’application

La loi est applicable aux sociétés détenues par l’Etat, aux sociétés créées par les intercommunalités, à certaines sociétés désignées par la loi et aux sociétés privées cotées.

En tout, environ 1000 sociétés sont concernées, dont environ 500 sont des sociétés privées. Un facteur important d’acceptation de la loi sur les quotas a tenu au fait qu’elle ne s’applique qu’à un nombre limité d’entreprises et les plus grandes, sans porter atteinte au droit de propriété dans les petites entreprises familiales.

2. La loi crée l’obligation d’une représentation équilibrée des deux sexes

Le choix d’une limite maximum de 40 % d’administrateurs du même sexe est apparu comme permettant de préserver une certaine flexibilité (par rapport à un ratio de 50/50), tout en s’approchant de l’équilibre et en garantissant une représentation suffisante des femmes pour qu’elles puissent jouer un rôle véritable au sein du conseil.

Si le conseil d’administration compte :

- 2 ou 3 membres, les deux sexes doivent être représentés ;

- 4 ou 5 membres, il y doit y avoir au moins 2 administrateurs de chaque sexe ;

- 6 à 8 membres, il y doit y avoir au moins 3 administrateurs de chaque sexe ;

- 9 membres, il y doit y avoir au moins 4 administrateurs de chaque sexe ;

- plus de 9 membres, il doit y avoir un minimum de 40 % d’administrateurs de chaque sexe.

Il doit également y avoir des administrateurs des deux sexes parmi les administrateurs élus par le personnel, sauf pour les entreprises dans lesquelles le personnel est à plus de 80 % du même sexe.

3. Entrée en vigueur de la loi par étapes

Au total, la mise en œuvre de la réforme s’est étalée sur quatre ans.

Au 1er janvier 2004 : les dispositions applicables aux entreprises publiques, aux sociétés intercommunales et à certaines sociétés désignées par la loi (sociétés détenant le monopole du vin et des alcools, grandes entreprises sanitaires …) sont entrées en vigueur. Ces sociétés ont eu un délai de deux (donc jusqu’au 1er janvier 2006) pour modifier la composition de leur conseil. Cette première phase a permis de montrer la faisabilité de la réforme.

Par accord entre le gouvernement et les mouvements patronaux, l’obligation faite aux sociétés cotées du secteur privé de compter 40 % de femmes dans leur conseil, sous la menace de la dissolution de la société, a été suspendue (cet article n’a pas été promulgué immédiatement). Il leur a été laissé un délai pour s’adapter volontairement aux nouvelles règles.

Le 1er juillet 2005, le bilan dressé par « Statistic Norway » a montré que l’objectif de 40 % n’était pas atteint par ces sociétés. Seulement 13 % des compagnies concernées s’étaient conformées, à cette date, à l’obligation de 40 % de femmes et le taux moyen de présence des femmes dans les conseils n’était encore que de 15,5 %.

En conséquence, au 1er janvier 2006, l’obligation est devenue applicable aux sociétés privées qui ont eu un nouveau délai de deux ans pour modifier la composition de leurs conseils.

4. Les sanctions et le contrôle opérés par le registre du commerce

La sanction existant depuis 1997 pour d’autres infractions au droit des sociétés et garantissant notamment le respect des règles de composition des conseils d’administration, est applicable : il s’agit de la dissolution judiciaire. Au préalable, une procédure d’avertissement est prévue ainsi que des amendes.

Par la suite, un texte a été voté ouvrant la possibilité de surseoir à la dissolution s’il en va « d’intérêts substantiels » pour l’économie.

En tout état de cause, aucune dissolution n’a été prononcée pour ce motif. 70 sociétés ont reçu un avertissement. Ce sont souvent de petites entreprises familiales ou des sociétés holding.

5. Les initiatives visant à susciter des candidatures de femmes

Pour trouver des femmes candidates pour siéger dans les conseils :

- le ministère de l’égalité a constitué des bases de données réunissant des CV de femmes potentiellement candidates. Ces bases ont été peu utilisées mais elles ont permis de montrer qu’il existait des candidates en nombre ;

- il a été fait appel à des femmes d’autres nationalités siégeant déjà dans des CA dans leur pays ;

- il a aussi été fait appel à des chasseurs de tête dont certains se sont spécialisés dans cette mission ;

- des réseaux ont été constitués, notamment par le NHO (principal représentant du patronat norvégien) avec le programme « Female Future » ou par les syndicats pour leurs propres représentants.

6. Les effets de la loi

La loi a permis d’augmenter rapidement et significativement le nombre de femmes dans les conseils d’administration.

Statistiques sur la place des femmes dans les fonctions dirigeantes

Secteur privé

Pourcentage de femmes parmi:

2005

2006

2007

2008

Les membres du CA dans les grandes sociétés cotées

12,8

19,3

33

40 (1.4.08)

Les membres du CA dans les grandes sociétés adhérentes au NHO

18,9

26,5

40,1

 

Les dirigeants de société

16

16

15

16

L’encadrement

18

20

21

22

Source : Statistic Norway

On peut d’ores et déjà constater :

- un rajeunissement des conseils, car les femmes administrateurs sont plus jeunes que les hommes qui siègent habituellement dans les conseils ;

- la présence des femmes modifie la perception que le CA a de lui-même. Il est clair que les décisions sont prises avant tout en fonction d’impératifs stratégiques et de rentabilité. Cependant, en raison d’une expérience professionnelle différente, les femmes posent des questions nouvelles ;

Cette réforme a profité à un nombre limité de femmes, mais la valeur d’exemple donné dans le monde économique peut constituer un vecteur de changement ayant des effets positifs dans la société entière.

Toutefois, il en est résulté une importante concentration du pouvoir par le cumul d’un nombre élevé de mandats d’administrateurs détenus par des femmes. Certaines en font une véritable profession ; il n’y a pas en Norvège de limitation au nombre de mandats que peut détenir un administrateur et le cumul y est un phénomène traditionnel.

Par ailleurs, les postes de direction restent encore essentiellement masculins. Offrir à des femmes la possibilité de faire leurs preuves devrait faciliter leur accession à ces responsabilités.

DEUXIÈME PARTIE :

L’ACTIVITÉ DE LA DÉLÉGATION EN 2009

I. LES ACTIVITÉS LÉGISLATIVES DE LA DÉLÉGATION

En plus du thème de travail annuel retenu par pour l’année 2009 qui est développé dans la première partie, la Délégation a examiné plusieurs sujets en liaison avec la procédure législative ou avec l’actualité.

A. LE PROJET DE LOI PÉNITENTIAIRE :

1. Femmes en prison, une réalité méconnue

Rapport d’information n°1900, de M. Guénhaël Huet, rapporteur au nom de la Délégation, 8 septembre 2009.

Les femmes constituent une population très minoritaire en prison. Elles représentent, en effet, moins de 3 % des personnes incarcérées. Or, cette situation est en soi une source de difficultés. Incarcérées dans des établissements généralement conçus pour les hommes, les détenues sont bien plus souvent que les hommes stigmatisées et très isolées.

Leurs besoins spécifiques en termes de santé, d’accès aux activités et de préservation des liens familiaux doivent donc être mieux pris en compte ainsi que la situation des enfants en bas âge hébergées avec leur mère.

Afin que cette question, souvent passée sous silence lors des débats sur l’exécution des peines et l’incarcération, soit spécifiquement abordée, la Délégation a souhaité être saisie de ce projet de loi.

2. Les modifications adoptées à l’initiative ou avec le soutien de la Délégation

Ont été adoptés, à l’initiative de la Délégation ou avec son soutien, des amendements :

- prévoyant que, sous réserve du maintien de l’ordre et de la sécurité des établissements et à titre dérogatoire, des activités peuvent être organisées de façon mixte (article 28).

Les hommes et les femmes doivent être incarcérés dans des établissements distincts. Dès lors que des quartiers séparés sont aménagés dans le même établissement, toutes dispositions doivent être prises pour qu'il ne puisse y avoir aucune communication entre les uns et les autres. Les quartiers de femmes au sein des établissements pénitentiaires étant généralement de taille très réduite, les détenues n’ont pas les mêmes possibilités d’accéder aux activités que les hommes ce qui les pénalise pour l’accès à la formation, au travail pénal et aux différents équipements.

- demandant que les refus de permis de visite soient motivés (article 35).

Le maintien des liens familiaux est d’une importance toute particulière pour les femmes détenues, surtout lorsqu’elles ont des enfants. Les raisons des refus ne sont pas toujours expliquées aux familles et aux personnes incarcérées. C’est une source d’incompréhension et de difficultés dans leurs relations avec l’administration pénitentiaire qu’il convient de lever.

- Une convention entre l’établissement pénitentiaire et le département définit l’accompagnement social proposé aux mères détenues avec leurs enfants et prévoit un dispositif permettant la sortie régulière des enfants à l’extérieur de l’établissement pour permettre leur socialisation (article 38).

La délégation a considéré comme indispensable de mieux organiser les modalités de sorties des enfants qui vivent en détention avec leur mère afin de les faciliter et de régler les problèmes juridiques que ces sorties soulèvent.

- Une prise en charge sanitaire adaptée à leurs besoins doit être assurée aux femmes détenues, qu’elles soient accueillies dans un quartier pour femmes détenues ou dans un établissement dédié (article 47).

Cet amendement vise à renforcer le suivi sanitaire et médical des femmes détenues qui est bien souvent insuffisant notamment pour le suivi psychique, un seul SMPR sur 26 étant accessible aux femmes. L’accès aux soins gynécologiques est aussi très disparate selon les établissements.

- Tout accouchement ou examen gynécologique doit se dérouler sans entraves et hors la présence du personnel pénitentiaire, afin de garantir le droit au respect de la dignité des femmes détenues (article 52).

B.  RETRAITES : RÉFORME DES MAJORATIONS DE DURÉE D’ASSURANCE DES MÈRES DE FAMILLE

Rapport d’information n°1985, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente et rapporteur au nom de la Délégation, 20 octobre 2009

Les femmes en raison de carrières professionnelles incomplètes notamment parce qu’elles ont interrompu ou cessé leur activité pour s’occuper de leurs enfants, et en raison de l’exercice fréquent de leur activité à temps partiel constituent des droits propres à la retraite bien inférieurs à ceux des hommes. Il en résulte de forts écarts de pension, qui ne sont qu’en partie compensée par les droits familiaux et conjugaux existants.

À la suite de la décision de la Cour de cassation du 19 février 2009, accordant le bénéfice de cette majoration à un père de famille, il a été décidé de revoir le régime qui leur était applicable.

1. L’examen de l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale

La Délégation a examiné l’article 38 du projet de loi de financement de la sécurité sociale relatif aux retraites des mères de famille qui est revenu sur le régime applicable aux majorations de durée d’assurance (MDA) servies aux femmes ayant élevé un ou plusieurs enfants.

Pour les enfants nés après le vote de la réforme du régime des MDA, le dispositif antérieur (une majoration de durée d’assurance maximale de huit trimestres accordée aux femmes pour chaque enfant élevé) est remplacé par deux majorations. Une première majoration de quatre trimestres sera accordée, en tout état de cause à la mère, à raison de l’incidence sur sa carrière de la grossesse et de l’accouchement. Une seconde majoration bénéficiant aux parents à raison de l’incidence sur leur carrière de l’éducation de l’enfant, pourra être partagée entre les parents.

Pour les enfants déjà nés lors du vote de la réforme, la majoration initiale de huit trimestres par enfant au bénéfice de la mère est conservée et le bénéfice de quatre trimestres est ouvert de façon très limitée au père car il doit pouvoir prouver qu’il a élevé seul les enfants. Dans ce cas, le préjudice en terme professionnel peut, en effet, être présumé.

2. La nécessité de traiter dans son ensemble la question des retraites des femmes

La Délégation a considéré que le débat qui s’était instauré depuis l’arrêt de la Cour de cassation, autour de la remise en cause d’avantages spécifiquement destinés aux femmes pour compenser les préjudices de carrière qu’elles subissent, était tout à fait paradoxal. Le dispositif des majorations d’assurance tel qu’il existe depuis 1972, dont la légitimité n’est pas contestable et dont l’utilité est évidente, est en effet remis en cause au nom même d’un principe d’égalité entre homme et femmes étroitement entendu.

Cette extension ne saurait, se justifier par un impératif d’égalité au vu des carrières professionnelles qui sont celles des femmes aujourd’hui. Accorder la MDA aux hommes ne ferait en l’état, qu’accroître encore les différences significatives déjà constatées entre les femmes et les hommes au regard du droit à pension.

C’est pourquoi la Délégation a considéré que :

- la réforme des majorations de durée d’assurance pour enfant ne devait pas être abordée de façon isolée, mais dans le cadre d’un examen global des droits familiaux et conjugaux qui ont pour objectif de compenser les désavantages de carrière subis par les mères et qui les pénalisent au moment de la retraite ;

- cette question était indissociable de l’adoption de mesures propres à assurer l’égalité professionnelle et notamment l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, par la mise en place de sanctions à l’égard des entreprises qui ne respectent pas les obligations légales en matière d’élaboration du rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes et d’adoption d’un plan de rattrapage de l’écart salarial.

Les problèmes spécifiques se posant aux femmes en matière de retraites: niveaux de pension inférieurs à ceux des hommes, grande disparité des retraites versées, faiblesse des droits directs, part importante dans les pensions des avantages familiaux et conjugaux rendent indispensable qu’ils soient discutés lors du prochain rendez-vous sur les retraites.

II. L’ACTIVITÉ INTERNATIONALE DE LA DÉLÉGATION

A. RENCONTRE ORGANISÉE PAR LA COMMISSION DES DROITS DE LA FEMME DU PARLEMENT EUROPÉEN

À l’occasion de la journée des femmes, la Commission des droits de la femme et de l’égalité des chances du Parlement européen a organisé, le 5 mars 2009, une rencontre sur le thème des femmes et des élections européennes.

Cette réunion a été l’occasion de discuter des différents dispositifs adoptés par les Etats membres pour promouvoir la place des femmes en politique et de leur efficacité respective.

B. PRÉSENTATION DU RAPPORT SUR LA PRISE EN COMPTE DU GENRE DANS LES POLITIQUES DE COOPÉRATION

Le 7 janvier 2009, la Délégation a entendu M. Alain Joyandet, Secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie auprès du ministre des affaires étrangères et européennes, sur les dispositifs de coopération en faveur des femmes dans les pays en développement.

Mme Chantal Bourragué, députée membre de la Délégation a été nommée parlementaire en mission auprès de M. le Secrétaire d’Etat chargé de la coopération, du développement, et de la francophonie.

Elle a présenté à la Délégation (32), le rapport : « Vers une meilleure prise en compte du genre dans nos politiques de coopération » concluant cette mission.

C. PARTICIPATION À LA CONFÉRENCE PARLEMENTAIRE INTERNATIONALE SUR LA POPULATION ET LE DÉVELOPPEMENT

La Délégation aux droits des femmes est membre depuis 2001, du Forum parlementaire européen sur la population et le développement. Le Forum constitue un réseau parlementaire régional, regroupant vingt-cinq intergroupes parlementaires travaillant sur les questions de santé, de droits sexuels et reproductifs et d’égalité des sexes.

Mme Danielle Bousquet, Vice-Présidente de la Délégation et membre du comité exécutif du Forum et Mme Chantal Bourragué ont participé au titre de la délégation du Forum parlementaire européen à la Conférence qui s’est tenue à Addis-Abeba, les 26 et 27 octobre 2009.

Cette conférence parlementaire portait sur la mise en oeuvre du plan d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire, de 1994. Elle s’est conclue par une déclaration finale relative à l’accès aux services de santé sexuelle, reproductive et maternelle et l’engagement des parlementaires sur les mesures proposé et leur suivi, en rendant compte régulièrement des progrès réalisés auprès de leurs collègues.

D. RÉUNION DES COMMISSIONS PARLEMENTAIRES CHARGÉES DES DROITS DES FEMMES DES PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE

La Conférence des Commissions parlementaires pour l’Égalité des Chances des femmes et des hommes de l’Union européenne (CCEC) constitue un réseau de coopération entre les commissions ou les délégations chargées du suivi de la politique en faveur de l’égalité des chances des femmes et des hommes dans les parlements nationaux des États membres de l’Union européenne et du Parlement européen.

Chaque automne, cette conférence se réunit dans le pays présidant l’Union Européenne à cette date. Elle s’est donc tenue en Suède, à Stockholm, les 12 et 13 novembre 2009, réunissant une centaine de participants provenant des pays membres ainsi que du Parlement Européen et du Conseil de l’Europe.

Cette rencontre a permis de faire le point des avancées, mais aussi des difficultés rencontrées par les pays européens, en matière d’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes et d’accès aux responsabilités de ces dernières.

Une partie importante des débats a portée sur la fixation de quotas de femmes dans les conseils d’administration des sociétés, sujet sur lequel les initiatives qui pourront être prises en France sont très attendues

III. TABLES RONDES : LES NOUVEAUX ENJEUX DU PARTAGE DES RESPONSABILITÉS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

Le 4 mars 2009, une journée de tables-rondes a été organisée par les Délégations aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique, social et environnemental, avec l’Observatoire de la Parité.

Les débats se sont articulés autour des thèmes suivants :

- parvenir à l’égalité professionnelle

- garantir les droits personnels

- briser le plafond de verre

- tenir les engagements européens et internationaux de la France

1 () Etude sur la présence des femmes dans les 500 premières sociétés françaises (guide des États majors 2008). Action de femmes. Tita Zeïtoun

2 () La place des femmes dans les lieux de décision : promouvoir la mixité. Communication présentée au nom de la Délégation aux droits des femmes du CES, 9 janvier 2007. Audition du 6 janvier 2009.

3 () « Les 100 premières sociétés françaises retenues par le classement 2006  Enjeux Les Échos . Comment favoriser la mixité au sein des conseils d’administration », IFA, 29 juin 2006.

4 () Baromètre annuel CapitalCom sur la mixité, Agence spécialisée dans la communication financière et extra-financière, 8 mars 2008 et 4 mars 2009.

5 () Étude précitée CapitalCom.

6 () Etude précitée :Action de femmes. Tita Zeïtoun.

7 () Audition du 4 février 2009.

8 () Brigitte Grésy, Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, juillet 2009.

9 () Jacqueline Laufer « La construction du plafond de verre : le cas des femmes à haut potentiel », Travail et emploi n°102, avril-juin 2005.

10 () Audition du 3 juin 2009.

11 () Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, juillet 2009.

12 () Audition du 20 mai 2009.

13 () Les femmes et les hommes dans la prise de décision 2007, analyse de la situation et tendances. Commission européenne, janvier 2008.

14 () European Professional Women’s network, EuropeanPWN BoardWomen Monitor 2008.

15 () L’accès et la représentativité des femmes aux organes de gouvernance de l’entreprise, septembre 2009, IFA, European PWN, ORSE.

16 () Proposition de loi n° 1533 déposée par Mme Marie-Jo Zimmermann et plusieurs de ces collègues.

17 () Audition du 24 mars 2009.

18 () Rapport préparatoire à la concertation avec les partenaires sociaux sur l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, juillet 2009.

19 () Critical mass on Corporate boards : Why three or more women enhance governance, Vicky W. Kramer Ph.D, Alison M Conrad Ph.D, Sumru Erkut Ph.D, 2006.

20 () Rapport n° 1798 de la mission d’information sur les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marchés.

21 () Audition de M. Daniel Lebègue, Président de l’IFA et de Mme Agnès Touraine, membre du conseil d’administration.

22 () Audition du 4 février 2009.

23 () The Bottom line : Corporate performance and women’s representation on boards.

24 () Female leadership and firm profitability.

25 () Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions. L’égalité entre les femmes et les hommes – 2008.

26 () Résolution du Parlement européen du 17 janvier 2008 sur le rôle des femmes dans l'industrie (2007/2197(INI)).

27 () Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions - Rapport à mi-parcours sur l’état d’avancement de la feuille de route pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2006-2010).

28 () Rapport de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions – L’égalité entre les femmes et les hommes – 2009 (Sec 2009 165).

29 () Audition du 6 janvier 2009.

30 () Les entreprises comptant de 50 à 300 salariés ne sont pas soumises à l’obligation de réalisation du rapport de situation comparée tel que défini à l’article L. 2323-57 du code du travail, mais ne sont cependant pas dispensées de l’obligation de collecter de façon simplifiée les données relatives à l’égalité professionnelle dans l’entreprise.

31 () L’article 25 de la loi n° 2006-340 du 23 mars 2006 relative à l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, déclaré contraire à la Constitution prévoyait que : « Pour le prochain renouvellement des conseils de prud'hommes, les organisations présentant des listes de candidats devront faire en sorte de présenter une proportion de femmes et d'hommes réduisant d'un tiers, par rapport au précédent scrutin, l'écart entre la représentation du sexe sous-représenté au sein des listes et sa part dans le corps électoral, selon les modalités propres à favoriser la progression du pourcentage d'élus du sexe le moins représenté ».(NB : la loi n°2001-397 du 9 mai 2001 qui contenait une disposition similaire, n’avait pas été soumise au Conseil Constitutionnel).

32 () Compte rendu de la réunion du 6 octobre 2009. 


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