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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 janvier 2010.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 28 janvier 2009 (1),
sur « le rayonnement de la France par l’enseignement et la culture
(Rapport d’étape) »
Président
M. François ROCHEBLOINE
Rapporteure
Mme Geneviève COLOT
Députés
__________________________________________________________________
(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.
La mission d’information «Rayonnement de la France par l’enseignement et la culture» est composée de : M. François Rochebloine, président, Mme Genevève Colot, rapporteure, Mme Martine Aurillac, MM. Jean-Louis Bianco, Philippe Cochet, Jean-Pierre Dufau, Jean-Michel Ferrand, Jean-Claude Guibal, Jean-Pierre Kucheida, Robert Lecou, Didier Mathus, Jacques Remiller, André Schneider.
INTRODUCTION 5
I – PREMIERS CONSTATS : DERRIÈRE UNE BRILLANTE FAÇADE, UN RÉSEAU D’ENSEIGNEMENT MENACÉ D’ÉTOUFFEMENT ET UN RÉSEAU CULTUREL QUI S’ÉTIOLE 9
A – LE REMARQUABLE RÉSEAU D’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER EST VICTIME D’UN EFFET DE CISEAU ENTRE L’AUGMENTATION DE SES BESOINS ET LA CAPTATION DE SES MOYENS PAR DES SUJÉTIONS CROISSANTES 9
1) Un réseau riche de sa diversité et de sa complémentarité 9
2) Un rôle de pilote remarquablement tenu par l’AEFE, avec l’indispensable relais des ambassades 12
3) Un lancinant problème de moyens, qu’aggrave la mesure de gratuité 14
B – LE RÉSEAU CULTUREL PEINE À FAIRE RAYONNER LA FRANCE DANS LE MONDE, PAR ABSENCE DE STRATÉGIE CLAIRE ET PAR DÉFAUT DE MOYENS ADÉQUATS 19
1) Un réseau dont l’image, en dépit des efforts de rationalisation entrepris, demeure brouillée par une trop grande disparité 19
2) Des ressources inestimables mais non coordonnées : des opérateurs nationaux spécialisés aux individualités de terrain 23
3) Une pénurie de moyens d’intervention doublée d’une usante incertitude sur l’avenir 25
II – PREMIÈRES PRÉCONISATIONS ET QUESTIONS EN SUSPENS : DEUX RÉSEAUX AU FORMIDABLE POTENTIEL D’INFLUENCE, À CONSOLIDER POUR L’ENSEIGNEMENT ET À RÉORGANISER POUR LA CULTURE 31
A – LE RÉSEAU D’ENSEIGNEMENT DOIT CONSERVER SON UNITÉ ET SA SOUPLESSE, ET RETROUVER LES CONDITIONS DE L’ÉQUILIBRE FINANCIER 31
1) Une nécessité immédiate : encadrer enfin la mesure de gratuité 31
2) Les moyens du développement du réseau : un plan immobilier et des modes d’action innovants 32
3) Quatre questions en suspens : le statut des personnels, le fonctionnement du réseau à l’échelon local, le recours aux financeurs extérieurs et l’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur 35
B – LE RÉSEAU CULTUREL A BESOIN D’UNE STRATÉGIE COHÉRENTE ET PÉRENNE ET DES MOYENS MODERNES DE SA MISE EN œUVRE 39
1) Une rationalisation à poursuivre : la généralisation du modèle de l’établissement à autonomie financière 39
2) Une stratégie à élaborer avant d’aller plus loin dans la réforme 40
3) Une réforme à oser : la fusion des réseaux et des labels sous la « marque Alliance française » au service d’une stratégie mondiale 41
4) Un accompagnement à prévoir : par la professionnalisation des agents et la stabilisation des moyens d’intervention 44
5) Quatre questions en suspens : l’agence culturelle, l’articulation entre les tutelles, le recours à d’autres acteurs et la place de l’audiovisuel 46
CONCLUSION : LISTE DES PREMIÈRES PRÉCONISATIONS DE LA MISSION ET DES QUESTIONS À EXPLORER 49
EXAMEN EN COMMISSION 53
ANNEXE – LISTE DES AUDITIONS ET DÉPLACEMENTS DE LA MISSION D’INFORMATION 59
La commission des Affaires étrangères a créé au printemps dernier une mission d’information sur le rayonnement de la France par l’enseignement et la culture, constituée de treize membres représentant l’ensemble des sensibilités politiques, rassemblées autour d’une même ambition : réfléchir à la meilleure façon de promouvoir l’influence, la culture, la langue et les valeurs de notre pays de par le monde, à l’heure de la définition de nouveaux pôles d’attraction de la planète et de nouveaux modes de diffusion de la connaissance.
Cette réflexion n’est certes pas neuve dans son objet mais nul n’en a pour autant le monopole. Et la commission des Affaires étrangères ne s’est pas estimée la moins bien placée pour la conduire, surtout à ce moment de bascule du calendrier politico-administratif où une grande réforme de structure peut encore − mais tout juste − être lancée, et surtout aboutir, sans risquer d’être happée dans la préparation des échéances électorales suivantes.
Il s’agissait pour la mission, à sa création, de mener sa réflexion selon deux axes complémentaires :
– quel avenir pour le réseau des lycées français à l’étranger ? Dans le contexte d’une forte croissance de la demande de scolarisation selon un « modèle français » d’excellence, unique au monde, comment mettre en œuvre l’indispensable plan de développement du réseau explicitement demandé au ministre des Affaires étrangères et européennes par le Président de la République et le Premier ministre dans leur lettre de mission à M. Bernard Kouchner, à l’été 2007 ? Comment concilier l’objectif de rayonnement de la France par son réseau d’enseignement avec celui de fournir à nos compatriotes établis à l’étranger le meilleur « service rendu » possible, dans le contexte de la mise en place de la gratuité promise par un candidat à l’élection présidentielle nommé Nicolas Sarkozy ? Comment, en somme, consolider un réseau loué par tous au moment où apparaissaient plusieurs facteurs de fragilisation, de nature statutaire ou budgétaire ?
– quelle configuration optimale pour le réseau des centres et instituts culturels français ? Longtemps annoncée et maintes fois reportée, mise en œuvre de façon expérimentale et parcellaire au gré des restrictions budgétaires, sans vision stratégique, et sur fond de lancinantes critiques sur le « déclin de la pensée française » dans le monde, la réforme de l’action culturelle extérieure semblait au printemps dernier entrer dans une phase décisive. La mission avait à cœur de pouvoir accompagner sa mise en œuvre et d’en juger les premiers résultats, à l’horizon d’un an.
Or sur ces deux points, en ce début d’année, au terme de près de neuf mois de travail de la mission d’information et après la promulgation de la loi de finances pour 2010, c’est un goût d’inachevé qui prédomine ; l’impression mitigée du sage refus de toute précipitation dans la réforme, et concomitamment, de temps perdu pour redonner du souffle à notre diplomatie d’influence, alors que son adaptation à la mondialisation est plus nécessaire que jamais.
En effet :
− s’agissant du réseau français d’enseignement à l’étranger, l’encadrement de la mesure de gratuité fermement souhaité par la mission qui avait réussi cet automne à faire partager ce souci, non seulement par la commission des Affaires étrangères mais par l’Assemblée nationale elle-même, est de nouveau remis à plus tard, au bénéfice d’un moratoire aussi précaire qu’insuffisant ;
− concernant le réseau culturel, aux annonces du printemps ont succédé le report de la mi-juillet puis le « sursis à décider » de la fin octobre.
Le présent rapport d’étape est donc le moyen de faire le point sur ce double atermoiement, en indiquant ce qu’il a de préjudiciable, mais également en formulant des préconisations pour une réforme ambitieuse et stratégiquement pensée. L’occasion de la discussion du projet de loi de finances pour 2010 a été manquée, l’examen périodique de rationalisation budgétaire mené dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), qui devait se tenir à la mi-décembre, a été reporté au début de 2010 s’agissant des thèmes intéressant la mission d’information, l’audit de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), toujours dans le cadre de la RGPP, est en cours : le moment est particulièrement propice, aux yeux de la mission, pour dresser de premiers constats, formuler de premières préconisations et recenser les questions encore en suspens.
Pour ce faire, la mission peut d’ores et déjà s’appuyer sur une riche série d’auditions et sur un certain nombre de déplacements qui ont substantiellement alimenté sa réflexion : une trentaine d’auditions de responsables, d’acteurs, de témoins et d’usagers des outils du rayonnement de la France par son enseignement et sa culture, à Paris comme à Londres, à Berlin, au Chili et en Argentine, ou encore à l’écoute des membres de l’Assemblée des Français de l’étranger pour les États-Unis et le Canada. Autant de rencontres ayant permis à la mission de confirmer des constats déjà établis, de prendre conscience de problèmes insoupçonnés, d’extrapoler à l’échelle du réseau à partir de situations particulières, d’entrevoir des solutions à proposer − encore à l’état d’ébauche mais qu’il est possible de soumettre au débat dès à présent.
Car ce rapport d’étape intervient également à un moment précis dans le mouvement de réforme que connaît le Quai d’Orsay. La mission entend ainsi clairement prendre date en vue du prochain examen du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, déposé sur le bureau du Sénat le 22 juillet dernier. Sans trancher l’ensemble des questions soulevées dans le cadre de la réforme du réseau culturel, ce projet contient néanmoins une série de dispositions-clefs, en particulier la création d’une catégorie nouvelle d’établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) : une « agence culturelle » par transformation de l’association CulturesFrance, et un « opérateur de la mobilité internationale » par regroupement de l’association Egide et des groupements d’intérêt public (GIP) CampusFrance et France coopération internationale (FCI). Quant aux voies et moyens du développement du réseau d’enseignement français à l’étranger, il ne fait guère de doute qu’ils feront partie des débats parlementaires sur un projet de loi dont l’intitulé ouvre un large champ à la discussion et aux amendements.
Telles sont les raisons qui ont convaincu la mission d’information de l’opportunité d’un rapport d’étape sur les deux aspects de sa réflexion. Par définition, ce travail est à la fois limité et provisoire ; les jalons ainsi posés devront être complétés, voire rectifiés, par de futures auditions et de prochains déplacements, de même que par les réactions que pourra susciter le présent rapport d’étape. Dès lors, la brève série de préconisations qu’il contient sera nécessairement affinée, revue et augmentée dans le rapport définitif de la mission. Celle-ci aura alors une vision plus complète des différents types de pays où s’étend le réseau culturel et d’enseignement, certes universel mais dont les mailles sont de taille très variable selon les continents et l’impact local de l’histoire de la présence française. Par exemple, le déplacement de la mission envisagé à Abou Dabi sera très instructif pour apprécier le potentiel très riche que représente un développement de l’influence française dans la zone. Par exemple encore, le déplacement envisagé en Inde permettra de mesurer le faible poids relatif de la France sur place et de dessiner une stratégie de développement de notre diplomatie d’influence au sein des puissances majeures de demain. Par exemple enfin, un déplacement envisagé au Liban sera utile pour déterminer la stratégie à déployer dans les zones de présence française historique, sur le mode de la rationalisation sans abandon.
D’ores et déjà, la mission tient à formuler ici ses remerciements très sincères à l’ensemble des personnes qui ont bien voulu apporter leur concours à sa réflexion, que ce soit par le temps prêté à des auditions toujours franches et instructives, par le soin apporté à l’organisation de déplacements complémentaires et riches d’enseignements, ou encore par la fourniture de documents, d’informations et de statistiques éclairants.
Notre réseau culturel et d’enseignement à l’étranger mérite une réforme ambitieuse et cette réforme mérite un large débat ; la mission d’information s’enorgueillit de contribuer à faire vivre ce débat et sera particulièrement attentive aux réactions que suscitera le présent rapport d’étape et qu’elle prendra en considération lors de la présentation définitive de ses travaux au printemps prochain.
I – PREMIERS CONSTATS : DERRIÈRE UNE BRILLANTE FAÇADE, UN RÉSEAU D’ENSEIGNEMENT MENACÉ D’ÉTOUFFEMENT ET UN RÉSEAU CULTUREL QUI S’ÉTIOLE
A – Le remarquable réseau d’enseignement français à l’étranger est victime d’un effet de ciseau entre l’augmentation de ses besoins et la captation de ses moyens par des sujétions croissantes
1) Un réseau riche de sa diversité et de sa complémentarité
La mission ne découvrait certes pas les qualités du réseau des lycées français à l’étranger, mais elle a enrichi sa connaissance du sujet grâce aux auditions qu’elle a menées et aux rencontres qu’elle a pu effectuer sur le terrain. Ainsi, la directrice de l’AEFE, Mme Anne-Marie Descôtes, a pu brosser un tableau précis du réseau dont elle a la charge sans masquer les importants défis à relever, qu’il s’agisse des questions statutaires ou budgétaires.
Les responsables de la Mission laïque française ont éclairé la mission sur un réseau moins connu et plus ciblé géographiquement, davantage autofinancé et tout à fait complémentaire du réseau de l’AEFE bien qu’offrant des différences notables de gestion. À côté des « classiques » lycées français existent ainsi des écoles d’entreprise ou des établissements situés dans une position intermédiaire entre le système calqué sur l’Éducation nationale et le système du pays d’accueil, tout en gardant une forte imprégnation française.
Les responsables du Quai d’Orsay chargés d’exercer la tutelle sur le réseau ou d’en accompagner le fonctionnement budgétaire et administratif sont tous convenus de la richesse d’une telle diversité de statuts, qui offre l’irremplaçable avantage de garder à l’enseignement français à l’étranger son unité sans jamais s’abstraire des réalités du pays d’implantation. C’est sans conteste dans cette alchimie que réside une bonne partie du succès et de la renommée d’établissements qui ne cessent de voir d’année en année croître le nombre de demandes d’inscription, à un rythme particulièrement soutenu sur la période récente.
LE RÉSEAU D’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER
Le réseau d’enseignement français à l’étranger compte 461 établissements scolaires répartis dans plus de 130 pays et appartenant à trois catégories distinctes (homologués, conventionnés et en gestion directe). L’an dernier, le réseau comptait 452 établissements.
Les 77 établissements en gestion directe sont des services déconcentrés de l’AEFE. Les 166 établissements conventionnés sont des établissements gérés par des associations de droit privé français ou étranger qui ont passé avec l’AEFE un accord portant notamment sur les conditions d’affectation et de rémunération des agents titulaires, sur l’attribution de subventions et sur les relations avec l’agence. Ces deux catégories d’établissements perçoivent des subventions versées par l’agence qui assure également la rémunération des personnels titulaires grâce, d’une part, à la subvention qui lui est allouée par l’État français, et d’autre part aux remontées que les établissements effectuent d’une partie des droits de scolarité acquittés par les familles.
Les 212 établissements simplement homologués n’ayant pas passé de convention avec l’agence ne bénéficient pas d’aide directe. Ils sont néanmoins, lorsqu’ils le souhaitent, associés aux actions de formation continue organisées par l’agence et bénéficient du conseil pédagogique des inspecteurs de l’Éducation nationale détachés à l’étranger.
L’Agence accompagne également le développement du réseau en signant des accords de partenariat qui permettent un pilotage souple, diversifié et au plus proche de la situation particulière des établissements. Ce statut intermédiaire entre l’homologation et le conventionnement concerne 6 établissements : le lycée franco-israélien de Tel-Aviv, le lycée Théodore Monod d’Abou Dabi, la section française de l’école européenne de Taipei, l’école internationale française de Bali, l’école française de Tachkent et l’Interkulturelle Schule de Brême.
La tutelle qu’exercent les ambassades est elle aussi fonction de la nature de l’établissement. Les postes sont étroitement associés par l’agence aux décisions concernant les établissements en gestion directe. S’agissant des établissements conventionnés, l’ambassadeur ou son conseiller de coopération et d’action culturelle sont souvent membres de droit des conseils de gestion.
Le nombre total d’enfants français dans le réseau des établissements en gestion directe ou conventionnés évolue comme suit : 78 640 élèves en 2007-2008 et 82 221 élèves en 2008-2009. Quant au nombre d’élèves étrangers, il était de 89 332 en 2007-2008 et de 91 371 en 2008-2009. Le réseau continue donc à s’étendre, en nombre d’établissements comme de par le nombre d’élèves accueillis.
Le réseau « respire » également, puisque chaque année interviennent des ouvertures, des fermetures et des changements de statut. Au titre des entrées récentes dans le réseau, citons notamment le Centre d’appui à la réouverture des établissements d’enseignement français en Côte d’Ivoire, mis en place le 1er septembre 2008 afin d’accompagner notamment la réouverture du lycée français Blaise Pascal d’Abidjan à la rentrée 2008, avec un statut d’établissement homologué. Ce dernier a accueilli 950 élèves à la rentrée 2008 et 1 200 élèves à la rentrée 2009.
Le président de la Fédération des associations de parents d’élèves du réseau d’enseignement français à l’étranger (FAPEE) a lui aussi souscrit au constat d’excellence d’un réseau qui est le seul au monde à offrir, sur les cinq continents, une telle unité de pédagogie, de cursus et de progression annuelle, mais aussi une telle capacité à tirer le meilleur des élèves en les incitant − particulièrement dans les classes de lycée − à réfléchir par eux-mêmes et à acquérir cet esprit critique qui est devenu la « marque de fabrique » des lycées français.
Les déplacements de la mission ont, sans surprise, corroboré cette analyse ; ils l’ont cependant complétée en faisant apparaître, grâce aux nombreux témoignages recueillis, les différentes motivations des parents d’élèves, professeurs et personnels d’encadrement pour inscrire leurs enfants dans un lycée français ou pour y travailler.
Par-delà les différences évidentes entre les lycées français de Londres, de Santiago du Chili, de Concepcion, de Buenos Aires ou de Berlin − en attendant d’autres découvertes à Abou Dabi, en Inde ou au Liban −, l’engagement du personnel d’encadrement, des enseignants ou des parents d’élèves impliqués à des degrés divers dans la vie des établissements a, disons-le, forcé l’admiration de la mission. Pour développer un peu ce constat, mentionnons quelques points qui mériteront d’être développés à l’heure du bilan global des travaux de la mission :
− même dans les pays les plus proches − en Allemagne par exemple − on trouve des établissements au statut atypique, tel le lycée franco-allemand de Berlin. Chaque pays recèle sa singularité, depuis le cas de lycées « hérités » de l’Alliance française jusqu’à celui d’établissements dont la nature juridique diffère selon que l’on raisonne en droit français ou en droit local, en passant par les établissements dont certaines classes seulement sont homologuées… Cette diversité qui s’explique au cas par cas n’est pas un handicap tant qu’elle demeure compatible avec le « label » de l’enseignement français à l’étranger. Surtout, une telle situation requiert une excellente connaissance de chacune des situations particulières, et par l’ambassade localement et par la « tête de réseau », qu’il s’agisse de l’AEFE et de ses antennes régionales ou de la Mission laïque. Connaissance intime des situations et suivi régulier de la vie des établissements sont des conditions exigeantes mais indispensables au bon fonctionnement du réseau ;
− les pays européens à forte communauté française sont soumis à une contrainte importante en termes de demandes d’inscription et peinent à répondre aux sollicitations, le cas de Londres étant sans doute l’exemple le plus topique. C’est là que se pose de la manière la plus aiguë la question de la capacité immobilière d’accueil et la recherche de solutions alternatives ou complémentaires au réseau « classique » de l’AEFE ;
− à l’autre extrémité du spectre en quelque sorte, certains établissements se sentent très éloignés de la France − et ils le sont en effet, à l’instar du lycée de Concepcion qui ne bénéficie que de deux personnels expatriés, la proviseure et une professeure de lettres. Depuis le décalage du calendrier scolaire propre à l’hémisphère sud jusqu’au risque toujours présent d’un trop grand éloignement de la langue française par manque de locuteurs sur place − parmi les enseignants comme parmi les élèves −, tout concourt à souligner l’attention toute spéciale que requièrent ces « établissements du bout du monde », qui sont le signe de l’universalité du réseau. Comme la mission aura l’occasion de le redire sur d’autres points, beaucoup dépend alors − trop, peut-être ? − de quelques individualités d’un dévouement exemplaire. Nous ne devons pas manquer de les saluer, mais nous ne devons pas non plus oublier la fragilité que cette situation révèle pour le réseau ;
− le réseau d’enseignement français à l’étranger est par essence dynamique, dépendant de logiques démographiques et économiques par définition mouvantes et réversibles. S’y ajoute la concurrence des autres établissements, locaux ou étrangers, qu’il serait irresponsable de sous-estimer. Le devoir d’adaptation est donc permanent et aucune situation n’est définitivement acquise. L’excellence se mérite et s’entretient.
Le rapport final de la mission sera l’occasion de revenir en détail sur l’analyse de ce pouvoir d’attraction du réseau. Retenons à ce stade le constat d’ensemble particulièrement laudateur de cet ensemble varié, moins « monobloc » qu’il n’y paraît, et en définitive assez idéalement adapté à sa mission : être à la fois un appui au séjour à l’étranger de nos compatriotes via un service rendu de grande qualité à un coût très compétitif, et un outil d’influence irremplaçable à l’égard des familles du pays d’implantation comme des étrangers tiers, du fait du lien indéfectible ainsi créé avec la France, sa langue, sa culture et ses valeurs.
2) Un rôle de pilote remarquablement tenu par l’AEFE, avec l’indispensable relais des ambassades
Alors que se développe depuis maintenant plusieurs années le débat sur l’intérêt de doter le ministère des Affaires étrangères et européennes d’une « grande agence culturelle », et en s’interrogeant sur son périmètre, son réseau, ses moyens, ou son degré d’autonomie, la mission se plaît à souligner la réussite que représente la mise en place et le maintien de l’AEFE depuis bientôt vingt an, grâce notamment à la ténacité et à la vision d’un ministre des Affaires étrangères nommé Alain Juppé.
À d’autres modèles − qui trouvent d’ailleurs toujours des partisans aujourd’hui −, tel celui d’un « rectorat de l’étranger », auquel le rapport final consacrera quelques développements, celui de l’établissement public doté de « son » réseau et fonctionnant en harmonie avec le ministère de l’Éducation nationale tout en ne dépendant que de la tutelle unique du ministère des Affaires étrangères, a fait ses preuves. Quant aux relations avec les ambassades, elles semblent avoir trouvé un équilibre tout à fait satisfaisant ; tel a en tout cas été le constat dressé par la mission au cours de chacun de ses déplacements, par-delà les différences parfois très grandes d’un pays à l’autre.
Le Chili représente sans doute à cet égard un cas particulier, dû à la personnalité de l’Ambassadrice, Mme Maryse Bossière, précédemment directrice de l’AEFE. La présence à Santiago de la petite équipe de l’AEFE responsable du réseau à l’échelle régionale corrobore ce particularisme. Le choix de la mission de se rendre sur place n’était d’ailleurs pas neutre. Les entretiens avec l’Ambassadrice, le pôle régional de l’AEFE et les déplacements dans les établissements de Santiago et de Concepcion ont convergé pour illustrer deux points essentiels :
– le modèle de l’établissement public à réseau, répétons-le, a fait ses preuves ; mais cela est intrinsèquement lié à la nature des missions confiées à l’AEFE. La vocation du réseau est claire : conduire les élèves de la maternelle au baccalauréat selon le schéma de l’Éducation nationale adapté localement. Les données de départ sont quantifiables, les performances mesurables. Autrement dit, il n’en irait pas forcément de même pour toute agence, quelle que soit sa mission…
– l’implication de l’ambassadeur est cruciale. Son autorité est nécessaire à la bonne marche du réseau dans son pays d’établissement, en même temps qu’elle est le gage d’un correct exercice de la tutelle. Non pas que l’ambassadeur exerce juridiquement un pouvoir hiérarchique sur les chefs d’établissement ou les enseignants ; mais l’alliance de son implication et de son autorité, dans le meilleur sens du terme, est nécessaire à l’équilibre optimal entre l’autonomie des lycées et leur vocation d’outil de rayonnement de la France à l’étranger. Une alchimie assez subtile qui est aussi affaire de personnes, bien sûr. Et là encore, le modèle n’est pas forcément transposable à d’autres types d’agence, qu’elles interviennent dans le domaine de la culture, de l’aide au développement ou du commerce extérieur.
La mission devra garder à l’esprit cette double analyse au moment de rendre ses conclusions définitives. De même devra-t-elle consacrer d’importants développements à la question de l’adéquation des moyens du réseau aux ambitions qui lui sont assignées.
3) Un lancinant problème de moyens, qu’aggrave la mesure de gratuité
La mission a mis à profit la période automnale d’examen du projet de loi de finances pour commencer à traduire en actes sa réflexion, déjà assez avancée, concernant les moyens de l’AEFE et du service public d’enseignement français à l’étranger en général. Sa tâche a été facilitée par le fait que son président comme sa rapporteure, tous deux auteurs d’avis budgétaires sur les crédits de la mission Action extérieure de l’État, avaient déjà eu l’occasion d’écrire et d’amender sur cette question, en particulier lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2009.
Emblématique à cet égard est la mise en place de la gratuité de la scolarité dans les lycées français à l’étranger pour les élèves ayant la nationalité française. Sujet rebattu s’il en est, mais qui demeure comme une épine dans le pied de l’AEFE, et qui va jusqu’à compromettre son équilibre financier, de même qu’il en est venu à représenter chaque année l’un des principaux enjeux budgétaires pour le Quai d’Orsay, tant il accapare le peu de marges de manœuvre disponibles.
Au risque de la répétition et alors que le rapport final reviendra une nouvelle fois sur cette question, dont le début de règlement a été une nouvelle fois différé avec le rejet in fine des modifications apportées sur ce point par l’Assemblée nationale en première lecture du projet de loi de finances, quelles sont les données essentielles du problème ? Elles sont assez bien résumées par l’amendement qu’a déposé le président de la mission sur le projet de budget pour 2010, lequel reprenait en l’affinant un amendement à visée similaire déposé par le président et la rapporteure de la mission au projet de budget pour 2009.
Deux compléments sont ici nécessaires à l’analyse ; en premier lieu s’agissant du sort qui a été réservé à cet amendement. Adopté à l’unanimité par la commission des Affaires étrangères, il a également été adopté en séance publique par l’Assemblée, à la quasi-unanimité, contre l’avis du Gouvernement. Les débats ont montré combien cette question était sensible, notamment car il y va de la mise en œuvre d’une promesse présidentielle ; mais chacun s’est accordé à reconnaître qu’un encadrement de la mesure était nécessaire, à la fois pour d’évidentes raisons d’équité et pour endiguer l’augmentation de son coût budgétaire. À telle enseigne que le Gouvernement lui-même a appliqué un moratoire dont la conséquence est de cantonner, jusqu’à nouvel ordre, la gratuité aux seules classes de seconde, première et terminale. Pourtant, alors qu’il s’était abstenu de revenir en seconde délibération à l’Assemblée sur cette modification des crédits, le Gouvernement a donné au Sénat un avis favorable à un amendement qui atténuait très sensiblement la portée du vote de l’Assemblée nationale… avant de supprimer purement et simplement en seconde délibération la moindre allusion à l’encadrement de la mesure de gratuité. La commission mixte paritaire n’étant pas revenue sur ce sujet, c’est la rédaction du Sénat – c’est-à-dire le texte initial du projet– qui est devenu définitive. Nulle trace ne subsiste donc dans la loi de finances pour 2010 des longs débats parlementaires sur l’indispensable encadrement de la gratuité des écolages au lycée. Tout au plus le Gouvernement s’est-il engagé au Sénat à faire partager par tous un diagnostic de la situation en juillet prochain… ce qui prêterait presque à sourire si le désaveu n’était aussi manifeste et l’enjeu aussi important.
En second lieu, comme le suggère d’ailleurs l’amendement précité qui propose de redéployer au bénéfice du programme immobilier de l’AEFE les économies réalisées sur la mesure de gratuité, le problème plus général est celui des moyens du réseau d’enseignement français à l’étranger. En effet, pourquoi, après tout, se focaliser à ce point sur cette question de la gratuité ? Simplement parce que les moyens du réseau sont si chichement comptés au regard de son expansion continue, et que l’effort demandé aux familles est en telle augmentation chaque année, que tant d’iniquité dans la répartition du financement public supplémentaire accordé, loi de finances après loi de finances, à l’enseignement français à l’étranger, devient proprement injustifiable.
Toutes les auditions de la mission, tous ses déplacements, l’ensemble des témoignages recueillis convergent pour qu’enfin soit encadrée la mesure de gratuité mais on l’aura compris : loin d’être une opposition frontale au principe même de cette gratuité, généreux geste de solidarité à l’égard des Français établis à l’étranger, cette attitude est un symptôme de la situation budgétaire particulièrement tendue dans laquelle se trouve l’AEFE. En témoigne, malgré un budget global de l’ordre de 930 millions d’euros en 2009, l’état particulièrement dégradé de son fonds de roulement :
ÉVOLUTION DU FONDS DE ROULEMENT DE L’AEFE DEPUIS 2005 (en millions d’euros) | |||||
|
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 (*) |
Fonds de roulement |
130,56 |
122,51 |
130,63 |
142,1 |
97,84 |
(*) Après décision modificative n°1. Source : ministère des Affaires étrangères et européennes. |
En distinguant, au sein de ce fonds de roulement global, entre les services centraux et les établissements en gestion directe, le tableau est le suivant, pour l’exercice 2009 et après une première décision modificative :
DÉCOMPOSITION DU FONDS DE ROULEMENT DE L’AEFE EN 2009 (en millions d’euros) | |||
|
Services centraux |
Établissements |
Total |
Montant du fonds de roulement |
18,99 |
78,85 |
97,84 |
soit, en nombre de jours : |
11 jours |
110 jours |
40 jours |
Source : ministère des Affaires étrangères et européennes. |
À ce stade des travaux de la mission, deux faiblesses majeures apparaissent au sein du budget de l’AEFE :
– l’entretien du patrimoine immobilier des lycées français à l’étranger, dont l’État se désengage par remise en dotation à l’AEFE sans donner à l’Agence les moyens de faire face à cette charge considérable. Il a été indiqué à la mission que les seuls travaux de mise aux normes de sécurité de l’ensemble des établissements du réseau représenteraient une dépense immédiate de 50 millions d’euros ;
– la croissance des charges de personnel, qui doivent être assumées par les établissements − et donc par les familles − à un degré toujours plus important. Cette situation résulte notamment d’une forme de « normalisation » de la rémunération des personnels employés à l’étranger, qui se traduit par le paiement de cotisations sociales de plus en plus élevées, là encore sans que l’État compense suffisamment ce surcoût aux établissements. Au-delà des disparités créées entre personnels selon leur date et leur mode de recrutement, le budget des lycées se trouve mécaniquement grevé de charges nouvelles qu’il n’est pas aisé de faire accepter par les familles − et moins encore dans le contexte délicat de la mise en œuvre de la gratuité pour les enfants dont les parents français ne sont pas agents publics.
*
On ne tarit pas d’éloges sur le réseau des lycées français à l’étranger, riche de sa diversité et de son caractère universel, et la mission a toutes les raisons de souscrire à ce constat. Néanmoins elle a bien perçu, à ce stade de ses travaux, la situation de fragile équilibre dans laquelle se trouve cet ensemble remarquable : il s’en faut de peu que le réseau ne devienne victime de son succès, victime d’un effet de ciseau entre son attractivité croissante − accrue par la mesure de gratuité − et des charges financières et immobilières qu’il ne serait plus à même d’assumer. C’est dans cette prise de conscience que s’inscriront les premières préconisations de la mission.
Sensiblement différente est la situation du réseau culturel, à la fois de par son rôle et son organisation. À un réseau d’enseignement qui risquerait d’être étouffé par son succès si rien n’était entrepris pour accompagner ou, au besoin, corriger les tendances de moyen terme, on peut opposer un réseau culturel pris dans une spirale de doute sur ses missions et de disparition progressive de ses moyens traditionnels d’intervention.
B – Le réseau culturel peine à faire rayonner la France dans le monde, par absence de stratégie claire et par défaut de moyens adéquats
1) Un réseau dont l’image, en dépit des efforts de rationalisation entrepris, demeure brouillée par une trop grande disparité
Par contraste avec la situation du réseau d’enseignement français à l’étranger, dont la mission a surtout affiné sa connaissance − et entend le faire encore à l’occasion de ses prochains déplacements −, l’appréhension du réseau culturel et des différents acteurs de l’action culturelle extérieure de notre pays a représenté une tâche importante, qui n’est d’ailleurs pas terminée.
Certes, la mission n’avançait nullement en terre inconnue et, une fois encore, les avis budgétaires du président de la mission ou l’expérience personnelle de chacun de ses membres offraient déjà un vaste panorama de l’existant. Mais chaque réflexion sur le réseau culturel français à l’étranger se trouve toujours confrontée à une question de périmètre, de champ d’étude, qui révèle en fait, à n’en pas douter, l’une des faiblesses de ce réseau.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la mission a souhaité entamer ses auditions, de façon assez inhabituelle, par des comparaisons avec les réseaux culturels extérieurs des pays voisins de la France et porteurs, peu ou prou, de velléités similaires de rayonnement d’une langue et d’une culture. Il s’agissait à la fois d’observer dans quelle mesure des pays comparables au nôtre donnaient la même impression d’éparpillement de leur réseau culturel à l’étranger, et de s’informer sur la perception de l’action culturelle française par des Britanniques, des Allemands ou des Espagnols dotés d’une mission semblable.
Ces auditions des responsables parisiens du British Council, du Gœthe Institut et de l’Instituto Cervantès ont révélé des différences notables avec le réseau culturel français, que le rapport final de la mission donnera l’occasion de détailler. Par exemple, le réseau du Gœthe Institut fonctionne de façon très décentralisée et autonome vis-à-vis de l’appareil diplomatique allemand, à l’inverse de celui du British Council dont le directeur est en principe localement le conseiller culturel de l’ambassade. C’est ainsi que le British Council met en œuvre une stratégie mondiale d’influence qui dépasse le « simple » périmètre de la langue et de la culture du Royaume-Uni pour embrasser des priorités pluriannuelles dont la principale, à l’heure actuelle, est… la lutte contre le changement climatique ! Le champ des missions peut différer également, comme le montre l’exemple de l’Instituto Cervantès dont le rôle principal est avant tout linguistique.
Cette série de constats, qui sera développée dans le rapport définitif, permet de mettre en lumière la vocation plurielle, et insuffisamment explicite, des différentes composantes du réseau culturel français à l’étranger :
− historiquement, ce sont les Alliances françaises qui les premières, à partir de 1883, ont assumé un rôle de diffusion de la langue française, avec une implantation géographique devenue mondiale mais non sans d’abyssales disparités de missions et de moyens au sein d’un ensemble de quelque 1 007 implantations réparties dans 136 pays ;
o en effet, qu’y a-t-il de commun entre l’Alliance française de Concepcion, ville de province du Chili, et l’Alliance française de Buenos Aires ? D’un côté, un établissement qui vivote littéralement, qui peine à exister dans l’ombre d’un lycée auquel est historiquement associé le nom d’« Alliance », et qui ne doit sa survie financière qu’à l’abnégation de la jeune équipe dirigeante locale. De l’autre, un établissement prospère, somptueusement logé, qui a absorbé le centre culturel français de la ville et abrite également l’espace Campus France, et constitue une remarquable vitrine de la présence française en Argentine ;
o comment ranger dans une même catégorie la structure spécialisée dans les cours de langue à vocation professionnelle, le « club des amis du vin et du fromage » pour notables âgés de province – il s’agit bien sûr d’un clin d’œil – et l’établissement phare de la présence culturelle française dans une capitale étrangère ?
o la personnalité et l’entregent des membres du Conseil d’administration sont également des variables-clefs. De la place de ces personnes dans la vie locale dépend en grande partie la renommée et la santé financière de l’établissement ;
o si elles sont toutes des associations de droit local, les Alliances françaises sont pour une part financièrement autonomes, pour une part (486 en 2009) subventionnées par le budget de l’État. Certaines (au nombre de 225 en 2009) bénéficient du financement de personnels expatriés − qui occupent en général la fonction de directeur −, d’autres non ;
o une Fondation Alliance française a été créée en juillet 2007 pour décharger l’Alliance française de Paris des tâches de pilotage du réseau et professionnaliser ce pilotage… même si chaque Alliance demeure autonome à l’égard de la Fondation − hormis pour le bénéfice du « label » − et surtout, jalousement autonome à l’égard des ambassades. N’est-il pas temps que la réflexion progresse sur ce point ?
− les 144 centres et instituts culturels forment en eux-mêmes une mosaïque complexe dont chaque élément correspond à un ancrage local précis, à une histoire, à l’implication variable au cours du temps de tel directeur, de tel conseiller culturel ou de tel ambassadeur. Sans oublier les profondes différences de statut et de moyens existant d’une structure à l’autre ;
− de façon plus discrète mais tout aussi légitimement issue de l’histoire de la présence française, 27 Instituts français de recherche à l’étranger (IFRE) poursuivent, souvent à faible coût et en jouissant d’une bonne réputation, des activités en sciences sociales ou en archéologie qui font honneur à notre pays, mais dont l’écho demeure limité hors de la sphère des spécialistes. Étroitement dépendants des subventions, ils sont régulièrement menacés de disparition et sans cesse se pose la question de la place qu’il faudrait leur réserver dans une réforme d’ensemble du réseau culturel et scientifique ;
− les 154 services de coopérations et d’action culturelle (SCAC) des ambassades tiennent manifestement beaucoup à leur lien direct avec le Département dont ils tirent une forte légitimité pour veiller à la bonne marche de toutes les composantes de la diplomatie d’influence − y compris l’enseignement français à l’étranger ! Mais ce lien juridique et administratif est aussi une forte contrainte en termes de gestion, qui obère la capacité à lever des fonds privés et à les utiliser sur place. Cela est surtout vrai à l’heure où la pénurie de moyens d’intervention est peut-être un aiguillon pour pousser à la transformation des modes d’action de notre diplomatie d’influence, mais est d’abord à court terme un frein puissant aux actions traditionnelles que les SCAC avaient l’habitude de mener.
Depuis une bonne dizaine d’années se met en place, pour l’ensemble des réseaux de l’État à l’étranger − diplomatique, consulaire, économique −, dans le cadre des vagues successives d’optimisation des moyens disponibles, une rationalisation des implantations que la RGPP poursuit actuellement. Le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France à l’horizon 2020, les audits de modernisation, le contrat triennal de modernisation conclu entre le Quai d’Orsay et la direction du Budget, l’exercice du passage à la gestion « en mode LOLF » ou encore les stratégies ministérielles de réforme − pour s’en tenir aux outils les plus récents de la réforme de l’État appliquée au ministère des Affaires étrangères − ont tous convergé en ce sens, au moins depuis le vaste chantier administratif qu’a représenté l’absorption par le Quai d’Orsay de l’ancien ministère de la Coopération, à la fin des années 1990.
Au sein de cet ample mouvement de rationalisation, le réseau culturel semble quelque peu à la traîne. Non pas que rien n’ait été entrepris pour supprimer les « doublons de présence culturelle » de par le monde ; mais cette rationalisation n’est pas encore parvenue à son terme et surtout, elle n’apparaît pas guidée par une stratégie d’ensemble qui supposerait une claire identification des missions assignées au réseau et une vision stable des moyens disponibles pour les mener à bien.
Schématiquement, un double processus d’adaptation du réseau se poursuit à l’heure actuelle :
− d’une part, le nombre d’implantations est modifié dans le sens d’une optimisation de la présence culturelle française à l’étranger, notamment par suppression des doublons. C’est ce que montre le tableau suivant pour la période récente :
ÉVOLUTION DU RÉSEAU CULTUREL EN EUROPE | ||
Ouverture |
Fermeture | |
2004 |
Sarrebruck, Porto et Graz | |
2005 |
Gand et Gênes | |
2006 |
Saragosse |
Cologne, Dresde, Séville |
2007 |
Bilbao | |
2008 |
Rostock | |
2009 |
Brême, Düsseldorf, Francfort, Hambourg, Leipzig, Mayence, Munich, Stuttgart (transformés en antennes de Berlin). | |
Source : ministère des Affaires étrangères et européennes. |
Ces fermetures ne sont jamais des « fermetures sèches ». Par ailleurs, il faut rappeler que les fermetures d’établissements culturels ne se traduisent pas immédiatement par des économies budgétaires importantes. En effet, à court terme, la fermeture d’un établissement implique des licenciements entraînant le versement d’indemnités.
Quant à la carte des implantations culturelles hors d’Europe, elle continue à évoluer également :
ÉVOLUTION DU RÉSEAU CULTUREL HORS D’EUROPE | ||
Ouverture |
Fermeture | |
2005 |
Abuja |
Nairobi |
2006 |
Lagos | |
2007 |
Yogyakarta |
|
2008 |
Erbil (antenne de Bagdad) |
|
2009 |
Saint-Louis du Sénégal (transformé en antenne de Dakar). Istanbul, Izmir (transformés en antenne d’Ankara) | |
Source : ministère des Affaires étrangères et européennes. |
− d’autre part, ce n’est pas le moindre mérite du Conseil de modernisation des politiques publiques, l’organe décisionnaire du processus de RGPP, que d’avoir lancé la généralisation du modèle consistant à prévoir le regroupement, par pays, de l’ensemble des implantations du réseau culturel − Alliances françaises mises à part − sous l’égide d’une seule structure juridique prenant la forme d’un établissement à autonomie financière.
Ces deux aspects de la réforme en cours, qui seront développés dans la seconde partie du présent rapport, ne sont pas négligeables ; mais pour chacun d’entre eux, la mission n’est pas convaincue que soit écarté le risque d’un calage au milieu du gué, ce qui serait probablement la pire des situations.
Outre cette juxtaposition de structures, déjà connue pour l’essentiel, la mission a notoirement étoffé sa connaissance d’acteurs plus discrets mais non moins efficaces.
2) Des ressources inestimables mais non coordonnées : des opérateurs nationaux spécialisés aux individualités de terrain
Le choix initial du temps long pour la programmation des travaux de la mission a permis d’organiser l’audition d’acteurs de l’action culturelle extérieure plus méconnus que les responsables des grandes agences. Par ailleurs, ses déplacements sur le terrain ont permis à la mission de mesurer le poids des individus dans le rayonnement culturel de la France, avec ce que cette situation révèle d’atouts mais aussi de fragilité.
Parmi les auditions d’acteurs spécialisés conduites à ce jour, mentionnons :
− le Bureau international de l’édition française ;
− le Bureau export musique ;
− Unifrance, pour le cinéma.
Ces entretiens ont été l’occasion de fort intéressantes découvertes, qui au stade de cette première réflexion aboutissent au double constat suivant : d’une part, le rayonnement de la France par sa culture ne repose pas que sur la subvention ou sur l’initiative publique et institutionnalisée. Il est également le fait de structures privées, parfois bénéficiaires d’un soutien public mais toujours marginal. Par conséquent, il y a bien un marché culturel, un marché du livre en français ou du livre français traduit, un marché du disque français, un marché du film français à l’exportation. Les trois opérateurs spécialisés précités soutiennent et développent ces marchés par la diffusion de contacts et de bonnes pratiques, par l’aide à la traduction, par l’appui à l’organisation de tournées, par le soutien lors de salons spécialisés, etc. Voilà qui ouvre des perspectives trop souvent inexplorées pour la diffusion de la culture et de la langue françaises. La culture n’est pas que gratuité et dispendieuses opérations de prestige ; il existe, disons-le et assumons-le, une industrie culturelle qui concourt elle aussi au rayonnement de la France, et sans doute pas de la façon la moins efficace.
Le deuxième constat, qui part justement de la méconnaissance des ressources offertes par ces opérateurs spécialisés, est celui d’une réflexion manifestement tronquée à l’échelle du ministère : comment, dans la perspective d’une vaste réforme de notre diplomatie d’influence, passer sous silence l’apport de ces opérateurs et occulter la dimension marchande de la culture dans la mondialisation ? Alors que se met en place au Quai d’Orsay une direction générale de la Mondialisation, du développement et des partenariats, qui englobe notamment les aspects économiques de l’action diplomatique, comment continuer à cantonner l’action culturelle à l’organisation de manifestations de prestige, en imaginant pour seul changement stratégique la recherche auprès de nouveaux financeurs des moyens que le budget de l’État n’est plus en mesure d’apporter ? À l’évidence, il manque une vision d’ensemble, il manque de la prospective, il manque de l’audace dans le dessin d’une stratégie nouvelle pour le rayonnement de la culture française dans le monde.
De l’audace, de l’imagination, une vision, nombre d’acteurs de terrain n’en manquent pourtant pas. La mission peut en témoigner à propos des personnes rencontrées au cours de ses déplacements. De remarquables individualités déploient ainsi une admirable énergie pour surmonter tel cloisonnement, tel obstacle administratif, telle aporie juridique ou telle indifférence du Département pour œuvrer localement au rayonnement de la France. Ici, c’est un conseiller culturel soutenu par son ambassadeur qui va jusqu’à courir le risque d’une procédure devant la Cour de discipline budgétaire et financière, pour faire aboutir un partenariat public-privé indispensable à la réalisation d’un équipement culturel capital pour l’image de la France ; là, c’est un comptable qui accepte sur l’insistance du conseiller culturel de faire de l’exception la règle, pour que fonctionne de la façon la plus rentable un établissement culturel emblématique ; là encore, c’est un service gestionnaire d’une ambassade qui imagine, à la limite d’une légalité confinant au procéduralisme, le remboursement de travaux sur un établissement culturel par une opération publicitaire astucieuse…
L’impression générale qui se dégage de cette multitude d’entretiens et d’anecdotes est celle d’une forme de « débrouille » dont il est possible de tirer une certaine fierté… mais qui objectivement mériterait une remise à plat, une simplification, une rationalisation. Car on ne peut sans contradiction exiger des SCAC et des autres composantes du réseau culturel la recherche de financements complémentaires tout en maintenant aussi étroitement serré le carcan des obligations administratives et comptables.
Dans un tel contexte, la drastique diminution des moyens d’intervention justifie toutes les complaintes − et elles n’ont pas été épargnées à la mission.
3) Une pénurie de moyens d’intervention doublée d’une usante incertitude sur l’avenir
Le débat budgétaire pour 2009 avait suscité, on s’en souvient, des critiques et des inquiétudes à propos de l’avenir de la présence culturelle française à l’étranger qui n’ont pas été étrangères à la création de cette mission d’information, non plus qu’aux annonces de réforme formulées par le ministre des Affaires étrangères et européennes tout au long de l’année écoulée.
Cette prise de conscience, qui a trouvé son écho jusque dans la presse sur le mode de « l’abandon de l’ambition culturelle internationale de la France », a eu le mérite de stimuler la réflexion, mais pas celui de remettre à niveau les moyens d’intervention des SCAC. Et ce constat demeure en dépit de la nouvelle série d’annonces chiffrées formulées dans le cadre du débat budgétaire pour 2010.
• Voici l’état des lieux, tel que le président de la mission a eu l’occasion de le dresser dans l’avis budgétaire relatif au programme 185 Rayonnement culturel et scientifique de la mission Action extérieure de l’État dans le dernier projet de loi de finances :
COMPARAISON PAR ACTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME (en autorisations d’engagement et crédits de paiement, en milliers d’euros) | ||||
Actions |
LFI 2008 |
LFI 2009 |
PLF 2010 |
Évolution |
Animation du réseau |
71 937 |
65 872 |
60 658 |
– 7,9 % |
Langue et culture française, diversité linguistique et culturelle |
70 707 |
61 203 |
61 674 |
0,8 % |
Échanges scientifiques, techniques et universitaires |
55 462 |
53 076 |
54 767 |
3,2 % |
Service public d’enseignement à l’étranger |
287 875 |
412 671 (*) |
420 820 |
2 % |
Total |
485 979 |
592 822 (*) |
597 919 |
0,9 % |
(*) Le ressaut observé entre 2008 et 2009 est dû à l’obligation faite à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, en application du décret n° 2007-1796 du 19 décembre 2007, de financer sur son budget, à compter du 1er janvier 2009, la part patronale des cotisations de pensions civiles des personnels qui lui sont détachés. Source : lois de finances votées et PAP 2010 du programme Rayonnement culturel et scientifique. |
De façon plus détaillée, en isolant les crédits de personnel et en faisant apparaître une nomenclature par sous-actions − ce qui, soit dit en passant, s’éloigne beaucoup de la budgétisation à coût complet prévue par la LOLF −, l’évolution est la suivante :
COMPARAISON PAR SOUS-ACTION DES CRÉDITS DU PROGRAMME (en autorisations d’engagement et crédits de paiement, en millions d’euros) | |||
LFI 2009 |
PLF 2010 |
Variation | |
Programme 185 |
592,82 |
597,92 |
0,9% |
Titre 2 |
87,7 |
89,16 |
1,7 % |
Hors titre 2 |
505,12 |
508,76 |
0,7 % |
1 − Animation du réseau (*) |
29,53 |
32,59 |
10,3 % |
Sous-action animation du réseau* |
2,43 |
2,5 |
3,2 % |
Sous-action fonctionnement des EAF/CEF* |
18,47 |
16,6 |
− 10,1 % |
Sous-action soutien aux actions de coopération* |
8,64 |
13,49 |
56,1 % |
2 − Coopération culturelle, linguistique, scientifique, universitaire et technique (*) |
62,91 |
55,35 |
− 12 % |
Langue et culture française, diversité linguistique et culturelle (*) |
23,75 |
20,62 |
− 13,2 % |
Échanges scientifiques, techniques et universitaires (*) |
39,16 |
34,73 |
− 11,3 % |
3 − AEFE (*) |
412,67 |
420,82 |
2 % |
(*) hors titre 2. Source : ministère des Affaires étrangères et européennes. |
La diminution des moyens d’intervention, déjà importante entre 2008 et 2009, se poursuit au sein de l’action 2 Coopération culturelle, linguistique, scientifique, universitaire et technique. Globalement, les crédits du programme Rayonnement culturel et scientifique consacrés, hors subvention à l’AEFE, à la diplomatie publique d’influence, s’établiront à 88 millions d’euros en 2010, en baisse de 4,9 % par rapport à 2009.
• Sur le programme 209 Solidarité à l’égard des pays en développement, les documents budgétaires joints au projet de loi de finances pour 2010 indiquent que les crédits consacrés à l’action culturelle et linguistique dans les pays en développement sont répartis entre trois actions. Il s’agit :
– de dotations de fonctionnement aux EAF, de la subvention pour charges de service public à CulturesFrance (pour 7,4 millions d’euros) et de crédits de soutien ;
– de crédits concourant à l’« affirmation de la dimension culturelle du développement ». Les moyens peuvent être en l’espèce de différentes natures : des dotations pour opérations aux EAF (un peu plus de 17 millions d’euros en 2010), des subventions aux Alliances françaises (7,2 millions d’euros), la mise en place de bourses (près de 75 millions d’euros) ou d’échanges d’expertises (12 millions d’euros), des prestations de services ou d’autres subventions d’influence (46 millions d’euros).
• Or sans « rallonge » obtenue à titre exceptionnel et non reconductible, la situation eût été plus tendue encore. C’est au cours de son audition devant la commission des Affaires étrangères le 13 octobre dernier que le ministre des Affaires étrangères et européennes a indiqué publiquement pour la première fois, avoir obtenu du Premier ministre, sur deux ans, 40 millions d’euros pour accompagner la réforme de l’action culturelle extérieure, à raison de 20 millions d’euros en 2009 puis de 20 millions d’euros en 2010.
Pour 2009, le ministre a précisé la répartition de ces moyens entre les programmes Rayonnement culturel et scientifique et Solidarité à l’égard des pays en développement : 6,5 millions d’euros pour le premier et 13,5 millions d’euros pour le second. Pour 2010, les documents budgétaires font fait état de 8,26 millions d’euros sur le programme 185 et de 11,74 millions d’euros sur le programme 209.
Il est prévu que ces crédits supplémentaires bénéficient en priorité aux postes diplomatiques, le reste des crédits ayant vocation à accompagner la mise en place de la future agence culturelle ; compte tenu du degré d’avancement de la création de la nouvelle agence, ces fonds seront alloués en tout ou partie à l’actuel opérateur CulturesFrance.
Dans les postes, ces crédits devraient principalement être utilisés pour engager la modernisation des outils de promotion culturelle et audiovisuelle – par exemple la mise en place de plates-formes virtuelles de diffusion culturelle au Vietnam –, mais aussi pour restructurer le réseau d’établissements culturels − par exemple en Allemagne ou en Italie − ou pour soutenir des événements culturels − par exemple l’année France-Russie ou l’exposition de Shanghai.
En administration centrale, l’accent sera mis sur le soutien à l’exportation des industries culturelles françaises (cinéma, musique, livre, télévision), la mise à disposition du réseau d’outils de promotion efficaces, et sur des événements de communication propres à assurer aux artistes et à l’expertise technique français une plus grande visibilité internationale. Par ailleurs, des formations dans les domaines du numérique, de l’industrie culturelle et artistique et de la gestion seront mises en place pour favoriser la restructuration et la modernisation de notre réseau à l’étranger.
S’agissant de cette « rallonge » de crédits pour l’action culturelle dont chacun n’a pas manqué de se féliciter, au ministère, dans les postes ou au Parlement, il faut souligner que la tranche 2009, qui devait être concrétisée en loi de finances rectificative de fin d’année, ne l’a pas été à la hauteur des annonces formulées.
Quoi qu’il en soit, la mission doit à l’honnêteté de dire que cette préoccupante réduction des moyens d’intervention des SCAC n’est pas le fruit d’un quelconque abandon programmé de toute diplomatie d’influence. Il s’agit tout simplement de la gestion budgétaire − « gestion de la pénurie », devrait-on peut-être dire − la plus rationnelle qui soit. Les marges de manœuvre des gestionnaires sont par définition limitées, particulièrement dans le contexte actuel de profonde dégradation des finances publiques et devant l’objectif affiché de contention, sinon de réduction des dépenses de l’État. Or ces marges de manœuvre sont prioritairement consommées par les augmentations incompressibles de dépenses que sont, schématiquement, pour le Quai d’Orsay :
− l’augmentation mécanique des crédits de personnel − malgré le non-remplacement à un taux élevé des départs en retraite, qui en tout état de cause n’a qu’un impact limité sur les dépenses d’une année donnée ;
− la hausse tendancielle des contributions internationales ;
− la mise en œuvre de la mesure de gratuité pour les élèves français inscrits dans le réseau d’enseignement français à l’étranger.
Dès lors que s’applique une contrainte budgétaire globale, c’est sur les autres postes que doivent porter les économies. Leur « cible » privilégiée, ce sont logiquement les dépenses d’intervention, c’est-à-dire les subventions non reconductibles, qui sont la modalité d’action principale des SCAC en tant qu’organisateurs d’expositions ou financeurs de spectacles.
Dans ces conditions, il n’est guère surprenant que le premier réflexe soit celui consistant à demander le maintien des moyens d’intervention à leur niveau antérieur, surtout lorsque l’on sait que l’ensemble des crédits d’intervention du Quai d’Orsay dans la sphère du rayonnement culturel et scientifique représente annuellement l’équivalent du coût de fonctionnement de l’Opéra national de Paris… N’est-il pas alors légitime de réclamer une remise à niveau peu coûteuse pour les finances publiques et dont l’effet de levier serait très puissant sur le terrain ?
À ce stade de ses travaux, la mission opte pourtant, à la fois par lucidité et parce que ce défi est stimulant, pour le dépassement de cette « querelle des moyens » vraisemblablement perdue d’avance… Elle préfère argumenter − dans la seconde partie du présent rapport − sur le terrain de la libération des initiatives locales, d’une meilleure synergie de l’ensemble des acteurs du réseau et d’un recours à des modes d’action innovants pour sortir de l’impasse budgétaire.
*
Réseau d’enseignement, réseau culturel : les constats sont globalement différents mais ils illustrent la diversité du rayonnement de la France dans le monde, dont le potentiel est immense. Sans en avoir exploré tous les aspects, tant s’en faut, la mission a d’ores et déjà acquis la conviction qu’il est souhaitable et possible d’améliorer la performance de ces deux réseaux au service de l’influence française.
Le défi que doit relever le réseau d’enseignement français à l’étranger est pour l’essentiel de répondre à une demande croissante sans dégrader sa qualité exceptionnelle ; le réseau culturel doit pour sa part réaliser une mue plus profonde et retrouver une raison d’être dans la mondialisation. Telles sont les deux inspirations majeures des premières préconisations que souhaite formuler la mission. En outre, les questions encore en suspens sont explicitement formulées et l’ensemble de ces éléments permettra de nourrir le rapport final auquel la mission souhaite donner une dimension clairement opérationnelle.
II – PREMIÈRES PRÉCONISATIONS ET QUESTIONS EN SUSPENS : DEUX RÉSEAUX AU FORMIDABLE POTENTIEL D’INFLUENCE, À CONSOLIDER POUR L’ENSEIGNEMENT ET À RÉORGANISER POUR LA CULTURE
A – Le réseau d’enseignement doit conserver son unité et sa souplesse, et retrouver les conditions de l’équilibre financier
1) Une nécessité immédiate : encadrer enfin la mesure de gratuité
Convaincue d’être dans le vrai sur ce thème précis, la mission n’entend pas renoncer à réclamer l’encadrement de la mesure de gratuité décrite dans la première partie du présent rapport. Jamais le constat n’a été à ce point partagé, jamais les arguments n’ont été aussi nombreux pour appuyer cette recommandation.
Beaucoup a déjà été dit sur le terrain de l’équité entre familles expatriées comme entre compatriotes expatriés et contribuables métropolitains. Il faut compléter l’analyse par la mention de la situation des fonctionnaires expatriés, dont la rémunération comprend certes une indemnité destinée à couvrir le coût de la vie sur place, y compris la scolarité des enfants, mais de façon forfaitaire, de sorte que la privation de la mesure de gratuité est mal vécue par les intéressés. On a déjà par ailleurs maintes fois dénoncé l’effet d’aubaine pour les employeurs de Français expatriés, qui prenaient en charge des écolages désormais financés par les contribuables résidant en France. L’effet d’éviction des enfants non français voyant le nombre de places disponibles dans les lycées français se réduire à cause de « l’appel d’air » créé par la gratuité, couplé à la priorité d’inscription dont bénéficient les ressortissants français, est inégalement constaté localement. Mais évidemment, plus la mesure s’étendra et plus cet effet se concrétisera dans l’ensemble du réseau.
Au nombre des arguments auxquels la mission n’aurait jamais songé si le cas ne lui avait été rapporté sous forme de témoignage d’une mère de famille, figure le plus pervers des effets de la réforme, que personne, bien sûr, n’a pu souhaiter : la dégradation, du fait du bénéfice de la gratuité, de la situation de familles bénéficiaires de bourses sociales − un comble ! En effet, le bénéfice de la gratuité étant comptabilisé comme une ressource prise en considération pour le calcul des droits à bourse à caractère social, certaines familles auparavant bénéficiaires de la gratuité pour motif social pour l’ensemble d’une fratrie peuvent se voir désormais privées de la prise en charge des plus jeunes à cause de la gratuité octroyée à l’aîné…
Révisée par rapport à l’initiative de l’an passé des deux rapporteurs budgétaires concernés, qui consistait à plafonner la prise en charge des écolages à la fois en fonction des revenus, de façon uniforme pour l’ensemble du réseau, et en fonction du montant des écolages, là encore de façon uniforme, l’amendement de crédits au projet de loi de finances pour 2010 voté en première lecture à l’Assemblée nationale conserve toute sa pertinence. La mission serait naturellement prête à modifier sa position d’ici la remise de son rapport définitif si des arguments pertinents lui étaient opposés ; mais le principe d’un nécessaire encadrement demeure en tout état de cause. Il faut accompagner la réalisation d’une généreuse promesse pour lui donner sa pleine légitimité et une meilleure efficacité.
Préconisation : plafonner la prise en charge des écolages des élèves français inscrits dans le réseau d’enseignement français à l’étranger, en fonction du revenu des familles, de façon différenciée selon un barème établi par pays de résidence.
2) Les moyens du développement du réseau : un plan immobilier et des modes d’action innovants
Que des économies soient ou non réalisées grâce à l’encadrement de la mesure de gratuité, elles demeureront marginales au regard des besoins auxquels doit faire face le réseau d’enseignement français à l’étranger dans toutes ses composantes.
En préambule, la mission souhaite exposer les modalités selon lesquelles elle préconise, à ce stade, l’accompagnement du développement du réseau. Il s’agit d’une double évolution.
• D’une part, l’augmentation des financements publics dévolus au réseau de l’AEFE lato sensu, c’est-à-dire à l’ensemble des établissements appliquant les programmes de l’Éducation nationale − moyennant les adaptations locales qui font la particularité de chaque école, collège ou lycée − et délivrant des diplômes reconnus par elle.
Sans méconnaître les autres voies de scolarisation possibles, les autres moyens de rattacher un établissement aux cursus français, développés infra, la pierre angulaire du réseau doit demeurer cet ensemble historique de lycées dirigés par des proviseurs, principaux et directeurs expatriés, dotés d’un minimum d’enseignants eux-mêmes expatriés, tous garants du lien étroit à conserver entre la communauté scolaire française disséminée de par le monde et l’Éducation nationale. Or en lui-même, ce réseau réclame des moyens pour son maintien à niveau face à la concurrence d’autres réseaux − anglophones par exemple −, et face aux charges croissantes qui lui incombent comme on l’a dit plus haut. Il réclame aussi des moyens pour son développement si les conditions locales s’y prêtent et que cette solution est plus efficiente que l’ouverture d’un autre établissement ou le recours à d’autres solutions, intermédiaires.
Préconisation : conforter le réseau « historique » des lycées français à l’étranger par la mise à niveau de leurs moyens, notamment immobiliers, mais également en personnel expatrié afin de conserver à ce réseau son unité pédagogique et son lien étroit avec l’Éducation nationale, tout en préservant son attractivité. Cela passe par une augmentation de la subvention à l’AEFE à une triple fin :
− mettre aux normes de sécurité et de confort le patrimoine immobilier remis en dotation à l’Agence ;
− conserver un minimum de personnel d’encadrement et d’enseignement expatrié ;
− maintenir le fonds de roulement de l’Agence à 30 jours au moins.
• D’autre part, en complément de la préconisation précédente et du renforcement ainsi opéré du « socle » des lycées français, il est nécessaire de développer, pour répondre à une demande croissante, mais aussi inévitablement fluctuante à raison de la démographie ou de la situation politique ou économique de tel ou tel pays dans le monde, des solutions alternatives à la construction de lycées français ex nihilo.
Sous réserve de ce que révéleront les prochaines auditions et les déplacements futurs de la mission, il apparaît en effet que la construction neuve d’un établissement en gestion directe ou conventionné est aujourd’hui, dans la plupart des cas, une opération complexe, risquée et coûteuse. En revanche, un minimum d’assouplissement du cadre réglementaire existant permettrait de tirer parti de possibilités locales beaucoup plus aisément exploitables. Au demeurant, il est clairement apparu à la mission que la direction de l’AEFE était tout à fait ouverte à une telle évolution, sa tutelle également, et que les exemples locaux ne manquaient pas de projets de ce type.
Ainsi peut aujourd’hui être envisagé, à côté des établissements en gestion directe, conventionnés ou homologués, ce qu’il est convenu d’appeler une « quatrième catégorie », ou quatrième voie de scolarisation, sous la forme de sections bilingues intégrées dans des établissements du pays d’accueil. Une telle option présenterait les avantages de combiner le « label » de l’enseignement français et la souplesse d’une insertion dans un lycée existant, que l’AEFE ou la MLF n’aurait pas à gérer en propre.
Une autre solution alternative à la construction d’un nouvel établissement selon les canons français peut consister à utiliser les formes prévues par le droit local lorsqu’elles sont − ce qui est assez fréquent − moins contraignantes que nos règles classiques. La mission a en particulier étudié avec beaucoup d’intérêt un projet de trust qui servirait de support à la réalisation d’une école au Royaume-Uni, tout comme elle a vivement apprécié de se voir transmettre l’étude très convaincante d’une charter school aux États-Unis.
Ces deux exemples feront l’objet d’une analyse détaillée dans le rapport final ; dans le cadre du présent rapport d’étape, la mission retient que des projets concrets existent pour permettre au réseau d’enseignement français à l’étranger de croître en se diversifiant et que ces solutions innovantes méritent d’être soutenues pour autant qu’elles restent compatibles, a minima, avec les exigences actuellement requises pour l’homologation d’un établissement par l’AEFE. Si tel n’était pas le cas au vu d’un examen approfondi de ces solutions nouvelles, la mission serait naturellement amenée à reconsidérer sa position.
Préconisations :
– mettre en place la « quatrième catégorie » d’établissements sous forme de sections bilingues dans des établissements existants des pays d’accueil ;
– donner leur chance aux solutions alternatives à la construction ex nihilo d’établissements, par exemple selon la formule d’un trust ou d’une charter school dans les pays anglo-saxons, sous réserve de la compatibilité de tels modèles avec l’homologation de ces établissements par l’AEFE.
Un atout supplémentaire, et décisif, de telles solutions innovantes réside dans la possibilité de faire appel plus facilement à des fonds privés pour la construction des établissements. C’est une question que la mission a souhaité aborder sans tabou, d’autant plus naturellement qu’elle a insisté sur le besoin de moyens nouveaux pour accompagner la croissance du réseau d’enseignement. Par conséquent, dans la position définitive qu’elle adoptera au moment d’adopter son rapport final, la mission n’omettra pas d’apporter au crédit des solutions nouvelles précitées les aspects économiques de la question.
*
On l’aura compris, l’approche de la mission n’est absolument pas dogmatique mais concilie au contraire les principes et la réalité pratique, pour le plus grand profit du réseau d’enseignement français à l’étranger, et afin de répondre à sa légitime aspiration à la consolidation d’une part, et à une croissance raisonnée d’autre part.
Les préconisations qui précèdent recèlent, on l’a vu, leurs propres questionnements, et pourront nécessiter des ajustements de la part de la mission au vu de la poursuite de ses travaux. D’autres éléments suscitent eux aussi le débat et devront être examinés plus en détail.
3) Quatre questions en suspens : le statut des personnels, le fonctionnement du réseau à l’échelon local, le recours aux financeurs extérieurs et l’articulation entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur
• Les développements qui précèdent ont d’ores et déjà permis d’aborder la question des personnels du réseau d’enseignement français à l’étranger, en évoquant la variété de leurs statuts et en posant comme principe le maintien d’un certain volant de personnels expatriés comme gage de l’unité du réseau et d’un pilotage efficace.
Qu’il soit bien clair que ce faisant, la mission n’entend nullement établir une quelconque hiérarchie entre les différents statuts de personnels, expatriés, résidents ou recrutés locaux. Les rencontres qui ont eu lieu à l’occasion des déplacements de la mission l’ont amplement démontré : s’arrêter à la question du statut ne dit absolument rien de la situation individuelle de tel ou tel enseignant ou personnel d’encadrement, tant sont divers les parcours et les motivations de chacun.
Ce directeur aura ainsi alterné régulièrement postes en métropole et séjours à l’étranger, quand cette proviseure voudra faire durer autant que possible une expérience à l’étranger qui restera unique ; telle enseignante de physique pour quelques heures hebdomadaires, recrutée locale, aura été « démarchée » par un proviseur ayant repéré, chez cette conjointe de salarié expatrié, les qualifications parfaitement adaptées au poste ; tel professeur expatrié mettra un point d’honneur à « mériter » son statut envié, par une implication accrue dans la vie de l’établissement et une démarche constante de recherche pédagogique appliquée.
Il reste que la mission a reçu de nombreux témoignages illustrant un certain nombre d’incompréhensions, voire de frustrations devant les différences de traitement liées au statut. Il faut noter que ces prises de positions étaient toujours argumentées, jamais agressives et qu’à chaque fois dominait en dépit de tout la satisfaction de travailler dans un établissement d’exception et au sein d’un environnement privilégié.
Faute d’avoir pu extrapoler de façon suffisamment sérieuse à partir d’une série − certes longue − de cas particuliers, la mission n’est pas en mesure de formuler ici une préconisation précise, mais elle mettra à profit la suite de ses travaux pour aboutir à une prise de position sur ce sujet. À défaut d’une recommandation tendant à la modification de tel ou tel des statuts existants, il pourrait ne s’agir que de se prononcer sur le bon équilibre à trouver entre expatriés, résidents et recrutés locaux.
Question à explorer : les éventuelles modifications à apporter au statut différencié (expatriés, résidents et recrutés locaux) des personnels travaillant dans les établissements du réseau d’enseignement français à l’étranger ; à tout le moins, le moyen d’atténuer les différences entre eux.
• Un deuxième sujet d’interrogation, né des observations de terrain réalisées par la mission et qui par définition trouvera d’autres objets d’étude à l’occasion de futurs déplacements, concerne l’organisation locale du réseau. Deux aspects seraient à creuser en particulier :
− le système des pôles « régionaux » de l’AEFE, qui est en soi de bonne méthode mais dont l’efficacité doit être évaluée à l’échelle de l’ensemble du réseau. Il importe également que le déploiement de ces pôles réponde à une logique concertée avec la tutelle au niveau central et avec les ambassadeurs et les SCAC au niveau local ;
− de façon connexe, le rôle de l’ambassadeur à l’égard du réseau, ou plus exactement de chacun des établissements de son pays de résidence. Sans qu’il exerce de tutelle formelle, l’implication de l’ambassadeur est absolument essentielle pour la bonne marche du réseau d’enseignement. Il ne peut se désintéresser de cet outil, comme service rendu aux expatriés et comme instrument de rayonnement. Symétriquement, il doit être tenu informé de son fonctionnement, de ses réussites, de ses faiblesses et de ses besoins.
Question à explorer : le rôle, le fonctionnement et l’efficacité des pôles régionaux de l’AEFE, y compris dans les relations qu’ils entretiennent avec les ambassades. Plus largement, l’implication de l’ambassadeur à l’égard du réseau.
• La troisième question majeure que la mission veut continuer à creuser concernant le réseau d’enseignement français à l’étranger a trait aux financements complémentaires qui pourraient pallier le manque de moyens provenant du budget de l’État, dont la situation n’a pas de raison de s’améliorer grandement à brève échéance – c’est même le contraire qui est à prévoir.
Constamment ramenée par ailleurs au cours de tous ses entretiens à la lancinante question de la gratuité, qui voit se désengager, malgré qu’elles en aient, les entreprises employant des salariés français expatriés, la mission a résolu d’examiner le moyen de maintenir, de leur part, une contribution financière au fonctionnement et au développement du réseau, voire de l’augmenter dans la mesure du possible.
Compte tenu des besoins de l’AEFE nécessaires à l’entretien de son parc immobilier, le premier mouvement de la mission a consisté à suggérer que les employeurs d’expatriés français soient incités à contribuer d’une manière ou d’une autre à cet entretien, ou bien qu’ils soient mis à contribution à l’occasion de la construction de nouveaux établissements. Mais les auditions de la mission ont révélé que les tentatives en ce sens, pourtant en terrain propice économiquement parlant, comme en Chine par exemple, n’avaient pas été concluantes. D’où la préconisation formulée plus haut consistant à encourager le recours à des financements privés innovants et partenariaux plutôt qu’au simple don.
Pour autant, le sujet ne peut être considéré comme épuisé ; surtout, il est tout à fait nécessaire au développement du réseau de bénéficier de financements complémentaires et les moyens de cette levée de fonds devront être envisagés avec attention.
Question à explorer : le recours au « mécénat d’entreprise » ou à d’autres formes de levée de fonds auprès de partenaires privés pour accompagner le développement du réseau des lycées français à l’étranger.
À cet égard, les cas d’Abou Dabi, de l’Inde et du Liban permettront sans aucun doute à la mission de développer son analyse et de mesurer concrètement, dans des cas aussi différents et − chacun à sa manière − révélateurs, quelles sont les possibilités du recours effectif aux financements extérieurs au bénéfice du réseau d’enseignement français.
• Enfin, la quatrième piste de réflexion encore à l’état d’ébauche concerne l’articulation à améliorer, sinon à construire, entre l’enseignement secondaire français à l’étranger et l’enseignement supérieur français ou francophone.
Le plus récent cycle d’auditions de la mission a précisément porté sur la place de l’enseignement supérieur dans le rayonnement de la France et dans sa diplomatie d’influence. À cette occasion, il est apparu que les différentes parties prenantes intervenaient en ordre dispersé et que là non plus, un peu à l’image du constat dressé à propos du réseau culturel, aucune stratégie d’ensemble ne se faisait jour pour donner à notre pays la meilleure place possible sur la scène internationale. Or c’est désormais un lieu commun que de souligner l’acuité de la compétition mondiale qui se livre dans l’enseignement supérieur et l’impact de cette compétition sur l’attractivité et la compétitivité d’un pays tout entier.
Incidemment, ce « flou stratégique » qui entoure à la fois l’avenir du réseau culturel et le rôle des acteurs de la mobilité internationale des étudiants et des chercheurs, ne semble pas de bon augure pour le projet de loi déposé le 22 juillet dernier au Sénat, qui crée une « agence » pour piloter l’action publique dans chacun de ces deux domaines… donnant ainsi la désagréable impression que l’on s’est davantage attaché à la création de structures qu’à la définition de politiques.
Mais ce sera là l’objet du débat qui entourera, le moment venu, l’examen parlementaire du projet de loi ; plus directement lié aux préoccupations de la mission est le thème des débouchés de l’enseignement secondaire français à l’étranger. La mission a en effet constaté qu’un atout maître du réseau, à savoir la possibilité de poursuivre après le baccalauréat son cursus dans l’enseignement supérieur français, en classe préparatoire ou à l’université, était parfois de peu de poids face au pouvoir d’attraction de prestigieuses universités anglo-saxonnes ou plus simplement locales… Un phénomène que la mission a pu observer aussi bien à Londres qu’à Santiago du Chili, et dans ce dernier cas au profit d’universités américaines ou chiliennes.
L’audition de responsables du ministère de l’Enseignement supérieur et les futurs déplacements envisagés seront l’occasion de compléter l’information de la mission sur ce thème qui, pour être situé aux marges de son champ d’investigation, n’en constitue pas moins un élément crucial : l’attractivité de l’enseignement supérieur français comme la valeur des étudiants français poursuivant tout ou partie de leur cursus à l’étranger sont des données importantes du rayonnement et de l’influence de notre pays dans le monde.
Question à explorer : les débouchés de l’enseignement secondaire français à l’étranger après le baccalauréat, leurs déterminants et l’impact de cette situation sur le rayonnement de l’enseignement secondaire et supérieur français.
Le programme de travail de la mission jusqu’au printemps prochain devrait permettre d’avancer sur chacun de ces points demeurés en suspens et sera également l’occasion d’affiner les premières préconisations, toujours dans le but de conforter et d’améliorer à la marge un réseau déjà excellent. Mais la mission y insiste : quels que soient les aménagements retenus, l’implication de l’ambassadeur paraît indispensable. Faut-il la formaliser davantage ? Voilà une piste à explorer.
Le « chantier » du réseau culturel est d’une autre ampleur.
B – Le réseau culturel a besoin d’une stratégie cohérente et pérenne et des moyens modernes de sa mise en œuvre
1) Une rationalisation à poursuivre : la généralisation du modèle de l’établissement à autonomie financière
À l’entame de ses travaux, la mission avait évidemment établi comme point de départ de son analyse un panorama de la réforme projetée du réseau culturel, qui commençait à devenir un serpent de mer de la modernisation du Quai d’Orsay. À côté des analyses du Livre blanc et des travaux parlementaires déjà publiés, une place de choix était occupée par les décisions du Conseil de modernisation des politiques publiques (CMPP) évoqué plus haut, en particulier en avril puis en juin 2008. À la différence de travaux prospectifs en effet, il s’agissait bien de « décisions » de mise en œuvre de la RGPP, prises qui plus est au plus haut sommet de l’État, par le secrétaire général de la Présidence de la République et le directeur du cabinet du Premier ministre, en accord avec le ministre responsable. Il va sans dire que l’application effective de ces décisions du CMPP devait faire l’objet d’un suivi attentif.
Or la mesure phare de cet ensemble de décisions, pour le réseau culturel, consistait à fusionner au plan juridique l’ensemble des entités du réseau culturel − centres et instituts − d’un pays donné sous la forme d’un unique établissement à autonomie financière (EAF). Le rapport définitif de la mission contiendra une présentation détaillée des EAF, ces structures originales instituées par un décret de 1976 (1), tout à fait adaptées au fonctionnement de petites entités administratives disséminées dans l’ensemble des pays du monde et encaissant les recettes issues de leurs prestations pour financer leur propre fonctionnement. Ce modèle, unique en son genre dans le paysage administratif français, fonctionnait à la satisfaction générale, non pas de façon cachée mais à bas bruit, jusqu’à ce que le CMPP lui donne une grande publicité en voulant élargir son succès.
Le ministère des finances a alors découvert un motif d’illégalité du décret de 1976, lié aux amples modifications du fonctionnement juridique et comptable engendrées par la mise en place de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF). Alors que la décision du CMPP était déjà en voie de généralisation, comme la mission a pu s’en rendre compte à Berlin et comme les réponses aux questionnaires budgétaires du président et de la rapporteure de la mission l’indiquaient, cette rationalisation administrative bienvenue a été stoppée net, le temps de trouver le moyen juridique de consolider le régime des EAF qui demeure, de l’avis général, un modèle efficace, et à promouvoir.
Aux yeux de la mission, il est urgent de lever l’hypothèque juridique qui pèse aujourd’hui sur les EAF. D’aucuns pourraient même voir un « mal français » dans cette propension à remettre en cause, pour le principe, voire « pour la beauté des procédures », un mode de gestion qui a fait la preuve de son efficacité. Où est passé l’esprit de la LOLF si l’on peut ainsi aller à contre-courant, non seulement de la modernisation de l’État insufflée par cette loi organique, mais encore de décisions prises au plus haut sommet de l’État par le Conseil de modernisation des politiques publiques ?
Préconisation : lever sans délai les obstacles juridiques à la généralisation du modèle de l’unique établissement à autonomie financière par pays, destiné à regrouper en une seule structure l’ensemble des centres et instituts culturels qui y sont installés.
Pour la mission, la poursuite de cette réforme est d’autant plus urgente qu’elle constitue une étape intermédiaire vers un saut qualitatif bien plus grand encore et une fusion autrement ambitieuse. Toutefois, le préalable de la stratégie s’impose.
2) Une stratégie à élaborer avant d’aller plus loin dans la réforme
Face à une réforme de structure qui continue à chercher son chemin, et alors même qu’un projet de loi est déposé sur le bureau du Sénat, le simple bon sens commande, une fois appliquée la décision du CMPP relative aux EAF, une pause à mettre à profit pour mûrir une réflexion stratégique :
– qu’est-ce que la présence culturelle française dans la mondialisation ? S’agit-il d’abord d’implantations ou de contenus, de messages, d’idées, de valeurs ? Faut-il repérer, attirer, former des individus ? Faut-il préférer toucher les masses ?
– a-t-on tranché le débat sur la définition et le sens de l’action culturelle de la France à l’étranger, que l’on pourrait résumer ainsi de façon un peu caricaturale : s’agit-il de mettre la culture au service de la diplomatie – mais avec quels objectifs ? – ou la diplomatie au service de la culture (via le soutien aux artistes français à l’international) ?
– la langue française est-elle la base de tout ? L’action culturelle en est-elle dissociable et si oui, faut-il néanmoins mener de front les deux missions ?
– à qui revient-il, selon quelles modalités et avec quel degré de permanence, de définir les priorités de notre diplomatie d’influence ? Dans quelle mesure cette notion dépasse-t-elle la « classique » action culturelle ?
– où, dans le monde, s’agit-il de faire porter l’effort en priorité ? L’universalité est-elle une donnée incontournable ? Faut-il privilégier les grands pays émergents au sein desquels la voix de la France porte peu ? Quel traitement réserver aux zones d’influence française historique ?
– quels moyens sont les plus appropriés pour diffuser l’influence française ? Quels personnels, quels relais, quels supports ?
La mission ne prétend pas posséder les réponses à ces questions. Elle y réfléchit bien sûr mais estime avoir une vision encore trop parcellaire, au plan géographique notamment, pour proposer un schéma global. Une chose est néanmoins certaine : toutes les propositions qui suivent n’auront de sens que si elles sont la déclinaison d’une stratégie qui aura été définie au préalable et que l’ensemble des agents du réseau aura solennellement reçu la mission de mettre en œuvre, par décision politique concertée, réfléchie et assumée.
Préconisation : de façon préalable à toute réforme supplémentaire, définir une stratégie pour l’action culturelle précisant à la fois les buts à atteindre, les moyens humains et matériels pour le faire et les responsabilités de chacun dans le pilotage et la mise en œuvre.
Une fois achevée la réforme technique déjà entamée à propos des EAF, et une fois − enfin ! − définie la stratégie de pilotage de l’action culturelle de la France dans le monde, il deviendra possible d’oser beaucoup.
3) Une réforme à oser : la fusion des réseaux et des labels sous la « marque Alliance française » au service d’une stratégie mondiale
Disons-le d’emblée : la mission n’a pas le sentiment de formuler une proposition iconoclaste, irréfléchie ou irréalisable, et ce rapport d’étape lui donne la possibilité de recueillir des premières réactions avant d’arrêter sa proposition définitive.
Le constat a été assez clairement établi de l’éparpillement du réseau culturel et de son image brouillée. Cela est si vrai que les velléités de réforme en cours, qu’il s’agisse de la généralisation de l’EAF unique par pays ou de la quête d’une « grande agence culturelle », ne cessent de rechercher plus d’unité, de cohérence et de visibilité.
D’ailleurs, dans ce qu’il faut bien appeler le « feuilleton » de la réforme du réseau culturel mise en mouvement par le Quai d’Orsay depuis le printemps 2009, une part importante des effets d’annonce a été consacrée au nom à donner aux entités locales du réseau, comme si ce nom devait à lui seul résumer la réforme, en être la clef. Les EAF uniques devaient ainsi être des « Instituts français » partout dans le monde. Un seul mot d’ordre : la simplification.
Mais il n’y avait de simplification que juridique et comptable − ce qui était déjà un très net progrès − et peut-être pas assez de grande culture française dans cette dénomination, si bien que la réflexion autour de la « grande agence » et de son hypothétique réseau s’est accompagnée de la recherche d’un nouveau nom, celui « d’un grand écrivain français », pour reprendre la formule aux accents publicitaires énoncée par le ministre des Affaires étrangères et européennes à l’Assemblée nationale.
Or la mission a sur cette question une attitude claire et volontaire, afin de sortir par le haut d’une réforme à épisodes qui n’a que trop attendu :
– peu importe le nom si aucune stratégie ne sous-tend la réforme, si l’on a éludé la question fondamentale de la structure et des missions du réseau, en un mot si l’on compte sur le seul pouvoir évocateur de Victor Hugo pour répondre à toutes les questions que l’on aura laissées en suspens ;
– le nom, le label, l’image universellement connues, existent depuis plus de deux siècles : il s’agit de l’Alliance française.
Afin de ne pas rester dans le flou qu’elle dénonce chez d’autres, la mission a à cœur d’étayer cette position. Elle le fait aujourd’hui dans le présent rapport d’étape et continuera de tester et de développer son idée jusqu’au terme de ses travaux.
La mission n’ignore pas, tout d’abord, l’attitude pour l’heure peu ouverte à un tel rapprochement de part et d’autre : tout en promouvant ostensiblement la synergie entre le réseau des alliances et celui des centres et instituts culturels, le président de la Fondation Alliance française comme le directeur général de la Mondialisation au Quai d’Orsay campent « chacun chez soi ». L’obstacle n’est pourtant pas insurmontable puisqu’une décision stratégique de rapprochement, voire de fusion des deux réseaux, ne relève ni du Président de la fondation de façon autonome, ni du directeur général de la Mondialisation. En posant aujourd’hui un jalon, la mission prend date à l’égard des autorités politiques qu’elle rencontrera, comme il est d’usage, juste avant de conclure ses travaux.
La situation de départ est donc faussement bloquée − ce qui ne veut pas dire qu’une puissante impulsion politique ne sera pas nécessaire. Quant à l’éventuelle mise en œuvre, elle suppose le règlement de bon nombre de questions, dont aucune ne semble un obstacle insurmontable. Au demeurant, pour illustrer le fait qu’une fusion n’est pas nécessaire, les responsables des deux réseaux soulignent que les doublons d’implantation sont devenus rarissimes entre centres culturels et alliances et que régulièrement, la fermeture de l’un s’accompagne de l’ouverture d’une autre, via une convention dont les gestionnaires ont désormais l’habitude. La mission a même visité à Buenos Aires, ainsi qu’il a déjà été dit, une Alliance française remplissant aussi − et avec quel rayonnement − les missions de centre culturel, selon un mode de fonctionnement que le SCAC comme l’équipe dirigeante de l’Alliance n’ont pas eu de peine à vanter.
Au-delà des synergies ponctuelles ou de l’heureux développement coordonné des deux réseaux, une véritable fusion est donc possible. Elle serait même certainement bénéfique aux deux réseaux. En effet, si les centres et instituts culturels donnent une impression d’éparpillement, le réseau des Alliances est loin d’être uniforme, comme l’a souligné le constat dressé plus haut. Dès lors, c’est bien une opération conjointe de rationalisation des deux réseaux qu’il s’agirait de mener, sans hésiter à fermer les structures redondantes, non viables ou ne s’inscrivant pas dans la stratégie de rayonnement qui sous-tendrait le déploiement du nouveau réseau. Pour le dire d’un trait et avec une pointe de caricature, il n’y aurait plus de place pour les simples « clubs des amis du vin et du fromage », ni pour les pures « boîtes à cours de langue », et pas davantage pour les « salons d’expositions de peinture sans visiteur ».
Le nombre d’implantations serait forcément appelé à se réduire, ce qui devrait en toute logique répondre au choix stratégique de regroupement des implantations physiques, à compenser par le déploiement de chargés de mission à vocation régionale (comme par exemple en Allemagne auprès des gouvernements des Länder) ou par le recours accru aux nouvelles technologies et à la diffusion de contenus. Incidemment, il y aurait là un argument à mettre en avant auprès du Conseil de modernisation des politiques publiques ou des autres organes chargés d’optimiser la dépense publique.
Le lieu de ces implantations devrait être à chaque fois choisi en fonction de la stratégie de départ. De prime abord, il semble difficile de mener à la fois une réduction des implantations en valeur absolue et l’abandon de l’universalité – il n’est d’ailleurs pas certain que cet abandon soit la bonne stratégie à adopter. Par conséquent, le premier temps de la réforme serait vraisemblablement un raisonnement pays par pays, et de ce point de vue, les réseaux des centres et instituts d’une part, et des Alliances d’autre part, paraissent plutôt complémentaires ; pour schématiser, il existe souvent des « pays à Alliance » qui ne sont pas les « pays à institut ».
Un autre élément plaidant pour la faisabilité d’une telle fusion, par étapes et en tenant pleinement compte du contexte local, est l’existence de la Fondation Alliance française depuis 2007, dont le rôle de pilotage du réseau va croissant. De concert avec le déploiement, qu’il faut espérer proche, d’un unique établissement culturel à autonomie financière par pays, une telle situation créerait un terreau favorable à la fusion.
Si l’on devait d’ores et déjà envisager de définir le statut des entités locales nouvelles, dénommées Alliances françaises mais investies de missions étoffées, la mission serait encline à conserver l’actuelle complémentarité entre directeur opérationnel, un expatrié comme dans le cas des Alliances liées à l’État, et un conseil d’administration purement local, doté de puissants relais dans la société civile du pays d’implantation.
Il resterait à définir les rapports entre cette « nouvelle Alliance » et le SCAC, l’ambassadeur et la tutelle nationale. Ici, la mission ne serait pas hostile à un modèle de type British Council, faisant du conseiller culturel de l’ambassade le directeur de la structure opérationnelle. C’est d’ailleurs le cas à Londres où la COCAC de l’ambassade est également directrice de l’Institut français de Londres. Mais dans le cadre du présent rapport d’étape, la mission voudrait éviter d’encourir le reproche de « plaquer » une organisation administrative complète alors que la définition de la stratégie doit primer.
Préconisation : une fois établie la stratégie de l’action culturelle extérieure, engager pour la mettre en œuvre à l’échelon local une fusion des réseaux des centres et instituts culturels (regroupés en un seul EAF) d’une part, et des Alliances françaises d’autre part, sous le label des Alliances.
4) Un accompagnement à prévoir : par la professionnalisation des agents et la stabilisation des moyens d’intervention
La stratégie est un préalable, la reconfiguration d’ensemble du réseau est l’outil permettant de la mettre en œuvre de façon optimale ; les hommes et les moyens seront les facteurs-clefs de la réussite d’une réforme attendue depuis des années.
• La professionnalisation des agents est déjà un objectif affiché… mais là encore il s’agit de savoir au préalable selon quelle logique former les agents du réseau culturel : pour quoi faire, pour porter quels messages, selon quelles méthodes, en direction de quels publics ? « Tout faire » n’est pas de bonne politique, il y a forcément des choix à effectuer entre la promotion du livre, du spectacle vivant, du patrimoine, du débat d’idées, des arts plastiques…
S’en remettre au talent des SCAC et au savoir-faire de CulturesFrance comme force de proposition depuis Paris ne produit pas un mauvais résultat, mais il est certainement possible de mieux promouvoir la culture française. De façon plus professionnelle, c’est-à-dire avec un programme d’activités établi à l’horizon d’une année environ − davantage pour les grands rendez-vous du type « années croisées France-Russie », moins pour les événements ponctuels saisissant l’occasion de la visite d’un artiste dans une capitale.
La professionnalisation doit s’entendre au premier chef comme une formation des agents à ce que l’on dénomme un peu pompeusement « l’ingénierie culturelle » − il ne manque pas de formations à ces métiers dans l’enseignement supérieur aujourd’hui. Par exemple, l’utilisation des nouvelles technologies, la diffusion de contenus sur l’Internet, le développement de plates-formes numériques à l’instar de ce qu’entreprend l’Institut français de Londres : tout cela requiert des compétences nouvelles que les agents du réseau doivent pouvoir acquérir, dans les pays ou les villes où il aura été stratégiquement jugé que cela relevait d’une priorité − et d’ailleurs à terme, vraisemblablement, dans l’ensemble du réseau.
La professionnalisation comprend également une autre dimension, en quelque sorte miroir de la précédente : la connaissance et la reconnaissance des initiatives locales de tel poste ou de telle Alliance, comme des compétences particulières de tel agent à raison de son parcours, de ses qualifications ou de ses réalisations. Il s’agit donc d’envisager la professionnalisation à l’échelle du réseau dans son ensemble : non pas seulement par l’organisation de formations ou la diffusion verticale des éléments de la stratégie d’influence élaborée à l’échelon central, mais aussi en favorisant de façon horizontale la diffusion de bonnes pratiques ou en faisant remonter depuis le terrain les expériences réussies, à propos de tel montage partenarial d’exposition, de l’écho provoqué par tel débat d’opinion ou du succès de tel contenu téléchargé à l’envi par les internautes sur le portail des Alliances de tel pays du globe.
Préconisation : former les agents du réseau culturel − en formation initiale et en formation continue − en cohérence avec ce qui est attendu d’eux en fonction de la stratégie élaborée en amont. Symétriquement, valoriser les expériences de terrain réussies et encourager la diffusion de bonnes pratiques.
• Par ailleurs, il importe de ne pas faire fluctuer la programmation culturelle à l’horizon infra-annuel, c’est-à-dire au gré des disponibilités budgétaires de l’exercice en cours. C’est là la deuxième nécessité sur laquelle souhaite insister la mission : la stabilisation et, plus encore, le caractère prévisible des moyens d’intervention.
Stabilisation et prévisibilité ne signifient pas mécaniquement que davantage de moyens doivent être réclamés. Au demeurant, on a vu que les moyens d’intervention des SCAC étaient parvenus à un niveau si bas qu’une « rallonge » a été jugée nécessaire même en ces temps de ressources budgétaires particulièrement rares. Dans ce contexte de préoccupante paupérisation du réseau, la mission estime que la pérennisation de cette « rallonge » serait de l’argent public bien employé.
Mais le propos essentiel de la mission est ailleurs : si faibles ou généreux soient-ils, les moyens alloués doivent permettre aux gestionnaires de bâtir un plan d’action cohérent, qui soit fiable aux yeux des partenaires du réseau − spectateurs, mécènes, médias, acteurs de l’industrie culturelle, collectivités territoriales impliquées localement… Autrement dit, il faut bannir tout autant les coupes budgétaires en cours d’exercice que les abondements par saccades en fin d’année.
Préconisation : ne pas diminuer les moyens d’intervention du réseau culturel en deçà de l’étiage qu’ils ont atteint en 2009 et les augmenter autant que le permettra la situation du budget de l’État, afin d’accompagner la réforme ; mais avant tout, donner aux gestionnaires un minimum de vision prospective fiable quant aux moyens qui leur seront alloués.
Ajoutons − cela méritera d’être étudié plus avant dans la perspective du rapport final − que l’application du principe d’autonomie financière aux « nouvelles Alliances », qui consisterait également à leur garantir le retour des gains qu’aurait dégagé leur activité, serait à recommander expressément. Tel est déjà le mode de fonctionnement des associations de droit local que sont les actuelles Alliances françaises ; cela est possible dans une certaine mesure pour les EAF mais proscrit, sauf au prix d’extraordinaires contorsions comptables, dans le cas des SCAC. La souplesse de gestion se justifie d’autant plus à l’appui de la réforme préconisée que la taille et l’éloignement de chaque établissement y incitent fortement.
Le programme qui vient d’être suggéré ne manque pas d’ambition ; il n’est pourtant pas exhaustif et la mission a encore des sujets à travailler.
5) Quatre questions en suspens : l’agence culturelle, l’articulation entre les tutelles, le recours à d’autres acteurs et la place de l’audiovisuel
• C’est sciemment que la mission n’a pas indiqué au fronton de ses préconisations quelle était sa « recette » pour en finir avec la saga de la grande agence culturelle du Quai d’Orsay. En insistant sur la séquence peu flatteuse des annonces et des reports, en soulignant combien la définition d’une stratégie était un préalable absolu, en privilégiant enfin la réflexion sur l’organisation locale du réseau plus que sur la forme à donner à la tête de ce réseau − et moins encore sur la personnalité à qui en confier la responsabilité −, elle a néanmoins fourni de nombreux éléments de réponse.
Ainsi, « créer l’agence pour l’agence » n’est certainement pas de bonne méthode. Du reste, la lettre adressée fin octobre par le ministre des Affaires étrangères à l’ensemble des agents du réseau culturel annonce que la décision ultime, à savoir l’éventuel rattachement à l’agence culturelle des agents du réseau, personnels des SCAC, centres et instituts, ne serait pas prise avant trois ans. D’ici là par conséquent, aucun point de non-retour ne sera franchi ; la transformation de CulturesFrance en EPIC pourra bien avoir lieu, aucun bouleversement n’interviendra de ce seul fait dans l’action culturelle extérieure de la France. Au passage, cette transformation, en elle-même, ne fournira pas davantage de stratégie à ladite action culturelle…
Compte tenu de l’incertitude qui demeure quant au calendrier d’examen du projet de loi précité relatif à l’action extérieure de l’État − et qui comporte en particulier la création des deux EPIC que seraient l’agence culturelle (par transformation de CulturesFrance) et l’opérateur de la mobilité et de l’expertise internationales −, la mission estime plus approprié de réserver à son rapport final sa prise de position sur ce point précis. Elle pourra en outre bénéficier alors des réactions à son rapport d’étape, et d’éventuelles décisions complémentaires du Conseil de modernisation des politiques publiques. Enfin, elle aura pu entendre à ce stade les ministres compétents pour parfaire ses recommandations.
Question à explorer : le devenir de l’agence culturelle dont la création est contenue dans le projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, sachant qu’a été repoussée à un horizon de trois ans la réforme du réseau lui-même.
• Les auditions des responsables de l’action internationale des ministères chargés de la culture ou de l’éduction nationale et de l’enseignement supérieur, ainsi bien sûr que celles des ministres et de leurs collaborateurs, permettront in fine à la mission de bien mesurer ce qu’elle n’a pour l’heure perçu que de façon partielle, entretien après entretien.
Elle a pourtant bien conscience de l’enjeu que représente la recommandation finale qu’elle formulera à cet égard. En effet, de certains travaux parlementaires récents, on ne semble avoir retenu que cette seule analyse : pour les uns, même à l’étranger, l’action culturelle serait du ressort du ministère de la culture et pour les autres au contraire, le monopole du Quai d’Orsay ne saurait être écorné. La mission a tout autant conscience des classiques luttes d’influence politico-administratives qui ne manquent jamais d’entourer, en France, une réforme de structure au sein de l’État.
Dès lors, elle veut se garder de brouiller le message qu’elle adresse à l’occasion de ce rapport d’étape et réserve à la conclusion de ses travaux son analyse de la question − qui n’est d’ailleurs pas la clef de la réforme.
Question à explorer : l’éventuelle recomposition des tutelles ministérielles dans le champ de l’action culturelle extérieure.
• Plus intéressante sans doute est la troisième question que la mission se propose d’examiner plus avant d’ici la fin de ses travaux : l’implication, dans l’action culturelle extérieure de notre pays, d’autres acteurs que tous ceux qui ont déjà été cités.
Pour l’essentiel, il s’agit des collectivités territoriales, dont la mission a prévu de recueillir l’analyse, tout en nourrissant sa réflexion des expériences de coopération culturelle décentralisée que les auditions permettront d’évoquer. Seront ainsi entendus les responsables de fédérations de collectivités territoriales mais aussi, le cas échéant, les acteurs de manifestations d’envergure conduites par les villes désignées « capitales européennes de la culture » − Lille pour l’expérience de 2004, Marseille en prévision de 2013.
Dès le tout début de ses travaux, la mission avait souhaité élargir jusque-là le champ de ses investigations. Gageons que quelques préconisations utiles pourront être formulées à la lumière de ces auditions.
Question à explorer : le rôle des collectivités territoriales dans le rayonnement de la France à l’étranger par sa culture.
• Enfin, la mission se demande si une ultime question à développer ne pourrait être l’utilisation de l’outil audiovisuel au service du rayonnement de la France.
Contrairement au sujet précédent, celui-ci n’avait pas d’abord été inscrit au programme des travaux de la mission. Cela peut paraître paradoxal tant l’audiovisuel extérieur apparaît aujourd’hui comme un élément majeur de l’influence d’une langue, d’une culture, d’idées, voire d’un État ou d’un régime.
En même temps, il s’agit là d’un sujet en soi, avec ses problématiques propres. De nouveau se posent des questions de stratégie, de structures, de personnels... et la dimension locale n’a plus du tout le même poids lorsque la diffusion de telle ou telle chaîne de télévision ou de radio dépend de bouquets satellitaires et non de l’action d’un ambassadeur ou d’un SCAC.
Telle est la raison pour laquelle, tentée de ne pas omettre une dimension essentielle de l’influence française dans le monde, la mission craint aussi de diluer son propos en l’élargissant à ce point. Le présent rapport d’étape renvoie cette question à la suite de ses travaux.
Question à explorer : l’inclusion dans la réflexion de l’outil audiovisuel.
CONCLUSION : LISTE DES PRÉCONISATIONS DE LA MISSION
ET DES QUESTIONS À EXPLORER
A − Réseau d’enseignement
Préconisations
- Plafonner la prise en charge des écolages des élèves français inscrits dans le réseau d’enseignement français à l’étranger, en fonction du revenu des familles, de façon différenciée selon un barème établi par pays de résidence.
– Conforter le réseau « historique » des lycées français à l’étranger par la mise à niveau de leurs moyens, notamment immobiliers, mais également en personnel, afin de conserver à ce réseau son unité pédagogique et son lien étroit avec l’Éducation nationale, tout en préservant son attractivité à l’égard des élèves français et étrangers. Cela passe par une augmentation de la subvention à l’AEFE à une triple fin :
o mettre aux normes de sécurité et de confort le patrimoine immobilier remis en dotation à l’Agence ;
o conserver un minimum de personnel d’encadrement et d’enseignement expatrié ;
o maintenir le fonds de roulement de l’Agence à 30 jours au moins.
– Mettre en place la « quatrième catégorie » d’établissements sous forme de sections bilingues dans des établissements existants des pays d’accueil.
– Donner leur chance aux solutions alternatives à la construction ex nihilo d’établissements, par exemple selon la formule d’un trust ou d’une charter school dans les pays anglo-saxons, sous réserve de la compatibilité de tels modèles avec l’homologation de ces établissements par l’AEFE.
Questions à explorer
– Les éventuelles modifications à apporter au statut différencié (expatriés, résidents et recrutés locaux) des personnels travaillant dans les établissements du réseau d’enseignement français à l’étranger ; à tout le moins, le moyen d’atténuer les différences entre eux.
– Le rôle, le fonctionnement et l’efficacité des pôles régionaux de l’AEFE, y compris dans les relations qu’ils entretiennent avec les ambassades. Plus largement, l’implication de l’ambassadeur à l’égard du réseau.
– Le recours au « mécénat d’entreprise » ou à d’autres formes de levée de fonds auprès de partenaires privés pour accompagner le développement du réseau des lycées français à l’étranger.
– Les débouchés de l’enseignement secondaire français à l’étranger après le baccalauréat, leurs déterminants et l’impact de cette situation sur le rayonnement de l’enseignement secondaire et supérieur français.
B − Réseau culturel
Préconisations
– Lever sans délai les obstacles juridiques à la généralisation du modèle de l’unique établissement à autonomie financière par pays, destiné à regrouper en une seule structure l’ensemble des centres et instituts culturels qui y sont installés.
– De façon préalable à toute réforme supplémentaire, définir une stratégie pour l’action culturelle précisant à la fois les buts à atteindre, les moyens humains et matériels pour le faire et les responsabilités de chacun dans le pilotage et la mise en œuvre.
– Une fois établie la stratégie de l’action culturelle extérieure, engager pour la mettre en œuvre à l’échelon local une fusion des réseaux des centres et instituts culturels (regroupés en un seul EAF) d’une part, et des Alliances françaises d’autre part, sous le label des Alliances.
– Former les agents du réseau culturel − en formation initiale et en formation continue − en cohérence avec ce qui est attendu d’eux en fonction de la stratégie élaborée en amont. Symétriquement, valoriser les expériences de terrain réussies et encourager la diffusion de bonnes pratiques.
– Ne pas diminuer les moyens d’intervention du réseau culturel en deçà de l’étiage qu’ils ont atteint en 2009 et les augmenter autant que le permettra la situation du budget de l’État, afin d’accompagner la réforme ; mais avant tout, donner aux gestionnaires un minimum de vision prospective fiable quant aux moyens qui leur seront alloués.
Questions à explorer
– Le devenir de l’agence culturelle dont la création est contenue dans le projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, sachant qu’a été repoussée à un horizon de trois ans la réforme du réseau lui-même.
– L’éventuelle recomposition des tutelles ministérielles dans le champ de l’action culturelle extérieure.
– Le rôle des collectivités territoriales dans le rayonnement de la France à l’étranger par sa culture.
– L’inclusion dans la réflexion de l’outil audiovisuel.
Le terme d’un rapport d’étape peut difficilement être autre chose qu’un renvoi au rapport définitif pour la confirmation, l’infirmation ou la modification des premières conclusions qu’il contient. Dans le cas du présent rapport, la mission a déjà indiqué quelles auditions et quels déplacements permettraient de faire mûrir sa réflexion ; rendez-vous est pris pour le printemps prochain.
La Commission examine le présent rapport d’étape au cours de sa réunion du mardi 12 janvier 2010.
Après l’exposé de votre Rapporteure, un débat a lieu.
M. Jean-Marc Roubaud. Au-delà des zones dans lesquelles la présence française est historique, vous avez raison de dire qu’il est nécessaire d’adapter nos outils d’influence aux nouveaux pays émergents. Par ailleurs, la création d’une nouvelle agence me semble être un écueil, qui va consommer d’importants crédits qui seraient bien plus utiles à d’autres dépenses. Cette décision relève plus de l’aveu de faiblesse que d’un choix stratégique assumé.
M. Gérard Voisin. Chacun de nos déplacements à l’étranger devrait être l’occasion d’examiner le thème de cette mission, et notamment le domaine de l’enseignement français à l’étranger. En Slovénie, l’ambassadrice s’est plainte auprès de notre délégation des difficultés qu’elle rencontrait pour y maintenir l’école française. Elle a donc sollicité notre intervention auprès de l’AEFE. Cela ne me paraît pas un bon choix : ce sont les ambassades, appuyées par le ministère des Affaires étrangères, qui devraient agir auprès de cette instance.
De la même manière, à Tokyo, le déplacement du lycée français est encore entouré de nombreuses incertitudes : négociations avec les autorités japonaises, question de la vente de terrains…
Ne serait-il pas possible, à l’instar de ce qui a été fait pour le commerce extérieur, avec la création d’Ubifrance et la rationalisation du réseau des missions économiques, de réformer notre réseau d’enseignement à l’étranger ?
M. Lionnel Luca. Chaque fois que nous nous déplaçons, nous sommes confrontés à la pauvreté, à la misère devrais-je dire, de notre système d’enseignement, et à la diversité des moyens dont disposent les établissements, qui révèle un manque de cohérence dans la mise en œuvre de notre politique. Dans certains cas, il est fait appel à des fonds privés : pourquoi pas ? Mais il est nécessaire d’encadrer cette pratique par une démarche globale, ce qui impliquerait, au préalable, d’abolir au sein des ambassades ce cloisonnement total entre les services économiques et culturels. Former des jeunes dans notre système d’enseignement, c’est créer les marchés de demain pour nos entreprises à travers la création de réseaux d’influence partout dans le monde.
La recherche de partenariats avec les entreprises présentes sur place me paraît insuffisante, notamment dans les pays émergents comme l’Inde ou le Brésil. Il faut conduire une réflexion approfondie sur l’opportunité des partenariats public-privé dans ce domaine.
Mme Marie-Louise Fort. J’ai reçu, l’an dernier, des élèves formés dans une école française au Salvador. J’ai été frappée, au-delà de leur niveau de maîtrise de notre langue, par l’enthousiasme de ces jeunes pour notre pays, sa culture et ses valeurs.
Comment faire des questions d’enseignement et de promotion de notre culture à l’étranger un enjeu transversal dans tous nos échanges avec les autres Etats ? Nous ne pouvons pas décevoir l’appétence marquée de nombreux jeunes à l’étranger pour notre pays.
Mme Geneviève Colot, rapporteure. Concernant la création d’une agence culturelle, les choses ont évolué depuis la proposition initiale consistant à regrouper l’ensemble des services au sein d’une seule institution. Désormais, la priorité est donnée à la constitution de deux établissements publics industriels et commerciaux, l’un chargé des aspects culturels en remplacement de CulturesFrance, l’autre, qui remplacera trois organismes, consacré aux questions de mobilité internationale. Toutefois, la création de ces EPIC n’est pas faite, et il faudra encore, une fois ces instances créées, trancher la question de leurs liens avec les réseaux existants.
S’agissant des contributions que vous pourriez être amenés à effectuer suite à vos déplacements, il serait tout à fait possible d’enrichir notre rapport des témoignages que vous pourriez nous faire parvenir. Ces expériences sont utiles, notamment pour examiner les apports potentiels de la mise au point de partenariats public-privé. J’ai constaté, lors d’une mission au Cap-Vert, que les entreprises françaises ont dû, en l’absence de toute offre d’enseignement lors de leur installation dans le pays, mettre sur pied à leur propre initiative un système d’accueil et de formation pour les enfants. Développé en partenariat avec l’AEFE, dont la présence est essentielle pour la réussite de tels projets, ce réseau permet aujourd’hui d’accueillir les élèves de la maternelle au lycée.
Je partage l’idée selon laquelle il existe un réel enthousiasme pour la culture française dans le monde. Dans le cadre des activités du groupe d’amitié France – Albanie, j’ai pu constater l’influence de nos valeurs dans ce pays, la bonne image de la France et l’importance de la francophonie. Il est clair que nous pouvons développer des liens très étroits dans ces domaines avec des pays qui n’apparaissent pas prioritaires à première vue.
M. Philippe Cochet. Je me permets de suggérer l’audition de personnes qui ont connu le système d’enseignement, et le réseau culturel français à l’étranger, depuis plusieurs années. Aujourd’hui, l’activité de nos institutions s’apparente trop souvent à des démarches « cultureuses ». Il est bon que le français soit la langue de la culture, mais il doit également redevenir la langue des affaires, car les langues sont aujourd’hui en compétition au niveau international.
M. Jean-Michel Boucheron. Il me semble évident que la commission des affaires étrangères est la plus légitime pour réfléchir sur ce sujet et je comprends parfaitement les raisons qui ont conduit nos collègues à présenter ce rapport d’étape. Les réseaux culturels et d’enseignement français connaissent effectivement une certaine décrépitude ; ils restent néanmoins bien plus développés que ceux des autres pays. Nous sommes les héritiers de réseaux mis en place à une époque où la place de la France dans le monde était plus importante. Nous devons donc choisir entre conserver ce qui existe ou adapter les réseaux à la réalité de notre situation financière. Les préconisations du rapport d’étape sont très intéressantes, mais ne vont-elles pas se heurter aux dures lois de la révision générale des politiques publiques ? Ne faudrait-il pas demander une forme de dérogation au profit du rayonnement culturel de la France ? Sans cela, il est à craindre que ces propositions ne puissent être suivies d’effet. La principale question est celle de savoir si nous sommes prêts à faire un effort financier pour cet objectif, ou pas.
Mme Martine Aurillac. La mission d’information devrait entendre notre collègue sénatrice Joëlle Garriaud qui vient, à la demande de l’UMP, de rédiger un rapport sur les thèmes de la mission. Elle cite notamment le cas de la Chine, qui a ouvert quatre cents instituts Confucius dans soixante et onze pays en seulement quelques années. Nous sommes ainsi confrontés à une forte concurrence, y compris des pays que l’on qualifie aujourd’hui encore improprement d’émergents.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi il a été décidé d’attendre trois années avant de trancher la question du rattachement éventuel du réseau à la future agence culturelle ?
M. Michel Terrot. A l’occasion de mes fréquents déplacements en Afrique, je rencontre souvent des familles françaises expatriées qui craignent que la multiplication des enseignants recrutés locaux, au détriment des enseignants français expatriés, ne nuise à la qualité de l’enseignement dans les lycées français, ce qui pose des problèmes aux élèves qui poursuivent leurs études en France. Certes, on ne peut nier la question financière, mais j’estime qu’il faudrait obtenir une sanctuarisation des moyens afin de maintenir le niveau de l’enseignement français à l’étranger. Je trouve très intéressantes les pistes de réflexion retenues dans le rapport d’étape.
Mme Geneviève Colot, rapporteure. Je partage entièrement l’analyse de M. Philippe Cochet.
Je répondrai aux inquiétudes exprimées par M. Jean-Michel Boucheron que nous proposons notamment une rationalisation des réseaux culturels avec la fusion des alliances françaises et des instituts culturels. Cette dernière proposition se heurte aux réticences de certains des responsables des alliances françaises, qui ne voient pas favorablement le droit de regard qu’elle conférerait aux ambassadeurs sur les activités des alliances. Mais elle ne me semble pas incompatible avec la RGPP car elle permettrait de réaliser des économies importantes.
Nous prendrons connaissance avec intérêt des conclusions du rapport de Mme Garriaud.
Le ministre des affaires étrangères a décidé de ne trancher que dans trois ans la question du rattachement du réseau à l’agence culturelle car il pose des questions de droit et suscite aujourd’hui l’hostilité de son administration.
Il est vrai que, depuis plusieurs années, on a favorisé le remplacement des enseignants expatriés par des recrutés locaux pour réaliser des économies. Fréquemment, seul le directeur de l’établissement est un expatrié. Le niveau des lycées reste très bon, puisque le taux de réussite au baccalauréat est de 95 % au minimum. Le rapport d’étape préconise néanmoins le maintien d’une part suffisante d’enseignants expatriés.
M. Dominique Souchet. La mission d’information a-t-elle comparé les réseaux français culturels et d’enseignement à ceux de nos principaux partenaires ? Si la Chine développe son réseau culturel, le réseau d’enseignement français reste sans aucun équivalent dans le monde. La Grande-Bretagne est, me semble-t-il, en train de réduire son réseau culturel, tandis que l’Allemagne l’a nettement étoffé en Europe orientale et dans les pays de la CEI.
M. Jean Grenet. L’organisation actuelle des réseaux n’est pas très claire. Il est difficile de savoir exactement qui fait quoi et qui prend les décisions. Deux questions m’apparaissent essentielles : dans quel type de pays l’effort doit-il être prioritaire – dans les pays où la culture et la langue françaises sont traditionnellement présentes, ou dans les pays émergents ? Quels moyens veut-on y consacrer ?
Mme Geneviève Colot, rapporteure. Les travaux de la mission d’information ont débuté par l’audition de représentants du Goethe Institut, du British Council et de l’Institut Cervantès. Leur fonctionnement n’est pas toujours comparable à celui de nos réseaux. En particulier, les instituts allemands et espagnols ont moins de liens institutionnels avec les ambassades.
Pour ce qui est de la situation chinoise, je rappellerai que ce pays compte chaque année 2 millions d’étudiants supplémentaires. Pour absorber cette explosion quantitative, la Chine devrait théoriquement ouvrir chaque semaine deux nouvelles universités accueillant chacune 20 000 étudiants, ce qui n’est évidemment pas possible. C’est pourquoi elle envoie un grand nombre d’étudiants à l’étranger. Notre pays en reçoit une bonne part. Tout comme la grande majorité des autres étudiants étrangers, ils le quittent après quelques années, et ils rentrent chez eux en étant devenus francophones et francophiles, ce qui est évidemment très positif.
M. Jean-Marc Roubaud. En conclusion, je souligne combien il est important que notre commission soit saisie au fond du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’Etat. Le bilan dressé par Mme la Rapporteure est mitigé. La question centrale est celle de la réorganisation des réseaux. J’y ajouterai la nécessité d’établir un lien entre le rayonnement culturel et linguistique et le développement économique.
La commission autorise la publication du présent rapport d’étape.
*
* *
ANNEXE
LISTE DES AUDITIONS ET DÉPLACEMENTS
DE LA MISSION D’INFORMATION
Auditions organisées (par ordre chronologique)
Date |
Personnalités entendues |
Jeudi 26 mars 2009 |
M. Berthold Franke, directeur général du Goethe Institut de Paris |
Instituto Cervantes de Paris M. Jorge Jimenez Mme Asuncio Pastor | |
British Council Mme Dawn Long, directrice adjointe, Mme Sylvie Gelis, directrice finances et ressources humaines | |
Mardi 30 juin |
M. Christian Masset, directeur général de la mondialisation, du développement et des partenariats M. Yves Carmona, directeur adjoint de la politique culturelle et du français (le poste de directeur n’est actuellement pas pourvu) |
M. Jean-Pierre de Launoit, président de la Fondation Alliance française M. Gérald Candelle, responsable des zones Asie/Océanie/Etats-Unis et du recrutement. | |
M. Yves Aubin de la Messuzière, président de la Commission pour l’avenir de l’enseignement français à l’étranger | |
Jeudi 2 juillet |
Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) |
M. Alain Catta, directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire M. Éric Lamouroux, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’action sociale | |
Mardi 7 juillet |
M. Jean-Pierre Bayle, président de la Mission laïque française M. Jean-Pierre Villain, directeur général |
Mercredi 8 juillet |
Mme Anne Gazeau-Secret, ancienne directrice générale de la coopération internationale et du développement (DGCID) |
M. Stéphane Romatet, directeur général de l’administration et de la modernisation du ministère des Affaires étrangères et européennes | |
Mercredi 9 septembre |
Déjeuner avec des conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger |
Mardi 6 octobre |
M. Alain Gründ, président du Bureau international de l’édition française et M. Jean-Guy Boin, directeur général |
Mme Sophie Mercier, directrice du Bureau Export Musique et M. Jean-François Michel, fondateur et aujourd’hui conseiller du Bureau Export. | |
M. Olivier Poivre d’Arvor, directeur de CulturesFrance | |
Mardi 13 octobre |
M. Antoine de Clermont-Tonnerre, président d’Unifrance et Mme Régine Hatchondo, directrice générale |
Mardi 20 octobre |
M. François Denis, président de la Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger (FAPÉE) |
Jeudi 22 octobre |
M. Clément Duhaime, administrateur de l’Organisation internationale de la francophonie |
M. Bruno Maquart, directeur général de l'Agence France muséums, accompagné de : – M. Henri Loyrette, Pt – directeur du Musée du Louvre – Mme Laurence des Cars, directrice scientifique de l’agence France muséums – M. Berthoni | |
Mardi 17 novembre |
M. Jean-François Cervel, directeur du CNOUS et M. Jean-Paul Roumegas, sous-directeur des affaires internationales |
Mercredi 18 novembre |
Agence Europe-Education-Formation France (A 2e 2f, maître d’œuvre des programmes européens d’éducation et de formation) : Pr Pierre Grégory, vice-chancelier des universités de Paris, président, et Pr Jean Bertsch, directeur national (à Bordeaux). |
M. Gérard Binder, président du conseil d’administration de CampusFrance, et Mme Béatrice Khaiat, directrice déléguée | |
Mardi 24 novembre |
M. Laurent Batsch, président de l’Université Paris-Dauphine et M. Arnaud Raynouard, Vice-président chargé des affaires internationales. |
Mercredi 25 novembre |
M. Pierre Tapie, directeur général du groupe Essec, président de la Conférence des grandes écoles, et M. Pierre Aliphat, délégué général de la conférence. |
Mardi 15 décembre |
M. Jean-Claude Colliard, président de l’Université Paris I Panthéon,-Sorbonne, Mme Christine Mengin, Vice-présidente chargée des relations internationales, et Mme Catherine Germain, directrice du cabinet de M. Colliard. |
Mercredi 16 décembre |
M. Pierre Buhler, directeur général de France Coopération Internationale |
M. Dominique Hénault, directeur général de l’association Egide et M. Bertrand Sulpice, directeur général adjoint |
Déplacements effectués (par ordre chronologique)
Mercredi 1er juillet |
Déplacement à Londres |
12 –20 septembre |
Déplacement Chili – Argentine |
Mercredi 7 et jeudi 8 octobre |
Déplacement à Berlin |
1 () décret n° 76-832 du 24 août 1976 relatif à l’organisation financière de certains établissements ou organismes de diffusion culturelle dépendant du ministère des affaires étrangères et du ministère de la coopération.