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N° 2553

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 26 mai 2010.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

sur « La situation dans le Caucase du Sud »

et présenté par

MM. Christian BATAILLE et Roland BLUM

Députés

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INTRODUCTION 7

I – MOSAIQUE CAUCASIENNE : LE POIDS DES SIECLES, LES DEFIS D’AUJOURD’HUI 9

A – L’HISTOIRE TOURMENTÉE DE L’ENTRE MONDE EURASIATIQUE 11

1) Le Caucase du Sud, une mosaïque ethnique et linguistique 11

2) L’expérience séculaire d’intégration à des empires 13

B – LA PÉRIODE SOVIÉTIQUE ET LE SILENCE FORCÉ DES NATIONALISMES 14

1) La brève expérience de l’indépendance 14

2) L’intégration à l’empire soviétique 15

C – LES RISQUES DE LA PÉRIODE POST-SOVIÉTIQUE 17

1) Des conflits renaissants que la Russie ne peut que suspendre 17

2) L’arrivée d’autres puissances dans l’ancien pré carré 18

II – LE CAUCASE AU PRESENT : DES CERTITUDES STRATEGIQUES AUX DOUTES INTERIEURS 21

A - L’ARMÉNIE, SORTIR DE L’ENFERMEMENT 21

1) Une situation économique très difficile 21

2) Une politique extérieure contrainte 22

3) La lente évolution du système politique 23

B - LA GÉORGIE, ENTRE PROMESSE OCCIDENTALE ET FAIBLESSES STRUCTURELLES 24

1) Perspective euro-atlantique et réalité caucasienne 25

2) Le raidissement d’un régime en position de faiblesse 26

3) Quelle place pour la Géorgie dans le Caucase ? 28

C - L’AZERBAÏDJAN, FUTURE PUISSANCE DOMINANTE DU CAUCASE ? 29

1) Un pays-clé pour les questions énergétiques 30

2) Un poids politique croissant , de graves problèmes immédiats 30

3) Un régime politique critiqué, confronté à des défis majeurs 32

III - LES TOURMENTS D’UNE RÉGION : LES ETATS CAUCASIENS EN CONFLIT PERMANENT ? 35

A - LE HAUT KARABAKH ET L’AFFRONTEMENT ARMÉNIE – AZERBAÏDJAN 35

1) De l’indépendance à la guerre 35

2) Du cessez-le-feu à l’enlisement des négociations 36

B - LES RELATIONS À RECONSTRUIRE ENTRE L’ARMÉNIE ET LA TURQUIE 37

1) Les conséquences du génocide et la fixation des frontières 38

2) La sortie de la sphère soviétique : la réouverture des contentieux 38

3) Un rapprochement officiellement souhaité, mais difficile 39

C) ABKHAZIE ET OSSÉTIE DU SUD, DE L’AFFRONTEMENT INTÉRIEUR À LA GUERRE RUSSO-GÉORGIENNE 41

1) Le retour de contestations anciennes 41

2) La lente escalade vers l’affrontement russo-géorgien 42

3) Après la guerre : quelle perspective à long terme ? 43

IV – LE GRAND JEU CAUCASIEN : INTERETS STRATÉGIQUES ET POLITIQUES DES PUISSANCES 47

A – L’ÉNERGIE, FACE ÉMERGÉE DES TENSIONS GÉOPOLITIQUES À L’œUVRE 47

1) Le Caucase, producteur d’hydrocarbures 47

2) L’énergie, révélateur plutôt que cause des affrontements 48

B – LE RETOUR DE LA RUSSIE, ÉLÉMENT MARQUANT DES DERNIÈRES ANNÉES 50

1) La Russie, un Etat caucasien 51

2) La réactivation des instruments de la puissance 52

3) Des lignes rouges connues, des objectifs de long terme plus vagues 53

C – LES STRATÉGIES DES AUTRES PUISSANCES 54

1) L’Europe, entre proximité et faiblesse stratégique 54

2) La Turquie, un nouvel acteur aux objectifs encore incertains 55

3) Les Etats-Unis, acteur puissant mais éloigné 56

4) L’Iran, partenaire obligé des Etats caucasiens isolés 58

V – QUELLES ÉVOLUTIONS POSSIBLES ? QUELLES PISTES D’ACTION POUR LA FRANCE ET L’EUROPE ? 61

A – DES RISQUES RÉELS POUR LA SÉCURITÉ EUROPÉENNE 61

1) Le repli sur soi d’une région au cœur des échanges eurasiatiques 61

2) Des conflits pouvant brusquement s’enflammer 62

B – DES POSSIBILITÉS D’ACTION QUI DOIVENT INCLURE LA RUSSIE 64

1) L’Union européenne, un acteur accepté 64

2) Les Etats européens et leurs moyens d’action 65

3) Quel dialogue avec la Russie sur l’avenir du Caucase du Sud ? 66

CONCLUSION 69

EXAMEN EN COMMISSION 71

ANNEXES 77

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées 79

Annexe 2 : Éléments cartographiques 83

Annexe 3 : Élements bibliographiques 89

Mesdames, Messieurs,

L’un des plus anciens lieux de peuplement du monde, le Caucase est une terre de légendes, peuplée d’autant de mythes que la Terre sainte du Moyen Orient. De la Toison d’Or à l’arche de Noé, le Caucase est présent dans de nombreuses traditions, européenne et asiatiques, et a gardé de cette ancestrale variété une diversité des peuples et des cultures que peu de régions au monde peuvent lui disputer.

Riche de ses peuples, le Caucase est aussi victime de sa géographie. Les hautes montagnes dessinent des vallées profondes et encaissées, au fond desquelles se nichent des villages qui ne communiquent que difficilement les uns avec les autres. Du fait des caractéristiques géographiques du Caucase, il n’y est pas possible de faire coïncider, une langue et une culture avec un Etat-Nation, comme cela apparaît pourtant naturel à un Français par exemple.

Incités à l’entre soi, les peuples caucasiens se sont trouvés, de plus, sur le chemin de tous les empires eurasiatiques, macédonien, arabe, turc, perse, russe, mongol…L’intégration à l’empire russe marque un tournant dans cette histoire agitée. Sous l’ère soviétique, le Caucase va connaître une ère de stabilité, pendant 70 ans environ. Toutefois, la langue et la culture russes ont échoué, de peu selon certains observateurs, à s’imposer comme une koinè (1).

La disparition de l’URSS a donc fait renouer le Caucase avec ses anciens démons : éclatement ethnique des populations, nationalismes exacerbés dans les Etats indépendants, recours à la violence dans la résolution des conflits. A bien des égards, le monde russe a été renvoyé plusieurs siècles en arrière, au tournant des années 1990, et la réalité actuelle est dangereuse.

Le Caucase du Nord, composé de cinq Républiques, est resté intégré à la Russie. Au Sud, trois nouveaux Etats sont apparus, l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie. Leur première expérience de l’indépendance n’avait été que de très brève durée, entre la fin de la première guerre mondiale et la prise de pouvoir des bolcheviques.

Si les liens entre les deux parties de la région du Caucase sont indéniables, l’influence des Occidentaux sur l’avenir du Caucase du Nord est forcément très limitée, cette zone relevant de la seule souveraineté russe. En revanche, dans le Caucase du Sud, le retrait temporaire de la Russie est apparu, pour les Etats-Unis notamment, suivis par les Européens, comme une invitation à combler le vide ainsi créé.

Passage traditionnel entre l’Europe et l’Asie, permettant d’éviter de passer par le territoire russe ou le Moyen-Orient, le Caucase retrouvait ainsi sa position géopolitique traditionnelle, notamment du fait de l’intérêt stratégique nouveau que représentent les ressources en énergie d’Asie centrale pour les Occidentaux.

Le retour de la Russie sur la scène internationale a été marqué ces dernières années, dans de nombreux domaines. Au Caucase du Sud, il s’est manifesté de plusieurs manières, allant jusqu’à l’invasion du territoire géorgien en août 2008, suite à une opération militaire lancée par la Géorgie dans l’une de ses provinces frontalières avec la Russie.

A l’instar de cet enchaînement dramatique d’événements à la frontière russo-géorgienne, d’autres régions ont vu les tambours de la guerre, qui s’étaient tus sous le glacis soviétique, retentir à nouveau. Parmi ces régions, le Haut Karabakh, entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, fait encore l’objet de discussions très difficiles entre les deux Etats.

Le Caucase du Sud reste une terre agitée, traversée de conflits, objet de convoitises de grandes puissances plus ou moins éloignées. Au-delà de l’analyse des situations les plus menaçantes de la région, quelques perspectives d’évolution pour la région peuvent être dressées. Inquiétantes pour la plupart, elles sont un appel à l’action, qui ne pourra être efficace que si elle inclut la Russie.

La situation extrêmement difficile du Sud Caucase aujourd’hui est en partie la conséquence d’une stratégie perçue par la Russie comme opposée à ses intérêts. Refaire cette erreur dans un contexte régional aussi tendu serait prendre un risque politique majeur pour la sécurité de l’Europe.

I – MOSAIQUE CAUCASIENNE : LE POIDS DES SIECLES, LES DEFIS D’AUJOURD’HUI

Le Caucase est une des régions du monde dont la diversité ethnique, religieuse et linguistique est la plus ancienne, et la plus riche. Successivement dominée par les empires arabe, persan puis russe, elle a été le réceptacle de pulsions nationalistes rapidement freinées par l’inclusion dans l’Union soviétique.

La disparition de l’URSS a permis aux nationalismes caucasiens de retrouver une place idéologique de premier plan. Toutefois, ces derniers n’ont pu s’exprimer que dans le cadre administratif fixé par le régime soviétique, ce qui a remis sur le devant de la scène des conflits que le Caucase pensait avoir oubliés.

Produite par l’Histoire, la complexité caucasienne est tout aussi porteuse de dangers que la diversité ethnique et religieuse d’une région plus proche de nous, les Balkans. Les tensions, encore très actuelles, ne mettent pas seulement en danger la stabilité de la région, mais elles peuvent être le déclencheur d’une déstabilisation à bien plus grande échelle. La pacification et l’apaisement du Caucase, défi permanent, ne peuvent être regardés comme des questions extérieures à nos propres enjeux de sécurité.

La simple observation de la carte politique et administrative actuelle du Caucase – page suivante – révèle immédiatement les tensions et les conflits potentiels dans la région.

Constitué de trois Etats indépendants, le Caucase comprend, en son sein, deux régions enclavées. L’une, le Nakhitchevan azerbaïdjanais, est détachée du territoire métropolitain, frontalière avec l’Arménie et l’Iran. L’autre, le plateau du Haut-Karabakh, qui a demandé son indépendance en 1991 et dont le peuplement est majoritairement arménien, est bordé de régions azerbaïdjanaises.

Par ailleurs, deux provinces, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, se trouvent également dans une situation particulière, puisque leur indépendance, proclamée une première fois dans les années 1990, a été reconnue, suite à la guerre russo-géorgienne d’août 2008, par la Russie et trois autres Etats.

A – L’histoire tourmentée de l’entre monde eurasiatique

D’un peuplement très ancien (2), le Caucase est composé d’une multitude de peuples, traditionnellement regroupés selon la langue qu’ils pratiquent. A cette diversité linguistique s’ajoutent les différences de religions, et une carte complexe des différentes ethnies.

Souvent considéré comme le « carrefour des Empires », le Caucase a effectivement subi d’innombrables vagues d’invasion, et a été successivement intégrés à plusieurs empires. La main mise russe sur la région, amorcée au 17ème siècle et achevée au 19ème, marque toutefois un tournant historique : de corridor entre l’Asie et l’Europe, le Caucase devient la marche méridionale d’un empire situé au Nord, intéressé par les ressources et pas seulement le droit de passage dans cette région clé.

1) Le Caucase du Sud, une mosaïque ethnique et linguistique

Baptisée « djebel el'issani » - « montagne des langues » - par les Arabes, le Caucase est connu depuis l’Antiquité comme une région de peuplements très variés, aux langues et coutumes parfois très différentes d’une vallée à l’autre. Dans sa Géographie en dix-sept volumes, Strabon d’Amadia évoque « non pas trois-cent peuples, mais plutôt soixante-dix, et chacun parlant une langue différente » (3) dans les murs de la ville de Dioscurias, qui correspondrait à la ville actuelle de Soukhoumi, en Géorgie (province d’Abkhazie).

Evidemment renforcée par le relief montagneux de la région, la diversité des langues, des religions et des ethnies présentes dans le Caucase a largement perduré jusqu’à aujourd’hui. Les données disponibles sur les peuplements des différentes régions du Caucase, tant au nord des frontières russo géorgienne et azéro-russe, qu’au sud de ces dernières, permettent de dresser les cartes suivantes, dont l’observation suffit à convaincre de la légitimité de l’expression « mosaïque caucasienne » (4).

Tout aussi divers que le Caucase russe, situé au Nord, le Caucase du Sud fait toutefois émerger trois groupes de population plus importants en nombre que les autres : les Arméniens, les Azerbaïdjanais et les Géorgiens. C’est autour de ces trois groupes que se sont créés les trois Etats aujourd’hui indépendants, sans toutefois s’assurer que les frontières administratives ne correspondent aux limites des peuplements.

La prééminence de ces trois populations, et la reconnaissance administrative dont elles ont bénéficié dans certains empires, n’a pas pour autant permis d’apaiser les relations entre elles. L’Union soviétique avait reconnu l’existence de groupes ethniques titulaires de certains territoires, contrairement à l’empire tsariste, qui refusait de valoriser l’appartenance ethnique de quelque manière que ce soit.

Malgré cela, le Caucase reste un lieu d’intenses débats visant à déterminer l’antériorité de tel ou tel peuple par rapport à un autre, le tout étant instrumentalisé à des fins de contestations territoriales.

Les choix muséographiques des principaux musées nationaux dans chacun de ces pays sont révélateurs de l’importance, pour les trois peuples principaux du Caucase, de la construction d’un passé, par ailleurs largement mythifié, mais qui démontrerait clairement le droit d’un peuple – et donc, aujourd’hui, d’un Etat – à occuper certains territoires.

La diversité ethnique et linguistique est sans commune mesure avec celle des religions. Le Caucase reste en effet largement dominé par les religions du Livre, quoique dans des variantes particulières à chaque Etat. Mise à mal par le régime soviétique, la pratique religieuse connaît toutefois un renouveau certain, à l’instar de ce qui peut être observé en Fédération de Russie.

Les Eglises arméniennes, héritières d’une tradition remontant aux premiers temps du christianisme (4ème siècle), ont connu un schisme au 17ème siècle. Il existe désormais une Eglise apostolique arménienne, dirigée par le catholicos Garéguine II, et une Eglise catholique arménienne, rattachée à Rome. Les chrétiens représenteraient environ 95% de la population arménienne.

L’Azerbaïdjan offre un paysage tout aussi monolithique en matière religieuse, avec plus de 90 % de la population officiellement de culte musulman, dont 2/3 de chiites. De tradition laïque, le pays est un des derniers lieux où sont encore pratiqués certains rites zoroastriens.

La Géorgie compte, pour sa part, une large majorité de chrétiens, supérieure à 88 %. L’Eglise de Géorgie, orthodoxe et autocéphale, a été rattachée à l’Eglise de Russie pendant un siècle (1811 – 1917), mais s’en est émancipée à nouveau à la fin du premier conflit mondial, bien que le patriarcat moscovite n’en ait reconnu l’indépendance qu’en 1989.

Toutefois, environ 10% de la population géorgienne est musulmane, notamment dans la province d’Adjarie. Par ailleurs, une importante communauté arménienne vit en Géorgie, à Tbilissi et surtout en Djavakhétie. De nationalité géorgienne, les Arméniens habitant dans ces régions sont toutefois rattachés aux différentes Eglises arméniennes.

2) L’expérience séculaire d’intégration à des empires

L’ancienneté du peuplement du Caucase n’a pas permis pour autant à la région de s’unifier durablement, et de forger des nations indépendantes tout au long de l’histoire. Au contraire, le morcellement des populations, et la place stratégique qu’occupe le Caucase du Sud, aux confins des mondes européen et asiatique, ont fait de ces territoires une zone d’occupation naturelle pour de nombreux empires.

Aux confins des empires romain, puis byzantin, et des puissances arabes montantes, le Caucase reste pendant longtemps une terre de peuplement et d’échanges, gouvernée par des princes locaux.

L’apogée des principautés caucasiennes, arménienne et géorgienne, remonte à la fin du premier millénaire. Face aux conquêtes arabes, débutées au 7ème siècle de notre ère, les princes arméniens forgent ce qu’il est convenu d’appeler l’Arménie bagratide (5), entre 884 et 1064. Couvrant une zone débordant sur les territoires actuels de la Turquie, de la Géorgie et l’Azerbaïdjan, la « grande Arménie » est finalement intégrée à l’Empire byzantin à l’orée du 11ème siècle.

Le royaume bagratide géorgien, né plus tardivement, restera indépendant jusqu’au 13ème siècle environ. Comme son homologue arménien, il tombera finalement sous la domination des Turcs seldjoukides, puis des Mongols, qui s’emparent de la région lors des campagnes de Tamerlan, entre la fin du 14ème et le début du 15ème siècles.

La domination sur le Caucase d’empires musulmans, ottoman ou perse, sera sans partage jusqu’à la fin du 18ème siècle. Les anciens royaumes chrétiens, tombés sous la protection du califat, font appel dès le 16ème siècle à l’empire russe pour intervenir en leur défense. C’est notamment le cas des nobles géorgiens, pour qui la protection du tsar est la condition nécessaire à l’émancipation vis-à-vis d’empires favorisant une autre religion.

Les premières incursions russes dans le Caucase sont décidées par Catherine II. La signature, le 21 juillet 1774, du traité de Kutchuk-Kaïnardji avec l’empire ottoman concède à la Russie la place forte d’Azov, situé dans le Caucase Nord. La Russie étend sa domination à la Transcaucasie – nom donné par les Russes au Caucase du Sud – par le traité de Guiorguievsk, signé en 1783 avec le roi Héraclius II, unificateur des royaumes Kartl-Karéthie, à l’est de la Géorgie. C’est durant cette période qu’est construite la route militaire géorgienne, qui existe toujours et relie Tbilissi à Vladikavkaz, « forteresse du Caucase » en russe. Les troupes russes bénéficieront tout au long du 19ème siècle de l’avantage stratégique et logistique majeur offert par cette voie d’accès.

Le Caucase restera longtemps un enjeu des guerres entre les trois empires, russe, ottoman et perse. Le traité de Golestan du 24 octobre 1813 permet ainsi à la Russie de s’emparer de nombreux territoires sous domination persane, parmi lesquels l’Abkhazie et le Karabakh, ainsi que la région de Bakou. Erevan est acquise aux Russes suite à la guerre de 1826-1828 contre l’empire perse, conclue par le traité de Turkmanchai. La guerre russo-turque de 1877-1878, qui donne lieu au traité de San Stefano du 3 mars 1878, achève de fixer les frontières de l’empire russe dans le Caucase, vers le sud de la Géorgie, à la frontière de la Turquie actuelle.

Parallèlement, les tsars rencontrent beaucoup de difficultés pour soumettre à leur autorité les régions situées au nord du massif du Grand Caucase, appelées « Ciscaucasie » à l’époque, aujourd’hui Républiques caucasienne de la Fédération de Russie. La guerre du Caucase, en fait une série d’opérations militaires russes au Caucase du Nord, prend officiellement fin le 2 juin 1864, après trois campagnes successives, de plusieurs années chacune, contre les forces rebelles de la région, majoritairement musulmanes. La plus célèbre des résistances armées nord caucasiennes est sans doute l’armée de l’imam Chamil, qui acceptera finalement de signer une trêve en 1855.

B – La période soviétique et le silence forcé des nationalismes

A la veille de la Première Guerre Mondiale, le Caucase semble durablement intégré à l’empire russe. La politique de peuplement et de christianisation des territoires caucasiens, au Nord et au Sud, passe par l’implantation de groupes ethniques nouveaux, colons allemands, cosaques ou vieux-croyants. Les premiers découpages administratifs ne tiennent pas compte de la composition des régions visées, et se contentent de rattacher les provinces aux principales villes locales.

Les bouleversements que va connaître l’empire russe au cours de la Première Guerre Mondiale auront raison de cet équilibre, régulièrement agité de poussées nationalistes. La constitution de l’Union soviétique fait retomber le Caucase dans une situation de dépendance à une structure politique plus large, situation qui durera près de 70 ans.

1) La brève expérience de l’indépendance

L’éclatement de la révolution de 1917 en Russie modifie considérablement la donne dans le Sud Caucase. La nomination d’un Comité spécial de Transcaucasie par le gouvernement menchevik, puis d’un Commissariat transcaucasien par les bolcheviques, auquel est adjointe une Assemblée transcaucasienne, ne permet pas, dans un premier temps, de contenir les poussées indépendantistes régionales.

Alors même que les troupes des puissances occidentales ne se sont pas encore retirées des territoires du Sud-Caucase, une République démocratique fédérative de Transcaucasie, qui réunit l’Arménie, l’Azerbaïdjan et la Géorgie, proclame son indépendance le 24 février 1918. Son existence est toutefois de très courte durée, puisqu’elle ne survit pas aux déclarations d’indépendance successives des trois Etats qui la composent.

Le 26 mai 1918, la Géorgie se proclame ainsi République indépendante, suivie deux jours après par l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Les jeunes Etats mettent au point une série de revendications territoriales, qui seront utilisées dans le cadre des négociations pour la paix de Paris, qui commence en janvier 1919, puis lors de la négociation du traité de Sèvres, signé le 10 août 1920, et qui marque le démantèlement de l’empire ottoman.

Se recouvrant largement, les prétentions géographiques des trois Républiques caucasiennes donnent lieu à de multiples affrontements. Les zones contestées correspondent, encore aujourd’hui, à des régions de fortes tensions : le plateau du Haut-Karabakh, et la province du Nakhitchevan, qui voient s’affronter Arménie et Azerbaïdjan, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, revendiquées par la Géorgie et la Russie, sont ainsi, dès 1918-1920, l’objet d’une violente rivalité entre les Etats du Caucase.

La relation arméno-turque, rendue très difficile par la répétition des massacres de populations à la frontière, et le génocide commis à l’encontre de la population arménienne entre 1915 et 1916, se complique d’avantage par la multiplication des décisions prises au sujet des frontières. Ainsi, au titre d’un arbitrage rendu par le président américain William Woodrow Wilson le 22 novembre 1920, l’Arménie est censée hériter d’un large territoire, situé dans la Turquie actuelle, qui englobe les villes de Trabzon, Erzerum et Kars. Certains groupes de la diaspora arménienne continuent de demander que la frontière entre les deux Etats soit redessinée en fonction de la décision prise par le président des Etats-Unis en 1920.

Le traité de Sèvres laisse donc la région dans une situation structurelle d’instabilité. L’avancée militaire de l’Urss, qui s’appuie sur des groupes de partisans locaux, fait brutalement taire toutes les revendications, qui ne tarderont pas à rejaillir après les décennies d’emprise du pouvoir soviétique.

2) L’intégration à l’empire soviétique

En un an – d’avril 1920 à juillet 1921 – les bolcheviques réussissent à prendre le contrôle de l’ensemble du Caucase, au Nord et au Sud. Une telle marche en avant ne va pas sans affrontements violents contre les populations locales, comme en témoignent les révoltes en Arménie (1921) et en Géorgie (1924). Les responsables politiques locaux, dirigeants des Républiques indépendantes et souvent issus de la noblesse, seront également victimes des grandes purges décidées par Staline au cours des années 1930.

Effective dès 1921, l’intégration du Caucase du Sud à l’Union soviétique donne lieu à une série de mesures autoritaires concernant tant les découpages administratifs que les mouvements de populations. Toutefois, les déportations toucheront majoritairement les populations du Nord Caucase, certaines ayant été considérées, à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale, comme traîtres à l’Union soviétique, et envoyées par la suite en Asie centrale notamment. Les déportations au Sud concerneront surtout certaines populations musulmanes de Géorgie (Turcs Meskhètes) et d’Arménie (les Khemchins) (6).

Les frontières administratives des trois Républiques soviétiques du Caucase du Sud sont fixées plus rapidement. Après une nouvelle expérience de fédération régionale, de 1922 à 1936, baptisée « Fédération soviétique de Transcaucasie », les trois Républiques deviennent chacune des Républiques fédérées au sein de l’URSS.

Les choix décidés à Moscou pour l’avenir du Caucase sont lourds de conséquences. Le rattachement de certaines provinces à une République donnera lieu à des contestations qui renaîtront avec violence à la chute de l’Union soviétique. C’est le cas, par exemple, de l’intégration du Haut-Karabakh, considéré comme peuplé majoritairement d’Arméniens, à la République d’Azerbaïdjan. De la même manière, le rattachement du Nakhitchevan à l’Azerbaïdjan en fait un territoire enclavé, puisque frontalier avec l’Arménie et l’Iran, mais pas l’Azerbaïdjan ! Dans une moindre mesure, la décision d’intégrer la Djavakhétie à la Géorgie suscite le mécontentement de l’Arménie, qui revendique cette province du fait de son peuplement d’origine arménienne.

Cette politique permet de diviser les Républiques caucasiennes pour mieux les maintenir au sein du giron soviétique. Ce choix stratégique est particulièrement évident pour la Géorgie, au sein de laquelle les provinces d’Abkhazie, d’Ossétie du Sud et d’Adjarie reçoivent des statuts d’autonomie plus ou moins avancés (région autonome ou république socialiste soviétique autonome). Le Haut-Karabakh et le Nakhitchevan bénéficient également d’une marge de manœuvre relative par rapport au pouvoir central de Bakou, capitale de la République d’Azerbaïdjan.

Le Sud Caucase soviétique, s’il n’est pas exempt de mouvements de rébellion et de contestation, reste malgré tout une région stable, les éventuelles tentations séparatistes étant rapidement réprimés par le pouvoir central. Les élites locales jouent d’ailleurs, comme elles le faisaient à l’époque tsariste, un double jeu, assurant les autorités soviétiques de leur fidélité, tout en asseyant leur légitimité locale sur des actions favorisant la reconnaissance des spécificités culturelles et linguistiques de leurs Républiques.

Ainsi, Edouard Chevarnadze, premier secrétaire du parti communiste géorgien à partir de 1972, bien qu’ayant obtenu des instances dirigeantes soviétiques d’importantes concessions en faveur de la défense de la langue géorgienne suite aux émeutes nationales de 1978, pouvait-il déclarer lors d’un congrès du comité central, comme gage de sa fidélité au pouvoir du Kremlin : « Pour nous, Géorgiens, le soleil se lève au Nord ».

La disparition de l’Union soviétique va faire réapparaître les conflits anciens, parfois appelés « conflits gelés ». Les nouvelles élites politiques, ayant souvent accédé au pouvoir sur la base de programmes ouvertement nationalistes, réactiveront peu à peu les tensions latentes de la région, sans que la Russie, alors considérablement affaiblie, ne parviennent à trouver les solutions pour un nouvel apaisement.

C – Les risques de la période post-soviétique

Aux marges de l’Union soviétique, l’ère Gorbatchev voit réapparaître des poussées nationalistes. C’est le cas en Ukraine, dans les pays baltes, et dans le Caucase. Paradoxalement, les entités administratives soviétiques servent de base aux revendications les plus franches, et, à la disparition de l’URSS, les anciens territoires autonomes affirment leur volonté d’indépendance.

Dès leur indépendance, les trois nouveaux Etats du Sud Caucase se voient donc confrontés à des revendications remettant en cause leur souveraineté sur le territoire dont ils estimaient avoir hérité à la chute de l’Union soviétique. La politique suivie à l’époque par la Russie ne parvient pas à éviter l’explosion de conflits ouverts. Constatant l’affaiblissement des Russes dans la région, de nouvelles puissances tentent de faire progresser leurs intérêts.

1) Des conflits renaissants que la Russie ne peut que suspendre

Dès 1991, les trois anciennes Républiques soviétiques du Caucase du Sud acquièrent leur indépendance : le 9 avril pour la Géorgie, le 30 août pour l’Azerbaïdjan, le 21 septembre pour l’Arménie. Rapidement, les conflits gelés de l’ère soviétique redeviennent des affrontements ouverts.

Dans la guerre entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui causa près de 30 000 morts en 1994, avec pour enjeu le statut de la province du Haut Karabakh, la Russie n’a pas réussi à imposer une solution durable. Accusée par les Azerbaïdjanais de trancher systématiquement en faveur de l’Arménie, avec laquelle elle est liée militairement et économiquement, la Russie a dû s’appuyer sur un mécanisme multilatéral constitué dans le cadre de l’OSCE. La Russie partage ainsi la présidence du groupe de Minsk, créé pour résoudre la question du statut du Haut Karabakh, avec les Etats-Unis et la France, preuve de l’affaiblissement de la position russe dans une région qu’elle avait coutume de dominer seule.

La situation en Géorgie, au sortir de l’indépendance, est tout aussi difficile pour la Russie. L’affaiblissement de la Géorgie, consécutif aux demandes d’indépendance formulées par les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud peu de temps après l’indépendance géorgienne, n’allait pas forcément contre les intérêts de Moscou. Toutefois, l’impossibilité pour la Russie de proposer une solution pour sortir du statu quo s’est vite révélée, et a accéléré le processus de rapprochement de la Géorgie avec l’Occident, qui a manifesté sa volonté de rejoindre l’Union européenne, et a, surtout, posé sa candidature à l’OTAN, véritable provocation pour Moscou.

Trois ans après leurs indépendances, les Etats du Caucase se retrouvent donc confrontés à nouveau aux débats territoriaux qu’ils avaient interrompu sous l’ère soviétique. Les positions dans les immédiats après-guerres semblent inconciliables. La Russie, dont beaucoup s’accordent à penser qu’elle a estimé être dans son intérêt de voir ces conflits réapparaître, n’a en tout cas pas réussi à les apaiser durablement. La situation semble donc toujours sur le point de rebasculer. C’est dans ce cadre que de nouvelles puissances, tenues à l’écart du Caucase soviétique, décident d’investir cette région ouverte depuis peu.

2) L’arrivée d’autres puissances dans l’ancien pré carré

Parallèlement aux efforts russes pour conserver une situation stratégique favorable dans le Caucase, deux autres entités ont décidé de mener des actions dans la région. Les Etats-Unis et l’Europe ont pourtant suivi des voies différentes, la politique européenne restant initialement floue et limitée.

Les Etats-Unis ont utilisé très tôt l’ensemble des leviers d’action pour asseoir leur présence dans le Caucase du Sud. Une aide financière importante, le financement de projet énergétiques majeurs comme le gazoduc Bakou – Tbilissi – Erzerum et l’oléoduc Bakou – Tbilissi – Ceyhan, le soutien militaire aux Etats nouvellement indépendants, notamment par la promotion de l’OTAN dans la région, ont donné une place à la puissance américaine qu’elle n’avait jamais eu localement.

La révolution des roses en Géorgie, qui a vu l’arrivée au pouvoir de Mikheïl Saakachvili en 2004 et la réorientation du pays vers l’Occident, a été interprétée à Washington et à Moscou comme le résultat de cette politique. Pour la Russie, l’influence américaine est considérée comme un danger pour ses propres intérêts dans une région qu’elle estime relever de sa sphère naturelle d’influence.

Alors que les Etats-Unis utilisent de manière cohérente l’ensemble des instruments de politique étrangère à leur disposition, prenant ainsi le risque de l’affrontement avec la Russie, l’Union européenne semble incapable de développer une stratégie adaptée pour le Caucase du Sud. Les trois Etats caucasiens sont ainsi intégrés au programme TACIS d’aide aux anciennes Républiques de l’URSS, mais, avant 2004, aucune stratégie spécifique n’est développée par l’Europe, qui ne distingue pas entre les Etats d’Asie centrale, du Caucase, et ne semble capable d’apporter comme seule réponse aux défis stratégiques que la promesse d’adhésion, qui ne sera finalement effective que pour les Etats baltes.

Malgré la faiblesse de l’Europe, les Etats membres continuent, pour leur part, de mener des politiques actives dans la région. C’est notamment le cas de la France, qui participe au groupe de Minsk, de l’Allemagne, qui développe une coopération importante avec la Géorgie, ou de la Grande-Bretagne, dont les intérêts énergétiques en Azerbaïdjan sont allés croissant depuis quinze ans.

Quel que soit le niveau d’implication des Occidentaux, Européens comme Américains, les défis du Caucase restent pourtant largement identiques à ce qu’ils étaient lors de l’indépendance. Seul l’Azerbaïdjan, protégé par la manne pétrolière, réussit à éviter un recul massif de sa croissance économique. Encore largement soumis à des pratiques de pouvoir centralisé et autoritaires, les pays du Caucase semblent condamnés, au moins à court terme, à entretenir des relations de voisinage conflictuelles.

II – LE CAUCASE AU PRESENT : DES CERTITUDES STRATEGIQUES AUX DOUTES INTERIEURS

Chacune des Républiques du Sud Caucase est confrontée à des défis différents. L’Arménie cherche à trouver une voie de développement, alors qu’elle est enclavée, et que ses ressources dépendent essentiellement de sa diaspora. La Géorgie, pour sa part, essaie de valider le choix, fait il y a quelques années par le président Saakachvili, de tourner le dos à la Russie et de s’intégrer à un espace euro-atlantique. L’Azerbaïdjan, enfin, voit son économie tirée vers le haut grâce aux revenus des hydrocarbures, et semble vouloir transformer cette puissance économique récente en poids géopolitique dans la région.

Malgré leurs options stratégiques différentes, les Etats du Sud Caucase partagent des difficultés communes, dans le domaine institutionnel notamment. Héritières de systèmes soviétiques, les Républiques caucasiennes semblent encore chercher leur voie, entre démocratie à l’occidentale et personnalisation de l’autorité, à la manière centrasiatique.

A - L’Arménie, sortir de l’enfermement

Historiquement, l’Arménie est contrainte par sa position géographique. Sans accès à la mer, le territoire montagneux de l’Arménie complique le développement économique du pays. Sa situation est rendue d’autant plus difficile que les choix diplomatiques de l’Arménie sont influencés par le passé et subissent la pression de la diaspora, et des principaux partenaires du pays.

1) Une situation économique très difficile

La crise économique a durement frappé l’Arménie, qui a enregistré, en 2009, la deuxième récession économique la plus grave de la zone CEI, avec une chute du PIB supérieur à 14 % (-18,5 % en glissement annuel, en septembre 2009). L’inflation a atteint 3,5 % à la fin de l’année 2009, et la lenteur de la reprise souligne si besoin était les faiblesses structurelles de l’économie arménienne.

La croissance de l’Arménie était fondée, jusqu’à présent, sur le secteur du bâtiment (30 % du PIB en 2008), et les exportations de cuivre. L’effondrement de l’immobilier (-60 % en 2009) et des cours des matières premières (-50 % pour le cuivre) ont ainsi été les principales causes conjoncturelles de la récession subie par le pays. Toutefois les autorités arméniennes sont bien conscientes des manques profonds qui restent à combler pour mettre l’Arménie sur le chemin du développement.

Le pays reste enclavé, donc trop dépendant de la frontière géorgienne par laquelle transitent 80 % des importations et 50 % des exportations arméniennes. L’Iran joue le rôle de plateforme pour l’importation de produits en provenance des Emirats arabes unis, mais la fermeture des frontières avec l’Azerbaïdjan et la Turquie nuisent fortement au développement du commerce arménien. Le manque de concurrence, renforcé par la fermeture des frontières qui permet la constitution de véritables monopoles d’importations, tend ainsi à entretenir dans le pays un climat insuffisamment propice aux affaires.

La crise économique en Arménie a de lourdes répercussions sociales. Environ 100 000 nouveaux pauvres ont été enregistrés depuis la crise de 2008, portant à environ 25 % la part de la population vivant sous le seuil de pauvreté. Dans Erevan, les projets immobiliers abandonnés en plein chantier symbolisent l’impasse économique dans laquelle se trouve l’Arménie aujourd’hui.

2) Une politique extérieure contrainte

Il est clair que les considérations purement économiques inciteraient l’Arménie à développer ses relations avec ses deux voisins les plus riches, la Turquie et l’Azerbaïdjan. Toutefois, l’aspect économique ne peut être que secondaire pour la politique étrangère d’un pays qui peine à trouver une voie autonome sur la scène internationale.

Le poids de la diaspora est loin d’être négligeable, tant dans l’économie arménienne que sur les orientations de sa politique. On estime ainsi que les transferts de la diaspora représentent environ 50 % du budget arménien, et leur baisse conséquente, du fait de la crise mondiale, a d’ailleurs joué un rôle significatif dans l’effondrement de l’économie arménienne.

La diaspora arménienne peut influer sur les choix stratégiques du pays, puisque plus d’Arméniens vivent hors du pays que dans ses frontières (4 millions environ, par rapport à une population nationale estimée à 3 millions). Malgré cette pression, non négligeable, l’Arménie s’efforce de construire une politique étrangère soutenable dans une région caucasienne traversée de tensions.

Depuis son indépendance, l’Arménie poursuit ainsi une politique équilibrée, entre la Russie, les Etats-Unis et l’Europe. Par ailleurs, elle a développé des relations avec l’Iran, et entretient ses relations de voisinage avec la Géorgie.

La Russie reste un acteur majeur en Arménie. La base de Gumri, qui abrite plusieurs centaines de soldats et des matériels modernes, est une manifestation forte de cette relation stratégique, en même temps qu’une « assurance-vie » dans le cadre de l’affrontement avec le voisin azerbaïdjanais au sujet du Haut-karabakh.

La Russie pèse également d’un poids non négligeable dans l’économie arménienne, contrôlant la plupart des grandes infrastructures, notamment énergétique. Enfin, c’est en Russie que se trouve la plus importante minorité arménienne, d’environ 2 millions d’individus.

Avec les Etats-Unis, comme avec l’Europe, l’Arménie entretient de bonnes relations, marquées par la présence d’importantes diasporas arméniennes chez ces deux partenaires. Ces derniers ont cherché à développer leur influence sur place, par l’envoi de personnels dans les ambassades, mais également en mettant à disposition du gouvernement arménien et de la présidence des conseillers techniques sur certaines questions-clés. C’est le choix retenu par l’Union européenne, dont plusieurs fonctionnaires travaillent ainsi dans les cabinets ministériels et présidentiel arménien.

La relation arméno-géorgienne est plus ambivalente. Derrière une cordialité affichée subsiste en réalité une méfiance marquée envers un partenaire jugé imprévisible et irresponsable. Plus prudente dans sa relation à l’Occident que son voisin géorgien, l’Arménie ne soutient pas non plus la politique d’éloignement vis-à-vis de la Russie que la Géorgie a suivie depuis plusieurs années. Enfin, un certain nombre de questions compliquent les relations entre les deux pays, notamment le sujet des droits de douanes, jugés prohibitifs par l’Arménie, mais également la situation des Arméniens de Djavakhétie, et les récentes acquisitions par l’Eglise de Géorgie de bâtiments appartenant historiquement au culte arménien.

Enfin, l’Arménie a dû maintenir de bonnes relations avec l’Iran, qui apparaît plutôt comme un partenaire obligé. Alors que les frontières avec la Turquie et l’Azerbaïdjan sont fermées, l’Arménie ne peut dépendre de la seule liaison géorgienne vers l’Occident, ou de la Russie, pour l’ensemble de son approvisionnement.

Marquée par son enclavement, l’Arménie cherche donc à ne froisser aucun de ses partenaires. Toutefois, le choix de l’ouverture, s’il semble être partagé par une bonne partie de la classe politique, peine à se matérialiser, dans un système politique encore marqué par des réflexes hérités de l’ère soviétique.

3) La lente évolution du système politique

L’élection, en février 2008, du président actuel Serge Sarkissian a rappelé aux observateurs combien la vie politique arménienne pouvait être conflictuelle. Battus dès le premier tour, les groupes de soutien des autres candidats principaux, notamment Levon Ter-Petrossian, ont en effet immédiatement dénoncé des fraudes électorales.

Après plusieurs semaines d’agitation, une manifestation organisée le 1er mars 2008 à Erevan a été réprimée dans le sang, dix personnes ayant trouvé la mort. Plusieurs dizaines de personnes se sont alors trouvées arrêtées et emprisonnées, parfois de manière apparemment arbitraire.

Face à l’ampleur de la contestation, et à la fragilité de la situation politique interne qu’il devait relever, le président Sarkissian a cherché à s’imposer comme un réconciliateur national, et a suivi les recommandations relayées notamment par le Conseil de l’Europe, en promulguant une loi d’amnistie et en donnant suite aux demandes de libération de détenus politiques.

De cette manière, l’orientation choisie par la nouvelle administration présidentielle, favorable à la fois à l’ouverture de la frontière avec la Turquie et à l’accélération du processus de négociation sur le Haut-karabakh, semblait en passe de s’imposer auprès de certaines forces d’opposition, notamment le parti de M. Ter-Petrossian.

Parallèlement, l’équipe du président Sarkissian obtenait de bons résultats en matière de lutte contre la corruption, mal endémique dans le Caucase comme dans de nombreux pays issus de l’ancienne Union soviétique.

Toutefois, certaines décisions démontrent encore une certaine pesanteur politique, et le recours à des solutions marquées par l’autoritarisme. Ainsi, la condamnation du rédacteur en chef du principal journal d’opposition, Nikol Pachinian, à une peine d’emprisonnement de 7 ans – l’excluant de fait du champ de l’amnistie présidentielle – a suscité de vives critiques à l’extérieur.

L’Arménie se trouve ainsi à la croisée de chemins. Le soutien militaire russe est à la fois précieux face à l’Azerbaïdjan, mais peut apparaître comme un instrument de pouvoir dans un pays encore largement contrôlé par la Russie. L’ouverture vers la Turquie semble seule à même de donner la respiration économique indispensable au développement du pays, mais l’influence de la diaspora, pour laquelle le souvenir du génocide des arméniens par les Turcs est un marqueur identitaire, complique la tâche d’autorités politiques encore hésitantes à s’engager sur la voie de la démocratisation du régime.

Bien que procédant d’autres facteurs politiques et stratégiques, la Géorgie semble également hésiter entre plusieurs voies de développement, malgré un discours officiel d’apparence très monolithique.

B - La Géorgie, entre promesse occidentale et faiblesses structurelles

L’élection de Mikheïl Saakachvili à la tête de la Géorgie, le 4 janvier 2004 a considérablement modifié la stratégie suivie jusqu’alors par son pays. A la tête d’un mouvement politique, le mouvement national-démocrate, et s’appuyant sur la vague de contestations populaires, baptisée « révolution des roses », déclenchée à la suite des élections législatives du 2 novembre 2003, Mikheïl Saakachvili a opté pour un rapprochement à marche forcée de la Géorgie vis-à-vis de l’espace euro-atlantique.

Cette démarche très volontariste n’a pas été sans heurts, et les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des ambitions. La déception des Géorgiens, notamment vis-à-vis de l’allié américain auquel il est reproché de n’avoir pas assez fait lors de la guerre contre la Russie en août 2008, pourrait faire évoluer le pays dans une nouvelle ère, où le voisin russe ne serait plus systématiquement perçu comme un adversaire.

1) Perspective euro-atlantique et réalité caucasienne

Elu en 2004 avec 96 % des voix lors d’un scrutin réunissant officiellement 88 % des inscrits, le président Saakachvili a mis en œuvre un programme radical de libéralisation de l’économie, et de rapprochement à marche forcée avec l’Occident, notamment l’Union européenne et l’OTAN.

Dans la lignée de son engagement pro-occidental, la nouvelle administration a fait le choix de privatiser de nombreux secteurs de l’économie géorgienne, notamment les banques et les industries énergétiques. Adaptée, la législation fiscale favorable a permis d’attirer de nombreux investissements étrangers, qui ont soutenu la croissance économique géorgienne à des taux largement supérieurs à ceux de la région, de 9 % à 12 % entre 2005 et 2007. Des résultats positifs ont également été enregistrés en matière de lutte contre la corruption, passant de la 99ème à la 67ème place du classement établi par l’ONG Transparency international entre 2006 et 2008.

Tous les efforts de la présidence géorgienne, au cours de ses premières années de mandat, étaient donc tournés vers la transformation de la Géorgie en une économie libéralisée et favorable aux affaires. La Géorgie occupait d’ailleurs la 11ème place du rapport Doing Business de la Banque mondiale en 2010, soit un gain de 27 places par rapport à 2007.

En politique étrangère, les choix de l’administration Saakachvili furent tout aussi clairement orientés. La Géorgie a été le premier Etat du Caucase à manifester son intérêt pour la politique de voisinage de l’Union européenne. Officiellement, la Géorgie souhaite intégrer l’UE, bien que les autorités admettent que cette perspective reste éloignée.

Le rapprochement vis-à-vis de l’OTAN est également l’un des axes forts de la politique étrangère géorgienne depuis 2004. Après avoir intégré le partenariat pour la paix, la Géorgie a demandé, et obtenu, de bénéficier d’un « dialogue intensifié », en septembre 2006. Ce dernier permet d’organiser des coopérations entre l’Alliance et les autorités géorgiennes à tous les niveaux. Le sommet de l’OTAN à Bucarest, en avril 2008, s’il n’a pas fait entrer la Géorgie dans l’OTAN, s’est toutefois conclu sur une position ambiguë, les chefs d’Etats réunis ayant affirmé avoir « décidé que l’Ukraine et la Géorgie deviendraient membres l’OTAN », et une commission OTAN – Géorgie ayant été créée à la même occasion.

La proximité personnelle avec le président américain Georges Walker Bush, et le soutien important des Etats-Unis à la Géorgie, ont également été les éléments marquants du premier mandat de Mikheïl Saakachvili. Un nombre important de visites officielles ont été organisées pendant ces années, et la Géorgie a envoyé un contingent important, qui a atteint jusqu’à 2000 hommes, aux côtés de la coalition internationale menée par les Etats-Unis en Irak. Symboliquement, l’avenue menant à l’aéroport de Tbilissi a été rebaptise « avenue Georges Bush ».

2) Le raidissement d’un régime en position de faiblesse

Réélu au premier tour des élections de janvier 2008 avec plus de 53 % des voix, le président Saakachvili a poursuivi la politique conduite au cours de son premier mandat. Toutefois, ses ambitions ont été stoppées par le déclenchement de la guerre entre la Géorgie et la Russie, dans la nuit du 7 au 8 août 2008.

L’avancée des troupes russes sur le territoire géorgien puis la déclaration d’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, reconnues ultérieurement par la Russie, ont bouleversé la situation intérieure du pays.

En matière économique, l’afflux d’investissements étrangers s’est brutalement tari, enregistrant une baisse de 77 % au premier trimestre 2009. Les performances économiques du pays se sont effondrées, la croissance économique enregistrant une baisse de 6 % au premier trimestre 2009. Les engagements pris lors de la conférence de Bruxelles le 22 octobre 2008, d’un montant de 4,5 milliards de dollars sur trois ans (2008-2011) représentent désormais 30 % du PIB, mais il est difficile d’observer, en Géorgie, un mouvement de reprise stimulé par l’économie domestique.

Les progrès enregistrés dans le domaine économique pendant le premier mandat de Saakachvili ont été suivis par une amélioration des conditions de la vie politique en Géorgie, du moins en apparence. L’augmentation du nombre de médias et les réformes du code électoral en accord avec les recommandations de l’OSCE semblaient aller dans le bon sens.

Toutefois, dès avant la guerre, l’évolution du système politique en Géorgie laissait plusieurs observateurs extérieurs foncièrement dubitatifs. La réélection de Saakachvili en 2008 avait donné lieu à de vives contestations, certaines confirmées par les rapports des institutions internationales.

L’OSCE, dans ses rapports sur les élections présidentielles et législatives de 2008, relève ainsi plusieurs manquements aux standards internationaux dans le domaine électoral, notamment dans la constitution des listes électorales. Par ailleurs, des cas de pression sur les membres de partis d’opposition sont confirmés par l’équipe d’observateurs de l’OSCE. En revanche, les allégations de « carrousels » (7) généralisés ne sont pas confirmées par les observateurs internationaux.

Enfin, le manque de transparence des propriétaires de sociétés de presse, souvent soupçonnés d’être des hommes du pouvoir, ainsi que la faible expérience des journalistes géorgiens et le manque de soutien des organisations visant à former les plus jeunes à l’éthique journalistique, font peser un soupçon continu sur les médias dans le pays.

La guerre d’août 2008 contre la Russie a considérablement modifié la situation. L’union des forces politiques derrière le président dans un contexte d’affrontement ouvert avec le grand voisin n’a pas survécu à la fin des affrontements. La situation politique actuelle en Géorgie s’est rapidement tendue entre les différents pôles d’opposition et le pouvoir en place. Le contexte est d’autant plus compliqué que le personnel politique géorgien fait preuve d’une grande culture politique, et d’une véritable maturité, ce qui tend à accroître la méfiance vis-à-vis d’un président perçu comme irresponsable et aventuriste.

Plusieurs responsables politiques géorgiens affichent désormais une opposition franche à Saakachvili, qu’ils rendent responsables de la guerre avec la Russie. Opposant traditionnel, M. Chalva Natelachvili, président du parti travailliste géorgien, affirme ainsi que son parti lutte contre la « dictature ». Moins radicale, Salomé Zourabichvili, ancienne ministre des affaires étrangères de Géorgie et ancien ambassadeur de France à Tbilissi, s’interroge sur la perte de légitimité du président, qui bénéficiait pourtant d’un soutien populaire massif en 2004.

Nino Bourdjanadze, présidente du mouvement démocratique pour une Géorgie unie et ancienne présidente du Parlement ayant exercé à ce titre la responsabilité de président de la République par intérim, fustige ce qu’elle considère comme « un recul par rapport au passé » dans la pratique du pouvoir de Saakachvili. Elle cite notamment le cas de membres de son parti enlevés, séquestrés et torturés par des individus masqués qui pourraient faire partie, ou être en lien, avec certaines unités des forces de sécurité.

Le jeune responsable du mouvement « Alliance pour la Géorgie », Irakli Alassania, ancien président du gouvernement abkhaze en exil entré en opposition en décembre 2008, reprend ces critiques, et condamne l’amalgame fait par le gouvernement entre l’opposition à Saakachvili et les prétendus réseaux russes dans les mouvements politiques géorgiens.

Le risque existe que la Géorgie s’enferme dans une logique binaire peu constructive, qui verrait les groupes d’opposition et Saakachvili s’affronter sur la politique à tenir vis-à-vis de la Russie. En effet, la question de la relation russo-géorgienne est cruciale pour l’avenir de la Géorgie dans la région, et elle ne saurait être résolue selon des lignes trop idéologiques.

3) Quelle place pour la Géorgie dans le Caucase ?

La guerre russo-géorgienne, dans laquelle les deux parties doivent assumer une part de responsabilités, au-delà des questions territoriales liées à la déclaration d’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, semble avoir eu des conséquences de fond sur l’attitude de plusieurs responsables politiques géorgiens vis-à-vis de l’avenir de leur pays.

En effet, les premières années de l’administration Saakachvili avaient fait de la Géorgie une sorte de base avancée de l’Occident aux portes de la Russie, selon le programme annoncé par le mouvement des roses. Or, le souhait affiché de rejoindre l’Union européenne, et surtout l’OTAN, était vécu comme une provocation par la Russie.

La montée des tensions entre les deux pays, progressive, ne pouvait être compensée en Géorgie que par le soutien de puissances extérieures. L’embargo sur les produits alimentaires géorgiens prononcé par la Russie en octobre 2006 a plongé la Géorgie dans une dépendance quasi-totale aux financements étrangers, comme le souligne le poids des investissements directs dans le développement économique spectaculaire du pays.

Le principal partenaire commercial de la Géorgie, à partir de 2006, a été l’Ukraine, par laquelle transitait la plupart des importations de biens européens. Toutefois, l’idée d’un « axe des couleurs », entre l’Ukraine issue de la révolution orange et la Géorgie issue de la révolution des roses, ne semble pas avoir obtenu les résultats espérés. La situation économique ukrainienne, en constante dégradation depuis quelques années, et l’élection de Viktor Ianoukovitch, candidat réputé « pro-russe », à la présidence ukrainienne, rendent encore plus aléatoire la poursuite de cette stratégie.

S’il semble désormais difficile d’imaginer un avenir pour la Géorgie contre la Russie, cela n’implique pas nécessairement la disparition de toute présence occidentale sur le territoire géorgien. Les Européens, comme les Américains, se sont en effet engagés de manière significative pour soutenir ce pays, notamment depuis la crise avec la Russie. La Géorgie continue d’affirmer ses liens privilégiés avec les puissances occidentales, et a ainsi décidé de faire passer son contingent en Afghanistan de 175 à 900 hommes, pour intégrer les troupes de la Force internationale d’assistance à la sécurité, commandée par l’OTAN, déployées dans le Helmand.

Les Etats-Unis disposent, à l’extérieur de Tbilissi, d’une ambassade de grande taille, comparable à celle construite à Bagdad. Leur soutien se manifeste également de manière financière et militaire, sous la forme d’envois de formateurs, sans toutefois que des ventes officielles d’armes américaines à la Géorgie n’aient été organisées depuis le conflit.

L’Europe a également une présence stratégique importante en Géorgie, puisqu’elle est la seule organisation internationale restante, après le départ de l’ONU et de l’OSCE, pour vérifier le respect des délimitations administratives entre le territoire de la Géorgie intérieure et les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Sur les 246 moniteurs déployés dans le cadre de la mission de surveillance de l’Union européenne, chargée de vérifier le respect des accords de cessez-le-feu de septembre et décembre 2008 entre la Russie et la Géorgie, on compte pas moins de 30 Français, soit le deuxième contingent après l’Allemagne.

L’Europe a des intérêts stratégiques à défendre dans le Caucase, au premier rang desquels la stabilité de la région. De la même manière, les Etats-Unis ont développé leur présence dans la région, et ont intérêt à un apaisement des conflits. Pour cette raison, il n’est pas sûr qu’ils souhaitent abandonner toute la zone à la seule influence russe.

Pour la Géorgie, cette situation ne doit pas être interprétée, comme cela semble avoir été le cas en août 2008, comme l’assurance d’un soutien sans faille de l’Occident face à Moscou, donc un blanc-seing à une attitude provocatrice vis-à-vis de la puissance russe voisine.

La France peut, grâce à l’excellence de sa relation bilatérale, rappeler

La possibilité de trouver un compromis entre les intérêts de chacun ne doit pas être sous-estimée. Le renouveau de l’Azerbaïdjan en est la preuve. Sans jamais se positionner contre la Russie, ce pays a su valoriser ses ressources auprès des Occidentaux, au point d’apparaître aujourd’hui comme la puissance en devenir du Caucase.

C - L’Azerbaïdjan, future puissance dominante du Caucase ?

L’Azerbaïdjan se situe au 19ème rang mondial pour les réserves prouvées, tant en gaz qu’en pétrole, soit un niveau équivalent à celui de la Norvège pour une population moins de deux fois supérieure. Fort de cet atout géo stratégique, l’Azerbaïdjan poursuit une politique plutôt équilibrée, compensant la méfiance que le soutien militaire russe à l’Arménie lui inspire par une ouverture croissante aux Occidentaux, attirés par ses ressources.

Toutefois, le modèle de développement suivi par le pays, et les évolutions politiques de son régime, continuent de susciter de vives critiques, sur fond de déséquilibres importants entre la population azerbaïdjanaise et les proches du pouvoir bénéficiant de la manne pétrolière.

1) Un pays-clé pour les questions énergétiques

La manne pétrolière et gazière représentait plus de 60 % du PIB de l’Azerbaïdjan en 2008. Les produits pétroliers, traditionnellement convoyés vers la Russie dans le cadre de l’Union soviétique, transitent aujourd’hui par trois voies : vers la Russie, l’Europe (à travers la Turquie) et l’Iran (ce qui permet à l’Iran d’acquérir des produits pétroliers raffinés).

La volonté de l’Azerbaïdjan de s’extraire de la dépendance vis-à-vis de l’acheteur russe, héritée de l’ère soviétique, a été immédiate dès son indépendance. Ainsi, alors que la Russie réitère fréquemment son offre d’achat sur l’ensemble du gaz azerbaïdjanais, qui pourrait alors transiter par l’immense réseau de gazoducs russes, les premiers contrats avec des majors occidentales ont été signés par l’Azerbaïdjan au cours des années 1990, notamment le « contrat du siècle » en 1994, qui a ouvert l’accès du gisement pétrolier offshore Azeri-Chirag-Güneshli aux compagnies européennes et américaines.

Au-delà de ses seules réserves, l’Azerbaïdjan est également une plateforme incontournable pour les projets européens, et américains, d’accès aux ressources en hydrocarbures de l’Asie centrale en contournant le territoire russe. Les projets les plus avancés dans ce domaine, notamment le transit de pétrole kazakh par bateaux, impliquent systématiquement les infrastructures azerbaïdjanaises, notamment le terminal de Sangachal, au sud de Bakou.

L’Azerbaïdjan occupe donc une place particulière dans le Caucase, sa richesse pétrolière en faisant un allié convoité par de nombreuses puissances. Utilisant cet atout, l’Azerbaïdjan cherche à accroître son rôle dans la région, alors même que sa principale préoccupation reste les conséquences du conflit du Haut-Karabakh, qui a vu près du cinquième du territoire azerbaïdjanais occupé par les armées arméniennes.

2) Un poids politique croissant , de graves problèmes immédiats

Pays le plus peuplé du Caucase du Sud (en 2003, la population azerbaïdjanaise était à peu près égale à celle de l’Arménie et de la Géorgie réunies), l’Azerbaïdjan peut également compter sur les ressources économiques que lui apporte la manne pétrolière pour renforcer sa puissance politique. De nombreuses accusations sont ainsi portées par l’Arménie, qui dénonce une militarisation croissante de l’Azerbaïdjan, bien que les chiffres officiels du ministère de la défense d’Azerbaïdjan n’indique pas une accélération massive du phénomène.

L’importance géopolitique de l’Azerbaïdjan est également liée aux relations étroites qu’il a nouées, pour des raisons différentes, avec deux puissances voisines de la région : la Turquie et l’Iran.

Selon la formule traditionnelle, la Turquie et l’Azerbaïdjan forment « une Nation, deux Etats ». Les liens culturels entre les deux pays sont très intenses, à tel point que la langue azérie, notamment celle parlée à Bakou, se distingue très peu du turc moderne, bien que les alphabets diffèrent. Le soutien de la Turquie à l’Azerbaïdjan s’est exprimé notamment en 1994, puisque la décision de fermer la frontière entre la Turquie et l’Arménie a été prise en réponse à la guerre du Haut Karabakh, comme signe de solidarité avec la cause azerbaïdjanaise.

L’Azerbaïdjan est également frontalier avec l’Iran, avec lequel les relations, plus complexes que celles entretenues avec la Turquie, sont marquées par la présence d’une très importante minorité azérie en Iran, estimée entre 15 et 30 millions de personnes. Cette situation a longtemps nourri la méfiance de l’Iran vis-à-vis de son voisin caucasien, à laquelle s’ajoutaient des contentieux relatifs aux limites des zones de souveraineté respectives de chacun sur la mer Caspienne.

Toutefois, l’isolement international de l’Iran tend à faire apparaître l’Azerbaïdjan comme un partenaire de plus en plus important pour le régime iranien, qui a multiplié les initiatives diplomatiques envers le pays au cours des dernières années.

Ce rôle politique nouveau que l’Azerbaïdjan semble vouloir remplir est, pour le moment, mis en sommeil relatif. En effet, la politique étrangère azerbaïdjanaise est très nettement centrée autour de la relation avec l’Arménie.

A la suite de la guerre contre l’Arménie, en 1993, l’Azerbaïdjan a perdu le contrôle de la province du Haut Karabakh. Dans le même temps, les armées arméniennes avançaient leurs positions dans sept districts adjacents au haut plateau, et tiennent encore leurs positions dans ces zones. Dès lors, le gouvernement azerbaïdjanais estime que 20 % de son territoire est occupé par une force étrangère, et fait de la résolution de cette situation l’objectif premier de sa politique étrangère.

Le règlement de la question du Haut Karabakh, et de la présence arménienne sur le sol azerbaïdjanais, est l’antienne récurrente du discours international des dirigeants du pays. Ces derniers lient très souvent leurs positions à l’attitude adoptée par un pays vis-à-vis de ce dossier. L’influence du contentieux avec l’Arménie sur la politique étrangère de l’Azerbaïdjan est particulièrement visible dans l’évolution de ses relations avec la Russie et la Turquie.

La Russie est un partenaire important pour l’Azerbaïdjan, et l’ancienne puissance tutélaire. Pourtant, dans le domaine énergétique comme sur d’autres sujets, l’Azerbaïdjan s’efforce de maintenir un équilibre entre la Russie et l’Occident. En effet, l’Azerbaïdjan estime que la Russie, bien que co-présidente du groupe de Minsk, manifeste une proximité trop importante avec le voisin arménien.

Ainsi, membre de l’organisation commune de Shanghai, l’Azerbaïdjan est également proche de l’OTAN (il bénéficie d’un plan d’action individuel pour le partenariat) et a envoyé 150 militaires en Irak en 2003, retirés depuis. De la même manière, l’Azerbaïdjan a soutenu la Géorgie lors de la guerre avec la Russie, en assurant des livraisons de gaz. Pour autant, l’attitude provocatrice de la Géorgie vis-à-vis de la Russie suscite des réserves chez les dirigeants azerbaïdjanais.

De la même manière, l’Azerbaïdjan cherche à influencer les relations turco-arméniennes, en exerçant des pressions sur la Turquie pour retarder l’avancée du processus de rapprochement entre les deux pays. Ainsi, peu après la signature, à Zürich, des deux protocoles sur la normalisation des relations bilatérales en octobre 2009, l’Azerbaïdjan a annoncé vouloir renégocier avec la Turquie le prix de vente des hydrocarbures transitant par le BTE et le BTC, jusque là vendu dans des conditions très avantageuses pour la Turquie.

L’Azerbaïdjan semble donc être en passe de jouer un rôle nouveau, et beaucoup plus important, dans le Caucase du Sud. Toutefois, une telle éventualité ne pourra devenir réalité qu’une fois le contentieux avec l’Arménie résolu. En attendant, il reste difficile de connaître les intentions d’un régime azerbaïdjanais très critiqué pour sa manière de gérer les affaires intérieures du pays.

3) Un régime politique critiqué, confronté à des défis majeurs

Le contexte politique azerbaïdjanais reste marqué par la place occupée par le clan Aliev. L’élection d’Aboulfaz Eltchibeï, chef du front populaire de l’Azerbaïdjan, en juin 1992, en pleine guerre contre l’Arménie, ouvre un cycle de rapprochement avec la Turquie qui se clôt dès la prise de pouvoir d’Heydar Aliev, soutenu par une partie de l’armée, en juin 1993.

Son fils Ilham lui a succédé en 2003, lors d’élections présidentielles critiquées par les observateurs, qui relevaient notamment l’arrestation de membres de l’opposition et de journalistes. Il a été réélu le 15 octobre 2008 avec plus de 90 % des suffrages exprimés. Cette succession est le premier exemple de transmission familiale du pouvoir dans une République ex-soviétique.

Les élections, législatives comme municipales, donnent lieu à des manipulations à grande échelle, notamment lors de l’établissement des listes électorales, mais également par tous les moyens que permet l’usage de la « ressource administrative », euphémisme désignant les pressions exercées par les autorités sur les électeurs. Le parti présidentiel YAP est majoritaire au Milli Majlis – chambre des députés – depuis 2005, et ne laisse aucune place, y compris dans les média, pour l’expression des mouvements d’opposition.

Récemment, les signes de durcissement du régime se sont multipliés. Les radios étrangères ne peuvent plus émettre sur les ondes locales depuis le 1er janvier 2009. De même, une loi récente restreint l’activité des ONG étrangères. La plupart des organisations internationales de défense des droits de l’homme considèrent l’Azerbaïdjan comme un pays à risque dans ce domaine, et la condamnation, en novembre 2009, de deux jeunes bloggers critiques envers le président à plus de deux ans de prison pour des faits de « hooliganisme » est venu les renforcer dans leur jugement.

Le régime azerbaïdjanais est également confronté à plusieurs difficultés majeures qui pourraient compromettre le développement du pays. En premier lieu, l’ampleur de la corruption, régulièrement dénoncée par les observateurs internationaux et source de difficultés quotidiennes pour la population. Au classement 2009 de Transparency international, l’Azerbaïdjan occupait la 143ème place. Malgré certaines réformes structurelles entreprises par le gouvernement, dans le domaine fiscal et en matière de gestion des ressources financières avec la création d’un fonds de gestion des excédents pétroliers en 1999, l’amélioration sur le front de la lutte anti-corruption reste minime.

A long terme, cette situation compromet la nécessaire diversification de l’économie azerbaïdjanaise, dont les réserves en hydrocarbures, évaluées entre 60 et 100 ans au rythme de production actuel, ne permettront pas d’assurer le développement éternellement. Par ailleurs, la concentration de l’activité économique dans le secteur pétrolier a tendance à renforcer des inégalités déjà criantes, visibles dès la sortie du centre-ville de Bakou, moderne, prospère et bien entretenu, et l’arrivée dans les premiers faubourgs, situés sur des gisements de pétrole onshore très peu exploités aujourd’hui, où les infrastructures sont anciennes, quant elles existent.

Le développement économique et social de l’Azerbaïdjan reste ainsi à construire : avec un PIB par habitant plus de deux fois supérieur à celui de la Géorgie, et une fois et demi plus important que celui de l’Arménie, l’Azerbaïdjan se situe au 86ème rang des indices de développement humain, derrière l’Arménie (84ème) et à peine au-dessus de la Géorgie (88ème).

La difficulté à faire coïncider explosion de la manne pétrolière et développement de l’ensemble de l’Azerbaïdjan a des répercussions politiques immédiates. Sur fond de difficultés socio-économiques pour une bonne partie de la population se développent en effet des mouvements religieux extrémistes, dans un pays musulman à plus de 90 %. Les appréciations sur ce phénomène sont diverses, certains parlant de véritables risques quand d’autres évoquent au contraire une manipulation de la part des autorités.

Quelle que soit l’ampleur de la menace, il est clair que l’Azerbaïdjan, pays laïc et s’inspirant du modèle turc, peut devenir la cible de plusieurs réseaux d’influence islamiste, tant depuis l’Iran chiite (70 % des musulmans d’Azerbaïdjan sont de cette obédience) que du Caucase du Nord « wahabite », et même depuis la Turquie avec le mouvement des Nurcu, membres du mouvement créationniste turc Nurculuk.

Economiquement puissant, prenant une place stratégique de plus en plus importante dans le Caucase, l’Azerbaïdjan doit toutefois résoudre d’importantes difficultés intérieures avant de prétendre à un rôle régional majeur. La première de ces difficultés est sans nul doute l’affrontement avec l’Arménie sur l’avenir du Haut Karabakh. Ce conflit est symbolique d’une région, le Caucase du Sud, dont les perspectives d’avenir à long terme sont obérées par des questions, héritées du passé, et auxquelles il reste difficile d’apporter une solution rapide.

III - LES TOURMENTS D’UNE RÉGION : LES ETATS CAUCASIENS EN CONFLIT PERMANENT ?

Comme d’autres territoires relevant anciennement de l’Union soviétique, notamment la Transnistrie – province de Moldavie – ou la Crimée, en Ukraine, le Caucase connaît plusieurs « conflits gelés », expression qui désignait les revendications territoriales des Républiques soviétiques, gelées par l’appartenance des deux protagonistes à la même fédération.

Les indépendances de chacun des Etats ont exacerbé ces tensions, et ont souvent conduit à des guerres ouvertes. Se doublant de contentieux historiques entre certains acteurs locaux, la carte des conflits du Caucase dessine une situation particulièrement bloquée, pour laquelle il est difficile d’imaginer une solution à court terme.

A - Le Haut Karabakh et l’affrontement Arménie – Azerbaïdjan

Le Haut Karabakh, appelé Artsakh en arménien, est un territoire d’environ 11 000 kilomètres carré, à l’est de l’Arménie. L’antériorité du peuplement arménien ou azéri dans la région fait évidemment l’objet de fortes controverses (8). Depuis le 19ème siècle et le rattachement de la région à la Russie, le Haut Karabakh est en tout cas peuplé par une majorité d’Arméniens.

Son rattachement à la République d’Azerbaïdjan fut décidé par les autorités soviétiques le 5 juin 1921, et il reçut, très rapidement (en 1923), un statut d’autonomie renforcée.

1) De l’indépendance à la guerre

Les premières demandes d’indépendance de l’oblast de Nagorno-Karabakh remontent à 1988. Dès l’indépendance de l’Azerbaïdjan, proclamée en 1991, les autorités du Haut Karabakh annoncent également la naissance d’une nouvelle entité souveraine, la République du Haut Karabakh.

Alors qu’un processus d’institutionnalisation de l’indépendance s’organise au Haut-Karabakh (referendum sur l’indépendance, élections du Parlement), les autorités azerbaïdjanaises répondent en supprimant le statut d’autonomie du Haut Karabakh, et envoient plusieurs milliers de soldats pour rétablir l’autorité du gouvernement de Bakou.

Soutenu par l’Arménie, le « Comité Karabakh », qui réunit les Arméniens du Karabakh défenseurs de l’indépendance vis-à-vis de l’Azerbaïdjan, mène une série d’opérations militaires qui conduisent à l’occupation du plateau ainsi que de sept districts proches par des armées arméniennes. Afin de marquer son soutien à l’Azerbaïdjan, dont elle est particulièrement proche culturellement, la Turquie décide de fermer sa frontière commune avec l’Arménie, en juillet 1993.

Au total, les affrontements entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan auraient fait entre 15 000 et 22 000 morts, et plus d’un million de déplacés ou réfugiés. Des massacres sur des civils sont perpétrés, notamment à Khodjaly, en Azerbaïdjan, entre les 23 et 26 février 1992. Accusée par les deux adversaires de favoriser l’autre partie, la Russie n’a pas pris de position officielle durant le conflit. C’est sous son égide qu’un cessez-le-feu est signé, le 16 mai 1994.

2) Du cessez-le-feu à l’enlisement des négociations

Les négociations sur l’avenir du Haut-karabakh sont menées dans le cadre d’un groupe international créé lors du sommet additionnel d’Helsinki le 24 mars 1992 au sein de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE, devenue OSCE par la suite), le groupe de Minsk. Le 6 décembre 1994, lors du sommet de Budapest, la co-présidence de ce groupe est attribuée à trois pays : la France, les Etats-Unis, et la Russie.

Le mandat de la co-présidence, rédigé en mars 1995, lui confère un double objectif : fournir un cadre de négociations pour la résolution du conflit et faire respecter cessez-le-feu, respecté tacitement depuis le 12 mai 1994 par des deux belligérants.

Pendant de nombreuses années, les négociations entre les deux parties ont semblé dans l’impasse. La résolution du 29 novembre 2004 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe souligne ainsi que, malgré trois résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies n° 822, n°854 et n°873, le règlement du conflit autour du Haut Karabakh n’a pas été résolu.

Le sommet de l’OSCE organisé à Madrid les 29 et 30 novembre 2007 permet de franchir une nouvelle étape. A cette occasion, les co-présidents du groupe de Minsk annoncent en effet que les parties azerbaïdjanaise et arménienne ont agréé un document contenant les principes de base pour un règlement du conflit du Haut Karabakh. Depuis 2007, les négociations entre les deux délégations, sous les auspices du groupe de Minsk, s’organisent autour de ce document.

Malgré l’existence de ce document, il semble que les discussions entre les deux parties soient aujourd’hui au point mort. Le sommet du G8 organisé à l’Aquila les 9 et 10 juillet 2009 a été l’occasion de rendre publics les orientations adoptées à Madrid, renforçant la pression sur les parties arménienne et azerbaïdjanaise. Ainsi, les trois chefs d’Etats des pays co-présidents du groupe de Minsk ont indiqué que la solution à ce conflit ne pouvait être trouvée qu’en respectant six principes :

– le retour sous contrôle azerbaïdjanais des territoires entourant le Haut-Karabagh,

– un statut intérimaire pour le Haut-Karabagh prévoyant des garanties en matière de sécurité et d’administration autonome,

– un corridor reliant l’Arménie au Haut-Karabagh,

– la définition future du statut juridique final du Haut-Karabagh dans le cadre d’un processus d’expression de la volonté juridiquement contraignant,

– le droit de toutes les personnes déplacées et des réfugiés à retourner dans leurs anciens lieux de résidence et,

– des garanties de sécurité internationales qui incluraient une opération de maintien de la paix.

Une version révisée du document reprenant les principes de Madrid a ensuite été transmise au début de l’année 2010 à chaque délégation et, depuis cette date, chacun d’entre elles se renvoie la responsabilité de l’absence d’avancée. Régulièrement, l’OSCE fait état d’accrochages entre les troupes arméniennes et leurs homologues azerbaïdjanaises, bien que la situation semble, du point de vue militaire, loin de l’embrasement pour le moment.

L’affrontement, désormais plus diplomatique que militaire, entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, semble se prolonger, et n’offre pas de perspectives de résolution immédiate. Si la persistance de ce conflit constitue évidemment un facteur de déstabilisation majeur pour la région, elle a en plus pour conséquence de ralentir un autre processus historique, le rapprochement entre la Turquie et l’Arménie.

B - Les relations à reconstruire entre l’Arménie et la Turquie

Placée sous domination turque à partir du 14ème siècle, l’Arménie commence à échapper à l’emprise de l’empire ottoman au début du 19ème siècle, suite aux premières incursions russes dans la région. Alors que le culte chrétien arménien est toléré par les Turcs, et que de nombreux Arméniens occupent d’ailleurs des postes de responsabilité au sein de l’empire ottoman, les relations entre les communautés se tendent au fur et à mesure de l’accroissement de l’influence russe dans la région.

1) Les conséquences du génocide et la fixation des frontières

Les relations entre la Turquie et l’Arménie ont toujours évolué en fonction des avancées russes sur le territoire arménien. Les soupçons turcs d’une alliance de chrétiens contre l’intégrité de l’empire ottoman prennent de l’ampleur après l’intégration d’une grande partie du territoire correspondant alors à l’Arménie dans l’empire russe, en 1827. Les historiens font d’ailleurs remonter les premiers massacres d’Arméniens par des Turcs à la fin du 19ème siècle.

L’entrée en guerre de l’Empire ottoman en 1914 contre la Russie précipite les événements. Les dirigeants de la Sublime Porte, notamment Enver Pacha, soupçonnant les Arméniens de collusion avec l’ennemi du Nord, décident de mener des actions de répression contre la population, avec des conséquences effroyables. Des villages entiers peuplés d’Arméniens sont déportés, et les convois sont victimes d’attaques par des hommes armés destinés à tuer le plus grand nombre de civils. Ce génocide commis contre les Arméniens par les Turcs à partir de 1915 ouvre une période d’affrontement radical entre les deux Nations.

A la suite du traité de Brest-Litovsk du 3 mars 1918, plusieurs territoires sont cédés par la Russie à l’empire ottoman, dont le district de Kars, autrefois arménien. La Turquie s’efforce parallèlement de reprendre pied sur le reste du territoire arménien, mais elle est obligée de reconnaître son indépendance en juin 1918. La fin de la guerre mondiale met un terme provisoire aux affrontements, et le traité de Sèvres du 10 août 1920 donne à l’Arménie les districts de Van et Bitlis.

Toutefois, l’intégration à l’Union soviétique se solde pour l’Arménie par une perte de plusieurs territoires. En effet, le traité de Kars, signé le 13 octobre 1921 entre la Turquie et les Républiques soviétiques de Transcaucasie, prévoit, en plus d’une délimitation des frontières correspondant à l’actuel territoire arménien, la reconnaissance par chacune des parties de la caducité des traités imposés par la force. Dès lors, la Turquie ne s’estime plus tenue par le traité de Sèvres, qui l’amputait de fait d’une partie de son territoire.

2) La sortie de la sphère soviétique : la réouverture des contentieux

L’indépendance de l’Arménie survient dans un contexte d’intenses agitations. La déclaration d’indépendance de la province azerbaïdjanaise du Haut Karabakh, auquel le gouvernement d’Azerbaïdjan répond par la force, entraîne l’Arménie dans une guerre avec son voisin oriental, dont elle occupe une partie du territoire.

Bien que la Turquie ait été un des premiers Etats à reconnaître l’Arménie indépendante, sa proximité avec l’Azerbaïdjan l’incite à répondre à ce qu’elle considère comme une agression injustifiée de son allié, et décide de fermer sa frontière avec l’Arménie en juillet 1993. Dès lors, l’Arménie reproche à la Turquie de tout mettre en œuvre pour la tenir à l’écart des grands projets économiques régionaux, comme l’oléoduc BTE et le gazoduc BTC.

Par ailleurs, la pression internationale s’accroît pour que la Turquie accepte de reconnaître le génocide des Arméniens par les Turcs. Un article cosigné par 126 intellectuels dont Elie Wiesel est publié le 9 juin 2000 dans le New York Times, demandant à ce que la dénomination de génocide soit appliquée aux événements de 1915. Des lois sont adoptés par plusieurs parlements, dont le parlement français (9), qui reconnaissent également le génocide arménien.

La situation, au début des années 2000, semble donc bloquée. L’arrivée au pouvoir du parti AKP, en Turquie, se révélera un événement favorable au rapprochement entre les deux pays.

3) Un rapprochement officiellement souhaité, mais difficile

La politique étrangère du gouvernement de Recep Erdogan est parfois résumée en une phrase : « aucun problème avec ses voisins ». L’objectif est, pour la Turquie, d’assurer son intégration à l’Union européenne sans que celle-ci ne puisse arguer de contentieux internationaux persistants.

Le rapprochement avec l’Arménie fait donc partie d’une stratégie internationale globale, et se manifeste rapidement, avec l’accueil de plusieurs milliers d’Arméniens sur le territoire turc afin d’offrir un emploi à ces derniers. En 2005, l’espace aérien turc est réouvert pour certains vols en provenance d’Erevan.

L’étape clé de ce rapprochement est plus connue sous le nom de « diplomatie du football ». Le 3 septembre 2008, le président turc Abdullah Gül se rend en effet à Erevan pour assister au match de qualification pour la coupe du monde 2010 opposant la Turquie à l’Arménie. De la même manière, le match retour, organisé le 14 octobre 2009 à Istanbul, se déroule en présence des deux chefs de l’Etat.

Le 10 octobre 2009 sont signés, à Zürich, deux protocoles entre l’Arménie et la Turquie, l’un sur le rétablissement des relations diplomatiques, l’autre sur la coopération politique générale. Les deux Etats annoncent officiellement leur volonté de normaliser leurs relations pour l’avenir.

Toutefois, malgré l’engagement mutuel des deux pays de renouer des liens politiques et économiques, dont l’Arménie aurait grand besoin pour sortir de son enclavement, la poursuite du processus de rapprochement, qui passe par la ratification des deux protocoles par les parlements arménien et turc, bute encore sur plusieurs écueils.

En premier lieu, la Turquie, mise sous pression par les autorités azerbaïdjanaises notamment à travers l’arme énergétique, a laissé entendre qu’elle ne poursuivrait pas la ratification des protocoles tant que les forces arméniennes ne se seraient pas retirées du territoire de l’Azerbaïdjan, et qu’une perspective de résolution du conflit relatif au Haut Karabakh n’aurait pas été apportée.

L’Arménie estime que cette condition, dont il n’avait pas été question lors de la signature des protocoles, est une manœuvre pour retarder délibérément le processus. La Turquie répond qu’il s’agit d’un choix logique : la frontière ayant été fermée suite au conflit arméno-azerbaïdjanais, elle ne saurait être réouverte sans progrès dans ce domaine.

En deuxième lieu, le rapprochement arméno-turc continue de buter sur la question de la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie. Si une pétitions d’intellectuels turcs, publiée le 15 décembre 2008, a montré qu’une partie de la société civile turque était prête à une évolution, la position officielle du gouvernement turc reste inchangée, ce dernier évoquant les « événements » de 1915. La Turquie s’est dite prête à aider à la création d’une commission d’historiens, mais une partie de l’opinion arménienne, et l’immense majorité de la diaspora, estiment toujours que cette commission ne saurait remplacer la reconnaissance par l’Etat turc de sa participation à un crime contre l’humanité ayant valeur légale.

Enfin, la signature des deux protocoles a remis sur le devant de la scène la question de la délimitation des frontières entre l’Arménie et la Turquie. Quoique minoritaires, et surtout présents au sein de la diaspora, certains groupes arméniens continuent d’exiger que les frontières de l’Arménie soient redessinées selon les conclusions du traité de Sèvres de 1920. Pour les défenseurs de cette position, le traité de Kars, signé par l’Arménie soviétique, fondue à l’époque dans la République soviétique de Transcaucasie, n’a plus de valeur légale depuis que l’Arménie a recouvré son indépendance pleine et entière.

Malgré les prises de position au sommet de l’Etat et la multiplication de gestes de bonne volonté, les relations entre l’Arménie et la Turquie restent donc inchangées, et il est d’autant plus difficile d’imaginer une évolution rapide que le sort des protocoles de normalisation des relations arméno-turques semble désormais lié à la résolution du « conflit gelé » du Haut Karabakh. Victime de deux conflits larvés auxquels aucune solution acceptable ne semble pouvoir être apportée à court terme, le Caucase du Sud a également été bouleversé, il y a deux ans, par la guerre entre la Russie et la Géorgie. Là encore, la situation résultant d’un rapport de forces historique semble peu susceptible d’évolutions positives dans un avenir proche.

C) Abkhazie et Ossétie du Sud, de l’affrontement intérieur à la guerre russo-géorgienne

L’inclusion des provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud dans le territoire géorgien n’a pas été une constante dans l’Histoire. L’Abkhazie a été, au 15ème siècle, un royaume souverain, avant d’être envahie par les Ottomans, qui en convertirent la population à l’Islam. L’intégration de l’Abkhazie à l’empire russe, qui date de 1801, est faite en tant que province autonome, et la province n’est redevenue géorgienne, avec un statut spécifique, qu’à l’ère soviétique.

Peuplée de descendants des Alains, originaires d’Iran, l’Ossétie est un territoire clé, puisqu’il inclut le tunnel de Roki, percé en 1985, principal passage permettant de traverser le Caucase de part en part, et qui a l’avantage d’être praticable en hiver, contrairement à la route militaire construite par les Russes au 18ème siècle. La frontière entre l’Ossétie du Nord, territoire russe, et l’Ossétie du Sud date de la prise de contrôle de la Géorgie par la Russie, au 18ème siècle, et n’a pas été remise en cause lors de la création de l’Union soviétique.

D’une superficie très réduite (8900km² pour l’Abkhazie, 3600 pour l’Ossétie du Sud), ces provinces sont également peu peuplées. Il est difficile d’obtenir un chiffre exact à la suite de la guerre russo-géorgienne d’août 2008, qui a provoqué la mort de 850 personnes au moins, le départ d’environ 100 000 personnes de leurs foyers dont environ 35 000 n’ont pas encore pu rejoindre leur habitation. Le recensement de 1997 avait ainsi estimé la population d’Ossétie du Sud à 70 000 habitants environ. Pour l’Abkhazie, les estimations, faites en 2003, étaient de 250 000 habitants, certains observateurs évoquant plutôt une population de l’ordre de 180 000 habitants. L’Abkhazie offre un paradoxe supplémentaire puisque les Abkhazes étaient, en tout cas avant 2008, un groupe ethnique minoritaire, de fortes minorités géorgienne et arménienne résidant également dans la province.

1) Le retour de contestations anciennes

Après de vives tensions entre les mouvements indépendantistes, abkhaze et ossète, et le pouvoir géorgien au cours de la période de la perestroïka, l’indépendance de la Géorgie, proclamée en 1991, donne lieu à une radicalisation des affrontements.

L’administration du président Zviad Gamsakhourdia, premier président de la Géorgie indépendante, connaît ainsi une dérive ultra-nationaliste qui la conduit à supprimer l’autonomie de l’Ossétie du Sud. Un conflit ouvert éclate alors, entre les autochtones séparatistes et l’armée géorgienne.

Renversé par un coup d’Etat, Gamsakhourdia cède la place à Edouard Chevarnadze. Celui-ci poursuit l’engagement armé du pays en Ossétie du Sud, et décide d’envoyer des troupes en Abkhazie, l’autre territoire autonome de l’ancienne République soviétique de Géorgie, afin d’y affronter les forces armées du mouvement nationaliste abkhaze qui avait déclaré l’indépendance du pays le 23 juillet 1992.

Vraisemblablement soutenus par la Russie, les deux mouvements séparatistes, ossète et abkhaze, tiennent en échec les forces géorgiennes. La Géorgie signe successivement deux accords de cessez-le-feu, avec la Russie le 24 juillet 1992 à Sotchi sur le règlement du conflit ossète, puis avec les Abkhazes le 14 mai 1994, à Moscou et sous l’égide de la Russie.

Les deux accords prévoient le déploiement de forces tripartites (russes, géorgiennes, abkhazes et/ou ossètes) aux frontières, et la création de missions d’observation internationales, de l’ONU en Abkhazie, et de l’OSCE en Ossétie du Sud.

2) La lente escalade vers l’affrontement russo-géorgien

Comme le souligne le rapport de la commission d’experts présidée par Heïdi Tagliavini (10), remis au Conseil de l’Union européenne en septembre 2009, l’attaque géorgienne contre la ville de Tskhinvali, en Ossétie du Sud, dans la nuit du 7 au 8 août 2008, doit être analysée en rapport avec l’ensemble des événements intervenus depuis la déclaration des cessez-le-feu avec l’Abkhazie et l’Ossétie.

Après une longue période durant laquelle la Géorgie semble se satisfaire du statu-quo dans ces deux provinces, l’arrivée d’une nouvelle équipe dirigeante apporte un changement important. L’élection de Mikheïl Saakachvili, en 2004, suivie par la restauration de la pleine souveraineté géorgienne sur la province méridionale d’Adjarie, amènent la Géorgie à changer d’attitude vis-à-vis de ses deux provinces séparatistes.

La tension croissante entre la Russie et la Géorgie, liée au tournant pro-occidental très accusé pris par la République sud-caucasienne, rend rapidement illusoire toute idée de solution concertée avec la Russie concernant ces deux régions. Les relations se détériorent d’autant plus que la Géorgie accuse la Russie de soutenir les mouvements indépendantistes, et donc de porter atteinte à son intégrité territoriale.

Parallèlement, la Russie accorde la double nationalité à de nombreux Sud-Ossètes et Abkhazes, au titre de la nouvelle loi sur la nationalité russe de 2002. Non concertée avec la Géorgie, ces admissions à la nationalité russe renforcent les sentiments autonomistes dans les régions concernées, sans que Tbilissi ne puisse réagir légalement à cette situation.

L’année 2008 connaît une rapide accélération du conflit. La multiplication des incidents entre drones géorgiens, achetés aux Etats-Unis, et forces abkhazes – ainsi que russes – incite les observateurs à craindre le déclenchement d’un conflit ouvert. Au cours de l’été 2008, des exercices militaires organisés avec les Etats-Unis font écho à l’envoi de renforts russes en Abkhazie, et les territoires situés de part et d’autre de la frontière sont victimes de bombardements en provenance des deux côtés. La marine russe se déploie pour un exercice en mer Noire, et les troupes terrestres mènent des manœuvres dans le Caucase du Nord, à proximité de la frontière géorgienne.

Les autorités sud-ossètes décident d’évacuer les civils sur le territoire russe au début du mois d’août. « La scène est prête pour la guerre », selon le rapport Tagliavini. Ainsi, alors que les Russes renforcent, le 6 et le 7 août, leur dispositif militaire en Ossétie du Sud, la Géorgie décide de lancer l’attaque dans la nuit du 7 au 8 août. Si l’initiative de la guerre revient incontestablement à la Géorgie, la Russie semble avoir parfaitement prévu que la situation, en constante dégradation depuis plusieurs mois, dégénérerait à ce moment précis.

3) Après la guerre : quelle perspective à long terme ?

Commencée dans la nuit du 7 au 8 août, la guerre s’achève le 12 août 2008, coûtant la vie à plus de 850 personnes, causant le déplacement forcé d’environ 138 000 personnes, selon le rapport Tagliavini. La défaite rapide des forces géorgiennes, en Abkhazie et en Ossétie du Sud, est suivie par une avancée des forces russes sur le territoire géorgien. Le cessez-le-feu est obtenu sous médiation de l’Union européenne.

Le président de la République Nicolas Sarkozy, agissant en tant que président de l’Union européenne, rend ainsi visite à ses homologues russe et géorgien le 12 août. Il réussit à faire signer un accord en six points :

– Ne pas recourir à la force.

– Cesser les hostilités de façon définitive.

– Donner libre accès à l’aide humanitaire.

– Opérer le retrait des forces militaires géorgiennes de leurs lieux habituels de cantonnement.

– Opérer le retour des forces militaires russes sur leurs positions antérieures au déclenchement des hostilités. Dans l’attente d’un mécanisme international, engagement des forces de paix russes à mettre en œuvre des mesures additionnelles de sécurité.

– Ouvrir des discussions internationales sur les modalités de sécurité et de stabilité en Abkhazie et en Ossétie du Sud.

L’accord de cessez-le-feu est complété, le 8 septembre 2008, par un accord sur la mise en œuvre des six points sus-mentionnés. A titre principal, l’accord du 8 septembre réitère les obligations de retrait des forces russes et géorgiennes, dont le respect par la Russie était mis en doute par la Géorgie, et prévoit le déploiement d’une mission d’observation internationale supplémentaire, au sein de laquelle l’Union européenne est appelée à jouer un rôle primordial, en envoyant au moins 200 observateurs.

Depuis lors, l’Union européenne assure dans les faits la mission d’observation et de contrôle du respect des accords russo-géorgiens qu’elle a réussi à faire signer en août et septembre 2008. La mission de surveillance de l’Union européenne (MSUE) effectue régulièrement des rondes le long de la ligne de démarcation entre le territoire géorgien et les provinces abkhaze et sud-ossète. Vos rapporteurs ont eux-mêmes constaté la présence de garde-frontières russes sur la ligne de démarcation entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud.

Par ailleurs, la MSUE s’efforce d’aider à la reconstruction des régions dévastées par la guerre. Toutefois, le mandat de la MSUE est limité, puisque celle-ci n’est pas autorisée à entrer sur les territoires abkhaze et sud-ossète, et n’a pas de mandat exécutif qui pourrait l’amener à imposer certaines décisions aux garde-frontières géorgien, russe, sud-ossète ou abkhaze.

Enfin, l’accord du 8 septembre prévoit l’organisation, à Genève, de négociations relatives à l’avenir des provinces séparatistes. La Russie a reconnu, le 26 août 2008, l’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, mais elle est totalement isolée dans ce domaine. Seuls trois autres Etats ont également reconnu ces indépendances : le Nicaragua, le Venezuela, et Vanuatu. La Russie invoque, au soutien de sa position, le précédent du Kosovo, qui s’était déclaré indépendant contre la volonté de la Serbie, et a été reconnu par la suite par d’autres Etats.

Au contraire, l’ensemble de la communauté internationale, dont l’Union européenne et la France en particulier, continuent de défendre le droit de la Géorgie au respect de son intégrité territoriale.

Tenues sous l’égide de l’Union européenne, dont le Représentant spécial pour la crise en Géorgie est, depuis l’origine, Monsieur Pierre Morel, les discussions de Genève ont fait dernièrement l’objet d’une session au mois de janvier 2010. Les négociations permettent une rencontre entre les autorités des provinces sécessionnistes et le gouvernement de Tbilissi, après que la Russie a manifesté, dès la première réunion, son refus de participer aux débats si les délégations sud-ossètes et abkhaze n’étaient pas admises. Toutefois, celles-ci sont loin d’avoir atteint un compromis de long terme.

Organisées en deux groupes, le premier sur la question du respect des accords et du statut des provinces, le second sur les conséquences du conflit, notamment humanitaires, les discussions réunissent les trois parties au conflit ainsi que la Russie, les Etats-Unis, l’ONU et l’OSCE. La troisième session a permis de mettre au point un document de travail sur la mise au point de mécanismes de prévention de reprise des conflits.

Lancées pratiquement dès la fin de la guerre russo-géorgienne, les discussions de Genève ont été un outil de prévention efficace pour éviter la reprise de l’affrontement ouvert. Toutefois, le cœur du problème, à savoir la place que l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie peuvent occuper au sein de la Géorgie, n’a pas encore été abordé. Comme souvent dans le Caucase du Sud, la seule étude des problèmes régionaux ne peut suffire à comprendre l’ensemble des enjeux que soulève un problème particulier. Dans le Caucase, peut-être plus que dans d’autres zones du globe du fait de l’histoire régionale faite de grandes invasions, les grands affrontements géopolitiques ne sont jamais très éloignés des tensions locales.

IV – LE GRAND JEU CAUCASIEN : INTERETS STRATÉGIQUES ET POLITIQUES DES PUISSANCES

Toujours disputé entre plusieurs empires, le Caucase reste une terre soumise aux influences extérieures. Les enjeux énergétiques permettent de se rendre compte des différentes options soutenues par chaque puissance. Toutefois, il serait faux d’imaginer que la question de l’énergie est la cause réelle des affrontements larvés qui se jouent dans le Caucase. La réalité géopolitique de la région est celle d’un retour de la Russie dans son voisinage immédiat, qui intervient alors que les autres puissances présentes n’ont pas réussi à formuler de perspectives crédibles pour l’avenir du Caucase.

A – L’énergie, face émergée des tensions géopolitiques à l’œuvre

Historiquement, le Caucase, et plus particulièrement l’Azerbaïdjan, revendique l’antériorité dans l’exploitation des hydrocarbures, avant même l’industrialisation de l’extraction du pétrole aux Etats-Unis. La disparition de l’Union soviétique a permis à l’Azerbaïdjan de s’ouvrir à de nouveaux clients, bouleversant la situation politique caucasienne.

Toutefois, ces questions doivent être abordées en gardant à l’esprit la toile de fond géopolitique générale, qui voit s’affronter les conceptions occidentales d’un corridor Est-Ouest de l’Asie centrale vers l’Europe, et la volonté russe de conserver un axe Sud-Nord de la Russie au Moyen-Orient.

1) Le Caucase, producteur d’hydrocarbures

Le premier derrick construit dans le monde l’aurait été en Azerbaïdjan, en 1848, soit quelques années avant la construction des premiers puits de Titusville aux Etats-Unis. L’architecture de la ville de Bakou reflète d’ailleurs cette histoire, des quartiers particuliers ayant été construits à l’occasion de chaque boom pétrolier, et reflétant ainsi l’esthétique dominante de la période.

Toutefois, l’intégration à l’Union soviétique avait plongé les Etats du Caucase dans une dépendance totale vis-à-vis du reste de la Fédération. Les seules infrastructures prévues pour transporter le gaz et le pétrole extraits de la Caspienne rejoignaient donc le Nord, par train ou oléoduc.

Indépendant, l’Azerbaïdjan a rapidement cherché à diversifier ses clients. Dès 1993, le président Heydar Aliev passe plusieurs contrats avec des majors occidentales, à la fois pour sortir de la dépendance à l’acheteur russe, mais aussi pour bénéficier d’investissements indispensables à la relance de l’exploitation des ressources azerbaïdjanaises, notamment offshore.

La construction de l’oléoduc BTC, qui relie Bakou, Tbilissi et Ceyhan, et du gazoduc BTE, entre Bakou, Tbilissi et Erzurum, est une première pierre occidentale dans le jardin caucasien russe. D’abord, parce qu’elle ouvre une voie vers l’Europe pour les hydrocarbures de la Caspienne, auparavant partagés entre la seule Union soviétique et l’Iran.

Surtout, ces nouvelles infrastructures marquent la constitution d’un axe entre l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Turquie et les Etats-Unis. Les trois premiers pays bénéficient en effet de ressources financières considérables du fait de l’existence des deux réseaux, en droits de transit comme en royalties. Pour la Géorgie et l’Azerbaïdjan, cette manne devait permettre la transition d’un régime économique planifié et intégré à l’Union soviétique, vers une économie plus ouverte. A cet effet, l’Azerbaïdjan a d’ailleurs créé un fonds pétrolier d’Etat, en décembre 2000.

Néanmoins, les réserves en hydrocarbures de la mer Caspienne semblent avoir été surévaluées. En-dehors du gisement de gaz offshore de Chakh-Deniz, aucune découverte majeure n’a été enregistrée sur le sol azerbaïdjanais, tandis que la production de pétrole en Géorgie reste anecdotique. En réalité, l’explosion de la production d’hydrocarbures dans le Caucase est principalement due à l’importation de technologies occidentales, qui permettent d’atteindre des gisements connus à l’ère soviétique, mais mal exploités.

Mais l’intérêt des questions énergétiques dans le Sud-Caucase ne s’arrête pas aux seules réserves de l’Azerbaïdjan. En effet, l’existence d’infrastructures de transport jouxtant la Caspienne, mais ne passant pas par la Russie, permet d’imaginer, à terme, la mise au point d’un réseau reliant l’Asie centrale, bien mieux dotée en hydrocarbures que le Caucase, et l’Europe. C’est autour de ce « corridor Sud » que les Occidentaux, Européens et Américains, cherchent aujourd’hui à dessiner leurs projets.

2) L’énergie, révélateur plutôt que cause des affrontements

L’Asie centrale est le véritable réservoir d’hydrocarbures auquel les grandes puissances cherchent à accéder. La Russie, quoique grand producteur de gaz et de pétrole, souhaite maintenir son emprise sur les réserves kazakhs, turkmènes et ouzbèks. La Chine a déjà posé ses premiers jalons dans la région, avec, notamment, la construction d’un gazoduc du Turkménistan vers l’Extrême-Orient. Plus récents dans la région, les Occidentaux espèrent néanmoins obtenir une part de ces réserves, et les acheminer sur leur territoire sans passer par le territoire russe, comme c’est le cas actuellement.

Les réserves prouvées du Kazakhstan en pétrole placent ce pays au 11ème rang mondial, avec un volume estimé quatre fois supérieur à celui de l’Azerbaïdjan. Dans le domaine gazier, le Turkménistan serait, selon certaines études, propriétaire des 3 ou 4èmes réserves au monde, là encore quatre fois supérieures aux ressources azéries. Enfin, le volume des nappes présentes au sud de l’Ouzbékistan fait l’objet de toutes les spéculations.

Les volumes d’hydrocarbures dont il est question en Asie centrale sont sans comparaison possible avec ceux existant en Azerbaïdjan. De plus, de nombreux gisements onshore restent à exploiter en Asie centrale, ce qui représente des contraintes moindres que le gaz et le pétrole offshore azerbaïdjanais, qui ne peuvent être extraits qu’au prix de prouesses techniques majeures.

Dès lors, l’accession à l’indépendance des cinq Républiques centrasiatiques ex-soviétiques a donné l’occasion aux puissances occidentales d’avancer leurs intérêts énergétiques dans la région. Pour le moment, les principaux projets sont à l’état d’étude, en l’absence de moyen de transport sécurisé de l’Asie centrale vers l’Occident.

On assiste donc à une guerre de communication entre les Occidentaux et les Russes, chacun annonçant des projets permettant de transporter les hydrocarbures centrasiatiques vers l’Occident. La Russie cherche à maintenir son emprise sur la circulation des hydrocarbures de l’Asie vers l’Europe, en proposant trois voies de transit pour le gaz : vers l’Allemagne directement depuis son territoire sous la mer Baltique (North Stream), vers la Turquie sous la mer Noire (Blue Stream) et vers la Bulgarie, puis les Balkans, sous la Méditerranée (South Stream).

Les Européens comptent, pour leur part sur les infrastructures caucasiennes existantes pour assurer le transfert du pétrole kazakh – qui peut être transporté par bateau jusqu’en Azerbaïdjan – et du gaz turkmène – qui nécessite la construction d’un pipeline transcaspien, un projet proposé par les Américains dès 1996 mais toujours pas officiellement annoncé, et qui suscite de fortes oppositions russes et iraniennes, en plus des interrogations techniques et environnementales qu’il soulève.

L’intérêt pour les Européens d’accéder aux ressources centrasiatiques doit être différencié suivant qu’il s’agit de gaz ou de pétrole. En effet, le projet énergétique majeur imaginé par l’Union européenne, le système de gazoducs Nabucco, ne concerne pas les ressources pétrolières.

Pour le pétrole, la France est engagée, avec d’autres partenaires européens, dans un projet visant à exploiter le gisement de Kashagan, situé au nord-ouest du Kazakhstan. L’ensemble des infrastructures doit être construit, y compris un oléoduc depuis le gisement jusqu’au port kazakh de Kurik. Ensuite, le transport de pétrole est possible par bateau, de Kurik au port azéri de Sangachal. Une telle solution ne serait pas possible pour le gaz, qui ne peut se transporter que par pipeline.

En plus de la difficulté technique d’amener le gaz depuis l’Asie centrale jusque dans le Caucase sans passer par la Russie, les projets gaziers européens manquent pour le moment de l’expression d’une volonté politique cohérente. Le projet Nabucco, qui doit amener du gaz depuis l’Azerbaïdjan et l’Iran jusqu’en Autriche à travers la Turquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, n’a pas encore annoncé les clients qui accepteraient d’utiliser cette infrastructure pour transporter du gaz. Après avoir manifesté son intérêt, Gaz de France n’a finalement pas adhéré au projet.

Enfin, la question de la viabilité, à l’heure actuelle, du projet Nabucco mérite d’être posée. En effet, les ressources en gaz de l’Azerbaïdjan étant limitées, il est clair que le gazoduc ne pourra fonctionner à plein régime que si des ressources centrasiatiques, ou iraniennes, sont mises à contribution. La difficulté technique et politique de la construction du pipeline transcaspien se doublant désormais de l’isolement diplomatique dans lequel la communauté internationale, dont l’Union européenne, tient l’Iran, la concrétisation du programme Nabucco, que soutient l’Union européenne, semble s’éloigner d’autant.

Ainsi, seuls les Etats du Caucase peuvent permettre d’atteindre des régions dotées de ressources en hydrocarbures réellement stratégiques sans passer par le réseau de pipelines russes. En effet, les ressources les plus accessibles par la seule voie terrestre se trouvent aujourd’hui en Asie centrale, une situation qui ne pourrait changer qu’en cas de modification radicale des relations avec l’Iran, dont les ressources prouvées en gaz – deuxièmes les plus importantes au monde – et en pétrole – troisièmes au monde – sont moins exploitées que d’autres gisements dans le monde, puisque l’Iran occupe seulement les 5 et 6ème rangs respectif pour la production de gaz et de pétrole.

L’opposition des conceptions est donc claire, entre la volonté russe de maintenir son emprise sur le Caucase et les ressources centrasiatiques, et la stratégie occidentale visant à faire du Caucase une porte ouverte cers l’Orient. Dès lors, la question de l’énergie dans le Caucase renvoie à une question plus générale, celle de la place à accorder à la Russie dans le monde actuel.

B – Le retour de la Russie, élément marquant des dernières années

La Fédération de Russie apparaît comme la puissance la plus intéressée dans la situation du Caucase. Partiellement caucasienne, puisqu’elle compte cinq républiques caucasiennes sur son territoire, elle est également le seul Etat à avoir dominé durablement l’ensemble de la région, au nord et au sud de la frontière naturelle que constitue le Grand Caucase.

Les relations de la Russie avec l’Occident se sont tendues à partir du début du 21ème siècle, et le rétablissement de la puissance russe dans son proche voisinage s’est fait contre ce que la Russie percevait comme un ensemble pro-occidental dangereux en train de se former à ses frontières.

Toutefois, victime d’une situation dans ses républiques caucasiennes qu’elle semble ne plus contrôler, la Russie peine encore à proposer une vision claire de ce qu’elle souhaite pour le Caucase à long terme.

1) La Russie, un Etat caucasien

Pour les Russe, le Caucase se partage en deux sous-régions : la Ciscaucasie, au Nord, et la Transcaucasie, au Sud. La domination russe sur l’ensemble de ces deux entités s’est imposée, contre les empires perse et ottoman, et contre les mouvements séparatistes musulmans notamment tchétchènes, à partir du milieu du 19ème siècle.

Lors de la disparition de l’Union soviétique, la Fédération de Russie a conservé en son sein cinq Républiques caucasiennes, formant l’ancienne Ciscaucasie : la Karatchaïévo-Tcherkessie, la Kabardino-Balkarie, l'Ossétie-du-Nord-Alanie, l'Ingouchie, la Tchétchénie et le Daguestan. Les questions caucasiennes font donc partie, pour la Russie, d’un ensemble auquel elle est directement intéressée, estimant que la situation politique dans le Caucase du Sud a des liens directs avec le Caucase russe, particulièrement instable, comme l’ont rappelé les récents attentats dans le métro de Moscou du 28 mars 2010, revendiqués par un chef rebelle tchétchène peu de temps après.

Dès lors, la Russie considère le Caucase comme une zone d’influence naturelle. Cette influence s’est exercée très explicitement, puisque c’est la Russie qui a assumé le rôle de « faiseur de paix » entre les différents Etats caucasiens lors des conflits qu’ont ravivé les trois indépendances.

La Russie considère également qu’elle peut faire jouer à plein son influence informelle dans le Caucase du Sud. L’énergie a ainsi été vendue à des prix très préférentiels pendant plusieurs années aux Caucasiens. De même, l’importance des diasporas sud-caucasiennes présentes sur le sol russe (11), permettaient aux Etats caucasiens de bénéficier d’une rentrée de devises considérables en provenance de la Russie.

Initialement, la Russie n’imaginait pas devoir inscrire son influence sur le Caucase contre l’Occident. Le caractère véhiculaire de la langue russe, et l’attrait économique de la Russie pour les diasporas, semblaient permettre à la Russie de se reposer sur l’idée que cette région, particulièrement agitée, ne pouvait se passer de son puissant protecteur voisin. Cette attitude, qui convenait bien à une Russie en train de se redresser économiquement, est toutefois entrée en pleine contradiction avec la brutale dégradation des relations avec l’Occident, à la fin des années 1990.

2) La réactivation des instruments de la puissance

A l’inverse des Etats baltes, que la Russie n’a pas pu maintenir dans son périmètre un certain nombre d’Etats sont considérés, par la Russie, comme relevant directement de son influence : l’Ukraine, la Biélorussie, et les trois Etats du Caucase du Sud ne peuvent être comparés, selon Moscou, aux autres Républiques ex-soviétiques.

Les événements internationaux du printemps 1999, marqués par la guerre du Kosovo que la Russie n’a pas souhaitée, et les troubles internes majeurs de la Fédération de Russie intervenus à l’été de la même année, avec le déclenchement de la deuxième guerre de Tchétchénie (12), ont incité la Russie à adopter une attitude plus agressive vis-à-vis de l’Occident, y compris dans le Caucase du Sud.

L’arrivée au pouvoir, suite à des mouvements populaires, d’élites politiques nouvelles dans les Etats considérés comme relevant de la sphère d’influence naturelle (révolution orange en Ukraine et révolution des roses en Géorgie en 2004, révolution des tulipes au Kirghizstan en 2005) sont interprétées très négativement par la Russie, qui y voit une manipulation des Occidentaux, notamment des Américains. L’attrait exercé par l’Occident, à travers l’Union européenne et l’OTAN, sur ces nouveaux dirigeants est considéré par Moscou comme une menace pour son influence.

L’extension vers l’Est de ces deux organisations, notamment l’OTAN, réveille en Russie la peur ancestrale de l’encerclement. Dès lors, la Russie s’efforce de reprendre pied, y compris militairement, dans les régions qu’elle estime ne pas pouvoir abandonner.

Ainsi, la Russie accepte de retirer des matériels militaires de plusieurs bases caucasiennes, comme Batoumi ou Akhalkalaki, mais maintient une présence forte dans ses forteresses de Goudaouta, en Abkhazie, et de Gyumri, en Arménie. De la même manière, la station radar de Gabala, en Azerbaïdjan, est cédée à l’Etat azerbaïdjanais, mais louée par la Russie, sur le modèle de l’arrangement trouvé pour l’utilisation du port de Sébastopol en Ukraine, qui abrite la flotte russe de la Mer Noire.

La guerre russo-géorgienne apparaît donc comme l’acmé de l’opposition larvée que la Russie de mener contre l’orientation pro-occidentale des gouvernements sud-caucasiens. Emblématique, le gouvernement géorgien, multipliant les provocations à l’encontre de la Russie, a sans doute franchi la limite que la Russie s’était fixée quant au maintien de son influence dans la région.

3) Des lignes rouges connues, des objectifs de long terme plus vagues

La Russie ne souhaite pas voir les Etats du Sud Caucase intégrer l’Alliance Atlantique. En l’état, elle regarde l’OTAN comme une organisation concurrente, avec laquelle elle entretient une coopération parfois fructueuse – la Russie autorise ainsi le passage de convois logistiques de l’OTAN vers l’Afghanistan – mais dans un climat de méfiance.

La réactivation du réflexe anti-américain par l’administration Poutine, destinée à fédérer la population autour du pouvoir central, passe autant par la dénonciation de la politique étrangère américaine – comme l’a montré la position russe sur la guerre en Irak – que par les critiques adressées à l’expansion de l’OTAN vers l’Est.

La présence de l’Union européenne n’est pas, pour Moscou, un facteur aussi dangereux que celle de l’OTAN. Toutefois, la Russie craint que l’Union européenne ne soit qu’une première étape vers un espace euro-atlantique qu’elle ne souhaite pas voir accéder à ses frontières immédiates. L’Union européenne n’a pas sur, pour l’instant, convaincre de sa distance vis-à-vis des Etats-Unis.

Clairement exprimée par les dirigeants russes, cette position ne saurait toutefois constituer un projet de long terme pour le Caucase du Sud. A cet égard, la Russie tend à privilégier, dans le discours, un assainissement de la situation régionale, afin, selon elle, d’éviter de faire du Caucase du Sud une base arrière pour les mouvements terroristes qui continuent de frapper son territoire depuis le Caucase du Nord.

A cet égard, la Russie semble actuellement en grande difficulté pour redéfinir sa politique dans la région. La stratégie consistant à imposer des dirigeants par la force pour leur céder ensuite un pouvoir quasi-total sur leur province, en contrepartie d’une fidélité absolue à la Fédération de Russie, n’a pas permis de stabiliser la région, puisque la Tchétchénie, laboratoire de cette méthode, a vu ses mouvements rebelles se déplacer au Daguestan et en Ingouchie.

A l’heure actuelle, il semble que le pouvoir russe hésite encore sur la marche à suivre dans cette région. Si le président Dmitri Medvedev privilégie la nomination de dirigeants nouveaux, la lutte contre la corruption, et le développement économique et social, il semble que l’armée continue de soutenir des solutions plus dures pour rétablir l’ordre. Entre ces deux pôles, le premier ministre Vladimir Poutine ne semble pas avoir tranché définitivement.

En l’absence de stratégie russe clairement établie pour le Caucase du Nord, il est difficile d’imaginer que la Russie puisse proposer des solutions concrètes pour l’avenir de la Transcaucasie, tant les deux régions sont, aux yeux des Russes, intrinsèquement liées. Toutefois, cette position ne saurait être interprétée comme de la faiblesse, et l’absence d’alternative crédible offerte par les autres puissances présentes dans le Caucase semble plaider pour un dialogue avec la Russie plutôt qu’un affrontement.

C – Les stratégies des autres puissances

Le Caucase reste un territoire où se rencontrent les politiques des puissances, et la place majeure qu’occupe la Russie n’a pas empêché d’autres acteurs internationaux d’y défendre leurs intérêts. L’Europe, la Turquie, les Etats-Unis et l’Iran jouent chacun un rôle particulier dans le Sud Caucase. Toutefois, aucun d’entre eux n’a formulé, pour le moment, des choix clairs de long terme autres que la promotion de la stabilité dans cette partie du monde, stabilité indispensable à la protection d’intérêts avant tout stratégiques.

1) L’Europe, entre proximité et faiblesse stratégique

Traditionnellement intégrés à la politique de voisinage, qui reposait sur des instruments techniques et financiers, les Etats du Caucase du Sud ont été intégrés dès l’origine au nouveau « Partenariat oriental » présenté en 2009 par la Commission européenne à la demande du Conseil.

Le partenariat oriental repose sur deux types d’instruments, bilatéraux et multilatéraux. L’Union européenne propose ainsi à chaque Etat des accords permettant une coopération politique (accords d’association), lesquels permettent également de renforcer les liens économiques en promouvant la liberté des échanges. Par ailleurs, le partenariat oriental prévoit l’adoption de mesures visant à faciliter la circulation des personnes, à travers la signature d’accords de facilitation des visas voire, à terme, la suppression de l’obligation de visas pour les courts séjour. Le partenariat oriental mentionne explicitement la sécurité énergétique parmi les objectifs poursuivis par l’Europe dans la région, quoique celle-ci soit entendue comme un des éléments du rapprochement économique et commercial des pays cibles avec l’Union européenne.

Enfin, le partenariat oriental comporte des clauses relatives au soutien économique et à l’aide au développement en faveur des Etats tiers. Dans la programmation 2007 – 2010, les pays du Caucase du Sud devaient recevoir environ 300 millions d’euros, dont 98 pour l’Arménie, 92 pour l’Azerbaïdjan et 120 pour la Géorgie. Le partenariat oriental vise à augmenter l’aide versée à l’ensemble des pays tiers pour la porter, d’ici 2013, à 785 millions d’euros, contre 450 millions en 2008.

Sur le plan multilatéral, le partenariat décline les objectifs poursuivis avec chacun des pays cibles en prévoyant des rencontres communes sur chacun des grands thèmes du programme : démocratie et gouvernance, intégration économique et commerciale, sécurité énergétique, mobilité des personnes (traitée à travers un dialogue prévu sur la coopération culturelle).

Au-delà des changements de structure, l’Union européenne a clairement démontré son engagement dans le Caucase du Sud lors de la guerre russo-géorgienne. C’est au titre de sa présidence de l’Union que la France est intervenue entre les belligérants, et l’Union européenne est, depuis cette date, l’instance dirigeante de tous les processus de retour à la paix, tant par la mission d’observation qu’elle conduit aux frontières de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud que par la médiation qu’elle exerce dans les discussions de Genève.

Toutefois, malgré une activité indéniable dans la région du Caucase, l’Europe peine à avancer des objectifs stratégiques clairs, même dans le domaine énergétique. Ainsi, alors que le projet Nabucco, soutenu par l’Union européenne, vise explicitement à rompre la dépendance des pays d’Europe centrale vis-à-vis des gazoducs russes, l’Allemagne a fait part de son grand intérêt pour le projet russe North stream, tandis que l’Italie a accepté de cogérer le projet South stream avec la Russie.

Plus généralement, l’Europe peine encore à unifier sa position concernant l’avenir de sa relation avec la Russie. Pour des raisons historiques et stratégiques, un certain nombre des Etats membres ayant intégré l’Union européenne en 2003 et 2004 conservent une grand méfiance envers la Russie, tandis que la plupart des Etats membres de l’UE 15 estiment que cette dernière doit être traitée comme un partenaire stratégique, et pas comme un adversaire.

Ainsi, le 12 août 2008, les chefs d’Etat polonais, lituanien, estonien et letton étaient présents, avec le président ukrainien, pour afficher un soutien à la Géorgie, avant même que l’Union européenne n’ait acté une position commune sur cette question.

La difficulté, pour l’Europe, de définir son rôle dans le Sud Caucase, est liée en grande partie aux divergence de vue des Etats européens concernant la relation UE – Russie. De la même manière, la relation avec la Turquie rend plus difficile la définition d’une position européenne sur le Caucase. En effet, la Turquie est potentiellement un acteur politique majeure dans cette région, bien que ses actions concrètes restent pour le moment assez limitées.

2) La Turquie, un nouvel acteur aux objectifs encore incertains

La politique turque dans le Sud-Caucase suit deux objectifs, l’un politique, l’autre économique. La Turquie s’efforce, depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, de poursuivre une diplomatie visant au « zéro problème » avec les pays qui ont pu être ses adversaires. Une telle politique motive, par exemple, le rapprochement entre la Turquie et l’Arménie, bien que ce dernier rencontre des difficultés actuellement.

Parallèlement, la Turquie souhaite renforcer son rôle de plateforme de transit énergétique, ce qui implique de fait la stabilité du Caucase du Sud, et le maintien de bonnes relations avec l’Azerbaïdjan.

La Turquie n’a pas manifesté le même appétit de nouveaux espaces économiques et diplomatiques que les Européens ou les Américains lors de la disparition de l’Union soviétique. Malgré son rôle historique dans le Caucase du Sud, la Turquie ne semble avoir pris que récemment une position plus active dans cette région.

Ainsi, dès la fin de la guerre entre la Russie et la Géorgie, la diplomatie turque a lancé une initiative intitulée « Plateforme de stabilité et de coopération pour le Caucase », qui regroupait les trois Républiques caucasiennes et la Russie. Toutefois, ce projet tarde à se mettre en place, seules deux réunions de hauts fonctionnaires ayant eu lieu pour le moment. Les nouveaux écueils de la relation entre la Turquie et l’Arménie risquent de perturber encore davantage la poursuite de ces discussions.

L’incertitude de la Turquie concernant sa place dans le Caucase du Sud s’inscrit dans un cadre plus général, qui voit la diplomatie turque hésiter entre, d’une part, sa volonté de s’ancrer dans l’Occident, et, d’autre part, l’attirance vers un espace asiatique où la Turquie dispose de solides atouts, à travers notamment l’influence de la turcophonie, présente de l’Azerbaïdjan jusque dans la province chinoise du Xinjiang.

Partagée entre ses objectifs diplomatiques, économiques, sa place dans le monde euro-atlantique – occupée et recherchée notamment par sa candidature à l’Union européenne – et sa volonté de maintenir de bonnes relations avec la Russie, partenaire obligé dans le domaine énergétique dont elle fait une de ses priorités, la Turquie ne semble pas en mesure d’imposer une orientation claire dans le Caucase.

3) Les Etats-Unis, acteur puissant mais éloigné

Pour les Etats-Unis, le Caucase du Sud est une des clés de la défense des intérêts stratégiques des Etats-Unis dans le monde, qui passe notamment par le contrôle de « l’Eurasie », vaste zone qui regroupe, sans s’y limiter, le territoire de l’Union soviétique. Cruciale pour la promotion de leurs intérêts dans le reste du monde, notamment – mais pas seulement – énergétiques, la région a donc rapidement fait l’objet de toutes les attentions de la part de Washington.

Les Etats-Unis ont commencé à porter une attention soutenue au Caucase du Sud à partir de la deuxième moitié des années 1990. A l’époque, les ressources en hydrocarbures de la mer Caspienne semblent considérables, bien qu’elles aient depuis été revues à la baisse. La construction de deux infrastructures de transport, l’une de pétrole – l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan – et l’autre de gaz – Bakou-Tbilissi-Erzurum – est décidé à la fin des années 1990, et achevée au début des années 2000. Ces deux réseaux traversent donc l’Azerbaïdjan (dont certaines régions occupées par l’Arménie), la Géorgie, et débouchent sur des installations de transfert situées en Turquie.

Bien que la maîtrise d’ouvrage de ces deux projets ait été confiée à la firme britannique BP, le gouvernement américain lui a apporté, dès l’origine, son soutien indéfectible. Personne ne conteste que, sans l’engagement des Etats-Unis, ces projets n’auraient pas pu voir le jour.

Les Etats-Unis ont également choisi de renforcer leurs liens militaires avec la région. Ainsi, les trois Etats du Caucase du Sud font partie du programme de l’OTAN « Partenariat pour la paix » (Partnership for peace) et bénéficient d’un plan d’action individuel pour le partenariat depuis 2005. Des instructeurs militaires américains ont ainsi été envoyés sur le territoire de certains Etats du Sud Caucase, notamment en Géorgie.

Enfin, les Etats-Unis ont choisi de soutenir financièrement les pays de la région, surtout l’Arménie et la Géorgie, les deux pays ayant reçu plus d’un milliard de dollars depuis leur indépendance au titre du programme Millenium qui prévoit le soutien financier à certains Etats choisis selon des critères définis par les Etats-Unis.

Toutefois, malgré cet investissement conséquent, les Etats-Unis restent un soutien éloigné pour les pays du Caucase, comme la Géorgie a pu en faire l’expérience en 2008. Plusieurs observateurs estiment que le président Saakachvili, bien conscient que les opérations décidées dans la nuit du 7 au 8 août 2008 amèneraient la Russie à intervenir militairement sur le sol géorgien, a consciemment choisi de provoquer son voisin, espérant que son engagement en faveur de l’OTAN lui offrirait la protection militaire des Etats-Unis.

Ce calcul tactique, dont on peut douter qu’il ait réellement été fait par Saakachvili, n’a en tout cas pas fonctionné. Si les stratégies des Etats-Unis et de la Russie s’opposent dans plusieurs domaines, notamment le Caucase, le mouvement de rapprochement opéré dès la fin de l’administration Bush avec Moscou est significatif de la volonté américaine de ne pas pousser la Russie à un affrontement plus radical. Ainsi, dans le Caucase comme ailleurs, les Etats-Unis sont prêts à concilier la défense de leurs intérêts avec ceux de la Russie.

4) L’Iran, partenaire obligé des Etats caucasiens isolés

Isolé diplomatiquement du fait de la poursuite de son programme nucléaire au mépris des demandes de la communauté internationale, l’Iran joue malgré tout un rôle non négligeable dans le Sud Caucase, dont il est le troisième grand voisin avec la Turquie et la Russie. Du fait de sa position internationale difficile, l’Iran ne peut toutefois pas prétendre à une activité importante dans la région, mais maintient des contacts avec au moins deux pays de la zone, qui cherchent à Téhéran un moyen de rompre leur isolement.

L’Arménie fait figure de partenaire privilégié pour l’Iran dans la zone. Soucieuse de ne pas dépendre seulement de la Russie, l’Arménie a ainsi noué des relations économiques importantes avec son voisin du Sud. Ces liens sont particulièrement développés dans le domaine énergétique, puisque l’Iran est le seul autre fournisseur possible pour l’Arménie en-dehors de la Russie. De nombreux projets d’infrastructures sont ainsi annoncés par les deux pays, dans le domaine hydroélectrique notamment, compensant le volume d’échanges relativement faibles entre les deux pays (154 millions d’euros sur un total de 3,7 milliards en 2008).

L’Iran n’ambitionne toutefois pas de remplacer le partenaire stratégique russe pour l’Arménie. Ainsi, la construction d’un pipeline reliant l’Iran et l’Arménie, offrant une alternative aux réseaux russes pour Erevan, a été retardée pour diverses raisons techniques visant à réduire le volume potentiel de gaz transporté, à la demande de la Russie. Gazprom est le principal opérateur de cette structure sur le territoire arménien.

Les relations de l’Iran avec l’Azerbaïdjan, avaient régressé au cours de la courte présidence d’Elchibey. Usant de la rhétorique nationaliste, ce dernier laissait ainsi entendre que l’Azerbaïdjan devait poursuivre l’objectif de « réunification de la Nation azérie ».

Or, la communauté azérie en Iran représente presque le quart de la population totale du pays. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquels l’Iran s’intéresse particulièrement à la région du Caucase du Sud, tout bouleversement étant perçu comme un risque intérieur.

Depuis la présidence d’Heydar Aliev, les relations entre les deux pays sont devenues plus neutres. Malgré des positions parfois communes, comme sur la lutte contre le trafic de drogue à la frontière, les deux pays conservent des trajectoires propres assez opposées. L’Azerbaïdjan, fier de son héritage laïc, observe avec méfiance les évolutions du régime des mollahs.

Une situation particulière mérite d’être notée. En effet, la province azerbaïdjanaise du Nakhitchevan (13), détachée du territoire métropolitain de l’Azerbaïdjan, ne peut compter que sur l’Iran pour assurer son approvisionnement.

L’Azerbaïdjan souhaite avant tout éviter que la crise nucléaire iranienne ne dégénère en affrontement direct, ce qui causerait vraisemblablement l’émigration massive, sur son territoire, d’une population ethniquement azérie mais ayant développé des réflexes culturels et politiques très différents des Azerbaïdjanais.

V – QUELLES ÉVOLUTIONS POSSIBLES ? QUELLES PISTES D’ACTION POUR LA FRANCE ET L’EUROPE ?

Région marquée par sa diversité culturelle, objet de convoitises des grandes puissances, le Caucase du Sud est une zone de tensions fortes, qui obèrent le développement économique et social de pays qui restent globalement victimes de la pauvreté.

La défense, par les différentes puissances, de leurs intérêts dans la région ne doit pas faire oublier que la stabilité du Caucase est une des conditions de leur sécurité. Dès lors, un équilibre doit être recherché entre les ambitions des nouveaux acteurs, notamment l’Europe et les Etats-Unis, et la position de la Russie, qui continue de considérer le Caucase du Sud comme relevant de sa sphère d’influence naturelle.

A long terme, la stabilisation de la région, qui passe par une attention plus forte aux besoins économiques et sociaux criants de la population, ne peut être garantie que si la place de la Russie dans le Caucase est reconnue, et acceptée. L’avenir de la région concerne l’Europe, mais aucune construction politique ne saurait faire sans la Russie, et surtout pas contre elle.

A – Des risques réels pour la sécurité européenne

L’Union européenne, depuis l’élargissement de 2004, est voisine du Caucase. Elle a de toute façon des intérêts stratégiques dans cette région. Dès lors, toute déstabilisation brutale du Caucase du Sud pourrait l’entraîner dans des situations de conflits pour lesquelles elle ne serait pas forcément préparée.

Deux risques majeurs pèsent sur le Caucase du Sud : l’enfermement des Etats de la région dans une rhétorique nationaliste et isolationniste, l’explosion de conflits régionaux connus ou plus lointains. Dans cette situation, particulièrement sensible, la relation des Occidentaux avec la Russie apparaît comme l’élément clé.

1) Le repli sur soi d’une région au cœur des échanges eurasiatiques

Bien que structurellement dépendant de l’extérieur pour leur approvisionnement, les Etats caucasiens le sont également par une géographie, tant physique que démographique, qui fait peser le risque du repli sur soi sur les trois Républiques.

Les Etats du Caucase ont assumé, dès leur indépendance, leur rôle de facilitateurs des échanges entre l’Europe et l’Asie. Toutefois, les causes de déception de ces Etats sont nombreuses, et pourraient devenir des facteurs d’éloignement de la région. L’impasse dans laquelle se trouvent aujourd’hui les conflits gelés de la région, dans le Haut Karabakh, en Abkhazie et en Ossétie du Sud notamment, est vécue comme le résultat d’efforts insuffisants des Occidentaux. En effet, l’idée selon laquelle la Russie favoriserait le maintien des tensions pour assurer sa domination dans la région est largement répandue dans le Caucase.

Cette situation pourrait devenir inquiétante, d’autant plus que les Etats du Sud Caucase sont dominés par des régimes autoritaires, inspirés par une rhétorique nationaliste exigeante, et encore marqués par les situations de guerre ouverte que la région a connues. Ainsi, certaines personnalités azerbaïdjanaises affirment que le conflit du Haut Karabakh, s’il n’est pas résolu par la communauté internationale, devra être résolu par l’Azerbaïdjan seul, en employant la force.

Si le régime arménien semble s’inspirer de la démocratie occidentale, le poids de la diaspora, dominée par le parti Dachnak minoritaire dans le pays, complique la mise en œuvre de la politique étrangère de l’Etat arménien. Là encore, l’absence de résultats obtenus par la communauté internationale est vue comme un détachement vis-à-vis de la cause arménienne, renforçant l’idée que les Arméniens ne peuvent compter que sur la grande communauté pour faire entendre leur voix dans le Caucase du Sud.

La Géorgie, malgré un affichage politique résolument pro-occidental, connaît également des mouvements de fond qui pourraient la faire basculer. Face à la chute des investissements directs, le pays a fait le choix d’une politique fiscale encore plus agressive, et d’une facilitation encore accrue des mouvements de capitaux. Sans développement de sa base économique, industrielle ou agricole, le pays risque de devenir, à terme, une sorte de paradis fiscal, attirant des capitaux d’origine douteuse.

Les Etats du Sud Caucase sont soumis à un risque politique réel de déstabilisation interne. Parallèlement, la région continue d’être victime de conflits locaux, dormants ou gelés, qui font peser une menace de déstabilisation sur toute la zone.

2) Des conflits pouvant brusquement s’enflammer

Le Caucase connaît trois crises ouvertes : l’affrontement entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la rupture des relations entre l’Arménie et la Turquie, l’avenir des provinces géorgiennes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud. Aucune de ces situations ne semblent pouvoir trouver de solution durable à court terme, même si les flambées de violence ne sont pas à craindre partout. D’autres situations tendues, résultant notamment de la présence de minorités dans les trois Républiques, doivent également être surveillées de près.

La reprise du dialogue entre l’Arménie et la Turquie, après les promesses de l’année 2008, semble très compromise. Les déclarations du premier ministre Erdogan, liant la ratification des protocoles turco-arméniens de Zürich à la résolution du conflit au Haut Karabakh ont suscité l’ire des Arméniens, qui suspendaient de leur côté la ratification des protocoles au vote de la Grande assemblée nationale de Turquie. Le retard pris dans les procédures, et la pression d’une partie de la diaspora opposée à ces protocoles, pourraient inciter le président arménien à retirer sa signature, en l’absence de progrès visible sur le Haut Karabakh.

Le conflit azéro-arménien est sans doute la situation la plus risquée dans le Caucase du Sud. En effet, les positions des deux délégations sur les principes dits de Madrid, premier document de travail commun pour la résolution des difficultés provoquées par la guerre de 1993, sont de plus en plus changeantes. La montée en puissance, économique et politique, de l’Azerbaïdjan, suscite la peur de l’Arménie, qui redoute que le gouvernement de Bakou prenne la décision de régler par la force le problème de l’occupation de son territoire par des armées arméniennes.

L’Arménie reste donc attachée à la présence militaire russe sur son territoire, afin de repousser l’éventualité d’une attaque azerbaïdjanaise. Pour autant, sa position sur le Haut Karabakh est complexe. En effet, la géographie du Haut Karabakh (14), province enclavée dans le territoire d’Azerbaïdjan, fait craindre à l’Arménie qu’un retrait unilatéral de ses troupes des sept rayons qu’elles occupent sur le territoire azerbaïdjanais, avant le règlement de la question du statut du Haut Karabakh, incite les Azerbaïdjanais à réoccuper le plateau, afin de renverser l’équilibre démographique actuel en leur faveur.

La crise, rouverte par la guerre russo-géorgienne, entre Tbilissi et les provinces d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud semble également dans une impasse. Toutefois, l’implication de la communauté internationale, et notamment de l’Union européenne à la suite de l’intervention décidée par la présidence française de l’Union, incite à penser que cette situation ne risque pas de dégénérer à nouveau en affrontement ouvert.

En revanche, la situation de la communauté arménienne de la région géorgienne de Djavakhétie suscite des inquiétudes. Sans revendications séparatistes, et autorisés à pratiquer leur culte de manière parfaitement libre, les Arméniens commencent toutefois à dénoncer une oppression croissante de la part de l’Eglise orthodoxe de Géorgie, dont la puissance n’a cessé de croître depuis l’indépendance de la République.

Dans tout le pays, l’Eglise, forte de ressources financières considérables, procède à des rachats d’édifices religieux très bien conservés, traditionnellement consacrés au culte arménien. En juillet 2008, l’arrestation du leader du mouvement politique « Alliance démocratique – Djavakh uni » avait agité la diaspora, et suscité des mouvements de contestation de par le monde. Les conditions de son procès en appel, et sa condamnation, en 2009, à dix ans de prison, ont achevé de cristalliser, au sein de certains mouvements arméniens, une attitude hostile à la Géorgie.

B – Des possibilités d’action qui doivent inclure la Russie

Confrontées à une situation bloquée et extrêmement sensible entre tous les Etats de la région, les grandes puissances souhaitent, dans leur ensemble, un apaisement général. A plus long terme, toutefois, le Caucase du Sud ne pourra sortir de la situation économique et sociale difficile qui est la sienne sans que des solutions durables soient apportées aux conflits qui l’agitent.

L’activité déployée par l’Europe dans la région est utile, au moins à court terme. La France, en particulier, a un rôle majeur à jouer pour l’avenir. Toutefois, aucune solution d’avenir ne pourra être mise en place sans que celle-ci soit décidée d’un commun accord avec la Russie.

1) L’Union européenne, un acteur accepté

Présente dans les trois Républiques du Caucase, porteuse d’un programme ambitieux pour le développement de la région, l’Union européenne apporte une aide importante pour la résolution du conflit russo-géorgien. La mission de surveillance de l’Union européenne aux frontières des provinces abkhaze et sud-ossète permet d’assurer une médiation entre les soldats géorgiens et les garde-frontières russes, qui épaulent les forces locales.

L’interdiction de pénétrer sur les territoires de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud reste une source de difficultés pour la MSUE, sujette aux positions changeantes des garde-frontières russes concernant les possibilités d’accès aux provinces séparatistes. Toutefois, la présence de médiateurs internationaux empêche la reprise des affrontements entre la Russie et la Géorgie, et doit continuer.

En Géorgie, mais aussi en Arménie et en Azerbaïdjan, l’Union européenne est engagée dans la mise en œuvre du partenariat oriental, mais rencontre des obstacles pour un consommation satisfaisante des fonds consacrés au programme. Les règles de comptabilité publique des Etats du Caucase ne remplissent pas toujours les critères exigées par l’Union avant de débloquer des fonds.

En Arménie, l’Union a proposé une solution innovante en plaçant, auprès des administrations clés, des fonctionnaires issus des Etats membres afin de jouer un rôle de conseil pour les décideurs. Toutefois, il n’est pas dit que cette solution sera acceptée par les autres Etats de la région.

Si l’Union européenne aide, sur certains points précis, d’aider les Etats du Caucase à régler leurs difficultés immédiates, la question d’une stratégie à plus long terme reste posée. L’adoption, le 8 avril 2010 par la Commission des affaires étrangères du Parlement européen, d’une résolution sur le Caucase du Sud demande ainsi que l’Union européenne élabore une véritable stratégie pour la région.

La mise en œuvre du partenariat oriental ne peut donc se passer d’une réflexion sur la stratégie que l’Union européenne poursuit dans la région. La situation du programme Nabucco, toujours victime de contradictions entre les stratégies des différents Etats membres, est, à cet égard, emblématique. Dans ce contexte, une adoption rapide par le Conseil des mandats de négociation qui pourraient être donnée à la Commission pour les accords d’association avec les trois Etats du Caucase pourrait apparaître non seulement prématurée, mais contre-productive.

En effet, si les moyens d’action de l’Union lui ont permis d’agir sur l’une des plus crises les plus graves qu’a connues la région, les instruments européens d’influence à long terme restent difficiles à cerner. Dès lors, il convient de différer l’examen des éventuelles candidatures des Républiques caucasiennes à l’Union européenne. Dans le Caucase du Sud, comme ailleurs, l’élargissement ne saurait pallier l’absence de stratégie internationale commune de l’Union.

Si l’Europe semble encore dans l’attente d’une stratégie claire pour la région, ses Etats membres disposent, pour leur part, d’instruments d’action privilégiés, notamment la France.

2) Les Etats européens et leurs moyens d’action

La place occupée par les Britanniques dans le secteur pétrolier azerbaïdjanais, le rôle considérable de l’Allemagne en matière de coopération technique et culturelle avec la Géorgie permettent à l’Europe d’assurer une présence forte dans toute la région. En l’absence de politique européenne unie sur le sujet, la coopération entre ces deux Etats et la France, autre acteur clé du Sud Caucase, doit être encouragée.

Entretenant des bonnes relations avec tous les Etats de la région, la France est ainsi plus particulièrement investie sur le dossier du Haut Karabakh, puisqu’elle partage la présidence du groupe de Minsk avec les Etats-Unis et la Russie. Les relations entre la France et l’Arménie, qui remontent au moins à l’émigration arménienne fuyant le génocide, sont particulièrement denses.

L’Union européenne ne s’y est pas trompée puisque, dans la résolution du 8 avril 2010 sus-mentionnée, la commission des affaires étrangères du Parlement européen propose de faire d’investir le représentant français au groupe de Minsk pour parler au nom de l’Europe.

La situation du Haut Karabakh est sans doute la plus explosive de tout le Sud Caucase à l’heure actuelle. A long terme, il est impossible d’imaginer le retrait des troupes arméniennes sans qu’au moins trois conditions, conformes aux principes de Madrid, ne soient remplies. D’abord, un chemin d’accès de l’Arménie au Haut Karabakh doit être garanti, par exemple la route dite « couloir de Latchin ». Ensuite, la question du retour des réfugiés de la guerre arméno-azerbaïdjanaise de 1993. Enfin, un statut intermédiaire doit être prévu pour le Haut-Karabakh, et les modalités de définition d’un statut définitif doivent être agréées par les deux parties. Pour le moment, celles-ci semblent avoir renoncé à la bonne volonté dont ils avaient fait montre au cours de l’année 2009.

Or, tant qu’une solution de compromis ne sera pas apportée aux revendications de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan, le risque d’une reprise des affrontements sera réel, seulement évité par la présence militaire russe en Arménie. Comme sur beaucoup d’autres points, la clé du dossier du Haut Karabakh se trouve peut-être à Moscou.

3) Quel dialogue avec la Russie sur l’avenir du Caucase du Sud ?

Rien ne peut être fait dans le Caucase sans la Russie, et les événements d’août 2008 ont rappelé que le temps de l’affrontement Est – Ouest était terminé, quels que soient les événements qui pourraient inciter à son retour. En effet, la Géorgie n’a pas reçu le soutien qu’elle espérait peut-être recevoir de l’OTAN. En contrepartie, la Russie, alors que ses troupes se sont trouvées à moins de 20 kilomètres de l’oléoduc BTC, n’a jamais tenté d’endommager la structure.

Le respect des intérêts stratégiques de chacun semble donc assuré dans la région du Caucase du Sud. Il convient toutefois de transformer cette situation de respect mutuel en dialogue constructif.

La Russie n’a pas affiché ses objectifs concernant le Caucase. Elle a toutefois clairement défini ce qu’elle considérait comme inacceptable, notamment l’élargissement à l’Est de l’OTAN, et, dans une moindre mesure, de l’Union européenne. Sur le deuxième point, il est clair que la réflexion sur une éventuelle intégration du Caucase du Sud à l’Union doit rester une perspective de très long terme.

Sur l’adhésion à l’OTAN de pays du Caucase, une ambiguïté doit être levée. Le sommet de Bucarest avait ainsi conclu sur une promesse d’adhésion de la Géorgie et de l’Ukraine, provoquant des réactions très agressives à Moscou. Contraire aux positions française et allemande, une telle adhésion relèverait de la pure provocation envers la Russie. Dès lors, à moins que le nouveau concept stratégique de l’Alliance Atlantique, en cours d’élaboration, ne modifie la position de la Russie sur ce point, il conviendrait de réexaminer l’opportunité d’un tel élargissement. La France doit, sur cette question, réaffirmer sa position avec force.

Un autre dossier doit être abordé avec prudence. Dans le cadre de sa coopération militaire, la France aide en effet la Géorgie à former des troupes de montagne dans un centre d’aguerrissement situé à Sachkhéré. L’expertise française est mondialement reconnue pour ce type de formation très particulière, et les projets de diversification, pour faire du centre d’entraînement militaire un véritable institut géorgien des métiers de la montagne, doivent être soutenus. A l’inverse, les demandes de certification OTAN du centre d’entraînement, qui doivent permettre de former les soldats géorgiens au combat tactique en montagne, ne peuvent être perçues par la Russie que de manière particulièrement négatives alors même que cette certification n’ajoute pas à l’excellence de la coopération franco-géorgienne.

La peur russe de se trouver cernée à sa frontière Sud par des membres de l’OTAN est un facteur déterminant dans la réaction du pays aux événements du Caucase. Il serait possible d’amener la Russie à entamer un dialogue avec les Occidentaux sur l’avenir de la région en entamant un dialogue sur l’autre préoccupation majeure de la Russie, à savoir le Caucase du Nord.

Confrontée à une situation qu’elle contrôle de moins en moins sur son propre territoire, la Russie voit dans l’ancienne Transcaucasie la profondeur stratégique nécessaire pour stabiliser ses propres Républiques caucasiennes. Là encore, cette inquiétude doit être prise en compte par les Occidentaux. Il s’agit d’ailleurs peut-être de la meilleure base à partir de laquelle construire une position commune sur le Caucase. Accueillant, en 2014, les Jeux olympiques d’hiver à Sotchi, distant de quelques dizaines de kilomètres seulement de la Géorgie, la Russie ne peut que trouver son intérêt dans une stabilisation de la région du Sud Caucase, et la définition de positions respectant les intérêts de chacun.

Afin de mener ces discussions, plusieurs cadres sont imaginables. Le conseil OTAN – Russie, s’il a l’avantage de réunir tous les acteurs majeurs, n’apparaît sans doute pas la meilleure solution. A l’inverse, des négociations globales autour du « traité de la sécurité en Europe », proposition avancée par Dmitri Medvedev en 2008 et formalisée, à la fin de l’année dernière, par la diffusion d’un projet de texte, manquent d’un cadre formel et obligeraient les Européens et les Américains à réagir à une proposition dont ils ne sont pas les auteurs.

Les discussions sur l’avenir du Caucase du Sud, qui doivent impliquer les principaux acteurs de la région, pourraient donc avoir lieu dans le cadre de l’OSCE. Le Kazakhstan, qui occupe actuellement la présidence de l’organisation, a indiqué qu’il envisageait d’organiser un sommet des chefs d’Etat avant la fin de l’année 2010.

CONCLUSION

La situation dans le Caucase du Sud ne peut qu’inquiéter. Trois Etats, pauvres ou dans une situation de développement très inégal, se trouvent engoncés dans des logiques d’affrontements régionaux pour lesquels aucune issue durable ne peut être apportée à court terme.

La guerre russo-géorgienne de 2008 a représenté le pic de ces tensions, et a apporté son lot de drames humains, dans une région déjà touchée par une guerre très meurtrière en 1993, et d’innombrables affrontements intérieurs.

Face à ces difficultés et ces risques, un constat s’impose : aucune solution durable au Caucase ne peut être imaginée sans concertation avec la Russie. Seul pays de l’ère moderne à avoir occupé la totalité du territoire caucasien, la Russie revendique une influence sur la région qui, au-delà du rôle politique et militaire, est bien réelle, notamment dans le domaine linguistique.

Les Européens ont des moyens d’action. L’Union européenne est aujourd’hui la seule organisation internationale présente en Géorgie pour vérifier le respect des accords de cessez-le-feu signés avec la Russie. Elle développe des partenariats avec les Etats de la région, et défend des intérêts stratégiques, notamment énergétiques, parfois communs avec les Etats-Unis.

Toutefois, l’Europe souffre encore d’une absence de stratégie quant à l’avenir qu’elle envisage pour la région. Comme souvent, l’Union européenne est incapable d’offrir à ses interlocuteurs autre chose qu’une éventuelle adhésion.

La France, si les contradictions européennes devaient persister, ne doit pas se résigner à l’inaction et au rôle de spectateur. Notre pays a une histoire diplomatique riche. Nous avons su, dans le passé, jeter des ponts avec les puissances orientales, comme la Russie et la Turquie. Amener ces grandes puissances au dialogue et à l’échange, à propos du Sud Caucase, pour affirmer dans un second temps le rôle de l’Union européenne, montrerait que notre pays remplit toujours son rôle dans le concert des Nations.

Malgré l’absence d’une position européenne suffisamment dense, les Etats européens dispose de moyens d’action propres, et d’une influence marquée, notamment pour trois d’entre eux, dont la France.

L’avenir de la région du Sud Caucase passe par une solution concertée avec la Russie, qui prenne en compte les intérêts respectifs de chacun. Sans coopération entre les Occidentaux et la Russie, le risque existe que la région retombe dans une violence généralisée qu’elle a connue à la fin des années 1990, et qui a déjà tant coûté aux populations locales.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le rapport d’information au cours de sa réunion du mercredi 26 mai 2010.

Après l’exposé des rapporteurs, un débat a lieu.

M. Patrick Labaune. La cartographie ethnique du Caucase qui a été dressée est instructive et elle illustre bien l’imbroglio local ; mais une cartographie religieuse eût été tout aussi intéressante. Les Rapporteurs pourraient-ils, à cet égard, préciser si les Azéris sont sunnites ou chiites ? Qu’en est-il, par ailleurs, des relations arméno-géorgiennes, sachant qu’il existe des zones de peuplement arménien en Géorgie ?

M. François Rochebloine. Je félicite les Rapporteurs pour leur parfaite connaissance du dossier. À propos du conflit au Haut-Karabakh, je tiens à rappeler que des accords avaient été signés à Paris qui, hélas, ont ensuite été remis en cause à Key West, à cause de l’influence néfaste du « clan » Aliev, dont vous avez justement souligné le comportement dictatorial. Aujourd’hui un cessez-le-feu est certes en vigueur mais on constate des attaques quotidiennes au Haut-Karabakh et il est avéré que les dépenses militaires de l’Azerbaïdjan augmentent très fortement. Je suis donc inquiet. Avec cinq collègues parlementaires, nous allons d’ailleurs prochainement nous rendre sur place. Le Groupe de Minsk a beau accomplir un travail remarquable, l’Azerbaïdjan ne respecte pas ses engagements internationaux. Les protocoles sont aujourd’hui remis en cause ; la Turquie ne les a signés que pour se faire bien voir de l’Union européenne mais l’Azerbaïdjan a œuvré, dans la coulisse, en sens contraire. La Russie peut sans doute, dans ce contexte, jouer un rôle important.

M. Henri Plagnol. À ce rapport très riche je voudrais apporter quelques nuances. Tout d’abord, s’agissant de l’Europe, n’oublions pas le rôle essentiel de la France et de l’Allemagne qui, au Sommet de Bucarest, ont opposé leur veto à la perspective d’entrée de la Géorgie dans l’OTAN. C’est d’ailleurs grâce à cette prise de position que la médiation du Président Nicolas Sarkozy a été acceptée par la Russie lors du conflit russo-géorgien d’août 2008. Une délégation de l’assemblée parlementaire de l’OSCE, dont je faisais partie, s’est récemment rendue au Kazakhstan et j’ai été frappé de voir à cette occasion le succès croissant du concept d’Eurasie, ainsi que le pouvoir d’attraction du couple franco-allemand.

Deuxième nuance, concernant l’Iran : dans le cadre de la mission d’information de la commission des affaires étrangères sur l’Afghanistan que j’ai effectuée avec notre collègue Jean Glavany, nous avons posé, à Téhéran, la question des relations avec l’Azerbaïdjan voisin. Nous avons alors ressenti une grande méfiance à l’égard du nationalisme azéri, et des craintes quant au risque de voir se lever un « grand Azerbaïdjan », le tout sur fond de tensions religieuses.

Enfin, je voudrais demander aux Rapporteurs qui arme l’Azerbaïdjan – question cruciale à cause du conflit latent au Haut-Karabakh. On évoque plusieurs fournisseurs. Israël en fait-il partie, ce qui expliquerait la succession de visites spectaculaires de la part des dirigeants de l’État hébreu ? S’agit-il de l’Iran, de façon clandestine ? Ou bien de la Turquie, ce que confirmerait la visite récente, fastueuse, du Président turc ? Par quels mécanismes la richesse pétrolière se transforme-t-elle en armement ?

M. Jean-Michel Ferrand. J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de me rendre en Azerbaïdjan depuis 1991, et plusieurs fois encore l’an dernier. Ce pays est en pleine expansion. Sa transformation, en l’espace d’à peine vingt ans, est proprement extraordinaire. La corruption existe certainement. Mais Bakou s’embellit d’année en année et les infrastructures se multiplient à un rythme impressionnant. L’Azerbaïdjan ne sera-t-il pas sous peu le centre économique et politique du Caucase ?

Par ailleurs, je réaffirme mon opposition à la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo et je persiste à penser qu’elle a donné aux Russes de solides arguments pour intervenir comme ils l’ont fait en Abkhazie et en Ossétie du Sud. Les Rapporteurs ont dit que rien ne se ferait sans la Russie ; cela vaut aussi hors du Caucase, dans les Balkans.

M. Jean-Paul Dupré. Quelles sont les conséquences, dans la région, de l’influence politico-religieuse de l’Iran et de la Turquie ? D’autre part, pouvez-vous dresser un point de la situation en Ossétie du sud et en Abkhazie, en précisant le statut actuel de ces territoires, leur administration et le sort des populations ?

M. Jean-Pierre Kucheida. Ce rapport remarquable appelle une suite. Il y flotte en effet une odeur de pétrole qui justifierait une mission d’information à part entière. Lorsque je me suis rendu à Bakou, des professionnels de l’extraction pétrolière m’ont affirmé qu’après 150 ans d’exploitation des gisements de la région, le sous-sol était toujours une véritable « éponge à pétrole ». Cet élément, qui s’ajoute aux facteurs ethniques et religieux, est d’une importance cruciale. Par ailleurs, les Rapporteurs ont-ils eu la curiosité d’aller observer la situation en Tchétchénie et au Daghestan ? Enfin, à propos de la Turquie et de l’Arménie, au-delà du rôle de l’Azerbaïdjan, le rapprochement est-il sincère ?

M. Alain Néri. De l’exposé des rapporteurs, je retiens que nous avons affaire à trois régimes autoritaires. Ces Républiques nouvelles ont encore des progrès à accomplir sur le plan démocratique, l’influence de la religion pèse lourd également et l’économie est aux mains de quelques-uns, au détriment des populations. La France ou l’Union européenne ne peuvent-elles intervenir pour défendre les droits de l’homme dans ces États ?

M. Rudy Salles. Je sais gré aux Rapporteurs d’avoir insisté sur l’importance géostratégique de la région. Les États-Unis ne s’y trompent d’ailleurs nullement, qui ont installé à Erevan une ambassade surdimensionnée, dont les derniers étages, aveugles, sont truffés d’électronique. M’étant moi-même rendu à Erevan en 2002, en ma qualité de Vice-président de l’Assemblée nationale chargé des relations internationales, à l’occasion des élections au Haut-Karabakh, j’avais compris de l’attitude de notre ambassadeur sur place que la position de la France était menacée au sein du Groupe de Minsk ; qu’en est-il aujourd’hui ?

M. André Schneider. Comme Rapporteur, avec notre collègue Philippe Tourtelier, sur la politique énergétique de l’Union européenne, j’aurai une approche quelque peu divergente de la vôtre, messieurs les Rapporteurs, en dépit de certains points d’accord entre nous. C’est en Ukraine, ne l’oublions pas, que s’est nouée, à l’hiver 2008-2009, une grave crise d’approvisionnement de l’Europe en gaz. Le gazoduc Nabucco est l’un des remèdes possibles, l’une des routes envisagées. Or qui a intérêt à un rapprochement arméno-turc, sinon les promoteurs de Nabucco ? À Vienne en Autriche, je puis vous assurer que la vision de l’approvisionnement de l’Europe en gaz n’est pas du tout celle de l’Allemagne ou de la France ; elle consiste à s’en remettre uniquement à la compagnie russe Gazprom. Y a-t-il une solution européenne à propos des routes de l’énergie ? Y a-t-il une solution caucasienne pour régler les conflits de proximité ?

M. Dominique Souchet. Concernant la situation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, quelle est votre perception de la position russe : privilégie-t-elle l’intangibilité des frontières ou plutôt le droit des peuples ? Est-il exact que Moscou exclut l’hypothèse du rattachement à son territoire qu’évoquent certains dirigeants ossètes ?

M. Robert Lecou. Dans cette zone en perpétuelle ébullition, l’Union européenne doit pouvoir parvenir à tranquilliser et les États-Unis et la Russie. Pensez-vous que la Haute Représentante permette que l’Union soit bientôt identifiée comme un partenaire diplomatique à part entière ?

M. Jacques Bascou. En songeant à un éventuel parallèle avec les Balkans, je souhaiterais savoir de quel poids pèse la religion dans le Caucase du Sud.

M. Jean-Michel Boucheron. L’occasion nous est donnée de dresser le constat de l’émergence de la Turquie comme puissance locale. Dès lors, de deux choses l’une : soit la Turquie suit seule sa propre voie, soit elle adhère à l’Union européenne. Y a-t-il, pour l’UE, une autre perspective, pour étendre sa propre puissance, que celle d’être davantage présente dans cette région riche en ressources énergétiques et en potentiel politico-stratégique ?

M. le Président Axel Poniatowski. Messieurs les Rapporteurs, je note la prudence de vos préconisations, que je résumerai en deux points : la Turquie et la Russie sont incontournables dans la région ; la France doit y être plus présente, à la fois sur le plan politique et pour la défense de ses intérêts, alors que l’Union européenne pèse peu localement. Au fond, pensez-vous que le sujet d’étude que le bureau de notre commission vous a confié est un sujet global ou qu’il n’est que la juxtaposition de problématiques bilatérales différentes d’un pays à l’autre ?

M. Roland Blum, rapporteur. Pour répondre à la question du Président, je dirai que les problèmes du Caucase du sud sont à la fois globaux et particuliers. D’une part, cette zone est importante pour les intérêts turcs, russes, américains et européens ; d’autre part, elle est agitée par des conflits locaux dont les bases sont ethniques et anciennes, mais qui n’ont jamais été réglés.

Plusieurs communautés religieuses cohabitent dans la région : il y a des musulmans, principalement chiites en Azerbaïdjan, des chrétiens appartenant à différentes Eglises, notamment à l’Eglise arménienne autocéphale et à l’Eglise géorgienne, qui est orthodoxe mais ne dépend pas du patriarcat de Moscou, ainsi que des communautés juives.

Les relations entre l’Arménie et la Géorgie sont bonnes car l’Arménie dépend fortement de la Géorgie pour son approvisionnement et ses échanges commerciaux. Mais l’importante communauté arménienne qui vit dans la province géorgienne de Djavakhétie rencontre de plus en plus de problèmes, notamment avec l’Eglise géorgienne, et il n’est pas exclu qu’une explosion s’y produise.

Le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait être relancé mais le risque doit être relativisé dans la mesure où cela n’est pas dans l’intérêt de la Russie, qui est très influente en Arménie. Les tensions devraient rester contenues, mais un embrasement soudain, consécutif à des décisions politiques inconsidérées, est toujours à craindre dans cette région.

Comme M. Henri Plagnol, j’estime que l’opposition de la France et de l’Allemagne à l’entrée de la Géorgie dans l’OTAN était une bonne décision. L’Union européenne a alors bénéficié d’un bon concours de circonstances, puisque la guerre russo-géorgienne est intervenue en pleine présidence française. L’Union européenne a donc bénéficié de la position du couple franco-allemand.

M. Christian Bataille, rapporteur. Le Caucase fait partie d’un jeu diplomatique global, dont le cœur se trouve en Asie centrale. Dans cette région s’affrontent les intérêts de la Russie, de la Chine et des Etats-Unis, mais aussi de l’Union européenne. La stabilité dans le Caucase est essentielle pour garantir l’accès de cette dernière aux ressources centrasiatiques, alors que la Russie peut avoir intérêt, à court terme, à maintenir en l’état les conflits pour conserver son influence.

Le rapprochement en train de s’amorcer entre la Turquie et l’Arménie a été contrecarré par l’Azerbaïdjan. Il faut rappeler que l’Arménie n’occupe pas seulement la région arménienne du Haut-Karabakh, mais aussi des zones azéries, les « rayons ». L’Azerbaïdjan ne demande que la restitution de ces dernières. Je suis persuadé qu’il existe des possibilités de solution sur la durée.

L’Iran et l’Azerbaïdjan sont culturellement très différents. En particulier, ce dernier est un Etat laïc. Les azéris d’Iran sont très intégrés à la société iranienne, et très différents, dans leurs coutumes et leurs croyances, des Azerbaïdjanais. Il me semble que c’est surtout l’Azerbaïdjan qui pourrait exercer une influence sur l’Iran par l’intermédiaire des millions d’Azéris vivant dans la République islamique.

Il est certain que l’indépendance du Kosovo a facilité le passage à l’acte de la Russie en faveur de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. Toutefois, ces deux régions disposaient déjà d’une large autonomie au sein de l’URSS, et les deux étaient quasiment autonomes au sein de la Géorgie indépendante. Aujourd’hui, seulement quelques Etats ont reconnu leur indépendance.

Il faut souligner que chacune de ces provinces équivaut à un canton français, la première comptant 40 000 habitants, la seconde 150 000. L’un des problèmes vient du régime de M. Saakachvili : il est source de danger car c’est son attitude de provocation permanente contre la Russie qui assure son maintien au pouvoir.

Roland Blum et moi ne sommes pas allés en Tchétchénie, le voyage étant déconseillé. Mais l’instabilité dans le Caucase du Nord n’est pas la conséquence de la présence de ressources pétrolières. L’instabilité du Caucase du Nord a des racines anciennes, et elle a des conséquences sur la gestion des ressources pétrolières. Là encore, les questions énergétiques sont une manifestation des tensions politiques, pas une cause de celles-ci.

La commission autorise la publication du rapport d’information.

ANNEXES

Annexe 1 : Liste des personnes auditionnées 79

Annexe 2 : Eléments cartographiques 83

Le Caucase : une mosaïque ethnique 85

Le Caucase : terre de transit pour les ressources énergétiques 86

Luttes d’influence en Asie centrale : l’arrière plan géopolitique des problèmes caucasiens 87

Le Haut-Karabakh : un problème ancien, redevenu d’actualité 88

Annexe 3 : Bibliographie 89

ANNEXE 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNEES

à Paris

- M. Roland Galharague, directeur de l’Europe continentale, ministère des affaires étrangères et européennes (24 mars 2009)

- M. David Bakradze, président de l'Assemblée de Géorgie (7 avril 2010)

- M. Bernard Fassier, ambassadeur de France, co-président du groupe de Minsk (20 mai 2010)

- M. Viguen Tchitétchian, ambassadeur d’Arménie à Paris (28 octobre 2009)

- M. Echin Amirbayov, ambassadeur d’Azerbaïdjan à Paris (16 février 2010)

- M. Mamuka Kudava, ambassadeur de Géorgie à Paris (16 septembre 2009)

- M. Osman Koruturk, ambassadeur de Turquie à Paris (22 septembre 2009)

- M. Charles Urjewicz, professeur à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), spécialiste de la Géorgie (15 septembre 2009)

- M. Gaïdz Minassian, enseignant-chercheur à Paris X et Sciences Po (3 février 2010)

- M. Jean Radvanyi, directeur du centre d’études franco-russes de Moscou (9 mars 2010)

à Bruxelles (14 septembre 2009)

- M. Pierre Morel, Représentant spécial de l'UE pour la crise en Géorgie

- M. Peter Semneby, Représentant spécial de l'UE pour le Sud-Caucase

- Mme Karin Gatt-Rutter, responsable du bureau « Caucase » à la direction générale des relations extérieures – DG RELEX

- M. Cyril Blondel, conseiller Europe orientale et Asie centrale auprès de la Représentation permanente de la France auprès de l'UE

à Moscou (23 et 24 novembre 2009)

- M. Grigori Karassine, secrétaire d’Etat, vice-ministre des affaires étrangères

- M.Jean de Gliniasty, ambassadeur de France à Moscou

- M. Iouri Merzliakov, ambassadeur, vice-président du groupe de Minsk

- M. Ara Abramian, président de l’Union des Arméniens de Russie

- M. Alexei Malashenko, directeur du bureau de la Fondation Carnegie de Moscou

- Mme Tatiana Parkhalina, directrice du centre pour la sécurité européenne, vice-présidente de l’association russe pour la coopération euro-atlantique

- M. Vincent Falcoz, Premier conseiller de l’ambassade de France en Russie

- M. Michel Foucher, professeur à l’école normale supérieure

à Erevan (25 et 27 novembre 2009)

- Mme Arevik Petrossian, vice-président de l'Assemblée nationale

- M. Serge Smessow, ambassadeur de France à Erevan

- Mme Naïra Zorabian, députée, présidente de la commission parlementaire pour l'intégration européenne

- M. Vardan Aramian, vice-ministre des finances

- M. Mouchekh Toumassian, vice-ministre de l'économie

- M. Arman Kirakossian, vice-ministre des affaires étrangères

- Dr Ara Babloyan, député

- M. Serguei Kapinos, ambassadeur, chef du bureau de l'OSCE en Arménie

- M. Raoul de Lutzenberger, chef de la délégation de la Commission européenne

- Mme Sylvia Zéhé, représentante du Conseil de l'Europe

- M. Aristomène Varoudakis, directeur de l'antenne de la Banque mondiale en Arménie

- M. Arman Pinarbasi, directeur-adjoint de Grant-Thornton Arménie

à Ankara (29 mars 2010)

- M. Murat Mercan, président de la commission des affaires étrangères de la Grande assemblée nationale de Turquie

- M. Ahmet Ünal Ceviköz, sous-secrétaire d’Etat adjoint au ministère des affaires étrangères, en charge du Caucase

- M. Onur Öymen, député, vice-président du CHP

- M. Ufuk Uras, député

- Dr. Hakan Fidan, conseiller du Premier Ministre

- M. Vladimir Ivanovski, ambassadeur de Russie à Ankara

- M. Zakir Hashimov, ambassadeur d’Azerbaïdjan à Ankara

- Pr. Dr. Oktay Tanrisever, middle east technical university

à Istanbul (30 et 31 mars 2010)

- M. Ethem Tolga, recteur de l’université de Galatasaray

- M. Hugues Lamaire-Maringer, directeur général adjoint d’Izgaz

- M. Cüneyt Genç, CG Business Consultants

- M. Sami Kohen, journaliste

- Mme Barçin Yinanç, journaliste

à Bakou (1er et 2 avril 2010)

- M. Elmar Mammadyarov, ministre des affaires étrangères

- M. Natiq Aliyev, ministre de l'industrie et de l'énergie

- M. Valeh Alasgarov, vice-président du Parlement

- M. Elshad Nasirov, vice président de la compagnie pétrolière d'Etat de la République d'Azerbaïdjan (SOCAR)

- Mlle Veronika Kotek, Représentante du Secrétaire général du Conseil de l'Europe

- M. Vladimir Dorokhin, ambassadeur de Russie

- M. Jean-Louis Lavroff, adjoint du chef de la délégation de l'Union européenne

- M. Daniel Patat, conseiller économique et commercial de l'Ambassade

- M. Marc Feuillade, directeur général de la représentation de Total en Azerbaïdjan

- Dr. Arif Yunusov, chef du Département d'études sur les conflits à l'Institut pour la Paix et la Démocratie

- M. Thornike Gordadze, responsable de l'antenne de Bakou de l'Institut Français d'études anatoliennes (IFEA)

- M. Eldar Namazov, politologue, chef du « Forum pour l’Azerbaïdjan »

- Dr. Leyla Yunus, directeur de l’Institut pour la paix et la démocratie

à Tbilissi (du 12 au 15 avril 2010)

- M. Giorgi Bourginadze, vice-Premier ministre, ministre d’Etat pour l’Intégration européenne et euroatlantique

- M. George Tsereteli, vice-président du Parlement

- M. Eric Fournier, ambassadeur de France en Géorgie

- Général Gilles Janvier, chef adjoint de la mission de surveillance de l’Union européenne

- M. Zurab Pololikashvili, ministre du développement économique

- M. David Rakviashvili, ministre d’Etat adjoint à la réintégration

- M. Hratch Silvanyan, ambassadeur d’Arménie à Tbilissi

- M. Irakli Alasania, président du mouvement « Alliance pour la Géorgie »

- Mme Nino Bourdjanadze, ancienne présidente du Parlement, présidente du « Mouvement démocratique – Géorgie unie »

- Mme Salomé Zourabichvili, ancienne ministre des affaires étrangères, ancienne ambassadeur de France

- M. Chalva Natelachvili, président du parti travailliste géorgien

- M. Gia Baramia, chef du gouvernement en exil de l’Abkhazie

- M. Giorgi Karalashvili, directeur des relations avec la CEI, ministère des affaires étrangères

- Dr. Nino Baratashvili, directrice adjointe des affaires européennes, ministère des affaires étrangères

- M. David Nardaia, directeur de la planification, ministère de la défense

- Commandant Makhaz Merlani, directeur du centre d’aguerrissement à la montagne de Sachkhéré

- Lieutenant-colonel Jean-Luc Théus, attaché de défense

- Mme Silvia Serrano, chercheuse associée au CERCEC, maître de conférences à l’université d’Auvergne

- M. Andrey Smaga, chef de la section des intérêts russes auprès de l’ambassade de la confédération helvétique à Tbilissi

- M. Zviad Koridze, journaliste

- M. Ludovic Girod, vice-président du French business council in Georgia

ANNEXE 2

ÉLÉMENTS CARTOGRAPHIQUES

Le Caucase : une mosaïque ethnique

Le Caucase : terre de transit pour les ressources énergétiques

Luttes d’influence en Asie centrale :
l’arrière plan géopolitique des problèmes caucasiens

Le Haut-Karabakh : un problème ancien, redevenu d’actualité

ANNEXE 3 : ELEMENTS BIBLIOGRAPHIQUES

– J. Radvanyi, Atlas géopolitique du Caucase, Autrement, 2010

– G. Minassian, Caucase du Sud, la nouvelle guerre froide ?, Autrement, 2007

– E. Hoesli, A la conquête du Caucase, éd. des Syrthes, 2006

– A. Viatechslav, Géopolitique du Caucase, Armand Collin, 2005

– F. Thual, Gépolitique des Caucases, Ellipses, 2004

– L. Colm, Improbable Abkhazie, Autrement, 2009

– J. Sellier, Atlas des peuples d’Orient, La Découverte, 2002

1 () Le terme désigne la forme de grec ancien qui a servi de langue commune au monde hellénistique.

2 () Selon le site du ministère des affaires étrangères, les résultats des fouilles effectuées sur le site de Dmanissi, en Géorgie, ont permis de découvrir les restes d’humanoïdes les plus anciens hors du continent africain, datant de près de 2 millions d’années.

3 () Strabon, Géographie, livre XI, chapitre 2, trad. Amédée Tardieu, édition Hachette 1867.

4 () Voir cartes en annexe.

5 () Les Bagratides sont le nom générique donnés aux différents souverains issus de la famille des Bagratouni, dont l’origine reste discutée.

6 () Source : Atlas géopolitique du Caucase, J. Radvanyi et N. Beroutchachvili, éd. Autrement, 2010.

7 () Le fait de faire voter les mêmes personnes dans plusieurs bureaux de vote est parfois appelé ainsi.

8 () Dont certaines dépassent même le cadre du Haut Karabakh, certains historiens azerbaïdjanais avançant la théorie que l’Arménie actuelle correspondrait en fait à l’Azerbaïdjan historique…

9 () Loi 2001-70 du 29 janvier 2001.

10 () Commission créée par décision du Conseil en date du 2 décembre 2008

11 () La première communauté arménienne à l’étranger se trouve en Russie, estimée à 2 millions d’individus. Le quart de la diaspora géorgienne, soit un million de personnes, vivraient également sur le sol russe. Enfin, la dernière estimation, faite en 2002, du nombre d’Azéris vivant en Russie s’élevait à plus de 600 000, mais les chiffres sont probablement beaucoup plus importants, certains responsables de la diaspora évoquant une communauté de 3 millions d’individus, dont la moitié à Moscou.

12 () Menée de 1994 à 1996, la première de Tchétchénie, conclue par l’accord de Khassiavourt, laisse un statut d’autonomie gouvernementale quasi-totale à la province rebaptisée : République islamique d’Itchkérie. La deuxième guerre, qui se déroule entre 1999 et 2000, fait suite aux attentats commis par les franges les plus radicales des combattants tchétchènes, opposés au gouvernement d’Aslan Maskhadov, et s’achève par la prise de Grozny par les troupes russes. L’insurrection tchétchène est encore active, bien que Moscou ait officiellement achevé l’opération « anti-terroriste » menée sur en Tchétchénie le 16 avril 2009.

13 () Voir carte de l’Azerbaïdjan en annexe

14 () Voir carte en annexe.


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