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N° 2693

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 30 juin 2010.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) (1)

sur l’enseignement français à l’étranger

et prÉsentÉ

par MM. Jean-François MANCEL, André SCHNEIDER et Hervé FÉRON

Députés

___

MM. Olivier CARRÉ et David HABIB

Présidents.

___

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Olivier Carré, David Habib, Présidents ; M. Jérôme Cahuzac, Président de la commission des Finances de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Gilles Carrez, Rapporteur général ; MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell'Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER : LES PROPOSITIONS DE LA MEC 7

INTRODUCTION 11

I.– ÉTAT DES LIEUX DE L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER 13

A.– DES ACTEURS MULTIPLES 13

B.– UN RÉSEAU UNIQUE AU MONDE 15

1.– L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger 16

2.– La Mission laïque française 18

3.– L’Alliance israélite universelle 19

C.– LES DÉFIS À RELEVER 19

1.– Les orientations générales 20

2.– Les contraintes 21

II.– ASSURER AU RÉSEAU UN ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE VIABLE 23

A.– LA PRISE EN CHARGE DES DROITS D’ÉCOLAGE : LES COÛTS DE LA « GRATUITÉ » 23

1.– Le dispositif de prise en charge : principes 23

2.– Un coût juridique qui n’est pas à écarter : le risque d’une contradiction avec le droit communautaire 24

3.– Un coût financier exponentiel et difficilement maîtrisable 25

a) Une « gratuité » à 700 millions d’euros à terme ? 25

b) Des mesures de régulation qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu financier 26

4.– Un coût politique et social : effets d’éviction, effets d’aubaine et inéquités 27

a) Un effet d’éviction des élèves locaux, garants de l’équilibre économique du réseau et porte-voix de la culture française 27

b) Un potentiel effet d’aubaine pour les entreprises : la transformation d’une charge privée en charge publique 29

c) Des inéquités entre expatriés 30

B.– DES CHARGES DE PLUS EN PLUS LOURDES ET NON COMPENSÉES 31

1.– Immobilier : des transferts de gestion coûteux 31

2.– Les contributions aux pensions des fonctionnaires détachés : une nouvelle responsabilité 33

3.– Un fonds de roulement insuffisant à l’acquittement des missions de l’AEFE 34

C.– LE FINANCEMENT DU RÉSEAU : STABILISER ET CONSOLIDER LES RESSOURCES, CLARIFIER LES COMPTES 35

1.– Explorer et développer de nouvelles voies de financement 35

a) Le recours au mécénat 35

b) Valoriser la « marque France » 37

c) Mobiliser nos partenaires au niveau local 38

2.– Pour une double clarification des financements 39

a) Encadrer l’évolution des droits d’écolage pour plus de visibilité 39

b) Améliorer la présentation des comptes pour plus de clarté et de sincérité 40

III.– ADAPTER L’OFFRE AUX DEMANDES DANS UN CADRE BUDGÉTAIRE CONTRAINT 41

A.– DÉTERMINER UNE STRATÉGIE CLAIRE D’ÉVOLUTION DU RÉSEAU 41

1.– Identifier les besoins à moyen-long terme 41

2.– Assurer la cohérence d’un futur plan de développement de l’enseignement français à l’étranger 42

B.– DÉSAMORCER LA BOMBE À RETARDEMENT IMMOBILIÈRE 43

1.– Établir un diagnostic précis du parc immobilier et définir un plan d’investissement pluriannuel cohérent 43

2.– Dégager les marges de manœuvre financières nécessaires 45

3.– Développer l’expertise immobilière de l’AEFE 45

C.– IMAGINER DES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT ORIGINALES 47

1.– Renforcer la coopération avec les autorités et systèmes d’enseignement locaux : pour de nouveaux modes de présence scolaire de la France à l’étranger 47

2.– Mobiliser plus efficacement les partenaires de l’enseignement français à l’étranger 47

a) Renforcer le partenariat avec le CNED et valoriser son action 47

b) Tirer parti de toutes les potentialités de l’Audiovisuel extérieur de la France 49

IV.– QUEL RÉSEAU POUR QUELLES MISSIONS ? 51

A.– QUELLE GOUVERNANCE ? 51

1.– Sous la direction du ministère des Affaires étrangères, la coordination entre les multiples acteurs doit progresser 52

2.– Le rôle du ministère de l’Éducation nationale doit être renforcé 53

3.– Vers une plus grande autonomie des établissements ? 54

B.– RENFORCER L’ACCOMPLISSEMENT DES MISSIONS ÉDUCATIVES 56

1.– Un réseau à évaluer 56

2.– Une politique de gestion des enseignants à mettre en œuvre 56

a) La proportion de titulaires 56

b) La formation et la professionnalisation des enseignants 59

3.– Répondre aux demandes des pays hôtes 60

a) L’enseignement bilingue : un impératif dans les pays anglophones 60

b) Le développement d’un enseignement professionnel 60

4.– Assurer un meilleur chaînage avec l’enseignement supérieur français 61

C.– L’AVENIR DU RÉSEAU : AU-DELÀ DES ASPECTS BUDGÉTAIRES, UNE QUESTION AVANT TOUT POLITIQUE 63

EXAMEN EN COMMISSION 65

ANNEXES 77

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 77

II.– DÉPLACEMENT À RABAT, 20-21 MAI 2010 : PERSONNALITÉS RENCONTRÉES 79

III.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS 80

ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER :
LES PROPOSITIONS DE LA MEC

Proposition n° 1 : Suspendre le dispositif de prise en charge

Suspendre le dispositif de prise en charge au profit d’un mécanisme de bourses.

Instituer, de façon différenciée selon un barème établi par pays de résidence, un plafond quant aux droits d’écolage pris en charge par les bourses.

Proposition n° 2 : Opérer un triple recalibrage budgétaire

1) Recalibrer la dotation budgétaire a due concurrence de la charge que représentent les transferts immobiliers opérés au profit de l’AEFE.

2) Compenser intégralement la contribution de l’AEFE au compte d’affectation spéciale des pensions par une dotation budgétaire équivalente.

3) Assurer à l’AEFE un fonds de roulement équivalent à au moins 30 jours de fonctionnement, en ajustant le cas échéant sa dotation budgétaire.

Proposition n° 3 : Ouvrir l’éventail des partenariats et des financements

1) Étudier la possibilité de mobiliser le mécénat en faveur de l’enseignement français à l’étranger. À cette fin, identifier les évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour permettre un tel recours au mécénat.

2) Favoriser et développer les démarches de projet avec les collectivités territoriales.

3) Instituer, au profit de l’AEFE, un prélèvement assis sur le chiffre d’affaires des établissements homologués au titre de l’utilisation par ceux-ci de la « marque France ». À tout le moins, sanctuariser sur ce fondement une partie des sommes déjà acquittées par ceux-ci.

4) Analyser les réglementations locales et systématiser les démarches entreprises auprès des autorités locales de tous niveaux afin d’identifier les contributions financières pouvant être versées par celles-ci à notre réseau.

5) Obtenir, chaque fois que cela est possible au regard des réglementations locales, l’accréditation ouvrant droit, le cas échéant, à l’obtention de subventions publiques de la part des autorités publiques locales concernées.

Proposition n° 4 : Améliorer la visibilité des financements et des comptes

1) Élaborer, pour chaque pays, une grille de tarification formalisée au sein d’un plan pluriannuel.

2) Encadrer les droits d’écolage en déterminant les possibilités de modulation de ceux-ci en fonction du niveau de richesse de chaque pays.

3) Améliorer la présentation des comptes de l’AEFE et des établissements du réseau pour davantage de clarté et de sincérité.

Proposition n° 5 : Adapter le réseau aux besoins nouveaux :
de la carte prospective du réseau aux chartes d’établissement

1) Établir une cartographie de nature prospective du réseau reposant notamment sur les besoins identifiés à moyen-long terme, évalués notamment en fonction de la présence des expatriés français, des entreprises françaises, des besoins de scolarisation des familles locales, des intérêts diplomatiques de la France dans chaque zone considérée et de l’importance des échanges culturels et commerciaux entre la France et chaque pays considéré.

2) S’appuyer sur la cartographique prospective du réseau pour établir et mener la politique de rénovation/implantation des établissements et déterminer le statut le plus adapté aux circonstances et réalités locales.

3) Généraliser les chartes d’établissement précisant les droits et devoirs attachés au statut d’établissement homologué.

4) Renforcer le contrôle de ces établissements avec la possibilité de déchéance du statut le cas échéant.

Proposition n° 6 : Mettre en œuvre une stratégie de l’immobilier à l’étranger

1) Établir un diagnostic complet et précis du parc immobilier : son étendue, son état, ses coûts (fonctionnement et investissement), l’état des besoins en termes de réhabilitation et de développement etc.

2) Établir, sur la base du diagnostic immobilier, un plan pluriannuel de mise aux normes des établissements avec hiérarchisation des priorités en fonction de l’urgence des opérations de réhabilitation à réaliser.

3) Instituer un moratoire sur les transferts de gestion immobilière à l’AEFE jusqu’à établissement du diagnostic et du plan de mise aux normes.

4) Étudier avec le ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État la possibilité de renforcer les capacités d’emprunt de l’AEFE notamment dans leur montant et dans leur durée.

5) Négocier avec les autorités locales la rétrocession de sites occupés en jouissance et aisément valorisables en échange de relocalisations financées par leurs soins.

6) Développer l’expertise immobilière de l’AEFE. Renforcer sa division immobilière.

Impliquer la future Agence foncière de l’État à l’étranger en permettant la mise à disposition de ses ressources humaines et techniques. Dans cette optique, formaliser les relations entre l’AEFE et la future Agence par la signature d’une convention.

Proposition n° 7 : Enrichir les outils et les contenus pédagogiques

1) Développer l’homologation des établissements locaux.

Encadrer la procédure, notamment en subordonnant l’obtention de ce statut à l’acceptation par l’établissement d’un contenu et de techniques pédagogiques spécifiques. Instituer des contrôles en partenariat avec les inspections locales pouvant aboutir, le cas échéant, au retrait de l’homologation.

2) Étendre les conventions particulières avec le CNED au plus grand nombre d’établissements du réseau AEFE. Développer les actions de communication et de promotion du CNED à l’étranger.

3) Renforcer les partenariats entre l’Audiovisuel extérieur de la France, le ministère de l’Éducation nationale et l’AEFE afin d’adapter et de développer l’offre éducative audiovisuelle à la demande.

Proposition n° 8 : Clarifier le partage des rôles

1) La direction exercée par le ministère des Affaires étrangères et européennes en matière de politique d’influence doit se manifester par la définition d’une offre éducative d’ensemble cohérente, attractive et reconnue, qui prévoit la coordination et l’articulation des activités des différents acteurs de l’enseignement français à l’étranger.

2) Le ministère de l’Éducation nationale doit assurer l’évaluation et la certification du système éducatif français à l’étranger, comme il en a la charge en France. L’implication des académies situées dans l’aire géographique des établissements doit être améliorée. Le ministère de l’Éducation nationale doit également veiller à la qualité du recrutement et à l’évaluation des enseignants.

3) Le renforcement de l’autonomie des établissements en gestion directe de l’AEFE doit être envisagé avec prudence.

Proposition n° 9 : Professionnaliser

1) Sans méconnaître la diversité des situations locales, ne pas laisser descendre sous un seuil minimal la proportion de titulaires de l’Éducation nationale (expatriés ou résidents), afin que la mixité de l’équipe pédagogique permette d’assurer la qualité et la diversité de l’enseignement.

2) La professionnalisation des cadres administratifs et des enseignants doit être améliorée aussi bien en ce qui concerne les recrutements que la formation.

Sur le premier point, il convient de mettre en place pour les expatriés des procédures plus rigoureuses permettant de mieux évaluer les aptitudes professionnelles et le niveau en langue étrangère des candidats. L’amélioration de la formation professionnelle doit être effective, mais au moindre coût, ce qui conduit à préconiser le développement de formations sur place.

3) Le développement de l’enseignement bilingue, dans le cadre des systèmes scolaires étrangers comme au sein de l’enseignement français à l’étranger, doit continuer à faire l’objet d’efforts budgétaires spécifiques.

4) Les réseaux de l’enseignement français à l’étranger doivent développer des structures d’enseignement technique et rechercher des financements dans le cadre de l’aide au développement.

5) Améliorer le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur en développant une politique d’orientation efficace en liaison avec le nouvel opérateur de la mobilité internationale.

INTRODUCTION

L’enseignement français à l’étranger constitue un vecteur essentiel de la politique d’influence de la France. À ce titre, il doit être non seulement conforté, mais développé, pour répondre aux priorités stratégiques de notre politique étrangère.

Un tel effort supposerait des moyens supplémentaires. Toutefois le contexte global de la situation de nos finances publiques obère la perspective d’une inscription de crédits budgétaires nouveaux. La nécessaire remise à niveau de l’immobilier des établissements, le financement des cotisations de retraites, le maintien d’une proportion raisonnable de professeurs titulaires, l’accomplissement de nouvelles missions doivent être réalisés à moyens globalement constants.

Dès lors, la Mission n’a pas un choix illimité entre les « gages » qu’elle peut proposer en compensation de l’effort nécessaire de développement de l’enseignement français à l’étranger. La prise en charge de la scolarité des élèves est une mesure qui n’est pas sans conséquences négatives sur l’équilibre global du système. De surcroît, elle est d’un coût élevé alors que le nécessaire rétablissement des finances publiques constitue un impératif majeur, qui a la priorité sur toute autre considération.

C’est pourquoi la Mission d’évaluation et de contrôle a été conduite à souhaiter un aménagement du dispositif de prise en charge. Elle aurait pu envisager le maintien du moratoire, et donc la limitation de la prise en charge aux trois niveaux du second cycle de l’enseignement secondaire. Mais le choix du statu quo laisse inchangés les paramètres impliquant une aggravation des dépenses les prochaines années, sans remédier aux défauts du régime actuel.

Il convenait donc de retenir une proposition plus forte : suspendre l’application du régime actuel de prise en charge. Elle est, aux yeux de la Mission, la seule voie pour redéployer des moyens budgétaires, afin de renforcer le financement du réseau de l’enseignement français à l’étranger.

I.– ÉTAT DES LIEUX DE L’ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L’ÉTRANGER

Plusieurs raisons ont conduit le bureau de la commission des Finances de l’Assemblée nationale à souhaiter inscrire l’enseignement français à l’étranger au programme de travail de la mission d’évaluation et de contrôle au printemps 2010.

C’est peu dire que l’avenir de cet enseignement est à la croisée des chemins. Comme l’a souhaité le Président de la République dans sa lettre de mission adressée au ministre des Affaires étrangères et européennes, l’élaboration d’un plan de développement de l’enseignement français à l’étranger a donné lieu, depuis janvier 2008, à une large concertation entre les différents acteurs concernés, alors que les ressources du principal opérateur, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), ne sont plus à la hauteur des enjeux.

A.– DES ACTEURS MULTIPLES

Parallèlement, et indépendamment même des questions cruciales de financement, la problématique de la politique globale de l’enseignement français à l’étranger donne lieu à une réflexion renouvelée, de multiples acteurs participant à sa mise en œuvre :

Il s’agit en premier lieu des structures spécifiquement dédiées aux réseaux d’enseignement : l’AEFE, déjà citée, la Mission laïque française (MLF) l’Alliance israélite universelle (AIU). On peut y ajouter les écoles d’entreprises, généralement rattachées à la MLF, mais créées à l’initiative de nos entreprises à l’étranger. Ces différents réseaux assurent naturellement l’essentiel de l’enseignement français à l’étranger.

Les services de coopération et d’action culturelle, les établissements à autonomie financière, centres et instituts culturels, et les alliances françaises dont le rôle pour le développement de la langue et de la culture françaises n’est plus à démontrer, ont également pour tâche notable l’enseignement du français.

La coopération de sécurité et de défense contribue significativement à l’enseignement du français, d’une part dans le cadre de participations à la formation militaire à l’étranger, avec des écoles nationales à vocation régionale dans des pays francophones (Mali, Sénégal, Cameroun, Bénin, Niger, Burkina Faso, Gabon, Roumanie, et bientôt Guinée Équatoriale…) ; d’autre part et surtout par le biais d’une action dédiée, destinée à accompagner le développement de cet enseignement en milieu « paix et sécurité », pour lequel la demande est exponentielle. Sont ainsi mobilisés des stagiaires « Français langue étrangère » (FLE) pour remplir cette fonction d’enseignement, tandis que des moyens pédagogiques sont mis en œuvre localement pour exporter et développer la langue française dans les zones non francophones.

Le Centre national de l’enseignement à distance (CNED) intervient à l’étranger, en particulier dans les zones où l’organisation de l’enseignement français manque, soit du fait d’une absence permanente, soit parce que des difficultés ponctuelles ont entraîné la fermeture des structures en place, comme pour le lycée français de Conakry en septembre 2009.

Enfin l’Audiovisuel extérieur de la France joue un rôle très significatif dans le dispositif.

Face à un tel foisonnement, la Mission a été amenée à circonscrire son champ d’investigation. En premier lieu, une interrogation a porté sur la question de savoir si le sujet retenu était l’enseignement français à l’étranger ou bien l’enseignement du français à l’étranger. On peut définir l’enseignement français à l’étranger comme un enseignement global des programmes scolaires français, analogue à ce qu’il est en France, dispensé à l’étranger à des élèves français ou étrangers, qui ont fait le choix de suivre un enseignement dans notre langue, ou un enseignement bilingue. Il ne s’agit pas seulement de l’enseignement de la langue française, mais de l’ensemble des matières, dans le cadre de notre système et du respect des valeurs qui sont les siennes.

Dans les faits, la distinction, sans être dénuée de pertinence, présente un caractère largement théorique, éloigné de la réalité. À l’origine de l’implantation des établissements qui composent le réseau de l’enseignement français à l’étranger, il se trouve fréquemment une initiative privée dans laquelle les parents d’élèves ont généralement joué un rôle prépondérant. C’est encore de cette manière que se constituent, partout où des Français sont expatriés, de « petites écoles », à l’existence souvent éphémère. M. Aubin de la Messuzière a donné des exemples de telles créations à Miami et à Bethléem. Les congrégations religieuses ont, elles aussi, créé leurs écoles, dont le caractère confessionnel n’exclut pas le plus souvent l’ouverture à toutes les religions, notamment au Proche-Orient.

Prenons l’exemple de Tbilissi, en Géorgie. Des Français expatriés créent en 2006 une petite école, destinée à leurs enfants, l’école française du Caucase, afin de remédier aux carences de l’enseignement local, même lorsqu’il est francophone. Elle comptait, en janvier 2009, 22 élèves, dont 10 Français, répartis en deux classes et hébergés depuis l’origine dans les locaux du Centre culturel français (CCF) Alexandre Dumas de Tbilissi. En même temps, le CCF organise des cours de Français destinés aux jeunes Géorgiens attirés par la culture française. Où est la différence entre l’enseignement français et l’enseignement du français ? Un milliardaire géorgien finance alors la construction, à ses frais, et sur un terrain lui appartenant, d’un bâtiment haut de gamme dans un quartier résidentiel, destiné à la scolarisation de plusieurs centaines d’élèves, de l’école maternelle à la terminale. Cet établissement est conçu pour accueillir l’école française du Caucase à partir de l’automne 2010, et cet exemple résume assez bien la problématique de l’enseignement français à l’étranger : la distinction entre l’enseignement français et l’enseignement du français a-t-elle encore un sens ? Un étranger est propriétaire des lieux (comme dans le cas de l’école primaire de Malabo, en Guinée Équatoriale, construite par le Président de la République sur un terrain lui appartenant et à ses frais ; ou du lycée franco-australien Telopea de Canberra, établissement public australien homologué par l’AEFE). Qui est donc responsable des emprises et qui doit en assurer l’entretien ? Les structures d’enseignement y sont donc en situation précaire, mais le pragmatisme prévaut et permet de les faire vivre.

En même temps, le développement des établissements répond à une demande, et ne procède pas d’un schéma a priori. Leur rayonnement attire les élèves étrangers, et le réseau de l’enseignement français à l’étranger exprime bien la logique d’influence qui fonde la politique du réseau culturel, et qui se traduit par la mise en œuvre d’une grande variété d’instruments pour promouvoir les positions économiques, politiques et culturelles de la France.

Cependant, la cohérence de la politique d’enseignement français ou du français à l’étranger n’est rien moins qu’incertaine. Qui doit exercer la direction de cette politique, le ministère des Affaires étrangères et européennes, via la direction générale de la Mondialisation et des partenariats, ou le ministère de l’Éducation nationale ? En même temps, on comprend bien que la coopération militaire en matière d’enseignement a de tout autre objectifs que de s’intégrer dans une politique globale. Il ne faut pourtant pas en mésestimer l’influence. Ainsi, toujours en Géorgie, dans le cadre du centre de formation des troupes de montagne de Satchkere, une lectrice de français donne des cours à des militaires géorgiens.

Il est clair que, à bien des égards, la tutelle n’est pas exercée, et que l’AEFE mène en fait très largement sa propre politique. Il en est de même de la MLF qui, si elle n’a pas de liens de subordination avec l’État, bénéficie cependant du concours gratuit de personnels mis à disposition.

Un dernier paramètre, non moins important, est celui du chaînage de l’enseignement français avec l’enseignement supérieur français, aussi bien pour les élèves français que pour les étrangers.

Pour cet ensemble de raisons, la Mission a souhaité circonscrire ses réflexions au domaine de l’enseignement français assuré par les grands réseaux en place, spécifiquement dédiés aux populations d’âge scolaire : c’est donc sur l’AEFE et la MLF qu’ont été centrés ses travaux, pour l’essentiel.

B.– UN RÉSEAU UNIQUE AU MONDE

Le réseau d’enseignement s’appuie principalement sur trois structures : l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, la Mission laïque française et l’Alliance israélite universelle.

Comme l’a rappelé, lors de son audition, M. Stéphane Romatet, directeur général de l’Administration et de la modernisation du MAEE, la France n’est pas le seul pays à avoir un réseau scolaire à l’étranger, mais il est le seul à disposer d’un service public d’enseignement à l’étranger. Dans beaucoup de capitales étrangères, une concurrence s’exerce entre l’établissement scolaire public français et un réseau d’écoles privées, anglaises, américaines, espagnoles, parfois allemandes.

1.– L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger

Créée par la loi n° 90-588 du 6 juillet 1990, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) est un établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé des Affaires étrangères et européennes.

Aux termes de l’article 2 de cette loi, l’Agence a pour objet :

– d’assurer, en faveur des enfants de nationalité française résidant à l’étranger, les missions de service public relatives à l’éducation ;

– de contribuer au renforcement des relations de coopération entre les systèmes éducatifs français et étrangers au bénéfice des élèves français et étrangers ;

– de contribuer, notamment par l’accueil d’élèves étrangers, au rayonnement de la langue et de la culture françaises ;

– d’aider les familles des élèves français ou étrangers à supporter les frais liés à l’enseignement élémentaire, secondaire ou supérieur de ceux-ci, tout en veillant à la stabilisation des frais de scolarité ;

– d’accorder des bourses aux enfants de nationalité française scolarisés dans les établissements d’enseignement français à l’étranger dont la liste est fixée par arrêté conjoint du ministre chargé de l’Éducation nationale, du ministre chargé des Affaires étrangères et européennes et du ministre chargé de la Coopération.

Au printemps 2010, le réseau de l’AEFE, présent dans 130 pays, comptait 461 établissements scolaires français. à comparer à 452 pour l’année 2008-2009 et à 448 établissements l’année précédente.

Sur ces 461 établissements, l’AEFE gérait directement 77 d’entre eux (dits « établissements en gestion directe ») et avait passé convention avec 166 autres (établissements dits « conventionnés »). Les premiers sont des services déconcentrés de l’Agence, les seconds sont des entités juridiquement distinctes de l’Agence avec lesquelles celle-ci entretient des liens contractuels. Les accords peuvent porter notamment sur les conditions d’affectation et de rémunération des agents titulaires, sur l’attribution de subventions et sur les relations avec l’Agence. Ces 243 établissements (conventionnés et en gestion directe) constituent le réseau proprement dit de l’AEFE. Il scolarisait au total 173 592 élèves en 2008-2009 dont 82 221 élèves français et 91 371 élèves étrangers. Ces effectifs s’accroissent régulièrement : ils ont augmenté de 5 620 élèves en 2008-2009, dont 3 581 élèves français, après une augmentation de 4 200 élèves à la rentrée de 2007-2008.

Par ailleurs, l’Agence a passé cinq accords de partenariat avec le lycée franco-israélien de Tel-Aviv (Israël), la section française de l’école européenne de Taipei (Taiwan), l’école internationale française de Bali (Indonésie), l’école française de Tachkent (Ouzbékistan), l’Interkulturelle Schule à Brême (Allemagne).

Enfin, 213 établissements homologués n’ont pas passé de convention avec l’Agence, et ne bénéficient pas d’aide directe. Ils sont néanmoins, lorsqu’ils le souhaitent, associés aux actions de formation continue organisées par l’Agence et bénéficient du conseil pédagogique des inspecteurs de l’Éducation nationale détachés à l’étranger.

Les effectifs gérés par l’AEFE font l’objet d’un recensement difficile. Le projet annuel de performances (PAP) pour 2010 annonce que l’AEFE rémunérait en 2009 10 584 personnes en poste dans son réseau dont 12 % d’expatriés et 50 % de résidents auxquels s’ajoutaient 3 850 recrutés locaux des établissements en gestion directe. Les documents transmis à la mission par le MAEE font état de 6 400 emplois AEFE et 14 600 recrutés locaux au sein des établissements en gestion directe et conventionnés. L’Agence classe les personnels des établissements en gestion directe pour 2010 en trois catégories : 1 186 expatriés dont plus de la moitié de personnels administratifs et 550 enseignants (2), 5 432 résidents (3) et 3 850 recrutés locaux (4). Le PAP distingue pour 2010 41 emplois rémunérés par l’État (mis à disposition), 6 387 emplois sous plafond opérateurs et 4 217 emplois hors plafond opérateurs.

Par ailleurs, les établissements conventionnés, qui sont juridiquement distincts de l’Agence, finançaient à la rentrée 2008-2009, sur leurs recettes propres, 10 573 agents de droit local, dont 6 838 personnels enseignants (ces effectifs sont estimés à partir des déclarations des établissements). Une large fraction des recrutés locaux échappe donc à la présentation du projet annuel de performances. De surcroît, l’audition de M. Bertrand Schneiter a mis en évidence la présence à l’étranger d’enseignants « détachés directs », dont personne ne connaît le nombre faute de statistiques centralisées, et qui travaillent dans les réseaux homologués ou dans le cadre d’autres arrangements de coopération éducative.

Les ressources de l’AEFE pour 2010 comportent deux subventions budgétaires : l’une de 106,3 millions pour le financement des bourses scolaires et de la prise en charge des frais de scolarité des élèves français à l’étranger ; l’autre de 420,8 millions pour le fonctionnement et les investissements de l’Agence. Ces deux missions (faire fonctionner les établissements, gérer l’aide à la scolarité) sont très différentes et gérées très distinctement par l’AEFE.

S’y ajoutent les ressources propres de l’Agence, qui sont passées de 328,37 millions d’euros en 2008 à 370,52 millions d’euros en 2009. Elles sont donc en augmentation, ce qui témoigne de la nécessité de compenser des ressources budgétaires mesurées au plus juste.

Sans anticiper sur les développements qui suivent, il convient dès à présent d’observer que l’équilibre financier de l’AEFE est devenu précaire, compte tenu de paramètres nouveaux apparus depuis trois ans : l’introduction de la prise en charge des frais de scolarité des élèves français à l’étranger, qui constitue une charge budgétaire lourde, de nature à perturber de surcroît les modèles de financement des établissements ; le coût de la prise en charge des pensions civiles des personnels détachés, que l’Agence supporte depuis le 1er janvier 2009, et dont les modalités de compensation budgétaire lui sont défavorables ; la nécessité d’investissements immobiliers même élémentaires, de remise à niveau, pour lesquels les moyens manquent.

C’est dans ce contexte de forte croissance de la demande de scolarisation selon un modèle français d’excellence unique au monde que le Président de la République et le Premier ministre ont demandé au ministre des Affaires étrangères et européennes, le 27 août 2007, de présenter un plan de développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger. Annoncé à de multiples reprises, ce plan est toujours attendu.

2.– La Mission laïque française

Fondée en 1902, reconnue d’utilité publique en 1907, la Mission laïque française (MLF) s’inscrit depuis plus d’un siècle dans le dispositif de l’enseignement français à l’étranger. La MLF a pour mission la diffusion de la langue et de la culture françaises, dans le respect de valeurs fondamentales : la laïcité, donc le respect de la liberté de conscience ; le développement de l’apprentissage des langues dans un contexte multiculturel, selon le principe « Deux cultures, trois langues », c'est-à-dire l’apprentissage de la langue et de la culture locales, la transmission de la langue et de la culture françaises, et l’apprentissage précoce de l’anglais.

La MLF est implantée dans 47 pays où 107 écoles scolarisent plus de 40 000 élèves, de la maternelle à la terminale. Depuis cinq ans, la MLF a connu une croissance de +55 % de ses effectifs scolaires, de 26 400 à près de 41 000 à la rentrée 2009. Dans le même temps, son réseau a crû de 67 à 107 établissements : de 30 à 36 pour les établissements en pleine responsabilité ; de 11 à 37 pour les établissements adhérents, associés ou affiliés, notamment aux États-Unis ; de 26 à 34 pour les écoles d’entreprise.

Une originalité de la MLF est en effet de fédérer de telles structures, créées à l’initiative des entreprises françaises implantées à l’étranger.

La Mission est traditionnellement présente sur le pourtour méditerranéen qui l’a accueillie, dès 1906 à Salonique, à la demande d’une partie de la communauté juive qui souhaitait le développement d’un enseignement laïque au sein de l’empire ottoman. De fait, 70 % des effectifs scolaires et la plupart de ses établissements en pleine responsabilité sont localisés en Espagne, au Maghreb, particulièrement au Maroc, en Libye, en Égypte, au Liban et en Syrie. Il convient de souligner que la MLF scolarise une plus forte proportion d’élèves étrangers que le réseau AEFE, environ 80 %.

Si le modèle économique de la MLF est celui de l’autofinancement, à la différence de l’AEFE, elle bénéficie toutefois de l’aide du ministère des Affaires étrangères qui prend en charge les salaires de 202 professeurs ou directeurs d’établissement, soit 10 % de son personnel enseignant.

3.– L’Alliance israélite universelle

À la différence de la MLF, l’Alliance israélite universelle (AIU), créée en 1860, est une structure confessionnelle, qui intervient dans le domaine de l’enseignement et de la promotion de la culture juive. Son objectif demeure la diffusion d’un judaïsme tolérant et ouvert sur le monde moderne. L’Alliance concourt également à promouvoir la langue et la culture françaises à l’étranger. Son action s’appuie sur son réseau d’écoles en France et l’étranger, la section normale des Études Juives, le collège des Études juives, la Bibliothèque et ses publications. L’AIU est implantée principalement en Israël, au Canada, au Maroc, en Suisse, en Espagne et en Belgique. Elle comprend 54 établissements dont 4 homologués et recense 19 300 élèves.

C.– LES DÉFIS À RELEVER

La triple vocation de l’enseignement français à l’étranger s’exprime dans l’énumération des missions dévolues à l’AEFE : une mission de service public, avec l’éducation des enfants de nationalité française ; une mission de rayonnement par l’accueil des élèves étrangers ; une mission de présence avec le renforcement des relations de coopération entre les systèmes éducatifs français et étrangers.

En fait, la distinction entre la mission de service public et la mission de rayonnement et d’influence est plus qu’incertaine. La présence de structures d’enseignement d’abord destinées aux élèves français attire les enfants d’étrangers, sans parler des binationaux. Les financements et les régimes juridiques sont complexes.

Seul un domaine reste largement en friche : celui des relations de coopération entre les systèmes éducatifs français et étrangers, dont chacun des interlocuteurs auditionnés par la mission a souligné l’insuffisance.

1.– Les orientations générales

Le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020, remis au ministre le 11 juillet 2008, avait replacé la politique d’influence dans le contexte de compétition globale des idées. Le renouvellement des stratégies d’influence doit se traduire par une évolution en profondeur des modes d’intervention, qui affecte surtout la politique culturelle extérieure, compte tenu de l’évolution des vecteurs culturels, en particulier de la dématérialisation des supports culturels.

La hiérarchisation des objectifs et des modes d’intervention aboutit, selon les auteurs du Livre blanc, à dégager deux priorités qui correspondent l’une à une force, l’autre à une faiblesse : le réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger, atout exceptionnel qu’il faut développer ; la faible attractivité internationale de notre enseignement supérieur à l’égard des meilleurs étudiants et des meilleurs enseignants.

En conséquence, toujours selon les auteurs du Livre blanc, le réseau d’enseignement français à l’étranger doit être développé, et sa capacité d’accueil des élèves étrangers, qui en fait un instrument d’influence pour notre langue et notre pays, préservée et, si possible, élargie. Par ailleurs, la poursuite de leurs études supérieures en France doit faire l’objet d’une politique active de la part du MAEE, qui contribuerait ainsi à l’attractivité de notre système d’enseignement supérieur.

Le Livre blanc avançait plusieurs propositions : réviser la carte scolaire en fonction de l’évolution des communautés françaises à l’étranger, surtout en Asie ; adapter les programmes au contexte linguistique et culturel des pays d’accueil en donnant plus d’autonomie aux établissements ; s’assurer que le réseau reflète le modèle pédagogique et les valeurs de la France, notamment en matière de laïcité ; définir une stratégie d’influence, en cherchant non seulement à scolariser les élites politiques et économiques des pays d’accueil mais également des publics plus représentatifs des segments d’avenir des pays où l’enseignement français est implanté.

La concertation sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger a corroboré ces orientations, le rapport final de la commission pour l’avenir de l’enseignement français à l’étranger étant d’ailleurs publié simultanément au Livre blanc.

Ces orientations s’inscrivent dans le contexte d’une concurrence mondiale accrue en matière d’éducation, qui constitue un marché convoité. En effet, comme l’a indiqué M. Stéphane Romatet lors de son audition, la population étrangère est attirée vers le système public de l’enseignement français à l’étranger pour deux raisons. D’abord, la qualité de notre enseignement est avérée, avec un taux de succès au baccalauréat très élevé. Ensuite, nos écoles françaises à l’étranger sont réputées moins coûteuses que les écoles privées américaines ou anglaises.

2.– Les contraintes

Le Livre blanc ne mésestimait pas les contraintes de financement mais il avait considéré que « le réseau d’enseignement français à l’étranger est en mesure d’assurer, malgré des problèmes chroniques de sous-financement, sa double mission de service public et de rayonnement ». Il avait surtout relevé que deux menaces pèsent principalement sur le réseau : d’une part, la mesure de « gratuité » de la scolarité au profit des élèves de nationalité française, au coût prévisible de plusieurs centaines de millions d’euros à terme (5) ; d’autre part les investissements immobiliers nécessaires pour la modernisation, l'extension, la création de nouveaux établissements. Le Livre blanc avait considéré que la mesure de « gratuité » pourrait avoir un effet inverse des objectifs affichés, provoquant un étiolement progressif du réseau en termes d’influence et de rayonnement culturel. Il avait demandé de reconsidérer la « gratuité », en compensant par une politique renforcée d’aide et de bourses, en fonction des revenus des ménages. En tout état de cause, l’État devrait assurer le financement de la prise en charge des frais de scolarité, compte tenu de la faible ampleur attendue des financements innovants, notamment auprès des entreprises.

Dans les faits, la situation n’a guère évolué depuis 2008, si ce n’est qu’un moratoire a été décidé sur l’extension de la « gratuité » au-delà de la classe de seconde. Cette situation témoigne d’un réel problème de gouvernance et ce n’est pas le moindre des défis à relever. Toutes les personnalités auditionnées par la Mission ont estimé qu’il ne fallait pas s’attendre au développement du réseau d’enseignement français à l’étranger, qu’un simple maintien des moyens serait déjà une bonne chose dans un contexte budgétaire qui rend impossible des financements supplémentaires ambitieux. En même temps, certaines ont souhaité que notre politique d’influence s’exprime par d’autres moyens que par un réseau scolaire constitué d’établissements autonomes des systèmes scolaires des pays d’accueil. Il a été proposé de mettre en œuvre des systèmes de labellisation qui permettraient à des établissements locaux de bénéficier d’un agrément « enseignement français à l’étranger », sous réserve de la vérification de normes de qualité professionnelle, notamment pédagogique.

Comme Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’AEFE, l’a indiqué lors de son audition, la définition des orientations stratégiques a tardé à s’exprimer compte tenu d’arbitrages budgétaires qui n’avaient pas été réalisés : le plan d’orientation stratégique de l’AEFE, finalement adopté le 19 mai 2010, était préparé dès l’été 2009, mais n’avait pu être validé dans l’attente des conclusions de l’audit RGPP.

Il faut donc sortir de la situation actuelle où la cohérence de la politique de rayonnement par l’enseignement à l’étranger n’est pas assurée et où, par ailleurs, la politique de coopération éducative avec les autorités des pays d’accueil est pratiquement inexistante.

Dans ce contexte, la publication du plan d’orientation stratégique de l’AEFE en mai 2010, alors que le plan de développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger est toujours attendu, n’indique pas que le principal opérateur, l’AEFE, fait effectivement l’objet d’une direction politique ferme et cohérente.

II.– ASSURER AU RÉSEAU UN ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE VIABLE

L’équilibre financier de l’AEFE est mis à mal sur plusieurs points : la mise en œuvre de la mesure de « gratuité », si elle est, sur le principe, prise en charge par l’État, déstabilise les modèles d’équilibre des établissements et entraîne un certain nombre d’effets pervers. Le constat est unanimement partagé : a minima, un encadrement de la PEC est nécessaire.

Toutefois les réalités économiques imposent une réforme plus profonde du dispositif. La situation de 2010 n’est pas celle de 2007, année de la mise en place de la PEC. La crise économique et financière globale a profondément affecté nos grands équilibres budgétaires et a encore dégradé l’état de nos finances publiques. Dans de telles circonstances, il convient de rechercher les gisements d’économies à l’intérieur du réseau existant.

Eu égard à son poids budgétaire, il n’est pas d’autre choix que de suspendre le dispositif de PEC. Les marges de manœuvre financières ainsi dégagées permettraient de redéployer les moyens sur des postes de dépenses actuellement sous-dotés. Par ailleurs, une partie des marges devrait être affectée au renforcement du système de bourses afin de préserver la situation des familles concernées.

Il convient en outre de traiter trois autres éléments déstabilisants : les transferts de responsabilité en matière immobilière, sans que les moyens correspondants soient alloués ; l’assujettissement de l’AEFE à des contributions sociales nouvelles ; et la diminution du fonds de roulement de l’AEFE qui résulte de ces compensations seulement partielles de la part de l’État.

A.– LA PRISE EN CHARGE DES DROITS D’ÉCOLAGE : LES COÛTS DE LA « GRATUITÉ »

1.– Le dispositif de prise en charge : principes

La prise en charge financière par l’État des droits d’écolage des élèves français scolarisés dans les établissements du réseau AEFE – la PEC – a été engagée en 2007, conformément aux engagements présidentiels. Mise en place à la rentrée scolaire 2007-2008, elle a d’abord concerné les élèves scolarisés en classe de terminale (6). La mesure a ensuite été étendue aux classes de première à la rentrée 2008-2009, puis aux classes de seconde à la rentrée 2009-2010.

Les montants correspondants à l’ensemble des aides à la scolarité - bourses et prises en charge – sont versés directement aux établissements scolaires selon le calendrier suivant : un premier acompte est versé avant la rentrée scolaire (7), un second au deuxième trimestre (8).

Le premier acompte représente généralement 60 % de la somme totale à verser à l’établissement au titre des aides à la scolarité. En fin de campagne (9), l’AEFE réalise un bilan comptable qui prend en compte les éléments transmis par les établissements ainsi que les éventuelles demandes traitées hors commissions locales des bourses.

S’il est encore trop tôt pour tirer des enseignements définitifs au titre de la campagne 2009-2010, laquelle a vu s’ouvrir le dispositif de PEC à la classe de seconde, on peut toutefois observer une augmentation du nombre de demandes de PEC sur les niveaux déjà ouverts à celle-ci les années scolaires précédentes. Par ailleurs, le coût moyen d’une PEC est passé 3 472 euros en 2007-2008 à 4 190 euros en 2009-2010 (10), soit une augmentation de 20,7 %, une telle croissance étant notamment imputable à l’augmentation des droits d’écolage (11).

Le bénéfice de la PEC est aujourd’hui limité au second cycle de l’enseignement secondaire. Si son extension à d’autres niveaux du cycle scolaire est envisagée, l’article 133 de la loi de finances initiale pour 2009 (12) la conditionne à la réalisation d'une étude d'impact transmise au Parlement et précisant les modalités de son financement. Par ailleurs, un groupe travail dédié à la question de la PEC doit être prochainement constitué.

2.– Un coût juridique qui n’est pas à écarter : le risque d’une contradiction avec le droit communautaire

La PEC étant destinée aux seuls Français expatriés, il n’est pas exclu que le dispositif puisse se voir opposer les principes de non-discrimination et d’égalité de traitement entre les ressortissants communautaires.

Rappelons, à titre de comparaison, que l’instauration de la gratuité d’accès aux musées et monuments nationaux pour les jeunes de moins de 26 ans (13) avait soulevé un débat analogue. De fait, la mesure bénéficie à la fois aux jeunes Français et aux jeunes résidant dans un pays de l’Union européenne (14).

Afin de parer à toute éventualité et de sécuriser, le cas échéant, la PEC, il conviendrait donc d’identifier et d’analyser le risque d’une contradiction entre le dispositif tel qu’il est mis en œuvre actuellement et les principes de droit communautaire (15).

3.– Un coût financier exponentiel et difficilement maîtrisable

a) Une « gratuité » à 700 millions d’euros à terme ?

Le coût exponentiel du système de prise en charge s’avère aujourd’hui problématique, son éventuelle généralisation paraissant peu compatible avec l’économie générale du réseau d’enseignement français à l’étranger et plus encore avec l’équilibre global des finances publiques. L’ensemble des témoignages recueillis par la MEC et portés tant par des élus que par des représentants de l’administration, par des parents d’élèves, des représentants du personnel de l’AEFE, des chefs d’établissements ou des entreprises convergent sur ce point.

La mise en place de la PEC s’est accompagnée d’un abondement de l’action n° 2 du programme 151 Français à l'étranger et étrangers en France d’environ 20 millions d’euros supplémentaires par an. Au total, 66 millions d’euros de crédits auront été inscrits au titre de cette action en 2008, 86 millions d’euros en 2009 et 106,3 millions d’euros en 2010. Ce montant atteindra vraisemblablement 126,3 millions d’euros pour 2011.

De fait, un tel effort financier a permis de porter à près de 29 000 le nombre d’élèves bénéficiant d’une aide à la scolarité (28 740) (16) : 8 891 au titre de la PEC et 19 849 au titre des bourses scolaires (17).

Si la PEC devait rester cantonnée au seul second cycle de l’enseignement secondaire – hypothèse d’un « moratoire » –, et d’après les prévisions réalisées en extrapolant l’évolution observée depuis 2007 – soit une augmentation moyenne de 5 % par an du nombre de bourses et de PEC et de 12 % du coût moyen d’une aide –, le coût total estimé des bourses et de la PEC atteindrait 107,4 millions d’euros en 2010, 126,3 millions d’euros en 2011, 150 millions d’euros en 2012 et 177 millions d’euros en 2013.

Au sein de cet ensemble, les montants relatifs à la seule PEC représenteraient 39,3 millions d’euros en 2010, 47,4 millions d’euros en 2011, 55,8 millions d’euros en 2012, et 65,6 millions d’euros en 2013. Ainsi, sur quatre ans, la charge financière de la PEC augmenterait de près de 67 %.

Si, à la rentrée 2011, la mesure devait être étendue à la classe de troisième, le coût global des aides à la scolarité (bourses et PEC) passerait de 126,3 millions d’euros à 144 millions d’euros. Pour 2012, l’application de la PEC à la classe de quatrième entraînerait une augmentation de 47 millions d’euros du coût global, passant de 150 millions d’euros à 197 millions d’euros. Si l’extension devait bénéficier à la classe de cinquième en 2013, le coût passerait de 177 millions d’euros à 265 millions d’euros. Sur la même période de quatre ans (2010–2013), le coût global des aides à la scolarité connaîtrait alors une croissance de 147 %.

COÛT PRÉVISIONNEL DES AIDES À LA SCOLARITÉ 2010-2013

(en millions d’euros)

Année civile

2010

2011

2012

2013

Avec moratoire sur la PEC

107,4

126,3

150

177

Avec extension de la PEC

144

197

265

Enfin, si la PEC devait être étendue à l’ensemble des cycles scolaires, primaire et secondaire (18), le coût pour les finances publiques pourrait atteindre quelque 700 millions d’euros.

b) Des mesures de régulation qui ne sont pas à la hauteur de l’enjeu financier

Face à la dynamique des coûts, le ministère des Affaires étrangères et européennes s’est résolu à introduire certaines mesures de régulation. Au terme d’une concertation menée avec l’ensemble des interlocuteurs concernés, cinq mesures ayant vocation à contenir la progression des dépenses ont été validées par le ministère :

– pour l’ensemble des dossiers (demandes de bourse ou de prise en charge) : sauf cas de force majeure, tous les dossiers déposés hors délai sont désormais irrecevables (19) ;

– pour les bourses scolaires et parascolaires :

● le « coefficient K » (20) a progressé de 5 points et a été porté de 20 à 25 % dans tous les pays, hormis aux États-Unis où il a été fixé à 35 % ;

● par ailleurs, lorsque les contrôles sur les bourses parascolaires laissent apparaître leur inutilisation pour des raisons injustifiées, il sera mis fin aux versements l’année suivant ce constat.

– pour les fratries éligibles à la fois aux bourses et à la PEC : les droits à bourses sont dorénavant calculés en tenant compte du coût réel des droits d’écolage à la charge des familles, en excluant par conséquent le montant des droits couverts pas la PEC ;

– pour la PEC stricto sensu (élèves non éligibles à une bourse sur critères sociaux) : le montant des droits couverts par la PEC stricto sensu a été cristallisé dans les établissements homologués sur la base des tarifs en vigueur lors de la mise en œuvre de l’engagement présidentiel, ceci afin de limiter l’impact des fortes augmentations de droits d’écolage constatées.

Toutefois, pour utiles et nécessaires qu’elles soient, de telles mesures ne sont nullement à la hauteur des enjeux financiers. En effet, leur impact en termes d’économies reste modeste. Estimées – sous réserve d’un taux de change constant et d’une évolution contenue du nombre de bénéficiaires et du montant des droits d’écolage – à 2,7 millions d’euros pour 2010, ces économies atteindraient 4,4 millions d’euros en 2011 et 3,9 millions d’euros en 2012. Elles représenteraient donc, pour cette dernière année, et dans l’hypothèse d’un moratoire sur la PEC, 2,6 % seulement du montant global des aides à la scolarité (21).

4.– Un coût politique et social : effets d’éviction, effets d’aubaine et inéquités

Mesure généreuse à l’endroit de nos concitoyens expatriés, le dispositif de prise en charge est, au-delà de la stricte problématique financière, porteur de risques et d’effets collatéraux qui en ternissent le bilan et plaident pour une réforme profonde.

a) Un effet d’éviction des élèves locaux, garants de l’équilibre économique du réseau et porte-voix de la culture française

La prise en charge des droits d’écolage bénéficie aux seuls élèves ayant la nationalité française (22). De fait les élèves étrangers en sont exclus : élèves locaux possédant la nationalité du pays d’accueil concerné, ressortissants de pays tiers (23), ressortissants de l’Union européenne (24).

Rappelons qu’aux termes de l’article 2 de la loi n° 90-588 du 6 juillet 1990 portant création de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE a pour objet « de contribuer, notamment par l’accueil d’élèves étrangers, au rayonnement de la France et de la culture française ».

Par ailleurs, et selon le même article, l’AEFE a pour mission « d’aider les familles des élèves français et étrangers à supporter les frais liés à l’enseignement élémentaire, secondaire ou supérieur de ceux-ci, tout en veillant à la stabilisation des frais de scolarité ».

Or il est à craindre que, du fait de la mise en œuvre de la PEC, ces deux missions – aide aux familles d’expatriés d’une part, accueil d’élèves étrangers d’autre part – soient de moins en moins compatibles. En effet, face au succès rencontré par la PEC auprès des familles françaises et binationales, on constate une diminution tendancielle du nombre d’élèves étrangers dans les établissements du réseau AEFE. À cet égard, la situation marocaine est révélatrice : sur trois ans, entre les rentrées scolaires 2007 et 2009, le nombre d’élèves français et binationaux a crû de 10 % tandis que la part des élèves marocains a diminué de 4,5 %. En 2009, pour la première fois, la part des élèves marocains dans le réseau AEFE est tombée à un niveau inférieur à 50 % (48,2 %).

RÉPARTITIONS DES ÉLÈVES PAR NATIONALITÉ DANS LE RÉSEAU AEFE AU MAROC

Nationalité

Rentrée scolaire 2007

Rentrée scolaire 2009

Évolution sur trois rentrées scolaires (2007-2009)

Nombre d’élèves

Part

Nombre d’élèves

Part

Français

3 834

21,5 %

4 162

22,9 %

+ 8,5 %

Binationaux

3 832

21,5 %

4 264

23,5 %

+ 11,3 %

Total Français

7 666

43 %

8 426

46,4 %

+ 10 %

Marocains

9 146

51,3 %

8 439

48,2 %

- 4,5 %

Nationalités tierces

1 015

5,7 %

982

5,4 %

- 3,2 %

TOTAL

17 827

100 %

18 148

100 %

+ 1,8 %

Il est évident qu’un tel effet d’éviction, s’il s’avérait massif, serait triplement dommageable.

Il serait d’abord néfaste à l’équilibre économique du réseau. En effet, face à une croissance soutenue et structurelle des droits d’écolage d’une part et confrontés à un risque de diminution des sommes versées au titre des bourses d’autre part (celles-ci pouvant être « cannibalisées » par le dispositif de PEC) (25), il n’est guère surprenant que les parents d’élèves étrangers choisissent, souvent à contre cœur, de sortir leurs enfants du réseau AEFE pour se tourner vers des systèmes concurrents. Or les droits d’écolage antérieurement acquittés par les familles françaises étant dorénavant supportés par l’État via la PEC, c’est donc sur les parents d’élèves étrangers que pèse in fine une partie de la charge financière nécessaire au fonctionnement du système. Si ceux-ci devaient quitter en masse notre réseau, son équilibre économique pourrait donc s’en trouver gravement compromis. Par une sorte d’effet ricochet, il n’est pas non plus exclu qu’à terme, face à une diminution excessive du nombre d’élèves locaux, les autorités du pays d’accueil retirent au réseau français la jouissance d’établissements propriétés de ce pays (26).

Ensuite, l’éviction des élèves étrangers contreviendrait à l’une des missions fondamentales de l’AEFE : le rayonnement de la langue et de la culture françaises.

Enfin, elle priverait les élèves, Français comme étrangers, des richesses qui naissent de la rencontre de cultures différentes au sein d’un espace commun.

Au total, le risque tient à la disparition d’un réseau ouvert au profit de la constitution d’un réseau majoritairement franco-français.

b) Un potentiel effet d’aubaine pour les entreprises : la transformation d’une charge privée en charge publique

Les entreprises françaises opérant à l’étranger participent au financement des droits d’écolage incombant à leurs salariés parents d’élèves. Ainsi, cette charge est prise en compte par les contrats d’expatriation qui formalisent les éléments de rémunération afférents à la situation spécifique des salariés français ayant vocation à exercer leur profession en dehors du territoire national.

Or la PEC opère un transfert de la charge supportée par les familles vers l’État. Par conséquent, les entreprises sont susceptibles de bénéficier d’un effet d’aubaine les incitant à renoncer à leur responsabilité de financeur – indirect – du réseau. Rappelons que le bénéfice de la PEC est subordonné, notamment, à la condition que l’employeur ne prenne pas lui-même en charge les frais de scolarité.

De fait, le désengagement des entreprises dans la couverture des droits d’écolage des enfants de leurs collaborateurs est avéré, même s’il reste, à ce stade, progressif compte tenu de la relative nouveauté du dispositif de PEC. Ainsi que l’a indiqué M. Yves Girouard, président du Cercle Magellan (27), à la MEC : « dans leur très grande majorité, nos adhérents continuent de payer mais […] plusieurs examinent l’hypothèse d’arrêter, vu la réduction des coûts imposée par les directions générales dans le contexte de crise actuelle » (28). M. Stéphane Romatet, directeur de l’Administration et de la mondialisation au ministère des Affaires étrangères et européennes corroborait ce constat, déclarant qu’un « désengagement des entrepreneurs individuels commence […] à se produire », et que si « les sièges des grandes multinationales n’ont pas encore donné d’instructions, […] on relève de plus en plus de décisions prises localement par les filiales » (29).

Au total, il est à craindre que ce désengagement se révèle d’autant plus massif à mesure que la PEC sera mieux connue, qu’elle sera, potentiellement, étendue au-delà de la classe de seconde, et que la crise incitera les entreprises à exploiter tous les gisements d’économies possibles. In fine, il est probable que s’opère une transformation progressive d’une charge privée en charge publique, assumée par le contribuable.

c) Des inéquités entre expatriés

L’une des critiques formulées à l’égard de la PEC tient à son caractère potentiellement inéquitable. En effet, contrairement aux bourses, accordées sur critères sociaux, la PEC bénéficie indifféremment à toutes les familles quel que soit leur niveau de revenu. Ainsi, au cours de ses auditions, la Mission d’évaluation et de contrôle s’est-elle vue confirmer cette réalité : des ressortissants français déclarant plusieurs centaines de milliers d’euros de revenu par an sont éligibles à la PEC (30).

Par ailleurs, l’inéquité se manifeste également entre les parents français d’élèves scolarisés à des niveaux différents du cycle scolaire. En effet, à l’heure actuelle, seuls sont pris en charge les droits d’écolage afférents à la scolarisation dans le cycle lycée, de la seconde à la terminale. Ainsi, peuvent coexister, au sein d’un même établissement regroupant les premier et second cycles du secondaire, différents régimes de financement correspondant à différentes catégories d’élèves, dont la prise en charge des droits d’écolage – ou son absence – dépend uniquement de leur positionnement dans le cycle scolaire global.

Aussi, face aux coûts juridique et financier et à la lumière de ce triple constat – effet d’éviction des élèves étrangers, effet d’aubaine pour les entreprises, existence d’inéquités – des évolutions s’imposent.

En effet, la situation de nos finances publiques ne permet pas d’envisager une dépense de quelque 700 millions d’euros à terme (31), si la PEC couvrait l’ensemble de la scolarité, du cours préparatoire à la terminale. C’est pourquoi la Mission tient à formuler une proposition ambitieuse : la suspension du dispositif de PEC au profit d’un système, potentiellement plus généreux mais aussi plus encadré, de bourses accordées sur critères sociaux et soumises à un plafonnement en termes de droits d’écolage.

À dépenses constantes au titre des bourses, la suspension de le PEC se traduirait par une économie de plus de 65 millions d’euros en 2011, de 103 millions d’euros en 2012, et de près de 154 millions d’euros en 2013 (32).

Par cette mesure, l’État pourra abonder des postes sous-dotés (immobilier ou fonds de roulement en particulier), sans peser sur les comptes publics.

Proposition n° 1 : Suspendre le dispositif de prise en charge

Suspendre le dispositif de prise en charge au profit d’un mécanisme de bourses.

Instituer, de façon différenciée selon un barème établi par pays de résidence, un plafond quant aux droits d’écolage pris en charge par les bourses.

B.– DES CHARGES DE PLUS EN PLUS LOURDES ET NON COMPENSÉES

La subvention de l’État à l’AEFE s’impute sur deux programmes budgétaires, les programmes n° 185 Rayonnement culturel et scientifique, pour 420,8 millions d’euros au titre du fonctionnement et des investissements de l’Agence en 2010, et n° 151 Français à l’étranger et affaires consulaires pour les bourses et la prise en charge, 106,3 millions étant dévolus à cet effet en 2010.

Les 420,8 millions d’euros de subventions constituent donc, avec des ressources propres réalisées de 370,52 millions en 2009, la contribution pour charges de service public essentielle au fonctionnement de l’AEFE. L’équilibre financier de l’Agence est compromis sur deux plans : d’abord à cause de transferts de compétences en matière immobilière, sans compensation ; ensuite du fait de l’assujettissement à des contributions sociales nouvelles qui n’est que partiellement compensé.

1.– Immobilier : des transferts de gestion coûteux

Le nombre d’établissements d’enseignement français à l’étranger augmente, comme il a été précédemment indiqué, le réseau de l’AEFE comptait 461 établissements au printemps 2010, à comparer à 452 pour l’année 2008-2009 et à 448 établissements pour l’année précédente.

Comme dans le cas du réseau diplomatique et consulaire, la situation patrimoniale de ces établissements n’est pas toujours simple. Par exemple, le lycée Condorcet de Sydney (conventionné) est une association de droit local australien, le lycée franco-australien Telopea de Canberra est un établissement public australien homologué par l’AEFE.

Jusqu’en 2005, les biens occupés par les établissements scolaires français à l’étranger en gestion directe (EGD) étaient tous gérés par l’État. En 2005, l’AEFE s’est vue reconnaître la possibilité d’engager des opérations immobilières en biens propres et de recevoir en dotation les biens appartenant à l’État. Il était alors prévu que l’AEFE puisse demander, à son rythme, la remise en dotation par l’État de bâtiments lui appartenant.

L’Agence a engagé depuis 2005 un programme ambitieux d’opérations immobilières de constructions neuves (Munich, Dakar, Ho-Chi-Minh Ville, Ankara, Le Caire, Alger, Pékin, Amman, etc.) ou d’extension de sites existants (Londres, Madrid, Francfort, Tananarive, Vienne, etc.). Au titre du transfert de gestion des biens de l’État, elle s’est vue remettre en dotation jusqu’ici douze sites pour lesquels elle a engagé de vastes programmes de remise à niveau (Bruxelles, Valence, Barcelone, Lisbonne, Buenos-Aires, Vienne, etc.). Selon sa directrice Mme Anne-Marie Descôtes, la charge de la rénovation des biens immobiliers transférés à l’AEFE n’aurait été compensée qu’à hauteur de 8 millions d’euros non reconductibles.

Enfin l’Agence a participé au développement des établissements conventionnés en subventionnant leurs projets immobiliers et en se portant acquéreur des terrains devant accueillir les nouvelles constructions, comme à Brasilia et bientôt à Panama, Vientiane, Bogota et Abidjan.

La programmation pluriannuelle immobilière de l’Agence votée au conseil d’administration du 9 mai 2009 conduit à un montant total d’opérations de 233 millions d’euros. Cette somme considérable s’explique par le fait que, selon les magistrats de la Cour des comptes, le parc immobilier de l’Agence souffre d’une insuffisance d’entretien depuis environ 25 ans. Il est prévu de consacrer 58 millions aux investissements en 2010.

Dans les faits, la situation financière de l’AEFE est rendue difficile par le poids de la prise en charge des frais de scolarité des élèves français à l’étranger et par les charges de pensions. La satisfaction de besoins immobiliers, dont la définition est d’ailleurs incertaine, n’est pas encore prioritaire, du fait de cette contrainte : la connaissance de l’étendue et de l’état du parc immobilier est imprécise, l’estimation des seuls coûts urgents d’entretien pour la seule remise à niveau de l’existant varie de 30 millions à 50 millions d’euros. Cette situation a été qualifiée de « bombe à retardement » par les responsables du Quai d’Orsay auditionnés par la Mission d’évaluation et de contrôle le 18 février 2010.

Le décret n° 2008-1248 du 1er décembre 2008 relatif à l’utilisation des immeubles domaniaux par les services de l’État et ses établissements publics a supprimé la procédure d’attribution à titre de dotation au profit des établissements publics et l’a remplacée par un nouveau régime de conventions d’utilisation par lesquelles l’État met à la disposition des établissements publics des immeubles domaniaux. Ces conventions conclues pour une durée limitée déterminent les obligations de l’utilisateur, notamment en ce qui concerne l’entretien de l’immeuble et les travaux à réaliser. La mise en place de cette nouvelle réglementation, qui doit être effective dans un délai de cinq ans, pourrait conduire, dans un délai rapproché, à un transfert à l’AEFE de la gestion de la totalité des établissements scolaires français de son réseau à l’étranger, et des charges qui y sont afférentes. Ces charges étaient estimées à plus de 50 millions d’euros par an par M. Aubin de la Messuzière, Président de la Mission laïque française.

Mme Descôtes, quant à elle, a déclaré à la MEC que « les nouvelles règles de gestion du domaine de l’État nous imposent de recenser tous les biens immobiliers appartenant à l’État dans lesquels nos établissements sont installés, et d’élaborer avant juin, pour chacun, un schéma de programmation immobilière. À partir de 2012, le fait d’utiliser ces locaux nous contraindra, par convention, à verser un loyer mais aussi à constituer des provisions pour entretien et réparations. Cela ne laisse pas de nous préoccuper car ces bâtiments, souvent très beaux et de grande valeur historique, n’ont pas été entretenus depuis longtemps – et leur entretien coûte très cher. »

En fait, le transfert de la gestion à l’AEFE de l’immobilier des 77 établissements en gestion directe n’est pas certain, et les modalités du financement des investissements inéluctables (dotation budgétaire, emprunt, participation des familles…) n’ont pas encore été précisées. Les auditions réalisées dans le cadre de la MEC corroborent ces observations.

2.– Les contributions aux pensions des fonctionnaires détachés : une nouvelle responsabilité

En loi de finances initiale pour 2009, L’augmentation des crédits de l’AEFE s’était expliquée, à hauteur de 120 millions d’euros, par l’assujettissement de l’AEFE au régime normal de contribution des établissements employant des fonctionnaires détachés.

En vertu du décret n° 84-971 du 30 octobre 1984 relatif à la contribution des droits à pension des fonctionnaires détachés, l’AEFE ne contribuait pas au financement des pensions des fonctionnaires qu’elle employait. L’article 3 du décret prévoyait en effet que la contribution pour la constitution des droits à pension n’était pas exigible pour les agents détachés pour exercer un enseignement à l’étranger.

L’article 11 du décret n° 2007-1796 du 19 décembre 2007 a abrogé le décret n° 84-971 précité. Or la Trésorerie générale pour l’étranger (TGE) se référait aux dispositions de l’article 3 du décret n° 84-971 pour dispenser l’AEFE de la contribution employeur aux charges de pensions. L’abrogation prenant effet au 1er janvier 2008, la TGE aurait dû assurer, à cette date, le prélèvement au titre de la rémunération des personnels détachés de la contribution employeur due par l’AEFE. Pour autant, aucun recouvrement n’a été en fait réalisé au titre de l’année 2008, la mesure étant mise en œuvre à partir de 2009.

S’il est difficile de ne pas admettre, sur le principe, que le financement des pensions civiles et militaires doit faire l’objet d’une contribution également répartie entre les ministères et autres structures employeuses des agents de l’État, force est de constater que l’intégration de la charge des pensions au budget de l’AEFE fait peser la menace d’un effet d’éviction sur le reste des dotations de l’Agence. En effet, le besoin de financement des pensions va augmenter fortement ces prochaines années, ce qui pourrait conduire à une contrainte nouvelle sur les subventions à verser à l’AEFE. Il est à noter que le montant de 120 millions d’euros affecté à ce titre en 2009 comme en 2010 était inférieur aux prévisions de l’Agence à l’automne 2008 (124,1 millions d’euros), comme à la prévision d’exécution pour 2009 (126,48 millions d’euros).

Selon le projet annuel de performances pour 2010, le coût des pensions pourrait représenter 143 millions d’euros en 2010, et ce coût pourrait, selon certaines sources, représenter 145 millions d’euros en 2011, 152 millions d’euros en 2012 et 166 millions d’euros en 2013 (Mme Anne-Marie Descôtes a évoqué, pour 2011, un manque de 30 millions d’euros, pour 120 millions d’euros de dotation budgétaire de compensation).

Ainsi la subvention nette à l’AEFE (hors bourses et PEC), inscrite sur le programme n° 185, hors contribution au compte d’affectation spéciale Pensions, s’élevait-elle à 292,67 millions d’euros en 2009 et a été ramenée à 277,82 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2010.

3.– Un fonds de roulement insuffisant à l’acquittement des missions de l’AEFE

Le fonds de roulement de l’AEFE est constitué, depuis 2004, de l’agrégation du fonds de roulement des services centraux et des fonds de roulement des établissements en gestion directe. Cependant, les fonds de roulement des établissements sont à la disposition de ceux-ci et ne peuvent être utilisés par les services centraux de l’AEFE.

Le fonds de roulement des services centraux a progressé jusqu’en 2005 pour atteindre (au 31 décembre) 75,68 millions d’euros, il a diminué depuis pour représenter 45,13 millions d’euros au 31 décembre 2008.

Les perspectives à fin 2009 laissaient apparaître un fonds de roulement pour les services centraux de l’Agence de 18,99 millions d’euros, ce qui représente 11 jours de fonctionnement.

Lors de son audition par la MEC, Mme Anne-Marie Descôtes a indiqué qu’une dotation supplémentaire de 10 millions d’euros avait été allouée à l’AEFE pour 2010, afin d’abonder son fonds de roulement, réduit alors à moins de 15 jours de fonctionnement. Dans le même temps, à la demande du ministère du Budget, l’Agence a pris des mesures de rationalisation sévères qui ont permis de porter le fonds de roulement à 52 millions d’euros, soit une trentaine de jours de fonctionnement (en mars 2010), au prix de l’amputation de certains budgets. L’agrégation des fonds de roulement des 36 groupements d’établissements en gestion directe traduit, avec des différences considérables d’un groupement à l’autre, un nombre de jours moyen égal à 90 jours.

Au total, il apparaît donc nécessaire de procéder à un triple recalibrage du budget alloué à l’AEFE.

Proposition n° 2 : Opérer un triple recalibrage budgétaire

1) Recalibrer la dotation budgétaire a due concurrence de la charge que représentent les transferts immobiliers opérés au profit de l’AEFE.

2) Compenser intégralement la contribution de l’AEFE au compte d’affectation spéciale des pensions par une dotation budgétaire équivalente.

3) Assurer à l’AEFE un fonds de roulement équivalent à au moins 30 jours de fonctionnement, en ajustant le cas échéant sa dotation budgétaire.

C.– LE FINANCEMENT DU RÉSEAU : STABILISER ET CONSOLIDER LES RESSOURCES, CLARIFIER LES COMPTES

1.– Explorer et développer de nouvelles voies de financement

Il est certes peu probable qu'aucune voie de financement « non traditionnelle » puisse jamais rivaliser avec les deux piliers que représentent les crédits budgétaires et les droits d'écolage acquittés par les familles. Toutefois ce constat pragmatique ne saurait disqualifier ipso facto le recours à des ressources extérieures innovantes. Si celles-ci ne constitueront jamais qu'un financement d'appoint au regard des grandes masses financières traditionnelles, elles peuvent malgré tout permettre de desserrer quelque peu les contraintes qui pèsent sur un réseau pour lequel toute bouffée d'oxygène, si modeste fût-elle, reste précieuse.

a) Le recours au mécénat

La loi du 1er août 2003 relative au mécénat, aux associations et aux fondations (33) a donné un nouvel élan aux financements innovants. Des dispositions fiscales incitatives, codifiées aux articles 200 et 230 bis du code général des impôts, permettent respectivement :

– aux personnes physiques de bénéficier d’une réduction d'impôt sur le revenu égale à 66 % du montant des sommes prises en compte au titre du mécénat, dans la limite de 20 % du revenu imposable ;

– aux entreprises assujetties à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés de bénéficier d’une réduction d'impôt égale à 60 % du montant des versements effectués au titre du mécénat, dans la limite de 5 pour mille de leur chiffre d'affaires.

La MEC a conscience que plusieurs arguments, d’ordre technique ou politique, peuvent être opposés au développement du mécénat en faveur de l’AEFE.

Tout d’abord il convient de rappeler que les sommes versées au titre du mécénat le sont au profit de structures spécifiques : fondations ou associations reconnues d’utilité publique, organismes d’intérêt général, fondations d’entreprises ou universitaires etc. Pour que l’AEFE puisse bénéficier de tels financements, il conviendrait au préalable de créer une structure dédiée, vouée à collecter et recevoir les dons de particuliers (anciens élèves notamment mais également personnes extérieures sensibles aux missions de l’AEFE) et d’entreprises. Une analyse technique devrait par conséquent être menée en amont afin de déterminer la forme juridique la plus appropriée.

Par ailleurs, les entreprises, dans l’hypothèse où elles seraient effectivement prêtes à s’engager dans la voie du « mécénat éducatif », souhaiteraient pouvoir flécher leurs dons. Elles entendent en effet pouvoir répondre à leurs besoins et à ceux de leurs salariés parents d’élèves expatriés. La participation des entreprises à un « pot commun » dont l’affectation des ressources échapperait totalement à leur accord serait par conséquent fort peu envisageable (34).

Toutefois le recours au mécénat de compétences permettrait de répondre à ces réticences. Celui-ci s’analyse en une mise à disposition de personnel de l’entreprise mécène pouvant notamment prendre la forme d’une prestation de service ou d’un prêt de main-d’œuvre. En particulier, les entreprises de BTP pourraient apporter leur concours au réseau en matière immobilière.

Enfin, force est de constater que la situation de nos finances publiques, aggravée par la crise économique et financière actuelle, ne favorise par la création ou l’extension de dispositifs fiscaux incitatifs. Si l’instauration d’une nouvelle dépense fiscale, aussi légitime que soit sa vocation, ne semble une piste de réflexion prometteuse à moyen terme, il convient néanmoins d’en analyser la faisabilité en faveur de l’enseignement français à l’étranger.

S’il paraît malaisé de mobiliser le mécénat traditionnel à court terme, le recours à certaines formes de partenariats peut constituer solution originale et fiscalement responsable de soutien à notre réseau d’enseignement à l’étranger.

Ainsi conviendrait-il de développer le dialogue entre le réseau et les collectivités territoriales notamment compétentes en matière d’immobilier scolaire. Certes l’état actuel des finances locales ne permet pas une implication financière forte et directe des collectivités (35). Par ailleurs, il n’est pas certain que celles-ci aient la volonté de contribuer au financement d’une politique menée hors de nos frontières et qui ne concerne pas directement leurs territoires.

En revanche, les collectivités sont conscientes que l’enseignement français à l’étranger constitue l’un des piliers de notre rayonnement culturel et que le développement de nos échanges commerciaux – donc de leurs territoires – en dépend pour partie. En dehors d’une participation strictement financière, les collectivités pourraient alors mettre certaines de leurs compétences techniques au service du réseau. Notamment, le concours des régions et départements en matière de construction et rénovation de l’immobilier scolaire (lycées et collèges) pourrait permettre de mieux identifier les besoins du réseau et, potentiellement, de diminuer les devis.

b) Valoriser la « marque France »

Notre réseau est efficace. Sa qualité est unanimement reconnue. Les familles, françaises comme étrangères, qui choisissent d’y inscrire leurs enfants, effectuent cette démarche car elles sont assurées d’y trouver un enseignement performant et adapté aux besoins des élèves. En d’autres termes, elles recherchent le label « Éducation nationale française ».

De fait, une telle « demande de France », en constante progression, profite notamment aux établissements homologués, lesquels perçoivent à ce titre des ressources sous la forme de droits d’écolage. Être dépositaire de la « marque France » constitue donc une garantie d’activité et de financement aux établissements homologués du réseau. Par conséquent, il ne paraît pas illégitime de chercher à valoriser au mieux cette image de marque dans une optique gagnant-gagnant, bénéfique aux établissements homologués comme à l’AEFE.

Ainsi que l’a souligné Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’AEFE, les établissements privés uniquement homologués « utilisent […] le label d’établissement français pour recruter – et, assez souvent, pour justifier des frais de scolarité élevés –, leurs élèves français reçoivent des bourses ou des aides, l’AEFE leur fournit informations et conseils, leurs enseignants peuvent participer à des stages de formation pédagogique et, enfin, ils bénéficient des services de l’inspection générale. Tout cela justifierait une rétribution, dans le cadre d’un engagement contractuel » (36).

Il pourrait donc être institué un prélèvement sur le chiffre d’affaires des quelque 213 établissements homologués, au titre de l’utilisation de la « marque France ». À tout le moins, une partie des sommes actuellement prélevées auprès de ces établissements pourrait être sanctuarisée sur ce fondement.

c) Mobiliser nos partenaires au niveau local

Le réseau d’enseignement français à l’étranger est un réseau ouvert. Outre des élèves français expatriés, il accueille également des élèves locaux et des ressortissants de pays tiers (37).

Aussi, la participation financière des autorités locales au maintien et au renforcement de notre réseau peut – et doit – être recherchée. L’analyse des réglementations locales et les échanges avec les autorités publiques des différents niveaux – central, déconcentré, fédéral, fédéré – doivent se développer afin d’obtenir, chaque fois que cela est possible, la contribution de nos partenaires au financement d’un réseau ouvert à tous.

D’ores et déjà, des démarches sont menées en ce sens. Toutefois, elles semblent n’être entreprises que ponctuellement, au gré de la plus ou moins grande implication des animateurs du réseau. Aussi convient-il de systématiser les actions de mobilisation de nos partenaires locaux. Nos postes diplomatiques pourraient être utilement sollicités afin d’apporter à l’AEFE et aux établissements assistance et expertise dans ce domaine.

Par ailleurs, les établissements de notre réseau doivent chercher à obtenir de la part des autorités locales l’accréditation leur permettant, le cas échéant, de bénéficier de subventions.

Le cas du lycée français fournit un bon exemple de cette recherche active de financements publics locaux. M. John Mac Coll, président de la commission des Affaires culturelles, de l’enseignement et de l’audiovisuel de l’Assemblée des Français de l’étranger l’a exposé à la mission d’évaluation et de contrôle en ces termes : « À Sydney, nous avons obtenu l’accréditation locale immédiatement : nos lycées scolarisent des enfants de détachés, mais aussi des enfants résidents. Nos amis Australiens nous ont proposé de scolariser leurs enfants résidents et de nous donner une subvention. Ainsi, aujourd’hui, les autorités australiennes nous apportent plus de 1 million de dollars pour les 650 élèves du lycée de Sydney. Scolariser des enfants français n’est donc pas simplement une charge : c’est aussi un investissement. » (38).

Proposition n° 3 : Ouvrir l’éventail des partenariats et des financements

1) Étudier la possibilité de mobiliser le mécénat en faveur de l’enseignement français à l’étranger.

À cette fin, identifier les évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour permettre un tel recours au mécénat.

2) Favoriser et développer les démarches de projet avec les collectivités territoriales.

3) Instituer, au profit de l’AEFE, un prélèvement assis sur le chiffre d’affaires des établissements homologués au titre de l’utilisation par ceux-ci de la « marque France ». À tout le moins, sanctuariser sur ce fondement une partie des sommes déjà acquittées par ceux-ci.

4) Analyser les réglementations locales et systématiser les démarches entreprises auprès des autorités locales de tous niveaux afin d’identifier les contributions financières pouvant être versées par celles-ci à notre réseau.

5) Obtenir, chaque fois que cela est possible au regard des réglementations locales, l’accréditation ouvrant droit, le cas échéant, à l’obtention de subventions publiques de la part des autorités publiques locales concernées.

2.– Pour une double clarification des financements

a) Encadrer l’évolution des droits d’écolage pour plus de visibilité

Les droits d’écolage demandés aux familles croissent de manière exponentielle. Ainsi, depuis trois ans, l’augmentation moyenne annuelle est de l’ordre de 10 %. L’an dernier, la croissance des frais de scolarité a même atteint 18 %. Ainsi qu’il a été indiqué aux rapporteurs, au Maroc, fer de lance du réseau (39), les droits d’écolage ont augmenté de 40 % en trois ans.

Or il ne faudrait pas que les droits d’écolage atteignent un niveau si élevé qu’ils seraient difficiles à supporter pour les familles françaises (pour les cycles qui ne bénéficient pas actuellement de la PEC), pour les familles étrangères, ou pour l’État (qui prend en charge, partiellement ou totalement, les frais de scolarité des Français via les bourses et la PEC).

Aussi, dans l’intérêt de tous les acteurs du réseau, la MEC propose d’élaborer, pour chaque pays, un document d’orientation pluriannuel encadrant le montant des droits d’écolage et déterminant les possibilités de modulation de ceux-ci sur le moyen terme. Cet encadrement devra tenir compte du niveau de richesse du pays concerné. De tels plans lieraient les établissements du réseau. Ils pourraient toutefois être révisables, en cas de circonstances exceptionnelles.

b) Améliorer la présentation des comptes pour plus de clarté et de sincérité

Pour l’accomplissement de ses missions, l’AEFE gère des ressources importantes (40). Par conséquent, il est indispensable que l’Agence et les établissements respectent au mieux les principes de clarté et de sincérité budgétaires.

En effet, d’après les informations recueillies par la Mission d’évaluation et de contrôle (41), il semblerait que des progrès soient encore à réaliser quant à la tenue des comptes, ceux-ci n’étant pas toujours d’une grande lisibilité.

Si les règles de comptabilité analytique ne sont pas forcément adaptées en l’espèce, eu égard aux missions assumées par le réseau, il convient à tout le moins d’améliorer la présentation des comptes, tant au niveau « central » – l’AEFE – qu’au niveau « déconcentré » – les établissements. La gestion de fonds publics – a fortiori lorsque leur montant est important – implique nécessairement la plus grande clarté possible dans la tenue des comptes.

Proposition n° 4 : Améliorer la visibilité des financements et des comptes

1) Élaborer, pour chaque pays, une grille de tarification formalisée au sein d’un plan pluriannuel.

2) Encadrer les droits d’écolage en déterminant les possibilités de modulation de ceux-ci en fonction du niveau de richesse de chaque pays.

3) Améliorer la présentation des comptes de l’AEFE et des établissements du réseau pour davantage de clarté et de sincérité.

III.– ADAPTER L’OFFRE AUX DEMANDES DANS UN CADRE BUDGÉTAIRE CONTRAINT

A.– DÉTERMINER UNE STRATÉGIE CLAIRE D’ÉVOLUTION DU RÉSEAU

1.– Identifier les besoins à moyen-long terme

Pour des raisons historiques évidentes, le réseau d’enseignement français à l’étranger se caractérise par une concentration des établissements au sein de certaines régions, notamment en Europe et en Afrique du Nord. Or ce réseau ne correspond pas toujours aux priorités de notre diplomatie d’influence, telles que définies, par exemple, par le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, dont les travaux ont été présidés par MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer (42).

Il n’est certes pas question pour l’AEFE de créer des implantations ex nihilo et de combler tous les vides géographiques de l’enseignement français à l’étranger. Toutefois, il paraît nécessaire d’adapter au mieux la carte scolaire aux nouvelles réalités diplomatiques et économiques internationales. La nouvelle physionomie du réseau devrait notamment, autant que possible, faire écho aux objectifs fixés dans le Livre blanc.

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE indique que l’Agence doit effectivement traduire les nouvelles orientations en matière de diplomatie d’influence, et mettre son réseau au service des orientations diplomatiques de la France.

Ainsi, il convient d’élaborer une cartographie prospective du réseau, répondant aux besoins de moyen-long termes, identifiés et évalués en fonction notamment :

– de la présence de nos expatriés et de nos entreprises ;

– des besoins de scolarisation des familles locales ;

– des intérêts diplomatiques en jeu ;

– de l’importance de nos échanges culturels et commerciaux avec chaque pays considéré.

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE reconnaît d’ailleurs cette réalité lorsqu’il affirme que l’offre d’enseignement doit s’inscrire au sein d’un réseau qui permette la continuité sur l’ensemble des continents et la conformité – « l’exacte articulation » – de la carte des implantations avec les orientations diplomatiques de la France, le renforcement de la présence française dans les pays émergents, notamment en Asie et le redéploiement des moyens publics entre les zones géographiques.

S’il semble que le principe d’élaboration d’une cartographie du réseau soit acquis, ce dont la MEC se félicite, il convient de la mener rapidement à terme. En ce sens, sa proposition a valeur de rappel insistant.

2.– Assurer la cohérence d’un futur plan de développement de l’enseignement français à l’étranger

L’établissement d’un document prospectif est d’autant plus urgent que le ministre des Affaires étrangères et européennes a été chargé de présenter un plan de développement de l’enseignement français à l’étranger (43). Or il serait impensable qu’un tel plan fût déterminé sans une nécessaire réflexion en amont portée par la cartographie prospective du réseau. Cette étude doit servir de base pour établir et mener une politique cohérente de rénovation – voire d’implantation – d’établissements et pour en déterminer le statut le plus adapté aux circonstances locales.

En effet, si de l’avis unanime des personnes auditionnées par la MEC il ne peut être question, à l’heure actuelle, que du maintien du périmètre existant, il n’est pas exclu qu’à la faveur d’un changement de circonstances – retour de la croissance économique, réforme du dispositif de prise en charge, développement de financements innovants, recalibrage des crédits budgétaires etc. – le réseau puisse s’étendre à l’avenir.

Par ailleurs, le maintien de la qualité du réseau comme la nécessité d’un bon emploi des deniers publics exigent un suivi régulier et poussé des établissements, quel que soit leur statut. Aussi, la MEC propose de généraliser le principe des chartes d’établissement, notamment en direction des établissements homologués. Formalisées et signées avec l’AEFE, elles préciseraient les droits et obligations attachés au statut. Le contrôle des établissements serait renforcé, avec une possibilité – réelle et non purement théorique – de déchéance du statut le cas échéant. En effet, ainsi que M. François Perret, doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale, l’a affirmé devant la MEC, « Il faut […] souligner l’insuffisance du suivi et du contrôle de l’enseignement français à l’étranger, qui devraient théoriquement pouvoir aller jusqu’à la suppression de l’homologation. » (44).

Proposition n° 5 : Adapter le réseau aux besoins nouveaux :
de la carte prospective du réseau aux chartes d’établissement

1) Établir une cartographie de nature prospective du réseau reposant notamment sur les besoins identifiés à moyen-long terme, évalués notamment en fonction de la présence des expatriés français, des entreprises françaises, des besoins de scolarisation des familles locales, des intérêts diplomatiques de la France dans chaque zone considérée et de l’importance des échanges culturels et commerciaux entre la France et chaque pays considéré.

2) S’appuyer sur la cartographique prospective du réseau pour établir et mener la politique de rénovation/implantation des établissements et déterminer le statut le plus adapté aux circonstances et réalités locales.

3) Généraliser les chartes d’établissement précisant les droits et devoirs attachés au statut d’établissement homologué.

4) Renforcer le contrôle de ces établissements avec la possibilité de déchéance du statut le cas échéant.

B.– DÉSAMORCER LA BOMBE À RETARDEMENT IMMOBILIÈRE

1.– Établir un diagnostic précis du parc immobilier et définir un plan d’investissement pluriannuel cohérent

Le parc immobilier du réseau se caractérise par son extrême diversité : diversité de statuts impliquant une diversité des coûts afférents, diversité quant à l’étendue des implantations, diversité quant à leur état de conservation.

Ainsi, les établissements en gestion directe (EGD) occupent-ils des biens :

– affectés au ministère des Affaires étrangères et européennes pour lesquels l’AEFE ne paie pas de redevance domaniale : il s’agit soit de biens domaniaux dont l’État français est propriétaire ou dont il détient la jouissance, soit d’établissements remis en dotation à l’AEFE (45), propriété de l’État (46;

– acquis par l’AEFE en son nom propre (47) ;

– pris à bail par l’AEFE en son nom propre.

Les établissements conventionnés, quant à eux, occupent des biens domaniaux dont l’État est soit propriétaire, soit locataire. En contrepartie de la jouissance de tels biens, les établissements conventionnés acquittent une redevance domaniale.

Enfin, cinq établissements homologués occupent des biens domaniaux.

La diversité des statuts et des occupations constitue un premier frein à la construction d’une vision globale du patrimoine immobilier du réseau et à la conduite d’une politique cohérente et coordonnée. Toutefois, la préoccupation majeure reste l’état de conservation des établissements.

En effet, si de l’avis quasi-unanime des personnes auditionnées par la Mission, le réseau « en dur » n’a pas vocation à s’étendre eu égard aux contraintes budgétaires actuelles, il n’en demeure par moins que certains éléments du patrimoine existant sont globalement vétustes et peu fonctionnels. Par comparaison, certaines implantations sont nettement inférieures aux standards des établissements neufs ou rénovés en France depuis les lois de décentralisation.

Or les établissements de notre réseau sont, au sens quasi littéral du terme, la vitrine de notre pays et de notre système d’enseignement. Cependant, de l’aveu même de la tutelle de l’AEFE, « l’État propriétaire a mal assumé ses obligations d’entretien du parc scolaire, en pleine expansion au cours des dernières années » (48). Le retard pris quant à l’entretien du parc est aujourd’hui préoccupant. D’aucuns estiment même que, depuis plus de 20 ans, le réseau pâtit d’une absence globale d’entretien. Le ministère des Affaires étrangères et européennes évalue entre 30 et 50 millions d’euros l’effort financier nécessaire pour procéder à la réalisation de travaux urgents en matière de maintenance, d’entretien, de mise aux normes, et pour permettre un développement raisonnable du réseau.

La MEC estime que ce montant est certainement sous-évalué. De ce point de vue, le déplacement des rapporteurs Rabat s’est révélé particulièrement instructif. En effet, le coût du programme immobilier au Maroc se situerait, selon le niveau d’amélioration défini, dans une fourchette comprise entre 30 millions d’euros – pour les investissements strictement conservatifs – et 85 millions d’euros – avec la prise en compte d’éventuels agrandissements du parc existant. Pour le seul lycée Descartes de Rabat, le montant des travaux nécessaires est évalué entre 12 et 15 millions d’euros (49).

Au total, il est nécessaire de construire un état de lieux précis de notre réseau et d’identifier les besoins de moyen-long terme quant aux opérations de réhabilitation voire de développement. Il s’agira bien entendu de tenir compte des priorités stratégiques exprimées à la faveur de l’établissement d’une cartographie prospective du réseau (cf. supra proposition n° 5).

Une fois ce diagnostic établi, il s’agira de définir un plan d’investissement pluriannuel. Les travaux devront être hiérarchisés selon un ordre de priorité correspondant à l’urgence des opérations considérées, et le calendrier des investissements déterminé à cette aune.

Ainsi qu’il a été rappelé, le choix a été fait, depuis 2006, de transférer à l’AEFE la responsabilité immobilière d’un certain nombre d’établissements en gestion directe. Une dizaine d’établissements ont ainsi été transférés, sans qu’une telle opération donne lieu à une compensation financière intégrale.

Au-delà d’un nécessaire rattrapage financier (cf. supra proposition n° 2) au profit de l’AEFE, il convient d’instituer un moratoire sur tout transfert ultérieur de gestion jusqu’à établissement du diagnostic complet et précis de l’état du parc immobilier et du plan pluriannuel d’investissement.

2.– Dégager les marges de manœuvre financières nécessaires

Le financement des opérations immobilières ne saurait reposer uniquement sur les ressources budgétaires de l’AEFE ou sur le fonds de réserve des établissements (donc sur les droits d’écolage acquittés par les familles). Le financement par recours à l’emprunt est indispensable. Déjà mobilisé, il doit être développé. Le renforcement des possibilités d’emprunt de l’AEFE doit passer par :

– une augmentation de son plafond d’emprunt ;

– un allongement de la durée pendant laquelle les emprunts peuvent être contractés.

Par ailleurs, afin de limiter le coût des programmes immobiliers et de minimiser ainsi l’effort financier qui pèsera notamment sur les familles, il convient d’étudier, avec les autorités locales propriétaires des implantations du réseau, la possibilité de rétrocéder des sites ayant une forte valeur patrimoniale du fait de leur taille ou de leur situation privilégiée (en centre ville par exemple) pour une relocalisation plus périphérique et par conséquent moins onéreuse. En échange de la valorisation, à terme rémunératrice, des biens actuellement occupés en jouissance que la rétrocession permettrait, les autorités locales pourraient prendre en charge le financement des relocalisations.

3.– Développer l’expertise immobilière de l’AEFE

L’établissement de ces diagnostics et plans ainsi que leur mise en œuvre suppose la mobilisation de compétences spécifiques et le développement d’une expertise dédiée à l’immobilier scolaire.

Initialement, la MEC envisageait d’impliquer en ce sens la future Agence foncière de l’État à l’étranger. Ainsi, les établissements du réseau auraient pu être inclus dans son périmètre de compétences et un service spécialisé dans l’immobilier scolaire aurait pu être créé au sein de la Foncière.

Une telle solution présentait a priori un avantage certain : la mutualisation des coûts au sein d’une structure spécifiquement chargée de la gestion immobilière.

Toutefois, à la faveur de ses auditions et déplacements, la Mission a été amenée à revenir sur ce premier mouvement. Tout d’abord, le projet de création de la Foncière à l’étranger semble avoir pris quelque retard. En outre, le choix d’une centralisation de toutes les problématiques immobilières au sein d’un opérateur par trop éloigné des réalités locales priverait certainement le réseau d’une souplesse et d’une réactivité nécessaires. Enfin, l’immobilier scolaire représente un patrimoine très spécifique et la charge de sa gestion éloignerait la future Foncière de son cœur de métier.

Au total, il s’agit de développer l’expertise immobilière « en propre » du réseau lui-même. Le renforcement de la division immobilière de l’AEFE constitue un préalable. Par ailleurs, les compétences de la future Agence foncière de l’État à l’étranger pourraient, autant que de besoin, être mises à sa disposition.

Proposition n° 6 : Mettre en œuvre une stratégie de l’immobilier à l’étranger

1) Établir un diagnostic complet et précis du parc immobilier : son étendue, son état, ses coûts (fonctionnement et investissement), l’état des besoins en termes de réhabilitation et de développement etc.

2) Établir, sur la base du diagnostic immobilier, un plan pluriannuel de mise aux normes des établissements avec hiérarchisation des priorités en fonction de l’urgence des opérations de réhabilitation à réaliser.

3) Instituer un moratoire sur les transferts de gestion immobilière à l’AEFE jusqu’à établissement du diagnostic et du plan de mise aux normes.

4) Étudier avec le ministère du Budget, des comptes publics et de la réforme de l’État la possibilité de renforcer les capacités d’emprunt de l’AEFE notamment dans leur montant et dans leur durée.

5) Négocier avec les autorités locales la rétrocession de sites occupés en jouissance et aisément valorisables en échange de relocalisations financées par leurs soins.

6) Développer l’expertise immobilière de l’AEFE. Renforcer sa division immobilière.

Impliquer la future Agence foncière de l’État à l’étranger en permettant la mise à disposition de ses ressources humaines et techniques. Dans cette optique, formaliser les relations entre l’AEFE et la future Agence par la signature d’une convention.

C.– IMAGINER DES STRATÉGIES DE DÉVELOPPEMENT ORIGINALES

Si le réseau existant n’a pas, dans l’immédiat, vocation à s’étendre, il est possible de renforcer son action en explorant ou en valorisant des voies de développement originales.

1.– Renforcer la coopération avec les autorités et systèmes d’enseignement locaux : pour de nouveaux modes de présence scolaire de la France à l’étranger

Dans certaines zones d’implantation de ses établissements, le réseau français se voit confronté à une réticence croissante des autorités locales à voir se développer sur leur sol un enseignement extra-national concurrent de leur propre système scolaire. Un tel choix politique est par ailleurs parfaitement légitime et compréhensible, et notre propre politique d’enseignement à l’étranger doit s’y conformer de bonne grâce.

À cet égard, le cas du Maroc est emblématique. En effet, il n’est aujourd’hui plus envisageable d’obtenir des autorités marocaines l’autorisation de développer de nouvelles structures d’enseignement français. Les possibilités de croissance externe de notre réseau sont donc nulles. En revanche, des gisements de croissance interne demeurent, via un élargissement raisonnable des capacités d’accueil au sein des établissements existants.

Au-delà, il est nécessaire de prendre en considération la position des autorités locales et d’explorer les voies et moyens d’un maintien fort de notre présence qui soient compatibles avec les agendas politiques locaux. Des partenariats pédagogiques doivent être noués ou développés avec les systèmes éducatifs des pays d’accueil. Il s’agit in fine de construire une nouvelle présence scolaire de la France à l’étranger susceptible d’absorber une partie de la « demande de France », adaptée aux réalités – y compris politiques – locales, répondant aux exigences de qualité scientifique et pédagogique, et économe en deniers publics.

2.– Mobiliser plus efficacement les partenaires de l’enseignement français à l’étranger

a) Renforcer le partenariat avec le CNED et valoriser son action

À la périphérie de notre politique d’enseignement à l’étranger se trouvent différents opérateurs dont l’action est susceptible d’apporter un réel soutien et une valeur ajoutée certaine à notre réseau. Parmi ces opérateurs figurent notamment le Centre national d’enseignement à distance (CNED) et les différentes entités de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) (50), dont les compétences mériteraient d’être davantage mobilisées.

De l’avis unanime des personnes auditionnées par la MEC, le CNED est un formidable outil… malheureusement sous-utilisé dans le cadre de l’enseignement français à l’étranger. Par conséquent, la MEC estime qu’il est primordial de renforcer la coopération entre cet établissement aux performances reconnues et l’AEFE. Ainsi que l’a assuré M. Michel Leroy, directeur général du CNED : « Le CNED est prêt à jouer ce rôle d’acteur complémentaire qu’on attend de lui, au service de l’enseignement français à l’étranger. » (51).

Rappelons que le CNED, établissement public des ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, permet à de nombreuses familles expatriées isolées, à celles dont les enfants ne peuvent être accueillis dans les établissements scolaires homologués à programmes français, de les scolariser dans des conditions permettant leur pleine réussite : respect des programmes officiels, qualité des outils et professionnalisme des enseignants. Près de 15 000 enfants s’inscrivent chaque année et bénéficient des formations ainsi dispensées.

Dans le cadre des premières Rencontres mondiales de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger qui se sont déroulées le 9 avril dernier, le CNED et l’AEFE ont signé une convention cadre de partenariat afin de concrétiser leur collaboration dans les domaines de la scolarisation des enfants et de la formation continue des enseignants à l’étranger. Les deux établissements publics sont ainsi convenus de s’associer pour mutualiser leurs ressources et leur expertise dans un objectif commun de continuité pédagogique au service des élèves et des familles. Les collaborations porteront principalement sur :

– la constitution d’une offre de scolarisation conforme aux programmes officiels élaborés par le ministère français de l’Éducation nationale ;

– la diffusion de solutions d’accompagnement éducatif et de soutien scolaire du CNED dans le réseau des établissements de l’AEFE ;

– le développement de la formation continue des enseignants du réseau de l’AEFE.

Par ailleurs, sur la base de cette « convention mère », des conventions particulières avec les établissements du réseau AEFE vont pouvoir se développer (52). La MEC ne peut que saluer un tel rapprochement entre les deux établissements et plaide pour l’extension la plus large possible des conventions particulières aux établissements du réseau.

Il semble en outre nécessaire de développer la promotion du CNED au-delà de seuls expatriés français. Ainsi que le relevait son directeur général, « si le CNED est bien connu des expatriés français et des élites francophones, […] sa réputation ne s’étend pas, pour le reste, au-delà du petit cercle des spécialistes de l’enseignement à distance ». Mieux connu de l’ensemble des parents d’élèves résidant à l’étranger et désireux de faire bénéficier de la qualité de notre système d’enseignement à leurs enfants, le CNED pourrait ainsi devenir un formidable outil de rayonnement culturel et éducatif.

b) Tirer parti de toutes les potentialités de l’Audiovisuel extérieur de la France

La vocation première des différentes entités composant l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) n’est certes pas l’enseignement. Il est toutefois indéniable que celles-ci participent au rayonnement de la langue et de la culture françaises ainsi que de la francophonie. Même si l’enseignement ne constitue pas son « cœur de métier », force est de constater que l’AEF a développé, avec succès, plusieurs outils de qualité qu’il conviendrait de valoriser autant que possible.

France 24 est une chaîne d’information continue. Si, à ce titre, elle porte les valeurs de la France et sa vision du monde (53), elle n’est, assez logiquement, pas impliquée dans le domaine de l’enseignement.

TV5 Monde et RFI en revanche, proposent de nombreux programmes et initiatives plus directement liés à la problématique scolaire.

Ainsi la chaîne francophone multilatérale (54) a-t-elle notamment développé sur son site Internet le programme interactif multimédia « Apprendre et enseigner avec TV5 Monde » à destination de la communauté éducative internationale, du réseau culturel français à l’étranger et des apprenants qui étudient de façon autonome. En 2009, quelque 2,6 millions de pages d’exercices interactifs ont été traités au sein de cette rubrique tandis que 556 000 fiches pédagogiques thématiques avaient été téléchargées.

RFI, quant à elle, propose quotidiennement des émissions pouvant être utilisées dans les classes (55). En outre, son site Internet comporte des ressources pédagogiques à destination des professeurs de français et des apprenants. Les exercices d’écoute et les fiches téléchargeables rencontrent ainsi un succès certain (56).

Enfin, TV5 Monde et RFI mènent des actions de « formation de formateurs » qui bénéficient, en moyenne, à 5 000 enseignants tous les ans. En 2009, 3 000 professeurs de français, notamment en Afrique et en Europe, auront suivi ces formations.

La MEC tient à saluer les initiatives portées par l’Audiovisuel extérieur de la France et estime qu’elles devraient être soutenues et renforcées. Aussi les partenariats avec le ministère de l’Éducation nationale et l’AEFE pourraient être développés, afin d’adapter l’offre éducative de notre audiovisuel extérieur à la demande qui lui est adressée.

Proposition n° 7 : Enrichir les outils et les contenus pédagogiques

1) Développer l’homologation des établissements locaux.

Encadrer la procédure, notamment en subordonnant l’obtention de ce statut à l’acceptation par l’établissement d’un contenu et de techniques pédagogiques spécifiques.

Instituer des contrôles en partenariat avec les inspections locales pouvant aboutir, le cas échéant, au retrait de l’homologation.

2) Étendre les conventions particulières avec le CNED au plus grand nombre d’établissements du réseau AEFE.

Développer les actions de communication et de promotion du CNED à l’étranger.

3) Renforcer les partenariats entre l’Audiovisuel extérieur de la France, le ministère de l’Éducation nationale et l’AEFE afin d’adapter et de développer l’offre éducative audiovisuelle à la demande.

IV.– QUEL RÉSEAU POUR QUELLES MISSIONS ?

Selon la lettre de mission adressée au ministre des Affaires étrangères et européennes, du 27 août 2007, un plan de développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger devait être préparé. Ce plan, qui est toujours attendu, s’inscrit dans le cadre de la diplomatie d’influence, conçue pour répondre aux défis de la mondialisation par le développement de notre influence culturelle.

Dans ce contexte, la place de l’AEFE doit être repensée pour que l’Agence intervienne dorénavant comme un opérateur au service de cette politique. Le renforcement de l’accomplissement des missions éducatives devra être recherché par une meilleure évaluation du réseau, une amélioration de la gestion des enseignants, l’adaptation accrue aux besoins des pays hôtes. Enfin, ces perspectives s’inscrivent dans un cadre budgétaire de réduction des dotations. Comment faire mieux avec moins de moyens ?

A.– QUELLE GOUVERNANCE ?

Il a déjà été indiqué que, dans le paysage de l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE est certes l’opérateur principal, mais non l’acteur unique. Elle exerce son activité à côté d’autres intervenants dans le domaine de l’enseignement (MLF, AIU), du secteur culturel (SCAC, centres culturels, alliances françaises), des entreprises et du cercle Magellan, des opérateurs audiovisuels, etc.

Or l’AEFE est actuellement placée dans une posture complexe. Elle ne couvre pas tout le champ de la politique d’enseignement français à l’étranger, tout en étant destinataire de la majeure partie des moyens budgétaires. La politique de l’enseignement français à l’étranger est, en principe, définie par le MAEE, qui assure, selon les textes, la tutelle de l’Agence. En même temps, l’AEFE apparaît à la fois comme un service du ministère des Affaires étrangères alors qu’elle exerce un rôle de gestion d’établissements scolaires et de personnels.

Comme beaucoup d’autres structures dépendant du MAEE, les circuits de financement qui l’alimentent rendent quasiment impossible la réalisation d’un tableau exhaustif retraçant l’ensemble des flux.

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE, récemment publié, met en évidence que son activité doit maintenant s’intégrer, plus qu’auparavant, dans le cadre coordonné d’un ensemble d’acteurs au service de la diplomatie d’influence.

1.– Sous la direction du ministère des Affaires étrangères, la coordination entre les multiples acteurs doit progresser

L’AEFE n’est pas le seul acteur de l’enseignement français à l’étranger. Pourtant, elle s’est longtemps posée davantage dans la définition et la mise en œuvre de cette politique, sans pour autant coordonner ses activités avec les autres intervenants.

Les auditions ont mis en évidence des exemples d’indifférence, voire d’hostilité, de l’Agence à l’égard des autres partenaires du réseau. M. Aubin de la Messuzière a rappelé la suspicion traditionnelle du MAEE vis-à-vis de la Mission laïque française. Il a rappelé que « l’AEFE était ainsi vent debout contre le développement de la Mission au Maroc que je m’efforçais de favoriser, en réponse aux demandes des familles et en accord avec les autorités marocaines. Lorsque j’étais ambassadeur en Tunisie, l’AEFE considérait également que la MLF n’avait pas vocation à intervenir sur place, y compris lorsqu’il s’agissait d’installer de nouveaux établissements et non de se substituer à elle. »

M. Yves Girouard, président-fondateur du Cercle Magellan, répondant a une question relative aux relations entre le Cercle et l’AEFE, a indiqué que « Le Cercle Magellan, de par sa vocation, a plus de relations avec la Mission laïque française, dont nous tenons à saluer l’excellent travail. La Mission, toujours très réactive face aux besoins des entreprises, implante en général ses établissements là où l’AEFE n’en a pas – depuis quelque temps, elle en reprend certains. […] Nous n’avons, hélas d’ailleurs, que peu de contacts avec l’AEFE. Nous avons rencontré des représentants de l’AEFE en 2005 mais il semble qu’ils n’avaient pas besoin d’informations ni d’échanges avec les entreprises ».

Enfin, il convient d’observer que l’utilisation du Centre national d’enseignement à distance (CNED) ne fait pas l’objet d’une politique définie quant à l’emploi de ses moyens à destination de l’étranger. On peut s’étonner, qu’après la fermeture du lycée français de Conakry, en septembre 2009, il ait fallu plus de six mois pour que les cours du CNED parviennent, en substitution, aux élèves demeurés sur place, même si l’on ne peut méconnaître les contraintes logistiques et financières d’une expédition en Guinée à partir de la France.

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE annonce l’inscription de l’enseignement français à l’étranger dans une offre éducative d’ensemble cohérente, attractive et reconnue, mais en liaison et non sous la direction de la DGM. Il s’agit de développer et formaliser les complémentarités et l’articulation des actions de l’Agence avec un certain nombre d’autres acteurs, au-delà de la MLF : l’ONISEP, le CNED et le CNDP, la CPU, CampusFrance et le nouvel opérateur de mobilité, l’AFD et le CIEP, TV5 et RFI.

L’enjeu est bien de mettre en cohérence les différentes structures d’enseignement, l’accomplissement de cet objectif suppose toutefois un pilotage politique ferme de la part du ministère des Affaires étrangères et européennes, en coordination avec le ministère de l’Éducation nationale.

2.– Le rôle du ministère de l’Éducation nationale doit être renforcé

L’AEFE est placée sous la seule tutelle du MAEE (et, selon la loi de 1990, du ministre chargé de la coopération), en l’espèce la direction générale de la Mondialisation, du développement et des partenariats. À ce titre, le directeur général préside le conseil d’administration de l’AEFE. Au sein de cette direction générale, c’est la direction de la Politique culturelle et du français ainsi que la sous-direction de la Diversité linguistique et du français, qui assurent la tutelle sur l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. Le ministère de l’Éducation nationale (MEN) est largement absent de la mise en œuvre de la politique d’enseignement français à l’étranger. En la matière, sa direction générale de l’Enseignement scolaire intervient en amont puisqu’elle assure, en principe, la tutelle pédagogique sur les établissements scolaires français à l’étranger. L’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), pour sa part, exerce, de façon générale, des fonctions de suivi et de contrôle de l’enseignement français, tant en France qu’à l’étranger.

Dans les faits, alors que la tutelle du MAEE sur l’AEFE s’est exercée jusqu’à présent de façon incertaine, l’action du ministère de l’Éducation nationale apparaît encore plus ténue. M. Bertrand Schneiter (57) considère que le MEN se tient prudemment à l’écart de l’enseignement français à l’étranger, l’architecture même de l’AEFE ne faisant de lui qu’un fournisseur de personnels.

Pour le ministère de l’Éducation nationale, l’enseignement français à l’étranger apparaît cependant déjà comme une référence en matière d’innovation et d’expérimentation. L’excellence de ses résultats (le taux de réussite au baccalauréat des lycées français à l’étranger dépasse de six à sept points la moyenne nationale) atteste qu’il s’agit d’un enseignement de grande qualité.

Le MEN est, sur le principe, déjà appelé à se prononcer en amont, notamment au moyen des missions de l’inspection générale, sur l’homologation des établissements français à l’étranger. Le MEN a également la lourde charge de l’organisation des examens de ces établissements. Il doit également assurer la formation des personnels, en particulier par des stages, parfois organisés par des académies partenaires. Cela étant, ces dernières années, des inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR) ont été affectés à l’AEFE, ce qui a doté l’Agence d’une capacité autonome d’inspection, même si elle continue de relever de l’inspection générale. Cette situation illustre également la faculté de l’AEFE à devenir autonome du MEN y compris sur le plan pédagogique.

En aval, le rayonnement du réseau mérite de bénéficier à l’ensemble de notre système éducatif. Il faut donc accentuer et rationaliser le rôle des académies dans les partenariats avec l’étranger. Réciproquement, il convient de renforcer le rôle du réseau d’enseignement français à l’étranger dans les échanges internationaux des établissements français de métropole et d’outre-mer.

Dans ce contexte, l’apport des académies d’outre-mer aux établissements du réseau situés dans leur aire géographique serait précieux, notamment en matière de formation.

En principe, le plan d’orientation stratégique de l’AEFE propose de replacer le ministère de l’Éducation nationale comme acteur effectif, en préconisant de recourir à l’évaluation externe du dispositif d’enseignement français à l’étranger par l’intégration des lycées français à l’étranger dans les champs d’intervention de la direction de l’évaluation et de la prospective du MEN, afin de mieux suivre les caractéristiques économiques et sociales des publics, les acquisitions des élèves et les performances des établissements. Encore une fois, il est légitime de considérer que l’Éducation nationale devrait avoir le dernier mot en matière de certification du système éducatif, sans préconiser pour autant l’exercice d’une co-tutelle des deux ministères sur l’AEFE.

3.– Vers une plus grande autonomie des établissements ?

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE préconise d’accroître l’autonomie des établissements en gestion directe (EGD), en particulier afin d’en déconcentrer la gestion, en s’accordant sur les plafonds d’emplois, de masse salariale, notamment en élargissant les délégations de compétence, et en envisageant le vote du budget au niveau de l’établissement.

On constate qu’une telle perspective semble inspirée par différentes préoccupations : l’autonomie, mais avec en contrepartie une plus grande rigueur dans la gestion.

Dans les faits, la gestion des établissements, même en gestion directe, procède de considérations avant tout pragmatiques. Les rémunérations des résidents, et a fortiori des recrutés locaux, sont assurément variables d’un pays à l’autre, même si l’AEFE n’a transmis aucun élément d’analyse détaillée des charges de personnel des EGD. La ventilation entre expatriés, résidents et recrutés locaux est également variable, selon l’appétence des enseignants pour exercer dans certains pays plutôt que d’autres, selon aussi la richesse ou l’étroitesse du vivier local.

Dans les faits également, la gestion dépend de multiples intervenants. M. Bertrand Schneiter a observé que le processus de décision est trop aléatoire, laissant trop de place à la mesure au cas par cas. Selon lui, le conseil d’administration de l’AEFE est davantage une instance de concertation que de décision ; il s’apparente à une assemblée générale chargée d’examiner les grandes questions, ce qui ne l’empêche pas d’évoquer des questions relevant de situations particulières. La tutelle du MAEE cumule les échelons locaux (ambassades et consulats) et centraux – ce qui rend les décisions, sinon incohérentes, du moins aléatoires.

On ne peut empêcher le poste diplomatique et consulaire d’intervenir dans les questions scolaires et M. Bertrand Schneiter observe également que « s’il peut paraître difficile d’admettre que les ambassades conservent un poids hiérarchique, c’est, après tout, la contrepartie des statuts mis en place. Vis-à-vis des proviseurs, c’est même plutôt positif. Il faut, en effet, faire très attention au profil de ces derniers. Cela étant, même s’il existe – c’est inévitable – des problèmes ici ou là, le niveau d’alerte est très bas. Le fait que les proviseurs soient dans une position de subordination hiérarchique – théorique – par rapport aux ambassades est préférable au fait de jouir d’une trop grande autonomie ».

On peut effectivement considérer que l’autonomie comme l’exercice de la tutelle doivent faire l’objet d’un équilibre pertinent. C’est d’ailleurs cet équilibre qui inspire, pour l’essentiel le fonctionnement du Quai d’Orsay, qui entend appliquer des orientations de politique étrangère définies à Paris tout en confortant l’ambassadeur comme le représentant unique de la France au plan interministériel sur le modèle des préfets. Il y aurait un paradoxe à dépouiller les ambassadeurs de la maîtrise de tel ou tel domaine dans lequel il pourrait intervenir.

Proposition n° 8 : Clarifier le partage des rôles

1) La direction exercée par le MAEE en matière de politique d’influence doit se manifester par la définition d’une offre éducative d’ensemble cohérente, attractive et reconnue, qui prévoit la coordination et l’articulation des activités des différents acteurs de l’enseignement français à l’étranger.

2) Le ministère de l’Éducation nationale doit assurer l’évaluation et la certification du système éducatif français à l’étranger, comme il en a la charge en France. L’implication des académies situées dans l’aire géographique des établissements doit être améliorée. Le ministère de l’Éducation nationale doit également veiller à la qualité du recrutement et à l’évaluation des enseignants.

3) Le renforcement de l’autonomie des établissements en gestion directe de l’AEFE doit être envisagé avec prudence.

B.– RENFORCER L’ACCOMPLISSEMENT DES MISSIONS ÉDUCATIVES

Le deuxième volet de réorganisation du réseau est celui du renforcement de ses missions éducatives. Il n’est pas question de mésestimer le succès de l’enseignement français à l’étranger qui, soulignons-le à nouveau, constitue un modèle pour de nombreux pays étrangers, et qui a fait la preuve de son efficience par l’excellence de ses résultats, Il s’agit, dans la perspective de la réorientation de notre politique d’influence, de réexaminer les paramètres essentiels de son fonctionnement : l’évaluation des établissements qui le composent, la création d’une politique réelle de gestion des enseignants, l’adaptation du dispositif aux demandes et aux besoins des pays hôtes, l’amélioration du chaînage avec l’enseignement supérieur français.

1.– Un réseau à évaluer

Il a déjà été indiqué que le plan d’orientation stratégique de l’AEFE préconise de recourir à l’évaluation externe du dispositif d’enseignement français à l’étranger par le MEN, notamment pour mieux apprécier les performances des établissements. On considère généralement que l’évaluation est insuffisante, l’inspection générale de l’Éducation nationale ou l’AEFE n’intervenant que pour trancher des situations de crise. Comme en France, les établissements à l’étranger peuvent être l’objet de rumeurs intéressant la communauté éducative (c’est-à-dire les syndicats, les parents d’élèves et l’ambassade), qui entraînent des situations de crise devant faire l’objet d’un traitement rapide.

On peut considérer, avec M. Bertrand Schneiter, que les contrôles doivent être renforcés et d’abord par priorité porter sur les établissements homologués où les gestions sont variées et la population d’enseignants très hétérogène. Le dispositif d’évaluation doit porter avant tout non seulement sur les enseignants mais également sur l’encadrement administratif et la gestion comptable.

2.– Une politique de gestion des enseignants à mettre en œuvre

Le dispositif d’évaluation doit surtout porter sur les enseignants et la réflexion sur l’enseignement français à l’étranger a fait une large part à la question du recrutement, notamment la proportion de titulaires, la formation des enseignants, leur évaluation et le pilotage pédagogique.

a) La proportion de titulaires

Le rapport final de la commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger, présidée par M. Yves Aubin de la Messuzière, remis en juillet 2008, propose de « maintenir la proportion actuelle de 50 % de professeurs titulaires de l’Education nationale » comme de renforcer le pilotage pédagogique du ministère de l’Éducation nationale sur le réseau scolaire français à l’étranger (en associant chaque académie à un pays ou groupe de pays), tout en maintenant la tutelle stratégique du ministère des Affaires étrangères et européennes. C’est d’ailleurs la demande des parents d’élèves, dont les représentants ont été auditionnés par la MEC : « Notre exigence, légitime, de parents d’élèves pour garantir la qualité de ces établissements est que leurs enseignants soient des titulaires. »

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE fait la même préconisation en l’associant à l’idée d’un enseignement français de qualité.

Même si l’on est en droit de considérer que le diplôme ne suffit pas pour faire un bon enseignant, l’on peut reconnaître à la présence en nombre suffisant de professeurs titulaires (expatriés ou résidents) le mérite de créer les conditions d’une émulation et d’une stimulation sur les plans du contenu et de la pédagogie.

Dans les faits, la proportion d’expatriés, de résidents et de recrutés locaux varie selon les situations locales. Dans certains postes, en tout état de cause, il est très difficile de trouver des enseignants sur place, comme il est déjà très difficile d’y envoyer des expatriés. À Hong-Kong ou à Singapour, ce problème n’existe pas ; à Lagos, à Bangui, à Pointe-Noire, à Brazzaville ou Haïti, la situation est plus difficile. Les représentants syndicaux auditionnés par la MEC rapportent que « à Mexico, sur quatorze classes de maternelle, on compte trois titulaires résidents pour onze contractuels locaux. La proportion est la même dans le cycle élémentaire, où l’on trouve un à deux titulaires par niveau, les autres enseignants étant sous contrat local. En Europe, le taux des titulaires résidents est de 80 à 90 %, pour très peu de contractuels locaux. Enfin, dans les pays difficiles, notamment pour des raisons politiques ou économiques, la proportion de résidents est plus importante, en raison de la faiblesse de ce qu’on nomme le « vivier local ». Ils considèrent que « s’il y a plus de recrutés locaux dans les établissements d’Amérique du Sud, c’est pour des raisons historiques – forte présence de l’Alliance française, nombre élevé de résidents français, attrait pour la langue française –, qui justifient que des enseignants locaux se soient investis dans ces établissements ».

La répartition entre personnels expatriés et personnels résidents dépend donc de facteurs locaux. Dans certains pays, où le vivier d’enseignants de qualité est abondant, le contrat de résident est une bonne formule. Dans d’autres, l’envoi de professeurs expatriés demeure incontournable.

Or ces différences de situation ont non seulement des effets sur l’enseignement mais également sur l’équilibre financier des établissements qui supportent la charge des résidents, au moins partiellement.

Dans les faits, la réduction du nombre des expatriés au bénéfice des résidents, voire la diminution du nombre des résidents et l’augmentation parallèle des recrutés locaux, obéit à des motifs purement budgétaires.

Comme l’a indiqué Mme Anne-Marie Descôtes, à l’été 2010, 80 nouveaux postes d’expatriés devraient être supprimés, conformément au budget prévisionnel, alors qu’en 2008, il avait été envisagé la suppression de 600 postes d’expatriés en trois ans. Le nombre d’expatriés rémunérés par l’Agence doit être ramené de 1 254 au 1er septembre 2009 à 1 186 (– 68) au 1er septembre 2010, compte tenu du fait que 12 expatriés seront autofinancés et placés hors plafond.

L’exemple de l’établissement en gestion directe (EGD) de Tananarive, qui regroupe un collège-lycée et quatre écoles élémentaires, illustre assez bien la tendance à la réduction des effectifs pour les enseignants les plus coûteux.

En janvier 2009, l’EGD ne rémunérait plus, comme enseignants, que 12,45 emplois d’expatriés à comparer à 24 emplois d’expatriés en 2003. Les résidents étaient 94 en 2009 contre 80 en 2003 (+17%). Au sein de la population des enseignants recrutés locaux, au sens des statistiques de l’AEFE, l’EGD distingue les « titulaires d’un diplôme français » (TDF) et les « non titulaires d’un diplôme français » (NTDF).

Le nombre de TDF a augmenté (42,34 en 2009 et 34,81 en 2003, +21 %), comme celui des NTDF (35,10 en 2009 et 28,43 en 2003, +23 %). Au total, l’augmentation des effectifs de 2003 à 2009 (de 168,24 à 183,89) s’est traduite par une diminution (de – 48 %) des expatriés et une augmentation proportionnelle des catégories les moins coûteuses : les NTDF (+23%), les TDF (+21%), les résidents (+17%).

Il est à noter que, pour cet établissement en gestion directe, si les résidents sont payés par l’AEFE, 40 % de leur coût est porté à la charge de l’EGD.

Le coût mensuel d’un résident est de 1 638 euros, celui d’un enseignant TDF de 1 246 euros, celui d’un enseignant NTDF de 451 euros. Le coût mensuel d’un agent administratif TDF est de 1 121 euros, celui d’un agent administratif NTDF de 278 euros, celui d’un adjoint d’éducation NTDF de 283 euros. Enfin un agent de service NTDF coûte 123 euros par mois.

Toujours pour des motifs budgétaires, M. Bertrand Schneiter considère que la diminution des résidents constitue l’autre enjeu de la réduction des coûts : L’équilibre réalisé entre expatriés et résidents au sein de l’ensemble des titulaires lui semble être aujourd’hui relativement consensuel parce qu’il est admis qu’il ne devrait plus y avoir d’expatriés enseignants que dans des fonctions débordant le cadre strict de leur enseignement. Ainsi, les expatriés remplissent au sein des établissements du réseau une fonction d’encadrement et de référence. Tout enseignant expatrié est muni d’une lettre de mission et exécute, en plus de son service d’enseignement, des tâches de conseil pédagogique. On peut ajouter que, majoritairement, les expatriés constituent l’encadrement administratif des établissements (proviseurs, proviseurs adjoints, gestionnaires comptables, inspecteurs du 1er degré ou coordonnateurs de zone), effectuant des tâches pour lesquelles il n’est pas souhaitable de les remplacer par des résidents.

En revanche, autant le nouvel équilibre s’agissant des expatriés enseignants est plus ou moins accepté, autant les résidents font l’objet, selon M. Schneiter, d’un véritable tabou, à savoir qu’un taux de 50 % d’enseignants titulaires serait nécessaire pour garantir un enseignement de qualité. Il considère que ce critère ne se vérifie nulle part, puisque le nombre d’enseignants titulaires varie considérablement d’une zone géographique à l’autre et que personne n’observe de grandes différences de qualité d’un endroit à l’autre.

En dernier lieu, la situation de l’enseignement en Guinée Équatoriale constitue un exemple concret, celui d’un petit poste où, bien que le français soit une des langues officielles, l’enseignement français n’est encore que balbutiant. On y recense une école française avec une section primaire homologuée par l’AEFE, un Institut culturel d’expression française (ICEF) à Malabo, la capitale, et un autre ICEF qui vient d’ouvrir ses portes à Bata, principale ville équato-guinéenne du continent. L’école française a connu une grave crise en 2009 avec le départ de son directeur et d’une grande partie des enseignants. Deux assistantes techniques professeurs titulaires, dont une agrégée de lettres, ont été recrutées, sur les crédits du poste diplomatique, pour participer à l’enseignement et également améliorer l’encadrement pédagogique. Elles assurent des fonctions d’enseignement, non seulement à l’école française de Malabo, mais également à l’Institut culturel d’expression française. On est dans un cas de figure où, pour répondre à une situation spécifique et résoudre des difficultés concrètes, le service culturel du poste a pris l’initiative de reconstituer l’ossature du corps enseignant, sans l’intervention de l’AEFE.

Cet exemple illustre la diversité des situations et la nécessité de mettre en œuvre une politique d’influence plus clairement définie et mieux coordonnée, mais en sachant répondre de façon pragmatique aux situations concrètes.

b) La formation et la professionnalisation des enseignants

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE préconise de renforcer la formation, avec une meilleure articulation des interventions des inspecteurs pédagogiques de l’Agence avec celles des académies pour évaluer et former tous les professeurs quel que soit leur statut. Il préconise également l’accompagnement et la formation des nouveaux chefs d’établissement.

Cela étant, la formation des enseignants est une question importante à laquelle il n’est pas encore clairement répondu. La MLF envisage la possibilité d’élargir le recrutement local d’enseignants, quitte à leur dispenser une formation spécifique, sur place ou via des stages en France. En pratique, les résidents comme les recrutés locaux sont recrutés dans le cadre de contrats d’assez courte durée (3 ans) par les établissements directement. Une véritable politique de formation reste à mettre en œuvre.

La professionnalisation de la gestion des personnels (dont celle des enseignants) constitue un autre enjeu et donc un autre objectif stratégique. Le recrutement des expatriés dépend du volontariat et le choix des intéressés est réalisé à l’issue d’une procédure qui n’associe qu’à la marge les établissements destinataires, même pour les cadres administratifs. Il est permis de s’étonner du caractère formalisé par l’AEFE du recrutement des responsables des établissements français à l’étranger, qui peut avoir pour effet la nomination d’un chef d’établissement ou d’un responsable de niveau parlant très imparfaitement la langue du pays d’accueil. On pourrait imaginer que certains postes soient occupés par des recrutés locaux, plutôt que par des expatriés affectés sans concertation avec l’établissement. A ainsi été relevé l’exemple d’un lycée de l’hémisphère sud où a été nommé un directeur de section primaire non anglophone, ou encore le cas de l’école française de Malabo où le directeur n’était pas hispanophone à son arrivée. Il convient donc de mettre effectivement en œuvre les recommandations du plan stratégique sur la meilleure coordination avec le ministère de l’Éducation nationale pour une amélioration de sélection des expatriés et des résidents.

3.– Répondre aux demandes des pays hôtes

L’adaptation aux demandes locales ne constitue pas un dévoiement de l’enseignement français à l’étranger mais une manière d’exprimer de façon pertinente la diplomatie d’influence. Trois éléments participent à cette orientation : sur le terrain des contenus, il est devenu inconcevable que l’enseignement ne soit pas bilingue dans les pays anglophones ; par ailleurs il faudrait envisager la mise en place de formations techniques adaptées aux pays hôtes dans le cadre de l’aide au développement ; enfin la création de filières labellisées au sein des systèmes d’éducation des pays hôtes est envisagée afin de permettre le développement de l’enseignement français, avec souplesse et une grande économie de moyens.

a) L’enseignement bilingue : un impératif dans les pays anglophones

Le rapport annuel de performances pour 2009 met en évidence que l’enseignement bilingue, en principe à la charge du pays d’accueil, est l’un des objectifs de la politique d’influence menée par le réseau culturel. Par ailleurs, il est clair que le développement de l’enseignement français dans les pays anglophones doit s’accompagner de celui de l’anglais. On imagine en effet assez mal des élèves français ou étrangers auxquels il ne serait dispensé qu’un enseignement en français dans un pays anglophone.

Le poste d’Islamabad, invité à s’exprimer dans le cadre du débat sur les États généraux de l’enseignement français à l’étranger, a apporté les conclusions les plus claires en la matière. L’attractivité de l’enseignement français à l’étranger n’est pas un acquis et n’est pas obligatoirement pérenne. Le premier reproche qui lui est fait est d’être autocentré et de ne pas offrir une ouverture plus grande à l’international, à commencer par la langue anglaise. Le Rapporteur spécial des crédits de la mission Action extérieure de l’État, en se déplaçant en Australie et à Singapour, a pu constater comment un enseignement bilingue a effectivement été mis en place au lycée Telopea de Canberra, au lycée Condorcet de Sydney, et au lycée français de Singapour. Cela étant, ces déplacements ont mis en évidence une mise en œuvre inégale de l’enseignement bilingue, qui ne concerne pas toujours tous les niveaux de classe.

b) Le développement d’un enseignement professionnel

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE préconise d’explorer la possibilité de mettre en place des formations technologiques en fonction des besoins locaux. On peut considérer souhaitable de donner une plus grande impulsion en ce sens. Les États africains et Madagascar, notamment, ont besoin de structures de formation professionnelle de qualité dans des domaines techniques souvent traditionnels : mécanique, bâtiment, industries extractives. En Guinée Conakry, les industriels mettent en place des structures de formation pour la main-d’œuvre locale qu’ils ont recrutée.

L’enseignement français à l’étranger pourrait mettre en place de telles structures, en ayant recours à des professeurs français de l’enseignement technique ou à des retraités, et rechercher des financements dans le cadre de l’aide au développement.

4.– Assurer un meilleur chaînage avec l’enseignement supérieur français

Il est habituel de déplorer l’insuffisance des structures et de la politique d’accueil des étudiants étrangers susceptibles de poursuivre leurs études en France. Cette carence s’analyse comme un déficit stratégique majeur en termes d’influence. Alors que l’enseignement primaire et secondaire français à l’étranger se classe parmi les tout premiers au monde, les universités françaises ne prennent pas le relais ; c’est aux États-Unis, au Canada ou en Australie que se rendent les étudiants des pays émergents, pour le plus grand profit de ces pays d’accueil.

Au sein de l’enseignement français à l’étranger, les structures d’orientation sont peu développées, mais le cloisonnement géographique et les moyens budgétaires permettent difficilement d’éviter une telle situation. Ainsi, le centre d’information intégré au lycée de Tananarive a compétence pour toute la région.

La particularité française réside dans l’origine des étudiants étrangers, venant d’Afrique dans près de la moitié des cas. La répartition géographique des étudiants boursiers évolue peu : Les étudiants originaires du continent africain étaient encore les plus nombreux en 2008 et représentaient 42 % de l’ensemble, à comparer à 46,3 % en 2000, Les étudiants asiatiques recevaient 17 % des bourses en 2008 (13,8 % en 2000).

L'article 5 du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État propose la création d’un établissement public (qui reprendrait le nom de Campus France) chargé de développer l'expertise et la mobilité internationale, dont la mission sera de contribuer au renforcement de l'attractivité et le rayonnement de la France, notamment à travers la promotion de la mobilité internationale des étudiants, boursiers ou non, le développement des partenariats universitaires et de l'expertise française. L'établissement serait créé à partir de la fusion de l'association « EGIDE », chargée de la gestion des programmes de mobilité internationale de l'État, et des groupements d'intérêt public « France Coopération Internationale » (FCI) (58), chargé de l'appui aux opérateurs nationaux et de la promotion de l'expertise française, et « Campus France », chargé de la promotion de l'enseignement supérieur français.

Le problème est donc, dans le cadre d’une réorientation du réseau vers les pays émergents, d’améliorer le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur.

Le plan d’orientation stratégique de l’AEFE préconise « une orientation active qui permette à l’enseignement supérieur français et à chaque élève de connaître les dispositifs d’enseignement supérieur français et étrangers pour tirer le meilleur parti de ses compétences et de ses attentes ».

On ne peut qu’être d’accord avec ces orientations qui doivent être mises en œuvre par la mobilisation des volontés, faute de moyens budgétaires supplémentaires.

Proposition n° 9 : Professionnaliser

1) Sans méconnaître la diversité des situations locales, ne pas laisser descendre sous un seuil minimal la proportion de titulaires de l’Éducation nationale (expatriés ou résidents), afin que la mixité de l’équipe pédagogique permette d’assurer la qualité et la diversité de l’enseignement.

2) La professionnalisation des cadres administratifs et des enseignants doit être améliorée aussi bien en ce qui concerne les recrutements que la formation.

Sur le premier point, il convient de mettre en place pour les expatriés des procédures plus rigoureuses permettant de mieux évaluer les aptitudes professionnelles et le niveau en langue étrangère des candidats.

L’amélioration de la formation professionnelle doit être effective, mais au moindre coût, ce qui conduit à préconiser le développement de formations sur place.

3) Le développement de l’enseignement bilingue, dans le cadre des systèmes scolaires étrangers comme au sein de l’enseignement français à l’étranger, doit continuer à faire l’objet d’efforts budgétaires spécifiques.

4) Les réseaux de l’enseignement français à l’étranger doivent développer des structures d’enseignement technique et rechercher des financements dans le cadre de l’aide au développement.

5) Améliorer le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur en développant une politique d’orientation efficace en liaison avec le nouvel opérateur de la mobilité internationale.

C.– L’AVENIR DU RÉSEAU : AU-DELÀ DES ASPECTS BUDGÉTAIRES, UNE QUESTION AVANT TOUT POLITIQUE

Depuis une quinzaine d’années, le Quai d’Orsay connaît une contrainte forte sur ses crédits. Les perspectives budgétaires triennales pour 2009-2011 ne constituent donc ni un changement de cap ni une surprise. L’enjeu est tout autre : pour accomplir ses missions régaliennes et maintenir, voire renforcer la place de la France dans le monde, le ministère doit s’adapter, et procéder à une forme de mutation culturelle. C’est une ambitieuse politique de modernisation qui accompagne la mise en œuvre de la RGPP et qui affecte l’enseignement français à l’étranger.

Les mesures préconisées par le présent rapport sont souvent coûteuses, toutefois elles ne recouvrent pas nécessairement des dépenses nouvelles mais s’analysent davantage comme les investissements nécessaires au fonctionnement normal du réseau : il s’agit de la remise à niveau minimale de l’immobilier, de la compensation des charges de pensions, du maintien d’une proportion raisonnable de titulaires, du développement de l’enseignement technique, de la mise en œuvre d’une évaluation réelle et efficace.

En même temps, plusieurs propositions vont dans le sens des économies budgétaires comme la réorientation du réseau dans le sens de l’homologation, la labellisation de structures étrangères, et surtout la suspension de la PEC.

Pour le reste, si les recettes supplémentaires évoquées sont incertaines et pourraient seulement constituer des ressources d’appoint, leur valorisation doit être activement recherchée : le développement du mécénat, la mobilisation des collectivités territoriales, celle des entreprises, celle des partenaires étrangers. Les autres recettes directes de l’AEFE, quant à elles, sont aléatoires et non extensibles (recours à l’emprunt par exemple). Elles peuvent néanmoins permettre de dégager des marges de manœuvre, fussent-elles modestes. Tous les leviers possibles doivent être actionnés, même si des questionnements demeurent. La pratique d’une tarification au coût réel est-elle réaliste, alors que les droits d’écolages connaissent déjà, depuis plusieurs années, des augmentations très considérables ? Le recours accru à l’autofinancement, c'est-à-dire à l’accroissement des frais de scolarité, a pour effet d’exclure les élèves étrangers, et les conduit à s’adresser aux établissements concurrents.

Toutefois, au-delà de contraintes budgétaires réelles et aggravées par un contexte économique morose, il convient d’opérer un choix politique clair quant à l’avenir de notre réseau et d’en tirer toutes les conséquences, en utilisant de la manière la plus efficiente possible des moyens budgétaires qui ne sont pas extensibles.

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EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger, présenté par MM. Jean-François Mancel, André Schneider et Hervé Féron, Rapporteurs.

M. le Président Jérôme Cahuzac. Les trois rapporteurs de la MEC qui vont nous présenter son rapport sur l’enseignement français à l’étranger représentent chacun une commission différente, ce qui témoigne de la nature pluridisciplinaire du sujet. Ce rapport a été adopté hier.

Je sais, messieurs les rapporteurs, que vous avez travaillé dans un esprit de consensus et, si j’en crois les interventions que j’ai pu lire dans la presse, que vous êtes d’accord sur quelques pistes de réforme importantes.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger. Si vous le permettez, nous présenterons chacun une partie du rapport.

Pour définir l’enseignement français à l’étranger, nous avons retenu le critère du mode d’enseignement français. Il s’agit donc de la reproduction à l’étranger du système d’enseignement français dans toutes les disciplines que nous pouvons rencontrer en France.

Notre rapport s’inscrit dans un contexte budgétaire qui n’est pas le plus favorable pour lui donner la dimension que nous avions souhaitée. L’enseignement français à l’étranger est aujourd’hui dans une situation difficile, et ses moyens sont de plus en plus limités. Pour le rendre capable de se maintenir, voire de se développer, il faudrait faire beaucoup plus, mais cela ne paraît pas réalisable dans le contexte actuel.

La France n’est certes pas le seul pays à avoir un réseau scolaire à l’étranger. Toutefois, à l’échelle de la planète, elle seule dispose d’un service public d’enseignement à l’étranger, dont le succès ne se dément pas. Ainsi, plus de 5 000 nouveaux élèves l’ont rejoint l’année dernière, comme l’année précédente. Notre rôle reste donc important, tant pour nos ressortissants, qui trouvent à l’étranger des conditions de scolarisation aussi bonnes qu’en France, voire meilleures, qu’en termes d’influence, puisque les jeunes étrangers représentent 53 % des effectifs.

À l’issue des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons formulé une série de propositions dans neuf domaines différents, en nous inscrivant délibérément dans le contexte qui est aujourd’hui le nôtre, à savoir la situation difficile de nos finances publiques. La réalité que nous avons observée aurait requis des moyens supplémentaires ; nous avons choisi de ne pas en demander et de privilégier le redéploiement de ceux qui existent déjà. Nous n’avons pas toujours partagé le même avis, et je regrette les fuites intempestives dont la presse s’est fait l’écho avant même que le rapport ne soit débattu au sein de la MEC et présenté en commission des Finances.

Une grande partie de notre réflexion a porté sur la prise en charge (PEC), à savoir la gratuité de la scolarité pour les enfants français en classes de terminale, de première et de seconde, laquelle devait initialement être progressivement étendue jusqu’au cours préparatoire. Si cette extension n’a pas été réalisée, c’est parce que le Parlement a décidé d’un moratoire en 2009. Nous nous sommes longuement interrogés sur la solution à apporter à ce problème.

Sans rouvrir le débat sur le bien-fondé de la mesure elle-même, nous avons choisi – et c’est à mon sens une décision courageuse – de proposer la suspension de la PEC. Pour 2010, plus de 106 millions d’euros avaient été inscrits au titre des bourses et de la prise en charge. D’après les dernières estimations, le coût serait de plus de 70 millions d’euros pour les premières et d’environ 40 millions d’euros pour les secondes. Grâce aux mesures d’économie, le coût total des aides à la scolarité s’élèverait à 107,4 millions d’euros. Ce chiffre est un minimum, car la PEC est une mesure qui n’a pas encore produit tous ses effets – elle suscite en effet des demandes d’inscriptions supplémentaires. Sa suspension permettrait d’économiser plusieurs dizaines de millions d’euros, que nous proposons de réaffecter à l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), dont nous nous apprêtons à fêter le vingtième anniversaire et qui connaît de sérieuses difficultés financières.

Les demandes d’inscription sont en effet en augmentation, et il nous faut aller dans tous les pays où des besoins se font sentir. Les projets d’ouverture d’établissements coûteront cher, tant sur le plan immobilier qu’en ce qui concerne les coûts de fonctionnement, l’AEFE employant plus de 10 500 personnes. En outre, la décision a été prise en 2009 – et nous n’en contestons pas le bien-fondé – de mettre partiellement à la charge de l’AEFE les cotisations de pensions de ses agents. Cette charge représente aujourd’hui quelque 120 millions d’euros – c’est en tout cas le montant des dotations que l’État a accordées à l’AEFE pour la compenser. Elle devrait cependant atteindre plus de 150 millions d’euros dès 2012. Par ailleurs, un transfert de l’immobilier au profit de l’AEFE a été engagé, mais il n’est pas assorti de compensations suffisantes pour mettre à niveau les établissements transférés.

La trésorerie de l’AEFE est donc très fragile, avec un fonds de roulement qui avait été réduit à moins de quinze jours début 2010, rendant parfois sa gestion aventureuse. Grâce à une dotation supplémentaire de 10 millions d’euros allouée à l’AEFE pour 2010 mais également au prix de mesures de rationalisation sévères, l’Agence a réussi à porter son fonds de roulement à trente jours environ. Il convient de le maintenir à ce niveau minimum. C’est pourquoi nous proposons des modifications et des clarifications qui permettraient de voir plus clair dans son fonctionnement, notamment en ce qui concerne les personnels.

Pour ma part, je souhaitais surtout mettre l’accent sur la proposition très forte que constitue la suspension de la PEC afin de répondre aux besoins de l’AEFE.

M. Hervé Féron, Rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger. Puisqu’il a été fait allusion à ce que je pense de la PEC, permettez-moi, à titre personnel, d’apporter un bémol à ce qui a été dit : je trouve depuis son origine que c’est une mauvaise mesure.

Le fonds de roulement de l’AEFE, descendu à quatorze jours, est certes remonté à trente-quatre jours. Hélas, cela ne nous sauve pas ! L’AEFE est en grande difficulté, de même que nombre d’établissements.

Je voudrais également mentionner un problème qui n’a pas encore été évoqué : la baisse du nombre des mises à disposition d’enseignants expatriés. Il ressort des auditions que nous avons conduites que nous sommes arrivés à un plancher critique, qui risque de remettre en cause la qualité de l’enseignement prodigué. Cette baisse a en outre un effet induit : la suppression des postes d’enseignants expatriés, dont la rémunération est prise en charge par l’État, est compensée par le recrutement de personnels locaux, qui sont salariés par les établissements eux-mêmes. Tout cela contribue à augmenter les droits d’écolage, c’est-à-dire les frais de scolarité. L’arrivée sur trois années d’âge de la mesure dite de « gratuité » a offert à certains établissements une opportunité d’augmenter les droits d’écolage pour répondre à leurs difficultés. Les élèves ne bénéficiant pas de la gratuité – à savoir les élèves français du cours préparatoire à la classe de troisième et tous les élèves étrangers – ont été mis en difficulté, alors même que la formation des élites étrangères fait partie des missions de l’AEFE.

J’en viens aux préconisations de la MEC.

Nous proposons d’abord d’ouvrir l'éventail des partenariats et des financements, avec cinq mesures.

La première consiste à étudier la possibilité de mobiliser le mécénat en faveur de l'enseignement français à l'étranger. Cela suppose d'identifier les évolutions législatives et réglementaires nécessaires pour permettre le recours à ce mode de financement extérieur.

La deuxième mesure vise à favoriser et à développer les démarches de projet avec les collectivités territoriales. Je rappelle qu’en France les bâtiments, le mobilier, le matériel et les personnels non-enseignants sont à la charge des collectivités territoriales.

Troisième mesure : instituer, au profit de l'AEFE, un prélèvement assis sur le chiffre d'affaires des établissements homologués au titre de l'utilisation de la « marque France ». À tout le moins, il s'agit de sanctuariser une partie des sommes déjà acquittées par ceux-ci, la démarche étant déjà engagée.

Quatrième mesure : analyser les réglementations locales et systématiser les démarches auprès des autorités locales afin d'identifier les contributions financières que celles-ci pourraient verser à notre réseau.

Cinquième mesure, enfin : obtenir, chaque fois que cela est possible au regard des réglementations locales, l'accréditation ouvrant droit le cas échéant à l'obtention de subventions publiques de la part des autorités locales.

Un autre axe de notre réflexion a concerné l’amélioration de la visibilité des financements et des comptes, à travers deux mesures. Dans un contexte de croissance exponentielle des droits d'écolage, il convient d'élaborer, pour chaque pays, une grille de tarification formalisée au sein d'un plan pluriannuel. Sur cette base, il serait judicieux d'encadrer les droits d'écolage en déterminant les possibilités de modulation en fonction du niveau de richesse de chaque pays. Nous proposons également d'améliorer la présentation des comptes de l'AEFE et des établissements du réseau pour davantage de clarté.

Il faut aussi adapter le réseau aux besoins nouveaux. Il s’agit de mieux le connaître pour assurer sa cohérence. Il importe donc d'établir une cartographie prospective du réseau, reposant notamment sur les besoins identifiés à moyen et à long terme en fonction de la présence des expatriés français, des entreprises françaises, des besoins de scolarisation des familles locales, des intérêts diplomatiques de la France dans chaque zone et de l'importance de nos échanges culturels et commerciaux avec les pays considérés.

Nous avons ressenti au fil des auditions un vrai besoin de recentrage sur une démarche stratégique. On pourra ensuite s'appuyer sur cette cartographie prospective pour conduire la politique de rénovation et d’implantation des établissements et déterminer le statut le plus adapté aux circonstances et aux réalités locales.

La généralisation des chartes d'établissement précisant les droits et devoirs attachés au statut d'établissement homologué contribuerait à moderniser la gestion. Elle a pour corollaire le renforcement du contrôle de ce type d’établissement, avec une possibilité de déchéance du statut.

Nous souhaitons en outre permettre la mise en œuvre d'une stratégie immobilière à l'étranger. Le réseau de l'enseignement français est d’abord un héritage de l'histoire ; il doit être mis en adéquation avec les priorités de la diplomatie d'influence. En conséquence, nous proposons de dresser un diagnostic complet et précis du parc immobilier permettant d’en connaître précisément l’étendue, l’état, les coûts de fonctionnement et d’investissement, les besoins de réhabilitation et de développement.

Il importe aussi d’établir, sur la base du diagnostic immobilier, un plan pluriannuel de mise aux normes des établissements avec une hiérarchisation des priorités en fonction de l'urgence des opérations de réhabilitation à réaliser. J’insiste sur l’aspect pluriannuel : en 2008, l’État a transféré 12 sites à l’AEFE, ce transfert n’étant assorti que de 8 millions d’euros non reconductibles : il n’avait pas été assez anticipé !

Nous proposons par ailleurs d’instituer un moratoire sur les transferts de gestion immobilière à l'AEFE jusqu'à l'établissement du diagnostic et du plan de mise aux normes, et d’étudier avec le ministère du Budget la possibilité de renforcer les capacités d'emprunt de l'AEFE, notamment pour ce qui concerne leur montant et leur durée.

Il faut encore négocier avec les autorités locales la rétrocession de sites occupés en jouissance et aisément valorisables, en échange de relocalisations financées par leurs soins.

Nous proposons également de développer l'expertise immobilière de l'AEFE, en renforçant sa division immobilière et en impliquant la future Agence foncière de l'État à l'étranger par la mise à disposition de ses ressources humaines et techniques. Dans cette optique, il pourrait être judicieux de formaliser les relations entre l'AEFE et la future Foncière par la signature d'une convention.

Nous suggérons d’autre part des mesures tendant à enrichir les outils et les contenus pédagogiques. Il faut développer l'homologation des établissements locaux, encadrer la procédure, notamment en subordonnant l'obtention de ce statut à l'acceptation par l'établissement d'un contenu et de techniques pédagogiques spécifiques. Les contrôles seraient institués en partenariat avec les inspections locales et pourraient déboucher sur le retrait de l'homologation.

Il faut aussi étendre les conventions particulières avec le Centre national d'enseignement à distance au plus grand nombre d'établissements du réseau AEFE, et développer les actions de communication et de promotion du CNED à l'étranger.

Autre objectif : renforcer les partenariats entre l'audiovisuel extérieur de la France, le ministère de l'Éducation nationale et l'AEFE, afin d'adapter et de développer l'offre éducative audiovisuelle à la demande.

M. André Schneider, Rapporteur de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger. Nous avons par ailleurs abordé les questions de gouvernance du réseau. À cet égard, il convient de clarifier le partage des rôles. La situation actuelle est en effet marquée par une large indépendance des différents acteurs, sans réel pilotage du ministère des Affaires étrangères ni véritable implication de celui de l'Éducation nationale dans le domaine pédagogique. Nous nous sommes même demandé s’il ne faudrait pas créer un jour une structure chargée de « chapeauter » l’enseignement français à l’étranger.

Pour l’heure, la MEC formule trois propositions.

En premier lieu, la direction exercée par le ministère des Affaires étrangères en matière de politique d'influence doit se manifester par la définition d'une offre éducative d'ensemble cohérente, attractive et reconnue, qui prévoie la coordination et l'articulation des activités des différents acteurs de l'enseignement français à l'étranger.

En deuxième lieu, le ministère de l'Éducation nationale doit assurer l'évaluation et la certification du système éducatif français à l'étranger, comme il le fait en France. L'implication des académies situées dans l'aire géographique des établissements doit être améliorée. Le ministère doit également veiller à la qualité du recrutement et à l'évaluation des enseignants.

Enfin, le renforcement de l'autonomie des établissements en gestion directe de l'AEFE doit être envisagé avec une grande prudence.

Notre dernière série de préconisations vise à professionnaliser le réseau.

Sans méconnaître la diversité des situations locales, il importe de ne pas laisser descendre sous un seuil minimal la proportion de titulaires de l'Éducation nationale expatriés ou résidents, afin que la mixité de l'équipe pédagogique permette d'assurer la qualité et la diversité de notre enseignement. Je rappelle qu’il existe trois catégories de personnels : les personnels expatriés, les expatriés déjà résidents et les recrutés locaux. Il est entendu qu’en deçà d’un certain seuil de personnels des deux premières catégories, la qualité de l’enseignement français serait menacée. Ce n’est cependant pas le cas aujourd’hui : tous nos interlocuteurs reconnaissent que cet enseignement est de très bonne qualité, comme en témoigne le taux de réussite des élèves au baccalauréat.

La professionnalisation des cadres administratifs et des enseignants doit être améliorée aussi bien en ce qui concerne les recrutements que la formation. Il faut donc mettre en place pour les expatriés des procédures plus rigoureuses permettant de mieux évaluer les aptitudes professionnelles et le niveau en langue étrangère des candidats. L'amélioration de la formation professionnelle doit être effective, mais au moindre coût, ce qui conduit à préconiser le développement de formations sur place.

Le développement de l'enseignement bilingue doit continuer à faire l'objet d'un effort budgétaire spécifique.

Les réseaux de l'enseignement français à l'étranger doivent développer des structures d'enseignement technique – point faible de notre système éducatif à l’étranger – et rechercher des financements dans le cadre de l'aide au développement.

Enfin, le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur doit être amélioré en développant une politique d'orientation efficace, en liaison avec le futur opérateur de la mobilité internationale.

Au-delà des questions budgétaires, l’avenir du réseau dépend de choix politiques.

Depuis une quinzaine d'années, le Quai d'Orsay connaît une forte contrainte sur ses crédits. L'enjeu des réformes en cours est tout autre : pour accomplir ses missions régaliennes et maintenir, voire renforcer la place de la France dans le monde, le ministère doit s'adapter, et procéder à une forme de mutation culturelle. Les mesures préconisées par le rapport ne recouvrent pas nécessairement des dépenses nouvelles, mais s'analysent davantage comme des investissements nécessaires au fonctionnement normal du réseau : il s'agit de la remise à niveau minimale de l'immobilier, de la compensation des charges de pensions, du maintien d'une proportion raisonnable de titulaires, du développement de l'enseignement technique, de la mise en œuvre d'une évaluation réelle et efficace.

Plusieurs propositions vont cependant dans le sens des économies budgétaires : réorientation du réseau dans le sens de l'homologation, labellisation de structures étrangères, suspension de la PEC.

Pour le reste, si les recettes supplémentaires évoquées, incertaines par nature, ne peuvent constituer que des ressources d'appoint, leur valorisation doit être activement recherchée : développement du mécénat, mobilisation des collectivités territoriales, des entreprises et des partenaires étrangers. Les autres recettes directes de l'AEFE – recours à l’emprunt, par exemple – sont aléatoires et non extensibles. Elles permettent néanmoins de dégager des marges de manœuvre, même modestes.

Tous les leviers possibles doivent être actionnés, même si des questionnements demeurent. La pratique d'une tarification au coût réel est-elle réaliste, alors que les droits d'écolage connaissent déjà, depuis plusieurs années, des augmentations considérables ? Le recours accru à l'autofinancement, c'est-à-dire à l'accroissement des frais de scolarité, a pour effet d'exclure les élèves étrangers, et conduit ces derniers à s'adresser aux établissements concurrents.

Il convient donc d'opérer un choix politique clair quant à l'avenir de notre réseau et d'en tirer toutes les conséquences, en utilisant de la manière la plus efficiente possible des moyens budgétaires qui ne sont pas extensibles.

Je conclurai mon propos en redisant combien les travaux de la MEC ont été enrichissants pour nous.

M. René Couanau. Messieurs les Rapporteurs, vous semblez tenir pour un fait acquis que l’État se désengage progressivement de l’enseignement français à l’étranger, qui relève pourtant de ses missions de souveraineté, de promotion et de défense de la langue et de la culture françaises et d’appui aux familles expatriées. On se borne finalement à chercher la manière de compenser ce désengagement !

La suppression de la gratuité des frais d’écolage pour les élèves des classes de seconde, de première et de terminale me paraît devoir être compensée par un redéploiement des crédits ainsi économisés. Puisque l’AEFE manque de moyens, pourquoi ne pas en profiter pour exprimer le souhait que ces crédits soient réaffectés à des objectifs d’enseignement ? On risque autrement de poursuivre dans la voie de la déshérence de l’enseignement français à l’étranger.

M. Gilles Carrez, Rapporteur général. Je voudrais être sûr d’avoir bien compris.

Un dispositif généreux, mais coûteux – la gratuité de l’enseignement pour les élèves français à l’étranger – a été mis en place ces dernières années. Il concerne aujourd’hui les élèves des classes de terminale, de première et de seconde, et devait à terme être généralisé jusqu’au cours préparatoire.

L’an dernier, un moratoire a été décidé. Vous nous proposez d’aller plus loin en supprimant la mesure et en utilisant tout ou partie des crédits rendus disponibles pour renforcer les moyens de l’AEFE, dont les problèmes de financement sont récurrents. S’agit-il d’un redéploiement intégral de crédits, ou peut-on imaginer de réaliser quelques économies au passage ?

Par ailleurs, comment cela se passe-t-il pour les bourses, qui font actuellement l’objet d’une réflexion en métropole ? Les frais de scolarité des jeunes Français à l’étranger sont souvent pris en charge par les entreprises, mais ce n’est pas systématique. Les bourses peuvent donc jouer un rôle intéressant. Ne peut-on imaginer d’y consacrer tout ou partie des crédits rendus disponibles par la suspension de la PEC ? Quel équilibre proposez-vous entre la priorité à donner aux économies et les redéploiements au profit de l’AEFE ainsi que, éventuellement, des bourses ?

J’en viens à une observation de forme. La MEC, mise en place il y a dix ans, a fait ses preuves. Elle s’efforce de travailler de manière collégiale en prenant le maximum de précautions avant que ses rapports ne donnent lieu à une communication publique. Je m’étonne donc qu’une interview ait pu être publiée dans Le Parisien d’hier. La suspension de la PEC est en effet un sujet délicat qui exige une grande diplomatie, et il faut éviter d’en faire un sujet politique.

La MEC avait été une réussite par exemple lorsqu’il s’est agi en 2008 de revoir, sous la houlette d’Alain Claeys et Laurent Hénart, les critères d’attribution des dotations aux universités, sujet lui aussi très difficile. Le Gouvernement avait d’ailleurs repris ses propositions. Mais il n’a pu le faire que parce que le travail de la MEC avait été consensuel et n’avait donné lieu à aucune communication préalable à l’extérieur. En tant que Rapporteur général, je souhaite que la MEC continue à travailler de cette manière.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le Rapporteur général a fort bien compris les choses, et sa démonstration était claire. L’AEFE remplit une mission très importante : scolariser les enfants français, assurer le rayonnement de la France à travers l’accueil des enfants étrangers et développer une coopération éducative avec les systèmes d’enseignement étrangers.

Le contexte n’est cependant pas facile : le ministère des Affaires étrangères a déjà été victime du « rabot » budgétaire et sa défense n’a pas toujours été bien assurée. Voilà quinze ans qu’il est régulièrement mis à la diète. S’il ne s’agit donc pas de demander de l’argent, il ne s’agit pas plus de faire faire des économies au budget général de l’État ! En d’autres termes, nous ne demandons pas à l’État de faire un effort, et nous ne prônons pas l’extension du système : nous voulons simplement le sauvegarder, et cela implique que l’AEFE bénéficie de moyens supplémentaires. Tout est expliqué au sein de notre rapport : notre deuxième axe de propositions vise à opérer un triple recalibrage budgétaire au bénéfice de l’AEFE. Il importe simplement de revoir la ventilation intérieure des crédits de l’enseignement français à l’étranger.

La suspension de la PEC peut avoir des conséquences pour certaines familles, pour celles dont les frais de scolarité ne sont pris en charge ni par l’entreprise, ni via les compléments aux traitements des agents de l’État à l’étranger. Mais il ne faudrait pas que cela les empêche de mettre leurs enfants à l’école. Une partie des crédits aujourd’hui dévolus à la PEC, et dont le montant est difficile à évaluer à ce stade, devra donc être réaffecté aux bourses.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Je souhaite rappeler que je ne suis pas le seul à être intervenu dans la presse, ni le seul à qui ont été prêtés des propos « forts » sur la PEC. J’ajoute que, dans l’esprit de la MEC, j’ai été conciliant dans le cadre de la rédaction du rapport : ainsi, j’aurais préféré préconiser la suppression de la PEC plutôt que sa suspension.

Un rappel peut être utile. Lors de la discussion du projet de loi de finances, j’étais le rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles pour les crédits du rayonnement culturel et scientifique de la France à l’étranger. J’ai travaillé sur l’enseignement français à l’étranger et consacré à la PEC l’essentiel de mon avis budgétaire et de mon discours à la tribune. Ce sont cet avis et ce discours que j’ai communiqués à une journaliste, il y a plus d’un mois. Elle avait souhaité me rencontrer pour évoquer les auditions auxquelles j’avais procédé dans le cadre de la discussion budgétaire. Je lui ai remis le 1er juin une note de synthèse de quatre pages, que je tiens à votre disposition. Nous n’avions alors aucune idée de ce que seraient les propositions finales de la MEC. Mais ce que j’ai écrit dans cette note, et que l’AEFE avait d’ailleurs reconnu deux ans avant moi, a aujourd’hui un écho dans le rapport de la MEC : si la PEC était étendue comme prévu initialement, son coût s’élèverait à 700 millions d’euros environ à l’horizon 2018.

Lundi soir, alors que je n’avais pas encore pris connaissance de la dernière mouture du rapport, la journaliste en question m’a demandé de réagir, en prétendant avoir des éléments sur le rapport. Je n’ai aucunement impliqué les membres de la MEC dans ma réponse.

M. le Rapporteur général. Cette explication me rassure. L’essentiel est qu’il y ait une grande convergence sur vos propositions. Mais la suspension est parfois une étape vers la suppression. Quant au mot de « bouclier », qui figurait dans le titre de l’article du Parisien, il était vraiment à éviter…

M. Hervé Féron, Rapporteur. Je ne l’ai jamais employé !

M. André Schneider, Rapporteur. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à travailler avec mes collègues. Quelques mises au point indispensables viennent d’être faites, mais revenons à l’essentiel.

En tant qu’ancien chef d’établissement, je vous dirai que, pour faire un bon établissement scolaire, il faut d’abord des élèves. L’enseignement français à l’étranger vise d’abord les élèves français, mais, pour le rayonnement culturel de la France, il doit s’adresser aussi à des élèves étrangers. C’est cette mixité qui fait la richesse de cet enseignement.

Il a aussi besoin de professeurs. Il en existe trois catégories, et les avis sont partagés sur celles qui doivent être privilégiées. J’estime pour ma part qu’il faut de la diversité. Veillons cependant à ce que les enseignants recrutés localement ne soient ni ternes ni sinistres.

Nous avons essayé de tracer des pistes a minima, car hélas, la « commission de la hache » fonctionne toujours ! Nous avons parlé de « suspension » de la PEC pour ne pas trop heurter nos concitoyens. Mais il est un fait que la PEC a bénéficié à tout le monde, sans considération de niveau de revenu, et alors même que nombre d’entreprises financent volontiers la scolarité des enfants de leurs salariés.

Enfin, j’ai parlé d’un « chapeau » commun à tous les établissements français à l’étranger. Cette idée m’a toujours semblé pertinente. Mais nous avons préféré des préconisations qui soient réalisables, à condition bien sûr qu’un suivi et une évaluation soient mis en place.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. M. Couanau a évoqué un problème sur lequel nous nous sommes beaucoup interrogés, celui de la place de l’éducation nationale dans l’enseignement français à l’étranger, qui est par trop discrète. Notre préoccupation a été de la remettre « dans le circuit » sans inventer pour autant un « machin » exerçant la tutelle sur l’AEFE. Le rapport comporte donc une série de propositions en ce sens.

Dissipons tout malentendu. La suspension de la PEC n’est pas l’objet de la MEC : elle est simplement un moyen. Quoi qu’on en dise, le point fort du rapport n’est donc pas tant cette suspension que nos propositions, qui convergent toutes vers la même idée : améliorer l’enseignement français à l’étranger pour l’aider à rayonner encore davantage.

M. François Goulard. Je souscris pleinement à l’analyse de nos collègues de la MEC. D’une manière générale, la machine éducation nationale n’aime pas beaucoup l’originalité. La remarque que vient de faire Jean-François Mancel pourrait s’appliquer aussi bien à l’enseignement agricole ou aux lycées maritimes – j’ai eu l’occasion de le mesurer lorsque j’étais secrétaire d’État à la mer.

Le ministère de l’Éducation nationale a du mal à s’adapter aux situations particulières. Raison de plus pour apporter un soutien à ces établissements, d’autant que, dans le cas de l’enseignement français à l’étranger, il y va de l’image de notre pays.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Les initiatives alternatives, qui sont souvent prises par les associations de parents d’élèves, méritent d’être regardées de près. Je pense au programme « Français-langue maternelle » (FLAM), qui concerne l’enseignement bilingue et pour lequel l’AEFE disposait en 2009 de 300 000 euros. De telles initiatives permettent d’adapter notre dispositif aux situations locales à moindre coût.

M. Christian Eckert, Président. Messieurs les Rapporteurs, je vous remercie.

En application de l’article 145 du Règlement, la Commission autorise la publication du rapport.

En application de l’article 60 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, elle autorise également la notification de la liste des propositions de la MEC au Gouvernement, qui devra y répondre, par écrit, dans un délai de deux mois.

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ANNEXES

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Auditions du 18 février 2010

À 9 h 30 : M. Yves Aubin de La Messuzière, président de la Mission laïque française. p. 80

À 11 heures : M. Stéphane Romatet, directeur général de l'Administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères et européennes, et M. François Saint-Paul, directeur des Français à l'étranger et de l'administration consulaire. p. 92

Auditions du 4 mars 2010

À 9 h 30 : M. François Denis, président de la Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger (FAPÉE) ; M. Abdelouhab Boukouraych, administrateur national, et Mme Cécile Blanchard, chargée de mission, de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) ; ainsi que Mme Claudine Caux, vice-présidente de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP) p. 101

À 11 heures : M. Christian Masset, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des Affaires étrangères et européennes, Mme Delphine Borione, directrice de la Politique culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes, M. Jean-Paul Rebaud, sous-directeur de la Diversité linguistique et du français, M. Jean Michel Blanquer, directeur général de l’Enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale, et M. François Perret, doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale p. 114

A 12 h 30 : Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sénatrice, M. John Mac Coll, président de la commission des Affaires culturelles, de l’enseignement et de l’audiovisuel de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), M. Marc Villard, président de la commission des Finances de l’AFE, et M. Olivier Cadic, membre de l’AFE et du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) p. 121

Auditions du 11 mars 2010

A 9 h 30 : M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française p. 129

À 11 heures : Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE). p. 136

Auditions du 18 mars 2010,

A 9 heures 30 : M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des Finances. p. 148

À 11 heures : MM. Roger Ferrari et Patrick Soldat (SNES) et Mme Pilar Struillou (SNUipp hors de France), représentants du personnel au conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger p. 162

Auditions du 1er avril 2010

À 9 h 30 : M. Alain de Pouzilhac, président-directeur général de la société Audiovisuel extérieur de la France (AEF), Mme Christine Ockrent, directrice générale déléguée, Mme Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde, ainsi que Mme Lidwien Van Dixhoorn, chef du service langue française à RFI. p. 173

À 10 h 30 : M. Yves Girouard, président fondateur du Cercle Magellan, Mme Claude Mulsant, directrice générale, et M. Jean Pautrot, président du conseil de la mobilité internationale, de MM. Luc Sposito, directeur Éducation du groupe Total, François Tribot-Laspiere, chargé des relations institutionnelles et Didier Barres, chargé de la mobilité internationale p. 182

À 12 heures : M. Antoine Joly, délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales au ministère des Affaires étrangères et européennes et Mme Maryse Dusselier, déléguée aux affaires internationales de l’Association des régions de France p. 192

Audition du 28 avril 2010

À 11 h 30 : M. Michel Leroy, directeur général du Centre national d’enseignement à distance (CNED) p. 196

II.– DÉPLACEMENT À RABAT, 20-21 MAI 2010 :
PERSONNALITÉS RENCONTRÉES

Personnalités marocaines

Mme El Abida, Secrétaire d’État à l’enseignement scolaire

M. Kamal, député

M. Rebbah, député

M. Sentissi, député

M. Lahjomri, directeur du Collège royal

M. Baida, universitaire

Mme Hadj Hammou, représentante de l’Association des Marocains des grandes écoles

Services diplomatiques français

M. Joubert, Ambassadeur de France au Maroc

M. Commelin, Conseiller de coopération et d’action culturelle

M. Guinez, Conseiller adjoint chargé de l’enseignement français au Maroc

M. Cavalier, service de coopération et d’action culturelle

M. Labadie, responsable immobilier AEFE

Mme Loppy, assistante sociale chef de service des bourses au Consulat général de France à Casablanca

Mme Viera, Consulat général de France à Casablanca

Personnels éducatifs

M. Rauch, proviseur du lycée Descartes de Rabat

M. Lemasle, proviseur du lycée Lyautey de Casablanca

M. Segala, proviseur adjoint du lycée Malraux de Rabat

Mme Sinaceur, directrice de l’école Al Jabr

M. Boucrot, secrétaire général de l’Enseignement catholique au Maroc (ECAM)

M. Mathieu, agent comptable du pôle Rabat

M. Estienne, agent comptable du pôle Casablanca

Élus des Français de l’étranger

M. Cadot

M. Chostakoff

M. d’Agescy

Associations de parents d’élèves

Mme Chami (PEEP)

Mme Lamrani (FAPEE)

Mme Mellouki (UCPE)

Représentants syndicaux

Mme Ansidei (SNUIPP)

M. Auscher (SNES)

M. Menoud (SE/UNSA)

III.– COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Audition du 18 février 2010

À 9 heures 30 : M. Yves Aubin de La Messuzière, président de la Mission laïque française.

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président. Mes chers collègues, je suis heureux d’ouvrir ce matin un nouveau cycle de travaux de la mission d’évaluation et de contrôle.

Trois thèmes ont été retenus cette année par le bureau de la commission des Finances : le crédit d’impôt-recherche, les recettes exceptionnelles de la défense et, l’enseignement français à l’étranger sur proposition du rapporteur spécial de la commission des Finances, M. Jean-François Mancel.

Le principe de la MEC est de dégager des propositions de consensus dans un cadre paritaire entre majorité et opposition. Ainsi, M. David Habib et moi-même présiderons à tour de rôle nos différentes réunions.

Nos rapporteurs apporteront le point de vue des différentes commissions concernées. En effet, le rapport sur l’enseignement français à l’étranger sera préparé conjointement par MM. Jean-François Mancel, pour la commission des Finances, Hervé Féron, rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation sur le rayonnement culturel et scientifique, et André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères. Au cours de leurs précédents travaux parlementaires, tous trois ont déjà étudié le thème qui nous réunit aujourd’hui.

Nous serons assistés dans nos travaux par la Cour des comptes, dans le cadre de la mission d’assistance qu’elle tient de l’article 47-2 de la Constitution et de l’article 58 de la LOLF. Elle est représentée aujourd’hui par M. Jean-François Bernicot, conseiller maître, M. Joël Montarnal, conseiller référendaire, et notre ancien collègue M. René André, conseiller maître en service extraordinaire. Je précise que, selon notre pratique habituelle, à la demande de la Cour des comptes, comme ses magistrats ne peuvent engager la collégialité, ils ne s’exprimeront pas publiquement au nom de la Cour.

Je voudrais rappeler d’un mot les raisons qui nous ont conduits à prévoir une telle évaluation.

En 2007, le ministre des Affaires étrangères était chargé, par lettre de mission du Président de la République, de préparer un plan de développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger. Cette politique est d’une grande portée pour le rayonnement de la France, mais aussi sur le plan de la solidarité nationale vis-à-vis de nos compatriotes vivant à l’étranger. Son financement subit des tensions budgétaires et pose des questions de soutenabilité.

Le statut de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, a également suscité des questions concernant l’organisation de la tutelle. Pour toutes ces raisons, un rapport a été demandé à l’inspection générale des finances, dans le cadre de la revue générale des politiques publiques, et des décisions devraient être prises l’été prochain.

Cette politique s’appuie sur des intervenants nombreux et divers, notamment la Mission laïque française, dont nous avons le plaisir d’accueillir le président, M. Yves Aubin de La Messuzière.

Monsieur le président, vous êtes un très bon connaisseur de notre sujet. Sans plus attendre, je vous propose de nous présenter le rôle de la Mission que vous présidez, et la façon dont elle s’insère dans le dispositif d’enseignement français à l’étranger, avant que les rapporteurs ne vous interrogent.

M. Yves Aubin de La Messuzière, président de la Mission laïque française. En tant que président de la Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger, j’ai fait part cet automne à la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale de ma préoccupation quant à l’évolution du réseau d’enseignement français à l’étranger. À l’unanimité de ses membres, cette commission, mise en place par le ministre des Affaires étrangères conformément à la lettre de mission du Président de la République, a formulé des recommandations qui ont été discutées lors des États généraux de l’enseignement français à l’étranger et diffusées auprès des différents postes diplomatiques. À cette occasion, cette très vive préoccupation quant à l’avenir de l’enseignement français à l’étranger s’est révélée très largement partagée.

Mon sentiment est que nous sommes loin de pouvoir envisager un développement de cet enseignement : ce serait déjà très bien de maintenir le périmètre existant, en particulier celui de l’AEFE, à l’horizon 2020. Ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : c’est la conséquence de la décision de l’État de prendre en charge les frais de scolarité des élèves français des établissements d’enseignement français à l’étranger. Cette mesure de gratuité des frais de scolarité a bousculé le modèle économique de l’enseignement français à l’étranger. Présentée comme égalitaire, elle est en réalité inéquitable.

On annonce maintenant que son application ferait l’objet d’un moratoire et que son extension éventuelle au premier cycle secondaire devra être précédée d’une étude d’impact. Cela signifie que le même établissement pourrait être soumis à deux régimes différents, avec un premier cycle payant et un deuxième cycle gratuit pour les ressortissants français, alors que l’enseignement de premier cycle est obligatoire !

La prise en charge a en outre déclenché un processus d’éviction des élèves étrangers qui, s’il n’a encore rien de dramatique, ne peut que s’intensifier du fait de l’effet d’aubaine pour les ressortissants français, en particulier les binationaux. Qui plus est, la participation financière des familles étrangères, « variable d’ajustement » à la disposition des établissements pour assurer leur équilibre budgétaire, sera accrue.

En ce qui concerne plus spécifiquement la Mission laïque française, celle-ci présente, pour la première fois, un document d’orientation stratégique 2010-2012, conformément à l’engagement que j’avais pris avant mon élection à la tête de la Mission. Au cours des cinq dernières années, grâce au dynamisme de mon prédécesseur M. Jean-Pierre Bayle, ancien sénateur des Français de l’étranger et président de chambre à la Cour des comptes, la MLF a plus que doublé ses effectifs scolaires et s’est lancée dans de nouveaux métiers. Il y a une demande très forte d’éducation « à la française » à l’étranger, surtout sur le pourtour méditerranéen, lieu de naissance de la Mission laïque il y a un siècle. Je rappelle que, dès l’origine, la Mission avait comme objectif la diffusion de l’enseignement laïque auprès des nationaux étrangers, qui représentent environ 80 % de nos effectifs scolaires.

Ce document d’orientation stratégique est une feuille de route, déclinant cinq chantiers et quinze programmes d’action. Comme l’AEFE, la MLF est actuellement confrontée à quatre défis : 1°) une compétition mondiale accrue en matière d’éducation, qui en fait un marché convoité ; 2°) la réticence croissante de certains pays à voir se développer sur leur sol un enseignement international concurrent de leur propre système d’éducation – c’est le cas du Maroc, où nous comptons six établissements rassemblant 6 000 élèves, mais où son développement devra emprunter d’autres voies, notamment celle de partenariats avec des établissements d’excellence marocains – ; 3°) l’insuffisante reconnaissance des certifications françaises ; 4°) enfin le poids grandissant des contributions imposées par les pouvoirs publics aux établissements conventionnés ou homologués, qui risque de fragiliser le réseau de la MLF.

Le document d’orientation stratégique vise à affirmer l’identité et la spécificité de la MLF, tout en la posant très clairement comme une composante du réseau d’enseignement français à l’étranger. La Mission reconnaît au ministère des Affaires étrangères, notamment à la direction générale de la mondialisation, sous l’autorité du secrétaire général du Quai d’Orsay, et aux ambassadeurs français, le rôle de pilotes stratégiques de l’enseignement français dans le monde. Les ambassadeurs devraient s’intéresser davantage à cet enjeu considérable, puisqu’il s’agit non seulement de la continuité du service public d’éducation envers nos ressortissants, mais également de l’influence et du rayonnement de la France.

Association à but non lucratif, reconnue d’utilité publique depuis 1906, la MLF, qui gère 20 % des effectifs scolaires, est un acteur du réseau de l’enseignement français à l’étranger, à côté de l’AEFE, l’opérateur principal. La MLF est aussi un partenaire du ministère des Affaires étrangères, ainsi que d’autres institutions, privées ou publiques, à l’étranger. Elle peut même être opérateur dans certains dossiers. Ainsi M. Bernard Kouchner nous a confié récemment la réhabilitation de deux grands lycées à Kaboul. Nous venons également d’ouvrir deux écoles au Kurdistan d’Irak. Par ailleurs, depuis une vingtaine d’années, nous gérons presque toutes les écoles d’entreprise, qui sont au nombre de 33, à la satisfaction de celles-ci. On voit que la MLF assume des missions de service public dans le cadre du rayonnement recherché par la diplomatie d’influence

À côté des établissements qu’elle gère directement, la MLF agit, notamment aux États-Unis, avec des établissements affiliés ou associés, dont nous organisons ou assurons le projet pédagogique. Par ailleurs, nous sommes de plus en plus appelés à développer des activités d’ingénierie éducative et de partenariat avec des établissements nationaux. Ce domaine de la coopération éducative est, à mon avis, appelé à connaître le plus grand développement dans les quinze à vingt années à venir. C’est ce que demandent des pays comme le Maroc ou le Liban.

La MLF a également vocation à intervenir en situation d’urgence ou de « post-crise », comme elle le fait en Afghanistan ou au Kurdistan irakien. C’est le cas aussi en Angola, où nous appuyons l’initiative de Total, qui va ouvrir dans ce pays quatre établissements dispensant aux élèves angolais un enseignement partiellement en français, dans le cadre d’une politique d’image de cette société.

Notre périmètre traditionnel couvre le pourtour méditerranéen, qui représente 60 % de nos activités. Nous comptons un réseau important en Espagne, et surtout au Maghreb et au Mashrek, qu’il faut consolider. Ce périmètre peut encore s’étendre, notamment dans le Golfe. Je viens d’inaugurer une toute petite école à Bethléem pour satisfaire la demande d’enseignement laïque de familles chrétiennes et musulmanes.

Nous comptons également répondre à la demande provenant de nouvelles « terres de mission » – laïque bien évidemment – en Asie, notamment en Chine, où l’apparition d’établissements privés suscite une demande d’enseignement français. C’est le cas aussi en Amérique du sud.

Notre modèle économique est celui de l’autofinancement. Le siège de la MLF ne compte que vingt-cinq personnes, nos activités étant caractérisées par la déconcentration et la décentralisation, sous l’égide de coordonnateurs en charge des réseaux les plus importants. Nous bénéficions cependant de l’aide du ministère des Affaires étrangères, qui prend en charge les salaires de 202 professeurs ou directeurs d’établissement, soit 10 % de notre personnel enseignant, généralement en poste dans notre périmètre traditionnel, comme au Liban, ou à Addis-Abeba.

L’AEFE souffre d’un déficit de financement lié à la mesure de prise en charge. La Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger avait estimé son coût à 400 millions d’euros, mais il pourrait se révéler bien supérieur si la mesure était étendue à l’ensemble du cycle scolaire jusqu’à l’école maternelle. De ce fait, l’Agence, à la demande de sa tutelle, recherche de nouvelles sources de financement. Le conseil d’administration de l’Agence vient ainsi de demander aux établissements conventionnés de lui verser 6 % des recettes : 3 % au titre des investissements – alors que nous finançons nous-mêmes nos investissements – et 3 % pour les cotisations patronales de pension. Ces cotisations représentent une somme considérable, puisque la MLF devrait verser presque dix millions d’euros (et l’Agence 110 ou 115 millions d’euros), et ceci sans aucune compensation, alors que l’Agence sera largement compensée. Nous avons demandé que ce prélèvement, qui fragilise notre réseau, fasse l’objet d’un moratoire.

Pour leur part, les établissements homologués – c’est le cas des établissements américains – devraient s’acquitter de 2 % de leurs recettes au titre des services rendus par l’Agence, alors que l’homologation était gratuite jusque-là. Il est certes normal de payer un service, mais non pas de manière rétroactive ni, surtout, par une taxation assise sur le chiffre d’affaires. Pour certains établissements américains, ce prélèvement s’élèvera à 150 000 euros par an, alors qu’ils ne payaient rien jusqu’ici ! Vous pensez bien qu’ils sont vent debout contre cette mesure.

Ce prélèvement étant dépourvu de base légale, l’Agence devra signer des contrats de partenariat avec ces établissements. Puisque nous avons nous-mêmes passé avec eux des contrats de partenariat, ils auront donc deux partenaires et seront soumis à deux taxations différentes ! De telles mesures ne peuvent que susciter l’incompréhension, et si on veut nous les imposer, je proposerai au conseil d’administration de la MLF que nous nous retirions du réseau américain, alors même que c’était l’ambassadeur de l’époque, M. Jean-David Levitte, qui nous avait demandé de le prendre en charge.

L’erreur politique que constitue la mesure de gratuité est donc encore aggravée par des mesures de gestion qui fragilisent nos établissements. Nous discutons en ce moment avec le ministère des Affaires étrangères de la possibilité, soit de revenir sur cette mesure, soit de prévoir des compensations. J’ai ainsi proposé qu’en contrepartie d’un moratoire, la Mission laïque prenne progressivement en charge les salaires des professeurs mis à disposition.

Je voudrais terminer mon propos en réitérant l’expression de ma préoccupation pour l’avenir du réseau de l’AEFE. Le risque de devenir un réseau franco-français est bien réel, alors que la mixité culturelle était sa marque de fabrique. C’est la mission de rayonnement et d’influence de notre réseau d’enseignement à l’étranger qui est en danger, puisque la volonté politique d’assurer un service public d’éducation de qualité aux enfants de nos expatriés existera toujours.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si je résume votre diagnostic sur l’état de l’enseignement français à l’étranger, il conviendrait d’essayer de maintenir le réseau existant, ce qui ne sera déjà pas simple, plutôt que de le développer. Vous êtes en outre revenu sur le problème de la gratuité, dont le poids budgétaire est très lourd. Pourriez-vous approfondir votre analyse, en nous indiquant notamment les moyens de sortir de la situation actuelle, qui risque de se révéler une dangereuse impasse pour l’enseignement français à l’étranger ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. À l’inverse de la Commission du Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, présidée par Alain Juppé, la Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger ne remet pas en cause le principe d’une prise en charge des frais de scolarité. Nous proposons de l’accompagner d’un double plafonnement, celui des ressources des familles bénéficiaires, et celui des droits de scolarité. Sous le régime actuel, en effet, tous ceux qui en font la demande peuvent bénéficier de la gratuité, quels que soient leurs revenus. Eh bien ! On a vu des familles disposant de 500 000 euros, voire d’un million d’euros de revenus annuels, demander la gratuité totale. On voit que cette mesure égalitaire n’est pas équitable. Elle l’est d’autant moins que les familles dont les enfants sont scolarisés dans le premier cycle paient, elles, « plein pot ».

Le plafonnement des droits de scolarité vise, lui, à parer aux dérives en matière de tarification des droits d’écolage. En effet, dans certains établissements, tels le lycée français de New York, la certitude que les frais de scolarité seraient remboursés a provoqué une véritable inflation des droits d’écolage. Ce plafond serait modulé en fonction des établissements et des pays.

Reste que la meilleure solution serait d’instituer un régime de bourses beaucoup plus généreux. C’est ce qu’avait proposé le ministère des Affaires étrangères au moment de mettre en œuvre ce qui était une promesse de campagne électorale.

L’effet d’éviction de la mesure de gratuité est évident, même si nous ne disposons pas encore des éléments d’analyse, puisque la commission qui devait mesurer l’impact de cette mesure n’a pas encore été mise en place, alors qu’on avait annoncé sa création il y a presque un an. En tout état de cause, la solution du moratoire et de la différenciation de deux régimes de droits de scolarité dans le même établissement n’a pas de sens.

La mesure de gratuité a, en outre, provoqué une augmentation du nombre de bourses accordées, au nom du principe d’équité, aux familles dont les enfants sont scolarisés dans le premier cycle. Si on additionne la prise en charge des frais de scolarité et des bourses, le montant de la contribution de l’État a presque doublé en deux ans, et c’est pour supporter cette charge considérable qu’on prend des mesures qui mettent en péril l’équilibre budgétaire des établissements, notamment de ceux de la MLF. Voilà pourquoi je tire le signal d’alarme, comme je l’ai déjà fait auprès du ministère des Affaires étrangères.

À tout cela s’ajoute un dernier risque, celui de voir des ressortissants de l’Union européenne, tels les Espagnols, déposer un recours devant la Cour de justice de Luxembourg pour discrimination.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Le mécanisme de double plafonnement que vous proposez équivaudrait pratiquement à remettre en cause la prise en charge pour revenir au régime des bourses. Par ailleurs, la prise en charge n’est pas la cause unique des difficultés financières de l’AEFE et de sa recherche de nouveaux financements : il y en a d’autres, notamment le transfert à l’Agence de la compétence immobilière sans compensation de l’État, dont il faudrait parler également. Non que je ne partage pas votre point de vue quant aux effets pervers de la prise en charge : il est urgent de l’aménager, voire de la remettre en cause. Mais il ne faut pas pour autant négliger l’incidence d’autres décisions qui compromettent elles aussi l’avenir financier de l’Agence.

Par ailleurs, si on veut, conformément aux préconisations du Président de la République, continuer à faire preuve d’ambition pour l’enseignement français à l’étranger, ne faudrait-il pas assigner des objectifs à la stratégie de diversification que vous prônez et à la diversité même de la gestion des établissements de la MLF, afin de donner à l’ensemble de ces actions un sens, une lisibilité et une cohérence, notamment sur le plan financier ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. Le besoin de financement lié au transfert de la compétence immobilière à l’AEFE s’élève à plus de cinquante millions d’euros par an, coût de la création de nouveaux établissements non compris. À mon avis, l’Agence n’est plus en mesure de créer de grands établissements, comme celui dont notre ambassadeur en Espagne souhaite la création à Barcelone. Le coût d’un tel établissement serait de l’ordre de quarante millions d’euros et l’Agence n’en a plus les moyens.

Par ailleurs, au cours des auditions de la Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger, nous avons notamment entendu des représentants du Cercle Magellan. J’ai été frappé de constater combien les entreprises étaient réservées sur la mesure de prise en charge des frais de scolarité, conscientes du risque de l’affaiblissement du réseau. Ce désengagement semble encouragé par les discours politiques selon lequel les entreprises n’ont pas à se substituer à l’État dans le financement de l’enseignement français à l’étranger. Les entreprises ont bien compris que les projets immobiliers de l’Agence allaient pâtir de la prise en charge. Le coût de celle-ci risque de rendre impossible, non seulement la création de nouveaux établissements, mais même la réhabilitation des établissements existants, la simple mise aux normes de sécurité représentant déjà un effort considérable. Ce besoin de financement est d’autant plus criant que nos établissements sont en concurrence avec des établissements anglo-saxons très bien équipés.

La limitation du développement de la MLF n’est pas un souhait de ma part, mais une nécessité prouvée par l’analyse et l’évaluation, et qui nous contraint parfois à ne pas répondre à certaines des multiples demandes qui nous sont adressées. Il s’agit désormais de consolider notre périmètre traditionnel plutôt que de l’étendre, sinon dans les pays en voie de développement.

Les nouveaux métiers sont un élément de la réflexion exposée dans notre document d’orientation stratégique. Il ne s’agit pas de remettre en cause notre modèle traditionnel, mais de l’adapter aux évolutions locales. Le Maroc, par exemple, nous incite désormais à nouer des partenariats pédagogiques avec les établissements marocains. On pourrait aussi envisager la création de filières bilingues au sein des établissements nationaux, notamment en Europe, par exemple en Espagne. Dans ces hypothèses, l’enseignement français ne serait plus dispensé par un établissement homologué. Mais l’homologation par l’éducation nationale, qui permet aux élèves de poursuivre leur scolarité dans l’enseignement public français, n’intéresse pas toujours les familles. Ainsi les familles américaines qui scolarisent leurs enfants dans les lycées français sont surtout attirées par notre savoir-faire éducatif : il semblerait que l’éducation « à la française », favorisant l’analyse et l’esprit critique, assure à leurs enfants une meilleure réussite dans les établissements américains d’enseignement supérieur.

C’est pourquoi justifier, au titre de l’homologation, une taxation de ces établissements, comme il est demandé à l’AEFE de le faire, n’a pas de sens : certains boards américains préféreront se passer de l’homologation plutôt que de verser à l’Agence 2 % de leur chiffre d’affaires. L’Agence a eu tort de voter une telle mesure, qui porte préjudice à l’image de nos établissements aux États-Unis. Il est vrai qu’elle ne fait qu’obéir à la volonté de Bercy de voir l’enseignement français à l’étranger s’autofinancer.

M. André Schneider, Rapporteur. Vous avez raison de souligner, monsieur le président, que la proportion d’élèves étrangers diminue dans nos établissements d’enseignement à l’étranger, au détriment du rayonnement du français dans le monde.

Renforcer l’attractivité de nos établissements passe par l’amélioration, non seulement des conditions matérielles, mais également du recrutement et de la compétence des personnels enseignants. Quel est votre point de vue sur cet aspect de la question ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. La Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger a souligné le risque que la diminution progressive, sous la pression de Bercy, du nombre des professeurs détachés fait courir à la qualité de cet enseignement. Il ne faudrait pas que ce nombre chute en deçà d’un certain seuil. Certes on trouve dans les pays de notre périmètre traditionnel de très bons professeurs, mais il faut veiller à ce qu’au moins le chef d’établissement et une partie du corps enseignant viennent de l’hexagone.

Ceci étant dit, il s’agit là d’une évolution inévitable. Selon mes informations, le prochain projet de loi de finances prévoira une nouvelle réduction de 10 % du nombre des professeurs titulaires. À cela s’ajoute l’aggravation de la charge budgétaire des établissements. C’est pourquoi nous réfléchissons à la possibilité d’élargir le recrutement local d’enseignants, quitte à leur dispenser une formation spécifique, sur place ou via des stages en France. Au Maroc, notre réseau compte seulement 10 % de professeurs titulaires, avec un taux de réussite aux examens égal voire supérieur à celui de l’AEFE.

La qualité de l’enseignement est également menacée parce que l’on peut appeler le « phénomène du 9-3 » : en Tunisie ou au Maroc, de plus en plus de binationaux résidant en France profitent de l’effet d’aubaine de la gratuité et demandent à être scolarisés dans nos établissements. Cette tendance est renforcée par l’effacement du sentiment proprement « nationaliste » chez ces Franco-tunisiens ou Franco-marocains. Parmi les 5 000 élèves supplémentaires scolarisés par le réseau, deux tiers sont des binationaux. Si cet effet d’aubaine permet à leurs parents de sortir ces enfants de situations scolaires difficiles, on assiste parfois, dans les établissements, à des affrontements entre ces jeunes qui viennent de nos banlieues et les autres élèves.

M. Georges Tron, Président. Je pense également que le nombre d’enseignants titulaires ne doit pas descendre en deçà d’un certain seuil et que l’éducation nationale devrait en contrepartie assurer une meilleure évaluation des personnels.

Par ailleurs, les informations que nous ont données les magistrats de la Cour des comptes recoupent vos propos.

La Cour a particulièrement mis en exergue trois défis : l’immobilier – le parc immobilier n’a pas été entretenu depuis vingt-cinq ans –, la gratuité et la coopération éducative. En ce qui concerne la gratuité, la Cour rejoint votre analyse de l’effet d’aubaine et de l’effet d’éviction. La coopération éducative fait partie des trois missions définies par la loi de 1990 portant création de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, à côté de la prise en charge des expatriés et du rayonnement de la langue et de la culture françaises. Cette mission est quelque peu négligée par l’Agence, alors qu’elle devrait s’imposer dans les pays qui veulent développer leur propre réseau éducatif.

Le réseau de notre enseignement à l’étranger est en quelque sorte victime de son succès. Son histoire en a fait l’héritier d’un vaste patrimoine immobilier qui le rend moins apte à s’adapter aux évolutions économiques.

M. Jean-François Mancel, rapporteur. Au-delà des questions financières, la question est de savoir si l’enseignement français à l’étranger ne doit pas évoluer vers un enseignement « à la française » pour faire face aux trois défis exposés dans le document d’orientation stratégique de la MLF : la compétition mondiale en matière d’éducation ; l’insuffisante reconnaissance des certifications françaises et la réticence de certains pays à voir se développer sur leur sol un enseignement français. Notre système d’enseignement à l’étranger se prépare-t-il à intégrer ces évolutions, ou reste-t-il figé dans l’immobilisme ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. La Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger avait dressé un bilan extrêmement positif de la loi de 1990 créant l’AEFE, mais avait également souligné que celle-ci devait évoluer. En effet, si l’Agence remplit bien les deux premières missions de l’AEFE – assurer le service public d’éducation au bénéfice des enfants d’expatriés et contribuer au rayonnement de la langue et de la culture françaises – elle peine à réaliser sa vocation en matière de coopération éducative, qui n’est pas étrangère non plus au rayonnement de la France.

C’est pour remédier à cette faiblesse que nous avons fait de la coopération éducative un des axes de notre document d’orientation stratégique, comme le fera l’Agence dans son propre document d’orientation stratégique, qui doit être adopté dans quelques semaines. L’AEFE et la MLF comptent toutes deux lancer des programmes de coopération éducative avec le Maroc, conformément au souhait du conseiller du roi en charge de l’éducation. La souplesse et la réactivité dues à l’organisation déconcentrée de la Mission nous permettront peut-être d’aller un peu plus vite que l’AEFE.

J’attends en outre du plan de développement de l’enseignement du français à l’étranger que le ministre des Affaires étrangères doit soumettre sous peu au conseil des Ministres qu’il nous indique une ligne d’action pour l’avenir. Tout doit être fait pour préserver le réseau et maintenir sa mission en matière de rayonnement de la langue et de la culture française, sans aller forcément jusqu’à la substitution d’un nouveau système au modèle ancien, comme au Maroc.

La valeur ajoutée de la MLF, c’est l’enseignement des langues et des cultures locales, selon notre devise de « trois langues, deux cultures ». Au français et à la langue nationale, il convient en effet d’ajouter un enseignement d’anglais renforcé, notamment pour répondre à la demande des entreprises : leurs cadres sont de plus en plus nombreux à scolariser leurs enfants dans des établissements anglo-saxons afin qu’ils bénéficient d’un enseignement en anglais. Pour l’essentiel, l’enseignement dispensé dans les établissements de la Mission est similaire à celui des établissements de l’AEFE.

M. André Schneider, Rapporteur. Tout est lié : le rayonnement et l’influence de nos établissements reposent sur la qualité de l’enseignement et sur la capacité des enseignants à se faire les ambassadeurs de notre pays. Je l’ai encore constaté très récemment à l’occasion d’un déplacement à Casablanca qui m’a permis de rencontrer la hiérarchie scolaire locale ainsi que les différents chefs d’établissement, dont certains ne m’étaient pas inconnus – j’ai en effet exercé les fonctions de chef d’établissement pendant 17 ans en France.

Je suis tout à fait d’accord avec l’idée que chaque établissement doit également enseigner la langue du pays dans lequel il est installé.

Par ailleurs, ce qui importe n’est pas d’envoyer des professeurs agrégés : le diplôme garantit des connaissances, mais pas nécessairement des compétences et une volonté d’intégration et de rayonnement. La situation laissant parfois à désirer, il faut procéder à une évaluation des enseignants avant leur départ et avant le renouvellement de leur contrat, quelle que soit sa durée.

Nous devons également nous assurer que les enseignants recrutés au plan local maîtrisent bien la langue française, aussi bien à l’écrit qu’à l’oral. Cela vaut pour toutes les matières, y compris les mathématiques.

Afin de ne pas aggraver les difficultés financières et structurelles actuelles, nous devons impérativement agir dans ces différents domaines. Qui n’avance pas recule. Évitons ce risque.

M. Yves Aubin de La Messuzière. Je suis tout à fait d’accord avec cette analyse.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Vous avez indiqué, à juste titre, que la coopération éducative doit éviter toute logique de substitution : il faut, avant tout, rechercher les complémentarités et s’adapter aux particularités locales.

Pouvez-vous nous dire si la coopération éducative pourra concerner des établissements non homologués, comme j’ai cru le comprendre ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. Il s’agira effectivement, dans le cas du Maroc, d’établissements « de référence » non homologués, choisis par les autorités. Sans cela, notre périmètre s’élargirait, ce qui ne correspond pas au souhait de l’État marocain, bien qu’aucune décision officielle n’ait été prise en la matière. La pérennité de notre réseau reposera sur sa croissance naturelle et sur la coopération éducative que nous allons entreprendre.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Avant même de raisonner en termes de financement, nous devons nous interroger sur la fédération des efforts : il faut veiller à assurer la cohérence de l’ensemble des dispositifs existants.

J’ai pu constater, à l’occasion de la rédaction de mon rapport pour avis dans le cadre du projet de loi de finances, qu’un certain nombre d’initiatives étaient prises par les parents d’élèves. Elles méritent d’être davantage encouragées financièrement, car elles sont peu onéreuses et complémentaires d’autres dispositifs. Les prestations offertes ne sont certes pas comparables avec celles du lycée français de New York, par exemple, mais elles ne manquent pas d’intérêt pour autant.

Comment favoriser le développement de nouvelles initiatives tout en assurant la cohérence de l’ensemble des dispositifs ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. La spécificité de notre pays est de s’appuyer sur plusieurs instruments à la fois. L’existence d’alliances françaises et d’instituts culturels est ainsi un atout : j’ai pu installer à Pékin, voilà quinze ans quand la création d’un institut était impossible, une alliance française dont le conseil d’administration était présidé par une personnalité chinoise francophone. De la même façon, l’action de la Mission laïque vient en complément et en appui du réseau considérable géré par l’AEFE.

Il arrive que celle-ci déconventionne certains établissements, ensuite confiés à la Mission. Leur situation n’étant pas toujours très saine, il peut en résulter des difficultés pour nous. J’ai l’intention d’être très vigilant dorénavant : nous n’accepterons plus que des établissements dont la gestion est saine.

Le document d’orientation stratégique pour la période 2010-2012 est très clair sur la question de la cohérence : nous sommes certes autonomes et nous avons notre propre identité, mais nous faisons partie d’un réseau piloté par le ministère des Affaires étrangères. Notre action s’inscrit dans le cadre des grandes orientations de notre politique étrangère.

Pour assurer la pérennité et le développement du réseau de l’enseignement français à l’étranger, nous devons travailler ensemble avec l’AEFE, sans esprit de concurrence. C’est à l’ambassadeur d’y veiller au plan local. Pour revenir sur le cas des États-Unis, je rappelle que c’est Jean-David Levitte qui a confié à la Mission laïque française le réseau américain, qui fonctionne bien.

Le prélèvement de 2 % des recettes des établissements homologués serait une erreur et la MLF se retirerait si c’était le cas. Il serait absurde qu’il y ait deux opérateurs pour le même établissement, que ce soit aux États-Unis ou ailleurs.

Lorsque j’étais directeur de la coopération culturelle et linguistique, j’ai été frappé par le cas d’une institutrice française qui avait créé à Miami un petit établissement d’enseignement à la française en réponse à la demande de familles américaines qui étaient dépourvues de tout lien avec la France et même avec la francophonie. J’ai veillé à ce que cet établissement soit inséré dans notre réseau grâce à un certain nombre d’aides ponctuelles, d’un montant modeste. Tout en menant une politique d’offre, la Mission laïque française doit répondre à la demande,

À Bethléem, ce sont des familles qui ont décidé de créer un établissement pour lequel elles ont souhaité bénéficier, non de la tutelle, mais du label de la Mission, gage d’une certaine qualité : cet établissement bénéficie des services d’un conseiller pédagogique. Nous l’avons par ailleurs mis en relation avec le service de coopération culturelle de Jérusalem, ce qui n’était pas une évidence car on pouvait redouter une concurrence avec un établissement déjà installé à Jérusalem Ouest.

Nous ferons tout pour assurer la cohérence de notre réseau, car c’est effectivement un enjeu essentiel. Je trouve, pour ma part, qu’il est bon de disposer d’au moins deux instruments – l’AEFE et la Mission, à quoi s’ajoutent l’alliance israélite universelle et l’enseignement catholique privé, bénéficiant tous deux d’une homologation. Je précise que les établissements catholiques du Liban sont, eux aussi, très hostiles à une ponction de 2 %.

M. Georges Tron, Président. Vous avez évoqué à plusieurs reprises votre volonté de développer un partenariat pédagogique et une coopération avec les établissements locaux, et vous avez indiqué qu’il s’agissait d’une nécessité au Maroc. Comment comptez-vous faire ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. Il convient tout d’abord de s’assurer qu’il y a une véritable volonté de la part des différentes autorités. Nous devons nous appuyer sur elles.

Ce type de partenariat pédagogique avait déjà été envisagé au Maroc, il y a quinze ans, mais il s’est heurté à des résistances, en particulier de la part des enseignants, qui considéraient que ce n’était pas leur métier ou réclamaient une rémunération supplémentaire que nous accordons à certains chefs d’établissement assurant une coordination inter-établissements ou avec les autorités locales.

Nous allons relancer ce projet en réponse à une demande formulée au plus haut niveau par les autorités marocaines, en la personne de M. Belfkih, conseiller du Roi pour l’éducation. Ce dernier remettra bientôt un rapport sur l’enseignement des langues, dont nous devrions avoir connaissance avant sa publication officielle. Nous allons ensuite mettre en place une commission pour étudier les modalités pratiques de notre action, en liaison avec le nouvel ambassadeur de France.

Le directeur général de la Mission laïque vient de se rendre au Maroc pour demander à tous les chefs d’établissement de se préparer. Nous allons avancer progressivement, mais de façon très déterminée.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Estimez-vous que les relations entre les différents acteurs de l’enseignement français à l’étranger sont bonnes ? Ont-ils une démarche commune sur les sujets essentiels ou bien existe-t-il, au contraire, une situation de concurrence ? Quelles améliorations faudrait-il apporter selon vous ?

M. Yves Aubin de La Messuzière. J’ai demandé que l’on signe une convention, non plus seulement avec le ministre de l’Éducation nationale, mais aussi avec celui des Affaires étrangères, car c’est avec ce ministère que nous entretenons les relations les plus étroites. Jusqu’ici, nous n’avions de convention qu’avec l’AEFE et avec la DGCID, la direction générale de la coopération internationale et du développement, aujourd’hui intégrée dans la direction générale de la mondialisation (DGM).

Nous devons tout d’abord affirmer notre identité, objet de nombreux malentendus : hormis en Afghanistan et au Kurdistan, nous ne sommes pas un opérateur du ministère des Affaires étrangères, mais un acteur et un partenaire.

Il y a toujours eu, au sein du ministère, une suspicion à l’égard de la Mission. À l’époque où j’étais en charge de ces dossiers au ministère, l’AEFE était ainsi vent debout contre le développement de la Mission au Maroc que je m’efforçais de favoriser, en réponse aux demandes des familles et en accord avec les autorités marocaines. Lorsque j’étais ambassadeur en Tunisie, l’AEFE considérait également que la MLF n’avait pas vocation à intervenir sur place, y compris lorsqu’il s’agissait d’installer de nouveaux établissements et non de se substituer à elle.

La situation évolue positivement, fort heureusement, mais cette culture persiste, y compris au sein de la Mission, même si nous faisons tout ce que nous pouvons, avec le directeur général, pour l’éviter.

Il y a, bien sûr, des améliorations à apporter. Nous avons tout d’abord besoin que notre rôle soit mieux reconnu. Il y a encore un effort à faire dans ce domaine, notamment auprès des élus. Les conseillers de l’Assemblée des Français de l’étranger se sont ainsi opposés à ce que l’établissement de Sousse, en Tunisie, qui ne fonctionnait pas très bien, soit transféré de l’AEFE à la Mission, par crainte d’un désengagement de l’État au profit du privé. Pour nous défaire de cette image, j’ai demandé à être auditionné par l’Assemblée des Français de l’étranger et je présenterai nos missions aux sénateurs représentant les Français de l’étranger à l’occasion d’un petit-déjeuner.

S’il y a des efforts à réaliser en matière de cohérence, ce n’est pas aux opérateurs de les consentir. Il appartient au ministère, notamment à la direction générale de la mondialisation, de prendre ses responsabilités et de jouer son rôle de régulateur et de pilotage stratégique : l’AEFE n’a pas à décider où la MLF doit intervenir ou non. C’est ainsi que nous éviterons les situations de concurrence.

Il importe, par ailleurs, d’instaurer la plus grande transparence possible, comme nous l’avons fait pour l’établissement de notre document d’orientation stratégique : nous sommes passés par l’intermédiaire des postes diplomatiques, auxquels nous avons ensuite transmis notre rapport. Nous attendons la même transparence de la part de l’AEFE et du ministère. L’arrivée d’une nouvelle directrice à la tête de l’AEFE y contribue.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Vous travaillez déjà en coopération avec les médias francophones. Ne pensez-vous pas qu’il faudrait construire de véritables stratégies communes au lieu de se contenter de partenariats ponctuels ? Je pense notamment à France 24.

M. Yves Aubin de La Messuzière. France 24, que je connais bien pour m’être occupé de l’audiovisuel extérieur, est avant tout une chaîne d’information. TV5 Monde a, en revanche, développé une dimension culturelle et francophone très forte et accompli de grands progrès. Nous avons récemment rencontré la directrice générale de la chaîne, Marie-Christine Saragosse, et nos équipes devraient bientôt en faire autant. Nous n’avons pas, pour le moment, de convention ni de partenariat : tout se fait ponctuellement, comme l’an dernier lorsque nous avons célébré le centenaire de la Mission laïque à Beyrouth.

Le site internet de la chaîne offre un enseignement à destination des adultes ; de notre côté, nous pourrions faire la promotion de la chaîne, qui offre des programmes intéressants pour nos activités éducatives. Il y a certainement des synergies à réaliser pour mieux faire connaître TV5 ainsi que l’action de la MLF. Mais il n’y a pas que TV5 Monde : on pourrait également songer à RFI.

Une des difficultés que nous rencontrons tient à la très forte tradition de discrétion de la Mission, que certains font remonter à ses liens originels avec la franc-maçonnerie – c’est une réalité, comme j’ai pu m’en apercevoir en préparant une émission sur nos pères fondateurs, partis s’installer, dans des conditions très difficiles, en Syrie ou encore à Salonique, en 1906, à la demande d’une partie d’une partie de la communauté juive qui souhaitait un enseignement laïque, au sein de l’empire ottoman.

M. Georges Tron, Président. Il me reste à vous remercier pour les réponses très précises et très intéressantes que vous nous avez apportées.

Audition du 18 février 2010

À 11 heures : M. Stéphane Romatet, directeur général de l'Administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères et européennes, et M. François Saint-Paul, directeur des Français à l'étranger et de l'administration consulaire.

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous sommes heureux d’accueillir M. Stéphane Romatet, directeur général de l'administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères et européennes, M. François Saint-Paul, directeur des Français à l'étranger et de l'administration consulaire, M. Etienne Léandre, sous-directeur de l’expatriation, de la scolarisation et de l’action sociale à la direction des Français de l’étranger, et Mme Marie-Hélène Lamy.

Je rappelle que la MEC s’appuie sur le travail de ses trois rapporteurs : M. Hervé Féron, membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, M. André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères, ainsi que votre serviteur. Trois membres de la Cour des Comptes participent également à nos travaux : MM. Jean-François Bernicot, conseiller-maître, président de section à la 4ème chambre, René André, conseiller-maître en service extraordinaire, et Joël Montarnal, conseiller référendaire.

Pouvez-vous commencer par faire un point sur la situation financière de l’enseignement français à l’étranger ? M. Aubin de la Messuzière, président de la Mission laïque française, que nous venons d’auditionner, nous a fait part de ses inquiétudes en la matière et nous a indiqué que nous n’étions plus dans une phase de développement, mais de préservation du réseau. Qu’en est-il selon vous ?

M. Stéphane Romatet, directeur général de l'administration et de la modernisation au ministère des Affaires étrangères et européennes. Nous sommes très heureux que la MEC fasse porter ses travaux sur l’enseignement français à l’étranger qui constitue une politique publique très importante pour le ministère des Affaires étrangères et européennes.

Nous allons fêter en 2010 le vingtième anniversaire de la création de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. Depuis qu’elle a été créée, par la loi du 6 juillet 1990, l’Agence a très bien rempli sa mission d’accueil des élèves français scolarisés à l’étranger et sa mission d’influence par le biais de la formation des élites étrangères. Au terme de ses vingt ans d’existence, la politique publique d’enseignement français à l’étranger est aujourd’hui à la croisée des chemins, et la puissance publique va devoir se prononcer sur un certain nombre d’évolutions. À mon sens, trois questions majeures se posent.

La première question est de savoir comment nous allons faire face à la demande croissante de scolarisation d’élèves, aussi bien Français qu’étrangers. La qualité de l’enseignement délivré est en effet reconnue. Dans le contexte actuel des finances publiques, apporterons-nous à cette demande une réponse publique par un renforcement des capacités d’accueil du réseau de l’AEFE, ou bien y répondrons-nous par la définition de nouvelles modalités d’accueil dépendant moins directement de l’État ?

Une seconde question concerne le partage de l’effort, aujourd’hui pour les deux tiers à la charge des familles et pour un tiers à la charge de l’État. Cette répartition est-elle optimale ? Où placer le curseur entre les contributions demandées aux familles et le financement apporté par l’Etat compte tenu de la situation prévisible des finances publiques dans les années à venir ? Question connexe : de quel accompagnement peut-on faire bénéficier les familles en difficulté sociale, sous forme de bourses ou d’une prise en charge de la scolarité par l’État ?

Tout aussi importante pour l’Agence et pour les autres opérateurs, tels que la Mission laïque française et l’Alliance israélite universelle, est la question des investissements de l’État. Quel effort l’Agence et l’État sont-ils prêts à consentir en la matière ? Pour des raisons essentiellement budgétaires, l’État propriétaire a mal assumé ses obligations d’entretien du parc scolaire, en pleine expansion au cours des dernières années. Comment allons-nous respecter nos obligations en matière de sûreté et de sécurité des installations et quel type d’investissements immobiliers sommes-nous en mesure de consacrer à l’entretien de ce patrimoine ?

Sur ces différents sujets, le travail de la MEC arrive à point nommé. Il devrait nous éclairer sur les choix qui nous attendent.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le président Georges Tron va certainement regretter d’avoir dû nous quitter : chacun sait qu’il porte un intérêt particulier aux questions immobilières.

Vous avez indiqué que l’État avait mal assumé ses responsabilités. Pouvez-vous nous en dire davantage sur la situation actuelle et sur les défis qu’il faudra relever dans les années à venir ?

M. Stéphane Romatet. Il faudra tout d’abord se demander qui assume la responsabilité politique, financière et technique de l’entretien du parc scolaire à l’étranger : est-ce le rôle de l’opérateur ou bien celui de l’État ? La diversité du réseau scolaire à l’étranger rend cette question particulièrement complexe, l’État ayant une responsabilité beaucoup plus immédiate pour les établissements en gestion directe que pour le réseau des établissements conventionnés ou homologués.

Il faut également s’interroger sur notre effort financier. On constate aujourd’hui un retard préoccupant dans l’entretien du parc : selon les évaluations réalisées en liaison avec l’Agence, 30 millions d’euros seraient nécessaires pour remplir nos obligations. Un tel coût correspond aux travaux urgents à réaliser en matière de maintenance, d’entretien et de mise aux normes du parc actuel, c’est-à-dire sans prise en compte de son éventuelle extension.

Depuis 2006, le choix a été fait de transférer la responsabilité immobilière d’un certain nombre de lycées en gestion directe à l’Agence. Une dizaine d’établissements ont ainsi été transférés par arrêté conjoint du ministre des Affaires étrangères et européennes et du ministre chargé du domaine. Ce transfert ayant eu lieu sans transfert de ressources, l’AEFE a dû demander une contribution aux familles pour honorer ses responsabilités. Nous sommes convenus avec elle qu’il fallait arrêter ce processus de dévolution immobilière en l’absence de réponse à ces deux questions : qui paie et quel effort réalisons-nous ?

Dans la situation actuelle, l’Agence n’est pas en mesure de réaliser cet effort de 30 millions d’euros à moins de faire davantage appel aux contributions des familles. Nous avons apporté une première réponse dans la loi de finances pour 2009 en augmentant légèrement la subvention pour charges de service public, inscrite au programme 185 Rayonnement culturel et scientifique de la mission Action extérieure de l’État. Cet effort, poursuivi en 2010, permet d’aider l’AEFE à faire face à ses responsabilités immobilières. Toutefois, il reste limité eu égard aux financements nécessaires et devra être poursuivi dans les années à venir si nous voulons que le réseau scolaire à l’étranger soit en mesure d’accueillir convenablement les élèves.

M. Hervé Féron, Rapporteur. D’après les informations dont nous disposons, j’ai le sentiment que la somme de 30 millions d’euros est quelque peu sous-évaluée. En outre, ce n’est pas le seul problème financier auquel l’Agence doit faire face : le dispositif de prise en charge, ou « gratuité », n’a pas que des conséquences sur la fréquentation des établissements, mais aussi sur la charge budgétaire. On peut également se demander pourquoi la compensation de la part patronale des pensions n’est pas intégrale, comme c’est le cas pour les autres établissements publics.

La solution consistant à demander une contribution aux établissements est assez mal perçue, et elle ne suffira probablement pas. D’où la nécessité de nous interroger sur nos objectifs ainsi que sur les moyens alloués à l’AEFE. En effet, il y a aujourd’hui un décalage entre les ressources attribuées à l’Agence et les objectifs fixés par le Président de la République. Nous subissons le poids du passé, comme le montre le manque d’entretien du patrimoine immobilier.

M. Stéphane Romatet. À mon sens, les questions budgétaires qui se posent à l’Agence sont de quatre ordres. Il y a lieu, tout d’abord, de s’interroger sur la capacité de l’Agence, et plus généralement du budget de l’Etat, à assumer le coût de la prise en charge, aujourd’hui mise en œuvre de la terminale jusqu’à la seconde : à la rentrée 2010, irons-nous au-delà, compte tenu du coût très important et croissant que cela représente pour le budget ? Il s’agit d’un choix de nature politique, qui influera sur le budget du ministère pour les années à venir. Deuxième question, du fait de son autonomie budgétaire, l’AEFE doit assurer les charges patronales. Jusqu’en 2008, cette dépense était prise en charge par l’Etat pour les personnels détachés auprès de l’Agence. Dans un but de transparence des coûts, il paraît de bonne politique qu’elle soit désormais assumée par l’opérateur. Reste à savoir si le transfert budgétaire correspondant à cette évolution est convenablement calibré, c’est-à-dire neutre pour l’Agence. Le montant de 120 millions d’euros qui a été transféré en loi de finances pour 2009 et consolidé pour 2010, est aujourd’hui suffisant à taux de charges patronales constant, mais l’Agence serait en difficulté financière si ce taux devait évoluer.

Je ne reviens pas sur les problèmes de nature immobilière que j’ai évoqués. Ils constituent la troisième hypothèque financière.

Quatrième point, une autre inquiétude porte sur le niveau dangereusement fragile du fonds de roulement de l’Agence, inférieur à deux semaines de fonctionnement. L’AEFE étant le premier établissement public administratif de l’État par la masse des personnels gérés, son fonds de roulement devrait être calibré de façon à lui garantir une certaine sécurité de fonctionnement. À cet égard, nous avons atteint une limite qu’il ne serait pas prudent de dépasser.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Si le fonds de roulement est si bas, n’est-ce pas parce qu’il a fallu le ponctionner au cours de l’exercice précédent pour les différentes raisons que vous venez d’expliquer ?

M. Stéphane Romatet. C’est tout à fait exact.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il semble qu’il y ait un écart croissant entre le coût compensé des charges patronales – 120 millions d’euros – et leur coût réel à taux constant – 126 ou 128 millions cette année, en augmentation pour 2011. Le problème ne devrait que s’aggraver à l’avenir.

M. François Saint-Paul, directeur des Français à l'étranger et de l'administration consulaire. J’évoquerai, pour ma part, les aides à la scolarité. Les chiffres que je vais mentionner sont détaillés dans le dossier que nous remettons à la mission.

La réforme de la prise en charge des frais de scolarité, la PEC, qui a été engagée dès 2007, a d’abord concerné les classes de terminale, puis les classes de première à la rentrée 2008-2009 et les classes de seconde à la rentrée 2009-2010. Elle s’est accompagnée d’un abondement de l’action 2 du programme 151 « Français à l'étranger et étrangers en France » d’environ 20 millions d’euros supplémentaires par an, soit un total de 66 millions d’euros en 2008, de 86 millions en 2009, de 105,48 millions en 2010, et probablement de 126,9 millions d’euros l’année prochaine.

Cet effort sans précédent a permis de porter à 29 000 le nombre d’élèves bénéficiant d’une aide à la scolarité – 9 000 au titre de la PEC et 20 300 au titre des bourses scolaires – sur les 105 000 élèves français scolarisés dans le réseau de l’AEFE.

Le bénéfice de la PEC est aujourd’hui limité au second cycle de l’enseignement secondaire et l’article 133 de la loi de finances pour 2009 conditionne son extension à la réalisation d’un bilan d’étape. Comme Stéphane Romatet l’a indiqué tout à l’heure, nous sommes à la croisée des chemins et les conclusions de la MEC devraient être très utiles.

Je souhaiterais rappeler qu’il y a un délai entre la prise de décision et son impact budgétaire : la distance entre le Titanic et l’iceberg n’est pas négligeable… Nous devons impérativement en tenir compte, car, en cas de sous-évaluation, la seule solution est le recours à une procédure de régulation brutale.

Je rappelle également que la réforme de la PEC a été réalisée dans un contexte de forte augmentation des coûts : même en l’absence d’évolution du dispositif, nous constatons aujourd’hui une dynamique à la hausse, aussi bien de la prise en charge que des bourses.

Bien que la proportion d’élèves étrangers reste stable, on constate un effet d’éviction, notamment dans le bassin méditerranéen. Un désengagement des entrepreneurs individuels commence, par ailleurs, à se produire. Les sièges des grandes multinationales n’ont pas encore donné d’instructions, mais on relève de plus en plus de décisions prises localement par les filiales.

Au terme d’une assez large concertation, un premier train de mesures de régulation a été décidé en 2009, avec effet en 2010, dans le but de contenir la progression des dépenses : sauf cas de force majeure, les dossiers déposés hors délai sont désormais irrecevables ; la part du revenu disponible des familles affectée aux frais de scolarité, le « coefficient K », a été portée de 20 à 25 % dans tous les pays, hormis aux États-Unis où il a été fixé à 35 % ; pour les fratries éligibles à la fois aux bourses et à la PEC, le montant des droits couverts par la PEC est désormais exclu du calcul des frais de scolarité à la charge des familles ; le montant des droits couverts par la PEC a été cristallisé dans les établissements homologués; à cela s’ajoutent un certain nombre de mesures en matière de contrôle.

Compte tenu du délai dont je vous ai parlé, les mesures décidées à l’été 2009 ne commenceront à produire leurs effets qu’à l’automne 2010, et en année pleine en 2011, soit avec un différé de plus de 18 mois. Leur impact financier est estimé à 2,7 millions d’euros en 2010, 4,4 millions en 2011, et 3,9 millions en 2012. Autrement dit, les mesures décidées en année n, publiées en janvier de l’année n+1, commencent à produire leurs effets en septembre n+1 pour le « rythme Nord », et atteignent leur plein effet en année n+2. Il faut tenir compte de linertie du système, qui est considérable, chaque variable ayant sa propre dynamique.

La dotation totale pour les bourses et la PEC était de 51,96 millions d’euros en 2007, 66,2 millions en 2008 et 86,1 millions en 2009.

D’après les prévisions réalisées en extrapolant l’évolution observée depuis 2007 – soit une augmentation moyenne de 5 % par an du nombre de bourses et de PEC et de 12 % du coût moyen d’une aide –, le coût total estimé sera, avec moratoire, de 107,4 millions d’euros en 2010, 126,3 millions en 2011, 150 millions en 2012 et 177 millions en 2013. Pour la PEC, les estimations sont de 39,3 millions d’euros en 2010, 47,4 millions en 2011, 55,8 millions en 2012, et 65,6 millions en 2013. Pour les bourses, elles sont respectivement de 70,8 millions d’euros, 83,3 millions, 98 millions et 115,3 millions d’euros.

Il y a donc une dérive qui touche aussi bien la PEC que les bourses, ces deux composantes augmentant du fait de la hausse du nombre d’élèves et du coût de la scolarité.

Le coût moyen pour les bourses scolaires a augmenté : de 2 589 euros pour l’année scolaire 2007-2008, il est passé à 2 742 euros pour 2008-2009 et à 3 109 euros en 2009-2010. Pour la PEC, les coûts sont respectivement de : 3 200, 3 500 et 4 000 euros.

De 2007 à 2010, l’évolution du nombre de boursiers à base constante des classes de maternelle à la troisième est de + 6,3 % et celle du coût moyen de + 11,3 %. Pour la PEC, ces chiffres sont respectivement de + 12 % et de 13 %.

S’agissant de l’évolution de la subvention à l’AEFE avec et hors bourses et prise en charge sur les programmes 185 Rayonnement culturel et scientifique et 151 Français à l'étranger et étrangers en France ont augmenté, et la part bourses et prise en charge, proche aujourd’hui de 25 % du total, est en augmentation, au détriment du financement des autres actions.

Par ailleurs, le coût de l’aide à la scolarité varie beaucoup en fonction des régions. Il est le moins élevé en Afrique, le plus élevé en Amérique du Nord : ainsi le coût moyen de la PEC est de 20 723 euros pour 47 PEC au Lycée international franco-américain de San Francisco, soit un total supérieur de 973 992 euros, et de 16 581 euros pour 143 PEC au Lycée français de New York, soit un coût global de 2,371 millions d’euros.

Les personnes qui, au ministère, travaillent sur le programme 151 Français à l'étranger et étrangers en France et sur le programme 185 Rayonnement culturel et scientifique ont des relations quotidiennes et excellentes, mais l’essentiel des actions pour les Français de l’étranger est porté par le premier, le personnel consulaire étant au service de nos compatriotes. On constate en 2010 que l’action 2 absorbe de plus en plus de crédits du programme 151. Sur un total de 325 millions d’euros, 189 millions d’euros sont consacrés aux dépenses de personnel – pour des fonctionnaires qui sont directement en contact avec le public – avec une progression de la masse salariale quasiment nulle, de 0,3 % cette année. À cela s’ajoutent 7,5 millions d’euros pour le fonctionnement – dépenses des postes consulaires, frais de tournée – et 18,9 millions pour le pôle social – prestations sociales non contributives –. Cela amène à se demander si l’on préfère conserver un réseau consulaire ou continuer à mettre l’accent sur l’action 2.

Si j’en juge par les demandes qui nous sont adressées, il paraît souhaitable de répondre aux besoins généraux des Français de l’étranger, tout en parvenant à maîtriser la dépense de l’action 2 où la situation est actuellement très préoccupante.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si je comprends bien, le Titanic s’est rapproché de l’iceberg en peu de temps…

M. André Schneider, Rapporteur. On a beaucoup évoqué la situation matérielle – gestion et entretien des immeubles, scolarité, bourses –, mais il nous faut aussi parler du rayonnement de la langue française à l’étranger. Comment ne pas s’interroger sur le fait que, selon le président de la Mission laïque française, le taux d’étrangers qui entrent dans nos établissements soit plutôt stable ?

S’agissant du recrutement, de l’affectation et du renouvellement des personnels, vous avez parlé de choix politique. Que peut-on faire pour que le français et l’influence de la France dans le monde ne reculent pas ?

M. Jean-François Mancel, Rapporteur La subvention à l’AEFE représente 70 % du programme Rayonnement culturel et scientifique, et les bourses 30 % du soutien à nos expatriés. Si rien ne change, il s’ensuivra un déséquilibre entre l’enseignement et le service à nos expatriés. Le problème politique est donc de définir la priorité : le rayonnement et le développement de la langue ou le service à apporter à nos compatriotes expatriés ?

M. Stéphane Romatet. Cette question est au cœur de la réflexion sur la politique publique en la matière. Pour moi, ces deux missions sont compatibles. Donner le sentiment que nous voulons faire évoluer notre système scolaire à l’étranger vers sa composante scolarisation des Français au détriment de notre vocation d’influence serait, à terme, très pénalisant pour nos intérêts en matière de politique étrangère et de promotion de la langue française.

Lorsque nous parlons de ces sujets avec nos ambassadeurs dans le cadre des réformes que nous mettons en œuvre, ils nous disent toujours que le plus important à l’étranger est la présence scolaire française, en raison de cette mission d’influence. Je suis pour ma part convaincu que l’État est encore en capacité de confier à son opérateur pivot, l’AEFE, cette dualité de mission.

Cela étant dit, il nous faut aussi être capables d’imaginer de nouveaux modes de présence scolaire à l’étranger. C’est la raison pour laquelle nous préparons actuellement un plan d’orientation stratégique, avec un contrat de performance que nous allons négocier avec l’Agence. Les travaux sur ce point portent sur le type de présence et la façon de répondre à la pression de la demande. Le modèle d’un lycée français à l’étranger est-il unique et indépassable ou d’autres formules plus légères, plus partenariales, avec les systèmes scolaires étrangers sont-elles envisageables ? Nous souhaitons orienter l’opérateur pivot dans cette dernière direction. Des initiatives très intéressantes sont prises, comme des classes de français dans des établissements étrangers, des classes bilingues, etc. Une partie de la réponse à cette pression scolaire à l’étranger proviendra de ce type de formule, plutôt que de la construction de salles de classe à la française dont nous n’avons plus les moyens aujourd’hui. L’AEFE va fêter ses vingt ans cette année : nous devons être capables, pour les vingt prochaines années, d’inventer ces formules, probablement beaucoup moins dépendantes du seul financement public, d’autant que des partenaires étrangers peuvent nous aider.

Telles sont les pistes sur lesquelles nous travaillons. La directrice de l’Agence pourra vous faire part des orientations très particulières qu’elle entend proposer à sa tutelle dans les mois à venir.

M. François Saint-Paul. Quelques compléments à l’appui de ces propos, avec lesquels je suis entièrement d’accord.

En dix ans, la population française à l’étranger a augmenté de 45 %. Le rythme de croissance moyen est de 3 % à 4 % aujourd’hui et même de 5 % au Moyen-Orient et en Extrême Orient.

Si l’on veut soutenir nos entreprises et nos investissements à l’étranger, la première question est : y a-t-il une école ?

Les hypothèses pour 2010-2013 étant raisonnables, deux solutions se présentent. Soit on se situe dans le cadre dont j’ai parlé, et il ne faut pas « sous-budgéter » la dépense, sachant que la régulation prend effet au bout de 18 mois. Soit on réfléchit à d’autres mesures.

Avec le train des dernières mesures prises, les économies atteindraient 2,7 millions d’euros en 2010 ; 4,4 millions en 2011 ; 3,9 millions en 2012 ; et 3,9 millions en 2013. Ces montants ne sont pas à la hauteur de la dérive dont je vous ai parlé, car la dépense continue de croître.

Nous sommes impatients que cette mission aboutisse à des propositions. Nous connaissons les pistes : soit le plafonnement de la prise en charge de ces coûts ; soit la prise en compte du critère de revenu, qui introduit de l’équité, mais représenterait aussi une lourde charge de travail de vérification dans les consulats et nécessiterait davantage de personnel. Ce sont des choix politiques.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Sans même parler de la perspective d’un développement de notre présence en matière d’enseignement, la situation actuelle est inquiétante avec des problèmes immobiliers considérables et la dérive des coûts de la PEC et des bourses qui s’inscrit dans une perspective de forte inertie.

M. François Saint-Paul. Le coût total estimé en 2011 est de 126,3 millions d’euros avec moratoire et de 144 millions si l’on applique la réforme à la classe de troisième ; en 2012, de 150 millions avec moratoire, de 197 millions avec la classe de quatrième ; en 2013, de 177 millions avec moratoire, de 265 millions avec la classe de cinquième.

M. Stéphane Romatet. En cas de décision politique étendant la prise en charge à l’ensemble des cycles scolaires, du primaire jusqu’à la terminale, le coût pour les finances publiques serait d’environ 700 millions d’euros.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. À quelle échéance doit être prise une décision sur les politiques à venir ?

M. Stéphane Romatet. Compte tenu des délais de réactivité du système, et dans le contexte de la programmation budgétaire 2011-2013, une décision politique sur la poursuite du moratoire ou la reprise de l’extension de la prise en charge doit être prise à la fin du printemps. Concrètement, compte tenu des instructions à donner à nos postes diplomatiques et consulaires, notamment pour les dossiers de bourses – la commission nationale des bourses se réunit en juin, la commission locale à l’automne –, le signal politique doit avoir été donné d’ici l’été.

M. André Schneider, Rapporteur. Quelle comparaison peut-on faire entre notre politique et celle menée par certains de nos principaux partenaires, Angleterre, Allemagne, États-Unis ?

M. Stéphane Romatet. La France n’est pas le seul pays à avoir un réseau scolaire à l’étranger, mais le seul à disposer d’un service public d’enseignement à l’étranger. Dans beaucoup de capitales étrangères, une concurrence s’exerce entre l’établissement scolaire public français et un réseau d’écoles privées, anglaises, américaines, parfois allemandes.

La population étrangère est attirée vers le système public de l’enseignement français à l’étranger pour deux raisons. D’abord, la qualité de notre enseignement est maintenue, avec un taux de succès au baccalauréat très élevé. Il faut avoir à l’esprit cet objectif de maintien de la qualité, d’où la question de la bonne articulation entre les personnels expatriés, très minoritaires, les personnels résidents et les personnels de recrutement local. Ensuite, nos écoles françaises à l’étranger sont réputées moins coûteuses que les écoles privées américaines ou anglaises.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Au fond, notre système semble victime de son succès. Grâce à la gratuité, le nombre d’élèves augmente, d’où le problème de l’accueil, donc de l’immobilier. Mais comme notre système repose justement sur une présence d’établissements « en dur », il est plus difficile de procéder à des fermetures en cas de réorientation. Pourtant, beaucoup d’établissements ont été fermés, notamment au Maroc, pour permettre d’en ouvrir ailleurs.

Quels critères doivent donc être maintenus pour que l’enseignement du français à l’étranger reste attrayant, tout en faisant évoluer les choses ?

M. Stéphane Romatet. Ce qui est recherché, c’est le label « éducation nationale française » et la capacité d’un établissement scolaire à délivrer le baccalauréat de l’enseignement général français.

Comme j’ai pu le constater grâce à mes expériences d’expatriation, la réputation à l’étranger du baccalauréat général français reste aujourd’hui très forte. Il nous faut organiser un système qui nous permette de labelliser des formations secondaires dans des établissements dont les élèves peuvent être amenés jusqu’à ce baccalauréat général. D’où l’idée, à laquelle nous réfléchissons, de classes de français labellisées Éducation nationale, allant jusqu’au baccalauréat français, dans des établissements scolaires étrangers. Ainsi l’Agence réfléchit actuellement à l’ouverture de classes de français dans des établissements russes, en raison des difficultés du Lycée français de Moscou de répondre à la demande. Cette idée est intéressante car elle permettra de conserver ce label. C’est très important en termes d’influence et de promotion de la francophonie dans le milieu scolaire russe.

Beaucoup de vertus s’attachent à la diversification des offres scolaires françaises, au lieu de simplement raisonner en termes de « béton ».

M. André Schneider, Rapporteur. Il conviendrait également d’améliorer le chaînage entre enseignement secondaire et enseignement supérieur, notamment via la politique de bourses d’enseignement supérieur.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel est le sentiment des Français de l’étranger à ce sujet ?

M. François Saint-Paul. Pour eux, la question de l’accès à l’enseignement français est essentielle. L’avenir des bourses et de la prise en charge est une préoccupation majeure. Les annonces de 2009 ont été mal vécues. Comme on ne sait pas faire de la régulation, il faut une budgétisation sincère d’une dépense évaluée sincèrement.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Ont-ils conscience que le système doit être revu ou le considèrent-ils comme un acquis ?

M. François Saint-Paul. Ils ont conscience des avantages du système – mais aussi de son coût – et ont besoin d’être assurés de sa pérennité.

S’il leur est bien expliqué que les mesures assureront l’existence même du système, un « paquet » sera possible, d’autant qu’il y a une grande convergence chez les élus sur certains problèmes. Autrement dit, la méthode de la réforme sera aussi importante que la réforme elle-même.

M. André Schneider, Rapporteur. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le recrutement du personnel ?

M. Stéphane Romatet. Il nous faut aussi réfléchir à une politique équilibrée pour les 10 000 personnels de l’Agence, répartis en trois catégories : 1 000 à 1 200 personnels expatriés, aujourd’hui très minoritaires alors qu’ils formaient autrefois l’ossature des effectifs de l’Agence ; 5 000 à 5 500 enseignants résidents, recrutés sur place avec un contrat de résident (traitement et indemnité de cherté de vie) ; 3 000 à 3 500 employés de recrutement local, dans des fonctions administratives et de soutien.

Comment bien calibrer la répartition entre personnels expatriés et personnels résidents, sachant qu’une très forte pression s’exerce pour diminuer la part des premiers, qui coûtent cher par rapport aux seconds ? Cela dépend beaucoup des situations locales. Dans certains pays, nous pouvons recruter sans difficulté des enseignants – et le contrat de résident est une très bonne formule. Dans d’autres, l’offre de professeurs n’étant pas suffisante pour bénéficier d’un corps enseignant au niveau requis en quantité et en qualité, l’envoi de professeurs de France reste une nécessité. Par ailleurs, certaines fonctions doivent nécessairement continuer d’être assumées par des personnels formés et expérimentés, notamment celles de directeur d’établissement.

Aujourd’hui, nous sommes parvenus, me semble-t-il, à une forme d’équilibre dans la répartition des effectifs entre expatriés et résidents.

M. André Schneider, Rapporteur. En effet, il semble que nous ayons atteint un seuil. La qualité des enseignants est très importante, tout comme la vocation de ces personnels à se sentir, en dehors de leur établissement, des ambassadeurs de la France et des Français.

L’Agence a mis un certain temps à fonctionner puisque, entre la loi de 1990 et les décrets qui ont mis en place le système de gestion, treize ans se sont écoulés. Mais depuis 2003, il semble que les choses se passent bien du point de vue tant de la tutelle du ministère que de l’autonomie de gestion de l’AEFE.

Rappelons simplement que le président du conseil d’administration de l’Agence est aussi directeur général de la mondialisation au ministère : comme l’a indiqué la Cour des comptes, c’est à l’équilibre entre tutelle et supervision qu’il faudrait réfléchir.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous poserai deux questions en guise de conclusion. Le gestion de l’immobilier pourra-t-elle un jour trouver sa place dans la future société foncière de l’étranger ? La tutelle de l’État sur l’AEFE est-elle bien assurée ?

M. François Saint-Paul. S’agissant de la tutelle, nous travaillons en totale transparence avec l’AEFE : nous construisons ensemble les chiffres, tirés de ses logiciels officiels. Je ne sens pas de difficulté au fait que les financements reposent sur deux jambes : envisageons les mêmes mesures pour avancer.

M. Stéphane Romatet. Le champ principal de l’opérateur de gestion de l’immobilier de l’État à l’étranger – projet que nous sommes en train de monter – doit être l’immobilier standard de bureau, pour lequel nous devons consentir des efforts en termes de gestion, de réduction des surfaces, de valorisation du patrimoine.

En revanche, l’immobilier scolaire est un patrimoine spécifique. Le sujet de la foncière étant suffisamment complexe pour ne pas charger l’opérateur d’un patrimoine éloigné de son cœur de métier, l’immobilier scolaire serait plutôt, à ce stade, en dehors de son périmètre.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie.

Audition du 4 mars 2010

À 9 heures 30 : M. François Denis, président de la Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger (FAPÉE) ; M. Abdelouhab Boukouraych, administrateur national, et Mme Cécile Blanchard, chargée de mission, de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE) ; ainsi que Mme Claudine Caux, vice-présidente de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP)

Présidence de M. David Habib, président

M. David Habib, Président. Je suis heureux d’ouvrir cette deuxième matinée d’auditions que la Mission d’évaluation et de contrôle consacrera à l’enseignement français à l’étranger, qui est l’un trois des thèmes de travail qu’elle a retenus en 2010. Je salue, aux côtés de nos trois Rapporteurs, Jean-François Mancel, Hervé Féron et André Schneider, ainsi que de M. Jean-Pierre Brard, les représentants de la Cour des comptes qui, comme d’ordinaire, nous assistent durant nos auditions : M. Jean-François Bernicot, conseiller-maître, et René André, conseiller-maître en service extraordinaire.

Vous connaissez tous l’importance et l’actualité du thème qui nous réunit aujourd’hui. Le Président de la République a mentionné un plan de développement de l’enseignement français à l’étranger dans la lettre de mission qu’il a adressée au ministre des Affaires étrangères. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) fait actuellement l’objet d’une évaluation et d’un audit. Enfin, le Parlement souhaite prendre toute la mesure des enjeux financiers de l’enseignement français à l’étranger car il nous appartient bien sûr de nous assurer de la bonne utilisation des crédits de l’État. Nos trois rapporteurs seront vigilants sur ces aspects financiers, tout en étant conscients de la dimension bien plus large de l’enseignement du français à l’étranger.

M. François Denis, président de la Fédération des associations de parents d’élèves des établissements d’enseignement français à l’étranger (FAPÉE). Si vous me permettez une précision, monsieur le Président, il s’agit de l’« enseignement français » à l’étranger, et non de l’« enseignement du français » à l’étranger.

M. Jean-Pierre Brard. Quelle différence faites-vous exactement ?

M. François Denis. L’enseignement français à l’étranger est un enseignement global des programmes scolaires français, analogue à ce qu’il est en France, dispensé à l’étranger à des enfants français ou non qui ont fait le choix de suivre un enseignement dans notre langue. Il ne s’agit pas seulement de l’enseignement de la langue française, mais de l’ensemble des matières, dans le cadre de notre système et du respect des valeurs qui sont les siennes.

M. Jean-Pierre Brard. En français bien sûr…

M. François Denis. Tout à fait.

M. David Habib, Président. Je vous propose, Mesdames, Messieurs, de présenter brièvement vos organisations et de nous dire comment elles voient la situation.

Mme Claudine Caux, vice-présidente de la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP). La Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public, présente de la maternelle à l’université, est une association également présente dans les établissements publics français à l’étranger. Comment nos adhérents dont les enfants fréquentent ces établissements perçoivent-ils les choses ? Tous considèrent que cet enseignement coûte désormais vraiment trop cher et est devenu inaccessible aux familles qui ne disposent pas de gros moyens – la crise ne sévit pas qu’en France. Tous reconnaissent la qualité de l’encadrement dans ces établissements, dont les résultats sont excellents, mais beaucoup nous ont fait part des difficultés que rencontrent les enfants à leur retour dans le système scolaire français. Ils s’y sentent perdus et ont beaucoup de mal à s’adapter, notamment à l’université – sans que cela tienne à une insuffisance de niveau scolaire.

M. Abdelouhab Boukouraych, administrateur national de la Fédération des conseils de parents d’élèves des écoles publiques (FCPE). Administrateur de la FCPE, je suis également président de la FCPE Maroc. L’enseignement français à l’étranger est un enseignement d’excellence, qui participe largement au rayonnement international de la France, mais aujourd’hui ses objectifs semblent être devenus flous. Est-ce seulement une prestation au bénéfice des Français expatriés ou est-il destiné aussi à former des élites dans les pays d’accueil et à marquer la présence française à l’étranger ? Cet enseignement ne va-t-il pas être sacrifié sur l’autel budgétaire car les prix pratiqués sont tels que, de fait, il devient réservé à une élite très aisée ? Il se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins avec la question des bourses et de la prise en charge (PEC). Une réflexion approfondie est nécessaire pour répondre à cette question qui taraude tous les parents d’élèves et tous les acteurs : la pression budgétaire mise aujourd’hui sur l’AEFE lui permettra-t-elle de continuer à exercer sa mission de service public ?

M. François Denis. Je suis président de la FAPÉE, association créée il y a trente ans pour traiter exclusivement des problèmes de l’enseignement français à l’étranger, très spécifiques, et pour en défendre les valeurs. Nous comptons aujourd’hui entre 120 et 150 associations locales de par le monde. Je suis par ailleurs administrateur de la Mission laïque française (MLF). J’ai également occupé des fonctions au Cercle Magellan et ai participé aux réflexions conduites avec les entreprises, notamment sur la possibilité de développer des actions dans le cadre des dispositifs de mécénat.

Cette audition est pour nous la marque de l’intérêt que vous portez à l’enseignement français à l’étranger et de votre conscience, au-delà des exigences de la RGPP et des difficultés de l’AEFE, de son importance pour la présence et le rayonnement de la France dans le monde. Comme l’ont dit les deux intervenants précédents, les restrictions budgétaires rendent la situation difficile. Sans doute a-t-on négligé le fait que l’enseignement français à l’étranger s’adresse aussi aux élèves nationaux des pays hôtes.

Nous sommes reconnaissants de l’effort consenti par l’État pour aider les familles françaises afin que leurs enfants ne soient pas exclus de cet enseignement pour des raisons financières. Nous regrettons néanmoins que l’accent n’ait pas été mis exactement là où il aurait fallu. Non seulement une catégorie de la population s’est trouvée favorisée par rapport à une autre, mais on a déséquilibré des ressources budgétaires, déjà limitées, aux dépens de ceux qui doivent supporter les dépenses.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Mesdames, Messieurs, je vous remercie tout d’abord d’avoir accepté de venir nous rencontrer. Vous vous êtes livrés à un rapide diagnostic de la situation. Pourriez-vous l’approfondir ? Quelles sont vos propositions concrètes d’amélioration ? Nous ne pouvons en effet nous limiter à nous assurer que l’argent public est utilisé à bon escient et efficacement. Vous avez dit, Monsieur Boukouraych, qu’une « réflexion approfondie » était nécessaire. Mais des réflexions, il y en a déjà eu beaucoup. Des assises ont été organisées, les sénateurs représentant les Français de l’étranger ont déjà publié un rapport en 2004. Considérez-vous qu’on dispose d’ores et déjà de toute la matière pour agir ou qu’il faille aller plus loin ? Si oui, sur quels points plus particuliers ? Pensez-vous que les problèmes rencontrés tiennent quasi exclusivement aux moyens financiers ou faut-il, d’une manière plus large, faire évoluer notre enseignement français à l’étranger ? Une « révolution culturelle » n’est-elle pas nécessaire dans la manière de s’adresser à la fois aux élèves français mais aussi étrangers ? Avez-vous le sentiment que l’ensemble des acteurs publics, au premier rang desquels l’AEFE, assument dans de bonnes conditions leurs responsabilités ? Des évolutions vous paraissent-elles souhaitables sur ce point ? Si oui, lesquelles ? Enfin, vous paraît-il possible de faire appel à d’autres acteurs, peut-être trop peu sollicités jusqu’à présent ?

M. François Denis. Il importe avant tout que la démarche soit coordonnée. L’AEFE joue un rôle fondamental par la dimension de réseau qu’elle apporte. En effet, aucun établissement français à l’étranger ne ressemble à un autre : tous ont leurs racines, leur histoire, leurs particularités, qui font leur singularité. Tous, chacun à leur façon, doivent défendre et faire respecter les valeurs de notre enseignement, notamment celles de service public – même lorsque ce ne sont pas des établissements relevant du service public. Il ne serait pas illogique, notamment dans les établissements homologués, que la coordination et le contrôle soient plus forts. Nous avons beaucoup milité pour l’élaboration d’une charte et la conclusion de contrats de partenariat, énonçant clairement des droits et des devoirs, car il en va de la raison même pour laquelle nous avons voulu que cet enseignement existe.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il faudrait un véritable label « enseignement français » ?

M. François Denis. En quelque sorte, mais la labellisation est un sujet un peu différent.

Nous sommes bien conscients que les ressources de l’État ne sont pas illimitées et que, dans le contexte de crise actuel, elles sont encore plus contraintes qu’elles ne l’étaient hier. Nous pensons malgré tout que l’enseignement français à l’étranger est un domaine prioritaire, fondamental pour les personnels expatriés des entreprises nationales, mais aussi pour le rayonnement international de la France. J’ai personnellement travaillé vingt-cinq ans à l’étranger pour une grande entreprise française. Nous y avons créé des écoles, avant même la mise en place de l’AEFE, pour aller de l’avant. Je ne comprends pas pourquoi certains font aujourd’hui valoir que cela ne concerne pas les entreprises et invitent à rechercher plutôt d’autres solutions.

Aujourd’hui, l’action du ministère de l’Éducation nationale et celle du ministère des Affaires étrangères sont très imbriquées concernant l’enseignement français à l’étranger. Cette imbrication peut devenir encore plus étroite, mais un regard spécifique n’en reste pas moins nécessaire sur l’enseignement français à l’étranger, ses spécificités et ses richesses particulières, dont il faudrait, me semble-t-il, davantage tirer parti. Le ministère de l’Éducation nationale a envoyé quelque 320 enseignants à l’étranger pour étudier les systèmes d’enseignement d’autres pays. Pourquoi n’enverrait-il pas une partie de ces personnels dans les établissements français à l’étranger, qui devraient être un creuset d’innovation ? Pourquoi non plus ne pas associer Ubifrance, à l’image de ce qui se fait avec le VIE, le volontariat international en entreprise ? Ce pourrait être une réponse partielle aux questions budgétaires qui nous préoccupent. Pourquoi non plus ne pas faire appel à des fondations ? Nous sommes, pour notre part, ouverts à toute idée permettant de développer le réseau de l’enseignement français à l’étranger grâce à des ressources extérieures. Cela étant, ne nous faisons pas d’illusions : cela ne suffira pas. Les locaux des établissements sont dans un état très moyen. Les travaux indispensables de sécurité ont été réalisés, mais il reste encore beaucoup à faire. Force est de constater que l’État n’a pas toujours très bien géré son patrimoine, sans compter que, celui-ci n’amortissant pas son immobilier comme le font les entreprises privées, a été transférée à l’AEFE, avec les bâtiments, une charge sans les moyens nécessaires d’y faire face. Il est aujourd’hui impossible à l’Agence de supporter elle-même ce type de dépenses. Et pourquoi les parents d’élèves devraient-ils payer pour l’entretien d’un patrimoine qui appartient à l’État ?

En outre, les frais d’écolage ont fortement augmenté. Or il existe une limite au-delà de laquelle l’augmentation ne peut plus être supportée. Et nous constatons d’ores et déjà beaucoup de départs, notamment d’élèves étrangers dont les familles ne reçoivent aucune aide. L’une des richesses de l’enseignement français à l’étranger réside dans le brassage des cultures que celui-ci permet et l’ouverture sur le monde qu’il procure. Je suis donc inquiet de cette évolution, d’autant que l’équilibre des comptes des établissements tient pour une large part à la scolarisation d’élèves étrangers en leur sein. Nous rencontrons aujourd’hui de gros problèmes à cet égard, en Espagne notamment. Une répartition entre pour moitié des élèves français, pour moitié des élèves étrangers me paraît équilibrée.

M. Abdelouhab Boukouraych. En réponse à votre question, Monsieur le rapporteur, je pense que le temps des réflexions a assez duré et qu’il faut maintenant agir. Existe-t-il une réelle volonté politique de donner à l’AEFE les moyens nécessaires ? Avec ceux qui lui sont alloués aujourd’hui, l’Agence ne peut plus assumer ses missions.

Les frais d’écolage atteignent des sommets tels que beaucoup de familles ont déjà retiré, ou s’apprêtent à le faire, leurs enfants des établissements français pour des raisons financières. La loi du 6 juillet 1990 a assigné une double mission à l’Agence, celle d’offrir un enseignement aux enfants des Français expatriés, mais aussi à ceux des nationaux du pays d’accueil. On s’oriente malheureusement vers un système où le fardeau du financement serait supporté par les étrangers, vu le poids des bourses et de la PEC. Est-ce cela que l’on veut ?

La FCPE a toujours revendiqué pour les établissements où elle est présente, c’est-à-dire seulement ceux qui sont en gestion directe, la continuité du service public qui s’inscrit dans le droit fil de la politique de la France de défendre le français face à ce qu’il faut bien appeler l’« agression » de l’anglais. Or nous avons l’impression que l’enseignement français à l’étranger ne navigue plus aujourd’hui qu’avec pour seule boussole les considérations financières. La seule question qui semble importer est de trouver une manière d’équilibrer les budgets, tout le reste étant renvoyé au rang de questions accessoires.

S’agissant de la distinction entre enseignement français étranger et enseignement du français à l’étranger, permettez-moi de faire observer que, lorsque j’étais lycéen au Maroc, cinq de mes sept professeurs étaient français. Pourquoi a-t-on abandonné cette politique ? Pourquoi ne s’implante-t-on plus dans les établissements des pays étrangers ? L’enseignement du français est une question clé si la France demeure attachée à la présence et à l’influence internationales qui l’ont si longtemps caractérisée. Elle ne peut pas sacrifier ce rayonnement pour des raisons budgétaires. Or, comme en atteste, hélas, l’évolution de la part du budget de l’AEFE dans le budget général de l’État, on ne veut plus financer l’enseignement français à l’étranger.

J’ajoute que la FCPE a toujours souhaité que l’AEFE soit placée sous la double tutelle du ministère de l’Éducation nationale et du ministère des Affaires étrangères.

Mme Claudine Caux. Je partage, hélas, une grande partie des réflexions de mes collègues. L’état de l’immobilier dans beaucoup d’établissements laisse à désirer – et c’est un euphémisme ! Beaucoup d’associations sont obligées de prendre à leur charge des « actions repas » car les établissements n’ont pas la chance de posséder comme en France une cantine scolaire. Les frais de restauration s’ajoutent encore aux frais d’écolage. Je comprends les contraintes budgétaires qui peuvent être celles des pouvoirs publics, mais il faut aussi mesurer celles des familles. Beaucoup, hélas, ont retiré leurs enfants des établissements français pour des raisons financières. On se félicitera certainement que les enfants concernés aient fréquenté les établissements du pays d’accueil, se soient ouverts à sa culture, aient appris sa langue, mais ce ne sera pas sans poser ensuite d’autres problèmes.

M. David Habib, Président. Quel est le nombre d’enfants scolarisés dans les établissements français à l’étranger et le montant moyen des frais de scolarité ?

M. Hervé Féron, Rapporteur. Je voudrais revenir un instant sur la défense du français par rapport à ce que vous avez qualifié, monsieur Boukouraych, d’« agression » de l’anglais. Certains jugent ce problème dépassé et pensent qu’il est vain d’essayer de faire en sorte que le français puisse rivaliser avec l’anglais, qui est désormais la première langue parlée dans le monde. Les mêmes estiment en revanche que, hors de toute rivalité avec l’anglais, il faut permettre que le français soit enseigné, appris et parlé le plus largement possible dans le monde.

C’est à juste titre que vous avez fait la distinction entre l’enseignement français et l’enseignement du français. Mais que proposez-vous pour une meilleure coordination entre les deux ?

La FCPE insiste sur le coût de la scolarité dans les établissements français à l’étranger et ses conséquences sur le public qui les fréquente, lequel a évolué pour s’éloigner sans doute de celui visé dans les missions premières de l’AEFE. Au-delà de ce constat, largement partagé, quelles sont vos propositions ? Il existe indéniablement des contraintes budgétaires, mais la lettre de mission du Président de la République affiche aussi une ambition nette pour l’enseignement du français. Comment expliquez-vous la dégradation de la situation actuelle et, surtout, que proposez-vous pour y mettre un terme ? Je veux pour preuve du malaise actuel que la FCPE a fait savoir qu’à tel ou tel endroit le représentant de l’AEFE demandait avec insistance aux représentants des parents d’élèves de ne pas communiquer sur les difficultés de l’AEFE auprès de ces derniers.

M. Abdelouhab Boukouraych. En effet, la FCPE a dit cela, mais dans un cas très particulier. Ce n’est pas la situation générale. Au Maroc par exemple, nous n’hésitons pas à revendiquer, nous manifestons même devant l’ambassade, et il nous a toujours été dit que nous étions là dans notre rôle et que la mise en évidence de ces difficultés ne gênait personne.

L’AEFE a déjà du mal à s’en sortir avec sa mission première. Si on lui en confie d’autres, sa situation ne pourra qu’empirer. L’idée de développer l’enseignement du français dans les établissements du pays d’accueil est très intéressante, mais il faut la mettre en œuvre autrement que par le biais de l’Agence, ou alors revoir le cahier des charges de celle-ci. Sa mission première est aujourd’hui d’assurer la gestion au quotidien de son réseau d’établissements. Si l’on veut lui donner un rôle complémentaire de coopération, il faut repenser totalement son action. Aujourd’hui, dans les ambassades, le conseiller culturel adjoint à l’enseignement et le conseiller de coopération et d’action culturelle appartiennent à des services différents.

Nous avons, pour notre part, toujours revendiqué que les réformes mises en œuvre en France le soient également dans les établissements français de l’étranger. Je voudrais ici soulever le problème posé par l’exclusion d’un élève par le conseil de discipline d’un établissement français à l’étranger. Le non-droit continue de prévaloir. En effet, en France, un élève n’est jamais qu’exclu d’un établissement, pas de l’enseignement en général. À l’étranger, un élève exclu n’a d’autre recours que de saisir le tribunal administratif. Imagine-t-on que des familles qui ont déjà du mal à payer les frais de scolarité intentent une action en justice ?

M. François Denis. Une langue, c’est une culture, et l’enseignement français à l’étranger est un véhicule de cette culture. Lorsque deux personnes parlent la même langue, mais surtout ont été éduquées de la même façon et dans le même esprit, elles ont plus de chances de se comprendre et de pouvoir avancer d’un pas commun. Voilà ce que nous recherchons. Cela ne signifie pas pour autant que nos enfants ne doivent pas apprendre l’anglais ni s’ouvrir le plus possible sur le monde, notamment en apprenant la langue locale du pays d’accueil – bien au contraire, et la jeunesse actuelle sait toute l’importance d’une ouverture d’esprit internationale. Tout en respectant les principes d’éducation qui sont les nôtres, il faut aussi tirer profit du fait de se trouver à l’étranger, faire en sorte que nos enfants puissent intégrer l’enseignement supérieur des pays hôtes et, inversement, que des nationaux ayant fréquenté les établissements français rejoignent notre enseignement supérieur, ou celui de pays tiers – imprégnés de la culture française, ils demeureront des alliés de la France. C’est ainsi que notre culture essaimera. Pour un bon fonctionnement du système, il faut s’adapter aux pays hôtes : on ne peut pas partout transposer telles quelles toutes les circulaires de l’Éducation nationale. La suppression des cours le samedi matin dans le primaire, par exemple, pose des problèmes insurmontables dans de nombreux pays, comme au Liban, en Espagne ou au Maroc. Autant de sujets à traiter, comme aussi celui de l’enseignement des langues locales.

J’en viens au registre financier. Comment équilibrer les comptes ? L’AEFE ne gaspille pas ses crédits et elle a un rôle fondamental de coordination dans un réseau extrêmement disparate. Cette disparité même l’oblige à avoir une présence forte pour faire valoir certains principes, et notamment aider à l’orientation des élèves. J’estime que l’on n’a pas encore assez travaillé sur ces spécificités et que l’action est encore trop calquée sur ce qui existe en France.

Il faut écouter les parents d’élèves. Beaucoup d’établissements conventionnés sont, comme vous le savez, gérés par des parents. D’autres, au sein desquels nous nous battons pour qu’ils soient représentés, le sont par des fondations. Un lien étroit entre « usagers » et « dispenseurs » de savoirs est en effet indispensable pour proposer des améliorations, trouver ensemble des réponses, rechercher éventuellement une aide financière complémentaire. Bien que les aspects pédagogiques ne soient pas de notre ressort, nous souhaitons néanmoins être associés à certains choix car ils conditionnent l’avenir de nos enfants, et ont aussi des incidences financières. En un mot, il faut bien se poser la question du rapport qualité/prix, lequel permet d’ailleurs de se positionner par rapport à la « concurrence » – concept à manier avec précaution en matière d’éducation car nous devons nous garder de juger à l’aune des seuls aspects financiers.

Mme Claudine Caux. Je milite pour l’égalité des chances, notamment face à l’orientation. Or, dans les établissements français de l’étranger, cette égalité n’est pas garantie. L’offre de formation est limitée, si bien que les enfants n’ont pas vraiment le choix. S’il n’y a par exemple qu’une filière scientifique avec options, ils sont bien obligés de s’y diriger.

L’AEFE a une mission qu’elle ne peut pas remplir. Oui, il faut repenser son rôle et lui donner davantage…

M. François Denis. De moyens !

Mme Claudine Caux. Je ne dirais pas cela car je suis consciente des contraintes qui pèsent sur les ressources. Je dirais plutôt que l’AEFE ne peut pas tout faire et qu’il faut en conséquence clarifier ses missions. Associer d’autres partenaires nous semble la solution la plus réaliste.

M. André Schneider, Rapporteur. Ex-chef d’établissement du secondaire, j’accorde la plus grande importance à l’avis des parents d’élèves. Dans tout le système éducatif français, une place leur est d’ailleurs donnée, et nous regrettons parfois qu’ils ne l’occupent pas.

Je souhaiterais que nous puissions disposer de chiffres précis sur la répartition entre établissements en gestion directe et établissements conventionnés. Par ailleurs, je voudrais aborder la question des personnels. Aux côtés des fonctionnaires français détachés, il y a d’autres catégories de personnels, en proportion variable selon les régions. En résulte une certaine complexité dans la gestion. Quelle appréciation portez-vous sur cette question clé car, si les choix pédagogiques ne sont pas directement de votre ressort, il en va quand même de l’avenir de vos enfants ?

Comment se répartissent les personnels entre les différentes catégories et que pensez-vous de cette répartition ? Cela n’est pas neutre sur les choix budgétaires et revêt donc une très grande importance dans un contexte financier contraint.

Mme Claudine Caux. Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre précisément à cette question complexe. Les informations qui reviennent du terrain sont très variables selon les pays.

M. François Denis. Il existe aujourd’hui environ 450 établissements français à l’étranger, dont 77 en gestion directe, entre 150 et 160 conventionnés avec l’AEFE, les autres n’étant qu’homologués. La Mission laïque française coordonne pour sa part les activités d’une centaine d’établissements regroupant quelques conventionnés et un grand nombre d’homologués, dont 32 établissements d’entreprise. En matière de personnels, les situations sont très diverses selon les pays. Au Liban, par exemple, quelque 85 % des enseignants sont des locaux – ce qui ne préjuge en rien d’une qualité inférieure de leur enseignement. Il nous faut simplement bien définir les profils de poste et les critères de sélection.

Les pouvoirs publics français ont souhaité, pour des raisons budgétaires, réduire le nombre d’enseignants expatriés. Il est d’abord anormal d’avoir fait supporter la charge des résidents, qui les remplacent, aux établissements. En effet, les expatriés sont rémunérés par l’AEFE, alors que les établissements doivent payer les enseignants qui leur ont été substitués – d’où une augmentation mécanique des frais d’écolage aujourd’hui. Quant à la diminution du nombre des expatriés, on est arrivé à l’os, si je puis dire. Il ne serait pas raisonnable de réduire encore les effectifs d’expatriés, car ceux-ci ont aussi des missions plus larges, essentielles, de coopération, de formation, de contrôle et de coordination des enseignants locaux. La Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger avait conclu qu’il fallait environ 50 % de titulaires. C’est globalement une bonne proportion – appelée toutefois à varier selon les pays. Pour certains enseignements techniques, technologiques ou linguistiques, il est des pays où l’on peut sans problème faire largement appel à des enseignants locaux. Légitimement fiers de notre enseignement, nous n’en devons pas moins reconnaître la valeur de celui d’autres pays. Les personnels d’encadrement doivent, quant à eux, demeurer en nombre suffisant des expatriés, se ressourçant régulièrement en France, et seuls à même d’apporter la cohérence et la vision d’ensemble nécessaires.

Un mot sur la Mission laïque française. Celle-ci ne crée qu’un nombre limité d’établissements, qui incluent bien sûr les écoles d’entreprises, lesquelles apportent alors leur contribution – ce qui est bien la preuve, soit dit au passage, qu’elles le peuvent. Le programme Français langue maternelle, ou FLAM, est un excellent outil, notamment là où il n’est pas envisageable de créer un établissement. Mais ce ne peut pas être une alternative à l’enseignement français à l’étranger, seulement un complément nous permettant de développer notre culture à l’étranger.

Il ne faut pas confier à l’AEFE, dont les moyens sont déjà limités, trop de missions supplémentaires qui ne sont pas fondamentalement de son ressort. En revanche, oui, développons des coopérations, de nouveaux outils pédagogiques, surtout à l’ère du numérique. Nous y sommes tout à fait disposés. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait un hasard si la FAPÉE a actuellement son siège au sein de l’immeuble parisien de l’Alliance française.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Il y a encore du chemin à parcourir avant d’en arriver à l’« égalité des chances » que vous avez évoquée, madame Caux, et que vous espérez. La meilleure coordination, que nous appelons de nos vœux, est sans doute l’un des moyens de mieux l’assurer.

Vous avez raison, monsieur Boukouraych : l’AEFE ne peut pas tout faire. Nous ne demandons d’ailleurs pas qu’elle assume d’autres missions que celles qui sont les siennes aujourd’hui. Nous insistons en revanche sur la nécessité d’une mise en cohérence et d’une coordination avec les autres dispositifs, comme l’enseignement du français dans les systèmes scolaires étrangers, et les autres partenaires, comme l’Alliance française notamment. Vous avez dit, à juste titre, Monsieur Denis, que le programme FLAM constituait non une alternative, mais un complément. Mais comment organiser la nécessaire complémentarité entre tout cela ? Dans certains pays, des initiatives alternatives ont été lancées, souvent par des parents, qui, tout en ne coûtant pas très cher, n’en sont pas moins judicieuses et très intéressantes. Si l’on devait à New York accueillir tous les enfants de parents francophones, jamais on ne pourrait répondre à la demande ! Ces initiatives alternatives, complémentaires du reste, méritent donc le plus grand intérêt.

M. François Denis. Il est certain que l’État français ne pourra pas ouvrir partout des établissements en nombre suffisant. Nous avons bien perçu l’intérêt du programme FLAM et nous avions d’ailleurs invité sa responsable à New York lors de notre dernière assemblée générale.

Ce que vous dites de New York est vrai et la situation est encore pire à Londres où, avec 300 000 Français, les listes d’attente pour entrer dans les établissements français sont interminables. Un nouvel immeuble a été acheté à Kentish Town qui permettra d’augmenter le nombre de places. Je souligne que cette acquisition s’est faite avec un concours financier d’entreprises se montant à 1,2 million d’euros.

En Allemagne, une solution passe par les écoles ayant le statut d’Ersatzschule. En Suède, l’enseignement est gratuit dans notre établissement français. Les solutions sont diverses.

Il faut travailler à des accords d’État à État, sachant que c’est là davantage le rôle des politiques que des associations de parents d’élèves. Mais ne nous leurrons pas : si cela apporte des solutions dans certains endroits, cela ne résoudra pas le problème du réseau actuel, qui doit, pour faire face à la demande, s’agrandir et s’améliorer, tous objectifs qui coûtent cher.

Les frais d’écolage sont très variables, allant de 1 300 euros à Madagascar jusqu’à 18 000 ou 19 000 euros à New York ou San Francisco. Cela étant, ces montants n’ont pas une grande signification par eux-mêmes car les coûts varient aussi fortement d’un pays à l’autre. Pour avoir été président de plusieurs conseils de gestion et activement impliqué dans celui du lycée français La Pérouse de San Francisco, je sais qu’il n’est pas possible là-bas de faire autrement car tout y coûte beaucoup plus cher, qu’il s’agisse des locaux ou des personnels.

Je voudrais évoquer un sujet qui nous préoccupe tous et qui n’a pas été abordé jusqu’à présent : la prise en charge (PEC). Nous avons toujours été hostiles à la réforme, de même que la FCPE d’ailleurs, et l’avons fait savoir au Président de la République. Mieux aurait valu, selon nous, améliorer le dispositif des bourses et trouver les moyens d’aider les familles étrangères modestes souhaitant néanmoins que leurs enfants puissent fréquenter un établissement français. Toutes les craintes que nous avions exprimées à l’époque se sont avérées. Cela a notamment provoqué des distorsions entre Français et étrangers et, au sein même de la communauté des Français, des tensions entre ceux qui ont droit à la PEC et ceux qui n’y ont pas droit, selon qu’ils possèdent, bien souvent du simple fait des hasards de l’histoire, la seule nationalité française ou la double nationalité. Il faut mettre un terme à ces injustices. Il faut aussi que la PEC soit fonction du niveau de revenus : il n’est pas admissible que des familles aux revenus parfois considérables en bénéficient, alors même que l’accès aux bourses a été rendu plus difficile.

M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Denis, vous avez évoqué tout à l’heure les « valeurs » de notre enseignement. Encore faudrait-il les énumérer, afin de lever toute ambiguïté ou malentendu.

S’agissant de la prise en charge, je déplore qu’au nom de l’égalité on ait laissé se développer des pratiques inégalitaires. Il est proprement scandaleux que M. Jean-Marie Messier ne paie rien pour l’éducation de ses enfants à New York.

À mes yeux, l’enseignement français et l’enseignement du français sont indissociables, le premier étant un outil, parmi d’autres, du second. Pour moi, Français éminemment patriote, ce qui passe avant tout, c’est l’enseignement du français. Lors d’une visite au Liban, j’ai été très frappé que plusieurs membres des élites locales nous expliquent combien ils étaient attachés à la défense du français, non pour complaire à la France, mais parce que c’était l’instrument de leur liberté. Un gros effort est nécessaire pour que le français soit encore pratiqué au Moyen-Orient. Nous avons abandonné à leur sort les francophones dans cette région du monde, aussi bien en Israël qu’au Liban, et c’est fort dommage pour la présence et l’influence de notre pays.

Pourquoi les manuels français sont-ils quatre fois plus chers que ceux fournis par les Américains ? Un manuel scolaire ne coûte pas cher : c’est donc une question non pas de moyens, mais bien de ligne politique. Les contraintes budgétaires – et les considérations boutiquières qui s’ensuivent – ne peuvent l’emporter sur la vision politique. D’ailleurs, il s’agit non pas de contraintes budgétaires, mais de choix budgétaires, ce qui est fort différent.

J’aimerais disposer de données chiffrées précises sur les exclusions d’élèves. Il est en effet extrêmement choquant qu’un élève puisse être exclu d’un établissement quand il n’existe pas d’autre solution, car cela revient à l’exclure de l’enseignement.

Pour ma part, je milite, Madame Caux, non pour l’égalité des chances, mais pour l’égalité des droits. L’avenir de nos enfants ne doit pas relever d’une chance comme s’il se tirait à la loterie. Un digne héritier de la Révolution française ne peut que défendre l’égalité des droits.

J’aimerais beaucoup disposer – je m’adresse là non aux personnes que nous auditionnons, mais à notre Mission – d’un état précis de l’enseignement du français à l’étranger, lequel a énormément reculé, au profit d’un sabir international plus que du véritable anglais. Par le passé, les élites vietnamiennes parlaient français. Aujourd’hui le Premier ministre vietnamien lui-même ne connaît pas notre langue ! Et il en est de même dans beaucoup de pays, notamment en Israël. Nous ne pouvons pas, dans ces travaux, nous intéresser seulement à l’enseignement français, à moins de ne voir que le doigt quand celui-ci montre la lune, ce qui serait très dangereux pour l’avenir de notre langue.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. La création de l’AEFE a été un grand succès – on pourrait même dire que ses établissements en ont été victimes. Ainsi a-t-on enregistré plus de 6 900 inscriptions supplémentaires, dont 4 900 d’élèves français, dont la part est passée de 45 % en 2005 à 47 % en 2008. Le nombre d’élèves étrangers a également augmenté en valeur absolue, même s’il l’a fait moins vite.

L’un des principaux défis de l’AEFE aujourd’hui est celui de l’immobilier. Les besoins immédiats pour la seule mise aux normes de sécurité des bâtiments sont estimés à 50 millions d’euros quand le budget annuel ne comporte pas plus de 60 millions d’euros de crédits pour le poste immobilier. D’après les informations dont nous disposons, l’établissement de Madrid est représentatif de ce problème majeur.

Par ailleurs, il convient de souligner que c’est en Europe que le nombre d’élèves étrangers a le plus diminué. Ainsi, de jeunes fonctionnaires européens, venant de pays où les élites connaissaient traditionnellement le français, n’apprennent plus notre langue. Les fonctionnaires européens italiens ou espagnols parlent désormais l’anglais, mais plus le français.

Enfin, il y a un vrai problème budgétaire, l’équilibre financier de l’Agence reposant sur les frais d’écolage – lesquels ont augmenté de 18 % l’année dernière, leur montant moyen s’établissant entre 3 000 et 3 500 euros – et ses fonds propres. Depuis deux ans, 10 % du financement de l’Agence proviennent de prélèvements sur son fonds de réserve, lequel n’est pas inépuisable.

M. François Denis. Le fonds de roulement de l’Agence ne représente aujourd’hui que 25 jours de fonctionnement.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelles sont, Mesdames, Messieurs, vos propositions concrètes en matière de frais d’écolage, de bourses et de prise en charge, puisque la situation actuelle ne vous semble pas satisfaisante ?

Par ailleurs, pensez-vous que l’enseignement français à l’étranger utilise assez notre audiovisuel extérieur ?

Mme Claudine Caux. Pour ce qui est de votre deuxième question, même en métropole, l’utilisation des vidéoconférences et des tableaux interactifs n’est pas encore très répandue. Si ces outils représentent un investissement de départ important, on sait qu’ils sont très efficaces de par l’interactivité qu’ils autorisent, et très utiles notamment à l’université où, par le biais de la vidéoconférence, un professeur peut s’adresser en même temps à un très grand nombre d’étudiants. Nous militerons pour qu’il y soit plus largement recouru, en veillant à leur bonne utilisation car, comme avec toute technologie, il faut éviter les dérives. Gageons qu’ils seront utilisés au mieux, au profit surtout des élèves et des enseignants, lesquels doivent avoir été formés au maniement de ces nouveaux outils pédagogiques, ce qui n’est pas toujours le cas en France, et encore moins à l’étranger.

M. Abdelouhab Boukouraych. Un lycée français à l’étranger dont le taux de réussite au baccalauréat n’est que de 85 % est un mauvais lycée : la moyenne tourne plutôt autour de 95 %, sinon davantage. Et ce taux est encore plus élevé quand l’Agence s’implique au-delà de sa stricte mission. Les taux les plus élevés se rencontrent pour le baccalauréat français option internationale préparé dans ces lycées.

Je suis d’accord avec vous, monsieur le député Brard : le problème n’est pas de contraintes budgétaires, mais de choix budgétaires. Nous considérons, nous, à la FCPE, que le choix d’aider les familles plutôt que les établissements, met en péril ces derniers. Devant la diminution du nombre d’enseignants expatriés, les établissements n’auront d’autre choix que de recruter toujours plus de personnels sous contrat local, qui coûtent moins cher. Les choix budgétaires qui ont été faits menacent gravement la qualité d’un enseignement que chacun s’accorde à reconnaître d’excellence.

S’agissant des frais d’écolage, il faut se représenter leur poids pour une famille de plusieurs enfants qui n’a droit ni à une bourse ni à la PEC ! Trois fois 3 500 euros pour une famille de trois enfants, ce n’est pas rien ! Or c’est le prix à payer pour des familles dont le seul mal a été de choisir que leurs enfants soient éduqués dans la culture française, le choix d’un établissement français à l’étranger reposant non pas sur la volonté d’un bilinguisme mais sur des critères culturels plus larges. Comment ne pas en tenir compte à l’heure des « choix budgétaires » ? Les établissements français de l’étranger peuvent demeurer des établissements d’excellence et un formidable outil de coopération avec les pays hôtes. On a suffisamment réfléchi et pointé le mal. Il faut maintenant une volonté politique forte pour aller de l’avant.

M. François Denis. Pour ce qui est de l’utilisation des nouvelles technologies, on pourrait essayer de travailler avec TV5 notamment. La directrice générale de TV5 Monde, qui a été membre du conseil d’administration de l’AEFE, y est tout à fait disposée.

Pour le reste, les pouvoirs publics se focalisent trop sur le programme 151 Français à l’étranger et étrangers en France. Ses crédits ont paru si considérables que tout a été mis en œuvre pour les réduire, alors que le problème est plus global. Concentrer l’effort, par une approche réductrice, sur l’aide aux familles a conduit à une situation inextricable. Il faudrait, d’une part, limiter la PEC, qui n’était peut-être pas une mauvaise idée au départ, mais dont le coût explose dans la mesure notamment où elle n’est pas soumise à condition de ressources. Il importerait, d’autre part, de continuer à aider les établissements, faute de quoi les frais d’écolage augmenteront de façon telle qu’il faudra revaloriser très fortement les bourses. Au final, on finira par redonner d’un côté ce qu’on aura cru économiser de l’autre. Il faut aussi tenir compte de la crise, qui sévit tout autant à l’étranger qu’en France. Des familles jusqu’à présent aisées commencent à se trouver en difficulté, n’étant plus épargnés par la perte d’emploi, et leur situation est d’autant plus difficile que, expatriées, elles ne peuvent pas compter sur la solidarité de leurs proches. Leurs enfants, scolarisés dans un établissement français, doivent y poursuivre leurs études jusqu’au bout, coûte que coûte – au sens propre – parce qu’il n’existe pas pour eux d’autre solution dans les pays hôtes.

Il ne faut pas exclure de l’octroi d’une bourse des familles qui en auraient de plus en plus besoin. Il faut aussi réfléchir à des bourses d’établissement pour les nationaux, afin de compenser la hausse des frais d’écolage. Si cela ne va pas dans le sens de la réduction des coûts que certains souhaiteraient, ce n’est pas moins essentiel.

Enfin, il y a longtemps que l’influence de la France et du français dans le monde a commencé de décliner. Jusqu’en 1914, chaque fois qu’un mot nouveau devait être forgé dans l’Empire ottoman, on utilisait le français. Depuis 1920, en grec comme en turc, les mots nouveaux viennent de l’anglais.

Les valeurs que nous défendons et que vous m’avez demandé, Monsieur Brard, d’énumérer, sont celles de liberté, de laïcité, de tolérance, d’ouverture…

M. Jean-Pierre Brard. Et aussi de respect, lequel ne s’assimile pas totalement à la tolérance.

M. André Schneider, Rapporteur. La contrainte budgétaire est indiscutable et il nous faut trouver des solutions. Si nous avons souhaité vous rencontrer ce matin, c’est que nous ne sommes pas insensibles aux préoccupations des parents d’élèves et que nous espérons, à l’issue de cette audition, avoir ouvert avec vous quelques pistes de réflexion.

Les personnels locaux ne sont pas nécessairement mauvais, avez-vous dit. Cela va de soi. Peut-être pourrait-on encore mieux les former, évaluer et certifier leurs qualifications et en assurer le suivi. Pourquoi ne pas en faire un axe de coopération ? Cela ne coûterait pas nécessairement très cher, d’autant que les actions pourraient être adaptées en fonction des situations locales. Sans nuire aux établissements, il y aurait là une piste susceptible de donner satisfaction à tous. L’idée vous paraît-elle acceptable ?

Aujourd’hui, les personnels expatriés sont de plus en plus non-enseignants. S’ils viennent dispenser des formations ou assurer un suivi pédagogique, il faut s’en féliciter, mais si ce ne sont que des gestionnaires d’établissements, ce n’est pas l’idéal – et c’est un ancien chef d’établissement qui vous le dit.

M. Abdelouhab Boukouraych. Les personnels recrutés sous contrat local ne sont pas nécessairement des personnels locaux. Notre exigence, légitime, de parents d’élèves pour garantir la qualité de ces établissements est que leurs enseignants soient des titulaires. Dans quelle proportion ? C’est là la pierre d’achoppement pour l’instant. La question du statut, quant à elle, est tout autre.

M. André Schneider, Rapporteur. Ne pensez-vous pas qu’augmenter la proportion de personnels locaux – je parle bien de personnels locaux, pas de résidents français du pays hôte recrutés sous contrat local – serait un formidable levier pour répondre à la préoccupation, que je partage avec Jean-Pierre Brard et tous nos collègues, de l’usage et du rayonnement de notre langue dans le monde ? Ne pourrait-on pas là faire d’une pierre deux coups ?

M. François Denis. Tout dépend du vivier local. Il est des endroits où, en tout état de cause, il sera très difficile de trouver des enseignants locaux, comme il est déjà très difficile d’y envoyer des expatriés. Certains pays ont des systèmes d’éducation très développés qui permettent de trouver des enseignants de grande valeur. Reste à trouver le moyen non pas d’une certification, mais d’équivalences permettant de s’assurer qu’ils possèdent un niveau comparable à nos propres enseignants. À Hong-Kong ou à Singapour, il n’y a pas de problème. De même, dans les sections internationales des établissements français à l’étranger, on rencontre des enseignants de toutes origines. À ce sujet, j’insiste sur la nécessité de développer ces sections internationales ainsi que l’option internationale du baccalauréat. Ce serait une grave erreur que de délaisser le baccalauréat français au profit du baccalauréat dit « de Genève », qui ne répond pas aux mêmes critères et n’a pas la même rigueur.

Pour le reste, je suis d’accord avec vous concernant les personnels locaux. J’insiste néanmoins sur la nécessité de bien les encadrer et de les contrôler, afin d’éviter tout dérapage. Dès lors que l’on s’est assuré que leur cursus est comparable à celui de nos enseignants, un ratio de 50 % de titulaires nous paraît convenable. Mais, dans certains endroits, il faudra aller jusqu’à 90 % parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Il faut compter aussi avec les titulaires résidents. Les chefs d’établissement et le personnel d’encadrement doivent quant à eux demeurer des expatriés.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Il faudrait commencer par dresser un état des lieux précis. Cette analyse préalable est déjà en soi un exercice très difficile vu la diversité des situations selon les pays, lesquelles évoluent elles-mêmes différemment au sein d’un même pays, selon les villes, après chaque grande réforme comme celle de la PEC. Ce n’est qu’après ce diagnostic qu’il conviendra de se réinterroger sur les missions et les objectifs de cet enseignement, puis sur les moyens, pas seulement financiers d’ailleurs – je pense au programme FLAM, label derrière lequel il y a tout un savoir-faire –, qu’on est prêt à y consacrer.

S’agissant des moyens, notre collègue Jean-Pierre Brard a distingué, à juste titre, contraintes budgétaires et choix budgétaires. Le transfert du patrimoine immobilier n’est pas la seule cause des difficultés financières de l’AEFE. La prise en charge trop partielle de la part patronale des cotisations de pensions civiles des personnels n’a pas été sans incidence. L’institution de la PEC a aussi eu des conséquences dommageables aux équilibres financiers de l’Agence, dont le fonds de roulement est aujourd’hui si faible qu’il y a vraiment urgence. La PEC a eu une incidence sur les demandes de bourses. Et cette réforme entraînera bien d’autres problèmes qui ne se sont pas encore manifestés mais qui vont monter en puissance.

Vous avez, monsieur Denis, exprimé le souhait que la PEC soit plafonnée en fonction des revenus et des frais de scolarité. Est-ce bien cela ?

M. François Denis. Le vrai problème, ce sont les revenus. Il ne serait pas juste de dénoncer l’augmentation des frais de scolarité par tel ou tel établissement quand il y a été contraint du fait de décisions restreignant le budget de l’AEFE. La seule question qui vaille est de savoir si l’augmentation a été ou non disproportionnée et s’il a pu y avoir avantage indu. Autrefois, les entreprises payaient entre 10 % et 15 % des frais d’écolage, parfois davantage. Aujourd’hui, avec la PEC, elles en viennent de plus en plus au versement d’enveloppes globales à leurs expatriés, ce qui ne signifie qu’elles ne prennent pas en charge directement la scolarité des enfants de leurs collaborateurs, si bien que ceux-ci bénéficient de la PEC. Nous avions dès le départ dénoncé la PEC, dont nous avions entrevu les possibles effets pervers. Et il s’avère, hélas, qu’on ne la maîtrise plus du tout. Il faut mettre des limites, faute de quoi ne seront pas aidés ceux qui ont réellement besoin de l’être. Il faut se féliciter des plans Écoles, mais ceux-ci sont trop souvent élaborés dans le secret des cabinets d’ambassade. Si certains ont été parfaitement élaborés, trop d’entre eux n’ont pas assez associé les différents acteurs pour que l’on parvienne à une vision globale des besoins et que l’on trouve les bonnes réponses.

L’AEFE a entrepris de percevoir des contributions nouvelles sur les établissements conventionnés et homologués. Des établissements homologués s’en sont indignés. Il est normal que la Mission laïque française, présidée par M. Yves Aubin de La Messuzière, ne soit pas disposée à faire payer deux fois les établissements car la Mission joue déjà, pour une bonne part, le rôle de l’AEFE, notamment vis-à-vis de ses membres affiliés aux États-Unis, leur apportant conseil et assistance. En revanche, pourquoi ne pas prévoir un cadre à l’AEFE, qu’on est d’ailleurs en train de mettre en place, pour signer des contrats avec les établissements homologués et en faire même une des conditions du renouvellement de leur homologation ? C’est en allant dans cette direction que l’on trouvera des solutions.

M. David Habib, Président. Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre participation à nos travaux.

Audition du 4 mars 2010

À 11 heures : M. Christian Masset, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des Affaires étrangères et européennes, Mme Delphine Borione, directrice de la Politique culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes, M. Jean-Paul Rebaud, sous-directeur de la Diversité linguistique et du français, M. Jean Michel Blanquer, directeur général de l’Enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale, et M. François Perret, doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale

Présidence de M. David Habib, président

M. David Habib, Président. Je vous remercie, madame, messieurs, d’avoir répondu favorablement à l’invitation que vous a adressée la MEC dans le cadre de ses travaux d’évaluation de l’enseignement français à l’étranger. Je précise que M. le directeur général de la Mondialisation doit nous rejoindre, ainsi que nous en sommes convenus. Je vous invite à présenter brièvement vos services respectifs ainsi que leur rôle dans la conduite de cette politique.

M. Jean-Michel Blanquer, directeur général de l’Enseignement scolaire au ministère de l’Éducation nationale. En matière d’enseignement français à l’étranger, la direction générale de l’enseignement scolaire intervient en amont puisqu’elle assure la tutelle pédagogique des établissements scolaires français à l’étranger.

M. François Perret, doyen de l’Inspection générale de l’Éducation nationale. L’inspection générale de l’Éducation nationale (IGEN), exerce, de façon générale, des fonctions de suivi et de contrôle de l’enseignement français, tant en France qu’à l’étranger. À titre personnel, les différentes fonctions que j’ai exercées m’ont conduit à m’intéresser à l’enseignement français à l’étranger. J’ai ainsi co-animé, il y a plus d’un an, les états généraux de l’enseignement français à l’étranger avec Yves Aubin de La Messuzière.

Mme Delphine Borione, directrice de la Politique culturelle et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes. La direction de la Politique culturelle et du français ainsi que la sous-direction de la Diversité linguistique et du français, dirigée par Jean-Paul Rebaud, relèvent de la direction générale de la Mondialisation, du développement et des partenariats, qui assure, sous la direction de Christian Masset, la tutelle sur l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je veux profiter de la chance que nous avons de voir ici réunis des représentants du ministère des Affaires étrangères et du ministère de l’Éducation nationale pour leur demander leur diagnostic sur la situation actuelle de l’enseignement français à l’étranger, qui a déjà fait l’objet de nombreuses réflexions, notamment dans le cadre des états généraux. Cet enseignement dispose-t-il des atouts nécessaires pour surmonter les difficultés qu’il traverse ?

J’aimerais savoir par ailleurs si la coopération entre les deux ministères doit être renforcée pour leur permettre de mener dans de bonnes conditions un travail commun en matière d’enseignement français à l’étranger.

Mme Delphine Borione. Nous devons avant tout rappeler les raisons que nous avons d’être fiers de l’enseignement français à l’étranger.

Notre réseau d’établissements français à l’étranger est le plus grand au monde : réseau ancien et reconnu, il s’est consolidé pour répondre à une très forte demande, tant française qu’étrangère, car il dispense un enseignement d’une très grande qualité. Sa fonction est double : outre qu’il assure la continuité du service public d’éducation auprès des enfants d’expatriés, il contribue à l’influence et au rayonnement de la France en accueillant des élèves étrangers, qui ont vocation à propager notre langue et notre culture, notamment par leur appartenance aux élites politiques et économiques de leur pays.

Avec 470 établissements homologués dans 130 pays, gérés directement par l’AEFE ou conventionnés, c’est le réseau le plus universel au monde. Nous ne devons cependant pas nous reposer sur nos lauriers, de plus en plus de pays développant leur propre réseau. À cette concurrence nouvelle, nous devons répondre d’abord par la qualité de nos prestations, notamment grâce à la très forte complémentarité entre le MAEE et le MEN, qui sont très étroitement associés dans ce domaine. Il est vrai que les défis auxquels nous devons faire face ne sont pas minces : la recherche de nouveaux moyens financiers, la nécessaire modernisation de nos établissements et la définition d’un nouveau cadre stratégique que nous impose un monde en évolution constante. Les importants travaux réalisés dans le cadre des états généraux de l’enseignement français à l’étranger, le rapport de la Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger ainsi que le séminaire de Marcoussis, qui a rassemblé tous les partenaires de l’enseignement français à l’étranger, contribuent à nourrir notre réflexion sur les futurs plans d’orientation stratégique de l’AEFE et plan de développement de l’enseignement français à l’étranger.

M. François Perret. L’enseignement français à l’étranger est à la croisée des chemins. D’abord, nous ne sommes plus seuls sur nos terres d’influence habituelles : d’autres pays nous font concurrence jusque sur les terrains les plus « assurés » – je pense notamment à l’Afrique du Nord. Ensuite, les problèmes financiers que l’Agence rencontre nous obligent à nous demander jusqu’à quelle hauteur les familles devront participer au financement des établissements. À mon sens, une telle question n’appelle pas de réponse univoque, mais des réponses particulières selon les pays. On voit bien cependant que l’AEFE est prise en tenailles entre l’objectif politique de développer l’enseignement français à l’étranger, notamment en gagnant de nouveaux territoires, comme le Moyen-Orient, la péninsule arabique ou l’Extrême-Orient, et ses problèmes budgétaires.

Pour le ministère de l’Éducation nationale, l’enseignement français à l’étranger est un véritable laboratoire en termes d’innovation et d’expérimentation. L’excellence de ses résultats atteste qu’il s’agit d’un enseignement de grande qualité, non seulement sur le plan académique, mais aussi par la capacité d’adaptation des établissements aux pays où ils sont implantés. En effet, beaucoup d’entre eux ont su utiliser les libertés dont ils disposent au regard de la règle commune pour développer des formes d’enseignement nouvelles et s’ouvrir à la langue et à la culture du pays d’accueil.

Il faut cependant souligner l’insuffisance du suivi et du contrôle de l’enseignement français à l’étranger, qui devraient théoriquement pouvoir aller jusqu’à la suppression de l’homologation. C’est là un des éléments auxquels il nous faut réfléchir.

M. Jean-Michel Blanquer. Je souscris complètement à ce que vient de dire M. le doyen. En ce qui concerne plus particulièrement la direction générale de l’Enseignement scolaire, elle intervient à la fois très en amont et très en aval, cette dernière fonction devant être appelée à se développer à l’avenir.

En amont, elle se prononce d’abord, notamment via des missions de l’inspection générale du ministère, sur l’homologation des établissements français à l’étranger. Ces dernières années, en outre, des inspecteurs pédagogiques régionaux ont été affectés à l’AEFE, ce qui dote l’Agence d’une capacité autonome d’inspection, même si elle continue de relever de l’inspection générale. Nous assurons aussi l’organisation des examens de ces établissements, lourde machinerie plutôt efficace, puisque le taux de réussite au baccalauréat des lycées français à l’étranger dépasse de six à sept points la moyenne nationale. Nous assurons également la formation des personnels, par la voie notamment de stages, parfois organisés par des académies partenaires. Toutes ces interventions du ministère en amont doivent être considérées comme satisfaisantes, même si elles peuvent toujours être améliorées sur tel ou tel point.

En aval, le rayonnement du réseau bénéficie à l’ensemble de notre système éducatif. C’est pourquoi il faut accentuer et rationaliser le rôle des académies dans les partenariats avec l’étranger pour disposer d’opérateurs pragmatiques et efficaces. Réciproquement, il faut renforcer le rôle de notre réseau d’enseignement français à l’étranger dans les échanges internationaux des établissements français de métropole et d’outre-mer. À ce propos, l’apport des académies d’outre-mer aux établissements du réseau situés dans leur aire géographique pourrait également être accentué, y compris en matière de formation. L’ensemble des académies pourrait en retour bénéficier de ce partenariat, notamment pour établir des jumelages avec des établissements étrangers.

Notre enseignement français à l’étranger mériterait d’être amélioré sur d’autres points. Je pense en particulier au recrutement des chefs d’établissement : pour avoir eu à en connaître dans le passé, je n’ai pas été convaincu de sa rationalité.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Nous nous interrogeons d’abord sur les difficultés budgétaires de l’AEFE et leurs répercussions sur l’exercice par l’Agence de ses missions. Où et quand débat-on de la nature des missions de l’Agence, d’une façon qui soit lisible pour les différents acteurs de l’enseignement français à l’étranger – parents d’élèves, enseignants, voire élus ?

Je m’interroge également sur l’articulation de la mission de l’Agence avec celle des autres partenaires de l’enseignement français à l’étranger, tels que la Mission laïque française, l’Alliance française ou les centres culturels français à l’étranger, ou avec certaines initiatives ponctuelles, de parents d’élèves notamment. Il est nécessaire d’introduire de la cohérence dans toutes ces actions. Le critère des résultats au baccalauréat, que vous venez de mettre en exergue, est trop réducteur si on ne l’envisage pas au regard de l’accessibilité aux établissements français à l’étranger. À partir du moment où certains lycées français pratiquent une sélection à l’entrée et monopolisent les moyens, ils n’ont guère de mérite à obtenir de bons résultats.

Introduire une telle cohérence s’avère nécessaire si l’on veut améliorer l’enseignement français à l’étranger tout en tenant compte de la contrainte budgétaire : cela permettrait notamment de valoriser des initiatives peu coûteuses. Mais cela suppose peut-être la mise en place d’une instance participative permanente.

Mme Delphine Borione. Vous avez raison de souligner la diversité des acteurs de l’enseignement français à l’étranger. En effet, à côté de l’AEFE, établissement public administratif, la Mission laïque française, MLF, qui gère un grand nombre d’établissements à travers le monde, surtout dans son aire d’influence traditionnelle du bassin méditerranéen, est un partenaire essentiel du développement de notre enseignement français à l’étranger. L’Alliance israélite universelle, quant à elle, gère quatre établissements homologués. Le réseau de l’Alliance française assure l’enseignement et la promotion du français dans le monde, de même que nos 143 centres et instituts français, et entretient également de nombreux liens avec l’Agence. Notre objectif est de développer la coopération éducative entre notre réseau d’établissements scolaires et, non seulement les établissements scolaires des pays où ils sont implantés, mais également ces institutions françaises.

En ce qui concerne la nécessité de cohérence entre les différents acteurs, je me permets de rappeler que le conseil d’administration de l’AEFE réunit déjà de nombreux partenaires : représentants des ministères concernés, MLF, parlementaires, salariés, représentants des parents d’élèves. Mais il est vrai que nous avons identifié, notamment grâce aux conclusions de la Commission sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger, le besoin de renforcer les structures de coordination. On pourrait ainsi envisager, dans le cadre du plan de développement, la création d’un conseil consultatif de l’enseignement français à l’étranger, instance de proposition à la composition assez large, associant partenaires français, mais également étrangers. On pourrait également renforcer la coopération entre les ministères concernés via la création d’un comité interministériel chargé de définir les orientations stratégiques et de réfléchir aux défis multiples que doit relever l’enseignement français à l’étranger : comment répondre à l’augmentation de la demande alors que les budgets restent stables ? Comment, d’une façon générale, faire face à des besoins de financement exponentiels ? Comment maintenir la qualité de l’enseignement et doter les établissements d’équipements performants ?

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Les auditions déjà conduites ont fait apparaître que de grandes inquiétudes pesaient sur la pérennité du financement du réseau. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur deux problèmes qui paraissent de ce point de vue essentiels : le poids de l’immobilier et les conséquences de la prise en charge partielle des droits d’écolage ? Il nous a été indiqué que l’extension de la gratuité à tous les niveaux d’enseignement coûterait environ 700 millions d’euros.

Mme Delphine Borione. Le coût d’une telle généralisation est en effet évalué à 700 millions d’euros. La prise en charge, actuellement assurée de la seconde à la terminale, coûte déjà 20 millions d’euros par niveau, soit au total 60 millions par an, ce qui représente un poids significatif sur un budget déjà très contraint. En outre, sachant que la démographie scolaire est pyramidale, les premiers niveaux rassemblant les effectifs les plus nombreux, le coût de la généralisation de la prise en charge s’accroîtrait de façon exponentielle.

M. Jean-Paul Rebaud, sous-directeur de la Diversité linguistique et du français au ministère des Affaires étrangères et européennes. Le coût de l’immobilier est pour l’Agence une bombe à retardement, étant donné l’importance du parc qu’elle doit gérer : au moins 260 implantations, dont certaines sont propriétés de l’État. Où trouver les moyens de rénover le parc existant, mais aussi de financer la construction de nouveaux établissements que suppose l’objectif de développement de notre réseau – je pense notamment aux projets d’implantation dans les grands pays émergents ?

La politique immobilière de notre réseau est très largement financée par les établissements, c’est-à-dire par les familles. Même la rénovation des établissements possédés par l’État, comme ceux de Barcelone ou de Madrid, nécessite la contribution des familles. On évalue le besoin de financement annuel entre 30 et 50 millions d’euros pour faire face aux besoins de rénovation et mener une politique de développement raisonnable.

M. André Schneider, Rapporteur. J’aimerais que les représentants du ministère de l’Éducation nationale nous éclairent sur l’évolution de la part respective des enseignants expatriés, résidents et locaux dans la communauté enseignante. Quel est, monsieur le doyen, le rôle des inspecteurs pédagogiques régionaux, les IPR, dans l’enseignement du français dans le monde ? La maîtrise de la langue française est-elle testée au moment du recrutement du personnel enseignant, quelle que soit la discipline ? En mission au Laos l’an dernier, une traduction simultanée m’a été nécessaire pour comprendre des professeurs de français !

M. François Perret. Il est vrai que les moyens de contrôle et de suivi des personnels enseignants détachés sont insuffisants, en dépit de la mobilisation des corps d’inspection territoriale des académies. En outre, des inspecteurs sont depuis toujours responsables pour le premier degré français à l’étranger, et un petit pôle d’IPR attachés à l’AEFE a été créé il y a quelques années afin de répondre à une demande que nous n’étions pas capables de satisfaire. Quant à l’inspection générale, elle effectue des missions d’audits et évalue les établissements, ou bien elle intervient dans des situations critiques. Mais, si les enseignants expatriés, dont le nombre régresse sensiblement, et les résidents font l’objet d’un suivi régulier, les recrutés locaux constituent une zone grise échappant complètement à l’inspection. Ces insuffisances rendent peut-être nécessaire la mise en place d’un dispositif de labellisation, différent de l’homologation, si l’on veut préserver, voire accroître la place de la langue et de la culture françaises dans le monde.

M. Christian Masset, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des Affaires étrangères et européennes. Je suis très heureux d’avoir l’occasion de parler devant votre mission sur l’enseignement français à l’étranger, lequel est peut-être l’élément le plus déterminant pour notre influence dans le monde – c’est en tout cas le plus efficace sur le long terme. Il a en outre la particularité d’associer, dans un service public de qualité, l’enseignement de nos compatriotes et celui d’élèves étrangers, cette imbrication restant la clé de sa réussite.

J’en viens à l’« équilibre » entre les différents statuts des enseignants de notre réseau : 1 223 sont des expatriés, 5 420 des résidents et 3 850 des recrutés locaux. La part des enseignants expatriés est appelée à diminuer, sur la demande instante de Bercy. Nous devons pourtant garder à l’esprit que les expatriés répondent à deux types de besoins. Premièrement, ils remplissent au sein des établissements du réseau une fonction d’encadrement et de référence, qui garantit à nos compatriotes et aux étrangers un service d’une qualité comparable à celui dispensé en France. D’ailleurs, tout enseignant expatrié est muni d’une lettre de mission et exécute, en plus de son service d’enseignement, des tâches de conseil pédagogique. Deuxièmement, leur recrutement est nécessaire dans les pays où l’on recrute difficilement des titulaires au tarif des résidents. La réduction du nombre des enseignants expatriés doit donc être menée de façon responsable. Nous ne pourrons pas faire l’économie de la question de la formation et de l’évaluation des enseignants, laquelle sera d’ailleurs prise en compte par le plan d’orientation stratégique intégré dans le contrat d’objectifs et de performance de l’AEFE.

Comme vous le savez, le Président de la République a demandé au ministre des Affaires étrangères et européennes d’élaborer un plan de développement de l’enseignement français à l’étranger, qui sera présenté au cours du présent semestre. Ce plan part du constat que l’enseignement français à l’étranger est la pointe de notre politique d’influence, mais il devra tenir compte du fait que notre réseau, bien que le premier au monde, est désormais concurrencé par les établissements de langue anglaise et le développement d’autres réseaux – je pense notamment au réseau espagnol et au réseau allemand. De plus, les attentes des familles ont beaucoup évolué : autrefois, elles désiraient recevoir à l’étranger l’enseignement français, alors qu’aujourd’hui elles souhaitent davantage d’échanges avec la culture du pays, et attendent de l’enseignement français une valeur ajoutée pour l’avenir de leurs enfants, comme la possibilité de passer un double baccalauréat, le baccalauréat français et le baccalauréat local. Nous avons pu mesurer cette évolution lors du premier Forum mondial des anciens élèves du réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger, qui s’est tenu l’an dernier. Alors qu’un vice-président espagnol du Parlement européen nous expliquait que, dans l’Espagne franquiste, il attendait du lycée français qu’il lui apporte « la France à l’état pur », en tant que synonyme de liberté, les plus jeunes, qui se voient comme des citoyens du monde, apprécient le brassage culturel qu’ils y trouvent.

Le plan de développement devra également renforcer la coopération avec les autres partenaires de l’enseignement français à l’étranger, tels que la Mission laïque française ou le Centre national d’enseignement à distance (CNED). Nous devons en outre apporter des réponses innovantes à une demande en constante augmentation, puisque notre réseau scolarise 5 000 élèves supplémentaires par an. Cette croissance nous impose de diversifier notre offre : nous travaillons ainsi, en collaboration avec le MEN, à la mise en place d’un label d’éducation à la française validant les filières bilingues dans les établissements nationaux, qui sont en pleine expansion.

Nous envisageons également dans le cadre de ce plan la création d’un comité interministériel visant à améliorer notre coopération avec la tutelle pédagogique, et d’un haut conseil rassemblant tous les partenaires de l’enseignement français à l’étranger.

M. Jean-Pierre Brard, député. La réduction de la part des enseignants expatriés constitue une politique complètement aberrante pour qui connaît leur rôle moteur dans la diffusion de la langue française. Avec une telle réduction de voilure, vous n’aurez bientôt plus assez d’anciens élèves pour tenir un forum tel que celui que vous venez d’évoquer ! Le résultat, c’est que des élites anciennement francophones, comme au Vietnam, ne parlent plus du tout le français, ce qui est dramatique pour notre pays.

Ne serait-il pas possible de coopérer avec d’autres pays francophones pour défendre la langue française – je pense notamment à nos cousins québécois ?

Par ailleurs, le développement de nouveaux réseaux ne se traduit pas forcément par une intensification de la concurrence. Ces nouveaux acteurs peuvent se révéler nos partenaires, comme les Allemands à Ramallah, où le Centre culturel français est associé au Goethe Institut. Le conseil des ministres franco-allemand ne pourrait-il pas réfléchir au développement volontariste d’un tel partenariat ?

Je voudrais enfin vous faire part d’une initiative très originale que j’avais favorisée en tant que maire de Montreuil et qui me semble susceptible de résoudre le problème rencontré par M. Schneider au Laos : il s’agissait d’implanter au Vietnam un enseignant français chargé de perfectionner les enseignants locaux de français.

M. Christian Masset. Nous avons une politique commune avec le Québec, comme avec les autres pays européens de langue française, non pas en matière d’enseignement du français à l’étranger, mais de promotion de la langue française à l’étranger, notamment via l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), ou TV5 Monde.

J’approuve tout à fait ce que vous avez dit de la coopération franco-allemande. Le dernier sommet franco-allemand a décidé de créer un fonds dédié à la politique scolaire à l’étranger. Quant à la coopération universitaire, vous savez combien elle est développée.

Je veux enfin rappeler que le MAEE conduit un programme de soutien à nos enseignants de français-langue étrangère.

Il faut observer que le recul du français dans certaines régions du monde peut être le fruit d’une politique délibérée des États intéressés : c’est le cas au Laos. Il peut arriver aussi que l’enseignement du français progresse : c’est le cas notamment en Europe du Nord, où la connaissance du français est considérée comme un avantage pour faire des affaires.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On sait que c’est la direction générale de la Mondialisation qui exerce dorénavant la tutelle sur l’AEFE, et non plus la direction générale de la Coopération internationale et du développement (DGCID). Ce changement de tutelle s’est-il traduit par un mode de fonctionnement et un esprit différents ?

En ce qui concerne les enseignants expatriés, ne faudrait-il pas réfléchir à leurs missions plutôt que de raisonner en termes de nombre ?

Par ailleurs, est-il vrai que le ministère de l’Éducation nationale envoie des enseignants à l’étranger en dehors du réseau de l’enseignement français à l’étranger ?

Enfin, peut-on connaître le moment précis où le ministère des Affaires étrangères lancera le plan de développement que vous venez d’évoquer ?

M. Christian Masset. Sans vouloir empiéter sur la décision du ministre, je pense que ce plan sera lancé en avril ou en mai.

Le changement de tutelle de l’Agence traduit le fait que le système d’enseignement français à l’étranger est arrivé à un tournant, qui exige d’augmenter la capacité de la tutelle. Outre que nous lui consacrons plus de personnels, nous préparons, avec l’ensemble des acteurs, des documents d’orientation, tels que le plan d’orientation stratégique et le contrat d’objectifs et de performance de l’AEFE. Nous préparons également une cartographie du réseau et de ses perspectives d’évolution, ce qui n’avait jamais été fait.

Nous devons enfin nous assurer que les moyens financiers nécessaires au développement du réseau seront au rendez-vous de la programmation budgétaire triennale.

M. François Perret. S’agissant des enseignants expatriés, la mission d’audit que nous avons conduite au Maroc nous a appris qu’il était en effet essentiel de mieux définir leurs missions. L’enseignement de l’anglais dans un collège marocain ne justifie pas l’envoi d’un expatrié. Mais il faut conserver un substrat d’enseignants expatriés partiellement déchargés de leur fonction d’enseignement pour exercer des fonctions de conseil pédagogique et d’encadrement, notamment en direction des recrutés locaux, et remédier ainsi à la faiblesse du contrôle par les corps d’inspection.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Des responsables de l’AEFE m’ont dit craindre que la réduction du nombre des enseignants expatriés n’atteigne un seuil critique, au-delà duquel la qualité même de l’enseignement serait remise en cause.

M. François Perret. Laissons de côté les pays où l’on est obligé d’envoyer des expatriés, car personne ne veut y aller autrement. Pour les autres, il faudra bien que l’AEFE détermine un substrat indispensable d’enseignants expatriés, en deçà duquel la question de la qualité se posera, mais il faut qu’elle le fasse à partir d’une définition de leur mission.

M. Jean-Michel Blanquer. Le programme de mobilité internationale Jules Verne, auquel Monsieur le député Mancel fait allusion, repose essentiellement sur les moyens propres des académies. Il s’agit d’offrir à des enseignants titulaires – 120 cette année – la possibilité d’une immersion éducative et culturelle dans des établissements étrangers. Votre remarque nous incite à développer un partenariat avec l’Agence. Il serait important en particulier que nous puissions travailler ensemble à la réalisation de l’objectif de jumeler chaque établissement français avec un établissement étranger.

M. Christian Masset. Le programme Jules Verne pourra être très utile dans la perspective d’une labellisation de classes bilingues.

Par ailleurs, le changement de tutelle de l’AEFE s’est traduit par le souci de conforter le lien de l’Agence avec les autres éléments de notre politique d’influence, notamment l’enseignement supérieur français. Il s’agit de permettre aux élites étrangères d’accéder à nos établissements d’enseignement supérieur, notamment par la mise en place de cellules d’orientation au sein des lycées.

Je voudrais enfin vous faire observer que la question des enseignants expatriés, à laquelle je suis également très sensible, n’est pas séparable de celle des moyens. On ne peut pas négliger non plus la bombe à retardement que constitue le coût de l’immobilier. Pour toutes ces raisons, nous comptons beaucoup sur votre aide dans cette période de programmation budgétaire.

M. David Habib, Président. Madame, messieurs, nous vous remercions.

Audition du 4 mars 2010

A 12 heures 30 : Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sénatrice, M. John Mac Coll, président de la commission des Affaires culturelles, de l’enseignement et de l’audiovisuel de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE), M. Marc Villard, président de la commission des Finances de l’AFE, et M. Olivier Cadic, membre de l’AFE et du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE)

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie, Madame, Messieurs, d’avoir répondu à l’invitation de la MEC. Je vous propose de vous présenter et de nous faire part brièvement de votre point de vue quant à notre politique d’enseignement français à l’étranger.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga, sénatrice. Je suis sénatrice représentant les Français établis hors de France depuis 1992.

Le déséquilibre budgétaire de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger est dû aux charges croissantes que celle-ci doit assumer sans pour autant disposer des moyens correspondants : charge immobilière, non compensée ; part patronale des cotisations sociales des enseignants titulaires, partiellement compensées pour la première année seulement, mais qui ne le seront plus ; prise en charge de la scolarité, générant un coût croissant des bourses scolaires sur critères sociaux et un coût croissant de la prise en charge, la PEC, communément appelée mesure de gratuité.

À la rentrée 2009, on comptait 17 856 boursiers pour un coût moyen de 3 151 euros, et 8 690 prises en charge pour un coût moyen de 4 207 euros. La situation des établissements est de plus en plus difficile.

Depuis trois ans, le coût de la scolarité croît de 10 % par an, rendant la situation insupportable pour les parents non bénéficiaires de la PEC.

Bien qu’elle absorbe 82 % du programme 185 Rayonnement culturel et scientifique de la mission Action extérieure de l’État, l’AEFE est actuellement prise à la gorge.

M. John Mac Coll, président de la commission des Affaires culturelles, de l’enseignement et de l’audiovisuel de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Je suis conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’étranger, représentant l’Australie et l’Océanie.

Le budget pour l’enseignement français à l’étranger s’élève à 1 milliard d’euros et est financé à hauteur de 60 % ou 65 % par les familles. Il faut donc saluer l’engagement du Président de la République actuel d’aider les familles car la gratuité – idée initialement lancée par François Mitterrand – est une mesure généreuse.

Cependant, il faut être lucide : le financement de l’enseignement français à l’étranger ne peut être envisagé uniquement sous l’angle de l’aide apportée aux familles, car des contraintes budgétaires sévères pèsent sur l’opérateur central, l’AEFE. Il lui est en effet demandé de faire plus en assumant le financement des cotisations des pensions civiles et des titulaires, non compensées à 100 %, mais aussi des responsabilités immobilières. Rappelons que les effectifs du réseau augmentent de 5 % par an. Ainsi, en 2008, on a compté 4 000 élèves français de plus.

Sur les 80 000 élèves français, 20 000 sont concernés par le budget des bourses et celui de la prise en charge. Autrement dit, dans le contexte du moratoire, pour deux familles aidées, quatre devront payer des frais de scolarité en forte augmentation.

Lorsque j’ai créé le lycée français à Sydney, j’ai proposé aux entreprises françaises de payer des frais de scolarité beaucoup plus élevés. Nous avons donc des tarifs différenciés pour les entreprises. Or, si l’État paye ces frais de scolarité à la place des entreprises, il s’ensuit un effet pervers : les établissements perdent non seulement le financement minimum, mais aussi la prime que nous payent les entreprises pour agrandir le lycée ou le rénover. Cette contribution subit donc une dérive au fil du temps.

Certes, et le Président de la République l’a dit, ce n’est pas aux entreprises d’assumer le financement – il faut l’admettre : la PEC aide les PME –, mais quelle autre possibilité avons-nous ?

Le budget des bourses a été doublé par M. Juppé lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. Quant à la gratuité, elle devrait être assurée pour tout le monde, sinon le système serait inéquitable.

C’est pourquoi je propose, à la place des bourses et de la prise en charge, un budget d’aide à la scolarité, avec un plafonnement pour assurer l’équité et aider le maximum de familles françaises.

M. Marc Villard, président de la commission des Finances de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE). Je suis élu depuis 2000 à l’Assemblée des Français de l’étranger sur la circonscription Asie du Sud-Est.

Le réseau est fondamental pour les expatriés, la présence économique de la France et son rayonnement culturel. Nos PME, PMI et grands groupes ont besoin, pour les enfants de leurs collaborateurs, de structures d’accueil dans les pays où ils s’installent.

En raison de son budget déséquilibré par ses nouvelles charges, l’AEFE a de plus en plus de difficulté à remplir son double rôle : offrir un système scolaire français aux expatriés à l’étranger et promouvoir un rayonnement culturel auprès des ressortissants de nos pays d’accueil.

Ces difficultés financières entraînent une hausse constante des frais de scolarité, même s’il y a une pondération pour certains parents par la PEC et, pour d’autres, par les bourses.

Par ailleurs, compte tenu du montant élevé de leur participation au fonctionnement des établissements en gestion directe, les parents d’élèves et les associations de parents d’élèves souhaiteraient participer davantage à leur gestion.

Dans de nombreux pays, les problèmes rencontrés par les chefs d’établissement sont plus en plus aigus et techniques – surtout en cas d’aménagement des établissements scolaires –, et il devient difficile d’avoir des personnels sur place qui soient capables d’assumer à la fois leur mission pédagogique et une mission de gestion avec les autorités du pays d’accueil.

Enfin, dans beaucoup de pays, le contrat « expatrié grand groupe avec maison, voiture, chauffeur et cuisinière » n’est plus la règle, mais l’exception. De plus en plus de gens ont des petits moyens, notamment parmi les PME-PMI et les entrepreneurs individuels. Il faut tenir compte de cette profonde mutation socio-économique pour l’avenir du réseau de l’AEFE.

M. Olivier Cadic, membre de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) et du conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE). Je suis conseiller élu à l’Assemblée des Français de l’étranger pour le Royaume-Uni, représentant de cette assemblée au conseil d’administration de l’AEFE.

La situation de Londres est emblématique de l’avenir du réseau.

Nous sommes confrontés à une injonction paradoxale lorsqu’il nous est demandé d’assumer la continuité du service public et le rayonnement culturel.

La mission de continuité du service public n’est plus assurée. Cette année encore, 263 enfants de France se sont vu refuser une place à Londres. La notion même de service public est mise à mal. Messieurs, l’argent affecté à l’enseignement français à l’étranger concerne seulement 30 % des enfants français ! Que faisons-nous pour les 70 % restants ? Pas grand-chose, mis à part le programme Français langue maternelle ou FLAM !

Le résultat, il ne faut pas se le cacher, est une école pour les riches ! À Londres, 55 % des résidents français sont des employés, mais le lycée Charles-de-Gaulle accueille seulement 3 % d’enfants d’employés. Toutes les statistiques figurent dans le plan école dont je vous laisserai une copie.

Je tiens à souligner que la dérive – 75 % d’augmentation des frais de scolarité au cours des cinq dernières années – avait commencé avant la prise en charge.

Telles sont les réalités que j’ai constatées sur le terrain. Je vous ferai part de mes propositions dans un deuxième temps.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Christian Masset, directeur général de la Mondialisation, du développement et des partenariats au ministère des Affaires étrangères et européennes, a évoqué le projet de développement de l’enseignement français, préconisé par le Président de la République dans sa lettre de mission au ministre. Or, selon une autre personne auditionnée, le budget est stable.

Il y a donc contradiction – une « injonction paradoxale », pour reprendre votre expression – entre la volonté affichée du Président de la République et les moyens mis en œuvre, car non seulement le budget stable n’était pas suffisant dès le départ, mais l’AEFE a dû faire face à des charges supplémentaires.

Les difficultés structurelles de l’Agence et des établissements concernent le transfert de patrimoine, l’entretien de l’immobilier, ainsi que la prise en charge partielle des cotisations patronales pour les personnels titulaires, qui va disparaître, selon Mme la sénatrice.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Pour 2009, la somme globale octroyée à l’AEFE a été inférieure au coût des cotisations et ne devrait pas être modifiée, comme cela a été annoncé. Or, comme le coût des cotisations augmentera, le déficit sera plus en plus important.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Il y a une injustice, car les choses sont différentes pour les autres établissements publics en France.

Autre difficulté : la baisse du nombre des expatriés entraîne la prise en charge des salaires des recrutés locaux.

Enfin, la PEC s’ajoute à la hausse des charges nouvelles. Certes, elle est une démarche généreuse, et les PME ont besoin d’être aidées, mais le résultat – ou l’« effet pervers », pour reprendre l’expression de M. Mac Coll – est une explosion des frais d’écolage, qui seront de moins en moins supportables pour les familles.

M. John Mac Coll. Surtout pour les familles non aidées !

M. Hervé Féron, Rapporteur. Faut-il alors revenir sur notre ambition de développer l’enseignement du français à l’étranger ou s’interroger urgemment sur les moyens mis à disposition ?

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. S’agissant du remboursement des cotisations, la somme prévue au budget est de 120 millions pour 2009-2010-2011. Or le coût s’est élevé à 126 millions en 2009, il sera de 143 millions en 2010 et de 153 millions en 2011.

Monsieur Cadic, les problèmes sont différents selon les pays. Les parents à Singapour ou à Sydney n’ont pas les mêmes difficultés que ceux de Londres, située à une heure de Paris. La solution de réserver des places au lycée français peut paraître excessive, d’autant que l’État paie très cher un institut français du Royaume-Uni, chargé lui aussi du rayonnement culturel et de l’enseignement du français.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Il faut distinguer l’enseignement français à l’étranger de l’enseignement du français à l’étranger, c’est-à-dire établissements scolaires et instituts culturels.

Dans les établissements scolaires, nous avons besoin d’une forte proportion d’élèves étrangers, qui constituent actuellement 55 % des effectifs environ. La proportion a baissé car nous avons perdu, à la dernière rentrée, 950 étrangers tiers – étrangers dont la nationalité n’est pas celle du pays où est implantée l’école.

La diplomatie culturelle de la France a tout à gagner à avoir un réseau d’écoles avec une majorité d’élèves étrangers, car cela nous permet d’avoir des cohortes stables et très motivées, une base démographique et économique très importante – les élèves étrangers payant souvent plus cher que les élèves français –, une respiration culturelle extraordinaire. Cela résout aussi le problème de la double injonction dont a parlé Olivier Cadic. L’enseignement français dispensé par nos écoles est enrichi par le brassage culturel, la plupart assurant un enseignement bilingue, voire trilingue, et l’accès à deux cultures.

Nous pourrions ouvrir dans les pays riches autant d’écoles françaises que nous le voudrions ! Aux États-Unis, une ville possédant une université et un aéroport et désireuse de se donner un caractère international veut son école française.

Enfin, les 30 % d’enfants français scolarisés dans le réseau de l’AEFE coûtent beaucoup moins cher que ceux scolarisés en France, qui ont coûté chacun en moyenne 3 409 euros en 2006, comme l’a montré mon rapport budgétaire pour la même année.

M. John Mac Coll. Soyons pragmatiques : nous recherchons des sources de financement.

À Sydney, nous avons obtenu l’accréditation locale immédiatement : nos lycées scolarisent des enfants de détachés, mais aussi des enfants résidents. Nos amis Australiens nous ont proposé de scolariser leurs enfants résidents et de nous donner une subvention. Ainsi, aujourd’hui, les autorités australiennes nous apportent plus de 1 million de dollars pour les 650 élèves du lycée de Sydney. Scolariser des enfants français n’est donc pas simplement une charge : c’est aussi un investissement.

Il faut faire attention à la discrimination entre enfants étrangers et enfants français, notamment au niveau européen. Payer les frais de scolarité pour les Français dans une école franco-espagnole ou franco-allemande risque de poser un problème de discrimination eu égard au droit communautaire. Le risque n’est d’ailleurs pas exclu en Australie.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cette situation existe dans plusieurs pays européens.

M. Marc Villard. S’agissant de la présence des enfants étrangers dans nos établissements, la problématique des pays européens, de l’Australie ou du Japon, n’est pas celle des pays émergents.

Dans les pays émergents, en particulier ceux où les communautés françaises sont peu nombreuses, les élèves étrangers sont une variable d’ajustement économique permettant de rentabiliser les établissements : ajouter cinq étrangers dans une classe de quinze Français rembourse leurs frais fixes.

M. John Mac Coll. Dans le cadre d’un plan d’aide aux écoles, l’État australien vient d’octroyer au lycée franco-australien de Sydney une subvention exceptionnelle de 2 millions de dollars pour l’immobilier.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On voit la diversité des situations.

M. Olivier Cadic. Effectivement, les problèmes ne sont pas les mêmes à Londres et à Singapour. Mais alors, pourquoi vouloir apporter la même réponse partout ? La même politique peut être très bonne à Rio de Janeiro ou à New Delhi, et ne pas fonctionner ailleurs, notamment à Londres.

Voilà pourquoi, dès le mois de juillet 2007, j’avais écrit au Président de la République pour lui proposer de régler le problème pays par pays. Et c’était la volonté exprimée à l’Assemblée des Français de l’étranger avec le plan Écoles : la réunion autour de l’ambassadeur des politiques, des parents d’élèves et des enseignants a permis de fixer les objectifs pour Londres. Objectif 1 : créer 500 nouvelles places par an dans l’enseignement français au Royaume-Uni. Objectif 2 : développer l’enseignement bilingue français-anglais dans ce pays, grâce à la mobilisation du corps diplomatique auprès des autorités locales. Le Royaume-Uni compte cinquante écoles bilingues : elles sont la solution car on ne pourra pas créer des écoles françaises partout. Je vous suggère une piste : servez-vous des visites du Président de la République, car impliquer le réseau éducatif avec un vrai projet de coopération permet de faire avancer les choses.

Par ailleurs, si l’on veut parler de l’avenir, il faut impliquer les nouvelles générations, ne serait-ce que pour intégrer le concept de nouvelles technologies. Or parmi les personnes qui se sont réunies pour l’avenir de l’enseignement français à l’étranger, combien avaient de moins de cinquante ans ?

Il convient également de développer l’enseignement à distance. Mais quels moyens reçoit le CNED, Centre national d’enseignement à distance, outil essentiel à tous ceux désirant apprendre le français ?

Les moyens doivent donc prioritairement être affectés au bilingue et à l’enseignement à distance.

Enfin, il est un peu facile de faire payer davantage les parents d’élèves en prétextant l’insuffisance de subventions : il faut revoir sérieusement les coûts, car les budgets ne sont pas d’une grande clarté. La situation manque de transparence !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. À propos du manque de clarté, je ferai observer que les 6 % de participation des États étrangers au financement du réseau ne figurent plus dans le dernier budget. Ce n’est pas normal !

S’agissant de la place des élèves étrangers, la France est un tout petit pays et a besoin d’écoles où existe un brassage culturel. Les parents étrangers recherchent d’ailleurs une école laïque et multiethnique, car ils veulent pour leurs enfants non seulement l’instruction française, mais aussi l’éducation française, la découverte de l’autre – je pense au lycée français de Manhattan.

Le programme FLAM se développe énormément dans les pays les plus riches, particulièrement à New York. D’ailleurs, les écoles publiques américaines où sont créés des groupes FLAM ouvrent une section bilingue l’année suivante. C’est donc du « tout gagnant » pour la France.

M. Olivier Cadic. C’est l’objectif 3 du plan Écoles de Londres : développer les « écoles FLAM », avec l’obligation pour ces dernières de se rapprocher d’écoles britanniques afin de contribuer à l’atteinte de l’objectif 2 : le bilingue.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. L’enfant franco-suédois vivant en Suède ne veut pas que sa mère lui parle en français devant ses camarades par crainte du ridicule. Pour qu’il continue à communiquer avec ses parents français, une seule solution : soit il va au lycée français où il ne sera pas le seul à parler français, soit il participe à un groupe FLAM.

Un mois après l’ouverture du premier groupe FLAM à Brooklyn, des parents m’ont dit, avec émotion, que leurs enfants acceptaient de recommencer à leur parler en français !

Je souligne toutefois qu’en Afrique francophone, la situation est totalement différente.

M. John Mac Coll. À Sydney, nous avions commencé avec le lycée français ; à Melbourne, avec un programme FLAM. Ce dernier s’est développé et, aujourd’hui, nous avons à Melbourne une école française hébergée par une école australienne avec 200 élèves français.

Si l’AEFE fait un travail remarquable, n’oublions pas la Mission laïque française, non plus que le CNED, merveilleux outil pas assez utilisé ! Entre tous ces opérateurs, une flexibilité est possible.

Exemple : l’ambassadeur demande de travailler sur une école française à Perth, en Australie, car le groupe Total revient en force. EDF et GDF investissent des centaines de millions de dollars. Pour les enfants de détachés, on utilisera d’abord la Mission laïque française, car ce sera une école financée par les groupes français. Puis on accueillera des résidents francophones et l’on pourra avoir accès à d’autres subventions.

Tous ces enfants de détachés auront la chance d’apprendre l’anglais avec de petits camarades australiens ou franco-australiens et repartiront avec une certaine connaissance de l’anglais et du pays.

Voilà pourquoi l’Australie encourage ce genre d’école.

AEFE, Mission laïque française, CNED, programme FLAM doivent donc être envisagés en fonction des besoins locaux de chaque pays.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Pendant longtemps, l’enseignement du français à l’étranger s’est fait dans des établissements propriétés de l’État. Pour un développement avec des moyens relativement limités, sans doute faudra-t-il à l’avenir régler le problème de l’équilibre entre les établissements en gestion directe et les établissements conventionnés.

M. John Mac Coll. Pour les nouveaux projets, les établissements conventionnés sont plus intéressants car les entreprises sont directement concernées.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. En ce début du XXIe siècle, l’action culturelle extérieure est fondamentale pour notre pays, mais il n’y a pas de pilote dans l’avion. Ce devrait être à un secrétaire d’État auprès du ministre des Affaires étrangères d’assurer le contrôle des instituts et des centres culturels, de l’enseignement du français à l’étranger, de l’enseignement français à l’étranger, et de l’audiovisuel extérieur – une des meilleures formations en langue française actuellement est fournie par TV5 Monde. Nous pourrions également développer un partenariat avec le CNED, qui apporterait son expertise.

M. André Schneider, Rapporteur. Selon moi, il est difficile d’avoir un seul pilote, pour le réseau.

À Berlin la semaine dernière, je me suis adressé en allemand au chauffeur venu chercher ma délégation à l’aéroport, et il m’a répondu : « Monsieur, parlez-moi votre belle langue française : je la comprends ! ». Petit Alsacien, j’avais des complexes car on se moquait de moi quand je parlais français.

J’aurais souhaité vous entendre sur la gestion, la qualification et la formation professionnelle des personnels, premiers vecteurs de l’enseignement français et du français dans le monde.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Accepter de parler français est une question d’âge : un jeune enfant a horreur d’être différent des autres.

Il ne nous reste plus que 600 professeurs dotés du statut d’expatrié. Nous sommes largement au-dessous des besoins. Nous n’avons pas non plus beaucoup d’enseignants résidents. Or, si vous voulez avoir des enseignants français à Bangui, à Brazzaville ou à Haïti, il faut un minimum d’expatriés et payer un peu plus cher les professeurs résidents.

Les professeurs résidents et recrutés locaux étant de plus en plus nombreux, il faut faire un gros effort sur leur formation initiale et continue. Faute de quoi, les parents subissent la double peine : ils paient de plus en plus cher, et la qualité de l’enseignement leur est de moins en moins garantie.

M. Marc Villard. Il faut prévoir un statut pour les recrutés locaux, leur garantir un contrat solide assorti d’une protection sociale. Sinon, nous n’aurons pas d’enseignants de qualité.

M. John Mac Coll. La moitié des titulaires expatriés est constituée de personnels administratifs.

Le réseau étant en plein développement, nous sommes au-dessous des besoins, surtout en matière de formation.

M. Olivier Cadic. Selon moi, il faudrait limiter le temps d’expatriation des professeurs. En effet, a-t-on toujours une bonne connaissance de la France si l’on a été expatrié trop longtemps ?

Les enseignants, de plus en plus sédentaires, risquent de ne pas mettre en œuvre les textes officiels. Connaissent-ils le socle commun ? Actuellement, il y a peu de formation.

Les chefs d’établissement sont, comme ici, noyés dans l’administratif.

Un objectif pourrait être assigné à l’AEFE : inspecter les enseignants au moins une fois tous les trois ans pour évaluer leurs connaissances des programmes. Cela éviterait, lorsqu’ils viennent noter le baccalauréat en France par exemple, un certain décalage.

M. André Schneider, Rapporteur. Les statistiques le prouvent : les résultats au baccalauréat des établissements français à l’étranger sont souvent meilleurs que ceux de l’Hexagone.

Le cœur du problème est effectivement l’évaluation des compétences. Il faudrait organiser un turnover « naturel » des personnels, sauf en cas d’aptitudes particulières. Cela ne pourrait concerner que le personnel expatrié, et non le personnel local.

Quant au personnel local, la France peut lui offrir une perspective de carrière, à condition de le former car nous sommes attachés à la qualité de l’enseignement dispensé à nos enfants.

Former du personnel local, c’est aussi assurer le rayonnement de la France !

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Merci beaucoup, Madame, Messieurs, pour ces exposés très intéressants.

Audition du 11 mars 2010

A 9 heures 30 : M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je remercie M. Jean-Claude Jacq, secrétaire général de la Fondation Alliance française, d’avoir répondu à notre invitation. L’objectif de cette Mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’enseignement français à l’étranger étant comme toujours de dégager des propositions consensuelles, majorité et opposition y sont représentées, de même que les différentes commissions concernées, par l’entremise de trois rapporteurs : M. Hervé Féron pour la commission des Affaires culturelles et de l’éducation ; M. André Schneider pour la commission des Affaires étrangères et moi-même pour la commission des Finances. La Cour des comptes participera également à cette audition, en la personne d’un de nos anciens collègues, M. René André, conseiller maître en service extraordinaire, et de M. Philippe Geoffroy, conseiller référendaire qui a participé au contrôle de l’Alliance française en 2009.

Monsieur le secrétaire général, pouvez-vous, avant de répondre à nos questions, présenter votre Fondation et nous situer le rôle des Alliances françaises dans le dispositif de l’enseignement français à l’étranger ?

M. Jean-Claude Jacq. L’Alliance française a connu en janvier 2008 un tournant historique lorsque la maison mère est devenue une fondation, chargée d’animer et de coordonner le réseau international en poursuivant ainsi une mission assumée depuis 1883, tandis que l’école du boulevard Raspail, restée association de la loi de 1901, continuait d’accueillir les étudiants étrangers.

La Fondation s’attache à rechercher des capitaux afin de mieux soutenir l’action des Alliances françaises réparties sur le globe. Elle a connu un bon départ, en parvenant à collecter, en 2007-2008, 5,5 millions d’euros, ce qui n’était pas chose facile auprès d’entreprises privées qui considèrent en général la défense du français à l’étranger comme l’affaire de l’État. Élargir ce capital est plus ardu depuis que la crise a éclaté ; nous nous efforçons de rechercher des partenariats sur des projets spécifiques et nous nous tournons à cet effet vers des mécènes ou des donateurs animés par la passion de la langue et de la culture françaises.

Alors que l’Alliance française à Paris se bornait depuis un siècle à fournir conseils et expertise aux membres de notre réseau, la Fondation est donc à même, désormais, de leur apporter une aide financière directe. Il s’agit certes de sommes modestes, mais elles ont un impact important et permettent à des projets de développement d’aboutir – une cinquantaine en 2008, autant en 2009.

Nous avons ainsi le sentiment euphorisant de pouvoir davantage soutenir un réseau qui fait face à une demande croissante de français, la progression annuelle du nombre d’étudiants étant comprise entre 3 et 4 %. Traditionnellement ancré dans les Amériques, où il a un quasi-monopole et où il fonctionne de manière remarquable, ce réseau connaît depuis huit ans un développement important à l’Est, notamment en Chine et en Russie où respectivement 15 et 11 établissements ont ouvert leurs portes et parviennent à s’autofinancer dans une large mesure. Ce rééquilibrage géographique s’est fait à la demande du ministère des Affaires étrangères, qui a préféré là l’implantation d’Alliances à celle de centres culturels.

Sur le continent africain, le réseau de l’enseignement français se partage en revanche entre Alliances et centres culturels. Les états généraux des Alliances françaises d’Afrique que nous avons organisés pour la première fois en 2009, à Nairobi – en terre anglophone –, ont rassemblé les représentants de 33 pays. Ceux-ci ont ainsi pu confronter leurs pratiques très diverses et échanger sur la base d’intérêts et d’une passion qui leur sont communs.

Nous accorderons cette année une attention particulière à la situation, plus difficile, des Alliances françaises européennes. Elles sont les seules à ne pas connaître une progression marquée de leurs effectifs d’étudiants, ce qui reflète le recul très préoccupant du français dans les organisations de l’Union et dans les échanges commerciaux intra-européens. Or si le français perd la place éminente qui était la sienne en Europe, il deviendra difficile de soutenir son développement sur les autres continents. Nous allons donc réunir ces Alliances à Bruxelles afin d’étudier les actions à entreprendre dans un tel contexte.

Compte tenu d’une vive concurrence, il paraît important que les Alliances se professionnalisent. Le ministère des Affaires étrangères nous apporte une aide importante depuis cinq ans en finançant des actions de formation et, fin 2009, il nous a même accordé un supplément de crédits de 600 000 euros. Cela étant, hormis peut-être en Chine et en Russie où il est concevable d’ouvrir encore quelques Alliances, la Fondation s’emploie, plutôt que de l’étendre, à consolider le réseau dont elle a la charge. Nous cherchons à mobiliser le millier d’Alliances qui actuellement se répartissent en trois tiers à peu près égaux : celles qui bénéficient d’une convention avec le ministère et sont comparables en taille avec les centres culturels ; celles qui dispensent un enseignement dans des villes relativement modestes ; enfin, celles qui s’apparentent à de simples clubs de gens amoureux de la culture française, et qui ne dispensent aucun cours. Ces « clubs » seront incités à offrir des cours de langue, les établissements de taille moyenne à passer des conventions avec le ministère des Affaires étrangères, les grandes Alliances à améliorer encore leur efficacité.

Ces projets, le dynamisme du réseau, le nouvel éclat donné par le terme même de « fondation » nous apportent beaucoup d’énergie et nous incitent à l’optimisme. Reste la question de la réforme. Le président de la Fondation et moi-même rencontrerons prochainement le ministre des Affaires étrangères pour discuter de l’articulation entre centres culturels, Alliances françaises et agence culturelle en gestation.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous vous remercions pour ces propos introductifs, empreints d’un rare optimisme !

M. André Schneider, Rapporteur. Quelle part de vos activités les Alliances françaises de France représentent-elles ?

M. Jean-Claude Jacq. L’Alliance française Paris-Île-de-France, avec un peu plus de 10 000 étudiants, est la deuxième Alliance au monde – derrière celle de Lima ! Comme d’autres Alliances françaises de France – Toulouse, Lyon, Marseille, Nice, Rouen, Strasbourg, Dijon, Montpellier, Bordeaux –, elle accueille des étudiants étrangers, mais aussi, pour une période de quelques mois, des personnes désireuses d’acquérir un bagage culturel français, avec un apprentissage intensif de la langue le matin et une découverte de Paris et de la vie française l’après-midi. Toutes ces Alliances se portent bien et fonctionnent comme celles de l’étranger.

Pour qu’on ne se méprenne pas sur son importance, je précise que la Fondation Alliance française, elle, n’emploie que douze personnes – accueil et archives compris. Cette équipe, très restreinte si on la compare à celles qui animent le Goethe Institut ou le British Council, ne gère pas de personnel, il est vrai, mais elle s’efforce de fournir des conseils en matière budgétaire, administrative, juridique, culturelle ou pédagogique aux Alliances françaises et de coordonner le réseau mondial.

Comme je l’ai expliqué, nous avons disjoint il y a deux ans les missions du siège parisien et nous nous en félicitons. La gestion de cette PME qu’était l’Alliance française de Paris – 200 salariés, 5 syndicats – avait fini par absorber le président et le secrétaire général, au détriment du réseau international.

M. André Schneider, Rapporteur. De quel ordre de grandeur est la participation financière des étudiants ?

M. Jean-Claude Jacq. Nous appliquons des tarifs comparables à ceux pratiqués par la Sorbonne ou l’Institut catholique de Paris, dont peuvent s’acquitter des étudiants étrangers qui ont les moyens de venir et de séjourner dans notre capitale. Notre souci n’est évidemment pas de faire des bénéfices, mais de nous autofinancer, sachant que nos professeurs ne sont pas mis à disposition par l’Éducation nationale mais rémunérés par nous et que nous avons d’autre part à financer l’entretien de nos bâtiments.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Les personnes que nous avons auditionnées ont toutes évoqué la nécessité de rechercher une cohérence globale dans l’action des divers opérateurs. Vous avez expliqué que les Alliances françaises offraient des prestations de qualité diverse, de l’établissement culturel aux « clubs » plus modestes. Avez-vous l’intention de rendre ce réseau plus homogène ? Quels sont les critères qui vous permettent d’évaluer les Alliances ? L’évolution de la fréquentation est-elle un indice ? Enfin, comment opérez-vous les choix lorsque les levées de fonds ne s’avèrent pas conformes aux objectifs que vous vous êtes fixés ?

M. Jean-Claude Jacq. Nous pouvons nous prévaloir, je crois, d’une certaine excellence quelle que soit la taille des établissements. Celle-ci, en revanche, dépend des ressources locales et l’Alliance française d’Oulan Bator, par exemple, ne saurait bien sûr rivaliser avec celle de New York en termes d’installations et d’activités. Notre réseau regroupe 910 Alliances françaises, soit autant que le Goethe Institut, le British Council, la Sociétà Dante Alighieri et les Instituts français réunis : à côté de nos grandes Alliances, nos prédécesseurs ont volontiers « allumé des petites lumières au fond de la pampa », créant ainsi des relais très nombreux qu’apprécient les ambassadeurs… Cette politique se défendait mais, aujourd’hui, le monde ayant évolué, tout en nous appuyant sur ce maillage exceptionnel, nous devons rechercher un peu plus d’homogénéité, sachant que nous ne pourrons jamais proposer les mêmes offres à Paris et à Tucumán ou Bangui.

Une fois n’est pas coutume, je veux rendre hommage à la Cour des comptes. Son rapport, dense et complet, nous est très utile s’agissant des besoins d’évaluation, de nos rapports avec le ministère des Affaires étrangères, ou encore de la façon dont l’activité de chaque Alliance doit s’articuler avec l’action de l’ambassade. Ses conclusions poussent dans le sens où nous voulions aller sans toujours oser le dire : celui d’une professionnalisation accrue des établissements et d’une clarification du réseau dans sa relation avec les pouvoirs diplomatiques.

Entre une gestion « de marque » – qui imposerait une labellisation soumise à des procédures de contrôle très strictes – et une attitude plus laxiste – qui laisserait le réseau s’étendre de façon spontanée –, nous devons trouver un point d’équilibre. L’enseignement de la langue et de la culture françaises n’est pas un produit répondant à des critères de productivité ou de qualité ; il est le fruit d’un élan international, porté par des bénévoles courageux, que nous nous devons de soutenir.

En tout état de cause, la Fondation n’est pas en mesure d’employer suffisamment de cadres pour procéder à une évaluation sérieuse d’un réseau mondial très dense. Mais nous sommes épaulés par l’inspection générale du ministère des Affaires étrangères, qui inclut dans l’évaluation des postes celle des Alliances locales, et par nos quelque quarante délégués généraux, chargés dans chaque pays de suivre l’activité des Alliances, de former et d’aider les personnels, et qui nous remettent des rapports annuels. En outre, dans la suite du rapport de la Cour des comptes, nous avons conçu avec le ministère des Affaires étrangères une « démarche qualité ». La gestion des Alliances, leur gouvernance, leur offre de cours sont évaluées selon des critères distribués en trois catégories : recommandé, très recommandé, obligatoire. Avec l’aide du Centre international d’études pédagogiques de Sèvres, nous accompagnerons chaque année une quinzaine d’établissements dans leur auto-évaluation. Les Alliances, quelle que soit leur taille, devront satisfaire aux critères obligatoires et s’efforcer, en fonction de leurs moyens et de leur importance, de tendre vers les autres objectifs. Cette démarche souple, qui encourage les établissements à progresser plutôt qu’elle ne les sanctionne, nous paraît concilier l’exigence de qualité et l’esprit du bénévolat.

Du point de vue financier, il est certain que nous avons dû revoir à la baisse nos ambitions, la levée de fonds n’ayant permis jusqu’ici de réunir que 5,5 millions d’euros au lieu des 22 millions escomptés. Nous sommes cependant sur une pente ascensionnelle. Le produit de ces 5,5 millions d’euros nous a permis de multiplier par deux les aides ponctuelles aux Alliances de l’étranger entre 2008 et 2009. Nous y consacrons aujourd’hui 150 000 euros, ce qui représente des interventions directes d’un montant compris pour chacune entre 5 000 et 10 000 euros. Le colloque international que nous organisons chaque année prend de l’ampleur, grâce à nos partenaires et au mécénat d’entreprise. Dans le cadre d’un projet « Alliances vertes », nous cherchons de nouveaux soutiens pour inciter les Alliances françaises qui souhaiteraient effectuer des travaux de rénovation ou de construction à le faire en respectant des critères environnementaux.

M. André Schneider, Rapporteur. Les Alliances de France organisent-elles toujours des voyages à l’étranger, comme le faisait dans ma jeunesse celle de Strasbourg ?

M. Jean-Claude Jacq. Cela peut faire partie des diverses activités d’une Alliance, mais nous avons dû nous adapter aux changements culturels et moderniser nos actions. Ainsi, alors que les grands conférenciers français attiraient autrefois de nombreux auditeurs, il nous faut aujourd’hui imaginer de nouvelles formules pour faire recette, comme des débats entre intellectuels français et intellectuels du pays d’accueil.

Confrontés à la concurrence, nous devons renoncer à un fonctionnement « familial » et nous professionnaliser davantage. Mais nous devons aussi conserver ce précieux patrimoine, bâti autour de la passion de la langue française, laquelle n’a cessé, tout au long de ma carrière, de me surprendre par sa force et son dynamisme.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur les autres acteurs, tels que le ministère des Affaires étrangères, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger ou la Mission laïque française ? Avez-vous tissé avec eux des liens satisfaisants ?

M. Jean-Claude Jacq. Je parais être le seul à penser que l’idée d’incohérence de notre action culturelle, colportée notamment par la presse, est fausse. Pour avoir exercé tous les métiers de ce secteur, je considère comme infondées les accusations de gabegie ou de mauvaise gouvernance. Le ministère des Affaires étrangères publie chaque année des orientations globales mais précises. Localement, ses partenaires et opérateurs exercent leur métier. Le rôle du conseiller culturel est de répercuter l’effort de cohérence impulsé de Paris et d’amener l’Alliance, l’Agence française de développement, les lycées français ou encore le service scientifique à travailler ensemble.

D’aucuns souhaitent tout rassembler sous une même houlette. Je pense, au contraire, que le fonctionnement actuel comporte bien des avantages. Le double réseau des Alliances et des centres culturels est même un atout : tandis que certains pays préfèrent voir s’installer une institution nationale sur leur territoire, il est beaucoup plus difficile d’ouvrir des centres culturels français en Birmanie ou en Chine, ce qui justifie alors la création d’Alliances françaises. Cette souplesse nous est d’ailleurs enviée par nos homologues du Goethe Institut ou du British Council.

Quand on parle d’incohérence ou de manque d’orientations, on cherche en fait à dissimuler la décrue invraisemblable des moyens, le seul véritable problème auquel nous soyons confrontés. Les centres culturels et les services culturels subissent chaque année une baisse de 15 à 20 % de leurs moyens en matériels et en personnels. En vingt ans, ils ont perdu la moitié de leurs cadres et personnels détachés et la moitié de leur budget. Quelle autre institution aurait résisté à un tel régime ? Si les agents sont débordés, c’est qu’ils voient leurs responsabilités s’accroître tandis que leurs moyens diminuent. Les conseillers culturels doivent tout faire, sauf, peut-être, passer le balai. Nous assistons à une incroyable saignée, et ce n’est pas la création d’une agence unique qui résoudra le problème.

Nous entretenons de bons rapports avec les autres acteurs : nous avons des conventions avec la Mission laïque française, l’AEFE ou CulturesFrance et, localement, nous organisons des activités communes.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel est le contenu de ces conventions ?

M. Jean-Claude Jacq. Il est entendu que les établissements scolaires, les Alliances françaises et les centres culturels français doivent se prêter main-forte. Les premiers ouvrent leurs portes aux seconds pour les examens, les professeurs des lycées sont sollicités pour intervenir dans les Alliances, celles-ci hébergent les CEF, les centres de recherche en sciences sociales ou les « campus France ». La loi qui définit les missions de l’AEFE précise quant à elle que l’Agence doit, comme nous, « contribuer au rayonnement de la langue et de la culture françaises ». Ces réseaux s’imbriquent donc les uns dans les autres en se rendant mutuellement service sans qu’il y ait pour autant de doubles emplois.

Certes, des tensions existent, mais elles sont davantage dues à des rivalités de personnes qu’aux institutions elles-mêmes. Encore une fois, le problème majeur est celui de la pauvreté des moyens et de la formation. Il y a vingt ans, les futurs conseillers culturels étaient au préalable formés par le ministère ; aujourd’hui, ils partent sans compétence gestionnaire, avec pour unique bagage leur expérience dans le domaine éducatif ou culturel. C’est aussi le cas des futurs directeurs d’Alliances, pour lesquels il faudrait peut-être imaginer un tutorat qui leur permette de se former pendant un mois au contact d’un directeur d’Alliance confirmé. Il faut aussi, j’y insiste, que l’hémorragie des moyens cesse.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Nous ne cherchons pas à prouver une quelconque gabegie et si nous évoquons une possible mise en cohérence, c’est que nous voulons savoir comment faire en sorte que les choses progressent. De manière unanime, nous constatons le manque de moyens et de formation. À cet égard, je suis frappé par le décalage qui existe entre le discours officiel – les ambitions affichées dans la lettre de mission du Président de la République en sont un exemple – et les moyens consacrés à l’enseignement français à l’étranger.

M. Jean-Claude Jacq. Je suis tout à fait d’accord avec vous, monsieur le rapporteur : quels que soient les gouvernements, le décalage entre le discours politique et la réalité est patent. Combien de fois ai-je entendu chanter les louanges de l’Alliance française et de nos centres culturels et pourtant les moyens qui leur sont alloués diminuent constamment, et très fortement ! Et que l’on ne s’abrite pas derrière les contraintes budgétaires : le budget de l’État, que je sache, ne diminue pas, lui ! En fait, les politiques sont à l’image de nos concitoyens : le rayonnement culturel extérieur de notre pays leur est indifférent. Pourtant, ce fut loin d’être toujours le cas : la France a été l’un des premiers pays à se doter d’une politique en la matière. Qu’elle s’en désintéresse aujourd’hui me paraît suicidaire.

Face à cette situation, la formidable capacité de résilience de l’Alliance française lui permet de s’adapter, mieux peut-être que les centres culturels qui sont plus dépendants des crédits publics, ne serait-ce que parce qu’elle doit compenser la décrue de ses moyens en s’appuyant sur les ressources locales.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Précisément, qu’en est-il de la formation des « recrutés locaux » ?

M. Jean-Claude Jacq. L’Alliance de Paris-Île-de-France organise des stages pour ces futurs directeurs.

Par ailleurs, il ne fait aucun doute que les présidents des Alliances, qui sont des nationaux, mettront leur point d’honneur à résoudre les différents problèmes auxquels ils sont confrontés, en particulier les problèmes immobiliers. Mais, grâce notamment au ministère des Affaires étrangères qui a participé depuis vingt ou trente ans à ces acquisitions pour la moitié ou le tiers de leur montant, deux cents Alliances françaises sont à ce jour propriétaires de leurs locaux, ce qui les aide à traverser les périodes de crise. Au final, les avantages d’une telle organisation non étatique me paraissent donc l’emporter très largement sur ses inconvénients.

À la demande du ministère, les Alliances françaises s’installent depuis plusieurs années dans les pays – notamment européens – où les centres culturels ferment. Des Alliances ont ainsi vu le jour à Gênes, à Porto et, récemment, à Turin et parce qu’une telle tendance, qu’on constate aussi du côté allemand et britannique en raison du redéploiement vers l’Asie, ne fera que s’accentuer, nous avons l’obligation historique d’être encore plus professionnels et efficaces afin de pallier ce retrait de la présence publique. L’organisation de la Fondation Alliance française – où l’État est présent sans être majoritaire puisque, avec un représentant du ministère de l’Intérieur et un du ministère des Affaires étrangères, il dispose de deux sièges sur seize – permet d’y travailler dans une logique il est vrai plus partenariale que directive dont certains membres du ministère auraient tort de s’inquiéter : nul président étranger d’une Alliance française ne nous a jamais empêchés d’organiser une exposition ou une conférence ! Même si je comprends les inquiétudes qui s’expriment – l’État, en effet, ne contrôle pas « tout » –, ce serait un pari d’autant plus admirable et fructueux d’utiliser comme outil de développement cette formule unique de totale « décentralisation », que la coopération culturelle mondiale sera de plus en plus fondée sur le dialogue et l’échange, non sur des décisions unilatérales. Mais c’est un point de vue que j’ai du mal à faire partager…

M. André Schneider, Rapporteur. Quelle est la proportion respective des bénévoles et des professionnels au sein des Alliances françaises ?

Par ailleurs, que doivent faire selon vous les politiques afin d’accroître l’influence de notre langue et de notre culture dans le monde ?

M. Jean-Claude Jacq. Les administrateurs sont tous bénévoles et les professeurs, évidemment, salariés.

Les politiques, quant à eux, doivent aider nos concitoyens à prendre conscience de l’importance des enjeux culturels à la fois sur un plan pratique – notre diplomatie a intérêt à disposer d’interlocuteurs qui partagent notre culture – et symbolique – il nous faut être fiers de notre histoire et de notre héritage. La France devrait-elle être le seul pays au monde à ne pas s’enorgueillir de sa langue, de ses écrivains, de ses cinéastes, de ses danseurs ? Nos partenaires étrangers nous reprochent presque d’en avoir honte ! Je songe également à ces Papous venus nous visiter à Paris voilà trois ou quatre ans et qui, émerveillés, s’exclamèrent : « Qui a construit tout cela ? Vos ancêtres ? Vous devez beaucoup les admirer ! »… En outre, si le Discours sur l’universalité de la langue française de Rivarol avait bien sûr quelque chose d’excessif, notre langue n’en demeure pas moins la deuxième au monde, après l’anglais, non par le nombre de ses locuteurs mais par sa diffusion géographique et son importance intellectuelle. Nos centres culturels et nos Alliances rencontrent un fort succès dans tout l’ensemble « BRIC » – Brésil, Russie, Inde, Chine – et c’est dans les plus grands pays que nous avons le plus fort taux de développement. Nous avons d’autant plus de motifs de chercher à proposer une offre de qualité, vivante et dynamique, qu’aucune autre culture ne suscite le même bénévolat, comme le reconnaissent nos amis britanniques, allemands et espagnols qui jugeraient fort difficile de mettre sur pied aujourd’hui l’équivalent pour eux des Alliances françaises ! Profitons de cet attachement extraordinaire à notre culture ! Si nous sommes heureux et fiers de notre patrimoine, si nous savons le partager, je suis persuadé que nous avons encore un grand avenir devant nous !

M. André Schneider, Rapporteur. Nous avons grand besoin de personnes comme vous.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie pour ces propos pleins d’espoir et d’enthousiasme que, soyez-en certain, nous faisons nôtres.

Audition du 11 mars 2010

À 11 heures : Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE).

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie, madame la directrice, d’avoir accepté l’invitation de cette mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’enseignement français à l’étranger. Mes co-rapporteurs Hervé Féron, membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, et André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères, ainsi que M. René André, représentant de la Cour des comptes et moi-même, rapporteur au nom de la commission des Finances, serons particulièrement attentifs à vos propos.

Pourriez-vous, dans un premier temps, décrire la situation actuelle de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et présenter les grands axes de son plan d’orientation stratégique ?

Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger. À la veille de son vingtième anniversaire et alors que s’élabore son nouveau plan d’orientation stratégique, l’AEFE se trouve en quelque sorte à la croisée des chemins.

Au mois de juillet 2007, le Président de la République a adressé au ministre des Affaires étrangères et européennes – dont dépend l’Agence – une lettre de mission dans laquelle il lui demandait d’organiser une réflexion sur l’avenir de l’enseignement français à l’étranger. M. Kouchner a alors constitué une commission, présidée par M. Yves Aubin de La Messuzière, dont le rapport remis à l’été 2008 avançait un certain nombre de préconisations. Le 2 octobre de la même année, lors de la réunion des États généraux de l’enseignement français à l’étranger organisée par le ministre des Affaires étrangères, les conseillers des Français de l’étranger ont insisté pour que le débat se poursuive dans les différents postes, de façon décentralisée, puis une synthèse a été élaborée par la direction générale de la Mondialisation au printemps 2009. Tout cela a bien sûr alimenté la réflexion de l’Agence sur son plan d’orientation stratégique.

Bien que l’élaboration de ce plan ait été achevée à la fin de l’été dernier, au cours d’un séminaire réunissant l’ensemble des membres de notre conseil d’administration, et qu’il ait été soumis à l’approbation de ce dernier à la fin de novembre, sa validation formelle n’a pas été possible, le rapport de l’audit « RGPP » auquel l’AEFE était soumise depuis le début du mois de juillet n’ayant pas été remis à cette date. Comme il conviendra, évidemment, d’en tenir compte, la direction du Budget a considéré que cette validation devait être reportée à un prochain conseil.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous aurons l’occasion d’entendre jeudi prochain le responsable de cet audit, M. l’Inspecteur général des Finances Bertrand Schneiter.

Mme Anne-Marie Descôtes. La négociation avec notre tutelle d’un contrat d’objectifs et de moyens aura lieu, quant à elle, après l’engagement des premières discussions de cadrage sur la prochaine programmation budgétaire triennale.

Enfin, conformément aux dispositions de l’article 133 de la loi de finances initiale pour 2009, une décision doit être prise s’agissant du moratoire sur l’extension de l’aide à la scolarité en deçà de la classe de seconde – décision qui conditionnera également le budget de l’AEFE – et nous sommes prêts, avec la direction des Français à l’étranger du ministère des Affaires étrangères, à y réfléchir au sein du groupe de travail qui sera mis en place sur le sujet.

Ces éléments de calendrier posés, j’en viens à notre plan d’orientation stratégique, élaboré en veillant à ce qu’il ne soit pas contradictoire avec les travaux de la mission d’audit tels que nous avons pu en avoir connaissance.

Tout d’abord, comme le Président de la République nous y avait invités en juillet 2007, nous avons réfléchi à la manière d’étendre le réseau de l’enseignement français à l’étranger : en l’occurrence, nous considérons que, faute d’avoir les moyens d’ouvrir de nouveaux établissements en gestion directe ou conventionnés – sinon par des redéploiements –, nous devons imaginer d’autres formes d’extension, notamment à travers la labellisation de filières d’enseignement « à la française » dans des établissements des pays d’accueil.

Dynamique, attractif, doté d’une excellente réputation, le réseau de l’AEFE est en excellente forme malgré la crise économique. Non seulement le nombre de nos compatriotes expatriés augmente et, de ce fait, celui des enfants français que nous scolarisons, mais les jeunes élèves étrangers sont également de plus en plus nombreux à nous rejoindre. Le plan d’orientation comprendra donc diverses dispositions visant à améliorer encore l’offre pédagogique, la qualité de l’accueil, les équipements techniques, électroniques et sportifs ainsi que l’évaluation de nos élèves. Ce dernier point est d’autant plus important que, dans un environnement toujours plus concurrentiel, nombre de familles comparent les différents établissements scolaires. De ce point de vue, notre enseignement du niveau maternel est un atout, mais les parents se montrent aussi très exigeants pour ce qui est de l’enseignement des langues vivantes, en particulier de l’anglais, et nous devons donc veiller à ce qu’il soit assuré de façon intensive ; d’ores et déjà, tous les enfants que nous scolarisons en primaire apprennent le français et l’anglais ainsi que la langue du pays d’accueil ; cette pratique tend même à s’imposer, dans la mesure du possible, dès la maternelle. Nous travaillons également en concertation avec les établissements d’enseignement supérieur français de manière à y attirer nos meilleurs étudiants à l’issue de leur scolarité chez nous. Enfin, notre effort ne doit pas se limiter à la transmission des contenus : il faut aussi que nos élèves « apprennent à apprendre ».

Le deuxième volet du plan d’orientation porte sur la gestion. L’AEFE gère directement 77 établissements et a passé des conventions avec 166 autres. Les premiers, à Londres, Madrid ou Dakar, en Tunisie ou au Maroc, sont les fers de lance de notre réseau. Nous n’avons pas attendu le rapport de l’audit « RGPP » pour dessiner les premiers linéaments d’une gestion déconcentrée à travers, notamment, les conférences budgétaires qui permettent d’attribuer aux chefs d’établissement une enveloppe qu’ils peuvent utiliser librement, en particulier pour la gestion de leur personnel. Par ailleurs, même si elles ne sont pas gestionnaires de ces établissements, nous veillerons à mieux informer les familles de la vie de nos écoles en gestion directe.

L’audit « RGPP » préconise de réfléchir à une évolution du statut de nos établissements, sans d’ailleurs avancer de solutions précises. Si, de fait, il n’existe pas de formule idéale à mi-chemin de la gestion directe et de la convention, nous sommes invités à envisager la sortie de certains établissements du statut d’établissement en gestion directe, notamment pour ceux qui ont été contraints d’adopter ce statut pour mener à bien des projets immobiliers – ainsi en Turquie, en Chine ou au Vietnam. L’opération étant délicate – dans un sens comme dans l’autre d’ailleurs –, il conviendra de préparer avec la plus grande minutie ce retour au statut d’établissements conventionnés.

La modernisation de l’outil informatique devrait, quant à elle, permettre de gérer le réseau plus efficacement.

Si séduisante soit-elle intellectuellement, l’idée d’un « statut unique » pour les personnels titulaires, résidents et expatriés, telle que l’a préconisée la commission présidée par M. Aubin de La Messuzière, me paraît peu praticable : outre que cela supposerait des discussions extrêmement longues alors que le nombre de personnels expatriés diminue chaque année, nous sommes soumis à de fortes contraintes budgétaires. Il me semble donc plus judicieux de procéder à des aménagements ponctuels du statut de résident, en l’absence de certitude quant à l’enveloppe disponible.

Enfin, s’agissant du développement du réseau, auquel est consacré le troisième volet du plan, nous n’avons guère de pistes nouvelles, nombre d’entre elles ayant déjà été explorées sans résultats significatifs – ainsi en est-il de la participation des entreprises, en dépit des avantages fiscaux qui leur sont consentis dans le cadre de dons via des fondations. En revanche, comme l’audit « RGPP » l’y incite fortement, l’Agence envisage de se poser en prestataire de services vis-à-vis notamment des 200 établissements privés uniquement homologués : ceux-ci utilisent en effet le label d’établissement français pour recruter – et, assez souvent, pour justifier des frais de scolarité élevés –, leurs élèves français reçoivent des bourses ou des aides, l’AEFE leur fournit informations et conseils, leurs enseignants peuvent participer à des stages de formation pédagogique et, enfin, ils bénéficient des services de l’inspection générale. Tout cela justifierait une rétribution, dans le cadre d’un engagement contractuel.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Si chacun reconnaît l’excellence du réseau, j’admire également votre volontarisme et votre combativité dans un contexte particulièrement difficile pour l’AEFE. Ces difficultés sont d’ailleurs, à mon sens, structurelles et me rendent sceptique quant à la possibilité même de développer l’enseignement français à l’étranger.

Je pense d’abord aux incidences de la prise en charge (PEC) sur le fonctionnement de l’Agence. Les inquiétudes exprimées il y a deux ans par cette dernière quant aux effets de l’extension de l’aide à la scolarité en deçà de la classe de seconde ne se trouvent-elles pas confirmées ? Quid du coût induit par l’augmentation des demandes de bourses, par la hausse du droit d’écolage – laquelle peut dissuader certains élèves étrangers – et par le désengagement de certaines entreprises ? À cela s’ajoute d’ailleurs le surcroît de charges entraîné par un transfert de biens immobiliers qui n’a été compensé qu’une seule fois, à hauteur de huit millions d’euros.

D’autre part, la baisse du nombre de personnels expatriés pèse sur les budgets de fonctionnement des établissements, ceux-ci devant prendre en charge les salaires des « recrutés locaux », mais ne risque-t-elle pas, en outre, d’entraîner une baisse de qualité de la formation et de l’enseignement même ?

Enfin, je note que l’Agence a dû prendre en charge la part patronale des cotisations relatives aux pensions civiles des personnels titulaires, à un moment où ses marges de manœuvre se réduisaient, son fonds de roulement ayant été trop fortement sollicité.

Mme Anne-Marie Descôtes. Sur un plan général, l’audit « RGPP » a utilement mis l’accent sur la contradiction dans laquelle l’AEFE se trouve prise, partagée comme elle l’est entre sa mission principale – faire fonctionner les établissements et en faire des établissements d’excellence – et l’aide à la scolarité, une fonction qu’elle exerce par délégation de l’administration parce qu’elle est sans doute la mieux placée pour le faire, étant en liaison directe avec les familles et les établissements. Comme vous l’avez souligné, ces deux missions conjointes nous contraignent au grand écart. Il est indispensable de toujours envisager ces deux volets séparément. Il faut d’une part réfléchir aux moyens que l’on souhaite affecter à l’aide à la scolarité, d’autre part s’attacher au bon fonctionnement des établissements et à la mise en œuvre de leurs projets pédagogiques, avec les frais que cela implique, sans avoir uniquement à l’esprit que ces dépenses ont une incidence sur les frais de scolarité. Si cette nécessaire distinction n’est pas maintenue, il nous deviendra impossible de fonctionner.

S’agissant de l’aide à la scolarité, on compte, pour l’année scolaire 2009-2010, quelque 27 000 élèves aidés par bourse ou par prise en charge dans les établissements du rythme Nord, ce qui correspond à une dépense de 92,5 millions d’euros, et à peine 2 000 élèves aidés, pour 8 millions d’euros, dans les établissements du rythme Sud.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel est le nombre total d’élèves scolarisés dans les établissements dont l’Agence est chargée ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Français et étrangers ensemble, quelque 175 000, dont 130 000 en zone Nord. Le rapport entre élèves français et élèves étrangers s’est légèrement inversé ces dernières années et l’on compte désormais, globalement, 48 % de jeunes Français et donc 52 % de jeunes étrangers scolarisés dans ces établissements. Mais dans certains pays, singulièrement en Amérique latine, la proportion d’élèves étrangers scolarisés est très élevée. Le nombre d’élèves français aidés est donc peu important. En revanche, pour les établissements du rythme Nord, pour l’année scolaire 2009-2010, 7 150 élèves sont aidés, dont 4 300 par la prise en charge, pour un montant voisin de 25 millions d’euros.

Le coût de la prise en charge suit donc l’évolution que nous avions anticipée. Si, en 2008 et en 2009, l’enveloppe de 20 millions qui nous a été allouée à ce titre a suffi, ce n’est plus le cas en 2010 – et encore la prise en charge ne concerne-t-elle que les élèves des classes de seconde, première et terminale. Les projections auxquelles nous avons procédé pour préparer notre budget triennal 2010-2013 laissent prévoir une dépense totale, au titre de l’aide à la scolarité, de 177 millions en 2013 – dont près de 70 millions pour la prise en charge – contre 105 millions en tout en 2010. Ainsi, bien que les projections soient fondées sur des hypothèses très raisonnables, puisque nous avons repris les critères d’allocation en vigueur - une prise en charge toujours limitée à trois classes, sans plafonnement ni conditions de ressources –, la dérive des coûts se confirme et la crise l’aggrave. Un tabou a été levé ; plus nombreuses sont les familles qui osent demander une bourse et, la gratuité ayant été annoncée, on constate même la levée d’un vent revendicatif avec la multiplication des recours gracieux par des parents qui demandent à bénéficier d’une bourse à taux plein quand seule une bourse à taux partiel leur a été allouée.

À cela s’ajoute que les demandes se multiplient car les familles françaises s’expatrient en plus grand nombre – et celles qui le font maintenant sont à la fois moins aisées financièrement et frappées par la crise. Le mouvement d’expatriation s’observe notamment vers les pays du pourtour méditerranéen ; les Français qui en sont originaires savent qu’ils pourront y être accueillis par leur famille, que la crise y sera plus supportable et que leurs enfants pourront bénéficier de l’aide à la scolarité ou de la prise en charge dans des établissements français d’excellence.

Cette conjonction de facteurs a une incidence sur le montant total de l’aide à la scolarité, de même que l’augmentation des frais de scolarité à laquelle les établissements en gestion directe et les établissements conventionnés ont été contraints. En effet, dans sa lettre de cadrage de 2008, le Premier ministre a demandé au ministre des Affaires étrangères que l’AEFE accroisse son taux d’autofinancement, et l’augmentation des droits d’écolage est le seul moyen d’y parvenir si l’on veut procéder à des investissements immobiliers ou pédagogiques. Mais nous avons aussi constaté une très importante augmentation des frais de scolarité dans les quelque 230 établissements privés homologués dans lesquels les élèves français peuvent aussi bénéficier de l’aide à la scolarité – certains établissements nord-américains ont augmenté leurs tarifs de 20 % depuis 2007 pour les classes dont nous avions annoncé la prise en charge. Nous avons donc décidé, en accord avec notre tutelle, d’introduire une régulation ; ce n’était pas prévu originellement, mais nous ne pouvions plus suivre.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Il peut effectivement sembler contradictoire de demander à l’AEFE de s’autofinancer davantage tout en annonçant la gratuité à venir de toute la scolarité dans ces établissements pour les élèves français. Ce télescopage aura pour effets que les dépenses de prise en charge iront croissant à mesure que les droits d’écolage augmenteront et que l’autofinancement supplémentaire proviendra des élèves étrangers. Or, outre que l’une des ambitions de l’Agence est la formation des élites étrangères, nous avons besoin des élèves étrangers pour parvenir à l’équilibre budgétaire mais, avec un tel dispositif, nous allons en perdre.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. C’est en effet un système extrêmement dangereux que celui dans lequel se trouve prise l’Agence, à la fois chargée de gérer les établissements et d’assumer une partie de la charge des frais de scolarité. Il paraît difficile de concilier ces deux exigences, le risque étant que le coût de la prise en charge empêche toute initiative nouvelle, toute construction ou restauration de bâtiments. Ne conviendrait-il pas de retirer le volet « prise en charge des frais de scolarité » du budget de l’Agence ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Il faut en tout cas ne jamais fusionner les deux lignes budgétaires, au risque, sinon, de gravement irriter les familles, qui se plaignent déjà. Le problème est mécanique : alors que des élèves français toujours plus nombreux, car attirés par la prise en charge, se tournent vers nos établissements, nous ne pouvons offrir qu’un nombre limité de places et nous ne pouvons construire de nouveaux établissements car c’est à la fois long et coûteux. Dans ces conditions, quelle politique adopter pour maintenir la mixité culturelle, qui fait la qualité de nos établissements, et la formation des élites étrangères, qui figure aussi au cœur de notre projet ? Dans plusieurs pays, en Espagne et au Mexique par exemple, les familles des élèves étrangers scolarisés dans nos établissements manifestent leur mécontentement ; si nous ne pouvons plus améliorer la qualité de l’accueil, celles qui en ont les moyens se dirigeront certainement vers des établissements anglo-saxons. Sans nul doute, la contradiction que vous avez relevée commence à peser sur la gestion des établissements dont l’AEFE est chargée.

M. André Schneider, Rapporteur. Je vois une autre cause aux difficultés auxquelles vous êtes confrontée : la composition du corps enseignant. Toutes les personnes que nous auditionnons soulignent la réduction du nombre d’enseignants expatriés, une baisse qu’elles expliquent par le coût du dispositif mais aussi par le fait que certains pays ne sont pas aussi attractifs que d’autres et que certains sont devenus dangereux. Dans ce contexte, si nous souhaitons que la culture et l’enseignement français se développent à l’étranger, il faut impérativement renforcer la formation du personnel enseignant local, car il y a là un vecteur de pénétration du milieu local. Qu’en est-il ?

Mme Anne-Marie Descôtes. L’AEFE emploie environ 6 500 titulaires dont 1 224 expatriés. À l’été 2010, 80 postes d’expatriés seront supprimés, conformément à ce que nous avons réussi à négocier. En 2008 en effet, lors de l’élaboration de notre budget triennal, il nous avait été demandé d’augmenter notre taux d’autofinancement notamment par la suppression de 600 postes d’expatriés en trois ans, soit un sur deux ; cela aurait déstabilisé l’ensemble du réseau. À ce jour, un peu plus de la moitié des personnels expatriés sont employés comme proviseurs, proviseurs adjoints, gestionnaires comptables, inspecteurs du 1er degré ou coordonnateurs de zone. C’est nécessaire pour maintenir le fonctionnement spécifique des établissements français et pour gérer d’importants fonds publics.

Demeurent donc 550 enseignants expatriés devant 175 000 élèves – une proportion très réduite. Les très rares expatriés qui sont uniquement enseignants sont ceux qui exercent dans des zones difficiles et peu attractives. Mais tous ont reçu une lettre de mission qui les charge d’animer les équipes dans leur discipline et de former les enseignants locaux en plus de leur fonction d’enseignant. Nous souhaitons renforcer cette compétence pour faire des enseignants expatriés les relais des inspecteurs pédagogiques de l’Agence, mais nous ignorons si nous pourrons même maintenir en poste cet effectif réduit de quelques centaines de personnes pour animer le réseau.

Dans les pays où il n’y a pas d’enseignants expatriés, la mission de formation des enseignants locaux est dévolue aux enseignants résidents, mais ils sont souvent à l’étranger depuis longtemps ; comment maintenir le lien entre eux et « l’alma mater » ? De nombreux stages de formation continue sont proposés. Mais il est indispensable de maintenir aussi des enseignants expatriés avec fonction de conseiller pédagogique, car ils sont les garants de la qualité de l’enseignement dispensé dans nos établissements du fait de leur obligation de mobilité. Les évaluations que nous avons conduites dans les classes de CE1 et de CM2 ont montré que, dans certains établissements, les élèves étrangers éprouvent de sérieuses difficultés à maîtriser le français, surtout s’ils sont formés par des maîtres locaux maîtrisant mal eux-mêmes le français. Les enseignants titulaires sont donc indispensables en nombre suffisant (environ 50 %). En outre, un volant d’enseignants expatriés est utile pour assurer le pilotage des équipes, et les quelques économies que l’on pourrait faire en supprimant de ces postes ne couvriraient certainement pas les dépenses exigées par la prise en charge des frais de scolarité.

J’en viens à l’obligation qui nous est faite depuis le 1er janvier 2009, comme aux autres opérateurs, de prendre en charge la part patronale des cotisations relatives aux pensions civiles des personnels titulaires. Nous avons reçu à cette fin une compensation partielle forfaitaire de 120 millions d’euros lors du transfert de cette charge. Les simulations montrent qu’en 2011 déjà, compte tenu du « glissement vieillesse-technicité » et des autres composantes du coût des pensions, il manquera 30 millions d’euros, à la charge de l’Agence. Aussi avons-nous décidé, avec l’accord de notre tutelle et du cabinet du Premier ministre, d’instituer préventivement une contribution de 6 % assise sur les frais de scolarité. Mais les produits ainsi perçus doivent également servir à financer des opérations immobilières – la charge de la rénovation des biens immobiliers qui nous ont été transférés n’ayant été compensée qu’à hauteur de 8 millions d’euros non reconductibles, comme vous l’avez souligné.

En 2010 pour la première fois, cette contribution de 6 % sera levée dans tous les établissements, sur l’ensemble de l’année. La disposition, extrêmement impopulaire, est entrée en vigueur assortie de mesures d’accompagnement pour les établissements en difficulté. Elle devrait nous permettre de lever de 10 à 15 millions d’euros en 2011. Aux familles, qui ont consenti un effort considérable, je voudrais pouvoir dire que, comme promis, cet argent sera pour moitié utilisé pour moderniser et agrandir les établissements et pour acquérir des outils pédagogiques nouveaux. Aussi ne faudrait-il pas que l’autorité budgétaire envisage de réduire notre subvention d’un montant équivalent au produit de cette contribution.

Une dotation supplémentaire de 10 millions d’euros a été allouée à l’Agence pour 2010, qui visait à abonder notre fonds de roulement, véritablement étique puisqu’il correspondait à moins de quinze jours de fonctionnement. Dans le même temps, le ministère du Budget nous a invités à prendre des mesures de rationalisation sévères, ce que nous avons fait. Ces deux éléments ont permis de porter notre fonds à 52 millions d’euros – mais cela signifie aussi que nous avons amputé certains budgets. Or, pour que le système fonctionne équitablement, l’effort demandé aux familles doit profiter aux établissements ; elles ne doivent pas avoir l’impression qu’elles compensent simplement ce que l’État ne peut plus prendre en charge.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Combien de jours de fonctionnement représentent 50 millions d’euros ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Presque 30 jours, ce qui est très inférieur aux normes habituellement imposées aux opérateurs, mais nous veillons à ce que les établissements en gestion directe disposent de deux mois d’avance.

Par ailleurs, vous m’avez interrogée sur les conséquences du transfert à l’AEFE de biens immobiliers. À ce sujet, nous nous trouvons confrontés à des règles nouvelles, inconnues au moment où cette charge nous a été transférée. Il était prévu à l’origine que nous puissions demander, à notre rythme, la remise en dotation par l’État de bâtiments qui lui appartenaient et que nous utilisions ; nous l’avons fait pour une dizaine de biens. Les nouvelles règles de gestion du domaine de l’État nous imposent de recenser tous les biens immobiliers appartenant à l’État dans lesquels nos établissements sont installés, et d’élaborer avant juin, pour chacun, un schéma de programmation immobilière. À partir de 2012, le fait d’utiliser ces locaux nous contraindra, par convention, à verser un loyer mais aussi à constituer des provisions pour entretien et réparations. Cela ne laisse pas de nous préoccuper car ces bâtiments, souvent très beaux et de grande valeur historique, n’ont pas été entretenus depuis longtemps – et leur entretien coûte très cher.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Permettez-moi de revenir aux questions de personnel. Selon vous, il ne faut pas diminuer le nombre actuel d’enseignants expatriés chargés d’animer le réseau. Considérez-vous l’effectif actuel de 550 personnes comme suffisant ou estimez-vous qu’il devrait être renforcé pour que l’animation du réseau soit efficace ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Les choses peuvent fonctionner avec l’effectif ainsi stabilisé mais elles deviendraient difficiles si l’on tombait à moins de 500 enseignants expatriés. Il faut tenir compte de ce qu’un volant de 100 à 150 personnes est nécessaire pour couvrir les postes peu attractifs. Dans certains établissements de pays d’Afrique subsaharienne notamment, il manque des enseignants dans cinq, six, voire huit disciplines. Mais il faut aussi pouvoir assurer le pilotage pédagogique que j’ai évoqué plus haut.

M. André Schneider, Rapporteur. Vous consulte-t-on avant de recruter ?

Mme Anne-Marie Descôtes. C’est nous qui organisons la procédure de recrutement, et nous conduisons les entretiens en liaison avec l’Éducation nationale. Les enseignants expatriés reçoivent, je vous l’ai dit, une lettre de mission et ils doivent rendre compte chaque année de leur activité en matière de formation et de coopération éducative. Nous nous efforçons donc de repérer ceux qui ont le profil adéquat.

M. André Schneider, Rapporteur. Ce qui n’a pas toujours été le cas…

Mme Anne-Marie Descôtes. Toute la procédure a été fortement professionnalisée, et cela vaut aussi pour les personnels de direction.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je reviens de Conakry, où le lycée français Albert-Camus a été provisoirement fermé. On m’a dit que les contrats des recrutés locaux n’étaient pas parfaitement conformes à la législation guinéenne. Rencontrez-vous ce type de problème dans d’autres pays ? Tous ces contrats ne devraient-ils pas être harmonisés ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Les législations nationales s’imposent à nous ; elles sont parfois très contraignantes, parfois trop accommodantes. Les conventions que nous signons avec les établissements contiennent des dispositions relatives aux recrutés locaux. Notre plan d’orientation stratégique comprend un projet de charte des recrutés locaux et nous faisons obligation aux chefs d’établissement et aux comités de gestion de respecter les engagements souscrits auprès d’eux en matière de salaire et de couverture sociale. Lors de la réouverture du lycée Albert-Camus de Conakry, nous reverrons tous les contrats pour modifier les clauses qui ne sont pas acceptables.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Ne peut-on envisager de rendre à l’enseignement les enseignants expatriés affectés à des tâches administratives ?

Mme Anne-Marie Descôtes. La question est souvent posée par les représentants du personnel au sein des comités techniques paritaires. J’appelle votre attention sur le fait que, pour diriger un établissement de mille élèves, il faut un proviseur, et aussi un proviseur adjoint, notamment pour assurer une bonne gestion de l’ensemble de la vie de l’établissement, des personnels et des élèves et les relations avec les associations de parents. En outre, l’organisation du baccalauréat à l’étranger est une opération complexe qui demande que tout soit surveillé dans le moindre détail, afin d’éviter tout risque de fraude. De même, la prudence impose que des comptables expatriés aient la haute main sur les fonds publics qui transitent par les établissements d’enseignement français à l’étranger.

M. André Schneider, Rapporteur. Je souhaiterais que ces propos trouvent un écho en France, notamment auprès des hauts fonctionnaires qui imaginent que, même en métropole, on pourrait remplacer des chefs d’établissement par des non-enseignants – ce qui serait une grave erreur pédagogique.

Mme Anne-Marie Descôtes. Au nombre de nos 6 500 titulaires, nous comptons 1 200 expatriés, mais aussi plus de 5 000 résidents. Nous devons améliorer leur situation mais aussi être plus exigeants à leur égard. Les établissements français à l’étranger ont tous l’obligation de définir des « projets d’établissement » répondant à leur mission. Nous devons donc pouvoir recruter les résidents dotés de compétences particulières correspondant à ces projets spécifiques. Or, la notion de profil est une question à laquelle les représentants du personnel sont très sensibles car elle peut entrer en conflit avec les barèmes établis. Pourtant, le sujet est d’une grande importance si l’on veut maintenir ces titulaires.

Il faut aussi travailler à une forme de mobilité. Le terme inquiète et je conçois qu’il soit difficile d’obliger les résidents à rentrer en France comme on le fait pour les expatriés. Au moins devrait-on réfléchir, pour ces personnels, à l’organisation de stages longs en France – par exemple sur le modèle du programme Jules-Verne mis au point par le ministère de l’Éducation nationale pour développer la mobilité européenne et internationale des enseignants de France.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Cela paraît d’autant plus nécessaire que les résidents sont dix fois plus nombreux que les titulaires expatriés et qu’ils jouent un rôle majeur au sein des établissements français à l’étranger.

M. André Schneider, Rapporteur. Ils sont « inamovibles », ce qui est parfait quand ce sont de bons enseignants, mais il peut arriver qu’ils ne le soient pas.

Mme Anne-Marie Descôtes. Ils doivent surtout prendre conscience que les méthodes d’enseignement évoluent en France. Mais beaucoup craignent de se retrouver dans des établissements « difficiles » en métropole.

M. André Schneider, Rapporteur. Ceux-là sont ceux qui critiquent le recrutement d’enseignants locaux, et qui contestent leur compétence…

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Considérez-vous que les établissements d’enseignement français à l’étranger utilisent suffisamment les nouvelles technologies de l’information et de la communication ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Nous pouvons faire mieux, et l’une des priorités de notre budget pour 2010 consiste en des subventions destinées à équiper les établissements en tableaux électroniques et en matériel informatique de pointe. Nous pourrons faire davantage dans l’organisation du réseau proprement dite – l’une des tâches de notre équipe d’inspecteurs pédagogiques est d’élaborer des outils spécifiques à cette fin et de les faire connaître notamment par visioconférences. Mais si l’infrastructure est bonne dans certains pays et dans certains établissements, elle l’est beaucoup moins ailleurs. Après le terrible séisme survenu à Haïti, nous avons lancé la plateforme pédagogique que nous avions commencé de mettre au point quand nous appréhendions les conséquences potentielles d’une pandémie de grippe H1N1. En Haïti, les enseignants ont ainsi pu renouer un lien avec leurs élèves, pour beaucoup éparpillés dans nos établissements d’autres pays. Cette plateforme est doublée d’une autre, destinée, celle-là, aux enseignants des établissements haïtiens partenaires du lycée Alexandre-Dumas de Port-au-Prince ; dans ces lycées, les élèves suivent les cours d’enseignants haïtiens et ils sont, en plus, inscrits au CNED pour préparer le baccalauréat français. Grâce à cette plateforme, les enseignants ont pu continuer leur ouvrage bien que la plupart des établissements aient été détruits.

Dans un autre domaine, nous entretenons un partenariat très étroit avec TV5 Monde, dont la directrice générale, Mme Marie-Christine Saragosse, connaît très bien l’Agence.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Pensez-vous qu’en matière d’enseignement audiovisuel, nous soyons aussi performants que les Anglo-saxons ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Nous pouvons certainement gagner en efficacité

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. À vous entendre, on a le sentiment que les choses vont plutôt bien, exception faite du lourd poids de la prise en charge. Dans ces conditions, ne faudrait-il pas décharger l’AEFE de cette dépense, lui laisser la pleine responsabilité de l’enseignement, et traiter par ailleurs de l’aide à la scolarité ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Au risque de paraître me contredire, je veux souligner que nous sommes les mieux à même de rendre ce service. L’aide à la scolarité n’est pas versée aux familles mais aux établissements. Dans la configuration actuelle, les circuits financiers sont contrôlés par des agents du Trésor, selon des procédures parfaitement rodées. Il est très important de ne pas rompre ce lien étroit entre eux et l’Agence, car les prévisions de dépense sont liées aux frais de scolarité. En revanche, ces deux missions doivent toujours être considérées séparément d’un point de vue budgétaire pour qu’à aucun moment les familles n’aient le sentiment que les contributions qui leur sont demandées ont un autre objet que la couverture des frais de scolarité et l’amélioration de la qualité des établissements. Or l’enveloppe de l’Agence est unique, ce qui est source de confusion. Ainsi, en décembre, le ministre du Budget a réuni les dirigeants des opérateurs publics pour décrire l’application de la RGPP à leurs établissements. À cette occasion, j’ai interrogé M. Woerth sur le point de savoir comment un opérateur ayant généré 20 millions d’euros de recettes supplémentaires pouvait se voir interdire de dépenser plus de trois de ces millions en subvention, et comment expliquer cela aux familles. Le ministre a souligné qu’il n’était pas raisonnable d’envisager que la subvention de l’Agence puisse continuer d’augmenter indéfiniment. Or le fait que les moyens de l’AEFE doivent augmenter s’explique essentiellement par l’augmentation de la dépense due à la prise en charge. Il faut donc éviter la fusion budgétaire de nos deux missions, au risque de décourager les parents étrangers.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Ainsi que les parents français expatriés : certains demandent déjà la gratuité.

Mme Anne-Marie Descôtes. Pas en tous lieux, et pas dans leur majorité.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. À l’Assemblée des Français de l’étranger, j’ai pu constater récemment que beaucoup la demandaient. Ce que vous avez dit de l’importance du lien entre l’Agence et la gestion des frais de scolarité est vrai pour l’étude des demandes de bourses, moins pour la gratuité.

Mme Anne-Marie Descôtes. Parce que nous tenons à éviter d’être accusés de discrimination, nous parlons de « prise en charge » plutôt que de « gratuité ». L’enseignement français à l’étranger est payant pour tous, mais l’État français, comme pourraient le faire d’autres États, a mis au point un dispositif d’aide pour ses ressortissants, sous forme de bourses versées aux établissements. Toutefois, des conditions ont été posées : il faut remplir un dossier, faire une demande, démontrer que l’employeur ne prend pas les frais de scolarité à sa charge et respecter un calendrier. Il ne suffit pas d’être Français.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il m’a été dit à Conakry que, sur quelque 70 élèves français inscrits, six seulement bénéficiaient de la prise en charge, personne d’autre ne l’ayant demandée.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Sans doute les droits d’écolage ne sont-ils pas très élevés en Guinée.

Mme Anne-Marie Descôtes. A Conakry, à la rentrée 2009/2010, 34 lycéens se sont vus accorder la prise en charge. Mais tous ont quitté le pays avant la fin de l’année 2009. Plus généralement, un dispositif a été mis en place afin de nous permettre de contrôler l’évolution du coût de la prise en charge, comme l’a exigé le ministre du Budget. Cela étant, nous nous sommes trouvés, l’an dernier, en difficulté face aux familles qui avaient cru comprendre que la scolarité de leurs enfants serait prise en charge automatiquement et auxquelles nous avons dit qu’il fallait formuler une demande, fournir des justificatifs et constituer un dossier dans un délai donné. Le respect de ce calendrier, moyennant un délai supplémentaire d’un mois, a eu pour conséquence que, fin 2009, nous avons refusé 650 dossiers qui n’avaient pas été déposés dans les temps, pour un montant cumulé supérieur à 3 millions d’euros. Si nous avions eu l’instruction de répondre favorablement à toutes les demandes sans souci de date butoir, nous aurions vu notre enveloppe pour 2010, dont nous savons qu’elle n’est pas suffisante pour couvrir la dépense estimée, amputée par avance de plus de 3 millions d’euros.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Autant dire qu’il est impossible de poursuivre dans cette voie.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. D’après les informations dont nous disposons, sur les 77 établissements en gestion directe, 37 n’ont bénéficié, pour leurs bâtiments, d’aucun entretien de la part du ministère des Affaires étrangères entre 1990 et 2005. Vous avez, madame la directrice, envisagé à ce sujet des partenariats public-privé, notamment à Londres et au Caire. Pourriez-vous nous fournir des informations complémentaires sur le déroulement de ces opérations, si elles ont été mises en œuvre, avant que vous n’entrepreniez de les étendre à d’autres établissements.

D’autre part, 15 % seulement des anciens élèves des établissements français à l’étranger choisissent de faire leurs études supérieures dans des établissements français. Que peut-on faire pour remédier à cette situation ?

Mme Anne-Marie Descôtes. La piste du partenariat public-privé au Caire avait suscité de grands espoirs mais l’échec est complet, tout comme à Bruxelles. C’est au contraire en très bonne voie à Londres et j’en suis très heureuse, mais cela s’explique par un contexte local très particulier : la communauté intéressée est essentiellement française, des chefs d’entreprise ont souhaité investir, et le trust créé par l’ambassade en a facilité le montage juridique et financier.

À Pékin, plusieurs entreprises françaises semblaient intéressées par le projet de nouveau lycée. Des entrepreneurs stimulés par les nouvelles possibilités d’exonérations fiscales avaient fait des promesses de dons, mais une seule a depuis lors été suivie d’un engagement écrit – il émane de Total, pour 500 000 euros. Nous engagerons le projet quoi qu’il en soit, avec la garantie qu’il sera autofinancé, ce qui implique pour les familles une augmentation de 25 % des frais de scolarité sur 15 ans, l’Agence prenant à sa charge une partie des coûts. En d’autres termes, la preuve est faite que les partenariats public-privé ne sont pas une source de financement fiable.

Pour ce qui est de l’enseignement supérieur, nous avons créé il y a trois ans un service d’orientation, dont les conseillers se rendent dans nos établissements. Nous avons aussi établi un partenariat avec l’Office national d'information sur les enseignements et les professions – l’ONISEP – ainsi qu’avec CampusFrance. Nous repérons les meilleurs élèves et nous diffusons les informations sur les bourses d’excellence en France. Pour autant, nous ne sommes pas maîtres du choix des élèves. Il convient sans doute de s’interroger sur l’attractivité de nos universités. La difficulté que soulignent les familles est qu’elles n’ont pas la capacité de créer un lien avec les jeunes bacheliers, de montrer qu’ils seront accueillis et suivis et les parents éprouvent des réticences à y envoyer leurs enfants. On comprend aisément qu’il est plus facile pour une famille libanaise d’inscrire son enfant à l’Université américaine de Beyrouth que de l’envoyer à Paris, surtout s’il s’agit d’une adolescente. D’autres raisons peuvent jouer : ainsi, les parents espagnols, qui apprécient beaucoup les lycées français, souhaitent néanmoins qu’à un certain moment leurs enfants gardent un lien avec le système éducatif espagnol ; ils préfèrent donc les voir suivre au moins un premier cycle d’études supérieures en Espagne, pour les laisser partir en France par la suite, dans le cadre du programme Erasmus.

Quant aux classes préparatoires, c’est un dispositif très mal connu à l’étranger, excepté au Maroc. Nous travaillons avec les proviseurs des lycées qui ont des classes préparatoires et des internats, et nous les invitons à venir se présenter. Cela étant, ce cursus typiquement français présente des particularités telles qu’il n’est pas forcément adapté aux étudiants étrangers. Ainsi, pour les étudiants chinois ou indiens, un échec peut être très mal vécu. Un travail d’explication et d’accompagnement spécifique est nécessaire.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Les universités, devenues autonomes, ont-elles, selon vous, pris conscience de l’enjeu ? Ont-elles la volonté affirmée d’améliorer l’accueil des étudiants étrangers ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Je le pense. Le projet que vient de lancer un consortium d’universités françaises au Vietnam en est une preuve. Nous travaillons avec l’Ecole centrale à l’implantation de filières de type « classes préparatoires » intégrées à l’étranger, en Chine par exemple. Nous pouvons faire que nos établissements soient reconnus comme des pépinières pour des formations d’excellence et l’on se rappellera à ce sujet l’initiative du sénateur André Ferrand dans le cadre du grand emprunt.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Êtes-vous satisfaite des conclusions du premier forum mondial des anciens élèves du réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger ?

Mme Anne-Marie Descôtes. Cette rencontre a été très productive et j’admire le suivi qu’assure un petit groupe d’anciens élèves très mobilisés. À l’occasion du vingtième anniversaire de l’AEFE, nous avons prévu de créer, les 9 et 10 avril prochains, l’Association mondiale des anciens élèves. Elle sera indépendante de l’Agence, qui se limitera à mettre ses locaux à disposition en tant que de besoin, mais elle pourra nous aider à accompagner les élèves étrangers, par une sorte de tutorat ou de parrainage et à faire connaître notre réseau.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie, Madame, pour cet échange passionnant. Nos vœux vous accompagnent.

Audition du 18 mars 2010,

A 9 heures 30 : M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des Finances.

Présidence de M. Georges Tron

M. Georges Tron, Président. Mes chers collègues, je suis heureux d’ouvrir cette troisième matinée d’auditions de la mission d’évaluation et de contrôle sur l’enseignement français à l’étranger.

Le principe de la MEC est de dégager des propositions de consensus. C’est pourquoi notre organisation est paritaire entre majorité et opposition tant au niveau des présidents que des rapporteurs. Ces derniers associent, de plus, les points de vue des différentes Commissions concernées. Le rapport sur l’enseignement français à l’étranger sera ainsi préparé conjointement par M. Jean-François Mancel, rapporteur spécial de la commission des Finances, M. André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères et M. Hervé Féron, rapporteur pour avis de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation, qui vous demande de bien vouloir excuser son absence ce matin.

La Cour des comptes, qui nous accompagne dans nos travaux et que je remercie une fois encore pour sa participation, est aujourd’hui représentée par M. Jean-François Bernicot, conseiller-maître.

Nous recevons aujourd’hui M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des Finances, qui a été chargé de la mission « opérateur - AEFE » dans le cadre de la Révision générale des politiques publiques.

D’après nos informations, votre rapport, monsieur l’inspecteur, est maintenant achevé, mais n’a pas encore été soumis à l’autorité compétente. Aussi serons-nous très intéressés de connaître vos principales constatations et conclusions.

M. Bertrand Schneiter, inspecteur général des finances. Le Parlement est d’autant plus légitime à se saisir de ce dossier que les hasards de mes recherches – si vous me permettez cet aparté – m’ont fait découvrir qu’un député de Nancy a visité, en 1913, tous les établissements français entre Alexandrie et Constantinople : il s’agit de Maurice Barrès, qui a publié le récit de ce voyage sous le titre Une Enquête aux pays du Levant.

La mission que j’ai pour ma part conduite – sans avoir pu suivre les traces de Maurice Barrès !– dans le cadre de la révision générale des politiques publiques –‘RGPP’– n’est pas un exercice classique de l’inspection générale des finances. Ce n’est pas un audit. Il en découle trois caractéristiques particulières. La première est que le rapport que nous avons adressé à nos commanditaires n’est pas signé par l’ensemble des membres de la mission. La deuxième est que, n’étant pas maître du jeu, j’ai moins de liberté pour faire des préconisations et me bornerai donc à des constats. La troisième, enfin, est que, contrairement aux personnes que vous avez déjà entendues, je ne suis pas partie prenante à la vie de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger – l’AEFE – et à la problématique de cet enseignement. Je ne suis qu’un « travailleur occasionnel » sur le sujet. Mais, avec les deux membres de l’inspection du Quai d’Orsay et le membre de l’inspection de l’Éducation nationale qui composaient avec moi et trois inspecteurs des finances la mission, nous y avons, je crois, consacré le temps qu’il fallait.

Nous avons commencé par procéder à des entretiens en juillet, avant d’effectuer des visites au Brésil, en Chine, au Maroc et aux États-Unis, et poser des questions sur un certain nombre de dossiers. Nos pré-conclusions étaient prêtes en novembre et, après un ajustement final, nous attendons maintenant que les comités de suivi soumettent mes constats et mes propositions à un groupe représentatif des autorités gouvernementales.

Je me permets de préciser que la mission ne portait pas sur l’enseignement français à l’étranger, mais seulement sur l’opérateur AEFE. À cet égard, notre premier constat est que les missions de l’Agence sont d’une grande complexité.

L’AEFE, établissement public, est à la tête d’un réseau intégré de 77 établissements scolaires en gestion directe – les EGD – auxquels la Cour des comptes interdit de reconnaître une autonomie financière. Il est l’employeur direct de 6 422 agents titulaires du ministère de l’Éducation nationale – MEN – en service à l’étranger, répartis dans les 77 EGD et dans 166 établissements conventionnés – EC – qui forment le réseau AEFE. Il ne couvre cependant pas l’ensemble des personnels de l’Éducation nationale enseignant à l’étranger puisqu’il existe également des enseignants « détachés directs », dont personne ne connaît le nombre faute de statistiques centralisées, et qui travaillent dans les réseaux homologués ou dans le cadre d’autres arrangements de coopération éducative.

Le code de l’éducation charge l’AEFE de la double mission – complémentaire – de fournir aux Français de l’étranger le service public français de l’éducation scolaire et d’offrir aux familles étrangères un accès au système d’éducation scolaire français et au rayonnement dont il s’accompagne. S’y ajoutent une mission de coopération éducative avec les autorités des pays étrangers et, surtout, une double mission de soutien aux familles, par la modération des frais d’enseignement, d’une part, et par l’octroi de bourses aux enfants français, d’autre part – ce qui est un intéressant exercice d’équilibre à étudier.

L’établissement public AEFE est également prestataire de missions complémentaires qui lui sont confiées par le ministère des Affaires étrangères et européennes – MAEE –, comme le programme de consolidation du français langue maternelle – FLAM –, ou par le ministère de l’Éducation nationale, comme l’instruction des demandes d’homologation ou la mise en œuvre de certaines compétences d’inspection, qui pourraient être exercées directement par les académies ou par le ministère.

L’AEFE ne couvre pas tout le champ de la politique d’enseignement français à l’étranger. Cette politique est d’abord définie par le MAEE, qui assure une tutelle permanente de l’Agence. Le dispositif français d’enseignement à l’étranger inclut ensuite, hors AEFE, 208 établissements homologués, dont 87 établissements relevant du réseau de la Mission laïque française, dont la position par rapport au dispositif est un peu ambiguë. L’AEFE, enfin, n’est en charge ni de l’enseignement linguistique, ni de l’accès à l’enseignement supérieur en France.

L’Agence se situe ainsi de manière ambiguë par rapport à la définition d’un opérateur. À l’échelon politique, elle apparaît comme un service du ministère des Affaires étrangères alors qu’à l’échelon technique, elle a un rôle de gestion d’établissements et de personnels.

Ses moyens constituent un enjeu significatif. Son « budget » pèse fortement sur les moyens du MAEE puisqu’il représente 70 % du programme 185 Rayonnement culturel et scientifique et 30 % du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires – ce qui, selon moi, pose un problème, notamment pour le programme 185. De plus, l’évolution des crédits de l’AEFE est préoccupante, avec une progression de 50 % de la subvention de l’État entre 2005 et 2009, due à l’apparition de charges nouvelles.

Les ressources publiques ainsi consacrées couvrent, mais très inégalement selon les statuts et les situations locales, 30 % du coût global du dispositif, le reste étant essentiellement à la charge des familles – nous n’avons pas détecté d’autres sources significatives de financement.

Enfin, des risques budgétaires non négligeables existent du fait à la fois d’une demande dynamique, d’un engagement de soutien public renforcé pour les familles françaises, et d’un état de l’immobilier – que nous n’avons pas audité – jugé généralement comme nécessitant un effort particulier.

La situation du réseau des établissements d’enseignement français à l’étranger manque d’homogénéité. Non seulement les implantations sont héritées de l’histoire, mais les niveaux de soutien public sont très hétérogènes : il n’existe pas de curseur socio-économique permettant de moduler le tarif en fonction de la richesse du pays et du niveau de vie des familles. De même, l’existence de trois catégories d’établissements différentes atténue la capacité de maîtrise de l’AEFE.

Le processus de décision est également trop aléatoire, laissant trop de place à la mesure au cas par cas. Le conseil d’administration de l’Agence est en effet plus une instance de concertation que de décision. Il s’apparente à une assemblée générale chargée d’examiner les grandes questions. Mais des questions relevant de situations particulières sont aussi à son agenda. Quant à la tutelle du MAEE, elle est double puisqu’elle cumule les échelons locaux (ambassades et consulats) et centraux – ce qui rend les décisions, sinon incohérentes, du moins aléatoires. Enfin, le ministère de l’Éducation nationale est un partenaire peu engagé. Tout en ayant une très bonne relation technique avec l’AEFE – l’audition du doyen de l’inspection générale de l’Éducation nationale, M. François Perret, a dû vous en convaincre –, le MEN se tient prudemment à l’écart, l’architecture même de l’AEFE ne faisant de lui qu’un fournisseur de personnels.

Quelles sont nos conclusions, ou plutôt nos pistes de réflexion ?

Premièrement, il faut rechercher une plus grande homogénéité de fonctionnement et de tarification entre les deux familles du réseau AEFE : les établissements à gestion directe et les établissements conventionnés. Actuellement, les EGD sont sous-tarifés par rapport aux EC alors que des professeurs et encadrants titulaires de l’Éducation nationale sont présents dans les deux cas. Le budget d’un EGD doit être aussi complet que celui d’un EC et la responsabilisation de la communauté éducative – expression polie recouvrant les syndicats, les parents d’élèves et l’ambassade – doit être clairement recherchée. Les efforts de l’AEFE en la matière sur les six ou sept dernières années ont été importants ; elle a vraiment essayé de donner le maximum de visibilité et de compréhension au système en dépit de variations selon les situations géographiques.

Deuxièmement, il faut avoir le courage de poursuivre la recherche d’autofinancement, même si cela a une répercussion sur les bourses et sur la prise en charge des frais de scolarité. Cette démarche soulève deux questions : est-ce juste à l’égard des parents d’élèves du pays concerné ? La marge de compétitivité nous permet-elle d’augmenter les tarifs ?

À mon sens, la question de la compétitivité est une sorte d’épouvantail que l’on agite. Pour prendre une image, si les établissements français d’enseignement à l’étranger sont des voitures robustes, qui roulent très bien, la République française ne pourra jamais offrir des Rolls.

La première question est plus délicate. Le soutien public étant réservé aux familles françaises et aux binationaux – ce qui pose des problèmes dans certains pays –, un relèvement des tarifs constitue-t-il une injustice vis-à-vis des familles méritantes locales et a-t-il un effet d’éviction de celles-ci ? Nous n’excluons pas la possibilité d’octroyer des aides à des familles locales, mais la justice voudrait alors que l’on trouve un meilleur arbitrage entre ce qui est alloué aux familles françaises, dont certaines sont à l’abri du besoin et bénéficient de niveaux de bourses élevés, et ce qui pourrait être donné à des familles locales, appartenant souvent à la fonction publique, à l’enseignement et aux milieux académiques, qui ne bénéficient peut-être pas de nombreux avantages dans certains pays du tiers-monde.

Troisièmement, il importe de contenir les charges de personnels, puisqu’elles constituent l’essentiel des coûts. Il faut, à cet égard, distinguer le cas des expatriés et celui des résidents.

La balance entre expatriés et résidents dans la famille des titulaires me semble être aujourd’hui relativement consensuelle. Il est admis qu’il ne devrait plus y avoir d’expatriés enseignants que dans des fonctions débordant le cadre strict de leur enseignement. Je suis d’ailleurs sûr que, dans certains pays d’Afrique, des gens d’un très bon niveau académique seraient prêts, même en tant que recrutés locaux, à rejoindre notre système.

En revanche, autant le nouvel équilibre s’agissant des expatriés enseignants est plus ou moins accepté, autant les résidents font l’objet d’un véritable tabou, à savoir qu’un taux de 50 % d’enseignants titulaires serait nécessaire pour un établissement de qualité. Le drame est que ce critère ne se vérifie nulle part. Le nombre d’enseignants titulaires varie considérablement d’une zone géographique à l’autre. Or, personne n’observe de grandes différences de qualité d’un endroit à l’autre. C’est pourquoi j’ai quelque difficulté à ratifier la règle des 50 %. Mais il nous faut en l’occurrence marcher sur des œufs, pour ne pas créer une confrontation brutale.

Lorsque j’ai constaté que l’une des zones géographiques où il y avait le plus de titulaires de l’Éducation nationale professeurs dans un établissement était l’Europe occidentale, j’ai d’abord, en bon inspecteur des finances, trouvé cela aberrant. Je me suis ensuite demandé pourquoi il en était ainsi. La réponse est que le statut des professeurs locaux ne leur permet pas d’être détachés dans nos établissements, ce qui montre qu’il ne sera pas facile de réduire le nombre de professeurs titulaires dans les établissements d’Europe, à moins de créer une troisième catégorie de personnels : les Français recrutés locaux, répondant évidemment aux critères académiques.

Il ne faut pas oublier que nous avons perdu du jour au lendemain, sans aucun remplacement, les quelque mille volontaires du service national qui étaient des gens de bonne formation – aussi bonne que celle des jeunes professeurs qu’on envoie dans les zones d’éducation prioritaire – et qui étaient disponibles pour quelques années dans le réseau.

M. André Schneider, Rapporteur. Comme vous, je considère que le nœud gordien est la question des personnels. Outre que la qualification n’est pas toujours forcément liée au statut, l’association de personnes locales me paraît être un bon moyen pour promouvoir le rayonnement de la France et du français dans le monde. Certes, le verrou des 50 % existe, mais quelles recommandations pouvez-vous nous faire à cet égard ?

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Vous avez souligné, au début de votre propos, la complexité des missions de l’AEFE qui fêtera ses vingt ans en juillet prochain. Vous paraît-il utile de revoir ses missions pour les clarifier ou les réadapter à la vie quotidienne, concernant notamment la gestion du système des bourses ?

Compte tenu de la spécificité de chaque pays, il ne me semble pas possible d’envisager que le système soit le même partout.

M. Bertrand Schneiter. Concernant la gestion du personnel, nous n’avons pas poussé notre réflexion très loin. Ce que nous affirmons, c’est qu’il n’y a pas de base auditable permettant d’établir que la règle des 50 %, qui fait l’objet d’un consensus politique et assure la paix sociale, a des assises solides. Une marge d’évolution pourrait, par conséquent, exister en la matière. Ce ne sera pas un drame si, dans cinq ans, la proportion d’enseignants titulaires résidents n’est plus que de 45 %. Le système français d’enseignement à l’étranger n’en sera pas violemment détérioré. Mais on ne pourrait afficher cette évolution comme un objectif politique. C’est un sujet difficile car il y a de fortes résistances de la part des représentants des enseignants. Il devra être travaillé dans la durée.

Une question que l’on peut se poser est effectivement de savoir s’il ne faudrait pas articuler autrement l’AEFE pour mieux distinguer les différentes missions qui lui sont assignées.

M. Aubin de La Messuzière vous a expliqué que la Mission laïque française – MLF – n’était pas un opérateur, sauf à Kaboul, mais qu’elle était un acteur. Dans le même ordre d’idée, on pourrait imaginer que l’AEFE se voit confier encore plus clairement un rôle pivot de gestion de la marque France, sous toutes ses formes, en matière d’enseignement secondaire. Même si cela pose quelques problèmes par rapport à la MLF, un tel rôle pourrait être accepté à la fois par le ministère de l’Éducation nationale, moyennant une convention dans laquelle ce dernier déléguerait un peu plus clairement certaines de ses compétences – ce qui est un peu compliqué parce qu’il aime bien déléguer sans le dire –, et par le MAEE, à condition qu’il accepte que cet opérateur pivot ait un caractère un peu plus interministériel et ne dépende pas que d’arbitrages internes au quai d’Orsay.

Au-delà, une cellule de gestion des bourses et du soutien, dotée d’un conseil d’administration propre pourrait être créée, par délégation, et une holding pourrait regrouper les établissements d’enseignement sous gestion directe.

Dans les documents budgétaires, retracer tout ce qui concerne l’opérateur AEFE est quasiment impossible. Je pourrai cependant laisser à votre mission une copie d’un tableau des circuits financiers dans le secteur que nous avons finalement réussi à dresser. À n’en pas douter, un effort de clarification est à réaliser, ce qui demandera à chacun de faire un petit pas vers plus de vérité. Mais s’oppose à cela, au niveau local, l’emprise des ambassades. Toute mesure un peu importante est arbitrée au niveau du cabinet du ministre, si ce n’est pas plus haut, entre l’ambassadeur et l’AEFE et, éventuellement, d’autres personnes, dont le responsable du programme 151. C’est le cas aujourd'hui des affaires de Londres et de Barcelone qui montrent que l’AEFE n’est pas un opérateur de plein exercice faute d’avoir toutes les cartes en main.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. La tutelle du ministère sur l’opérateur AEFE est-elle bien exercée ? Y a-t-il eu des périodes où elle l’a été mieux qu’à d’autres ?

Par rapport à d’autres opérateurs, l’Agence a-t-elle plus de problèmes ?

M. Bertrand Schneiter. Moins si on l’apparente à une sous-direction du Quai d’Orsay !

Une continuité assez forte, même si elle a dû être assez délicate à certains moments, existe, me semble-t-il, entre l’AEFE, la direction générale de la Mondialisation, du développement et des partenariats – DGM – et la sous-direction de la Diversité linguistique et du français, dirigée par M. Jean-Paul Rebaud. Mais je n’en ai pas fait l’historique.

En tout cas, le conseil d’administration de l’AEFE est aujourd’hui une instance de concertation et non une instance de définition d’une politique. Celle-ci est définie par le ministère des Affaires étrangères d’une manière qui manque d’un caractère interministériel plus prononcé. La présence du directeur de la DGM à la présidence du conseil d’administration de l’Agence peut également poser question. En tout cas, cela prouve le manque d’autonomie de l’opérateur, et il en irait de même si l’AEFE était rattachée au directeur des Français à l’étranger et de l’administration consulaire. Enfin, le fait que, dès qu’un sujet a un tant soit peu d’importance, les ambassadeurs souhaitent – avec de bonnes raisons – s’en occuper montre que l’AEFE est soumise à un aléa d’influences variables selon les personnalités, les raisonnements tenus et les circonstances. Les décisions en voie d’être prises pour Londres me semblent raisonnables, après un moment de flottement inquiétant. Je crains, en revanche que, concernant Barcelone, on soit encore loin d’avoir trouvé la solution.

L’AEFE est considéré par le Quai d’Orsay comme l’un des instruments essentiels du rayonnement de la France dans le monde. Selon moi, elle est essentielle par défaut, en ce sens qu’elle accapare l’essentiel du budget de la direction en question. Je n’ai pas été capable, par exemple, d’analyser l’impact sur le rayonnement français des 1 000 élèves du lycée de Cali en Colombie, qui commence à la maternelle. On peut imaginer qu’un jour, l’un d’eux sera directeur des transports terrestres et nous achètera des autobus, mais même cela n’est pas sûr.

L’un des grands défis de la politique d’enseignement – nous y insistons un peu dans nos analyses –, est la recherche d’instruments nouveaux en vue d’objectifs nouveaux, ce qui me conduit à parler de la carte du réseau.

Ce dernier, constitué des établissements classiques, en « dur », n’a pas vocation à s’étendre. Il est soumis à une contrainte : fournir le service public français de l’éducation scolaire aux Français de l’étranger qui le demandent. Grâce au Ciel, tous ne le demandent pas. En Suisse, on évalue à 2 % le nombre des demandes par rapport au potentiel. Nous ne pourrions pas faire face si, tout à coup, 100 % des personnes pouvant exciper d’un droit à ce service public venaient le réclamer aux portes de nos consulats. On évalue en effet aux États-Unis à 12 % des Français le nombre de demandeurs ! Mais certaines zones de pression
– heureusement peu nombreuses –, existent comme Londres et le Maroc – où se greffe notamment le problème des binationaux –. Plus globalement la progression des effectifs, sur les cinq dernières années, n’a été due qu’à la demande française.

Le système a dérivé plus vers le service public de l’enseignement que vers le rayonnement français. Cela n’est pas dramatique. Cela me paraît même logique. Il faut accepter l’idée, dans le cadre d’une évolution à long terme, que les outils soient adaptés à la poursuite d’un cursus scolaire français, aux termes de la loi de 1990, et examiner de près toutes les solutions : les systèmes d’appui linguistique des Espagnols, qui ont la chance d’avoir une grande zone hispanophone, ou encore les formules plus souples que les nôtres utilisées par les Allemands. Les formules nouvelles fourniront des marges de développement, même s’il sera difficile de construire un scénario permettant de dégager des marges pour faire mieux ou autre chose.

Par rapport aux objectifs de politique étrangère fixés dans le Livre blanc, le réseau ne correspond pas du tout. Faudrait-il alors aller dans les zones en question avec armes et bagages ? C’est, en termes de moyens, impossible. Je cite, à ce propos, l’exemple de l’Inde. Dans ce pays, notre politique doit être centrée sur l’accessibilité du système universitaire français et donc sur le mode de détection des populations scolaires susceptibles, à la fin du secondaire ou en premier cycle, de poursuivre leurs études dans le supérieur en France. On ne peut imaginer en effet faire entrer de jeunes Indiens à la maternelle française en se disant qu’un jour ils seront dans nos universités, sachant en particulier le phénomène de perte en ligne qui affecte le système.

M. André Schneider, Rapporteur. Certains instituts de premier cycle ne pourraient-ils être implantés ici ou là lorsque le volume des futurs étudiants est suffisant ?

M. Bertrand Schneiter. Je suis absolument opposé à cette idée que je considère comme une fausse bonne solution. D’une part, il y a très peu de lieux où ce serait possible. D’autre part, je ne vois pas pourquoi on créerait un enseignement supérieur concurrent de celui du pays concerné. Pour prendre l’exemple du Maroc, il faut, plutôt que créer une telle concurrence, faire en sorte que le système d’enseignement supérieur marocain soit excellent.

Cela vaut également pour les classes préparatoires, dont deux ou trois existent au Maroc, mais qui posent certains problèmes. Quant à celle de Vienne, il faut faire venir des étudiants de France pour la remplir. Même s’il y aura toujours des gens pour souhaiter voir créer des postes de professeurs de classes préparatoires, d’autant qu’il y aurait une chance raisonnable d’y affecter des expatriés, il ne faut pas aller dans cette voie.

M. André Schneider, Rapporteur. Est-ce que votre position apparaît dans le rapport ?

M. Bertrand Schneiter. Ma position concernant les classes préparatoires y est très nette. Elle figure également dans une annexe.

M. André Schneider, Rapporteur. Avez-vous été conduit à faire une observation sur les « facilités » offertes aux étudiants étrangers pour venir étudier en France ?

M. Bertrand Schneiter. Non. Bien qu’il y ait un lien entre les deux niveaux d’enseignement, cette question est vraiment en dehors du champ de notre étude. Cela dit, elle est essentielle. Alors qu’au lycée français de New York, par exemple, des universités viennent rechercher les étudiants à potentiel, le système français est relativement absent. Ce sera le travail de CampusFrance. Il faut que nos universités soient capables de se vendre à l’étranger et que l’on puisse mettre en place des moyens d’accompagnement quand on découvre des personnes de qualité. Il existe déjà le système de bourses « excellence-major », mais il est encore très limité.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. La création de deux opérateurs, l’un pour l’action culturelle extérieure, l’autre pour l’accroissement de l’attractivité de l’enseignement supérieur français, peut-elle se faire sans reconsidération des missions de l’AEFE ?

M. Bertrand Schneiter. Je ne suis réellement pas compétent pour répondre à cette question, mais ce que je sais, c’est que plus l’architecture sur laquelle on va déboucher sera complexe, plus il y aura des problèmes de frontière. Il est vrai que la maison Quai d’Orsay en connaît déjà.

J’ai omis, concernant les charges de personnel, de mentionner la sous-utilisation du Centre national d’enseignement à distance – CNED – qui est pourtant une maison d’une qualité extraordinaire, homologuée par l’Éducation nationale. Alors que les surcoûts ne proviennent pas seulement des indemnités d’expatriation ou de résidence, mais également du sous-effectif de certaines classes – une division à dix, douze ou quinze élèves coûte plus cher qu’une division à trente élèves –, il y a avec le CNED des possibilités qui, pour l’instant, ne sont, pour parler par euphémisme, qu’utilisées prudemment.

M. André Schneider, Rapporteur. Qu’en est-il du turn over du personnel ?

M. Bertrand Schneiter. C’est un point délicat. Mais si la rotation des résidents est plus importante qu’on ne le croit, la répartition des durées de séjour n’aboutit pas à un résultat catastrophique.

On touche là à un domaine que nous avons signalé mais que nous n’avons pas entièrement exploré, à savoir le contrôle de la qualité de la formation, initiale et continue, des enseignants. Si l’on veut en finir avec le tabou des 50 %, il faut mettre en place un système de suivi plus important et faire preuve d’un peu de courage dans certaines situations. Il existe aussi en France des enseignants qui vieillissent tranquillement sans se soucier de formation permanente. Les efforts en la matière sont inégaux.

Le contrôle devra s’exercer en priorité sur les établissements homologués, où la population d’enseignants est très hétérogène, l’homologation étant quelquefois octroyée avec un peu de facilité.

Concernant la contribution de 2 % qu’il est prévu de demander aux établissements homologués à partir de la rentrée 2010, je trouve cela normal. En effet, les établissements doivent payer quelque chose pour utiliser la marque France, car celle-ci a de la valeur. Sans elle, les élèves ne viendraient pas. Le raisonnement selon lequel on paie pour les prestations reçues ne me convainc pas.

Je ne serais pas choqué qu’il soit demandé un prélèvement de 1 % sur le chiffre d’affaires simplement pour la marque. Par ailleurs, le système du tiers payant pour les bourses et la prise en charge des frais de scolarité est très avantageux. Pour les établissements, il est préférable au recouvrement direct. Une base existe donc pour négocier une redevance pour tout utilisateur de la marque.

M. André Schneider, Rapporteur. L’autonomie, tout comme la tutelle, c’est bien jusqu’à une certaine limite. Pour ma part, je crois au partenariat entre opérateurs. Quant à la marque, ou la labellisation des personnels enseignants, ces questions sont plutôt du ressort de l’Éducation nationale.

Votre mission ne concernait que l’AEFE mais vous avez dû parfois observer, sinon des superpositions, du moins des frictions entre institutions. Quelle serait selon vous l’organisation la plus homogène possible ?

M. Bertrand Schneiter. Vous faites sans doute allusion aux relations entre ambassadeurs, services de coopération et d’action culturelle – SCAC –, proviseurs et comités des parents d’élèves.

S’il peut paraître difficile d’admettre que les ambassades conservent un poids hiérarchique, c’est, après tout, la contrepartie des statuts mis en place. Vis-à-vis des proviseurs, c’est même plutôt positif. Il faut, en effet, faire très attention au profil de ces derniers. Cela étant, même s’il existe – c’est inévitable – des problèmes ici ou là, le niveau d’alerte est très bas. Le fait que les proviseurs soient dans une position de subordination hiérarchique – théorique – par rapport aux ambassades est préférable au fait de jouir d’une trop grande autonomie.

M. André Schneider, Rapporteur. Dans l’ensemble, vous êtes assez optimiste concernant le système.

M. Bertrand Schneiter. Tout à fait. L’AEFE est une structure qui marche bien, même si ses frais généraux sont un peu lourds du fait de ses nombreuses missions, ce qui a entraîné une augmentation des personnels au siège – et permis des effets de manche à la Mission laïque française.

Des progrès sont encore à réaliser à propos de la tenue des comptes par établissement. Nous demandons qu’ils soient plus lisibles, avec le risque que les parents d’élèves veuillent alors se saisir des fonds de roulement ainsi clairement dégagés alors que l’on cherche par ailleurs à les mutualiser.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. La prise en charge par l’AEFE de la part patronale des cotisations de pensions civiles des personnels qu’elle emploie et détache, sans que le ministère du Budget compense intégralement cette nouvelle charge, risque-t-elle de détériorer la situation financière de l’Agence ?

Par ailleurs, le versement par les EGD et les EC d’une contribution de 6 % de leur budget, assise sur les frais de scolarité, peut-il conduire certains établissements à préférer prendre leur autonomie et à demander le déconventionnement ?

M. Bertrand Schneiter. Il existe déjà des cas de déconventionnement, mais ils sont un peu marginaux. Vont-ils se multiplier ? Ma réponse vous paraîtra un peu cynique, mais le déconventionnement n’est pas une catastrophe en soi. Ce qui est catastrophique, c’est quand des établissements déconventionnés homologués pratiquent des politiques tarifaires autonomes qui pèsent aussi lourd sur le budget de soutien aux familles que celles des établissements américains.

Ce qui est plus difficile, dans un système budgétairement contraint, c’est de savoir comment contenir les charges, dégager des moyens de financements supplémentaires et arbitrer.

On dégagera des moyens de financement en recherchant l’autofinancement et en prenant des décisions douloureuses qui, souvent, auraient dû être prises depuis longtemps. La décision de remonter les tarifs de Londres sur trois ans, par exemple, est très saine.

On contiendra les charges en levant peut-être le tabou de la « remontée » sur les expatriés encadrants – ce qui est d’ailleurs déjà le cas dans quelques pays où cette remontée a même pu atteindre 100 %.

Il faudra également réfléchir à la possibilité d’une évolution des structures, tout en restant très prudent.

Le budget étant très tendu, on ne pourra s’en sortir qu’en prenant des mesures concernant l’immobilier. Or, on ne sait plus où on en est de l’état réel des lieux puisque les mises à disposition, par exemple, ont été interrompues, l’Agence foncière de l’État à l’étranger n’étant en outre pas chargée de la question. On pourrait imaginer que l’opérateur soit doté d’une véritable division immobilière, sachant qu’il a même été proposé d’utiliser en la matière les moyens du grand emprunt.

Le programme immobilier de l’AEFE, qui est substantiel, est en tout cas destiné à être maintenant financé par l’emprunt à hauteur de 100 ou 110 millions d’euros puisque les possibilités d’autofinancement sont aujourd'hui épuisées – sans parler des charges de gros entretiens et de mise aux normes, dont l’inventaire en est encore à un stade embryonnaire.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Dans le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008/2020, les chiffres évoqués pour une prise en charge totale des frais de scolarité sont exorbitants : entre 600 et 700 millions d’euros.

M. Bertrand Schneiter. Je les évalue pour ma part entre 350 et 700 millions, ce qui est totalement incompatible avec les équilibres actuels du système. Pour autant, si la prise en charge est une chose, l’équilibre économique des établissements en est une autre. Il faut gérer les deux séparément et non conjointement comme dans le système actuel.

Les mesures de limitation de la prise en charge sont raisonnables car certaines aberrations existaient. Mais, même avec ces limitations, la prise en charge continuera à faire des dégâts financiers. Malgré toute leur bonne volonté, les directions internationales des entreprises taillent, partout où c’est possible, dans les coûts. Nombre d’entreprises vont donc petit à petit réaliser qu’elles peuvent économiser sur la prise en charge des frais de scolarité versés par leurs employés.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Admettons que l’on maintienne telle quelle cette prise en charge. Faudrait-il l’isoler du reste, de façon à ne plus mélanger les comptes ?

M. Bertrand Schneiter. Il s’agit effectivement en l’occurrence d’un budget géré par l’AEFE, et non d’un budget maîtrisé par celle-ci.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Aujourd’hui, c’est un peu ressenti comme cela.

M. Bertrand Schneiter. Certes, car il est demandé à l’AEFE de gérer au mieux ce qui relève de sa responsabilité propre et, par délégation, le système des bourses et de la prise en charge. Pour autant, ce dernier ne ressortit pas d’un budget d’établissement, mais bien du budget général.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Avec la montée de la prise en charge, les entreprises se retirent progressivement du financement de la scolarité des enfants de leurs employés. Sachant que l’Agence est un établissement public, dont le conseil d’administration ne gère pas grand-chose, si ce n’est des problèmes techniques plutôt que des orientations politiques, et que ses financeurs ne sont pas nombreux – les parents d’élèves et l’État –, ne pourrait-on pas demander aux entreprises de participer au financement de l’AEFE, par exemple en les faisant bénéficier d’avantages fiscaux liés au mécénat ?

M. Bertrand Schneiter. Je n’ai pas la réponse. Cependant, des expériences ont été tentées en commettant parfois des erreurs. À Pékin, on est passé par un établissement en gestion directe, alors que ce n’était pas nécessaire. Pour obtenir un effort de pure bonne volonté des entreprises, il aurait fallu disposer d’une capacité opérationnelle qui soit très bien établie. Or il y a eu des tergiversations de la part de l’ambassade, dans un contexte sûrement difficile. Quoi qu’il en soit, cela a permis aux entreprises de s’affranchir d’engagements qui avaient d’ailleurs été pris sans que rien n’ait été acté.

Le système de la Mission laïque française, dans lequel les entreprises sont clairement demandeurs et financeurs, fonctionne bien. Notre système AEFE n’a jamais eu cette clarté, et le dispositif de la prise en charge donne aux directions financières des filiales d’entreprises françaises de bonnes raisons pour ne pas s’impliquer.

On pourrait imaginer de demander aux entreprises de prendre exemple sur la République française. En effet, nos agents à l’étranger ayant des compléments familiaux supposés couvrir les frais de scolarité ne sont pas bénéficiaires de la prise en charge – cela peut d’ailleurs poser des problèmes puisque, parfois, le compte n’y est pas.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le système de la prise en charge a-t-il une base juridique solide ? Le sentiment prévaut en effet qu’il est parfois appliqué « à la tête du client ».

M. Bertrand Schneiter. Sans aller jusque-là, il faut bien reconnaître que le système n’a pas de base juridique. Techniquement, le problème est géré comme en matière de bourses. Au départ, ce n’était d’ailleurs pas une mauvaise idée : d’une part, c’était la seule possibilité ; ensuite cela permettait de ne pas perdre de vue la population qui ne relevait pas des bourses. J’ai demandé à cet égard la mise au point d’un système susceptible d’atténuer le choc du seuil, entre les bourses et la prise en charge, mais cela suppose d’encadrer davantage cette dernière.

M. André Schneider, Rapporteur. L’AEFE a, par ailleurs, une mission de coopération avec les systèmes éducatifs locaux, ce qui pourrait contribuer au rayonnement de la France et répondre aux préoccupations actuelles vis-à-vis des enseignants locaux. Pour réussir une telle mission, ne lui faudrait-il pas entrer dans un circuit de formation des formateurs ?

M. Bertrand Schneiter. La réponse à la question de savoir si la mission de coopération est de la compétence de L’AEFE ou de celle des services culturels n'est pas claire.

L’Agence peut-elle développer une capacité propre d’opérateur en ce domaine ? Jusqu’à présent elle ne l’a pas fait, en dehors de quelques cas. Cela suppose en tout état de cause qu’on lui en donne les moyens et donc que l’on considère qu’elle est la mieux placée pour remplir une politique définie par ailleurs, ce qui n’est pas évident.

Aujourd’hui, cette démarche de coopération dépend de la situation locale, par exemple d’un proviseur qui a su nouer des relations locales, mais l’AEFE n’a pas les moyens d’agir sur une grande échelle.

M. André Schneider, Rapporteur. Il faut repenser les partenariats !

M. Bertrand Schneiter. Bien sûr. Mais reste à savoir qui, entre les agents culturels locaux et l’AEFE, les définit. Je ne crois pas que les proviseurs d’établissements puissent être des vecteurs de coopération éducative parce qu’ils sont déjà occupés par leur établissement.

M. André Schneider, Rapporteur. L’Agence s’occupe entièrement du recrutement du personnel. Vous parliez de « marque » et moi de « label ». Encore une fois, c’est l’Éducation nationale qui devrait avoir le dernier mot en matière de certification du système éducatif et de coopération.

M. Bertrand Schneiter. Nous préconisons une convention plus large entre l’AEFE, le MAEE et le MEN, qui autorise explicitement certaines délégations. Le problème est que le MEN n’aime déléguer qu’à ses propres agents. Et comme toute une partie des tâches qui pourraient revenir au MEN en ce domaine sont exercées via l’AEFE, l’affaire est bien compliquée. Une clarification s’impose, notamment sur le plan budgétaire, sachant également que le MEN mène des actions propres sur le plan international.

J’ai à cet égard déjà souligné une carence : personne ne peut dire quelle est la carrière des détachés directs, qui n’apparaissent pas au sein de l’AEFE alors qu’ils ne sont plus au MEN, tout en étant détachés dans des établissements homologués ou ailleurs !

M. André Schneider, Rapporteur. Les pays voisins, qui n’ont certes pas les mêmes problèmes en matière de statuts ou de détachement que vous évoquiez, ont un esprit pratique : un enseignant de Munich pourra aller enseigner à Tombouctou, et vice-versa, pendant un an, sans que cela ne coûte rien, à part un billet d’avion. Et chacun en retire une expérience très formatrice.

M. Georges Tron, Président. En matière d’immobilier, une évaluation a-t-elle été faite ?

M. Bertrand Schneiter. Nous n’avons malheureusement pu y travailler, faute de base le permettant.

M. Georges Tron, Président. Est-on cependant convaincu de la nécessité d’appréhender la part de l’immobilier dans le cadre de la gestion globale ? L’état du patrimoine permet-il de l’évaluer à quelques centaines de millions voire à quelques milliards ?

M. Bertrand Schneiter. Je vous transmettrai une note à ce sujet.

Le statut domanial des établissements est incroyablement complexe. Je souhaite notamment bien du plaisir à l’Agence foncière de l’État à l’étranger s’agissant des immeubles diplomatiques. Cela dit, l’AEFE a toujours essayé de trouver les ressources pour faire ce qu’il fallait.

Pour autant, la situation en matière de gestion immobilière est en suspens, d’autant que les moyens ne sont pas non plus clarifiés. Mais l’AEFE m’a semblé consciente du fait qu’elle deviendra demain gestionnaire de plein exercice de son propre réseau de 77 EGD.

M. Georges Tron, Président. Vos observations entrent-elles dans le cadre de la définition du périmètre d’intervention de l’Agence foncière de l’État à l’étranger, lequel n’est pas forcément perçu de la même façon selon Bercy et le MAEE ?

M. Bertrand Schneiter. Pour ce dernier, l’Agence foncière de l’État à l’étranger n’a pas dans ses priorités, au moins dans la première phase, à s’occuper d’autre chose que des locaux administratifs régaliens.

Comme il s’agit d’un parc immobilier très spécifique, il me paraît plutôt raisonnable d’imaginer que l’opérateur deviendra gestionnaire de plein exercice de son parc immobilier, car la problématique est, pour partie, la même partout : fournir des locaux d’enseignement. D’autant que les arbitrages entre location, propriété ou autre sont sans doute plus faciles à faire à ce niveau. On pourrait d’ailleurs imaginer davantage de prises en location dans certains cas.

Quoi qu’il en soit, je ne vois pas le bénéfice que pourrait tirer la maison AEFE de l’intervention de l’Agence foncière. Peut-être y aura-t-il des problèmes d’expertise, mais il me semble légitime que l’opérateur gère l’immobilier. On identifiera d’autant mieux les réseaux propres dans le système.

M. Georges Tron, Président. Qu’en est-il de l’état global du patrimoine ?

M. Bertrand Schneiter. Il n’existe pas de véritable audit en la matière.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Selon l’AEFE, il faudrait à peu près 30 millions d’euros pour remettre en état le patrimoine existant et accomplir quelques extensions là où elles sont nécessaires. La difficulté tient à la situation hétérogène des biens.

M. Bertrand Schneiter. Sans compter que tout ce qui relève de la mise aux normes est difficile à définir.

M. Georges Tron, Président. Cela porte sur combien de biens ?

M. Bertrand Schneiter. Cela figure dans l’un des tableaux que je vous ai remis.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Un audit serait-il utile ?

M. Bertrand Schneiter. Nous le demandons très clairement, s’agissant notamment de l’immobilier de départ de l’AEFE. Il y a eu des mises à disposition, mais le processus a été interrompu.

M. Georges Tron, Président. La somme de 30 millions d’euros avancée par l’AEFE vous paraît-elle crédible ?

M. Bertrand Schneiter. À mon avis, elle est plutôt faible.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. D’après d’autres informations, l’estimation variait entre 30 et 50 millions d’euros.

Par ailleurs, le statut patrimonial semble très complexe. Parfois, personne ne sait à qui appartient tel ou tel local. Or il est difficile de faire des travaux de rénovation dans des locaux dont on n’est pas sûr d’être le propriétaire – c’est la raison pour laquelle ces bâtiments sont dans un état assez lamentable. Par exemple, on ne sait pas à qui appartient le Centre culturel de Londres, qui résulte d’un don.

M. Georges Tron, Président. La priorité ne serait-elle pas de remettre de l’ordre ?

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il faudrait sans aucun doute procéder à un inventaire, mais ce n’est pas simple.

M. Bertrand Schneiter. C’est une de nos préconisations. Il faut impérativement clarifier le dossier immobilier de l’AEFE qui est en suspens.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On ne sait pas qui fait quoi.

M. Bertrand Schneiter. La division immobilière actuelle de l’AEFE n’a ni la dimension ni la qualification pour s’en charger.

M. Georges Tron, Président. Il faudrait pourtant déjà commencer par savoir de quoi l’on parle.

M. Bertrand Schneiter. L’expérience est en cours au Quai d’Orsay.

M. Georges Tron, Président. J’ai tendance à penser que ce dernier n’est pas l’exemple cardinal dans le domaine de la gestion immobilière.

M. André Schneider, Rapporteur. Sans compter que l’on n’est pas obligatoirement propriétaire du foncier quand on est propriétaire du bâtiment.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. À Tbilissi, un oligarque géorgien a payé intégralement l’école : en principe elle lui appartient. Le président de la Guinée Équatoriale a offert à la France une école, mais aucun acte n’a été établi.

M. Georges Tron, Président. Cette question sera au cœur de la définition du périmètre d’intervention de l’Agence foncière de l’État à l’étranger.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Sauf que le directeur général de l’administration nous a clairement indiqué qu’il n’imaginait pas que l’Agence foncière puisse intervenir en matière d’établissements scolaires.

M. Bertrand Schneiter. Il a raison, mais cela ne signifie pas que l’AEFE ne puisse pas bénéficier du savoir-faire de l’Agence foncière du Quai d’Orsay. Pour autant, je ne vois pas ce que cela apporterait de charger cette dernière de l’enseignement français à l’étranger.

M. Georges Tron, Président. Cela aurait l’avantage de la simplification et de la clarification. Aujourd’hui, dans le domaine immobilier, on assiste à la multiplication des régimes dérogatoires, comme c’est le cas au ministère de la Défense, ce qui aboutit à rendre la situation plus opaque.

Au-delà, on peut s’interroger sur le système d’identification des immeubles par le système d'informations financières de l'État – Chorus. Faute de l’outil analytique nécessaire, on s’interroge même sur la propriété des immeubles. Tout cela montre bien que l’Agence foncière ne pourra pas bien travailler sans une base lui permettant de procéder à des correctifs.

M. Bertrand Schneiter. Pour m’être rendu en province dans le cadre d’une inspection concernant notamment la mise en place des schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI), il me semble que le système Chorus, après un premier choc négatif, va tout de même permettre des avancées.

M. Georges Tron, Président. Peut-être pourriez-vous vous rapprocher de la Cour des comptes qui est venue rapporter devant nous il y a quelques jours une étude très intéressante sur le sujet, et qui, malheureusement, ne peut qu’inquiéter ?

M. Bertrand Schneiter. En tout état de cause, nous préconisons de donner une grande clarté à l’AEFE et d’essayer de rapprocher les établissements à gestion directe des établissements conventionnés. Il me semble un peu difficile d’imaginer un système dans lequel l’opérateur serait locataire d’une Foncière gestionnaire qui devrait elle-même créer une division « bâtiments scolaires ».

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On se heurterait très fortement aux parents d’élèves qui, dans de nombreux établissements, financent l’immobilier. Je suis assez d’accord avec l’idée que l’Agence foncière ne peut pas tout faire. En revanche, elle pourrait peut-être réaliser un audit des bâtiments diplomatiques et d’enseignement.

M. Bertrand Schneiter. En fonction des moyens dont elle disposera et de la façon dont son rôle se développera, elle peut représenter une ressource technique. Mais je vois mal l’avantage qu’il y aurait à comptabiliser les bâtiments dans cette Foncière. La première chose à faire est de clarifier la base immobilière de l’AEFE, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

M. Georges Tron, Président. Il me reste à vous remercier.

Audition du 18 mars 2010

À 11 heures : MM. Roger Ferrari et Patrick Soldat (SNES) et Mme Pilar Struillou (SNUipp hors de France), représentants du personnel au conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger

Présidence de M. Georges Tron, Président

M. Georges Tron, Président. Nous accueillons maintenant les représentants du personnel au conseil d’administration de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) : M. Roger Ferrari et M. Patrick Soldat pour le Syndicat national des enseignants du second degré, le SNES, et Mme Pilar Struillou, pour le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs d’enseignement général de collège – PEGC – enseignant hors de France. Les membres de l’UNSA-éducation tenant aujourd’hui leur congrès annuel, nous verrons comment recueillir le point de vue de leurs représentants. Madame, messieurs, je vous invite à présenter brièvement vos organisations respectives et à nous faire part de votre point de vue quant à notre politique d’enseignement français à l’étranger.

Mme Pilar Struillou, représentante du SNUipp hors de France. Pour ma part, je représente les enseignants du premier degré ainsi que les personnels détachés auprès de l’AEFE, des établissements homologués de la Mission laïque française, du Conseil pour le développement du français en Louisiane (CODOFIL) et des établissements privés à niveaux homologués, de même que les personnels détachés par le ministère des Affaires étrangères.

M. Roger Ferrari, représentant du SNES. Mon organisation syndicale se préoccupe depuis longtemps de l’enseignement français, et plus particulièrement de son financement, questions dont je suis en charge depuis plus de vingt ans. J’ai ainsi participé, en 1990, à la création de l’établissement public AEFE, lequel nous conduit, depuis un certain temps, de déception en déception.

Nous déplorons, avec d’autres partenaires, le sous-financement, par l’État, de l’établissement public et un transfert de charges vers les usagers, c’est-à-dire les parents d’élèves. Il y a de quoi s’inquiéter s’agissant du rayonnement et de l’efficacité du réseau.

Alors que nous avions mis beaucoup d’espoir dans la création de l’établissement public, celui-ci ne remplit pas toutes ses missions, non pas parce que ceux qui le dirigent ne veulent pas les remplir, mais parce qu’ils n’ont pas les moyens financiers de le faire.

M. Patrick Soldat, représentant du SNES. Les conséquences de ce sous-financement sont de plus en plus visibles, à tous les niveaux. Toutes les catégories de personnels sont aujourd’hui touchées : personnels enseignants ou non enseignants ; personnels expatriés et personnels résidents, détachés de l’Éducation nationale ; personnels recrutés locaux, très nombreux dans le réseau de l’AEFE et qui y jouent un rôle aussi important que les autres catégories. Les conditions de travail et de rémunération de ces différentes catégories de personnels se sont nettement dégradées dans le contexte de plus en plus contraint évoqué par Roger Ferrari.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Selon vous, la création en 1990 d’un opérateur, sous forme d’un établissement public, a-t-elle été une bonne chose ? Les compétences exercées par ce dernier sont-elles satisfaisantes et correspondent-elles aux objectifs fixés par la loi ? Comment se présente sa situation financière ? Les difficultés que vous avez évoquées portent-elles exclusivement sur la situation des enseignants ou sur d’autres points, par exemple la prise en charge des frais d’écolage par les familles ?

M. Roger Ferrari. Je suis d’autant plus à l’aise pour parler de la situation de l’établissement public qu’en 1989 nous n’étions pas très favorables à sa création, estimant qu’il convenait de maintenir un service au sein de ce qui était à l’époque le ministère des Affaires étrangères et de la coopération. L’expérience aidant, nous nous sommes aperçus de son intérêt, mais encore faudrait-il qu’il ait les moyens de fonctionner.

L’établissement public a notamment été créé pour assurer une coordination du réseau, pour donner des moyens aux établissements et pour mettre à leur disposition des personnels détachés, sachant que la Mission laïque française, qui n’était qu’un partenaire, a développé depuis une bonne dizaine d’années, en concertation avec l’AEFE, un réseau parallèle. Cela signifie que des établissements se créent et se développent en dehors de l’établissement public, la Mission laïque française apparaissant comme un « simili-opérateur ».

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Pourtant, elle se défend d’être un opérateur.

M. Roger Ferrari. Elle se qualifie en effet de « partenaire ». Reste que l’on assiste au déconventionnement d’établissements – en Espagne, en Égypte ou au Koweït encore très récemment – ce qui les conduit, leurs liens avec l’AEFE étant rompus, à se tourner vers la Mission laïque française pour qu’elle les gère.

Cela affecte la cohérence du dispositif et la situation des personnels. Ces derniers, qui sont des résidents, passent sous statut privé, ce qui a pour eux des conséquences en matière de protection sociale, de niveau de rémunération, de contrat de travail,...

M. Georges Tron, Président. Comment ce passage de l’un à l’autre est-il justifié ?

M. Roger Ferrari. L’AEFE déconventionne les établissements qui coûtent trop cher ou qui n’ont pas suffisamment d’élèves français, et la Mission laïque française intervient alors comme « repreneur ». Cela dit, l’expérience n’est pas toujours probante. C’est ainsi que la Mission, qui a repris il y a deux ans l’école franco-italienne de Florence, est aujourd’hui confrontée à des demandes qu’elle juge exorbitantes de la part des personnels et des organisations syndicales qui demandent le respect de la réglementation sociale italienne.

Mme Pilar Struillou. La loi créant l’AEFE a donné un statut aux personnels titulaires de l’Éducation nationale qui, pour des raisons diverses, étaient installés à l’étranger et qui étaient considérés comme des personnels privés. Elle a donné cohérence à ce corps qui assurait, par sa connaissance du réseau, du pays et souvent de sa langue, une certaine pérennité dans les équipes et dans la pédagogie, à côté des personnels expatriés venus pour des missions courtes.

La création de ce statut voilà vingt ans a ainsi constitué un progrès social énorme pour ces titulaires et, d’une certaine façon, il y a aussi une reconnaissance pour nos collègues ayant intégré les établissements du réseau avec des contrats locaux, et auxquels on essaie, depuis lors mais sans beaucoup de résultat, de donner aussi un statut et des prestations.

M. Roger Ferrari. S’agissant des missions de l’Agence autres que la scolarisation des enfants français, on ne peut pas parler de coopération avec les systèmes éducatifs. Au Maroc, par exemple, il existe bien quelques partenariats entre établissements de l’AEFE et des établissements du pays, mais ce n’est pas de la coopération à un niveau élevé.

Le sujet a été repris à l’occasion de la préparation par le ministre Kouchner du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, où la défunte direction générale de la Coopération internationale et du développement tentait de retrouver un champ d’action. L’idée était que l’AEFE pourrait engager une véritable coopération éducative avec le système local en s’appuyant sur des personnels affectés par ailleurs à des tâches d’enseignement, non pas qu’une telle action n’ait pas lieu, mais parce qu’elle dépend de la bonne volonté des chefs d’établissement.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il manque une stratégie globale ?

M. Roger Ferrari. Et aussi des moyens.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Mais, pour peu qu’on lui en donne les moyens, l’AEFE est-elle le bon acteur pour prendre en charge des initiatives en matière de coopération éducative ?

M. Roger Ferrari. Oui, à condition qu’elle mette en place une action complémentaire. En tant que représentants syndicaux, nous avons à cœur de soutenir le développement de l’éducation. Mais qu’en est-il sur le terrain ? Au lycée français de Bangui, le proviseur forme les enseignants locaux de biologie ou de physique aux manipulations et aux expériences en laboratoire. Mais, dès lors que leurs établissements ne disposent pas du même matériel que les nôtres, ces actions ne servent à rien. C’est pourquoi il faut non seulement renforcer le rôle de coopération des établissements publics, en donnant aux personnels la possibilité de s’y consacrer, mais aussi prévoir une action complémentaire avec d’autres établissements.

De même, le lien avec les établissements culturels est trop souvent ponctuel. Il ne suffit pas d’organiser une visite avec des élèves pour créer un véritable lien avec un établissement culturel.

M. André Schneider, Rapporteur. Qu’il faille tisser des liens avec l’environnement local me semble aller de soi, même si certaines formes de coopération n’entrent pas directement dans le champ de notre mission. En revanche, puisque notre objectif est de faire rayonner la France et le français dans le monde, j’aimerais savoir quelle est la situation à cet égard. De quelle manière évolue l’intérêt des pays étrangers pour l’enseignement en français ?

Par ailleurs, quel est votre sentiment sur la rotation des personnels ? Combien de temps les enseignants restent-ils à un poste ? Comment appréciez-vous sur place la proportion respective des personnels locaux, résidents et expatriés ?

M. Patrick Soldat. Notre attachement à la dimension publique du service de l’éducation à l’étranger n’est pas uniquement théorique ou idéologique. C’est pourquoi nous regrettons que le plan d’orientation stratégique élaboré par l’AEFE procède d’un mauvais diagnostic. En tant qu’enseignant du réseau de l’Agence, j’ai exercé au Danemark, puis à Madagascar et je suis actuellement en poste en Espagne, de sorte que j’ai pu observer des configurations très différentes. Partout, j’ai constaté de la part des usagers un fort attachement au caractère public de notre enseignement. Celui-ci est souvent pris pour modèle, et pas seulement par les familles francophones ou celles qui veulent faire apprendre le français à leurs enfants. C’est pourquoi nous souhaitons que l’AEFE ne renonce pas à son rôle d’établissement public.

Sur place, les enseignants comme les élèves participent au rayonnement de la France. Ils constituent une sorte de référence qui ne se limite pas à la sphère de l’éducation. Cependant, j’observe aujourd’hui beaucoup d’inquiétudes. On parle de partenariat et de projets, en distinguant quatre statuts : les établissements à gestion directe, les établissements conventionnés, les établissements homologués et les établissements sous label « MAEE », délivré par le ministère des Affaires étrangères et européennes. Si ces solutions ne sont pas satisfaisantes, c’est parce qu’elles procèdent d’une hypothèse erronée selon laquelle les parents qui mettent leurs enfants dans notre système éducatif feraient un acte de consommation.

Le principe de l’autofinancement oblige ces parents à acquitter des frais de scolarité de plus en plus élevés, tandis qu’il contraint les établissements à renoncer à certaines options ou à certaines possibilités qu’ils offraient aux élèves. À ce jeu, nous risquons de perdre notre spécificité. Or, je le répète, quand on évoque avec les familles les autres systèmes éducatifs, le système américain par exemple, on s’aperçoit qu’elles sont attachées à la touche française, qui privilégie la réflexion et l’analyse. Si l’on dilue le label « France » entre de nombreux opérateurs, sur lesquels on n’aura plus la main, il faudra renoncer à une qualité qui est au cœur du rayonnement de notre système éducatif à l’étranger.

J’ajoute que certains élèves issus de pays en voie de développement, qui ont eu accès à des bourses, ont ensuite intégré des écoles françaises prestigieuses, ce qui constitue manifestement une forme coopération. C’est pourquoi les familles qui résident à l’étranger – notamment celles dont les parents sont des personnels résidents ou détachés de l’éducation nationale – ne comprennent pas que, pour des raisons économiques, on refuse désormais de leur attribuer des bourses, alors même que d’autres bénéficient d’une scolarité gratuite.

Mme Pilar Struillou. La proportion respective des enseignants expatriés, résidents et locaux varie d’un pays à l’autre. À Mexico, sur quatorze classes de maternelle, on compte trois titulaires résidents pour onze contractuels locaux. La proportion est la même dans le cycle élémentaire, où l’on trouve un à deux titulaires par niveau, les autres enseignants étant sous contrat local. En Europe, le taux des titulaires résidents est de 80 à 90 %, pour très peu de contractuels locaux. Enfin, dans les pays difficiles, notamment pour des raisons politiques ou économiques, la proportion de résidents est plus importante, en raison de la faiblesse de ce qu’on nomme le « vivier local ».

L’inspecteur de zone est chargé de la formation initiale des contractuels locaux comme de la formation continue de tous les personnels enseignants. Toutefois, la situation s’étant dégradée ces dernières années, nous aimerions que la mission de formation de ces inspecteurs soit renforcée. Nos collègues sous contrat local doivent en effet s’adapter à une pédagogie spécifiquement française, dispensée dans les écoles normales ou les IUFM, et dont ils ne sont pas familiers. Dans les pays d’Amérique latine, où il n’existe plus d’école normale, des universitaires, des mères de famille, voire d’anciens résidents français se retrouvent tout à coup devant une classe sans avoir reçu de formation initiale. Il est important de les aider.

Quant à la question du rayonnement, un rapport d’Édufrance sur les anciens élèves du réseau français a souligné que les adultes qui se tournent le plus souvent vers la France sont ceux qui ont été à l’école primaire ou au collège dans notre système.

Lorsque l’AEFE a mis en place un véritable système d’orientation, avec une équipe issue de l’Éducation nationale, le pourcentage d’élèves choisissant de faire leurs études en France a augmenté de 50 %. C’est dire que, pour peu qu’elle s’en donne les moyens, l’Agence peut exercer une réelle influence dans ce domaine.

M. André Schneider, Rapporteur. Nous convenons tous de la nécessité de renforcer la formation initiale des enseignants. Leur bon niveau ne peut qu’aider au rayonnement de la France.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si la proportion des expatriés, des résidents et des recrutés locaux varie selon les pays, est-ce en raison du public auquel on s’adresse ?

Mme Pilar Struillou. Cela tient plutôt à l’histoire de chaque établissement, aux liens que tel pays a pu entretenir avec le nôtre et à sa proximité par rapport à la France. Chaque catégorie d’enseignants a une mission spécifique.

La plus courte est celle des expatriés. Leur nombre est désormais réduit : dans le primaire, les seuls expatriés sont les directeurs, et la direction des toutes petites structures est désormais assumée par des résidents.

Ceux-ci, qui représentent la plus grande partie des titulaires, signent des contrats de trois ans renouvelables plusieurs fois. Ils peuvent donc rester longtemps dans un pays et assurent à ce titre la pérennité des équipes. La loi de 1990 leur a donné un statut. Ils disposent désormais d’un salaire indiciaire, bénéficient d’une formation continue et peuvent travailler à l’étranger comme professeurs des écoles ou instituteurs. Ils contribuent à la stabilité du système, face aux directeurs qui changent tous les cinq ans et aux professeurs ou aux maîtres formateurs qui effectuent des missions courtes. En l’absence de maîtres formateurs, ils assurent également le suivi des contractuels locaux.

M. André Schneider, Rapporteur. Je suis un peu inquiet de vous entendre ainsi parler de stabilité. Cinq ans, c’est déjà long. À votre sens, combien de temps faut-il rester dans un établissement pour garantir sa stabilité ?

Mme Pilar Struillou. Si la loi de 1990 a donné à ces personnels titulaires, qui ont été formés, la possibilité d’exercer leur métier à l’étranger, c’est parce qu’ils représentent un apport essentiel en termes d’éducation et d’influence. Bien que leur rémunération soit pratiquement la même que celle qu’ils recevraient en France, leur rôle est primordial, notamment en raison de la formation continue dont ils bénéficient et de leur stabilité au sein de l’équipe pédagogique.

M. Roger Ferrari. On ne peut pas s’intéresser à l’enseignement français à l’étranger sans adopter une approche historique, car l’histoire joue un rôle déterminant sur la coopération, l’implantation des établissements ou l’état du réseau. Les jeunes qui fréquentent nos établissements sont attirés autant par la langue française que par la qualité de l’enseignement qui y est dispensé.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous sommes d’accord.

M. Roger Ferrari. S’il y a plus de recrutés locaux dans les établissements d’Amérique du Sud, c’est pour des raisons historiques – forte présence de l’Alliance française, nombre élevé de résidents français, attrait pour la langue française –, qui justifient que des enseignants locaux se soient investis dans ces établissements. Néanmoins, la situation a considérablement changé depuis quelques années. J’ai connu l’époque où l’on comptait plus de 2 700 enseignants ou directeurs expatriés ; ils ne sont plus que 1 200 aujourd’hui.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On compte actuellement 600 enseignants et 600 directeurs expatriés.

M. Roger Ferrari. Dans le premier degré, il n’y a pratiquement plus d’enseignants expatriés, alors qu’ils assuraient jadis la rotation du personnel, en effectuant généralement deux missions consécutives de six ans chacune. Aujourd’hui, la mobilité n’est plus assurée que de manière négative : les enseignants qui souhaitent partir à l’étranger ne trouvant plus de postes d’expatriés, ils acceptent ceux de résidents. De ce fait, ils ne restent en général que trois ans sur place, car la rémunération n’est pas toujours avantageuse, l’indemnité spécifique de vie locale n’est pas considérable et, après ce délai, ils ont le sentiment d’avoir fait le tour du pays. C’est ce qui explique qu’il y ait peut-être plus de mouvement aujourd’hui. Mais est-ce positif pour l’enseignement lui-même ? Rien n’est moins sûr.

Il est navrant que la qualité de réseau ne soit pas davantage prise en compte, et que seuls prévalent les critères économiques. Les postes d’expatriés sont supprimés. Le salaire des résidents, presque exclusivement supporté par les familles, n’augmente pas et leurs postes sont parfois remis en cause. Les recrutés locaux, dont la rémunération est encore moins importante, constituent la variable d’ajustement. Cette situation ne correspond pas à une décision pédagogique : le recours aux recrutés locaux obéit à des raisons purement financières.

M. André Schneider, Rapporteur. Ne voyez aucune malice dans ma question, mais, par rapport aux autres enseignants du pays, quelle est la situation d’un enseignant local recruté par un établissement français ?

M. Roger Ferrari. Il est mieux traité, puisqu’il perçoit dans un établissement français un salaire supérieur à celui qu’il recevrait dans un établissement local. C’est pourquoi ces enseignants sont attirés par les postes que nous leur offrons.

En 2000, nous avons mené en faveur des recrutés locaux une action qui a porté ses fruits, notamment dans les établissements en gestion directe. Mais, depuis cette date, en dépit des promesses du ministère, aucune amélioration n’est intervenue, par exemple en ce qui concerne leur couverture sociale.

M. André Schneider, Rapporteur. Quelles perspectives de carrière ont-ils, dès lors qu’ils répondent aux critères exigés ?

M. Roger Ferrari. Rien ne les empêche de rester dans les établissements.

Mme Pilar Struillou. Les contrats locaux concernent autant les Français installés à l’étranger qui n’ont pas le diplôme d’instituteur que les professeurs de langue. En Amérique latine, un enseignant d’espagnol sera beaucoup mieux payé par un établissement français que par un établissement public de son pays.

M. Roger Ferrari. Certains recrutés locaux enseignent d’autres matières que les langues, par exemple les mathématiques. Mais la pédagogie à l’œuvre dans le système éducatif local et celle d’un établissement français qui prépare au baccalauréat ne sont pas toujours les mêmes. Je l’ai observé au Liban, au lycée de Beyrouth, sous convention avec l’AEFE et géré par la Mission laïque : on peut enseigner les mathématiques en français sans pour autant appliquer la pédagogie des établissements français. Certains pays privilégient encore la répétition au détriment de la compréhension ou de l’expérimentation. D’où la nécessité de veiller à la formation des personnels locaux.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Existe-t-il un seuil de répartition optimal des différents types d’enseignants ? Mme Anne-Marie Descôtes, directrice de l’AEFE, considère qu’il ne faut pas descendre au-dessous d’un seuil de 600 enseignants expatriés, chiffre qui lui paraît suffisant, compte tenu de la taille du réseau. Partagez-vous son avis ?

M. Patrick Soldat. Mme Descôtes n’a pas tort de souligner qu’il ne faut pas descendre au-dessous d’un certain nombre d’expatriés, mais celui de 600 nous semble très insuffisant. Outre la question de la mobilité, il faut tenir compte de l’éloignement du pays par rapport à la France et de la difficulté de recruter des professeurs sur place. Dans certains pays comme le Congo, on manque d’enseignants car, contrairement à une idée répandue, il est très difficile de trouver à Pointe-Noire un détaché résident ou un recruté local qui puisse enseigner la philosophie. Quand nous avions prévenu l’Agence qu’il ne fallait pas supprimer certains postes, on ne nous a pas écoutés, mais, deux ans plus tard, il a fallu rétablir ceux qui avaient été supprimés.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Avez-vous établi une liste des pays dans lesquels vous considérez que la qualité, l’efficacité et la réputation de l’enseignement français sont compromises, faute d’un nombre suffisant d’expatriés ?

Mme Pilar Struillou. On peut citer le cas à Bangui, en République centrafricaine.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le cas échéant, il serait utile que vous nous transmettiez cette liste.

M. Patrick Soldat. En fait, il est difficile d’établir une carte des besoins en matière d’enseignants expatriés, car la situation diffère qualitativement d’un pays à l’autre. Dans certains cas, par exemple au Maroc, les besoins sont considérables, parce que le réseau est dense, alors que d’autres pays ne disposent que d’un seul établissement d’enseignement français, qui, de la maternelle à la terminale, n’accueille pas plus de 500 élèves. Il faudrait également affiner la situation discipline par discipline : il est difficile de recruter des enseignants en physique ou en SVT. En outre, les besoins locaux imposent parfois de rechercher certains profils très précis, ce qui pose problème. Mieux vaut recruter un expatrié si l’on cherche un enseignant formateur ou un directeur ; mais, dans d’autres cas, le problème est, non d’envoyer sur place un expatrié surprofilé, mais tout simplement de mettre un enseignant devant les élèves.

M. Roger Ferrari. Nous aussi, nous contestons le chiffre avancé par Mme Descôtes. À nos yeux, il faudrait beaucoup plus que 600 enseignants expatriés, car ils sont les seuls à pouvoir assurer la mobilité des personnels. Pour citer à nouveau l’exemple du Congo, à Pointe-Noire, pour sept postes de résidents déclarés vacants – ce qui témoigne de conditions de travail peu attrayantes –, on a reçu vingt et une candidatures, ce qui est dérisoire au vu du nombre moyen de demandes pour chaque poste d’expatrié.

Quand l’Agence a commencé à supprimer massivement les postes d’expatriés, la consigne était de maintenir un expatrié par discipline. Elle a considéré ensuite qu’il fallait un expatrié par groupe de disciplines. Aujourd’hui, le mot d’ordre est que l’on n’a plus du tout besoin d’enseignants expatriés. C’est pourquoi je suis sceptique à l’égard des chiffres officiels. Pour ma part, à défaut de pouvoir obtenir un expatrié par discipline, je considère qu’il faudrait au moins un expatrié par groupe de disciplines.

Si l’on veut éviter que des enseignants expatriés ne se promènent de postes en postes à travers le monde, il suffit de n’envoyer à l’étranger que des professeurs qui enseignent en France, et qui rejoindraient la France après cette expérience.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Le problème est de savoir quel est le nombre minimum d’expatriés à maintenir.

M. Roger Ferrari. Il faut aussi tenir compte du fait qu’à certains endroits, on ne peut pas du tout recruter localement, ce qui justifie l’existence d’un poste d’expatrié. À Lagos, deux postes d’expatriés ont été supprimés, l’un en lettres classiques, l’autre en allemand. L’Agence, qui se targuait de les pourvoir avec des enseignants résidents, n’a trouvé aucun candidat. Du coup, on a recruté un professeur d’enseignement général de collège – PEGC – pour enseigner le français et un Nigérian qui parle un peu l’allemand.

M. André Schneider, Rapporteur. Soyons plus précis sur le nombre moyen de candidats par poste d’expatrié ouvert au recrutement. En 1973, la première fois que j’ai posé ma candidature, il y avait cinquante demandes par poste, et j’ai dû attendre cinq ans avant qu’on m’en propose un.

Il reste un paradoxe : vous dénoncez une situation difficile en termes de personnel, mais la qualité de l’enseignement et le taux de réussite au baccalauréat sont bien supérieurs dans les établissements français à l’étranger qu’en métropole.

Mme Pilar Struillou. C’est juste. Le taux de réussite au baccalauréat est compris en 98 et 100 %, ce qui montre que les enseignants ont bien fait leur travail.

Pour avancer un chiffre, nous souhaiterions qu’il y ait un directeur expatrié par école primaire. À Madagascar, les postes de direction ont été supprimés dans chacune des quatre écoles primaires de Tananarive. C’est regrettable compte tenu de l’histoire de ce réseau en particulier et de l’importance des missions assurées par un directeur dans le réseau : première partie de la formation des contrats locaux, relations avec les parents d’élèves, gestion administrative d’écoles comprenant parfois trente à quarante-trois classes. Par exemple, l’Agence n’a trouvé personne pour diriger l’école primaire de Bogota, qui compte quarante-trois classes, alors que les candidats seraient plus nombreux si l’on affectait un directeur à la tête de chacun des trois cycles.

M. Roger Ferrari. Trois facteurs expliquent les bons résultats que vous avez rappelés. Les élèves des établissements français sont issus de milieux sociaux aisés et cultivés, ce qui les aide à mieux réussir leurs études. Le nombre d’élèves par classe est généralement réduit, ce qui, contrairement à ce que prétendent certaines hautes instances de l’Éducation nationale, n’est pas sans incidences sur les résultats scolaires. Enfin, l’effectif des personnels d’encadrement est généralement plus important dans ces établissements qu’en France.

Cependant, aucune étude de cohortes n’ayant été entreprise, au motif qu’elles sont trop compliquées à réaliser, nous ne disposons d’aucune statistique. Ainsi, les élèves en échec qui sortent de ce système ne sont pas comptabilisés. Quand ils rentrent en France, nous ne savons pas ce qu’ils deviennent. En outre, nous ignorons toujours les conclusions du rapport Schneiter et le contenu du plan stratégique présenté au conseil d’administration le 15 mars, qui, semble-t-il, ne suscite pas l’adhésion de Bercy.

Mme Pilar Struillou. Du fait de l’augmentation récente des frais de scolarité, les enfants des universitaires, qui ne sont pas payés aussi bien que les négociants, doivent quitter nos établissements, alors que ce public participait à la mission d’influence de la France. On le voit au lycée franco-mexicain de Mexico, qui possède deux antennes : Polanco, au nord de la ville, et Coyoacan, au sud. La seconde voit partir un grand nombre d’enfants d’universitaires, qui travaillent dans la zone de la UNAM, l’université nationale autonome du Mexique. Il est regrettable que ces enfants qui baignent dans un milieu remarquable sur le plan culturel, et qui sont propres à assurer à la France, qui les a formés, une sorte de « retour sur investissement », ne puissent plus rester dans nos établissements.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Vous pensez que l’augmentation des droits d’écolage met toute une catégorie de la population à la porte de nos écoles ?

M. Roger Ferrari. Oui, la plupart des enfants d’intellectuels.

Mme Pilar Struillou. C’est très grave.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Considérez-vous que l’évolution de la prise en charge joue aussi un rôle négatif à cet égard ?

Mme Pilar Struillou. Oui.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Cependant, il y a quinze jours, en me rendant à l’Assemblée des Français de l’étranger, j’ai constaté que la moitié de présents soutenait cette mesure, à laquelle l’autre moitié était très défavorable. Je pensais qu’elle suscitait davantage d’hostilité.

M. Roger Ferrari. Pour le budget des établissements publics, cette mesure est une catastrophe. Depuis plusieurs années, les crédits de fonctionnement ont diminué et les crédits publics ne permettent plus de couvrir les augmentations de salaires. Les cotisations patronales pour pension civile...

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Qui sont de 6 %.

M. Roger Ferrari. …ne sont plus totalement acquittées par l’Agence. Une telle politique manque totalement de cohérence avec les propos du Président de la République sur l’autofinancement des établissements publics. Si les entreprises payaient autrefois les droits de scolarité des personnels expatriés, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Autant de financements perdus pour l’AEFE ! C’est pourquoi les mesures qui ont été prises sont effectivement contre-productives.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Il me semble que le débat est plus ouvert que vous ne le dites. Admettons que la prise en charge soit prolongée, comment pallier ses conséquences négatives sur le budget de l’AEFE ? Faut-il considérer que la prise en charge doit être totalement indépendante de l’AEFE, au motif qu’elle ne concerne pas ses missions propres ?

Mme Pilar Struillou. Je ne suis pas experte en économie, mais je suis frappée du fait que la prise en charge, désormais intégrée à l’aide à la scolarité, au même titre que les bourses, a contraint le budget de celles-ci. C’est-à-dire que les familles qui connaissent le plus de difficultés n’y auront pas accès, alors que le nombre de demandes ne cesse d’augmenter actuellement à cause de la crise.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Seriez-vous favorable à un système calqué sur ce qui se passe en France, c’est-à-dire fondé sur la gratuité de l’enseignement assortie de l’octroi de bourses aux familles qui en ont le plus besoin ?

Mme Pilar Struillou. Oui.

M. Roger Ferrari. Nous préférerions la suppression de la prise en charge et le retour à l’attribution de bourses scolaires en fonction de critères de revenus.

Une solution intermédiaire consisterait à faire gérer ces frais par les consulats, sans qu’ils interfèrent avec le budget de l’AEFE. Certains sénateurs nous ont fait remarquer que le budget de l’Agence n’avait jamais été bien doté qu’aujourd’hui, mais les 60 millions d’euros qu’elle reçoit actuellement ne lui sont pas destinés en propre.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Considérez-vous que le ministère de l’Éducation nationale est suffisamment impliqué dans le dispositif ?

M. Roger Ferrari. Dès la création de l’Agence, nous étions favorables à une cotutelle du ministère des Affaires étrangères et de celui de l’Éducation nationale. On nous a même reproché, en tant que syndicalistes, d’avoir pactisé avec des parlementaires de droite en soutenant ce point de vue.

À nos yeux, le ministère de l’Éducation nationale doit être présent non seulement comme intervenant pédagogique ou financier, mais pour assurer un réel service d’éducation. Dans ce domaine, le personnel de l’Éducation nationale est plus compétent que celui des Affaires étrangères. Ainsi, quand un inspecteur général de l’Éducation nationale rédige un rapport, il le fait en toute indépendance. Ce n’est pas le cas de ceux qui sont rattachés à l’Agence.

M. André Schneider, Rapporteur. Pour avoir posé la question à tous nos interlocuteurs, je suis tout à fait d’accord avec vous tant pour la formation que pour la certification et l’évaluation des personnels.

M. Roger Ferrari. J’ajoute que les conseillers d’orientation psychologues, dont le rôle est actuellement remis en cause en France, jouent un rôle indispensable.

M. Patrick Soldat. Il faut créer des postes dans ce domaine.

M. Roger Ferrari. Oui, il faut en créer sur place, car il ne suffit pas d’envoyer ponctuellement du personnel si l’on veut améliorer le chaînage entre l’enseignement secondaire français à l’étranger et l’enseignement supérieur en France. Mieux orienter les élèves permet de les garder.

En outre, il faut développer les spécificités de notre système éducatif. Ni les conseillers d’orientation psychologues ni les conseillers principaux d’éducation n’existent dans le système éducatif anglo-saxon. L’encadrement de la vie scolaire est une spécificité française qui doit être maintenue.

Mme Pilar Struillou. Les maîtres formateurs jouent également un rôle essentiel dans notre système éducatif.

M. Roger Ferrari. La politique officielle de l’Agence est qu’il faut développer les spécificités françaises ; mais, quand nous demandons que des mesures soient prises dans ce domaine, on nous répond que les moyens manquent et qu’il y a d’autres priorités.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Votre contribution a été d’un grand intérêt. Si vous le souhaitez, n’hésitez pas à la compléter par écrit.

M. Georges Tron, Président. Merci à tous.

Audition du 1er avril 2010

À 9 heures 30: M. Alain de Pouzilhac, président-directeur général de la société Audiovisuel extérieur de la France (AEF), Mme Christine Ockrent, directrice générale déléguée, Mme Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde, ainsi que Mme Lidwien Van Dixhoorn, chef du service langue française à RFI.

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Soyez vivement remerciés d’avoir accepté notre invitation à cette audition de la mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’enseignement français à l’étranger.

Destinée à contrôler l’exercice d’une mission de service public, la MEC réunit des parlementaires membres de commissions et de groupes politiques différents qui travaillent de façon consensuelle. En l’occurrence, outre votre serviteur, membre de la commission des Finances, Hervé Féron, membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et André Schneider, membre de la commission des Affaires étrangères, rapporteront l’ensemble des débats. J’ajoute que M. Gilles Andréani, conseiller maître à la Cour des comptes – qui a eu naguère l’occasion de contrôler l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel extérieur de la France (AEF) – représente aujourd’hui cette institution.

Je vous propose de commencer par nous dire quel est votre rôle dans l’enseignement français à l’étranger et quelles propositions vous paraissent devoir être formulées dans ce domaine.

M. Alain de Pouzilhac, président de la société Audiovisuel extérieur de la France (AEF). Christine Ockrent et moi-même avons été nommés en 2008 par M. le Président de la République afin de moderniser et de dynamiser l’audiovisuel extérieur de la France. Ainsi sommes-nous constamment attentifs à améliorer l’efficacité des sociétés que nous contrôlons directement – RFI, France 24, Monte Carlo Doualiya –, notamment en nous efforçant de réduire les coûts. J’ajoute que si, jadis, ces dernières fonctionnaient de manière autonome et non coordonnée, nous veillons aujourd’hui à établir des synergies tant sur le plan des contenus que de la distribution, du multimédia ou des études, etc… – il en est d’ailleurs de même avec TV5 Monde, en particulier s’agissant de l’enseignement du français à l’étranger, mission que nous jugeons très importante. En effet, depuis l’accord intervenu entre les ministres des pays non français francophones – Suisse, communauté française de Belgique, Canada, Québec – et leurs homologues français cette chaîne n’est pas considérée comme une filiale de l’AEF mais comme un partenaire autonome : ainsi que l’a souhaité le Gouvernement français, avec 49 % du capital et deux administrateurs sur douze, AEF est minoritaire au sein de son conseil d’administration. Cette autonomie n’entrave en rien notre excellente collaboration et nos relations de confiance et de transparence et nous nous félicitons, en particulier, d’avoir nommé Mme Marie-Christine Saragosse directrice générale de la chaîne. Nous soutenons tous les développements stratégiques et financiers de TV5 Monde.

Enfin, parce que la mondialisation et la révolution technologique modifient considérablement l’environnement dans lequel nous travaillons, il est particulièrement important qu’un groupe de médias français public, moderne, compétitif et à dimension internationale diffuse dans le monde entier nos valeurs, notre culture et notre langue. Notre mission consiste aussi, en effet, à participer au rayonnement de notre pays, de sa culture et de sa langue, que ce soit en français ou en d’autres langues, francophonie et francophilie étant pour nous des objectifs étroitement liés.

Mme Christine Ockrent, directrice générale déléguée de l’AEF. L’orientation de la réforme voulue par le Président de la République il y a deux ans correspond bien aux préoccupations de votre mission.

La première grande caractéristique en est la complémentarité entre RFI, grande et vénérable radio internationale qui diffuse depuis cinquante ans quantité d’émissions visant à promouvoir notre langue, TV5 Monde, qui constitue l’organe généraliste par excellence de la francophonie et France 24, chaîne d’information continue. Ces trois entités s’emboîtent ainsi parfaitement pour remplir un certain nombre de missions.

La deuxième caractéristique est l’impact mondial de cet ensemble. J’insiste particulièrement sur le développement de RFI et TV5 Monde en Afrique, continent dont l’expansion démographique constitue le meilleur vecteur de la francophonie. L’accroissement des audiences de RFI – avec la conquête d’un auditoire plus jeune – et de France 24 est continu et, pour cette dernière, spectaculaire puisqu’elle est devenue, en trois ans seulement, la première chaîne étrangère d’information dans la plupart des pays africains.

Troisième caractéristique : être au service de missions de service public réalisées avec des outils et des approches spécifiques.

La quatrième caractéristique répond particulièrement au thème qui est le vôtre puisqu’il s’agit de la pédagogie grâce à laquelle ces médias s’efforcent de répondre aux préoccupations des enseignants, des apprenants et des « citoyens du monde » unis par une même langue et par une même vision.

Mme Marie-Christine Saragosse, directrice générale de TV5 Monde. Véritable outil d’apprentissage du français, TV5 Monde œuvre depuis 25 ans à la promotion de notre langue. Elle est un premier outil de sensibilisation et d’immersion en français. Sous-titrées en dix langues, ses émissions visent un public francophile, comme aux États-Unis où 57 % de nos téléspectateurs sont Américains et bénéficient de la sorte d’un premier contact avec notre langue. À partir de là, les enseignants nous ont poussés à développer un dispositif moderne d’apprentissage et d’enseignement du français rendant notre langue particulièrement attractive : le programme interactif et multimédia « Apprendre et enseigner avec TV5 Monde » est ainsi au cœur de notre plan stratégique 2009-2012 au service de la communauté éducative internationale mais, également, du réseau culturel français à l’étranger – instituts, alliances françaises, lycées – ainsi que des apprenants qui travaillent de façon autonome.

Au centre de ce dispositif se trouve un magazine de 26 minutes, Sept jours sur la planète, réalisé par la rédaction de TV5 Monde à partir des journaux ; sous-titré en français, et diffusé chaque samedi matin sur notre réseau de neuf signaux : ce dispositif comprend dix reportages dont trois sont l’objet d’une « pédagogisation » immédiate, mise en ligne dès leur diffusion ; les professeurs peuvent ainsi les utiliser directement en classe. Ils sont aussi l’objet de transcriptions intégrales, peuvent être téléchargés et les interviews sont disponibles sur You Tube. Nous jouons ainsi résolument la carte des réseaux sociaux et des nouveaux médias. Ce magazine a reçu en 2006 le label européen des langues. Par ailleurs notre dispositif comprend également une partie thématique dans laquelle plusieurs sujets sont traités au travers d’extraits de nos émissions : l’Europe, la bande dessinée, la gastronomie, les musées, les écrivains, les voyages, les grandes métropoles, etc., et il répond aux normes du cadre européen commun de référence des langues.

Depuis un mois, nous avons lancé Première classe – dispositif dédié aux grands débutants avec une interface en anglais, en allemand et en espagnol (à terme l’ensemble des dix langues de TV5 Monde, dont le japonais et l’arabe) – ainsi qu’un entraînement gratuit au test de connaissance du français (TCF) indispensable pour s’inscrire à l’université dans notre pays. En un mois, nous avons dénombré pas moins de 200 000 connexions pour Première classe.

Destinée aux enseignants, la rubrique « Enseigner le français » est la plus ancienne. Elle comprend des fiches téléchargeables sur les thèmes précédemment cités auxquels s’ajoutent le théâtre, le cinéma ou la chanson. En outre, nous venons d’élaborer des parcours pour les tableaux blancs interactifs Smart Board dont le succès ne se dément pas – de même, d’ailleurs, que celui de la Web TV pour les enfants que nous avons lancée au mois de juin 2009, afin que le français ne soit pas seulement la langue de la salle de classe mais aussi celle de la cour de récréation, voire du quotidien.

« Apprendre et enseigner avec TV5 Monde » se situe aux côtés de la rubrique « Langue française » de notre site dans laquelle figurent également un remarquable dictionnaire multifonctions ainsi qu’un grand nombre de jeux sur la langue française. En 2009, nous avons dénombré plus de 20 millions de visites – ce qui représente 100 millions de pages visionnées ; 2,6 millions de pages d’exercices interactifs ont été quant à elles traitées à la seule rubrique « Apprendre et enseigner » – soit un exercice réalisé en ligne toutes les 12 secondes – et 556 000 fiches pédagogiques ont été téléchargées, soit une toutes les 56 secondes.

Les enseignants et les apprenants constituent l’essentiel de notre public, 100 000 d’entre eux, également répartis, étant abonnés à notre lettre bimensuelle. Nous disposons également d’un réseau d’une cinquantaine de « formateurs de formateurs » labellisés « TV5 Monde » et nous formons ainsi en moyenne 5 000 enseignants par an souvent en collaboration avec RFI. J’ajoute qu’avec le soutien du ministère des Affaires étrangères et européennes nous travaillons avec RFI à l’élaboration d’un kit « mode d’emploi des médias ».

Enfin, parmi nos partenaires figurent : la Fédération internationale des professeurs de français (FIPF), le Centre international d’études pédagogiques (CIEP), l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger (AEFE), le ministère des Affaires étrangères et européennes, l’organisation internationale de la francophonie (OIF), l’agence universitaire de la francophonie (AUF), la Commission européenne, Atout France et plusieurs de nos régions – dont Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Alsace, Bretagne, Limousin, Rhône-Alpes, PACA –, la maison d’édition Hachette – qui utilise nos documents authentiques –, le ministère de l’Éducation nationale – en particulier lors de la Semaine de la presse à l’école –, des experts pédagogiques, le centre d’approches vivantes des langues et des médias (CAVILAM), ainsi que les alliances françaises de Paris, Lyon, Grenoble, Strasbourg, New York, Dublin et Bruxelles, la chambre de commerce et d’industrie de Paris, l’université de Paris-VIII et l’université catholique de Louvain. J’ajoute que nous venons de lancer la première application d’apprentissage du français sur Iphone avec une interface en anglais – nous préparons les interfaces en espagnol et en allemand.

M. Alain de Pouzilhac. C’est un outil à la fois ludique et pédagogique qui permet de très bien apprendre le français.

Mme Lidwien Van Dixhoorn, chef du service « langue française » à RFI. Même si la radio constitue bien entendu un support exclusivement oral pour l’apprentissage des langues, l’offre de RFI ressemble assez sensiblement à celle de TV5 Monde.

Depuis 1986, la mission de RFI consiste à promouvoir la langue française et à soutenir son enseignement. Son influence repose sur les auditeurs qui, à l’étranger, lui ont fait confiance alors que ni l’Internet ni l’Iphone n’existaient encore. Radio mondiale multilingue, grand public, facile d’accès, elle diffuse sur les ondes mais aussi sur l’Internet et, bientôt je l’espère, sur Iphone, des émissions de sensibilisation à la langue française à partir de concepts innovants dont celui des fictions bilingues qui rencontrent beaucoup de succès.

Radio d’actualité, RFI propose chaque jour aux enseignants des émissions pouvant être étudiées dans les classes. Ainsi mettons-nous quotidiennement en ligne le script du Journal en français facile, émission réalisée par des journalistes de la rédaction qui est téléchargée 3 000 fois par jour contre 500 pour les magazines les plus populaires et que certains n’hésitent pas à qualifier d’exemplaire en raison, notamment, de ses vertus pédagogiques.

RFI est aussi un média francophone mondial multi-support qui diffuse des émissions consacrées à la langue française. Ainsi, Yvan Amar anime deux émissions quotidiennes : Danse des mots, dédiée à l’actualité de notre langue, aux politiques linguistiques, aux évolutions des usages ainsi que Les mots de l’actualité, magazine déjà ancien qui n’en demeure pas moins très populaire, notamment en Afrique. Les non-francophones s’intéressent plus particulièrement aux émissions de sensibilisation à la langue française dont L’affaire du coffret, feuilleton quotidien de cinq minutes qui présente l’enquête policière à Paris d’un étranger dont le salut dépend de la maîtrise de la langue. Les ambiances des gares, des marchés y sont également reconstituées en autant de séduisantes « cartes postales sonores ». Adaptées en 14 langues, diffusées en dix langues sur RFI, ces émissions motivent par ailleurs considérablement les élèves à travers les adaptations dont elles font l’objet : ainsi avons-nous lancé L’affaire du coffret à Damas – que diffusera également Radio Monte Carlo Doualiya – et à Madagascar où des concepteurs locaux, enseignants formés par RFI, ont préparé une suite, Nos ancêtres les pirates, diffusée par la radio nationale malgache et qui a trouvé son public. Enfin, une nouvelle fiction bilingue pour l’Afrique sera exploitée dans le cadre de projets éducatifs locaux et diffusée par RFI en versions franco-anglaise, franco-haoussa, franco-swahilie – reposant sur ce principe sont en cours à destination de l’Afrique, le monde arabe étant quant à lui demandeur de séries consacrées au français économique. À destination de l’Asie nous envisageons de créer des séries qui seront sans doute diffusées exclusivement sur téléphones mobiles.

De plus, toutes nos émissions sont diffusées sur notre site Internet, qui comporte d’ailleurs des ressources pédagogiques pour les professeurs de français et les apprenants. La rubrique intitulée Dossiers pour la classe s’organise autour d’un certain nombre de thématiques – développement durable, économie, droits de l’enfant, droits de l’homme, etc. – des extraits d’émissions de RFI aisément téléchargeables sont mis en ligne de même que des fiches pédagogiques directement utilisables ou des exercices d’écoute pour les auto-apprenants. Ces dernières rencontrent d’ailleurs un beau succès puisque 4 000 d’entre elles sont utilisées chaque jour. Nous avons également créé un blog commun à l’ensemble des professeurs de manière à fédérer le plus grand nombre possible d’auditeurs. Enfin, notre site « langue française » est visité par 250 000 personnes par mois – notamment en Asie, en Amérique du Nord et du Sud et en Europe de l’Ouest – qui visionnent 1 million de pages.

J’ajoute que nous avons formé avec TV5 Monde 3 000 professeurs de français l’année dernière, notamment en Afrique et en Europe.

Enfin, nous travaillons avec l’Union européenne – notamment à la production de séries de promotion des langues - mais également avec l’OIF, le ministère des Affaires étrangères et européennes, le CIEP, le comité régional d’éducation sur les médias d’information (CREMI), TV5 Monde – en l’occurrence, sur une application intitulée Learn with the news – ainsi que des partenaires privés comme Hachette et CLE International.

M. André Schneider, Rapporteur. À partir de mardi et pendant trois jours, je présiderai à Yaoundé la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie (APF) où je ne manquerai pas de me faire l’écho de certains de vos propos.

Plus précisément, pourriez-vous décrire les grands axes de développement de la francophonie en Afrique ?

M. Alain de Pouzilhac. C’est bien évidemment en Afrique que l’on développe le plus le français et que nos audiences sont les meilleures – 85 % de l’audience veille de RFI. Nous y promouvons en particulier une politique dite des « langues véhiculaires » – le swahili et le haoussa actuellement, plusieurs autres au total à la fin 2011 – afin qu’elles servent de support pédagogique à la transmission du français.

Mme Christine Ockrent. Dans la plupart des pays d’Afrique francophone – à l’exception notable du Congo-Kinshasa où nos émetteurs sont coupés, mais où nous ne désespérons pas de les remettre en service – l’audience de RFI augmente à nouveau, rajeunit un peu mais continue à souffrir d’un manque de féminisation, raison pour laquelle nous travaillons à améliorer notre offre afin de mieux refléter la formidable évolution des sociétés africaines, dans laquelle les femmes jouent un rôle essentiel.

Fait notable : l’audience de France 24 auprès du grand public est spectaculaire en Afrique francophone, notamment à Yaoundé où elle atteint 24 %.

Mme Marie-Christine Saragosse. Ce sont 22 millions de personnes qui regardent chaque semaine TV5 Monde en Afrique. Notre audience croît d’ailleurs parallèlement à celle de France 24, ce qui confirme notre complémentarité.

En outre, depuis plusieurs années, nous avons développé sur ce continent un réseau de maisons de TV5 Monde – l’équipement laissant à désirer de ce point de vue, à la différence notable du réseau de téléphonie mobile, très performant, puisque plus de 20 % de la consultation de notre site mobile provient de l’Afrique contre 14 % pour le site fixe. Au total, après l’inauguration de deux maisons au Burundi et alors que la République démocratique du Congo vient de faire deux demandes, leur nombre s’élève à 20. Ces maisons sont équipées de bornes Internet. Des concours sur la langue française, dotés par TV5 Monde, y sont organisés.

Par ailleurs, nous avons réalisé avec RFI un certain nombre de « formations de formateurs » dont trois dédiées à l’usage des médias dans les classes de français langue étrangère (FLE) au bénéfice des enseignants du réseau des centres de français langue étrangère d’Afrique (RECFLEA) lancé par le ministère des Affaires étrangères et européennes et l’OIF. Ce fut plus précisément le cas dans le Village Français du Nigeria, au Bénin et au Togo ; TV5 Monde a également labellisé un formateur au Cameroun et participe avec l’OIF à l’Initiative francophone pour la formation à distance des maîtres (IFADEM) africains.

En tant qu’opérateur de la francophonie, nous venons d’intégrer l’Union africaine où nous développons plus particulièrement un programme de formation des diplomates non francophones à Addis-Abeba. Enfin, nous lançons le 25 mai une Web TV intégralement consacrée à l’Afrique 24 heures sur 24 – avec des documentaires, des fictions, des magazines – notamment dans le cadre de partenariats avec les jeunes télévisions africaines qui voient le jour un peu partout, souvent, d’ailleurs, dans des langues locales comme, à Dakar, en wolof.

M. André Schneider, Rapporteur. Quel est votre taux de pénétration au Nigeria ?

Mme Christine Ockrent. France 24 et RFI y sont bien positionnées, grâce à l’haoussa. Il n’en demeure pas moins que ce pays reste très protectionniste vis-à-vis des médias étrangers.

Par ailleurs, nous préparons un programme d’expansion important au sein de l’Afrique anglophone de manière à ce que l’extraordinaire impact de nos médias en français puisse s’accroître dans cette zone du monde où la concurrence des groupes locaux et régionaux devient féroce, sans que nous l’ayons jusqu’ici suffisamment pris en compte.

M. Alain de Pouzilhac. J’ajoute que, concurrents de la BBC et de Voice of America, nous avons passé un accord avec Voice of Nigeria afin d’accroître la présence de l’haoussa et du swahili.

M. André Schneider, Rapporteur. Nous venons de créer une section nigériane de l’APF et je puis vous assurer que ce pays n’est effectivement guère d’accès facile.

Mme Marie-Christine Saragosse. J’ajoute que, depuis un an, nos programmes à destination de l’Afrique anglophone sont sous-titrés en anglais et que nous allons dédier un signal spécial à cette zone en 2010.

Par ailleurs, nous sommes présents au Nigeria – l’an dernier, nous étions partenaires du cinquantenaire des alliances françaises et du lycée français – mais il est vrai que ce pays n’est pas facile et que notre langue y rayonne un peu moins.

Mme Christine Ockrent. Au Cameroun, pays bilingue appartenant à la fois à la francophonie et au Commonwealth, nous avons obtenu un nouvel émetteur pour RFI dans la partie anglophone du pays, les dirigeants étant très attentifs à ce que la promotion du français passe aussi par le prisme de l’anglais.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Monsieur de Pouzilhac, je suis d’autant plus heureux de vos propos sur la francophonie que ce mot, comme s’il était victime de connotations historiques négatives, est trop souvent absent des auditions relatives à l’action extérieure de la France. Je crains donc que, ce vocable tu, la belle idée francophone ne disparaisse et que les anglicismes ne se multiplient. Si nous ne pouvons plus rêver à une hégémonie de notre langue, ne doit-on pas se battre pour qu’elle devienne la deuxième langue la plus parlée sur la planète ? Ne devrions-nous pas de surcroît nous montrer plus déterminés à relever fièrement ce flambeau éclairant nos valeurs et notre histoire et contribuant à former tant de personnes ?

En outre, si je me félicite de l’étendue du champ d’action des chaînes que vous représentez, ne pensez-vous pas que des progrès sont encore à réaliser afin de créer plus de synergies avec, par exemple, l’AEFE, les alliances françaises ou les centres culturels ?

Enfin, au-delà de la complémentarité dont il a été question, ne peut-on accroître la cohérence de l’ensemble du système afin notamment de mieux couvrir les territoires tout en tenant compte de la spécificité de chaque situation nationale ?

M. Alain de Pouzilhac. La francophonie est au cœur de notre action : « ma langue, ma culture, mon pays »… Néanmoins, si nous devons soutenir fermement la francophonie, nous devons tout autant nous battre sur le front de la francophilie, de la culture et de l’art de vivre afin d’amener progressivement ceux qui ne parlent pas français à s’intéresser à notre langue. Nous essayons donc de gagner des parts de marché à travers, par exemple, les sous-titrages en dix langues permettant ensuite de promouvoir nos valeurs. Ainsi, nous nous efforçons de relancer Monte Carlo Doualiya, radio arabophone qui ne compte plus aujourd’hui que 5 millions d’auditeurs, contre 25 millions il y a sept ou huit ans. Le développement de notre langue constitue donc une de nos priorités fondamentales : qu’elle soit moins parlée et c’est l’esprit français qui disparaîtra, donc l’influence de notre pays dans le monde.

Mme Christine Ockrent. Nous sommes très concernés par la qualité de notre langue. J’observe à ce propos que, si les journalistes de RFI, France 24 et TV5 Monde parlent un bon français, tous nos médias ne peuvent en dire autant…

M. André Schneider, Rapporteur. Venez avec moi à Yaoundé, madame Ockrent, vous nous aiderez à user de la francophilie pour faire des francophones !

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur vos confrères et néanmoins concurrents, par exemple la BBC ? Avez-vous les moyens de vos ambitions ?

M. Alain de Pouzilhac. Si, sur un plan qualitatif, nous ne sommes pas inférieurs à la BBC, nous sommes submergés sur un plan quantitatif : la différence de moyens est de l’ordre de un à dix. Ainsi, même si nous sommes en train de combler notre retard, la BBC a-t-elle considérablement développé l’apprentissage de l’anglais à travers les langues véhiculaires.

Défendant les idéaux démocratiques, le projet de Voice of America est quant à lui moins linguistique que politique.

Mme Christine Ockrent. Dans ce monde de plus en plus concurrentiel, on voit se profiler des concurrents autrement plus dangereux, qui ne véhiculent pas du tout les mêmes valeurs que nous : l’agence Chine Nouvelle a ainsi annoncé le mois dernier que le gouvernement chinois s’apprête à investir pas moins d’un milliard d’euros dans le développement de programmes radios ou télévisions en langues étrangères. Désormais, où que ce soit en Afrique, les programmes chinois sont diffusés… dans un français impeccable.

M. Alain de Pouzilhac. Dans huit mois, c’est une édition d’Al Jazeera en français qui verra le jour.

Mme Christine Ockrent. Pour notre part, nous sommes en négociations avec le Qatar pour créer une radio en français à partir des programmes de RFI.

Mme Marie-Christine Saragosse. Le site de la BBC ne manque pas d’intérêt et nous n’hésitons pas à nous en inspirer, en particulier pour développer le « français sur objectifs spécifiques » (FOS) dans les domaines économique et touristique.

J’ajoute que les Anglais disposent de moyens considérables pour faire ce dont je rêve : développer une communauté d’apprenants avec un système de tutorat, en particulier grâce aux réseaux sociaux. Ce serait tout à fait réalisable si nous disposions du personnel nécessaire.

Un petit « cocorico » tout de même : la BBC est venue nous voir au salon Expolangues afin de s’inspirer de notre exemple en matière de « contenus télé », notamment en ce qui concerne la gestion des droits.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Les synergies avec l’AEFE, l’Alliance française ou le centre national d’enseignement à distance (CNED) sont-elles satisfaisantes ou des améliorations sensibles – sans qu’elles puissent jamais compenser le manque de moyens vis-à-vis de vos grands concurrents, hélas – permettraient-elles d’accroître votre efficacité ?

Mme Lidwien Van Dixhoorn. RFI a eu l’occasion de produire une série de cours avec le CNED lorsque ce dernier envisageait de s’investir dans le FLE. Au final, nos cibles ne sont pas exactement les mêmes : le CNED s’investit dans la formation de Français expatriés et nous demeurons quant à nous dans la perspective du « français langue étrangère » en travaillant avec le CIEP et en préparant, notamment, les TCF.

J’ajoute que la plupart de nos projets sont réalisés également en partenariat avec des institutions spécialisées dans la pédagogie, telles que l’Alliance française ou l’OIF.

Mme Marie-Christine Saragosse. Je souscris à ce qui vient d’être dit : nous travaillons en permanence en partenariat dans le domaine du FLE et la mise en commun des moyens dont nous disposons prévient toute gabegie. Je rappelle, de surcroît, que notre budget est en la matière inférieur à 500 000 euros, y compris en intégrant les salaires et les loyers. Par ailleurs, nous bénéficions de crédits extérieurs, de l’Union européenne, et surtout, à hauteur de 330 000 euros, auprès de nos partenaires institutionnels francophones.

J’ajoute que le tutorat qui me tient tant à cœur pourrait sans doute être mis en place grâce aux 693 départements de français de l’Agence universitaire de la francophonie (AUF) dont les étudiants sont très aguerris.

Enfin, le CIEP nous a demandé de concourir à l’intégration des migrants en les aidant à préparer le diplôme initial de langue française (DILF). La mairie du XVIIe arrondissement de Paris m’a aussi demandé si nous pouvions organiser une formation de formateur en France, le sous-titrage de nos émissions en dix langues pouvant se révéler également très utile dans notre pays. Il faut donc tenir compte du territoire national dans notre réflexion sur le FLE.

Mme Christine Ockrent. Par rapport aux langues anglaise et espagnole, la multiplicité des acteurs français de la francophonie – et, jusqu’à un certain point la concurrence qui les anime parfois – peut constituer une faiblesse.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelles sont vos relations avec le réseau culturel français à l’étranger mais, aussi, CulturesFrance ?

M. Alain de Pouzilhac. Excellentes, mais cela ne nous empêche pas de chercher d’autres coopérations : c’est dramatique mais en Espagne ou au Portugal, par exemple, l’apprentissage de notre langue n’est plus obligatoire ; nous nous heurtons à un mur.

Mme Marie-Christine Saragosse. Le français demeure néanmoins la deuxième langue étrangère la plus étudiée au monde. Mais il ne faut vraiment pas s’endormir !

M. André Schneider, Rapporteur. Globalement, le nombre de locuteurs français ne change pas : s’il diminue dans certaines zones traditionnellement francophones, il augmente dans d’autres. L’année dernière, la réunion de la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie s’est ainsi tenue au Laos. Il est en effet indispensable de réactiver la pratique de notre langue dans une région où elle a presque disparu.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelle solution envisagez-vous, madame Ockrent, afin de remédier à cette multiplicité des acteurs que vous avez évoquée ?

Mme Christine Ockrent. Malgré les limites imposées par la charte de TV5 Monde à la synergie entre les différents médias de l’audiovisuel extérieur – en effet complémentaires –, leur trop longue séparation était absurde. Quoi qu’il en soit, le problème majeur demeure celui des moyens dont nous disposons comparativement à nos concurrents, émanant de systèmes démocratiques ou non…

S’agissant de la multiplicité des acteurs, je crois que vous êtes mieux placés que nous pour apporter des réponses.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Soyez tous remerciés pour cette passionnante audition.

Audition du 1er avril 2010

À 10 heures 30: M. Yves Girouard, président fondateur du Cercle Magellan, Mme Claude Mulsant, directrice générale, et M. Jean Pautrot, président du conseil de la mobilité internationale, MM. Luc Sposito, directeur Éducation du groupe Total, François Tribot-Laspiere, chargé des relations institutionnelles et Didier Barres, chargé de la mobilité internationale

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Nous poursuivons, avec mes collègues rapporteurs Hervé Féron et André Schneider, respectivement membres de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et de la commission des Affaires étrangères, le cycle d’auditions que la Mission d’évaluation et de contrôle consacre à l’enseignement français à l’étranger. Nous cherchons d’une part à savoir si cet enseignement fonctionne bien, si les moyens qui lui sont alloués sont bien utilisés, et d’autre part, nous entendons le cas échéant formuler des propositions d’amélioration.

Madame, messieurs, pouvez-vous nous dire rapidement ce qu’est le Cercle Magellan et dans quel champ il intervient ? Point n’est besoin, messieurs, que vous nous présentiez le groupe Total mais vous pourriez nous indiquer comment une grande entreprise française aussi présente à l’international apporte sa contribution à l’enseignement français à l’étranger et surtout ce qu’elle en attend pour ses cadres expatriés.

M. Yves Girouard, président fondateur du Cercle Magellan. Le Cercle Magellan est un réseau de directeur des ressources humaines – DRH - internationaux s’occupant plus particulièrement de mobilité internationale. Nous collectons des informations et les mettons à la disposition des entreprises adhérentes. Nous éditons régulièrement des fiches techniques et méthodologiques destinées à apporter des réponses concrètes aux questions que se posent nos adhérents. Je précise que le Cercle Magellan n’a pas vocation à faire de politique ni de lobbying.

Mme Claude Mulsant, directrice générale du Cercle Magellan. Notre Cercle compte 160 entreprises adhérentes pour la fonction « Mobilité internationale ».

M. François Tribot-Laspiere, chargé des relations institutionnelles au sein du groupe Total. Seul un tiers des effectifs de Total travaille en France où le groupe ne réalise que 5 % de son résultat net. L’essentiel de son activité a lieu à l’étranger, notamment dans l’exploration et la production d’hydrocarbures. Le groupe, qui compte donc beaucoup d’expatriés, est un grand utilisateur du système d’enseignement français à l’étranger.

M. Luc Sposito, directeur Éducation du groupe Total. L’action de Total en matière d’éducation à l’étranger comporte deux volets, d’une part en direction des enfants de nos expatriés, d’autre part en direction des employés locaux, qu’ils travaillent ou non pour le groupe. Les actions de terrain sont prises en charge sur le plan opérationnel par nos filiales locales, de l’enseignement primaire à l’enseignement supérieur en passant par la formation continue, car nous intervenons également dans ce domaine de façon à répondre aux besoins des marchés du travail locaux, dans le secteur pétrolier mais pas seulement.

M. Didier Barres, chargé de la mobilité internationale dans le groupe Total. Je suis plus particulièrement chargé de l’expatriation au sein du groupe, qui compte à ce jour quelque 4 000 expatriés, dont 2 600 Français, répartis dans 110 pays. Ils partent pour l’essentiel en famille, ce qui implique que les enfants puissent suivre à l’étranger leur scolarité dans les meilleures conditions possible. Deux mille cent familles sont ainsi expatriées avec 1 700 enfants. C’est dire l’importance que revêtent pour nous la qualité et la densité du réseau d’enseignement français à l’étranger. Les enfants de nos salariés fréquentent plus de 80 établissements de l’AEFE. Nous avons par ailleurs dû créer huit écoles d’entreprise dans divers pays où l’Agence n’avait pas d’établissement et utilisons bien entendu, quand c’est nécessaire, les cours par correspondance du CNED.

Du fait de son souhait de favoriser l’expatriation familiale, Total doit pouvoir compter sur le réseau des établissements de l’AEFE. Nous en apprécions la densité, ainsi que la qualité et la continuité de l’enseignement qu’il dispense, qui rassurent beaucoup les parents, nos expatriés étant amenés à faire des allers-retours avec la France mais aussi à travailler dans différents pays sur tous les continents, où il importe que leurs enfants puissent poursuivre sans heurt leur scolarité. Nous estimons impératif de maintenir ce réseau, sur lequel nous portons une appréciation très positive. L’un des meilleurs indicateurs de sa qualité est la tranquillité d’esprit des parents quand leurs enfants réintègrent le système éducatif national en France et la satisfaction qu’ils expriment alors, même si quelques problèmes se rencontrent parfois, notamment pour les classes terminales quand les élèves ont des projets très spécifiques de scolarité.

M. Yves Girouard. Le Cercle Magellan a créé un conseil de la Mobilité internationale, qui est un organe de liaison entre les entreprises et toutes les institutions concernées par le sujet, et où sont régulièrement évoqués les problèmes de scolarité à l’étranger.

Quels retours avons-nous de la part de nos 160 entreprises adhérentes – pour l’essentiel des grands groupes mais aussi des entreprises plus petites mais très internationalisées –, s’agissant de l’enseignement français à l’étranger ? La scolarisation de leurs enfants est l’une des préoccupations majeures des expatriés, très attachés au système éducatif français – c’est même souvent la condition de leur accord pour une expatriation. La qualité de cet enseignement est un atout essentiel pour le développement des intérêts économiques internationaux de la France. Un million et demi de Français, soit seulement 3 % de la population française totale, vivent aujourd’hui à l’étranger, – contre 7 à 8 % de la population allemande, 10 % de la population italienne ou japonaise et 12 % de la population américaine. Cette différence pèse nécessairement sur nos exportations. Pour renforcer notre présence à l’étranger, notamment en expatriant des familles, l’enseignement français à l’étranger est un élément déterminant.

La nature de l’expatriation a évolué. Par le passé, il n’était pas rare que des expatriés demeurent vingt ou trente ans dans un même pays, finissant par s’assimiler à la population locale et être perçus davantage comme des locaux que comme des Français. Aujourd’hui, la durée moyenne d’expatriation dans un pays donné n’est plus que de trois à cinq ans. D’où une plus grande mobilité des cadres qui exigent que leurs enfants puissent être scolarisés facilement dans les endroits où ils sont envoyés et assurer ainsi une continuité dans la scolarisation.

Les besoins aussi ont changé. Si les sièges sociaux sont encore le plus souvent situés dans les capitales ou les grandes villes, les entreprises, notamment industrielles, travaillent sur des chantiers, créent des usines dans des endroits où il n’y a pas d’école. La carte des besoins scolaires hors de France évolue donc très vite.

Les aspirations des expatriés sont également différentes. Il y a encore une quinzaine d’années, dans un couple, c’était le mari qui s’expatriait, sa femme le suivant. Aujourd’hui, l’expatriation est un véritable projet familial auquel le conjoint et les enfants sont étroitement associés. De plus en plus souvent, les conjoints travaillent et souhaitent continuer de le faire. Ce sont d’ailleurs parfois les femmes qui s’expatrient et leurs maris qui les suivent. La scolarisation des enfants est un des éléments clés pris en compte dans le choix de l’expatriation. D’une manière générale, les familles recherchent dans cette expérience une opportunité d’ouverture à l’international, notamment pour leurs enfants, avec l’approche de nouveaux pays et de nouvelles cultures, et le plus souvent l’apprentissage de l’anglais.

Quels problèmes nous signale-t-on ? La réduction du nombre d’enseignants détachés de l’Éducation nationale, qui a pour corollaire des recrutements plus nombreux d’enseignants locaux, est une source d’inquiétude majeure quant à la qualité de l’enseignement – des témoignages concrets nous sont rapportés en ce sens. Les familles nous font également part de difficultés d’homologation, notamment pour de petites écoles hors des grandes villes. Je pense notamment à Bangalore où de nombreuses entreprises d’informatique se sont implantées il y a quelques années avant qu’il n’y ait d’infrastructure française de scolarisation. Les familles se demandent également si leurs enfants pourront sans difficulté réintégrer le système scolaire français à leur retour en France : elles souhaitent notamment être sûres de l’équivalence des diplômes. Elles regrettent un apprentissage insuffisant de l’anglais à l’étranger, le manque de sections internationales avec trop peu de préparations au baccalauréat international. Elles déplorent enfin une certaine inadéquation du déploiement du réseau d’établissements avec les besoins.

Que souhaitons-nous ? Que le réseau d’enseignement français à l’étranger non seulement perdure mais se développe. Certaines familles d’expatriés scolarisent leurs enfants dans des établissements anglo-saxons, cela reste marginal mais l’amorce de ce mouvement est un signal. Les entreprises financent largement l’enseignement français à l’étranger par la prise en charge des frais de scolarité, la création d’écoles d’entreprise, notamment hors des villes, ou bien encore par le biais de la Mission laïque française qui ouvre des écoles là où l’AEFE n’est pas présente. Beaucoup d’entreprises, au travers de leurs filiales locales, participent au financement de projets concrets – extension de bâtiments, acquisition de matériels pédagogiques… Il est difficile d’évaluer le montant total de ces financements indirects, l’ensemble n’étant pas consolidé au niveau des comptes des groupes.

Le désengagement progressif de l’État en matière d’enseignement français à l’étranger, que l’on ne peut que constater, préoccupe les entreprises qui se développent à l’international. Ce désengagement prend plusieurs formes. Tout d’abord, la diminution du nombre d’enseignants détachés à l’étranger ; en deuxième lieu, l’accroissement des charges de personnels pour les principaux acteurs, induit par le décret du 19 décembre 2007 ayant transféré à l’AEFE la charge du financement de la part patronale des cotisations de pensions des personnels détachés, dont l’Agence était auparavant exonérée, et imposé à la Mission laïque française de supporter cette charge sans compensation de l’État. Il a fallu trouver des moyens supplémentaires, d’où une augmentation des frais d’écolage pour les entreprises ; ensuite, le manque d’entretien des locaux de nombre d’établissements de par le monde, dont de nombreux témoignages attestent de la vétusté ; enfin, les difficultés d’homologation de certaines écoles, notamment celles accompagnant des projets spécifiques d’entreprise. S’il y a moins d’établissements français à l’étranger, les familles se tourneront vers l’enseignement anglo-saxon, où les enfants poursuivront ensuite toute leur scolarité. Les élites étrangères risquent aussi de déserter notre système d’enseignement du fait de l’augmentation des frais d’écolage – on l’a d’ores et déjà constaté. Or, une telle évolution serait préjudiciable à nos entreprises et à notre économie, les personnes formées dans notre système d’enseignement ayant logiquement tendance, plus tard, à se tourner davantage vers la France et ses entreprises. Notre pays pourrait ainsi à terme perdre des parts de marché. Pour conclure, les entreprises ont du mal à discerner la cohérence de la politique menée. Elles comprennent notamment difficilement qu’après l’annonce de la prise en charge des frais d’écolage, le décret du 19 décembre 2007 ait de facto augmenté les coûts. En dix ans, la part de financement supporté par les familles, rapportée à celle de l’État, est passée de 40 à 61 %.

J’en viens à nos « recommandations ». Nous souhaiterions une plus grande mutualisation des moyens, avec par exemple des écoles partagées avec d’autres pays européens, des campus européens et le développement de partenariats avec des écoles locales – le groupe Michelin a ainsi développé en Thaïlande une section française au sein d’une école américaine où les cours de mathématiques et de français sont dispensés en langue française. Nous souhaiterions également plus de souplesse, afin que le réseau d’enseignement français à l’étranger puisse répondre rapidement à un accroissement d’activité dans un lieu donné – comme il l’aurait fallu il y a quelques années à Bangalore – ou pour faire face à la saturation aujourd’hui avérée de plusieurs écoles françaises à l’étranger comme à Shanghai, Pékin, Moscou ou Londres. Enfin, nous estimons indispensable que la France dispose des moyens de continuer d’exercer son influence : 60 % du financement de l’AEFE provient des étrangers scolarisés dans les écoles françaises. Or, l’augmentation des frais d’écolage pour les nationaux – corollaire, pour partie, de la « gratuité » au profit des Français –, risque de les faire se tourner vers d’autres systèmes d’enseignement, mettant à terme en péril tout l’enseignement français à l’étranger, lequel ne pourrait pas vivre sans leur concours.

En conclusion, le réseau de l’AEFE est unique au monde. Il faut le conserver, le valoriser et le faire évoluer, avec une volonté politique forte d’en soutenir les établissements et d’accompagner les entreprises françaises, grands groupes ou PME, qui se développent à l’international. Le Cercle Magellan est prêt à accompagner, comme il le fait depuis dix ans, tous les acteurs concernés.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je vous remercie de ce diagnostic très précis. Avez-vous relevé des différences notables entre les cadres français et ceux d’autres nationalités ? Les Français par exemple sont-ils plus désireux que les autres de disposer d’un système d’enseignement national là où ils sont expatriés ?

Mme Claude Mulsant. Ils y sont très attentifs car ils anticipent leur retour en France. Les parents souhaitent que leurs enfants n’aient pas de difficulté lorsqu’ils réintègrent le système éducatif en métropole. La très grande qualité et la spécificité de l’éducation à la française sont reconnues partout dans le monde et les familles y sont très attachées. Elles souhaiteraient toutefois que leurs enfants apprennent davantage l’anglais durant leur expatriation.

M. Didier Barres. L’un des principaux atouts du système d’enseignement français à l’étranger est en effet de garantir la continuité souhaitée par les familles. Je confirme également que pour les familles, un projet d’expatriation est, entre autres, l’occasion de pratiquer une ou plusieurs langues étrangères, et qu’elles souhaiteraient que l’enseignement des langues soit plus développé dans le système éducatif français.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Quel est le montant approximatif de la participation des entreprises françaises aux dépenses, tant d’investissement que de fonctionnement, des établissements de l’AEFE ?

Par ailleurs, vous avez mis l’accent sur diverses difficultés qu’ont également soulignées d’autres personnalités que nous avons auditionnées précédemment, comme la diminution du nombre d’enseignants détachés, l’accroissement des charges de personnel, la vétusté des locaux… Tout cela ne découle pas directement de la « gratuité », mais y est souvent lié. Que pensez-vous du dispositif de prise en charge (PEC). Le jugez-vous ou non satisfaisant en l’état ?

Enfin, vous avez mentionné les difficultés d’homologation de certains établissements. Ne faudrait-il pas préciser davantage les besoins des entreprises ? Leurs objectifs et attentes sont-ils exactement les mêmes que ceux de l’AEFE ? Les familles d’expatriés sont-elles plus demandeuses pour leurs enfants d’enseignement du français ou d’enseignement en français ? Que pensez-vous de la mise en place d’un enseignement bilingue dans les pays non francophones, notamment anglophones, et du principe défendu par la Mission laïque française « deux cultures, trois langues » ?

M. Yves Girouard. La vétusté des locaux avait été constatée bien avant la mise en œuvre de la PEC.

M. Jean Pautrot, président du conseil de la mobilité internationale du Cercle Magellan. Il est très difficile pour les entreprises d’évaluer le montant global de leur participation au financement des établissements car l’essentiel des actions est géré directement par leurs filiales locales, et toutes ces données financières ne remontent pas nécessairement jusqu’à la société mère. Sans doute serait-il plus facile à l’AEFE elle-même de rassembler ces données.

Pour le reste, les entreprises se soucient davantage du fait que leurs expatriés aient à disposition un enseignement français là où ils sont envoyés que de la gratuité de celui-ci. En effet, le financement des coûts de scolarité a toujours fait partie du « package » d’expatriation. Avec l’irruption de la crise, certaines entreprises se disent toutefois que cette gratuité pourrait être source d’économies pour elles…

Mme Claude Mulsant. Toutes prennent intégralement en charge le coût de la scolarité des enfants de leurs expatriés jusqu’à 18 ans. Le coût qu’elles supportent est toutefois supérieur aux seuls frais d’écolage puisqu’elles paient des charges salariales et patronales sur ces frais ainsi que les impôts du pays d’accueil car les frais d’écolage sont considérés dans le pays d’accueil comme un complément de salaire ou un avantage en nature. Lorsque les familles choisissent d’envoyer leur enfant dans un établissement d’enseignement anglo-saxon, les entreprises ne paient qu’à hauteur du coût de la scolarité dans un établissement français, notamment pour inciter les familles à privilégier l’enseignement français et faciliter ainsi leur retour en France. Les entreprises ne financent la scolarité dans un établissement international autre que français que dans les pays où il n’y a pas d’établissement français ou pour les cadres à la carrière totalement internationale qui changent fréquemment d’affectation et se retrouvent parfois dans des pays sans école française où leurs enfants doivent être scolarisés dans d’autres établissements internationaux, après quoi il est difficile de les faire revenir dans le système français sans rupture de programme. Il arrive que des entreprises prennent en charge une partie du coût de la scolarité des enfants après le baccalauréat – participation aux frais d’hébergement, prise en charge totale ou partielle des frais d’inscription ou bien de voyages aller-retour pour que les enfants puissent rendre visite à leurs parents.

Un autre élément important de financement est celui que les entreprises assurent au travers de la Mission laïque française ou des écoles d’entreprise. Je vous invite à vous reporter au rapport 2008 du ministère des Affaires étrangères et européennes sur l’avenir de l’enseignement français de l’étranger. Enfin, il faut aussi tenir compte des financements indirects qu’elles apportent, difficiles à consolider dans les comptes des groupes mais qu’il serait tout à fait possible de récapituler dans ceux des établissements. Ces financements indirects sont importants car les dirigeants des filiales françaises sont souvent membres du conseil d’administration des établissements où sont scolarisés leurs enfants et se retrouvent vite très impliqués dans la vie scolaire, étant dès lors parmi les premiers au fait de tel ou tel besoin.

M. Luc Sposito. Pour un Français expatrié à l’étranger comme pour un étranger impatrié en France, l’expatriation constitue, au-delà d’une opportunité professionnelle, une expérience multiculturelle particulièrement enrichissante pour l’ensemble de sa famille et donne à ses enfants l’occasion de devenir bilingues, voire trilingues. Pour un jeune Français aujourd’hui, maîtriser, en sus de sa langue maternelle, l’anglais et une troisième langue de rayonnement international est un atout supplémentaire indéniable.

Mme Claude Mulsant. Les écoles françaises de l’étranger, qui font beaucoup en matière d’enseignement de l’anglais, ne pourraient-elles pas aider à améliorer l’enseignement de l’anglais en métropole, toujours insuffisant, même s’il a progressé ? Toutes les entreprises se plaignent que dans leurs conseils d’administration et autres instances dirigeantes, les cadres français maîtrisent encore trop souvent mal l’anglais, en tout cas moins bien que leurs homologues internationaux.

M. Yves Girouard. De plus en plus d’entreprises françaises se développent à l’international, et la tendance aujourd’hui est de permettre à des collaborateurs d’autres pays, devenus dirigeants d’une filiale locale, de faire ensuite carrière dans le groupe. L’un des meilleurs moyens de conserver ces collaborateurs de talent est de leur proposer une mobilité internationale. La première étape est souvent de les faire passer par le siège afin qu’ils appréhendent mieux la culture et l’environnement du groupe, qu’ils s’y constituent des réseaux, avant de les renvoyer dans leur zone géographique ou pays d’origine, avec de nouvelles responsabilités. Beaucoup d’entreprises françaises font ainsi venir en France des collaborateurs étrangers, non pas pour des besoins techniques, mais pour les préparer à de nouvelles fonctions. Ces impatriations sont très nombreuses et une multitude de nationalités se côtoient aujourd’hui dans les sièges sociaux.

L’une des difficultés que rencontrent les groupes français est qu’il existe très peu en France d’établissements internationaux susceptibles d’accueillir les enfants de ces collaborateurs, même en région parisienne et dans les grandes métropoles régionales, à l’exception du très renommé lycée international de Saint-Germain-en-Laye et de quelques établissements privés. On devrait faire mieux en ce domaine, d’autant que les expatriés, à leur retour en France, seraient eux aussi heureux de pouvoir scolariser leurs enfants dans de tels établissements de façon qu’ils y poursuivent l’apprentissage des langues étrangères et conservent l’ouverture d’esprit internationale qu’ils ont acquise à l’étranger.

M. André Schneider, Rapporteur. Beaucoup d’établissements français possèdent des sections internationales, et pas seulement dans les régions frontalières. Quant à la qualité de l’enseignement de l’anglais en France, sans vouloir offenser quiconque, elle n’est ni pire ni meilleure que celle du français en Angleterre ou en Allemagne… Si l’Union européenne ne devait s’occuper que d’une seule question en matière d’éducation, ce devrait être de l’apprentissage des langues. D’où d’ailleurs l’intérêt des sections internationales, pour autant que celles-ci ne soient pas dévoyées. En Alsace, nous avons essayé d’en mettre en place de la maternelle à la terminale, mais nous nous sommes heurtés à de multiples difficultés, tenant, entre autres, il faut l’avouer, à la stratégie de certains parents qui ne mettent leurs enfants dans ces classes que pour avoir l’assurance qu’ils soient dans une « bonne » classe et qui, une fois leurs enfants parvenus à une certaine maîtrise de la langue étrangère, ne voient plus l’intérêt que les enseignements soient poursuivis dans cette langue.

J’aimerais, madame, messieurs, connaître votre opinion sur le financement du réseau d’enseignement français à l’étranger en partie par le mécénat. Pensez-vous que le régime fiscal français actuel est adapté ?

M. François Tribot-Laspiere. Les dispositions fiscales actuellement en vigueur en France ne facilitent pas ce type de mécénat. En effet, pour être qualifiées de mécénat et ouvrir droit à avantage fiscal, les dépenses doivent répondre à des critères précis, notamment être réalisées au profit d’organismes d’intérêt général, pour des activités non lucratives, et ne pas comporter de contrepartie, directe ou indirecte, pour l’entreprise. La Mission laïque française qui intervient dans les écoles d’entreprise répond, de par sa vocation, au critère d’organisme d’intérêt général, mais les sommes versées sont trop importantes pour être considérées comme des dons. Quant aux entreprises, elles effectuent des versements par le biais de filiales étrangères, non assujetties à l’impôt en France, si bien que ces sommes ne peuvent ouvrir droit à réduction d’impôt en France. Au total, on voit mal le mécénat se développer au profit des établissements d’enseignement français à l’étranger. Toutefois, si une défiscalisation devenait possible, nous serions tout à fait disposés à réétudier la question.

Mme Claude Mulsant. En 2005, à la demande de M. André Ferrand, sénateur représentant les Français établis hors de France et président de l’Association nationale des écoles françaises à l’étranger, qui souhaitait aborder dans le rapport annuel de l’association la question du mécénat, nous avions réuni quelques entreprises pour réfléchir sur le sujet. Outre le fait que celles-ci contribuent déjà de manière substantielle au financement des écoles françaises de l’étranger sous diverses formes, le régime fiscal actuel du mécénat n’est pas du tout adapté, exigeant notamment qu’il n’y ait aucune contrepartie, directe ou indirecte, pour l’entreprise bienfaitrice, ce qui est en l’espèce difficile car il est légitime qu’une entreprise qui finance divers projets dans une école dans le cadre du mécénat puisse escompter en retour une valorisation des sommes versées (exemple : quelques places gratuites…).

Si un tel outil devait être mis en place, il importerait que la défiscalisation ne puisse pas être remise en cause ultérieurement par l’administration fiscale française ni par celle du pays d’accueil et qu’ainsi les entreprises soient assurées d’une sécurité à long terme. Les entreprises souhaiteraient aussi que les fonds versés soient, du moins pour l’essentiel, « fléchés » et leur permettent de répondre à leurs besoins : elles ne veulent pas contribuer à un « pot commun » sur lequel elles n’auraient aucune prise. Si elles s’implantent dans un nouveau pays, c’est là qu’elles souhaitent financer une infrastructure scolaire, pour répondre à leur développement économique et aux besoins de scolarisation des enfants de leurs salariés. Elles souhaiteraient également être associées à l’affectation des fonds qu’elles versent dans les établissements et au devenir de ceux-ci. Ainsi veulent-elles bien financer des écoles mais à condition que celles-ci soient homologuées, avec l’assurance que pourront y être détachés des enseignants de l’Éducation nationale, garantie de qualité. Enfin, aucune entreprise ne souhaite « payer deux fois » en contribuant au financement des infrastructures puis en ayant à supporter les frais d’écolage.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. La gratuité ayant été instituée pour l’ensemble des classes de lycée, pour ce niveau au moins elles sont sûres de ne pas payer deux fois.

Mme Claude Mulsant. Nos entreprises adhérentes continuent de payer la scolarité de la seconde à la terminale, même si certaines, du fait de la crise, réfléchissent depuis quelques mois à la possibilité de s’en dispenser.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Aucune n’a encore cessé de payer ?

Mme Claude Mulsant. À ma connaissance, non.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. On dit pourtant que le nouveau dispositif a d’ores et déjà provoqué le désengagement de certaines entreprises.

M. Didier Barres. Total, pour sa part, n’a pas tenu compte de la PEC et paie toujours.

M. Yves Girouard. Dans leur très grande majorité, nos adhérents continuent de payer mais, comme l’a indiqué Claude Mulsant, plusieurs examinent l’hypothèse d’arrêter, vu la réduction des coûts imposée par les directions générales dans le contexte de crise actuel.

M. Jean Pautrot. Plusieurs entreprises participent au financement du lycée français de Pékin. Les sommes versées en ce cas sont bien « fléchées ». Des entreprises, s’implantant ou déjà implantées en Chine, investissent pour répondre à un besoin précis.

M. Didier Barres. Total va débloquer 500 000 euros pour cet établissement.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Les considérations juridiques et fiscales semblent avoir été mises de côté dans ce cas. Les entreprises, qui avaient besoin de ce lycée, ont accepté de contribuer à la hauteur nécessaire. Les sommes versées constituent un quasi-don.

M. Jean Pautrot. On pourrait imaginer que des particuliers, notamment des expatriés, souhaitent contribuer au développement de l’enseignement français à l’étranger. Mais les expatriés ne payant pas leur impôt sur le revenu en France, ils ne pourraient prétendre à déduction fiscale à ce titre. Ne resterait que la possibilité d’une réduction sur l’ISF, pour ceux qui s’en acquittent.

M. Yves Girouard. Une réduction d’ISF est aujourd’hui accordée en cas d’investissement dans certaines PME. Peut-être pourrait-on l’étendre aux investissements dans les établissements scolaires français à l’étranger…

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Si ce n’est que nous ne sommes pas dans une période très propice aux déductions fiscales ! Il ne nous serait en tout cas pas très facile de plaider en ce sens à l’heure où l’on s’interroge de plus en plus sur les niches fiscales…

Les dépenses supplémentaires, résultant notamment du transfert à l’AEFE du financement de la part patronale des cotisations de pensions des personnels détachés, ont justifié la mise en place d’un prélèvement de 6 % sur les frais d’écolage, qui ont nécessairement augmenté. Les familles se plaignent-elles d’un coût trop élevé de la scolarité ? A-t-on atteint un seuil au-delà duquel il serait difficile d’aller sans susciter de très vives protestations ?

M. Didier Barres. Les expatriés de Total ne paient rien pour la scolarité de leurs enfants à l’étranger. L’entreprise prend toujours en charge la totalité des frais. Nous n’avons donc pas affaire à de telles récriminations.

S’agissant des surcoûts, ils ont en effet été importants, en particulier pour nos sept écoles d’entreprise actuellement en service. Le surcoût représenté par la prise en charge de la part patronale des cotisations de pension des personnels nous a été intégralement refacturé.

Dans tous les pays où nous sommes implantés, nous entretenons d’étroites relations avec les attachés culturels des ambassades. Nos directeurs de filiales, nos directeurs des ressources humaines et autres cadres dirigeants sur place sont par ailleurs en général membres des conseils d’administration des établissements – qu’ils relèvent de l’AEFE ou de la MLF – et participent activement à leur vie quotidienne. Les moyens nécessaires au quotidien pour tels travaux ou tel petit investissement sont décidés au cas par cas et la plupart du temps apportés par nos filiales.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelles sommes Total consacre-t-il globalement à ce type d’interventions ?

M. Didier Barres. Il m’est très difficile de répondre car ces petites opérations qui ont lieu au jour le jour, dont le montant va de quelques centaines à quelques milliers d’euros, sont totalement décentralisées au niveau des filiales. Les seuls chiffres que je peux communiquer concernent les gros projets atteignant plusieurs centaines de milliers d’euros, comme celui du lycée de Pékin, qui remontent jusqu’à la direction générale du groupe, laquelle doit donner son aval. C’est l’AEFE qui pourrait, elle, dresser un récapitulatif de toutes ces petites aides apportées par les entreprises.

M. Yves Girouard. L’augmentation des frais d’écolage touche davantage les familles des nationaux que celles des expatriés. On constate depuis déjà quelques années une diminution du nombre d’inscriptions de nationaux dans des pays où les tarifs sont devenus rédhibitoires, comme au Maroc. On pourra certes toujours nous rétorquer que l’enseignement anglo-saxon est en général plus onéreux…

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelle est votre vision de l’avenir ? Notre système d’enseignement français à l’étranger doit-il évoluer en profondeur ? Quelles innovations introduire ? Que pensez-vous par exemple de la labellisation de filières francophones dans des établissements étrangers ?

M. Luc Sposito. Comme cela a déjà été dit, chez Total, la durée moyenne d’expatriation a tendance à diminuer, étant en général de trois ans par pays, quelquefois quatre, dans le secteur de l’exploration-production, qui fournit l’essentiel de nos expatriés. Il faut rassurer les familles qui apprécient la qualité de l’enseignement français à l’étranger et la continuité qu’ils retrouvent d’un pays à un autre comme au retour en métropole, où ils ne veulent surtout pas avoir de mauvaise surprise.

Il nous semble qu’il faut consolider ce réseau, dont la meilleure preuve de qualité est que ses élèves n’ont en général aucune difficulté scolaire à leur retour en France. Un effort important doit toutefois porter sur la rénovation des locaux, dont certains sont vraiment vétustes, les entreprises ayant parfois dû participer au financement de travaux urgents de sécurité.

M. Yves Girouard. Nous souhaiterions bien sûr que le réseau puisse être étendu et se développer dans des pays où de nouveaux besoins apparaissent, mais il convient au minimum de le maintenir tel qu’il existe aujourd’hui. Il faudrait aussi une plus grande cohérence des politiques menées et entre les différents acteurs, une plus grande souplesse, une meilleure mutualisation des moyens, en particulier avec nos partenaires européens, et plus d’ouverture à l’international encore dans les établissements.

M. Jean Pautrot. La labellisation pourrait certes contribuer à réduire les coûts, mais il faut être très vigilant quant à l’homogénéité pédagogique qui fait la force de l’enseignement français à l’étranger, n’existant pas par exemple dans l’enseignement anglo-saxon. Il faut garantir la qualité constante de la démarche pédagogique comme celle des recrutements, et donc être prudent quant à ce que recouvre la « labellisation ». Les enfants d’expatriés qui souhaitent intégrer les filières d’excellence de l’enseignement supérieur français, comme les classes préparatoires, ne doivent pas être pénalisés par une scolarité effectuée à l’étranger. Les parents risquent d’être inquiets si la labellisation a une connotation négative.

Mme Claude Mulsant. Dans les pays où le nombre d’enseignants détachés a fortement diminué et où ils ont été remplacés par des enseignants locaux, on nous a signalé une dégradation de la qualité de l’enseignement. Une enquête que nous avions menée il y a trois ans avait révélé des inquiétudes particulières à ce sujet au Cameroun, à Bucarest et à Belgrade.

M. André Schneider, Rapporteur. On ne peut pas généraliser. Il y a de bons professeurs locaux comme il y a de mauvais professeurs détachés ! Tout est question d’évaluation, de suivi et de formation au niveau local. Nous pouvons parfaitement participer à la formation des enseignants et formateurs locaux.

Mme Claude Mulsant. Tout à fait.

M. Yves Girouard. Un label, pourquoi pas ? Mais qui le délivrera ? Sur quels critères ? Qui en garantira la qualité et en assurera le suivi dans le temps ?

Mme Claude Mulsant. Et comment se fera le lien avec le système éducatif national lors du retour en France, à tous les niveaux d’enseignement ?

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Êtes-vous satisfait de vos relations avec l’AEFE ?

M. Yves Girouard. Le Cercle Magellan, de par sa vocation, a plus de relations avec la Mission laïque française, dont nous tenons à saluer l’excellent travail. La Mission, toujours très réactive face aux besoins des entreprises, implante en général ses établissements là où l’AEFE n’en a pas – depuis quelque temps, elle en reprend certains. Nous n’avons, hélas d’ailleurs, que peu de contacts avec l’AEFE.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Comment l’expliquez-vous ? Trouvez-vous cela normal ?

M. Yves Girouard. Nous avons rencontré des représentants de l’AEFE en 2005 mais il semble qu’ils n’avaient pas besoin d’informations ni d’échanges avec les entreprises.

Mme Claude Mulsant. Le Cercle Magellan ne fait pas du tout de conseil, seulement de l’information, de la veille juridique et de la mise en réseau d’entreprises, renvoyant vers la Mission laïque française ou d’autres professionnels en cas de demandes très spécifiques. Nous recensons les points forts comme les points faibles des expériences des entreprises, les analysons et essayons d’en tirer des propositions d’amélioration.

M. Yves Girouard. Nous sollicitons l’AEFE dans le cadre de réflexions générales sur l’enseignement français à l’étranger mais n’avons pas de relations régulières avec elle.

M. Didier Barres. La situation est un peu différente pour Total. Nous sommes proches de l’AEFE au niveau local, notamment dans la gestion des établissements, moins au niveau central, où nous sommes plus proches de la Mission laïque.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Madame, messieurs, je vous remercie vivement de votre contribution à nos travaux.

À 12 heures : M. Antoine Joly, délégué pour l’action extérieure des collectivités territoriales au ministère des Affaires étrangères et européennes et Mme Maryse Dusselier, déléguée aux affaires internationales de l’Association des régions de France

Présidence de M. Jean-François Mancel, Rapporteur

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Madame, monsieur, nous sommes heureux de vous entendre sur la question de la coopération décentralisée et des actions spécifiques qu’elle peut engager en direction de l’enseignement français. Quel regard portez-vous sur la situation actuelle de ce secteur ? Avez-vous des propositions à formuler ?

Mme Maryse Dusselier. Ma réponse sera brève : l’enseignement français à l’étranger fait partie des missions régaliennes de l’État et, en l’état actuel de leurs finances, il n’est absolument pas dans les projets des régions de soutenir ce secteur. S’il arrive qu’elles interviennent, ce n’est que de manière très ponctuelle. Par exemple, la région Champagne-Ardennes finance un poste d’assistant de français en Russie tandis que la région Ile-de-France aide le lycée français de Jérusalem.

En revanche, nous voyons d’un assez mauvais œil que l’État puisse se désengager de l’enseignement français, puisqu’il constitue la base du rayonnement culturel et que nos marchés et notre développement économique en dépendent. Cela dit, les régions sont fortement investies dans le soutien à la francophonie.

M. Antoine Joly. Effectivement, les collectivités locales interviennent peu en direction de l’enseignement français, mais elles aident l’enseignement du français, en finançant des postes de lecteurs, des classes bilingues, ou la formation d’instituteurs, comme à Madagascar. L’enseignement du français, utile en amont des stages ou des échanges organisés avec les collectivités partenaires, constitue un volet de la coopération décentralisée. Ainsi, la ville de Montreuil organisait au Vietnam des cours de français pour les étudiants en médecine qu’elle faisait venir en stage. Par ailleurs, la coopération décentralisée intervient traditionnellement dans le secteur de l’enseignement, en aidant la construction d’établissements scolaires ou en soutenant les activités périscolaires.

Un plus grand soutien à l’enseignement français est-il envisageable ? La coopération décentralisée s’entend de plus en plus comme une démarche d’accompagnement de stratégies de développement. À la suite au discours du Président de la République au Cap et sous l’impulsion de Jean-Paul Bachy, président du conseil régional de Champagne-Ardennes et président de la commission affaires internationales de l’ARF, l’accent est mis sur le développement économique et la mobilisation des atouts endogènes du territoire. Or, si les collectivités françaises considèrent qu’avoir un établissement d’enseignement international sur leur territoire est un atout, elles peuvent estimer qu’un établissement français installé chez leurs partenaires est également un élément d’attractivité et de développement. Elles pourraient alors intégrer dans leur politique de soutien le fait qu’un établissement français permette de former les futurs cadres et de leur offrir une ouverture sur l’extérieur. Ce raisonnement est, vous le voyez, une manière indirecte d’aborder la question.

Il reste que les collectivités orienteront leur action internationale vers les secteurs où elles peuvent partager leur savoir-faire, comme la gestion des services publics ou la dynamisation du territoire. Il paraît difficile de les inciter à intervenir dans un domaine où elles n’exercent pas de compétence.

Mme Maryse Dusselier. Un exemple : les régions françaises vont aider à la reconstruction d’un lycée (haïtien) à Léogane, épicentre du tremblement de terre à Haïti. La Martinique, la Guadeloupe et la région Midi-Pyrénées, en soutien à leurs partenaires haïtiens, ont accru sensiblement le nombre de bourses qu’elles accordent aux étudiants haïtiens.

M. Antoine Joly. Il ne s’agit pas du lycée français Alexandre Dumas de Port-au-Prince, même si celui-ci constitue un atout pour le développement de la capitale et l’accueil des investissements étrangers. Il ne faut pas perdre de vue que lorsqu’une collectivité aide à la reconstruction d’un établissement scolaire, c’est en soutien de la collectivité partenaire, non de l’État français.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Vos propos sont sans ambiguïté. Néanmoins, n’existe-t-il pas des domaines de compétence pour lesquels les collectivités pourraient développer des actions de coopération décentralisée ? N’y a-t-il pas matière à inventer de nouvelles relations entre établissements, entreprises, collectivités ? Par ailleurs, quelles sont les actions que les collectivités développent en soutien à la francophonie ?

Mme Maryse Dusselier. Dans le cadre des programmes européens, les régions allouent beaucoup de bourses aux étudiants français comme aux étudiants étrangers désireux de venir sur leur territoire. Cela n’est pas innocent : nous espérons que ces chercheurs brillants, après avoir baigné dans la culture française et acquis parfaitement notre langue songeront, lorsqu’il s’agira de passer des marchés, à la région qui les a accueillis.

De nombreuses actions de soutien à la francophonie sont organisées. La région Aquitaine envoie par exemple des étudiants en français-langue étrangère dans les écoles de la région de Lao Cai, au Vietnam. Nous allons passer une convention avec l’agence universitaire de la francophonie et réfléchir à un soutien dans la reconstruction d’un établissement universitaire à Port-au-Prince, inauguré l’an dernier par l’AUF. S’il est un endroit où soutenir la francophonie aujourd’hui, c’est bien Haïti.

M. Antoine Joly. Le programme ARCUS, co-financé par le ministère des Affaires étrangères et européennes et les régions, permet de développer des coopérations universitaires en Inde, au Brésil, en Chine. Beaucoup de régions françaises ont par ailleurs passé avec des villes ou des États américains des accords de coopération qui permettent l’envoi d’étudiants.

La coopération décentralisée est très concentrée sur les pays francophones. Nous avons lancé un appel à projets pour financer certaines de ces actions : sur 250 dossiers, 170 portent sur l’Afrique subsaharienne, 53 sur le Burkina Faso.

M. André Schneider, Rapporteur. En Alsace, nous avons une longue tradition de coopération décentralisée, avec, notamment, l’Institut régional de coopération-développement (IRCOD). Cela fait bien quarante ans – lorsque le projet Hévécam a été lancé au Cameroun – que nous avons compris qu’il fallait former les personnes, préalablement à toute action. Pourriez-vous nous indiquer par quels canaux les partenariats sont établis ?

M. Antoine Joly. La loi du 6 février 1992 qui a confié aux collectivités le soin d’organiser la coopération décentralisée, et la Constitution, qui garantit leur autonomie, font de notre régime l’un des plus libéraux en la matière. Les actions menées dépendent de la réflexion politique, de la stratégie souhaitée et, souvent, des communautés présentes sur le territoire. Ainsi, la nouvelle mairie de Montreuil a décidé d’interrompre les actions de coopération vers le Vietnam et le Brésil pour en inaugurer de nouvelles au Maroc et de poursuivre les partenariats avec le Mali. La question économique est de plus en plus un critère, et les actions de coopération avec les pays émergents – Brésil, Russie, Inde, Chine – se multiplient. Enfin, il ne faut pas négliger l’impulsion donnée par les citoyens, favorables à des actions dont les résultats sont tangibles et dont ils entendent parler dans la presse locale.

Le ministère des Affaires étrangères et européennes soutient ces actions par le biais de ces réseaux et fournit une aide financière, qu’il veut ciblée sur certains pays – pays francophones d’Afrique et du bassin méditerranéen – et sur des domaines spécifiques – soutien institutionnel, développement économique, compétences propres des collectivités locales comme l’eau et l’assainissement. C’est ainsi que nous aidons l’IRCOD à Madagascar et au Mali.

Ce soutien représente 10 % de l’investissement consenti par les collectivités. Cela peut paraître modeste et d’aucuns y verront un effet d’aubaine, mais cette aide permet souvent à la ligne budgétaire de se maintenir lors des arbitrages ; elle labellise l’action, la valorise et la légitime. Ainsi, si la coopération entre les villes de Paris et de Phnom Penh devrait prochainement cesser, c’est parce que le ministère des Affaires étrangères et européennes ne la soutient plus. Il faut dire aussi qu’elle était devenue trop technique et, comme toutes les actions insuffisamment investies par les politiques, moins soutenue.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Seulement 15 % des élèves étrangers des établissements français poursuivent leurs études supérieures en France. Ne serait-il pas dans l’intérêt des régions d’accompagner dans leur scolarité secondaire certains de ces élèves, afin qu’ils choisissent par la suite d’aller dans leurs universités plutôt qu’au Canada ou aux États-Unis ?

Mme Maryse Dusselier. Si ces étudiants se détournent de la France, c’est que l’accueil qui leur est réservé dans les ambassades et dans les consulats est globalement mauvais. Cela fait des années que nous le disons, mais cela n’évolue pas, hormis quelques progrès dus à CampusFrance. Les efforts doivent d’abord porter sur ce point ; les régions pourront ensuite considérer cette question.

Reste qu’il est fondamental que les étudiants que nous accueillons aient reçu au préalable une formation en français. L’université de Bordeaux va interrompre un programme de coopération avec la Chine car elle ne veut plus recevoir d’étudiants en médecine incapables de demander en français « Où avez-vous mal ? »…

M. Antoine Joly. Une action telle que vous la décrivez ne peut avoir sa place que dans le cadre d’un partenariat plus large. La région Rhône-Alpes, qui a développé une coopération multiforme au Burkina-Faso, a été amenée à soutenir progressivement l’institut culturel de Bobo-Dioulasso, pour en devenir sans doute demain le partenaire principal, considérant qu’il était un élément central de la dynamique territoriale. On peut imaginer qu’un rapport institutionnel semblable se crée entre un lycée et une région intéressée par une filière de sélection, à condition toutefois que l’ambassade songe à faire connaître systématiquement les lycées et les perspectives de coopération dans ce sens, ce qui n’est pas toujours le cas.

Mme Maryse Dusselier. Permettez-moi de vous citer un exemple criant. Une université scientifique et technologique, l’USTH, va être construite à Hanoi. Les universités françaises sont partantes, elles sont trente à avoir présenté leur candidature. Les régions, sachant que les universitaires se tourneront vers elles pour envoyer et donc financer les missions de leurs étudiants, chercheurs et universitaires, ont demandé à être partenaires. Malgré notre insistance, l’État français a décidé de signer la convention avec l’État vietnamien sans nous y associer. On ne peut pas jouer ainsi sur tous les tableaux. Les régions refusent de soutenir des actions sans y être associées en amont et être perçues uniquement comme des financeurs. Le mot-clé, c’est le partenariat.

M. André Schneider, Rapporteur. Si je vous ai demandé comment les partenariats se mettaient en place, c’est parce que je pense qu’ils sont plus pertinents lorsqu’ils naissent de relations directes, de liens déjà établis. Il est important de savoir où nous agissons, et pourquoi. C’est sur l’idée de trois femmes marocaines rencontrées au centre socio-culturel de ma circonscription que nous avons financé – sur la réserve parlementaire – une expérience d’alphabétisation au Maroc. Le niveau local est souvent plus pertinent pour mener une action efficace, non pas dans l’idée d’un retour sur investissement, mais avec le sentiment d’avoir, quelque part, été utiles.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Je reviens sur votre proposition, monsieur Joly. Il est en effet important de mettre l’établissement français en valeur auprès du président de région en visite. Finalement, le réseau des lycées français n’est pas si bien connu que cela.

M. Antoine Joly. Il est important de mener une réflexion sur la façon dont il peut devenir un outil pour le développement de la collectivité partenaire, sachant que la coopération décentralisée s’inscrit dans la durée.

Je me permets de vous transmettre des éléments financiers issus de l’enquête annuelle sur l’aide publique au développement, classés par collectivités territoriales et par secteurs d’intervention. Vous constaterez que l’enseignement y tient une place importante.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Madame, monsieur, je vous remercie.

Audition Mercredi 28 avril 2010

À 11 heures 30 : M. Michel Leroy, directeur général du Centre national d’enseignement à distance (CNED)

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Monsieur le directeur général, je vous souhaite la bienvenue. La mission d’évaluation et de contrôle des politiques publiques a lancé une réflexion sur l’enseignement français à l’étranger, et l’a confiée à trois rapporteurs, MM. Jean-François Mancel, Hervé Féron et André Schneider.

Vous allez sans doute nous apporter de précieux éclaircissements, ainsi que des suggestions et des réflexions pour l’amélioration de cet enseignement. Pourriez-vous d’abord nous présenter votre établissement ?

M. Michel Leroy, directeur général du Centre national d’enseignement à distance (CNED). Le Centre national d’enseignement à distance, que j’ai l’honneur de diriger depuis maintenant un an, a fêté l’an dernier son soixante-dixième anniversaire. Établissement public administratif, il assure des formations de tous niveaux et pour tous publics, du cours préparatoire jusqu’à l’agrégation ; dans l’enseignement supérieur, il se concentre cependant sur la préparation à un certain nombre d’examens et concours, souvent en liaison avec des universités. Il assure aussi la formation tout au long de la vie.

20 % des élèves inscrits au CNED le sont dans l’enseignement scolaire. À 80 %, nous avons donc affaire à des adultes, reprenant en général leurs études, et à des étudiants préparant des concours administratifs ou des concours de recrutement de l’Éducation nationale.

La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école du 24 avril 2005 a reconnu l’enseignement à distance comme un enseignement à part entière. Un décret du 27 février 2009 définit précisément la mission de service public du CNED. Selon ses dispositions, les élèves relevant de la scolarité obligatoire – de six à seize ans – et dits « empêchés », c’est-à-dire ne pouvant pas suivre un enseignement « présentiel », doivent bénéficier de la gratuité, ou du moins d’un tarif réglementé. Cette disposition détermine le périmètre du service public. Du fait des règles d’application des lois sur le territoire national, elle s’applique aux élèves français et étrangers en France. En revanche, elle ne s’étend pas nécessairement aux élèves français scolarisés à l’étranger.

Au-delà de ce périmètre bien défini, le CNED intervient aussi dans le secteur concurrentiel. Il doit y faire face à une cinquantaine d’autres opérateurs, publics ou, le plus souvent, privés.

À l’étranger, 15 000 inscrits environ relèvent de l’enseignement scolaire. Je tiens à votre disposition les données très précises que nous établissons à ce sujet.

À l’attention des élèves, qu’ils résident en France où à l’étranger, nous avons mis en place, à la demande du ministère de l’Éducation nationale, un outil dénommé « l’Académie en ligne ». Tous les cours du CNED, du cours préparatoire à la terminale – dans les séries générales seulement, pour le lycée – peuvent être téléchargés et utilisés librement par les élèves. Nous enregistrons en moyenne 15 000 connexions par jour, à partir de 145 pays, ce qui démontre un vif intérêt de la part des familles et des élèves. Les droits acquis par le CNED sur les textes et les images ainsi diffusées ne valent cependant que pour l’utilisation privée et individuelle. Ils ne s’étendent pas à l’utilisation collective de ces cours, ni en France, ni à l’étranger.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Monsieur le directeur général, selon vous, eu égard à la place et à la qualité du CNED, son rôle au profit de l’enseignement français à l’étranger est-il suffisant ? Disposez-vous d’une évaluation précise de l’ensemble des actions qu’il mène à ce titre ?

Par ailleurs, la demande de nos résidents à l’étranger ou des étrangers s’intéressant au français est-elle stable, en augmentation ou en diminution ?

Pensez-vous pouvoir lancer des actions nouvelles ? Sous quelle forme ?

Enfin, les partenariats du CNED avec l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) et avec les différentes institutions qui concourent à l’enseignement du français à l’étranger vous paraissent-ils fonctionner de façon satisfaisante ou, au contraire, appeler des améliorations ?

M. Michel Leroy. À la tête du CNED depuis un an, j’ai été très rapidement sensibilisé à son action à l’étranger. Les contacts que j’ai établis dès mon arrivée – et que j’ai maintenus depuis – avec le ministère des Affaires étrangères et européennes, avec l’AEFE et avec la direction des Relations européennes, internationales et de coopération du ministère de l’Éducation nationale, m’ont permis de prendre conscience de ce qui se faisait dans ce domaine et de constater que certains de nos partenaires – le ministère des Affaires étrangères, mais aussi l’AEFE, sous l’impulsion de sa nouvelle directrice, ainsi que la Mission laïque française – avaient la volonté de mieux travailler en complémentarité et en partenariat. Cette volonté s’est manifestée très concrètement par la conclusion ou le renouvellement de conventions. Grâce à la convention cadre signée ce mois-ci avec l’AEFE, des conventions particulières vont pouvoir être mises en place – il en avait déjà été conclu avec certains établissements du réseau de l’AEFE. Il s’agit de bien définir les responsabilités de chacun des partenaires, qu’il s’agisse d’actions ou de financement.

Nous allons également signer le 19 mai prochain une convention avec la Mission laïque française (MLF). À la différence de l’AEFE, avec laquelle une convention, aujourd’hui un peu oubliée, avait été déjà été signée en 1995, ce sera une première. Afin de prévenir toute difficulté dans l’action, cette convention permettra de bien préciser les missions et responsabilités de chacun des acteurs, au plus près des classes : l’action du CNED, celle de ses professeurs référents, celle des assistants pédagogiques au sein des établissements de la MLF.

J’ai aussi rencontré à deux reprises le directeur général de la Mondialisation du ministère des Affaires étrangères et européennes.

Le CNED est très souvent présent, à titre d’acteur reconnu, lors des événements importants concernant l’enseignement français à l’étranger : journées du réseau ou encore vingtième anniversaire de l’AEFE – la convention cadre a été signée à cette occasion. On attend visiblement beaucoup de lui et il est reconnu comme un troisième opérateur, complémentaire – et non pas concurrent – des deux opérateurs principaux que sont l’AEFE et la MLF. La demande porte sur la définition d’une politique commune, dans un environnement aujourd’hui très évolutif qui va sans doute amener le réseau à recentrer ses missions. Nombre de contraintes pèsent en effet sur l’enseignement français à l’étranger : contraintes financières, demandes fluctuantes des familles, difficulté pour le réseau dans son ensemble à mener des missions parfois difficilement conciliables. Le CNED est prêt à jouer ce rôle d’acteur complémentaire qu’on attend de lui, au service de l’enseignement français à l’étranger.

La demande, assez fluctuante comme je l’ai dit, est plutôt en diminution. Cette diminution est très forte dans le premier degré, au niveau de l’école élémentaire. Nous y intervenons aussi bien pour des formations complètes – dites réglementées –, que nous dispensons après avis favorable du conseiller culturel, que pour des formations dites « libres » : les parents choisissent d’inscrire leurs enfants à des formations soit complètes, soit partielles.

Alors qu’en 2007 nous recensions 3 693 inscriptions pour des formations complètes – réglementées ou libres –, dans le premier degré elles n’étaient plus que 1 894 en 2009. Les raisons de cette évolution – qui constitue une difficulté non seulement pour nous, mais aussi pour d’autres opérateurs – sont les fluctuations géopolitiques, les choix politiques de certains pays, et les événements qui peuvent survenir à l’étranger. Ainsi, en Algérie, nous constatons un fort reflux des inscriptions dans les écoles avec lesquelles nous avions conclu un partenariat. En Côte d’Ivoire, où le Centre s’était partiellement substitué au lycée français après sa fermeture, la réouverture de cet établissement a fait chuter les inscriptions.

Un temps, l’institut de Toulouse – le CNED fonctionne encore pour quelque temps par instituts –, qui a pour mission principale la scolarisation des élèves du premier degré, scolarisait plus d’élèves résidant à l’étranger que d’élèves résidant en France. La scolarisation des élèves de niveau élémentaire à l’étranger – et les fluctuations de leurs effectifs – constitue donc pour nous une charge lourde.

Les effectifs des autres niveaux sont également en baisse, mais assez faible. Le nombre de formations du niveau lycée est ainsi quasiment stable.

Structurellement – et il n’y a là rien d’atypique par rapport aux établissements de la MLF ou de l’AEFE –, la demande est forte pour les formations du premier degré – malgré la baisse –, encore assez forte pour le collège, et relativement faible pour les lycées – en tout cas pour les élèves français car il faudrait nuancer l’appréciation s’agissant des élèves étrangers. Enfin, la demande de formations technologiques et professionnelles est extrêmement faible ; il faudrait sans doute s’interroger sur ce point.

Comment expliquer les caractéristiques de cette demande ? Dans le premier degré, lorsque le pays d’accueil propose un enseignement de niveau et de standard comparables à ce qui est offert en France, les expatriés y recourent assez spontanément. En revanche, tel n’est pas le cas lorsque les standards de formation ne sont pas les mêmes. C’est pour cette raison que le nombre d’inscriptions au CNED est extrêmement divers selon les pays. Nous trouvons nos inscrits plutôt en Afrique francophone. L’Amérique du Nord – en particulier les États-Unis – en fournit aussi beaucoup, pour des raisons qui relèvent plutôt de l’éloignement géographique des inscrits par rapport aux établissements qu’ils pourraient fréquenter. La demande est également très forte au Royaume-Uni. Cela tient en grande partie au grand nombre des expatriés français et à la saturation des établissements qui pourraient accueillir leurs enfants, en particulier du lycée français de Londres. Outre les nombreuses demandes des familles, nous y sommes saisis de demandes d’homologation de structures ; nous pouvons en effet offrir des homologations à des établissements étrangers moyennant le respect de certaines conditions.

M. André Schneider, Rapporteur. En règle générale, le CNED est cité comme un outil excellent, mais insuffisamment utilisé. Monsieur le directeur général, qu’en pensez-vous ?

Quel regard portez-vous sur l’évaluation, le contrôle et les nominations des personnels d’enseignement français à l’étranger ?

Enfin, il y a trois semaines, je présidais en Afrique la commission politique de l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Quinze pays africains étaient représentés. Une demande forte et croissante de formation professionnelle s’y est exprimée. Comment, selon vous, le CNED pourrait-il y répondre ? En effet, qui dit formation professionnelle dit aussi structures et ateliers.

M. Michel Leroy. Merci, monsieur le député, pour vos propos sur le CNED.

L’un des handicaps de cet excellent outil est sans doute qu’il n’est pas toujours facilement utilisable par tous.

Les raisons en sont d’abord techniques. Le CNED continue à utiliser beaucoup le papier. Certes, la part de la diffusion en ligne de ses outils, de ses cours, s’accroît. Le taux de copies transmises et corrigées en ligne augmente également : nous en sommes à plus de 100 000 par an. Cependant, que l’Internet et le haut débit ne soient pas accessibles partout constitue une limite au développement des usages numériques. Or l’utilisation du support papier rencontre elle aussi des obstacles : manque de fiabilité des services de distribution postale dans certains pays étrangers, contraintes liées à l’envoi de cours en masse…

Aux obstacles techniques s’ajoutent des obstacles plus pédagogiques. À partir de la fin du collège, l’enseignement à distance réclame d’assez fortes capacités d’autonomie et de motivation de l’élève. Certes, celui-ci n’est pas abandonné seul face au monceau de cours et aux devoirs qu’il reçoit ; la correction des copies est aussi une forme de suivi pédagogique, qui s’exprime par les précisions et les conseils donnés ; nous mettons en place une forme de tutorat, en particulier de tutorat électronique, et même, lorsque les contraintes techniques ne s’y opposent pas, des classes virtuelles – mais cette action est plus difficile à organiser à l’étranger qu’en France. Il reste que tous les élèves n’ont pas la capacité d’autonomie requise, et que tous les parents ne disposent pas non plus du temps, de la disponibilité ou des compétences nécessaires à l’exercice du suivi de proximité dont dépend pour beaucoup le bénéfice retiré par l’élève.

Autrement dit, si la qualité des contenus n’est pas discutée, se pose la question de l’adaptation de l’outil à la diversité des publics.

Par ailleurs, si le CNED est bien connu des expatriés français et des élites francophones, et si les postes diplomatiques font, à mon sens, le nécessaire pour qu’il soit identifié comme opérateur – il suffit de consulter les sites Internet des consulats français –, sa réputation ne s’étend pas, pour le reste, au-delà du petit cercle des spécialistes de l’enseignement à distance.

Or, – du moins à ma connaissance – il présente une particularité unique au monde : si, à l’étranger, il existe des universités ouvertes, si des spécialistes sont installés sur des niches d’enseignement à distance dans tel ou tel segment de l’enseignement scolaire, aucun organisme n’offre une gamme de formations aussi complète que le CNED.

Avec les autres opérateurs, nous n’avons peut-être pas encore suffisamment réuni nos énergies pour diffuser une information suffisante à l’attention du public potentiel de l’enseignement à l’étranger – enseignement « présentiel » ou, pour ce qui nous concerne, à distance. Trop parcellaire, l’information mériterait sans doute d’être davantage systématisée et organisée.

Mon appréciation sur l’évaluation des enseignants à l’étranger, sur leur contrôle et sur leurs conditions de nomination ne peut être que personnelle : en ma qualité de directeur général du CNED, je ne suis pas en contact avec eux. J’ai cependant eu l’occasion – notamment lorsque j’étais membre de l’Inspection générale de l’Éducation nationale – d’accomplir des missions d’évaluation de la coopération, notamment en matière de formations bilingues, et d’inspecter des professeurs à l’étranger. À cette époque – peut-être déjà un peu ancienne aujourd’hui –, j’ai perçu de leur part une forte demande de rompre une forme d’isolement : ces enseignants ont besoin de se ressourcer dans leurs disciplines, de travailler avec leurs pairs, à l’étranger ou en France, et de bénéficier d’une information permanente sur les dispositions réglementaires relatives aux examens et aux programmes. Cette demande est sans doute insuffisamment satisfaite à leurs yeux. Mais là se borne ce que je puis dire à ce sujet.

La demande de formations professionnelles est un fait, notamment venant d’Afrique. Comment y répondre, sachant que cela suppose l’organisation de stages ? Si, dans le domaine industriel, la mécanique par exemple, la chose paraît difficile, des outils de formation à distance efficaces ont été développés pour le secteur tertiaire. Ils sont sans doute trop rarement utilisés en France même.

Le CNED est également associé aux réflexions aujourd’hui conduites par le délégué interministériel pour l’éducation numérique en Afrique, sur un projet d’une autre nature : le projet Sankoré de formation des enseignants pour le primaire ; cependant, ce projet ne relève pas vraiment du champ de la formation professionnelle et, d’autre part, le domaine privilégié du CNED reste la formation générale.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Monsieur le directeur général, j’ai plaisir à vous retrouver depuis notre dernière rencontre à Nancy, quand vous y étiez recteur d’académie.

Note mission d’information est évidemment tout particulièrement intéressée par la partie de l’activité du CNED dirigée vers l’étranger. Or, alors même que tous les opérateurs nous disent souhaiter travailler dans une logique de complémentarité, nos auditions nous amènent à penser que, pour rendre l’action extérieure de la France plus lisible et plus cohérente, beaucoup reste à faire à cet égard.

Dans l’activité qui est la vôtre, l’enseignement par correspondance, avez-vous établi, ou envisagez-vous, des partenariats avec l’audiovisuel extérieur de la France ?

Vous avez conclu une convention avec l’AEFE. Cependant, quoique cette agence soit très efficace, la précarité de sa situation budgétaire nous pousse à nous interroger sur sa capacité à se développer pour répondre aux besoins, en très grande partie insatisfaits. En effet, dans bien des grandes villes étrangères, de nombreux enfants français ne peuvent trouver place dans ses écoles. Les capacités n’étant pas là, il faut inventer d’autres formules.

Chaque opérateur doit pouvoir identifier ses objectifs, ses atouts et ses faiblesses pour ensuite mieux travailler, dans la complémentarité, avec les autres et passer de meilleures conventions.

Un projet de loi – le projet de loi relatif à l'action extérieure de l'État – va venir devant l’Assemblée nationale après son examen par le Sénat. Il crée une agence chargée de l'action culturelle extérieure de la France, placée sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères. Elle aura le statut d’établissement public industriel et commercial (EPIC). Ses missions comprendront « la promotion, la diffusion et l’enseignement à l’étranger de la langue française ».

Si les répercussions sur l’AEFE de la création de cette nouvelle agence devront être examinées de près – il faudra notamment éviter tout doublon –, n’y a-t-il pas là l’occasion de rendre plus cohérente l’action des nombreux opérateurs, de mieux « cibler » les publics, les territoires et les missions, et d’organiser la complémentarité des savoir-faire ?

M. Michel Leroy. Monsieur le député, vous avez bien analysé la situation. Les bonnes volontés sont là. Tous les responsables d’organismes que j’ai rencontrés depuis ma nomination partagent avec ceux du CNED le souci de travailler ensemble dans la complémentarité. Mais, outre les moyens – ce qui est peu original –, il manque l’organisation nécessaire pour concrétiser cette volonté. Aujourd’hui, nous n’en sommes encore qu’au stade d’une formalisation très générale, par le biais des conventions que j’ai déjà mentionnées.

La situation est plus avancée en matière d’enseignement du français à l’étranger. Le CNED a signé en 2008 avec le ministère des Affaires étrangères et européennes et avec le Centre international d’études pédagogiques (CIEP) une convention pour la formation des professeurs enseignant le français langue étrangère. Les effets commencent à s’en faire sentir : en 2009, 4 000 professeurs étaient inscrits. Si c’est encore peu, rapporté aux 450 000 professeurs qui enseignent le français dans le monde, c’est un début non négligeable. La volonté et les structures sont là. À l’instar de ce que font d’autres pays, la création – avec l’affectation des moyens nécessaires – d’une plate-forme permettant d’assurer plus facilement, plus « industriellement » en quelque sorte, la formation de ces professeurs serait sans doute souhaitable. Je crois savoir qu’elle fait partie des projets du ministère des Affaires étrangères et européennes. Des avancées sont donc en cours.

À titre personnel, et à un moment où les ressources publiques sont rares, je vois bien l’intérêt qu’il y aurait à disposer, grâce à une agence culturelle, d’un dispositif moins disparate et d’une organisation plus visible. Le CNED pourrait dès lors répondre de façon mieux organisée à la demande là où le réseau n’est pas physiquement présent. Il reste que cela requerrait aussi de sa part un effort non négligeable, en particulier financier.

M. André Schneider, Rapporteur. Ne serait-il pas plus simple qu’un seul ministère coordonne l’ensemble de l’action ? Aujourd’hui interviennent le ministère des Affaires étrangères et européennes, le ministère de l’Éducation et le ministère des Finances. Des zones d’ombre, repérées au cours de nos auditions, pourraient ainsi être éliminées.

M. Michel Leroy. Le ministère des Affaires étrangères et européennes développe aujourd’hui des projets très intéressants pour « l’éducation à la française » et pour la création d’un label de qualité. Nous sommes associés aux réflexions liminaires. Ensuite, il faudra traiter la question des responsabilités respectives de chacun des ministères concernés.

Monsieur Féron, on voit bien quelle complémentarité pourrait être instituée entre le CNED et l’audiovisuel extérieur de la France. Cependant même si nous avons pris des contacts – avec TV5 Monde par exemple – et si des équipes de travail se sont rencontrées, le CNED n’est à ce jour engagé dans aucun projet formalisé.

M. Hervé Féron, Rapporteur. Monsieur Leroy, pourrez-vous nous transmettre des éléments précis sur l’activité du CNED, notamment à l’étranger ?

M. Michel Leroy. Très volontiers.

M. Jean-François Mancel, Rapporteur. Quelle est la part des formations proposées par le CNED qui sont spécifiquement tournées vers l’international ?

M. Michel Leroy. Le CNED offre toute la gamme des formations. Nous assurons même des formations spécifiques, par exemple pour l’enseignement du français à l’étranger. Ainsi notre préparation au diplôme d'aptitude à l'enseignement du français langue étrangère (DAEFLE) est l’un de nos fleurons.

En revanche, en dehors de ces formations très spécifiques, il nous est très difficile d’identifier pour l’étranger des formations – tant universitaires que professionnalisantes – différentes de celles que nous dispensons en France et en langue française.

Au sein des formations libres, il serait possible de distinguer les formations relevant de l’enseignement scolaire ; j’en tiens les effectifs d’inscrits à votre disposition. Pour le reste, même si nous en avions la capacité, nous ne distinguons pas très clairement l’élève inscrit aux États-Unis de celui qui l’est en Bretagne. Nous les servons identiquement où qu’ils se trouvent, sur les cinq continents. Seuls les coûts diffèrent.

M. André Schneider, Rapporteur. Lors de son précédent contrôle par la Cour des comptes, le CNED avait pris des engagements sur la gratuité des prestations fournies aux élèves, relevant de l’enseignement obligatoire, mais empêchés de se rendre en classe. Cette règle s’applique sur le territoire national. Des dispositions équivalentes ont-elles été instaurées en faveur des enfants français à l’étranger ?

M. Michel Leroy. La question, essentielle, est délicate. À l’heure actuelle, les élèves inscrits avec l’accord du conseiller culturel bénéficient d’un tarif préférentiel, soit d’une redevance. Cette redevance est assez éloignée du tarif « libre », destiné aux autres publics : dans le premier degré, par exemple, il est de l’ordre de 130 euros alors que le tarif non réglementé dépasse 600 euros.

Il y a là un point préoccupant et pénalisant pour le CNED. Le tarif de la redevance est très loin de correspondre au prix de revient industriel que nous nous efforçons de calculer pour évaluer nos tarifs. D’autre part, en vertu des règles de l’application territoriale des lois, aucune disposition particulière ne prévoit de tarif préférentiel pour les élèves français à l’étranger. Nous nous sommes interrogés à ce sujet mais nous avons mesuré le coût résultant de l’écart entre le tarif de la redevance et le tarif libre et, compte tenu de notre situation financière fragile, il nous faudra bien prendre en compte cet élément.

M. David Habib, Président. Je vous remercie, monsieur le directeur général.

*

* *

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () L'agent expatrié est titulaire de la fonction publique. Il est recruté hors du pays d'affectation et il est détaché auprès de l'AEFE qui le rémunère, pour une période de 3 ans, renouvelable 2 ans par reconduction expresse pour les personnels enseignants, et renouvelable par reconduction expresse pour 2 périodes d’un an pour les personnels d'encadrement (inspecteurs, chefs d'établissements et adjoints, directeurs du primaire, CPE, conseillers pédagogiques, chefs de travaux et postes à profil).

3 () L'agent résident est titulaire de la fonction publique. Il est recruté par le directeur de l'Agence sur proposition du chef d'établissement du pays où il doit résider depuis 3 mois au moins à la date d'effet du contrat ou suivre son conjoint ou son partenaire au sens du PACS qui y exerce ou y réside. Il est détaché auprès de l'AEFE qui le rémunère, généralement pour une période de 3 ans, renouvelable.

4 () L'agent recruté local est recruté par l'établissement scolaire ou le comité de gestion avec lequel il a signé un contrat conforme au droit local. Les recrutés locaux peuvent être de nationalité française ou étrangère, et occupent aussi bien des postes d’enseignants, que des emplois administratifs, ou des postes de personnels ouvriers et de services.

5 () Le Livre blanc avait cité le chiffre de 300 millions d’euros. Dorénavant, il est plutôt question de 700 millions d’euros.

6 () Ainsi que les élèves de première scolarisés dans l’hémisphère sud, dont les calendriers scolaires diffèrent de ceux du nord.

7 () Soit en septembre pour le rythme nord et en mars pour le rythme sud.

8 () Soit en février–mars pour le rythme nord et en août–septembre pour le rythme sud.

9 () Soit en juin pour le rythme nord et en décembre pour le rythme sud.

10 () Données relatives à la PEC pour le rythme nord.

11 () D’après les informations recueillies lors des auditions menées par la mission d’évaluation et de contrôle, le coût de la scolarité aurait augmenté d’environ 10 % par an ces trois dernières années.

12 () Loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances initiale pour 2009.

13 () Mesure entrée en vigueur le 4 avril 2009 suite à l’annonce du Président de la République formulée lors de ses vœux au monde la culture le 13 janvier 2009.

14 () Ainsi qu’aux jeunes ressortissants d’un pays de l’Espace économique européen.

15 () Article 12 du traité instituant la Communauté européenne.

16 () En 2008-2009, le réseau AEFE scolarisait 173 592 élèves dont 82 221 élèves français et 91 371 élèves étrangers au sein de 243 établissements (en gestion directe et conventionnés).

17 () Année scolaire 2009-2010 rythme nord et 2010 rythme sud.

18 () À l’échéance 2018-2019 selon le rythme d’extension initialement prévu, soit une classe supplémentaire par an.

19 () Ainsi, fin 2009, 650 dossiers représentant un montant cumulé supérieur à 3 millions d’euros ont été refusés.

20 () Coefficient qui détermine, pour les familles, la part de leur revenu disponible devant être affectée aux frais de scolarité.

21 () Et moins de 2 % dans l’hypothèse d’une extension de la PEC aux classes de troisième en 2011, puis de quatrième en 2012.

22 () Les binationaux, possédant, outre la nationalité française, la nationalité d’un autre pays sont donc également éligibles à ce dispositif.

23 () C'est-à-dire ne possédant ni la nationalité française, ni la nationalité correspondant au pays d’accueil.

24 () Sur le cas particulier des ressortissants de l’Union européenne, voir supra.

25 () Même si, depuis 2007, la dotation allouée aux bourses scolaires augmente en valeur absolue, la part qu’elle représente dans l’ensemble des aides à la scolarité ne cesse de diminuer (de 87 % en 2007 à 70 % en 2009).

26 () Rappelons, à titre d’exemple, que 83 % des biens immobiliers occupés par le réseau d’enseignement français au Maroc appartiennent à l’État marocain, lequel en octroie la jouissance à l’État français sous réserve d’un usage exclusif pour des missions d’enseignement. Le réseau n’exerce la pleine propriété que sur 17 % seulement des biens qu’il occupe.

27 () Créé en 1998, le Cercle Magellan est un réseau de directeurs de ressources humaines internationaux s’occupant plus particulièrement de mobilité internationale. Il compte plus de 200 multinationales, représentant 40 000 expatriés répartis sur les cinq continents.

28 () Cf. audition du jeudi 1er avril 2010, séance de 10 heures 30.

29 () Cf. audition du jeudi18 février 2010, séance de 11 heures.

30 () Cf. Audition de M. Yves Aubin de la Messuzière, jeudi 18 février 2010, séance de 9 heures 30.

31 () Les perspectives de généralisation de la PEC retiennent l’année scolaire 2018-2019 (rythme nord) comme date à laquelle le dispositif couvrirait l’ensemble des classes, du cours préparatoire à la terminale.

32 () Les économies seraient d’environ 53 millions d’euros en 2011, 88,5 millions d’euros en 2012 et 137 millions d’euros en 2013  en ne retenant comme source d’économie que le montant des PEC stricto sensu (PEC versées à des élèves qui, sans l’application de ce dispositif, n’auraient pas été éligibles à des bourses sur critères sociaux), et dans l’hypothèse où l’intégralité des sommes restantes serait reversée au titre des bourses.

33 () Loi n°2003-709 du 1er août 2003.

34 () Cf. audition conjointe des représentants du Cercle Magellan et du groupe Total, jeudi 1er avril, séance de 10 heures 30.

35 () Cf. audition de Mme Maryse Duselier, déléguée aux affaire internationales de l’Association des régions de France (ARF) ; jeudi 1er avril 2010, séance de 11 heures 30.

36 () Cf. audition de Mme Anne-Marie Descôtes, jeudi 11 mars 2010, séance de 11 heures.

37 () Non Français, non locaux.

38 () Cf. audition des représentants de l’Assemblée des Français de l’Étranger, 4 mars 2010, séance de 12 heures.

39 () À la rentrée 2009, 29 000 élèves étaient scolarisés dans le réseau dont 18 200 au sein des 23 établissements AEFE (soit 10,5 % de l’ensemble des élèves scolarisés dans le seul réseau AEFE), 5 800 dans les 7 établissements gérés par la MLF-OSUI, et 4 600 au sein de 7 établissements marocains privés homologués.

40 () En loi de finances initiale pour 2010, 420,82 millions d’euros avaient été inscrits à l’action n°5 Service public d’enseignement à l’étranger du programme 185 Rayonnement culturel et scientifique et 106,2 millions d’euros au titre des bourses scolaires et de la PEC, inscrits à l’action n ° 2 Accès des élèves français au réseau AEFE du programme 151 Français à l’étranger et affaires consulaires, soit 527,02 millions d’euros au total.

41 () Cf. notamment les auditions du 4 mars 2010 séance de 12 heures et du 18 mars 2010 séance de 9 heures 30.

42 () « La France et l’Europe dans le monde : Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France 2008-2020 ».

43 () Cf. lettre de mission du Président de la République au ministre des Affaires étrangères et européennes.

44 () Cf. audition du jeudi 4 mars 2010, séance de 11 heures.

45 () Et par conséquent inscrits à son bilan.

46 () À l’exception de l’école Max Marchand d’Alger, dont l’État n’a que la jouissance en vertu d’un protocole d’échange avec les autorités algériennes.

47 () Cf. le bien acquis le 30 décembre 2006 pour établir l’école primaire de Munich.

48 () Cf. M. Stéphane Romatet, audition du jeudi 18 février 2010, séance de 11 heures.

49 () Montant comprenant les travaux de réhabilitation nécessaires stricto sensu ainsi que des investissements moins prioritaires (rénovation du centre de documentation et d’information, du stade, du gymnase).

50 () La holding AEF regroupe France 24, RFI et détient 49 % de la société multilatérale TV5 Monde.

51 () Cf. audition du mercredi 28 avril 2010, séance de 11 heures 30.

52 () Le CNED a déjà signé des conventions de collaboration pédagogique avec près de 90 établissements français présents dans plus d’une centaine de pays.

53 () Rappelons notamment que France 24 est diffusée en anglais 24h/24 et reçue par 80 millions de foyers. Par ailleurs, depuis le printemps 2009, la chaîne est diffusée en arabe 10 heures par jour et touche 50 millions de foyers, une extension de diffusion dans cette langue étant prévue avec un objectif de 24h/24 d’ici 2011.

54 () Les partenaires de TV5 Monde sont les gouvernements du Canada, de la Communauté française de Belgique, de la Confédération helvétique et du Québec. Ils détiennent 33,3 % du capital de la chaîne.

55 () Notamment le Journal en français facile ou encore Les mots de l’actualité.

56 () Quelque 4 000 fiches sont utilisées chaque jour.

57 () Inspecteur général des Finances, coordonnateur d’un rapport RGPP relatif à l’AEFE.

58 () La commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale propose la disjonction de FCI du nouvel ensemble.


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