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N° 3192

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mars 2011

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

sur la vacance des locaux commerciaux et les moyens d’y remédier

ET PRÉSENTÉ

PAR M. Daniel FASQUELLE,

Député.

——

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I.— LES RAISONS DE LA VACANCE DES LOCAUX COMMERCIAUX : CAUSES SUPPOSÉES ET CAUSES RÉELLES 7

A.— LE RÉGIME DES BAUX COMMERCIAUX DÉROGATOIRES EST SOUVENT POINTÉ DU DOIGT… 7

1. Qu'est-ce qu'un bail dérogatoire ? 9

a) Un contrat innommé : la convention d’occupation précaire de locaux commerciaux 9

b) Un bail peu défini : la location à caractère saisonnier 11

c) Une notion hybride : le régime dérogatoire créé par la loi du 12 mai 1965 11

2. Pourquoi y avoir recours ? 13

a) Un bail à l’essai 13

b) Des usages dévoyés 13

3. Des conséquences parfois fâcheuses 14

B.— …MAIS EN RÉALITÉ DE NOMBREUX PHÉNOMÈNES CONCOURENT À CETTE SITUATION 15

1. La concurrence des commerces en périphérie 15

2. Des loyers trop élevés 17

3. Des causes différentes selon le type de villes 20

II.— QUELQUES PISTES POUR TENTER D'Y REMÉDIER 21

A.— SUPPRIMER LE RÉGIME DES BAUX DÉROGATOIRES ? 21

1. Un régime dont la souplesse est adaptée à la vie des affaires 21

2. Les modifications envisageables pour renforcer la sécurité juridique 23

a) Limiter explicitement à deux ans la durée des baux dérogatoires 23

b) Sécuriser la transformation du bail dérogatoire en bail statutaire 23

c) Permettre une meilleure connaissance de la pratique des baux dérogatoires 25

d) Renforcer la protection à l’égard de certaines formes de commerce d’ameublement 25

B.— ÉTENDRE LES POSSIBILITÉS DE PRÉEMPTION DES COMMUNES ? 26

C.— DONNER DAVANTAGE D’OUTILS AU MAIRE 28

1. Développer un cadre favorable au commerce 28

2. La police de l’environnement 29

III.— PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION 33

EXAMEN EN COMMISSION 35

ANNEXE : LISTE DES ORGANISMES ET PERSONNES AUDITIONNÉS 53

MESDAMES, MESSIEURS,

À l’heure où l’attractivité des centres-villes et la lutte contre l’implantation anarchique des grandes surfaces sont des problématiques au cœur de la vie quotidienne des Français, la question de la vacance des locaux commerciaux est également perçue avec une grande acuité, tant elle peut être à l’origine de préjudices pour une rue, un quartier, voire une agglomération dans son ensemble, ainsi que, par répercussion, sur les consommateurs.

Couplée à la « tertiarisation » des rez-de-chaussée commerciaux qui conduit à la disparition progressive des commerces de bouche dans certaines artères principales au bénéfice des agences bancaires, immobilières ou de travail temporaire, cette nouvelle forme de mitage urbain interpelle les élus locaux qui souhaitent agir en faveur du dynamisme commercial de leurs quartiers.

Aucune région n’est préservée à l’égard du phénomène des vitrines vides ou à l’abandon, qui porte atteinte à l’image des commerces voisins et décourage les chalands. De la simple « verrue » au sein d’une artère commerçante à la multiplication des rideaux baissés et des vitrines à l’abandon avec la crise, le développement de véritables petites friches commerciales n’est pas contestable. Mais, à l’évidence du constat de la situation s’oppose l’incertitude quant aux causes profondes de ce phénomène.

Une des explications les plus fréquemment mises en avant sur le terrain, est celle du développement des baux dits « précaires » dont la courte durée – ils ne peuvent excéder deux ans –, contribuerait à l’instabilité des fonds de commerce et à la multiplication des locaux vacants durant les périodes plus ou moins longues de viduité entre deux exploitations.

Il convient de préciser que le régime des baux de nature commerciale improprement dits « précaires » en raison de la limitation à deux ans de leur durée, constitue une dérogation au statut des baux commerciaux élaboré par le législateur depuis 1926 et qui figure désormais aux articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce. Par souci de précision juridique et afin d’éviter toute ambiguïté avec le régime de la convention d’occupation précaire avec lequel il est parfois confondu, le présent rapport utilise l’appellation de bail dérogatoire.

Partant de l’idée selon laquelle les baux dérogatoires seraient les principaux responsables de la vacance des locaux commerciaux, votre rapporteur a pu constater, au cours des diverses auditions, que les professionnels n’y attribuent pas une grande pertinence et qu’ils préfèrent avancer diverses autres causes, principalement de nature économique. Il apparaît en conséquence que, si les baux dérogatoires méritent quelque attention, notamment pour clarifier leur situation juridique par rapport à d’autres conventions comme les baux saisonniers ou les conventions d’occupation précaire, et pour tenter de sécuriser certains aspects donnant lieu à contentieux, ils n’interviennent que marginalement dans la présente problématique de vacances des locaux commerciaux.

L’animation des villes, les efforts entrepris pour en renforcer l’attractivité et le bien-être des habitants, sont des préoccupations fortes des élus locaux et particulièrement des équipes municipales. La loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises qui a créé un droit de préemption par les communes des fonds artisanaux, des fonds de commerce, des baux commerciaux et des terrains faisant l'objet de projets d'aménagement commercial, a doté les édiles municipaux de nouveaux outils pour réguler l’immobilier locatif ou commercial. Votre rapporteur incline à penser que cette évolution doit se poursuivre sans doute autour des pouvoirs classiques de police générale des maires et des polices spéciales liées à la prise en compte de l’environnement et de la qualité de la vie ; il est possible d’avancer un certain nombre de pistes de réflexion pour remédier au phénomène de vacances de locaux commerciaux et de leur dégradation.

Le présent rapport propose diverses pistes de réformes qui concernent aussi bien le droit commercial, l’urbanisme commercial ou le droit de l’environnement. Les problématiques abordées, ou parfois simplement esquissées, touchent en effet des domaines très variés. C’est la raison pour laquelle, à côté de propositions directement opératoires, figurent également des pistes de réflexion qui demandent à être complétées et approfondies.

I.— LES RAISONS DE LA VACANCE DES LOCAUX COMMERCIAUX : CAUSES SUPPOSÉES ET CAUSES RÉELLES

La vacance des locaux commerciaux peut être expliquée par une pluralité de causes de nature diverses. Au-delà des questions personnelles, désormais qualifiées d’accidents de la vie, on peut identifier des facteurs juridiques et des facteurs économiques.

En ce qui concerne les questions juridiques, il convient de rappeler que de nombreux commerçants ne sont pas propriétaires du local dans lequel ils exercent leur profession en exploitant un fonds de commerce. Ils occupent les lieux en qualité de locataire dans le cadre d’un contrat de bail commercial. Ce bail obéit à des règles impératives qui constituent le statut des baux commerciaux dont l’économie générale vise à assurer, au profit du commerçant locataire (le preneur), une pérennité d’exploitation du fonds et de la clientèle qui y est attachée.

La conquête par les commerçants d’un droit au renouvellement du bail s’est effectuée progressivement, elle constitue aujourd’hui la pierre angulaire du statut des baux commerciaux. Même s’il est parfois considéré comme étant exagérément favorable au commerçant en place, le statut organise une stabilité propice aux investissements et au développement de l’activité. Mais à côté de ces baux de droit commun, existe un régime dérogatoire qui est souvent pointé du doigt pour expliquer les vacances de locaux commerciaux. Ce régime dérogatoire, régulièrement confondu avec celui des baux saisonniers, est improprement qualifié de « précaire » dans la pratique des relations commerciales. Nous verrons que ce régime ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité.

La vie des affaires, les contraintes de la saisonnalité, les tendances lourdes de l’urbanisme commercial depuis la loi Royer (1973) sont certainement des données plus pertinentes que l’approche strictement juridique. Votre rapporteur considère que c’est davantage ce type de contraintes qui est à l’origine des vacances constatées dans les rues commerçantes de nos cités.

A.— LE RÉGIME DES BAUX COMMERCIAUX DÉROGATOIRES EST SOUVENT POINTÉ DU DOIGT

Parce qu’il s’écarte de la durée minimale de neuf ans qui figure à l’article L. 145-4 du code de commerce, le régime des baux commerciaux dérogatoires est généralement considéré comme une source d’instabilité des locataires entraînant mécaniquement des périodes de vacances des locaux. Ce régime juridique de nature hybride n’est pas une nouveauté puisqu’il fait partie de l’ordonnancement juridique depuis la loi n° 65-356 du 12 mai 1965 (1). Un bref rappel historique s’impose pour saisir les enjeux attachés à l’application du statut et la pertinence de l’existence d’un régime dérogatoire.

Rappelons que le XIXème siècle a vu se développer le concept du fonds de commerce, dont l'existence a été consacrée par la loi du 17 mars 1909 (2), désormais codifiée aux articles L. 141-1 et suivants du code de commerce. Il est apparu que la protection du fonds, qui tient à sa pérennité, n'était pas suffisamment assurée par les règles du code civil relatives au contrat de louage. Comme nous l’avons précédemment indiqué, le commerce de détail s'exerce surtout dans un local loué. Or, si l’on peut considérer que les règles classiques du louage suffisent, pour l'essentiel, à assurer les relations entre les parties pendant la durée d'exécution du bail, tel n'est pas le cas lorsque le contrat arrive à son terme. Le code civil prévoit alors de plein droit la fin du bail, plaçant le locataire commerçant en situation précaire pour continuer son activité.

En pratique, le bailleur qui se trouvait dans une situation privilégiée par rapport à son locataire, décidait, soit de reprendre l'exploitation à son compte, en s'appropriant la clientèle développée par le locataire, soit de faire monter le prix de la location en arguant de la valeur que représente cette clientèle.

La loi du 20 juin 1926 réglant les rapports entre locataires et bailleurs, en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d'immeubles ou de locaux à usage commercial ou industriel, a entendu corriger ce déséquilibre en instituant au profit du locataire un droit au renouvellement du bail, le bailleur conservant toutefois la possibilité de le refuser en cas d'infraction au bail constituant un motif légitime. À défaut, le bailleur doit verser une indemnité d'éviction au preneur afin de compenser le préjudice causé par la perte du fonds. Par ailleurs, le locataire obtient le droit de céder le bail avec le fonds. Ce texte a ainsi consacré la notion de « propriété commerciale » qui met l'accent sur l'amputation d'un élément essentiel de l'article 544 du code civil (3) définissant la propriété, à savoir le droit de disposer librement de la chose.

Cette loi ayant fait l’objet de modifications qui rendaient son interprétation délicate, le gouvernement dirigé par Joseph Laniel qui bénéficiait d’une habilitation parlementaire, intervint par un décret-loi en date du 30 septembre 1953 (4). Selon l’exposé des motifs de ce texte, « le présent décret codifie les règles concernant le renouvellement des baux d'immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal en y apportant les modifications que commandent l'expérience, l'évolution de la conjoncture économique ou l'intérêt bien compris des parties en présence ». Ainsi, « les modifications apportées à la législation antérieure tendent à adapter cette législation à l'évolution économique dans ses éléments essentiels. Elles tiennent compte du fait que, conçu à l'origine pour protéger les commerçants contre toute éviction injustifiée qu'il risquait de déprécier leur fonds de commerce, le droit au renouvellement du bail commercial improprement appelé " propriété commerciale " a été étendu par la suite à tous les locaux commerciaux, industriels ou artisanaux, à la condition qu'il existe un fonds de commerce. »

Ce décret est demeuré le texte de référence en matière de baux commerciaux pendant près d’un demi-siècle et il n’est pas rare de l’entendre évoquer par les praticiens, alors même qu’il a été intégré dans la partie législative du code de commerce (5).

Les principales modifications apportées au décret du 30 septembre 1953 résultent de la loi n° 65-356 du 12 mai 1965 issue d’une proposition de loi adoptée par le Parlement en cinquième lecture. Cette loi a notamment fixé à neuf ans la durée minimale du contrat de location et créé le régime dérogatoire au statut pour les baux d’une durée au plus égale à deux ans. Les baux dérogatoires de courte durée, dits « précaires », ont donc 55 ans d’existence mais leur appréhension demeure souvent incertaine, voire confondue avec d’autres formes contractuelles.

1. Qu'est-ce qu'un bail dérogatoire ?

Si le bail soumis au statut des baux commerciaux constitue la forme contractuelle la plus utilisée pour l’exploitation d’un fonds de commerce, la loi du 12 mai 1965 précitée a exclu du champ d’application du statut deux catégories de baux, soit en raison de leur caractère saisonnier, soit, dans l’hypothèse qui nous intéresse plus particulièrement, parce qu’ils sont conclus pour une courte durée qui ne peut excéder deux ans. À côté de ces baux, la jurisprudence a reconnu la validité de conventions par lesquelles le propriétaire ne concède qu’un droit d’occupation temporaire et précaire : les conventions d’occupation précaire.

La proximité de ces trois contrats qui échappent au statut des baux commerciaux fait qu’ils sont parfois confondus dans la pratique, un effort de clarification s’avère nécessaire pour saisir leurs spécificités respectives (propositions 1 et 2).

a) Un contrat innommé : la convention d’occupation précaire de locaux commerciaux

La convention d’occupation précaire constitue une création de la pratique et de la jurisprudence, le code civil pas plus que le code de commerce ni les différents textes relatifs aux baux commerciaux, ruraux, d’habitation ou professionnels ne contiennent de dispositions précisant sa nature et son objet.

Ce type de convention issu de la pratique résultait, à l’origine, de rapports d’amitié ou de situations exceptionnelles comme l’état de guerre conduisant à une situation ne permettant au propriétaire d’exploiter un fonds. La convention d’occupation précaire présente l’intérêt d’écarter l’application du régime statutaire des baux commerciaux sans limitation de durée, sous réserve de certaines conditions. On peut d’ailleurs noter que la création du régime dérogatoire aux baux commerciaux, par la loi du 12 mai 1965, entendait enrayer le développement de ces conventions mais que cette volonté n’a pas été suivie d’effets, preuve que les conventions d’occupation précaire répondent à un réel besoin pratique.

Sur le plan juridique, la convention d’occupation précaire se distingue du bail car elle est révocable à tout moment par le propriétaire alors que le contrat de bail garantit au preneur une jouissance paisible. D’ailleurs le cocontractant du propriétaire est appelé occupant, et non pas locataire, et l’on parle de redevance et non de loyer. Le montant de cette redevance payée par l’occupant est généralement inférieur à un loyer présumé correspondre à la valeur locative réelle. Cette caractéristique trouve sa justification dans la fragilité du droit de jouissance de l’occupant, dans sa précarité.

Conditions d’application de la convention d’occupation précaire

La légitimité du recours à une convention d’occupation précaire repose sur l’élément de précarité qui caractérise la situation de l’occupant. La jurisprudence considère que ce n’est pas la brièveté de la convention mais son caractère provisoire qui caractérise la situation de précarité. On peut ainsi dire que l’occupation précaire demeure tant que l’élément de précarité demeure, et ce sans véritable limitation de la durée (6).

Dans la pratique l’élément constitutif de la précarité peut découler de projets relatifs à l’immeuble (projet de démolition, de reconstruction, attente d’expropriation de délivrance d’un permis de construire) ou de convenances personnelles des parties (attente de l’issue d’une succession, de l’issue d’un procès, de la réalisation de travaux d’aménagement).

Comme d’autres créations prétoriennes, la convention d’occupation précaire présente une marge d’incertitude qui est de nature à créer une insécurité juridique pour les cocontractants. C’est la raison pour laquelle le groupe de travail présidé par Me Philippe Pelletier en 2004 avait proposé de reprendre, dans un article L. 145-5-1 nouveau du code de commerce, la définition jurisprudentielle selon laquelle une convention d’occupation précaire « se caractérise, quelle que soit sa durée, par le fait que l’occupation des lieux n’est autorisée qu’à raison de circonstances précises » (7). Il apparaît souhaitable de préciser le régime de la convention d’occupation précaire dans le code du commerce (proposition n° 1).

b) Un bail peu défini : la location à caractère saisonnier

Le code de commerce est très peu disert au sujet des locations à caractère saisonnier. Le dernier alinéa de l’article L. 145-5, qui définit les baux dérogatoires au statut, se borne à indiquer que « les dispositions des deux alinéas précédents [qui visent respectivement la transformation du bail dérogatoire en bail statutaire en cas de maintien dans les lieux du preneur et de conclusion d’un nouveau bail] ne sont pas applicables s’il s’agit d’une location à caractère saisonnier ».

Dans le silence de la loi, c’est la jurisprudence qui a dû dégager les éléments constitutifs de la location à caractère saisonnier. Par définition, la location saisonnière a une durée en rapport avec une saison touristique correspondant à un afflux de population dans la région considérée. Elle a donc vocation à s’appliquer dans les stations de sport d’hiver, les villes d’eau et les stations balnéaires pendant quelques mois chaque année. La durée de la saison ne fait pas l’objet d’une définition unique mais doit être appréciée en fonction de chaque situation concrète, la jurisprudence utilise la notion de « période de l’année déterminée par une unité d’activité économique ».

La location saisonnière est soumise aux dispositions du code civil régissant le louage, elle est exclusive de tout droit au renouvellement ou à une indemnité d’éviction. Le preneur qui se maintient dans les lieux à l’expiration du bail saisonnier encourt l’expulsion.

Une distinction complémentaire doit être opérée entre la location purement saisonnière et la location continue avec exploitation saisonnière qui relève du statut des baux commerciaux. Le critère de distinction réside alors dans le caractère continu (statut) ou discontinu (dérogatoire) de la jouissance du local.

Dans un souci de clarté, il apparaît nécessaire de préciser dans le code du commerce la définition et le régime du bail saisonnier (proposition n° 2).

c) Une notion hybride : le régime dérogatoire créé par la loi du 12 mai 1965

La loi du 12 mai 1965 précitée a introduit dans le décret n° 53-960 du 30 septembre 1953 un article 3-2, devenu l’article L. 145-5 du code de commerce, autorisant la conclusion d’un bail d’une durée ne pouvant être supérieure à deux ans qui n’est pas assujetti au statut des baux commerciaux.

Sur le plan juridique, sa nature hybride et dérogatoire, bail de nature commerciale destiné à l’exploitation d’un fonds de commerce mais régi par les dispositions du droit commun, a pour corollaire l’existence d’une procédure de transformation automatique en bail commercial de droit commun à l’issue de la période de deux ans. Cette procédure qui supplée l’absence de volonté expresse des parties est source d’un important contentieux qui en fragilise la portée.

La volonté des parties de déroger au statut des baux commerciaux doit apparaître de manière claire dans le contrat (la jurisprudence ne se contente pas de la circonstance liée à une durée du bail fixée pour une période inférieure à deux ans (8)), elle doit se manifester au plus tard lors de l’entrée dans les lieux.

C’est sa brève durée qui caractérise le bail dérogatoire ; les parties ont la faculté de conclure un bail pour une durée librement débattue dès l’instant qu’elle n’excède pas deux ans. Le bail peut donc avoir une durée d’un mois, d’un trimestre, de six mois, d’un an et jusqu’à vingt-quatre mois, jour pour jour. On constate, dans la pratique, que de nombreux baux dérogatoires sont conclus pour une durée de vingt-trois mois ce qui est « totalement injustifié et dangereux » (9). Un tel choix laisse en effet supposer que le bailleur disposerait d’un mois avant le terme légal pour expulser le locataire, ce qui est inexact car, quelle que soit la durée du bail, le statut des baux commerciaux trouvera à s’appliquer à l’expiration de la durée prévue, dès lors que le locataire demeure dans les lieux et que le propriétaire ne s’y oppose pas.

Les assouplissements apportés par la loi de modernisation de l’économie

Au mois de septembre 2003, le garde des Sceaux, M. Dominique Perben, avait confié à Me Philippe Pelletier, avocat au Barreau de Paris et président de l’Agence Nationale pour l’Amélioration de l’Habitat, la direction d’un groupe de travail chargé de réfléchir à la modernisation de la législation relative aux baux commerciaux. Le rapport rendu au mois d’avril 2004,  qui comprenait quelque quarante propositions de réforme, ne fit pas l’objet d’un texte portant modernisation des baux commerciaux et professionnels, mais de différentes mesures de portée limitée au sein de textes comme la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008.

Une des propositions du groupe de travail consistait à permettre la succession de plusieurs baux dérogatoires dans la limite de la durée totale de deux ans au motif que « les parties pouvaient en effet souhaiter s’engager pour une durée inférieure à deux ans, par exemple une année, et que rien ne justifiait que la prolongation de cette courte période demeure illicite. Cette souplesse nouvelle offerte aux parties à l’intérieur du cadre strict des deux ans est apparue d’intérêt commun » (10).

La loi a modifié la fin du premier alinéa de l’article L. 145-5 du code de commerce qui dispose désormais que « les parties peuvent, lors de l’entrée dans les lieux du preneur, déroger aux dispositions du présent chapitre à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs ne soit pas supérieure à deux ans ».

Le terme du bail dérogatoire

Le bail dérogatoire étant un contrat à durée déterminée, il cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé et le propriétaire n’est nullement tenu de notifier congé conformément aux termes de l’article 1737 du code civil. Toutefois, en raison des conséquences attachées au maintien du preneur dans les lieux, il est prudent pour le bailleur de notifier une sommation de déguerpir ou d’informer le locataire par lettre recommandée avec accusé de réception de son intention de ne pas reconduire le bail ou de le laisser se perpétuer dans les lieux.

2. Pourquoi y avoir recours ?

Dans une formule imagée, un auteur a pu dire que « le bail dérogatoire de courte durée est au bail commercial ce que l’union libre a été au mariage, il y a quelques siècles » (11).

À l’origine du régime dérogatoire se trouve l’idée d’alléger les conséquences pécuniaires liées au statut, à savoir le versement d’un droit d’entrée ou pas-de-porte au bénéfice du bailleur qui s’expose quant à lui au versement d’une indemnité d’éviction en cas de non-renouvellement du bail. Mais d’autres considérations pragmatiques ou, parfois, frauduleuses entrent en ligne de compte.

a) Un bail à l’essai

Parfois qualifiés de « baux à l’essai » pour mettre en avant l’engagement limité des deux parties au contrat, le bailleur et le preneur, ces baux sont souvent choisis par les commerçants souhaitant prendre la température du marché avant de s’engager dans une relation de longue durée encadrée par les dispositions des articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce ou pour répondre à une indisponibilité temporaire de local consécutive à un sinistre. Sur le plan pratique, la durée limitée et l’incertitude qui pèsent sur l’issue du contrat n’apparaissent pas propices à la réalisation d’investissements par le preneur, en sorte que le fonds peut voir sa valeur décliner et trouver difficilement nouveau preneur, en tout cas aux conditions tarifaires souhaitées par le bailleur.

Mais d’autres motivations peuvent être à l’origine du choix de recourir à un bail dérogatoire, le propriétaire peut souhaiter ne pas s’engager dans une relation contractuelle trop longue et éviter les contraintes liées à la propriété commerciale. Il peut également agir de la sorte afin de tester la solvabilité du preneur dans l’optique de lui consentir ultérieurement un bail commercial en bonne et due forme.

b) Des usages dévoyés

L’existence même du statut des baux commerciaux dont certaines règles sont d’ordre public (durée de 9 ans, révision triennale du loyer, indemnité d’éviction) induit des stratégies de contournement qui peuvent constituer des comportements frauduleux. Ainsi, sur le modèle de la succession de plusieurs contrats de travail à durée déterminée pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, des propriétaires peuvent avoir la tentation d’échapper à la propriété commerciale conférée par le bail commercial en faisant se succéder plusieurs baux dérogatoires sur une période supérieure aux deux ans prévus par l’article L. 145-5.

Il est certes admis par la jurisprudence que les parties peuvent renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux (12) dès lors que le droit est acquis et que la volonté d’y renoncer est dépourvue d’équivoque. La renonciation pour être valable doit donc intervenir postérieurement au terme du bail dérogatoire et de manière expresse, par exemple sous la forme d’une clause du nouveau bail dérogatoire, même si la jurisprudence a parfois accepté la notion de renonciation implicite. Cette position a été critiquée par la doctrine (13) car elle apparaît contraire à la volonté du législateur de limiter strictement le recours au bail dérogatoire à un seul contrat d’une durée maximale de deux ans, et depuis 2008 à la possibilité de conclure plusieurs baux successifs dans la même limite temporelle.

En toute hypothèse, le juge s’attache à vérifier que la renonciation est éclairée et n’est pas en réalité imposée par le bailleur à un cocontractant peu au fait des questions juridiques y afférent.

Il s’agit bien d’un détournement de la volonté du législateur qui a souhaité que les baux dérogatoires soient limités à une durée totale de deux ans.

Effet d’aubaine ou détournement de la réglementation, les baux dérogatoires peuvent également servir de pavillon de complaisance pour des « arnaques » commerciales, particulièrement dans le secteur du commerce de meubles (14).

3. Des conséquences parfois fâcheuses

Même utilisé conformément aux textes, le bail dérogatoire peut donner lieu à deux situations dommageables. Si l’activité périclite, le preneur ne renouvelle pas le bail et le local demeure vacant et non entretenu jusqu’à la reprise suivante. Si l’activité fleurit, il se peut qu’au moment de la reprise du bail, le bailleur augmente considérablement le montant du loyer, si bien que le preneur renonce, avec les mêmes conséquences que dans les cas précédents.

D’autres conséquences ont été constatées : certains locataires n’ont pas conscience que le bail est dérogatoire et effectuent des travaux trop importants eu égard à la durée de ce bail. À l’inverse, d’autres en font trop peu, ce qui déprécie rapidement le local.

Il s’ensuit des conséquences dommageables pour le chaland et pour la ville elle-même dont l’image pâtit de cet abandon, même au sein des artères les plus attractives.

B.— MAIS EN RÉALITÉ DE NOMBREUX PHÉNOMÈNES CONCOURENT À CETTE SITUATION

Il convient de souligner de prime abord que, bien qu’il n’existe pas de statistiques officielles sur le nombre de baux dérogatoires, il semble que celui-ci soit limité.

Il est difficile d’estimer le nombre de baux dérogatoire car une très large majorité d’entre eux – près des trois-quarts – sont des actes sous seing privé. Selon les professionnels interrogés par le rapporteur, une faible minorité seulement de leurs adhérents y recourent, et il n’est finalement utilisé que dans des cas très précis, tels que, par exemple, l’ouverture d’un commerce. Me Didier Coiffard et Me Damien Brac de la Ferrière, notaires, interrogés par le rapporteur, ont estimé qu’environ 10 à 15 % des baux de leurs villes sont des baux dérogatoires, et qu’ils concernent plus des villes moyennes que des grandes villes. Les fédérations professionnelles ont, quant à elles, estimé que la proportion était moindre.

1. La concurrence des commerces en périphérie

Le comportement des consommateurs qui choisissent, depuis plusieurs décennies, les commerces regroupés à la périphérie des villes expliquent largement les difficultés de ceux qui sont situés en centre-ville. Nombreux sont les professionnels rencontrés par le rapporteur qui ont souligné ce facteur, bien plus important pour eux que l’existence de baux dérogatoires. Selon Me Didier Coiffard et Me Damien Brac de la Ferrière, notaires, la plupart des bailleurs peinent à trouver un locataire en ville, et l’abus de certains bailleurs souhaitant profiter du régime des baux dérogatoires n’est qu’un phénomène peu répandu, si bien que le délaissement du centre-ville relève davantage d’un problème d’urbanisme commercial.

D’ailleurs, comme le note le CREDOC (15), « la France est le pays d’Europe où le poids cumulé des hypermarchés et des supermarchés est le plus fort ».

PARTS DE MARCHÉ DES PRINCIPAUX FORMATS DE VENTE

DE LA DISTRIBUTION À DOMINANTE ALIMENTAIRE EN EUROPE

(hors commerce spécialisé et artisanat commercial)

(Données 2005)

Pays

Hypermarchés

> ou = à 2 500 m2

Grands supermarchés

[1000m2 – 2500 m2[

Petits supermarchés
[400 m2 – 1000 m2[

Supérettes et magasins traditionnels

< 400 m2

France

53 %

23 %

20 %

4 %

Allemagne

27 %

18 %

42 %

13 %

Royaume-Uni

56 %

21 %

11 %

12 %

Italie

22 %

19 %

28 %

30 %

Espagne

33 %

24 %

19 %

23 %

Portugal

33 %

24 %

21 %

22 %

Pays-Bas

4 %

42 %

46 %

8 %

Belgique

14 %

47 %

33 %

6 %

Grèce

14 %

24 %

33 %

29 %

Source :  Nielsen

Rapport au Ministre du logement et de la ville, février 2008 : « un commerce pour la ville » Robert Rochefort.

Cette tendance a en outre été renforcée récemment par un recours croissant au e-commerce.

Cette évolution serait toutefois à relativiser. Ainsi que le souligne l’INSEE (16), « depuis le début des années 2000, la baisse du nombre de commerces traditionnels s’atténue. Dans le même temps, l’essor des grandes surfaces alimentaires continue à ralentir. ». Ainsi, dans le secteur alimentaire, le nombre de magasins d’alimentation générale et de supérettes a diminué de 1,7 % de 1999 à 2007, alors qu’il chutait chaque année en moyenne de 5,1 % entre 1993 et 1999. Parallèlement, le nombre de supermarchés et d’hypermarchés progresse à un rythme plus faible, + 2,3% par an contre + 2,9%. Ce type de distribution arrive à maturité après trente ans de phase d’expansion. En outre, le nombre de commerces traditionnels progresse sur des segments de consommation très dynamiques (sports et loisirs, meubles et bricolage). Entre 1999 et 2007, le nombre de magasins de commerce de détail a progressé en moyenne de 0,7 % par an, alors qu’il avait baissé de 1,3 % par an entre 1993 et 1999. L’INSEE estime que cette évolution « pourrait contribuer à remodeler le tissu commercial ».

Le rapport du CREDOC cité ci-dessus estime d’ailleurs que les consommateurs se lassent de ces « usines à distribuer » et aspirent à retrouver des entités à taille humaine, comme en témoignent d’ailleurs les décors des nouvelles grandes surfaces ou des centres commerciaux. De même, la révolution Internet « ne supprimera jamais le besoin de voir, de toucher, de tester ». Les efforts pour limiter l’usage de la voiture et les déplacements en général jouent en faveur du commerce traditionnel, de même que le vieillissement de la population, le souhait de la personnalisation du service et de l’achat-plaisir. La notion de proximité redevient un atout : « se dessine un retour à la vie dans les zones denses et dans les quartiers centraux ». Mieux, à l’heure où le commerce en ligne se développe largement, le CREDOC estime que « les échanges numériques ne rendent pas obsolètes les contacts humains directs ».

De plus en plus, le consommateur s’adresse à des commerces différents, la grande distribution, les petits commerces, les sites Internet.

Comme le souligne une récente proposition de loi visant à pérenniser et dynamiser le commerce de proximité « nous observons des changements dans la manière de consommer » (17).

En outre, les grands distributeurs, qui se sont largement implantés en périphérie, recherchent des relais de croissance en centre-ville.

2. Des loyers trop élevés

Cette cause est également déterminante, ainsi que l’ont souligné M. Régis Lasselin, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), ou M. Charles Melcer, Président de la fédération nationale de l’habillement (FNE). Pour cette dernière, il appartient aux maires de réunir les bailleurs afin d’attirer leur attention sur la nécessité de ne pas demander des loyers trop élevés, intervention qui se révèle insuffisante, comme l’a constaté le rapporteur. La crise économique est un facteur aggravant : selon M. Jean-Michel Silberstein, Délégué général du conseil national des centres commerciaux (CNCC), les petits propriétaires ne parviennent plus que difficilement à trouver un locataire.

Pourtant, l’instauration de l’indice des loyers commerciaux (ILC) a permis de limiter la progression des loyers. L’ensemble des professionnels interrogés a souligné son attachement au nouvel indice, plus adapté à l’activité commerciale que l’indice du coût de la construction (ICC), et moins inflationniste.

Jusqu’à un passé récent, les loyers commerciaux étaient indexés sur l’ICC publié chaque année par l’INSEE. Or celui-ci, entre 2000 et 2006, a augmenté de 32 %, tandis que le chiffre d’affaires moyen des entreprises du commerce n’évoluait quant à lui que de 18 % (18).

Comme l’ont souligné l’ensemble des interlocuteurs du rapporteur, le recours à l’ICC, dont l’évolution a été très rapide au cours des dernières années, a eu de lourdes conséquences en entraînant d’importantes augmentations de charges, et donc un ajustement des frais de personnel, particulièrement pénalisants compte tenu du contexte concurrentiel difficile. Il est en outre injuste, car constitué d’éléments sans rapport direct avec l’activité économique d’un distributeur, tels que, par exemple, l’évolution du coût des matières premières.

Un indice plus adapté a été mis en place par un accord interprofessionnel, l’indice des loyers commerciaux (ILC) ; la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie a autorisé, dans son article 47, l’application de ce nouvel indice aux baux commerciaux ou à la révision annuelle ou triennale des baux en cours, ce qui a conduit à la modification des articles L.145-33 et L.145-38 du code de commerce, ainsi que de l’article L.112-2 du code monétaire et financier. Dans le cas d’un bail contenant une clause d’échelle mobile, il est possible d’insérer un avenant faisant référence à l’ILC.

Le décret n° 2008-1139 du 4 novembre 2008 définit les modalités de calcul de cet indice. L’ILC a trois composantes : l’indice des prix à la consommation (IPC, pour 50 %), l’indice du coût de la construction (ICC, pour 25 %) et l’indice du chiffre d’affaires du commerce de détail en valeur (ICAV, pour 25 %) (19).

Cet indice s’applique aux baux des locataires commerçants et artisans qui exercent une activité commerciale et qui, comme tels, sont immatriculés au registre du commerce et des sociétés pour les commerçants, et en sus au répertoire des métiers, pour les artisans-commerçants.

La référence au nouvel indice n’est obligatoire ni pour les propriétaires bailleurs, ni pour les locataires, qui peuvent soit l’utiliser, soit continuer à retenir l’ICC pour la révision triennale des loyers ou pour établir les règles de plafonnement lors du renouvellement du bail.

ÉVOLUTIONS COMPARÉES DES INDICES ILC ET ICC

Période

Variation annuelle de l’indice ILC

Variation annuelle de l’indice ICC

1er trimestre 2010

- 1,33 %

+ 0,33 %

4ème trimestre 2009

- 1,88 %

- 1,05 %

3ème trimestre 2009

- 1,22 %

- 5,77 %

2ème trimestre 2009

+ 0,84 %

- 4,10 %

1er trimestre 2009

+ 2,73 %

+ 0,40 %

4ème trimestre 2008

+ 4,16 %

+ 3,32 %

3ème trimestre 2008

+ 4,48 %

+ 10,46 %

2ème trimestre 2008

+ 3,85 %

+ 8,85 %

Source : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE).

Les chiffres montrent que la progression de l’ILC s’est révélée plus modérée que celle de l’ICC et moins erratique, ce qui laisse à penser que, dans l’avenir, l’ICC pourra encore augmenter, d’autant qu’il prend en compte le prix de certaines matières premières et du pétrole qui ne diminueront pas.

L’ensemble des interlocuteurs du rapporteur a souligné qu’il remportait aujourd’hui un succès certain, puisque 50 % des contrats de bail passés ont recours à celui-ci au détriment de l’indice du coût à la construction (ICC). La plupart ne voit pas d’inconvénient à la coexistence des deux indices : M. Jean-Michel Silberstein, délégué général du Conseil national des centres commerciaux, souligne que certains bailleurs préfèrent conserver l’ICC eu égard à la nature de leurs dépenses, Mes Assouline et Frédéric Sicard, avocats au Barreau de Paris, estiment que la coexistence des deux indices est satisfaisante dans la mesure où il s’agit d’un indice optionnel faisant l’objet de la convention des parties. Pour d’autres, en revanche, elle est facteur de complexité : Mme Dany Deleval, vice-présidente de l’Union des métiers et industries de l’hôtellerie (UMIH), M. Régis Lasselin (CGPME), Me Didier Coiffard et Me Damien Brac de la Ferrière, notaires, M. Charles Melcer, (Fédération nationale de l’habillement), M. Marc Francina, président de l’Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques, estiment souhaitable qu’elle ne dure pas. M. Vogley (directeur de affaires économiques et du développement de la Fédération française du négoce de l’habillement et de l’équipement de la maison) souligne que l’ILC doit seul subsister car il dégage des perspectives purement financières bien moindres que l’ICC.

Votre rapporteur souhaite que l’indice des loyers commerciaux devienne le seul indice utilisable, en raison de son adaptation aux réalités de l’activité commerciale (proposition n° 3).

3. Des causes différentes selon le type de villes

Bien que ce phénomène soit constaté dans toutes les villes, les locaux vacants sont plus nombreux dans les villes touristiques, en particulier lorsque l’activité est saisonnière, la rentabilité des commerces risquant alors de ne pas être la même tout au long de l’année. D’ailleurs, on constate dans ces cas une certaine confusion entre baux dérogatoires et baux saisonniers, le choix de l’un ou de l’autre s’effectuant selon les avantages des parties prenantes. Le Conseil supérieur du notariat souligne que dans certaines stations touristiques de bord de mer et de montagne, il n’est pas rare de pratiquer des baux dérogatoires pour la durée de la saison touristique. Selon le Conseil national des centres commerciaux, baux dérogatoires et baux saisonniers ont en fait le même objectif : certains locaux font l’objet d’un bail dérogatoire, le loyer est payé toute l’année, alors qu’ils ne sont ouverts que pendant la saison touristique. Les baux saisonniers purs sont en effet très chers.

En outre, comme le note le CREDOC, « les cœurs des villes de petite taille, voire de taille moyenne continuent de dépérir », la raison principale étant que ces communes sont devenues très souvent les périphéries des grandes agglomérations.

II.— QUELQUES PISTES POUR TENTER D'Y REMÉDIER

Hormis la proposition relative à l’indice des loyers commerciaux, d’autres pistes peuvent être explorées pour remédier à la vacance des baux commerciaux.

A.— SUPPRIMER LE RÉGIME DES BAUX DÉROGATOIRES ?

L’existence du bail dérogatoire n’expliquant pas, dans la plupart des cas, la vacance des locaux commerciaux, il ne faut pas prendre des mesures risquant d’en déstabiliser l’architecture d’ensemble, d’autant que ce bail est apprécié par les professionnels, sa souplesse répondant à une vraie nécessité dans la pratique des affaires.

1. Un régime dont la souplesse est adaptée à la vie des affaires

Il peut en effet être intéressant pour chacune des parties prenantes, grâce à sa souplesse : c’est un outil de bonne installation qui limite les engagements des deux parties.

– pour le preneur

La crise économique a accru le nombre de locaux vacants. Or, parallèlement, de plus en plus de jeunes commerçants sont à la recherche de locaux. L’utilisation de baux à court terme est une réponse à une nécessaire flexibilité et un facteur de fluidité du commerce. Ils sont une solution pour faciliter l’accès au commerce des jeunes qui n’ont pas à financer de pas-de-porte, d’autant que les banques sont frileuses pour des commerces qui débutent. Le bail dérogatoire permet en outre au locataire de limiter ses risques en évitant de prendre, dès le début de son activité, un engagement ferme sur le long terme. De surcroît, dans certains cas, les loyers sont plus attractifs que ceux des baux commerciaux classiques, comme le souligne M. Régis Lasselin (CGPME). L’inconvénient est que ce bail n’offre pas au locataire la protection du bail commercial et la pérennité nécessaire pour fidéliser une clientèle, rentabiliser et faire fructifier une activité.

– pour le bailleur

Les baux dérogatoires offrent une solution transitoire aux petits propriétaires qui ne parviennent que difficilement à trouver un locataire. Il limite en outre leurs risques en évitant de donner la propriété commerciale au locataire. En cas de renouvellement souhaité par le locataire à la fin du bail dérogatoire, les bailleurs sont en position favorable pour demander un loyer plus élevé, surtout si l’activité s’est développée et si le chiffre d’affaires continue de croître.

Même si des abus ont pu être constatés, certains propriétaires changeant sans cesse de locataires, pour pouvoir augmenter le montant du loyer, ce qui crée une instabilité préjudiciable au commerce de la ville, rares toutefois sont les bailleurs qui recourent au bail dérogatoire pour échapper au statut des baux commerciaux : comme l’ont souligné Me Didier Coiffard et Me Damien Brac de la Ferrière, notaires, ils ont besoin de leur droit au bail pour garantir, sous forme d’un nantissement, les financements nécessaires à leurs investissements.

– pour l’activité économique

Les baux dérogatoires sont donc un facteur de développement de l’activité économique. Un magasin qui ouvre ses portes avec une date de fermeture programmée, tel est le concept des boutiques éphémères, qui s'installent brièvement dans des locaux vacants situés dans des zones importantes de chalandise, afin de créer un évènement, de favoriser l'achat d'impulsion, ou réaliser des opérations de déstockage. Cette nouvelle tendance importée des États-Unis se veut aussi une réplique au développement du e-commerce, elle est pratiquée aussi bien par les marques de luxe dans le domaine de l’habillement, que pour lancer une nouvelle enseigne, répondre au caractère saisonnier de certaines ventes (jouets pour Noël, déguisements pour Halloween), diversifier son implantation pendant les périodes de solde ou coller à une actualité artistique ou sportive (produits dérivés).

Dans la pratique, ces boutiques éphémères correspondent à des baux dérogatoires d’une durée allant de 1 à 6 mois qui sont parfaitement adaptés à ce phénomène. La souplesse, l’absence de pas-de-porte à la charge du preneur et d’indemnité d’éviction pour le bailleur sont autant d’éléments favorables au développement de ces « pop up stores » pour reprendre leur appellation anglo-saxonne. Force est de constater que si le législateur de 1965 n’avait pas envisagé une telle utilisation des baux dérogatoires, la pratique plébiscite cette formule peu contraignante et adaptée à la réactivité de la vie des affaires.

Alors qu’on pourrait penser que les baux dérogatoires nuisent à l’activité économique, il semble qu’ils permettent de revitaliser le centre-ville en réimplantant des commerces le temps d’en trouver de plus pérennes. C’est également le cas pour les pépinières d’entreprises. Cette solution permet de répondre à un besoin immédiat d’une ville ou d’un quartier dans l’attente de la concrétisation d’un projet.

Paradoxalement, et quels que soient leurs inconvénients, les baux dérogatoires peuvent contribuer à la diminution du nombre des locaux vacants grâce à la souplesse qui les caractérise. Ils répondent à un besoin économique en contribuant à la création d’entreprises commerciales et au développement de l’emploi.

2. Les modifications envisageables pour renforcer la sécurité juridique

Une fois reconnu l’intérêt de disposer avec les baux dérogatoires d’un outil suffisamment souple pour s’adapter à différentes situations de la vie des affaires, votre rapporteur propose quelques aménagements destinés à renforcer la sécurité juridique des co-contractants et des consommateurs. Ces aménagements portent, d’une part, sur les modalités de transformation du bail dérogatoire en bail statutaire et, d’autre part, sur un renforcement de la traçabilité des commerces ayant recours à un bail dérogatoire.

a) Limiter explicitement à deux ans la durée des baux dérogatoires

Ainsi qu’on l’a souligné ci-dessus, la multiplication des baux dérogatoires au-delà d’une durée totale de deux ans va à l’encontre de la volonté du législateur. C’est pourquoi votre rapporteur vous propose de modifier la rédaction de l’article L. 145-5 du code de commerce afin que cette limite soit réaffirmée explicitement (proposition n° 4).

b) Sécuriser la transformation du bail dérogatoire en bail statutaire

Le deuxième alinéa de l’article L. 145-5 du code de commerce dispose que « si, à l'expiration de cette durée, le preneur reste et est laissé en possession, il s'opère un nouveau bail dont l'effet est réglé par les dispositions du présent chapitre. ». Le troisième alinéa précise que la conséquence est identique « en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion, entre les mêmes parties, d'un nouveau bail pour le même local ».

Le cas de figure correspondant à la situation décrite au deuxième alinéa est celui qui, dans la pratique, suscite le plus de contentieux. Lorsque l’on sait l’importance des conséquences attachées à la conclusion d’un bail commercial de droit commun (propriété commerciale, durée minimale de 9 ans, révision triennale du loyer, indemnité d’éviction), il peut apparaître fragile de le faire reposer non pas sur un acte de volonté des parties mais sur une situation de fait soumise à tous les aléas de l’existence. Une telle transmutation automatique peut susciter diverses stratégies pour piéger un co-contractant peu au fait des subtilités juridiques et lui imposer une situation en décalage avec ses souhaits. Il faut d’ailleurs relever que les deux parties, preneur et bailleur, peuvent invoquer le deuxième alinéa de l’article L. 145-5 à leur profit. Il en va ainsi bien entendu du locataire qui souhaite se voir conférer la propriété commerciale, mais aussi du bailleur qui souhaite obtenir le paiement du loyer jusqu’à l’échéance de la période triennale en cours.

Dans sa proposition n° 81, le rapport Pelletier préconisait de « clarifier la situation juridique des parties à l’issue de la période dérogatoire ».

De leur côté, les travaux du 105e congrès des notaires de France, consacrés aux propriétés incorporelles de l’entreprise, proposent deux voies pour « réviser cet article couperet » (20). Ces propositions sont intégralement citées dans l’encadré ci-dessous.

- Une demande d’offre de maintien intervenant trois mois avant la fin du bail pourrait être envisagée. Aux termes de cette demande, l’une des parties émettrait le souhait de soumettre le bail au statut des baux commerciaux. L’autre partie disposerait alors d’un mois pour manifester son opposition, à défaut le statut des baux commerciaux s’appliquerait. En cas de refus ou d’absence de demande, le bail se terminerait à son échéance et le locataire deviendrait occupant sans droit ni titre. Cette formule a l’avantage d’obliger la partie souhaitant bénéficier d’un bail commercial à se manifester et respecte la volonté originelle des contractants. Par contre, en cas de maintien dans les lieux du locataire, le bailleur ne pourrait recevoir la moindre indemnité financière à moins que cette dernière ne soit fixée par le tribunal dans le cadre d’une procédure d’expulsion.

- L’autre solution serait de prévoir un délai de carence de trois mois à l’expiration du bail dérogatoire, durée pendant laquelle l’inaction du bailleur vaudrait consentement tacite à la reconduction du bail au statut des baux commerciaux.

Dans une question écrite (21), M. Marc Le Fur, s’inspirant de cette dernière proposition, interrogeait le garde des Sceaux sur l’opportunité de « prévoir que le statut des baux commerciaux ne s’applique que trente jours après l’expiration du bail dérogatoire si aucune partie n’a manifesté, dans ce délai, une volonté contraire ». Dans sa réponse, le garde des Sceaux indiquait que la rédaction du deuxième alinéa de l’article L. 145-5 du code de commerce « apparaît suffisamment claire, et a été interprétée sans aucune ambiguïté par la Cour de cassation », c’est pourquoi, « il n’apparaît pas utile de prévoir que le statut des baux commerciaux ne s’applique que trente jours après l’expiration du bail dérogatoire si aucune partie n’a manifesté, dans ce délai, une volonté contraire, ce qui, au demeurant, poserait la question de la situation juridique des parties pendant cette période, le bail dérogatoire étant expiré et le statut des baux commerciaux non encore applicable ». Votre rapporteur considère que ce type de solution ne ferait en réalité que déplacer le problème en créant une période de vide juridique à l’issue du bail dérogatoire.

L’idée de faire reposer l’éventuelle transformation du bail dérogatoire en bail statutaire sur la volonté expresse des parties, ou tout du moins de l’une des parties combinée à l’accord tacite de l’autre, apparaît de nature à apporter la sécurité juridique qui fait actuellement défaut. On pourrait ainsi imaginer que, dans un délai pouvant être différencié selon qu’il s’agit d’un bail de deux ans ou d’un bail d’une durée inférieure à l’issue duquel la période de deux ans expire, les deux parties puissent mettre en œuvre une procédure expresse de demande de transformation en bail statutaire. Une telle démarche est bien entendu possible dans le droit actuel mais le texte place l’accent sur la transformation automatique du bail, l’inscription dans la loi d’une procédure expresse permettrait d’établir une règle claire et d’éviter, autant que faire ce peut, les stratégies destinées à « piéger » le co-contractant. En effet, à défaut de demande ou en cas de refus expresse de l’autre partie, le bail prendrait fin à son terme normal et le locataire qui se maintiendrait dans les lieux deviendrait occupant sans titre (proposition n° 4 : nouvelle rédaction de l’article L. 145-5).

c) Permettre une meilleure connaissance de la pratique des baux dérogatoires

Actuellement, les baux dérogatoires de l’article L. 145-5 du code de commerce sont, à l’instar des autres baux inférieurs à 12 ans, dispensés de la formalité de l’enregistrement en application de l’article 10-I, a), de la loi n° 69-1168 du 26 décembre 1969 portant simplifications fiscales. L’enregistrement est toutefois recommandé par les professionnels pour donner date certaine au bail, ce qui a pour conséquence l’accroissement de la sécurité juridique des co-contractants.

Dans un souci de traçabilité et de meilleure information, il est proposé, comme cela existe pour les immeubles ruraux, de rendre obligatoire la formalité d’enregistrement lors de la conclusion d’un bail dérogatoire de l’article L. 145-5 du code de commerce (proposition n° 5).

d) Renforcer la protection à l’égard de certaines formes de commerce d’ameublement

Dans le secteur de l’ameublement, qui se caractérise par un taux de propriété très élevé car ce secteur a d’importants besoins en surface, on constate un dévoiement de la réglementation à grande échelle : ce phénomène a été baptisé CANI (« commerces d’ameublement nomades et incontrôlables »). De nombreux points de vente se multiplient pour une durée de deux mois, voire quelques semaines seulement, en général extra-muros. Les clients sont avertis uniquement par mail ou par téléphone, à partir de fichiers ciblés et les méthodes de vente sont discutables, avec publicité trompeuse, absence de service après-vente et remises de 70 % sur des prix majorés à l’origine. Le secteur de l’ameublement souffre particulièrement de ce phénomène, car il ne s’agit pas d’un bien de consommation courante, si bien que le consommateur n’a pas de notion réelle des prix. La profession se constitue régulièrement partie civile dans les dossiers transmis au parquet par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), d’autant que ces pratiques lui causent un préjudice en matière d’image et de réputation. La DGCCRF a mené trois vagues d’enquêtes sur ce phénomène, mais les contrôles ne peuvent pas toujours être effectués, dans la mesure où les points de vente s’installent dans des zones reculées et pour quelques semaines seulement.

Afin de limiter ce phénomène, il pourrait être institué en amont une déclaration obligatoire à la préfecture des commerces s’installant avec des baux dérogatoires, indiquant la raison de ce bail, sa durée et la nature de l’activité, ce qui permettrait des contrôles.

En revanche, la Fédération française du négoce de l’ameublement et de l’équipement de la maison (FNAEM) est, comme l’ensemble des professionnels, favorable à l’existence des baux dérogatoires, qui permettent la fluidité du commerce.

B.— ÉTENDRE LES POSSIBILITÉS DE PRÉEMPTION DES COMMUNES ?

La préemption par les communes s’inscrit dans la tendance générale du renforcement des pouvoirs des élus locaux en matière d’aménagement commercial.

La loi du 2 août 2005 en faveur des PME a ouvert la possibilité aux communes – qu’elles soient ou non dotées d’un plan local d’urbanisme (PLU) – d’exercer un nouveau droit de préemption spécifique : au droit de préemption urbain, qui permet à une collectivité territoriale de se substituer à l’acquéreur lors de la vente de biens immobiliers, s’ajoute désormais le droit de préemption qui peut s’exercer sur les fonds artisanaux, les fonds de commerce ou les baux commerciaux aliénés à titre onéreux [art. L. 214-1 du code de l’urbanisme et décret n° 2007-1827 du 26 décembre 2007 (art. R 214-3)], en vue du maintien de la diversité des commerces et de l’artisanat dans les centres-villes et les quartiers. Le conseil municipal doit tout d’abord définir un périmètre de sauvegarde suffisamment ciblé.

Si la commune décide d’acquérir le fonds, elle doit, dans le délai d’un an à compter de la prise d’effet de la cession opérée à la suite de la préemption, rétrocéder le fonds à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers ou au titulaire d’un titre équivalent dans un autre État de l’Union européenne. Cette rétrocession est réalisée dans le cadre d’un cahier des charges qui fixe les objectifs de diversité commerciale à atteindre. Un avis de rétrocession est affiché en mairie pendant 15 jours.

Néanmoins l’objectif recherché n’est pas toujours atteint, ce qui suscite de multiples interrogations. Le problème de la gestion d’une clientèle par la commune reste à résoudre pendant ce délai : en effet, pour que le fonds garde sa valeur, il doit continuer d’être exploité. Comme il ne peut l’être qu’à titre précaire, ce qui n’est pas incitatif, le risque est réel de laisser le fonds sans activité, avec, pour conséquence, une perte de valeur de celui-ci ; la difficulté de trouver un repreneur s’en trouvera accrue. Plusieurs questions délicates se posent également : la commune devra-t-elle s’acquitter à l’égard du bailleur de l’ensemble des obligations contenues dans le bail, ainsi que de l’indemnité qui lui est due (le paiement des loyers) et devra-t-elle s’acquitter de ses obligations à l’égard des salariés ? Enfin, la loi n’organise pas l’hypothèse d’absence de repreneur au terme du délai d’un an. Certes, le décret pallie cette lacune en faisant bénéficier l’acquéreur évincé, s’il est mentionné dans la déclaration préalable, d’un droit de priorité d’acquisition. Cela suppose que celui-ci soit toujours intéressé et que le fonds n’ait pas perdu de sa valeur en l’absence de continuité d’exploitation pendant le délai d’un an.

Le délai d’un an fait l’objet de débat. Le secrétariat d’État chargé du commerce a envisagé récemment (22) de le rallonger et de le porter à deux ans, en raison de la complexité de l’opération de préemption. Cette prolongation imposerait d’autant plus la mise en place de dispositions permettant à la commune d’assurer la prise en charge efficace du fonds de commerce en attendant la rétrocession.

Il a été suggéré que cet allongement du délai soit accompagné de la possibilité de mise en œuvre de la location-gérance par la commune, ce qui permettrait d’éviter sa dépréciation et, comme l’a indiqué la Chambre de commerce et d’industrie de Paris à votre rapporteur, de tester un exploitant. Cette mesure figure d’ailleurs à l’article 4 de la proposition de loi visant à pérenniser et dynamiser le commerce de proximité (23); et fait l’objet de l’amendement n° 25 à la proposition de loi relative à l’urbanisme commercial. Celui-ci n’a pas été retenu par l’Assemblée nationale, le gouvernement estimant que la location gérance et le droit de préemption étaient deux approches différentes et que le principe de la liberté du commerce s’opposait à l’exploitation par une personne publique d’une activité commerciale. Toutefois votre rapporteur est très attaché à cette possibilité de location-gérance propice à éviter la dégradation du commerce faisant l’objet de la préemption (proposition n° 6).

En outre, la durée de deux ans ne semble pas faire l’unanimité : M. Charles Melcer (Fédération nationale de l’habillement) a estimé au contraire nécessaire de ramener cette durée à 6 mois, car l’acquéreur évincé qui bénéficie d’un droit prioritaire d’acquisition risque de ne plus être disponible au bout d’un an et le fonds de commerce de perdre de sa valeur.

En tout état de cause, il est impératif qu’avant de préempter, la commune ait un projet.

Cet instrument est surtout intéressant comme arme de dissuasion au service des maires, mais il est inopérant tant qu’une cession n’est pas envisagée. En outre, il s’agit d’une opération lourde, qui suppose que la municipalité dispose de moyens financiers suffisants, et potentiellement source de multiples conflits. D’ailleurs, comme l’ont précisé à votre rapporteur M. Gérald Barbier et Mme Dominique Moreno, le recensement réalisé par la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) montre qu’on compterait environ 400 périmètres de préemption sur l’ensemble du territoire national et seulement une trentaine de préemptions. En ce qui concerne Paris et la petite couronne, sur 121 communes, 49 disposent d’un périmètre, mais on ne dénombre que 7 préemptions.

En revanche, afin de conforter l’existence d’un commerce de centre-ville, il serait opportun qu’en cas de vente des locaux par le propriétaire, le locataire commercial bénéficie d’un droit de priorité d’achat (proposition n° 7).

Dans le cas du fermage, à tout moment, le bailleur peut décider de mettre en vente le fonds loué ; cependant, pour éviter que le fermier ne perde son outil de travail, il dispose d’un droit de préemption : il a la faculté de se porter acquéreur en priorité sur tout autre candidat, conformément à l’article L.412-1 du code rural.

De même, selon l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, lorsque le propriétaire d’une habitation souhaite vendre son bien, il doit donner congé au locataire six mois au minimum avant le terme du contrat de location. La notification de congé vaut offre de vente : ainsi le locataire est prioritaire par rapport aux autres acquéreurs potentiels pour acheter le bien aux conditions fixées dans la notification.

Dans le cas du commerçant locataire, celui-ci pourrait bénéficier d’une priorité aux conditions financières demandées par le propriétaire. Cette solution entraînerait une meilleure fluidité du marché des emplacements commerciaux.

C.— DONNER DAVANTAGE D’OUTILS AU MAIRE

Il existe de nombreux outils visant à encourager le développement de commerces. Le schéma de cohérence territoriale (SCOT) a pour objectif d’organiser un territoire à l’échelle d’un bassin de vie en fonction de ses différentes finalités. Mais la prise en compte du commerce dans ce document est extrêmement variable et sa modification très lourde. Il existe en outre des aides pour favoriser le démarrage ou la reprise d’un petit commerce, qui peuvent donc bénéficier à un preneur : il s’agit des plans PME/TPE, de l’aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise (ACCRE), des prêts à la création d’entreprise par Oséo et des appuis des conseils régionaux ou locaux, du micro-crédit.

Ces outils favorisent l’activité commerciale et peuvent ainsi contribuer à la résorption des locaux vacants, en favorisant l’installation de nouveaux commerçants. Mais il convient également de réfléchir à des mesures plus adaptées.

1. Développer un cadre favorable au commerce

L’ensemble des professionnels rencontrés par le rapporteur a estimé que la solution aux vacances de locaux ne passait pas par la remise en cause des baux dérogatoires, dont l’utilité leur paraît incontestable, mais par la prise de mesures susceptibles de favoriser le commerce. Il paraît indispensable de créer une dynamique favorable au commerce, en renforçant l’attractivité d’une rue, en recréant des parcours commerciaux, en favorisant les transports en commun et les parkings. Certains, tels la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, ont estimé que le PLU ne devait pas être trop exigeant dans le détail des activités, une précision trop grande risquant de conduire à l’absence d’exploitation de certains locaux. Le rapport du CREDOC précité recense toutes les actions susceptibles de dynamiser le commerce de centre-ville, dont certaines paraissent de nature à limiter l’existence de locaux vacants.

L’ouverture tardive de magasins une fois par semaine, et la création de labels de qualité pour les petits commerces de centre-ville en font partie. La restitution du premier étage, situé au-dessus d’un commerce et dévolue à celui-ci, à une fonction d’habitation, permettrait de dynamiser le centre-ville en rendant possible l’arrivée de nouvelles familles ; cette solution a également été proposée au rapporteur par M. François Moutot, Directeur général de l’Assemblée permanente des chambres de métiers (APCM), qui propose de « remettre les habitants dans les rues commerciales » et y voit un moyen d’accroître la sécurité de celles-ci. En contrepartie, le CREDOC propose de fournir aux commerçants des locaux annexes, en zones un peu excentrées, permettant le stockage, ce qui entraînerait la réduction de la surface nécessaire en centre-ville et donc le coût du bail commercial

L’instauration de manageur de centre-ville paraît particulièrement intéressante. Ce manageur, institué au Canada, en Grande-Bretagne et en Belgique au début des années 1990, commence à s’implanter dans certaines villes françaises, qui ont créé à cet effet un poste au sein du personnel municipal. Destiné à jouer le rôle d’intermédiaire entre les commerçants et la municipalité, il est une réponse adéquate pour redynamiser les cœurs de ville, son action devant se développer dans deux directions : fédérer les commerçants au sein d’une association, effectuer un travail d’observation, d’une part et améliorer l’environnement urbain d’autre part, qu’il s’agisse de l’aménagement de la circulation, de la rénovation des immeubles et des vitrines. Ces tâches devraient lui permettre de jouer un rôle efficace pour limiter la vacance des locaux commerciaux et, dans le cas de vacance de ceux-ci, de veiller à préserver l’esthétique de la ville, en s’appuyant sur des pouvoirs du maire qui devraient être renforcés en la matière, comme proposé ci-après.

La proposition du CREDOC de prévoir plusieurs conventions successives avec le FISAC afin de pérenniser le financement de la fonction paraît devoir être retenue, de même que la possibilité, pour les villes de petite taille, d’instituer un manageur de centre-ville à temps partiel. En outre, le partenariat entre tous les acteurs concernés (municipalité, associations de commerçants, Chambre de commerce et d’industrie, chambre des métiers) donnerait lieu à un comité de pilotage qui ne pourrait que contribuer au développement de la fonction.

2. La police de l’environnement

Les locaux vacants posent un réel problème esthétique. Dans une rue commerçante de bel aspect, des locaux vides et mal entretenus sont du plus mauvais effet. Si les élus disposent déjà de certaines armes pour lutter contre la dégradation de l’environnement, des mesures supplémentaires pourraient être envisagées afin de remédier à l’abandon de certains locaux commerciaux et de faire du bail dérogatoire un élément du développement durable.

Différents outils permettent de rendre opérationnelle une volonté locale de développement durable.

Dès le sommet de Rio tenu sous l’égide des Nations Unies en 1992, les États ont adopté un plan d’action dit « Agenda 21 » précisant les actions de développement durable que les collectivités territoriales sont encouragées à mettre en œuvre.

Plus récemment, le respect des objectifs de développement durable a été affirmé par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement (Grenelle II) qui impose que cet objectif figure dans l’ensemble des documents d’urbanisme : les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme doivent prendre en compte la nécessité de « revitalisation des centres urbains et ruraux » dans « le respect des objectifs de développement durable » (art. 121-1 1° du code de l’urbanisme). Le plan local d’urbanisme (PLU) doit « comporter des orientations d’aménagement relatives à des quartiers ou à des secteurs à mettre en valeur, réhabiliter, restructurer ou aménager ». Il doit comporter « un projet d’aménagement et de développement durable qui définit les orientations générales d’aménagement et d’urbanisme retenues pour l’ensemble de la commune ». Une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine peut être créée par le maire sur des territoires présentant un « intérêt culturel, architectural, urbain, paysager, historique ou archéologique ». Cette aire « a pour objet de promouvoir la mise en valeur du patrimoine bâti et des espaces dans le respect du développement durable ».

Le maire peut donc intégrer dans les SCOT et les PLU des notions de développement durable axées sur le droit des citoyens de vivre dans un environnement sain, esthétiquement et visuellement agréable.

Cette nouvelle législation, qui s’ajoute aux outils existants, offre un cadre favorable à la mise en œuvre de nouveaux instruments.

Les textes de droit positif permettant de lutter contre les pollutions visuelles pourraient donc être complétés dans cette optique.

L’article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales accorde au maire un pouvoir de police administrative générale : il a pour mission « d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques ». Dans ce cadre, la légalité d’une action de police générale fondée sur la volonté de préserver l’esthétique d’un site public a été admise dans le passé, puis a été remise en cause au motif qu’ « elle n’avait pas pour objet direct le maintien du bon ordre et de la décence et ne concourait pas au respect de l’ordre public » (24). On peut estimer que cette position ne serait peut-être plus suivie actuellement, compte tenu du souci croissant de protéger l’environnement.

Le 5° de l’article L. 2212-2° du même code dispose que le maire peut, au titre de la lutte contre « les pollutions de toute nature », faire usage de ses pouvoirs de police générale pour faire cesser les atteintes visuelles portées à l’environnement. Cette disposition peut servir de fondement à une action de prévention des nuisances visuelles par le maire.

L’article L. 581-4 du code de l’environnement protège explicitement l’esthétique en accordant au maire, ou, à défaut, au préfet, un pouvoir de police spéciale afin de réglementer l’implantation des enseignes publicitaires sur le territoire de la commune. Il peut, dès constatation d’une publicité irrégulière, faire procéder d’office à sa suppression.

Il existe d’ailleurs dans la jurisprudence administrative relative à la délivrance d’autorisations privatives du domaine public un courant favorable à la prise en compte de la « bonne apparence de la voie publique… l’amélioration de l’aspect et de la bonne tenue de voies très fréquentées » (25). Il a été fait également référence à plusieurs reprises à « l’image de la ville » (26), afin de justifier la restriction apportée au nombre de ces autorisations.

Le code de l’environnement règlemente, au titre de la prévention des nuisances visuelles, les seules nuisances visuelles occasionnées par les lignes à haute tension. Sur ce modèle, il pourrait être créé un article L.582-2 relatif aux nuisances visuelles occasionnées par les commerces mal entretenus situés dans des zones à définir. Il serait imposé aux propriétaires de commerces de veiller à ce que ceux-ci, vacants ou non, présentent toujours une bonne apparence et contribuent à l’amélioration de l’aspect et de la bonne tenue des voies fréquentées dans le respect de l’image de la ville (proposition n° 8).

III.— PROPOSITIONS DE LA MISSION D’INFORMATION

Proposition n° 1 : Intégrer dans le code de commerce la définition jurisprudentielle de la convention d’occupation précaire.

Proposition n° 2 : Préciser le régime du bail saisonnier afin de le distinguer plus précisément du bail dérogatoire.

Proposition n° 3 : Rendre obligatoire l’utilisation de l’indice des loyers commerciaux (ILC) institué par la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 et supprimer la référence à l’indice du coût de la construction en rédigeant ainsi le premier alinéa de l’article L. 145-34 du code de commerce :

« Article L. 145-34. A moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L. 145-33, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail à renouveler, si sa durée n’est pas supérieure à neuf ans, ne peut dépasser la variation, intervenue depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré, de l’indice national trimestriel des loyers commerciaux mentionné au premier alinéa de l’article L. 122-2 du code monétaire et financier, publié par l’Institut national de la statistique et des études économiques. A défaut de clause contractuelle fixant le trimestre de référence de cet indice, il y a lieu de prendre en compte la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux, calculés sur la période de neuf ans antérieure au dernier indice publié. »

Proposition n° 4 : Mieux encadrer la fin de la période dérogatoire de deux ans (nouvelle rédaction de l’article L. 145-5 du code de commerce)

« Article L. 145-5.- Lors de la conclusion d’un premier bail, les parties peuvent convenir de déroger aux dispositions du présent chapitre à condition que la durée du bail ou la durée totale des baux successifs, n’excède pas deux ans.

A l’issue de cette période de deux ans, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds.

Dans un délai de deux mois avant l’expiration du bail, si celui-ci est d’une durée supérieure à 6 mois, et dans un délai d’un mois dans le cas contraire, chacune des parties peut faire connaître à l’autre sa volonté de renouveler, à l’issue de la période de deux ans, le bail dans le cadre des dispositions du présent chapitre. À défaut de refus de l’autre partie avant l’expiration du bail, il s’opère un nouveau bail soumis aux dispositions du présent chapitre. En l’absence d’une telle demande ou en cas de refus de l’autre partie avant l’expiration du bail, celui-ci cesse de plein droit à son échéance.

Les dispositions des deux alinéas précédents ne sont pas applicables s’il s’agit d’une location à caractère saisonnier qui relève de l’article 1737 du code civil. »

Proposition n° 5 : Soumettre les baux dérogatoires à la formalité d’enregistrement auprès de l’administration fiscale.

Proposition n° 6 : En cas de préemption par la commune sur les fonds de commerce et les baux commerciaux, instaurer la possibilité de mettre en location-gérance le commerce avant la rétrocession du fonds à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers.

Proposition n° 7 : Prévoir un droit de préférence du locataire en cas de vente des locaux par le propriétaire.

Proposition n° 8 : Renforcer les possibilités d’intervention des communes dans le cas de commerces inoccupés. Introduire dans le code de l’environnement un article L.582-2 ainsi rédigé :

« Article L. 582-2. Le propriétaire de commerces, situés dans des zones définies par décret en Conseil d’État, doit veiller à ce que ses commerces, vacants ou non, ouverts sur la voie publique, présentent toujours une bonne apparence et contribuent à l’amélioration de l’aspect et de la bonne tenue des voies fréquentées dans le respect de l’image de la ville. »

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 2 mars 2011 la commission des affaires économiques a examiné le rapport d’information de M. Daniel Fasquelle sur la vacance des locaux commerciaux et les moyens d’y remédier.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. M. Serge Poignant, président de la commission m’ayant demandé de présider cette séance, je jouerai donc le double rôle de Président de séance et de rapporteur puisque l’ordre du jour de notre commission appelle la présentation du rapport d’information qui m’a été confié sur la vacances des locaux commerciaux et les moyens d’y remédier.

L’attractivité des centres-villes est une priorité pour nombre de communes, ce qui pose avec d’autant plus d’acuité la question de la vacance des locaux commerciaux, tant elle peut causer de préjudices pour une rue, un quartier, une agglomération dans son ensemble et donc pour les consommateurs.

Les élus que nous sommes sont régulièrement confrontés à cette nouvelle forme de mitage urbain qui s’est aggravée avec la crise économique. Aucune région, aucune ville n’est à l’abri de cette évolution, qui se traduit trop souvent par des vitrines à l’abandon du plus mauvais effet, y compris dans certaines artères principales, les communes touristiques étant les plus concernées.

L’une des causes le plus souvent avancées pour expliquer ces friches commerciales est celle du développement des baux souvent et improprement dits « précaires » - en droit, des baux dérogatoires - dont la durée, limitée au plus à 2 ans, contribuerait à l’instabilité des fonds de commerce et, par conséquent, à la multiplication des locaux vacants.

En fait, j’ai pu constater au cours des différentes auditions, que les professionnels n’adhèrent que partiellement à cette analyse : ils avancent d’autres causes, principalement de nature économique. Les baux dérogatoires n’interviennent en réalité qu’à la marge dans la problématique de la vacance des locaux commerciaux, même s’il apparaît nécessaire d’en renforcer la sécurité juridique.

Ces considérations liminaires vous permettront de comprendre pourquoi le titre de la mission a été modifié, et au titre originel, « les baux précaires » a été substitué celui de « la vacance des locaux commerciaux et les moyens d’y remédier » qui correspond mieux à la problématique soulevée.

Comme tout phénomène social, la vacance des locaux commerciaux peut être expliquée par une pluralité de causes de nature diverses : on peut identifier des facteurs juridiques et des facteurs économiques.

En ce qui concerne les causes juridiques, les baux dérogatoires sont souvent pointés du doigt.

Il convient de rappeler que de nombreux commerçants ne sont pas propriétaires du local dans lequel ils exploitent le fonds de commerce. Ils occupent les lieux en qualité de locataire dans le cadre d’un contrat de bail commercial, qui vise à assurer au profit du commerçant locataire la pérennité d’exploitation du fonds. Ce statut procure une stabilité propice aux investissements et au développement de l’activité.

A côté de baux commerciaux de droit commun, il existe des baux dérogatoires, crées par la loi du 12 mai 1965. Ceux-ci se distinguent des conventions d’occupation précaire de locaux commerciaux et des baux saisonniers. La convention d’occupation précaire qui est une pure création de la pratique, le bail saisonnier auquel le code de commerce ne fait qu’une brève allusion et le bail commercial sont parfois confondus dans la pratique. Il serait souhaitable que des précisions soient apportées à l’avenir afin de mieux distinguer les différents régimes, c’est le sens des propositions n°s 1 et 2 qui visent à donner à la convention d’occupation précaire une véritable définition à côté des baux saisonniers et dérogatoires.

Les baux dérogatoires sont conclus pour une durée au plus égale à deux ans dans le code de commerce, avec une procédure de transformation automatique en bail commercial de droit commun à l’issue de cette période. La volonté des parties de déroger au statut des baux commerciaux doit apparaître clairement dans le contrat, et se manifester au plus tard lors de l’entrée dans les lieux. Les parties ont la faculté de conclure un bail pour une durée librement débattue dès lors qu’elle n’excède pas deux ans : le bail peut donc avoir une durée de quelques mois seulement, voire même d’un mois. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a apporté quelque assouplissement à ces dispositions en prévoyant la succession possible de plusieurs baux dérogatoires, à l’intérieur du cadre des deux ans.

Le bail dérogatoire est donc une sorte de « bail à l’essai » permettant aux deux parties un engagement limité pour prendre la température du marché avant de s’engager dans une relation de longue durée. En ce sens, ils sont très utiles et doivent être conservés. Ils peuvent cependant parfois donner lieu à des situations dommageables, surtout quand, contrairement à l’esprit de la loi, les baux dérogatoires sont conclus à répétition. A noter également que la fin des baux dérogatoires peut parfois poser problème et donner lieu à contentieux ainsi que l’ont notamment indiqué les notaires auditionnés.

Les loyers trop élevés sont également une cause déterminante de la vacance des locaux commerciaux. L’instauration de l’indice des loyers commerciaux (ILC) par la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a permis de limiter la progression des loyers. Jusqu’à cette date, ils étaient indexés sur l’indice du coût de la construction (ICC) publié par l’INSEE, moins adapté à l’activité commerciale, plus erratique et inflationniste. Ainsi entre 2002 et 2006, l’indice a augmenté de 32 % alors que le chiffre d’affaire des commerces ne progressait que de 18 %. La loi a laissé la possibilité de choisir entre les deux indices, on constate dans la pratique que la moitié des contrats de bail conclus depuis lors ont recours au nouvel indice. Dans un but d’uniformisation mais aussi de protection des locataires, je vous propose dans le cadre de ce rapport de ne conserver que l’ILC et de modifier le code de commerce en ce sens.

Ce constat dressé, quelques pistes peuvent être présentées pour lutter plus efficacement contre les locaux commerciaux vacants.

Il n’est pas question, vous l’aurez compris, de supprimer les baux dérogatoires, un régime dont la souplesse est adaptée à la vie des affaires. De plus en plus de jeunes commerçants sont à la recherche de locaux ; les baux dérogatoires peuvent être une solution appropriée pour tester la viabilité de leur projet, avec des loyers souvent plus attractifs que ceux fixés dans le cadre des baux commerciaux classiques. Pour les bailleurs qui ne parviennent que difficilement à trouver un locataire, les baux dérogatoires peuvent être également une solution pertinente. Les baux dérogatoires sont donc un facteur de développement de l’activité économique ; la souplesse de cette formule est adaptée au commerce, comme le montre l’existence des boutiques éphémères liées à un événement particulier (par exemple durant la période de Noël). Loin de nuire à l’activité économique, les baux dérogatoires peuvent répondre à des besoins particuliers ou faciliter une période de transition. Paradoxalement, les baux dérogatoires, s’ils sont bien utilisés, peuvent donc contribuer à la diminution du nombre des locaux vacants

Tout au plus faudrait-il préciser leur régime pour éviter certains abus. Le législateur a entendu limiter la durée totale des baux dérogatoires à deux ans ; or on constate que, sur le modèle regrettable de la succession de plusieurs contrats de travail à durée déterminée pour pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, des propriétaires peuvent parfois avoir la tentation d’échapper à la propriété commerciale conférée par le bail commercial en faisant se succéder plusieurs baux dérogatoires sur une période supérieure aux deux ans prévus.

Il est certes admis par la jurisprudence que les parties peuvent renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux dès lors que le droit est acquis et que la volonté d’y renoncer est dépourvue d’équivoque. Cette position a été critiquée par la doctrine car elle apparaît contraire à la volonté du législateur de limiter strictement le recours au bail dérogatoire à une durée maximale de deux ans. C’est pourquoi je propose une nouvelle rédaction de l’article L. 145-5 du code de commerce de façon à réaffirmer la volonté du législateur de limiter la durée totale des baux dérogatoires à deux ans.

Il conviendrait en outre d’adapter le régime des baux dérogatoires afin de sécuriser la transformation du bail dérogatoire en bail statutaire. En effet, le passage du bail dérogatoire en bail commercial repose sur le fait qu’à l’expiration de la durée du bail, le preneur reste et est laissé en possession du local ; étant donné l’importance des conséquences attachées à la conclusion d’un bail commercial de droit commun, il serait préférable de faire résulter cette transformation d’un acte de volonté des parties, afin d’apporter une sécurité juridique qui fait défaut : la nouvelle rédaction que je vous propose de l’article 145-5 (proposition n° 4) répond également à cette préoccupation.

Je vous proposerai en outre de soumettre les baux dérogatoires à la formalité d’enregistrement auprès de l’administration fiscale, afin de donner date certaine au bail et éviter les litiges sur la transformation et de disposer d’une plus grande connaissance des baux dérogatoires pour lesquels nous ne disposons à l’heure actuelle très peu d’éléments.

La possibilité ouverte aux communes depuis la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises d’exercer un droit de préemption sur les fonds de commerce ou les baux commerciaux, pour les rétrocéder ensuite à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers, peut être une arme de dissuasion au service des maires. Toutefois, elle est inopérante tant qu’une cession n’a pas été envisagée ; en outre il s’agit d’une opération lourde, potentiellement source de conflits, qui suppose que la municipalité puisse trouver un repreneur dans un délai d’un an et qu’elle dispose de moyens financiers importants. Le faible nombre des préemptions réalisées témoigne de ces difficultés. En revanche, afin de conforter l’existence d’un commerce de centre ville, il pourrait être envisagé que le locataire commercial bénéficie d’un droit de priorité d’achat du local, en cas de vente par le propriétaire, comme cela est le cas pour le fermier ou le locataire d’une habitation (proposition n° 6).

Toujours en cas de préemption, le gouvernement n’avait pas donné suite à un amendement ouvrant la possibilité de mise en œuvre par la commune de la location-gérance d’un commerce afin d’éviter sa dépréciation dans l’attente d’un nouveau repreneur : je réitère toutefois mon attachement à cette disposition que j’espère voir adopter un jour car il serait paradoxal que l’exercice du droit de préemption débouche sur la vacance du local en l’absence de repreneur (proposition n° 7).

Il faudrait enfin donner plus d’outils au maire. Des manageurs de centre ville, nés au Canada, en Grande-Bretagne et en Belgique, commencent à s’implanter dans certaines villes françaises qui ont créé à cet effet un poste au sein du personnel municipal. Ils ont vocation à jouer le rôle d’intermédiaire entre la municipalité et les commerçants, ces manageurs constituent une réponse intéressante pour redynamiser les coeurs de ville qui devrait être encouragé. La proposition du Credoc dans un récent rapport, de prévoir plusieurs conventions avec le fonds d’intervention pour les services, le commerce et l’artisanat (FISAC) afin de pérenniser le financement de la fonction paraît devoir être retenue

Le problème de la déshérence des locaux commerciaux passe également par une police de l’environnement réaffirmée. Récemment, le respect des objectifs de développement durable a été affirmé par le Grenelle II qui impose que cet objectif figure dans l’ensemble des documents d’urbanisme. Cette nouvelle législation offre un cadre favorable à la mise en œuvre de nouveaux instruments.

Le code général des collectivités territoriales dispose d’ores et déjà que le maire peut, au titre de la lutte contre les « pollutions de toute nature », faire usage de ses pouvoirs de police générale pour faire cesser les atteintes visuelles portées à l’environnement. Le code de l’environnement protège explicitement l’esthétique en accordant au maire, ou, à défaut, au préfet, un pouvoir de police spéciale afin de réglementer l’implantation des enseignes publicitaires sur le territoire de la commune. Il existe en outre, dans la jurisprudence administrative relative à la délivrance d’autorisations privatives du domaine public, un courant favorable à la prise en compte de la bonne apparence de la voie publique. Par exemple, le code de l’environnement règlemente déjà les nuisances visuelles dues aux lignes à hautes tension.

Il pourrait ainsi être créé un nouvel article de ce code relatif aux nuisances visuelles occasionnées par les commerces mal entretenus situés dans des zones à définir par les communes. Il serait imposé au propriétaire de commerces de veiller à ce que ceux-ci, vacants ou non, présentent toujours une bonne apparence et contribuent à l’amélioration de l’aspect et de la bonne tenue des voies fréquentées dans le respect de l’image de la ville (proposition n° 8). On a en effet constaté que certains propriétaires n’entretiennent pas leurs locaux qui présentent de ce fait un aspect très dégradé, vitrines non nettoyées et affichage très peu soigné des coordonnées de contact. J’ai moi-même été confronté à ce type de désagrément en plein cœur de la principale rue commerçante de ma commune. Les maires sont aujourd’hui relativement dépourvus de moyens pour intervenir dans pareils cas. Il est donc souhaitable de faire évoluer le code de l’environnement pour donner de réels pouvoirs aux maires, cette évolution est d’ailleurs cohérente avec la volonté de notre commission de leur redonner le pouvoir en matière d’urbanisme commercial comme le prévoit la proposition de loi de Patrick Ollier. Ces propositions visent à préserver les commerces de centre-ville auxquels nous sommes tous je pense très attachés.

M. Jean Gaubert. Je souhaite faire un rappel au règlement. Monsieur le vice-président, il a été naturellement difficile pour vous de cumuler les fonctions de président de séance et de rapporteur, ce qui m’amène à m’interroger sur les raisons pour lesquelles le Président n’a pas sollicité aujourd’hui un autre vice-président. S’il ne souhaitait pas faire appel à un vice-président de l’opposition, il aurait pu solliciter le vice-président appartenant au groupe du Nouveau Centre.

M. Daniel Fasquelle, vice-président et rapporteur. Le Président Poignant m’a demandé de le suppléer aujourd’hui et je précise en outre que j’étais le seul vice-président présent au début de notre réunion.

M. Jean Gaubert. J’étais également présent mais je n’ai pas été sollicité.

M. Jean-Yves le Bouillonnec. Le rapport d’information qui nous est présenté aujourd’hui nous permet d’aborder des sujets importants : le rôle que peuvent jouer les baux commerciaux dans les stratégies des collectivités locales pour la revitalisation des centres villes, ainsi que les conditions de l’activité commerciale dans les petites communes. Il sera nécessaire d’examiner plus en détail le rapport que je découvre aujourd’hui, mais il me semble que l’angle d’attaque est quelque peu restreint, puisque la question des baux commerciaux n’est abordée qu’à travers son volet dérogatoire. Le décret de 1953, puis la loi de 1965 et les codifications ultérieures prévoient l’application du droit commun, avec, d’une part, des baux de neuf ans et, d’autre part, des baux d’une durée inférieure à deux ans. Ces règles étaient appliquées strictement, puisqu’il était impossible de prolonger un bail au-delà de 23 mois sans basculer dans le régime commun du bail de neuf ans. A la suite de la codification de ces dispositions, on a assisté à un revirement de jurisprudence, le juge acceptant désormais des baux dérogatoires successifs, ce qui est contraire au droit commun et aux intentions du législateur. La proposition de la mission d’information tendant à interdire la succession de baux dérogatoires est donc légitime. A l’origine, les baux commerciaux tendaient en effet à conférer un droit quasi réel aux locataires car pendant longtemps la vente du fonds de commerce a représenté la seule source de revenus à la fin de leur activité et donc de retraite.

Ce sont souvent les collectivités locales elles-mêmes qui ont recours aux baux dérogatoires afin d’utiliser les locaux vacants en attendant la mise en œuvre de leurs stratégies de renouvellement urbain. Il faut maintenir cette possibilité pour les collectivités, car à défaut de cet instrument, le coût des opérations se trouverait alourdi, du fait de la nécessité d’une indemnisation des locataires.

S’agissant de la question des indices, tous les spécialistes de la révision des baux commerciaux plaident en faveur de l’abandon de la référence à l’indice du coût de la construction, dépourvu de liens avec l’activité commerciale. Il convient également de mener une réflexion sur le plafonnement des indices. En effet, l’expérience a montré que l’absence de révision des indices pouvait conduire à une forte augmentation des loyers, avec de graves conséquences pour les locataires.

Par ailleurs, il serait nécessaire de disposer d’une évaluation de l’exercice du droit de préemption par les collectivités locales. Cela m’intéresserait d’autant plus que dans le périmètre de mes activités électives locales, le sud francilien, aucune ville n’en a fait usage à ma connaissance. La difficulté n’est pas le déclenchement de ce dispositif mais plutôt les contraintes de sortie pour les collectivités. Je pense à cet égard qu’il sera nécessaire de modifier les dispositions relatives aux rapports locatifs entre les propriétaires et les collectivités pour rendre ce mécanisme opérationnel.

Enfin, le niveau trop élevé des loyers constitue le problème principal des baux commerciaux en centre ville. Ceux-ci sont disproportionnés pour les commerces de proximité, confrontés à une concurrence lourde, car le montant économiquement nécessaire pour les propriétaires est déconnecté des revenus de l’activité commerciale. Ce problème, qui se pose tant pour le patrimoine ancien que pour les locaux neufs, explique que lors des opérations de renouvellement des locaux commerciaux, les opérateurs mettent des mois et parfois des années à trouver des locataires.

En conclusion, je reconnais que la question des baux dérogatoires se pose mais je souhaiterais que l’on élargisse la réflexion à la fixation des loyers et aux conditions de maintien des locataires. En outre, dans certains centres villes, les locataires commerciaux sont confrontés à l’insalubrité des locaux, qu’ils doivent parfois quitter en raison d’un péril, sans dédommagement, puisque seule la faute du propriétaire peut le justifier, selon la jurisprudence.

M. Alain Suguenot. Je tiens à saluer ce rapport d’une grande qualité, sur un sujet d’actualité, et qui apporte des réponses juridiques détaillées aux différents problèmes identifiés. Le droit de préemption créé par la loi de 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises n’a pas encore connu réellement d’application. La révolution commerciale des dernières années, avec l’extension de la grande distribution à la périphérie des villes, a entraîné un phénomène de désertification commerciale des centres-villes. On assiste cependant aujourd’hui à de nouvelles évolutions, avec l’installation par les grands distributeurs de petites et moyennes surfaces de proximité, le développement du e-commerce et des systèmes de points de retrait. Les crises économiques successives ont accentué la fragilisation des commerces de proximité. Le FISAC est intervenu à plusieurs reprises pour le maintien de commerces de proximité. Enfin, la concurrence des magasins d’usine menace également le commerce de proximité dans le secteur du textile.

Il convient de distinguer la question des baux dérogatoires de ces différentes difficultés. Les baux dérogatoires peuvent en effet être utiles, notamment dans les zones touristiques. Il faut donc maintenir la possibilité d’y recourir, tout en interdisant leur renouvellement illimité, source d’insécurité juridique.

Comme le souligne le rapport, l’utilisation de l’indice des coûts de construction a des effets pervers. Le recours à l’indice composite des loyers commerciaux est nécessaire mais ne résoudra pas tous les problèmes.

Il conviendrait également de moderniser notre législation sur le droit au bail, sur les baux spécialisés (par exemple pour les pharmacies) qui sont une source de rigidité, ainsi que sur le pas-de-porte qui a souvent un effet inflationniste et crée des blocages.

Le rapport met l’accent sur d’autres sujets importants, en particulier le pouvoir des maires en matière d’environnement, lorsque des zones sont à l’abandon. Le souci pour les propriétaires de louer leur bien à des locataires solvables les conduit souvent à privilégier les banques, ce qui limite l’attractivité des territoires. A cet égard, le droit de préemption est un outil intéressant mais peu opérationnel. En particulier, le délai d’un an pour la rétrocession du bail représente un obstacle, et on peut s’interroger sur ce qui peut advenir à l’expiration de ce délai, l’activité commerciale ne faisant pas partie des missions des communes. Le recours à la gérance libre est une idée intéressante mais la responsabilité solidaire avec le locataire en matière de dettes est impossible pour les collectivités locales. Une autre solution serait la désignation par les communes d’un manageur de centre ville, comme cela se pratique au Canada et dans d’autres pays anglo-saxons. C’est ce que j’ai fait dans ma propre commune, un élu travaillant avec les acteurs économiques pour maintenir l’activité commerciale dans le centre ville.

Je partage donc l’idée selon laquelle il est nécessaire de prévoir davantage d’outils pour les maires en matière d’urbanisme. Il convient également de simplifier le droit de préemption car de nombreuses communes pourraient y recourir.

En conclusion, je tiens à remercier le rapporteur pour son travail, qui nous donne des pistes de réflexion très intéressantes, particulièrement en ce qui concerne l’introduction dans le code de l’environnement de dispositions renforçant les possibilités d’intervention des communes dans le cas de commerces inoccupés.

M. Jean Dionis du Séjour. Je n’ajouterai pas grand-chose à ce que vient de dire Alain Suguenot mais je souligne à mon tour l’intérêt du travail qui a été fait car, pour les maires de villes-centres, c’est un vrai sujet. J’ai été très intéressé en particulier par les propositions n° 6 et n° 8 qui figurent dans le rapport.

La proposition n° 6, relative au droit de préemption exercé par les communes, est excellente mais ne va pas au bout des choses. Pourquoi préempte-t-on ? Pas seulement parce qu’il existe des friches dans les villes mais surtout parce qu’il y existe une tertiarisation croissante : on voit ainsi s’installer de plus en plus de banques, d’assurances, d’agences immobilières... En termes d’équilibre, il faut donc veiller à ce que l’on souhaite pour les centres-villes : soit on se résigne à la constitution de petits pôles administratifs, soit on souhaite le développement de commerces de proximité en lien avec le caractère résidentiel du quartier et, dans ce cas, afin de les revitaliser, il importe de réserver des périmètres urbains pour des commerces comme le prêt-à-porter, la culture… J’aurais aimé que le rapport nous donne une analyse sur le décalage qui existe entre l’importance des périmètres pouvant être préemptés et, en pratique, le très faible nombre de préemptions effectives. Le délai de rétrocession d’un an que doit actuellement respecter une commune lorsqu’elle préempte est véritablement problématique : c’est un sujet important, car faire venir un commerce dans le cadre d’un projet urbain prend toujours beaucoup de temps. La proposition n° 6 me semble donc particulièrement intéressante car la durée d’un an ne me semble pas suffisante et le maire doit pouvoir prendre des risques pour lutter contre la tertiarisation du centre-ville !

La proposition n° 8 est également excellente car pour agir à l’encontre des propriétaires qui cessent pour diverses raisons d’entretenir leur magasin, il importe d’obtenir des engagements quant au maintien de la qualité visuelle dans les vitrines. Là aussi, c’est une bonne chose que le maire puisse agir de manière volontaire, en intervenant le cas échéant en lieu et place du commerçant mais aux frais de ce dernier.

Quant aux manageurs de centres-villes, c’est un système qui a prouvé son efficacité mais qui pose immédiatement la question de savoir qui le paie. Il faudrait que ce soit là une des priorités du FISAC car, encore une fois, c’est un dispositif qui recèle plusieurs avantages.

Enfin, je terminerai en disant que ce rapport aurait pu être élargi à quelques problèmes connexes comme le stationnement des véhicules, les sites propres ou les problèmes de circulation dans les centres-villes… Il faut véritablement une réflexion d’ensemble sur ce sujet.

M. Michel Piron. Je salue également la très bonne qualité juridique de ce rapport. Je constate que le travail à accomplir était difficile et que le titre de certaines sections est peut-être trop ambitieux : ainsi, « les raisons de la vacance des locaux commerciaux » sont extrêmement nombreuses et il est impossible de les embrasser toutes. Je souhaite insister sur ce que je considère comme les causes réelles pour reprendre une formule du rapport.

On constate actuellement une dégradation de la situation des commerces en raison, pour l’essentiel, d’un suréquipement de plus en plus manifeste qui contribue, en premier lieu, à assécher les villes moyennes (même s’il peut exister un début de réimplantation) au profit des périphéries des grandes agglomérations qui, en retour, souffrent d’une explosion commerciale. On est ainsi passé de 2 millions de m2 d’autorisations à 4 millions en 2009 et même à 4,1 millions en 2010 : on constate donc une explosion des surfaces commerciales en périphérie. On aurait pu imaginer que ce suréquipement, s’il répondait à une véritable demande, contribuerait au maintien des petits commerces dans les centres-villes mais il n’en a rien été ; d’ailleurs, lorsqu’on regarde le tableau que le rapporteur fait figurer en illustration de son développement, on constate que la situation, qui s’est d’ailleurs aggravée depuis la confection de ce tableau, est nettement défavorable aux petites structures commerciales. En tout état de cause, même s’il faut effectivement améliorer le droit de préemption au profit des collectivités territoriales, le levier majeur consiste à profondément réviser l’urbanisme commercial qui reste la cause la plus profonde des travers que nous constatons actuellement.

M. Jean Gaubert. Pour rebondir sur les propos de Michel Piron, je pense qu’il faut prendre en considération l’adéquation entre la zone de chalandise et la capacité des consommateurs présents pour la faire vivre. Il est évident aujourd’hui que les consommateurs n’ont pas les moyens financiers de répondre à la multiplicité des offres existantes. Je constate par ailleurs que la majorité remet de nouveau en cause, « détricote », ce qu’elle a voté avec beaucoup d’enthousiasme il y a trois ans dans le cadre de la LME. Certes, il faut travailler sur l’urbanisme commercial mais combien de magasins de surface supérieure à 1 000 m2 sont-ils concernés ici ? Aucune. Il faut intervenir sur ces surfaces. Par ailleurs, si l’on préempte, il faut savoir au profit de qui et pour quoi faire ; ainsi, même si la finalité est bonne, si l’on ne trouve pas de commerçant pour reprendre le fonds et que l’on construit des HLM, on manque le but d’une revitalisation commerciale des centres-villes ! Je pense que la majorité s’arrête au milieu du chemin puisqu’il faudrait sans doute s’orienter davantage vers la définition d’une typologie des commerces dans les centres-villes comme cela se fait par exemple en Allemagne ; mais l’on ne peut que constater que le gouvernement s’y est opposé lors du débat sur la proposition de loi relative à l’urbanisme commercial.

Mme Frédérique Massat. Ce rapport n’évoque pas un certain nombre d’outils, notamment le portage du foncier, le remembrement et la requalification. Ainsi, il existe des commerces de petite taille qui, justement, souffrent de cette taille modeste pour se développer et il n’existe pourtant à ce jour aucun outil permettant de les requalifier.

Sur le sujet des commerces vacants, et de la taxe sur les friches commerciales, cette taxe s’applique-t-elle réellement ? Est-ce un outil potentiellement utile même si l’on peut penser que le délai de cinq ans n’est pas adapté aux commerces de centre-ville ? Ne faudrait-il pas réfléchir à l’instauration de dispositifs fiscaux incitant à la réadaptation de locaux afin d’inciter les propriétaires à davantage de dynamisme ?

L’idée d’obliger les propriétaires à entretenir les façades de locaux commerciaux abandonnés est intéressante par ailleurs.

M. Jean-Charles Taugourdeau. C’est un sujet complexe car il faut réfléchir à l’urbanisme dans son ensemble, et pas seulement à l’urbanisme commercial comme le suggérait Michel Piron. Dans les petites villes, voire les simples bourgades, c’est très compliqué de prévoir des zones piétonnières et l’accès aux commerces se fait presque intégralement en voiture. Il faut absolument intégrer la taille des agglomérations dans la réflexion.

Quant au droit de préemption, il importe d’avoir des dispositifs permettant aux communes de préempter en toute liberté, quel que soit le but poursuivi et quelles que soient les conditions de la préemption (notamment si elle fait suite au dépôt de bilan du commerce…). Pour ce qui concerne les villages, je pense qu’en raison, notamment, du vieillissement de la population, on sera de plus en plus souvent conduit à réaliser des commerces proches des habitations ou des villages de commerçants à la périphérie du bourg.

M. François Brottes. Il y a ici un sujet que l’on n’aborde jamais et qui est celui du droit de propriété. On peut se demander si ce droit n’est pas, en définitive, l’ennemi de la liberté du commerce et de l’industrie !

Dans le milieu agricole, on a réglé les rapports entre propriétaires fonciers et exploitants agricoles grâce à une sécurisation de l’exploitation par le biais du système du fermage qui, s’il désespère quelque peu les propriétaires fonciers, constitue néanmoins un outil de travail permettant de réfléchir et d’agir dans la durée en dépit de la saisonnalité des activités. À l’inverse, dans le secteur de la forêt que je connais bien, on compte aujourd’hui environ 4 millions de propriétaires qui, pour la plupart, ignorent qu’ils possèdent des biens forestiers ou en ont une approche affective et non patrimoniale, ce qui fait qu’ils ne les entretiennent pas et qu’ils sont totalement inorganisés entre eux.

Dans le secteur du commerce, les propriétaires des locaux négligent des difficultés existantes, notamment lorsqu’il s’agit les normes applicables. Le rapport du propriétaire, qui peut avoir des visées spéculatives, avec le commerçant n’est pas serein : on ne s’attaque donc pas ici à la racine des maux qui est celle de la propriété du local ! La véritable question est de savoir comment on pourrait agir en sorte d’avoir un effet de levier sur la propriété commerciale qui puisse favoriser la diversité et la sérénité des commerces.

M. Philippe Armand Martin. Un problème se pose également en ce qui concerne la nature du bail et l’extension du droit de préemption au profit du maire. La vacance des locaux commerciaux pose problème mais des initiatives sont prises, comme la création des maisons de commerce par exemple, qui ont vocation à renseigner les commerçants. Ne peut-on réfléchir à leur développement ? Par ailleurs, ne faut-il pas agir pour simplifier au plus vite les mesures relatives à l’installation commerciale et faciliter les projets de commerçants souhaitant s’installer en centre-ville ?

Mme Annick Le Loch. Les problématiques relevées par ce rapport sont très juridiques ; or, n’est-ce pas aussi, avant tout même, un sujet d’urbanisme, notamment d’urbanisme commercial ? Il est vrai, comme le relevait Jean Gaubert, que la LME n’a pas amélioré la situation en ce qui concerne les extensions commerciales. Il existe dans les centres-villes des immeubles insalubres et des problèmes également de copropriété (entre les commerces au rez-de-chaussée et les logements des étages) : tout cela pose des problèmes de gestion et contribue à véritablement dégrader les centres-villes. Il existe également des problèmes de partage de zones de chalandise où ce sont généralement les acteurs de la grande distribution qui en tirent les plus grands profits. Je souhaiterais donc connaître les potentialités qui existent véritablement dans la réforme de l’urbanisme commercial et comment il serait possible de revitaliser les centres-villes. Il y va d’un modèle de développement pour le bien commun.

M. Jean-Louis Gagnaire. La vacance n’est pas de même nature selon les villes considérées car en raison de substantielles différences les remèdes ne peuvent être identiques. Comme cela a déjà été dit, il existe en effet un problème concernant le pouvoir d’achat des habitants des centres-villes ; à ce titre, il faut mieux mobiliser le FISAC qui n’est pas assez transparent dans sa gestion en dépit de l’utilisation de fonds considérables, ni assez centralisé dans ses actions. Il y a eu une très belle expérience à Grenoble où le FISAC a mobilisé la moitié des moyens applicables à la région Rhône-Alpes : le résultat a été excellent en termes de revitalisation du tissu commercial des artères de la ville.

Le problème des surfaces commerciales tient également au morcellement de la propriété, d’autant qu’il peut également exister des prises de position spéculatives de personnes qui ont les moyens d’attendre une hausse des prix. Comment la taxe sur les friches commerciales peut être appliquée aux propriétaires qui adoptent de la sorte des positions purement spéculatives ? Comment par ailleurs imposer l’entretien des vitrines et des façades aux propriétaires de commerces vacants ? Il existe des exemples en Espagne où, par exemple, les vitrines ne restent pas à l’abandon et doivent en toute hypothèse être habillées ou, du moins, mises en valeur.

Se pose enfin le problème des règlements de copropriété qui peuvent interdire certaines installations et contredire d’autres documents d’urbanisme. Il faut donc véritablement concentrer les moyens là où c’est nécessaire.

M. Daniel Fasquelle, rapporteur. M. Le Bouillonnec, il est exact que ce rapport ne porte pas sur les baux commerciaux ou l’aménagement des cœurs de ville. Au départ, la mission traitait du problème des baux dérogatoires car ceux-ci étaient vus comme la source des maux des centres-villes. Par exemple, un commerçant qui ne dispose de son local que pour une durée limitée ne fera pas les efforts d’aménagement et de décoration nécessaires ; le phénomène s’amplifie lorsque ce local est l’objet d’une succession de baux dérogatoires Il est vrai aussi que les rares qui jouent le jeu, en s’investissant réellement dans leur commerce, n’obtiennent pas toujours la prolongation espérée une fois le bail arrivé à échéance, ce qui n’incite pas les autres à suivre leur exemple… Enfin, une vacance intervient souvent entre deux baux dérogatoires, car certains propriétaires préfèrent voir ceux-ci se succéder et fixer des loyers très élevés, quitte à subir des temps de vacance, plutôt que d’accorder des baux classiques. Le résultat final s’en déduit aisément : nos cœurs de ville ne sont pas aussi attractifs qu’on le souhaiterait.

Toutefois, j’ai pu constater que les baux dérogatoires ne sont pas la cause principale de la vacance des locaux commerciaux, c’est pourquoi j’ai élargi le champ de ma mission et présenté un certain nombre de propositions qui, à mon sens, peuvent contribuer à améliorer la situation et donner des outils aux maires pour faire face aux situations auxquelles ils sont confrontés.

Vous avez évoqué le cas de communes qui utilisent les baux précaires. J’ajouterai qu’elles utilisent également les baux saisonniers ; c’est le cas par exemple d’Evian, dont le maire, Marc Francina, m’a indiqué qu’ils constituent un outil complémentaire très utile lorsqu’il s’agit de faire vivre certains quartiers de la ville durant la saison touristique. Il faut toutefois faire attention à ce que le régime des baux saisonniers soit bien encadré juridiquement, car les règles qui les concernent sont essentiellement de nature jurisprudentielle ; sans doute devrions-nous codifier certaines d’entre elles pour lutter contre les abus constatés. Pour ce qui est enfin des conventions d’occupation précaire, elles constituent un instrument particulièrement adapté à la situation de locaux appelés à disparaître et dans lesquels on voudrait toutefois attirer des commerçants. Là encore, c’est une création de la pratique, qui mériterait d’être mieux encadrée.

Vous avez également raison lorsque vous considérez que le vrai problème est le montant trop élevé des loyers. Les commerçants indépendants sont chassés du cœur de ville et remplacés par des banques, des assurances ou des franchises. Certains propriétaires recherchent même une telle substitution en fixant un loyer très élevé, dans l’espoir de trouver une entreprise dont la surface financière sera suffisamment importante pour accepter de l’acquitter. Je dois reconnaître qu’il est très difficile de lutter contre un tel phénomène.

Il me semble cependant que l’un des moyens d’y parvenir est d’imposer le nouvel indice. De trop nombreux commerçants sont chassés hors des centres-villes sous la pression d’une augmentation de leur loyer bien supérieure à l’évolution de la situation commerciale. Il ne faut pas laisser certains indépendants prisonniers de l’ancien indice. Ce rapport n’a pas abordé la question de la réforme des baux commerciaux, qui est un chantier immense. Toutefois, si l’on devait s’y atteler, on devrait se pencher de très près sur la question de la révision des loyers. Nous avons tous été confrontés à des commerçants qui font face à des augmentations déraisonnables ; certains osent saisir les tribunaux, mais ça n’est pas le cas de tous. La révision des loyers à expiration du bail est source de nombreux conflits : le propriétaire ne peut pas exclure l’occupant, sous peine de devoir lui verser l’indemnité d’éviction, mais il peut en revanche augmenter les loyers de façon à rendre la situation intenable.

Vous trouverez dans le rapport que je vous présente les chiffres en matière d’exercice du droit de préemption par les collectivités territoriales. On compte quatre cents périmètres de préemption sur le territoire national, mais seulement trente préemptions réalisées. Sur les communes de Paris et de la petite couronne, on dénombre seulement sept cas de préemption sur un total de quarante-neuf périmètres créés. Je soulignerai toutefois que l’on ne peut pas s’en tenir au seul nombre des préemptions réalisées pour mesure l’efficacité du dispositif. La seule menace de l’usage de la préemption peut suffire à régler certains cas, comme j’ai pu en faire l’expérience sur le territoire de ma commune. Ainsi, sans qu’aucune préemption ne soit comptabilisée, on peut parvenir à un résultat concret. Ceci étant dit, il faut également se pencher sur la manière d’améliorer le dispositif. Ce n’était pas l’objet de mon rapport, qui abordait le problème de l’usage du droit de préemption uniquement à travers le cas de la location-gérance, car je ne voulais pas que l’usage du droit de préemption se traduise par des locaux vacants. Je pense que nous aurons l’occasion de retravailler ce point lors du nouvel examen de la proposition de loi sur l’urbanisme commercial.

M. Suguenot, pour résoudre les problèmes créés par l’utilisation des indices, il faut généraliser l’indice ILC. S’agissant du FISAC, le principal problème est que l’aide accordée est d’ordre ponctuel. Le FISAC peut certes aider à l’embauche d’un animateur de centre-ville, mais la question se pose ensuite des moyens financiers à mobiliser pour pérenniser le poste. Sans parler du fait que cette fonction d’animateur requiert des qualités très particulières et qu’il n’est pas simple de trouver la personne idoine.

Le retour du petit commerce dans les centres-villes existe bel et bien car cela correspond à une demande de la population. Ce n’est pas parce qu’il existe des grandes surfaces en périphérie que le commerce est nécessairement condamné au cœur des villes, les deux situations sont complémentaires. On assiste d’ailleurs à une prise de conscience de cette tendance par les distributeurs qui mettent désormais en place beaucoup de petites surfaces en centre-ville à l’image des épiceries d’antan. Paradoxalement, le e-commerce peut aussi profiter aux commerces du centre-ville, car il faut bien aller retirer les colis commandés sur Internet. Il existe, de ce point de vue là, un mouvement de fond qu’il faut accompagner en se gardant des idées trop simples car la réalité est beaucoup plus complexe.

M. Dionis du Séjour, vous évoquez la proposition n° 6 portant sur le droit de préemption. Je suis d’accord avec vous lorsque vous estimez qu’il faut revoir la question plus globalement, même si mon approche s’est volontairement limitée à la question de la location-gérance.

La proposition n° 8 est sans doute la plus importante du rapport, car elle vise à octroyer davantage de pouvoir aux maires. Les manageurs de centre-ville sont une solution que nous devons renforcer notamment au travers du FISAC. La question du stationnement des véhicules est également centrale, mais elle s’inscrit dans la problématique plus globale de l’aménagement des centres-villes.

M. Piron, je ne peux qu’adhérer au constat selon lequel certains centres-villes sont dégradés. C’est notamment le cas de communes situées en périphérie de communes plus importantes. Il convient pour autant de ne pas négliger la tendance évoquée précédemment d’un retour des commerces traditionnels en centre-ville.

Je répondrai à Michel Piron et à Annick Le Loch en disant qu’on constate aujourd’hui un effort en faveur du retour des commerces vers les centres villes, comme d’ailleurs de la population. Michel Piron avait posé la question plus générale de l’évolution de l’urbanisme commercial : c’est un sujet qu’il connaît parfaitement bien, sur lequel il a fait déjà de nombreuses propositions et sa qualité de rapporteur lui permettra d’être à nouveau très présent dans les débats sur la proposition de loi urbanisme commercial lorsque ce texte reviendra devant notre assemblée. Je pense en outre qu’il est souhaitable d’étendre et de généraliser l’ILC, et il me semble qu’il s’agit d’un point de consensus entre nous ce matin.

Jean Gaubert a évoqué la question de l’attractivité des centres villes et du nouvel indice créé par la LME : je signale à cet égard que la LME contient plusieurs mesures visant à soutenir le petit commerce, notamment cet ILC dont je souhaite généraliser l’usage.

Frédérique Massat a fait deux remarques tout à fait intéressantes. La première concernait les surfaces commerciales trop petites, problème auquel j’ai été confronté sur le terrain : certains commerces n’arrivent pas à s’implanter en centre ville car il n’y a pas de surfaces commerciales suffisamment grandes et sont obligés de s’établir en périphérie. Je n’ai pas mentionné ce sujet dans mon rapport, mais il s’agit d’un vrai problème. La seconde remarque portait sur la taxe sur les friches commerciales : j’avais envisagé à l’origine la possibilité d’une extension de cette taxe, mais les échanges que j’ai eus dans le cadre de ma mission m’en ont dissuadé. Première raison, des fiscalistes mettent en avant un risque d’incompatibilité entre cette taxe et le droit de propriété ainsi que la liberté de commerce et d’industrie ; une taxe visant à conforter le droit au logement et engager les propriétaires à louer ne pose pas de problèmes de constitutionnalité car l’objectif social est évident, en revanche s’agissant d’une activité commerciale, la justification d’une telle taxe au regard des normes constitutionnelles serait plus douteuse. Une seconde raison me paraît plus convaincante : il faut éviter de forcer les propriétaires à louer leur commerce à n’importe qui. Nous pourrons rediscuter de cette question si vous le souhaitez.

Jean-Charles Taugourdeau a posé la question des commerces de centre ville dans les bourgs de trois à cinq mille habitants. Il est vrai que de telles implantations participent de la dynamique du commerce de proximité et qu’il faut aussi penser aux villes moyennes lorsque nous traitons ces sujets. Il me semble que le droit de préemption de ces communes moyennes doit aussi être renforcé.

François Brottes a évoqué le droit de propriété : parfois les propriétaires se désintéressent de leur commerce parce que la propriété commerciale est à ce point forte qu’ils ont peu de prise sur leur commerce. Il faut à cet égard trouver un bon équilibre entre l’intérêt du propriétaire à la vie du local et la protection du locataire commerçant. François Brottes a fait la comparaison avec l’agriculture ; je me suis aussi inspiré de cet exemple pour proposer l’institution d’un droit de priorité en faveur du locataire. Actuellement en effet, si un propriétaire vend les murs, le commerçant qui occupe ces murs n’a aucun droit de priorité à l’achat, alors que cette priorité existe en matière agricole. Je n’ai pas mentionné précédemment cette proposition car elle n’est pas fondamentale, mais c’est l’addition de petites mesures de ce type qui est à même d’améliorer la situation. L’idéal reste de faire se rejoindre la propriété commerciale et la propriété des murs.

Philippe Armand-Martin a proposé de simplifier les démarches des futurs commerçants et de créer à cette fin des maisons du commerce. Je crois qu’avec les chambres de commerce qui agissent d’ores et déjà en ce sens, il faut renforcer les outils pour accompagner et aider les commerçants qui se lancent.

Annick Le Loch a posé la question des zones de chalandises et de l’urbanisme commercial. Ces sujets, qui excèdent un peu le cadre de mon rapport, sont importants et pourront être abordés dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative à l’urbanisme commercial. En tout cas, il me paraît clair qu’il faut renforcer les pouvoirs du maire en matière d’urbanisme commercial.

Je suis d’accord avec Jean-Louis Gagnaire sur la nécessité de renforcer le rôle du FISAC. Je crois qu’il faut aussi trouver des moyens pour lutter contre l’éclatement de la propriété : vous êtes plusieurs collègues à avoir souligné ce problème, et je retiens ce point. J’ai déjà abordé la question de la taxe sur les friches commerciales. Dernier sujet, celui des règlements de copropriété : il existe effectivement parfois des difficultés à développer des commerces du fait d’un « verrouillage » par les règlements de copropriété. Ce point devra être analysé plus en profondeur si nous sommes saisis d’une réforme des règles concernant les copropriétés.

Je vous remercie pour l’ensemble de vos remarques, très intéressantes, et qui ont permis d’enrichir le rapport.

M. Jean Dionis du Séjour. Merci, monsieur le président. Je souhaiterais, puisqu’il nous reste quelques minutes, que nous débattions des suites qui seront données à ce rapport. Il s’agit d’un rapport important. Lors de votre présentation, à chaque fois que vous proposiez d’intégrer certaines mesures dans la proposition de loi relative à l’urbanisme commercial, Michel Piron semblait pour le moins réservé et je me demande pourquoi. Même si je fais confiance au groupe socialiste pour adopter dès 2012 ces dispositions en cas d’alternance, je pense qu’il est nécessaire de voter ces dispositions avant la fin de la législature.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Je crois que c’est le fait que la proposition de loi est en seconde lecture qui gêne Michel Piron.

M. Daniel Fasquelle. Je précise que j’ai proposé non pas d’intégrer toutes les propositions du rapport dans la proposition de loi, mais uniquement le droit de préemption, qui a déjà fait l’objet de discussions en première lecture. Sur les autres sujets, il faudra trouver d’autres véhicules législatifs.

M. Jean Proriol. N’y a-t-il pas une contradiction entre la proposition n° 6 qui renforce le droit de préemption et la proposition n° 7 qui institue un droit de priorité ? Il me semble qu’il y a un conflit entre trois droits : le droit de propriété commercial, le droit de préemption et le droit de préférence.

M. Daniel Fasquelle. En réalité, l’objet de ces dispositifs n’est pas le même : le droit de préemption porte sur le bail commercial tandis que le droit de priorité porte sur les murs. Ce sont deux problématiques bien distinctes.

M. Jean Dionis du Séjour. En tout cas, il faut aller jusqu’au bout de ce débat. Il faut que la question de la stratégie à adopter soit abordée. Je proposerai au président Poignant de mettre cette question à l’ordre du jour d’une prochaine réunion du bureau de notre commission.

M. Jean-Charles Taugourdeau. Je crois qu’il faudrait aussi réfléchir au fait que de nombreux commerces vont devoir être mis aux normes, pour l’accessibilité aux handicapés ou pour la sécurité, par exemple. Il faudrait peut-être envisager le recours à des contrats de partenariat public- privé pour faciliter cette transition.

M. Daniel Fasquelle. Je crois qu’il y a deux choses dans ce que vous dites : d’abord le problème de la mise aux normes – et il faut accompagner les commerces pour franchir ce cap ; ensuite le problème de l’intervention directe des communes pour louer des locaux commerciaux, qui permet de maintenir et de diversifier l’offre et de tirer autant que faire se peut les loyers vers le bas.

En tout cas, je vous remercie encore pour vos remarques, qui ont été fort utiles.

La Commission autorise à l’unanimité la publication du rapport.

ANNEXE : LISTE DES ORGANISMES ET
PERSONNES AUDITIONNÉS

Conseil du commerce de France

– Mme Fanny Favorel, Secrétaire générale

Association nationale des maires des stations classées et des communes touristiques

– M. Marc Francina, président

Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH)

– Mme Dany Deleval, vice-présidente

– M. Christophe Brovarnik, responsable juridique

Université Paris-Dauphine

– M. Joël Monéger, professeur des universités

Fédération française du négoce de l’ameublement et de l’équipement de la maison (FNAEM)

– M. Didier Baumgarten, président

– M. Jean-Charles Vogley, directeur des affaires économiques et du développement

Conseil supérieur du notariat

– Me Didier Coiffard, notaire à Oyonnax

– Me Damien Brac de la Perriere, notaire à Lyon

– Mme Christine Mandelli, chargée des relations avec les institutions

Fédération nationale de l’habillement (FNAEM)

– M. Charles Melcer, président

– M. Frédéric Willems, responsable des affaires économiques

Conseil National des Centres Commerciaux (CNCC)

– M. Jean-Michel Silberstein, délégué général

– Me Dominique Cohen-Trumer, avocat au barreau de Paris

Conseil national des barreaux

– Mme Michèle Assouline, avocat au barreau de Paris, ancienne membre du Conseil National des barreaux

– Me Frédéric Sicard, avocat au barreau de Paris, membre du Conseil national des barreaux

– Me Patricia Savin, avocate aux barreaux de Paris et de Bruxelles

– Me Fabrice Fages, avocat aux barreaux de Paris et de Bruxelles

Assemblée permanente des chambres de métiers et de l’artisanat (APCM)

– M. François Moutot, directeur général

– Mme Béatrice Saillard, directrice des relations institutionnelles

Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP)

– M. Gérald Barbier, rapporteur

– Mme Dominique Moreno, sous-directrice, département droit public et économique

– Mme Françoise Arnaud-Faraut, chef du département droit civil et commercial

– Mme Véronique Etienne Martin, conseiller parlementaire

Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)

– M. Régis Lasselin (Union nationale des PME du commerce)

– Mme Amélie Lugan, juriste du service économique et fiscal

1 () Loi n° 65-356 du 12 mai 1965 modifiant et complétant le décret n°53-960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal, publiée au Journal officiel du 13 mai 1965, pages 3755 et suivantes.

2 () Loi du 17 mars 1909 relative à la vente et au nantissement des fonds de commerce.

3 () Article 544.- La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.

4 () Décret n°53-960 du 30 septembre 1953 réglant les rapports entre bailleurs et locataires en ce qui concerne le renouvellement des baux à loyer d’immeubles ou de locaux à usage commercial, industriel ou artisanal, publié au Journal officiel du 1er octobre 1953, pages 8618 et suivantes.

5 () Ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce.

6 () Voir par exemple une convention d’occupation précaire ayant duré vingt-trois ans, Cass.3e civ. 28 octobre 1987 : revue loyers 1988, page 20.

7 () Philippe Pelletier, Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, avril 2004, n° 82, page 62, disponible sur le site www.justice.gouv.fr.

8 () V. Cass. 3e civ., 2 février 2005 : Bull.civ., III, n°20.

9 () Voir JurisClasseur Bail à Loyer, Fasc. 1255, n°54.

10 () Philippe Pelletier, op.cit., n°80, p.61.

11 () Joël Monéger, code des baux 2010 commenté, Dalloz, p. 609.

12 () V. Cass. 3e civ., 20 février 1985, Bull.civ., III, n° 39.

13 () Voir notamment J.P. Blatter, Les baux dérogatoires au statut des baux commerciaux, AJPI 1992, p. 180 et suivantes, spéc.p.182.

14 () Voir dans la deuxième partie le développement consacré aux commerces d’ameublement nomades et incontrôlables.

15 () Rapport au Ministre du logement et de la ville, février 2008 : « un commerce pour la ville » Robert Rochefort (CREDOC).

16 () INSEE Première : « à la campagne, comme à la ville, des commerces traditionnels proches de la population » n°1245, juin 2009.

17 () Proposition de loi n° 2057 visant à pérenniser et dynamiser le commerce de proximité présentée par M. Bernard Reynès et plusieurs de ses collègues.

18 () Cf. « pme.Service-Public.fr ».

19 () L’indice des prix à la consommation est calculé hors tabac et hors loyers ; il concerne l’ensemble des ménages et s’applique à la métropole et aux DOM.

L’indice du chiffre d’affaires du commerce de détail est en valeur et corrigé des variations saisonnières et des jours ouvrables.

Pour chacune des trois composantes, il est retenu la référence 100 pour la moyenne relative au 1er trimestre de 2008.

20 () ACNF, 105e Congrès, Lille 17-20 mai 2009, p. 116.

21 () Question n° 69267, 13ème législature, publiée au JO le 26/01/2010 p.756, réponse publiée au JO le 11/05/2010 p. 5358.

22 () Question écrite de M. Maurice Leroy, JO Assemblée nationale du 14 septembre 2010 n° 82275.

23 () Proposition de loi n°2057 visant à pérenniser et dynamiser le commerce de proximité présentée par M. Bernard Reynès et plusieurs de ses collègues.

24 () CE 18 février 1972, chambre syndicale des entreprises artisanales de Haute-Garonne.

25 () CAA Paris, 6 décembre 2007 et CAA Versailles 15 octobre 2009, Michel Verpeaux, « commerces sédentaires et occupation du domaine public » AJDA 2010.

26 ()  Ibid.


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