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N° 3624

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 juillet 2011

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC)  (1)

sur les externalisations dans le domaine de la défense

et prÉsentÉ

par MM. Louis GISCARD D’ESTAING et Bernard CAZENEUVE

Députés

___

MM. Olivier CARRÉ et David HABIB

Présidents.

___

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Olivier Carré, David Habib, Présidents, Jérôme Cahuzac, Président de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Bernard Cazeneuve, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell’Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Louis Giscard d’Estaing, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : LE CADRE GÉNÉRAL DE LA POLITIQUE D’EXTERNALISATION 11

I.– LES INTERVENANTS ET LA MÉTHODE 12

A.– PLUSIEURS STRUCTURES APPORTENT LEURS COMPÉTENCES 12

1.– Les initiateurs de la démarche : l’EMA, le SGA et le cabinet du ministre 12

2.– La mission « Partenariats publics-privés » (mission PPP) 12

3.– La mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariats publics-privés (MAPPP) 13

B.– LE PROCESSUS DÉCISIONNEL 14

1.– L’évaluation préalable 14

2.– La consultation des marchés 14

C.– LE DÉCRET DU 21 SEPTEMBRE 2010 ET LA « MALD » 15

1.– L’adaptation d’une disposition légale applicable au secteur privé 15

2.– L’intérêt du décret 15

3.– Une possibilité de seconde carrière pour certains militaires 16

II.– DEUX REGARDS EXTÉRIEURS SÉVÈRES 17

A.– LE REGARD CRITIQUE DE LA COUR DES COMPTES 17

1.– Les gains économiques sont très difficiles à apprécier 17

2.– Une politique qui peut conduire à des dérives 18

3.– Des risques pour l’instant maîtrisés 19

B.– L’OPPOSITION GLOBALE DES SYNDICATS 19

1.– Le processus de consultation des partenaires sociaux, selon le SGA 20

2.– Les syndicats stigmatisent une concertation illusoire 20

3.– Une nette préférence pour la « civilianisation » plutôt que l’externalisation 21

4.– Des risques liés à la sécurité 21

III.– CERTAINES FAIBLESSES SUSCITENT DES QUESTIONS POUR L’INSTANT SANS RÉPONSES 22

A.– LE MANQUE CRIANT D’ÉLÉMENTS CHIFFRÉS 22

1.– Florilège de réponses à la question des données chiffrées 22

2.– L’absence de comptabilité analytique incite à la prudence 24

B.– LES ÉLÉMENTS SUSCEPTIBLES D’ATTÉNUER L’INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DES EXTERNALISATIONS 24

1.– Une compensation financière est versée aux agents mis à la disposition 24

2.– Le coût des plans sociaux n’est pas pris en compte dans le calcul 25

3.– La TVA est due sur un service externalisé, pas sur un service en régie 25

4.– Le partenaire privé doit s’assurer, ce qui n’est pas le cas de l’État 25

IV.– DES DOUTES QUANT À L’INTÉRÊT ET AUX OBJECTIFS 26

A.– LES EXTERNALISATIONS SONT-ELLES VRAIMENT PLUS ÉCONOMIQUES QUE LES RESTRUCTURATIONS ? 26

1.– La comparaison peut tourner à l’avantage de la rationalisation 26

2.– Envisager une rationalisation de la régie avant d’externaliser 26

3.– L’interarmisation dispose encore d’une marge de progression 27

B.– LES EXTERNALISATIONS PROLONGENT-ELLES LA DÉFLATION DES EFFECTIFS ? 28

1.– Les effectifs en jeu sont considérables 28

2.– Des déclarations peu claires, voire contradictoires 29

3.– La nécessité de lever l’ambiguïté 30

DEUXIÈME PARTIE : QUELQUES CAS PARTICULIERS D’EXTERNALISATIONS 31

I.– LE MCO AÉRIEN ET NAVAL 32

A.– UNE VOLONTÉ DE SÉPARER L’OPÉRATIONNEL DU SOUTIEN 32

1.– La nécessité de recentrer les militaires sur l’opérationnel 32

2.– Le gain économique n’est pas le premier critère en matière de MCO 33

3.– Pour la marine toutefois, le gain économique semble réel 33

B.– UN ENJEU INDUSTRIEL ESSENTIEL 34

1.– Les entreprises étrangères participent à l’externalisation 34

2.– Protéger notre industrie de défense 35

II.– L’AFFRÈTEMENT AÉRIEN ET NAVAL 36

A.– LE CONTRAT SALIS 36

1.– La nécessité de combler une importante lacune capacitaire 36

2.– La contractualisation avec une société russe 36

3.– La France particulièrement dépendante du contrat Salis 37

B.– LE MÉCANISME D’ÉCHANGE ATARES 38

1.– Une coopération originale basée sur le troc d’heures de vol 38

2.– La remise en cause du contrat Salis 40

3.– L’achat de l’Antonov 124 a-t-il été sérieusement étudié ? 40

C.– LA LOCATION AVEC OPTION D’ACHAT DE DEUX AIRBUS A 340 41

1.– Un choix contraint 41

2.– Une décision sévèrement critiquée par la Cour des comptes 42

3.– Vers une probable levée d’option en 2015 ? 43

D.– L’AFFRÈTEMENT NAVAL 44

1.– L’affrètement naval est déjà entièrement externalisé 44

2.– Une activité mondialisée indispensable au ravitaillement des forces 44

3.– Le projet d’affrètement de nouveaux navires rouliers 45

E.– UN ÉQUILIBRE À TROUVER ENTRE EXTERNALISATION ET MOYENS PATRIMONIAUX 47

1.– Les spécificités de l’affrètement de navires civils par la Marine nationale 47

2.– Les désagréments de l’affrètement 48

3.– Externaliser sans se priver des moyens patrimoniaux indispensables 49

III.– LA FONCTION RHL (RESTAURATION, HÔTELLERIE, LOISIRS) ET L’HABILLEMENT 50

A.– LA FONCTION RESTAURATION, HÔTELLERIE, LOISIRS 50

1.– Le rôle central de l’Économat des armées 50

2.– Le processus expérimental d’externalisation de la restauration 51

3.– L’externalisation de la restauration en Afghanistan 51

B.– UN BILAN NUANCÉ 52

1.– Pourquoi la restauration externalisée est meilleur marché 52

2.– Un contrôle strict 52

3.– Un bilan en demi-teinte selon la Cour des comptes 53

C.– LA FONCTION HABILLEMENT 53

1.– La création récente du commissariat des armées 53

2.– D’importants gains de postes liés à la rationalisation de l’habillement 54

3.– L’externalisation dans le prolongement de la rationalisation 54

D.– LA GESTION DES STOCKS 55

1.– Les contraintes spécifiques de la fonction habillement 55

2.– Ajuster les stocks aux besoins opérationnels 56

3.– Aucun risque ne sera pris pour les effets critiques 56

IV.– LES SATELLITES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS 58

A.– LE MÉCANISME DE LA CESSION D’USUFRUIT 58

1.– La location d’un service global de télécommunications 58

2.– Le principe d’une vente des satellites a été écarté 59

3.– Suppressions d’emplois et pertes de compétences 59

B.– LES DEUX CANDIDATS DOIVENT ÊTRE DÉPARTAGÉS EN 2011 60

1.– Thales présente l’avantage d’avoir construit les satellites 60

2.– EADS a l’avantage de l’expérience accumulée au Royaume-Uni 60

C.– LES LIMITES DE L’EXERCICE 61

1.– La garantie de disposer des capacités suffisantes 61

2.– Les capacités mises sur le marché sont faibles 61

3.– Tout retard réduit l’intérêt de l’aliénation 62

V.– LE RAVITAILLEMENT EN VOL 63

A.- LA MALHEUREUSE EXPÉRIENCE BRITANNIQUE 63

1.– Une stratégie innovante 63

2.– Une rentabilité supposée meilleure 64

3.– Une accumulation d’aléas plus ou moins prévisibles 64

B.– LA SITUATION DE LA FRANCE 65

1.– Une flotte à renouveler d’urgence 65

2.– L’enjeu nucléaire 66

3.– L’acquisition patrimoniale paraît la solution la plus raisonnable 66

VI.– LES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES 68

A.– UN PHÉNOMÈNE RÉCENT EN PLEINE EXPANSION 68

1.– Une activité récemment officialisée sur le plan international 68

2.– Des compétences particulièrement vastes 68

B.– L’ESSOR DES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES EN FRANCE 69

1.– Le ministère de la Défense reconnaît recourir aux SMP 69

2.– Une doctrine d’emploi a été élaborée 70

VII.– LE REGROUPEMENT DE L’ADMINISTRATION CENTRALE À BALARD 71

A.– UN PROJET QUI ACCOMPAGNE LA RÉFORME DES ARMÉES 71

1.– Rationaliser l’organisation géographique du ministère 71

2.– Le projet s’inscrit dans la logique de la réforme des armées 72

B.– UN PARTENARIAT INÉDIT DANS NOTRE PAYS 73

1.– Un partenariat public-privé de grande ampleur et d’une durée de trente ans 73

2.– De substantielles économies attendues 74

3.– Une équation budgétaire dont la réalisation sera à surveiller 75

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC 79

EXAMEN EN COMMISSION 81

ANNEXES 87

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 87

II.– TABLE DES AUDITIONS 89

INTRODUCTION

L’externalisation dans les armées est un mode de gestion ancien. Dès le Directoire, le ravitaillement des armées était assuré, avec des fortunes diverses, par des entreprises privées. Ainsi, le 28 décembre 1795, Bonaparte écrit à propos de l’entreprise Lanchère qu'elle « a si bien réussi jusqu'ici à affamer nos soldats »

Au début du Premier Empire, les employés des équipages ne sont pas des militaires mais sont recrutés par des entreprises dont les plus célèbres sont Breidt, qui travaille pour la Grande Armée, et Gayde, pour l’armée d’Italie. Dans la pratique, le système fonctionne mal car les objectifs financiers de ces deux entreprises ne coïncident pas avec les intérêts militaires et stratégiques ; de plus, le personnel civil, peu motivé par la chose militaire, ne fait pas de zèle et évite soigneusement les zones risquées.

Le 6 mars 1807, Napoléon écrit au Général Dejean : « Rien n’est mauvais comme l’organisation des transports de la Cie Breidt. Je voudrais former des bataillons de transport des équipages militaires. Par ce moyen, nous n’aurions plus d’intérêt à opposer à l’intérêt de l’armée, ce qui n'est pas le cas à présent ; car, par exemple, lorsque j’ai intérêt à ce que les caissons arrivent vite, l'entrepreneur a un intérêt opposé. D’ailleurs, rien n’est absurde comme ces marchés où l’entrepreneur joue à la loterie et peut être ruiné sans qu’il y ait de sa faute, ou gagner un million sans raison ». Vingt jours plus tard, Napoléon signe le décret créant les équipages militaires du train, ce qui ne l’empêche pas, concurremment, de continuer à faire appel à des entreprises privées pour le soutien des forces.

Sans remonter au Directoire, nous constatons que les armées ont toujours eu pour tradition de confier à des partenaires extérieurs un certain nombre d’activités. Mais il est vrai qu’un double mouvement d’externalisation s’est développé ces dernières années : d’abord pour remplacer les appelés dont les armées ont dû se passer dès 1997, avec la suspension du service national ; ensuite, une dizaine d’années plus tard, pour tenter de réduire leurs coûts dans un contexte budgétaire très contraint, mais aussi pour organiser nouvelle déflation d’effectifs.

En effet, en 2009, l’armée de terre comptait encore 128 200 militaires et 21 600 civils. Ces 149 800 agents ne seront plus que 131 000 en 2015. Pour l’ensemble de la Défense, les effectifs chuteront sur la même période de 313 400 à 275 000. L’une des pistes évoquées pour conserver une armée pleinement opérationnelle malgré une telle compression de personnel est d’inverser le rapport entre les 60 % d’effectifs occupant des fonctions de soutien et les 40 % qui se consacrent aux fonctions opérationnelles, ce qui suppose un recours accru à des prestataires extérieurs.

L’externalisation reste cependant une pratique assez méconnue parce que longtemps présentée comme élément d’un processus expérimental et perçu de façon fragmentée, contrairement aux pays anglo-saxons où cette pratique est désormais profondément ancrée dans les mœurs et peut concerner des pans entiers de l’activité militaire (logistique, formation, restauration, déminage, santé…).

Le montant des sommes en jeu et la nature des activités concernées ont conduit la représentation nationale à s’intéresser de près à ce phénomène. Depuis 2002, pas moins de cinq rapports parlementaires spécifiques – quatre publiés par l’Assemblée nationale, un par le Sénat – sont venus alimenter la réflexion sur la question des externalisations de la Défense et de ses financements innovants.

En particulier, le rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur le financement des opérations militaires extérieures (2) avait, en juillet 2009, attiré l’attention des membres de la commission des Finances sur l’utilité de poursuivre et approfondir cette réflexion.

C’est ainsi qu’en application de l’article 58-2° de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a demandé à la Cour des comptes de réaliser une enquête sur « le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la défense ». Sur la base du rapport très détaillé rendu par la Cour, publié en février 2011 par la commission des Finances (3), le bureau de la commission des Finances a décidé de saisir la MEC afin d’aborder les sujets sous l’angle politique.

*

* *

L’intervention de la Mission d’évaluation et de contrôle a donc été motivée par l’exigence de contrôle démocratique sur un poste majeur de dépenses du ministère de la Défense. Pour mener à bien son évaluation, la mission a procédé à une série d’auditions dont la liste est jointe en annexe. Selon une habitude désormais solidement établie, la mission a en outre bénéficié, dans un esprit de coopération exemplaire, de l’expertise des magistrats de la deuxième chambre de la Cour des comptes.

Fidèle à sa philosophie non partisane, la Mission a associé majorité et opposition, commissions des Finances et de la Défense. Au terme de ses travaux, elle risquait de ne pas parvenir à dégager un consensus complet entre les deux Rapporteurs.

En effet, il est apparu à M. Bernard Cazeneuve, à l’issue du cycle d’auditions, que les externalisations contribuaient à la désorganisation du ministère sans que soit apportée la preuve chiffrée qu’elles permettaient de réaliser les économies promises, compte tenu notamment d’un certain nombre de contraintes qui sont détaillées dans les pages qui suivent. L’absence de comptabilité analytique ne fait, de ce point de vue, que souligner les carences globales des données chiffrées sur lesquelles s’appuient les responsables du ministère mais dont la Mission n’a pas eu communication.

M. Louis Giscard d’Estaing, regrette également la faiblesse de la démonstration statistique relative aux coûts et aux bénéfices attendus mais ne partage pas certaines conclusions de son collègue. Tout en insistant sur la nécessaire vigilance qui doit accompagner le processus, il considère les externalisations comme une source potentielle d’économies mais aussi d’amélioration du service rendu. Un seul exemple : sans le partenariat mis en place avec le secteur privé, le regroupement des services centraux du ministère de la Défense à Balard, dans un bâtiment moderne et fonctionnel, n’aurait pas pu se faire.

La divergence de vue initiale est le reflet d’une approche politique différente, en particulier sur le rôle de l’État, qui est au cœur du débat démocratique. Pour autant, les points de consensus sont possibles et nombreux, tant sur diagnostic que sur les « bonnes pratiques » à encourager. Ainsi que le lecteur pourra s’en rendre compte au fil des pages, les Rapporteurs partagent nombre de constats, de critiques et d’interrogations : dix propositions communes viennent conclure leurs travaux.

*

* *

Le présent rapport, pour la clarté de l’exposé, procédera en deux temps. Dans une première partie sera présenté le cadre général de la politique d’externalisation : méthode utilisée, regards portés sur la pratique, faiblesses du processus et doutes apparus aux Rapporteurs.

Dans une seconde partie, ceux-ci reviendront sur plusieurs opérations significatives en cours ou en projet pour exprimer leurs appréciations et leurs critiques.

PREMIÈRE PARTIE :

LE CADRE GÉNÉRAL DE LA POLITIQUE D’EXTERNALISATION

En France, l’achat de prestations autrefois réalisées en régie n’est pas une nouveauté puisque ce phénomène a pris son essor avec la suspension du service national mise en œuvre en 1997 et les premières réductions de format qui en ont résulté. Pour autant, cette politique a connu sa véritable expansion au cours des années 2007 et 2008, dépassant désormais largement le milliard d’euros de prestations externalisées. En 2009, les dépenses d’externalisation avaient presque triplé par rapport à 2001, ainsi que le montre le tableau suivant.

DÉPENSES D’EXTERNALISATION (2001-2009)

 

Montant en millions d’euros

Pourcentage du budget
de la défense

2001

592

2

2002

670

2

2003

685

2

2004

831

3

2005

868

3

2006

963

3

2007

1 451

4

2008

1 695

4

2009 (1)

1 676

5

(1) à compter de 2009, les chiffres n’incluent plus la gendarmerie.

Le montant des externalisations en 2009 (1 676 millions d’euros) semble indiquer un léger fléchissement : il n’en est rien, cette baisse traduisant une variation de périmètre liée à la non prise en compte, pour la première fois, du budget externalisation de la gendarmerie (108 millions d’euros en 2008). À périmètre constant, les dépenses d’externalisation ont augmenté de 89 millions d’euros entre 2008 et 2009, passant de 4 à 5 % du budget de la défense.

Ce sont les dépenses dans le domaine du maintien en condition opérationnelle (MCO) des aéronefs et des prestations fournies en opérations extérieures (Opex) qui expliquent l’importance de la hausse. Pourtant, le périmètre du recours à l’externalisation s’est nettement accru au cours de ces dernières années : initialement cantonné à des tâches d’une ampleur limitée, il s’étend désormais à des procédures coordonnées à l’échelle du territoire métropolitain, à la formation, la projection et au soutien des forces déployées en Opex.

La défense française, qui pratiquait jusqu’à présent des externalisations dans le cadre d’opérations d’opportunité, semble s’être désormais lancée dans une politique cohérente et raisonnée. L’ampleur du phénomène n’est certes pas comparable avec ce qui se pratique chez les Anglo-saxons : les Britanniques ont externalisé 25 % de leur budget Défense, soit environ 10 milliards d’euros. En revanche, les montants externalisés par l’armée allemande (1,6 milliard d’euros, soit 5 % du budget de la Bundeswehr), sont similaires aux nôtres.

I.– LES INTERVENANTS ET LA MÉTHODE

Désireux d’évoluer d’une externalisation d’opportunité vers une véritable politique d’externalisation et de partenariat plus globale, l’administration a développé des structures ad hoc et mis au point une méthode basée sur des critères d’évaluation ainsi que des textes juridiques récents.

A.– PLUSIEURS STRUCTURES APPORTENT LEURS COMPÉTENCES

1.– Les initiateurs de la démarche : l’EMA, le SGA et le cabinet du ministre

Le processus d’externalisation commence par une initialisation : pourquoi l’envisage-t-on, qui en est l’initiateur ? L’idée qui fonde la démarche peut provenir de plusieurs instances : de l’état-major des armées (EMA), avec ses différents experts et sa connaissance du marché ; du marché lui-même, les entrepreneurs envoyant directement des offres de services ; du secrétariat général pour l’administration (SGA) ; enfin du cabinet du ministre ou du ministre.

L’EMA et le SGA portent systématiquement le projet de concert. La mission « Partenariats Publics-privés » (PPP) procède à une première évaluation économique et sociale de celui-ci. La mission « achats » participe également, en raison de sa connaissance du marché et des incidences éventuelles sur les entreprises privées, notamment les PME.

La direction des Ressources humaines du ministère de la Défense (DRHMD) intervient aussi : en amont, pour évaluer les conséquences sur la population concernée et, plus tard, dans l’accompagnement du processus auprès des personnes impliquées.

2.– La mission « Partenariats publics-privés » (mission PPP)

Jusqu’à la création de la mission PPP en mars 2009, chaque service du ministère de la Défense menait ses études préparatoires à sa façon, sans coordination ni méthodologie commune. En créant cette mission, le ministère de la Défense a souhaité capitaliser les premières expériences acquises en matière d’externalisations et de partenariats, regroupant ainsi au sein d’une même entité l’expertise jusqu’alors éparse.

Le temps d’effectuer les recrutements nécessaires, l’activité de la mission PPP n’a réellement débuté que fin 2009. La mission est composée principalement de chargés d’affaires qui accompagnent les équipes en charge des projets, d’analystes économiques qui réalisent les évaluations préalables et procèdent aux recalages éventuellement nécessaires lors de la passation des contrats, enfin de juristes qui aident les équipes lors de la contractualisation.

La mission PPP a essentiellement pour vocation d’accompagner les équipes en charge des projets de partenariats public-privé ou d’externalisations menés au sein du ministère de la Défense. Elle réalise les études préparatoires et les évaluations préalables qui permettent, avant même la consultation des entreprises, de comparer sur le plan économique l’externalisation d’une prestation et la formule de la régie. Elle a vocation à accompagner également les équipes en charge des projets lors de la passation des contrats, opération complexe sur les plans juridique et financier. Elle s’attache enfin à développer des outils méthodologiques, de façon que les comparaisons puissent s’effectuer sur des bases aussi complètes et objectives que possible.

3.– La mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariats publics-privés (MAPPP)

Créée le 19 octobre 2005, la MAPPP est un organisme qui dépend du ministère de l’Économie, des finances et de l’industrie et qui est composé d’une dizaine d’experts. Elle est chargée de rendre des avis sur les évaluations préalables de partenariats qui lui sont soumises. Cet avis est obligatoire s’agissant des contrats de partenariat passés par l’État ou par les établissements publics nationaux, facultatif s’agissant des contrats des partenariats passés par les collectivités territoriales. Même s’il ne s’agit pas d’un avis conforme mais d’une étape nécessaire dans la procédure, l’expérience montre qu’une convergence finit généralement par être atteinte : si les évaluations préalables ne conviennent pas à la MAPPP, des modifications sont demandées au porteur du projet.

La MAPPP n’est pas chargée d’assurer une quelconque coordination interministérielle ; toutefois, le nombre d’avis qu’elle a rendus depuis sa création lui permet de dégager des éléments de doctrine qui figurent dans ses avis et orientent la réflexion de la personne publique.

Les externalisations ne sont pas du ressort de la MAPPP à proprement parler puisque son domaine de compétence concerne essentiellement les contrats de partenariat, c'est-à-dire ceux pour lesquels l’entrepreneur privé réalise un investissement préalable nécessaire à la fourniture du service. Compte tenu du caractère restrictif de cette définition, la MAPPP ne travaille actuellement que sur un seul projet, celui du transfert des services du ministère de la Défense à Balard. Certains projets qualifiés de partenariats par la Défense (cession de l’usufruit des satellites de télécommunication) ne sont pas considérés comme tels par le MAPPP dans la mesure où ils ne supposent pas d’investissement initial de la part du partenaire privé, les satellites étant déjà sur orbite. D’autres projets ne sont pas encore suffisamment élaborés pour avoir été soumis à la MAPPP.

B.– LE PROCESSUS DÉCISIONNEL

Le ministère de la Défense a codifié, à l’été 2008, la procédure pouvant mener à une externalisation.

1.– L’évaluation préalable

La première tâche consiste à identifier tous les éléments attachés à une activité en régie, c’est-à-dire de production interne. Cela implique notamment une description très précise des effectifs concernés, qu’ils soient civils ou militaires, une évaluation des coûts moyens de production et de fonctionnement, des dépenses en énergie, d’entretien, etc.

Le ministère examine ensuite ce que pourrait donner une régie rationalisée : n’est-il pas possible de réaliser, en interne, des économies qui rendraient une externalisation superflue ? S’il apparaît malgré tout que le recours à l’externalisation peut être envisagé, la démarche est poursuivie.

Avant de consulter le marché, une évaluation préalable est réalisée : le ministère observe la situation dans d’autres entreprises ou entités administratives, et recherche les prix du marché. Il estime les coûts en régie qui subsisteraient après externalisation – car il en reste toujours, ne serait-ce que pour le pilotage du contrat. L’évaluation préalable est ensuite soumise aux organisations syndicales, puis au ministre, afin de lui permettre de se prononcer sur l’opportunité de poursuivre la démarche.

2.– La consultation des marchés

L’externalisation ne doit pas affecter la conduite des opérations. C’est la « ligne rouge » à ne pas franchir. Elle doit ensuite permettre des économies solides et durables.

La situation du personnel est également prise en compte. Le SGA s’est ainsi demandé s’il ne serait pas possible d’appliquer aux agents du ministère la disposition de l’ancien article L. 122-12 du code du travail tendant à protéger le contrat de travail en cas de transfert d’une activité d’une entreprise vers une autre : Cette disposition n’étant pas directement applicable, la législation a été modifié et un décret d’application, examiné au C ci-après, a permis la mise à la disposition de personnels de la Défense à des entreprises sous-traitantes. Les agents qui n’ont pas recours à ce dispositif peuvent bénéficier du PAR, le plan d’accompagnement des restructurations.

Enfin, il importe que le marché ne soit pas aux mains d’oligopoles, que la concurrence soit préservée et que l’accès des PME aux marchés publics – y compris au plan local – soit garanti.

En résumé, la procédure est la suivante : évaluation préalable, décision du ministre, consultation du marché, puis nouvelle décision du ministre sur la base des offres réelles.

C.– LE DÉCRET DU 21 SEPTEMBRE 2010 ET LA « MALD »

La loi du 3 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique a étendu aux agents publics les dispositions de l’ancien article L. 122-12 du code du travail (devenu article L. 1224-1 depuis le 1er mai 2008) qui fait subsister le contrat de travail avec le nouvel employeur « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds (…) ». Un décret d’application était nécessaire pour la mise en œuvre de la loi du 3 août 2009 : il s’agit du décret n° 2010-1109 du 21 septembre 2010.

1.– L’adaptation d’une disposition légale applicable au secteur privé

Ce décret, rapidement surnommé MALD (mise à la disposition), porte application de l’article 43 de la loi du 3 août 2009 précitée. Il définit les modalités permettant aux personnels civils et militaires du ministère de la Défense d’être mis à disposition d’une entreprise attributaire d’un marché concernant notamment une activité externalisée. La mise à la disposition est décidée sur la base du volontariat des agents. Mais ces derniers doivent être acceptés par l’entreprise d’accueil qui n’est pas tenue de reprendre tous les personnels concernés.

L’agent mis à la disposition continue de percevoir l’ensemble des éléments de la rémunération afférente à l’emploi qu’il occupait précédemment au sein du ministère. Une convention conclue entre l’entreprise d’accueil et le ministère fixe le montant du remboursement par l’organisme d’accueil des dépenses afférentes aux personnels mis à disposition. Ce remboursement est égal « à la somme du salaire, des majorations de salaire et des cotisations et contributions y afférentes dus par l’organisme d’accueil pour l’emploi d’un salarié occupant un poste comparable avec une qualification professionnelle et une ancienneté équivalentes ».

2.– L’intérêt du décret

Lorsque l’Économat des armées a commencé l’expérimentation RHL-1 consistant à externaliser des fonctions de restauration, d’hôtellerie et de loisirs, il n’existait pas d’outil juridique permettant le transfert de personnels. Les armées devaient tout simplement procéder à un reclassement, ce qui occasionne des coûts importants : frais de mutation, indemnités de départ volontaire, etc. Le décret du 21 septembre 2011 évite non seulement de tels coûts, mais permet aux personnels de continuer à travailler sur un même lieu géographique, ce qui le rend socialement intéressant. Pour remplacer les 356 personnes employées pour l’exploitation en régie des 11 restaurants, les prestataires utilisent 206 équivalents-temps plein, dont 55 sont du personnel de la Défense, qui continuent d’être rémunérés par le ministère, l’employeur reversant au ministère une somme équivalente à un salaire moyen du secteur privé.

Ces mises à disposition se font uniquement sur la base du volontariat. La commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration à l’économat des armées précise : « Nous avons fait un immense travail d’information et d’explication en direction du prestataire, du personnel et du commandement. Nous avons bâti des outils de contrôle. Bref, nous avons construit toute l’ingénierie sociale nécessaire en un peu moins d’un an, entre la loi du 3 août 2009 et le décret de septembre 2010 » (4).

Au premier abord, ce dispositif fait effectivement peser un certain surcoût sur l’État, mais il faut tenir compte du fait que les personnels concernés ne se retrouvent pas employés en surnombre ailleurs, ni ne bénéficient d’indemnités de reclassement complémentaires.

3.– Une possibilité de seconde carrière pour certains militaires

La mise à disposition d’entreprises privées de personnels rémunérés par le ministère de la Défense peut avoir des conséquences inattendues. Outre que cela ne simplifie pas la gestion administrative de l’entreprise, cette situation aboutit généralement à ce que les personnels mis à disposition par le ministère soient mieux rémunérés que leurs collègues placés sous convention collective.

À cela, M. René Lancien, président-fondateur de la société de restauration collective Ansamble répond : « Gérer des personnels sous statuts différents est notre lot quotidien : nous sommes un patchwork de conventions collectives et, dans l’exercice de notre métier difficile, il peut arriver que le gérant civil du restaurant soit moins bien payé que le cuisinier militaire… » (5).

Cela dit, ajoute son responsable de projet Dominique Raut, « lorsque certains personnels militaires ont quitté l'armée pour rejoindre notre entreprise, nous avons constaté que les écarts de salaires étaient assez faibles et que nous offrions même certains avantages comme l'affiliation à une mutuelle où les primes d’objectifs ».

D’ailleurs, nombre de personnes mises à disposition des entreprises par le ministère de la Défense rejoignent définitivement ces sociétés au moment où elles quittent l’armée. Visiblement, l’Économat des armées et les services de l’état-major des armées étaient très attachés à ce que la greffe des personnels mis à disposition réussisse. « Peut-être certains militaires ont-ils même le sentiment d’être mieux considérés chez nous qu’ils ne l’étaient au sein d’un régiment où ils exerçaient le métier de restaurateurs » ajoute M. René Lancien.

II.– DEUX REGARDS EXTÉRIEURS SÉVÈRES

Si les responsables politiques et militaires du ministère de la Défense que la MEC a auditionnés sont tous favorables à la poursuite des externalisation, deux regards extérieurs sont beaucoup plus réservés : les magistrats de la Cour des comptes, auteurs du rapport rendu à la demande de la commission des Finances de l’Assemblée nationale (cf. supra), et les syndicats des personnels civils très préoccupés par l’aspect social de cette politique.

A.– LE REGARD CRITIQUE DE LA COUR DES COMPTES

Saisie par la commission des Finances de l’Assemblée nationale en application des dispositions de l’article 58-2° de la LOLF, la Cour des comptes a rendu en octobre 2010 un rapport sur l’externalisation au sein du ministère de la Défense. Parmi les nombreuses idées développées, la difficile appréciation des gains économiques et les risques de dérives ont retenu l’attention des Rapporteurs.

1.– Les gains économiques sont très difficiles à apprécier

La Cour considère qu’une part importante des externalisations réalisées dans la dernière décennie a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. Pour les activités auparavant exercées par des appelés, le calcul aurait été artificiel et peu utile. Pour les autres activités, la Cour constate que cette comparaison n’a pas été systématique, « soit que le ministère n’ait pas d’autre option, soit qu’il se soit heurté à l’absence de comptabilité analytique pour déterminer la réalité des coûts. Depuis le milieu de la décennie cependant, le ministère systématise les comparaisons de coûts. Toutefois en l’absence de comptabilité analytique, les problèmes méthodologiques restent très nombreux, d’autant que l’évolution des cahiers des charges et périmètres est souvent importante dans le temps ».

Face à ces difficultés, le ministère a développé des méthodes diverses, plus ou moins empiriques. Les progrès ont été importants, mais les analyses auxquelles a procédé la Cour montrent que les résultats ne sont pas encore suffisamment fiables et que les méthodes doivent être rendues homogènes. « Il est, en particulier, nécessaire que le ministère travaille à identifier les gains qui tiennent véritablement à l’externalisation proprement dite (…), en les distinguant de ceux qui sont liés à la réorganisation et à la rationalisation d’un service que l’externalisation a accélérées voire permises mais qui auraient - peut-être - pu être réalisées en régie. Compte tenu des conséquences parfois irréversibles d’une externalisation, il est indispensable de vérifier qu’aucune autre option n’était envisageable pour aboutir à des gains substantiels ».

Sur les dossiers examinés par la Cour, une évaluation de l’impact économique n’a été possible que pour six d’entre eux. Pour l’un le bilan est négatif, pour un autre, il est suffisamment faible pour pouvoir être considéré comme incertain ; quatre, enfin, présentent des gains économiques apparents, parfois très importants. « Sans contester l’existence de ces gains pour deux dossiers emblématiques (véhicules de la gamme commerciale et avions de l’école de pilotage de Cognac), la Cour note toutefois qu’ils sont en très grande partie liés à une réorganisation profonde de la prestation ».

S’agissant de l’évaluation des gains attendus sur la longue durée, la Cour considère qu’il convient d’analyser de façon critique les hypothèses retenues dans les scénarios car elles peuvent influer de façon importante sur le résultat des comparaisons. « L’étude préalable, plus encore que la négociation finale, est essentielle, car elle conditionne largement les travaux qui seront conduits ensuite. Le suivi ne saurait être négligé, notamment pour les contrats de PPP car l’évolution des besoins amènera des aménagements aux contrats qui pourront en modifier les équilibres économiques ».

2.– Une politique qui peut conduire à des dérives

La Cour des comptes note que « le faible nombre d’externalisations dont les résultats économiques peuvent effectivement être mesurés et les résultats constatés pour six d’entre elles incitent à emprunter cette voie avec une relative précaution ». Or, le recours à l’externalisation peut être le résultat d’incitations, voire de tentations, extérieures à leur objet propre. La Cour met en garde contre deux écueils :

– les externalisations peuvent très certainement permettre de réaliser des réformes en contournant une difficulté importante. Ainsi, le remplacement en une fois de plus de 20 000 véhicules de la gamme commerciale aurait été impossible autrement. Pour autant, l’externalisation ne doit pas devenir un principe général d’administration pour réaliser des réformes qu’on ne sait pas ou ne veut pas mener en interne ;

– les externalisations n’ont pas pour finalité de contourner l’obstacle budgétaire, en remplaçant un investissement, lourd, immédiat pour lequel les financements ne sont pas disponibles, de titre 5, par un flux, limité mais durable, de loyers de titre 3. Cette politique « peut conduire aussi à des choix erronés comme le recours à la location avec option d’achat pour s’équiper en A 340 ». Enfin, « le projet de vente de l’usufruit du système Syracuse obéit plus à la volonté de créer des recettes exceptionnelles qu’à une opération d’externalisation ».

Pour être pleinement justifiées, les externalisations doivent donc être analysées sur leurs seuls mérites propres. Cela suppose, d’abord, que leur évaluation soit rigoureusement faite au regard des critères définis en 2008 par le ministre de la Défense. Cela implique, enfin, que des instruments incontestables de comparaison soient mis en œuvre, permettant de juger équitablement des mérites et des difficultés comparées de la régie, éventuellement réorganisée, et de l’externalisation. La Cour considère que « dans le contexte budgétaire particulièrement contraint des prochaines années, l’externalisation ne doit pas être confondue avec une « finance inventive », au service d’un contournement des obstacles budgétaires. Elle doit demeurer un instrument d’efficacité accrue du ministère de la Défense et, au-delà de lui, de l’État ».

Proposition n° 1 – Le ministère de la Défense ne doit en aucun cas recourir aux externalisations pour satisfaire à court terme un besoin de trésorerie, comme cela semble être le cas avec le projet de cession de l’usufruit des satellites de télécommunications.

3.– Des risques pour l’instant maîtrisés

La Cour des comptes identifie trois risques principaux relatifs à la qualité de la prestation, à la perte de compétence et à la possible défaillance du prestataire. Encore limités, ces dangers doivent être mieux mesurés.

Pour la Cour, « la qualité des prestations externalisées est en règle générale jugée satisfaisante, voire meilleure. Pour mieux s’en assurer, la rémunération du prestataire est, pour partie, fonction de la réalisation d’objectifs précis ». Pour autant, les magistrats considèrent que l’attention portée à la désignation d’équipes de suivi et de pilotage des contrats, dotées de l’autorité suffisante et assurées d’un minimum de stabilité, ne doit pas être relâchée.

Le risque lié à la perte de compétence est aujourd’hui limité mais ne peut qu’augmenter à l’avenir, si le mouvement d’externalisation se poursuit et touche des domaines de haute technicité. Il ne peut être affronté qu’en définissant avec plus de précision que ce n’est aujourd’hui le cas, les socles de compétences qui doivent impérativement être conservées en interne. La Cour rappelle que « la question est cependant clairement posée dès aujourd’hui en matière de télécommunications satellitaires, si le projet Nectar [cession d’usufruit des satellites de télécommunication] était mis en œuvre dans toutes ses dimensions ».

Enfin, le risque de défaillance de l’opérateur extérieur est identifié, en particulier pour s’assurer que la disponibilité des matériels mis à disposition dans le cadre de contrats innovants est bien garantie en toutes circonstances. « Les solutions envisagées pour y remédier n’apparaissent cependant pas toutes suffisamment robustes, en particulier dans les secteurs où le ministère de la défense n’a plus la compétence suffisante pour y remédier de façon temporaire. La capacité opérationnelle pourrait être ponctuellement affectée ».

B.– L’OPPOSITION GLOBALE DES SYNDICATS

Des échos divergents sont parvenus à la Mission d’évaluation et de contrôle au sujet de la consultation des syndicats. Le secrétariat général pour l’administration (SGA) du ministère de la Défense considère que la procédure est menée en concertation avec les partenaires sociaux tandis que ces derniers se plaignent du manque de dialogue.

1.– Le processus de consultation des partenaires sociaux, selon le SGA

Les deux premières, l’étude amont et l’analyse préliminaire, permettent de vérifier qu’une externalisation n’affecterait pas l’opérationnel et que le marché pourrait répondre aux besoins du ministère. Elles sont également l’occasion de s’assurer de l’opportunité d’engager la troisième étape, la plus coûteuse, celle de l’étude préalable. C’est à ce moment seulement que le ministère de la Défense informe le personnel, « en précisant bien que nous n’en sommes qu’au stade de l’étude – car les externalisations sont souvent génératrices d’angoisses » souligne l’adjoint au secrétaire général pour l’administration, M. Gérard Gibot (6).

À la fin de l’étude préalable, le dossier est présenté aux organisations syndicales, dont les observations sont portées à la connaissance du ministre avant que celui-ci ne prenne une décision. « Dans certains cas, l’évaluation est même corrigée en tenant compte de leurs remarques. C’est ce qui s’est passé lors de l’étude sur l’externalisation de la fonction RHL. Nous avions envisagé un scénario de « civilianisation », c’est-à-dire de remplacement des personnels militaires par des personnels civils. Ces derniers ont en effet un coût moins élevé dans la mesure où ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes d’entraînement. Or non seulement les organisations syndicales ont fait valoir que le statut d’ouvrier d’État ne constituait pas une bonne référence, mais ils ont indiqué d’autres pistes pour accroître la productivité. En revanche, d’autres suggestions, comme celles relatives à la réduction des coûts de denrée, ont pu paraître moins pertinentes ».

Cependant, au stade de l’étude préalable, toutes les informations ne sont pas transmises aux partenaires sociaux, en raison de la nécessaire confidentialité à respecter lors de la procédure de consultation. C’est seulement lors de l’évaluation finale, lorsque la consultation est terminée et que l’on connaît les prix définitifs, que les partenaires sociaux peuvent prendre connaissance de l’ensemble du dossier. « Un véritable dialogue a lieu à cette occasion, même si, par principe, aucune organisation syndicale n’est favorable aux externalisations » rappelle M. Gérard Gibot.

2.– Les syndicats stigmatisent une concertation illusoire

Les syndicats ne contestent pas le fait qu’une concertation a bien été mise en place dans le cadre des externalisations, mais ils stigmatisent le peu de cas fait de leur avis : « lorsque l’administration consulte les organisations syndicales, elle ne tient ensuite aucun compte des arguments développés, dès lors qu'ils ne vont pas dans le sens de la volonté d'externaliser à tout prix » (7).

En outre, l’information semble distillée avec parcimonie, l’impact en terme d’emplois ne semblant pas divulgué. Au-delà des réunions organisées au cas par cas, certains syndicats avaient demandé que soit organisée une table ronde sur la politique d’externalisation. Ils n’ont pas obtenu satisfaction.

Lorsqu’une fonction fait l’objet d’une étude d’externalisation, le personnel s’inquiète légitimement de son devenir et certains cherchent à quitter le service ; constatant le désintérêt de ses agents pour la fonction en question ainsi que l’apparition d’un déficit en personnel, l’administration n’en est que plus incitée à poursuivre sur la voie de l’externalisation.

De la même manière, les syndicats regrettent de n’avoir jamais obtenu de bilan des opérations d’externalisation. Toutes demandent sans succès un retour d’expérience.

3.– Une nette préférence pour la « civilianisation » plutôt que l’externalisation

Critiquant « le caractère purement idéologique » de la politique d’externalisation, les syndicats contestent les économies annoncées par l’administration et militent en faveur d’une « civilianisation » des emplois de soutien concernés, c’est-à-dire le remplacement d’un maximum de militaires par des civils, compte tenu de « la masse salariale sensiblement plus élevée » des premiers.

Sur ce sujet, le général Éric Rouzaud, sous-chef soutien à l’état-major des armées, a pris en compte le souhait des organisations syndicales qui demandent que, parallèlement à toute étude préalable sur un projet d’externalisation, soit conduite une étude sur la mise en place d’une régie rationalisée et optimisée. « Nous le faisons dans le cadre des projets RHL et habillement, l’objectif consistant à mesurer l’écart de gain entre les deux systèmes pour permettre au décideur de choisir ou non d’engager l’externalisation. Cette comparaison incite les armées, du fait de « la menace » de l’externalisation, à œuvrer dans le sens de la mise en place de régies véritablement optimisées ».

4.– Des risques liés à la sécurité

La baisse de la qualité de certains services externalisés constitue un autre sujet de préoccupation, notamment dans le domaine de la restauration. Mais le plus inquiétant selon les organisations syndicales est la mise en cause de la sécurité. En effet, alors que les personnels qui pénètrent sur les sites les plus sensibles font légitimement l'objet de contrôles stricts, il semblerait que les véhicules des sociétés extérieures, par exemple les engins d’enlèvement des ordures, y accèdent sans aucune difficulté. Plus grave : il apparaît que le gardiennage des sous-marins nucléaires, à Cherbourg par une société privée n’a pas donné satisfaction, ce qui est particulièrement regrettable s’agissant de la dissuasion, activité indissociable du cœur de métier ; de la même manière, le ministre a reconnu le manque de fiabilité de la société chargée du gardiennage de l’îlot Saint-Germain, cœur du ministère de la Défense.

Enfin, les syndicats sont unanimes sur le caractère illusoire d’une éventuelle réversibilité de la plupart des externalisations, faute de moyens et techniques, mais aussi en raison des inévitables pertes de savoir-faire. Ils citent l’exemple des armées anglo-saxonnes qui sont revenues sur leur vision passée du « tout externalisé » à la suite de cuisantes déconvenues.

III.– CERTAINES FAIBLESSES SUSCITENT DES QUESTIONS POUR L’INSTANT SANS RÉPONSES

L’absence de données chiffrées et l’embarras des personnes auditionnées par la MEC pour fournir des éléments de comparaisons objectifs entre activités en régie et activités externalisées incitent à s’interroger sur la réalité et le montant des économies annoncées.

A.– LE MANQUE CRIANT D’ÉLÉMENTS CHIFFRÉS

Rarement une mission d’évaluation et de contrôle aura eu à travailler avec aussi peu de données statistiques. Pourtant, dans le domaine de l’externalisation, il est essentiel de s’assurer, évaluation à l’appui, que le service rendu par un prestataire sera économiquement intéressant pour le ministère de la Défense. Or, à l’exception notable du projet Balard, très peu de chiffres sont venus en appui de la démonstration verbale selon laquelle une activité externalisée serait plus économique qu'une activité menée en régie, même rationalisée.

1.– Florilège de réponses à la question des données chiffrées

Les réponses embarrassées de quelques-uns des interlocuteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle témoignent, mieux qu’un long développement, des difficultés à obtenir des données chiffrées sur la réalité des résultats des externalisations. En voici quelques-unes :

Question : Comment pouvez-vous affirmer que les externalisations coûteront moins cher que la régie ? Quel est votre tableau de bord ? L’objectif que vous vous êtes assigné est-il absolument sûr, ou imaginez-vous qu’il puisse souffrir d’aléas ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées (8) : C’est bien délicat. Aujourd’hui, la responsabilité des chiffrages incombe principalement à la mission PPP – partenariat public/privé – dirigée par l’ingénieur général Genoux, à l’EMA et au SGA. Ce sont eux qui pilotent l’ensemble des éléments économiques et financiers de ces dossiers, et qui comparent les différentes solutions. Nous les prenons pour bonnes.

*

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif de l’économat des armées (9) : Quant à l’évaluation des résultats financiers de l’expérimentation, les opérateurs et les armées ne s’accordent pas, notamment en raison de l’absence de comptabilité analytique. En outre, le niveau du service demandé à l’Économat des armées est radicalement différent de celui offert par les armées : celui du combattant n’est pas celui de l’homme en opération. Enfin, l’évolution du format n’a pas permis d’établir de référentiel financier.

*

Question : Cette règle doit garantir que des économies vont être dégagées au terme du processus d’externalisation. Dans les opérations dont vous avez connaissance, était-ce le cas – du moins dans le modèle de calcul, étant entendu que des écarts peuvent être constatés lors de la réalisation ?

M. Alain Costes ingénieur général de l’armement (10) : Oui. Mais il existe toujours des incertitudes dans la réalisation. Je n’ai pas de chiffres à vous présenter sur les opérations dont je suis le déroulement, les données étant trop récentes.

Question : parmi les externalisations accomplies ces dernières années, pourriez-vous nous en citer une ou deux pour lesquelles il est possible de mesurer le décalage entre les objectifs assignés et les résultats obtenus ?

M. Alain Costes. Non. Je n’en sais pas plus que ce qui figure dans les documents relatifs au dossier de Dax et à celui de Cognac.

*

Question : Les évaluations préalables à une externalisation doivent permettre de s’assurer que le service sera globalement rendu par le prestataire auquel il a été délégué dans des conditions économiques intéressantes pour le ministère de la Défense. Comment sont consolidées toutes les données de l’équation avant d’engager l’opération ?

M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense (11) : Il ne vous a pas échappé que nous ne disposions pas d’une comptabilité analytique permettant de connaître très précisément les coûts d’une gestion en régie.

*

Question : L’état-major des armées a-t-il une idée précise du volume total d’économies réalisées par les externalisations déjà lancées ? Disposez-vous d’objectifs et de résultats chiffrés ? Possédez-vous, à ce titre, un tableau de chaque opération ?

M. le général Éric Rouzaud, sous-chef soutien à l’état-major des armées (12) : Il est difficile à ce stade de mesurer les économies réalisées car nous ne disposons pas d’outils de comptabilité analytique. Pour autant, il a été procédé à des évaluations. Nous savons aujourd’hui combien coûtent les prestations sur quelques projets déjà menés à terme, (…) ; nous savons combien nous avons gagné et nous vous communiquerons les chiffres précis.

La Mission d’évaluation et de contrôle attend toujours les chiffres annoncés. Elle constate par ailleurs que ni le montant du budget des externalisations en 2010 ni les prévisions pour 2011 ne sont disponibles au moment de la parution du présent rapport.

Proposition n° 2 – Le budget étant un acte prévisionnel, la Mission demande au ministre de la Défense de transmettre au Parlement, avec le projet de loi de finances initiale, une prévision des montants à dépenser en externalisations au cours de l’exercice à venir.

2.– L’absence de comptabilité analytique incite à la prudence

La réalité des gains économiques est difficile à apprécier. Tout cela crée un sentiment de précarisation chez les personnels affectés aux missions de soutien, bien conscients que la pérennité de leurs fonctions est menacée. Le stress et l'inquiétude prédominent, les risques psychosociaux sont plus forts que jamais, surtout parmi des personnels dont certains ont été « polyrestructurés ».

Une part importante des externalisations réalisées ces dernières années a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. Lorsque des gains sont annoncés par le ministère, comme c’est le cas pour la gestion des véhicules de la gamme commerciale ou les avions de l’école de pilotage de Cognac, il semblerait que ces gains soient davantage liés à la réorganisation – et à la réduction – des prestations, qu’à l’externalisation.

La Cour des comptes, dans son rapport, ne dit pas autre chose : « Les insuffisances méthodologiques et le manque de données ne permettent pas à ce jour de conclure définitivement et de façon globale sur l’intérêt économique des externalisations. Les quelques dossiers qui ont donné lieu à des analyses un peu plus avancées incitent à la plus grande prudence et appellent à des analyses plus poussées, au cas par cas, pour s’assurer que l’externalisation apporte des gains véritables et substantiels.

« Les gains économiques importants qui apparaissent pour deux dossiers emblématiques (l’école de Cognac et les véhicules de la gamme commerciale) sont en grande partie liés à la transformation importante des périmètres ».

B.– LES ÉLÉMENTS SUSCEPTIBLES D’ATTÉNUER L’INTÉRÊT ÉCONOMIQUE DES EXTERNALISATIONS

1.– Une compensation financière est versée aux agents mis à la disposition

Les entreprises attributaires disposent de la possibilité de récupérer les compétences en mettant à profit le décret du 21 septembre 2010 qui autorise le ministère de la Défense à mettre certains de ses agents à disposition.

Or, chaque fois qu’un agent civil ou militaire du ministère est mis à disposition d’une entreprise privée dans le cadre d’une externalisation, il revient à la charge de l’administration de financer la différence entre le traitement ou la solde qu’elle versait à son agent et la rémunération que l’entreprise lui verse. Dans ces conditions, comment être sûr de l’intérêt économique des externalisation ?

2.– Le coût des plans sociaux n’est pas pris en compte dans le calcul

L’administration du ministère de la Défense a reconnu ne pas prendre en compte, à l’heure actuelle, le coût des mesures sociales d’accompagnement applicables au personnel civil d’un établissement restructuré. En effet, que la restructuration ait pour origine une rationalisation d’un service réalisé en régie, ou une externalisation, les personnels civils peuvent bénéficier du PAR, le plan d’accompagnement aux restructurations, destiné à faciliter leur reconversion.

Même si les personnes auditionnées par la mission ont laissé entendre qu’il leur était demandé, de plus en plus, de prendre en compte cet élément, les Rapporteurs constatent que ce coût n’a pas été intégré jusqu’à présent.

Dans ces conditions, comment connaître la véritable rentabilité d’une restructuration comme d’une externalisation ? Ne pas prendre en compte le coût des mesures sociales d’accompagnement fausse l’équation, même s’il n’est pas possible de déterminer dans quelle proportion.

3.– La TVA est due sur un service externalisé, pas sur un service en régie

Un autre écueil vient amoindrir l’intérêt pour le ministère de la Défense de procéder à des externalisations : la TVA. Tout service réalisé en régie en est exonéré alors que les services externalisés sont soumis à cette taxe

L’adoption d’une disposition législative exonérant de TVA les externalisations menées par le ministère de la Défense est difficilement envisageable. Quant aux compensations promises par le ministère du Budget, leur caractère aléatoire est bien connu. Le paiement de la TVA vient donc également en atténuation de l’intérêt économique des externalisations.

4.– Le partenaire privé doit s’assurer, ce qui n’est pas le cas de l’État

Enfin, l’État est son propre assureur. Cela vaut notamment pour les satellites de télécommunications dont il s’apprête à céder l’usufruit à un industriel. Cet entrepreneur devra, lui, s’adresser à un tiers pour couvrir ses risques.

Même si cette dépense ne doit in fine concerner que les risques dont l’entreprise pourrait être rendue responsable, il s’agit là d’un nouvel élément réduisant l’intérêt économique des externalisations.

IV.– DES DOUTES QUANT À L’INTÉRÊT ET AUX OBJECTIFS

La Mission d’évaluation et de contrôle doute que le ministère de la Défense soit allé au bout de la logique de rationalisation et d’interarmisation, avant de recourir aux externalisations. Plus grave est la question encore sans réponse claire de la place des externalisations par rapport aux restructurations.

A.– LES EXTERNALISATIONS SONT-ELLES VRAIMENT PLUS ÉCONOMIQUES QUE LES RESTRUCTURATIONS ?

1.– La comparaison peut tourner à l’avantage de la rationalisation

L’ingénieur général de l’armement Alain Costes, chef de la Mission de modernisation du MCO des matériels aéronautique de la défense (MMAé) a indiqué lors de son audition que l’économie globale apportée par les restructurations du MCO aéronautique peut être évaluée, à la fin de la période 2008-2014 à environ 300 millions d’euros par an. En effet, ces « rationalisations-restructurations » comme il les appelle, ont abouti au 1er janvier 2011 à un gain de 3 199 personnes (sur un total prévu de 4 495 à l’horizon 2014) sur un effectif global d’un peu moins de 25 000 personnes.

En revanche, l’économie procurée par la politique d’externalisation dans le domaine du MCO, à la même échéance, ne s’élèverait qu’à environ 30 millions d’euros par an. « Il apparaît donc que les restructurations procurent des économies plus importantes que les externalisations ; mais ces dernières ont aussi pour objectif d’apporter un service optimisé » conclut M. Alain Costes.

2.– Envisager une rationalisation de la régie avant d’externaliser

Les organisations syndicales entendues ont unanimement manifesté leur opposition aux externalisations. Avant d’externaliser un service, encore convient-il de mener une étude sérieuse sur l’économie que procurerait une rationalisation du même service effectué en régie. Et cette rationalisation commence par la « civilianisation » des emplois de soutien, c’est-à-dire le remplacement chaque fois que possible des militaires par des fonctionnaires civils, moins coûteux en raison de leur statut.

POURQUOI UN MILITAIRE COÛTE PLUS CHER QU’UN CIVIL

Le statut général des militaires, tel qu’il résulte de la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, dispose dans son article premier que « l’état militaire exige en toute circonstance esprit de sacrifice, pouvant aller jusqu'au sacrifice suprême ». En vertu de cette disposition forte, et compte tenu des risques réels qu’ils courent en opérations, les militaires bénéficient donc, sur le plan financier, d’un statut plus avantageux que les fonctionnaires civils.

Ainsi, un fonctionnaire civil de catégorie A du ministère de la Défense a coûté, en 2010, 68 801 euros en moyenne (pension incluse) à son employeur, contre 102 197 euros pour un officier ; un fonctionnaire de catégorie B a coûté 50 909 euros contre 58 592 euros pour un sous-officier ; un agent de catégorie C a coûté 36 133 euros contre 45 870 euros pour un militaire du rang (13).

En outre, pour une tâche donnée, un civil travaille en moyenne 1 600 heures par an ; le militaire, qui passe au moins autant de temps au service de son employeur, doit, pour des raisons statutaires, être toujours apte aux opérations et donc consacrer une grande partie de ses disponibilités à entretenir sa forme physique et sa préparation strictement militaire. Il a été calculé qu’une fois défalqué ce temps d’entraînement, il ne lui restait plus qu’environ 1 000 heures à consacrer à ses tâches administratives ou industrielles de soutien.

Les Rapporteurs admettent qu’un certain nombre de militaires doivent continuer à occuper des tâches de soutien de manière à être capables d’apporter leur savoir-faire sur les théâtres d’opérations fermés aux civils. Mais ce nombre doit être limité au strict nécessaire, compte tenu du coût statutaire d’un militaire.

Proposition n° 3 – Tout nouveau projet d’externalisation doit être soumis préalablement à une étude comparative approfondie avec une rationalisation – et donc une civilianisation – du service en question, les résultats étant présentés aux partenaires sociaux avant la prise de décision.

3.– L’interarmisation dispose encore d’une marge de progression

De la même manière, est-on bien sûr d’avoir poussé à son terme la logique d’interarmisation, réelle source d’économie ? Certes, les rapprochements entre armées se sont développés, en matière de formation ou d’entretien, mais des progrès sont encore réalisables.

Un exemple : les matériels aéronautiques font l’objet d’un entretien rationalisé dans la mesure où leur maintenance est gérée par la SIMMAD, la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la Défense. Cependant, la rationalisation n’est pas complète. Du fait notamment des règles de comptabilité publique, chacune des armées est propriétaire de ses rechanges, même si la SIMMAD a une vision d’ensemble qui lui permet, au vu des besoins et des stocks de chacune, de demander un mouvement de l’une vers une autre. Par ailleurs, un Puma de l’armée de l’air n’est pas absolument identique à un Puma de l’armée de terre ; les programmes de maintenance sont donc un peu différents.

En matière d’habillement également, la marge de progression de l’interarmisation est encore conséquente : jusqu’à présent, les trois armées achètent pour elles-mêmes, possèdent leur propre service acheteur et leur propre service de nomenclature. De ce fait, la moindre paire de chaussure est référencée distinctement par chacune des trois armées. Lorsque l’interarmisation aura été menée à son terme, il n’y aura plus qu’une seule référence gérée par le commissariat aux armées et un seul marché. Cette uniformisation semble pour le moins minimale. Se posera ensuite la question de modifier certains éléments de tradition ou d’usage pour aboutir à une économie substantielle.

Ce travail en est encore à ses balbutiements. Une commission interarmées de la tenue est précisément chargée de regrouper toutes les fiches techniques, pour arriver à des réalisations uniques sur des effets communs. En 2011, le service a passé pour la première fois des marchés groupés pour l’ensemble des trois armées : treillis, chaussures, sacs de portage. Cette démarche, préalable essentiel à toute externalisation, doit être menée à son terme.

À la question de savoir si une harmonisation des tenues pouvait être envisagée entre différentes armées européennes ou « otaniennes », le commissaire-général Jean-Marc Coffin a eu cette réponse révélatrice : « aujourd’hui, nous essayons désespérément de rapprocher les trois armées françaises ! (…) » Preuve que l’interarmisation est un chantier loin d’être achevé.

Proposition n° 4 – L’interarmisation des fonctions externalisables doit avoir été menée à son terme avant d’envisager de lancer tout nouveau processus d’externalisation.

B.– LES EXTERNALISATIONS PROLONGENT-ELLES LA DÉFLATION DES EFFECTIFS ?

1.– Les effectifs en jeu sont considérables

La déflation des effectifs du ministère de la Défense pendant la loi de programmation militaire (2009 à 2014) a été fixée à 54 000 agents civils et militaires, soit environ 9 000 personnes par an.

Les externalisation engagées sur la même période portent sur des services regroupant au total 16 000 personnes. Peut-on dire que ces 16 000 postes s’ajoutent aux 54 000 en cours de suppression, portant la déflation totale des effectifs du ministère à 70 000 en six ans ?

Sur le seul sujet du MCO aérien, l’ingénieur général de l’armement Alain Costes reconnaît que « les gains en effectifs résultant des seules externalisations viennent en plus », même si ces dernières sont, en théorie, réversibles.

Dans le seul domaine du MCO aérien, 4 495 postes devaient être supprimés entre 2009 et 2014 du fait des restructurations, 750 autres postes devant l’être dans les mêmes délais du fait des externalisations, soit plus de 22 % des effectifs du secteur. Or, au 1er janvier 2011, 1 432 postes avaient déjà été supprimés du seul fait des externalisation, laissant entrevoir d’ici au 31 décembre 2014 un résultat de 1 905 postes externalisés, soit deux fois et demi plus que l’objectif initial.

2.– Des déclarations peu claires, voire contradictoires

L’adjoint au secrétaire général pour l’administration (SGA), M. Gérard Gibot semble formel : « Quant au fameux objectif de suppression de 16 000 emplois grâce aux externalisations, il n’a jamais existé. Toutes les réformes et rationalisations réalisées au ministère de la Défense n’ont pour but que de conduire aux 54 000 suppressions prévues – 54 981 si l’on prend en compte la mission Anciens combattants. » (14). Cela ne l’empêche pas d’affirmer quelques instants plus tard « les postes concernés par des externalisations s’ajoutent aux 54 000 suppressions d’emplois prévues par rationalisation » (15).

Lorsque lui est posée la question de savoir si les externalisations ne sont pas le moyen de poursuivre, sans le dire, la réforme générale des politiques publiques (RGPP), M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariat publics-privés » admet : « Je suis embarrassé pour vous répondre, ne disposant pas, dans la position qui est la mienne, de tous les éléments nécessaires ».

Lors de son audition, le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’Économat des armées a confirmé à la MEC l’effet cumulatif des deux processus : « Alors que la RGPP doit conduire à la suppression de 54 000 postes à la Défense, dont 48 000 emplois militaires, elle envisage d’externaliser 16 000 emplois supplémentaires, dont 8 000 dans la restauration ».

Les organisations syndicales datent à juin 2009 l’apparition de ce chiffre de 16 000 postes externalisables (dont 8 000 en RHL, 2 200 en infrastructure, 2 000 pour le MCO…), chiffre démenti depuis mais « écrit et repris sur le site lemonde.fr » selon eux.

Enfin, le général Éric Rouzaud, sous-chef soutien à l’état-major des armées, indique que « la perspective globale des restructurations est bien une réduction des effectifs de 54 000, tandis que l’externalisation est fonction des opportunités qu’elle offre. Le nombre de 16 000, évoqué à une certaine époque, a été démenti par le ministère il y a environ deux ans et demi ».

3.– La nécessité de lever l’ambiguïté

La Cour des comptes reconnaît, elle aussi, avoir du mal à se forger une opinion définitive. Citant le ministère de la Défense, elle indique que les 16 000 postes potentiellement touchés par les externalisations ne constituent pas un objectif à atteindre, mais « une évaluation faite par l’équipe d’audit RGPP ». Pour autant, la Cour considère qu’« il est nécessaire que l’articulation des projets d’externalisation avec les rationalisations devant aboutir à la suppression de 54 000 emplois soit clarifiée ». En conséquence, les magistrats concluent par la préconisation suivante : « L’ambiguïté entre les gains en effectifs attendus des externalisations et l’objectif général du ministère de réduire ses effectifs devrait être levée ».

Ainsi donc, à l’issue des auditions qu’elle a menées, la Mission d’évaluation et de contrôle a acquis la conviction que les emplois faisant l’objet d’une externalisation viennent bien en sus des 54 000 postes supprimés par restructurations et rationalisations sur la période 2009-2014. Seul le nombre de 16 000, qui semble n’être qu’une évaluation maximale, peut être sujet à caution.

Proposition n° 5 – Le ministère de la Défense doit lever toute ambiguïté statistique et indiquer clairement combien de postes sont concernés par les externalisations et si ces postes viennent, comme le pense la mission, en sus des 54 000 suppressions annoncées dans le cadre des restructurations.

*

* *

DEUXIÈME PARTIE :

QUELQUES CAS PARTICULIERS D’EXTERNALISATIONS

Le champ d’intervention de l’externalisation s’est considérablement étendu au cours de ces dernières années. Le choix des Rapporteurs a été de s’intéresser prioritairement aux projets non encore aboutis, sur lesquels le pouvoir politique peut apporter son expertise et donner un avis de nature à influer sur les décisions finales.

Ainsi, le partenariat au profit de la base école de Dax, l’externalisation de la mise en œuvre de la maintenance des avions de la base école de Cognac et l’externalisation des véhicules de la gamme commerciale, trois opérations déjà contractualisées, ne seront pas examinées dans la présente partie du rapport.

En revanche, les Rapporteurs se sont attachés à analyser quatre sujets en cours d’externalisation ou en projet : le maintien en condition opérationnelle (MCO), l’affrètement logistique, les fonctions restauration-hôtellerie-loisirs et habillement, ainsi que le ravitaillement en vol. Ils ont également examiné deux partenariats particulièrement novateurs et emblématiques (les satellites de télécommunication et Balard). Enfin, ils ont souhaité aborder un sujet peu débattu mais pourtant d’une importance croissante : la place des sociétés militaires privées (SMP), qui agissent en France encore discrètement mais participent également au mouvement d’externalisation dans le domaine de la Défense.

I.– LE MCO AÉRIEN ET NAVAL

Compte tenu de son coût et des enjeux opérationnels sous-jacents, la fonction du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels majeurs a été l’un des premiers domaines concernés par les externalisations, aussi bien dans les pays anglo-saxons qu’en France.

A.– UNE VOLONTÉ DE SÉPARER L’OPÉRATIONNEL DU SOUTIEN

1.– La nécessité de recentrer les militaires sur l’opérationnel

La complexité de la chaîne militaire obéit à des exigences opérationnelles peu compatibles avec la stabilité et la rentabilité des financements industriels. Le général Georges Ladevèze (16), ancien commandant de l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) a déclaré avoir toujours été préoccupé de scinder les deux activités. Pendant la guerre du Golfe, « alors qu’il aurait fallu se concentrer sur un niveau d’intervention extrêmement limité en technicité, une partie de mes personnels étaient mobilisés par des opérations de maintenance lourde, alors que leur statut voulait par ailleurs que je puisse en disposer de manière inopinée ».

Toute la problématique du MCO, notamment aérien, est résumée dans ces propos : faut-il consacrer à des opérations d’entretien, surtout lorsqu’elles sont très techniques, des personnels militaires dont le statut suppose qu’ils soient orientés vers des missions opérationnelles plutôt que vers des tâches de soutien ? Convient-il d’y consacrer des fonctionnaires civils du ministère de la Défense ? Ne serait-il pas préférable de faire appel à un industriel privé dont c’est le métier ?

La réponse n’est évidemment pas unique : il est indispensable que des personnels militaires soient formés et aguerris à l’entretien des équipements de nos armées, ne serait-ce que pour entretenir ces équipements sur les théâtres où les civils, en principe, n’ont pas leur place. Mais compte tenu du statut des personnels militaires, il n’est pas illogique de vouloir faire une place essentielle aux civils pour ce qui concerne l’entretien lourd réalisé sur le territoire national.

L’EXTERNALISATION S’INVITE AU CœUR DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE

Le MCO des missiles stratégiques M 51, embarqués à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins est désormais confié à la société EADS, qui assure en outre leur assemblage final et leur chargement à bord. « C’est un service clé en mains : la partie opérationnelle dispose d’un système prêt à fonctionner » précise l’industriel. EADS emploie désormais « un grand nombre » de personnels de DCNS, mis à disposition par le ministère.

2.– Le gain économique n’est pas le premier critère en matière de MCO

En matière de MCO aérien, l’état-major des armées mène sa politique d’externalisation selon trois critères, la dimension économique n’arrivant qu’en dernier. Aux dires de l’ingénieur général de l’armement Alain Costes, le critère opérationnel est examiné en premier : on externalise des fonctions ou des activités qui ne sont pas critiques ou sensibles pour le contrat opérationnel des forces.

L’état-major veille ensuite à ce que les forces aient suffisamment d’activité de maintenance pour être capables d’assurer la permanence opérationnelle en déploiement : pour que les avions déployés en opérations extérieures soient opérationnels, l’armée doit disposer non seulement de personnes sur place, mais aussi d’un vivier en France suffisamment large pour assurer les rotations de personnel.

Vient ensuite le critère économique. Si l’évaluation fait apparaître, par rapport au coût en régie, un gain supérieur ou égal à 20 %, le ministère approfondit les travaux. Des consultations sont lancées, des offres recueillies. Il arrive que celles-ci conduisent à abandonner le projet.

En matière navale, compte tenu de la taille des équipements à entretenir et du faible effet de série, « le critère essentiel est d’essayer de faire réaliser mieux par quelqu’un d’autre des opérations qui demanderaient pour l’État un investissement et des immobilisations considérables, en établissant une projection du coût pour éviter que celui-ci ne dérive à l’excès. Autrement dit, il s’agit d’alléger la charge de l’État à l’égard de prestations qui ne relèvent pas de son métier » indique le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein (17).

3.– Pour la marine toutefois, le gain économique semble réel

Dans le domaine naval, la problématique est quelque peu différente du domaine aérien : il est principalement fait appel à une société publique créée en 2003, DCNS, qui fut longtemps une direction du ministère pour le compte duquel elle réalisait ses prestations en régie. Le gain estimé par le service de soutien de la flotte entre le passage de la régie à la prestation externalisée est d’environ 20 %, ce qui, hors variations de périmètre, « aboutit à un gain de l’ordre de 180 millions d’euros par an entre la fin des années 1990 et aujourd’hui ».

Le fonctionnement de l’ancienne DCN n’était favorable ni à la réalisation des opérations de maintenance navale, ni à une exploitation optimale des infrastructures industrielles, dans la mesure où la direction des Constructions navales était soumise aux marchés publics sans le stimulus de la mise en concurrence. Depuis le changement de statut, on constate par exemple à Brest de nombreux désengagements de grands ateliers ou de zones entières par DCN, ainsi qu’un allègement considérable de la charge d’immobilisation.

Le fait que l’entreprise réduise ses frais fixes a un effet immédiat sur le prix de ses factures. Par ailleurs, le recours à des contrats de droit privé permet au service de soutien de la flotte (SSF) de déployer une stratégie contractuelle dans le cadre d’une mise en concurrence : la globalisation des contrats, leur caractère pluriannuel donnent de la visibilité à l’entreprise et lui permettent d’optimiser les achats, les équipes et ses relations avec ses sous-traitants, qui gagnent aussi en visibilité. Le risque entre l’État et l’industriel a également été mutualisé, ce qui permet à celui-ci de réduire encore le coût de sa facture.

Pour autant, la situation n’est pas idéale et la Cour des comptes met en évidence l’absence de complémentarité entre les activités externalisées et celles conservées en régie et réalisées par les ateliers militaires de la flotte (AMF). Bien que l’existence de l’activité de maintenance navale en régie soit jugée essentielle, la Cour des comptes considère qu’il apparaît dans la pratique que « ce service n’a pas de véritable politique à son égard. Le service de soutien de la flotte (SSF) a besoin d’un socle minimum mais ne peut le définir. Le plan de charge semble fixé au fil de l’eau, avec pour seul objectif d’assurer une charge de travail ».

B.– UN ENJEU INDUSTRIEL ESSENTIEL

Les contrats de maintenance aéronautique représentent 2 milliards d’euros, dont 40 % font l’objet d’une mise en concurrence. Le reste fait l’objet de transactions de gré à gré, certaines pièces n’ayant qu’un seul fournisseur.

1.– Les entreprises étrangères participent à l’externalisation

Les contrats d’entretien d’un certain nombre d’appareils de l’armée de l’air sont attribués par appel d’offres et il arrive que les marchés soient enlevés par des sociétés étrangères. C’est notamment le cas des deux Airbus A340 loués avec option d’achat dont l’entretien est assuré par la compagnie portugaise TAP. Il en va de même pour les Puma et Hercules C130 dont la maintenance a été confiée à une autre société portugaise. Au total, 7,5 % des contrats de maintenance reviennent à des sociétés étrangères.

Le MCO des appareils de l’ETEC, l’escadron de transport et de calibrage chargé du transport au profit des autorités, est confié à une société suisse qui emploie à Villacoublay du personnel de nationalité française recruté avec des contrats de travail de droit suisse. L’état-major des armées assure que cette ouverture vers l’étranger ne pose, pour l’instant aucun problème sur le plan opérationnel. Il y voit même un avantage financier, la concurrence étrangère permettant d’obtenir des prix plus intéressants que lorsque le client se trouve face à un oligopole national.

Si le principe de faire participer des sociétés issues de pays étrangers apparaît inévitable, encore faudrait-il veiller à ce que les pays en question agissent de manière réciproque. En revanche, il apparaît plus discutable qu’une entreprise issue d’un pays non membre de l’Union – en l’occurrence la Suisse – puisse faire travailler sur le sol national, dans le cadre d’un contrat passé avec l’armée française, des salariés français recrutés avec un contrat de travail étranger, soumis à des contributions sociales étrangères qui ne profitent pas à la Nation dont ils sont membres et sur le sol de laquelle ils travaillent. Pour des faits similaires, la compagnie aérienne Ryanair qui employait à Marseille des salariés français avec des contrats de droit irlandais a été condamnée. Il serait sain que le même principe s’applique à toutes les entreprises qui se trouveraient dans la même situation.

2.– Protéger notre industrie de défense

Les directives européennes imposent une mise en concurrence européenne pour tous les marchés qui ne sont pas du domaine de la défense. L’externalisation du soutien, dans notre pays, n’a pas été jugée comme ressortissant directement à la défense et, pour cette raison, a fait l’objet d’un appel d’offres international. Mais d’autre pays n’ont pas les mêmes scrupules. Ainsi, le général Patrick Huguet, responsable du projet d’affrètement des navires rouliers à l’état-major des armées, a présenté les difficultés de coopération avec le Danemark, pays qui ne fait pas la même lecture que nous de la réglementation européenne (18).

À l’aune de ce qui se pratique dans d’autres pays, certains observateurs estiment que les marchés de maintien en condition opérationnelle des appareils de l’armée de l’air pourraient être considérés comme touchant à des questions de souveraineté en matière de défense ; il serait ainsi possible pour les armées d’échapper aux règles du code des marchés publics et aux appels d’offres internationaux.

Le ministère de la Défense n’est pas entièrement lié par le code des marchés publics. La seule raison pour laquelle il n’y échappe pas, c’est que la France est, dès lors qu’il s’agit d’eurocompatibilité, infiniment plus respectueuse que certains partenaires européens, qui ne s’embarrassent pas de ce type de précautions et font ce qu’ils doivent faire pour préserver leur industrie.

II.– L’AFFRÈTEMENT AÉRIEN ET NAVAL

L’acheminement stratégique sur les différents théâtres d’opérations est géré par le Centre multimodal de transport (CMT), basé à Villacoublay. Si les moyens de transport stratégiques du ministère de la Défense permettent d’assurer la quasi-totalité des transports de passagers (entre 130 000 et 150 000 par an), ils sont en revanche largement insuffisants pour le transport des matériels à destination des forces prépositionnées ou servant en opérations extérieures.

A.– LE CONTRAT SALIS

Le Contrat Salis (Strategic Air Lift Interim Solution, ou Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique) constitue une originalité dans la mesure où l’Otan est liée par un contrat stratégique à une société russe.

1.– La nécessité de combler une importante lacune capacitaire

Certains pays membres de l’Otan ont mis des ressources en commun pour affréter des aéronefs spéciaux qui contribuent à doter l’Alliance d’une capacité de transport rapide d'équipements lourds partout dans le monde. Le consortium multinational de transport aérien ainsi créé affrète actuellement six Antonov AN-124 capables d’accueillir des cargaisons hors gabarit. Ces aéronefs sont utilisés comme solution intérimaire pour pallier les lacunes des moyens de transport aérien stratégique de l’Alliance, en attendant la livraison des premiers Airbus A400M ainsi que des ravitailleurs MRTT (Multi Role Tanker Transport) qui seront également employés au transport de passagers et de marchandises.

Le consortium regroupe seize pays de l’Otan (Allemagne, Belgique, Canada, Danemark, France, Grèce, Hongrie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Slovaquie, Slovénie et Royaume-Uni) et deux pays partenaires (Finlande et Suède).

Cette initiative est le pendant d’une autre qui vise aussi à doter l’Otan de capacités de transport aérien stratégique. Cette autre initiative est la Capacité de transport aérien stratégique (SAC), au titre de laquelle dix pays membres de l’Otan plus deux pays partenaires ont fait l’acquisition de trois avions de transport Boeing C-17.

2.– La contractualisation avec une société russe

Lors du Sommet d'Istanbul, les 28 et 29 juin 2004, les ministres de la Défense de quinze pays ont signé un mémorandum d'entente ayant pour objectif la constitution d'une capacité opérationnelle de transport aérien de cargaisons hors gabarit pouvant être disponible jusqu'en 2005 et pouvant comporter jusqu'à six aéronefs de transport Antonov AN-124. En outre, les ministres de la Défense de la Bulgarie et de la Roumanie ont signé une lettre exprimant leur intention de s'associer à ce consortium.

Le 23 janvier 2006, la Namsa, une agence de l’Otan, a signé un contrat avec la compagnie de droit allemand Ruslan Salis GmbH, basée à Leipzig, en Allemagne. Cette société peut affréter des Antonov 124 auprès de deux compagnies : Antonov design bureau (ADB) à Kiev, en Ukraine, et la société Volga-Dnepr airline (VDA) d’Oulianovsk, en Russie.

Le contrat prévoit l’affrètement permanent de deux Antonov-124 basés à Leipzig, de deux autres sur préavis de six jours et de deux appareils supplémentaires sur préavis de neuf jours. Ces quatre derniers avions sont basés en Russie. Les équipages sont fournis par la société contractante qui propose une prestation globale de transport. Les pays concernés se sont engagés à utiliser les Antonov pour un minimum de 2 000 heures de vol par an. L’heure de vol est facturée à environ 25 000 euros.

Le 23 mars 2006, la Suède a rejoint les quinze premiers pays signataires à l'occasion d'une cérémonie tenue à Leipzig pour marquer l’entrée en vigueur de ce contrat multinational. D’une durée initiale de trois ans, le contrat a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2010, puis jusqu’au 31 décembre 2012. La Finlande et la Pologne ont, depuis, rejoint le projet Salis.

La coordination du transport aérien stratégique est assurée par la Cellule de coordination Salis, implantée avec le Centre de coordination des mouvements Europe (MCCE) sur la base aérienne d'Eindhoven, aux Pays-Bas.

3.– La France particulièrement dépendante du contrat Salis

Présente sur les cinq continents au titre de missions de souveraineté dans nos collectivités d’outre-mer, mais aussi au titre de nombreuses opérations extérieures, notre pays est très dépendant des acheminements aériens. Compte tenu de la réduction irréversible du parc de Transall, et dans l’attente de l’A400M, l’armée de l’air recourt de manière substantielle aux contrats Salis dont elle est la principale utilisatrice.

La France dispose d’un droit d’utilisation de 1 195 heures par an, soit 23 heures hebdomadaires. Chaque semaine, un vol part ainsi de Châteauroux pour l’Afghanistan acheminer du soutien logistique. Mais ce quota, qui n’était utilisé qu’à un peu plus de 50 % en 2006, est largement dépassé depuis 2008 et le renforcement de notre présence en Afghanistan.

La France représente 25 % des demandes contractuelles adressées à Salis. En effet, notre pays est l’un des plus engagés hors de son territoire national et ne dispose pas d’une flotte de gros porteurs stratégiques, contrairement au Royaume-Uni, qui compte huit C-17 Globemaster, seul avion occidental dont les caractéristiques s’approchent de celles de l’Antonov-124.

TABLEAU SALIS

Années,

Heures de vol consommées

Coût total
(en millions d’euros)

Coût moyen de l’heure de vol (euros)

2006

672

17,2

25 595

2007

728

19,2

26 374

2008

1 723

43,94

25 502

2009

1 363

34,62

25 400

2010

1 231

28,97

23 534

Outre le contrat Salis, l’armée de l’air dispose de plusieurs autres moyens pour assurer le transport stratégique. Elle peut bien entendu compter sur ses moyens propres : Transall, Hercules, Casa 235, Airbus A310 et A 340. Il lui arrive également d’affréter des appareils auprès de sociétés civiles ou d’utiliser les voies aériennes civiles. Enfin, l’armée de l’air est signataire de l’accord Atares d’échanges de missions sur une base volontaire entre les nations signataires.

B.– LE MÉCANISME D’ÉCHANGE ATARES

1.– Une coopération originale basée sur le troc d’heures de vol

Parallèlement au contrat Salis, mais séparément de l’Otan, un groupe de nations européennes mettait au point un mécanisme de coopération original permettant l’échange de prestations de transport de passagers et de marchandises, mais aussi de ravitaillement en vol sur la base d’un troc d’heures de vol. Ce système qui fonctionne en dehors de tout montage financier est basé sur un accord technique appelé Atares (Air Transport, Air to Air Refueling Exchange and Other Services), signé en février 2001 par douze pays.

Pour chaque type d’avion en parc (A 310, Transall, C135FR et Casa dans le cas de la France, mais aussi Hercules C130 ; C17, C130, Bae 146, Tristar ou VC10 en ce qui concerne les Anglais ; Transall et A 310 pour les Allemands ; KDC 10, B 767 ou mêmes An-124 pour d’autres partenaires européens ; etc), chaque pays déclare un coefficient d’équivalence par rapport à l’heure de vol d’un Hercules C130 qui constitue la monnaie de troc. Ce coefficient, qui est en théorie calculé sur la base des coûts de possession, peut être modifié pour s’adapter à l’évolution du « marché ». Le mécanisme Atares contient des règles de calcul relatives aux différentes prestations et les limites entre lesquelles les balances annuelles (entre prestations fournies et consommées) peuvent évoluer.

Au 31 mars 2011, une fois comptabilisées les prestations croisées de transport, de ravitaillement et de prise en charge partielle d’un chargement, nous disposions d’un crédit de 244 heures. Le CMT veille à ce que le solde de notre pays ne soit jamais négatif. Le protocole est donc équilibré. Pour équilibrer sa balance, la France dispose d’un atout : elle est seule à posséder des avions ravitailleurs, ce qui la conduit à effectuer du ravitaillement en vol pour l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas.

En 2009 et 2010, la répartition des acheminements stratégiques aériens a été la suivante.

RÉPARTITION DES ACHEMINEMENTS STRATÉGIQUES

 

Contrats Salis

Moyens patrimoniaux

Avions affrétés

Voie aérienne civile

Accord Atares

2009

         

Heures de vol

1 363

19 737

     

Tonnes transportées

9 990

7 564

2 084

 

140

Passagers transportés

-

148 950

436

 

236

Coût (M€)

34,62

 

10

2,9

 

2010

         

Heures de vol

1 231

19 316

     

Tonnes transportées

9 129

9 069

422

 

345

Passagers transportés

-

131 841

126

 

1 089

Coût (M€)

28,97

 

2,02

2,08

 

NB : en 2010, l’armée de l’air a bénéficié en outre de 38 rotations vers Kaboul, d’un Iliouchine 76 affrété par les Émirats Arabes Unis. Cet appareil a transporté 767 tonnes de matériel.

Le tableau ci-dessus nous permet de constater que les Antonov-124 utilisés dans le cadre du contrat Salis ont volé ces deux dernières années 15 fois moins que les appareils de transport de l’armée de l’air mais qu’ils ont pourtant transporté davantage de fret que ces derniers. Cela tient à leur extraordinaire capacité d’emport : 120 tonnes contre 16 tonnes seulement pour un Transall, 17 tonnes pour un Hercules ou 5,5 tonnes pour un Casa 235. Mais cela tient aussi au fait que les Antonov ne transportent que du fret alors que les appareils de l’armée de l’air, essentiellement les A 310 et A 340, transportent entre 130 000 et 140 000 militaires par an.

Au total, en 2009, l’armée de l’air n’a transporté avec ses moyens propres que 38 % des acheminements stratégiques de fret ; en 2010, cette proportion est remontée à 46 %. Mais l’an dernier, pour la première fois, plus de 50 % des acheminements de fret de nos forces ont été réalisés par des appareils russes (Antonov-124 du contrat Salis ou Iliouchine-76 affrétés par nos alliés). En revanche, 99 % des militaires français transportés sur les différents théâtres d’opérations l’ont été par les moyens de l’armée de l’air.

Autant que la Mission, la Cour des comptes s’alarme de cette situation : « la très forte dépendance à l’égard de moyens de transport non armés par des personnels militaires français, en particulier dans le transport aérien, amène cependant à s’interroger sur la préservation des capacités opérationnelles en toutes circonstances » soulignent les magistrats financiers.

2.– La remise en cause du contrat Salis

Le contrat Salis court jusqu’en 2012, mais la société Volga-Dnepr, le jugeant peu rentable eu égard au coût des heures de vol, a annoncé l’an dernier qu’elle souhaitait se désengager. Le prix de l’heure de vol a été porté à 30 200 euros, soit une majoration d’environ 20 %, et le volume d’heures a été fortement réduit. Pour compenser le désengagement de son partenaire, l’armée française a décidé de passer un nouveau marché. Le contrat, bilatéral car signé dans l’urgence, a été remporté par la société ICS, qui utilise tout type d’avions, Antonov 124, Iliouchine 76, Airbus A300, Boeing 747 et Hercules C 130, en fonction de la charge à transporter. Le contrat est reconductible annuellement.

Le titulaire de ce nouveau marché s’est engagé à baser un Antonov 124 sur l’aéroport de Châlons-Vatry, ce qui devrait réduire les coûts. En effet, les Antonov de la société Salis étaient basés à Leipzig et les vols de positionnement et de repositionnement entre l’Allemagne et la France étaient facturés à l’armée de l’air. Avec un appareil basé sur le territoire national, seules les heures de vol « utiles » (Vatry – Kaboul, par exemple) seront à payer.

Le désengagement de Salis n’est que partiel. Même si le nombre d’heures de vol proposées a fortement diminué et si les tarifs ont augmenté, l’armée de l’air conserve la possibilité de faire appel à cette société en cas de besoin. Les contrats Salis et ICs sont donc complémentaires.

3.– L’achat de l’Antonov 124 a-t-il été sérieusement étudié ?

La Russie a annoncé, il y a quelques mois, sa volonté de relancer la production de l’Antonov-124. Si cette information était confirmée, la question pourrait se poser de l’éventuelle acquisition patrimoniale de cet appareil, en un nombre limité d’exemplaires. Différentes sources font état d’un coût d’acquisition estimé entre 150 et 200 millions de dollars l’exemplaire, soit 105 à 140 millions d’euros.

Lorsque l’on compare les performances attendues de l’Airbus A400M avec celles de l’Antonov, les chiffres laissent songeur : 120 tonnes d’emport maximal pour l’An-124 sur 4 800 kilomètres ou 80 tonnes sur 8 400 kilomètres. En comparaison, la capacité d’emport de l’A400M sera quatre fois inférieure : 20 tonnes sur 6 390 km ou 30 tonnes sur 4 535 kilomètres. Le coût de cet appareil a officiellement été annoncé à 130 millions d’euros l’exemplaire.

Ces chiffres ne constituent pas une critique de l’avion européen qui disposera de qualités que n’a pas l’appareil russo-ukrainien – possibilité de transporter des passagers, d’être ravitaillé en vol, de procéder à des largages, de décoller sur des pistes sommairement aménagées, etc. – caractéristiques que ne possède pas l’Antonov et qui font l’intérêt du programme A400M. Mais l’expérience montre que le transport stratégique (sur l’Afghanistan, le Tchad ou la Côte d’Ivoire, par exemple) nécessite rarement de recourir au ravitaillement en vol ou aux largages et utilise le plus souvent des infrastructures classiques ne nécessitant pas, de la part de l’avion, de qualités particulières.

La possession patrimoniale de quelques Antonov confèrerait à l’armée de l’air des capacités logistiques stratégiques complémentaires à celles apportées par l’A400M : le général Philippe Carpentier, responsable du Centre multimodal de transport, le reconnaît : « À terme, même si nous disposons d’une capacité suffisante en A400M et en MRTT, nous aurons toujours besoin d’un volume incompressible de 350 heures de vol d’Antonov 124 par an pour le fret hors gabarit » (19). Mais une analyse fine des coûts de possession, que les Rapporteurs ne sont pas en mesure de mener, devra être réalisée.

En effet, le coût de l’heure de vol actuellement acquitté par l’armée de l’air inclut non seulement la location de l’avion, mais aussi son entretien, le coût de l’équipage, du carburant et de l’assurance. Quel serait le coût d’usage d’un tel appareil exploité par l’armée de l’air ? Par ailleurs, la possession de micro-parcs est toujours génératrice de surcoûts dans la mesure où elle ne permet pas de réaliser d’économie d’échelle, qu’il s’agisse de la formation des équipages, des techniciens ou de l’entretien. Enfin, notre pays resterait en tout état de cause dépendant d’entreprises russes pour la fourniture des pièces de rechange. Pour autant, l’hypothèse d’une acquisition patrimoniale mériterait d’être étudiée.

DE L’EXTERNALISATION CHOISIE À L’EXTERNALISATION SUBIE

Dans le domaine de l’affrètement aérien comme naval, le recours à l’externalisation se justifie essentiellement par des considérations capacitaires et opérationnelles. Dans la mesure où l’armée de l’air a fait le choix de ne pas acquérir d’avions gros porteurs de type Antonov 124, nécessaires pour les transports hors gabarit, une partie de l’externalisation relève d’un choix délibéré. En revanche, l’externalisation rendue nécessaire par le retard du programme A400M apparaît, quant à elle, entièrement subie.

C.– LA LOCATION AVEC OPTION D’ACHAT DE DEUX AIRBUS A 340

En 2003, l’armée de l’air à dû faire face au retrait programmé de ses DC 8, arrivés en bout de course. La décision a alors été prise de louer avec option d’achat deux Airbus A 340, choix critiqué par la Cour des comptes.

1.– Un choix contraint

En 2003, l’armée de l’air a été contrainte de programmer le retrait de ses vieux DC 8 dont le coût du maintien en condition opérationnelle était de plus en plus élevé. Par ailleurs, l’entraînement des équipages devenait également problématique en raison de la fermeture des simulateurs de vol.

Le schéma d’origine prévoyait le remplacement de ces appareils principalement destinés au transport de passagers par des ravitailleurs MRTT, utilisables également pour le transport de passagers. Mais devant les contraintes budgétaires et le retard pris par l’acquisition de ces appareils, l’armée de l’air devait trouver une solution transitoire. Plusieurs options furent étudiées et la location avec option d’achat s’est imposée comme s’intégrant plus facilement aux perspectives budgétaires. La nécessité de disposer très rapidement de deux vecteurs fut également décisive.

Le choix s’est donc porté sur deux Airbus A 340 d’occasion, fabriqués en 1995 et ayant déjà volé 40 000 heures lors de leur mise à disposition à l’armée de l’air, en 2006. Le général Guy Girier, sous-chef opération plan programme à l’état-major de l’armée de l’air, explique que cette circonstance n’est pas pénalisante dans la mesure où l’armée de l’air utilise ces appareils « environ 2 000 heures par an, le temps de vol moyen annuel par appareil étant, dans une entreprise civile, de 4 000 heures. Le recours à un matériel neuf ne se justifiait pas, puisque les appareils de deuxième main répondent parfaitement aux besoins ».

« Le mode d’action conduisait à un flux financier annuel de 28 à 30 millions d’euros, qui a trouvé sa place dans le contexte budgétaire envisagé. La décision résulte donc d’un choix conditionné par l’urgence des besoins et par les contraintes budgétaires ». (20)

La location avec option d’achat des A 340 a paru le moyen d’éviter qu’une rupture capacitaire n’obère nos interventions sur certains théâtres d’opération, puisqu’il était impossible de financer immédiatement le MRTT.

2.– Une décision sévèrement critiquée par la Cour des comptes

Au regard du coût de revient global de ces deux appareils, la Cour des comptes considère qu’une acquisition patrimoniale aurait coûté moins cher aux finances publiques, compte tenu de la durée finalement assez longue de cette location.

Mais l’armée de l’air a été confrontée à deux difficultés : d’une part, l’aboutissement du programme MRTT était prévu à l’horizon 2011 lorsque la location des deux A 340 a été contractualisée, en 2006. Cette échéance est maintenant repoussée à 2017 au mieux, élément qui n’était pas connu à l’époque. La deuxième difficulté tenait à la nécessité de remplacer dans les meilleurs délais les DC 8 retirés du service sans qu’aucun crédit n’ait été dégagé pour cela.

Dans son rapport, la Cour des comptes livre un travail très fouillé et très détaillé sur le coût de la LOA des deux Airbus A 340. Il en ressort, sans grande surprise, que sur une telle durée, la location avec achat en fin de contrat s’avère la solution la plus onéreuse des trois hypothèses envisagées : achat, location simple et location avec option d’achat.

La Cour calcule qu’une levée de l’option d’achat au bout de cinq ans (2011) se serait traduite par un surcoût de 16,7 millions d’euros ; ce surcoût serait de 23,5 millions d’euros une levée de l’option au bout de sept ans (2013) ; dans l’hypothèse la plus probable d’une acquisition en 2015, il s’élèverait à 28,2 millions d’euros. Outre que ces chiffres sont contestés par le ministère qui juge le surcoût bien plus faible (5,6 millions d’euros en 2011), le calcul de la Cour semble être fait en euros courants, sans tenir compte de l’inflation.

Si on ne peut nier – les militaires le reconnaissent – que le choix de la location avec option d’achat a été dicté en grande partie par la nécessité « de contourner l’obstacle budgétaire » comment l’écrivent les magistrats, il convient toutefois de nuancer le jugement sévère de la Cour. Lorsque fut décidée la LOA en 2006, l’évolution du format des forces françaises servant hors de nos frontières n’était pas clairement connue. Certains candidats à l’élection présidentielle prônaient un retrait d’Afghanistan ; la réduction des forces à Djibouti se dessinait ; la suppression de deux des trois bases prépositionnées en Afrique occidentale était évoquée ; le retrait de Bosnie était engagé et celui du Kosovo projeté. Si le désengagement de la France sur tous ces théâtres avait été mené à son terme, l’un des deux appareils, voire les deux, auraient pu être rendu à moindre frais.

Ce flou régnant alors sur l’engagement de la France à l’étranger ainsi que sur la date arrivée des MRTT laissait planer une incertitude sur la nécessité de conserver les A 340 au-delà de quelques années. Dans ces conditions, le réel surcoût financier critiqué par la Cour des comptes peut apparaître comme le prix de l’incertitude et de la volonté de toujours disposer des moyens adéquats pour projeter les forces mentionnées dans le contrat opérationnel des armées. Pour autant, ce type de contrat avec option d’achat ne peut pas être considéré de bonne gestion compte tenu de son coût final élevé.

3.– Vers une probable levée d’option en 2015 ?

À l’origine, l’armée de l’air envisageait de se dégager du programme A 340 à l’horizon de 2015, mais reconsidère aujourd’hui cette perspective du fait du retard du programme MRTT qui n’arrivera pas en parc avant 2017 au mieux. Sur les trois possibilités initialement prévues pour lever l’option d’achat à cinq (2011), sept (2013) ou neuf ans (2015), seule l’année 2015 reste accessible, avec un coût de six millions d’euros par appareil, ce qui paraît raisonnable pour des avions qui auront certes 20 ans de service mais qui auront moins volé que leurs homologues du secteur civil.

Cette piste est étudiée par l’état-major des armées, qui envisage d’acquérir ces appareils pour les utiliser jusqu’en 2022, date à laquelle ils seraient retirés du service après 27 années d’activité.

En tout état de cause, ne pas lever l’option d’achat et perdre le bénéfice de ces deux appareils conduirait l’armée de l’air à une impasse entre 2015 et, au minimum, 2017 « en admettant que le premier MRTT arrive effectivement à cette date et qu’il ait pu être procédé à la transformation des équipages et à la mise en place du soutien, puisque la prise en compte des caractéristiques de l’appareil peut demander un ou deux ans ».

Proposition n° 6 – Compte tenu du manque capacitaire de l’armée de l’air en transport de personnel et de fret, mais aussi de l’âge très avancé des actuels ravitailleurs en vol, la Mission demande au Gouvernement d’acquérir sans plus attendre les 14 Airbus MRTT prévus par la loi de programmation militaire, appareils remplissant la double fonction de ravitailleurs en vol et de transport.

D.– L’AFFRÈTEMENT NAVAL

1.– L’affrètement naval est déjà entièrement externalisé

Par voie maritime, les bâtiments de guerre de la marine nationale ne se chargent pas de transport régulier, même s’ils peuvent, en cas de besoin, effectuer des transports opérationnels occasionnels. C’est la raison pour laquelle le Centre multimodal de transport (CMT) de Villacoublay affrète à l’année trois navires rouliers (dans lesquels les véhicules entrent et sortent en roulant) qui restent propriété de la Compagnie maritime nantaise (MN) :

– le MN Eider est un navire de 20 865 tonnes et de 158 mètres de long, construit par Hyundai en 1989 en Corée. Ce bâtiment a une capacité de 2 200 mètres linéaires de véhicules embarqués et 140 conteneurs vides ou 70 pleins ;

– le MN Éclipse déplace 10 142 tonnes pour une longueur de 146 mètres. Il a été construit en 1979 par le chantier 3Maj, en Croatie et a une capacité de 1 600 mètres linéaires ou de 462 conteneurs ;

– le MN Pélican a été fabriqué par le chantier naval norvégien Fosen, en 1999. D’un déplacement de 12 076 tonnes et d’une longueur de 155 mètres, il a une capacité d’emport de 1 850 mètres linéaires ou de 1 280 mètres linéaires et 325 conteneurs ;

Ces trois navires, qui battent pavillon national, sont armés par des équipages français.

2.– Une activité mondialisée indispensable au ravitaillement des forces

En 2010, 13 trajets ont été réalisés par ces trois navires contre 16 en 2009 :

– deux voyages ont été réalisés à destination de la Corse à l’occasion de l’exercice C2 Natex ;

– cinq traversées ont eu pour destination l’océan Indien. Ces voyages permettent de ravitailler les forces françaises prépositionnées à Djibouti et Abou Dhabi, mais aussi celles implantées dans les territoires français d’outre-mer (La Réunion, Mayotte, les Terres australes et antarctiques) et, bien entendu, celles en opération en Afghanistan ;

– quatre affrètements ont eu pour destination la côte occidentale de l’Afrique dans le but de ravitailler les forces prépositionnées au Sénégal et au Gabon, aussi bien que celle déployées en Côte d’Ivoire et au Tchad ;

– une traversée a eu pour destination les Antilles et la Guyane ;

– une traversée, après avoir desservi les Antilles et la Guyane, a poursuivi par le canal de Panama jusqu’aux collectivités territoriales françaises du Pacifique.

Au total, 44 853 tonnes de fret ont été livrées en 2010, soit 16 583 mètres linéaires et 3 989 conteneurs. Le coût de cet affrètement est évalué à 20,58 millions d’euros. Parallèlement, 3 868 tonnes, soit 158 mètres linéaires et 415 conteneurs ont été confiés à des voies maritimes commerciales pour un coût de 1,58 million d’euros.

Le transport externalisé d’un conteneur en Afghanistan depuis la France représente environ 27 000 euros en acheminement direct, mais seulement 19 000 euros avec une rupture de charge aux Émirats arabes unis et moins de 4 000 euros par voie de surface. Cependant, l’acheminement par mer jusqu’à Karachi, puis par voie routière à travers le Pakistan reste difficile. L’an dernier, les talibans ont attaqué plusieurs convois, notamment de carburants. Cette voie ne peut donc être utilisée que pour 20 % du fret, à l’exclusion du transport d’armement, de munitions ou de denrées périssables.

Enfin, la voie terrestre peut également être utilisée pour ravitailler les forces françaises présentes en Afghanistan. Les marchandises sont d’abord acheminées en Lituanie par navire ou camion. Elles sont ensuite transférées sur la voie ferrée pour un périple qui leur fait traverser la Biélorussie, la Russie puis les républiques d’Asie centrale. Elles sont à nouveau transférées sur des camions qui les convoient jusqu’à leur destination finale en Afghanistan.

Ce trajet est long et compliqué, notamment en raison du franchissement de multiples frontières. Il ne peut être réservé qu’au fret non urgent et aux marchandises non sensibles.

3.– Le projet d’affrètement de nouveaux navires rouliers

Le contrat d’affrètement des trois navires cités plus haut arrivera à échéance fin 2012 pour deux d’entre eux et fin 2013 pour le troisième. Aussi, l’état-major des armées étudie depuis plusieurs années le remplacement de ces bâtiments.

Le projet vise à acquérir, dans le cadre d’un partenariat d’une durée de 30 ans, des capacités de transport et de logistique pour la projection de forces en cas de crise sur un théâtre d’opération extérieur. Le titulaire du contrat sera responsable du financement, de l’acquisition, de la gestion et de l’entretien d’un nombre de navires rouliers compris entre quatre et six. Le caractère civil de ces bâtiments permettra au partenaire privé de les exploiter pour satisfaire des besoins purement commerciaux, générant ainsi des revenus qui diminueront le montant des loyers payés par l’État.

L’investissement initial serait de l’ordre de 145 millions d’euros pour un coût annuel de mise à disposition de 30 à 50 millions d’euros. Sur la durée du contrat, le coût serait donc compris entre 900 et 1 500 millions d’euros pour l’ensemble des capacités.

L’appel à candidatures a été lancé en 2009 et la procédure de dialogue compétitif a été initiée début 2010. Le calendrier prévoit une signature du contrat de partenariat début 2012 et une entrée en service du dernier navire en fin d’année 2014. Le nombre précis de bâtiments nécessaires (entre 4 et 6) ne sera arrêté qu’au terme du dialogue concurrentiel qui a été engagé. Ce projet bénéficie de l’expérience d’un contrat similaire passé par le ministère de la défense britannique en 2004.

L’objectif du ministère de la Défense serait d’acquérir une capacité supérieure à celle dont il dispose actuellement pour faire face à des pics d’activité. Sur un schéma de cinq navires, l’idée serait de consacrer trois navires aux besoins des forces françaises à 80 % de leur temps tandis qu’il serait utilisé à des fins civils pendant les 20 % restant. Les deux autres navires, non indispensables en temps de paix, seraient exploités à 100 % de leur temps sur le marché commercial, mais seront disponibles dans un délai de cinq à quinze jours en cas de crise. Grâce à leur utilisation civile, ces deux navires surnuméraires ne devraient rien coûter, ou presque, aux finances publiques, tout en constituant un confortable renfort en cas de conflit majeur.

Les navires de transport ne sont pas considérés comme relevant du cœur de métier, et leur emploi exclut le fait qu’ils soient employés dans des opérations de vive force, en particulier en appui direct d’une opération amphibie. C’est la raison pour laquelle ils seront armés avec des équipages non pas militaires mais civils.

Pour des questions de coût, ces bâtiments ne seront placés sous pavillon français de premier rang, ce qui aurait obligé le propriétaire à recourir à des équipages nationaux placés sous la législation française. Mais devant les difficultés soulevées par l’utilisation d’un pavillon de complaisance pour des navires réalisant des missions de souveraineté, c’est finalement le pavillon français du registre international (RIF) qui a été choisi. Cela permettra d’apposer la marque française sur ces navires tout en limitant les frais de fonctionnement, seul les officiers étant des nationaux placés sous la protection du droit français.

Quand on sait qu’un navire placé sous pavillon français du registre international coûte 2 500 euros par jour de plus en frais de fonctionnement qu’un navire sous pavillon maltais, dans une période où le budget est particulièrement contraint, on comprend que chaque caractéristique militaire de ces navires a été pesée au regard du juste besoin opérationnel.

Le choix d’un pavillon RIF signifie, d’une part, que les officiers sont français et sont des employés directs de l’armateur, d’autre part, que les armateurs ont recours à des sociétés sous-traitantes chargées de fournir les équipages d’exécution.

Toujours pour des raisons financières, les navires ne seront pas construits en France, où le coût serait majoré de 50 %, mais probablement à l’étranger. S’ils admettent que le coût du travail soit, dans des pays en voie de développement, inférieur à celui de notre pays, les Rapporteurs s’étonnent qu’un navire roulier construit en Allemagne soit largement moins cher que le même navire fabriqué en France, ainsi que cela leur a été révélé lors d’une audition (21).

E.– UN ÉQUILIBRE À TROUVER ENTRE EXTERNALISATION ET MOYENS PATRIMONIAUX

L’externalisation d’une partie croissante des moyens de transport militaire ne doit pas occulter les contraintes de ce mode de fonctionnement. Sans exclure a priori cette pratique, les Rapporteurs, comme la Cour des comptes, insistent sur la nécessité de conserver un socle de moyens patrimoniaux compatible avec les ambitions internationales de notre pays.

1.– Les spécificités de l’affrètement de navires civils par la Marine nationale

Ces navires seront logiquement soumis au droit de retrait et au droit de grève, inhérents au personnel civil qui y travaillera. Les risques de répercussion sur le caractère opérationnel des missions paraissent inévitables et devront être gérés au mieux. Et une fois sur cent ou sur mille, ils devront être traités sur un mode exceptionnel, a reconnu le général Patrick Huguet.

Les équipages civils accepteront-ils de se rendre dans des zones réputées dangereuses, en raison d’actes de piraterie ou de fait de guerre ? Les limitations ne viendront probablement pas des équipages, mais des assureurs. Dans le monde des assurances maritimes, le Joint war commitee décide des zones dans lesquelles il est possible de naviguer au tarif de droit commun, des zones où les navires peuvent se rendre à condition de payer des surprimes, et des zones dans lesquelles les assureurs refusent de couvrir le risque.

Ainsi, dans le prix de base du loyer des navires, la Marine nationale tiendra compte de l’assurance « risque de guerre » classique. Lorsque les navires affrétés se rendront dans des zones à surprimes, elle remboursera la surprime au propriétaire privé et des surprimes, qui seront payées tant aux assurances qu’aux équipages, dans la mesure où ils auront accepté de naviguer dans des eaux plus dangereuses que les zones ordinaires.

Enfin, au cas où les assurances se refuseraient à prendre en charge la couverture du risque, l’État se substituerait à l’assureur, ce qui se produit régulièrement. Enfin, sur les navires affrétés qui traversent les zones sensibles à la piraterie, sont embarqués des éléments de protection de la Marine nationale.

2.– Les désagréments de l’affrètement

L’affrètement de moyens de transports extérieur au ministère de la Défense n’est pas toujours aussi aisé que cela est parfois présenté à la représentation nationale. Lors des auditions que la mission a menées, deux exemples de désagréments majeurs ont été mis en évidence.

Les événements survenus récemment en Libye et en Côte d’Ivoire montrent que le Gouvernement peut décider d’une opération en quelques heures. Les modalités de mobilisation des moyens affrétés auxquels peuvent recourir les armées apparaissent peu compatibles avec les exigences d’un monde instable, où les interventions doivent être rapides.

Ainsi, lors des premiers jours de l’intervention en Libye, l’armée française a éprouvé quelques difficultés à évacuer par voie aérienne les ressortissants étrangers pris au piège des frappes et de la fermeture des frontières : Berlin ayant décidé de ne pas participer à la coalition, l’armée de l’air allemande a refusé de mettre ses appareils de transport à la disposition de ses alliés, alors même que les deux pays participent au dispositif d’échange d’heures de vol Atares (cf. supra).

Autre désagrément, survenu dans des circonstances moins dramatiques : l’armée de l’air néerlandaise, qui devait effectuer une rotation de troupes prépositionnées françaises entre Toulouse et Dakar en échange d’un service rendu antérieurement par l’armée de l’air, a dû se décommander au dernier moment, leur seul DC-10 disponible étant tombé en panne.

Par ailleurs, se pose la question de la concurrence capacitaire entre différents pays confrontés subitement à un même besoin. Malgré les propos rassurants parfois entendus sur les capacités du marché à absorber la demande, que se passe-t-il lorsqu’une coalition engagée sur un territoire extérieur dans le cadre d’un conflit majeur assèche le marché de l’affrètement aérien et naval ?

Ainsi que l’a rappelé le général Patrick Huguet, responsable du projet d’affrètement de navires rouliers à l’état-major des armées, « lors de la crise irakienne, quand les prix ont triplé en moins de quinze jours, il n’aurait pas été possible de se rendre dans la région : il n’y avait plus aucun roulier disponible » (22).

3.– Externaliser sans se priver des moyens patrimoniaux indispensables

En conclusion de ses travaux sur l’externalisation dans le domaine de l’affrètement, aérien et naval, la Cour des comptes se félicite de la création du Centre multimodal de transport, « mesure de rationalisation utile », et résume en les termes l’alternative à laquelle fait face le ministère de la Défense :

« – accroître la part des marchés de transport (…) quitte à réduire l’activité des moyens patrimoniaux, si ceux-ci ne sont pas indispensables et plus coûteux, après avoir défini un socle indispensable ;

« – ou, à l’inverse, donner une priorité budgétaire à l’acquisition de nouveaux moyens patrimoniaux, ou assimilés, qui permettraient de réduire les coûts de la fonction , que ce soit sous la forme d’une acquisition classique ou par le marché innovant du type PPP. »

Les Rapporteurs notent avec l’intérêt l’utilisation par la Cour des comptes des mots « moyens patrimoniaux ou assimilés » qui tendrait à indiquer que les magistrats différencient les contrats d’affrètement de court terme (de type Salis), considérés comme relevant de l’externalisation malgré le caractère global du service, des contrats de long terme qui relèvent, eux, du partenariat public-privé.

La Cour des comptes considère que, « dans la pratique, en l’absence de capacités patrimoniales suffisantes, l’externalisation d’une part croissante des transports stratégiques est plus subie que choisie », constat auquel souscrivent entièrement les Rapporteurs. Les magistrats regrettent que les marchés soient conclus « au coup par coup pour répondre à des besoins urgents et pallier des déficits capacitaires croissants ».

Les Rapporteurs partagent ce point de vue et insistent sur la nécessité pour les armées de conserver un « socle » minimal de capacités patrimoniales qui leur permettent de ne pas devenir dépendantes de partenaires privés qui pourraient s’avérer peu fiables lorsque les circonstances deviennent difficiles.

Proposition n° 7 – Sans renoncer aux contrats d’externalisation qui peuvent apporter de la souplesse lors de pics d’activité inhabituels, les armées doivent veiller à conserver des moyens de transport patrimoniaux en quantité suffisante pour permettre l’accomplissement des missions opérationnelles relevant de la souveraineté nationale.

III.– LA FONCTION RHL (RESTAURATION, HÔTELLERIE, LOISIRS) ET L’HABILLEMENT

Bien que ne mettant pas en jeu d’équipements spectaculaires, les fonctions de restauration, d’hôtellerie, de loisirs et d’habillement sont essentielles dans une armée moderne, dans la mesure où elles façonnent dans le quotidien de militaires qui, en opérations extérieures, sont en service 24 heures sur 24.

A.– LA FONCTION RESTAURATION, HÔTELLERIE, LOISIRS

Le 22 décembre 2010, le ministre de la Défense a donné un avis favorable au projet RHL-1 d’externalisation de la fonction restauration-hôtellerie-loisirs à titre expérimental sur huit sites : Bordeaux, Pau, Houilles, Saintes, Saint-Maixent, Grenoble, Lyon et Valence, pour un effectif total de 356 emplois (204 militaires et 152 civils). Sur ces 356 agents, 171 étaient éligibles aux dispositions du décret de mise à la disposition du 21 septembre 2010 : 55 d’entre eux ont fait jouer cette clause dont 17 civils et 38 militaires.

Depuis janvier 2011, une expérimentation de régie rationalisée est menée sur cinq sites (Coëtquidan, Écoles militaires de Bourges, Hyères, Rochefort et Châlon-sur-Saône) dans le but d’examiner une alternative à l’opération RHL-1. 298 agents sont concernés (112 civils et 186 militaires).

1.– Le rôle central de l’Économat des armées

L’Économat des armées (EdA), est un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) relevant du ministère de la Défense. L’EdA emploie environ un millier de personnes dont 150 agents, sous contrat à durée indéterminée qui servent au siège de Pantin. À cela s’ajoutent 800 personnes qui assurent, sur les théâtres d’opérations extérieures, le soutien de proximité des forces en opérations et font l’objet d’un recrutement local (650 personnes) ou sont envoyés en mission à partir de la France (150 personnes).

L’EdA assure deux missions principales. Il est d’abord une centrale d’achat spécialisée du ministère de la Défense qui alimente les 350 points de restauration des armées en métropole, hormis ceux de la Marine, qui dispose de ses propres plateformes et de stocks stratégiques à Brest et à Toulon. Sa seconde mission est le soutien des forces armées à l’étranger. Dans ce cadre, l’EdA assure, non seulement des prestations d’alimentation, mais également des prestations qui peuvent aller de la blanchisserie aux services de téléphonie, en passant notamment par la gestion des déchets.

Le chiffre d’affaires de l’EdA est de l’ordre de 260 millions d’euros, dont 110 millions réalisés par le soutien des bases métropolitaines et 90 millions au titre de l’activité de soutien aux Opex.

En 2002, l’externalisation représentait 30 % du chiffre d’affaires de l’EdA. Aujourd’hui, elle représente 80 % de son budget. En 2010, en concurrence avec les plus grandes multinationales, l’EdA a remporté le marché des rations de combat de l’ONU et fournit dorénavant toutes les rations des « casques bleus », où qu’ils se trouvent sur terre.

2.– Le processus expérimental d’externalisation de la restauration

L’un des leviers de gain identifiés par la RGPP était l’externalisation, et c’est celui qui a été privilégié pour la fonction restauration. Il a été décidé de séquencer cette externalisation en plusieurs vagues, la première s’appelant RHL-1 (restauration, hôtellerie, loisir, première étape). En effet, même si les armées avaient déjà externalisé de la restauration, il semblait important de prévoir une première phase limitée (11 restaurants, 2 millions de repas) avant de généraliser.

RHL-1 a servi de « poisson pilote » pour la réflexion du ministère en matière d’externalisation. Il a fallu construire tous les outils nécessaires au fur et à mesure. La mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé (MAPPP) a été la garante de la méthodologie, mise en œuvre alors pour la première fois.

Ainsi, le prix moyen du repas retenu était de 7,65 euros TTC. Ensuite est arrivée une nouvelle évaluation préalable conduite en fonction de la réponse du marché – en l’occurrence, le prix du repas pour les trois opérateurs sélectionnés était plus bas, autour de 7,08 euros TTC. Quant à la comparaison des coûts entre régie et externalisation, c’est la MAPPP qui a mis en place la méthodologie pour l’établir, l’Économat des armées ayant transmis les éléments nécessaires à l’établissement des états comparatifs.

3.– L’externalisation de la restauration en Afghanistan

L’Économat des armées conduit trois types d’externalisation : le projet « Vivres métropole », qui vise à l’externalisation de l’achat de vivres et de la logistique, au profit notamment des petites et moyennes entreprises ; CAPES France, projet d’externalisation des capacités additionnelles de soutien aux forces armées ; le projet d’externalisation de la fonction « Restauration-Hôtellerie-Loisirs » (RHL).

L’EdA s’est vu confier la maîtrise d’œuvre de l’expérimentation CAPES France, visant à l’externalisation du soutien des forces armées, qui était jusque-là assuré par des militaires. Cette initiative concerne trois théâtres (Tchad, Kosovo et Afghanistan) et emprunte deux modes d’action : faire ou faire faire.

Alors que l’EdA assurait déjà l’intégralité du soutien au camp Warehouse, à Kaboul, il a été décidé, à la fin du mois de juin 2009, de lui confier la restauration du camp de Tora. Le soutien devait être totalement externalisé afin que les 800 militaires du camp puissent se consacrer à leur mission opérationnelle. L’objectif était de construire un restaurant destiné à alimenter 900 personnes sur un terrain de quelques milliers de mètres carrés, dans des délais contraints puisque la force devait être entièrement déployée en décembre 2009.

N’ayant pas les moyens suffisants pour effectuer la mission, l’EdA a confié l’intégralité du marché à une entreprise prestataire soumise à une obligation de résultat et rémunérée sur le prix du repas. L’appel d’offres était remporté le 8 août par l’entreprise et, le 15 décembre 2009, le restaurant était construit, prêt à accueillir les soldats.

Confier ainsi le marché à un prestataire unique chargé de l’intégralité de son exécution permet une grande souplesse d’intervention, mais seuls des groupes de dimension internationale sont à même d’exécuter de tels marchés. Ce marché était d’un type très particulier, puisqu’il s’agissait d’assurer, non seulement la construction du bâtiment, mais aussi la sécurisation des approvisionnements jusqu’à Tora, avec tous les risques que cela présente. La rémunération du prestataire inclut donc, en plus du coût de la denrée, celui de son transport et de son acheminement, celui de la construction du bâtiment, ainsi que les charges de personnel. Le prix des offres variait de 6 à 14 millions d’euros, l’estimation du prix du risque étant très différente selon les prestataires.

B.– UN BILAN NUANCÉ

1.– Pourquoi la restauration externalisée est meilleur marché

À la question posée au président-fondateur de la société de restauration collective Ansamble, M. René Lancien, de savoir pourquoi une entreprise privée parvient à faire aussi bien et même mieux qu’un service en régie, la réponse met en évidence une question d’organisation : « C’est un secteur où les marges sont faibles, même pour les plus gros opérateurs mondiaux, qui gagnent de l'argent surtout dans d'autres domaines comme les tickets restaurants. Nous sommes contents quand notre marge atteint 2 %, mais notre professionnalisme dans la structure des menus et l'organisation du travail nous permet d’obtenir des résultats alors que, faute d’avoir créé une filiale chargée de la restauration, l'armée n'avait pas mutualisé les compétences et n’avait pas investi dans les nouveaux matériels et les nouveaux modes de production. Nous gérons aussi la matière première de façon très serrée, tout en achetant, depuis fort longtemps, au niveau local ».

2.– Un contrôle strict

Deux représentants des armées assurent pour le compte de l’Économat, un suivi quotidien de la prestation, en vérifiant la conformité au cahier des charges de 350 points qui portent aussi bien sur l’hygiène et la sécurité alimentaires, que sur la qualité de la matière première, les grammages et les prix des plats et sur l’organisation du personnel. Tout ceci est informatisé et indique un taux de service mensuel suivi par un plan d’action si le taux de service n’est pas à hauteur des 80 % attendu.

Les représentants de l’Économat des armées et les responsables d’entreprises de restauration collective définissent les grandes orientations au sein d’un comité stratégique, mais le suivi est ensuite assuré en région, à partir de contrôles quotidiens, hebdomadaires, trimestriels, semestriels et annuels.

3.– Un bilan en demi-teinte selon la Cour des comptes

En principe, les externalisations ont pour but de permettre au ministère de la Défense de réaliser des économies dans un contexte budgétaire contraint. Or, selon les évaluations de la Cour des comptes, CAPES au Kosovo a représenté en 2008 un coût annuel par homme de 11 117 euros, contre 10 432 en 2004, soit une hausse de 6 %. Au Tchad, CAPES a représenté en 2008 un coût de 20 121 euros par homme et par an, alors qu’en 2004, le coût du soutien, dans le périmètre CAPES, était de 11 100 euros par homme et par an, soit une augmentation de 80 %, ou de 67,1 % en euros constants.

Selon le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif de l’Économat des armées, « Il est en revanche un point incontestable et qui figure dans le rapport de l’état-major des armées : le dispositif a permis de dégager 260 équivalents temps pleins nets (ETP), sur les théâtres d’opération ». L’effet d’économie est donc localisé dans les effectifs de la Défense.

C.– LA FONCTION HABILLEMENT

1.– La création récente du commissariat des armées

Organisme de création récente, le commissariat des armées est le fruit du mariage, au 1er janvier 2010, des commissariats des trois armées, Terre, Marine et Air. Pour autant, il n’en est pas la fusion dans la mesure où il n’a pas récupéré l’ensemble de leurs attributions. Ainsi, la gestion de la solde est demeurée dans les directions des ressources humaines de chacune des trois armées.

C’est un service d’achat qui passe l’ensemble des marchés du segment « achats courants » – pour la vie collective du combattant et de la communauté. C’est un service chargé du contrôle interne comptable, pour l’ensemble de l’agrégat soutien. C’est toujours un service juridique. Et c’est enfin le service de soutien du combattant.

Les commissariats historiques regroupaient environ 11 500 personnes, dont 6 500 seulement ont été transférées au commissariat des armées. En 2014, il n’en comptera plus que 4 000. Parallèlement, le nombre des établissements de ce service, qui était à l’origine de 90, passera en 2014 à 30 et celui des systèmes d’informations dévolus au soutien de l’homme, de 90 à une quinzaine.

2.– D’importants gains de postes liés à la rationalisation de l’habillement

En matière d’habillement, le commissariat aux armées a décidé de travailler dans deux directions : la rationalisation et l’externalisation. La double création du commissariat aux armées et des bases de défense, a permis – ou permettra, à terme – de rationaliser les effectifs. Le nombre d’emplois concernés par la fonction habillement devrait être ramené de 1 615 à 1 000, ce qui suppose la fermeture d’un certain nombre d’établissements des anciens commissariats 
- Nancy, Rennes, Rillieux-la-Pape, Bergerac et Évreux – et la restructuration de Brétigny et Marseille.

Suivant la même logique, centraliser dans les bases de défense ce qui se passait dans les formations – corps de troupes, bases aériennes, ports – entraîne mécaniquement des économies. Cette rationalisation, déjà engagée, n’est pas exclusive d’une externalisation en cours de lancement.

L’objectif serait de parvenir à des gains annuels de 22 %. L’armée allemande, qui a externalisé cette fonction dans le cadre d’un partenariat public-privé a réussi à abaisser les coûts d’achat de 19 % et à réduire les stocks de 59 %.

3.– L’externalisation dans le prolongement de la rationalisation

Le commissariat aux armées considère qu’un externalisation portant sur l’ensemble du dispositif générerait un gain supplémentaire d’environ 400 emplois. Il envisage de modifier, d’ici à 2017 le statut des 400 emplois privés des ateliers des maîtres ouvriers : maîtres tailleurs, maîtres bottiers, etc. Il conviendra à cette occasion prendre en compte la spécificité de la Marine, qui dispose d’ateliers très importants, notamment à Toulon : on ne s’y cantonne pas, comme ailleurs, à des opérations légères mais on y assure certaines opérations de fabrication.

Sur le plan opérationnel, le commissariat conservera en régie tous les effets dits « critiques » : gilets pare-balles, tenues de vol, tenues de protection contre les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques), etc. Tous ces effets demeureront réalisés, stockés et gérés en régie. Il conservera aussi l’ensemble des attributions relatives à la « recherche et développement », soit la constitution et la fabrication des notices techniques, qui restera sous la responsabilité du commissariat et des états-majors, de manière qu’il n’y ait aucune dérive par rapport aux besoins. Enfin, le commissariat conservera le pilotage de l’ensemble de la fonction au profit de l’EMA.

Le commissariat aux armées considère aujourd’hui que l’externalisation de la totalité de la fonction habillement, qui représente environ 350 millions d’euros, permettrait de réaliser une économie d’environ 20 %, soit davantage qu’avec la rationalisation qui ne génère qu’environ 13 % de gains.

Sur le plan social, le dispositif de mise à disposition prévu par le décret du 21 septembre 2010 sera proposé au plus grand nombre, pour ce qui concerne les activités transférées au secteur privé. Pour les personnels employés dans des organismes voués à la fermeture, le commissariat mettra en œuvre un plan d’accompagnement aux restructurations (PAR) assorti d’indemnités de départ volontaire et fera appel à la mobilité de ses agents.

Enfin, il appartiendra au commissariat de ne pas permettre la formation de position dominante parmi la vingtaine de PME françaises travaillant dans le monde de l’habillement. Pour éviter ce phénomène, la transférabilité est essentielle d’autant qu’aux dires du commissaire-général Jean-Marc Coffin « la réversibilité semble très peu probable : il serait très compliqué, au terme du marché, de reprendre en régie la fonction habillement... ».

L’IMPORTANCE DE LA FONCTION HABILLEMENT

La fonction habillement représente 170 millions d’euros de dépenses par an et est gérée par 1 615 agents (701 militaires et 914 civils). La valeur du stock d’effet d’habillements est aujourd’hui estimée à près d’un milliard d’euros.

D.– LA GESTION DES STOCKS

1.– Les contraintes spécifiques de la fonction habillement

Fabriquer en régie un certain nombre des moyens susceptibles d’être mobilisés sur le théâtre des opérations garantit qu’une attention particulière sera portée aux besoins des soldats. Ne peut-on pas craindre que l’introduction d’une logique privée ne pose des problèmes concrets sur les théâtres d’opération ?

À cette question, le commissaire-général Jean-Marc Coffin reconnaît qu’il s’agit d’un enjeu crucial : « La question centrale est en effet de satisfaire très vite et très bien l’expression du besoin des armées. En Afghanistan, il a fallu faire des efforts considérables dans un laps de temps très court. (…) Pour autant, nous sommes confiants : aujourd’hui, quand le chef d’état-major de l’armée de terre me demande de modifier tel ou tel élément de la tenue de combat, je dois d’abord définir cette notice technique, ensuite passer un marché public, enfin injecter les nouveaux effets après avoir consommé mes stocks de sécurité. Il peut ainsi s’écouler pas mal de temps entre le moment où le besoin est exprimé sur le terrain et la réalisation physique de ce besoin. Dans la mesure où les taux de couverture des stocks du marché ne seront pas aussi importants que les nôtres, nous espérons pouvoir réduire ce délai ».

Le commissariat aux armées gardera des taux de couverture significatifs sur les matériels dits critiques. En revanche, pour les autres besoins, il acceptera un partage des risques et des taux de couverture de stocks plus faibles, ce qui devrait se traduire par de moindres délais de réaction.

2.– Ajuster les stocks aux besoins opérationnels

Jusqu’à présent, tous les effets sont stockés dans les différents entrepôts répartis sur le territoire national. L’externalisation de la fonction habillement, dans la mesure où elle va conduire à une nette réduction des stocks, permettra-t-elle de satisfaire le besoin opérationnel qui peut encore, du moins théoriquement, aller jusqu’à la mobilisation ?

Dans les exigences du programme fonctionnel figure l’obligation, pour les entreprises, d’entretenir un stock, précisément pour répondre aux besoins de réactivité qu’impose un engagement opérationnel. Mais ce stock ne sera pas dimensionné comme il l’est actuellement. Le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien (23), précise : « Nous sommes en train d’apurer les stocks des effets ou articles obsolètes, en fixant avec les armées des horizons logistiques qui nous permettent de faire évoluer rapidement les matériels ». En effet, un équipement évolue tous les cinq ans. Il convient donc de déterminer des objectifs de stockage qui ne soient ni sous-dimensionnées, ni sur-dimensionnés.

Le commissariat aux armées devra être en mesure de remonter en puissance en faisant appel au marché, dans le cadre du préavis qui sera fixé par le caractère de l’engagement opérationnel. De la même manière, le commissariat aura à déterminer les conditions de quantité, de qualité et de délai. Mais il n’envisage plus de stocker de réserves dites de « mobilisation ». Pour le quotidien, la plupart des réservistes sont équipés et gardent leur paquetage chez eux. Lorsqu’ils viennent renforcer un dispositif de personnel d’active, ils ne posent aucun problème d’équipement.

3.– Aucun risque ne sera pris pour les effets critiques

Une grande partie de l’économie engendrée par l’externalisation semble donc résulter de la capacité du commissariat à maîtriser financièrement le dispositif des marchés. Dans ces conditions, le volume et les conditions de gestion du stock auront leur importance. Or les armées sont appelées à intervenir dans des délais très courts sur des théâtres d’opérations multiples, sur lesquels elles n’avaient pas nécessairement prévu de se rendre. La volonté d’une bonne maîtrise économique du marché d’externalisation n’est-elle pas de nature à poser des problèmes opérationnels ? Comment définir le niveau de stock qui permettra d’éviter de tels problèmes ?

Le commissariat des armées a décidé de ne prendre aucun risque opérationnel sur les effets très critiques, comme les gilets pare-balles ou les combinaisons des pilotes de chasse. Ces équipements seront conservés en régie et le taux de couverture actuel sera quasiment maintenu. Sur les effets un peu moins critiques, le commissariat réduira le taux de couverture, qui restera néanmoins substantiel – par exemple dix-huit mois. Il imposera ce taux de couverture au marché, de manière à pouvoir faire face à une remontée en puissance.

Seuls les effets dits « absolument non critiques » pourront faire l’objet de réductions de stockage importantes. Il s’agit par exemple des tenues de sortie dont le renouvellement peut être retardé d’un ou deux mois sans mettre en danger le contrat opérationnel.

L’ADAPTATION DU PAQUETAGE AUX CONDITIONS DE L’AFGHANISTAN

La presse avait naguère rendu compte, notamment lors des opérations en Afghanistan, de l’achat par les soldats de matériels dont ils avaient besoin. Pourtant, les premiers retours d’expérience avaient souligné la nécessité de moderniser le paquetage et de le hisser au standard des armées de l’Otan.

Le premier effort a porté sur la balistique et la protection de l’individu. Au début de l’année 2007, le chef d’état-major de l’armée de terre a demandé d’élaborer une nouvelle politique d’habillement et de moderniser l’ensemble des équipements du combattant. En 2008, environ 9 millions d’euros ont été consacrés à la réalisation de nouveaux équipements : gilets pare-balles, protection balistique, protection des oreilles, protection des yeux, nouveaux treillis. Un nouveau treillis a ainsi été réalisé en neuf mois. En 2009, 11 millions d’euros ont été consacrés à l’acquisition de ces nouveaux équipements, puis 6,5 millions en 2010.

IV.– LES SATELLITES DE TÉLÉCOMMUNICATIONS

Dans le cadre des travaux de préparation du Livre blanc, et au regard de l’expérience britannique, le ministère de la Défense a examiné un scénario de cession d’usufruit des satellites de télécommunications militaires avec le double objectif d’obtenir des recettes extrabudgétaires aussi rapidement que possible et d’externaliser cette fonction, dans la mesure où il lui paraît désormais souhaitable de passer d’une logique patrimoniale à une logique d’acquisition de services. Ce projet a été baptisé « Nectar ».

La gestion des satellites de télécommunications militaires est un sujet sensible : sans ces satellites, il n’est aujourd’hui plus possible de projeter des forces de manière autonome pour participer à une opération extérieure ou à l’évacuation de ressortissants.

A.– LE MÉCANISME DE LA CESSION D’USUFRUIT

1.– La location d’un service global de télécommunications

L’objectif de l’opération Nectar consiste à céder à titre onéreux à un opérateur privé l’usufruit des satellites de télécommunications militaires. En échange, l’opérateur privé s’engagera à gérer, moyennant un loyer qui lui sera versé, les communications satellitaires du ministère de la Défense, client privilégié. Mais les capacités non utilisées par les armées pourront être proposées à d’autres clients, essentiellement des armées alliées ou amies, mutualisant les moyens et augmentant les sources de revenus possibles.

En revanche, en cas de pertes de capacités des satellites, c’est à l’opérateur qu’incomberait la charge de trouver des solutions de rechange : le ministère de la Défense louerait ainsi un service global de télécommunications. Cette réforme repose sur le pari qu’il y a un intérêt économique à agir de la sorte et une valeur ajoutée pour le ministère de la Défense en termes de services et de recettes budgétaires. Les partenariats de ce type se développent en Europe ainsi que dans d’autres pays, à l’exception des États-Unis où les budgets militaires sont tels qu’il n’est pas nécessaire de recourir à de tels dispositifs.

Enfin, l’externalisation des télécommunications apparaît à l’usage comme un outil de rationalisation : Astrium, qui a déjà l’expérience de la gestion des télécommunications de l’armée britannique, fait remarquer que lorsque les militaires anglais ont commencé à recevoir une facturation liée au flux réel des télécommunications échangées, ces dernières ont été rationalisées et les capacités libérées au profit des tiers s’en sont trouvées significativement augmentées.

2.– Le principe d’une vente des satellites a été écarté

Se sont posées d’emblée des questions juridiques précises concernant l’aliénation d’un bien appartenant au domaine public de l’État. C’est la cession de l’usufruit qui a été retenue et rendue possible par une disposition législative insérée à cette fin dans la loi de finances pour 2010.

Sur le plan pratique, cette solution juridique ne changera rien pour l’industriel retenu qui aura, à défaut de la propriété, la pleine jouissance des satellites, dans des limites définies contractuellement.

Le 5 novembre 2010, un appel d’offres a été adressé par la DGA aux entreprises qui avaient répondu à un appel à candidature. Les réponses ont été reçues en mars 2011, ce qui a permis d’engager un dialogue compétitif. Le processus devrait se terminer à la fin de l’année 2011 avec la désignation de l’attributaire du marché, soit un an plus tard que prévu initialement puisque les recettes tirées de cette externalisation avaient été inscrites dans le budget 2010 (24).

3.– Suppressions d’emplois et pertes de compétences

Sur le plan humain, l’externalisation des fonctions de télécommunications militaires par satellites se traduira par la disparition d’une trentaine de postes militaires localisés au centre de mise en œuvre de Maisons-Laffitte. Ces suppressions de personnels feront suite aux réductions d’effectifs déjà enregistrées sur ses sites de Favières (Eure-et-Loir) et de Bram (Aude) dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.

Le ministère reconnaît que cette cession d’usufruit induira une perte de compétence au profit des opérateurs privés. Ainsi, la compétence « maître de satellite », détenue par des militaires possédant un savoir-faire très spécialisé pour diriger la charge utile, s’éteindra en 2012. Les formations en la matière viennent de prendre fin. La question de la réversibilité se pose, car il faudrait de nombreuses années pour retrouver cette compétence. Il s’agira d’un métier supplémentaire pour lequel les armées semblent accepter de perdre la compétence au profit d’acteurs privés.

La Mission attire l’attention du Gouvernement sur les dangers induits par une perte de compétence dans un domaine aussi technique et essentiel pour le caractère opérationnel des armées. À la lumière des expériences étrangères, notamment britannique, ils constatent qu’une compétence perdue l’est généralement de manière irréversible.

B.– LES DEUX CANDIDATS DOIVENT ÊTRE DÉPARTAGÉS EN 2011

Deux entreprises ont répondu à l’appel d’offres : Thales Alenia Space (TAS) et EADS, par l’intermédiaire de sa filiale Astrium. Il s’agit de deux entreprises d’origine française et encore en grande partie nationales, même si, par le jeu des alliances industrielles, elles se sont fortement internationalisées.

1.– Thales présente l’avantage d’avoir construit les satellites

S’agissant de l’espace, l’ensemble des activités de Thales sont organisées au sein de plusieurs sociétés conjointes, dont l’association forme l’Alliance spatiale entre le groupe italien Finmeccanica et Thales. Cette alliance est née, en 2005, du rapprochement des activités d’Alcatel et de Finmeccanica, l’un venant des télécommunications et l’autre du militaire.

Thales Alenia Space est donc à juste titre considéré comme un champion en matière de fabrication de satellites de télécommunications militaires. C’est cet opérateur qui a réalisé les satellites Syracuse, sous le nom, auparavant, d’Alcatel. Il dispose de capacités de fabrication importantes en matière de télécommunications militaires. Ses usines sont pour la plus grande partie en France, à Toulouse et à Cannes.

Thales Alenia Space est fortement implantée dans les télécommunications militaires nationales françaises depuis des années. La partie réseaux assure une part du plan de charge de l’usine de Cholet.

2.– EADS a l’avantage de l’expérience accumulée au Royaume-Uni

EADS a également répondu à l’appel d’offres par l’intermédiaire de sa filiale Astrium, première entreprise spatiale européenne, avec un chiffre d’affaires de 4,8 milliards d’euros et 16 000 salariés en Europe dont la moitié en France. Astrium est le maître d’œuvre des missiles balistiques et de la totalité des programmes de satellites d’observation ou d’écoute, mais pas de ceux de télécommunications. Ses usines sont également en France, à Toulouse et Vélizy pour la partie satellites et au Mureaux pour les missiles.

Également présent dans quatre autres pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Pays-Bas), EADS se positionne plus en prestataire de services et met en avant ses contrats – notamment en France – dans des conventions de location de capacités sur des satellites d’Eutelsat et Intelsat. Mais l’atout principal d’EADS est de gérer, dans le cadre du projet Paradigm, la flotte de sept satellites de télécommunications militaires britanniques, pays précurseur en matière de partenariat public-privé dans le domaine militaire. C’est également Astrium qui fournit à l’Allemagne ses capacités de télécommunications militaires.

Compte tenu du fait que l’un des candidats, Thales, a construit les satellites et connaît parfaitement leur état de fonctionnement, la DGA s’est engagée à transmettre au second candidat, Astrium, les éléments techniques lui permettant de disposer d’une connaissance équitable du dossier.

C.– LES LIMITES DE L’EXERCICE

1.– La garantie de disposer des capacités suffisantes

L’état-major des armées a considéré qu’en conservant 90 % de la capacité des satellites de télécommunications Syracuse, il pouvait satisfaire ses besoins en cas de crise. Il est donc disposé à laisser à l’opérateur la libre utilisation de 10 % de la capacité, sans exiger de droit de préemption. S’il apparaissait de manière ponctuelle un besoin supérieur aux 90 % préservés, l’état-major des armées dispose de trois possibilités :

– reconfigurer l’architecture d’utilisation des satellites pour dégager une capacité supplémentaire ;

– recourir aux capacités inutilisées du satellite franco-italien Sicral 2 ou des satellites de la Défense britannique gérés par la firme Paradigm ;

– faire appel au marché pour louer auprès d’une société civile des capacités supplémentaires pour ses besoins les moins sensibles.

Les moyens dont les armées disposent en propre ne permettent pas toujours de répondre à toutes les demandes opérationnelles, notamment lorsqu’une zone géographique est mal couverte par les satellites en orbite. Dans ce cas, le ministère utilise les conventions passées auprès d’opérateurs civils pour satisfaire les besoins opérationnels immédiats. Même si les forces agissant en opérations extérieures se retrouvent en concurrence – aux moments les plus critiques – avec de grands consommateurs civils de télécommunications (les grands réseaux américains de télévision notamment), « c’est toute une ressource mondiale qui peut être mobilisée ».

2.– Les capacités mises sur le marché sont faibles

Le volume des capacités de communications proposées à des tiers paraît particulièrement faible : 10 % seulement. Compte tenu du vieillissement des satellites, le risque de voir les répéteurs embarqués sur chaque satellite tomber en panne les uns après les autres est réel, ce qui réduira fatalement, dans les années à venir, les capacités mises à disposition des tiers.

Or, c’est la mutualisation de cette capacité résiduelle qui doit permettre de dégager un intérêt économique : en faisant payer des tiers, l’opérateur civil qui gère le satellite peut consentir des rabais à son principal client : l’état-major des armées. Mais avec la mutualisation d’un maximum de 10 % des capacités, les bénéfices escomptés seront probablement faibles. C’est la raison pour laquelle a été défini un mécanisme permettant, dans l’hypothèse où la totalité des 90 % ne serait pas utilisée, d’en mettre une partie à disposition de l’opérateur, afin de la commercialiser, une partie des gains revenant à la DGA. Un tel mécanisme semble assez sain, les deux parties ayant un intérêt conjoint à libérer de la capacité. Malgré cet élément, comme le montant du loyer qui sera payé par la Défense pour ses communications n’est pas encore connu, la DGA reconnaît ne pas s’attendre à réaliser des marges considérables avec l’opération Nectar.

Notons que s’agissant d’un domaine réservé et non d’un marché commercial, les tiers ne pourront être « que les ministères de la Défense de pays amis » comme le précisent les représentants de Thales (25), ce qui réduit le nombre de candidats possibles.

3.– Tout retard réduit l’intérêt de l’aliénation

Le projet de cession de l’usufruit des satellites de télécommunications a commencé à être évoqué à la mi-2008. Mais le calendrier a pris beaucoup de retard. La nécessité de définir un environnement juridique parfaitement clarifié pour une opération peu habituelle a conduit la DGA à s’entourer de toutes les garanties possibles, ce qui a ralenti le processus d’aliénation. La demande de délais supplémentaires formulée par les industriels a également contribué à engendrer de nouveaux délais. Pour autant, comme le confirme M. Jean-François Pernotte, directeur du développement et de la stratégie de Thales, « si les contrats n’étaient pas mis en œuvre à la mi-2012 » un réexamen du sujet serait nécessaire, « compte tenu de la durée de fonctionnement des équipements ».

La durée de fonctionnement résiduelle des deux satellites Syracuse en orbite étant limitée, tout retard entraîne mécaniquement une réduction du prix d’acquisition qui sera proposé par les opérateurs intéressés. Les satellites Syracuse ont une durée de vie contractuelle de douze ans à partir de la recette en orbite soit, pour Syracuse 3A, jusqu’au 5 décembre 2017 et, pour le Syracuse 3B, jusqu’au 14 octobre 2018.

Les responsables de Thales, le constructeur, indiquent que les mesures effectuées au long de leur exploitation ont été jusqu’à présent « parfaitement satisfaisantes ». Et d’ajouter « On ne constate ni usure prématurée ni problèmes annexes qui remettraient en cause leur durée de vie utile. En outre, les sécurités et les provisions lors de leur conception devraient leur permettre de vivre plus longtemps que la durée contractuelle ».

Aux termes de l’appel d’offres, la durée envisagée pour la cession d’usufruit est de huit ans. C’est pourquoi la mise en œuvre, qui aurait gagné à être plus rapide, risque désormais d’intervenir trop tard.

Proposition n° 8 – Compte tenu du risque réel d’une rentabilité négative, de la lenteur du processus et de la tardivité de la signature du contrat, la Mission demande au ministre de la Défense de renoncer à la cession de l’usufruit des satellites de télécommunications qui s’apparente davantage à une opération de trésorerie qu’à un réel partenariat public-privé.

V.– LE RAVITAILLEMENT EN VOL

Si l’externalisation des fonctions périphériques du ministère de la Défense est assez largement admise dans un contexte de fortes réductions des effectifs, qu’en serait-il d’un projet visant à confier à une société privée le ravitaillement en vol de nos appareils de combats ? L’expérience britannique évitera peut-être à nos forces d’externaliser une fonction fondamentalement militaire qui met en jeu le caractère opérationnel des forces et, en particulier, de la composante aéroportée de la dissuasion nucléaire.

A.- LA MALHEUREUSE EXPÉRIENCE BRITANNIQUE

Pionnier dans le domaine des externalisations, le Royaume-Uni a surpris les observateurs, au début des années 2000, en dévoilant son projet d’externalisation du ravitaillement en vol et en évoquant des économies estimées à 40 %. Dix ans plus tard, les déboires accumulés incitent à la prudence les pays qui seraient tentés de suivre cette piste.

1.– Une stratégie innovante

La Royal Air Force (RAF) a lancé, en 2005 un appel d’offres qui a abouti à la conclusion, en 2008, d’un contrat d'une valeur de 12 milliards de livres sterling (près de 14 milliards d’euros) avec AirTanker, un consortium privé créé pour l’occasion. Ce contrat, d’une durée de 27 années, organise l’externalisation de la capacité opérationnelle de ravitaillement aérien et de transport aérien. AirTanker doit fournir entre 2011 et 2016 une flotte de 14 Airbus A330 en version ravitailleurs et transporteurs (passager ou fret). La société devra les entretenir, les réparer et former les équipages.

Confier au secteur privé une fonction opérationnelle par excellence est une décision audacieuse, dans la mesure où le rayon d'action des avions de combat britanniques dépend désormais en grande partie d’une entreprise privée civile. C’est évidemment pour des raisons de coût que les forces aériennes britanniques se sont orientées vers le secteur privé. Non pas que le privé soit irrévocablement moins cher que le secteur public, mais parce que le partenariat avec une entreprise privée est censé permettre de mieux rentabiliser des appareils lorsqu’ils ne remplissent pas de mission opérationnelle ou d’entraînement. Mais le contrat stipule que la RAF est prioritaire sur l'utilisation des appareils, quelles que soient les circonstances.

En effet, seule une partie de ces appareils, environ un tiers, est nécessaire en temps ordinaire, lorsque le pays n'est pas impliqué dans une opération extérieure. Un deuxième tiers peut être utilisé ponctuellement, en cas de surchauffe, le troisième tiers s’avérant nécessaire uniquement dans le cas de conflit de haute intensité auquel toute armée doit se préparer.

2.– Une rentabilité supposée meilleure

Il était prévu à l’origine qu’une partie de la flotte de ravitailleurs fasse l’objet de location à des compagnies aériennes de transport à la demande, de manière à assurer des revenus, améliorant la rentabilité de l’opération. En effet, les avions ravitailleurs stockent le kérosène qu’ils transportent dans leurs réservoirs d'ailes et l’intérieur de la cabine peut être utilisé pour transporter des passagers ou du fret, comme n’importe quel avion de ligne, ce qui en fait probablement un des rares appareils militaires opérationnels également utilisable par les civils, avec un minimum de transformations.

À première vue, le mécanisme mis au point devait présenter beaucoup d'avantages : des coûts plus faibles, des avions disponibles très rapidement et qui au lieu de stationner au fond d'un hangar en temps de paix, génèrent des recettes. Leur utilisation comme appareils de transport de passagers garantit un bon entretien et un maintien en condition opérationnelle élevé.

Mais avant même que les premiers appareils ne soient livrés, de vives critiques se sont élevées à l’encontre de cette décision. La Chambre des communes et le NAO (National Audit Office) ont critiqué, comme le rappelle la Cour des comptes, « la préférence donnée a priori à une externalisation par la méthode du PFI (private finance initiative), qui a conduit à la négociation difficile d’un contrat coûteux, dont la réalisation s’est avérée, dès les premières années d’exécution, problématique conduisant le ministère de la Défense à prolonger l’utilisation des vieux Tristar et à les adapter pour des opérations de ravitaillement, en Afghanistan, pour lesquelles ils n’étaient pas équipés (protection anti-missiles). Le ministère doit d’autre part souvent, faute d’avions disponibles, assurer le transport de troupes par avions affrétés. Ces dépenses imprévues représenteraient un surcoût annuel de plus de 200 millions de Livres (soit environ 230 millions d’euros) ». Malheureusement, d’autres aléas sont venus remettre en cause les prévisions sur lesquelles était bâti le contrat.

3.– Une accumulation d’aléas plus ou moins prévisibles

L’encre du contrat signé pour une durée de 27 ans était à peine sèche que, pour des raisons strictement budgétaires, l’armée britannique était tenue de réduire son parc d’aéronefs de manière drastique : près d’un tiers des appareils de combat ont été retirés du service. Les Harrier à décollage et atterrissage verticaux ont été retirés par anticipation, les derniers Tornado subiront bientôt le même sort. Enfin, la quantité d’Eurofighter à acquérir a été revue à la baisse.

Le nombre d’avions de combat ayant été fortement réduit, il en résulte que les forces britanniques n’ont plus besoin de disposer des mêmes capacités de ravitaillement en vol. Or, le contrat est strict : il prévoit une somme minimale que le ministère de la Défense doit verser à la société attributaire du marché, quel que soit le nombre de ravitaillements effectués. Une renégociation longue et difficile s’ouvre donc pour ce contrat pourtant récent.

Un problème d’ordre matériel est ensuite venu s’ajouter à cette question capacitaire : comme tous les aéronefs sophistiqués, les avions ravitailleurs ont ou auront besoin de faire l’objet, de temps à autre, de modifications qui, pour être le plus souvent modestes, n’en sont pas moins rendues nécessaires par l’évolution des techniques. Sur des appareils dont l’armée est propriétaire, de telles modifications sont courantes et faciles à réaliser. Or, les nouveaux ravitailleurs n’appartiennent plus à la RAF qui ne fait qu’acheter un service. Il semblerait que la réalisation de modifications sur des avions ne lui appartenant pas ne soit pas simple à réaliser par la RAF.

Le dernier aléa survenu est le plus grave, dans la mesure où il remet en cause l’économie même du contrat : le matériel de ravitaillement en vol, fourni par des constructeurs américains, est considéré comme sensible par le Pentagone qui l’a placé sous le régime ITAR (International Traffic in Arms Regulations), ce qui ne permet pas de louer ces avions à des compagnies privées pour les rentabiliser lorsque les militaires n’en n’ont pas l’usage. À lui seul, cet aléa, auquel on peut s’étonner que les co-contractants n’aient pas pensé avant de s’engager, réduit à néant l’intérêt économique du projet en supprimant toute source annexe de revenus.

L’analyse de la composition des équipages révèle aussi quelques surprises : le contrat signé par l’armée de l’air britannique prévoit la fourniture par le prestataire privé d’un service global de ravitaillement : les équipages des ravitailleurs sont donc composés de salariés civils de la société attributaire du marché. Tout au moins, tant que les missions ne présentent pas de danger opérationnel. En effet, le contrat prévoit que pour les missions susceptibles de comporter un danger de nature militaire, notamment en Opex, des équipages militaires remplacent les civils à bord des appareils. Ce que certains peuvent qualifier de souplesse – la possibilité de substituer des équipages militaires à des équipages civils – constitue en réalité une lourdeur qui oblige la Royal Air Force à conserver et à entraîner des équipages opérationnels supposés ne pas voler en temps de paix.

B.– LA SITUATION DE LA FRANCE

1.– Une flotte à renouveler d’urgence

L’armée de l’air française, qui suit avec grand intérêt la situation du Royaume-Uni, met en œuvre 14 ravitailleurs en vol : 11 C 135 et 3 KC 135, un modèle dérivé du précédent. Le C 135 a été mis au point par Boeing au cours des années 1950 sur la base du Boeing 707 civil.

Douze C 135 ont été commandés en août 1962 et livrés entre février et octobre 1964. L’un d’entre eux s’est abîmé en mer en 1972 en Polynésie : les onze appareils de ce premier lot encore en service célèbrent cette année leurs 47 ans de vol, ce qui doit constituer une sorte de record dans le monde aéronautique et souligne le savoir-faire des techniciens chargés de leur entretien. Trois autres appareils aux caractéristiques très proches, des KC 135, ont rejoint l’armée de l’air quelques années plus tard.

Après presque un demi siècle de service, ces appareils, qui sont utilisés de façon quotidienne pour les opérations sur la Libye, connaissent des difficultés techniques liées à leur âge. Bien qu’ayant été régulièrement modernisés, leur maintien en condition opérationnelle est de plus en plus onéreux. Il a été dit aux Rapporteurs que trois de ces appareils seraient interdits de vol hors du territoire national, ce qui réduit d’autant les capacités de l’armée de l’air en Opex.

La sécurité de nos équipages ainsi que les nécessités opérationnelles imposent de renouveler rapidement cette flotte hors d’âge.

2.– L’enjeu nucléaire

Contrairement au Royaume-Uni qui a fait le choix de ne disposer que de la composante sous-marine, l’armée française déploie une composante nucléaire aéroportée. L’arme nucléaire française peut être mise en œuvre par des Mirage 2000 ainsi que des Rafale, depuis le sol national ou depuis le porte-avions Charles-de-Gaulle.

Or, l’autonomie de ces avions de combat est relativement faible : moins de 2 000 kilomètres selon le constructeur ce qui, en l’absence de ravitaillement en vol, place la cible à moins de 1 000 kilomètres de la base de départ. Le recours au ravitaillement est donc indispensable pour assurer la crédibilité de la composante aérienne de notre dissuasion.

Dans ces conditions, confier à un opérateur privé le ravitaillement d’avions de combat porteurs du feu nucléaire pose évidemment une question de principe. Chacun s’accorde à reconnaître qu’il s’agit là du cœur du métier militaire. Les ravitailleurs seraient-ils autorisés à dépasser l’éventuelle ligne de front ? À survoler un territoire ennemi ? Comment seraient assurés les appareils et les personnels non militaires effectuant ces opérations ? Faudrait-il, à l’instar des Britanniques, conserver des équipages militaires en réserve, pour les missions de guerre ? Autant de questions qui n’ont, jusqu’à présent, pas reçu de réponse claire.

3.– L’acquisition patrimoniale paraît la solution la plus raisonnable

L’armée de l’air britannique qui dispose désormais, comme nous l’avons vu, de capacités de ravitaillement excédentaires, souhaiterait associer l’armée de l’air française à l’exploitation de ses ravitailleurs. Elle propose donc à notre armée de l’air de devenir client, au même titre qu’elle, de la prestation pour laquelle elle a signé un contrat. Sans qu’aucun chiffre n’ait été cité, il semblerait que les prétentions financières de la RAF soient pour l’instant jugées trop élevées de ce côté-ci de la Manche.

Même si la DGA affirme qu’elle continue à examiner toutes les solutions et qu’elle ne ferme la porte à aucune hypothèse, les Rapporteurs ont le sentiment, après avoir entendu les responsables des états-majors militaires et les représentants de la société EADS, que l’acquisition patrimoniale reste la solution la plus raisonnable, vers laquelle s’oriente le ministre de la Défense.

Le choix par le Pentagone du Boeing 767 T/T au détriment du MRTT proposé par EADS renchérira certainement l’acquisition. En effet, compte tenu des quantités en jeu, si l’armée américaine avait choisi l’avionneur européen, une chaîne de production spécifique aurait été mise en place et les clients autres que l’US Air Force auraient pu bénéficier d’un effet de série réducteur de coût.

Le MRTT n’ayant pas été retenu, les avions achetés seront prélevés sur la chaîne d’assemblage des A 330 dont le MRTT est dérivé. Chaque appareil devra ensuite être transformé en ravitailleur, opération qui n’est pas très compliquée à réaliser mais n’est pas gratuite pour autant.

S’il décide de passer commande avant la fin de l’année 2011, le ministère de la Défense pourrait recevoir ses premiers MRTT en 2017. Une date qui paraît bien éloignée aux personnels chargés de l’entretien des actuels C 135…

Proposition n° 9 – Compte tenu des inconvénients liés à l’éventuelle externalisation du ravitaillement en vol, notamment au vu de l’expérience britannique, et compte tenu du fait que la composante aéroportée de notre dissuasion stratégique repose sur le ravitaillement en vol, la Mission préconise fermement l’achat patrimonial des ravitailleurs MRTT.

VI.– LES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES

Ce sujet n’a pas été examiné par la Cour des comptes dans son enquête sur les externalisations.

Le raisonnement de la Cour se fondant à juste titre sur la notion de « cœur de métier », l’activité des sociétés militaires privées, qui s’exerce dans le cœur même du métier de la Défense, n’entrait pas dans le champ de l’enquête. Pour autant, les Rapporteurs ont souhaité faire part de leurs réflexions, dans la mesure où ce phénomène a pris une ampleur préoccupante dans certains pays et où des sociétés tentent de se développer en France.

A.– UN PHÉNOMÈNE RÉCENT EN PLEINE EXPANSION

1.– Une activité récemment officialisée sur le plan international

C’est en 2008 que les sociétés militaires privées (SMP) sont devenues un objet de droit international dans le « Document de Montreux ». Cet accord traite des obligations juridiques et des bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne le recours aux entreprises militaires et de sécurité privées. Validé par 34 États, il décrit le cadre juridique du recours aux SMP dans le respect du droit international et humanitaire.

Selon le colonel François de Lapresle, sous-directeur de la politique et de la prospective à la délégation aux Affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense (26), « Les sociétés militaires privées sont suivies au sein du ministère de la Défense par la sous-direction de la Politique et de la prospective, créée en 2009. (…) Le ministère de la Défense a donc pris acte du développement de ce phénomène et étudie attentivement l’évolution des débats internationaux en étroite liaison avec le ministère des Affaires étrangères et européennes ».

2.– Des compétences particulièrement vastes

En 2008, un rapport du Centre des hautes études militaires (CHEM) définit les SMP comme des sociétés dont l’objet est de « fournir des prestations de nature militaire dans un environnement de crise, voire de guerre ».

L’objet de ces sociétés concerne principalement la protection des biens et des personnes se trouvant sur des théâtres à risques. Il peut s’agir de diplomates, d’hommes d’affaires, de travailleurs humanitaires, de journalistes ou d’hommes politiques, mais également de touristes : depuis l’augmentation des actes de piraterie dans le golfe d’Aden et une partie de l’océan Indien, de plus en plus d’armateurs embarquent à bord de leurs paquebots des équipes armées.

Ces sociétés sont régulièrement mises à contribution par les États-Unis pour participer à la formation d’armées étrangères (Irak, Afghanistan), mais également pour la formation de leur propre armée. M. Philippe Chapleau, journaliste spécialisé sur ce sujet, nous apprend (27) que la 42ème division d’infanterie de la Garde nationale des États-Unis, la 101ème division aéroportée, les 3ème et 4ème divisions de montagne, etc. ont bénéficié d’un entraînement dispensé par des sociétés privées.

Les opérations de déminage sont régulièrement confiées par les pays anglo-saxons à des sociétés privées qui n’hésitent pas à démarcher au sein même des régiments spécialisés ; des missions de transport, de logistique, de gestion des stocks, voire de renseignement peuvent leur être confiées par des pays tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l’Australie.

Enfin, les SMP fournissent également des services logistiques intégrés (c’est le concept anglo-saxon de « total base support ») : elles proposent la gestion d’emprises militaires dont elles assurent la construction, l’entretien, le gardiennage, la sécurité incendie, la restauration, les transports… Il s’agit quasiment de fournir des camps militaires « clés en mains ».

Aux États-Unis, les prestataires privés de services militaires ont réussi à se rendre désormais incontournables. À la question « Les entrepreneurs privés sont indispensables. Est-ce qu’il y en aura plus dans le futur ? », Leslie Wayne, sous-secrétaire d’État à la Défense sous Bill Clinton aurait répondu sans ambages : « Oui, et ils ne seront pas là que pour servir la soupe ».

B.– L’ESSOR DES SOCIÉTÉS MILITAIRES PRIVÉES EN FRANCE

1.– Le ministère de la Défense reconnaît recourir aux SMP

En France, le ministère de la Défense délivre des habilitations à ces sociétés et a commencé à recourir aux services de certaines d’entre elles. Il possède même 49,9 % du capital du groupe Défense conseil international (DCI), l’une des SMP françaises répertoriées.

« Le groupe DCI est un partenaire privilégié de grande qualité, qui agit dans un cadre particulier, la Défense : nous travaillons ensemble à l’établissement de contrats qui pour l’essentiel portent sur des missions de formation », reconnaît le colonel de Lapresle, avant d’admettre : « Sans nier la présence de sociétés privées dans les domaines d’activité comme la lutte contre la piraterie, nous entendons poursuivre notre réflexion, au niveau interministériel et international ». La mort violente en Libye d’un de nos compatriotes, patron d’une SMP, tend à indiquer que ce pays est entré dans le champ d’action de ces sociétés.

Les sociétés militaires privées, telles que définies par le Livre blanc, sont des sociétés susceptibles d’offrir des services de sécurité ou à caractère technique dans le domaine principal du soutien logistique et ne doivent pas exercer la force légitime. Le ministère ne considère pourtant pas ces sociétés de la même façon que les Anglo-saxons qui mêlent la politique, les intérêts privés et l’économie. « Ils adoptent à leur égard une stratégie globale, avec tous les risques de mélange des genres que l’on sait » indique le colonel de Lapresle.

De son côté, le Quai d’Orsay a engagé un certain nombre d’actions en vue d’assurer la protection de nos ambassades. La réflexion a été confiée à des spécialistes. « Mais le recours à ces sociétés ne peut être assuré partout de la même façon : sur le territoire national, à l’étranger ou en mer, ce qui explique le besoin du cas par cas ».

2.– Une doctrine d’emploi a été élaborée

Pour déterminer le cadre des responsabilités des SMP, le ministère de la Défense a défini cinq « lignes rouges » à ne pas franchir : la préservation du contrôle étatique sur l’emploi de la force légitime ; l’absence de participation directe aux hostilités ; la préservation de la cohérence et de l’autonomie de l’action militaire, sans esprit systématique, avec une garantie de réversibilité ; la définition au cas par cas du champ d’activité, et l’exigence d’une réponse adaptée à la réalité d’un besoin avéré. Ainsi, la France n’entre pas dans la logique anglo-saxonne qui consiste à permettre aux SMP le recours à l’emploi de la force qui représente « 20 % de leurs missions en Afghanistan », selon le colonel de Lapresle.

Le ministère considère impératif de disposer d’une cartographie précise et à jour de ces sociétés au plan international car la situation évolue de façon quasiment quotidienne. « Certaines sociétés américaines peuvent aller jusqu’à offrir des bâtiments armés, voire des aéronefs avec leurs munitions… ». Les sociétés militaires privées sont encore peu nombreuses sur le marché français et la DAS juge important d’établir avec elles une relation de confiance.

Il existerait une trentaine de SMP en France. Leur chiffre d’affaires annuel moyen est de 3 millions d’euros – il atteint 40 millions pour la plus importante d’entre elles.

Compte tenu des dérapages observés par le passé (fusillades meurtrières des employés de la société américaine Blackwater en Irak, par exemple), des piètres performances des sociétés chargées d’entraîner les bataillons irakiens, de l’«évaporation » de fonds alloués à la formation, etc., la mission appelle le Gouvernement à faire preuve de la plus grande circonspection à l’égard de ces sociétés.

Proposition n° 10 – La mission recommande la plus extrême prudence à l’égard des sociétés militaires privées, tant en ce qui concerne la délivrance d’agréments que dans le choix des missions qui leur sont confiées. Elle demande au ministère de la Défense de définir rapidement le périmètre dans lequel il pourrait faire appel aux services de ces sociétés.

VII.– LE REGROUPEMENT DE L’ADMINISTRATION CENTRALE À BALARD

La volonté du pouvoir exécutif de regrouper les états-majors et les services centraux du ministère de la Défense en un lieu unique va conduire à la réalisation d’un projet de grande envergure, semblable à ceux qui ont présidé au transfert des services du ministère de l’Économie à Bercy ou à ceux de l’Équipement à la Grande Arche de La Défense. Une équipe de projet a été constituée, sous la forme d’une Délégation pour le regroupement des états-majors et des services centraux de la défense (DRESD), créée par l’arrêté ministériel du 9 octobre 2008. Cette structure légère, directement rattachée au ministre, bénéficie de l’expertise des services compétents du ministère.

A.– UN PROJET QUI ACCOMPAGNE LA RÉFORME DES ARMÉES

1.– Rationaliser l’organisation géographique du ministère

● C’est dans le cadre des travaux de la révision générale des politiques publiques (RGPP) que le ministre de la Défense a proposé au Président de la République que l’administration centrale du ministère soit regroupée sur le site de Balard dans le 15ème arrondissement de Paris. Le conseil de modernisation des politiques publiques du 12 décembre 2007 a validé cette proposition. Le projet, consubstantiel à la réforme des armées, répond aux objectifs suivants :

– améliorer la gouvernance du ministère en rassemblant sur un site unique les états-majors et les directions actuellement dispersés sur une quinzaine de sites parisiens ;

– rationaliser la gestion des emprises immobilières du ministère de la Défense en libérant une ressource foncière importante dans Paris ;

– rationaliser le soutien et le fonctionnement de l'administration centrale, en mutualisant les ressources ;

– réussir un grand projet architectural qui marquera Paris et le ministère de la Défense, tout en améliorant le cadre de travail des personnels.

● Le site de Balard comprend deux parcelles. La parcelle Est (8,5 ha), qui héberge actuellement l’état-major de l’armée de l’air, et la parcelle Ouest (8 ha), séparées par l’avenue de la Porte de Sèvres. La parcelle ouest sera divisée en deux parties par une voie nouvelle prévue au plan local d’urbanisme de Paris :

– à l’Est de cette nouvelle voie se trouveront cinq hectares sur lesquels seront construits des immeubles neufs du ministère de la Défense et, notamment, les plus sensibles sur le plan de la sécurité ;

– à l’Ouest resteront trois hectares destinés à une valorisation sous forme d’immeubles locatifs de bureaux ou de commerces.

● Le projet immobilier comporte trois volets :

– la construction de 140 000 m² de bâtiments neufs à l’Ouest du site ;

– la rénovation de 140 000 m² de bâtiments existants sur la parcelle Est et du bâtiment Perret de la parcelle Ouest ;

– dans l’optique de générer des recettes annexes, la construction de 90 000 m² de bureaux locatifs et commerces sur l’extrémité Ouest.

2.– Le projet s’inscrit dans la logique de la réforme des armées

● Sur le plan fonctionnel, le projet prévoit l’installation à Balard d’environ 10 000 personnes : le ministre et son cabinet, le secrétaire d’État à la Défense et son cabinet, l’état-major des armées, les états-majors des trois armées, la délégation générale pour l’armement, le secrétariat général pour l’administration, les centres opérationnels des armées et l’ensemble des services centraux de la Défense. Le projet intègre toutes les facilités nécessaires : centres de restauration, salles de sport, centre de communication, crèches pour les personnels, etc.

Le transfert à Balard du ministre et des organismes dont la présence à Paris est indispensable doit permettre d’améliorer la gouvernance du ministère. Elle doit aussi donner une réalité concrète aux nouvelles modalités de management mises en place (comité exécutif, comité d'investissement) et favoriser les échanges entre les états-majors et les principaux services administratifs de pilotage et de contrôle. Elle doit enfin permettre une implantation fonctionnelle des autorités et des organismes mettant fin à une dispersion héritée de l’histoire.

● Cette opération de regroupement n’est pas seulement un projet immobilier ; il s’agit également de créer un centre de commandement, ce qui nécessitera la réorganisation des systèmes d’information, de renseignement et de commandement. Cette dimension sera aussi importante que l’aspect immobilier et conditionne en partie le coût global de l’opération.

Les principales implantations qui seront conservées hors de Balard sont l’École militaire, l’hôtel des Invalides, l’hôtel de Brienne, le service de santé à Vincennes, la DGSE au boulevard Mortier, ainsi que l’hôtel de la Marine, place de la Concorde, dont l’avenir fait toujours l’objet d’une réflexion. Les emprises vendues devraient rapporter environ 600 millions d’euros ; pour autant, le produit de ces cessions, qualifiées de recettes exceptionnelles (28), ne sera pas affecté au projet Balard.

La livraison du nouveau ministère est prévue pour 2014 ; tout éventuel retard se traduirait inévitablement par un maintien prolongé des services dans les actuels locaux et par le paiement des loyers correspondants, ce que le ministère souhaite à tout prix éviter. Cette contrainte bien comprise, les responsables du projet mettent tout en œuvre pour que le calendrier soit respecté, ce qui est le cas jusqu’à présent.

CALENDRIER DU PROJET BALARD

2 juin 2009 :

lancement de la procédure de contrat de partenariat

15 juillet 2009 :

réception des dossiers de candidature

22 septembre 2009 :

remise du dossier de consultation des entreprises (DCE)

24 novembre 2009 :

remise des pré-esquisses architecturales

16 décembre 2009 :

élimination pour chaque candidat de 2 pré-esquisses architecturales

janvier 2010 à janvier 2011 :

déroulement du dialogue compétitif

février 2011 :

choix du titulaire

avril 2011 :

signature du contrat

mai à novembre 2011 :

dépôt, instruction et délivrance du permis de construire

janvier 2012 :

début du chantier

30 juin 2014 :

fin du chantier principal

juillet à décembre 2014 :

prise de possession des immeubles, transfert des personnels,

31 décembre 2014 :

fin du transfert des personnels, libération des emprises parisiennes.

30 avril 2016 :

fin de la rénovation des bâtiments de la parcelle Est ; libération du site de la DGA à Bagneux

B.– UN PARTENARIAT INÉDIT DANS NOTRE PAYS

1.– Un partenariat public-privé de grande ampleur et d’une durée de trente ans

Le projet est mené en partenariat avec un opérateur privé qui sera propriétaire des immeubles et auquel le ministère de la Défense versera un loyer. Cette solution a été préférée à une opération strictement patrimoniale qui aurait été beaucoup plus difficile à financer et qui n’aurait pas forcément respecté les délais sur lesquels le partenaire privé s’est engagé de manière contractuelle.

La durée du contrat est fixée à 30 ans : trois ans de conception et réalisation (jusqu’en 2014) et 27 années d’exploitation (2015 à 2041 incluses). Lorsque le partenariat s’achèvera, la puissance publique deviendra pleinement propriétaire du terrain et des murs de la parcelle sur laquelle seront implantés les services du ministère, mais aussi de la parcelle de bureaux et de commerces qui la jouxte. Pour cette dernière toutefois, la durée de la concession a été fixée à soixante ans. L’État pourrait ainsi récupérer plusieurs milliers de m² pour ses services, si le besoin s’en faisait alors sentir, ou bien percevoir à son tour des loyers. Des clauses spécifiques de maintien en bon état des lieux et de bon entretien sont incluses dans le contrat de partenariat.

Les trois principales entreprises de BTP françaises se sont portées candidates pour ce projet. En février 2011, le consortium mené par Bouygues et Thales a été déclaré vainqueur de l’appel d’offres.

Sur le plan financier, afin d’assurer le contrôle du capital de l’opérateur dans la durée, un accord a été conclu avec la Caisse des dépôts et consignations pour que celle-ci dispose d’une minorité de blocage (34 %) dans le capital de la société de projet, interlocuteur du ministère de la Défense pendant trente ans. Ce dispositif permettra d'exercer un contrôle minimal sur l’actionnariat de la société et favorisera le montage financier du projet.

Sur le plan économique, l’impact de l’ensemble du projet de janvier 2012 à juin 2014 est estimé à environ 2 000 emplois dans les bureaux d’études, cabinets d’architectes et entreprises du BTP.

2.– De substantielles économies attendues

Cette opération va permettre de gagner 24 % de surface par rapport aux actuelles implantations que la défense va libérer, en raison des dispositions peu fonctionnelles des locaux actuellement occupés. Des économies considérables sont attendues en frais d’entretien, de restauration, de transports. Les repas qui sont actuellement servis aux agents en poste à Paris peuvent coûter jusqu’à 19 euros l’unité. À Balard, le prix d’un repas est annoncé à 6 ou 7 euros. La raison de cette différence est facile à saisir : avant le démarrage de la démolition de la parcelle Ouest, le service de restauration de Balard, en régie, servait 4 500 repas et employait 310 personnes (soit 14,5 repas servis par agent en moyenne) ; à l’îlot Saint-Germain, 57 personnes d’une société privée servent 2 300 repas par jour (40,4 par agent).

Actuellement, le ministère évalue à 217 millions d’euros par an le coût de fonctionnement de ses services à Paris, pour 17 000 agents civils et militaires. En outre, le ministère paie annuellement 82 millions d’euros de loyers pour ses emprises parisiennes auxquels il convient d’ajouter 15 millions d’euros de loyer pour les emprises provisoires de la DGA à Bagneux. Au total, 226 millions d’euros sont dépensés annuellement pour le fonctionnement des agents qui seront transférés à Balard. Le coût de la construction du nouveau ministère est évalué à environ 600 millions d’euros hors taxes et hors honoraires, soit près d’un milliard d’euros TTC, entièrement pris en charge par le partenaire privé. La rentabilité de l’investissement pourrait s’établir entre 7 et 12 %.

Un loyer d’un montant de 129,9 millions d’euros annuels hors taxes, soit 155,4 millions d’euros TTC, sera versé au partenaire privé pendant 27 ans. Ce loyer sera non seulement la contrepartie du droit d’occupation des murs, mais comprendra également un certain nombre de services de fonctionnement : restauration, propreté, entretien, informatique, assistance bureautique, gardiennage extérieur… Seule la sécurité des zones sensibles restera confiée à des gendarmes. Ainsi que l’a indiqué lors de son audition le responsable de la DRESD, M. Bruno Vieillefosse, « Nous achetons en réalité non pas un immeuble, mais un ministère qui fonctionne » (29).

Au total, le ministère de la Défense versera donc près de 4,2 milliards d’euros (valeur 2011) pour l’utilisation pendant 27 ans de ce ministère. Malgré le niveau élevé de cette somme, le contrôle général des armées a estimé qu’une économie de 2,5 à 3,5 milliards d’euros était possible sur les 27 années de location. Si le ministère ne s’était pas lancé dans le projet Balard, il aurait dû rénover l’immobilier et la plupart des réseaux informatiques de ses actuels locaux. Le tout aurait coûté au minimum 600 millions d’euros, une somme à peu près équivalente au coût de la construction, hors taxe, du nouvel édifice. En outre, il aurait dû continuer à payer 82 millions d’euros de loyers annuels, somme qu’il ne dépensera plus à Balard.

La valorisation de la « corne Ouest » (90 000 m² de bureaux et commerces sur une emprise de trois hectares prendra la forme d’un versement unique dit « up front » dont le montant s’élève à 220 millions d’euros que l’État percevra en 2014. Cette valeur est supérieure à la seule évaluation du terrain effectuée en 2007 par France Domaine (195 millions d’euros). L’État restera propriétaire de ce terrain dont les immeubles lui reviendront, « dans un bon état général » conformément au contrat, en pleine propriété en 2074.

La signature du contrat est intervenue le 17 mai 2011, avec seulement deux semaines de retard sur le calendrier initial. Il reste désormais quelques mois pour que soit déposé, instruit et délivré le permis de construire. En janvier 2012, les travaux de construction pourront alors commencer comme prévu.

Le directeur de projet du secteur Défense de la Mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariats public-privé (MAPPP), M. Michel Scialom, se montre très satisfait par ce contrat de partenariat : « Le projet a été mené de manière remarquable en respectant un calendrier très tendu. (…) Les équipes, très professionnelles, ont très bien maîtrisé l’opération » (30).

3.– Une équation budgétaire dont la réalisation sera à surveiller

Le calcul du ministère de la Défense peut être ramené à l’équation budgétaire suivante : plutôt que de dépenser pour les infrastructures immobilières des sommes variables et soumises à des aléas, choisissons la stabilité d’une dépense contractuellement définie (155,4 millions d’euros TTC en euros constants 2011) et dont la révision, organisée dès l’origine, ne devrait pas présenter a priori de surprise désagréable. Cette enveloppe est non seulement stable, mais porteuse d’économies sur la période couverte par le partenariat.

En l’absence de projet, le ministère aurait dû continuer à payer chaque année 226 millions d’euros de fonctionnement et de loyers budgétaires correspondant aux agents d’administration centrale transférés à Balard (tous ne le sont pas, certains postes étant délocalisés en province, d’autres supprimés). À cette somme se seraient immanquablement ajoutés les coûts de remise à niveau des systèmes d’information ainsi que d’importants travaux de rénovation immobilière estimés très approximativement à 600 millions d’euros.

La difficulté provient du fait que les hypothèses économiques réalisées sur un terme de trente ans comportent nécessairement des prises de risque. Même si le ministère paraît relativement bien protégé par le contrat, que se passerait-il si le partenaire était mis en difficulté par des aléas qui n’étaient pas prévisibles au moment de la signature, voire s’il venait à faire défaut ?

De plus, la base de comparaison permettant de faire valoir qu’en l’absence de réalisation du projet, les charges auraient été supérieures, repose pour son évaluation sur des hypothèses de dépenses actualisées que la MEC n’a pas été en mesure de passer au crible. À la vérité, il est trop tôt pour procéder à une évaluation contradictoire, les éléments détaillés au contrat n’étant pas disponibles.

En outre, le projet Balard doit permettre la libération et donc la vente d’un certain nombre d’emprises parisiennes, dont la plus importante est l’îlot St-Germain (31) À cette occasion, une recette exceptionnelle d’environ 600 millions d’euros doit être dégagée ; cette recette, nous assure-t-on, n’est pas liée à la réalisation du projet dont la viabilité est gagée par la réduction annoncée des frais de fonctionnement. La recette exceptionnelle annoncée, depuis 2009 et sans cesse repoussée, fait pourtant partie de l’équation économique globale puisqu’elle doit entièrement être affectée au budget de la Défense. Sa non réalisation pose donc un nouveau questionnement sur la maîtrise globale de « l’équation budgétaire » du projet Balard.

Toute l’attention du Parlement, et notamment des Rapporteurs spéciaux de la commission des Finances, devra donc continuer à être mobilisée pour suivre la gestion de ce dossier et porter un jugement sur le bien-fondé du choix de financement retenu.

*

* *

QUAND LE MINISTÈRE REVIENT SUR UNE EXTERNALISATION

La Mission d’évaluation et de contrôle, avait constaté, lors d’un précédent rapport (32) que l’armée française avait externalisé en Afghanistan sa gamme de véhicules blindés civils pour un prix particulièrement élevé : 6 600 euros de loyer par mois et par véhicule, ce qui garantissait au prestataire un retour sur investissement dans un délai à peine supérieur à un an. Proposition avait été faite par la Mission de privilégier l’acquisition de ce type de véhicules dont la durée de vie est généralement d’au moins trois ans.

L’état-major des armées a récemment fait savoir à la Mission que les forces avaient renoncé à l’externalisation dans ce domaine et privilégiaient désormais l’acquisition, pour environ 80 000 euros pièce, de ce type de véhicules.

LISTE DES PROPOSITIONS DE LA MEC

Proposition n° 1 – Le ministère de la Défense ne doit en aucun cas recourir aux externalisations pour satisfaire à court terme un besoin de trésorerie, comme cela semble être le cas avec le projet de cession de l’usufruit des satellites de télécommunications.

Proposition n° 2 – Le budget étant un acte prévisionnel, la Mission demande au ministre de la Défense de transmettre au Parlement, avec le projet de loi de finances initiale, une prévision des montants à dépenser en externalisations au cours de l’exercice à venir.

Proposition n° 3 – Tout nouveau projet d’externalisation doit être soumis préalablement à une étude comparative approfondie avec une rationalisation – et donc une civilianisation – du service en question, les résultats étant présentés aux partenaires sociaux avant la prise de décision.

Proposition n° 4 – L’interarmisation des fonctions externalisables doit avoir été menée à son terme avant d’envisager de lancer tout nouveau processus d’externalisation.

Proposition n° 5 – Le ministère de la Défense doit lever toute ambiguïté statistique et indiquer clairement combien de postes sont concernés par les externalisations et si ces postes viennent, comme le pense la mission, en sus des 54 000 suppressions annoncées dans le cadre des restructurations.

Proposition n° 6 – Compte tenu du manque capacitaire de l’armée de l’air en transport de personnel et de fret, mais aussi de l’âge très avancé des actuels ravitailleurs en vol, la Mission demande au Gouvernement d’acquérir sans plus attendre les 14 Airbus MRTT prévus par la loi de programmation militaire, appareils remplissant la double fonction de ravitailleurs en vol et de transport.

Proposition n° 7 – Sans renoncer aux contrats d’externalisation qui peuvent apporter de la souplesse lors de pics d’activité inhabituels, les armées doivent veiller à conserver des moyens de transport patrimoniaux en quantité suffisante pour permettre l’accomplissement des missions opérationnelles relevant de la souveraineté nationale.

Proposition n° 8 – Compte tenu du risque réel d’une rentabilité négative, de la lenteur du processus et de la tardivité de la signature du contrat, la mission demande au ministre de la Défense de renoncer à la cession de l’usufruit des satellites de télécommunications qui s’apparente davantage à une opération de trésorerie qu’à un réel partenariat public-privé.

Proposition n° 9 – Compte tenu des inconvénients liés à l’éventuelle externalisation du ravitaillement en vol, notamment au vu de l’expérience britannique, et compte tenu du fait que la composante aéroportée de notre dissuasion stratégique repose sur le ravitaillement en vol, la mission préconise fermement l’achat patrimonial des ravitailleurs MRTT.

Proposition n° 10 – La mission recommande la plus extrême prudence à l’égard des sociétés militaires privées, tant en ce qui concerne la délivrance d’agréments que dans le choix des missions qui leur sont confiées. Elle demande au ministère de la Défense de définir rapidement le périmètre dans lequel il pourrait faire appel aux services de ces sociétés.

EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa séance du 5 juillet 2011 à 17 heures, la Commission des Finances examine le présent rapport.

Un débat s’engage après l’exposé des Rapporteurs.

M. Michel Diefenbacher. Les Rapporteurs ont adopté, sur ce sujet difficile qu’est l’externalisation, une position prudente. Deux questions sont soulevées : celle de l’indépendance d’une part, celle de l’intérêt budgétaire d’autre part. C’est sur cette seconde question que je souhaite axer mon propos.

En ma qualité de Rapporteur spécial des crédits de la mission Sécurité, je rencontre des difficultés similaires à celles évoquées par les Rapporteurs, s’agissant de la comparaison entre le coût du maintien en régie et de l’externalisation. On en arrive à se demander s’il existe une véritable volonté de mettre les chiffres sur la table. Quelles sont en la matière les habitudes de nos voisins britanniques et allemands, qui pratiquent l’externalisation ? Si des tâtonnements sont possibles dans les premiers temps, cela fait plusieurs années que l’insuffisance de données comparatives est relevée ; a-t-on tout de même constaté quelque progrès ?

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. L’enjeu de l’externalisation en termes d’indépendance se résume à la question suivante : l’externalisation concerne-t-elle le cœur de la mission de souveraineté nationale ? Des sujets en apparence fonctionnels peuvent en réalité être critiques, tels la restauration et l’habillement. La restauration des troupes françaises en mission extérieure est rarement externalisée, sauf lorsque nos troupes agissent sous mandat international (de l’ONU, de l’OTAN ou de l’Union européenne). En matière d’habillement, le plus sensible est la définition des treillis, qui doit à notre sens relever de l’organisation militaire. Ainsi, le programme Felin, destiné à équiper l’infanterie et le fantassin du futur, est inclus dans une réflexion stratégique.

La difficulté à obtenir des chiffres tient notamment au fait que la comptabilité analytique n’était pas, jusqu’à des temps récents, dans la culture du ministère de la Défense. Mais les travaux conduits par le Parlement ont produit des effets, par exemple la fusion des trois commissariats aux armées en un seul, qui a permis de rationaliser les moyens et d’améliorer la qualité de l’expertise en matière d’évaluation des coûts. Mais il faut reconnaître que l’on part de très loin, en tout cas de plus loin que la Grande-Bretagne et l’Allemagne. Ceci étant dit, il n’est pas certain que les Britanniques soient totalement satisfaits des résultats de l’externalisation, en particulier au moment du renouvellement des contrats, qui ne s’opère pas toujours dans des conditions financières avantageuses.

M. David Habib. Les Rapporteurs ont rappelé leur souci de parvenir à des conclusions consensuelles. Cela a été d’autant moins difficile qu’il n’existe pas, sur ce sujet, de position dogmatique. Je dois dire qu’en présidant les auditions de la MEC sur ce thème, j’ai été positivement surpris par la position modérée, voire de recul, du ministre de la Défense lui-même, qui a invité le Parlement à faire preuve de circonspection sur la question de l’externalisation.

L’externalisation est une réponse actuelle à un problème ancien. Dans un récent rapport, la Cour des comptes constatait l’absence de comptabilité efficace au ministère de la Défense. Il conviendra en conséquence que le ministère et le Parlement mènent une analyse centrée sur la question du cœur de métier de l’armée, en distinguant les fonctions de support des fonctions capacitaires.

S’agissant du projet dit « Balard », quelle peut être la capacité de suivi du Parlement, compte tenu du fait que ce projet s’étale sur 27 ans ? Si ce projet apparaît satisfaisant d’un point de vue technique et juridique, il n’est pas certain que l’objectif premier, d’ordre budgétaire, soit atteint.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. C’est en effet dans seulement 27 ans que l’on pourra avoir une vision consolidée des résultats du partenariat public-privé (PPP) de Balard. D’ici là, le Parlement dispose de ses moyens habituels : missions d’information de la commission de la Défense – j’assure à ce titre avec François Cornut-Gentille un suivi permanent des missions du ministère de la Défense – et de la commission des Finances, travaux du Comité d’évaluation et de contrôle, qui pourrait s’intéresser à des sujets dépassant l’horizon d’une seule législature. En la matière, nous ne manquons pas d’outils ; c’est donc la volonté politique qui présidera à leur bon usage.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je partage le diagnostic de Bernard Cazeneuve sur le projet Balard : la durée du partenariat est telle que le suivi ne peut être qu’institutionnel, au moyen d’évaluations successives.

Nous nous sommes posés la question du cœur de métier, mais n’avons pas souhaité y apporter de réponse dans le cadre du présent rapport. Nous sommes toutefois conscients qu’il s’agit d’un point clé. La question des fonctions de sécurité a été longuement débattue dans le cadre du projet Balard, mais les exigences opérationnelles ont été jugées compatibles avec l’externalisation des certaines fonctions, sans atteinte au cœur de métier.

M. Laurent Hénart. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail des Rapporteurs. La lecture de leur projet de rapport m’inspire deux réflexions. Tout d’abord, la proposition n° 1 laisse songeur, puisqu’il s’agit de rappeler que « le ministère de la Défense ne doit en aucun cas recourir aux externalisations pour satisfaire à court terme un besoin de trésorerie » ; si les Rapporteurs formulent une telle proposition, cela signifie que cette tentation existe, ce qui est bien évidemment regrettable. Ensuite, on ne peut que s’étonner à la lecture des pages du rapport recensant le florilège des réponses, pour le moins embarrassées, aux questions portant sur l’évaluation des gains permis par l’externalisation.

Ces remarques faites, je souhaiterais poser trois questions aux Rapporteurs.

Premièrement, la proposition tendant à ce que le projet de loi de finances évalue les dépenses engagées du fait de l’externalisation pourrait-elle être mise en œuvre dès le PLF 2012 ? En effet, le rapport soulève des sujets très actuels, qui pourraient trouver une traduction dès 2012 ; il s’agit notamment des conséquences de la loi de programmation militaire, de la question des ravitaillements en vol ou de la gestion des satellites de télécommunications.

Deuxièmement, les Rapporteurs disposent-ils d’informations sur l’externalisation en matière de cession immobilière ? En Lorraine, comme ailleurs sans doute, le ministère de la Défense prépare des programmes de cessions, sollicitant les élus locaux potentiellement candidats au rachat des emprises en question. Le ministère de la Défense a-t-il un service consacré à ces cessions ? Est-il envisagé de faire appel à des spécialistes de l’immobilier, publics ou privés ?

Troisièmement, comment obtenir une réponse à la proposition n° 5, tendant à identifier « clairement combien de postes sont concernés par les externalisations et si ces postes viennent, comme le pense la mission, en sus des 54 000 suppressions annoncées dans le cadre des restructurations » ?

M. Jean-Louis Dumont. Les Rapporteurs ont une approche extrêmement prudente du projet Balard, à l’image du Conseil de l’immobilier de l’État. Cela montre que ce sujet mérite une analyse et une évaluation, au regard de ses enjeux financiers.

En dépit de la qualité de ses effectifs, force est de constater que le ministère de la Défense n’est pas un gestionnaire de premier ordre, et que la transparence n’y existe pas. La conservation d’une véritable industrie de défense nécessite donc un lourd travail. Dans cet objectif, comment rendre les partenariats public-privé plus transparents et plus efficaces ?

Les Rapporteurs opèrent une distinction entre l’externalisation subie et l’externalisation choisie. J’ai pour ma part l’impression que la France a copié des pratiques observées outre-Atlantique, sans avoir la même dimension ni les mêmes approches. En effet, le modèle de l’externalisation n’est pas transférable à toutes les opérations.

L’efficacité d’une armée se mesure à son caractère immédiatement opérationnel et projetable. En quoi les partenariats pourraient-ils permettre de moderniser la flotte des hélicoptères, à l’évidence vieillissante ?

L’externalisation des fonctions de gardiennage n’entraîne-t-elle pas un risque, si elle est venait à être opérée au profit de structures paramilitaires dont les principes seraient peu compatibles avec l’esprit républicain ?

Enfin, je m’associe à la question de Laurent Hénart sur les cessions d’emprises militaires dans l’Est de la France.

M. Jean Launay, Président. Pour compléter les questions de nos collègues, ne pensez-vous pas qu’il conviendrait en priorité d’assumer davantage l’interarmisation avant que de poursuivre plus avant les externalisations ?

Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Une illustration de la préoccupation manifestée par Laurent Hénart de la transformation d’opérations d’externalisation en opérations de trésorerie est évidemment le projet de cession de l’usufruit des satellites de télécommunications. Il faut effectivement admettre que dans ce cas, le besoin ne résulte pas d’une volonté clairement exprimée de se lancer dans une opération d’externalisation, mais bien de générer un surplus de trésorerie via une recette exceptionnelle pour le budget de la défense. Nous contestons ce mécanisme financier, même si le principe de cession de l’usufruit des télécommunications n’est pas contestable en lui-même. Cependant, cette opération à caractère quasiment patrimonial sur des satellites stratégiques pose un problème de principe.

En ce qui concerne les investissements, notamment en matière d’avions ravitailleurs, et d’hélicoptères, il faut reconnaître que certains appareils comme les Transall pour le transport aérien ou les Breguet Atlantique arrivent à bout de souffle ; de son côté, l’airbus A400M est toujours attendu, alors que les nouveaux hélicoptères NH90 et Tigre arrivent au compte-goutte. Il en résulte un certain manque capacitaire qui explique le recours à l’externalisation : l’affrètement des Antonov en est un exemple. Il s’agit d’un créneau pour lequel nous n’avons ni actuellement, ni dans le futur, des capacités disponibles pour nos forces.

Effectivement, l’interarmisation doit être réalisée en parallèle du processus d’externalisation : nombre de problèmes peuvent trouver une solution dans le cadre de l’interarmisation. C’est le cas par exemple des capacités transposables entre l’aéronavale et l’armée de l’air, sur certains équipements. L’interarmisation s’est aussi manifestée à travers la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère de la Défense (SIMMAD) et le service industriel de l’aéronautique (SIAé) compétents pour l’ensemble des aéronefs de nos forces. Cette interarmisation correspond ainsi à une vision globale de l’entretien des matériels, de la formation des pilotes, etc.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le maintien en condition opérationnelle des équipements vieillissants est en effet un problème crucial.

La contrainte budgétaire observée ces dernières années a empêché les armées de procéder à la modernisation des équipements dans le cadre des calendriers des lois de programmation militaire. Nous sommes parfois plus prompts à commander de nouveaux équipements qu’à donner l’ordre du début de réalisation lorsqu’ils ont été commandés. C’est le cas du second porte-avions nucléaire, dont une esquisse de commande avait été effectuée dans le cadre d’une collaboration franco-britannique et pour lequel 800 millions d'euros supplémentaires ont été dépensés pour des études, pour l’instant en vain.

Par ailleurs, il apparaît que plus les équipements vieillissent, plus le maintien en condition opérationnelle coûte cher. C’est le cas pour les sous-marins Rubis, les hélicoptères et aéronefs dont disposent nos armées. La tentation est donc grande au regard du coût du maintien en condition opérationnelle et des contraintes budgétaires de recourir à l’externalisation. Nous pensons que cette démarche est porteuse d’un risque. Il convient de mettre en œuvre une approche analytique permettant de comparer le coût de possession et le coût de l’affrètement dans le cadre d’une externalisation. L’exemple britannique est de ce point de vue très éclairant. Il démontre qu’en fin de période, l’acquisition patrimoniale d’équipements de souveraineté comme les ravitaillements en vol de la composante aérienne de la dissuasion, est un sujet sur lequel il convient de ne pas trop prendre de risques.

Sur les aspects immobiliers, il faut rappeler que la loi est très encadrante : le ministère de la Défense réalisait précédemment ses actifs immobiliers par l’intermédiaire de la mission pour la réalisation des actifs immobiliers (MRAI). Depuis l’extension de son champ de compétence, France Domaine réalise maintenant les actifs du ministère de la Défense. Les collectivités locales, après avoir procédé aux acquisitions, peuvent les faire porter par des sociétés d’économie mixte, afin de réaliser des logements ou des équipements publics.

Une grande partie de ces emprises immobilières a été cédée à l’euro symbolique. Il conviendrait d’ailleurs de dresser la liste, parmi les cessions liées à la refonte de la carte militaire, de celles qui ont été valorisées et de celles qui ont été cédées à l’euro symbolique. On observe que, compte tenu de la non réalisation des emprises parisiennes et des cessions à l’euro symbolique, les recettes liées aux cessions immobilières ont été résiduelles l’an dernier : 150 millions d’euros seulement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le concept d’externalisation appliqué à l’immobilier a connu une tentative avec la participation de la SOVAFIM dans le cadre du projet de cession immobilière des emprises parisiennes du ministère de la Défense. La SOVAFIM avait en quelque sorte le rôle d’agence immobilière sur ce projet, à côté de la Caisse des dépôts et consignations. L’opération a finalement été abandonnée, car jugée pas assez intéressante, en liaison avec l’état du marché immobilier en 2010.

Un autre exemple, est l’affectation de l’Hôtel de la Marine. Prévu dans un premier temps dans le cadre de la loi de programmation militaire, ce projet n’apparaît plus en loi de finances. Il s’agissait là d’un cas d’externalisation : l’État restait propriétaire du bâtiment, et donnait un bail emphytéotique pour la réalisation d’un hôtel.

En matières de prévisions chiffrées, le ministère de la Défense est peu disert. Il n’a pas été en mesure de fournir les résultats des externalisations pour 2010, ni les prévisions pour 2011. Il paraît donc peu probable qu’il publie une prévision dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, alors que d’importants projets sont pourtant à l’étude et concernent l’habillement, l’hôtellerie et la restauration. Pour autant, je ne manquerai pas de poser la question dans le cadre de la préparation du prochain budget.

*

* *

Puis la Commission autorise la publication du rapport, en application de l’article 145 du règlement.

ANNEXES

Les Présidents et les Rapporteurs de la mission d’évaluation et de contrôle tiennent à remercier particulièrement M. Pierre-Gilles Lévy, président de la deuxième chambre de la Cour des comptes, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, présidente de section, et M. Olivier Brochet, rapporteur, pour la précieuse assistance qu’ils ont apportée aux travaux de la MEC.

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

– le 30 mars 2011, M. Claude Chaufrein, capitaine de vaisseau (État-major de la marine), sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval ;

– le 30 mars 2011, M. Alain Costes, ingénieur général de l’armement (conseil général de l’armement), accompagné du colonel Philippe Samie, sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) aérien ;

– le 6 avril 2011, général Philippe Carpentier, responsable du Centre multimodal de transport de Villacoublay, général Patrick Huguet, responsable du projet d’affrètement de navires rouliers à l’état-major des armées, colonel Laurent Chaput, responsable du projet d’affrètement maritime et aérien opérationnel, colonel Jean Rondel, officier de cohérence opérationnelle à l’état-major des armées pour le domaine Projection Mobilité Soutien, général Guy Girier, sous-chef plan programme à l’état-major de l’armée de l’air pour la location avec option d’achat des A340, colonel Jean-Jacques Chevalier, chef du bureau de la division expertise ;

– le 6 avril 2011, M. le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’économat des armées, M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier, directeur-adjoint, Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration, et M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif ;

– le 26 avril 2011, M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées, M. le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien, et de M. le commissaire-colonel Bernard Chassac ;

– le 26 avril 2011, M. le colonel François de Lapresle, sous-directeur de la Politique et de la prospective à la délégation aux Affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense ;

– le 26 avril 2011, M. René Lancien, président-fondateur de la société de restauration collective Ansamble, et M. Dominique Raut, responsable de projet ;

– le 27 avril 2011, représentants de la société Thales : M. Didier Brugère, chef de cabinet du président, directeur des relations institutionnelles, et M. Jean-François Pernotte, directeur du développement et de la stratégie ;

– le 27 avril 2011, représentants de la société EADS : M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France, M. Eric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services, M. le général (c.r.) Georges Ladevèze, conseiller défense, et Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement ;

– le 27 avril 2011, M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense ;

– le 27 avril 2011, M. Philippe Jost, directeur des Plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA) ;

– le 10 mai 2011, M. Bruno Vieillefosse, délégué pour le regroupement des états-majors et de services de la défense, responsable du projet « Balard », sur les externalisations dans le domaine de la défense ;

– le 10 mai 2011, M. Gérard Gibot, directeur, adjoint au secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense ;

– le 31 mai 2011, représentants des organisations syndicales représentatives du personnel civil de la défense : MM. Gilles Goulm, secrétaire général, et Serge Guitard, secrétaire général adjoint, de la Fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés ; MM. Roland Denis, secrétaire national filière administrative, et Mickaël Pallier, secrétaire national adjoint filière technique, de la Fédération CGC Défense ; Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe, et M. Gilles Frostin, président du syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS), de l'UNSA Défense ; M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense ; M. Luc Scappini, secrétaire général de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'État ; MM. Yannick Malenfant, secrétaire général, et Lucien Bécue, membre du bureau fédéral, de la Fédération nationale des travailleurs de l'État (FNTE)-CGT ;

– le 31 mai 2011, général Éric Rouzaud, sous-chef soutien à l’état-major des armées, accompagné du général Emmanuel Legendre ;

– le 31 mai 2011, M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariats (MAPPP) du ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie ;

– le 1er juin 2011, M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des anciens combattants.

II.– TABLE DES AUDITIONS

SOMMAIRE

Pages

Auditions du 30 mars 2011

à 16 h 30 : M. Claude Chaufrein, capitaine de vaisseau (état-major de la marine), sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval 92

à 17 h 15 : M. Alain Costes, ingénieur général de l’armement (conseil général de l’armement), accompagné du colonel Philippe Samie, sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) aérien 99

Auditions du 6 avril 2011

à 16 h 15 : Audition sur l’affrètement stratégique aérien et naval : du général Philippe Carpentier, responsable du Centre multimodal de transport de Villacoublay ; du général Patrick Huguet, responsable du projet d’affrètement de navires rouliers à l’état-major des armées ; du colonel Laurent Chaput, responsable du projet d’affrètement maritime et aérien opérationnel ; du colonel Jean Rondel, officier de cohérence opérationnelle à l’état-major des armées pour le domaine Projection Mobilité Soutien ; du général Guy Girier, sous-chef plan programme à l’état-major de l’armée de l’air pour la location avec option d’achat des A340 ; du colonel Jean-Jacques Chevalier, chef du bureau de la division expertise 110

à 18 h 15 : M. le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’économat des armées, de M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier, directeur-adjoint, Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration, et M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif, sur les marchés de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs 125

Auditions du 26 avril 2011

à 9 heures : M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées, M. le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien, et M. le commissaire-colonel Bernard Chassac, sur le marché de l’habillement 135

à 10 heures : M. le colonel François de Lapresle, sous-directeur de la Politique et de la prospective à la délégation aux Affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, sur les sociétés militaires privées (SMP) 149

à 11 heures : M. René Lancien, président-fondateur de la société de restauration collective Ansamble, et de M. Dominique Raut, responsable de projet 156

Auditions du 27 avril 2011

À 8 h 30: Audition de représentants de la société Thales : M. Didier Brugère, chef de cabinet du président, directeur des relations institutionnelles de la société Thales , et M. Jean-François Pernotte, directeur du développement et de la stratégie 161

À 9 h 30 : Audition de représentants de la société EADS : M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France, M. Eric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services, M. le général (c.r.) Georges Ladevèze, conseiller défense, et Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement 168

À 11 heures : M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense 176

À 11 h 30 : M. Philippe Jost, directeur des Plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA) 181

Audition du 10 mai 2011

À 16 h 15 : M. Bruno Vieillefosse, délégué pour le regroupement des états-majors et de services de la défense, responsable du projet « Balard » 186

À 17 h 45 : M. Gérard Gibot, directeur, adjoint au secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense 194

Auditions du 31 mai 2011

À 16 h 15: Représentants des organisations syndicales représentatives du personnel civil de la défense : MM. Gilles Goulm, secrétaire général, et Serge Guitard, secrétaire général adjoint, de la Fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés ; MM. Roland Denis, secrétaire national filière administrative, et Mickaël Pallier, secrétaire national adjoint filière technique, de la Fédération CGC Défense ; Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe, et M. Gilles Frostin, président du syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS), de l'UNSA Défense ; M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense ; M. Luc Scappini, secrétaire général de la CFDT-Fédération des établissements et arsenaux de l'État ; MM. Yannick Malenfant, secrétaire général, et Lucien Bécue, membre du bureau fédéral, de la Fédération nationale des travailleurs de l'État (FNTE)-CGT 202

À 17 h 45 : Général Éric Rouzaud, sous-chef soutien à l’état-major des armées, accompagné du général Emmanuel Legendre 213

À 18 h 45 : M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariats (MAPPP) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie 220

Audition du 1er juin 2011

À 11 heures 45 : M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des anciens combattants 226

Audition du 30 mars 2011

À 16 heures 30: M. Claude Chaufrein, capitaine de vaisseau (état-major de la marine), sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) naval

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Je suis heureux d’ouvrir un nouveau cycle de travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC). Les externalisations dans le domaine de la défense sont l’un des cinq thèmes retenus cette année par le bureau de la Commission des finances.

Le principe de la MEC est de dégager des propositions de consensus. C’est pourquoi notre organisation est paritaire entre majorité et opposition. Aussi, je présiderai nos différentes réunions en alternance avec Olivier Carré.

C’est aussi pourquoi nos rapporteurs associent les points de vue des différentes commissions concernées. Outre M. Louis Giscard d’Estaing, membre de la commission des Finances, le rapport sur les externalisations dans le domaine de la défense sera préparé par M. Bernard Cazeneuve, membre de la commission de la Défense nationale et des forces armées et du Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques.

Je salue également la présence de trois membres de la Cour des comptes : M. Gilles-Pierre Lévy, président de la deuxième chambre, Mme Françoise Saliou, conseiller-maître, et M. Olivier Brochet, rapporteur.

La mission d’évaluation et de contrôle a constaté l’intérêt du thème qui nous réunit au cours de ses précédents travaux, lorsque, en 2009, M. Louis Giscard d’Estaing et Mme Françoise Olivier-Coupeau ont travaillé sur le coût des opérations militaires extérieures, notamment en Afghanistan. À l’issue de cette mission, la Commission des finances a demandé à la Cour des comptes, conformément au 2° du deuxième alinéa de l’article 58 de la LOLF, un rapport sur les externalisations dans le domaine de la défense.

Ce document, publié récemment par notre commission, constitue donc le point de départ de nos travaux. L’objectif n’est pas de recommencer le travail de la Cour, qui a rendu un rapport très complet. Il est d’abord d’examiner concrètement, sur certains projets ciblés, si les externalisations permettent réellement au ministère de la Défense de réaliser des économies financières sans remettre en cause le « contrat opérationnel » que les forces doivent être capables de mettre en œuvre à tout moment. L’objectif sera ensuite, s’il y a lieu, de proposer des orientations politiques et des choix de méthode.

Nous accueillons aujourd’hui le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein, chargé du maintien en condition opérationnelle (MCO) à l’état-major de la marine, accompagné du capitaine de vaisseau Alain Giraud, chargé de liaison parlementaire.

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. L'évolution du MCO naval se confond avec l'histoire des arsenaux de la marine. La tutelle de la marine sur la direction des Constructions et armes navales (DCAN) cesse avec la création de la délégation ministérielle pour l'Armement en 1961, qui devient la délégation générale pour l’Armement (DGA) en 1977 et intègre alors la DCAN.

Après des évolutions successives de statut et de nom, intervient la loi sur la transformation de la direction des Constructions navales (DCN) en entreprise d'État, promulguée le 29 décembre 2001 et rendue effective avant la fin de 2003.

Cette concrétisation se fait jour avec la signature au ministère des finances du « traité des apports » entre l’État et la DCN le 26 mai 2003.

Nous ne nous situons donc pas dans le cadre d’une externalisation de type « projets », tels que ceux qui peuvent être conduits dans le contexte actuel, mais dans un processus historique reposant sur un choix politique répondant à un cheminement de longue haleine.

Aujourd’hui, huit ans après le changement de statut de la DCN et onze ans après la création du service de soutien de la flotte (SSF), l’évolution constatée est très positive : au début des années 2000, la crise du MCO, qui concernait les trois armées, conduisait à des disponibilités moyennes de l’ordre de 50 et 60 % ; actuellement, le taux de disponibilité – c’est-à-dire l’aptitude des bâtiments à appareiller, autrement dit à répondre à la sollicitation politico-militaire qu’ils reçoivent – est supérieur à 70 %.

Le premier facteur de cette évolution est le SSF, dont le directeur central dépend du chef d’état-major de la marine (CEMM) : il constitue un instrument fort de maîtrise d’ouvrage déléguée – le CEMM étant le maître d’ouvrage – en termes de mise en œuvre d’une stratégie contractuelle et de suivi technique et logistique de la maintenance navale.

Sous contrainte budgétaire, le SSF est capable, grâce notamment à l’élaboration de stratégies contractuelles et de systèmes de tranches à bons de commande, de montrer une bonne réactivité face à la régulation budgétaire en gestion et aux aléas de programmation – ce qui est une entreprise délicate dans le cadre des marchés publics. D’ailleurs, le rapport du contrôleur général des armées Baczkowski sur la politique d’achat du SSF souligne globalement la très bonne maîtrise de son processus d’achat.

En outre, le service est confronté à la difficulté d’assurer la maintenance d’une flotte très composite, de 22 ans d’âge moyen, avec des bâtiments comportant les technologies les plus récentes, donnant lieu à des exigences de maintenance complètement différentes.

Le deuxième facteur d’évolution repose sur la transformation de DCNS en société de droit privé, laquelle a eu trois effets majeurs : « libérer les énergies » en termes d’organisation industrielle – l’industriel étant libéré du code des marchés publics – ; mettre en œuvre, en ouvrant le marché du MCO naval, une compétition bien comprise ; et permettre à la marine, par le truchement du SSF, de se réapproprier des segments du MCO qui étaient un peu tombés en déshérence au fil du temps, tels le suivi technique et l’ingénierie de la maintenance.

La question de la répartition du rôle des acteurs a été bien exposée par la Cour des comptes. En première ligne, se trouvent les équipages : la vocation de la marine étant d’être déployée en situation difficile, loin, longtemps et en équipage, ils sont, au milieu de l’océan, dans un premier temps les seuls en mesure de faire face, quelle que soit la sophistication du contrat. À l’autre extrémité du spectre, figurent les industriels. Entre les deux, agissent de façon complémentaire, sans redondance, les ateliers militaires, autrefois appelés ateliers militaires de la flotte : ils sont aujourd’hui intégrés dans le service logistique de la marine (SLM), qui regroupe les activités de maîtrise d’œuvre technique ainsi que les fonctions logistiques de magasinage. Ils constituent une garantie de continuité et de permanence du MCO naval, en dotant la marine d’une capacité d’intervention en cas de rupture contractuelle – autrement dit si, dans le processus de passation de marché, se produit un aléa ou un recours par exemple, comme cela s’est passé voici quelques années pour les bâtiments de projection et de commandement. Ils sont ainsi capables d’assurer a minima une « jonction » en attendant la passation d’un nouveau marché. Pour d’autres activités, plus ancillaires, trop difficiles à contractualiser ou facturées à des forfaits exorbitants, ils sont en mesure de prêter assistance aux équipages.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous avez fait allusion au changement de statut de DCN en DCNS, puis en société privée, qui constitue une externalisation plutôt subie que délibérée de la part de la marine. Quels sont les critères de principe que vous retenez pour procéder à une opération d’externalisation en matière de MCO naval ? Dans quelle mesure sont pris en compte les impacts en termes financiers, de retombées économiques, budgétaires et sur les effectifs ? Avez-vous chiffré les gains financiers réalisés grâce à de telles opérations ? Quelle évolution constatez-vous en termes de coût dans le suivi budgétaire de la MCO externalisée ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. S’agissant de la transformation de DCN en société privée, je dirais que nous l’avons élaborée ensemble avec celle-ci, plutôt que nous ne l’avons subie.

Le critère essentiel est d’essayer de faire réaliser mieux par quelqu’un d’autre des opérations qui demanderaient pour l’État un investissement et des immobilisations considérables, en établissant une projection du coût pour éviter que celui-ci ne dérive à l’excès. Autrement dit, il s’agit d’alléger la charge de l’État à l’égard de prestations qui ne relèvent pas de son métier.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quels sont les gains réalisés par la non-acquisition de certains matériels ou infrastructures, qui auraient été nécessaires en l’absence d’externalisation ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Il est très difficile de répondre à cette question : je ne suis pas en mesure de faire des hypothèses sur les investissements que nous aurions faits si l’État était resté l’acteur principal. Il en est ainsi par exemple des ateliers qui auraient été nécessaires pour la maintenance des frégates européennes multi-missions (FREMM) ou des frégates Horizon.

Le « traité des apports » décrit les actifs transférés à DCNS, qui nous répercute ses charges dans ses prix. Nous pouvons dès lors apprécier le gain entre le coût budgétaire avant 2003, voire avant 2005 – dans la mesure où jusque-là, on recourait à des « quasi-contrats », s’apparentant encore à de la régie – et le coût des contrats de droit privé après cette date. Le gain estimé par le SSF est de l’ordre de 20 %. Mais cette évaluation est difficile, car elle se heurte au problème de la référence initiale et de l’évolution du périmètre entre la fin des années 1990 et aujourd’hui. Reposant sur une étude approfondie réalisée par le SSF sur le segment d’entretien des frégates fortement armées – comme les frégates de lutte anti-sous-marine De Grasse, Tourville ou Georges Leygues, ou les frégates anti-aériennes Jean Bart et Cassart –, elle aboutit à un gain annuel de l’ordre de 180 millions d’euros par an entre la fin des années 1990 et aujourd’hui.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quel est l’impact sur les effectifs ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Depuis des années – avant même la DCN –, les effectifs exécutant le MCO naval ne font plus partie de la marine. Ils sont suivis dans le cadre du changement de statut de DCNS, qui est une autre affaire, de niveau interministériel.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lors des travaux menés par la MEC voici trois ans sur les programmes d’équipement de la marine, les responsables de la défense que nous avons auditionnés nous ont indiqué que, dans le calcul du niveau des investissements nécessaires pour garantir un bon niveau d’équipement de nos armées – pour les FREMM ou les sous-marins Barracuda par exemple – on intégrait désormais les coûts de possession, lesquels comprenaient le coût de fonctionnement des équipages placés sur les équipements acquis et les coûts de maintenance, notamment le MCO.

Quelle est la répartition des compétences entre les trois acteurs du MCO que sont le SSF, DCNS et les autres opérateurs privés intervenant pour le compte de la marine dans le cadre de procédures d’appel d’offres ? L’intervention du SSF se limite-t-elle à de la petite maintenance ? Pour quel type de missions faites-vous appel respectivement à DCNS et à la sous-traitance privée ? Quels critères retenez-vous à cette fin ?

Dès l’instant où l’on veut, en procédant à des externalisations, faire des économies, il faut savoir sur quels fondements on évalue celles-ci. Or, la marine a confié la charge des infrastructures qu’elle finançait à DCNS, qui assure une partie du MCO et intègre le coût de celles-ci dans sa facture. J’imagine que DCNS ne les gère ni mieux ni moins bien que vous ne le faisiez : où, dès lors, résident les économies en termes de coût fixe des infrastructures nécessaires à la réalisation des opérations du MCO ?

Si des gains sont enregistrés, ils portent nécessairement sur les effectifs ou le coût du travail : d’où proviennent-ils exactement ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. S’agissant des acteurs, il convient de mettre à part le SSF, qui est dans le champ de la maîtrise d’ouvrage : prescripteur par délégation du chef d’état-major de la marine, il est le bras technique en matière de marchés et le représentant du pouvoir adjudicateur (RPA).

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il n’intervient donc plus du tout pour des opérations de maintenance ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. En tant que prescripteur, il n’exécute pas d’actions de maîtrise d’œuvre, ne coordonne pas de chantier et ne dispose pas de personnel exécutant des actions de maintenance. Il est le représentant expert du propriétaire, qui conçoit les marchés, les fait exécuter et contrôle leur mise en œuvre.

Quant à la maîtrise d’œuvre, elle comporte trois niveaux : l’équipage ; la maintenance lourde faisant appel à des infrastructures industrielles, avec DCNS, mais aussi STX MCO, Piriou, Thales, CNM MCO – sachant qu’en cas de mise en concurrence sur des segments ne relevant pas, pour des raisons techniques, de DCNS, cette dernière est traitée de la même façon que ses concurrents – ; enfin, les ateliers militaires, qui constituent, comme je l’ai dit, une capacité complémentaire pour répondre à des circonstances particulières telles qu’une rupture contractuelle ou l’inadéquation d’un marché public à accomplir dans le cadre d’un forfait une multiplicité de petites tâches – qu’il est plus efficace et rentable de faire réaliser en régie.

Concernant l’évaluation des gains, le fonctionnement de l’ancienne DCN n’était favorable ni à la réalisation des opérations de maintenance navale, ni à une exploitation optimale des infrastructures industrielles, dans la mesure où il était soumis aux marchés publics sans le stimulus de la mise en concurrence. Depuis le changement de statut en 2003, on constate par exemple à Brest de nombreux désengagements de DCN de grands ateliers ou de zones entières – on parle à cet égard de recentrage sur la zone de la pointe –, ainsi qu’un allègement considérable de la charge d’immobilisation.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cela concerne DCNS – qui, en se dégageant de ses emprises foncières, a diminué ses coûts fixes et réduit substantiellement ses charges fiscales –, mais en quoi cela a-t-il un impact sur le coût des services qu’elle rend à la marine ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Le fait que l’entreprise réduise ses frais fixes a un effet immédiat sur le prix de ses factures. Par ailleurs, le recours à des contrats de droit privé permet au SSF de déployer une stratégie contractuelle dans le cadre d’une mise en concurrence : la globalisation des contrats, leur caractère pluriannuel donnent de la visibilité à l’entreprise et lui permettent d’optimiser les achats, les équipes et ses relations avec ses sous-traitants, qui gagnent aussi en visibilité. Nous avons également mutualisé le risque entre l’État et l’industriel, ce qui permet à celui-ci de réduire encore le coût de sa facture.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. La Cour des comptes a attiré l’attention sur l’absence de complémentarité entre vos activités externalisées et celles réalisées en régie : qu’en pensez-vous ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Les ateliers militaires et les industriels ne relèvent pas de la même catégorie, que ce soit en termes de capacités, d’infrastructures ou de dimensionnement des équipes. Par ailleurs, les ateliers ne peuvent compter que sur eux seuls – contrairement aux industriels, qui peuvent, pour de hautes technologies spécifiques, se tourner vers des sous-traitants. Certes, ils ont des spécialités mais l’État veut, pour les raisons que j’ai indiquées, limiter ses investissements dans les domaines complexes ; ils sont capables de faire le minimum en matière d’entretien de moteurs ou de radars. En d’autres termes, ils peuvent « donner un coup de main » à l’équipage ou « boucher » un « trou » contractuel – sans redondance, encore une fois, avec les prestations fournies par les industriels.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. DCNS, qui est le principal industriel effectuant des programmes pour la marine nationale, joue à cet égard un rôle d’ensemblier intégrateur – c’est vrai pour les FREMM, les Barracuda ou les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et, je suppose, aussi pour les porte-avions, même si les capacités industrielles correspondantes se trouvent ailleurs désormais qu’à la DCNS de Brest. Sachant que la marine nationale indique que son objectif est d’intégrer les coûts de possession – et donc les coûts de maintenance – à celui des programmes, de manière à être sûre, lorsqu’elle engage un de ceux-ci, de minorer autant que possible le coût du MCO, quel critère vous conduit à faire appel à un autre industriel pour assurer des opérations de maintenance sur des équipements que DCNS a réalisés ?

Quel est par ailleurs le progrès accompli par DCNS depuis son changement de statut au regard des tarifs appliqués à la marine nationale sur le MCO ?

Comment évolue la relation entre DCNS et ses sous-traitants pour des opérations complexes requérant des compétences spécifiques ? Passez-vous directement une commande de MCO aux sous-traitants ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Deux critères principaux nous conduisent à choisir DCNS : la complexité du bateau, du système de systèmes, et l’antériorité que cette entreprise a sur un équipement – ou, en d’autres termes, l’impossibilité avérée pour un autre opérateur d’en reprendre l’historique. Pour les SNLE, les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), les frégates fortement armées et le porte-avions Charles-de-Gaulle, les deux sont réunis : il serait vain par exemple, s’agissant de ce dernier, de prévoir dans un appel d’offres la capacité de reprendre son carnet d’entretien compte tenu de son historique.

Le SSF arrive au bout du processus d’ouverture du marché avec, en particulier, un appel à concurrence sur les avisos du type A 69, bateaux de la DCAN par excellence, mais pour lesquels on a estimé que la complexité était modérée et que l’historique pouvait être appréhendé par d’autres.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cela marche-t-il mieux ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Nous commençons à peine cette mise en concurrence : je ne peux préjuger du résultat de l’appel d’offres, ni des résultats techniques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lors des travaux que nous avons menés en 2008, lorsque nous avons demandé pourquoi on avait choisi un système de propulsion nucléaire pour le porte-avions Charles-de-Gaulle, l’ensemble de nos interlocuteurs nous a expliqué que ce choix avait résulté de la volonté de la marine nationale de minorer autant que possible son coût de maintenance – celui d’un système à propulsion classique étant estimé plus onéreux. Or, lorsqu’on considère le nombre d’arrêts de cet appareil, liés notamment aux hélices ou à la propulsion, on peut se demander sur quels critères repose ce type de choix et ceux à partir desquels on juge que l’externalisation coûtera moins cher que le maintien en régie, ou qu’il serait plus économique de confier les prestations à d’autres industriels. Quelle est votre grille d’évaluation ? Disposez-vous de tableaux ou de modèles à cet effet ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Depuis que les choix stratégiques sur ce porte-avions ont été faits, ont été mis en place les modèles et les structures de coûts de la DGA – qui ont vocation à apprécier le coût global de possession que vous évoquez et constituent pour la défense la référence depuis une dizaine d’années. Depuis quatre à cinq ans, ces outils sont vraiment opérationnels – le service d’évaluation des coûts de la DGA assure l’expertise dans ce domaine.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Sont-ce ces outils qui ont permis d’établir le montant de 180 millions d’euros d’économies que vous évoquiez ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Non, ce montant résulte de la comparaison entre le coût budgétaire de la maintenance des frégates fortement armées avant 2003 et aujourd’hui, à périmètre comparable.

Mais on peut aussi retenir une approche globale, prenant en considération les programmes au-delà du MCO proprement dit : un effort important est notamment réalisé pour tenir compte du cycle de vie des équipements. Les modèles et structures de coûts que j’évoquais permettent d’apprécier ce coût global.

Pour revenir à votre question sur les relations entre DCNS, les sous-traitants et la marine nationale, il ne faut pas faire un cas particulier de DCNS, qui est un maître d’œuvre parmi d’autres. La stratégie contractuelle du SSF tend notamment à responsabiliser un maître d’œuvre d’ensemble sur le résultat – qui peut être plus ou moins complexe et aller du fonctionnement du bateau à la fin de la période d’entretien jusqu’au contrat de disponibilité –, à charge pour cet opérateur de s’arranger avec ses sous-traitants.

Des difficultés peuvent apparaître entre le maître d’œuvre et ses sous-traitants, mais cela n’est pas propre au secteur naval. Sur les systèmes complexes, la performance résulte d’un dialogue entre le client et le fournisseur en dehors du cadre contractuel, sous la forme d’un partenariat. S’agissant des équipements relevant des sous-traitants, la difficulté est de nouer ce dialogue en évitant de porter atteinte aux attributions du maître d’œuvre d’ensemble. Il faut, par exemple, pouvoir dire directement à SAGEM ou Thales Underwater Systems que l’on rencontre des problèmes d’ergonomie ou de fiabilité, sans que le maître d’œuvre fasse écran. Cette démarche est délicate : elle doit éviter de brouiller les relations contractuelles et d’introduire des tiraillements entre les maîtres d’œuvre d’ensemble et leurs sous-traitants.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les externalisations risquent-elles de conduire à déléguer des missions revêtant un caractère régalien ou à poser des problèmes opérationnels aux armées, dans la mesure où elles ne maîtriseraient plus certains savoir-faire ou compétences ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Le partenariat stratégique élargi entre la marine et DCNS – lequel constitue un prototype – inclut, outre le dialogue sur la conduite des opérations de maintenance, une réflexion approfondie sur les compétences, tenant compte des préoccupations de l’industriel et de l’utilisateur, ainsi que de la préservation des compétences rares. Il s’agit d’un enjeu majeur.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quels sont les effectifs des ateliers militaires ?

M. le capitaine de vaisseau Claude Chaufrein. Ils comptent 900 personnes. Nous procédons à une analyse technico-économique pour optimiser la gestion de ces ateliers et déterminer leurs seuils de viabilité, avec des modèles de coûts reconnus.

Je conclurai en disant que la « bascule » de la réalisation du MCO naval, depuis six ans, d’une organisation en régie vers des industriels privés s'avère tout à fait positive.

Au-delà des gains strictement financiers – difficiles à évaluer –, on constate un progrès remarquable en termes de disponibilité des forces, qui se traduit dans les capacités opérationnelles disponibles.

En outre, l'ouverture de la compétition, avec une approche approfondie du « mieux-disant », est génératrice d'un progrès global de la filière du MCO naval militaire, grâce à l'émulation et aux progrès qu'elle engendre en termes de méthodes industrielles et d’organisation de chantiers.

Le défi, à ce stade, est évidemment la maîtrise, voire la réduction, des coûts.

Outre la mise en œuvre de toute la palette des techniques de contractualisation, il est nécessaire de mettre en place des actions globales d'amélioration des organisations dans la marine et chez les industriels. L’intérêt du partenariat est de favoriser une synergie entre ces actions.

Elles se traduisent en interne, au sein de la marine, par un plan intitulé « dispo-flotte 2015 », et en externe, par le partenariat stratégique avec DCNS que j’ai évoqué.

Enfin, sous contrainte durable de ressources, seule l'approche volontariste de conduite des programmes avec de fortes exigences sur la maintenabilité et la maîtrise des coûts – se traduisant par des jalons décisionnels – permettra de limiter les réductions capacitaires.

M. David Habib, Président. Je vous remercie.

Audition du 30 mars 2011

À 17 heures 15: M. Alain Costes, ingénieur général de l’armement (conseil général de l’armement), accompagné du colonel Philippe Samie, sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) aérien

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Dans le cadre de nos travaux sur les externalisations dans le domaine de la défense, nous accueillons maintenant M. Alain Costes, ingénieur général de l’armement auprès de l’état-major des armées, accompagné du colonel Philippe Samie, pour évoquer le maintien en condition opérationnelle (MCO) aérien.

Monsieur l’ingénieur général, je vous laisse la parole pour une brève présentation liminaire, puis nous en viendrons aux questions.

M. Alain Costes, ingénieur général de l’armement (conseil général de l’armement). En tant que chef de la Mission de modernisation du MCO des matériels aéronautiques de la défense (MMAé), petite équipe de dix personnes qui rend directement compte au cabinet du ministre – dont j’ai une lettre de mission –, j’ai une vision transversale du ministère pour toutes les questions de maintien en condition opérationnelle des aéronefs, avions comme hélicoptères.

Cette fonction m’a été confiée à compter du 1er avril 2010, mais la mission a été créée en juin 2005, à la suite d’un audit qui avait montré que des progrès étaient possibles
– étant précisé qu’il s’agit d’une activité dispersée entre l’état-major des armées, les états-majors de force et la DGA. L’objectif était de créer une équipe suffisamment indépendante pour promouvoir des idées novatrices.

L’une des actions majeures a été de construire un modèle de coût du MCO aéronautique, en rassemblant des informations relatives tant aux rémunérations et charges sociales qu’aux dépenses de contrats.

Étant également responsable du projet MCO aéronautique dans le cadre de la RGPP, je vous présenterai successivement, s’agissant des externalisations, les critères retenus, l’impact sur les effectifs et les gains financiers.

Les critères pouvant conduire à une décision d’externalisation, tout d’abord, sont de plusieurs ordres.

Il s’agit en premier lieu de critères opérationnels. On externalise des fonctions ou des activités qui ne sont pas critiques ou sensibles pour le contrat opérationnel des forces. A priori, une activité dont les forces ont besoin lorsqu’elles sont déployées ou susceptibles d’être déployées n’est pas externalisable ; à l’inverse, la possibilité d’une externalisation pourra être examinée lorsqu’il s’agit d’une activité relativement standard, se déroulant sur le territoire national, pour laquelle il existe des applications civiles ou des possibilités industrielles. La formation fait partie de cette deuxième catégorie – je pense à l’école de Dax.

Il faut aussi veiller à ce que les forces aient suffisamment d’activité de maintenance pour être capables d’assurer la permanence opérationnelle de maintenance en déploiement : pour que les avions déployés en opérations extérieures soient opérationnels, l’armée doit disposer non seulement de personnes sur place, mais aussi d’un vivier en France suffisamment large pour assurer les rotations de personnel.

Vient ensuite le critère économique. Le principe est simple. Si l’évaluation initiale – par exemple le devis d’un industriel – fait apparaître, par rapport au coût en régie, un gain supérieur ou égal à 20 %, on approfondit les travaux – lancement des consultations, recueil des offres. Il arrive que celles-ci conduisent à abandonner le projet.

Les choses ont été beaucoup plus formalisées par le ministère depuis l’été 2010. À trois moments-clés, on s’assure auprès du ministre qu’il est d’accord pour que les travaux soient poursuivis ; ce sont des jalons décisionnels. La principale raison en est que toute externalisation est assortie d’un volet social, comportant des reclassements ou des reconversions de personnels : le ministre peut en accepter le principe et en informer les organisations syndicales, ou ne pas souhaiter aller plus loin.

Actuellement, nous travaillons sur le dossier de l’externalisation du soutien des avions Xingu ; les évaluations économiques étant favorables, le ministre nous a donné son feu vert en octobre dernier pour lancer les consultations ; les offres sont en train d’être remises. Elles seront assorties d’une évaluation actualisée du coût en régie afin de demander au ministre, au vu du gain potentiel, sa décision finale.

J’en viens – deuxième point – à l’impact sur les effectifs.

Dans le cadre de la RGPP, des objectifs annuels ont été fixés en termes de gains en effectifs sur le MCO aéronautique, aboutissant à un gain cumulé de 4 495 personnes sur la période 2008-2014 – sur un total d’un peu moins de 25 000 personnes – par rationalisation. S’y ajoute, toujours selon le mandat fixé en 2008, un gain potentiel de 750 postes par externalisation.

Au 1er janvier 2011, nous en sommes, pour les rationalisations-restructurations, à un gain de 3 199 personnes, et pour les externalisations, à un gain de 1 432 personnes. Ce chiffre inclut le transfert des ateliers de la Marine sur les bases de Bretagne au SIAé, dans la mesure où il s’agit d’un transfert entre titre 2 et titre 3 ; les externalisations « pures » hors du ministère représentent environ 500 personnes.

Troisième point : l’impact financier des restructurations et externalisations.

Les données financières du ministère nous permettent d’évaluer le coût global d’une personne appartenant au personnel de la défense : en moyenne, il est de 60 000 euros par an si l’on considère l’ensemble « rémunérations et charges sociales » (RCS) et « pensions », ces dernières représentant le tiers du total ; s’ajoutent environ 6 000 euros par an de dépenses annexes – habillement, informatique, nourriture, frais de déplacement. Sur cette base, une personne en moins représente donc une économie de 66 000 euros par an. L’économie globale apportée par les restructurations du MCO aéronautique peut ainsi être évaluée, à la fin de la période, à 300 millions d’euros par an.

Pour évaluer l’économie apportée par une externalisation, on procède différemment : on mesure l’écart entre le coût en régie et le coût du contrat. Un calcul approximatif conduit à évaluer à 15 % le gain sur les opérations réalisées ; les économies attendues à l’horizon 2015 sont d’environ 30 millions d’euros par an. Il apparaît donc que les restructurations procurent des économies plus importantes que les externalisations ; mais ces dernières ont aussi pour objectif d’apporter un service optimisé.

Quelques observations maintenant sur l’évolution du MCO aéronautique depuis 2008.

Elle a été marquée, tout d’abord, par de fortes rationalisations internes, largement aidées par la création du Service industriel de l’aéronautique (SIAé), ayant vocation à accueillir des entités qui ont des activités industrielles, quel que soit l’état-major d’origine. C’est ainsi que depuis le 1er janvier, les ateliers de maintenance de la Marine situés à Lann Bihoué, à Lanvéoc et à Landivisiau sont sous la responsabilité du SIAé ; les personnels n’ont pas bougé et font toujours le même travail, mais à moyen terme, il sera possible d’avoir une meilleure efficacité économique en optimisant la répartition de l’activité entre les différents sites du SIAé. D’autres activités sont transférées au SIAé, notamment, depuis le 1er janvier, des visites de l’armée de l’air sur les Alpha Jet, ou encore la maintenance industrielle des sièges éjectables – qui désormais ne se fait plus sur chacune des bases, mais sur le site SIAé d’Ambérieu.

Deuxième évolution importante : la clarification des responsabilités entre les états-majors, le SIAé et la SIMMAD (Structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la Défense).

En troisième lieu, « l’interarmisation » s’est développée : Groupe interarmées d’hélicoptères (GIH) à Villacoublay ; accueil d’hélicoptères de l’armée de l’air sur la base de l’armée de terre à Pau ; Rafale Marine détaché à la base aérienne de Saint-Dizier – situation difficilement imaginable il y a quelques années, mais aujourd’hui possible du fait du rapprochement des équipements et des formations.

Enfin, le SIAé développe des partenariats avec l’industrie, l’idée étant d’optimiser l’usage des gros moyens, qu’ils relèvent de l’un ou de l’autre.

J’en arrive au coût global du MCO aéronautique.

Nous l’avons évalué à 3,75 milliards d’euros en 2009. Les dépenses de personnel – RCS (rémunérations et charges sociales) et pensions, ainsi que les frais de fonctionnement associés – représentent 36 %, soit un peu plus de 1,3 milliard. La part de soutien initial des opérations d’armement, relevant du programme 146 Équipement des forces piloté par la DGA, représentent 0,4 milliard. Les contrats de maintenance représentent 53 %, soit près de 2 milliards, dont 20 % environ vont au SIAé et 80 % à l’industrie.

Ce travail d’évaluation lancé par la MMAé permet de suivre les évolutions du coût global du MCO aéronautique et de faire des prévisions. Entre 2005 et 2009, le coût global est resté assez stable, mais cela résulte d’un effet de ciseaux : la baisse des dépenses de personnel a compensé l’augmentation du coût des contrats. Celle-ci résulte, pour une petite part, des contrats d’externalisation, et surtout, du fait que les appareils modernes qui remplacent petit à petit les flottes anciennes sont plus chers à entretenir – phénomène qui n’est pas particulier à la France ; mais les armées parviennent néanmoins à contenir les coûts en réduisant le nombre d’appareils ainsi que le nombre d’heures de vol. Les analyses fines auxquelles nous procédons, armée par armée et puis flotte par flotte, nous permettent d’évaluer le coût du soutien dans les années à venir, compte tenu des prévisions d’activité des forces.

Dernier point : les externalisations depuis le SIAé.

Le SIAé ne réalise pas lui-même des externalisations globales dans son domaine d’activité. En revanche, il pratique la sous-traitance de capacité ou de spécialité, pour faire face à un pic de charge ou pour réaliser une tâche particulière – par exemple la peinture. Mais la sous-traitance ne représente qu’une très petite partie de sa « charge pilotée » : en 2010, sur une charge pilotée de 3,2 millions d’heures, la sous-traitance a représenté moins de 200 000 heures – l’heure n’étant ici qu’une unité de comptabilisation correspondant au travail qu’il aurait fallu faire en interne, car c’est la prestation elle-même qui est contractualisée.

Enfin, le compte de résultats du SIAé fait apparaître que les rémunérations des personnels représentent 40 % du chiffre d’affaires ; 40 % encore correspondent à des acquisitions auprès des industriels. Les industriels qui réclament une privatisation de son activité doivent être conscients de l’importance des prestations qu’il achète de toute façon à l’industrie.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Où situez-vous la frontière entre sous-traitance et externalisation ?

M. Alain Costes. L’externalisation concerne une fonction complète. On peut considérer que le SIAé externalise son activité de peinture ou de décapage, dès lors qu’il la confie en bloc à l’extérieur ; il s’agit néanmoins d’un élément d’une prestation plus large. On peut en revanche parler d’externalisation véritable quand il s’agit de l’ensemble de la maintenance des Xingu, ou encore de la fourniture d’heures de vol pour l’école de Dax : il y a alors externalisation d’une prestation complète, dans le cadre de contrats de longue durée, revus chaque année en fonction du plan de charge, et avec des obligations de résultats.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. En ce qui concerne « l’interarmisation », tous les matériels aéronautiques utilisés par plusieurs armes font-ils l’objet d’une maintenance rationalisée ?

M. Alain Costes. Il y a rationalisation, en ce sens que la maintenance dans son ensemble est gérée par la SIMMAD et par une seule et même équipe. Cependant cette rationalisation n’est pas complète. Tout d’abord, notamment du fait des règles de comptabilité publique, chacune des armées est propriétaire de ses rechanges, même si la SIMMAD a une vision d’ensemble qui lui permet, au vu des besoins et des stocks de chacune, de demander un mouvement de l’une vers une autre. De plus, un Puma de l’armée de l’air n’est pas absolument identique à un Puma de l’armée de terre ; les programmes de maintenance sont donc un peu différents.

M. le colonel Philippe Samie. Il est difficile de parvenir à une mutualisation complète sur les appareils anciens. Il existe des différences entre les armées – y compris la gendarmerie – non seulement dans le matériel et l’équipement du matériel, mais aussi dans les processus de formation des personnels, équipages comme mécaniciens. Dans ce domaine nous progressons, mais lentement.

Les vrais enjeux concernent les matériels nouveaux. C’est ainsi que pour le Rafale, ou encore pour le NH90, nous travaillons à éviter toute divergence dans les plans d’entretien, dans la formation des personnels et dans l’équipement des aéronefs. Cependant il y a nécessairement des écarts, les appareils utilisés par chaque armée devant assurer des missions spécifiques.

M. Alain Costes. La SIMMAD est un vecteur de cette mutualisation. Elle doit se diviser en deux entités, l’une à Bordeaux, l’autre à Paris. À cette occasion, sous l’égide du MMAé, des petites unités encore indépendantes vont être réunies à la SIMMAD.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les services du ministre de la Défense, et notamment le Secrétariat général de l’administration (SGA), nous ont indiqué que la politique d’externalisations relevait de la décision du ministre et que chaque projet devait faire l’objet d’une étude préalable. Disposez-vous néanmoins d’une marge de manœuvre, ou tout doit-il passer par le SGA et le ministre ?

Par ailleurs, je constate qu’en matière de transport aérien stratégique, on est allé loin dans la mutualisation et les externalisations, y compris par l’utilisation de matériels étrangers – je pense aux Antonov – pour le transport de matériel. Comment assurez-vous le MCO de matériels qui sont fabriqués par des étrangers et qui remplissent des missions opérationnelles stratégiques ?

M. Alain Costes. Les instructions du cabinet du ministre sont très strictes : il n’est pas question de se lancer dans une externalisation sans avoir eu un feu vert, sinon du ministre lui-même, au moins de son cabinet.

Pour le dossier Xingu, le cabinet nous a indiqué que, les personnels civils concernés étant peu nombreux, il n’y avait pas besoin de passer par le ministre pour lancer la consultation. En ce qui concerne les évaluations financières, nous avions établi au début nos références et nos méthodes de calcul du coût global – à partir des rémunérations et charges sociales, déterminées flotte par flotte, en tenant compte du management, de la logistique, du personnel de la SIMMAD… –, mais le SGA a créé la Mission d’appui aux partenariats public-privé (MPPP), qui a développé sa propre méthodologie, laquelle est devenue la référence. La MPPP, au vu des dossiers initiaux du Xingu, a considéré que nous pouvions lancer la procédure, ce que nous avons fait. Actuellement, le dossier est en phase d’approfondissement pour pouvoir être présenté au ministre.

Nous appliquons donc la procédure strictement. Il reste bien quelques discussions sur ce qu’il faut comptabiliser – intégration ou non des pensions dans les rémunérations, prise en compte ou non de la manière dont les personnes peuvent être reclassées… Au SGA de préciser ces points.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cette règle doit garantir que des économies vont être dégagées au terme du processus d’externalisation. Dans les opérations dont vous avez connaissance, était-ce le cas – du moins dans le modèle de calcul, étant entendu que des écarts peuvent être constatés lors de la réalisation ?

M. Alain Costes. Oui. Mais il existe toujours des incertitudes dans la réalisation. Je n’ai pas de chiffres à vous présenter sur les opérations dont je suis le déroulement, les données étant trop récentes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Parmi les externalisations accomplies ces dernières années, pourriez-vous nous en citer une ou deux pour lesquelles il est possible de mesurer le décalage entre les objectifs assignés et les résultats obtenus ?

M. Alain Costes. Non. Je n’en sais pas plus que ce qui figure dans les documents relatifs au dossier de Dax et à celui de Cognac.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous avez bien distingué les restructurations et les externalisations. Or quand nous voyons se déployer la réforme du ministère, nous avons le sentiment que les externalisations sont un prolongement, qui ne dit pas son nom, des restructurations en cours : on en attend qu’elles aboutissent à une diminution supplémentaire d’effectifs. Est-on sur ce chemin dans l’armée de l’air ?

M. Alain Costes. À l’objectif fixé aux armées de réduire leurs effectifs de 54 000 personnes, le MCO aéronautique doit contribuer à hauteur de 4 495 personnes, correspondant aux seules rationalisations. Les gains en effectifs résultant des externalisations viennent en plus – mais il existe une différence de nature : une externalisation est réversible.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les externalisations n’ont-elles pas pour but d’aller, sans le dire, bien au-delà du niveau de déflation des effectifs qui a été fixé ?

M. Alain Costes. Certes, une externalisation conduit en principe à une réduction d’effectifs, mais souvent les postes ainsi dégagés sont repris ailleurs, pour répondre aux divers besoins des armées.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lorsque vous pratiquez une externalisation, l’entreprise privée est-elle obligée, en vertu de l’article L. 1224-1 du code du travail, de reprendre la totalité du personnel ?

M. Alain Costes. L’entreprise n’a aucune obligation de reprendre les personnels. Cette obligation s’applique seulement à certaines activités de service comme la restauration.

Mais il existe, depuis septembre dernier, le dispositif de mise à la disposition de personnel. Pour nous, l’intérêt de cette mise à disposition temporaire est de raccourcir le délai de « prise de compétence » de l’industriel – qui alourdit la facture. L’inconvénient est que le décret impose une mise à disposition pour la durée du contrat et pour exercer la même activité ; l’employeur n’est donc pas libre d’utiliser ces personnels comme il le souhaite pour optimiser son organisation – alors que si nous externalisons, c’est bien pour bénéficier d’une telle optimisation.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dès lors que l’article L. 1224-1 ne s’applique pas et que la mobilité des fonctionnaires n’est pas obligatoire, comment fait-on pour que les externalisations aboutissent à une diminution des effectifs ?

M. Alain Costes. L’établissement concerné doit être déclaré établissement restructuré. C’est l’une des contraintes qui nous sont imposées par le cabinet du ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. On en revient à l’idée que l’externalisation peut être un moyen de poursuivre des restructurations au-delà de celles qui ont été annoncées.

M. Alain Costes. Oui, d’une certaine façon. Mais le fait de déclarer cette restructuration permet aussi aux personnels de bénéficier des aides à la mutation. Le souhait des armées est que telle personne qui fait aujourd’hui la maintenance du Xingu à Nîmes aille demain à Lann Bihoué ou à Landivisiau pour faire la maintenance du Rafale ou des Atlantique 2.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans votre calcul de l’économie engendrée par une externalisation, incluez-vous le coût des mesures sociales d’accompagnement applicables au personnel d’un établissement restructuré ?

M. Alain Costes. Aujourd’hui je ne les comptabilise pas, mais on est en train de me demander de les prendre en compte dans les nouveaux calculs. Le SIAé, lui, les comptabilise car il doit les payer sur son budget.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Si on ne comptabilise pas les mesures d’accompagnement social rendues nécessaires par les restructurations, comment être sûr du modèle d’économies présenté ?

M. Alain Costes. Le modèle que je vous ai présenté est fondé sur le coût constaté. Mais dans les travaux qui viennent d’être lancés avec la direction des Affaires financières du ministère de la Défense, visant à calculer les économies réalisées, il nous est demandé d’intégrer ce type de coûts. Dans le dossier préparatoire à une décision, nous ne les comptions pas.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il ne me paraît pas très orthodoxe, pour mesurer l’intérêt qu’il y aurait à externaliser des opérations, de ne pas prendre en compte le coût des mesures sociales d’accompagnement : cela fausse l’équation, même si je ne sais pas dans quelle proportion.

M. le colonel Philippe Samie. Ces mesures ne s’appliquent qu’aux personnels civils. Or les personnels concernés sont essentiellement des personnels militaires. Dans le dossier du Xingu, les personnels civils ne dépassent pas huit ou neuf personnes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il n’en va pas de même dans toutes les opérations d’externalisation.

M. le colonel Philippe Samie. En effet, mais je parle du MCO aéronautique.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le problème semble se présenter différemment dans la Marine…

M. le colonel Philippe Samie. Nous conduisons un travail sur les postes, y compris dans l’estimation des coûts. Les postes disparaissent ou sont transférés ; mais la gestion des effectifs est une manœuvre plus délicate.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il reste que dans le cadre de la RGPP, l’externalisation est destinée à faire des économies ; il nous faut donc examiner si tel est bien le cas – d’autant que les positions divergent, y compris au sein du SGA, sur le principe même des externalisations.

M. le colonel Philippe Samie. Les plus grosses opérations d’externalisation, destinées à recentrer le militaire sur l’opérationnel, ont été conduites avant le lancement de la RGPP. Leurs bénéfices ont déjà été engrangés. Le reste, en effet, mérite examen.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les gains susceptibles d’être tirés d’externalisations comme celle de la fonction RHL (restauration-hébergement-loisirs) vont être plus difficiles à évaluer. Tout ce qui était facile ayant été fait, il faut se pencher sur les conditions dans lesquelles on fera le reste !

M. Alain Costes. Vous avez évoqué l’utilisation d’Antonov pour le transport stratégique : il s’agit de contrats de service ; on achète des heures de vol ou un service de transport – comme on fait transporter des conteneurs par un cargo. Pour des besoins ponctuels, mieux vaut pratiquer le contrat de location que posséder des matériels coûteux à entretenir.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. J’aimerais avoir des précisions sur les entreprises qui peuvent être choisies pour faire le MCO de certains types d’appareil. Je pense en particulier aux Falcon de l’ETEC et de la Marine nationale. Quels sont les critères de choix de ces entreprises ? Y a-t-il une règle d’appartenance à l’Union européenne – dont, à ma connaissance, la Suisse ne fait pas partie ? Est-il légitime que les employés travaillant sur les bases françaises relèvent d’un droit non communautaire ?

M. Alain Costes. Les règles communautaires imposent l’ouverture au marché européen, mais non la restriction aux pays de l’Union. Pour les Falcon, le choix ne s’est pas fait sans garde-fous : garanties professionnelles de la société, réalisation des travaux en France, respect de certaines règles du droit français. Ce système permet que s’exerce une compétition stimulante.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Il ne faut pas que les différences de charges sociales créent des distorsions de concurrence. C’est tout le problème de Ryanair à Marseille.

M. Alain Costes. Il en va de même pour les Puma et les Hercules C130, dont la maintenance a été confiée à une société portugaise, dans le cadre d’une mise en concurrence : incontestablement, les charges sociales jouent dans le devis.

M. le colonel Philippe Samie. Il faut avoir à l’esprit ce que représentent ces contrats dans le budget total du MCO.

M. Alain Costes. 40 % des 2 milliards que représentent les contrats de maintenance font l’objet d’une mise en concurrence ; le reste se fait de gré à gré, certaines pièces n’ayant qu’un seul fournisseur. 7,5 % vont vers des sociétés étrangères.

M. David Habib, Président. Sans compter la sous-traitance que les entreprises peuvent faire à l’étranger.

M. Alain Costes. En effet.

M. David Habib, Président. Il me reste à vous remercier pour cet échange et la précision de vos propos.

Audition du 6 avril 2011

À 16 heures 15: Audition sur l’affrètement stratégique aérien et naval :

 du général Philippe Carpentier, responsable du Centre multimodal de transport de Villacoublay,

– du général Patrick Huguet, responsable du projet d’affrètement de navires rouliers à l’état-major des armées,

– du colonel Laurent Chaput, responsable du projet d’affrètement maritime et aérien opérationnel,

– du colonel Jean Rondel, officier de cohérence opérationnelle à l’état-major des armées pour le domaine Projection Mobilité Soutien,

– du général Guy Girier, sous-chef plan programme à l’état-major de l’armée de l’air pour la location avec option d’achat des A340,

– du colonel Jean-Jacques Chevalier, chef du bureau de la division expertise

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Cette audition portant sur l’affrètement stratégique aérien et naval se déroule en présence de Mme Françoise Saliou, conseillère maître à la Cour des comptes, et de M. Olivier Brochet, rapporteur.

Les rapporteurs de la Mission d’évaluation et de contrôle, M. Bernard Cazeneuve et M. Louis Giscard d’Estaing, sont issus de commissions et de groupes politiques différents, afin que leurs préconisations rencontrent l’assentiment général de l’Assemblée nationale.

M. le général Philippe Carpentier, responsable du Centre multimodal de transport de Villacoublay. Au sein du Centre multimodal de transport (CMT), je conduis les opérations. Le général Patrick Huguet est chargé du contrat de partenariat d’État des navires rouliers ; le général Girier est responsable de l’acquisition des avions ; le colonel Laurent Chaput et le colonel Jean Rondel travaillent sur la partie capacitaire et la politique de transport.

Depuis les décrets de 2005 et de 2009, le chef d’état-major des armées est responsable de la conduite des opérations. Le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) détermine leur économie générale, ainsi que le volet logistique qui y est associé. Organisme interarmées, le CMT a la tutelle sur les trois modes d’acheminement : aérien, maritime et de surface. Il assure la planification et la programmation, l’exécution des mouvements dépendant des trois centres de conduite.

Depuis décembre 2010, le Commandement du transport aérien européen (EATC, European Air Transport Command) implanté à Eindhoven, rassemble les moyens aériens de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas, en attendant ceux de la Belgique. Il prend en compte nos besoins et assure la conduite des opérations aériennes.

Le Centre de conduite du transit maritime (CCTM), situé à La Rochelle, assure les transports maritimes au moyen de trois navires rouliers affrétés à l’année. Ceux-ci sont appelés Ro/Ro (roll on/roll off) parce que les véhicules y entrent et en sortent en roulant.

Les transports de surface sont gérés par le centre de Montlhéry, commun à l’armée de l’air et à l’armée de terre. Il me consacre un quart de son temps.

Le CMT est responsable de l’acheminement stratégique. Pour les opérations ou pour le prépositionnement de nos forces, nous assurons le transport depuis le point de la métropole où est basée la ressource, par exemple Châteauroux, jusqu’au territoire concerné, comme Kaboul ou N’Djamena. Sur place, le commandant de théâtre est responsable des acheminements internes.

Quand nous recevons une demande, nous l’étudions en envisageant les trois modes de transport, entre lesquels nous choisissons en fonction de l’urgence. Par ailleurs, nous privilégions les moyens patrimoniaux. Ainsi, pour la voie aérienne, nous préférons utiliser nos cinq Airbus, nos Transall et nos C-130, n’affrétant un appareil que si nécessaire. Pour la voie maritime, les bâtiments de guerre de la marine ne se chargent pas de transport régulier, même s’ils peuvent, en cas de besoin, effectuer des transports opérationnels. Nous utilisons donc les trois navires affrétés à l’année. Le transport de surface, qui est utilisé vers l’Afghanistan, emprunte la voie ferrée. Mais le trajet, au départ de la Lituanie et à travers l’Asie centrale, rencontre des problèmes liés au transit ou à la traversée des frontières. Il est long, compliqué et réservé au fret non sensible.

En 2010, nous avons transporté 133 000 passagers, dont 99 % à bord de nos cinq Airbus, ainsi que 82 000 tonnes de fret. Les Airbus A340, qui seuls peuvent aller en Afghanistan, y effectuent la totalité des transports et des relèves. Ils assurent aussi tous ceux des compagnies tournantes en Afrique et dans les départements et territoires d’outre-mer. La capacité de ces Airbus est pleinement employée au transport des militaires. Sur les 82 000 tonnes de fret, 60 % ont été transportées par voie maritime, 29 % par voie aérienne et 11 % par voie de surface.

Pour la voie maritime, il existe des lignes régulières vers la côte ouest de l’Afrique, les Antilles-Guyane-Pacifique et l’Océan indien. Des ruptures de charge permettent de réduire les coûts, ce qui est notre souci permanent. Ainsi, le fret vers l’Afghanistan est transporté par navire jusqu’aux Émirats arabes unis (EAU), puis par avion. Le transport externalisé d’un conteneur de vingt pieds standard depuis la France représente environ 27 000 euros en acheminement direct, mais seulement 19 000 euros avec une rupture de charge aux EAU et moins de 4 000 euros par voie de surface. Cependant, l’acheminement par mer jusqu’à Karachi, puis par voie routière à travers le Pakistan reste difficile. L’an dernier, les Talibans ont attaqué plusieurs convois, notamment de carburants. Cette voie ne peut donc être utilisée que pour 20 % du fret, à l’exclusion du transport d’armement, de munitions ou de denrées périssables.

Le trafic aérien est assuré à 38 % par nos avions – Transall, C-130 et CASA 235 – pour l’acheminement inter-théâtre. Le reste est effectué par voie aérienne externalisée, majoritairement dans le cadre du contrat SALIS (Strategic Air Lift Interim Solution), liant une agence de l’OTAN, la NAMSA (Nato Maintenance and Supply Agency), à plusieurs pays. Il est assuré par Antonov 124. Pour garantir un flux quotidien vers l’Afghanistan, où séjournent environ 4 000 de nos hommes, un commissionnaire en transport est chargé de déterminer le moyen approprié de transporter tel fret en urgence ou en routine. Le fret encombrant, qui ne peut être palettisé, est transporté par Iliouchine 76, qui, pour charger ou décharger, n’exige aucun moyen aéroportuaire. En revanche, le fret palettisé, notamment les vivres frais, peut être acheminé à moindre coût par un avion-cargo comme le Boeing 747 cargo. Ces divers moyens nous permettent de remplir notre mission.

Le contrat SALIS court jusqu’en 2012, mais notre partenaire le jugeant peu rentable eu égard au coût des heures de vol, a annoncé l’an dernier qu’il souhaitait se désengager. Le volume d’heures SALIS est ainsi tombé de 1 200 à 550. Pour compenser l’écart, nous avons proposé à l’état-major des armées de passer un nouveau marché. Le contrat a été remporté par la société ICS, qui utilise tout type d’avions, Antonov 124, Iliouchine 76, Airbus A300, Boeing 747 et C 130, en fonction de la charge à transporter.

En cas de besoin inopiné, un marché d’affrètement peut être conclu à très courte échéance, grâce à un contrat cadre qui inclut sept compagnies. En cinq à six jours – le temps d’obtenir les autorisations de survol –, elles peuvent affréter un avion. Un autre marché nous permet, si besoin, d’affréter un porte-conteneurs.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Est-ce en raison d’un déficit capacitaire ou pour réaliser des économies qu’on recourt à l’externalisation ?

M. le général Philippe Carpentier. L’armée a choisi de ne pas posséder de navires marchands. Or, s’ils peuvent effectuer du transport opérationnel, les bâtiments de la marine ont une activité opérationnelle trop dense pour se charger des transports réguliers. C’est ce qui explique le recours à l’affrètement maritime.

Il en va de même pour le trafic aérien. L’armée n’a pas voulu se doter de l’Antonov 124, nécessaire pour transport le hors-gabarit, ou de C-17. L’externalisation relève donc d’une décision délibérée.

À terme, même si nous disposons d’une capacité suffisante en A400M et en MRTT (Multi Role Tanker Transport), nous aurons toujours besoin d’un volume incompressible de 350 heures de vol d’Antonov 124 par an pour le fret hors gabarit. Pour l’heure, puisque le « tuilage » entre l’A-400M et le Transall a pris du retard, l’externalisation est un choix qui permet de pallier le déficit capacitaire.

M. le général Guy Girier, sous-chef plan programme à l’état-major de l’armée de l’air pour la location avec option d’achat des A340. N’ayant pas choisi d’acquérir d’AN-70 ou de C-17, nous attendons avec impatience d’être dotés de l’A-400M, qui apportera une réponse appropriée. Quand nous avons lancé ce programme, les besoins émergeaient dans le cadre des projections à long rayon d’action. Ils se sont précisés ensuite. Pour l’instant, nous n’avons pas d’autre choix que de recourir à l’externalisation au travers de contrats comme SALIS, qui nous a permis de couvrir les besoins d’engagement sur les théâtres d’opération.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’externalisation se justifie donc essentiellement par des considérations capacitaires et opérationnelles. Quelle part du transport, tous types confondus et par type de transport, s’effectue en régie et par externalisation ?

M. le général Philippe Carpentier. Le fret maritime est entièrement externalisé. Le fret aérien est externalisé à 57 %, 38 % étant transporté par nos vecteurs patrimoniaux et 5 % par des appareils étrangers dans le cadre du protocole ATARES (protocole d'échange de services de transport aérien et de ravitaillement en vol).

Nous utilisons également les voies maritimes commerciales pour assurer un flux logistique régulier, par exemple vers l’Afrique, le Liban ou la Guyane, où nous envoyons environ un navire tous les six mois. Pour acheminer régulièrement un conteneur avec la logistique appropriée, nous avons passé des marchés permettant certaines économies. Il y a quelques années, nous affrétions vers la Guyane trois navires par an, qui n’étaient pas toujours totalement remplis. Nous n’en envoyons plus que deux, en utilisant en complément les voies maritimes commerciales.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. En somme, vos choix sont dictés par l’incapacité dans laquelle vous êtes parfois de recourir à des moyens patrimoniaux. Y a-t-il des missions qui figurent dans votre cœur de métier et dont l’externalisation peut poser problème ?

M. le général Philippe Carpentier. Pour la partie aérienne, dès lors que nous disposerons de l’A-400M et du MRTT, nous serons moins sensibles aux aléas de la voie externalisée. Cela dit, en trois ou quatre ans, pendant lesquels l’acheminement du fret vers l’Afghanistan a été vital pour nos troupes, nous ne nous sommes jamais retrouvés ni en rupture ni en déficit de contrat SALIS. Je ne pense pas qu’une rupture capacitaire soit à craindre, compte tenu de la demande croissante de tels avions au niveau mondial, et du besoin de toutes les compagnies qui les affrètent de fiabiliser et de conforter le marché. Cependant, pour être certains de disposer d’un avion SALIS à la date donnée, nous le réservons généralement avec au moins un mois d’avance, alors que le délai contractuel est de vingt jours. Nous serons plus réactifs quand nous recourrons à des ressources patrimoniales.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les événements survenus récemment en Libye et en Côte-d’Ivoire montrent que le Gouvernement peut décider d’une opération en quelques heures. Les modalités de mobilisation des moyens dont vous disposez sont-elles compatibles avec les exigences d’un monde instable, où les interventions sont rapides ?

M. le général Philippe Carpentier. Il serait plus confortable de disposer de l’A-400M et du MRTT. Cela dit, dans le contexte que vous évoquez, tous les moyens ont été mobilisés pour répondre aux besoins. L’EATC nous a permis de disposer d’un DC10 néerlandais pour transporter des passagers. À terme, le transport aérien européen permettra de rassembler des moyens plus importants pour faire face aux besoins urgents et ponctuels.

Pour desservir la Côte-d’Ivoire, nous aurions pu affréter des avions en urgence, mais ceux-ci, ne pouvant atterrir à Abidjan, auraient dû se poser par exemple à Lomé, dans un pays voisin et stable, le transport intra-théâtre restant à assurer. Les moyens patrimoniaux nous permettront de nous rendre directement sur le théâtre, une fois le terrain sécurisé.

M. le colonel Laurent Chaput, responsable du projet d’affrètement maritime et aérien opérationnel. Le contrat SALIS peut paraître risqué, au sens où il fait appel à des aéronefs de compagnies russes et ukrainiennes ; mais il offre une large palette de procédures d’accès aux aéronefs en termes de volume de moyens et de délais. La procédure normale permet de disposer de deux avions sous vingt et un jours. Les nations bénéficient, en outre, d’un dispositif d’activation garantissant l’accès en urgence, sous soixante-douze heures, à deux appareils, pour des besoins nationaux ou communs à d’autres nations du programme. Si l’opération s’effectue dans le cadre de l’Union européenne ou de l’OTAN, elles peuvent disposer de six appareils entre soixante-douze heures et neuf jours.

Nous avons utilisé des Antonov d’une compagnie ukrainienne en soutien des opérations que nous menions en Libye et que la Russie n’avait pas approuvées. Au cours des cinq dernières années, le gouvernement de la Russie ou de l’Ukraine n’a jamais tenté de s’ingérer dans l’utilisation que les sociétés commerciales, qui jouissent d’ailleurs d’une certaine influence auprès des autorités politiques locales, font de leurs appareils. Leur aptitude à satisfaire les besoins de leurs clients paraît donc garantie.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Depuis dix ans, comment le coût annuel de l’externalisation du transport stratégique a-t-il évolué ? Quels bénéfices a-t-on retiré de la mise en place de la base navale des Émirats arabes unis en vue d’intervenir sur le théâtre afghan ?

M. le général Philippe Carpentier. Le CMT, créé en 2007, a la main sur les trois modes de transport depuis 2009. Depuis 2006, les heures de vol SALIS sont un important facteur de dépenses pour la voie externalisée. Leur coût, fixé de manière contractuelle, est en partie fixe et en partie lié au prix du carburant. Les besoins opérationnels évoluent également. En 2008, du fait de l’envoi en Afghanistan d’un Groupement tactique interarmes (GTA) supplémentaire et de l’engagement de l’EUFOR (force de l'Union européenne) au Tchad, nous avons consommé 1 700 heures de SALIS, contre 1 350 en 2009 et 1 230 en 2010. Pour 2010, la partie externalisée correspond à 85 millions d’euros pour l’aérien, le maritime et la voie de surface. Pour la seule voie aérienne, le montant du contrat SALIS atteint 29 millions.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous remercie de nous transmettre ces données chiffrées.

M. le général Patrick Huguet, responsable du projet d’affrètement de navires rouliers à l’état-major des armées. Le marché maritime est extrêmement fluctuant. Comme dans tous les marchés de niche, des effets de bascule peuvent être produits par de faibles variations. En outre, le prix du pétrole a fortement augmenté. Les contrats actuels peuvent évoluer de 5 à 10 % par an pendant toute leur durée.

Les conditions dépendant du moment de leur signature, 2010 aurait été une bonne année pour les renouveler : du fait de la situation du commerce mondial, les bateaux ne trouvaient pas preneur et les taux d’affrètement étaient intéressants. Il n’est pas impossible que la donne ait évolué de 20 à 30 % quand nous renégocierons les contrats.

On se souvient que, lors de la crise irakienne, quand les prix ont triplé en moins de quinze jours, il n’aurait pas été possible de se rendre dans la région : il n’y avait plus aucun roulier disponible.

On voit à quel point il est difficile de parler de tendance du marché maritime. Depuis que nous réfléchissons au projet de partenariat pour améliorer la capacité opérationnelle de projection française, nous avons connu quatre cycles de très forte hausse suivie d’une très forte baisse. Nous terminons un cycle de forte baisse, et les taux d’affrètement repartent à la hausse. La notion de moyenne n’a donc pas grand sens.

L’an dernier, le coût d’affrètement pur des trois navires rouliers a représenté 14,5 millions d’euros, auxquels il faut ajouter les coûts variables, principalement le prix du carburant, qui représentent 10 millions d’euros. Pour 2010, le total se situe aux alentours de 25 millions. Il était compris entre 20 à 25 millions pour les années précédentes.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pour évaluer les besoins capacitaires liés à chaque opération, il faut distinguer, année par année, le déficit permanent, en partie imputable à l’attente de l’A-400M, et les besoins liés à un engagement précis : retrait, redéploiement ou création d’un nouveau GTIA (Groupement tactique interarmes). C’est ce qui me permettra, en tant que Rapporteur spécial compétent pour le budget des OPEX, d’identifier leur surcoût.

La France utilise-t-elle de manière équilibrée le protocole ATARES, qui prévoit, au niveau de l’OTAN, l’échange d’heures de vol ? Est-elle toujours demandeuse ou fournit-elle aussi des heures, quand ses capacités se révèlent excédentaires ?

M. le général Philippe Carpentier. Depuis que nous avons la main sur l’ensemble des modes de transport, nous optimisons les moyens. L’an dernier, sur les trois navires rouliers, la planification de l’activité a permis de réaliser neuf mois de mise hors-charte, soit un million d’économies. La branche Guyane-Pacifique étant coûteuse en jours de mer, nous avons supprimé une rotation en compensant par la voie commerciale, également pour le transport des munitions.

Créé en 2001, le protocole ATARES constitue une bourse d’échange pour les heures d’avion et de ravitailleur. Récemment, les Pays-Bas devaient emmener du personnel pour effectuer un exercice en Alaska. Leurs DC-10 ne pouvant effectuer la totalité de l’opération, un de nos Airbus 340 les y a aidés, en échange d’une rotation en DC-10 sur Dakar. ATARES est devenu l’unité de compte de l’EATC. Des missions peuvent être assurées par les Transall allemands, plus nombreux et moins utilisés que les nôtres. Pour équilibrer sa balance, la France dispose d’un atout : elle est seule à posséder des avions ravitailleurs, ce qui la conduit à effectuer du ravitaillement en vol pour l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas. Au 31 mars 2011, une fois comptabilisées les prestations croisées de transport, de ravitaillement et de prise en charge partielle d’un chargement, nous disposions d’un crédit de 244 heures. Nous veillons d’ailleurs à ce que notre solde ne soit jamais négatif. Le protocole est donc équilibré.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. J’en viens à une question que nous avons déjà posée au président du GIFAS (Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) et au ministre de la Défense. Sachant que, pour les ravitailleurs, le programme MRTT est repoussé au plus tôt en 2017, comment sera financé le contrat opérationnel, dans un contexte budgétaire marqué par la suppression de 54 000 emplois, les interrogations qui entourent les recettes exceptionnelles et la décision, il y a quelques mois, de taxer de 3,5 milliards d’euros le budget de la Défense ?

Les Britanniques ont choisi de passer avec des entreprises privées un contrat de vingt-sept ans. Sans être particulièrement favorable à cette stratégie, j’aimerais savoir si vous avez eu des retours à son sujet. Vous semble-t-elle pertinente ?

L’externalisation, qui est dictée par des contraintes capacitaires d’autant plus importantes que le budget est serré, est-elle plus ou moins onéreuse que l’acquisition d’un matériel d’occasion ou de transition, qui permettrait d’effectuer le transport de manière patrimoniale ? Comparez-vous systématiquement le coût des deux solutions ?

M. le général Guy Girier. Pour les ravitailleurs, le pilotage du programme MRTT est effectué en liaison avec la direction générale de l’Armement, qui a exploré toutes les hypothèses, du CPE à l’acquisition d’avions neufs ou de deuxième main. L’instruction se poursuit, mais l’orientation patrimoniale s’impose, car les ravitailleurs font partie de la mise en œuvre de la mission de dissuasion, qui appartient à notre cœur de métier.

Nous dialoguons avec les Britanniques au sujet du contrat FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) pour envisager des synergies. Différentes options sont possibles, mais il faut poser le problème de la mission de dissuasion, dont dépend notre souveraineté.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. N’est-ce pas aussi le cas pour les Britanniques ?

M. le général Guy Girier. Non, car ils ne mettent pas en œuvre de composante nucléaire pilotée. La discussion se poursuit. Nous explorons aujourd’hui les aspects financiers et budgétaires du problème.

M. le colonel Jean Rondel, officier de cohérence opérationnelle à l’état-major des armées pour le domaine Projection Mobilité Soutien. Les discussions avec les Britanniques portent sur une partie de la capacité, l’autre devant être totalement à notre disposition pour que nous puissions exercer notre mission de dissuasion aéroportée. Le MRTT étant multirôle, les comparaisons portent sur les missions de ravitaillement en vol et le transport de passagers, les besoins français incluant même le transport de fret avec des avions modifiés à cette fin. Cette capacité ne sera pas détenue par le Consortium britannique, qui offre à la Royal Air Force les heures de vol d’A330 transformés en ravitailleurs.

Compte tenu du montage du PFI (Private Finance Initiative) FSTA, le coût de l’heure de vol est élevé. Après discussion, il excède encore celui du service à capacité identique qu’offrirait un MRTT, voire le coût de fonctionnement actuel de nos C-135. Tous les aspects du problème doivent être pris en compte, y compris le fait que ces avions et leur équipage sont britanniques et que leur mise à disposition dans tous les cas pour les opérations françaises reste à définir. Les assurances que nous avons obtenues à cet égard sont assez vagues.

M. le général Guy Girier. Au-delà du problème financier, nous étudions avec attention les conditions qui entoureraient leur mise à disposition dans le cadre des opérations conduites par la France, ainsi que les conditions de rappel imposées par la partie britannique, qui entend utiliser ces appareils chaque fois qu’elle en aura besoin, indépendamment des engagements français.

M. le général Patrick Huguet. Les phases préparatoires du projet de partenariat sur les navires rouliers comprennent une étude de faisabilité et la rédaction d’un rapport d’évaluation. Dans ce cadre, au deuxième semestre 2007, nous avons comparé trois scénarios. Le premier consistait à poursuivre les affrètements actuels et à chercher sur le marché les compléments nécessaires en cas de projection. Le deuxième reposait sur le leasing de navires, mais sans équipage, puisque la politique des ressources humaines des armées exclut de les doter d’équipages militaires. Le troisième était le contrat de partenariat. Au vu des chiffres obtenus alors, la dernière solution permettait une économie de plus de 10 % en euros courants et d’environ 9 % en valeur actuelle nette, notre calcul l’établissant à 6 ou 7 % sur vingt-cinq ans. Pour la proposition intermédiaire, les chiffres obtenus à l’époque correspondent pratiquement à l’offre que les industriels nous font aujourd’hui. En 2007, nous avons estimé que la poursuite du système actuel en euros courants, cumulée sur vingt-cinq ans, coûterait un peu plus de 1 400 millions d’euros, contre plus de 1 500 pour la solution patrimoniale et 1 200-1 250 millions pour le CPE.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Raisonnez-vous à périmètre identique ?

M. le général Patrick Huguet. Oui. Cette étude a été validée par l’organisme expert du ministère de la Défense, « filiale » de la mission d’appui aux partenariats public-privé (PPP) du ministère des finances. Nous avons alors été autorisés à lancer le projet. Pour autant, la situation ayant considérablement évolué dans le domaine maritime, le coût final n’est pas garanti.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quelques questions plus particulières sur les deux Airbus A340 prévus en location avec option d'achat (LOA), sur lequel s’est penchée la Cour des comptes. Seront-ils toujours utiles quand les MRTT seront disponibles ? Une clause de sortie de la LOA a-t-elle été prévue ? Le contrat de location avec option d’achat passé sur ces appareils a-t-il été choisi ou est-il induit par des contraintes budgétaires ? Quels sont le coût actuel annualisé de la location et le montant total des dépenses constatées entre le début du contrat et le 31 décembre 2010 ? À quel moment pourra-t-on utiliser l’option d’achat ? Quelle valeur résiduelle faudra-t-il débourser ? L’opération sera-t-elle intéressante ?

M. le général Guy Girier. Le programme MRTT doit permettre à terme d’harmoniser et d’optimiser notre flotte de ravitailleurs et de transport stratégique. Les quatorze MRTT ont vocation à remplacer les quatorze C-135 et les cinq avions stratégiques, c’est-à-dire les trois A310 et les deux A340. Compte tenu du problème capacitaire, il faudra retirer les A340 au moment opportun. Le programme A340 a été lancé dans une perspective de transition, entre le retrait des DC8, qui étaient en bout de course, et l’arrivée des MRTT. Le coût des maintiens en condition opérationnelle (MCO) était de plus en plus difficilement maîtrisable. Air France Industries (AFI) n’avait plus intérêt à soutenir ces appareils, ni à maintenir certaines équipes uniquement pour l’armée de l’air française. Par ailleurs, il devenait impossible d’entraîner les équipages, puisque les simulateurs DC8 ont dû fermer en 2003. Pour sortir de l’impasse, il fallait adopter un système transitoire.

Le programme A340 vise à maîtriser deux risques. Le premier tient au fait que l’aboutissement du programme MRTT, prévu pour 2011, lors du lancement du programme A340, est aujourd’hui repoussé en 2017. Nous savions d’ailleurs qu’il s’inscrirait dans une perspective budgétaire difficile et que sa mise en place entraînerait des retards. L’autre risque tient à la nécessité de retirer rapidement les DC8, ce qui suppose de trouver une solution de remplacement sur le plan capacitaire.

Pour l’utilisation des A340, différentes options ont été étudiées. La location avec option d’achat s’intégrait plus facilement aux perspectives budgétaires, mais ce n’était pas son seul atout : la nécessité de pallier immédiatement l’attente du MRTT a été décisive.

Nous louons deux A340 que nous utilisons environ 2 000 heures par an, le temps de vol moyen annuel par appareil étant, dans une entreprise civile, de 4 000 heures. Le recours à un matériel neuf ne se justifiait pas, puisque les appareils de deuxième main répondent parfaitement aux besoins. Le mode d’action conduisait à un flux financier annuel de 28 à 30 millions d’euros, qui a trouvé sa place dans le contexte budgétaire envisagé. La décision résulte donc d’un choix conditionné par l’urgence des besoins et par les contraintes budgétaires. Je vous transmettrai le tableau des dépenses réalisées sur le programme A340 depuis 2005. Elles étaient de 1 million d’euros la première année et se sont aujourd’hui stabilisées entre 28 et 30 millions.

Si, à l’origine, on pouvait envisager de se dégager du programme A340 à l’horizon de 2015, il faut aujourd’hui reconsidérer ces perspectives du fait du retard du programme MRTT. Tel est l’objet des analyses capacitaires qui accompagnent la révision de la version actualisée du référentiel (VAR) et de la loi de programmation militaire (LPM). Sur les trois possibilités initialement prévues pour lever l’option d’achat à cinq, sept ou neuf ans, seule l’année 2015 reste accessible, avec un coût de 6 millions d’euros par appareil. Cette piste est étudiée par l’état-major des armées. Compte tenu du programme MRTT, l’armée de l’air souhaiterait acquérir ces appareils pour les utiliser jusqu’en 2022, date à laquelle ils seraient retirés du service.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Ne pas lever l’option conduirait à une impasse ?

M. le général Guy Girier. Oui, nous nous trouverions dans une impasse capacitaire entre 2015 et 2017, en admettant que le premier MRTT arrive effectivement à cette date et qu’il ait pu être procédé à la transformation des équipages et à la mise en place du soutien, puisque la prise en compte des caractéristiques de l’appareil peut demander un ou deux ans.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Nous avons compris le raisonnement de nos armées : la location avec option d’achat des A340 a paru le moyen d’éviter qu’une rupture capacitaire n’obère nos interventions sur certains théâtres d’opération, puisqu’il était impossible de financer immédiatement le MRTT. Cependant, quand le ministre de la Défense nous a exposé les réflexions en cours concernant l’absorption des 3,5 milliards de taxation supplémentaire décidée l’an dernier, il a cité le programme MRTT comme l’un des premiers qui pourraient être concernés par un étalement. Les chiffres que vous citez incluent-ils la totalité des dépenses engendrées, notamment le surcoût induit par l’étalement des programmes, l’allongement de la durée de location des appareils et l’obligation de lever l’option d’achat ?

Pour desserrer l’étau budgétaire, on peut aussi partager la pénurie avec d’autres. Tel est l’objet de l’accord franco-britannique qui, outre des aspects opérationnels, comporte aussi une dimension économique. Je comprends que, pour garantir notre souveraineté, nous ne voulions pas faire appel à des moyens privés ; mais les Britanniques ne risquent-ils pas de considérer qu’ils compromettent la leur en mettant leurs moyens au service de notre dissuasion ? Sur quels sujets précis porte la coopération franco-britannique ? Sur quels items travaillez-vous ? Ce sujet est-il mentionné dans l’accord qui nous lie à la Grande-Bretagne ?

M. le général Guy Girier. Je laisserai au colonel Rondel, qui est au cœur des discussions, le soin de vous répondre sur le contenu de la coopération franco-britannique. Mais je peux d’ores et déjà vous dire que le programme FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) fait partie de ces discussions. Nous étudions le sujet en essayant, notamment, de cerner les limites d’un tel partage d’activité. Mais nous n’excluons pas un rapprochement avec nos homologues britanniques.

Le colonel Rondel, étant à l’état-major des armées, participe également à la réflexion capacitaire et programmatique et répondra précisément à votre première question. Je sais néanmoins que toute mesure d’étalement est toujours identifiée au regard des mesures palliatives correspondantes ; en effet, reporter l’acquisition d’un matériel nouveau entraîne le prolongement d’un matériel ancien. Avant de les proposer, ces mesures palliatives doivent être étudiées du point de vue de leur équilibre capacitaire et financier. Cela fait l’objet des travaux qui sont réalisés par le Collège des officiers de cohérence de l’État-major des armées.

M. le colonel Jean Rondel. Le programme MRTT a la particularité de se fonder sur une plate-forme civile qui est produite en quantité assez importante, et qui est ensuite modifiée pour fournir en avions ravitailleurs plusieurs clients. Dans ces conditions, un retard d’exécution ou un décalage se traduit certainement, à terme, par une augmentation des coûts, mais pas par leur explosion comme ce serait le cas si le matériel était produit de façon spécifique, dès le début.

Le surcoût d’un tel décalage portera en revanche sur l’augmentation du coût de maintenance des flottes anciennes et des locations palliatives que l’on prolonge.

Au cours des travaux budgétaires de 2009, l’option d’achat – à la fin des cinq premières années de location – des deux A340 avait été envisagée. On considérait que cela reviendrait moins cher que de les louer jusqu’au bout du contrat. Mais dès les travaux budgétaires de 2010, nous avons renoncé à l’achat de ces deux avions, pour continuer à les louer, puisque la « bosse » de l’époque n’était pas absorbable.

Par ailleurs, le FSTA fait bien partie de l’accord franco-britannique qui comprend les termes « explorer les voies de coopération possibles dans le domaine du ravitaillement en vol ». Il s’agit donc de continuer à progresser dans ce domaine.

Des travaux menés avec nos collègues britanniques, il ressort qu’il peut exister deux phases dans un partage capacitaire autour du FSTA : une phase 1 où l’on rachète des heures de vol, de ravitaillement en vol ou de transport aérien – qui ne sont pas tarifées de la même façon – au MOD (ministry of defence), les avions étant mis en œuvre par la Royal Air Force ; et une phase 2, qui est envisagée un peu plus tard, où nous deviendrions nous-mêmes clients de la société Air Tanker en achetant des coques nues d’avions FSTA, que nous ferions voler avec des équipages français.

Aujourd’hui, en raison du poids financier de ce contrat FSTA, le MOD est enclin à nous maintenir dans la phase 1, plutôt qu’à passer directement en phase 2, qui permettrait pourtant un partage capacitaire plus équilibré

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. S’agissant des surcoûts budgétaires liés à la LOA, je ferai remarquer à mon collègue Cazeneuve que nous ne pouvons pas demander à nos armées de résoudre pour nous les problèmes du déficit budgétaire annuel, des critères de Maastricht et des bosses de programmes auxquelles le ministère de la Défense a été confronté. Cela dit, messieurs, j’aimerais savoir si vous approuvez les chiffres de la Cour des comptes, laquelle évalue ce surcoût à environ 16 millions d’euros – soit le différentiel entre l’acquisition patrimoniale et la LOA, sur la durée.

Il semblerait par ailleurs que l’entretien des appareils ait été confié à la société portugaise TAP. Dans quelles conditions ce choix a-t-il été fait ? Existait-il d’autres possibilités pour les A340 ? Nous connaissons un autre cas de contrat d’externalisation : auprès d’une société de droit suisse, avec des salariés de droit suisse opérant sur le territoire français, y compris dans des installations militaires françaises.

M. le général Guy Girier. Nous sommes bien sûr d’accord sur l’estimation de la Cour des comptes. Mais celle-ci s’entend dans le périmètre initial du programme, soit entre 2005 et 2015. Dès lors que l’on envisage d’exploiter les appareils au-delà de cette période, le surcoût doit être évalué en conséquence, surtout si une option d’achat était levée.

Par ailleurs, le contrat actuel d’externalisation de l’entretien est le fruit d’un appel d’offres qui a conduit à choisir la société portugaise. Celle-ci procède aux révisions de façon alternée : une année, dix jours en France, à l’aéroport Charles de Gaulle ; l’année suivante, un mois au Portugal. On se trouve dans le cadre classique d’une mise en concurrence, le candidat retenu étant le mieux disant par rapport aux aspects financiers et aux prestations demandées.

M. le général Philippe Carpentier. J’ajoute que ces deux A340 nous sont indispensables : on ne peut pas envoyer Air France procéder aux relèves en Afghanistan ; et les A310 ne le peuvent pas en raison de leur moindre capacité en passagers et de leurs performances insuffisantes.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Est-ce que le fait que l’on confie le maintien en condition opérationnelle d’appareils dont nous avons besoin sur le théâtre des opérations à des sociétés étrangères, bien qu’européennes, est de nature à poser des difficultés quant à nos interventions ?

M. le général Philippe Carpentier. Honnêtement, jusqu’à ce jour, nous n’avons pas eu de problème particulier. En tout cas, le code des marchés publics actuel ne nous autorise pas à choisir impérativement une entreprise française.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Vous avez dit que vous utilisiez ces avions à hauteur de 2 000 heures de vol, là où un appareil neuf pourrait être utilisé à hauteur de 4 000 heures. Est-ce que cela signifie qu’il y a des capacités excédentaires sur ces avions et que vous pouvez, dans les conditions de planification des relèves et de déploiement en opérations, vendre ces capacités excédentaires ?

M. le général Philippe Carpentier. Non, pour une raison liée au nombre d’heures d’exploitation pouvant être assuré par les équipages. Dans une compagnie civile, il y aurait deux fois plus d’équipages par avion que nous n’en avons.

Aujourd'hui, les cinq appareils, avec leur potentiel d’utilisation, conviennent à notre besoin. Nous sommes d’ailleurs le seul pays européen à avoir cette capacité de cinq avions de transport stratégique. Cela nous offre aussi un petit avantage, celui, notamment dans le cadre d’ATARES, de pouvoir effectuer des échanges.

M. le général Patrick Huguet. Lorsqu’il s’agit d’externaliser du soutien, avons-nous le choix d’interdire à une société européenne de répondre à un appel d’offres ? Ces activités ne sont pas, au sens de la directive européenne, du domaine de la défense et sont donc soumises au droit commun européen de la mise en concurrence. C’est incontournable : la loi française et européenne s’appliquent aux armées comme aux autres.

M. David Habib, Président. Ne voyez pas dans l’intervention de M. Giscard d’Estaing un quelconque protectionnisme…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. On peut considérer que l’utilisation de moyens aériens pour assurer des missions de transport dans le cadre d’opérations extérieures relève d’un secteur régalien, qui peut garantir l’efficacité de nos opérations militaires et engager la crédibilité des interventions de nos forces.

Nous examinons bientôt à l’Assemblée nationale des transpositions de directives concernant les transferts intercommunautaires et l’ouverture des marchés d’armement. On pourrait très bien considérer que si les marchés de maintien en condition opérationnelle touchent à des questions régaliennes, l’article 346 du traité s’applique, et que nous pouvons précisément échapper aux règles du code des marchés publics auquel vous faisiez référence.

Je ne suis donc pas convaincu que nous soyons pieds et poings liés au code des marchés publics. La seule raison pour laquelle nous n’y échappons pas, c’est que nous sommes, dès lors qu’il s’agit d’eurocompatibilité, infiniment plus respectueux que nos partenaires européens, qui ne s’embarrassent pas de ce type de précautions et font ce qu’ils doivent faire pour préserver leur industrie. Je vous repose donc la question de savoir si vraiment, on ne peut pas s’y prendre autrement.

M. le général Patrick Huguet. Je vous répondrai en prenant l’exemple d’un autre domaine. Je m’occupe des services postaux et financiers de nos militaires en opération : lorsque j’ai présenté le dossier de ce marché de niche devant la Commission consultative des marchés publics, à la question de savoir si le soutien des besoins privés des militaires en opération entrait dans le domaine régalien, tous les juristes consultés ont répondu par la négative.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Des juristes français !

M. le général Patrick Huguet. Certes, mais j’ai fait mon métier en les interrogeant.

M. David Habib, Président. Il ne vous est nullement reproché d’avoir interrogé ces experts. Ce que disait M. Cazeneuve, c’est qu’une lecture différente est sans doute possible.

M. le général Patrick Huguet. Nous n’avons pas pu coopérer avec les Danois dans le domaine maritime parce que leur application de la loi européenne aux transports de défense n’est pas compatible avec la nôtre. Pendant plus d’un an et demi, nous avons ainsi travaillé avec leur ministère de la défense pour passer un arrangement nous permettant d’utiliser leurs navires. Seulement, nous n’avons pas été capables, dans notre référentiel juridique, de trouver le moyen de nous accorder. Cela dit, je suis bien d’accord : d’autres pays ne font pas comme nous. Mais ce n’est pas notre affaire.

M. le général Guy Girier. Peut-on faire autrement pour l’externalisation de la maintenance des appareils ? Nous ne sommes pas bien placés pour y répondre, dans la mesure où c’est la DGA qui est au cœur des réflexions et des contrats passés. Mais on connaît son attachement au pilotage de la BITD – la base industrielle et technologique de défense – et sa tendance à promouvoir le tissu industriel français, chaque fois qu’il s’agit de domaines stratégiques au plan industriel. Il se trouve que, en matière de maintenance, s’agissant de niches, le choix a été fait de s’adresser à l’extérieur. Nous n’avons pas observé de contraintes ni sur le plan capacitaire ni sur celui de l’utilisation des appareils, qui nous permette de remettre en cause ce principe.

M. le général Philippe Carpentier. L’externalisation a un autre avantage. À partir du moment où l’on se limite à la France, on est un peu prisonnier du monopole, les industriels sachant qu’ils sont les seuls sur le marché. Le fait qu’il y ait une concurrence européenne crée une émulation et permet de passer le contrat le mieux-disant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quel est le statut des équipages des trois navires rouliers affrétés à l’année ? Ces équipages ont-ils un statut particulier ? Sont-ils dépendants du propriétaire du navire ? Quelle est leur nationalité ? Quel est le pavillon d’attache de ces navires ? Sont-ils considérés comme relevant de la souveraineté nationale, même s’ils étaient sous pavillon d’un autre pays, hors de l’Union européenne ? Pouvez-vous aborder la question des restrictions géographiques, en particulier le problème posé par le piratage maritime ?

M. le général Patrick Huguet. Dans le transport maritime au profit de la défense, le cœur de métier est assuré, en particulier pour les opérations amphibies, par les navires de projection, les bâtiments de projection et de commandement (BPC) et les transports de chalands de débarquement (TCD). Les navires de transport ne sont pas considérés comme relevant du cœur de métier, et leur emploi exclut le fait qu’ils soient employés dans des opérations de vive force, en particulier en appui direct d’une opération amphibie.

Cela nous a conduits à ne pas choisir le pavillon français de premier rang, mais à spécifier le pavillon français du registre international (RIF), pour mettre malgré tout la marque française sur ces navires. Quand on sait qu’un navire RIF coûte 2 500 euros par jour de plus qu’un navire sous pavillon maltais, dans une période où on nous demande de « faire rentrer la bosse dans les entonnoirs », on comprend que chaque caractéristique militaire de ces navires a été pesée au regard du juste besoin opérationnel.

Le choix d’un pavillon RIF signifie, d’une part, que les officiers sont français et sont des employés directs de l’armateur, d’autre part, que les armateurs ont recours à des sociétés de manning, chargées de fournir les équipages d’exécution. Historiquement, nous n’avons jamais eu de cas de refus, même quand nous naviguions sous des pavillons autres que celui du RIF. Mais il faut savoir que si nous avions choisi, comme les Britanniques l’ont fait pour le programme équivalent, de pouvoir engager ces navires dans des opérations de force, nous n’aurions pas utilisé ce pavillon. Nous aurions accepté les surcoûts liés à la capacité opérationnelle.

Venons-en aux restrictions géographiques, liées au danger. Les limitations ne viennent pas de l’équipage, mais des assureurs. Dans le monde des assurances maritimes, le Joint war commitee décide des zones où l’on peut aller au tarif de droit commun, des zones où on peut aller à condition de payer des surprimes, et des zones dans lesquelles les assureurs refusent de prendre le risque.

Ainsi, dans le prix de base du loyer des navires, nous devons tenir compte de l’assurance « risque de guerre » classique. Lorsque nous allons dans des zones à surprimes, nous acceptons le remboursement des surprimes, qui sont payées tant aux assurances qu’à l’équipage, dans la mesure où il a accepté d’aller dans des zones plus dangereuses que les zones ordinaires. La situation est la même qu’avec Sodexo, qui nous fournit la nourriture en Afghanistan. Le cuisinier sur une base avancée ne coûte pas autant qu’à la Garenne-Bezons ! Enfin, au cas où les assurances refusent de prendre en charge la couverture du risque, l’État se substitue à l’assureur. Nous n’avions pas d’autre solution.

Évidemment, nous acceptons le droit de retrait et le droit de grève, parce que l’on travaille dans un milieu civil et qu’on ne peut pas s’affranchir de ses règles. Ces risques sont inévitables. Simplement, nous essayons de les gérer au mieux. Et une fois sur cent ou sur mille, nous devrons traiter le problème sur un mode exceptionnel.

Le sujet nous a bien occupés, avant que l’on aboutisse à ce consensus. Il se trouve que la substitution des assureurs existe dans un programme OTAN, qui date des années 70.

M. le général Philippe Carpentier. Je précise que sur les navires affrétés qui traversent les zones sensibles à la piraterie, nous embarquons des éléments de protection de la Marine nationale.

J’ajoute qu’on a fini par nous dire que l’échange de prestations de transport de surface, qui s’apparente à du troc, était contraire à la Constitution, et qu’on avait de la chance qu’ATARES ait déjà été signé. Ainsi, après avoir entraîné de nombreux pays dans ce partenariat, nous avons dû y renoncer pour des raisons juridiques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelle est la part de transport de marchandises qui se fait par ligne régulière et la part qui bénéficie des navires affrétés ?

M. le général Patrick Huguet. C’est une question d’opportunité. Cela dépend normalement des volumes mis en jeu : les navires affrétés sont utilisés pour le transport de masse. Pour des besoins ponctuels ou de fluidification des flux, on utilise la voie maritime commerciale, qui représente à peu près 10 % du trafic.

M. le général Philippe Carpentier. Sur l’année 2010, on a transporté presque 45 000 tonnes de fret en voie maritime affrétée – avec nos trois navires rouliers – et environ 4 000 tonnes de fret en voie maritime commerciale, c’est-à-dire en conteneur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous avez dit que, dans vos missions, vous vous occupiez des OPEX et de l’acheminement des prépositionnés. Vous occupez-vous aussi des exercices ?

M. le général Philippe Carpentier. Oui.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. En fait, vous assurez tout le transport.

Par ailleurs, vous occupez-vous des évacuations sanitaires par voie aérienne (EVASAN) ? Dans ce cas, comment procédez-vous avec les avions à usage gouvernemental ?

M. le général Philippe Carpentier. Nous ne nous en occupons pas directement. Lla question est traitée directement par le cabinet du ministre de la Défense avec la régulation aérienne.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Entre le cabinet du ministre de la Défense et celui du Premier ministre ?

M. le général Philippe Carpentier. Oui.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous avez dit par ailleurs que le volume du contrat SALIS diminuant, vous aviez conclu un autre contrat. Est-ce un contrat bilatéral ou un contrat qui implique plusieurs partenaires ?

M. le général Philippe Carpentier. C’est un contrat bilatéral, car nous nous étions pris au dépourvu et nous ne disposions pas de beaucoup de temps. Les premières utilisations de ce contrat auront lieu ce mois-ci.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Nos partenaires dans SALIS ont forcément connu aussi des problèmes de transport stratégique, même à un degré moindre que nous, dans la mesure où ils ont moins d’engagements. Ont-ils choisi une solution voisine à la nôtre ou s’accommodent-ils finalement de la réduction de SALIS ?

M. le colonel Laurent Chaput. Les autres nations ont été prises au dépourvu de la même manière que la France par le revirement du partenariat avec Ruslan SALIS. L’Allemagne a opté pour une solution approchante de la nôtre – en tout cas d’esprit équivalent. Le Royaume-Uni, troisième client par ordre d’importance de SALIS, disposait d’une solution d’affrètement parallèle et, surtout, de huit avions C17 en patrimonial qui leur offrent une capacité d’une autre nature. Donc, oui, d’une certaine manière, nos partenaires importants dans le programme SALIS ont opté pour des solutions similaires à la nôtre.

M. le général Philippe Carpentier. L’avantage est que le titulaire de ce nouveau marché va baser un Antonov 124 à Châlons-Vatry, ce qui est très pratique pour nous. Par ailleurs, et c’est une nouveauté que l’on a introduite, nous ne paierons que les heures de vol utiles – si l’on fait un transport d’Istres à Kaboul, on ne paiera que les huit heures de vol pour Kaboul – alors qu’avec le marché SALIS, qui reste un marché très intéressant, nous payions également le positionnement et le dépositionnement.

Tout cela se met en place et je pense que dès l’année prochaine, nous serons en mesure de disposer d’un retour d’expérience sur ce marché que l’on reconduira chaque année. S’il ne nous convenait pas, nous pourrions envisager d’autres solutions. Mais le fait d’avoir un marché propre pour compenser ce déficit capacitaire est malgré tout très intéressant, d’autant que le titulaire, à savoir ICS, a tout intérêt pour son propre avenir à remplir ce marché de façon satisfaisante.

M. le colonel Laurent Chaput. Notre participation au contrat SALIS et au marché d’affrètement que nous venons de passer sont deux solutions assez complémentaires, qui offrent des avantages financiers dans les deux cas, selon le scénario d’emploi.

Plus précisément, le contrat SALIS offre non seulement une réponse à des besoins capacitaires ponctuels, mais également des garanties en cas de déclenchement d’une opération commune, sachant que les partenaires sont soit membres de l’OTAN soit membres de l’Union européenne et seront très vraisemblablement engagés dans le même type d’opérations. Or cet avantage spécifique n’est pas offert par le contrat national. Nous avons intérêt à conserver ces deux solutions complémentaires, et tout au moins à conserver le contrat SALIS tel quel.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous nous dire où en est le projet de CPE pour les nouveaux navires rouliers et, notamment, si le lieu de construction des navires est choisi, sachant que la question a parfois été posée de savoir s’il fallait introduire dans le contrat une contrainte pour faire construire les navires en France ou laisser le partenaire choisir le lieu de construction.

M. le général Patrick Huguet. Après réception voilà trois semaines des propositions intermédiaires des industriels, il a été procédé au dépouillement, et nous sommes maintenant en phase d’harmonisation de l’analyse des propositions. Nous devrions procéder aux auditions des candidats entre le 25 mai et le 8 juin et nous pouvons imaginer avoir sélectionné notre candidat au début de 2012. De fait, les CPE et la procédure associée sont des procédures très souples, mais très longues, nécessitant pratiquement un projet de contrat par candidat – une charge de travail que l’on avait mal appréciée initialement. Une fois le candidat sélectionné, nous maîtriserons un peu moins les phases d’approbation du dossier. Mais l’objectif est toujours de disposer d’un contrat notifié courant 2012. C’est comme cela que l’on a construit le budget.

Pour répondre à votre seconde question, je vous renverrai à ma remarque précédente sur la directive européenne. En tout cas, une construction en France est, sur la base des résultats des propositions initiales, de 30 à 50 % plus chère qu’une construction ailleurs en Europe. En outre, les prix des navires sont difficilement comparables. Ils reviennent entre 40 et 60 millions d’euros, en fonction de l’endroit où ils sont construits. Pour autant, on ne peut pas faire de classement car les spécifications techniques ne sont pas entièrement figées.

Je serais content que les ouvriers français travaillent. Mais j’ai deux problèmes : il faut que quelqu’un me donne l’argent, et que la loi me permette de le faire !

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pour revenir sur les CPE, l’engagement serait sur trente ans ?

M. le général Patrick Huguet. Selon la directive sur les contrats de partenariat, la durée de ces contrats est normalement fondée sur la durée d’usage. La difficulté est que la directive a été plutôt faite pour des projets bâtimentaires, et peu pour les navires de transport. Nous étions donc partis sur une idée de vingt-cinq ans, option que l’on a conservée. Mais cette directive précise aussi que, dans certains cas, on peut fonder la durée du contrat sur l’amortissement financier du bien. Dans le domaine maritime, elle est plutôt d’une quinzaine d’années.

Nous avons demandé aux candidats de nous faire deux propositions : l’une sur la base d’une durée de 17 ans – pour des raisons de simulations – et l’autre sur une durée de 25 ans. Nous allons comparer les résultats au cours de l’analyse des propositions intermédiaires. Et au moment de l’offre finale, nous choisirons entre les deux options.

Toutes choses étant égales par ailleurs, nous considérons qu’un engagement de 25 ans serait intéressant. Cela dit, le projet a été lancé en octobre 2005, et je ne voudrais pas avoir à recommencer immédiatement après sa signature l’instruction du contrat suivant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Si les besoins des armées ne couvrent pas la totalité des capacités de ces navires, est-ce que vous recevez un intéressement en cas d’affrètement de ceux-ci à d’autres fins ?

M. le général Patrick Huguet. C’est un sujet sur lequel je travaille depuis le sommet de Washington de l’OTAN, en avril 1999. Jusqu’en 2004, nous avons rongé notre frein en attendant que l’arsenal législatif français nous permette de partager l’exploitation. Maintenant, nous sommes passés d’une capacité de trois rouliers qui correspond globalement à nos besoins courants – le service régulier, qui comprend notamment le soutien des prépositionnés, des forces déployées et des exercices – à la capacité opérationnelle issue des indications du Livre blanc, qui est de 5 à 6 navires selon la taille de ceux-ci.

En acquisition budgétaire pure, c’est une ineptie d’avoir six navires et d’en utiliser trois, sachant que, globalement, un navire coûte 60 % de son prix quand il est à l’ancre. C’est ce qui explique pourquoi, jusqu’en 2005, nous nous sommes contentés d’une sous-capacité par rapport au contrat opérationnel des armées.

Pour être schématique, voire caricatural, le mécanisme des CPE repose sur une exploitation conjointe avec un armateur : trois navires dédiés à 80 % du temps aux besoins des armées françaises ; et deux navires exploités 100 % du temps sur le marché commercial. Ces derniers seront placés sous des contrats de moyenne durée. À l’origine, notre ambition était qu’ils ne nous coûtent rien, les revenus générés compensant les loyers que nous aurions à payer. Malheureusement, la situation n’est plus celle d’il y a quatre ans, et nous avons du mal à atteindre cet équilibre. Mais nous avons des pistes qui pourraient nous permettre d’y parvenir. De cette manière, lorsque nous n’utiliserons pas les navires excédentaires par rapport à nos besoins courants, cette pleine capacité sera exploitée sur le marché commercial.

S’agissant des navires de service régulier, utilisés pour nos besoins classiques, il faut distinguer selon les cas. Les besoins opérationnels sont en effet très fluctuants. Prenons l’exemple de la Côte d’Ivoire : il y a cinq ans, on avait besoin de navires pleins, contrairement à la situation il y a encore six ou sept mois ; mais il y a quinze jours, quand les forces du Nord sont descendues vers le Sud, on aurait pu connaître à nouveau une hausse considérable de nos besoins.

Quoi qu’il en soit, la capacité disponible sera commercialisée. Et en commercialisant cette surcapacité, on retirera entre 75 et 100 % des bénéfices, suivant les configurations.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je comprends l’intérêt qu’il y a à prévoir des moyens capacitaires qu’on pourrait ne pas utiliser pour faire face à des aléas. C’est cette logique qui a présidé à l’augmentation de la flotte. Pour financer ces opérations, nous acquérons donc des bateaux que nous pourrons amortir financièrement s’ils sont utilisés à 100 % par des opérateurs privés en location. Est-ce bien le raisonnement ?

M. le général Patrick Huguet. Selon le contrat opérationnel inscrit dans le Livre blanc, les forces françaises doivent être capables, de façon autonome, de procéder à une projection maritime de 5 000 hommes, sachant que le moment où l’on déclenche cette capacité est aléatoire. Aussi sommes-nous allés présenter il y a trois ou quatre ans au Conseil économique de la défense notre raisonnement en termes statistiques : même si, ponctuellement, cela coûtait plus cher, le coût serait inférieur si l’on faisait la somme de la dépense sur une vingtaine d’années ou sur le temps d’une loi de programmation – sachant que l’autre option, qui a présidé jusqu’en 2005, était de renoncer à cette capacité, en espérant qu’on la trouverait sur le marché à un coût abordable.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je comprends. Mais je vois mal comment vous pouvez considérer que vous allez réaliser une opération blanche en appliquant un taux d’occupation de 100 % aux deux ou trois navires qui pourraient éventuellement vous permettre de faire un ajustement. S’ils vous permettent de faire un ajustement, c’est précisément parce qu’ils ne sont pas utilisés à des fins commerciales, par d’autres, à 100 % !

M. le général Patrick Huguet. L’armateur a par contrat une exigence de rappel des navires entre cinq et quinze jours. Évidemment, quand il « casse » ce contrat, nous lui payons des dédommagements. Mais le jour où l’on aura à projeter 5 000 hommes en quinze jours, hypothèse du Livre blanc, la situation sera suffisamment sérieuse pour que les surcoûts soient jugés admissibles.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Donc, les 20 % que vous n’intégrez pas comme aléas d’occupation, par vous, de ces bateaux, sont payés éventuellement en dédommagement de l’utilisateur du bateau ?

M. le général Patrick Huguet. Nous espérons que la somme des recettes et des dépenses nous sera favorable.

M. le général Philippe Carpentier. C’est ce que nous faisons partiellement en ce moment, en procédant à des mises hors charte : il n’y a vraiment que le moment où l’on met la totalité du bateau hors charte que l’on ne paie pas. En effet, les navires ne sont pas toujours pleins à 100 %. Si les navires à destination de l’Océan indien sont pleins à 100 %, ce n’est pas le cas de ceux à destination des côtes d’Afrique de l’Ouest ou des Antilles. Et on ne peut pas, pour l’instant, utiliser et partager la charge des 20 ou 30 % qui restent.

M. le président David Habib. Merci pour ces précisions extrêmement détaillées.

Audition du 6 avril 2011

À 18 heures 15 : M. le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’économat des armées, de M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier, directeur-adjoint, Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration, et M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif, sur les marchés de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous poursuivons nos auditions sur les externalisations dans le domaine de la défense, en évoquant cette fois l’externalisation de la restauration, de l’hôtellerie et des loisirs.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet, directeur général de l’économat des armées. L’économat des armées (EdA), est un des trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) relevant du ministère de la Défense. Son donneur d’ordre est l’état-major des armées. L’EdA emploie environ un millier de personnes, dont douze militaires en service détaché pour une durée déterminée – dont les quatre commissaires ici présents –, représentant les trois corps qui seront bientôt réunis. Le siège de Pantin emploie des personnels sous contrat à durée indéterminée, soit environ 150 personnes. À cela s’ajoutent les 800 personnes qui assurent, sur les théâtres d’opérations extérieures (OPEX), le soutien de proximité des forces en opérations et font l’objet d’un recrutement local (650 personnes) ou sont envoyés en mission à partir de la France (150 personnes).

L’EdA assure deux missions principales pour l’état-major des armées (EMA). Il est d’abord une centrale d’achat spécialisée du ministère de la Défense. Pour assurer cette mission, mes prédécesseurs ont mis en place un système de passation de commandes par un portail Internet, investissement relativement important qui pourrait être utile à d’autres ministères. Ce portail d’achat permet, dans le cadre du projet « Vivres Métropole », aux 350 points de restauration des armées de commander des denrées en métropole. Nous offrons aussi ces prestations à l’outre-mer, voire à des organismes qui ne relèvent pas du ministère de la Défense. Dans sa mission de centrale d’achat, l’EdA est soumise au code des marchés publics (ordonnance de juin 2005). Cette centralisation des achats participe de la volonté de rationalisation du ministère et de la « déflation » de 54 000 emplois.

Sa seconde mission est le soutien des forces armées à l’étranger, au Kosovo, au Tchad, en Afghanistan, et sur la base récemment établie aux Émirats Arabes Unis. dans ce cadre, l’EdA assure, non seulement des prestations d’alimentation, mais également du Facility Management, avec le même souci de réduire les coûts par la centralisation des marchés. Ces prestations peuvent aller de la blanchisserie aux services de téléphonie, en passant notamment par la gestion des déchets.

Le chiffre d’affaires de l’EdA est de l’ordre de 260 millions d’euros, dont, pour l’essentiel, 110 millions réalisés par l’activité « Vivres Métropole » et 90 millions au titre de l’activité de soutien aux OPEX. En métropole, les prestations telles que l’acheminement, le transport, le stockage ou la distribution des vivres ne sont pas réalisées en régie directe, mais assurées par un GIE constitué des entreprises Stef-TFE et Geodis, qui dispose de deux plateformes principales de stockage, à Salon-de-Provence et à Bondoufle. Ces centres de logistique partagée permettent de mutualiser les charges et de diviser les coûts. Le chiffre d’affaires annuel de ce marché de logistique est de l’ordre de 15 millions d’euros.

Cette logistique nous permet d’alimenter les 350 points de restauration, hormis ceux de la Marine, qui dispose de ses propres plateformes et de stocks stratégiques à Brest et à Toulon, lui permettant de parer à toute éventualité – comme le départ inopiné du Charles-de-Gaulle il y a quinze jours.

L’EdA emploie 170 agents contractuels de droit privé. Les fonctions de direction sont assurées par des militaires en service détaché. S’agissant des OPEX, les chefs de mission sont chargés par délégation du recrutement de personnels locaux selon le droit local.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Parmi les missions de l’EdA, quelle est la part externalisée et la part conservée en régie ? Quel rôle a joué l’expérimentation « Capacités additionnelles par l’externalisation du soutien des forces françaises » (CAPES France) dans le processus d’externalisation ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Nous sommes désormais dans la deuxième phase de CAPES France.

S’agissant de votre première question, il ne faut pas perdre de vue que l’EdA agit pour le compte de l’état-major des armées. Augmenter les effectifs projetés outre-mer pour assurer des « tâches ancillaires » serait trop coûteux. Le recrutement local permet, non seulement de renforcer la coopération avec les pays où se trouvent nos bases, mais aussi de réserver l’emploi de militaires au cœur de métier, c’est-à-dire l’activité de combattant. C’est le choix qui a été fait pour le camp Warehouse, à Kaboul, et la base de Tora en Kapisa, dont le service est largement sous-traité, ainsi que pour le soutien à la mission Épervier au Tchad, où environ 200 agents de recrutement local assurent les prestations de restauration, blanchissage, etc.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pourquoi avoir fait ce choix seulement pour Tora et non pas pour nos autres bases militaires avancées, nos Forward Operating Bases (FOB), en Afghanistan ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. C’est un choix fait par l’état-major des armées à l’été 2009. C’est lui qui définit les besoins tandis que nous proposons des solutions.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier, directeur-adjoint de l’économat des armées. Nous conduisons trois types d’externalisation : le projet « Vivres métropole », qui vise à l’externalisation de l’achat de vivres et de la logistique, au profit notamment des petites et moyennes entreprises ; CAPES France, projet d’externalisation des capacités additionnelles de soutien aux forces armées ; le projet d’externalisation de la fonction « Restauration-Hôtellerie-Loisirs » (RHL).

L’EdA s’est vu confier la maîtrise d’œuvre de l’expérimentation CAPES France, visant à l’externalisation du soutien des forces armées, qui était jusque-là assuré par des militaires. Cette initiative concerne trois théâtres d’opération – Tchad, Kosovo et Afghanistan – et emprunte deux modes d’action : faire ou faire faire.

Alors que nous assurions déjà l’intégralité du soutien au camp Warehouse, à Kaboul, il a été décidé, à la fin du mois de juin 2009, de nous confier la restauration du camp de Tora. Le soutien devait être totalement externalisé afin que les 800 militaires du camp puissent se consacrer à l’interposition. L’objectif était de construire un restaurant destiné à alimenter 900 personnes sur un terrain de quelques milliers de mètres carrés, dans des délais contraints puisque la force devait être entièrement déployée en décembre 2009. À cela s’ajoutaient des impératifs géographiques et climatiques, la neige pouvant tomber à partir du mois d’octobre, et une élongation logistique de 250 kilomètres entre Kaboul et Tora.

Étant donné que nous n’avions pas les moyens suffisants pour effectuer la mission, nous avons décidé de confier l’intégralité du marché à une entreprise prestataire soumise à une obligation de résultat et rémunérée sur le prix du repas. L’appel d’offres était lancé le 15 juillet ; le 8 août, l’entreprise Sodexo emportait le marché et, le 15 décembre, le restaurant était construit, prêt à accueillir les soldats.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Confier ainsi le marché à un prestataire unique chargé de l’intégralité de son exécution permet une grande souplesse d’intervention, mais il est évident que seuls de grands groupes de dimension internationale sont à même d’exécuter de tels marchés. Fixer le prix de la prestation à partir du coût d’un repas présente l’avantage d’une plus grande lisibilité financière pour l’état-major. La durée du marché était de cinq ans, avec une clause de remboursement en cas de départ de nos forces avant l’échéance.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Ce marché était d’un type très particulier, puisqu’il s’agissait d’assurer, non seulement la construction du bâtiment, mais aussi la sécurisation des approvisionnements jusqu’à Tora, avec tous les risques que cela présentait. La rémunération du prestataire devait donc inclure, en plus du coût de la denrée, celui de son transport et de son acheminement, celui de la construction du bâtiment, ainsi que les charges de personnel. Le prix des offres variait de 6 à 14 millions d’euros, le prix du risque étant très différent selon les prestataires.

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy, directeur exécutif de l’économat des armées. Avant de vous exposer le projet CAPES France, je voudrais remettre en perspective la place de l’externalisation dans le chiffre d’affaires de l’économat.

Avant que la loi de finances rectificative de décembre 2002 n’élargisse la compétence de l’EdA au soutien logistique et à la fourniture de services, de denrées et de marchandises diverses aux formations militaires en France et à l’étranger, et que le décret du 11 mars 2004 ne fasse de l’EdA une centrale d’achat, l’économat fonctionnait selon le modèle traditionnel du négoce. À cette époque, l’externalisation représentait 30 % de son chiffre d’affaires. Aujourd’hui, elle représente 80 % de son budget pour 2011. L’EdA assure l’externalisation de certaines activités, non seulement en achetant des prestations, mais surtout en jouant un rôle essentiel d’intégrateur, chargé de synthétiser ces différentes prestations pour produire du service.

CAPES France a d’abord été une expérimentation sur cinq ans, de 2006 à 2010, avant d’entrer dans la phase actuelle d’industrialisation. Le principe en a été défini avec l’état-major des armées, notamment le général Bansard et le général Huguet. Il s’agissait de confier à un intégrateur – celui-ci se distinguant d’un simple acteur par une obligation forte de résultat – la réalisation de l’ensemble des prestations de soutien afin de libérer des effectifs militaires pour les consacrer à d’autres missions. Cette initiative s’inspirait de modèles étrangers tels que le Canadian Forces Contractor Augmentation Program (CANCAP), ou le Contractors on Deployed Operations (CONDO) du Royaume-Uni. Il s’agissait de mettre en œuvre une capacité dite additionnelle aux missions des armées – en réalité, cette capacité, bien qu’extérieure aux armées, concourt directement à la réussite de leurs missions. Dans ce cadre, les armées nous ont également confié la gestion de certains équipements lourds – groupes électrogènes, stations d’épuration ou de traitement d’eau –, à charge pour nous d’assumer les coûts de maintenance.

Le statut de l’EdA, à la fois extérieur aux armées et sous tutelle de la Défense, faisait de lui l’organisme idoine pour la mise en œuvre de ce projet. Il ne s’agit pas en effet de faire de l’externalisation ordinaire : on n’externalise pas des fonctions de soutien aux armées, notamment en OPEX, comme on externalise du Facility Management d’entreprise.

Les modalités de ces externalisations ont contribué à l’instauration de véritables partenariats entre « supportés » et « supportants », dans un cadre juridique original, celui d’une convention de services avec obligation de résultat, comportant des ordres d’intervention équivalant à des bons de commande extrêmement détaillés par fonction, et un certain nombre de protocoles déclinant le dispositif sur le théâtre d’opérations. À la différence des forces armées, structurées par chaînes de métiers, les métiers, à l’intérieur du dispositif de soutien, sont structurés en missions, confiées à un seul responsable, interlocuteur unique des forces. L’expérimentation portait initialement sur deux théâtres d’opérations, les bases du Kosovo et du Tchad, avec quatorze fonctions réparties en trois domaines : l’ingénierie ou la gestion de projet, l’acheminement, à la fois stratégique et intrathéâtre, et la gestion des camps.

Notre premier retour d’expérience (RETEX), peut servir pour l’ensemble des opérations d’externalisation, notamment sur six points.

Premièrement, en ce qui concerne la gouvernance, le bon fonctionnement du dispositif a été assuré par la symétrie entre les compétences de l’économat et celle des forces, aussi bien au niveau de la décision qu’à celui de l’exécution. Deuxièmement, la communication, volet essentiel du projet, a été extrêmement forte, puisque le commandement lui-même s’est déplacé pour présenter CAPES. Troisièmement, le transfert de responsabilités a été particulièrement étudié. Quatrièmement, la conduite du changement demande un délai de quatre à six mois ; pour éviter des crises sociales dans les pays accueillant des bases, notamment au Tchad, où la situation est très sensible, les armées nous ont demandé de reprendre les personnels locaux qu’elles avaient recrutés. Cinquièmement, la réversibilité est prévue dans les ordres d’intervention : il est prévu que certaines fonctions doivent être reprises par les militaires dans le cas d’une montée en intensité des opérations sur certains théâtres, le seul socle inamovible étant la restauration. Sixièmement, il faut aussi parler du bilan budgétaire et financier de l’expérimentation.

S’agissant de la procédure budgétaire, nous avons fait de la facturation, comme tout prestataire, sans rencontrer de problème particulier, une ligne budgétaire étant consacrée au financement des opérations d’externalisation, même si la procédure a été un peu plus compliquée pour les opérations au Kosovo.

Quant à l’évaluation des résultats financiers de l’expérimentation, les opérateurs et les armées ne s’accordent pas, notamment en raison de l’absence de comptabilité analytique. En outre, le niveau du service demandé à l’EdA est radicalement différent de celui offert par les armées : celui du combattant n’est pas celui de l’homme en opération. Enfin, l’évolution du format n’a pas permis d’établir de référentiel financier.

Il est en revanche un point incontestable et qui figure au rapport de l’EMA : le dispositif a permis de dégager 260 équivalents temps plein nets (ETP), sur les théâtres d’opération.

L’apport de CAPES est indéniable en tant que laboratoire de l’externalisation. De l’aveu même de l’EMA, l’expérimentation a permis de préparer les forces à cette nouveauté radicale que constituait une externalisation aussi poussée. Elle a également permis à l’EdA de passer à la phase d’industrialisation. Par ailleurs, elle nous a permis, dans nos rapports avec l’EMA, notre principal donneur d’ordre, d’affiner le modèle de la « boucle courte » entre l’expression du besoin et la production du service. De plus, le passage récent à un régime de forfaitisation des prix imposait une expression très claire des besoins et une production de services précisément ciblée.

Cette initiative constituera également un tremplin pour entamer la phase d’industrialisation de CAPES, ouverte par l’accord-cadre qui a été signé fin novembre 2010. Nous avons décidé, avec l’EMA, de développer l’harmonisation de l’évaluation de la performance, en choisissant des référentiels de coût identiques, afin de pouvoir comparer le coût de la régie directe à celui de l’externalisation par l’économat. Nous comptons également développer une facturation plus rapidement exploitable.

L’expérimentation nous a surtout incités à établir un benchmark partagé, en comparant le coût des opérations de l’EdA avec celui d’autres opérateurs. Ce sera l’objectif des cinq prochaines années.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’EdA est-il partie prenante des procédures de suivi des externalisations qui ont été mises en place par le ministère de la Défense ?

En principe, les externalisations ont pour but de permettre au ministère de la Défense de réaliser des économies dans un contexte budgétaire contraint. Or, selon les évaluations de la Cour des comptes, CAPES au Kosovo a représenté en 2008 un coût annuel par homme de 11 117 euros, contre 10 432 en 2004, soit une hausse de 6 %. Au Tchad, CAPES a représenté en 2008 un coût de 20 121 euros par homme et par an, alors qu’en 2004, le coût du soutien, dans le périmètre CAPES, était de 11 100 euros par homme et par an, soit une augmentation de 80 %, ou de 67,1 % en euros constants. Confirmez-vous ces chiffres ? Comment analysez-vous cette augmentation des coûts ? Quelles conséquences le ministère de la Défense en tire-t-il pour l’avenir ?

Le décret du 21 septembre 2010 d’application de la loi relative à la mobilité dans la fonction publique prévoit que le ministère versera une compensation financière aux personnels mis à disposition d’une entreprise privée en cas de diminution de leur rémunération. Cela ne signifie-t-il pas que les économies seront moins importantes que ce qui était attendu ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Alors que la RGPP doit conduire à la suppression de 54 000 postes à la Défense, dont 48 000 emplois militaires, elle envisage d’externaliser 16 000 emplois supplémentaires, dont 8 000 dans la restauration.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous confirmez donc que la RGPP entraînera la suppression de 70 000 postes, et non de 54 000. Cependant, le ministre de la Défense a affirmé devant la représentation nationale que cet objectif de suppression de 16 000 postes n’avait jamais existé.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Les ministres successifs ont dit que l’externalisation ne se ferait qu’à cinq conditions, d’ordre économique et social, qui ont été rappelées par la Cour des comptes. Pour notre part, nous accompagnons ce processus dans certains domaines identifiés dans le cadre de la RGPP : ainsi, s’agissant de l’externalisation de la fonction RHL, nous sommes en phase d’assistance à la maîtrise d’ouvrage des armées, mais nous n’y participons pas directement.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. C’est bien parce que vous êtes en accompagnement de cette politique qu’il est intéressant de connaître votre retour d’expérience en tant qu’ingénieurs d’opérations d’externalisation. J’aimerais savoir notamment comment vous analysez la différence des coûts avant et après externalisation dans le cadre de CAPES.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Je ne connaissais pas ces chiffres de la Cour des comptes. Le problème est celui du référentiel de comparaison : par rapport à quoi ces coûts ont-ils été calculés ? En termes salariaux, par exemple, le coût des personnels en opérations extérieures est-il celui du salaire chargé ou uniquement le surcoût de la projection ?

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. J’ai cru comprendre que les évaluations de la Cour des comptes étaient à périmètre constant.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Il faudrait surtout savoir comment ces montants ont été calculés, les rémunérations et charges sociales constituant un élément essentiel du coût de ce type d’opérations.

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Nous avons en effet convenu avec l’EMA que nous manquions de référentiels identiques. Ainsi, faute de disposer d’un tel référentiel pour les transferts d’immobilisation, on ne peut pas calculer le coût complet des externalisations. Le bilan financier de l’EMA est difficile à analyser, d’une part parce que l’évaluation des coûts en OPEX était loin d’atteindre en 2005 le niveau de précision actuel, et d’autre part parce que les périmètres d’activité sont différents. L’objectif méthodologique de la phase d’industrialisation est précisément de déterminer des références identiques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La réforme du ministère de la Défense porte sur 54 000 postes, plus 16 000 externalisations. Ce dernier objectif peut être minoré pour plusieurs raisons, politiques, sociales ou en fonction du retour d’expérience, par exemple, mais il existe. La première question est donc celle de savoir si, lorsqu’on réalise 16 000 externalisations, on dégage des économies ou non. Et, si l’on en fait, il faut encore savoir si la qualité des opérations ne s’en trouve pas altérée. C’est pourquoi il est capital pour notre mission de bien comprendre les bases de calcul et les périmètres employés. C’est possible, puisque les chiffres du rapport de la Cour des comptes émanent des armées elles-mêmes. Nous voudrions donc savoir quelle méthodologie suivent les armées lorsqu’elles décident d’externaliser une mission. Le ministre a évoqué un dispositif préalable d’études, soumis aux organisations syndicales, la décision n’étant prise qu’ultérieurement. Il y a donc bien des modalités de calcul qui permettent de décider d’enclencher le processus.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. La phase d’expérimentation RHL-1 a été décidée par le ministre le 22 décembre et a commencé le 1er janvier 2011. Elle inclut toute une procédure de concertation, en plusieurs étapes. Nous y participons, mais c’est le ministère qui effectue les calculs de coûts, notre rôle étant l’assistance à la maîtrise d’ouvrage. La procédure est trop récente pour que nous ayons déjà un retour d’expérience. En revanche, nous avons des éléments sur les coûts dont le commissaire-colonel Bournizien vous parlera plus précisément. Nous pouvons voir les effets de la mise à la disposition de personnels civils et militaires à une entreprise privée (MALD) par rapport à la régie dans les huit sites sélectionnés par le ministère. Nous commençons seulement maintenant, pour la métropole, à avoir des informations liées au dépouillement des offres et à la sélection des prestataires.

L’expérimentation RHL-1 concernait au départ 350 agents civils et militaires, sur huit sites des trois armées, de tailles différentes et qui ne sont pas des unités opérationnelles. Nous en connaissons les éléments, mais ce n’est pas nous qui en tirerons les conclusions sur le plan financier : ce sera l’état-major des armées et le ministère d’une manière générale, qui intègre d’autres paramètres de réflexion, comme les retraites ou la masse salariale militaire.

Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien, directrice restauration à l’économat des armées. L’un des leviers de gain identifiés par la RGPP était l’externalisation, et c’est celui qui a été privilégié pour la fonction restauration. Il a été décidé de séquencer cette externalisation en plusieurs vagues, la première s’appelant RHL-1. En effet, même si les armées avaient déjà externalisé de la restauration, il semblait important de prévoir, sur le modèle de CAPES, une première phase limitée – 11 restaurants, 2 millions de repas – avant de la généraliser.

RHL-1 a véritablement servi de « poisson pilote » pour la réflexion du ministère en matière d’externalisation. Il a fallu construire tous les outils nécessaires au fur et à mesure. La mission d’appui à la réalisation des contrats de partenariat public-privé (MAPPP) a été la garante de la méthodologie, mise en œuvre pour la première fois. Tout commence par une évaluation préalable théorique, basée sur les différents points de référence dont on dispose en matière de restaurants. Ainsi, le prix moyen du repas retenu était de 7,65 euros TTC. Ensuite vient une nouvelle évaluation préalable, réaliste, faite en fonction de la réponse du marché – en l’occurrence, le prix du repas pour les trois opérateurs sélectionnés était plus bas, autour de 7,08 euros TTC. Quant à la comparaison des coûts entre régie et externalisation, c’est la MAPPP qui vous les détaillera, parce qu’il y a toute une méthodologie à mettre en œuvre pour l’établir. Pour notre part, nous avons transmis les éléments nécessaires à l’établissement des états comparatifs.

J’en viens à la MALD. Lorsque nous avons commencé l’expérimentation RHL-1, nous n’avions pas d’outil juridique permettant le transfert de personnels. Les armées devaient tout simplement procéder à un reclassement. Mais cela occasionne des coûts importants : frais de mutation, indemnités de départ volontaire, etc. Le dispositif de la MALD évite non seulement de tels coûts, mais il permet aux personnels de rester sur place, ce qui le rend socialement intéressant. Pour remplacer les 356 personnes employées pour l’exploitation en régie des 11 restaurants, les prestataires utilisent 206 équivalents-temps plein, dont 55 sont du personnel de la Défense, qui continuent d’être payés par le ministère.

Cela s’est fait uniquement sur la base du volontariat : nous avons fait un immense travail d’information et d’explication en direction du prestataire, du personnel et du commandement. Nous avons bâti des outils de contrôle. Bref, nous avons construit toute l’ingénierie sociale nécessaire en un peu moins d’un an, entre la loi du 3 août 2009 et le décret de septembre 2010.

Au premier abord, ce dispositif fait effectivement peser un certain surcoût sur l’État, mais il faut tenir compte du fait que les personnels concernés ne se retrouvent pas employés en surnombre ailleurs, ni n’ont bénéficié d’indemnités de reclassement complémentaires. Il faut vraiment considérer l’opération de façon globale.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pour bien comprendre la répartition des responsabilités au sein du ministère : vous n’intervenez qu’en tant que maître d’œuvre de l’externalisation ?

Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien. Oui. Nous passons les marchés.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous ne participez pas à la réflexion sur l’opportunité de l’externalisation ni n’effectuez les calculs de comparaison. Qui le fait ?

Mme le commissaire-colonel Catherine Bournizien. La MAPPP effectue les calculs et porte les dossiers devant le cabinet. Elle est responsable pour la totalité des externalisations de la RGPP – pas celles de CAPES.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Elle s’occupe également de l’externalisation de l’entretien des infrastructures, de l’habillement…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Nous devons mettre le processus de décision au clair. L’externalisation est un sujet très large dans le ministère de la Défense. Il faut reconstituer l’arborescence de la décision par type d’externalisation, si l’on veut bien comprendre comment le ministère évalue l’opportunité qu’il y a, ou qu’il n’y a pas, d’externaliser.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. C’est l’objet de notre Mission. Ce n’est pas à l’économat des armées de déterminer la politique du ministère sur ce sujet !

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le rôle de notre Mission est tout de même de comprendre comment marche le tout et de vérifier l’adéquation des résultats obtenus avec les objectifs qu’on s’était assignés.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. C’est le rôle quotidien des Rapporteurs spéciaux, y compris de la majorité.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Ceux de l’opposition ont le même rôle.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. J’en reviens aux coûts. La phase d’expérimentation RHL-1 bis, qui concernait 1 200 personnes, a été gelée par le précédent ministre de la Défense. Pour l’instant, nous disposons donc des résultats de trois mois de restauration en métropole, qui serviront au ministère pour établir des comparaisons. Celui-ci pourra également le faire pour les OPEX. Nous commençons par exemple à disposer de chiffres pour les prix de repas en Kapisa, recouvrant à la fois la main-d’œuvre et les denrées – en gros par moitié. Ils sont assez détaillés, répartis entre denrées, coût matière, et amortissement de l’infrastructure réalisée par la Sodexo. S’agissant d’une base très éloignée des sites d’approvisionnement régulier et des flux économiques, on arrive à un prix de l’ordre de 26 euros TTC, ce qui paraît bien – les offres s’étageaient de 45 à 20 euros, un prix très bas qui avait paru surprenant lors du dépouillement. Pour la base de Tora, si l’on avait utilisé des militaires et des moyens étatiques de construction, on n’aurait pas encore terminé et le projet aurait peut-être coûté beaucoup plus cher. Mais je rappelle que l’économat des armées n’intervient que sur des terrains stabilisés.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Qu’en est-il des prestations de restauration assurées par l’économat des armées pour des armées étrangères, et réciproquement ? Avez-vous analysé les procédés de facturation ? Il semble qu’au camp Warehouse, les repas des contingents non français assurés par l’armée française ne soient facturés qu’au prix coûtant, alors que les Hollandais nous appliquent une marge.

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Il s’agit de prestations collectives, qui sont refacturées par la suite – il existe aussi des prestations individuelles, mais qui sont acquittées directement par la personne, Français ou étranger.

Il y a deux modes de refacturation. Au Kosovo, on facture l’ensemble des consommations à l’ordonnateur secondaire, qui les répartit ensuite en fonction du décompte des passages à la restauration – il y a des badges spécifiques pour les étrangers, par exemple. En Afghanistan, tout dépend des Standardization Agreements (STANAG), c’est-à-dire les accords de normalisation qui lient la France au pays hôte du camp. Nous facturons l’ensemble de la prestation, mais nous préparons aussi les refacturations pour les forces étrangères, au prix prévu par les STANAG. C’est lui qui détermine si l’on applique une marge ou non. Les STANAG gèrent de façon conventionnelle l’ensemble des rapports de coûts entre deux nations participant à la même opération et stationnées sur le même espace, et donc avec les mêmes fonctionnalités de soutien.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. À Warehouse, où se trouve l’infrastructure de restauration ?

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Au centre du camp.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Pour pouvoir faire des comparaisons, il faut des éléments très précis. À Tora, nous maîtrisons exactement le coût journalier de la restauration, puisqu’il s’agit d’un marché. Lorsque nous opérons pour notre compte, nous avons aussi bien sûr une connaissance totale de nos coûts. Nous pouvons donc comparer le prix de revient de journée de Tora, contractuellement fixé autour de 25 euros, et celui auquel nous aboutissons nous-mêmes à Warehouse, qui est inférieur, parce que nous maîtrisons totalement le périmètre en question. Mais il est très compliqué de comparer une prestation externalisée à une régie, dans laquelle il y a une masse de coûts masqués qui restent très difficiles à identifier. C’est tout l’intérêt de CAPES France n° 2 qui, après cinq ans d’historique, commence à permettre les comparaisons.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le retour des armées sur l’externalisation est-il négatif en termes d’efficacité opérationnelle ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. C’est à l’état-major des armées de se prononcer sur ce point, mais il n’y a en tout cas pas eu d’interruption des capacités militaires des forces en Afghanistan, ni lors du départ du porte-avions et du renforcement de la base de Solenzara, du fait des externalisations. Pour la Marine notamment, nous avons les stocks de Brest et Toulon. Nos marchés avec nos prestataires prévoient également, en cas de crise, des délais de ravitaillement réduits. Ainsi, pour les marchés « Vivres Métropole », nous pouvons commander sous quarante-huit heures. Notre obligation de continuité du service est respectée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelles sont les modalités d’assurance du personnel dans le cadre d’une externalisation ?

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. Pour ce qui concerne le personnel de l’économat des armées, nous avons nos propres assurances. Lorsqu’il s’agit des salariés d’une entreprise telle que Sodexo, elle en fait son affaire. Les agents de droit privé peuvent exercer leur droit de retrait, comme le prévoit le code du travail, y compris à l’étranger. C’est pourquoi toutes les dispositions sont préalablement examinées par l’état-major des armées, qui donne son feu vert à la mise en place d’un système complètement externalisé. À Tora, par exemple, en cas de départ de Sodexo, il est prévu de renforcer les effectifs avec les moyens de Warehouse, tenu par l’économat des armées. Mais si l’état-major a donné son feu vert, c’est que la base est entièrement sécurisée.

De manière générale, le problème de réversibilité se pose pour tous les marchés d’externalisation – pour les marchés des collectivités locales concernant le traitement de l’eau ou pour la restauration des écoles, par exemple.

Quant aux agents du ministère qui ont accepté d’être mis à la disposition d’une entreprise privée dans le cadre du dispositif MALD, ils restent agents publics et reviendront dans la fonction publique en cas de reprise en régie.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Je tiens à apporter une précision. Il a été question de personnel civil qui se serait enfui lors des jours de conflit au Tchad. C’est entièrement faux. Jamais le droit de retrait n’a été exercé au Tchad. Mieux : non seulement le personnel de soutien est resté, mais il a pris la place des conducteurs de la force pour aller chercher en bus les ressortissants qui étaient éparpillés, afin de permettre à la force de se recentrer sur son cœur de métier, la protection. C’est l’ambiance qui règne là-bas qui le veut.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. L’économat des armées s’est vu décerner récemment un prix de l’innovation logistique.

M. le commissaire-colonel Thierry Lévrier. Merci d’y faire allusion. Nous avons reçu deux récompenses l’année dernière. D’abord, l’économat des armées a remporté le marché des rations de combat de l’ONU : il fournit dorénavant toutes les rations des soldats de l’ONU, où qu’ils se trouvent. Nous étions en compétition avec des sociétés de 3 milliards de chiffre d’affaires.

Ensuite, nous avons construit un dispositif très particulier pour « Vivres Métropole ». Plutôt que de passer, comme pour la restauration classique, par des distributeurs qui alimentent directement les restaurants, nous avons décidé de séparer l’achat de vivres de la logistique. Cela génère des économies, parce que la marge d’un logisticien va de 10 à 12 %, contre 20 à 25 % pour les distributeurs. Mais, cela permet surtout à des PME d’être éligibles à des marchés publics. Dès lors qu’on sépare les vivres de la logistique, tout producteur peut postuler, sachant que notre logisticien va chercher ses produits chez lui et les distribue sur l’ensemble du territoire national. Ainsi, un petit producteur de miel peut être présent sur toutes les tables des militaires. Il a fallu deux ou trois ans pour optimiser ce dispositif : c’était une grosse réforme, avec un marché de 60 000 tonnes et 90 millions d’euros pour six ans. Mais il a atteint une très bonne efficience économique et le Salon international du transport et de la logistique nous a décerné le prix de l’innovation logistique.

M. le commissaire-général Étienne Vuillermet. En tant qu’utilisateurs, nous étions au début extrêmement réticents. Mais ce dispositif a ceci de vertueux qu’il permet de grouper les commandes : moins il y a de petites commandes, moins nous payons de logistique par armée. L’économat des armées, même s’il est un EPIC, doit participer comme tout le monde à l’effort de réduction des charges. Et ce dispositif est aussi intéressant en termes de bilan CO2. Environ 1 600 denrées sont référencées dans « Vivres Métropole » et 90 fournisseurs, dont 85 % sont nationaux – même s’il n’y a pas de clause pour l’exiger.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. S’agissant de logements, lorsque nous étions à Tora, on y construisait de petits bâtiments de type Algeco pour loger nos unités dans du dur. Ces bâtiments temporaires relèvent-ils de vous ?

M. le commissaire-colonel Philippe Leroy. Pas du point de vue patrimonial. Dans la majorité des cas, ils sont acquis par le service d’infrastructure de la Défense, ou alors par les commissariats, notamment pour l’armée de terre. Nous en assurons l’entretien et la gestion.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous constatons que l’économat des armées s’inscrit pleinement dans la logique de rationalisation des dépenses publiques.

Audition du 26 avril 2011

À 9 heures : M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées, M. le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien, et M. le commissaire-colonel Bernard Chassac, sur le marché de l’habillement

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous remercie de votre présence et vous prie de bien vouloir excuser l’absence momentanée de M. David Habib, coprésident de notre Mission.

Nous poursuivons nos travaux relatifs aux externalisations dans le domaine de la défense, avec trois auditions successives portant d’abord sur le marché de l’habillement, puis sur les sociétés militaires privées, enfin sur la restauration collective.

M. Bernard Cazeneuve et moi-même sommes les corapporteurs de cette MEC, représentant respectivement la commission des Finances et celle de la Défense, ainsi que la majorité et l’opposition. Nous serons accompagnés par des magistrats de la Cour des comptes : Mme Françoise Saliou, conseiller maître, et M. Olivier Brochet, rapporteur.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin, directeur central du commissariat des armées. Organisme très récent, le commissariat des armées est le fruit du mariage des commissariats des trois armées, Terre, Marine et Air. Pour autant, il n’en est pas la fusion dans la mesure où il n’a pas récupéré l’ensemble de leurs attributions. Ainsi, la gestion de la solde est demeurée dans les directions des ressources humaines de chacune des trois armées. De ce fait, le commissariat, qui était historiquement le payeur de la solde, au sens de la gestion et de la paye, n’en est plus aujourd’hui, au sens comptable, que le liquidateur et l’ordonnateur.

Il s’agit d’abord un service financier, au sens de la LOLF. Il exécute la quasi-totalité des budgets du soutien commun, au profit du sous-chef soutien et de l’EMA.

Il sera ensuite un service comptable, au sens du programme 178 Préparation et emploi des forces : en 2012, quand CHORUS nous proposera les résultats comptables, il les analysera au profit du chef d’état-major des armées – le CEMA –, et du ministre.

C’est un service d’achat qui passe l’ensemble des marchés du segment « achats courants » – pour la vie collective du combattant et de la communauté.

C’est un service en charge du contrôle interne comptable, toujours au sens de la LOLF, pour l’ensemble de l’agrégat soutien. C’est toujours un service juridique. Et c’est enfin le service de soutien du combattant.

Si nous sommes aujourd’hui devant vous, c’est au titre des fonctions « achat » et « soutien » du combattant, l’habillement concourant aux deux fonctions.

Quelques mots sur l’organisation actuelle de ce service. Au titre du décret de décembre 2009, je suis subordonné au CEMA. L’essentiel des grands arbitrages est prononcé par le major général des armées. L’action au quotidien du service dépend du sous-chef soutien.

Les commissariats historiques regroupaient environ 11 500 personnes, dont 6 500 seulement ont été transférées au commissariat des armées. À terme, soit en 2014, il n’en comptera plus que 4 000. Parallèlement, le nombre des établissements de ce service, qui était à l’origine de 90, passera en 2014 à 30 – nous en fermerons 39 cette année ; et celui des systèmes d’informations, dédiés au soutien de l’homme, de 90 à une quinzaine.

Le service du commissariat des armées, ou SCA, est face à trois grandes priorités.

La première est d’opérer la manœuvre RH pour s’assurer de la qualité de la condition du personnel et mener ainsi cette réforme à bien. Nous y consacrons énormément de temps, chaque fois que nous fermons un établissement.

La deuxième priorité est d’assurer la continuité du service pendant sa transformation, ce qui est essentiel quand on parle d’externalisation.

La troisième priorité est de tenir les enjeux financiers.

J’en viens aux externalisations stricto sensu. En la matière, nous ne sommes pas des stratèges, mais des opérateurs. La stratégie de l’externalisation est pilotée par le cabinet, autrement dit le ministre, et par l’EMA, dont nous suivons les orientations. Le service contribue simplement à certains choix en tant qu’expert.

Par ailleurs, nous ne sommes pas partie prenante dans l’ensemble des projets d’externalisation concernant le soutien de l’homme. En effet, le service du commissariat n’existe que depuis le 1er janvier 2010 ; il n’est véritablement opérationnel que depuis le 1er janvier 2011. De nombreux projets appartenant à notre domaine actuel ont été lancés bien avant que nous n’existions et nous ne les avons pas tous repris à notre compte.

Trois projets nous concernent plus particulièrement. Le premier concerne la fonction RHL : restauration, hôtellerie, loisirs.

La première vague d’externalisation, sur huit sites des organismes nourriciers de la défense, a été menée sous copilotage de l’EMA et de l’économat des armées, ce dernier étant le pouvoir adjudicateur de ce marché. Nous allons prendre à notre charge, au profit de l’EMA, le pilotage et le contrôle de gestion, attribution régalienne, qui ne saurait être confiée à un EPIC. C’est un projet sur lequel nous commençons à réfléchir au positionnement du service.

Le projet, dit « multiservices », concerne la base aérienne de Creil, où il a été décidé de mettre en place un système de type facility management pour tout ce qui concerne la restauration, les transports, le chauffage, les infrastructures, etc. La question avait d’abord été traitée par l’EMA et le commissariat de l’air, qui est désormais dans le périmètre du SCA, devenu pouvoir adjudicateur. L’opération est quasiment parvenue à son terme ; toute la partie juridique et réglementaire est achevée et nous en sommes à la recherche de la couverture en autorisations d’engagement, avant le passage devant le contrôleur budgétaire et comptable ministériel.

Dans une fonction aussi importante que celle de l’habillement, deux axes sont complémentaires : la rationalisation et l’externalisation.

La création du service du SCA et celle des bases de défense, ou BDD, nous ont permis – ou nous permettront, à terme – de rationaliser les effectifs. La rationalisation devrait nous permettre de ramener le nombre des ETP concernés par la fonction habillement de 1 600 à 1 000, en fermant un certain nombre d’établissements des anciens commissariats – Nancy, Rennes, Rillieux-la-Pape, Bergerac et Évreux – et en restructurant Brétigny et Marseille.

De même, pour les BDD, centraliser dans les bases de défense ce qui se passait dans les formations – corps de troupes, bases aériennes, ports – entraîne mécaniquement des économies.

Cette rationalisation est déjà engagée.

Une externalisation portant sur l’ensemble du dispositif générerait un gain supplémentaire d’environ 400 ETP. Il faudra aussi avoir réglé d’ici à 2017 la situation des 400 ETP privés des ateliers des maîtres ouvriers : maîtres tailleurs, maîtres bottiers, etc. Nous devrons à cette occasion prendre en compte la spécificité de la Marine, qui dispose d’ateliers très importants, notamment à Toulon : on ne s’y cantonne pas, comme ailleurs, à des opérations légères mais on y assure certaines opérations de fabrication.

Comment se situe le projet « habillement » par rapport aux quatre critères de réussite d’un projet d’externalisation qui résultent des grandes orientations fixées par les ministres depuis plusieurs d’années.

Sur le marché de l’habillement, maintenir en permanence le critère opérationnel peut être fait de trois manières. Premièrement, nous conservons en régie tous les effets dits « critiques » : gilets pare-balles, tenues de vol, tenues de protection contre les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques), etc. Tous ces effets demeurent réalisés, stockés, gérés en régie. Deuxièmement, nous conservons l’ensemble des attributions relatives à la « recherche et développement », soit la constitution et la fabrication des notices techniques, qui restera sous la responsabilité du SCA et des EMA, de manière qu’il n’y ait aucune dérive par rapport aux besoins. Troisièmement, nous conserverons bien entendu le pilotage de l’ensemble de la fonction : le contrôle de gestion sera totalement pris en charge par le SCA au profit de l’EMA.

Deuxième critère : les gains économiques. Aujourd’hui, si on externalise la totalité de l’agrégat fonctionnement + achats, qui représente environ 350 millions d’euros, on gagne environ 20 %, soit davantage qu’avec la rationalisation – environ 13 %.

Troisième critère, absolument central : l’intérêt du personnel. Pour cela, nous ferons tout d’abord appel, dès que possible, au dispositif MALD (mise à la disposition), prévu par le décret du 21 septembre 2010. Ensuite, dans la mesure où l’externalisation se traduira par la fermeture d’un ou de plusieurs organismes, nous appliquerons ce qui est fait aujourd’hui dans le cadre de nos rationalisations : PAR, ou plan d’accompagnement aux restructurations ; indemnité de départ volontaire ; mobilité des agents.

Quatrième critère, lui aussi central : pas de position dominante au travers d’un marché d’externalisation. Une vingtaine de PMI-PME françaises travaillent dans le monde de l’habillement, leur situation n’est pas toujours facile et il nous appartiendra, au travers du dialogue compétitif que nous engageons, de prendre en charge leurs préoccupations. Nous restons en contact très étroit avec elles. J’ai déjà vu une première fois le président de la FACIM, la Fédération nationale des fabricants de fournitures administratives, civiles et militaires, qui représente la quasi-totalité des entreprises avec lesquelles nous contractons. Il reste malgré tout relativement confiant : il est probable que, sous certaines conditions, nous pourrons préserver le tissu de nos PMI-PME.

Désormais entrés dans une phase de dialogue compétitif, nous ne pouvons évidemment plus rencontrer les entreprises, mais nous pouvons continuer à interroger le président de la FACIM, dès lors que l’on ne déroge pas à la règle de la confidentialité.

J’aborderai enfin quelques-unes de nos préoccupations.

Premièrement, les systèmes d’information sont pour nous le défi des cinq ans à venir. Nous devons passer d’une multiplicité de systèmes d’information d’armées, très hétéroclites, à un seul système, avec un objectif central : l’interfaçage à Chorus et la capacité de piloter les externalisations. Autrement dit, dans cette fonction « habillement », nous devrons être capables, à la fois de piloter la régie, que nous allons conserver en partie, et de piloter des périmètres externalisés. Nous sommes en train d’y réfléchir et nous devons aboutir assez rapidement pour ne pas retarder le marché d’externalisation.

Deuxièmement, la phase de transition est absolument centrale. Nous savons tout d’abord que nous mettrons un certain temps à traiter les cas individuels de tous les personnels pendant la phase de transition. Ensuite, en nous appuyant sur les expériences extérieures, étrangères ou françaises, nous avons compris que vendre nos stocks à la société externalisée la mettrait dans une situation économique très délicate, dans la mesure où elle devrait les résorber, alors qu’ils ne correspondent pas forcément à ses propres critères. Voilà pourquoi nous conserverons nos stocks pendant la phase de transition. L’économie dégagée sur ces stocks nous permettra de faire face aux 100 à 150 millions d’euros engagés au titre de la masse salariale pendant la phase de transition.

Les organisations syndicales sont étroitement associées à notre opération. Le cabinet, le secrétaire général pour l’administration et l’EMA rencontrent régulièrement les représentants syndicaux après avoir utilisé le retour d’expérience de l’expérimentation RHL.

Ce projet a commencé à être étudié à l’été 2008 par l’EMA, aidé par une société de conseil. Début février dernier, M. Alain Juppé a pris la décision de lancer la réflexion relative à l’externalisation, en demandant au marché, au travers d’un dialogue compétitif, ce qu’il peut nous proposer. Le cabinet a demandé au SCA de réfléchir en même temps à ce que serait une « régie optimisée », qui irait au-delà de la régie rationalisée dont je vous ai parlé, qui pourrait dégager d’autres gains en ETP et en stocks. Nous allons donc mener les deux projets en parallèle, de manière à proposer au ministre un véritable choix entre régie optimisée et externalisation.

L’avis d’appel à la concurrence a été lancé mi-février. Huit entreprises sont aujourd’hui intéressées ; nous allons probablement en garder six.

Le programme dit « fonctionnel », c’est-à-dire le détail du cahier des charges, est prêt et devrait être proposé mi-mai aux entreprises, qui y travailleront de mai à septembre. En septembre, nous engagerons le dialogue compétitif qui devrait aboutir à une décision ministérielle au mois d’avril 2012. Bien entendu, nous aurons été, en même temps, en mesure de proposer ce que pourrait être une régie optimisée.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Vous êtes-vous inspirés d’exemples étrangers pour mener à bien l’externalisation de la fonction habillement ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Les grands choix ont été opérés initialement par l’EMA, en lien avec cette société de conseil. Parce que nous n’existions pas ou que nous étions très jeunes, nous n’avons été que peu associés à la phase comparative. Cela dit, nous savons que l’on s’est intéressé de très près au Canada, où s’est d’ailleurs rendu le commissaire-colonel Bernard Chassac.

Les équipes se sont également intéressées à l’Allemagne, qui fonctionne d’une manière assez proche de la nôtre ; et à de grands acteurs français comme la Police nationale, la Gendarmerie nationale et La Poste.

Le retour de toutes leurs expériences nous a permis, par exemple, de dire qu’il fallait éviter la dégradation de la qualité des effets, comme cela a été constaté en Allemagne, pour les tenues de sport, le problème pouvant tenir à un certain éloignement entre celui qui exprime un besoin, à partir du terrain, et celui qui répond.

Ces retours d’expérience nous ont par ailleurs fait prendre conscience de l’importance de bien conduire la période transitoire, au cours de laquelle les processus vont être profondément modifiés.

Enfin, la problématique des stocks nous est clairement apparue. Il semble qu’elle ait beaucoup entravé le déroulement du projet de la Police nationale – en l’occurrence, il s’agissait de la propriété des stocks.

M. le commissaire-colonel Bernard Chassac. Par rapport à notre dispositif, l’exemple canadien présente la particularité d’être relativement circonscrit, puisque seuls la partie identitaire – les tenues de sortie – et les effets de sport ont été externalisés. L’armée canadienne a été relativement prudente. Cette externalisation, qui date d’une dizaine d’années, a été conduite pas à pas et est maintenant tout à fait aboutie, comme nous avons pu le constater. Mais elle demeure limitée dans la mesure où a été maintenue en parallèle une chaîne complètement militarisée pour la totalité des acquisitions et de la distribution des effets purement militaires ; ainsi, les effets de combat continuent à être opérés directement par l’administration militaire canadienne.

Notre projet est très large et très profond en termes de gammes de produits et de processus externalisés. Il ressemble en cela à l’exemple allemand. Mais la comparaison mérite d’être relativisée : en effet, les Allemands ont créé l’équivalent d’une société d’économie mixte, l’État disposant d’une minorité de blocage chez l’opérateur constitué pour mettre en œuvre l’externalisation.

Enfin, on observe au Canada, entre l’administration et l’opérateur, une très grande interpénétration qui ne serait sans doute pas possible dans notre dispositif réglementaire. En effet, les Canadiens recourent au Small Business Act, qui permet de préserver le tissu économique national et qui donne à l’administration la possibilité d’avoir un regard complet sur les comptes de résultat de l’opérateur

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Fabriquer en régie un certain nombre des moyens susceptibles d’être mobilisés sur le théâtre des opérations garantit qu’une attention particulière sera portée aux besoins des soldats. Ne redoutez-vous pas que l’introduction d’une logique privée ne pose des problèmes concrets sur les théâtres d’opération ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. La question centrale est en effet de satisfaire très vite et très bien l’expression du besoin des armées. En Afghanistan, il a fallu faire des efforts considérables dans un laps de temps très court.

Pour autant, nous sommes confiants : nous sommes un organisme interarmées. Nous opérons au service de l’EMA, dans une approche centralement militaire. Notre travail consistera à recueillir en permanence les besoins des armées en partant du terrain et, grâce aux éléments précis fournis par les états-majors d’armées, à les traduire en notices techniques compréhensibles par un entrepreneur privé.

Aujourd’hui, quand le chef d’état-major de l’armée de terre, le CEMAT, me demande de modifier tel ou tel élément de la tenue de combat, je dois d’abord définir cette notice technique, ensuite passer un marché public, enfin injecter les nouveaux effets après avoir consommé mes stocks de sécurité. Il peut ainsi s’écouler pas mal de temps entre le moment où le besoin est exprimé sur le terrain et la réalisation physique de ce besoin. Dans la mesure où les taux de couverture des stocks du marché ne seront pas aussi importants que les nôtres, nous espérons pouvoir réduire ce délai et nous allons y veiller de très près dans le cadre du dialogue compétitif.

Nous gardons des taux de couverture significatifs sur les matériels dits critiques, et nous assumons le risque. Pour les autres besoins, nous acceptons un partage des risques et des taux de couverture de stocks plus faibles, ce qui devrait se traduire par des délais de réaction moindres.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pourriez-vous nous parler du cas afghan ?

M. le commissaire-général Alain Ribes, sous-directeur soutien. Je précise que nous gardons la maîtrise de la recherche et du développement. Nous travaillons actuellement sur la propriété des données de nos fiches techniques, de manière que l’entrepreneur qui prendra le marché ne puisse pas avoir un droit de regard ou un copyright.

Mais venons-en au cas afghan. Nous travaillons sur des « retex », des retours d’expérience, rapides avec les unités qui rentrent d’Afghanistan, conformément à ce qui a été lancé en 2008 avec l’état-major de l’armée de terre, pour faire évoluer l’ensemble de ses produits. Un des premiers blocages que nous avons rencontrés quand nous avons commencé à moderniser le paquetage a été la contrainte du code des marchés publics : nous ne pouvions pas passer en urgence en nous basant sur son article 35, nous n’étions pas dans le décret défense, nous étions donc tenus de suivre une procédure normale.

Selon moi, l’externalisation donnera de la souplesse au dispositif : l’entreprise ou le groupe pourra aller plus vite que nous. Mais nous leur donnerons nos exigences en termes techniques et en termes de stocks à réaliser. Par ailleurs, nous informerons de façon ouverte les PME de l’évolution technique des produits, ce qui leur permettra de se mettre si nécessaire en position de sous-traitance et de faire valoir les produits qu’elles réalisent.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. S’agissant de la propriété des données, dans le système d’information auquel nous réfléchissons actuellement, le référentiel est absolument central car la réversibilité semble très peu probable : il serait très compliqué, au terme du marché, de reprendre en régie la fonction habillement...

Pour éviter l’effet de position dominante, la transférabilité est essentielle. Elle est très compliquée dans un système très intégré mais, si nous restons propriétaires de notre base de données et l’opérons seuls, la fonction devrait être assez facilement transférable.

Voilà pourquoi nous parlons beaucoup de référentiels et de bases de données référentielles : nous cherchons à garantir notre liberté d’action au bout de cette première tentative de marché – si nous nous lançons…

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Quand vous parlez de réversibilité, visez-vous la fonction de fabrication, ou de stockage et de gestion des effets ?

Par ailleurs, dans une armée de conscription, on fournit aux hommes un paquetage qu’ils doivent rendre à l’issue de leur service militaire. Quelles sont les règles dans une armée professionnelle ? Qui fournit quoi ? L’officier, le sous-officier, l’homme du rang reçoit-il son paquetage, doit-il s’acheter sa tenue de sortie ou faire l’écussonnage en fonction de son grade et éventuellement de son armée ? Qui gère les stocks et qui assure le nettoyage ? Qui maintient en état et remplace les tenues de combat ? Que ferait l’entreprise, ou la fonction externalisée, par rapport à ce qui se pratique jusqu’à présent ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Si nous franchissons le cap de l’externalisation, nous n’aurons plus du tout de fabrication. Le peu qui est encore fabriqué dans la Marine disparaîtrait en 2015-2017 ; tout serait donc confié au marché. Les maîtres ouvriers restants, dont le statut serait « revisité », pourraient être intégrés en 2017 dans le dispositif d’externalisation, pour entretenir les effets.

En revanche, nous allons conserver la gestion, entendue au sens le plus général du terme : une gestion extrêmement détaillée pour les éléments en régie, dont on connaîtra à peu près tout, y compris leur traçabilité ; une gestion beaucoup plus distanciée pour les effets qui auront été externalisés, dont on ne cherchera pas obligatoirement à tracer le stock. Nous sommes en train de déterminer ce que seront le dispositif et les processus de gestion de notre stock.

Lorsque je parlais de réversibilité, je visais effectivement le stockage. Nous possédons deux grands établissements qui stockent et gèrent l’habillement : l’un à Portes-lès-Valence, l’autre à Châtres. Si nous externalisons, nous ne garderons plus que 30 % du dispositif, lequel suppose des stockages assez volumineux. L’externalisation nous conduira nécessairement à revoir le schéma directeur de nos établissements avec en incidence le problème de la réversibilité.

Par ailleurs, le nettoyage et l’entretien des effets ne relèvent pas de la responsabilité du service, mais de celle des bases de défense. Il appartient aux « Com BDD », les commandants des bases de défense, de vérifier que les effets de leurs personnels ou de ceux qu’ils soutiennent sont en bon état.

Enfin, nous appliquons aux effets d’habillement le principe de la gratuité, avec quelques exceptions relatives, notamment, à la tenue de sortie des officiers.

M. le commissaire-colonel Bernard Chassac. Le dispositif actuel est le suivant : pour la troupe, l’habillement est systématiquement gratuit, comme son entretien. L’évolution majeure qui est en cours – un projet de décret est en interministériel – vise à la gratuité de l’équipement en effets d’habillement pour la totalité du personnel militaire, quels que soient son grade et son appartenance, selon des règles qui seront communes. C’est le pendant de l’obligation du port de l’uniforme, qui est inscrite dans le statut militaire : du fait de cette obligation, l’État prend à sa charge la réalisation, l’acquisition, la fourniture et le nettoyage lorsqu’il dépasse les standards techniques ménagers. Tel est le paysage réglementaire dans lequel s’inscrit la réforme, donc la possible externalisation de cette fonction.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelques articles de presse ont rendu compte, notamment lors des opérations en Afghanistan, de l’achat par les soldats de matériels dont ils avaient besoin, dans des conditions qui ont fait grand bruit. Pouvez-vous faire le lien avec le sujet dont nous traitons aujourd’hui ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. J’étais alors au bureau soutien en charge de l’habillement à l’EMAT – état-major de l’armée de terre. Dès 2007, les premiers retex sur les OMLT – Operational Mentoring Liaison Team – avaient souligné nécessité de moderniser rapidement le paquetage et de le monter au standard des armées de l’OTAN.

Notre premier effort a porté sur la balistique – protection et individu. Au début de l’année 2007, le CEMAT a demandé d’élaborer une nouvelle politique d’habillement et de moderniser l’ensemble des équipements du combattant – on ne parlait plus d’habillement, mais d’équipement.

En 2008, environ 9 millions d’euros ont été consacrés à la réalisation de nouveaux équipements – gilets pare-balles, protection balistique, protection des oreilles, protection des yeux, nouveaux treillis. Nous avons réalisé un treillis en neuf mois, avec la difficulté que j’évoquais : nous avons failli essuyer un rejet du TPG ; dans la mesure où nous avions voulu utiliser l’article 35-2 du code des marchés pour aller plus vite. En 2009, nous avons consacré 11 millions d’euros à ces nouveaux équipements, et 6,5 millions en 2010.

Cette modernisation s’étendra au théâtre libanais. Par ailleurs, la politique d’habillement de l’armée de terre prend en compte la montée en gamme de tous ces équipements à l’ensemble de l’armée de terre, avec une priorité pour les théâtres d’opérations extérieures – puisqu’il faut consommer les stocks actuels d’effets ou articles plus anciens.

Le problème a été abordé par le biais des retex. Des procédures ont été mises progressivement en place. Des unités de retour d’opérations ont été invitées au laboratoire de Rambouillet pour faire valoir les besoins nouveaux en matière d’équipements, de protection.

Depuis 2009, nous n’avons pas eu de remontées sur le problème que vous avez évoqué.

Mais je voudrais revenir sur les dotations en habillement. Celles-ci sont définies par les armées, qui en ont conservé la maîtrise.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le treillis Félin est-il concerné par ce type de procédure ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. Dans le cadre du programme d’armement Félin, aussi bien les tenues de combat que tous les éléments optroniques ou les armements ont été réalisés par la DGA.

L’armée de terre a anticipé la réalisation des effets du paquetage Félin au titre du renouvellement, financé sur le programme 178.

La réalisation de ces effets a bien sûr pris en compte les retex du théâtre afghan. Ces effets sont en partie réalisés : treillis de combat, chaussures,… Ce treillis de très bonne qualité n’a pas fait l’objet de critiques.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Avec ma collègue Françoise Olivier-Coupeau, nous avons conduit une mission sur les recettes exceptionnelles de la Défense, parmi lesquelles figurait la cession des fréquences hertziennes de Félin. Cela impliquait-il de changer les matériels radio prévus à l’origine ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. Cela ne fait pas partie de mes attributions : dans ce domaine, je ne m’occupe que de l’équipement du combattant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Jusqu’à présent, tous les effets sont stockés dans les différents entrepôts. Si l’on externalise la fonction « fourniture d’effets », qu’avez-vous prévu en cas de mobilisation ?

M. le commissaire-général Alain Ribes. Dans les exigences du programme fonctionnel, figure l’obligation, pour les entreprises, d’entretenir un stock-outil, précisément pour répondre aux besoins de réactivité qu’impose un engagement opérationnel. Mais ce stock-outil ne sera pas dimensionné comme il l’est actuellement.

Nous sommes en train d’apurer les stocks des effets ou articles obsolètes, en fixant avec les armées des horizons logistiques qui nous permettent de faire évoluer rapidement les matériels. En effet, un équipement évolue tous les cinq ans. Nous allons donc devoir déterminer des cibles d’équipement qui soient assez bien dimensionnées pour éviter les sur-stocks comme les sous-stocks.

Il faudra définir, dans le programme fonctionnel, à la fois les exigences d’entretien d’un stock-outil, et les exigences de réactivité dans la distribution pour tenir différentes alertes opérationnelles. Ce programme fonctionnel est établi en liaison avec les états-majors d’armées et sera traité en dialogue compétitif.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Nous sommes là au cœur de ce que l’EMA qualifie de « préparation opérationnelle différenciée ». Nous devons nous mettre en mesure de remonter en puissance en faisant appel au marché, dans le cadre du préavis qui sera fixé parle caractère de l’engagement opérationnel.

De la même manière, nous aurons à déterminer les conditions de quantité, de qualité et de délai. Mais nous n’envisageons pas de stocker de réserves dites de « mobilisation » et il n’y aura plus de convocations verticales. Pour le quotidien, la plupart des réservistes que nous employons sont équipés ; ils gardent le paquetage chez eux, et quand ils viennent renforcer un dispositif de personnel d’active, ils ne nous posent aucun problème d’équipement.

M. le commissaire-général Alain Ribes. Le problème est de maintenir un stock suffisant pour pouvoir, dans les six mois de préavis, remonter au niveau des cibles capacitaires fixées dans le contrat pour monter en puissance.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. On voit bien qu’une grande partie de l’économie engendrée par l’externalisation résulte de votre capacité à maîtriser financièrement le dispositif des marchés que vous aurez vous-mêmes passés. Dans ces conditions, le volume et les conditions de gestion du stock auront leur importance. Or nous sommes appelés à intervenir dans des délais très courts sur des théâtres d’opérations multiples, sur lesquels nous n’avions pas nécessairement prévu de nous rendre. Est-ce que la volonté d’une bonne maîtrise économique du marché d’externalisation n’est pas de nature à poser des problèmes opérationnels ? Par ailleurs comment choisissez-vous l’industriel et comment définissez-vous le niveau de stock qui permettra d’éviter ces problèmes opérationnels ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Nous n’accepterons aucun risque opérationnel sur les effets très critiques, comme les gilets pare-balles ou les combinaisons des pilotes de chasse. Nous les conservons en régie et nous maintiendrons quasiment le taux de couverture actuel. Sur les effets critiques, nous baisserons le taux de couverture, qui restera néanmoins substantiel – par exemple dix-huit mois. Nous imposerons ce taux de couverture au marché, de manière à pouvoir faire face à une remontée en puissance.

Nous ne prendrons de risques que sur les effets dits « absolument non critiques » – par exemple, la tenue que je porte aujourd’hui devant vous, et dont le renouvellement peut être retardé d’un ou deux mois sans mettre en danger le contrat opérationnel. En revanche, tout ce qui touche au contrat opérationnel fera l’objet de taux de couverture de stocks tout à fait spécifiques.

Ce sera un des éléments centraux de la conversation que nous aurons avec le marché au cours du dialogue compétitif. Les entreprises devront nous démontrer qu’elles peuvent dégager des gains, autrement dit faire des économies en gérant des taux de stocks relativement élevés. Des bases logistiques polyvalentes, qui ne seraient pas spécifiquement dédiées aux armées permettraient sans doute d’atteindre des effets de masse et à des fournisseurs d’atteindre des plateaux qui sont aujourd’hui inaccessibles pour le ministère.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il y a dix-huit mois, au Tchad, nous avons été surpris de constater que l’armée de l’air avait des treillis été, mais pas l’armée de terre. A-t-on réfléchi à la polyvalence de certaines tenues ? Il suffirait de changer l’écussonnage, à partir d’un même module. Cela pourrait avoir des conséquences sur la gestion des stocks.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Oui pour le présent, et encore plus pour l’avenir.

L’armée de l’air va rallier l’armée de terre pour ce qui concerne les treillis.

Par la suite, nous envisageons de « mettre de l’ordre » et d’allers vers l’harmonisation et l’uniformisation, par le truchement de notre plate-forme de référentiels. Jusqu’à présent, les trois armées achetaient pour elles-mêmes, possédaient leur propre service acheteur et leur propre service de nomenclature. De ce fait, les chaussures basses noires cadres, que je porte en ce moment, sont référencées, achetées et nomenclaturées par chacune des trois armées. Demain, il n’y aura plus qu’un seul numéro de référence géré par le SCA et un seul marché. Cette uniformisation minimale se fera de manière quasi mécanique. Ensuite, il faudra sans doute modifier certains éléments de tradition ou d’usage. Au fil des années, on arrivera probablement à uniformiser progressivement les tenues. Mais je parle bien sûr de ce qui est « uniformisable ».

M. le commissaire-général Alain Ribes. Ce travail a déjà été engagé. Une commission interarmées de la tenue est précisément chargée de regrouper toutes les fiches techniques, pour arriver à des réalisations uniques sur des effets communs. Cette année, le service a passé pour la première fois des marchés groupés pour l’ensemble des trois armées : treillis, chaussures, sacs de portage. Mais on prend soin de retenir le produit qui est le plus performant.

Vous avez parlé du Tchad. Il s’est en effet trouvé que l’armée de terre avait décidé, dès 2008, de ne pas équiper ses soldats de treillis sable, pour consacrer davantage de ressources à la modernisation de l’équipement du combattant. Les stocks n’étaient pas suffisants pour équiper tout le monde.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Comment pouvez-vous affirmer que les externalisations coûteront moins cher que la régie ? Quel est votre tableau de bord ? L’objectif que vous vous êtes assigné est-il absolument sûr, ou imaginez-vous qu’il puisse souffrir d’aléas ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. C’est bien délicat. Aujourd’hui, la responsabilité des chiffrages incombe principalement à la mission PPP – partenariat public/privé – dirigée par l’ingénieur général Genoux, à l’EMA et au SGA. Ce sont eux qui pilotent l’ensemble des éléments économiques et financiers de ces dossiers, et qui comparent les différentes solutions. Nous les prenons pour bonnes. Nous annonçons un gain de 70 millions d’euros grâce à l’externalisation sans avoir participé à ce calcul.

Nous prenons ces chiffres pour bons. Bien entendu, les aléas sont nombreux. Ainsi, les éléments qui sont aujourd’hui à la disposition du ministère et qui permettent d’évaluer le coût en régie sont un peu hétéroclites.

Je pense par ailleurs, même si cela relève encore de l’acte de foi, que nous nous appuierons délibérément sur Chorus. J’ai l’intime conviction que cet outil est très loin d’être arrivé à maturité et que, sous réserve d’un travail complémentaire, il nous fournira un axe comptable qui nous donnera de la visibilité. Certes, nous n’avons pas encore cet outil à notre disposition. Mais je pense qu’il permettra d’améliorer notre comptabilité analytique.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je comprends très bien que les hypothèses à partir desquelles on vous a demandé de travailler n’ont pas été élaborées par vous. En revanche, je déduis du propos que vous avez tenu en introduction et de ce que vous venez de nous dire que le mode d’analyse comptable des résultats obtenus est aujourd’hui entre vos mains, à travers Chorus.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Il « sera » entre nos mains.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pour mesurer les économies engendrées par les externalisations, il faudra, avec cet outil comptable ou tout autre tableau de bord, comparer le coût en régie avec le coût de l’externalisation. Mais comment établir une telle comparaison, avec des périmètres différents et des outils de comptabilité analytique qui le sont aussi ?

M. le commissaire-colonel Bernard Chassac. Comme le soulignait le général Coffin, nous attendons avec impatience ce que pourra nous apporter Chorus au titre de la comptabilité analytique. Mais d’ores et déjà, l’ingénieur général Genoux a été chargé, dans l’attente d’un outil standardisé, de procéder à une évaluation économique, qui se déroulera en deux phases.

Dans la première, l’estimation se fait de façon exploratoire, sur des hypothèses de réponse du marché. L’équipe de l’ingénieur Genoux a estimé, au plus proche possible de la réalité, ce que coûte aujourd’hui la fonction opérée en régie ; ses données sont tout à fait disponibles et nous savons précisément comment elles ont été élaborées. À partir de cette évaluation du coût d’un fonctionnement en régie, l’équipe a fait une projection de ce que serait le coût d’un fonctionnement externalisé auprès d’un opérateur. Cette projection est en effet aléatoire, puisqu’elle anticipe la réaction du marché, sans connaître précisément la structure de coûts que celui-ci retiendra.

C’est tout l’intérêt de la deuxième phase de l’étude qui consistera, après le dialogue compétitif et à partir des offres réelles faites par le marché et donc par le groupement qui serait susceptible de réaliser la prestation, à remplacer toutes ces hypothèses de départ par les chiffres de l’externalisation opérée par un opérateur économique réel. On passera de la théorie au monde du réel. À ce stade, on conservera bien évidemment la même méthodologie, les mêmes outils, les mêmes références, de façon à pouvoir travailler sur des grandeurs comparables.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. C’est très convaincant.

J’ai écouté avec beaucoup d’attention ce que vous avez dit sur la transférabilité et la réversibilité. Si nous constations que les résultats de l’opération engagée ne sont pas à la hauteur de ce que l’on escomptait, l’absence de réversibilité ne nous ferait-elle pas courir un risque ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Oui, mais c’est un risque mesuré, qui me semble maîtrisable. Il faudrait que l’état de la fonction externalisée s’avère alarmant. Or, aujourd’hui, les expériences que nous avons pu analyser, car nous ne sommes pas les premiers à explorer le domaine, sont plutôt rassurantes. Si tel était le cas, le ministère aurait les moyens de remettre en place un organisme stockeur pour la partie en régie. Et de toute façon, si l’on décidait de franchir le pas et d’aller vers l’externalisation, le contrat que nous passerions porterait sur une période assez longue : six ou huit ans. Nous aurions probablement le temps de nous « réarmer » pour stocker les effets que nous ne voudrions plus externaliser.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Avez-vous des premiers éléments sur le retour d’expériences d’externalisation de la fonction automobile, qui a été une opération très importante au ministère de la Défense ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Très honnêtement, je ne la connais qu’en tant qu’employeur et lors de conversations de mess. Sauf erreur de ma part, ce marché a été piloté par la direction des Affaires financières et par M. Olivier Prats, responsable du SPAC, le service parisien de soutien de l’administration centrale.

M. le commissaire-général Alain Ribes. Vous avez évoqué le problème posé par la non-réversibilité. Si fragilité il y avait, elle se traduirait par le fait que les confectionneurs ne seraient plus capables de fournir des effets conformes à nos exigences techniques. Nous n’avons pas à craindre un arrêt des fonctions de stockage et de distribution, ni du système d’information Voilà pourquoi il est important de préserver, à l’occasion de ce contrat, le tissu des 20 ou 25 PME qui maîtrisent un savoir-faire qu’il faut conserver.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. La mission Genoux nous fournira un état zéro de l’externalisation, au sens de la comptabilité – ce qui n’a pas toujours été le cas. Tout le travail du SCA sera de mettre en place les instruments de pilotage et de contrôle de gestion, pour être en mesure d’analyser les deltas. L’équipe de Bernard Chessac, qui est responsable de ce projet, connaît parfaitement le temps zéro.

Il nous faudra, en permanence, entre ce temps connu de la mission Partenariats public-privés et ce que nous ferons, analyser les écarts. Nous sommes bien là au cœur du contrôle de gestion. Nous espérons, bien sûr, disposer des bons outils. Mais nous avons deux ans devant nous.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. S’agissant du nombre de personnels, le périmètre que vous avez défini est bien central et ne concerne pas les BDD ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Non. Il ne concerne pas uniquement le service. Nous vous avons dressé le panorama de la fonction habillement : SCA, plus BDD.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il est clair que le Canada et l’Allemagne ont une base juridique qui leur permet de protéger leur industrie nationale, d’une manière ou d’une autre : les Canadiens avec un acte législatif de nature « protectionniste », les Allemands en constituant une société de droit privé qui achète à qui elle veut, comme elle veut, en dehors des marchés publics. Ce n’est pas votre cas. Par ailleurs, le secteur de la confection est relativement sinistré, du moins en France. Comment allez-vous procéder pour essayer de maintenir malgré tout une activité ? Allez-vous fractionner les marchés ?

Par ailleurs, il semble que plus on travaille sur une échelle large, plus il est facile de gérer les stocks. L’uniformisation d’un certain nombre d’effets au sein des armées constitue une première piste. Une autre piste serait de créer des modèles voisins ou quasiment identiques entre différentes armées. On peut supposer en effet que le treillis d’un combattant allemand n’a pas de raison radicale d’être différent de celui d’un combattant français, à partir du moment où ces soldats peuvent être engagés dans les mêmes opérations. Enfin, la mutualisation gagne du terrain. Vous êtes-vous engagés dans une réflexion de cette nature ?

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Aujourd’hui, nous essayons désespérément de rapprocher les trois armées françaises ! Et je pense très honnêtement que même le plus jeune d’entre nous ne connaîtra pas le treillis commun avec les Espagnols, les Britanniques et les Allemands. La raison est d’ordre culturel : il faut être à la fois comme les autres et différent des autres. Ce n’est absolument pas neutre. Une tenue militaire n’est pas un bleu de travail. On peut parler d’une véritable identification du soldat à sa tenue de combat, au point que le CEMAT la considère comme un des éléments du moral du combattant. Nous ne sommes vraiment pas prêts pour ce genre de révolution, même si on peut le regretter, économiquement parlant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les industriels de la mode savent très bien faire un produit unique qui vaut pour le marché mondial et, en fonction des réactions, le produire avec une spécificité telle qu’il devient celui du marché national.

M. le commissaire-général Jean-Marc Coffin. Un jour peut-être… Si cela devait arriver, il faudrait que le projet soit piloté par l’OTAN ou par une organisation militaire supranationale. En effet, il n’y a aucune raison qu’un pays prenne le leadership sur un autre, à moins que les effets de mode fassent que tout le monde veuille se rallier à un modèle particulier de treillis.

M. le commissaire-général Alain Ribes. S’agissant du treillis, on pourrait envisager une même coupe, mais pas un même bariolage. Le choix du bariolage influe sur le prix : plus un tissu a de couleurs, plus il coûte cher. Mais surtout, c’est un élément de sécurité : car le bariolage concourt à l’identité du soldat sur le terrain. C’est un aspect à prendre en compte.

Il serait possible de mutualiser les effets de type balistique (gilets pare-balles, masques balistiques…) ou les chaussures. Il serait difficile, mais possible, de passer des marchés au niveau de l’OTAN, via la NAMSA, l’Agence OTAN d’entretien et d’approvisionnement. Cette dernière est une centrale d’achats qui permet aux armées d’acheter des produits identiques. Mais ce ne serait pas possible pour un treillis, en raison de l’aspect identitaire, malgré une coupe qui s’approche du standard OTAN.

M. le commisssaire-général Jean-Marc Coffin. On doit pouvoir assez facilement se rapprocher sur des effets non identifiables comme des genouillères, des coudières ou des gilets pare-balles. Mais il sera compliqué d’aller au-delà.

Enfin, pour protéger le tissu de nos PMI-PME, nous n’avons pas à notre disposition l’arsenal réglementaire et législatif des Allemands ou des Canadiens. Malgré tout, nous pouvons mettre en avant la continuité du service ; aujourd’hui, ceux qui savent ont un avantage considérable sur ceux qui ne savent pas. Nous pouvons également jouer sur la sécurité des approvisionnements, afin d’écarter du marché un certain nombre d’entreprises trop éloignées des problématiques nationales, ou sur la qualité des produits en positionnant nos exigences à des niveaux très élevés, afin de fermer la porte à certaines autres. Par ailleurs, dans le dialogue compétitif, le SCA devra s’assurer, auprès des opérateurs en compétition, d’avoir une visibilité sur la sous-traitance française. Ce sera pour nous un élément déterminant de la proposition de l’un des six groupements retenus. Cette directive est claire, puisqu’elle vient du ministre. Nous y serons extrêmement sensibles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous remercie.

Audition du 26 avril 2011

À 10 heures : M. le colonel François de Lapresle, sous-directeur de la Politique et de la prospective à la délégation aux Affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense, sur les sociétés militaires privées (SMP)

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le colonel, pour évoquer avec vous les travaux de la délégation aux affaires stratégiques et les sociétés militaires privées.

M. le colonel François de Lapresle, sous-directeur de la politique et de la prospective à la délégation aux Affaires stratégiques (DAS) du ministère de la Défense. Je suis très honoré de me trouver parmi vous et vous remercie de l’intérêt que vous portez aux travaux de la communauté de Défense sur ce sujet. Je suis accompagné du chef d’escadrons Yannick Prati, en charge de l’important dossier de la privatisation et de l’emploi de la force au sein de la sous-direction de la Politique et de la prospective créée il y a deux ans au sein de la DAS. Trois ans après le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationales, le commandant Prati suit un dossier particulièrement difficile. Il l’est en raison des ambiguïtés et des polémiques autour du périmètre des sociétés militaires privées (SMP). Ce dossier est d’autant plus sensible que la position des Britanniques et des Américains est assez offensive et non retive : Le recours aux sociétés militaires privées est une vraie industrie. Deux récents documents du Sénat et de la Cour des comptes des États-Unis que je vous remets. La politique agressive menée en 2009 et 2010 a été promue à travers une série de conférences et de colloques, auxquels la délégation aux affaires stratégiques représentant le Défense et le ministère des Affaires étrangères ont été associés.

La sous-direction au sein de la communauté de Défense suit le dossier des sociétés militaires privées sous l’angle stratégique qu’il mérite. L’appellation même de ces sociétés donne le sentiment qu’elles relèvent uniquement du domaine militaire, ce qui n’est pas le cas. Il est plus judicieux de traiter cette question sous l’angle de l’externalisation, qui vous intéresse particulièrement.

C’est en 2008 que cette appellation « sociétés militaires privées » – EMSP en anglais – est officialisée dans le document de Montreux. Or ce document traite des obligations juridiques et des bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne le recours aux entreprises militaires et de sécurité privées. Validé par 34 États, il décrit le cadre juridique du recours aux SMP dans le respect du droit international et humanitaire. La France suit avec soin la promotion de ce document qui responsabilise les États.

L’enjeu le plus difficile autour de ce sujet est la définition du cœur du métier militaire, et cela nous amène à nous interroger sur la capacité à mesurer la plus-value économique pour les forces armées du savoir-être et de l’investissement en matière de formation, qui va bien au-delà du savoir-faire. Les retours d’expérience des armées étrangères montrent que le recours aux SMP comporte des risques, non pour les 80 % des actions de soutien logistique mais pour les 20 % restant – protection, escortes –, avec des questions extrêmement graves liées au possible recours aux armes et à l’utilisation de la force. La France adopte sur ce sujet une attitude très prudente, vigilante et pragmatique. Sans méconnaître l’ampleur du phénomène, la France est plus attentive à la régularité juridique et stratégique qu’au strict modèle économique. La voix de la France est attendue et écoutée avec beaucoup d’intérêt au plan international, je l’ai constaté lors de colloques et séminaires de l’OTAN.

Ce sujet a aussi fait l’objet d’une série de travaux, dont beaucoup ont été menés en 2009 et 2010 par l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), le Centre des hautes études militaires (CHEM) ou l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire (IRSEM), auxquels la DAS, qui travaille depuis longtemps sur ce sujet, a participé. Au-delà de la vulgarisation, ces travaux ont permis une bonne appropriation des questions clés. La crise financière a aussi fait évoluer la réflexion sur l’externalisation et la place du régalien.

Depuis deux ans, la communauté de la défense élargie a pu dresser un état des lieux au bénéfice des actions interministérielles et est partie prenante des travaux de réflexion autour de la privatisation. Il est cependant évident que la complexité du sujet justifie la prise en compte de tous les volets du périmètre.

Le ministère de la Défense a donc pris acte du développement de ce phénomène et étudie attentivement l’évolution des débats internationaux en étroite liaison avec le ministère des Affaires étrangères et européennes. La France a ainsi exprimé sa réticence vis-à-vis du nouveau code de conduite des Américains qui, à la différence du texte de Montreux, conduit à engager les individus et les organisations sans évoquer le rôle des États. Or ceux-ci doivent conserver autonomie et liberté d’action et surtout pouvoir contrôler le jeu de tous les acteurs sur les théâtres d’opération.

Nous avons aussi pu échanger avec les sociétés privées françaises pour mieux connaître la manière dont elles sont organisées et comment, dans le cadre de l’externalisation, se mettent en place les partenariats et des contrats.

Les sociétés militaires privées n’entrent pas en concurrence avec nos armées car l’État français conserve le monopole de l’usage de la force légitime. Dans le cadre des réflexions stratégiques de l’état major des armées, nous avons mis en avant l’importance de bien appréhender ces sociétés et leur organisation afin de pouvoir planifier en cas de besoin des contrats adaptés et décidés par action. Nous privilégions le cas par cas afin de garantir la réversibilité.

Il nous semble important que les sociétés françaises puissent remporter des marchés à l’étranger. Un certain nombre d’actions sont menées, en accord avec les gouvernements locaux et dans le respect de la loi française, la dimension des perceptions étant sur ce sujet un aspect primordial.

Dans le cadre de sa coopération avec les sociétés militaires privées, le ministère de la Défense doit conserver la maîtrise et le contrôle. Notre travail avec la direction de la Protection et de la sécurité de défense (DPSD) et l’ensemble des acteurs a montré à quel point il est important d’identifier ces sociétés de façon fiable et dans la durée.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Existe-t-il pour la DAS une différence entre une société dans laquelle l’État détient 49,9 % du capital – en l’occurrence le groupe Défense conseil international (DCI) – et les autres sociétés françaises ?

M. le colonel François de Lapresle. N’étant pas un expert technique de ce sujet, je ne saurai répondre sur la nature de la différence et je ne peux vous répondre sur l’aspect contractualisation. Ce qui nous semble important, c’est l’expression du besoin initial, à savoir son identification en amont de toute action, non sous l’angle logistique certes mais sous celui de sa finalité – c’est ce que nous appelons la planification et dans ce cadre, DCI s’est spécialisé astucieusement.

Le groupe DCI est un partenaire privilégié de grande qualité, qui agit dans un cadre particulier, la Défense : nous travaillons ensemble à l’établissement de contrats qui pour l’essentiel portent sur des missions de formation.

Les relations avec les SMP dépendent essentiellement de la confiance qui a été instaurée en amont, de la légalité de leurs activités et de la crédibilité de leurs membres, qui sont parfois d’anciens militaires. Il est essentiel de circonscrire le besoin initial et de s’assurer de la fiabilité des entreprises qui proposent leurs services. Si nous accordons spontanément notre confiance aux opérateurs étatiques, dont nous connaissons les procédures, c’est moins évident lorsqu’il s’agit de structures protéiformes, gérées en fonction des besoins et du marché, telles ces sociétés militaires privées américaines qui, à Haïti, ont, par exemple, organisé l’emploi de drones au profit de particuliers dans le cadre de leurs contrats d’assurance.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je formulerai autrement ma question : l’État étant présent dans le capital de DCI, la DAS a un droit de regard sur le fonctionnement de l’entreprise. Mais s’agissant des autres entreprises françaises, existe-t-il une procédure d’agrément, comportant un cahier des charges et des clauses de réversibilité ?

Vous serait-il possible de nous faire parvenir la liste des entreprises que vous avez étudiées ?

M. le colonel François de Lapresle. Pour les armées, trois externalisations importantes ont été réalisées : la protection de l’îlot Saint-Germain, la sous-traitance des véhicules de la gamme commerciale et l’expérimentation CAPES France confiée à l’Économat des armées.

S’agissant de la DCI, la mission de la DAS n’est pas de contrôler ce groupe mais consiste à conseiller le ministre de la Défense sur le panorama stratégique et les évolutions en cours  ; nous ne sommes pas engagés dans la partie agrément – nous n’émettons donc aucune validation – puisque le processus est contractualisé en fonction du besoin technique validé par des organes compétents. La délégation générale pour l’Armement et les organes chargés de coopération seraient plus à même de vous répondre sur ce point.

Le rôle de la DAS est plutôt de concourir à faciliter la compréhension de l’environnement et à faire évoluer le dispositif s’agissant d’organisations non étatiques pour lesquelles il n’existe pas de « labellisation FR ». Les processus sont du ressort de la DPSD et liés à une certaine confidentialité qui présente au plan juridique certains atouts. En l’état actuel, il n’existe pas de processus normatif : les armées établissent au cas par cas un contrat spécifique avec les SMP.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Parmi les activités des SMP, certaines sont « externalisables », comme l’habillement ou la restauration, mais ce n’est pas le cas des missions de sécurité qui peuvent entraîner l’utilisation de la force, d’où la nécessité pour le ministère de la Défense d’établir un cahier des charges spécifique.

Je vous pose à mon tour la question : sur quels critères vous appuyez-vous pour considérer qu’une société est à même d’exercer des missions de sécurité ?

M. le colonel François de Lapresle. L’État et la Défense délivrent des habilitations au titre du personnel servant dans ces entreprises, après enquête administrative. Quant à l’organisme qui souhaite contracter, il fait l’objet d’un examen au cas par cas, mais je ne suis pas en mesure de rentrer dans le détail des procédures de la DPSD.

La DCI par exemple, ou les sociétés en lien avec l’État font l’objet d’une habilitation avec des niveaux de confidentialité Défense. Pour les sociétés offrant des compétences autres, il est utile de développer des outils de labellisation.

Vous l’avez compris, notre rôle n’est pas dans la stricte modalité administrative et logistique mais se situe au niveau stratégique. Nous identifions les points clés d’une stratégie par action et devons faciliter une approche cohérente et coordonnée du sujet.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Existe-t-il des critères juridiques – ou de toute autre nature – permettant de définir ce qu’est une société militaire privée ?

M. le colonel François de Lapresle. Les sociétés militaires privées définies page 329 du Livre blanc sont des sociétés susceptibles d’offrir des services de sécurité ou à caractère technique dans le domaine principal du soutien logistique et ne doivent pas exercer la force légitime. Si le processus d’externalisation nous a amenés à réfléchir à la nature de la sous-traitance, nous ne considérons pas ces sociétés de la même façon que les Anglo-saxons, qui n’ont pas une tradition de séparation des pouvoirs et mêlent la politique, les intérêts privés et l’économie. Ils adoptent à leur égard une stratégie globale, avec tous les risques de mélanges des genres que l’on sait. Nous ne souhaitons pas donner à ces sociétés des compétences qui pourraient les amener à de telles dérives et donc offrir un cadre clarifié.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. En commission de la Défense, nous avons évoqué la possibilité de confier à ces sociétés la sécurisation, voire la surveillance de nos postes diplomatiques à l’étranger, ce qui les amènerait, au cas où ces postes feraient l’objet de violents assauts, à utiliser la force. Cela vous paraît-il concevable ?

M. le colonel François de Lapresle. Le Quai d’Orsay a engagé un certain nombre d’actions en vue d’assurer la protection de nos ambassades. La réflexion a été confiée à des spécialistes, dont certains sont d’anciens gendarmes. Plusieurs dispositifs ont été mis en place. Le traitement au cas par cas qui a été choisi nous impose de tenir compte de la réponse de l’État hôte tout en respectant la légitime défense française – tant que nous restons dans le cadre de sociétés privées françaises. Mais le recours à ces sociétés ne peut être assuré partout de la même façon : sur le territoire national, à l’étranger ou en mer, ce qui explique le besoin du cas par cas.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je comprends votre argumentation, mais la protection de nos postes diplomatiques à l’étranger relève de prérogatives quasi régaliennes. La présence d’un ancien gendarme ne saurait constituer une opportunité suffisante pour décider d’externaliser cette protection. Quelle doit être, selon vous, notre doctrine en la matière ?

M. le colonel François de Lapresle. La vraie difficulté vient de ce que la dynamique de désengagement de l’État dans un certain nombre de domaines ainsi que les choix opérés reposent sur des critères liés à une analyse partagée de la menace et la dangerosité. L’analyse des risques, la prise en compte des modalités d’organisation locales, régionales et la pression juridique montrent la nécessité d’établir un cahier des charges très précis et d’envisager la réversibilité. C’est le ministère des Affaires étrangères qui a lancé l’externalisation dans l’exercice de ses attributions, sans y associer le ministère de la Défense. Nous estimons que toute externalisation, au-delà de l’identification du besoin doit tenir compte de la situation, par exemple de la localisation de l’ambassade – à Bagdad, il est clair que les conditions de l’externalisation de la sécurité doivent faire l’objet d’une vigilance particulière.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’adaptation au cas par cas est très aléatoire. La situation de l’ambassade de France à Tunis, par exemple, n’était pas la même en janvier qu’en décembre... Dès lors qu’une décision d’externalisation a été prise, toute évolution du contexte international peut nous placer en quelques jours dans une situation extrêmement délicate.

Jusqu’à présent, la sécurisation de nos ambassades est assurée par des personnels militaires français, en particulier des gendarmes. Comment le Quai d’Orsay aurait-il pu prendre seul la décision d’externaliser cette mission, sans aucune concertation avec le ministère de la Défense ?

M. le colonel François de Lapresle. Les situations sont bien sûr traitées au cas par cas. Le dispositif n’est pas identique partout, même si la posture sécuritaire et la perception locale comptent. Il est mis en place de façon progressive et expérimentale après une réflexion collégiale, mais il n’existe ni vision normative ni règle générale définissant une procédure à suivre. Le ministère de la Défense s’adapte et prend en compte l’incertitude liée à l’aspect évolutif de la situation avec tous les acteurs et opérateurs.

M. le commandant Yannick Prati. En effet, en l’absence de vision globale, il est difficile d’instaurer un système uniforme. Vous avez d’ailleurs souligné, monsieur le Rapporteur, que la situation pouvait évoluer rapidement. L’exemple de la Tunisie milite en faveur de la réversibilité.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. La sécurité des postes diplomatiques a incontestablement une dimension interministérielle, car certains de nos agents courent de réels dangers. La situation de l’ambassade de France à Abidjan, au cours des dernières semaines, était différente de celle de notre ambassade à Washington. La sécurité de nos postes diplomatiques est confiée à la gendarmerie, à la police française, avec le concours de l’attaché de défense, mais elle peut aussi être confiée à des sociétés de droit local. Par exemple, lors des récents événements survenus en Égypte, l’ambassade de France, qui se trouve à l’extérieur du Caire, était protégée par des militaires et des gendarmes égyptiens.

Quelle est votre doctrine concernant le recours à ces sociétés extérieures, et sur quels critères sont-elles choisies ?

Quel regard portez-vous sur les sociétés comparables qui existent dans les pays anglo-saxons, en particulier celles qui gravitent autour de l’armée américaine ? Quel est votre sentiment sur le rôle que joue Halliburton en Irak et en Afghanistan ?

M. le colonel François de Lapresle. Pour déterminer le cadre des responsabilités des SMP, nous avons collégialement défini au ministère cinq lignes rouge à ne pas franchir : la préservation du contrôle étatique sur l’emploi de la force légitime ; l’absence de participation directe aux hostilités ; la préservation de la cohérence et de l’autonomie de l’action militaire, sans esprit systématique, avec une garantie de réversibilité ; la définition au cas par cas du champ d’activité, et l’exigence d’une réponse adaptée à la réalité d’un besoin avéré.

Nous étudions attentivement les retours d’expérience de nos unités sur les théâtres d’opérations extérieures, comme l’Afghanistan, où elles peuvent apprécier la manière dont les anglo-saxons utilisent les sociétés militaires privées.

Il est impératif de disposer d’une cartographie précise et à jour de ces sociétés au plan international car la situation évolue de façon quasiment quotidienne – certaines sociétés américaines peuvent aller jusqu’à offrir des bâtiments armés, voire des aéronefs avec leurs munitions… Les sociétés militaires privées assimilables à ce vocable sont encore peu nombreuses sur le marché français et il est important d’établir avec elles une relation de confiance. Elles évoluent en fonction de leurs expériences, plus ou moins malheureuses : les unes ont eu des ambitions démesurées, d’autres se sont appuyées sur un business model qu’elles n’avaient pas conçu elles-mêmes, ce qui les a exposées à des risques financiers importants. Grâce à cette connaissance améliorée des acteurs potentiels, le ministère de la Défense peut appréhender ces sociétés et étudier leurs mécanismes afin de pouvoir mieux anticiper les coopérations possibles et adapter le contrat en fonction de l’évolution de la situation et des risques existants.

La France a raison de ne pas entrer dans la logique anglo-saxonne qui consiste à permettre aux SMP le recours à l’emploi de la force – 20 % de leurs missions en Afghanistan. Les armées doivent aujourd’hui planifier et procéder à une prise en compte de l’environnement, dans l’esprit du Livre blanc. Face à des séismes comme ceux du Japon ou de Haïti, le rôle de tous les acteurs compte et doit être défini, qu’il s’agisse des personnels de défense et de sécurité ou des humanitaires. Dans un environnement international incertain et extrêmement évolutif, les armées doivent, plus que jamais, interagir en prenant en compte de nouvelles contraintes : directives européennes sur les marchés et logiques contractuelles de l’OTAN. Il convient aussi de mettre en commun les connaissances, d’adopter une doctrine quant au partage des responsabilités, d’apprécier les perspectives d’évolution des situations, qui peuvent amener l’État à choisir de se placer en première ligne en lieu et place du délégataire.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Combien y a-t-il de SMP en France ? Quel est le montant des contrats passés par le ministère de la Défense avec ces sociétés ?

M. Yannick Prati. À notre connaissance, il en existe une trentaine. Leur chiffre d’affaires annuel moyen est de 3 millions d’euros – il atteint 40 millions pour la plus importante d’entre elles.

M. le colonel François de Lapresle. En dehors de l’externalisation connue de la formation des pilotes de l’armée de l’air à Cognac, de l’alimentation et des véhicules de la gamme commerciale, nous n’avons pas eu recours à des sociétés militaires privées anglo-saxonnes de ce type, hormis sur les théâtres d’opération comme l’Afghanistan pour combler des besoins de soutien logistique.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Existe-t-il au sein de l’OTAN des instances qui vous permettraient de suivre l’évolution de ces entreprises ?

M. le colonel François de Lapresle. Lors d’un atelier de l’OTAN, en septembre 2009, j’ai pu constater que la plupart des pays autres que le Royaume-Uni et les États-Unis, dont l’Allemagne notamment, méconnaissent totalement la privatisation en cours via le recours aux SMP. Les initiatives en ce sens sont uniquement anglo-saxonnes. Les Suisses dans le cadre de ce fameux code de conduite accompagnent la promotion de cette industrie. Il s’agit en quelque sorte de labelliser les entreprises et les individus autour d’engagements de principe, ce qui va à l’encontre de l’attachement de la France à mettre en avant le rôle des États.

Nous sommes passés d’une logique de vulgarisation du sujet, depuis dix ans avec l’assimilation des leçons apprises après l’Irak et l’Afghanistan, à une logique de compréhension des enjeux. Sans nier la présence de sociétés privées dans les domaines d’activité comme la lutte contre la piraterie, nous entendons poursuivre notre réflexion, au niveau interministériel et international. Les ministères concernés l’ont bien compris et les travaux de mise en œuvre de la directive européenne confortent notre volonté de réduire le risque de confusion entre les modalités et les finalités. La manière dont Hamid Karzai a contraint la présence des sociétés militaires privées en Afghanistan et quelques autres exemples montrent les effets difficilement maîtrisables du recours à ce type de prestation.

Le ministère de la Défense dispose aujourd’hui d’une meilleure connaissance de la cartographie des sociétés et des processus qui les font évoluer. Ce dossier permet à de nombreux acteurs de la communauté nationale qui n’ont pas souvent l’occasion de se parler de confronter leur analyse et leur perception. Les initiatives de la représentation nationale nous donnent aussi l’occasion de mettre en avant, dans ce domaine, les actions du ministère qui agit en étroite liaison avec les autres acteurs institutionnels et privés.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je ne sais si nous avons contribué avec cette audition à « mettre en avant » les SMP, mais quoi qu’il en soit, nous vous remercions d’y avoir participé. Nous vous serons reconnaissants de nous faire parvenir par écrit les réponses écrites aux questions techniques que nous vous avons posées.

Audition du 26 avril 2011

À 11 heures : M. René Lancien, président-fondateur de la société de restauration collective Ansamble, et de M. Dominique Raut, responsable de projet

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous souhaite la bienvenue.

Notre mission porte sur les espoirs dont sont porteuses les procédures d'externalisation que lance le ministère de la Défense en ce qui concerne un certain nombre de ses domaines d'attribution, mais aussi sur leurs limites. Dans ce cadre, il nous a paru intéressant de vous entendre sur le sujet de la restauration.

M. René Lancien, président-fondateur de la société de restauration collective Ansamble. L'entreprise familiale et indépendante que j'ai créée il y a 30 ans et que je dirige travaille sur l'ensemble du territoire. Pour autant, nous sommes des provinciaux et nous ne sommes guère accoutumés à l'exercice que vous nous proposez aujourd'hui.

Je suis accompagné de Dominique Raut, avec lequel je travaille depuis près de 25 ans, qui suit plus particulièrement les grands comptes : la Défense, qui nous intéresse aujourd'hui, mais aussi La Poste et France Télécom, qui sont assez représentatives dans ce domaine. Nous employons 2 500 personnes, mais nous travaillons aussi avec 2 500 employés de nos clients : dans une municipalité, il peut arriver que nous ayons un salarié et 20 employés de la commune. En l’espèce, 13 salariés de l'armée – un civil et 12 militaires – travaillent au quotidien à nos côtés.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous rassure : nous vous recevons aujourd'hui à Paris, à l'Assemblée nationale, mais nous sommes aussi des provinciaux, puisque mon collègue Bernard Cazeneuve est élu de Basse-Normandie et moi-même d'Auvergne.

Pouvez-vous préciser dans quel cadre vous travaillez déjà avec des personnels de l'armée ?

M. René Lancien. Dans les cinq lots de l'appel d'offres pour le projet d’externalisation de la fonction Restauration – Hôtellerie – Loisirs, dit «RHL 1», de la Défense, nous avons fait le choix de ne postuler que pour le Sud-Ouest. Cette démarche prudente était pleinement justifiée car, en dépit du grand professionnalisme de l'économat des armées, nous avons été confrontés à une très grande complexité et à de nombreux reports.

Le système qui a été instauré le 10 janvier dernier marque une véritable rupture avec ce qui se faisait jusqu'ici. L'externalisation n'est toutefois pas une nouveauté absolue dans l’armée, avec laquelle nous avons l’habitude de travailler, car des activités ont déjà été sous-traitées ponctuellement depuis une dizaine d'années. Dans le cadre de délégations de service public (DSP) ou de contrats de prestation de service de trois ou cinq ans, nous assurons ainsi la restauration collective à la 11e base de soutien du matériel de Montauban, à la caserne d’état-major de Toulouse et dans un certain nombre d'autres établissements. Nous intervenons également à la DGA à Saclay, au centre d'études du CEA à Gramat, ainsi que, dans le cadre d'une DSP de huit ans, au service hydrographique et océanographique de la marine à Brest.

Bien évidemment, RHL 1, qui marque les véritables débuts de l'externalisation, est un projet d'une tout autre ampleur.

M. Dominique Raut, responsable de projet de la société de restauration collective Ansamble. RHL 1 pose un cahier des charges très strict et normalise la prestation de restauration, ce qui présente des avantages par rapport à la diversité des habitudes alimentaires des marchés que nous remportions jusqu’ici ponctuellement.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Où en est la procédure d’appel d’offres avec l’économat des armées ?

M. Dominique Raut. Nous avons répondu à un cahier des charges qui normalise la prestation alimentaire et qui présente surtout la particularité de prévoir que des personnels militaires seront mis à la disposition des entreprises privées prestataires de services pendant la durée du marché, soit de trois à cinq ans. Nous avons été très sensibles à cet aspect lié aux ressources humaines et nous avons prévu une organisation du personnel adaptée. Les agents de la Défense travaillent au quotidien avec nos propres personnels et il peut même arriver que les premiers encadrent les seconds, c'est notamment le cas de certains chefs de cuisine.

M. René Lancien. Sur 60 personnes concernées, nous en avons nous-mêmes embauché 47. Dans la mesure où l’on se dirigeait vers la sous-traitance, les chefs de corps ne disposaient plus d'un budget suffisant pour recruter et la qualité de la prestation s'en ressentait. Lorsque nous avons été choisis, notre service de ressources humaines a pris le temps de rencontrer tous les militaires qui étaient éventuellement prêts à nous rejoindre et 13 l’ont fait. Ainsi, à Pau, le responsable du site est un militaire et le chef de production est un civil : la prestation est externalisée, le militaire passe sous notre responsabilité fonctionnelle, nous avons réussi le mariage…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. J’avais cru comprendre que, lorsqu'il y avait externalisation, les textes de 2009 et 2010 permettaient au ministère de la Défense de mettre à la disposition des entreprises les personnels, notamment civils, qui travaillaient dans les fonctions antérieures, à charge pour lui de rembourser aux entreprises la différence salariale. Mais ces personnels conservent un statut militaire.

M. René Lancien. C’est exactement cela, ils sont sous notre autorité fonctionnelle : nous ne faisons pas les fiches de paye mais nous assurons la gestion quotidienne, par exemple l'établissement des plannings.

Pour être plus précis, dans le Sud-Ouest, nous gérons les deux mess d’officiers de Cursol et Nansouty à Bordeaux, la caserne d'état-major de Xaintrailles et le régiment de parachutistes de Pau. Nous gérons même une boutique où l'on vend des bérets et d'autres objets. Nous avons donc pris effectivement l'intégralité de la fonction. Nous avons embauché un barman, un cuisinier et un réceptionniste pour Nansouty ; un responsable d'hôtellerie, deux réceptionnistes, un serveur et un barman à Cursol ; un responsable de site, un chef de production, un cuisinier et un magasinier à Pau. Seul le chef de production est un civil, tous les autres sont des militaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Comment s'est passée la discussion avec les personnels lorsque vous êtes allés à leur rencontre pour leur proposer de travailler avec vous ?

M. Dominique Raut. Nous avons fait un exposé devant l'ensemble des présents, puis nous avons reçu chacun individuellement, pendant environ une heure. Nous avons échangé sur ce qui motivait la personne à rejoindre cette organisation et sur sa compétence-métier.

Nous assurons également la feuille de présence sur les sites ainsi que, une fois par an, la notation des militaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Sur le plan culturel et psychologique, l’intégration au sein votre entreprise à partir du statut précédent s'est-elle effectuée en douceur ?

M. Dominique Raut. Les choses se sont très bien passées, d'une part parce que nous avons trouvé du personnel de qualité sur le plan humain et professionnel – ce sont des gens déterminés et qui aiment leur métier – ; d'autre part parce que nous nous sommes efforcés, au moment de la transition, de ne pas mettre les agents en difficulté. Pour cela, nous avons tenu chaque semaine une réunion pour traiter toutes les questions liées à la nouvelle organisation. En fait, nous nous retrouvons autour de la compétence et de la volonté de bien faire les choses.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’externalisation a-t-elle eu un effet de déflation important sur les effectifs nécessaires pour accomplir la totalité des missions qui sont désormais les vôtres ?

M. René Lancien. À La Poste, l'économie a été d'environ 25 %, mais, outre que les contraintes militaires ne sont pas exactement les mêmes, il est difficile de faire un bilan pour la Défense car cette nouvelle organisation n'est effective que depuis le 10 janvier dernier. Je rappelle d'ailleurs que, dans la discussion avec l'Économat des armées, il était prévu de commencer le 29 novembre, que nous avions déjà embauché les 47 civils auprès de Pôle emploi et que ce report a été très compliqué à gérer.

Je voulais aussi souligner qu’un certain nombre de personnes qui avaient été mises à notre disposition par le ministère de la Défense nous rejoignent au moment où elles quittent l'armée. Ainsi, le responsable du site de Pau est un ancien militaire qui avait été mis à notre disposition dans un premier temps et qui est désormais salarié de notre entreprise. Au total, dans notre entreprise nous comptons environ une centaine d'anciens militaires, par exemple le directeur des infrastructures informatiques a été marin sur un dragueur de mines, le responsable de la maintenance de la région sud-ouest est un ancien capitaine du génie, le chef de la cuisine centrale de Blagnac, où l’on prépare 18 000 repas, est un ancien marin.

L'Économat des armées et les officiers supérieurs que nous avons rencontrés étaient très attachés à ce que la greffe des personnels mis à disposition par le ministère de la Défense prenne et tel a été le cas autour du métier. Peut-être certains militaires ont-ils même le sentiment d'être mieux considérés chez nous qu’ils ne l'étaient au sein d'un régiment où ils exerçaient le métier de restaurateurs. Nous avons d’ailleurs déjà vécu cela à La Poste, où une filiale particulière s'occupait de la restauration : nous gérons maintenant une vingtaine de sites, nous avons récupéré le personnel et tout se passe bien.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pouvez-vous comparer les effectifs qui vous sont nécessaires pour exercer les tâches qui sont désormais les vôtres au terme de l'appel d'offres, et ceux dont l'armée avait besoin pour le faire en régie ?

Par ailleurs, comment vous, responsables d’une entreprise privée, dont la compétence et le savoir-faire sont reconnus, parvenez-vous à faire aussi bien et même vraisemblablement mieux, tout en faisant des économies, ce qui est l'objectif premier d'une externalisation ?

M. René Lancien. Nous étions 3 il y a 30 ans et nous sommes aujourd'hui 2 500, ce qui montre que notre métier est en fort développement. Nous avons à cœur que son image de marque reste bonne. C'est un secteur où les marges sont faibles, même pour les plus gros opérateurs mondiaux, qui gagnent de l'argent surtout dans d'autres domaines comme les tickets restaurants. Nous sommes contents quand notre marge atteint 2 %, mais notre professionnalisme dans la structure des menus et l'organisation du travail nous permet d'obtenir des résultats alors que, faute d'avoir créé une filiale chargée de la restauration, l'armée n'avait pas mutualisé les compétences et n'avait pas investi dans les nouveaux matériels et les nouveaux modes de production. Nous gérons aussi la matière première de façon très serrée, tout en achetant, depuis fort longtemps, au niveau local et en restant attachés au principe de la légumerie.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Le cahier des charges comporte-t-il des obligations spécifiques liées à l'organisation de la Défense, comme la nécessité de nourrir des pilotes au milieu de la nuit ?

Pourriez-vous également préciser si le fait de regrouper des personnels sous statuts différents pose des problèmes juridiques et entraîne des différences de rémunération ?

M. Dominique Raut. À Pau, le service des repas aux parachutistes peut être décalé à tout moment. Nous avons aussi en permanence en réserve des repas dits de 5e gamme, c'est-à-dire complètement élaborés – plats cuisinés frais ou appertisés – prêts à être emportés en mission.

M. René Lancien. Gérer des personnels sous statuts différents est notre lot quotidien : nous sommes un patchwork de conventions collectives et, dans l'exercice de notre métier difficile, il peut arriver que le gérant civil du restaurant soit moins bien payé que le cuisinier militaire…

M. Dominique Raut. Cela dit, lorsque certains personnels militaires ont quitté l'armée pour rejoindre notre entreprise, nous avons constaté que les écarts de salaires étaient assez faibles et que nous offrions même certains avantages comme l'affiliation à une mutuelle où les primes d'objectifs.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cela signifie aussi que la Défense rembourse très peu à l'entreprise, ce qui ne peut qu'accroître l'économie réalisée par l'externalisation.

Dans quelles conditions la Défense et l’Économat des armées assurent-ils le suivi et l'évaluation de cette externalisation ?

M. René Lancien. L'externalisation concerne un grand nombre de domaines mais la restauration est un sujet particulièrement sensible : si 800 militaires mangent mal, cela s’entend à la fin du repas…

M. Dominique Raut. Deux représentants des armées assurent pour le compte de l’Économat, un suivi quotidien de la prestation, en vérifiant la conformité au cahier des charges de 350 points qui portent aussi bien sur l’hygiène et la sécurité alimentaires, que sur la qualité de la matière première, les grammages et les prix des plats et sur l’organisation du personnel. Tout ceci est informatisé et nous indique un taux de service mensuel suivi par un plan d’action si le taux de service n’est pas à hauteur des 80 % attendu.

Les représentants de l’économat des armées et René Lancien définissent les grandes orientations au sein d’un comité stratégique, mais le suivi se fait ensuite en région, à partir de contrôles quotidiens, hebdomadaires, trimestriels, semestriels et annuels.

M. René Lancien. Sur le modèle de ce que nous avons fait à La Poste, un extranet permettra aux responsables de voir l’ensemble des prestations et de faire des commentaires : il est essentiel de se dire les choses pour éviter les incompréhensions. Nous sommes très attachés à un tel mode de fonctionnement, que nous sommes les premiers à avoir adopté et qui nous permet de nous distinguer dans le monde de la restauration collective où la concurrence nous oblige à être efficaces.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il me reste à vous remercier très sincèrement. La plupart de nos interlocuteurs viennent du ministère de la Défense et il était important que le chef d’une entreprise qui est au cœur de ces procédures d’externalisation nous dise comment il ressent les choses.

Vous avez eu raison de souligner que la restauration collective est un sujet sensible : les élus locaux que nous sommes le savent bien, nous sommes aussi amenés à faire de tels choix pour leurs écoles ou leurs maisons de retraite. La France a en la matière une véritable expertise, qu’il est heureux de mettre à contribution dans le domaine de la défense, même s’il convient de rappeler que la ration de combat continue à relever uniquement de l’Économat des armées.

M. René Lancien. Même sur ce point, qui ne figure effectivement pas dans le programme d’externalisation, des économies sont sans doute possibles sans nuire à la capacité de mouvement des forces.

Nous sommes satisfaits de la relation que nous avons établie avec l’Économat des armées, qui, se sachant l’objet de la plus grande attention, fait lui-même preuve d’une très grande exigence. Mais il faut être conscient que tout ceci, qui ne date que de trois mois, représente un énorme travail qui doit trouver sa traduction économique. Pour l’heure, compte tenu de la nécessité d’adaptation, nous sommes en déficit, mais le contrat court sur cinq ans et nous avons fait un choix et un pari…

Audition du 27 avril 2011

À 8 heures 30: Audition de représentants de la société Thales : M. Didier Brugère, chef de cabinet du président, directeur des relations institutionnelles, et M. Jean-François Pernotte, directeur du développement et de la stratégie

Présidence de M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Je vous prie d’excuser les deux co-présidents de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC), M. Olivier Carré et M. David Habib, qui n’ont pu se libérer. Par souci de pluralisme, nos travaux associent deux rapporteurs de Commissions différentes – celle des Finances et celle de la Défense –, appartenant l’un à la majorité, l’autre à l’opposition. Les auditions de ce matin, qui ne sont pas ouvertes à la presse, se dérouleront en présence de deux magistrats de la Cour des comptes, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, et M. Olivier Brochet, rapporteur.

Le premier entretien portera principalement sur l’externalisation de Syracuse (SYstème de RAdioCommunication Utilisant un SatellitE), sans exclure d’autres champs d’activités touchant au domaine de la défense.

M. Didier Brugère, chef de cabinet du président de Thales, directeur des relations institutionnelles. Thales est un groupe international, dont l’activité, très diversifiée, se partage par moitié entre la France et l’international, dans une cinquantaine de pays. Cette activité concerne, pour un peu plus de 50 %, le domaine de la défense et de la sécurité, le reste relevant du civil. Spécialiste des technologies avancées, le groupe offre à ses clients, sur l’ensemble du marché mondial, environ 5 000 références de produits. Il intervient dans le traitement et le transport de l’information, l’aide à la décision, ainsi que dans tout domaine qui requiert un haut niveau de fiabilité et de sûreté. C’est ainsi que, très présent en matière de défense, il est aussi leader européen des systèmes de signalisation ferroviaire. Pour moitié en France et pour moitié à l’étranger, il emploie 68 000 personnes, dont près de 50 % sont ingénieurs ou cadres. L’implantation française couvre les deux tiers des activités de recherche et développement, ce qui permet de conserver sur le territoire la maîtrise des technologies, qui est au cœur de notre souveraineté.

M. Jean-François Pernotte, directeur du développement et de la stratégie. On a donné le nom de Nectar au projet d’externalisation des communications stratégiques. En tant que constructeur des satellites Syracuse, nous avons collaboré dès leur lancement avec les services de l’État. Nous avons poursuivi l’exploitation avec lui et, dès lors qu’il envisage d’en faire évoluer les modalités, il est naturel que soyons directement concernés.

Comme je vous l’avais indiqué le 10 mars 2010, le secteur des activités spatiales est placé sous la responsabilité d’une alliance avec le groupe italien Finmeccanica, laquelle se compose de deux sociétés. La première, dédiée aux infrastructures, dont relèvent les satellites Syracuse, va de la construction des satellites jusqu’à leur lancement, c’est Thales Alenia Space. Elle est détenue aux deux tiers par Thales, qui en définit la stratégie. La deuxième, qui propose les services exploitant les infrastructures spatiales, est Telespazio, possédée aux deux tiers par Finmeccanica. Les deux entreprises, qui collaborent étroitement, sont associées dans le projet Nectar, puisqu’elles appartiennent au consortium qui a répondu à l’appel à candidature et à la consultation lancée par la direction générale de l’armement (DGA). Il va de soi qu’infrastructures et services, qui relèvent de structures séparées, travaillent étroitement ensemble, puisqu’il existe un continuum entre construction et exploitation.

Le processus d’externalisation faisant l’objet d’une compétition commerciale, nous sommes tenus à une certaine discrétion, sachant que notre qualité d’industriels nous impose de tenir compte de l’existence de réponses concurrentes aux réponses à l’appel à candidature et à l’appel d’offres en cours.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Sans révéler d’information confidentielle, pouvez-vous nous confirmer que, depuis notre précédente rencontre, la DGA vous a transmis un cahier des charges et que vous êtes entrés dans une phase de consultation ?

M. Jean-François Pernotte. Je vous le confirme. Le 4 février 2010, nous avons reçu l’appel à candidature, auquel nous avons répondu le 1er mars, après avoir monté un consortium. L’appel d’offres proprement dit ne nous a été adressé que le 5 novembre 2010. Le délai peut paraître long, mais, compte tenu de la nature de l’opération et de sa complexité, l’État devait lever tout risque juridique. Il s’agit en effet de la cession non d’une pleine propriété mais d’un usufruit, dont une partie porte sur le satellite Sicral 2, né d’une coopération franco-italienne aux termes de laquelle les droits de la France ne portent que sur une partie de la charge utile. Un tel montage appelait évidemment une certaine prudence.

À la demande de proposition reçue le 5 novembre, nous avons répondu le 3 mars par un document de 2 000 pages qui comprend deux parties. La première est technique. La seconde, légale et financière, prend en compte la complexité des questions posées à l’origine. Ce document comporte le texte complet des contrats proposés par l’administration aux industriels, que nous avons fait suivre d’une version amendée ligne à ligne. L’élaboration d’un document aussi précis, qui ne pouvait être rapide, permettra de gagner de temps lors du traitement de l’appel d’offres.

En mars et en avril, nous avons eu l’occasion de réaliser des présentations techniques, financières et juridiques auprès de la DGA, qui nous ont permis de répondre rapidement, de manière écrite ou orale, à plus de deux cents questions. La suite du dialogue compétitif prévoit que chaque compétiteur remettra, probablement au début de l’automne, sa meilleure et dernière offre. Le processus devrait être clos à la fin de l’année, soit un an plus tard que prévu, car les débats au sein de l’administration ont été semble-t-il plus nombreux et approfondis qu’envisagé au départ.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Dès lors que la période du 1er mars au 5 novembre a été mise à profit pour procéder à des consultations juridiques précises, y compris auprès du Conseil d’État sur des questions de souveraineté, l’opération peut-elle aboutir avant la fin de 2011 ?

M. Jean-François Pernotte. Il le faudrait, compte tenu de la durée de fonctionnement des équipements. Si les contrats n’étaient pas mis en œuvre à la mi-2012, vous seriez amenés à réexaminer le sujet, sous l’angle des recettes budgétaires exceptionnelles de la défense.

Cependant, même si la négociation des contrats et leur attribution à l’un des deux compétiteurs s’effectuent avant le 31 décembre 2011, il faudra laisser s’épuiser le délai de recours réservé au perdant, ce qui prolongera d’autant leur mise en œuvre effective. C’est pourquoi nous restons prudents sur le calendrier.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Il faut cependant prendre en compte la durée de vie résiduelle des satellites.

M. Jean-François Pernotte. Les Syracuse 3 ont une durée de vie contractuelle de douze ans à partir de la recette en orbite, soit, pour le Syracuse 3A, jusqu’au 5 décembre 2017 et, pour le Syracuse 3B, jusqu’au 14 octobre 2018. Les mesures effectuées au long de leur exploitation ont été jusqu’à présent parfaitement satisfaisantes. On ne constate ni usure prématurée ni problèmes annexes qui remettraient en cause leur durée de vie utile. En outre, les sécurités et les provisions incluses lors de leur conception devraient leur permettre de vivre plus longtemps que la durée contractuelle.

Aux termes de l’appel d’offres, la durée envisagée pour la cession d’usufruit est de huit ans. C’est pourquoi la mise en œuvre, qui aurait gagné à être plus rapide, ne doit pas intervenir après le 1er juillet 2012.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le ministère de la Défense prévoit d’externaliser l’exploitation de satellites, dont il sera quasiment l’unique utilisateur. Quel intérêt économique cela présente-t-il ?

M. Jean-François Pernotte. C’est le cœur de l’affaire. Même si le contrat prévoit une durée de vie des satellites, et donc de l’usufruit, ceux-ci ne disparaîtront pas à la date d’extinction de leur cession. Les services du ministère de la Défense doivent donc anticiper ce qui se passerait s’ils continuaient de fonctionner après cette date.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Comment meurent les satellites ? Combien de temps peuvent-ils vivre au-delà de la durée contractuelle ?

M. Jean-François Pernotte. Un satellite ne peut plus servir quand les communications ne passent plus et que la charge utile n’est plus en état de fonctionner, ce qui peut se produire après une collision avec des déchets spatiaux ou des météorites, ou, ce qui est plus fréquent, parce que les transpondeurs, éléments clés de la charge utile, vieillissent. La durée de vie des composants électroniques, qui est variable, dépasse en moyenne de deux ou trois ans la durée contractuelle. Après cette période, il est probable que leur fonctionnement se dégrade fortement, même si les progrès de l’électronique, ainsi que l’expérience, peuvent améliorer les conditions d’exploitation dans l’environnement spatial, lesquelles sont encore difficiles à prévoir.

Le ministère n’a pas prévu de prolonger la cession de l’usufruit au-delà des huit ans, après lesquels nous lui restituerions la pleine propriété des satellites. Dans ce cas, leur exploitation serait externalisée. Le contrat de cession d’usufruit étant honoré, le contrat d’exploitation pourrait être reconduit par exemple par tranches annuelles. L’opération a été montée afin qu’on puisse traiter ce cas de figure dont ni l’État ni les industriels ne maîtrisent la date d’occurrence éventuelle.

Pour revenir à la question de l’intérêt économique de cette opération, il faut noter que les satellites comprennent plusieurs bandes : l’une dite EHF (extrêmement haute fréquence), dont les transpondeurs sont peu utilisés, et une autre dite SHF (supra-haute fréquence), qui compte neuf transpondeurs par satellite. Selon les termes du deuxième contrat (exploitation), le ministère de la Défense souhaite se réserver 90 % des capacités, tandis que 10 % des capacités SHF seront concédées à l’exploitant de façon non préemptable. De ce fait, l’État abandonnera tout droit d’utilisation, même si la capacité est toujours disponible et que le titulaire n’en a pas disposé au profit de tiers ; tiers qui ne peuvent être, puisqu’il s’agit d’un domaine réservé et non d’un marché commercial, que les ministères de la défense de pays amis. Pour citer un exemple, si le titulaire de l’usufruit a attribué la capacité pour huit ans au ministère de la défense polonais, qui en use pour ses communications stratégiques, l’accord ne pourra pas être remis en cause. Cette disposition devrait rendre l’équation économique intéressante pour les industriels, à la condition toutefois que ceux-ci, sur un marché limité, sachent générer des revenus externes supplémentaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. En m’interrogeant sur l’intérêt de l’externalisation, je songeais à celui du ministère de la Défense et non de Thales !

M. Jean-François Pernotte. L’intérêt de l’État, sur lequel les industriels n’ont pas à se prononcer, est inscrit au cœur de l’appel d’offres, qui précise qu’une offre ne pourra être acceptée si elle excède l’enveloppe définie par une équation précise. Le ministère n’aurait sans doute pas retenu cette équation si elle n’était pas satisfaisante pour lui. Sans porter d’appréciation sur la manière dont la rentabilité a été calculée, notons que cette clause éliminatoire est très claire, ce qui n’est pas le cas dans toutes les affaires de ce type. L’appel d’offres ne comporte par ailleurs qu’une seule autre clause éliminatoire, d’ordre politique, qui concerne le respect de la souveraineté.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Si, pour des besoins souverains, le ministère de la Défense demandait à utiliser plus de 90 % de la capacité, quelle serait votre réponse ?

M. Jean-François Pernotte. Si tant est que 100 % des capacités fonctionnent, que les besoins de l’État absorbent les 90 % réservés et que nous ayons vendu à des tiers les 10 % restants, il faudra d’abord vérifier si les clients titulaires du solde l’utilisent en totalité. Ce sera probablement le cas, puisqu’en matière de communications stratégiques, tous les États sont soumis aux mêmes contraintes.

Resteront alors les solutions de repli ou de soutien, prévues par exemple pour les cas de dégradation technique progressive des satellites. Si un ou plusieurs transpondeurs tombent en panne, les besoins risquent d’excéder rapidement les 10 % concédés de façon non préemptable. C’est pourquoi l’appel d’offres impose aux candidats de ménager des capacités supplémentaires, qui pourront bien entendu être utilisées pour d’autres raisons.

Trois solutions sont à considérer.

D’abord, dans le cadre de l’exploitation de Syracuse, nous pouvons assurer le volume de communications actuel tout en dégageant une capacité disponible sur les satellites existants, grâce à la reconfiguration de l’architecture des capacités employées. Dans ce domaine, l’industriel exploitant lui-même apporte plus que les services de l’entité exploitante. Si une telle capacité supplémentaire est dégagée, les termes de l’appel d’offres prévoient que l’exploitant ne pourra la proposer à des tiers que sous réserve d’un droit de préemption de l’État. En d’autres termes, au cas où l’on dégagerait 5 % supplémentaires, nous ne pourrions les revendre qu’à la condition expresse que l’État français puisse les récupérer s’il en formule la demande. Cette contrainte les rend pratiquement invendables à des tiers, ce qui signifie que cette réserve de capacité jouera le rôle d’un tampon.

En second lieu, puisque l’opération porte non seulement sur les Syracuse A et B, mais aussi sur la part française de Sicral 2, qui est de même nature, nous examinerions immédiatement les disponibilités sur ce dernier satellite. Le cas échéant, les États français et italien devraient signer un accord afin de se prêter main-forte en mettant à la disposition l’un de l’autre une capacité de Sicral 2 inutilisée.

Enfin, même s’il est restreint, il existe un marché de capacité en SHF, sur lequel, en fonction des circonstances, on peut envisager de réserver une capacité supplémentaire, par exemple pour un an. Si l’on pressent que les besoins de l’État français risquent d’exploser, il faudra louer une capacité supplémentaire ou acquérir un droit de préemption sur celle-ci, quitte à les revendre. Cette possibilité, qui va au-delà du contrat initial, entraînera potentiellement un coût supplémentaire pour l’État.

Au global, même s’il est impossible d’affirmer que l’État n’aura jamais besoin des 10 % « concédés », notre offre inclut au moins trois niveaux de confort. Cependant, sans la concession des 10 %, et les revenus tiers qu’elle engendre, il serait difficile pour l’industriel d’atteindre la valeur minimum garantissant que, dans les conditions fixées par l’État, l’opération reste intéressante. À ce stade du dialogue compétitif, rien ne prouve qu’aucun des candidats respectera l’équation contraignante qui a été définie, ce qu’on ne pourra mesurer que lors de la remise de la dernière et meilleure offre. En effet, c’est seulement à ce stade que le non-respect des conditions devient éliminatoire, alors que les premières offres sont libres, les candidats pouvant affiner leurs propositions au cours du dialogue compétitif. Le processus est complexe, mais, compte tenu des conditions d’exploitation, il était difficile de faire l’économie de ce cheminement. Que la DGA ait pris le temps d’élaborer ce schéma, qui n’a pas d’équivalent dans d’autres opérations, semble un gage de sérieux.

La cession des 10 % doit permettre aux industriels de satisfaire les contraintes de rentabilité de l’État. Mais, compte tenu de la nécessité de garantir la vente pendant huit ans à des États tiers, sur le choix desquels l’État français a un droit de regard, il est difficile de calculer avec certitude les revenus qui seront dégagés et d’anticiper le niveau des prix sur une telle période. Nous connaissons celui des capacités que nous vendons aujourd’hui à l’OTAN, ce qui donne une référence pour calculer celui de la capacité offerte par un transpondeur dans la bande de fréquence SHF. Il n’en demeure pas moins qu’il est difficile de le déterminer sur une période longue, car l’état du marché et les disponibilités peuvent changer. Une capacité concédée supérieure à 10 %, paradoxalement aurait accru le risque en posant aux industriels des problèmes d’évaluation encore plus complexes.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Est-ce parce que ces 10 % représentent un risque commercial, au sens où vous devez trouver des clients, que vous n’avez pas souhaité disposer, comme vos concurrents britanniques, d’un pourcentage plus élevé ?

Sur le plan juridique, envisagez-vous de bénéficier de la clause de transfert d’agents du ministère de la Défense ?

M. Jean-François Pernotte. Trois satellites britanniques sont déjà en l’air, un quatrième devant être lancé, en même temps que Sicral 2, à la fin de 2013. Il existera dès lors une double configuration : d’un côté, trois satellites – Syracuse I et II et Sicral 2, ce dernier étant partagé pour moitié entre l’État français et l’État italien – ; de l’autre, quatre satellites britanniques.

Peut-être interrogerez-vous nos concurrents britanniques. Il semble que leur décision de lancer le quatrième satellite réponde au souci de se ménager une solution stratégique en cas de perte d’un satellite. Les capacités de Skynet représentent un troisième niveau de sécurité permettant de garantir un volume disponible. Sécurité qui ne nous semble pas étrangère à leur idée de lancer une opération du même type pour Syracuse. Pour ce qui nous concerne, côté français, la capacité complémentaire comparable est disponible sur Sicral 2, la moitié du satellite franco-italien représentant, pour les Français, l’équivalent du 4ème satellite britannique.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Ces satellites de télécommunication couvrent-ils des zones particulières ?

M. Jean-François Pernotte. Oui, c’est pourquoi il faut plusieurs satellites pour assurer une couverture du monde entier. Cependant, à l’exception des pôles, il n’est pas de théâtre d’opération où la France pourrait intervenir qui ne soit pas couvert par le système Syracuse.

Pour conclure sur la question du pourcentage de capacité concédée, on peut noter que la capacité des satellites britanniques effectivement vendue à des pays tiers ne représente pas plus d’environ 15 % de la capacité totale de la constellation.

Concernant votre question relative aux personnels d’État, nous mesurons tout l’intérêt sinon la nécessité de poursuivre le mode de fonctionnement actuel, qui associe étroitement le personnel de Thales et celui de l’État, particulièrement de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information (DIRISI), et nous connaissons bien le décret de septembre 2010.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Existe-t-il un autre projet d’externalisation sur lequel Thales prendrait position ?

M. Didier Brugère. Nous sommes engagés depuis longtemps dans des contrats de financement innovant, de partenariat ou d’externalisation.

Les premiers concernaient l’externalisation de prestations de maintenance des matériels en Grande-Bretagne ou la formation des pilotes de la Royal Air Force. Au début, les Britanniques cherchaient surtout à financer des besoins, sans engager une réelle approche d’externalisation, laquelle représentait pour eux un moyen plus qu’une fin.

Nous avons poursuivi ces activités avec différents clients, et signé, par exemple, un important contrat d’externalisation pour la gestion des munitions avec l’armée de terre australienne. Autre exemple, nous fournissons à l’ensemble des membres de l’International Security Assistance Force (ISAF), qui intervient en Afghanistan sous l’égide de l’OTAN, des prestations de télécommunications et d’infrastructure informatique au sol. Aux termes d’un contrat de pure externalisation, nous sommes payés au service rendu, en fonction de la qualité dudit service.

Avec les Britanniques, nous avons également mis en place un service de surveillance tactique du champ de bataille à l’aide de drones, qui leur permet de disposer, sans attendre l’arrivée des drones du programme Watchkeeper, prévue pour la fin de l’année, d’une capacité de surveillance par satellite des territoires irakien et afghan. Depuis quatre ans, les drones que nous leur louons ont effectué des dizaines de milliers d’heures de vol opérationnel. L’industriel se charge de mettre l’appareil en l’air, que l’opérationnel britannique utilise pour observer le sol. Une fois la mission achevée, il rend la main à l’industriel, qui ramène le drone au sol et le reconditionne pour une nouvelle mission. Ce partage très précis des attributions ne préempte pas les responsabilités opérationnelles directes de l’utilisateur, mais permet de confier à l’industriel toutes les tâches à caractère technique.

Si les forces françaises en exprimaient le besoin, nous pourrions mettre notre expérience en matière de télécommunications ou de surveillance tactique à leur disposition. Nous les informons par tous les moyens de notre expérience, pour qu’elles comprennent ce qu’un industriel comme Thales peut leur offrir. Ainsi, puisqu’une capacité de drones tactiques sera libérée par l’arrivée de drones opérationnels Watchkeeper en Grande-Bretagne, l’armée de terre française pourra s’appuyer sur notre groupe si elle a besoin d’une capacité intérimaire dans ce domaine. Cependant, notre rôle n’est pas de suggérer de nouvelles externalisations, mais de faire connaître notre offre.

En matière de soutien des matériels, l’externalisation est une pratique assez courante. Tous les grands systèmes d’armes français évoluent progressivement vers un soutien des matériels comprenant une prise de risque croissante et une responsabilité de plus en plus globale de l’industriel. Sur le Rafale, le soutien des équipements Thales, par contrat global, augmente au fil des années. Aux termes de ces contrats globaux, nous assumons le risque lié à la disponibilité effective que nous sommes capables de fournir à l’armée de l’air.

Pour citer un autre sujet d’actualité, nous étudions un projet d’externalisation de la gestion de l’habillement. Nous ne fabriquons pas d’uniformes, mais le dossier pose avant tout un problème de logistique et d’optimisation de la gestion des stocks. La compétitivité suppose la mise en œuvre de modes de gestion extrêmement modernes auxquels nous recourons nous-mêmes. Nous tenterons ainsi de mettre à la disposition de l’armée notre savoir-faire en termes de gestion industrielle optimisée.

M. Jean-François Pernotte. De façon générale, il faut distinguer la véritable démarche d’externalisation et les décisions imputables à des problèmes de financement. On doit en effet cerner les motivations profondes qui justifient les opérations.

Qu’il s’agisse de Syracuse ou d’autres projets, l’essentiel tient au calcul du risque transféré, qui, ne pouvant être déterminé par une formule mathématique ou un modèle d’exploitation, relève toujours d’une appréciation. Quant à la décision d’externaliser, qui ne se confond pas avec la disponibilité des solutions, elle n’appartient pas aux industriels, et doit revenir à l’État.

M. Didier Brugère. Les décisions qui seront prises sur le projet Nectar auront des répercussions directes non seulement sur la qualité des services et leurs charges financières pour l’État, mais aussi, à plus long terme, sur le paysage industriel des télécommunications militaires par satellites. L’enjeu est fondamental, même s’il n’est pas intégré dans le calcul de la rentabilité, mais il ne doit pas nous amener à prendre des risques inconsidérés. C’est une question qui concerne, de manière très vaste, toute la politique industrielle nationale.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous sommes heureux de constater que cette donnée de l’équation ne vous a pas échappé.

Je vous remercie.

Audition du 27 avril 2011

À 9 heures 30 : Audition de représentants de la société EADS : M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France, M. Eric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services, M. le général (c.r.) Georges Ladevèze, conseiller défense, et Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement

Présidence de M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous sommes heureux d’accueillir à présent une délégation de la société EADS, composée de M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France, de M. Eric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services, du général du cadre de réserve Georges Ladevèze, conseiller défense, et de Mme Annick Perrimond du Breuil, directeur des relations avec le Parlement.

Je vous prie d’excuser l’absence des deux co-présidents de la mission d’évaluation et de contrôle, nos collègues David Habib et Olivier Carré, qui m’ont demandé de les suppléer.

Je rappelle que cette mission d’évaluation et de contrôle consacrée à l’externalisation dans le domaine de la Défense est une mission conjointe des commissions des Finances et de la Défense, qui réunit des représentants de la majorité et de l’opposition, ainsi que l’ont souhaité les auteurs de la LOLF et les initiateurs des premières missions d’évaluation et de contrôle.

Dans la ligne de la mission d’évaluation et de contrôle sur les recettes exceptionnelles attendues au budget de la défense, dont j’ai été le rapporteur l’an dernier avec ma collègue Françoise Olivier-Coupeau, le principal sujet qui nous intéresse est bien sûr le contrat Syracuse. Quels vous semblent être les atouts du groupe EADS pour postuler et remporter ce contrat ? Quelles sont les autres pistes de réflexion possibles en matière d’externalisation dans le domaine de la défense ?

Nous sommes assistés dans nos travaux par la Cour des comptes, représentée par Mme Françoise Saliou et M. Olivier Brochet.

M. François Desprairies, directeur des affaires publiques France. Merci de nous donner l’occasion de nous exprimer devant votre mission. Nous avons bien compris, à travers les informations qui nous ont été données, que le cœur du sujet était aujourd’hui le dossier Nectar. Vous me permettrez cependant de brosser un tableau plus large des perspectives que représente l’externalisation pour notre société.

EADS a fait du développement des services un axe essentiel de sa stratégie. L’objectif est de porter notre chiffre d’affaires dans les services – qui représente aujourd’hui 12 % du total – à 25 % à l’horizon 2020. Nous accusons en effet un retard important sur nos grands concurrents. Société intervenant simultanément dans plusieurs pays – la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Espagne, les États-Unis –, nous constatons par ailleurs qu’il s’agit là d’une tendance lourde non seulement dans le domaine de la défense, mais aussi dans celui de l’aéronautique civile, essentiel pour nous. Ainsi, Eurocopter s’apprête – la transaction est pratiquement conclue – à racheter la société Vector, basée au Canada, qui réalise un chiffre d’affaires de l’ordre de 600 ou 700 millions d’euros. Cette acquisition majeure nous permettra de devenir acteur de l’ensemble de la maintenance lourde des hélicoptères britanniques, qui interviennent sur différents fronts et ont des contraintes opérationnelles de même nature que celles que nous pouvons trouver en France.

Nous avons accumulé dans le domaine des services des expériences variées, plus souvent à l’étranger qu’en France. Nous assurons par exemple la sécurisation d’un grand nombre de bases militaires allemandes. Grâce à ces contrats, les dépenses de la Bundeswehr à ce titre sont passées de 140 à 75 millions d’euros par an. Nous avons également un partenariat avec la Luftwaffe dans le domaine de la formation des pilotes et des ingénieurs. Il ne s’agit pas tout à fait d’une externalisation, mais d’une « co-localisation » sur le site de Manching, qui permet d’éviter de faire deux fois le même investissement. Nous avons inauguré, il y a un peu plus d’un an, le premier centre d’entraînement et de formation des pilotes pour le NH90. Il s’agit d’une véritable opération de private finance initiative – PFI, équivalent de notre partenariat public privé (PPP) – qui représente un budget de l’ordre de 500 millions d’euros sur quatorze ans, sachant que nous facturons à l’heure d’entraînement. La Finlande et la Suède se sont jointes à l’opération, ce qui permet un partage des coûts.

En Grande-Bretagne, nous avons deux exemples majeurs : Paradigm, dont vous parlera Eric Béranger, qui est l’opération d’externalisation des communications par satellite pour les militaires, et le programme Future Strategic Tanker Aircraft (FSTA), qui porte sur le ravitaillement en vol.

En France, nous avons perdu deux compétitions. La pertinence économique de la première ne nous semblait pas avérée : il s’agit du transport à long rayon d’action (TLRA). Le choix de l’armée s’est porté sur deux A 340 pris en location avec option d’achat. Nous avons estimé cette opération peu cohérente avec un plan de flotte qui aurait dû être plus général. Nous avons également perdu la compétition concernant la formation des pilotes à Dax.

Nous avons en revanche gagné l’opération de Cognac, et nous sommes responsables dans le cadre d’un contrat de service des opérations de maintien en condition opérationnelle (MCO) pour les missiles de la dissuasion française à l’Île Longue. Comme vous le voyez, les opérations d’externalisation peuvent toucher le cœur du cœur de la défense, au plus grand bénéfice des deux parties.

M. le général Georges Ladevèze, conseiller défense. Quelques éléments m’ont frappé lorsque j’étais sous l’uniforme.

D’abord, j’ai constaté que la complexité de la chaîne militaire obéit à des exigences opérationnelles peu compatibles avec la stabilité et la rentabilisation des financements industriels. J’ai toujours été préoccupé, notamment lorsque je commandais une base d’hélicoptères au moment de la guerre du Golfe, par la nécessité de scinder les deux niveaux. Alors qu’il aurait fallu se concentrer sur un niveau d’intervention extrêmement limité en technicité, une partie de mes personnels était mobilisée par des opérations de maintenance lourde, alors que leur statut voulait par ailleurs que je puisse en disposer de manière inopinée. Il faut donc opérer le clivage entre activité de maintenance opérationnelle et activité à caractère industriel.

Ensuite, j’ai observé que le meilleur point d’application est en général ce qui concerne la formation. C’est en effet le seul domaine où l’on peut facilement quantifier les flux de personnels à former et le nombre d’heures de vol nécessaires, ce qui permet la meilleure optimisation possible de la flotte. Le grand mérite de l’opération de Cognac a d’ailleurs été de permettre de passer de 143 Epsilon à 55 appareils immédiatement en ligne. De même, à Dax, les 53 Gazelle ont été remplacées par 36 appareils de type EC 120, pour la même disponibilité opérationnelle au jour le jour.

M. François Desprairies. Les Britanniques sont les Européens qui sont allés le plus loin dans ces opérations d’externalisation. Il y a, d’une part, le PPP sur les ravitailleurs, avec un contrat de 13 milliards de livres sur 27 ans pour 14 appareils, et, d’autre part, l’ensemble des opérations de maintenance lourde dont nous allons hériter à travers Vector, qui représentent près de 2 500 emplois en Grande-Bretagne. Voici donc ce que nous pouvons apporter en termes de connaissances et d’expérience.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Peut-on avoir des précisions sur ce que vous faites à l’Île Longue ?

M. le général Georges Ladevèze. Il convient, là aussi, de séparer clairement le domaine industriel et le domaine opérationnel. Il s’agit à l’Île Longue de la préparation des missiles, de leur assemblage final et même, désormais, de leur mise à bord. Autrement dit, c’est un service clés en mains : la partie opérationnelle dispose d’un système prêt à fonctionner.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Est-ce à dire que cette mission était auparavant assurée en interne par des effectifs de la marine ou de la DGA ? Comment s’est opérée la substitution ? Y a-t-il eu transfert de personnels ?

M. François Desprairies. Nous employons en effet un grand nombre de personnels ( Astrium et DCNS en sous-traitance de cette dernière ) et assurons toute la continuité de service, y compris le MCO.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous souhaitons maintenant entendre M. Béranger sur Nectar. Nos interrogations portent à la fois sur la durée de vie résiduelle des satellites, sur le calendrier mis en place par la DGA dans l’appel d’offres, sur le cahier des charges… Il y a également la comparaison avec le cas britannique. Dans le cas de Nectar, 90 % du potentiel est conservé au profit du ministère de la Défense, avec une capacité résiduelle limitée à 10 % ; dans le cas britannique, il semblerait que les capacités soient partagées à 50/50 entre l’opérateur et le ministère de la Défense. Un an après votre précédente audition, nous aimerions faire le point sur l’avancement de ce dossier.

M. Éric Béranger, président-directeur général d’EADS Astrium Services. Quatre types d’activités sont en fait exercées à l’Île Longue : le maintien en condition opérationnelle (MCO) des missiles, celui des installations de soutien des missiles à terre, celui des moyens de mise en œuvre des missiles à bord des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), enfin la participation aux tirs d’essai ou d’acceptation. Le processus a été progressif. Il est le fruit d’une concertation entre le personnel militaire, DCNS et Astrium, qui visait à préserver au mieux les compétences nécessaires pendant toute la durée de vie de ces missiles. Il n’y a pas à proprement parler de transfert de compétences : celles-ci sont assez concentrées, chez les industriels comme chez les militaires, et il s’agit de les utiliser au mieux et de les préserver.

J’en viens à Paradigm. Il s’agit d’une concession de quinze ans – tout au moins au départ, mais l’ordre de grandeur est resté le même en dépit de quelques ajustements. Le montant total du contrat s’élève à environ 3,6 milliards de livres. La notion de capacité n’est qu’un des aspects de ce contrat d’externalisation, puisque le PPP ou PFI n’est qu’un outil contractuel. Le nœud de cette relation contractuelle, ce sont finalement les services qui doivent être fournis au client – en l’occurrence, les armées britanniques. Dans le cas présent, celles-ci ont fait le choix d’externaliser la totalité des services. La société Paradigm possède donc la totalité de l’infrastructure ; vis-à-vis des armées britanniques, elle est un opérateur de télécommunications bout-en-bout, incluant les terminaux.

Dans le cadre de cette négociation, le pourcentage auquel vous faites référence peut être regardé de deux façons. Sur le plan économique, il y a un intérêt pour l’opérateur à disposer de capacités qu’il peut également commercialiser auprès d’autres clients – c’est l’aspect mutualisation. Le dimensionnement initial de l’infrastructure était tel que pour satisfaire le besoin planifié par les armées britanniques, nous n’avons besoin d’utiliser qu’un peu plus de 50 % de la capacité initialement prévue de deux satellites. La capacité restante est donc disponible soit pour les besoins supplémentaires du client, soit pour d’autres clients.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous parlez de deux satellites ?

M. Éric Béranger. Oui. Le contrat initial a été signé sur une base de deux satellites en orbite. Nous avions à l’époque un schéma d’assurance nous permettant, en cas de panne par exemple, de lancer un autre satellite – nous faisions appel à l’assurance de marché, avec le soutien éventuel du ministère de la défense britannique. Les besoins de ce dernier ont cependant évolué assez vite après la signature du premier contrat. Or ces contrats visent avant tout à créer un partenariat. C’est ce que nous avons réussi à faire avec les Britanniques. En discutant avec eux, nous sommes ainsi parvenus à la conclusion que pour accommoder des besoins supplémentaires par rapport à ceux qu’ils avaient prévus comme pour réduire le coût de financement et s’affranchir de celui de l’assurance, il pouvait être intéressant pour les deux partenaires de remplacer l’assurance de marché par la mise en orbite d’un troisième satellite. C’est donc ce que nous avons fait. Par la suite, l’évolution du marché – avec notamment une forte demande américaine – et les discussions avec le ministère de la défense britannique nous ont conduits à décider d’une nouvelle évolution contractuelle portant sur un quatrième satellite, qui est en construction et devrait être lancé l’année prochaine.

Pour résumer, alors que le contrat initial portait sur deux satellites et une concession de quinze ans nous menant jusqu’en 2018, nous avons désormais un contrat qui court jusqu’en 2022 avec quatre satellites Skynet 5.

Il y a une autre manière d’appréhender ce fameux seuil des 50 %. Le surdimensionnement de l’infrastructure permet au ministère de la défense britannique, tout en ne payant que ce qu’il utilise, d’être assuré d’avoir accès à plus en cas de besoin – autrement dit, d’avoir une flexibilité opérationnelle.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Est-ce à dire que vous avez commercialisé les 50 % restants ou que vous disposez d’une marge en sus de ce que le ministère de la défense britannique utilise ?

M. Éric Béranger. Nous les commercialisons, mais il reste encore de la capacité disponible. C’est pourquoi nous sommes en mesure d’offrir à la France un accès à cette capacité – ce qui assurerait là aussi une flexibilité opérationnelle. Néanmoins, le principe est celui du « premier arrivé, premier servi ». Il y a donc deux portions de capacités. Pour la première, priorité est donnée au ministère de la défense britannique, tandis que les éléments restant disponibles peuvent être commercialisés, mais aussi préemptés sans préavis. Quant à la seconde, elle peut être commercialisée, sans être préemptible.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Nous nous intéressons en particulier à l’externalisation des satellites de télécommunications pour lesquels un appel d’offres a été lancé. Votre offre tient-elle compte de l’opportunité que vous venez d’évoquer ? Autrement dit, la France pourrait-elle utiliser les capacités britanniques disponibles s’il fallait aller au-delà des 90 % d’utilisation prévus ?

M. Éric Béranger. En théorie, oui. La consultation Nectar a été ouverte le 5 novembre 2010. Nous devions répondre pour le 3 mars dernier. Les réunions de négociation ont commencé : pour ce qui concerne Astrium, les premières ont eu lieu les 13 et 21 avril. Dans le cadre de cette consultation, nous avons indiqué que nous étions capables d’offrir du secours en cas de problème sur l’infrastructure française – nous savons que les opérations sont parfaitement interopérables, puisque nous avons déjà fourni de la capacité britannique à des militaires français. Nous avons également dit que nous étions en mesure d’offrir de la capacité supplémentaire en cas de besoin.

On entend souvent dire que n’avoir que 10 % de capacités mutualisables diminuerait fortement l’intérêt économique de l’opération. Avoir plus de capacités à commercialiser à l’extérieur donnerait en effet à l’opérateur davantage d’opportunités pour faire bénéficier le ministère de la Défense de cette mutualisation. Mais même avec 10 %, nous pouvons – et nous le démontrerons dans notre réponse à l’appel d’offres – dégager un intérêt économique pour l’État. Par ailleurs, en passant ce type de contrat avec nous, le ministère de la Défense se donnerait accès à des capacités supplémentaires. De plus, la DGA a prévu dans l’appel d’offres un mécanisme qui permettrait, au cas où une partie de la capacité socle – les 90 % – se trouverait inutilisée, de la commercialiser pendant le temps où elle est disponible, les revenus étant partagés entre la DGA et l’opérateur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Il faut que l’opérateur comme l’État trouvent leur intérêt dans l’opération. Pour vous, opérateur, quels sont les éléments permettant d’apporter la démonstration de la consolidation économique de cette affaire ? Les 10 % de capacités commercialisables ne permettent en effet de dégager qu’une marge très étroite. Vous évoquez d’autre part une possibilité de procéder, avec la DGA, à la commercialisation d’une partie des 90 % non utilisés par le ministère de la défense. Sur quelle base juridique peut-on l’envisager ? Pour notre part, nous pensions que ces 90 % étaient sanctuarisés.

Je comprends, enfin, que l’un des éléments de l’offre d’EADS est la possibilité pour le ministère de la Défense de bénéficier, en cas de besoin lié à des contraintes opérationnelles, d’outils que vous gérez pour le compte des armées britanniques. Mais vous pourriez fort bien offrir ce service hors contrat d’externalisation. Quel est donc l’intérêt pour le Gouvernement d’engager une discussion avec vous dans le cadre de ce marché d’externalisation ?

M. Éric Béranger. En ce qui concerne votre dernière question, vous avez entièrement raison, nous pourrions offrir ce service hors contrat d’externalisation. Mais plus vous travaillez avec un partenaire, plus vous êtes à même d’anticiper ses besoins et d’ajuster votre offre pour y répondre au mieux.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Thales est-il capable d’offrir le même type de service hors externalisation ? Si ce n’est pas le cas, je ne vois pas quel intérêt vous pouvez avoir à ne pas lier l’accès à ce service à l’offre.

M. Éric Béranger. Ce n’est pas non plus mon intérêt d’avoir une attitude qui pourrait être qualifiée d’anti-concurrentielle.

Thales pourrait avoir recours à un autre type de capacité, qui n’est pas exactement de même nature que la capacité Syracuse. Aux opérationnels et aux utilisateurs de juger si cela leur convient ou pas. En tout cas, il y a un certain nombre de capacités disponibles sur le marché.

J’en viens à votre deuxième question. Dans la consultation, la DGA a défini un mécanisme dit de désengagement qui lui permettrait, au cas où la totalité des 90 % ne serait pas utilisée, d’en mettre une partie à la disposition de l’opérateur – selon des conditions à définir – afin de la commercialiser. Une partie des revenus reviendrait alors à la DGA. Un tel mécanisme me semble assez sain, les deux acteurs ayant un intérêt conjoint à libérer de la capacité.

Pour répondre enfin à votre première question, je puis vous dire que la DGA a défini dans sa procédure un critère d’intérêt économique. Un calcul de valeur actualisée nette lui permet de ramener à la date d’aujourd’hui la valeur actualisée des loyers qu’elle aurait à payer si elle conduisait cette opération d’externalisation. Elle a défini pour cette valeur actualisée nette une valeur maximale, connue des contractants, dont le dépassement serait éliminatoire. J’imagine que le calcul a été fait de façon à démontrer l’intérêt économique de l’opération. J’ignore en revanche comment a été définie la valeur maximale et comment le transfert de risque a été pris en compte dans la formule. Nous avons vu, dans notre expérience britannique comme dans notre expérience allemande, que ce risque est rarement valorisé par la puissance publique – qui est son propre assureur. Dans une opération de type Nectar, ce risque est transféré à l’opérateur privé. Comment est-ce pris en compte ? Je l’ignore.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Ce n’est tout de même pas un petit sujet !

M. Éric Béranger. En effet.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Malgré cela, vous vous portez candidat?

M. Éric Béranger. Oui, car le dossier de consultation nous donne des règles du jeu dans le cadre desquelles je pense pouvoir faire une proposition de nature à intéresser l’administration.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous nous donner votre appréciation sur le calendrier ? En 2010, une bonne partie du temps a été consacrée aux aspects juridiques. Sommes-nous pour autant certains qu’ils ne créeront pas de difficultés au moment du choix du prestataire ? Comment voyez-vous les choses sur le plan opérationnel et financier – je pense ici au suivi des recettes exceptionnelles ?

M. Éric Béranger. Je n’ai pas connaissance d’inquiétudes particulières sur les aspects juridiques.

S’agissant du calendrier, je rappelle que l’appel à candidatures a été émis début 2010 et la consultation lancée en novembre. Depuis la remise de notre offre le 3 mars 2011, nous avons le sentiment que la DGA souhaite aller vite. En ce qui nous concerne, les premières réunions de discussions se sont tenues les 13 et 21 avril – l’analyse des offres a donc été conduite dans des délais rapides. Il semble que ce rythme soutenu soit appelé à perdurer. Si les choses continuent sur cette lancée, il existe une chance de finalisation dès cette année. Je pense que c’est l’intention de la DGA.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Au-delà de l’usufruit des satellites, vous remettez une offre concernant leur exploitation. Il y a donc un marché de services associé. Le considérez-vous comme détachable du reste de l’offre ? Si l’État renonçait à la vente de l’usufruit des satellites parce que l’opération lui paraissait finalement peu avantageuse sur le plan économique, continueriez-vous à concourir ? Comment articuleriez-vous alors votre action avec celle de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (DIRISI) ?

M. Éric Béranger. Honnêtement, nous ne nous sommes pas posé la question : dans notre esprit, les deux contrats sont liés d’un point de vue opérationnel. Il est un peu dommage – même si c’est compréhensible – de se focaliser sur les seuls intérêts économiques. Ne perdons pas de vue qu’il s’agit de fournir aux forces armées françaises les moyens d’assurer leurs missions ! Les concepts opérationnels sont donc fondamentaux. Bien que nécessaire, l’aspect juridique est secondaire par rapport à la mission de fond. C’est à mon sens pour cette raison que la DGA a choisi de distinguer la partie usufruit et la partie exploitation : sur le plan juridique, c’était la manière la plus appropriée d’effectuer cette opération. En théorie, vous avez donc raison : les deux parties peuvent être traitées indépendamment. Le contrat d’exploitation est cependant nécessaire au contrat d’usufruit, car pour céder l’usufruit, encore faut-il que l’opérateur puisse l’exploiter.

Si l’administration renonçait à céder l’usufruit, maintiendrait-elle l’externalisation de la seule exploitation ? La question mérite d’être posée. Dans l’affirmative, nous regarderions bien sûr cela de très près.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Avez-vous des précisions à nous apporter sur le projet Multi Role Transport Tanker (MRTT) ?

M. François Desprairies. Comme pour Nectar, nous bénéficions ici de l’expérience britannique ; mais nous n’en tirons pas les mêmes leçons. Autant l’opération Paradigm nous paraît exemplaire, puisqu’elle a conduit à construire plus de satellites et à assurer davantage de flexibilité pour la satisfaction de toutes les parties, autant dans l’opération FSTA – qui est trois fois plus importante que Paradigm et dans laquelle nous sommes liés à Thales –, nous avons le sentiment que la partie britannique n’est guère satisfaite. Ses dépenses s’en trouvent considérablement rigidifiées sur 27 ans. Il se trouve que deux ans après l’entrée en vigueur du contrat, le format des forces aériennes a radicalement changé, d’où une division par deux du nombre d’avions à ravitailler, alors même que le contrat oblige les Britanniques à acquitter un minimum annuel pendant vingt-sept ans. Il existe certes une possibilité de renégociation en cas de changement stratégique, mais il va falloir en passer par les avocats de la City…

Surtout, il n’y a pas eu matérialisation comme nous l’avons fait dans le domaine des télécommunications, c’est-à-dire vente à un tiers. Il s’agit en effet d’avions militaires sous contraintes ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Cela signifie que parce qu’il y a des équipements militaires américains dans ces avions, nous ne pouvons pas les utiliser – comme nous l’avions envisagé au départ – pour les besoins de British Airways ou d’une autre compagnie aérienne. Il n’y a donc aucune possibilité de revenus tiers dans ce contrat. Il existe en outre de fortes contraintes en termes de maintenance, celle-ci devant être assurée par des sujets britanniques sur le sol britannique. Bref, c’est un système extrêmement rigide. Je pense que l’armée de l’air française s’en est entretenue avec les Britanniques et qu’elle est consciente qu’un contrat type FSTA n’apporte pas de solution satisfaisante à ce type de problèmes.

Aucune décision n’a pour l’instant été prise en ce qui concerne le MRTT. Ce programme est reporté d’année en année. Après avoir attendu pendant des années la décision américaine, celle-ci est maintenant intervenue, mais pas en faveur d’EADS. Il faut maintenant relancer le dossier. L’expérience du FSTA et celle du TLRA, qui sont bien deux expériences d’externalisation quoique dans des domaines différents, donnent le sentiment que ce n’est pas nécessairement la voie à privilégier. Peut-être certaines parties – comme le soutien en service – peuvent-elles être externalisées. Il faut en tout état de cause poser la question de l’assurance, qui a été un obstacle considérable dans l’affaire du FSTA. Là encore, l’État est son propre assureur. Jusqu’où l’avion peut-il aller ? Sur la ligne de front ou non ? Qui prend le risque ? Avec un satellite, on assure des risques techniques ; avec un ravitailleur, on assure également des risques opérationnels. Autant de casse-tête qui rendent l’équation économique particulièrement délicate…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. À quel stade en est la discussion avec la DGA à ce sujet ?

M. François Desprairies. Les discussions ont été nombreuses depuis cinq ou six ans. Nous avons participé à plusieurs débats et présenté en détail les différentes versions de MRTT possibles à la DGA. Il faut maintenant que le dossier soit lancé : aujourd’hui, certains avions ravitailleurs ne peuvent plus voler hors du ciel français ! En outre, la flotte participe à notre dissuasion. Il est donc particulièrement difficile d’envisager l’externalisation de l’emploi opérationnel.

Au vu de l’expérience britannique, nous préconisons un programme normal d’acquisition. Si les études sont lancées cette année, les premières acquisitions pourraient avoir lieu en 2017. Nous nous en sommes entretenus avec les collaborateurs de M. Gérard Longuet. Le ministre a d’ailleurs pu visiter lors de sa venue à Toulouse, il y a deux semaines, un MRTT émirati. Si la France décidait aujourd’hui de lancer ce programme, les délais de contractualisation et de fabrication conduiraient à une première livraison en 2017 ; d’autre part, l’avion doit avoir toutes les particularités lui permettant d’assurer ses missions, notamment de dissuasion, ce qui impose un nombre minimal d’appareils.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Il y a donc un « trou capacitaire » entre des avions qui ne peuvent plus sortir du ciel français et ceux qui ne pourront être livrés – dans le meilleur des cas – qu’en 2017. Comment l’armée de l’air entend-elle y répondre ?

M. François Desprairies. En faisant voler les C-135 FR – dont les premiers sont entrés en service en 1962 ou 1963 – le plus longtemps possible…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. À la manière dont vous présentez les choses, il s’agirait plutôt de les laisser s’écraser…

M. le général Georges Ladevèze. Un avion s’écrase rarement, mais, pour l’empêcher de s’écraser, cela coûte très cher !

La DGA semble être entrée dans les prémices du processus : elle envisage de lancer une étude de levée de risques dès 2011, afin de respecter le calendrier qui nous mène tout de même jusqu’en 2017. Les Américains se sont pliés au même raisonnement : ils vont payer très cher leurs KC-135 en attendant que Boeing mette au point un avion qui est encore sur le papier…

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Souhaitez-vous vous exprimer sur d’autres sujets ?

M. François Desprairies. D’autres consultations se préparent, dans le droit-fil de celle de Cognac. Il s’agit à notre sens d’opérations pertinentes.

Il faudra également déterminer, dans les mois qui viennent, la forme que prendra le soutien à l’A400M. Nous tentons de rapprocher les points de vue britannique et français.

D’autres opérations de cette nature sont probables. Nous notons qu’il y en a davantage en Allemagne et en Grande-Bretagne qu’en France.

M. le général Georges Ladevèze. L’arrivée du NH 90 va aussi poser question. J’insistais tout à l’heure sur le clivage entre activités industrielles et activités opérationnelles. La nouvelle génération des matériels le rend de plus en plus flagrant, tant les investissements de maintenance lourde à consentir sont importants. Toute la question est de savoir si l’État doit les consentir lui-même ou en laisser la charge à l’industriel, la redondance n’étant pas de mise.

M. Éric Béranger. Permettez-moi de conclure par un peu de prospective. Dans ces domaines qui font appel à des technologies duales se posera peut-être à l’avenir la question des capacités d’observation. On fait ici appel à des technologies complexes, qui seront difficiles à maintenir sur toute la gamme dans un contexte de contrainte budgétaire. Sans doute y aura-t-il une réflexion à conduire pour arriver malgré tout à maintenir les capacités françaises.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je vous remercie et vous assure de notre intérêt pour tous les points que vous avez bien voulu évoquer.

Audition du 27 avril 2011

À 11 heures : M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense

Présidence de M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous accueillons maintenant l’ingénieur général de l’armement Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » (PPP) du ministère de la Défense. La mission que vous dirigez, monsieur l’ingénieur général, a été citée à plusieurs reprises lors d’auditions précédentes et nous sommes donc heureux que vous puissiez nous apporter aujourd’hui votre éclairage sur les externalisations.

M. Philippe Genoux, chef de la mission « Partenariats public privés » du ministère de la Défense. La mission PPP a essentiellement pour vocation d’accompagner les équipes en charge des projets de partenariats public-privé ou d’externalisations menés au sein du ministère de la Défense. Elle réalise les études préparatoires et les évaluations préalables qui permettent, avant même consultation des entreprises, de comparer en termes économiques l’externalisation d’une prestation ou la conclusion d’un partenariat public-privé d’une part et d’autre part la formule de la régie. Elle a vocation à accompagner également les équipes en charge des projets lors de la passation des contrats, opération complexe sur les plans juridique et financier. Elle s’attache enfin à développer, en toute transparence vis-à-vis des équipes, des outils méthodologiques, de façon que les comparaisons puissent s’effectuer sur des bases aussi complètes et objectives que possible. Elle n’a pas encore travaillé sur les retours d’expérience, si ce n’est de façon très parcellaire, mais il nous faudra développer ces analyses, en prenant toutefois garde au risque d’être en même temps juge et partie.

Jusqu’à la création de la mission PPP en mars 2009, chaque département du ministère de la Défense menait ses études préparatoires à sa façon, sans coordination ni méthodologie commune, à l’exception, dans le cadre des partenariats public-privé, du recours aux outils préconisés par la mission d’appui PPP (MAPPP), rattachée au ministère chargé de l’Économie. En créant la mission PPP, le ministère de la Défense a souhaité capitaliser les premières expériences acquises en matière d’externalisations et de partenariats public-privé, à regrouper au sein d’une même entité l’expertise, jusqu’alors éparse, et à canaliser le recours à assistance à maîtrise d’ouvrage par les équipes en charge des projets, obstacle potentiel à cette capitalisation en l’absence de lien avec la MPPP.

Le temps d’effectuer les recrutements nécessaires, notre activité n’a réellement débuté que fin 2009. Nos équipes se composent de chargés d’affaires qui accompagnent les équipes en charge des projets, d’analystes économiques qui réalisent les évaluations préalables et procèdent aux recalages éventuellement nécessaires lors de la passation des contrats, enfin de juristes qui aident les équipes lors de la contractualisation.

Nous sommes déjà intervenus pour plusieurs opérations : RHL-1 (restauration, hébergement, loisirs), habillement – pour laquelle la procédure de passation de contrat a démarré – et Creil multi-services. Nous n’avions pu être associés à l’opération protection des bases aériennes, lorsqu’elle a été lancée, mais travaillons sur le retour d’expérience. Nous intervenons également sur d’autres projets en cours.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La mission que vous dirigez suit-elle toutes les externalisations ou seulement celles qui font l’objet d’un partenariat public-privé ?

M. Philippe Genoux. Il faut en effet distinguer entre externalisation et partenariat public-privé. Une externalisation – à ne pas confondre elle-même avec une sous-traitance – consiste à confier à un partenaire privé la responsabilité globale d’une fonction concourant à l’exercice de nos missions et jusque-là exercée en régie, sans que cela requière de sa part d’investissements significatifs, contrairement à un partenariat public-privé, où un investissement préalable important est nécessaire, le partenaire qui le préfinance étant ensuite remboursé au travers de la rémunération prévue dans le contrat de partenariat.

La mission PPP intervient pour les deux types d’opération. Pour rappel, il y a eu deux vagues d’externalisations : certaines ont été lancées après la suspension de la conscription, d’autres dans le sillage de la révision générale des politiques publiques (RGPP) et du livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Les premières ont été décidées essentiellement au niveau local, peu suivies à l’échelon central et n’ont pas fait l’objet d’une mise en perspective globale, contrairement aux secondes. C’est à ces dernières que nous avons été associés. En revanche, nous traitons la plupart des partenariats public-privé, à une exception près – celle du projet Balard, particulier de par son ampleur et son calendrier.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La mission ne s’en occupe pas du tout ?

M. Philippe Genoux. Très marginalement.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les évaluations préalables à une externalisation doivent permettre de s’assurer que le service sera globalement rendu par le prestataire auquel il a été délégué dans des conditions économiques intéressantes pour le ministère de la Défense. Comment sont consolidées toutes les données de l’équation avant d’engager l’opération ?

M. Philippe Genoux. Il ne vous a pas échappé que nous ne disposions pas d’une comptabilité analytique permettant de connaître très précisément les coûts d’une gestion en régie. Cela étant, nous pouvons distinguer, en premier lieu, les coûts de personnel qui, dans le cas d’une externalisation, représentent la principale source de l’économie escomptée. Comprenant salaire, cotisations de pension, primes et autres éléments de rémunération, ils sont connus avec précision, la direction financière et la direction des ressources humaines étant à même de fournir des données complètes. Viennent ensuite les coûts récurrents. Jusqu’à présent, pour les opérations sur lesquelles nous avons travaillé, nous avons constaté que les sites locaux possédaient des embryons de comptabilité permettant de reconstituer ces coûts de manière assez fidèle et complète ; les informations ne sont certes pas consolidées au niveau central mais elles sont disponibles au niveau local. Il y a enfin les coûts de soutien général – immobilier, personnels de l’administration générale, centrale ou locale… Ce sont ceux qui sont les plus difficiles à évaluer précisément. Ils sont toutefois assez peu élastiques aux externalisations. Quasi invariants, que les prestations soient assurées en régie ou externalisées, ils peuvent donc être neutralisés dans les comparaisons.

Nous prêtons également attention à l’impact des opérations sur les coûts de pensions à terme, jusqu’à présent négligé alors qu’il est très important, vu l’équilibre exigé du compte d’affectation spéciale Pensions, de prendre en compte l’incidence des suppressions de postes de militaires ou de fonctionnaires. Nous sommes également attentifs aux conséquences des opérations, qui peuvent différer selon qu’on se place du point de vue de l’État ou du ministère de la Défense. Ainsi lorsqu’une prestation est externalisée, le prestataire la facture avec la TVA, ce qui constitue une recette pour l’État mais une dépense nouvelle pour le ministère de la Défense. De même, certaines prestations externalisées n’en doivent pas moins être réalisées dans nos murs, ce qui oblige le ministère à mettre à disposition des prestataires diverses installations avec autorisation d’occupation temporaire (AOT) le temps du contrat. Cette AOT génère une redevance qui est neutre pour l’État mais non pour le ministère. Il peut donc arriver que des opérations soient économiquement avantageuses pour l’État mais non pour le ministère de la Défense.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans la plupart des cas – ainsi en ce qui concerne la flotte de véhicules –, les externalisations aboutissent à un transfert d’une part significative des personnels, conformément à l’ancien article L. 122-12 du code du travail. Depuis que les textes réglementaires nécessaires ont été pris en 2009-2010, le ministère de la Défense peut mettre des personnels à disposition. Il paie alors la différence entre le salaire versé par l’opérateur privé et celui que lui-même versait auparavant aux salariés transférés. D’autre part, il est très pénalisant pour lui d’avoir à s’acquitter de la TVA – même si c’est au final neutre pour l’État. Enfin, vous l’avez dit vous-même, certains coûts de structure ne sont pas élastiques à la baisse. À cela s’ajoute une difficulté de consolidation, tenant à ce que le ministère ne disposait pas jusqu’à présent de comptabilité analytique. Comment dans ces conditions parvenir à de réelles économies ? La rigidité à la baisse des dépenses est telle que la seule justification que je vois à tout cela est de continuer, d’une part, à diminuer les effectifs hors objectifs de la RGPP, d’autre part à rationaliser les dépenses du ministère de la Défense dans l’intérêt de l’État, qui n’est pas nécessairement celui du ministère. Bref, les externalisations ne sont-elles pas le moyen de poursuivre, sans le dire, la RGPP ?

M. Philippe Genoux. Je suis embarrassé pour vous répondre, ne disposant pas, dans la position qui est la mienne, de tous les éléments nécessaires. Je peux néanmoins dire qu’antérieurement, les responsables de projet ne se préoccupaient pas, dans les travaux préparatoires, du devenir des personnels concernés par les externalisations. Ils ne prenaient en compte que les suppressions de postes sans se soucier du fait que certains personnels pouvaient éventuellement être réaffectés en surnombre. C’est un point auquel nous accordons, pour notre part, la plus grande importance. En effet, l’intérêt économique des opérations passe largement par la capacité du ministère à trouver des postes effectivement vacants. Le risque est, sinon, de régler la prestation au partenaire privé tout en continuant de payer des personnes employées quelque part en doublon, ce qui réduit à néant les économies en apparence réalisées.

L’une des difficultés dans les évaluations préalables est qu’on avance dans un premier temps à l’aveugle. Nous poussons désormais les chefs de projet et les services des ressources humaines à repérer le plus en amont possible les postes éventuellement libres. Par le biais d’analyses de sensibilité consistant à balayer le champ des possibles, on s’aperçoit qu’il est des situations où l’externalisation ne permet d’économies ni pour le ministère de la Défense ni pour l’État, d’autres où elle en permet pour les deux, et d’autres encore pour l’État seulement. Cette approche permet de sensibiliser très tôt les équipes en charge des projets.

Un ultime verrou a été mis en place : une fois triées les offres et sélectionnée la mieux-disante, on compare de nouveau les coûts entre régie et externalisation, non plus cette fois sur la base d’estimations des prix du privé mais d’engagements contractuels précis. Entre-temps, les personnels ont également pu être interrogés sur leurs intentions, ce qui permet de mieux savoir où l’on va. C’est ce qui a été fait pour les opérations RHL-1 et Creil multi-services, où les économies seront effectivement au rendez-vous – pour autant qu’aucun avenant ne vienne dénaturer les marchés initiaux. Nous avons en revanche recommandé d’abandonner le projet de partenariat public-privé pour la mise à disposition d’une flotte de porteurs polyvalents terrestres, qui n’aurait pas permis d’économies. Et notre recommandation a été suivie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quel est le bilan de l’externalisation de la flotte de véhicules ?

M. Philippe Genoux. Cette opération a été lancée en 2007, alors que la mission PPP n’existait pas encore. Sur le marché stricto sensu, l’économie est nette. La principale question demeurait celle du devenir des personnels concernés : une étude a pu confirmer qu’ils n’avaient pas été réaffectés en doublon. La difficulté des « plans de manœuvre » des ressources humaines est encore accrue du fait que les effectifs diminuant, les postes disponibles sont de plus en plus rares. Ces plans sont pourtant indispensables afin que les opérations présentent bien au final l’intérêt économique escompté lors de l’évaluation préalable.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Sur un effectif de cent personnes concernées par une externalisation, combien en moyenne doivent être réaffectées et combien sont transférées à l’opérateur privé ?

M. Philippe Genoux. Cela dépend des opérations. La rationalisation et la mutualisation des moyens diffèrent d’un secteur à l’autre. Dès les évaluations préalables, on connaît grâce au parangonnage (benchmarking) les éléments de coût du secteur privé, ce qui permet de comparer régie et externalisation. Lors des consultations, on demande aussi aux candidats de préciser leur organisation en matière de ressources humaines, avec les effectifs par métier et par niveau hiérarchique. Cela permet d’une part d’effectuer une comparaison avec la nôtre – nous nous attachons à comprendre comment les effectifs nécessaires peuvent être moindres chez les opérateurs privés –, d’autre part de faire des propositions de postes à nos propres personnels, de façon qu’ils puissent en toute connaissance de cause se porter ou non volontaires pour une mise à la disposition (MALD).

Pour l’opération RHL-1, quand il fallait cent personnes en régie, il n’en faut plus que soixante à soixante-dix chez le prestataire privé. L’organisation du travail y est différente, notamment pour la restauration. Pour l’opération « protection des bases aériennes » en revanche, compte tenu du cahier des charges, la rationalisation et la mutualisation sont beaucoup plus limitées et il ne faut pas escompter un tel gain. Les travaux en cours permettent d’estimer la réalité des économies.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. D’éventuels avenants peuvent déséquilibrer l’économie initiale d’un contrat et du coup remettre en question les économies escomptées au stade de l’évaluation préalable. Le suivi de l’exécution des contrats au jour le jour est également d’une extrême importance, notamment lorsque les performances peuvent influer sur la rémunération. Quel rôle votre mission joue-t-elle à cet égard ?

M. Philippe Genoux. Je vous remercie de cette question. Ce sujet est en effet d’importance. C’est ce qui me pousse à souhaiter que nous soyons associés aux retours d’expérience. Si nous n’avons pas d’informations sur l’exécution des contrats, nous ne pouvons pas procéder de manière pertinente aux recalages éventuellement nécessaires. L’évaluation recalée constitue un verrou solide dans la mesure où elle est fondée sur des informations qui engagent le contractant. Quant aux avenants, certains se justifient pleinement, notamment si l’activité ou les besoins ont évolué, et ne remettent pas nécessairement en question l’avantage économique. D’autres en revanche peuvent être moins vertueux. C’est pourquoi il me semblerait souhaitable que la mission PPP soit parfaitement informée afin que, pour chaque opération, on puisse s’assurer que les économies attendues sont bien au rendez-vous, mais aussi que les remontées d’information nous permettent d’actualiser nos modèles.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Vous souhaiteriez donc qu’il y ait obligation de consulter la mission ?

M. Philippe Genoux. Les procédures de suivi devraient en effet prévoir une information systématique de la mission PPP en cas d’avenant.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Comment votre action s’articule-t-elle avec celles du commissariat des armées et de l’Économat des armées – lequel est un établissement public industriel et commercial ?

M. Philippe Genoux. C’est l’état-major des armées (EMA) qui pilote la plupart des projets d’externalisation. Le service du commissariat des armées (SCA) et l’Économat des armées (EDA) hébergent les équipes en charge des projets et mènent les projets dans les phases de contractualisation. Pour notre part, nous accompagnons les équipes. Il est établi sans conteste que nous effectuons les évaluations préalables et procédons aux recalages. Les choses sont moins simples pour la passation des contrats, le rôle de la mission PPP ayant été moins clairement défini sur ce point dans son arrêté de création. Notre intervention est plus difficile à faire admettre mais nous nous attachons à la promouvoir. Reste, je l’ai dit, à prévoir un retour d’information pendant l’exécution des contrats.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Monsieur l’ingénieur général, nous vous remercions. Nous serons attentifs aux différents points que vous avez soulevés.

Audition du 27 avril 2011

À 11 heures 30 : M. Philippe Jost, directeur des Plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA)

Présidence de M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je suis heureux d’accueillir M. Philippe Jost, directeur des Plans, des programmes et du budget à la direction générale de l’Armement (DGA). La Mission vous a auditionné il y a environ un an, monsieur le directeur, sur les recettes budgétaires exceptionnelles de la Défense. Nous souhaitons aujourd’hui vous entendre spécifiquement sur les questions d’externalisation qui intéressent directement la DGA, à savoir sur les programmes Nectar de cession d’usufruit de satellites de télécommunications et des ravitailleurs en vol dits MRTT (Multi Role Tanker Transport).

M. Philippe Jost, directeur Plans, programmes, budget à la direction générale de l’armement (DGA). Nous avions en effet déjà évoqué ensemble le programme Nectar l’an dernier. Depuis, nous avons franchi une étape importante et attendue puisque la procédure a été lancée avec l’émission du cahier des charges de la consultation, en novembre dernier. Ce fut l’aboutissement d’un long processus au cours duquel ont été réunies l’ensemble des conditions législatives et juridiques nécessaires cependant que le ministère du Budget procédait à une instruction approfondie, au terme de laquelle il rendait son avis, à l’été 2010. Ce calendrier devrait permettre de notifier l’opération à la fin de 2011, dès lors qu’elle serait jugée économiquement satisfaisante pour l’État.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Le cahier des charges mentionne-t-il expressément cette dernière exigence ?

M. Philippe Jost. Oui. En accord avec l’ensemble des parties prenantes, y compris le ministère du Budget, nous sommes convenus que cette opération n’a vocation à être réalisée que si son intérêt économique pour l’État est établi. Le cahier des charges prévoit donc expressément que le solde net des entrées et des sorties financières, en valeur actualisée, doit être plus avantageux pour l’État que le maintien du statu quo. Il précise même les modalités selon lesquelles cet intérêt économique sera évalué.

Cela étant, je dois préciser que les industriels ont demandé à différer la formulation de leurs offres. Un délai supplémentaire d’un mois leur a été accordé, de sorte que ces offres n’ont été remises qu’en mars – le mois dernier. Elles sont en cours de dépouillement. Conformément aux pratiques habituelles de la DGA dans le cadre des consultations concurrentielles, une équipe ad hoc se consacre à ce travail, en liaison notamment avec des experts de la direction interarmées des Réseaux d’infrastructures et des systèmes d’information (DIRISI) auxquels seront associés incessamment des membres de la direction des Affaires financières (DAF) du ministère de la Défense. En raison de ce cloisonnement, je puis seulement vous donner des indications sur le calendrier actualisé des opérations, ainsi, bien sûr, que sur tout ce qui a été fait précédemment.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Lorsque nous vous avons entendu, l’an passé, nous nous étions demandés si la DGA était responsable du retard de l’émission du cahier des charges ou si ce délai s’expliquait par des contraintes juridiques. Le temps qui s’est écoulé depuis vous a-t-il permis de lever toutes les incertitudes à ce dernier égard ?

D’autre part, quelles sont les incidences financières de ce décalage d’un an, dans la mesure où il réduit la durée de vie résiduelle des satellites sur laquelle les industriels pourront tabler ?

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le calcul de la valeur actualisée nette des entrées et des sorties financières portera-t-il seulement sur la cession de l’usufruit et sur la redevance due pour la location des fréquences et des canaux, ou inclura-t-il également le volet « services » ? En d’autres termes, envisagez-vous d’abandonner éventuellement ce dernier élément ?

M. Philippe Jost. Nous avons exploré tous les tenants et aboutissants juridiques de cette opération relativement innovante. Ce processus, assez long comme je l’ai dit, s’est achevé au début de l’été de 2010, les mois de juillet à septembre étant ensuite consacrés aux discussions avec le ministère du Budget sur le contenu du cahier des charges – elles ont porté en particulier sur le partage des risques entre le titulaire éventuel de l’opération et l’État, ainsi que sur le périmètre de ladite opération et, donc, sur la prise en compte ou non des services.

Dans ce cadre, nous avons également évoqué d’autres problèmes importants, comme celui d’une possible exonération de la TVA versée au titre du contrat de services qui nous lierait à l’opérateur. Si, en la matière, une disposition de type législatif ou réglementaire paraît difficilement envisageable, il semble possible en revanche de préserver les intérêts du ministère de la Défense grâce à une compensation annuelle, inscrite en construction budgétaire.

Les satellites sont techniquement en très bon état et nous avons de bonnes raisons de penser qu’ils pourront fonctionner jusqu’en 2018 ou 2019, voire un peu au-delà. En revanche, nous ne sommes pas capables de mesurer l’incidence financière, pour l’État, d’un retard de quelques mois. Certes, la valeur de cession de l’usufruit est a priori dépendante de la durée de vie résiduelle des satellites, la réduction de celle-ci pouvant amoindrir le profit que l’opérateur tirera de la revente à des tiers d’un pourcentage de la capacité d’émission, mais cette réduction entraînera aussi une diminution du loyer que nous aurons à payer… En l’état cependant, nous sommes incapables de préciser comment se fera la balance. Peut-être au cours du dialogue compétitif, après le deuxième ou le troisième « tour de piste », quand nous aurons évalué plus finement les réponses des industriels, pourrons-nous calculer la fonction mesurant la corrélation entre durée de vie résiduelle des satellites et intérêt économique de l’État ou perception d’une recette extrabudgétaire.

Le calcul de la valeur actualisée nette intègre complètement le volet « services ». En mettant au point le cahier des charges, nous avons considéré que l’externalisation des services – de l’exploitation et de la mise en œuvre des capacités de transmission restant utilisées par l’État – conforterait l’équilibre économique d’une opération qui, de la sorte, comporterait une part plus réduite de lease-back, ou cession-bail. Ce calcul prend donc en compte les redevances qui seront payées à l’opérateur, ainsi que les économies que nous réaliserons en supprimant environ soixante-dix emplois à la DIRISI.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les industriels que nous venons d’auditionner se disent prêts à récupérer ces compétences en mettant à profit les dispositions réglementaires et législatives récentes qui autorisent le ministère de la Défense à les mettre à leur disposition. Le ministère devrait alors payer la différence entre le salaire qu’il versait à ces employés et celui que les entreprises verseront : dans ces conditions, peut-on effectivement parler de soixante-dix suppressions d’emplois ?

Je reconnais que l’adoption d’une disposition législative exonérant l’opération de la TVA est difficilement praticable, d’autant qu’elle risque de rouvrir le débat sur l’opportunité d’externaliser la gestion de satellites de communications. Mais, sous tous les gouvernements, les compensations promises par Bercy au ministère de la Défense ont toujours eu un caractère aléatoire : on les attend comme on attend Godot ! Ne craignez-vous pas de compromettre l’équilibre de l’opération en vous en remettant à cette solution ?

Enfin, l’État est son propre assureur et cela vaut pour les satellites de communications qu’il possède. L’industriel choisi pour l’externalisation devra, lui, s’adresser à un tiers pour couvrir ses risques. Allez-vous compenser cette dépense et, si oui, dans quelle mesure cela ne va-t-il pas affecter aussi vos calculs ?

M. Philippe Jost. Nous n’avons pas voulu imposer dans le cahier des charges la reprise, par les industriels, des personnels de la DIRISI actuellement chargés de ces opérations. Outre qu’ils ont un statut militaire, ils disposent de compétences pointues dans le domaine des télécommunications que le ministère de la Défense saura réemployer. De surcroît, je ne suis pas certain que les industriels souhaitent qu’il en aille autrement, même si l’on ne peut exclure qu’ils en « démarchent » quelques-uns. Je ne crois donc pas qu’au moins dans le cas particulier de Nectar, on s’oriente vers une mise à disposition, par l’État, de tout ou partie de ces soixante-dix emplois.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Soit, mais qu’adviendra-t-il, en cas de « manœuvre Ressources humaines » (RH) un peu complexe, si un de ces employés demande à bénéficier d’une mise à disposition ?

M. Philippe Jost. Je suppose que l’on examinera ce cas à la fois en fonction de l’intérêt de cette personne et en fonction de celui du ministère de la Défense. La mise à disposition avec versement d’un complément de salaire a du sens, me semble-t-il, lorsque la compétence ou l’activité de l’intéressé rendent difficile pour l’État de le réaffecter, mais il s’agit ici de compétences que nous pouvons réemployer. Je ne crois pas que les demandes soient très nombreuses et, dès lors, elles pourront être traitées comme le sont les flux de « départs inopinés » auxquels nous avons constamment à faire face dans le domaine des télécommunications : ces spécialistes n’ont aucun mal à trouver un emploi dans l’industrie sans passer par une mise à disposition.

M. Bernard Cazeneuve, rapporteur. Il n’empêche que, si le problème se posait, cela remettrait en cause votre prévision d’une économie de soixante-dix emplois.

M. Philippe Jost. Il me semble peu probable qu’un industriel sollicite le bénéfice des mises à disposition alors qu’il ne s’agirait que de cas particuliers et de départs spontanés, d’autant que rien dans le cahier des charges n’est de nature à appuyer une telle demande. Quoi qu’il en soit, nous pourrons revenir plus précisément sur ce point quand nous aurons fini d’exploiter les réponses.

S’agissant de la TVA, je ne vous cacherai pas qu’une exonération par voie législative me semblerait personnellement, dans l’absolu, préférable à une compensation. Il ne semble pas toutefois que tel soit le scénario retenu car la gestion législative de l’ensemble des partenariats public-privé (PPP) mettant en jeu l’État poserait sans doute des problèmes délicats. Nous ferons donc probablement avec une compensation en construction budgétaire. Par exemple, pour un loyer annuel de 40 à 60 millions d’euros hors taxes, la TVA serait comprise entre 10 et 15 millions d’euros. Or, nous savons fort bien que, dans le cadre de leurs négociations budgétaires, les ministères de la Défense et du Budget discutent de sommes largement supérieures. Si nous disons qu’in fine le ministère de la Défense bénéficiera d’un tel montant, c’est d’une façon un peu conventionnelle.

Le transfert de risques et, donc, la question des assurances ont fait l’objet d’une attention d’autant plus soutenue que la cession de l’usufruit aura lieu en cours de vie des satellites, à la différence de ce qui s’est passé en Grande-Bretagne. Nous n’avons donc pas considéré qu’il était raisonnable, hors erreur démontrable de l’entreprise, de transférer à celle-ci le risque de perte inopinée du satellite, en raison d’une panne ou d’une destruction. L’industriel devra donc s’assurer à raison des risques dont il serait responsable, l’État continuant quant à lui d’assumer ceux qu’il a pris lorsqu’il a décidé du lancement des constellations dans un cadre patrimonial.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Confirmez-vous le montant du programme Nectar dont vous avez fait état l’année dernière ?

M. Philippe Jost. Oui, nous escomptons toujours une recette extrabudgétaire de l’ordre de 400 millions d’euros et le cahier des charges le mentionne expressément. Les offres seront évaluées en fonction de cet élément – ainsi que de leur rentabilité économique pour l’État.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous faites état d’une dépense de TVA de l’ordre de 10 millions par an, mais le versement de la recette étant prévu en une fois, cette taxe devrait porter sur la totalité des 400 millions…

M. Philippe Jost. Cette recette extrabudgétaire n’est pas soumise à la TVA. Celle-ci s’appliquera au loyer, année par année, pendant toute la durée de l’opération.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous pourrions maintenant en venir au projet de renouvellement de la flotte des ravitailleurs en vol, dit MRTT, c’est-à-dire Multi-Role Tanker Transport, avion polyvalent de ravitaillement en vol et de transport.

M. Philippe Jost. Dans le cadre de l’élaboration du budget triennal 2011-2013, le ministère de la Défense a été amené à prendre des mesures d’ajustement physique de plusieurs opérations d’armement. Les paiements ayant été réduits d’environ deux milliards, le programme MRTT a, pour sa part, été décalé de deux ans, la première livraison étant maintenant prévue en 2017. Nous bénéficions donc d’un délai supplémentaire pour choisir entre l’acquisition patrimoniale ou le partenariat public-privé.

Dans ce contexte, j’évoquerai trois développements récents.

Tout d’abord, la situation économique générale : le renchérissement du loyer de l’argent et l’augmentation de l’aversion au risque ne vont pas dans un sens favorable au PPP, même si cette option reste, je le répète, à l’étude.

Ensuite, le choix américain. Dans l’option patrimoniale notamment, nous ne pouvons plus compter sur les retombées des acquisitions américaines. Celles-ci auraient pu assurer des conditions financières d’autant plus favorables qu’EADS avait envisagé de mettre en place une production directe de ces avions ravitailleurs. N’ayant pas enlevé le marché américain, l’industriel va se trouver contraint, avec une production limitée à quelques dizaines d’avions, de transformer des A330 standards.

Enfin, le retour d’expérience des Britanniques. Le temps passant, ceux-ci perçoivent des inconvénients liés à l’application des contrats FSTA (Future strategic tanker aircarft), d’acquisition de services. J’en citerai deux.

D’une part, afin de sécuriser économiquement cette opération, les Britanniques ont dû convenir d’un minimum d’heures ou de redevances à verser au consortium mais, en raison de leur situation financière actuelle, les voici maintenant contraints d’examiner des scénarios capacitaires inférieurs aux planchers prévus, alors même qu’ils sont liés pour vingt ou trente ans par les contrats de services. Nous avons, quant à nous, identifié depuis quelque temps le risque d’une telle formule, ainsi que la nécessité de ménager la flexibilité indispensable sur de telles durées – nous sommes habitués, dans le domaine de la défense, aux visions de long terme, mais aussi à leurs ajustements quand c’est nécessaire ! Ainsi, alors que nous avons des projets d’acquisition de services assez avancés en ce qui concerne les bâtiments de soutien hauturiers, nous prévoyons une marge de flexibilité sur le nombre d’heures de mer qui seront nécessaires à échéance de dix ou quinze ans… La situation est encore plus délicate à gérer en ce qui concerne les MRTT ou les FSTA. Les Britanniques sont donc à la recherche de clients afin que l’industriel puisse vendre les heures dont il dispose. Nous examinons leurs offres, encore faudrait-il que leurs prix soient satisfaisants.

D’autre part, à l’issue des opérations que nous menons, les retours d’expérience conduisent en permanence à procéder à des modifications mineures de nos équipements – ainsi sur le Rafale ou le Félin. Si nous connaissons moins de ces « urgences opérations » que les Britanniques, qui y ont consacré jusqu’à environ 800 millions d’euros en un an, leur montant atteint tout de même 100 à 200 millions d’euros annuels. Même si nous devons nous réjouir que cette dépense ne soit pas si élevée que celle de nos voisins, il reste qu’il faut se réserver la possibilité d’effectuer ces aménagements. Or, alors que les Britanniques commencent à considérer qu’une évolution du FSTA serait nécessaire, ils se heurtent à la complexité des contrats de PPP, dont la révision s’apparenterait à l’ouverture de la boîte de Pandore ! Dans un cadre patrimonial, ils seraient sans doute mieux à même de s’adapter à leurs nouveaux besoins…

Cette expérience britannique, ajoutée à l’absence de revenu tiers avéré et à un contexte économique peu favorable aux PPP, contribue à assombrir le tableau. Cela étant, aucune décision n’est prise à ce jour. L’instruction se poursuit en vue de rassembler d’ici à 2012 l’ensemble des éléments techniques et économiques permettant de trancher la question.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans vos analyses du calendrier et du montage souhaitables pour satisfaire ce besoin capacitaire, prenez-vous en compte le coût du maintien en condition opérationnelle de nos vieux ravitailleurs, à bout de souffle ?

M. Philippe Jost. Quand nous avons décalé de deux ans la réalisation du programme MRTT, nous avons pris un certain nombre de mesures pour accroître la durée de vie des KC-135, les ravitailleurs actuels. Sur la durée considérée, elles sont moins coûteuses que le programme MRTT, mais elles ne peuvent évidemment pas être prolongées à l’infini.

La comparaison des options patrimoniale et PPP porte bien sur le coût global de la possession de la capacité : nous ne nous limitons pas au cadre du programme n° 146 Équipement des forces, pour reprendre la nomenclature budgétaire du budget du ministère, mais nous incluons dans le calcul le coût des personnels chargés de la maintenance et de l’utilisation de ces vieux appareils, ainsi que celui de leur maintien en condition opérationnelle.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je vous remercie.

Audition du 10 mai 2011

À 16 heures 15 : M. Bruno Vieillefosse, délégué pour le regroupement des états-majors et de services de la défense, responsable du projet « Balard »

Présidence de M. David Habib, puis de M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur

M. David Habib, Président. Monsieur Vieillefosse, nos deux rapporteurs, M. Louis Giscard d’Estaing M. Bernard Cazeneuve, représentent respectivement la commission des Finances et la commission de la Défense. Ils sont en outre chacun d’une sensibilité politique différente. Quant à M. Yves Deniaud, qui vous interrogera également, il est Rapporteur spécial pour la politique immobilière de l’État et connaît bien le sujet qui nous occupe aujourd’hui.

Nous serons accompagnés par les magistrats de la Cour des comptes, Mme Françoise Saliou, conseiller maître, et M. Olivier Brochet, rapporteur.

La date de l’audition a été choisie de façon à ce que vous puissiez répondre à l’ensemble de nos questions et enrichir la réflexion de nos deux rapporteurs.

M. Bruno Vieillefosse, délégué pour le regroupement des états-majors et de services centraux de la défense, responsable du projet « Balard ». Le projet « Balard » arrive à un tournant décisif puisque nous allons signer le contrat dans les tous prochains jours, sous réserve d’avoir réglé, d’ici là, des problèmes d’ordre matériel : le contrat comptant autour de 20 000 pages, le finaliser, le relire et le vérifier prend du temps. La mise au point contractuelle qui a été engagée une fois choisi l’attributaire pressenti se termine dans de bonnes conditions.

Le projet – est-il besoin de vous le rappeler ? – consiste à regrouper sur un site unique, à Balard, les trois états-majors d’armée, l’état-major des armées, la direction générale pour l’Armement, les services du secrétariat général pour l’Administration, et tous les services centraux du ministère tels que le contrôle général des armées, la délégation à l’Information et à la communication de la défense (DICoD), ainsi que les inspections générales de chaque armée. La superficie de l’ensemble, propriété de l’État, est de 16,5 hectares qui se répartiront entre la Cité de l’air rénovée – 8,5 hectares –, et la parcelle Ouest – 8 hectares – qui sera divisée en deux : trois hectares, à l’extrémité ouest, feront l’objet d’une opération de valorisation immobilière – construction de bureaux à usage locatif qui procureront un revenu venant en déduction de l’assiette de l’investissement –, et les cinq hectares restants seront occupés par un bâtiment neuf accueillant les hautes autorités du ministère et les centres opérationnels des armées. Au total, le ministère emploiera sur place 9 300 personnels civils et militaires.

La phase de travaux proprement dits commencera au début de l’année 2012, pour s’achever à titre principal en juin 2014. Il restera alors une phase de travaux secondaires à la Cité de l’air, qui se termineront en février 2016, quand les derniers effectifs de la DGA rejoindront le site.

L’opération a été lancée en décembre 2007, sur proposition du ministre de la Défense, par le Président de la République, chef des armées. Elle a été menée à un rythme accéléré pour respecter les engagements et réduire les coûts.

L’année 2008 a été, pour l’essentiel, consacrée aux études de faisabilité et à l’évaluation préalable prévue par l’ordonnance de 2004 pour les partenariats public-privé. Au premier semestre 2009, le programme fonctionnel a été élaboré et la procédure lancée en juin. Un premier cahier des charges a été remis en septembre 2009. Les premières pré-esquisses architecturales ont été reçues dans le cadre d’une compétition architecturale – procédure innovante préférée au traditionnel concours international d’architecture – en novembre 2009. Les propositions initiales ont suivi en février 2010, précédant le cycle d’auditions des trois candidats menées en mars et avril 2010. Nous avons alors remis un second cahier des charges en mai 2010 qui a donné lieu à des propositions dites intermédiaires de la part des candidats, remises le 1er juillet suivant. Celles-ci ont déclenché un nouveau cycle d’auditions entre juillet et octobre. Nous avons rendu le dossier final de consultation des entreprises le 12 novembre 2010, à charge pour les soumissionnaires de déposer leurs offres avant le 11 janvier 2011. Le 17 février dernier, nous avons annoncé le choix de l’attributaire pressenti. Les ajustements techniques, financiers et juridiques ont été effectués en temps et en heure puisque nous allons signer le contrat dans les tous prochains jours, respectant ainsi le calendrier prévu. Un décalage de deux semaines est négligeable dans un projet d’une telle ampleur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pourriez-vous nous rappeler le montant de l’investissement réalisé par l’attributaire retenu et celui des loyers que devra acquitter le ministère de la Défense, ainsi que la durée du bail ?

M. Bruno Vieillefosse. Tant que le contrat n’est pas signé, je ne peux pas être très précis, mais je pourrai ultérieurement compléter ma réponse.

L’investissement immobilier, hors taxes et honoraires, s’élèvera à 600 millions d’euros environ, et le loyer annuel à moins de 130 millions hors taxes. Ce dernier sera réglé dès que nous aurons pris réception des immeubles, en principe le 1er septembre 2014, jusqu’à la fin du contrat, c'est-à-dire en mai 2041, le contrat ayant une durée de 30 ans. Il s’agit d’un montant moyen, la redevance devant être plus élevée dans la première phase puisqu’elle inclura l’acquisition des postes informatiques individuels qui seront amortis sur cinq ans.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le loyer inclut-il le prix des services que le prestataire s’est engagé à fournir pour assurer le fonctionnement du « Balardgone » ?

M. Bruno Vieillefosse. Oui. Nous achetons en réalité non pas un immeuble, mais un ministère qui fonctionne. Le loyer proprement dit ainsi que les frais financiers représenteront environ 35 % de la redevance globale ; mais la prestation comprend également l’entretien et la maintenance des bâtiments pendant vingt-sept ans et les services tels que la restauration, le nettoyage, le gardiennage extérieur…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Et combien aurait coûté le fonctionnement du ministère dans ses bâtiments actuels rénovés ?

M. Bruno Vieillefosse. En l’absence de projet « Balard », il aurait fallu rénover l’immobilier, et la plupart des réseaux informatiques. Le tout aurait coûté au bas mot 600 millions d’euros. C’est à partir du coût actuel de fonctionnement du ministère qu’a été calculée la redevance annuelle de sorte que tout abondement des crédits budgétaires soit inutile. Les crédits actuels de l’administration centrale convenablement redéployés couvriront le prix de la redevance toutes taxes comprises.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Comment traitez-vous l’investissement initial de 600 millions ?

M. Bruno Vieillefosse. Pour nous, il ne s’agit pas d’un coût direct. Le projet coûtera au budget de la Défense le montant annuel de la redevance multiplié par le nombre d’années prévu au contrat. Les ressources budgétaires ont été analysées et ventilées de manière extrêmement précise, avec l’aide du contrôle général des armées, qui a procédé à une évaluation en juillet 2010, laquelle a ensuite été soumise à la direction du Budget, puis ajustée. C’est en fonction de ces dépenses qu’ont été déterminées les ressources budgétaires.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je voudrais seulement m’assurer que les informations mises à la disposition de la commission de la Défense sont concordantes. L’attributaire, si j’ai bien compris, devra débourser 600 millions d’euros et percevra en contrepartie 27 fois 130 millions d’euros, soit environ 3,5 milliards. Autrement dit, il s’agit de la somme qu’auraient représenté la rénovation des bâtiments actuels et le fonctionnement du ministère de la défense sur la période…

M. Bruno Vieillefosse. Exactement, cette somme cumulée de 3,5 milliards d’euros sur 27 ans équivaut au fonctionnement actuel du ministère.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Selon que l’on adopte le point de vue du ministère de la Défense ou celui de l’État – ils sont différents dans la mesure où le second encaisse les loyers budgétaires payés par le premier –, quel est le bilan de l’opération ?

M. Bruno Vieillefosse. Il y a équivalence entre la redevance acquittée pendant vingt-sept ans et les ressources budgétaires. Par ailleurs, nous n’engagerons pas les dépenses de rénovation des bâtiments actuels – au moins 600 millions d’euros qu’il aurait été difficile de trouver – et, en cédant les emprises actuelles, nous devrions dégager, d’après les estimations des quatre principales emprises par France Domaine, un peu moins de 600 millions d’euros. L’économie générale du projet repose sur les crédits budgétaires actuels qui gagent le financement de la redevance, plus une non-dépense de 600 millions d’euros et une recette exceptionnelle liée à la vente des quatre principales emprises d’ici à 2014.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’équation est positive pour le ministère à raison de deux paramètres : les 600 millions économisés et les recettes exceptionnelles. Les 3,5 milliards qu’aurait coûté le maintien dans les lieux incluent-ils les dépenses de 600 millions ?

M. Bruno Vieillefosse. Non.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Cela porte alors la facture à 4,1 milliards.

M. Bruno Vieillefosse. Non. Si le ministère était resté dans ses locaux de l’îlot Saint-Germain, il aurait continué à dépenser 130 millions hors taxes par an au titre de son fonctionnement, auxquels se seraient ajoutés assez rapidement 600 millions, pour rénover les immeubles et les systèmes informatiques.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quel est le montant des recettes attendues de la cession des emprises du ministère de la Défense ?

M. Bruno Vieillefosse. Un peu moins de 600 millions pour les quatre emprises principales, l’Hôtel de la Marine exclu.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’équilibre global du projet ne risque-t-il pas d’être compromis si les recettes exceptionnelles continuent d’être très en deçà des montants inscrits au budget du ministère ?

M. Bruno Vieillefosse. Non. Les emprises parisiennes ne seront pas vendues tant que nous n’aurons pas signé le contrat « Balard ». Il est certain qu’elles ne pourront pas être vendues du jour au lendemain, mais je n’ai aucun doute qu’elles aiguiseront les appétits et qu’elles seront cédées le moment venu à un bon prix. En toute hypothèse, le produit des cessions d’emprise n’est pas affecté au projet Balard.

M. Yves Deniaud. Considérez-vous avoir atteint l’ambition que vous nourrissiez quand nous nous sommes rencontrés, à savoir monter une opération « blanche », c'est-à-dire installer le ministère de la Défense à Balard pour un coût équivalant à son fonctionnement dans le périmètre actuel – soit 129 millions d’euros par an – en neutralisant le coût de la construction neuve grâce à un PPP ?

M. Bruno Vieillefosse. Tout à fait, si l’on raisonne toutes taxes. En d’autres termes, les crédits de fonctionnement actuels financeront le fonctionnement futur et l’investissement.

M. Yves Deniaud. Couvriront-ils aussi l’informatique ?

M. Bruno Vieillefosse. L’informatique est incluse en partie dans le contrat de partenariat, tout comme la sécurité.

Nous avons arbitré entre les fonctions sensibles et les autres. Certaines compétences resteront du ressort de l’État : la direction informatique du ministère, la DIRISI, continuera d’assurer la supervision de l’ensemble des réseaux et les interconnexions avec les autres réseaux ministériels. Mais certaines prestations, telles que l’assistance bureautique, seront confiées au secteur privé.

M. Yves Deniaud. Est-ce déjà le cas ?

M. Bruno Vieillefosse. Non. Aujourd'hui, il s’agit quasi exclusivement de régies.

M. Yves Deniaud. On gagne donc des locaux neufs à 600 millions d’euros qui, jusqu’en 2041, continueront d’être entretenus comme il convient, contrairement aux locaux actuels, qui ne sont pas dans un état optimal.

M. Bruno Vieillefosse. Les bâtiments, non plus que les réseaux informatiques, ne sont pas dans un état optimal, c’est le moins que l’on puisse dire. Ce n’est pas le moindre intérêt de ce contrat de partenariat que de garantir dans la durée l’entretien des immeubles ; il ne sera plus à la merci de la première restriction budgétaire venue. Les clauses du contrat sont explicites à cet égard.

M. Yves Deniaud. Qui encaissera les loyers de la partie ouest ?

M. Bruno Vieillefosse. Sur les trois hectares concernés, seront construits aux frais et charges de l’attributaire privé quatre immeubles de bureaux, soit 90 000 mètres carrés de surfaces à louer. Il encaissera les loyers correspondants pendant une durée de soixante ans, et assurera l’entretien des bâtiments. Nous nous sommes assurés que nous les récupérerions le moment venu dans un bon état général.

Pour mener à bien ce projet, le foncier sera mis à disposition de l’investisseur pour soixante ans, moyennant un versement initial, dit upfront, dès 2014, légèrement supérieur à la valorisation du terrain nu effectuée par France Domaine en 2007, juste avant la crise financière et immobilière, soit 195 millions d’euros. Nous tirerons plus de valeur sur soixante ans que nous prévoyions d’en tirer d’une cession pure et simple quatre ans auparavant.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Lors d’une précédente audition, vous aviez indiqué que le loyer de Balard serait de l’ordre d’une centaine de millions d’euros par an, et il est passé à 130 millions. D’où vient l’augmentation ? De même, vous prévoyiez de transférer 10 000 agents. Ils ne sont plus que 9 300. Où est passée la différence ?

M. Bruno Vieillefosse. J’ai annoncé de longue date que le coût de la redevance annuelle dépasserait 100 millions d’euros sans plus de précision à cause de la procédure concurrentielle. Depuis la remise des offres finales, j’ai donné une fourchette – entre 100 et 150 millions d’euros taxes comprises. Le chiffre exact sera bientôt connu, et je peux d’ores et déjà vous informer que le montant définitif sera très peu différent du montant de l’évaluation préalable qui avait été faite fin 2008, même si certains paramètres ont bougé. Il n’y aura pas d’augmentation du coût, et je m’en réjouis.

S’agissant des effectifs, le ministre de la Défense a demandé en septembre 2010 une dernière réévaluation des besoins en ressources humaines en cherchant toutes les sources d’économie possibles et en passant en revue toutes les entités du ministère, jusqu’au cabinet lui-même. Notre objectif initial était une réduction de 5 % des effectifs, et nous sommes parvenus à 6 % sans porter atteinte aux capacités. C’était une des conditions de réussite de l’opération.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Avez-vous des éléments de comparaison avec d’autres pays de l’Union européenne qui se sont livrés à des regroupements identiques ?

M. Bruno Vieillefosse. Les comparaisons ne sont pas faciles car l’organisation n’est pas la même. Pour autant que l’on puisse en juger, les effectifs sont à peu près comparables en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Italie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Je reviens sur les recettes exceptionnelles : que se passerait-il si la vente des emprises devait être différée ou, inversement, s’il fallait retarder le déménagement une fois qu’elles auraient été cédées ?

M. Bruno Vieillefosse. Il n’y aura pas d’aléa, pour la bonne raison qu’il n’existe aucun lien budgétaire entre la vente des emprises parisiennes et la réalisation de Balard, qui sera financée par redéploiement de crédits existants. Les recettes exceptionnelles viendront abonder d’autres programmes d’équipement du ministère qui, eux, en subiraient les conséquences éventuelles.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Quelles seront les fonctions assurées jusque-là en régie ou en propre qui seront externalisées ? Et pourriez-vous nous donner des éléments de coûts comparatifs ?

M. Bruno Vieillefosse. Quatre principales catégories de prestations seront confiées à l’attributaire : la restauration, l’entretien des bâtiments, la maintenance et l’informatique. Les prestations de restauration et gardiennage sont d’ores et déjà partiellement externalisées.

Nous avons examiné les tâches une à une, méthodiquement et précautionneusement, en distinguant ce qui pouvait être confié sans risque à un prestataire privé et ce qui relevait du cœur des missions régaliennes. L’accueil et le filtrage des visiteurs reviendront à des sociétés privées. En revanche, la sécurité des zones sensibles sera assurée par des gendarmes. Ils surveilleront notamment le poste central de protection – le poste de sécurité militaire – tandis que le poste de sécurité technique sera aux mains du prestataire. Je suis hostile à toute approche idéologique, mais faire garder le centre opérationnel des armées par des personnels civils de sociétés privées n’aurait pas été raisonnable, surtout après les quelques expériences faites à l’îlot Saint-Germain. Les zones de sécurité seront sécurisées par des personnels militaires, dont c’est le métier et la vocation. De même, la sécurité incendie sera dévolue à une compagnie permanente de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris.

La comparaison des coûts est relativement facile. Avant le démarrage de la démolition de la parcelle Ouest, le service de restauration de Balard, en régie, servait 4 500 repas et employait 310 personnes. À l’îlot Saint-Germain, les 57 personnes d’une société privée servent 2 300 repas par jour. Une simple règle de trois démontre l’intérêt de l’externalisation. Balard passe, sans doute à raison, pour la meilleure cantine de Paris, mais la qualité de la prestation proposée à l’îlot Saint-Germain est tout à fait convenable. La différence de prix de revient s’explique par l’expérience, l’organisation et l’efficacité de la société privée.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Et pour l’informatique ?

M. Bruno Vieillefosse. Les études ont été encore plus compliquées et plus longues dans la mesure où il a fallu à la fois garder la maîtrise du dispositif tout en établissant des responsabilités clairement identifiées entre l’État et ses prestataires. Il a fallu aller très loin dans les détails techniques et le dialogue compétitif à ce sujet a pris beaucoup de temps.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Qui est le prestataire informatique ?

M. Bruno Vieillefosse. Thales, qui fait partie du groupement de candidatures. Vous trouvez autour de Bouygues, en charge de la construction, Thales pour l’informatique, Sodexo pour la quasi-totalité des services, et Dalkia pour la fourniture d’énergie, sans compter les investisseurs, dont la Caisse des dépôts. La participation de cette dernière au capital de la société qui porte le projet a été imposée.

M. Yves Deniaud. Le choix de l’attributaire est-il susceptible de recours de la part de candidats malheureux ?

M. Bruno Vieillefosse. Je me garderai de tout pronostic, mais les contacts que j’ai eus avec eux n’augurent pas d’une telle décision.

M. Yves Deniaud. Vous annoncez la rénovation des emprises actuelles pour 600 millions environ ; mes chiffres faisaient état de 700 millions.

M. Bruno Vieillefosse. Nous avons raisonné a minima en appliquant un ratio moyen par mètre carré, et nous avons même minoré les chiffres, par précaution. D’où un écart possible.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Si les deux opérations sont indépendantes, pourquoi se livrer à de tels calculs ?

M. Bruno Vieillefosse. L’opération Balard répond avant tout aux objectifs opérationnels du ministère, mais elle s’inscrit aussi dans un cadre budgétaire déterminé – ne pas engager de dépense supplémentaire – qu’il fallait s’assurer de respecter.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Ces 600 millions sont donc nécessaires à l’équilibre financier du projet ?

M. Bruno Vieillefosse. Non. Ils correspondent au surplus estimé de l’opération. Même si cela devait prendre du temps à cause de l’ampleur des investissements nécessaires, j’aurais peine à croire que trois hectares situés en plein Paris ne trouvent pas preneur et restent longtemps en friche.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les 600 millions que devra débourser le groupement d’entreprises sélectionné correspondent-ils à votre estimation initiale ou y a-t-il eu des ajustements en cours de procédure ?

M. Bruno Vieillefosse. Nous restons dans l’épure : le budget construction sera un peu inférieur, et le budget informatique légèrement supérieur.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lors de la discussion budgétaire, le ministre avait évoqué une augmentation de 300 millions d’euros de l’enveloppe initiale car le terrain est inondable…

M. Bruno Vieillefosse. C’est ce que la presse a dit, à tort, car, si le site est inondable en cas de crue centennale, il suffit d’installer au premier étage les équipements techniques menacés, de sorte que, dès la décrue, le site du ministère soit immédiatement opérationnel, ce qui n’est pas le cas actuellement. Mais il n’y aura pas de surcoût. Le différentiel de 300 millions correspond à la TVA et aux honoraires.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Comment avez-vous résolu la question de la TVA ? Quel sera le sort budgétaire réservé au versement upfront encaissé en 2014 ? Tous vos chiffres sont-ils exprimés en euros constants ?

M. Bruno Vieillefosse. Il existe un dispositif interministériel qui permet à une administration bénéficiaire de prestations externalisées de se voir reverser le produit de la TVA qu’elle acquitte à ce titre, soit une dizaine de millions d’euros par an.

Le versement upfront ne sera pas considéré comme une recette exceptionnelle dans la mesure où il viendra en déduction de l’assiette du projet. Ce montage présente l’avantage de réduire les frais financiers, ce qui nous permet de rester dans la limite de l’enveloppe initiale. Nous tirerons de l’opération de la corne Ouest un bénéfice sensiblement supérieur à ce que nous en attendions.

Enfin, je raisonne en euros constants décembre 2010.

M. Yves Deniaud. Les 600 millions d’euros de produits de cession et le versement upfront de l’investisseur seront-ils affectés à la loi de programmation militaire ?

M. Bruno Vieillefosse. Il en sera ainsi de la cession des emprises, mais, pour ce qui est de la partie ouest de Balard, la recette brute viendra en déduction de l’investissement, ce qui aura pour conséquence de minorer les frais financiers et la redevance annuelle.

M. Yves Deniaud. Le chiffre de 130 millions d’euros par an intègre donc l’encaissement de 200 millions de trésorerie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelle est la part des loyers budgétaires payés pour les emprises actuelles ?

M. Bruno Vieillefosse. Le chiffre de 130 millions d’euros tient compte du bénéfice du versement de la corne Ouest. Les loyers budgétaires se montent aujourd'hui à 82 millions d’euros. Nous payons en outre un loyer d’un peu plus de 15 millions pour le site de la DGA à Bagneux, qui restera occupé jusqu’en 2016.

Une fois installé à Balard, le ministère paiera un loyer au prestataire qui se cumulera avec les loyers budgétaires des emprises parisiennes, lesquelles, conformément à la règle en vigueur, continueront d’être payés pendant deux ans suivant leur libération. Nous devrions conserver une assiette de loyers budgétaires pour Balard de l’ordre de 35 millions d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le projet représente une économie pour le ministère de la Défense. Mais qu’en est-il pour l’État ?

M. Bruno Vieillefosse. Au terme du contrat de partenariat, l’État récupérera des immeubles qui auront été bien entretenus notamment grâce aux loyers budgétaires, et, à l’issue de l’opération de valorisation de la corne Ouest, 90 000 mètres carrés de bureaux sans verser un euro. Au total, acquérir un parc de 420 000 mètres carrés bien entretenus au moyen de loyers budgétaires répond à une certaine logique immobilière et budgétaire.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les problèmes budgétaires se posent tout de suite à l’État.

M. Bruno Vieillefosse. C’est un investissement. Et, même sans Balard, il aurait fallu continuer à payer les 82 millions de loyers budgétaires, tout en acquittant les dépenses de fonctionnement actuelles.

M. Yves Deniaud. Ce sont 47 millions de loyers budgétaires en moins.

M. Bruno Vieillefosse. Mais ils ne sont pas synonymes d’économie pour l’État.

(M. Louis Giscard d’Estaing remplace M. David Habib à la présidence de la séance.)

M. Yves Deniaud. Quel sort subiront l’hôtel de la Marine et l’hôtel de Brienne ?

M. Bruno Vieillefosse. L’hôtel de Brienne, compte tenu de son importance historique et patrimoniale, sera conservé. L’utilisation de l’hôtel de la Marine reste en débat.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Où en est la cession des locaux de l’ancien secrétariat d’État aux anciens combattants ?

M. Bruno Vieillefosse. Je suis dans l’impossibilité de vous répondre car je m’occupe exclusivement de Balard, mais ces locaux seront intégrés dans les cessions à venir.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous vous remercions.

Audition du 10 mai 2011

À 17 heures 45 : Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Gibot, directeur, adjoint au secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense

Présidence de M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Nous accueillons maintenant M. Gérard Gibot, directeur, adjoint au secrétaire général pour l’administration du ministère de la Défense, et M. Xavier Gandiol, chargé de mission sur les externalisations au sein de la mission achats.

Vous connaissez, messieurs, le principe de la mission d’évaluation et de contrôle, qui est de formuler des propositions consensuelles sur les politiques publiques. Son organisation est paritaire. La Cour des comptes y est représentée, aujourd’hui en la personne de Mme Françoise Saliou, conseiller-maître, et de M. Olivier Brochet, rapporteur.

Selon le principe fixé au préalable, deux corapporteurs ont été désignés, l’un au sein de la commission de la Défense – M. Bernard Cazeneuve –, l’autre au sein de la commission des Finances – moi-même. En outre, l’un est issu de l’opposition, l’autre de la majorité.

Grâce au rapport d’enquête de la Cour des comptes, vous connaissez, monsieur Gibot, les principaux thèmes qui nous préoccupent. Je vous propose donc de commencer cette réunion par un bref propos introductif de quelques minutes avant de répondre à nos questions.

M. Gérard Gibot, adjoint au secrétaire général pour l’administration. En tant qu’adjoint au secrétaire général – qui est également président du comité pour la modernisation du ministère de la Défense – je m’occupe plus particulièrement de la conduite de la réforme du ministère. Mais je dirige aussi un groupe de travail destiné à accompagner les externalisations.

La réforme du ministère de la Défense a une dimension stratégique : elle touche à la transformation de l’outil de défense, conformément aux conclusions du Livre blanc et aux décisions prises par le Président de la République. Il s’agit donc bien d’adapter notre outil de défense aux menaces actuelles. La RGPP, révision générale des politiques publiques, ou les restructurations ne sont que des moyens pour atteindre cet objectif, et non une fin en soi.

Les restructurations ont une dimension opérationnelle, puisqu’elles touchent au format et au fonctionnement des armées. Ainsi, le rapprochement interarmées doit faciliter l’entraînement et la conduite des opérations, notamment extérieures. Mais elles visent également à effectuer des économies en réduisant la dispersion des unités sur le territoire. Quant à la RGPP, elle doit conduire à réformer les procédures – notamment en matière de soutien – et les organisations afin de proposer un service identique à moindre coût. L’objectif est d’améliorer la productivité. Les moyens ainsi économisés sont réinjectés en totalité dans le budget du ministère de la Défense et contribuent au financement de l’adaptation opérationnelle, qu’il s’agisse du renouvellement des équipements, de l’entraînement des soldats ou de l’évolution de la condition des personnels militaires et civils.

Conformément aux principes de la RGPP, notre travail est organisé en grands projets de réforme assortis d’objectifs précis. Il s’agit généralement de réorganiser les procédures – par exemple dans le domaine de l’organisation financière ou dans celui des achats – de façon à réaliser des économies. Mais nous avons également créé ce que nous appelons des groupes de projets transverses d’accompagnement des projets de réforme, notamment en matière d’immobilier – car les restructurations s’accompagnent de fermetures de sites, d’extensions de bâtiments, voire de nouvelles constructions – ou de « manœuvre RH ».

En revanche, l’externalisation n’est pas un objectif fixé par la RGPP. Comme l’ont clairement rappelé les ministres de la Défense qui se sont succédé depuis quatre ans, l’externalisation n’est pas une fin, mais un moyen au service de la réforme. Elle doit faire l’objet d’une démarche très rigoureuse et être construite à l’aide d’outils adaptés, de façon à offrir toutes les garanties en matière de dialogue social et surtout de préservation des conditions opérationnelles. Et dans la mesure où c’est cette réforme qui doit nous permettre de financer notre capacité opérationnelle, les économies réalisées doivent s’inscrire dans la durée.

Quant au fameux objectif de suppression de 16 000 emplois grâce aux externalisations, il n’a jamais existé. Toutes les réformes et rationalisations réalisées au ministère de la Défense n’ont pour but que de conduire aux 54 000 suppressions prévues – 54 981 si l’on prend en compte la mission Anciens combattants. Les externalisations sont effectuées au cas par cas, après une étude poussée destinée à en vérifier l’utilité, et autorisées par décision personnelle du ministre.

Le retour d’expérience sur les opérations passées a toutefois révélé l’insuffisance des outils dont nous disposions. C’est pourquoi un groupe de travail chargé de l’accompagnement des externalisations a été mis en place afin d’élaborer de nouveaux instruments de modélisation et de calcul économique.

La première tâche consiste à identifier tous les éléments attachés à une activité en régie, c’est-à-dire de production interne. Cela implique notamment une description très précise des effectifs concernés, qu’ils soient civils ou militaires, une évaluation des coûts moyens de production et de fonctionnement, des dépenses en énergie, d’entretien, etc.

Il convient ensuite d’examiner ce que pourrait donner une régie rationalisée : n’est-il pas possible de réaliser, en interne, des économies qui rendraient une externalisation superflue ? Tenter de répondre à cette question fait partie de notre démarche. De ce point de vue, l’expérience acquise en matière d’externalisations est précieuse, puisqu’elle nous aide à trouver les moyens de simplifier les processus et de réduire les coûts.

J’en viens aux externalisations elles-mêmes, qui sont réalisées en plusieurs étapes. Avant de consulter le marché, une évaluation préalable est réalisée : nous faisons alors du parangonnage, en observant la situation dans d’autres entreprises ou entités administratives ; nous recherchons quels sont les prix du marché ; nous calculons les coûts en régie qui subsisteraient après externalisation – car il en reste toujours, ne serait-ce que pour le pilotage du contrat. L’évaluation préalable est ensuite soumise aux organisations syndicales, puis au ministre, afin de lui permettre de se prononcer.

Avant même la consultation du marché, ce dernier est donc amené à prendre la décision d’autoriser ou de ne pas autoriser la poursuite de l’étude de l’externalisation, en se fondant sur quatre critères.

Tout d’abord, l’externalisation ne doit pas affecter la conduite des opérations. C’est la ligne rouge à ne pas franchir.

Ensuite, les économies réalisées doivent être solides et durables.

La situation du personnel est également prise en compte. Nous nous sommes ainsi demandé s’il ne serait pas possible d’appliquer à nos agents la disposition de l’ancien article L. 122-12 du code du travail tendant à protéger le contrat de travail en cas de transfert d’une activité d’une entreprise vers une autre : sur la base du volontariat, et à condition de disposer d’un droit au retour, les personnels de la Défense pourraient ainsi travailler chez le prestataire sous-traitant, en conservant leur rémunération et leurs droits à avancement ou à pension. C’est ainsi qu’a été créée la mise à la disposition – dite MALD. Ceux qui n’y ont pas recours peuvent bénéficier du PAR, le plan d’accompagnement des restructurations.

Enfin, il importe que le marché ne soit pas aux mains d’oligopoles, que la concurrence soit préservée et que l’accès des PME aux marchés publics – y compris au plan local – soit garanti.

Nous avons également mis en place une mission sur les partenariats public-privé, dont vous avez d’ailleurs rencontré le responsable, Philippe Genoux. L’objectif était de capitaliser au sein du ministère certaines compétences et certains savoir-faire rares, venant en partie du privé, et de développer un outil d’analyse économique robuste – d’ailleurs reconnu comme tel par un audit du cabinet Ernst & Young.

De même, un pôle « externalisations » a été constitué au sein de la mission achats, de façon à acquérir une bonne connaissance des marchés, des prestations des entreprises et des coûts.

Dans le cadre de la « manœuvre RH », nous étudions également le devenir des personnels en cas d’externalisation.

En résumé, la procédure est la suivante : évaluation préalable, décision du ministre, consultation du marché, puis nouvelle décision du ministre sur la base des offres réelles.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Vous avez évoqué les différents échelons de responsabilité concernés par la prise de décision. Que se passe-t-il en cas de divergences de vue, et quel est l’élément déterminant pris en compte pour trancher ? Sur quels critères proposez-vous d’externaliser ou non une activité ? Comment sont respectivement pris en compte la nécessité de réaliser des économies, le maintien de la souveraineté, la sécurité des missions ? De quels outils comptables disposez-vous pour évaluer les critères économiques ?

M. Gérard Gibot. Les externalisations sont décidées selon quatre critères, le premier étant qu’elles ne doivent pas affecter les opérations, ni directement, ni indirectement. La question est posée dès le début de la procédure. Ainsi, lors de l’étude préalable sur une éventuelle externalisation de la fonction habillement – confection, distribution et stockage des effets –, nous sommes rapidement arrivés à la conclusion que les effets de combat à haute criticité opérationnelle ne devaient pas être concernés. En revanche, s’agissant des autres effets – notamment les autres effets de combat –, un débat a eu lieu sur l’opportunité de réaliser une externalisation. L’analyse de risques a finalement montré qu’elle n’entraînerait pas de difficulté particulière.

Ainsi, une externalisation de la fonction Habillement serait envisageable, à condition toutefois de continuer à maîtriser la conception et l’accès aux données, de façon à pouvoir faire à nouveau jouer la concurrence lors du renouvellement du contrat.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. En ce qui concerne le stockage, l’exigence de réversibilité a-t-elle été prise en compte ? En effet, si les deux établissements de Châteaudun et Portes-lès-Valence venaient à être fermés, une remise en cause de l’externalisation impliquerait de repartir de zéro.

M. Gérard Gibot. L’établissement de Chateaudun ne relève pas du service du commissariat des armées (SCA) et n’est pas concerné par l’externalisation de l’habillement. Pour celui de Porte-lès-Valence, aucune décision de fermeture n’est prise à ce jour. Le schéma directeur des établissements logistiques du SCA a pris en compte un certain nombre de fermetures, comme Evreux (2011) ou Bergerac (2014). Mais des établissements de stockage sont supprimés. Ils sont supprimés dans le cadre d’un processus non d’externalisation, mais de rationalisation. Nous avons en effet pris conscience qu’il était inutile de conserver des stocks aussi pléthoriques et qu’il était même possible de les réduire fortement. La question est désormais de savoir s’il faut conserver des stocks à terme ou de les confier à un prestataire : elle sera abordée dans le cadre du dialogue compétitif. Nous rechercherons la solution la plus sûre au plan opérationnel et la plus économique. Les effets de combat à haute criticité opérationnelle continueront en tout état de cause de relever de stocks dans des établissements du ministère.

En ce qui concerne la restauration, certains se sont demandés ce qui se passerait en cas de grève, par exemple. Mais aujourd’hui, la quasi-totalité des denrées alimentaires sont achetées via le dispositif appelé « Vivres en métropole », conduit par l’Économat des armées et reposant sur un contrat de sous-traitance logistique avec Géodis, filiale de la SNCF. Ainsi, même si la restauration est assurée en régie, une grève affectant le prestataire logistique pourrait compromettre l’approvisionnement des denrées. Et les exemples de ce type sont nombreux, car le ministère de la Défense ne vit pas complètement en circuit fermé. Reste que la question doit être examinée systématiquement en cas d’externalisation.

Une étude est en cours concernant la rationalisation ou l’externalisation de la fonction bureautique et du soutien informatique. La question est de savoir si l’assistance aux utilisateurs et la fourniture de matériel doit être assurée en régie ou confiée à un prestataire privé, comme le font de nombreuses entreprises. Et là encore, il importe de prévoir les situations de tension – par exemple, la nécessité de travailler 24 heures sur 24 pour des raisons opérationnelles. La nécessité de ne pas affecter les opérations explique qu’avant toute décision du ministre, une note conjointe est présentée par l’état-major des armées ou – selon le cas – la direction générale de l’Armement, et le secrétaire général à l’Administration.

Le deuxième critère permettant de juger l’opportunité d’une externalisation est l’intérêt économique. Pour le calculer, nous raisonnons en analysant tous les coûts : coût de la régie, coût de la régie rationalisée, frais de pilotage du contrat et de gestion de la prestation, coût de la prestation externalisée, compensation salariale en cas de mise à disposition de personnel – correspondant à la part du salaire qui n’est pas prise en charge par le prestataire –, coûts de transition, liés par exemple à la mobilité ou au reclassement des personnels… Le coût de l’étude elle-même est également pris en compte, surtout s’il a fallu recourir à des cabinets de conseil.

Par ailleurs, il convient d’évaluer le nombre de personnes mises à la disposition, car il a une influence sur le coût de la prestation externalisée, ainsi que le temps de reclassement du reste du personnel – soit deux ans, soit la durée du contrat, c’est-à-dire trois ou cinq ans.

Nous examinons l’intérêt du personnel pour d’éventuels reclassements, ainsi que la nécessité de financer l’accompagnement de ces reclassements. En effet, les postes concernés par des externalisations s’ajoutent aux 54 000 suppressions d’emplois prévues par rationalisation et ne sont donc pas pris en compte par la « manœuvre RH » telle que définie par la loi de programmation militaire 2009-2014.

Le croisement des différentes hypothèses nous permet de voir quels sont les secteurs dans lesquels une externalisation pourrait s’avérer intéressante, ceux où elle serait inutile, ceux pour lesquels elle représenterait un risque.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lorsque vous analysez une fonction susceptible d’être externalisée, vous appliquez donc systématiquement la méthode que vous venez de décrire : évaluation du coût de la régie, du coût de la régie rationalisée, du coût de l’externalisation selon les différentes hypothèses envisagées – mise à disposition du personnel ou non, par exemple –, etc.

M. Gérard Gibot. Oui, systématiquement.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Qu’en est-il des expériences passées d’externalisation, comme celle qui a concerné les véhicules du ministère de la Défense ? Quel est le retour d’expérience ? Disposez-vous de tableaux de bord permettant de mesurer l’adéquation entre les objectifs assignés et les résultats obtenus ?

Par ailleurs, comment les partenaires sociaux sont-ils associés à la décision d’externaliser ? Formulent-ils un avis en amont ?

Lorsque la décision est prise d’externaliser une fonction, deux hypothèses se présentent. Dans la première, les personnels qui accomplissait la tâche pour le ministère de la Défense demandent à être mis à la disposition de l’entreprise prestataire en application de l’article 43 de la loi du 6 août 2009 relative à la mobilité et aux parcours professionnels dans la fonction publique. L’État est amené à verser la différence entre le salaire que l’entreprise est prête à payer et celui que l’agent percevait auparavant, ce qui peut être d’un coût élevé si les mises à disposition sont nombreuses. Dans l’autre hypothèse, les personnels sont maintenus dans les cadres du ministère de la Défense, qui continue à les payer tout en finançant le cas échéant des mesures de mobilité. Ainsi, dans les deux situations, l’intérêt économique de l’opération pose question. Compte tenu de ces contraintes, quelle est la marge moyenne d’économie générée par une externalisation ?

M. Gérard Gibot. Dans le passé, nous ne disposions pas d’une méthode aussi élaborée qu’aujourd’hui pour effectuer nos calculs : il était donc indispensable de réaliser un retour d’expérience pour savoir si, oui ou non, les économies attendues de ces externalisations ont été au rendez-vous. La direction des Affaires financières s’en est chargée pour ce qui concerne les véhicules de la gamme commerciale, et je tiens à votre disposition les résultats de son étude. Selon elle, l’économie réalisée est de l’ordre de 20 %. Même si une partie de ce bilan s’explique par une réduction de la flotte et une diminution du coût de maintenance, il n’en demeure pas moins conforme aux attentes, d’autant que le service rendu est de qualité : les véhicules sont fiables, les utilisateurs satisfaits et l’impact environnemental a été réduit. Notons que l’étude détaillée du retour d’expérience a été présentée aux organisations syndicales.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Pour les véhicules de la gamme commerciale, il serait intéressant de savoir quelle est la part d’économie imputable à la réduction de la flotte, car elle aurait été la même dans le cas d’un maintien en régie.

M. Gérard Gibot. Nous nous sommes posé la question car, à résultat égal, une rationalisation est toujours préférable à une externalisation. L’externalisation est en effet le seul type de réforme qui est systématiquement l’objet de réactions très négatives de la part du personnel civil comme du personnel militaire.

Cela étant, si les organisations syndicales ont donné un avis négatif sur le décret d’application de la loi d’août 2009 relative aux mises à la disposition, par hostilité à l’égard des externalisations – ce qui ne les a pas empêchés de participer au dialogue social et de faire en sorte que les agents civils du ministère bénéficient du dispositif le mieux adapté à leurs intérêts –, le Conseil supérieur de la fonction militaire a, lui, donné un avis favorable. En effet, la mise à la disposition est perçue, notamment par les militaires sous contrat, comme un moyen de préparer une deuxième carrière. Ainsi, s’agissant de la fonction RHL, 55 personnes – dont deux tiers de militaires – se sont portées volontaires pour une mise à la disposition, et quatre ont demandé à être recrutés directement par le prestataire. Les préoccupations ne sont donc pas tout à fait les mêmes selon la catégorie de personnel.

Grâce à l’outil de « manœuvre RH » mis en place avec la direction des Ressources humaines du ministère et la mission PPP, nous sommes désormais en mesure, en cas d’externalisation, de savoir précisément ce que devient chaque agent. Nous ne disposions pas d’un tel instrument lors de l’externalisation des véhicules de la gamme commerciale, mais en tout état de cause, nous n’avons identifié aucun double poste sur ce projet.

J’en viens à la consultation des partenaires sociaux. Le processus d’externalisation comprend grosso modo cinq étapes. Les deux premières, l’étude amont et l’analyse préliminaire, permettent de vérifier qu’une externalisation n’affecterait pas l’opérationnel et que le marché pourrait répondre aux besoins du ministère. Elles sont également l’occasion de s’assurer de l’opportunité d’engager la troisième étape, la plus coûteuse, celle de l’étude préalable. C’est à ce moment seulement que nous informons le personnel, en précisant bien que nous n’en sommes qu’au stade de l’étude – car les externalisations sont souvent génératrices d’angoisses.

À la fin de l’étude préalable, le dossier est présenté aux organisations syndicales, dont les observations sont portées à la connaissance du ministre avant que celui-ci ne prenne une décision. Dans certains cas, l’évaluation est même corrigée en tenant compte de leurs remarques. C’est ce qui s’est passé lors de l’étude sur l’externalisation de la fonction RHL. Nous avions envisagé un scénario de « civilianisation », c’est-à-dire de remplacement des personnels militaires par des personnels civils. Ces derniers ont en effet un coût moins élevé dans la mesure où ils ne sont pas soumis aux mêmes contraintes d’entraînement. Or non seulement les organisations syndicales ont fait valoir que le statut d’ouvrier d’État ne constituait pas une bonne référence, mais ils ont indiqué d’autres pistes pour accroître la productivité. En revanche, d’autres suggestions, comme celles relatives à la réduction des coûts de denrée, ont pu paraître moins pertinentes.

Cependant, au stade de l’étude préalable, toutes les informations ne sont pas transmises aux partenaires sociaux, car il est nécessaire de respecter une certaine confidentialité lors de la procédure de consultation. Ainsi, tous les éléments de calcul et d’évaluation ne circulent pas au sein du ministère : le pouvoir adjudicateur en a connaissance, de même que la mission PPP, mais pas moi, par exemple. C’est seulement lors de l’évaluation finale, lorsque la consultation est terminée et que l’on connaît les prix définitifs, que les partenaires sociaux peuvent prendre connaissance de l’ensemble du dossier. Un véritable dialogue a lieu à cette occasion, même si, par principe, aucune organisation syndicale n’est favorable aux externalisations.

La prise en compte des mises à disposition et du reclassement du personnel fait partie de l’évaluation. Par exemple, pour la fonction RHL, le prestataire ne prend à sa charge que 60 % du salaire des personnels transférés, et nos calculs tiennent compte de la différence. De même, les coûts de mobilité font partie des données intégrées à notre modèle.

Quant à la question d’éventuelles divergences, elle ne se pose guère. L’important, c’est que toutes conditions soient réunies pour rendre l’externalisation envisageable. S’il y a divergence, c’est qu’elles ne le sont pas vraiment. En tout état de cause, le ministre prend sa décision à partir du dossier qui lui est fourni : il peut donc juger si ces conditions sont respectées.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Travaillez-vous sur de nouvelles pistes, en matière d’externalisation ?

M. Gérard Gibot. On n’a jamais autant parlé d’externalisation, mais depuis que la RGPP a été engagée, seule la restauration a été externalisée sur huit sites, ce qui correspond à 350 postes. Quant à l’externalisation de la base de Creil – 120 postes –, elle n’est pas encore notifiée.

Nous explorons cependant de nouvelles pistes. Nous avons plusieurs projets encore au stade de l’étude, mais ils concernent des secteurs beaucoup plus lourds. On peut citer par exemple le projet ÉRABLE – projet d’étude de la rationalisation de la
bureautique et de sa logistique par externalisation – portant sur la mise à disposition d’ordinateurs et de logiciels ainsi que l’assistance technique aux utilisateurs. Nous avons déjà réalisé des économies en achetant différemment nos ordinateurs dans le cadre de notre réforme des achats, mais il est possible d’aller au-delà ; nous comparons donc les avantages respectifs d’une externalisation et d’une régie rationalisée. L’évaluation préalable devrait être disponible en septembre ou en octobre. Le ministre prendra alors sa décision, et le cas échéant, le marché sera consulté. Entre 300 et 1 000 emplois sont susceptibles d’être concernés.

En matière de restauration, d’hébergement et de loisirs, les travaux effectués dans le cadre de la RGPP ont montré que l’on pouvait économiser 8 000 postes, voire plus. Cependant, le processus d’externalisation est pour l’instant suspendu. En effet, parallèlement aux expérimentations réalisées sur huit sites, nous avons lancé un projet de rationalisation approfondie. Nous estimons en effet qu’en changeant nos méthodes de travail, il serait possible de réduire sensiblement les coûts tout en restant en régie. L’étude devrait être présentée aux organisations syndicales dans environ un mois. À partir de ses résultats et du bilan des expériences d’externalisation, le ministre se prononcera sur la poursuite du processus.

Un autre projet concerne la maintenance des infrastructures, c’est-à-dire toutes les interventions de maintenance sur les bases de défense. Nous pensons qu’il serait possible de recourir davantage à des entreprises locales.

À ce stade, nous n’avons pas d’autres projets dans nos cartons.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Lors d’une mission sur les théâtres d’opérations, menée avec notre regrettée collègue Françoise Olivier-Coupeau, nous avions découvert que certains contingents étrangers avaient externalisé la fourniture d’énergie – c’est-à-dire de groupes électrogènes – en opération. Envisagez-vous une politique similaire ?

M. Gérard Gibot. Nous le faisons déjà, mais le marché a été confié à l’Économat des armées. Cet établissement public de la Défense est de type industriel et commercial : il ne reçoit donc aucune subvention du ministère et fonctionne sur ses propres ressources. Ses clients sont les forces armées. Dans le cadre de l’expérimentation CAPES France – capacité additionnelle par l’externalisation du soutien –, des prestations ont été confiées à l’Économat afin qu’il les assure lui-même ou par l’intermédiaire de sous-traitants : fourniture de courant électrique, restauration, blanchisserie, gestion des déchets, etc. Toutefois, seuls les théâtres stabilisés sont concernés ; dans les autres cas, les armées recourent à leurs propres moyens.

Les expériences menées au Kosovo et au Tchad ont donné de bons résultats, à la fois en termes de qualité de service et de coût. Elles ont également été bien acceptées par les armées. L’avantage est qu’elles permettent d’économiser des ressources militaires utiles, à l’heure où nos soldats sont présents sur de très nombreux théâtres. Nous avons donc demandé à l’Économat des armées de mettre en œuvre un dispositif plus complet, afin notamment de permettre une visibilité anticipée des coûts. Dans ce but, des contrats-cadres seraient passés entre l’établissement et des prestataires extérieurs, le premier étant responsable de l’intégration d’ensemble. De cette façon, une mise en concurrence pourrait être organisée opération par opération entre les prestataires retenus, et l’état-major des armées pourrait connaître les coûts à l’avance.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Avez-vous l’intention de réintégrer en régie des activités qui ont été externalisées ? Nous avons pu constater, avec Françoise Olivier-Coupeau, qu’en Afghanistan, l’armée avait recours à des véhicules de location pour les transports non militaires. Or les loyers pratiqués sont si élevés qu’il suffit d’un an au loueur pour rembourser le prix de son matériel. Dans ces conditions, ne serait-il pas préférable d’acquérir les véhicules ?

M. Gérard Gibot. Je ne suis pas en mesure de vous répondre sur ce point, mais je peux transmettre la question au général Rouzaud.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Je vous remercie.

Audition du 31 mai 2011

À 16 heures 15: Audition, ouverte à la presse, de représentants des organisations syndicales représentatives du personnel civil de la défense :

– MM. Gilles Goulm, secrétaire général, et Serge Guitard, secrétaire général adjoint, de la Fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés ;

– MM. Roland Denis, secrétaire national filière administrative, et Mickaël Pallier, secrétaire national adjoint filière technique, de la Fédération CGC Défense ;

– Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe, et M. Gilles Frostin, président du syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS), de l'UNSA Défense ;

– M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense ;

– M. Luc Scappini, secrétaire général de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l'État ;

– MM. Yannick Malenfant, secrétaire général, et Lucien Bécue, membre du bureau fédéral, de la Fédération nationale des travailleurs de l'État (FNTE)-CGT sur les externalisations dans le domaine de la défense.

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Dans le cadre de nos travaux relatifs aux externalisations dans le domaine de la Défense, nous accueillons des représentants des organisations syndicales représentatives du personnel civil de la Défense : pour la fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés, M. Gilles Goulm, secrétaire général et M. Serge Guitard, secrétaire général adjoint ; pour la fédération CGC Défense, M. Roland Denis, secrétaire national de la filière administrative, et M. Mickaël Pallier, secrétaire national adjoint de la filière technique ; pour l'UNSA Défense, Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe, et M. Gilles Frostin, président du syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS) ; pour la Fédération CFTC Défense, M. Yves Naudin, secrétaire général ; pour la CFDT-fédération des établissements et arsenaux de l'État, M. Luc Scappini, secrétaire général ; pour la fédération nationale des travailleurs de l'État (FNTE)-CGT, M. Yannick Malenfant, secrétaire général, et M. Lucien Bécue, membre du bureau fédéral.

Madame, messieurs, avant de laisser les rapporteurs vous interroger, je vous invite à présenter l’appréciation de vos syndicats respectifs sur le mouvement d’externalisation mené par le ministère de la Défense, la manière dont il est conduit et les modalités d’association des organisations syndicales aux décisions.

M. Gilles Goulm, secrétaire général de la fédération syndicale FO de la Défense, des industries de l’armement et des secteurs assimilés. Force Ouvrière s'est toujours exprimée contre la politique d'externalisation, dans la mesure où celle-ci remet en cause les missions et, par voie de conséquence, les emplois des personnels civils de la Défense. Nous avons dénoncé à maintes reprises les méthodes de l'administration : lorsqu’elle consulte les organisations syndicales, elle ne tient ensuite aucun compte des arguments développés, dès lors qu'ils ne vont pas dans le sens de la volonté d'externaliser à tout prix.

Nous avons pu le constater lors des discussions relatives à l'externalisation de la fonction restauration-hébergement-loisirs (RHL 1) : nous avons démontré les incohérences du dossier, notamment quant à la comparaison des coûts ; néanmoins, M. Alain Juppé, ministre de la Défense, a pris la décision d'externaliser. Alors que les discussions étaient toujours en cours, certains responsables, au ministère ou dans les états-majors, n'hésitaient pas à affirmer que la mesure irait à son terme, quel que soit l'avis des syndicats. Dès lors, les personnels en poste sur les fonctions concernées se sont positionnés sur des emplois vacants, ce qui a entraîné une incapacité à remplir la mission et a rendu, de fait, la mesure d'externalisation inéluctable.

Force Ouvrière réfute l'argument selon lequel l'externalisation serait source d'économies. Sur le projet RHL 1, les études réalisées par la fédération FO ont démontré que les économies envisagées ne seraient pas au rendez-vous. En outre, nous avons pu relever les incohérences du ministère en matière de « civilianisation » des postes – qui, nous en sommes convaincus, est également source d'économies et peut être envisagée en lieu et place de l'externalisation. Alors que nous dénonçons depuis des années le recours à la main-d'œuvre militaire – dont la masse salariale est sensiblement plus élevée que celle des personnels civils – sur les fonctions de soutien, le ministère objecte le « surcoût pensions » des personnels militaires, lequel fausse considérablement la comparaison des coûts.

Vous nous interrogez sur la qualité de service à la suite de l’externalisation. L’évaluation est difficile sans enquêtes auprès des personnels. Certaines mesures d'externalisation ont conduit à une détérioration qui a amené des directions ou états-majors à dénoncer des marchés ou à rappeler des prestataires à l’ordre. Ce fut notamment le cas au détachement Air de Varennes-sur-Allier, où la qualité de la restauration était devenue déplorable. Sans jeter l'opprobre sur le secteur privé, force est de constater que la recherche systématique de profit peut entraîner une baisse de la qualité. Une certaine naïveté au sein du ministère fait considérer les entreprises privées comme des entités attachées à la bonne gestion des deniers publics et à la réalisation des missions confiées, à la limite de la philanthropie et du mécénat…

Il faut également ne pas perdre de vue que l'administration, une fois l'externalisation décidée, n'exerce pas ou peu de contrôle a posteriori sur le service rendu. De plus, il est plus facile pour la société détentrice du marché de s’occuper de qualité quand le ministère prend en charge les travaux et remet aux normes les installations – ce qu’il n’accepte aujourd’hui de faire qu’en cas d'externalisation. C'est vrai notamment dans le domaine de la restauration : des infrastructures ont été remises à neuf avant externalisation, alors que de nombreux cercles et mess ont besoin de travaux, à hauteur de plusieurs millions d'euros – c’est le cas par exemple à la base aérienne d'Istres.

Le décret du 21 septembre 2010 relatif à la mise à la disposition (MALD) qui permet de mettre à la disposition d'entreprises privées les personnels de la Défense, en finançant la différence de rémunération, aurait pu paraître séduisant si le ministère n'avait pas considéré et écrit depuis des années que les personnels civils constituaient un « frein à l'externalisation ». En réalité, cette mesure n'a aucun caractère social : c’est une réponse aux difficultés rencontrées par l'administration pour reclasser les personnels, dans le cadre de l'externalisation, sur des métiers qui n'existent plus en régie.

De plus, contrairement à ce qui est affiché par le ministère, les agents n’ont pas réellement le choix, dès lors que l’alternative est, pour les personnels civils, la mise à la disposition ou la mobilité à plusieurs centaines de kilomètres et, pour les personnels militaires, la MALD ou le non-renouvellement du contrat, donc le chômage. Les difficultés rencontrées actuellement à Creil pour l'externalisation de la quasi-totalité du soutien démontrent les limites de l'exercice ; alors que le marché n'est pas notifié, les agents n'ayant pas opté pour la MALD sont partis dans le cadre des restructurations, ce qui pose d'énormes problèmes dans la réalisation des missions.

Il est difficile de fixer une ligne rouge, une limite à ne pas franchir en matière d'externalisation. Ceux qui tentent de la tracer évoquent souvent le « cœur du métier », notion fluctuante en fonction des sensibilités politiques ou de l'idée que nos interlocuteurs se font de la Défense. Lorsque l'on externalise la totalité du soutien, y compris le gardiennage et les contrôles d'accès à Creil, alors que s'y trouve la direction du Renseignement militaire (DRM), on peut légitimement se demander si les limites n'ont pas déjà été franchies. On peut également se poser des questions sur la sûreté de certains sites quand, alors que les personnels font l'objet de contrôles drastiques, les véhicules des sociétés extérieures, par exemple les engins d'enlèvement des ordures, y accèdent sans aucune difficulté.

Le partenariat public-privé est présenté comme une possibilité pour l’État, notamment à Balard, de renouveler ses infrastructures. Or on en profite pour établir un partenariat complet, incluant la fourniture des fluides, du matériel informatique et du mobilier, le gardiennage, l'entretien d'infrastructures ou encore le nettoyage, ce qui rend le ministère dépendant de la ou des sociétés titulaires du marché. Hélas, un retour d'expérience ne serait possible qu'en fin de contrat et de toute façon, il serait difficile de revenir à un fonctionnement en régie, faute de moyens humains et techniques. Des réserves sur le PPP Balard ont été formulées par les sénateurs Trucy et Boulaud dans leur rapport d'information n° 503.

Même s'il est arrivé que le ministère éprouve des désillusions, nous n'avons pas d'exemple de cas où il ait fait machine arrière. Les projets non encore concrétisés ressurgissent au gré de la composition du cabinet ; et lorsque la décision est prise, le retour en arrière est impossible puisque le potentiel humain et les moyens techniques n'existent plus. Les personnels ont le sentiment que l'externalisation est souvent orchestrée au plus haut niveau : il suffit de ne plus investir, de ne plus recruter sur certaines fonctions, de ne plus former le personnel pour pouvoir expliquer ensuite que l'externalisation de la mission est devenue incontournable.

Enfin, il n'appartient pas à FO de s'exprimer sur la capacité opérationnelle des forces. Nous osons croire que les caciques de l'externalisation à tout crin ont à l'esprit le maintien de cette capacité – même si parfois nous pouvons en douter. Les craintes sont légitimes, notamment pour l'externalisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels aéronautiques.

Nous notons néanmoins que l'externalisation de certaines missions est courante aujourd'hui en opérations extérieures, par exemple pour la restauration. Quant au risque de grève et au droit de retrait, ils sont également évoqués par ceux qui refusent d'accueillir des personnels civils sur les fonctions de soutien. Certaines armées anglo-saxonnes sont revenues sur leurs visions passées du « tout externalisé » et ont un taux de personnels civils plus élevé que celui des armées françaises. La solution est dans le rééquilibrage des effectifs militaires et civils dans les fonctions de soutien ; les personnels civils ont toujours démontré qu'ils étaient attachés à leur mission de soutien des forces et de maintien en condition opérationnelle.

M. David Habib, Président. Afin de permettre ensuite un échange avec les rapporteurs, je demande aux intervenants suivants de s’en tenir pour l’instant à l’objet précis de ma question relative à l’appréciation générale de vos organisations syndicales sur le mouvement d’externalisation.

M. Roland Denis, secrétaire national filière administrative de la Fédération CGC Défense. À cette première question, ma réponse sera très courte. Les organisations syndicales sont peu informées de l’avancement des chantiers d’externalisation au ministère de la Défense. Elles n’ont aucune information pertinente sur leur intérêt économique et sur leur impact en termes d’emplois supprimés ou créés au sein du ministère. Dans ces conditions, Défense CGC s’interroge sur l’intérêt des externalisations.

Mme Marie-Christine Ledieu, secrétaire générale adjointe de l’UNSA Défense. Notre organisation est opposée à la politique dexternalisation engagée depuis une quinzaine d'années au ministère de la Défense. L'UNSA considère qu'il s'agit d'une politique à caractère purement idéologique, qui n'a pas prouvé son efficacité et qui fait fi des intérêts des personnels, dans un contexte rendu déjà particulièrement difficile par la révision générale des politiques publiques – la RGPP.

Malheureusement, les externalisations vont monter en puissance. C'est le soutien, bien sûr, qui est touché. On avait déjà connu les externalisations liées à la suppression du service national et à la disparition des appelés. Ensuite étaient venues celles décidées dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme entre 2003 et 2008. Et voilà maintenant celles qui découlent de la RGPP et de la loi de programmation militaire. Le mouvement s'accélère. 16 000 emplois devraient disparaître, dont 8 000 en RHL, 2 200 pour l'infrastructure, 2 000 pour le MCO, et beaucoup dans l'informatique.

Une chose est sûre : si les personnels touchés par une externalisation pouvaient espérer il y a encore quelques années, avec un peu de chance, une mutation ou une reconversion dans un service du ministère de la Défense pas trop éloigné de leur domicile, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Avec la RGPP et ses nombreuses fermetures d'établissement, les possibilités de reclassement sont devenues très réduites, voire quasi-nulles dans certaines localités.

Tout cela crée un sentiment de précarisation chez les personnels affectés aux missions de soutien, bien conscients que la pérennité de leurs fonctions est menacée. Le stress et l'inquiétude prédominent, les risques psychosociaux sont plus forts que jamais, des suicides ont été déplorés.

Bien sûr, les personnels travaillant dans les services qui vont être externalisés ont la possibilité d'être mis à la disposition du prestataire ayant obtenu le marché d'externalisation, mais il ne peut s’agir que d’un choix résigné : les agents sont attachés à la culture du service public, dans ses missions et dans son mode de fonctionnement ; vous admettrez le bouleversement professionnel que peut représenter leur intégration dans une entreprise privée, fût-elle installée sur un site militaire. Quant à un retour de ces personnels au sein des services du ministère, il sera de plus en plus hypothétique, du fait des réductions d'emplois liées à la RGPP et à la suppression des missions. Les projets d'externalisation auxquels le ministère est attaché, en particulier celui qui concerne le secteur RHL, qui devrait toucher 8 000 personnes, vont donc avoir des conséquences sociales dramatiques.

Cette politique est d'autant plus regrettable que l’on n'en voit pas la justification. La réalité des gains économiques est très difficile à apprécier. Une part importante des externalisations réalisées dans la dernière décennie a été engagée sans connaissance précise des coûts en régie. L'absence de comptabilité analytique aurait d'ailleurs rendu les calculs problématiques. Lorsqu'il y a des gains économiques apparents, en tout cas annoncés comme tels par les autorités du ministère – véhicules de la gamme commerciale, avions de l'école de pilotage de Cognac –, c’est lié pour partie à la réorganisation des prestations. En tout cas, en termes de coûts, les exemples étrangers montrent que les économies réalisées, peu significatives, sont sans commune mesure avec ce qui était attendu.

Si l'on ajoute à cela que l'externalisation entraîne une perte irréversible de savoir-faire et qu'elle ruine chez les personnels concernés le sentiment d'appartenance à notre communauté de Défense, vous comprendrez que nous renouvelions notre attachement à la gestion directe des activités de soutien par les services du ministère.

M. Yves Naudin, secrétaire général de la Fédération CFTC Défense. Je vous prie d’excuser M. Patrick Doupsis, président fédéral, retenu par d’autres obligations.

Aucun des syndicats ici représentés n’a demandé les externalisations. Pour nous, elles constituent l’une des couches du millefeuille indigeste des réformes entreprises au ministère de la Défense. Elles interviennent sur un terrain mouvant, qu’il s’agisse du format des armées ou des bases de défense, toujours pas stabilisées. Les syndicats, heureusement, ont pu freiner un peu le mouvement – il y a eu des boycotts. Nous avons obtenu la mise à l’étude d’une régie rationalisée et « civilianisée » – car le coût du personnel militaire est bien différent de celui du personnel civil. L’état-major des armées n’a pas toujours pratiqué  la concertation avec les représentants du personnel civil ; le secrétaire général pour l’Administration (SGA), M. Christian Piotre, a heureusement fait évoluer la situation à partir de la mi-2009. Au-delà de ces réunions de concertation, nous attendons maintenant avec impatience la comparaison entre l’opération RHL 1, lancée la veille de Noël par M. Juppé, et la régie rationalisée dont on nous présentera l’étude le 21 juin prochain.

M. Luc Scappini, secrétaire général de la CFDT - Fédération des établissements et arsenaux de l’État. Les externalisations constituent l’un des trois piliers de la réforme en cours au ministère de la Défense, les deux autres étant les restructurations et les réorganisations. Cette démarche globale engagée il y a trois ans, qui ne répond à aucune logique, ni de mission, ni opérationnelle, ni industrielle, a des implications pour les personnels civils, pour les personnels militaires et pour les matériels. Nous craignons qu’il en résulte la mise à mal de notre outil de Défense.

S’agissant des externalisations, un document avait été remis aux organisations syndicales le 16 juin 2009. Des « auditeurs RGPP » ont ciblé plus de 15 missions externalisables, parmi lesquelles certaines appartiennent au cœur de métier, telles que le maintien en condition opérationnelle (MCO) aéronautique, le MCO terrestre, ou encore la protection. L’ensemble des organisations syndicales, dès septembre 2009, a demandé une table ronde avec le ministre, M. Hervé Morin, pour faire le point sur les missions de la Défense, l’outil de Défense et les personnels : il était temps, après le lancement de restructurations et de réorganisations, de tout mettre sur la table. Malheureusement, les choses ont continué à être menées tambour battant.

Le véritable objectif était de supprimer des emplois publics : il fallait aller au-delà des 54 000 postes – et pourquoi pas atteindre 75 000… La CFDT est totalement contre cette démarche. Attentifs aux observations formulées par la Cour des comptes à propos de ce qui avait été fait dans le cadre de la stratégie ministérielle de réforme (SMR) de Mme Alliot-Marie en 2003, et dont aucun véritable bilan n’a d’ailleurs été donné aux partenaires sociaux, nous demandons que l’externalisation ne devienne pas un mode de gestion : les incertitudes et les dangers sont trop nombreux.

M. Yannick Malenfant, secrétaire général de la Fédération nationale des travailleurs de l’État (FNTE) – CGT. L’ensemble des organisations syndicales représentatives au ministère de la Défense avait en effet demandé une table ronde sur les externalisations et ne l’a jamais obtenue.

Depuis trois ans, même si, au ministère, on dit ne pas faire de l’externalisation un dogme, nous constatons que c’est bien d’une politique d’externalisation qu’il s’agit, comme le montrent les chiffres qui figurent dans le rapport de la Cour des comptes.

En ce qui concerne l’externalisation de la fonction RHL, certes des réunions ont été organisées, mais la décision a été prise entre Noël et le Jour de l’an sans tenir aucun compte des arguments avancés par les organisations syndicales ! Pour RHL 1, le ministère a dépensé 900 000 euros pour demander à Capgemini de réaliser l’étude puis de mettre en œuvre l’externalisation…

Il faut distinguer deux types d’externalisations. Certaines sont décidées au niveau central – par exemple sur la fonction RHL. D’autres se pratiquent dans les établissements, où le manque de personnel conduit, localement, à recourir à la sous-traitance ; mais sur ce sujet, nous n’avons aucune discussion avec le ministère.

« Externaliser les fabrications qui ne font pas partie du cœur de métier, compte tenu de la baisse des effectifs » : tels sont les mots que je lis dans un document de la direction générale de l’Armement (DGA). C’est bien l’explication : on externalise parce que l’on n’a plus les moyens de faire. Qu’il s’agisse de la SMR de 2003 ou de la RGPP, la démarche est la même.

Prenons l’exemple de l’habillement, fonction qui occupe 1 500 personnes, civils et militaires, et qui fait l’objet d’un appel d’offres. Au lieu du stock actuel de trois ans, l’entreprise propose un stockage d’un an. Les chiffres ne sont donc pas comparables.

Nous avons demandé que les organisations syndicales puissent, elles aussi, solliciter les services d’un cabinet, mais le ministère nous a toujours refusé – alors que, je le répète, il n’hésite pas à débourser 900 000 euros pour une seule expertise.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. D’après vous, organisations syndicales, quelle est la part des externalisations qui résulte de la fin du service national et quelle est celle qui est directement liée à la réduction, à hauteur de 54 000 postes, du format global des forces ?

M. Gilles Goulm – FO. Pour nous, la politique d’externalisation est une résultante de la politique de militarisation des emplois menée depuis des années. Au moment de la professionnalisation des armées en 1996, nous avions déjà dit qu’il fallait arrêter de militariser les emplois de soutien et que cette folie nous conduirait tout droit à l’externalisation, la masse salariale des militaires n’étant pas supportable – celle des personnels civils est inférieure de 30 à 40 %. Mais nous n’avons pas été entendus, et nous ne le sommes toujours pas en dépit des réunions de concertation : on nous donne raison sur le fait qu’il y a trop de personnels militaires, mais au lieu de les remplacer par des personnels civils, on externalise, l’objectif étant de diminuer l’emploi public. Le phénomène a un aspect culturel : certaines armées n’ont pas voulu accueillir des personnels civils sur les emplois libérés par la fin de la conscription.

M. Luc Scappini – CFDT. Bien souvent, l’insuffisance de la ressource est utilisée comme argument pour justifier l’externalisation. En réalité, il s’agit plutôt d’une stratégie : lorsqu’on fait circuler l’information que telle activité va être externalisée, les personnels cherchent des perspectives ailleurs. C’est ce qui s’est passé avec RHL 1 : il est scandaleux d’avoir parlé de volontariat des personnels, la moitié d’entre eux étaient partis.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Ont-ils bénéficié de mesures incitatives ?

M. Luc Scappini – CFDT. Toute la hiérarchie intermédiaire a démoralisé le personnel en annonçant que l’activité serait externalisée. Pendant ce temps, il n’y a eu qu’un semblant de concertation avec les organisations syndicales. On nous a refusé le recours à un cabinet d’expertise indépendant, mais nous avons quand même pu démontrer que les chiffres avancés étaient totalement fantaisistes. Maintenant, on nous dit qu’on ne peut pas revenir en arrière… Mais nous tirons le signal d’alarme : ce ministère court à la catastrophe.

M. Gilles Frostin, président du Syndicat des corps administratifs supérieurs (SCAS) de l’UNSA Défense. La fin de la conscription a entraîné des externalisations dans les métiers qui étaient traditionnellement exercés par les appelés – services de restauration, gardiennage et sécurité des établissements. Nous n’en sommes plus là : les externalisations se sont étendues à des domaines très variés, tels que le MCO et l’informatique. Il s’agit désormais d’une politique globale, menée à l’échelle de l’ensemble du ministère.

M. Yannick Malenfant – FNTE-CGT. La fin de la conscription, décidée en 1996, a produit ses effets au début des années 2000. La montée en puissance des externalisations que nous connaissons actuellement a commencé en 2007. On nous dit que cela permet de faire des économies, mais il faudrait le démontrer : nous constatons que les externalisations augmentent – elles ont porté sur 1,7 milliard en 2008, sans doute nettement plus de 2 milliards les années suivantes – et que dans le même temps, le budget de la Défense augmente…

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les externalisations sont-elles, sans qu’on le dise, la poursuite de la RGPP ? Aux 54 000 emplois supprimés dans le cadre de la révision générale des politiques publiques et du Livre blanc, il a été évoqué à plusieurs reprises la possibilité d’ajouter de nouvelles suppressions par le biais de l’externalisation. Dans le cadre des discussions que vous avez eues avec le ministère, l’utilisation des externalisations pour continuer à réduire les effectifs a-t-elle été évoquée ? Si oui, de quelle manière ? Des chiffres ont-ils été avancés ?

En ce qui concerne la méthodologie des externalisations, le secrétaire général de la Défense nationale nous avait indiqué, lors de son audition dans le cadre d’une autre mission, que pour chaque projet d’externalisation, un dossier réunissant l’ensemble des éléments – données économiques et budgétaires, organisation, impact sur les ressources humaines – était soumis à la concertation, dans la plus grande transparence, la décision n’étant prise qu’au terme de cet exercice. Est-ce comme cela que les choses se passent ?

S’agissant enfin des aspects budgétaires, si l’on veut que les externalisations soient acceptées – ce qui suppose qu’elles soient acceptables – il faut arriver à démontrer la correspondance entre leurs objectifs et leurs résultats : on doit savoir si les économies attendues ont été réalisées. Dans les discussions avec le ministère, avez-vous demandé que ces éléments d’information vous soient communiqués ? Les avez-vous obtenus ? Si oui, qu’en était-il ?

M. Yannick Malenfant – FNTE-CGT. Le SGA, dans un document en date de juin 2009, avait évalué à 16 000 le nombre de suppressions d’emploi dans le cadre des externalisations – même si ce chiffre n’a pas été retenu ensuite.

En ce qui concerne RHL 1, 51 personnes sur les 356 concernées ont accepté la mise à la disposition auprès de sociétés attributaires du marché. Autrement dit – c’est la DRH du ministère qui nous l’indique – on doit encore supprimer 300 postes au sein du ministère. On liquide les personnels, et on externalise le travail…

M. Roland Denis – CGC. Défense CGC a toujours défendu l’idée que le ministère devait respecter la loi, ce que, malheureusement, il ne fait pas puisqu’il n’applique pas le Livre blanc – selon lequel l’opérationnel relève des militaires et le soutien relève des personnels civils. Les militaires à qui on fait exercer des fonctions de soutien coûtent beaucoup plus cher que les personnels civils ; de ce fait, pour faire des économies, on externalise… Revenons plutôt à la loi, en confiant les fonctions de soutien à des personnels civils !

Mme Marie-Christine Ledieu – UNSA. Nous demandons à chaque fois un bilan des opérations d’externalisation, mais nous n’en avons jamais obtenu. Toutes les organisations syndicales demandent sans succès, à chaque réunion, ce retour d’expérience.

M. Gilles Goulm – FO. Les premiers documents qui nous ont été communiqués faisaient bien état de 16 000 suppressions d’emploi liées aux externalisations – en sus des 54 000. Ce chiffre a été démenti par les ministres successifs, à commencer par M. Hervé Morin, mais il a été écrit – et repris sur le site lemonde.fr.

S’agissant des mises à la disposition (MALD), il ne faut pas oublier que c’est l’entreprise elle-même qui décide combien de personnes elle va prendre… Pour RHL 1, il était question dans les premiers projets d’une centaine de personnes – pour 356 emplois supprimés. Finalement, le ministère a bien dû reconnaître devant nous que l’entreprise ne voulait pas reprendre plus de 50 personnes.

Par ailleurs, dans les premiers projets, nous avions constaté que les gains ne dépassaient pas 3 millions d’euros sur cinq ans. Mais ces 3 millions étaient gagés par 4 à 5 millions d’euros hors marché, notamment de prestations exceptionnelles ! Et on a dit au ministre que le ministère faisait 4,5 millions d’euros de gains par an, ce qui était évidemment faux…

Il y a, dans tout cela, beaucoup de malhonnêteté intellectuelle. Certains, au cabinet du ministre, ont décidé dès le départ qu’il fallait externaliser.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lorsqu’une entreprise privée reprend quelqu’un par la voie de la MALD, le ministère paie la différence entre le salaire versé par cette entreprise et la rémunération antérieure. Quant aux personnes que l’entreprise ne reprend pas, le ministère les garde et continue à les payer. Dans ces conditions, on peut se demander quelle est l’économie apportée par l’externalisation. Quelle est votre analyse ? Quelles explications vous donne-t-on ?

M. Gilles Goulm – FO. Une fois que l’entreprise a fixé le nombre d’emplois qu’elle reprend, il n’y a plus qu’à supprimer des emplois – notamment en ne renouvelant pas les contrats des personnels militaires contractuels, ce qui entraîne pour le ministère des surcoûts de dépenses chômage – et à reclasser les personnels civils, parfois à plusieurs centaines de km. Le coût annuel des restructurations pour les personnels civils atteint 130 millions d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Dans cette somme, savez-vous isoler la part qui est liée aux externalisations ?

M. Gilles Goulm – FO. Non.

M. Luc Scappini – CFDT. Je tiens à souligner que la MALD paraît attaquable pour concurrence déloyale.

S’agissant de la concertation sur les projets d’externalisation, je voudrais revenir sur l’exemple de RHL 1. Les organisations syndicales, après avoir fait observer que les chiffres avancés étaient fantaisistes – car on comparait le coût affiché par une entreprise privée qui souhaitait avoir le marché avec celui d’une activité exercée exclusivement par des militaires et des ouvriers de l’État, alors que le ministère a une grande variété de statuts et de contrats à sa disposition –, ont proposé que des rationalisations soient expérimentées. Nous avons été entendus et des sites ont été choisis. Nous imaginions que, si l’expérimentation démontrait que les rationalisations permettaient de faire des économies, il n’y aurait pas externalisation ; mais entre Noël et le Jour de l’an, M. Juppé a signé la décision d’externalisation. Pourtant, très rapidement, des sources d’économies importantes ont été identifiées sur les sites retenus. Cette affaire très douloureuse risque de se reproduire : nous avons vraiment le sentiment que l’externalisation est un choix délibéré.

Les véritables économies ne peuvent se mesurer qu’au bout de huit ou dix ans. En ce qui concerne le projet Balard, il faut être conscient qu’on signe pour trente ans… Regardons ce que font les Anglais : ils reviennent sur le partenariat public-privé, qui leur coûte extrêmement cher.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Pourriez-vous préciser le lien que vous avez fait entre militarisation et externalisations ?

S’agissant de la « ligne rouge » à ne pas dépasser en matière d’externalisations, y a-t-il des points sur lesquels vous souhaitez appeler notre attention, en particulier en ce qui concerne le MCO ?

Y a-t-il des domaines du soutien dans lesquels il vous paraît justifié d’opérer une révision à la baisse, ou de procéder à une externalisation ? On nous a dit par exemple qu’en dépit de la fin du service militaire, les stocks de treillis sont restés les mêmes.

Mme Marie-Christine Ledieu – UNSA. Avant d’externaliser, mieux vaut examiner la possibilité d’une rationalisation en interne.

M. Bernard Cazeneuve sait à quoi a conduit, à Cherbourg, l’externalisation du gardiennage des sous-marins…

M. Yves Naudin. En ce qui concerne la militarisation des fonctions de soutien, des chiffres clairs ont été fournis : quand pour les personnels civils, le temps de travail est de 1 607 heures, le militaire, du fait de son statut, travaille 1 000 heures…

Quant aux domaines justifiant une externalisation, vous ne nous verrez pas en citer beaucoup ! En revanche, je peux vous citer des cas où l’externalisation a été manifestement une erreur. On sait ce qui s’est passé pour le filtrage dans l’îlot Saint-Germain. Mais on peut s’inquiéter que pour le filtrage à l’entrée d’une base aérienne opérationnelle, on veuille encore faire appel à une société privée ! Par ailleurs, nous émettons de sérieux doutes sur la compétitivité, la gestion et le juste prix que proposent les Économats des Armées (EDA). Nous avons demandé au cabinet du ministre de pouvoir avoir une concertation avec cet EPIC sur son rôle et sa place dans cette problématique.

M. Yannick Malenfant – CGT. La CGT ne fait pas de lien entre militarisation et externalisations, qui sont deux sujets bien différents. Nous vivons la militarisation dans le cadre de la réorganisation en bases de défense et de la nouvelle cartographie du ministère : des personnels militaires sont affectés à des postes qui pourraient être occupés par des personnels civils. Les externalisations, par lesquelles on laisse à des entreprises privées des activités dont le ministère a décidé de se décharger, touchent aussi bien les militaires que les civils. On voit les résultats ! À l’Atelier industriel de l’aéronautique – AIA – de Bordeaux, avec l’externalisation des fonctions de gardiennage, il s’est produit la même chose qu’à Cherbourg : le patron est parti, les salariés n’ont pas été payés pendant deux mois, il a fallu que les personnels civils du ministère se mobilisent. Et à l’îlot Saint-Germain, la grande entreprise de gardiennage avec laquelle le ministère a passé le marché employait des travailleurs sans papiers ! De plus, il faut suivre dans le temps les conséquences d’une externalisation : à Creil, par exemple, le changement d’entreprise de nettoyage a obligé à changer toutes les poubelles…

M. Gilles Goulm – FO. Je voudrais revenir sur la militarisation des postes, dans le cadre de la professionnalisation. La France a réussi l’exploit d’avoir une armée professionnelle qui compte quasiment autant de militaires dans le soutien que dans l’opérationnel : il n’y a pas d’autre exemple ! Les fonctions de soutien occupent aujourd’hui 100 000 militaires et 70 000 civils ; il y a une douzaine d’années, on dénombrait 145 000 civils. Les personnels militaires ont été positionnés, dans le cadre de la professionnalisation, sur des fonctions qu’ils ne devraient pas occuper.

Si je lie ce phénomène à l’externalisation, c’est parce qu’aujourd’hui, on justifie l’externalisation par le fait que les militaires coûtent cher. Nous aurions voulu que des postes soient rendus aux personnels civils – sans pour autant réclamer que tout le soutien leur revienne : nous ne nions pas la nécessité que certaines fonctions, notamment de RH, puissent être exercées par des militaires. Quant au fait que le militaire est employé sur son poste 1 000 heures par an, il résulte de la condition militaire elle-même, avec notamment ses temps de formation ou de sport. Les personnels civils, eux, consacrent la totalité de leur temps à leur poste, soit 1 600 heures par an. Cela signifie que le travail effectué par 50 000 militaires pourrait être accompli par 30 000 civils. L’économie serait d’autant plus importante que les salaires ne sont pas les mêmes dans les deux cas.

En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle, je voudrais évoquer les matériels aéronautiques et l’avenir du SIAé. Les industriels sont extrêmement agressifs dans leur entreprise de démolition de l’entretien aéronautique en régie. De graves questions se posent sur le maintien des compétences au sein du SIAé ; il serait nécessaire de recruter des personnels civils, mais le ministère s’y refuse, de même qu’il a fait un dogme du non-recrutement d’ouvriers de l’État.

Nous pourrions, à Force ouvrière, être ouverts à des discussions sur des externalisations si on envisageait de rendre aux personnels civils certaines missions aujourd’hui exercées par des militaires. Puisque tel n’est pas le cas, nous ne discuterons d’aucune mesure d’externalisation.

M. Luc Scappini – CFDT. Après vingt ans de restructurations, je le dis un peu solennellement, nous aurions besoin d’états généraux de la Défense. Il serait temps de déterminer de quel format des armées nous avons besoin, pour quelles missions, avec quel budget. La politique du « On verra en marchant » aboutit aujourd’hui à un « sauve-qui-peut » des personnels civils et militaires ; la « communauté défense » qui rassemble civils et militaires risque de voler en éclats, la concurrence sur le terrain de la reconversion provoquant de très grandes tensions.

Parmi les activités du cœur de métier, je citerai le Service industriel de l’aéronautique – SIAé – ou la DGA dans son ensemble. Y a-t-il des activités externalisables ? Le gardiennage n’est pas une activité du cœur de métier, mais c’est néanmoins une activité sensible… De même, les pompiers du centre d’essais en vol (CEV) d’Istres, à qui on dit aujourd’hui que leur activité va être externalisée, ont une mission sensible. La gestion de la base de Creil a été attribuée à un consortium associant DCNS et Veolia : DCN, entreprise publique, avait lancé la notion de « cœur de métier », reprise ensuite par Mme Alliot-Marie ; aujourd’hui, DCNS, entreprise privée intéressée par le profit, se positionne sur une activité que la Défense abandonne…

Enfin, je voudrais appeler votre attention sur l’action de l’Association des entreprises partenaires de la Défense, dont le comité d’honneur compte notamment Claude Ascensi, général de corps d’armée, et Jean-Michel Palagos, contrôleur général des armées. Elle joue en fait un rôle d’interface entre le ministère de la Défense et le secteur privé et organise des conférences-débats qui posent vraiment question.

Mme Marie-Christine Ledieu – UNSA. Cette association a en effet quelque chose d’étrange…

Je voudrais insister sur la perte de savoir-faire que risquent d’entraîner les externalisations. Le jour où les entreprises privées ne trouveront plus rentable de s’occuper du MCO, comment se fera l’entretien ? Le savoir-faire aura été perdu.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur.  À la suite de ce qui a été dit au cours de cette audition, je suggère à la Cour des comptes d’inscrire au programme de ses travaux un audit sur l’Économat des armées.

M. David Habib, Président. Merci à tous.

Audition du 31 mai 2011

À 17 heures 45 :Audition, ouverte à la presse, du général Éric Rouzaud, sous-chef soutien à l’état-major des armées, accompagné du général Emmanuel Legendre

M. David Habib, Président. Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation. Nous allons parler, avec nos deux rapporteurs, M. Louis Giscard d’Estaing et M. Bernard Cazeneuve, de l’externalisation de certains services des armées. La MEC associe des députés membres de différentes commissions, notamment ici de celles des finances et de la défense. Bien que de sensibilités politiques différentes, ils cherchent toujours à aboutir à des préconisations consensuelles

Nous bénéficions, dans notre mission, du concours de la Cour des comptes, dont je salue ici la représentante, Mme Françoise Saliou, conseiller maître.

M. le général Éric Rouzaud. La première de nos préoccupations concerne le contrat opérationnel. Je viens moi-même de ce secteur, et non de celui du soutien.

C’est le souci de contrat opérationnel qui conduit à réaliser des adaptations capacitaires, et c’est un des axes forts de la réforme en cours. Un autre axe fort est celui de la réduction des coûts de structure et de soutien : pour cela, nous cherchons à optimiser la productivité des armées, mais toujours au service du combattant.

L’optimisation dépend de plusieurs leviers : la densification des implantations, qui s’appuie en particulier sur le concept de base de défense et sur sa mise en œuvre ; la mutualisation des moyens et la rationalisation des services. L’ensemble vise, à terme, à réaliser des économies, particulièrement dans le domaine des effectifs, que l’on doit réduire d’un peu plus de 54 000 personnes.

Dans la conduite de cette réforme, nous sommes en permanence guidés par le souci de sa soutenabilité, opérationnelle, technique et sociale. Sociale car les personnels concernés sont nombreux et aussi bien civils que militaires.

L’externalisation ne représente jamais un but en soi. Elle peut servir de complément, en compensant une carence capacitaire, totale ou partielle, comme nous l’avons vu en matière de transport où, par exemple, nous manquions d’avions – j’espère que nous pourrons en disposer conformément aux prévisions. Elle peut aussi servir à la rationalisation de certaines fonctions ou sous-fonctions, dans lesquelles nous pouvons gagner en efficacité par une meilleure ingénierie. Il ne faut pas alors hésiter à aller plus loin, sous réserve du respect de certains critères.

L’externalisation d’ailleurs n’a pas commencé avec la révision générale des politiques publiques (RGPP) ou la parution du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. Elle était déjà engagée dans divers domaines, soit pour la totalité d’une prestation de services, soit par l’établissement de partenariats avec des prestataires extérieurs.

La ligne rouge à ne pas dépasser dans la politique d’externalisation est tracée par l’indispensable maintien de la capacité des armées à honorer leur contrat et à s’adapter aux menaces.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Nous essayons de clarifier le processus de décision relatif aux mesures d’externalisation. Comment chemine-t-il au sein du ministère de la Défense ? Comment sont pris en compte les deux critères que vous avez mentionnés, le comblement d’une carence et la rationalisation d’une activité ? Quels rôles respectifs jouent en la matière l’état-major des armées (EMA), le secrétariat général pour l’administration (SGA), la cellule des partenariats public-privé (PPP) et, éventuellement, le cabinet du ministre ?

On parle d’une réduction du format des armées de 54 000 ou 55 000 personnes. Les 16 000 postes évoqués par ailleurs doivent-ils résulter d’externalisations en plus de cette diminution ou en font-ils partie ?

M. le général Éric Rouzaud. Le processus d’externalisation commence par une initialisation : pourquoi l’envisage-t-on, qui en est l’initiateur ? L’idée qui fonde la démarche peut provenir de bien des instances : de l’EMA, avec ses différents experts et sa connaissance du marché, du marché lui-même, qui nous envoie directement des offres de services que nous examinons, enfin du cabinet du ministre ou du ministre.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Pouvez-vous nous citer des exemples concrets de ces différents schémas, que ce soit dans le domaine des prestations de restauration-hébergement-loisirs (RHL), dans celui de l’habillement ou dans celui du maintien en condition opérationnelle (MCO) ?

M. le général Éric Rouzaud. Pour ce qui est des décisions concernant le MCO, il y a eu un partage entre le secteur industriel et les différents états-majors dont l’approche était conjointe. Le MCO fait souvent appel au partenariat, formule qui permet de conserver des capacités techniques en régie et, ainsi, soit de participer aux opérations, soit de garder une compétence indispensable et un esprit critique. En effet, nous ne souhaitons pas devenir prisonniers des industriels.

L’initiative peut venir aussi du ministre, de son cabinet ou de contrôleurs internes du ministère de la Défense, comme cela s’est produit dans le cadre de la RGPP pour les projets d’externalisation en matière de restauration, hôtellerie, loisirs – RHL – ou dans le domaine de l’habillement.

Une fois le projet lancé, on s’assure d’abord qu’il n’aura pas d’impact négatif sur plusieurs éléments, dont le premier est la capacité opérationnelle des armées.

Puis les différents acteurs entrent en action. L’EMA et le SGA portent systématiquement le projet de concert. La mission PPP procède à une première évaluation économique et sociale de celui-ci. La mission achat participe également, en raison de sa connaissance du marché et des incidences éventuelles sur les entreprises privées, spécialement les PME – nous essayons en effet d’éviter de pénaliser celles-ci.

La direction des Ressources humaines du ministère de la Défense (DRHMD) intervient aussi : en amont, pour évaluer les conséquences sur la population concernée et, plus tard, dans l’accompagnement du processus auprès des personnes impliquées.

Tous ces acteurs travaillent ensemble afin de franchir les différentes étapes de l’opération : l’évaluation préalable ; la décision de lancer la procédure de contractualisation ; l’élaboration de l’évaluation définitive sur la base de l’offre présentée par le prestataire pressenti ; puis, au vu de cette évaluation et après une information des organisations syndicales, la décision est prise de choisir, ou non, l’externalisation.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Dans certains cas, a-t-il été décidé de ne pas donner suite à un processus d’externalisation ?

M. le général Emmanuel Legendre. Dans le cadre de la RGPP, la mise en œuvre de nos projets est encore récente. Le projet RHL est notifié depuis janvier, le projet habillement en cours de processus contractuel. Les autres sont encore en phase d’étude préalable. À ce jour, aucun n’a donc été suspendu sur demande du ministre. En revanche, les organisations syndicales ont souhaité que, parallèlement à toute étude préalable sur un projet d’externalisation, soit conduite une étude sur la mise en place d’une régie rationalisée et optimisée – nous le faisons dans le cadre des projets RHL et habillement –, l’objectif consistant à mesurer l’écart de gain entre les deux systèmes pour permettre au décideur de choisir ou non d’engager l’externalisation.

Cette comparaison incite les armées, du fait de « la menace » de l’externalisation, à œuvrer dans le sens de la mise en place de régies véritablement optimisées, et ce en relation avec le personnel des sites au niveau local et notamment le personnel civil. En effet, le statut du personnel civil étant moins flexible que celui du personnel militaire – nous l’avons vu en matière de restauration sur plusieurs sites –, le ministre nous a demandé de procéder à des études pour comparer les gains potentiels entre les deux modèles. À partir des leçons que nous en tirerons, des orientations pourront être arrêtées sur un périmètre plus vaste.

M. le général Éric Rouzaud. Dans le domaine de la restauration, nous visions une première réduction des effectifs d’environ 2 000 personnes, mais le ministre a décidé de suspendre le processus pour que soit étudiée l’option régie.

Afin de faciliter le processus décisionnel, des notes conjointes de l’EMA et du SGA exposent au ministre les avantages et les inconvénients, pour chaque projet, des différentes solutions.

Enfin, la perspective globale des restructurations est bien une réduction des effectifs de 54 000, tandis que l’externalisation est fonction des opportunités qu’elle offre. Le nombre de 16 000, évoqué à une certaine époque, a été démenti par le ministère il y a environ deux ans et demi.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. L’état-major des armées a-t-il une idée précise du volume total d’économies réalisées par les externalisations déjà lancées ? Disposez-vous d’objectifs et de résultats chiffrés ? Possédez-vous, à ce titre, un tableau de chaque opération ?

M. le général Éric Rouzaud. Il est difficile à ce stade de mesurer les économies réalisées car nous ne disposons pas d’outils de comptabilité analytique. Pour autant, il a été procédé à des évaluations. Nous savons aujourd’hui combien coûtent les prestations sur quelques projets déjà menés à terme, tels que l’externalisation du soutien des chars Leclerc en entraînement, ou celle de la formation aux hélicoptères à Dax ; nous savons combien nous avons gagné et nous vous communiquerons les chiffres précis.

M. le général Emmanuel Legendre. Les économies ne se présentent pas de façon générique. Elles peuvent paraître peu élevées dans des domaines de haute complexité. En revanche, pour des projets plus classiques, que la Cour des comptes qualifie de sous-traitance, les écarts deviennent significatifs.

Dans le domaine du soutien commun, qui concerne la restauration et l’habillement, les gains, mesurés par les études préalables, se situent entre 18 et 20 %. S’agissant du maintien en condition opérationnelle (MCO), les gains atteignent environ 20 %. Nous pourrons vous fournir un tableau comparatif des gains prévus et des gains réalisés.

M. Bernard Cazeneuve. Dans la mesure où les études préalables permettent, pour chaque opération d’externalisation, de définir des objectifs d’économies à atteindre et de préconiser une certaine organisation dans ce but, il serait intéressant d’examiner les éventuels décalages entre ceux-ci et les résultats obtenus.

M. le général Éric Rouzaud. Les externalisations conduites selon la méthode que j’ai exposée sont trop récentes pour confronter de manière pertinente des résultats économiques aux évaluations initiales, qu’il s’agisse de RHL, commencée en janvier sur un périmètre réduit, ou de l’habillement encore en phase contractuelle. Il nous faudra attendre au moins un exercice budgétaire avant de pouvoir procéder à de telles comparaisons. En outre, notre processus décisionnel a évolué. Il ne s’appliquait pas de la même façon au domaine du MCO qui a déjà fait l’objet de partenariats public-privé.

De plus, les résultats positifs ne sont pas seulement financiers : nous pouvons aussi obtenir, par l’externalisation, des prestations adaptées ou de meilleure qualité, tout en maintenant la disponibilité du service.

M. David Habib, Président. La MEC exercera son droit de suite et continuera d’interroger le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur La méthodologie des externalisations est-elle totalement centralisée ou laisse-t-elle une place aux initiatives sur les sites de défense eux-mêmes sans qu’il soit besoin d’une approbation au niveau national ?

M. le général Éric Rouzaud. Le système que nous mettons en place vise justement à responsabiliser les acteurs locaux et à leur permettre de lancer un certain nombre de processus et d’initiatives. Mais, en matière d’externalisation, on ne saurait s’affranchir d’un contrôle de l’administration centrale, ne serait-ce qu’en raison des conséquences de l’opération sur les personnels.

Par ailleurs, une externalisation peut engendrer localement des économies qu’on ne retrouve pas en l’étendant à une échelle plus vaste.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le décret du 21 septembre 2010 permet à l’administration du ministère de la Défense, en cas d’externalisation, de mettre une partie de ses personnels à la disposition des entreprises prestataires en payant la différence de salaire entre ce que verse l’entreprise et ce que touchait auparavant l’agent public. Mais l’entreprise n’est pas tenue de récupérer la totalité des salariés du ministère de la Défense autrefois affectés à cette tâche : les autres restent donc employés par ce dernier. Où se trouve alors l’économie de masse salariale ?

M. le général Éric Rouzaud. Le calcul économique prend en compte chaque cas. La mesure du coût de l’externalisation tient donc compte de la situation que vous venez d’évoquer. Il faut en effet distinguer le coût récurrent, qui permet d’apprécier l’économie réalisée à terme, et le coût de transition.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Comment se fait-il que des arbitrages aient eu lieu en faveur de militaires pour exercer certaines fonctions de soutien alors qu’elles paraissaient plutôt de nature à devoir être confiées, et peut-être à moindre coût, à des civils ? Il s’agit d’une question assez sensible pour les catégories concernées.

L’externalisation de certains services peut soulever des questions de sécurité. Nous avons connu, à Cherbourg et à l’îlot Saint-Germain, des cas de sociétés de gardiennage qui se sont révélées déficientes, notamment en ne rémunérant pas leurs personnels.

Avec notre regrettée collègue Françoise Olivier-Coupeau, nous avions remarqué qu’en Afghanistan, les véhicules blindés de transport de militaires étaient loués à des entreprises locales, alors que leur achat aurait coûté moins cher. Ne serait-il pas plus logique, dans ce genre de situation, d’internaliser les prestations, c’est-à-dire d’acquérir définitivement des véhicules pouvant ensuite participer à d’autres opérations ?

M. le général Éric Rouzaud. La question de l’équilibre entre personnels militaires et personnels civils est particulièrement sensible, notamment pour la constitution des groupements de soutien dans les bases de défense. Nous sommes partis de l’existant et nous avons fait évoluer le système peu à peu. Ce sujet a été discuté avec les organisations syndicales. À partir de la situation initiale nous avons, chaque année, augmenté le nombre de postes pour le personnel civil. À titre indicatif cela a représenté de l’ordre de 200 postes sur neuf bases de défense durant la première année et un nombre comparable au cours de la deuxième. Notre limite touche au maintien de la capacité opérationnelle sur les théâtres d’opérations : les fonctions de soutien y sont aussi exercées et c’est par du personnel du groupement de soutien des bases de défense. Pour cela il nous faut des militaires. Cela représente un socle minimal pour l’ensemble de la chaîne de soutien par les bases de défense.

Un ratio de 60 % de personnels civils et de 40 % de personnels militaires avait été évoqué dans le soutien par les bases de défense. Nous nous y sommes toujours opposés. D’abord, parce que le danger d’un ratio est de monter deux populations l’une contre l’autre dans une phase de diminution des effectifs. Ensuite, parce que nos études ont montré qu’on ne pourrait atteindre un tel objectif : quand tous les processus seront achevés, 25 000 personnes – contre 30 000 actuellement – devraient participer à la fonction de soutien sur les bases de défense ; or nous estimons que 14 000 militaires sont nécessaires à l’exercice de cette fonction.

L’ensemble des bases de défense a été mis en place au 1er janvier de cette année. Une des évolutions consiste à confier à des personnels civils des postes actuellement tenus par des militaires, avec la limite que je viens d’indiquer. On est donc dans une phase d’augmentation du nombre des personnels civils. Les personnels militaires sont certes plus faciles à muter, mais, eux aussi, ont des familles, on ne peut donc les déplacer sans arrêt. Il n’existe pas, dans notre dispositif, d’opposition entre civils et militaires, chacun disposant de ses qualités et de ses compétences propres. L’équilibre est cependant difficile à trouver, surtout dans la phase actuelle de réduction des effectifs. Les différents acteurs ont parfois du mal à comprendre qu’avec une réduction de 54 000 postes, il n’y aura pas de place pour tout le monde.

Cependant chaque cas individuel est pris en compte. Le processus engagé exige de mettre en place des formations professionnelles et des adaptations de carrières. Par ailleurs, un accompagnement est proposé aux personnels que nous ne pourrons pas garder. Cette démarche qui s’appuie sur le dispositif du « PAR » n’est évidemment pas gratuite. Dans le coût sont aussi à prendre en compte les éventuelles externalisations lorsqu’elles s’accompagneraient d’un nombre significatif de réduction d’effectifs. Les projets concrétisés à ce stade n’ont pas posé de problème (RHL 1). Mais pour des projets de plus grande ampleur la question de la soutenabilité financière est posée. Au-delà de la réduction prévue des 54 000 postes, nous ne disposons pas de marges de manœuvre.

La question de la qualité des prestataires et celle de la réversibilité du processus sont importantes. On ne peut s’engager dans l’externalisation sans garantie sur le service. Mais la réversibilité me paraît illusoire. On peut en revanche tabler sur la « transférabilité ». Pour cela, il faut éviter les situations de monopole et garder la possibilité de basculer un marché d’un prestataire à un autre, comme nous l’avons déjà fait dans le domaine de la protection : une société chargée du gardiennage de l’îlot Saint-Germain, mais qui n’était pas fiable, a été remplacée. Cet échec nous a fait progresser dans la maîtrise du processus d’externalisation : échaudé deux fois, le ministère a acquis une certaine expérience. Cela montre la nécessité de demeurer très prudents et de ne pas privilégier forcément l’entreprise la moins disante.

Quant aux véhicules blindés en soutien en Afghanistan, ils étaient effectivement régis par un contrat de location économiquement insatisfaisant. Nous avons, depuis lors, changé de méthode et acheté nos propres véhicules, de l’ordre de 80 000 euros chacun.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Afin de faciliter la solution du problème posé par la répartition entre personnels civils et personnels militaires dans les armées, le rééquilibrage des effectifs entre les fonctions de soutien et les fonctions opérationnelles doit bien sûr s’effectuer dans de bonnes conditions. Et pour cela, il faut des structures de soutien en nombre suffisant. Or, quelle peut être la compatibilité entre la réflexion en cours sur une réduction du nombre des bases de défense – jusqu’à quel chiffre d’ailleurs ? – et le rééquilibrage entre les catégories de personnels ? La diminution du nombre de bases réduit en effet les opportunités offertes à des civils, dont vous-même avez reconnu qu’ils étaient moins mobiles que les militaires.

M. le général Éric Rouzaud. L’avantage du système des bases de défense tient à ce qu’on retrouve des métiers identiques sur l’ensemble du territoire national et même sur certaines bases à l’étranger. Ce qui nous permet de proposer aux personnels civils une sorte de « contrat de progrès » dans les métiers qu’ils exercent et d’organiser leur mobilité. Cette opportunité leur permet de s’inscrire dans un parcours professionnel. Bien entendu, tout cela nécessite certaines adaptations, qui sont actuellement étudiées par le ministère.

Je le répète, le soutien ne constitue pas une fin en soi : il est au service des missions des armées et doit être optimisé, sous certaines réserves bien entendu, notamment de soutenabilité sociale.

Le nombre de bases de défense compte moins que l’optimisation des processus, grâce notamment à la simplification et à la dématérialisation des procédures. Nous disposerons ainsi d’un certain nombre de « soutenants » par « soutenu » et parviendrons à un ratio optimal, qui n’est pas encore connu aujourd’hui. La réduction éventuelle du nombre de bases ne devait avoir qu’un effet très limité sur le nombre de « soutenants » ; le gain ne se ferait qu’en termes d’implantations et d’infrastructures.

M. Louis Giscard d’Estaing. Et de cessions immobilières ?

M. le général Éric Rouzaud. Évidemment, nous espérons que les cessions immobilières nous rapporterons de l’argent.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Si l’on réalise des économies d’infrastructures supplémentaires, que fera-t-on des personnels civils déjà redéployés une première fois au titre de la mise en place des bases de défense ? Certains sont déjà « poly-restructurés ». Cela ne contribuera pas à apaiser le climat social.

M. le général Éric Rouzaud. Nous comptons aujourd’hui soixante bases de défense, ce qui est déjà inférieur à la prévision initiale. La réforme doit maintenant se stabiliser pendant quelques années. Il ne faut donc pas, à mon sens, décider, dans un avenir proche, de diminuer le nombre de bases, même s’il n’est pas intangible à un horizon lointain. Pour le moment une telle diminution ne serait tenable ni sur le plan technique ni sur le plan social ni même peut-être sur le plan opérationnel. Le système a certes vocation à évoluer à terme, mais pas durant les cinq prochaines années. D’ici là, nous pourrons imaginer d’autres dispositifs d’accompagnement et mesurer la soutenabilité d’une nouvelle évolution de l’ensemble du système des bases de défense.

M. David Habib, Président. Messieurs, nous vous remercions.

Audition du 31 mai 2011

À 18 heures 45 : Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariats (MAPPP) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous accueillons maintenant M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariats (MAPPP) du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nos deux rapporteurs sont M. Louis Giscard d’Estaing et M. Bernard Cazeneuve, le premier, membre de la majorité, appartenant à la commission des Finances, le second, membre de l’opposition, appartenant lui à celle de la Défense.

Nous bénéficions, dans notre mission, du concours de la Cour des Comptes, dont je salue ici la représentante, Mme Françoise Saliou, conseiller maître.

Dans son édition de cet après-midi, le journal Le Monde consacre une pleine page au site de Balard. Au-delà de cet important chantier, monsieur le directeur, nous aimerions recueillir votre point de vue concernant des externalisations dans le secteur de la défense.

M. Michel Scialom, directeur de projet du secteur Défense de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariats (MAPPP) du ministère de l'Économie, des finances et de l'industrie. En la rebaptisant « mission d’appui aux partenariats public-privé », un prochain décret fera correspondre l’intitulé de notre mission à son acronyme et la transformera en service à compétence nationale rattaché à la direction générale du Trésor, alors que nous étions jusqu’à présent rattachés au ministre de l’Économie.

La MAPPP est un organisme expert chargé de rendre des avis sur les évaluations préalables qui lui sont soumises. Cet avis est obligatoire s’agissant des contrats de partenariat passés par l’État ou par les établissements publics nationaux, facultatif s’agissant des contrats des partenariats passés par les collectivités territoriales. Même s’il ne s’agit pas d’un avis conforme mais d’une étape nécessaire dans la procédure, l’expérience montre que l’on arrive toujours à une convergence : si les évaluations préalables ne nous conviennent pas, nous obtenons des modifications de la part des cabinets de conseil qui en ont la charge pour le compte du porteur public du projet.

Les externalisations ne sont pas de notre ressort à proprement parler puisque notre domaine de compétence concerne essentiellement les contrats de partenariat. Une externalisation prend la forme d’un marché public soumis au code du même nom. Généralement, elle ne présente pas le caractère global d’un contrat de partenariat, à savoir la réalisation d’un investissement dédié pour la fourniture de prestations de services et l’apport d’un financement associé par le partenaire privé.

Par ailleurs, la procédure de contrat de partenariat est très fortement encadrée par l’ordonnance de juin 2004 et différents décrets subséquents.

Même si le code des marchés publics prévoit des formes de contrat global, tel le marché de conception-réalisation, le caractère de globalité restait jusqu’à présent spécifique aux contrats de partenariat. Nous n’avons donc pas eu à traiter des marchés d’externalisation, notamment dans le domaine de la défense.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Il n’en reste pas moins, comme vous l’avez relevé, qu’il existe des recoupements entre les externalisations et les sujets relevant de la compétence de la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat. Nous souhaiterions savoir sur quels partenariats vous travaillez dans le domaine de la défense. Quels critères prenez-vous en compte ? L’investissement en est un, mais les prestations annexes, qui, elles, sont directement liées à notre sujet, peuvent en être un autre.

M. Michel Scialom. Deux organismes experts ont coexisté jusqu’à la fin de 2008 : le premier, au sein du ministère de la Défense, rendait un avis sur des projets de contrats de partenariat étudiés la plupart du temps en interne – le ministère avait des ressources suffisantes pour le faire – ; le second, la MAPPP, traitait de tous les autres programmes partenariaux de l’État et des contrats de partenariat des collectivités locales. Ces dernières sous-traitent généralement l’évaluation préalable à des cabinets : bureaux d’études techniques, cabinets spécialisés dans les montages financiers et cabinets d’avocats.

Il faut le reconnaître : l’organisme expert du ministère de la défense, présidé par le contrôleur général des armées Marc Gatin, était saisi de peu de projets. C’est sans doute la raison qui a conduit le ministère de la Défense à considérer en 2008 qu’il était plus efficace de passer par la MAPPP : on ne peut en effet conserver la même expertise lorsque l’on étudie un ou deux projets par an que lorsque l’on en voit passer trente ou quarante.

C’est donc à partir du début de 2009 que la MAPPP a été amenée à donner un avis sur des contrats de partenariat relevant du ministère de la Défense : le contrat relatif aux BSAH – bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers –, dont l’évaluation préalable avait été menée par le ministère ; le projet Balard, piloté par une structure dédiée, la DRESD – délégation pour le regroupement des états-majors et des services centraux de la Défense –, placée directement auprès du ministre, et dont l’évaluation préalable a été menée par la société d’audit Pricewaterhouse Coopers et, pour les aspects juridiques, le cabinet Landwell. À ma connaissance, ce sont les deux seuls projets sur lesquels la MAPPP s’est prononcée dans le domaine de la défense. Je ne crois pas que nous ayons été saisis du projet de navires rouliers.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Ni du projet de cession d’usufruit des satellites de communications militaires ?

M. Michel Scialom. Nous ne sommes pas saisis en amont, mais seulement lorsqu’il existe une évaluation préalable en bonne et due forme. Au ministère de la Défense, la procédure est très formalisée. Après une pré-étude de faisabilité, différentes autorités se prononcent avant que ne soit lancée l’évaluation préalable. Tant que la décision de passer un contrat de partenariat n’est pas prise, rien n’oblige le ministère de la Défense à nous saisir.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Comme vous l’avez indiqué, c’est la DRESD, rattachée directement au cabinet du ministre, qui a piloté l’opération de Balard. La MAPPP a-t-elle eu à connaître du travail de la DRESD ? Le cas échéant, dans quelles conditions ? Quel regard portez-vous sur ce partenariat dont l’équation, selon le ministère de la Défense, est parfaitement maîtrisée et devrait constituer une bonne opération pour l’État ? Le dispositif comprend un investissement privé de 650 à 700 millions d’euros, pour un loyer de 100 à 150 millions d’euros payé par le ministère de la Défense pendant 27 ans pour la location des bâtiments et les services associés à leur fonctionnement, soit une charge totale comprise entre 2,7 et 4 milliards d’euros.

Étant entendu qu’il faut bien distinguer ce loyer d’un loyer budgétaire – lequel est à la charge du ministère mais pas à celle du budget de l’État –, jugez-vous également qu’il s’agit d’une bonne opération pour le ministère des finances et pour l’État ?

M. Michel Scialom. Nous avons eu connaissance du projet Balard très en amont puisqu’un de mes collègues a donné des conseils lors de l’élaboration du rapport d’évaluation préalable. Après la remise de ce rapport à la fin de 2008, la MAPPP a émis un avis favorable au début de 2009. Il est rare que nous soyons associés à la suite de la procédure, même si les textes en donnent la possibilité à la personne publique qui mène le dialogue. Mais, dans le cas de Balard, la question se posait de savoir si le projet était éligible à la garantie de l’État, garantie instituée par la loi de finances rectificative du 4 février 2009 dans le cadre du plan de relance, dont l’instruction avait été confiée à la MAPPP. Nous avons donc examiné le projet en détail avec les équipes compétentes du ministère de la Défense et nous avons conclu qu’il était éligible. Cependant, cette garantie avait un coût. In fine, les trois candidats retenus ont indiqué dans le courant de l’année 2010 qu’ils n’en auraient pas besoin, dans la mesure où le risque semblait faible et où l’on était en passe de surmonter la crise. S’agissant d’un contrat de partenariat donnant lieu, au moins sur une part des loyers, à des cessions « Dailly » acceptées par une entité notée « triple A », à savoir l’État, il y aurait peut-être eu double emploi.

Quoi qu’il en soit, la MAPPP a été associée à une des commissions du dialogue compétitif, la commission économique et financière, qui a contribué à l’attribution d’une note finale. Je précise que je n’ai été associé qu’au débat interne de la commission, sans être jamais en contact direct avec les candidats.

Dans ce cadre, nous avons formulé des remarques fondées sur notre expérience et sur la technique que nous commençons à avoir en matière de partenariat. Ces remarques ont été prises en compte. Je crois donc que l’association aura été fructueuse, mais elle reste quelque peu exceptionnelle : s’il n’y avait pas eu la question de la garantie, nous aurions probablement été associés de façon moins soutenue.

J’en viens à votre deuxième question. Au risque de vous décevoir, la MAPPP ne se prononce pas sur les aspects budgétaires : son mandat est d’examiner, au moment où l’évaluation préalable est faite, quelle est la meilleure formule de la commande publique. En l’espèce, il fallait choisir entre un contrat global de conception-réalisation-maintenance autorisé par la loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure – LOPSI – et un contrat de partenariat au sens de l’ordonnance de juin 2004. Au terme de notre évaluation, qui intégrait dans un calcul économique tous les paramètres, notamment les risques, nous avons considéré que le contrat de partenariat était la meilleure formule.

C’est cette voie qui a été suivie et la MAPPP n’est plus intervenue ensuite institutionnellement, à ceci près qu’il existe un deuxième filtre avant que l’autorisation de la signature d’un contrat de partenariat d’État ne soit autorisée : tant le ministère de l’Économie que celui du Budget sont appelés à se prononcer, dans le cadre d’un dernier examen, sur l’intérêt de l’opération. Le ministère du Budget examine la soutenabilité budgétaire du projet, tandis que le ministère de l’Économie vérifie que l’intérêt du contrat de partenariat est confirmé par les résultats du dialogue compétitif et se retrouve dans l’offre du candidat déclaré vainqueur. Dans la note que nous avons consacrée à Balard, nous avons considéré que l’évaluation avait été convenablement menée, à l’exception des systèmes d’information et de communication, dont le coût a été assez largement sous-évalué par le cabinet Pricewaterhouse Coopers.

La question de la pertinence de la distinction entre loyer budgétaire et loyer « réel » n’est pas de notre ressort.

Par rapport aux autres formes de la commande publique, le contrat de Balard constitue un bon exemple de contrat de partenariat. Il a été mené à bien dans des délais très brefs. Entre le début de l’évaluation préalable en septembre 2008 et la signature qui vient d’intervenir, il se sera écoulé deux ans et neuf mois. Les équipes, très professionnelles, ont très bien maîtrisé l’opération.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Votre réponse est claire, en ce qui concerne tant le champ de compétence de la MAPPP et les points qu’elle a examinés que le regard plutôt positif que vous portez sur les conditions dans lesquelles l’opération a été menée.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. La cession d’usufruit des satellites militaires constitue un partenariat très particulier, puisque les satellites continueront d’appartenir à l’État. Existe-t-il d’autres projets sur lesquels vous seriez amené à rendre un avis en matière de défense ?

M. Michel Scialom. Si, s’agissant des satellites, le ministère de la Défense décide de passer par un contrat de partenariat, la loi l’oblige à réaliser une évaluation préalable et nous serons forcément saisis. En revanche, il n’y a aucune raison pour que nous soyons saisis au stade d’une réflexion sur le choix d’un instrument juridique. Chaque ministère préfère fixer ses priorités en interne et arrêter lui-même la voie à suivre, sans interférence du ministère de l’Économie.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Au regard des compétences de la MAPPP telles que vous les avez exposées, vous ne devriez pas intervenir dans la procédure relative aux satellites, puisqu’il n’y a pas d’investissement en vue de la réalisation d’une opération.

M. Michel Scialom. Les opérations que nous étudions comportent en effet un investissement qui est le support des services rendus. Nous pourrions néanmoins être saisis : aux termes de l’article 3 du décret du 19 octobre 2004 portant création de la MAPPP, cette dernière « donne également un avis sur les projets de contrats complexes et ceux comportant un financement innovant dont le saisit le ministre chargé de l'économie et des finances ». Dans ce cas de figure, il faudrait au préalable que le ministre de la Défense saisisse son collègue de l’Économie. Mais je suis persuadé que le ministère de la Défense s’estime en mesure d’apprécier par ses propres moyens l’utilité et l’intérêt d’un tel projet.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. D’autant que, en l’espèce, le projet intervient en aval de la décision.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. La consultation a plus porté sur les aspects juridiques que sur l’évaluation économique. Le Conseil d’État a été très largement sollicité.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Même si la MAPPP n’évalue pas la validité budgétaire des projets dont elle a à connaître, estimez-vous qu’il existe beaucoup de partenariats public-privé qui permettent à l’État de faire des économies en minorant les profits réalisés par les entreprises privées ? La Cour des comptes s’est montrée souvent très critique à ce sujet.

M. Michel Scialom. Les partenaires privés ne sont pas des philanthropes et il n’y aurait pas de contrats de partenariat s’ils n’en tiraient pas un minimum de profit. Par ailleurs, nous comparons ce type de contrats à un schéma de référence – souvent un marché public. On constate que le caractère global du contrat de partenariat permet d’obtenir beaucoup plus rapidement l’investissement que l’on souhaite. C’est ainsi qu’une trentaine de contrats de ce type ont été signés par les collectivités territoriales en matière d’éclairage public. Si cette pratique est presque devenue le droit commun, c’est que l’on s’est aperçu qu’elle permet de réaliser un projet d’éclairage public en l’espace de deux ans ou deux ans et demi, en acquittant ensuite un loyer, alors qu’une succession de marchés publics prendrait beaucoup plus de temps.

Si l’on abandonne une optique purement budgétaire au profit d’une optique économique valorisant monétairement les risques et leur répartition entre le public et le privé, on observe en règle générale que, malgré le surcoût engendré par le financement privé, le contrat de partenariat l’emporte. La nouvelle méthodologie que nous appliquons intègre la rapidité avec laquelle un investissement nécessaire est réalisé : le simple fait de l’obtenir, par exemple, au bout de deux ans au lieu de dix ans doit être valorisé. L’intérêt du contrat de partenariat s’en trouve renforcé.

Le recours au calcul actuariel, un peu plus compliqué s’agissant de l’évaluation des risques, permet de dépasser une approche strictement budgétaire qui ferait apparaître un surcoût. Il faut intégrer ces éléments quantifiables, même si la puissance publique n’a pas l’habitude de le faire : traditionnellement, elle constate a posteriori que les risques se sont matérialisés et en supporte les conséquences financières. L’évaluation préalable est, à cet égard, un exercice sain.

Il apparaît toutefois que notre base de données est insuffisante en matière de coûts. S’agissant des délais, on ne constate pas de dérapage significatif par rapport aux prévisions entre le moment où l’État décide de recourir à un contrat de partenariat, la signature de ce contrat et la livraison de l’équipement. Le partenaire privé a une incitation à tenir les délais et cela aussi doit être pris en compte.

M. Louis Giscard d'Estaing, Rapporteur. Avez-vous été saisi d’une demande d’étude et d’avis pour un éventuel partenariat public-privé concernant l’hôtel de la Marine ?

M. Michel Scialom. Non. J’en ai entendu parler par la presse. Personnellement, je regrette que la MAPPP n’ait pas été saisie : j’ai travaillé quatre ans dans ce superbe bâtiment.

J’insiste sur ce point, nous ne sommes pas saisis de tous les sujets. Notre rôle est bien défini par les textes : il a trait essentiellement aux aspects économiques du contrat de partenariat et non à ses conséquences budgétaires. Notre intervention est nécessaire pour que les procédures prévues par les textes soient respectées mais il n’est pas obligatoire de suivre notre avis. Pour le reste, il appartient aux personnes publiques de nous saisir si elles estiment que nous pouvons apporter un éclairage intéressant. C’est ce que font les collectivités locales. Les évaluations préalables ayant été rendues obligatoires dans le cadre de la méthodologie définie par la MAPPP et le choix du contrat de partenariat étant parfois contesté, l’avis d’un organisme expert impartial est une aide.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Les contrats sont complexes et portent sur des opérations de très longue durée. Beaucoup de risques peuvent naître au cours de leur exécution, si bien que des avenants seront probablement nécessaires et modifieront peut-être leur économie. Or, autant la démarche qui précède la signature s’organise de façon structurée, autant on peut craindre qu’il n’y ait plus d’organisme pour veiller à la bonne exécution du contrat et pour prévenir les dérapages. Ne conviendrait-il pas de réfléchir à l’extension des compétences de la MAPPP en ce sens ? Les départements ministériels ne devraient-ils pas se doter d’équipes de suivi un peu plus pérennes que celles qui existent ? Le National Audit Office britannique a formulé des remarques similaires, en observant que les dérapages ultérieurs privaient la puissance publique des gains attendus.

M. Michel Scialom. C’est une très bonne question. Aujourd'hui, seuls quelques contrats sont en phase d’exploitation. Nous manquons donc du recul suffisant. Lorsqu’il existe des clauses d’indexation, de benchmark¸ nous devrons veiller à ce que les tests de marché soient bien organisés – je pense, notamment pour le cas de Balard, à l’évolution des coûts de l’informatique, secteur où les évolutions sont rapides. Mais il faut savoir que les entreprises n’y seront pas favorables si jamais de telles clauses devaient in fine déboucher sur une remise en concurrence. Pour elles, l’intérêt d’un contrat de partenariat, c’est qu’il les assure d’être rémunérées pour l’exploitation/maintenance de l’équipement pendant quinze ou vingt ans. Si, une fois l’investissement réalisé, on remet l’exploitation en concurrence au bout de trois ans, on dénature l’économie du dispositif et le contrat de partenariat sera beaucoup moins attractif.

Un suivi dans la durée est bien entendu souhaitable, de préférence avec des équipes ayant déjà vécu la phase amont. Cela suppose une certaine pérennité et non les rotations auxquelles on assiste souvent dans l’administration. C’est un sujet réel : même si la personne publique n’est plus le maître d’ouvrage, elle ne doit pas se désintéresser du suivi du contrat.

Pour en revenir au ministère de la Défense, le processus de décision est parfois lent mais il est toujours bien encadré et généralement respecté. En outre, comme la Cour des comptes le relève, une grande attention est portée au personnel. Il existe une véritable gestion prévisionnelle des effectifs, fait suffisamment rare dans l’administration pour être souligné. C’est pourquoi je pense que ce ministère saura suivre les contrats de partenariat. S’agissant du marché d’externalisation de la flotte des véhicules commerciaux, par exemple, il a mis en place une interface solide, comme la Cour l’a noté.

M. David Habib, Président. Nous vous remercions pour ces précisions, monsieur le directeur.

Audition du 1er juin 2011

À 11 heures 45 : Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des anciens combattants

Présidence de M. David Habib, Président

M. David Habib, Président. Nous approchons de la conclusion de nos travaux relatifs aux externalisations dans le domaine de la défense. La mission d’évaluation et de contrôle s’efforce d’arriver à des recommandations consensuelles, en rapprochant les points de vue de rapporteurs tantôt spécialistes des finances publiques, tantôt spécialistes des questions de défense nationale, mais aussi issus de la majorité comme de l’opposition.

Vous le savez, Monsieur le ministre, la question des externalisations conduites par votre ministère est depuis deux ans un sujet de réflexion pour nos membres. À la suite du rapport relatif aux opérations militaires extérieures rendu en 2009 par M. Louis Giscard d’Estaing et par notre très regrettée collègue Mme Françoise Olivier-Coupeau, nous avons demandé à la Cour des comptes un rapport d’enquête sur ce thème dans le cadre de sa mission d’assistance au Parlement. Sur cette base, nous avons conduit de nombreuses auditions, en particulier avec les représentants des organisations syndicales.

Je vous propose de commencer cette réunion par un bref propos introductif de quelques minutes sur votre appréciation concernant la politique d’externalisation, avant de laisser les rapporteurs vous poser des questions.

M. Gérard Longuet, ministre de la Défense et des anciens combattants. Je suis particulièrement désireux d’apporter une contribution utile aux travaux de votre commission, dont j’ai moi-même été membre. J’étais à Lorient aux côtés du président de la République lorsque la nouvelle du décès de Mme Françoise Olivier-Coupeau nous est parvenue. Je me remémore avec admiration son combat très courageux contre la maladie.

Les externalisations n’occupent qu’une place réduite dans la réforme de grande ampleur que le ministère de la Défense a engagée depuis 2007. Cette réforme vise à une rationalisation des moyens plutôt qu’à une externalisation de leur gestion. Nous adoptons en ce dernier domaine une approche prudente et mesurée. Il n’est donc pas étonnant que la mise en œuvre reste à un stade expérimental et modeste, à quelques exceptions près.

Parmi ces dernières, la gestion des véhicules de gamme commerciale offre l’exemple d’une externalisation sur six ans de 20 000 véhicules pour un montant annuel de 70 millions d’euros. D’après nos estimations, environ 20 % des frais de gestion ont été économisés grâce à cette méthode. Un autre marché a porté sur l’externalisation de la formation des pilotes d’hélicoptères, pour une durée de 22 ans. Le gain afférent s’élèverait à 10 % du montant total. Enfin, l’entretien des 55 appareils de la base aérienne de Cognac fait lui aussi l’objet d’une externalisation depuis 2006, pour une économie annuelle de l’ordre de 20 %.

En tout état de cause, le ministère de la Défense reste en ce domaine en deçà des analyses de l’équipe d’audit de la révision générale des politiques publiques, qui a identifié en 2007 un périmètre de 16 000 emplois de la Défense susceptibles d’externalisation. L’écart s’explique par les conditions très strictes que le ministère de la Défense a mises à l’externalisation de ses activités. Il n’y consent en effet que si, d’abord, elle ne porte pas atteinte aux capacités d’intervention des forces armées, appelées à s’engager à tout moment sur des théâtres d’opérations extérieurs, ce qui constitue une contrainte très spécifique. Le ministère est également attaché à ce que toutes les parties prenantes à ses activités soient des combattants, susceptibles de se conduire comme tels. Ensuite, il faut veiller aux intérêts des personnels, en leur garantissant la possibilité de reclassement en cas d’externalisation de leur activité. Enfin, il convient de conduire une comparaison systématique des prestations proposées par les entreprises candidates, qui sont souvent des petites et moyennes entreprises.

Deux instances jouent en ce domaine un rôle essentiel : la mission partenariats public privé (MPPP) et la mission achat, placées sous la responsabilité du secrétariat général de l’administration. La Cour des comptes a mis en lumière le manque d’une comptabilité analytique de l’État qui rende la comparaison possible avec une gestion privée. La MPPP a précisément pour fonction de rapprocher les méthodes comptables pour arriver à de meilleurs résultats. La mission achat, quant à elle, joue un rôle de conseil, en faisant partager sa bonne connaissance des prix et des marchés.

L’une de nos préoccupations, commune avec d’autres ministères, est de rendre l’information la plus transparente possible pour les agents potentiellement concernés par une externalisation. Le secrétariat général pour l’administration mène ainsi une politique active de concertation avec le Conseil supérieur de la fonction militaire et avec les représentants des organisations syndicales. Ces derniers n’ont pas une attitude négative. Le cas échéant, ils proposent des solutions de remplacement, comme la régie rationalisée et/ou civilianisée, qui correspond au transfert de la prestation de service à des personnels civils.

Deux nouveaux dispositifs statutaires sont applicables en matière d’externalisation : la mise à la disposition et, de manière plus originale, le détachement. Ils ont en commun trois caractéristiques. Ils sont fondés sur le volontariat, garantissent le maintien du statut d’agent public et permettent un retour dans le corps d’origine. Les agents qui refusent de travailler chez le prestataire sont reclassés.

Dans le système de la mise à disposition, l’agent continue de travailler sur le même lieu, au même poste et en continuant à percevoir sa rémunération du ministère. Le prestataire verse seulement à ce dernier un montant forfaitaire convenu à l’avance pour cette mise à disposition. Tentée dans le domaine de la restauration, l’expérience a concerné 126 agents, sur lesquels 55 ont fait acte de volontariat. Certains ont aujourd’hui souscrit un contrat de travail à durée indéterminée chez le prestataire auprès duquel ils étaient originellement mis à disposition. Les chiffres disponibles sont cependant trop faibles pour fournir une base statistique significative.

Quant au détachement, il n’est attractif pour les agents du ministère de la Défense que dans la mesure où la rémunération est au moins aussi élevée chez le prestataire. Ils signent alors un contrat de travail qui présente l’originalité de ne pas leur faire perdre le statut d’agent public. Un retour dans le corps d’origine est donc toujours possible, comme le prévoit le décret du 7 mai 2010. Trois autres décrets sont en attente et devraient être publiés d’ici la fin de l’année. Ils prévoiront les conditions dans lesquelles, au terme du contrat de détachement, les fonctionnaires sont ou bien reconduits ou bien réintégrés.

Nous avons mis en place un dispositif spécifique d’assistance à la « manœuvre ressources humaines » au profit des chefs de projet. Le chef de projet bénéficie d’une mission d’appui auprès de la direction des Ressources humaines pour préparer et mettre en œuvre l’externalisation. Il bénéficie d’une assistance après la signature du marché pour assurer le suivi des relations contractuelles et pour gérer la reconversion des agents qui ne sont pas repris par les entreprises attributaires du marché.

Sur le plan des ressources humaines, nous pouvons donc considérer que le ministère s’est doté d’un dispositif permettant de répondre aux interrogations légitimes préexistantes à l’externalisation et de gérer les difficultés apparaissant tout au long de l’externalisation et après.

Sur le plan budgétaire, nous veillons à transcrire dans la loi de finances les suppressions d’emplois liées à l’externalisation. L’objectif est de redéployer les crédits de personnel vers le fonctionnement, puisque les contrats d’externalisation sont imputés sur le titre 3.

Avant d’ouvrir le débat, je voudrais vous livrer des réflexions un peu plus personnelles. Pour l’externalisation, je constate un blocage et un ressort. Le blocage est le caractère opérationnel de tous les personnels militaires quelle que soit la nature de leur tâche. Un boulanger, un mécanicien, un prestataire de services peuvent être des combattants. Le militaire reste disponible à tout moment pour toute action militaire, pour tout engagement extérieur. C’est d’ailleurs la raison d’être de son engagement. Cette singularité rend l’externalisation plus difficile.

Le ressort est que le temps de travail du militaire est plus faible dans sa spécialité que le temps de travail du civil. Le militaire n’est disponible pour la prestation civile qu’à concurrence de 1 000 heures par an, puisqu’il se consacre aussi à sa formation militaire, alors que le civil doit, lui, à sa spécialité l’intégralité de son temps de travail, soit 1 600 heures par an. Les personnels militaires, parce qu’ils restent des combattants, sont nécessairement plus coûteux que les personnels civils.

L’un des ressorts de l’externalisation est de permettre à des personnels de poursuivre des carrières plus valorisantes et plus épanouissantes. L’exemple typique de cette situation est l’externalisation dans le secteur informatique. Lorsque vous êtes informaticien d’une collectivité locale ou d’une administration, le risque est grand d’être prisonnier d’une carrière limitée avec peu de perspectives de diversification, de mobilité géographique ou de progression hiérarchique. Le fait de rejoindre une entreprise attributaire d’un marché d’externalisation est la possibilité de sortir de cette impasse.

L’externalisation au ministère de la Défense peut aussi avoir pour motivation le statu quo géographique. Les personnels militaires de la Défense sont contraints par leur statut à l’obligation de mobilité. L’externalisation apparaît alors pour certains comme une possibilité d’échapper à une mobilité géographique.

J’ai encore trop peu d’expérience dans mes fonctions ministérielles pour donner un avis tranché sur les externalisations mais je souhaite appeler l’attention de la MEC sur le travail mené par le secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense. Le secrétariat général a par exemple produit un rapport portant sur l’opportunité économique de recourir à une externalisation sur la base des offres reçues pour l’opération « restauration – hôtellerie – loisirs » phase 1. Ce rapport de grande qualité a comparé trois scénarios :

– un scénario I ou le statu quo : le ministère de la Défense continue d’assurer en régie les fonctions restauration, hôtellerie et loisirs avec du personnel civil et militaire, sans changement de l’organisation ;

– un scénario I bis ou la régie « civilianisée et rationalisée » : le ministère de la Défense continue d’assurer les fonctions restauration, hôtellerie et loisirs après civilianisation et rationalisation des postes ;

– un scénario II ou l’externalisation : le ministère de la Défense achète un service en restauration, hôtellerie et loisirs à un opérateur privé au travers d’un contrat d’une durée de cinq ans relevant du code des marchés publics.

Les fonctions restauration, hôtellerie, loisirs sont importantes puisqu’elles représentent 8 000 postes sur les 16 000 du périmètre externalisable. L’étude menée sur huit sites conclut que la régie civilianisée et rationalisée représente une économie de 10 % et l’externalisation 18 %.

Cette étude que je vais communiquer à la MEC entre dans le détail de la répartition des effectifs selon les statuts et les catégories. La conclusion est que si l’externalisation n’est pas à exclure, elle n’est pas facile.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Lorsque l’on regarde le tableau des externalisations conduites par le ministère depuis le début de la réforme, on constate qu’il existe trois types d’externalisations : une première est la délégation à des entreprises privées des missions de soutien ou d’accompagnement des armées dans l’exercice des missions opérationnelles, soit les fonctions hôtellerie-restauration-loisirs, les véhicules, l’habillement ; une deuxième catégorie confie à des entreprises privées la réalisation d’investissements lourds pour le compte du ministère de la Défense, c’est le cas de Balard ; une troisième catégorie réside dans le fait de confier à des entreprises le soin d’exploiter des satellites de télécommunications. Ma première question porte sur les économies attendues de l’ensemble de ces externalisations. Y a-t-il un objectif chiffré ?

Ma seconde question porte sur les économies déjà réalisées.

M. Gérard Longuet, ministre de la Défense. Je remercie M. Cazeneuve pour l’intérêt qu’il porte aux questions de défense et il le fait avec grande compétence. M. Cazeneuve a eu raison de rappeler les trois types d’externalisation. Je n’ai traité que de l’externalisation des missions de soutien. Nous avons évoqué la mission RHL-1 – restauration, hôtellerie, loisirs- phase 1 –, les véhicules. Il y a également la formation des pilotes d’hélicoptères, la gestion et la maintenance des appareils de Cognac. Sur RHL-1, nous conduisons une expérimentation réduite qui porte sur 5 % des effectifs visés : 400 postes sur un périmètre visé de 8 000. Les économies de 18 % ne sont pas négligeables car elles se traduisent par des équivalents temps plein qui peuvent être redéployés.

L’investissement de type PPP (partenariat public-privé) est-il une externalisation au sens strict du terme ? S’agit-il d’une « démaastrichisation » d’une dépense ? Ce n’est pas la raison du choix de Balard. J’en parle d’autant plus librement que ce projet énorme est antérieur à mon arrivée et qu’il se poursuivra après mon passage en tant que ministre de la Défense.

Le véritable objectif de ce partenariat était de réaliser dans un temps très réduit un projet très complexe permettant d’accueillir 9 300 militaires et civils de la Défense, rassemblés autour de la fonction de direction des armées : les trois états-majors, la DGA, les services du SGA et les services du ministère. Tous ces services sont répartis aujourd’hui sur une quinzaine de sites.

Le fait de rassembler tous ces services répondait à une nécessité de synergie par ailleurs génératrice d’économies. Le choix du PPP permettait de s’adresser à des professionnels rassemblés autour d’un consortium, capable de répondre de la construction et de la gestion de l’immeuble pendant vingt-sept ans. L’effet indirect en termes de trésorerie est de réaliser des actifs libérés pour un montant de 600 millions d’euros. Les 130 millions d’euros de dépenses annuelles sont couverts par les économies sur les coûts de fonctionnement prévus initialement.

Pour les satellites de communication, on a parfois présenté l’opération comme un leaseback. Nous vendons des capacités qui nous seront offertes ultérieurement moyennant un coût d’usage, mais ce n’est pas qu’une opération de trésorerie. Le ministère a jugé préférable d’être en position de client et non plus d’exploitant en attendant une nouvelle génération de satellites.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Les auditions précédentes de la mission d’évaluation et de contrôle ont montré que le projet de partenariat public-privé relatif au projet de transfert du ministère de la Défense à Balard a été mené à bien de façon très satisfaisante au plan technique : les délais ont été strictement respectés, la mobilisation des compétences a été extrêmement poussée. Ce projet est exemplaire de ce point de vue mais il continue à nous interpeller en ce qui concerne ses aspects budgétaires.

L’intérêt d’un partenariat public-privé est, qu’en définitive, son coût global doit être inférieur à celui qui résulterait d’une gestion en régie. J’imagine que le montant annuel du loyer, de 130 millions d’euros, comprend non seulement l’amortissement de l’immeuble, mais également les services nécessaires à son fonctionnement tels les fluides ou le coût de la maintenance. Êtes-vous en situation de nous présenter des données chiffrées permettant de comparer le coût qui aurait résulté d’une rénovation de l’actuel ministère associée à une maintenance en régie avec celui du PPP ?

M. Gérard Longuet, ministre de la Défense. Je suis effectivement en mesure d’apporter des éléments chiffrés, en toute transparence sur le coût du projet Balard, puisque l’objectif du recours au PPP est justement d’obtenir un coût d’usage inférieur à celui de la gestion en régie.

Dans le cadre d’un PPP, l’administration est en position de client. Habituellement, la gestion en régie la place dans la double posture de client et d’organisateur de la prestation, ce qui constitue une source permanente de malentendus et de surcoûts. De nombreuses institutions préfèrent la posture de client qui leur donne l’avantage du choix d’une prestation globale à un prix déterminé au préalable. En effet, l’externalisation de l’évaluation des coûts d’entretien et sa transposition dans le prix du prestataire donnent à l’administration l’assurance de la réalisation de prestations à un coût donné. Cela permet d’éviter les erreurs d’évaluation des coûts d’entretien dans le cadre des opérations menées en régie. L’avantage du PPP est donc de mettre en concurrence des prestataires sur le fonctionnement d’un immeuble. Par exemple, dans le cadre d’un PPP, l’éventuel coût de réfection d’un câblage informatique serait à la charge du prestataire et non de l’administration.

Cela étant, je conviens volontiers que la mise en œuvre des PPP peut être source d’incertitudes juridiques.

La concession, sur huit ans, de l’usufruit des satellites de télécommunication Syracuse doit générer une « recette tiers » équivalente à 10 % des capacités de transmission. Cette externalisation doit apporter au ministère une recette exceptionnelle de l’ordre de 400 millions d’euros.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. La concession de l’usufruit des satellites de télécommunication doit générer un volume de recettes exceptionnelles. Cela étant, des incertitudes demeurent sur la réussite de cette opération qui concerne des satellites déjà lancés depuis plusieurs années et dont la durée de vie est, par nature, limitée. Y a-t-il une clientèle désireuse d’exploiter les satellites Syracuse sur le marché ?

M. Gérard Longuet, ministre de la Défense. Ce questionnement est légitime. Je ne peux cependant exposer publiquement des arguments de valorisation du patrimoine du ministère de la Défense alors qu’une procédure de mise en concurrence est actuellement lancée sous l’égide de la délégation générale pour l’Armement (DGA).

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Le projet RHL1 doit générer un volume d’économie d’environ 18 % de la dépense actuelle. Il s’agit d’externaliser une mission de soutien avec le concours de professionnels agissant actuellement en régie. Cependant le ministère de la Défense devra payer aux intéressés l’écart entre les salaires actuellement versés et ceux qu’ils percevront sous leur nouveau statut. De surcroît, les salariés non transférés au secteur privé resteront à la charge du ministère de la Défense. On peut en déduire que l’externalisation sera d’un faible impact sur la masse salariale. Comment peut-on aboutir à une économie de 18 %, compte tenu de la rigidité de la masse salariale ?

M. Gérard Longuet, ministre de la Défense. L’étude de mon ministère sur l’externalisation, dont je vous ai promis la transmission, est tout à fait éclairante sur ce point. Huit sites sont retenus dont cinq sites de restauration tel Saint-Maixent-l’École où l’on sert 528 000 plateaux-repas par an. Les effectifs concernés sur les huit sites sont de 204 militaires qui ne consacrent effectivement que 1 000 heures par an à cette activité, compte tenu des obligations qu’ils ont à continuer à se former et à s’entraîner, et 152 civils soumis à un régime de 1 600 heures par an. Le simple fait de remplacer les militaires par des civils revient donc, mathématiquement, à gagner 80 emplois. En effet, les militaires voient leur rémunération imputée en totalité sur leur activité de restauration, en comptabilité analytique, alors qu’une partie de leur temps de travail est consacrée spécifiquement aux activités militaires.

Pour les 152 civils, peu d’économies semblent attendues de l’externalisation. Toutefois, les rémunérations sont moins élevées dans le secteur privé, dans le cadre d’un marché concurrentiel où les perspectives de carrière peuvent compenser les avantages statutaires des personnels civils de la Défense.

Les prestations informatiques peuvent également être externalisées. Il faut par ailleurs relever que certains cadres militaires, tels les ingénieurs de la DGA ou certains officiers spécialisés, font l’objet de demandes pressantes du secteur privé.

M. Bernard Cazeneuve, Rapporteur. Quelle est la doctrine du ministère de la Défense sur le périmètre du domaine régalien non externalisable ? Existe-t-il une doctrine de la France en ce qui concerne les activités militaires privées ? Quel est le cœur de métier en matière de défense nationale ?

M. Gérard Longuet, ministre de la Défense. Je suis très prudent sur la question des activités militaires privées. Je considère que les missions afférentes à la défense nationale (je ne parle pas du simple gardiennage) exigent discipline, contrôle total, solidarité de comportement et loyauté, nécessitant une solide formation et un encadrement militaire. J’observe certes qu’en Irak, on dénombre 1,4 employé privé pour un militaire américain. La déclaration de Montreux de 2008 énonce par ailleurs 73 règles de bonne conduite que doivent respecter les sociétés privées travaillant dans le domaine de la sécurité.

En Afghanistan, la restauration des bases avancées de nos forces a été confiée à la société Sodexho qui emploie des personnels locaux. Même dans ce cadre d’activité non militaire, le recours à une entreprise privée peut poser un double problème de sécurité : sécurité des soldats et sécurité des employés du prestataire.

En définitive, le ministère de la Défense n’oppose pas d’objection de principe à l’externalisation de certaines prestations. Nous sommes prudents dans notre démarche même si nous avons la certitude que le recours au secteur privé est moins coûteux que la gestion en régie. Cela étant, l’analyse des coûts est compliquée par le fait que les militaires affectés à des emplois externalisables doivent des heures d’activité militaire qui correspondent à une fraction de leur rémunération ; quant aux civils de la Défense, ils bénéficient parfois d’une politique salariale plus avantageuse que dans le privé.

M. Louis Giscard d’Estaing, Rapporteur. Cette mission d’évaluation et de contrôle menée conjointement avec mon collègue Bernard Cazeneuve nous a permis d’obtenir des réponses sur plusieurs points : la définition de la régie optimisée, la nécessité que les externalisations soient conduites en conformité au contrat opérationnel des armées, les parts respectives des civils et des militaires, la nécessité d’obtenir la neutralisation de la TVA pour ne pas obérer les conditions financières des externalisations, la définition du périmètre des emplois externalisables, et la clarification des procédures de décision.

M. David Habib, Président. Monsieur le ministre, nous vous remercions.

1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Rapport n° 1790 du 1er juillet 2009 de M. Louis Giscard d’Estaing et de Mme Françoise Olivier-Coupeau sur le financement des Opex : plus de transparence pour une optimisation des moyens.

3 () Rapport n° 3141 du 2 février 2011 de M. Louis Giscard d’Estaing sur la politique d’externalisation de la défense : coûts et bénéfices attendus.

4 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 6 avril 2011.

5 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 26 avril 2011.

6 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 10 mai 2011.

7 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de l’audition des syndicats, le 31 mai 2011.

8 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 26 avril 2011.

9 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 6 avril 2011.

10 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 30 mars 2011.

11 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 27 avril 2011.

12 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 31 mai 2011.

13 () Rapport annuel de performances 2010, mission Défense, programme n° 178 Préparation et emploi des forces pages 139-140.

14 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 30 mars 2011 (page. 2).

15 () Idem, (pages 4-5).

16 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 27 avril 2011.

17 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 30 mars 2011.

18 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 6 avril 2011.

19 () Voir en annexe ci-après le compte rendu de son audition le 6 avril 2011.

20 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 6 avril 2011

21 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de l’audition du général Patrick Huguet, le 6 avril 2011.

22 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 6 avril 2011.

23 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 26 avril 2011.

24 () Voir sur ce sujet le rapport n° 2623 de la Mission d’évaluation et de contrôle menée par M. Louis Giscard d’Estaing et Mme Françoise Olivier-Coupeau sur les recettes exceptionnelles de la Défense, juin 2010.

25 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de l’audition des responsables de Thales, le 27 avril 2011.

26 () Voir en annexe ci-après le compte-rendu de son audition le 26 avril 2011.

27 () Philippe Chapleau : Les nouveaux entrepreneurs de la guerre – Des mercenaires aux sociétés militaires privées. Mars 2011.

28 () Voir sur ce sujet le rapport n° 2623 de la mission d’évaluation et de contrôle, publié le 10 juin 2010 par Louis Giscard d’Estaing et Françoise Olivier-Coupeau.

29 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 10 mai 2011.

30 () Voir en annexe ci-après, le compte rendu de son audition le 31 mai 2011.

31 () Voir sur ce sujet le rapport n° 2623 du 10 juin 2010 de M. Louis Giscard d’Estaing et de Mme Françoise Olivier-Coupeau sur les recettes exceptionnelles de la Défense : une anticipation approximative à l’épreuve de la réalité.

32 () Rapport n° 1790 du 1er juillet 2009 de M. Louis Giscard d’Estaing et de Mme Françoise Olivier-Coupeau sur le financement des Opex : plus de transparence pour une optimisation des moyens.


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