N° 3863
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 octobre 2011.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
sur le prix des matières premières
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Catherine VAUTRIN et M. François LOOS,
Députés,
en conclusion des travaux d’une mission d’information présidée par
Mme Pascale GOT(1),
Députée.
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La mission d’information sur le prix des matières premières est composée de : Mme Pascale Got, présidente, Mme Catherine Vautrin, rapporteur (matières premières agricoles), M. François Loos, rapporteur (matières premières minérales), M. Yannick Favennec, M. Jean-Louis Gagnaire, M. Jean-Pierre Nicolas, M. Daniel Paul et M. Francis Saint-Léger.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 9
I.— LA HAUSSE GÉNÉRALE DES PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES CONSTATÉE AU COURS DE LA DÉCENNIE 2000 S’EST CONJUGUÉE À UNE VOLATILITÉ D’UNE INTENSITÉ PARTICULIÈRE 13
A.— UNE TENDANCE GÉNÉRALE NETTEMENT HAUSSIÈRE QUI DOIT TOUTEFOIS ÊTRE RELATIVISÉE 14
1. La mesure par les indices 14
2. L’étude par catégories de matières premières 16
a) Les matières premières énergétiques 18
b) Les matières premières agricoles 19
c) Les métaux 31
3. Une hausse des prix à relativiser par la prise en compte de l’inflation 37
B.— LE CARACTÈRE PARTICULIÈREMENT ERRATIQUE DES MARCHÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES AU COURS DES ANNÉES 2000. 39
1. Comment calculer la volatilité ? 39
2. La décennie 2000 est marquée par une volatilité d’une forte intensité dont l’ampleur doit toutefois être relativisée 40
a) La volatilité du prix du pétrole a connu une intensité particulière au cours de la décennie 2000 40
b) Le cycle des prix des matières premières au cours de la période 2008-2011 présente un caractère inédit 42
c) Ce constat doit toutefois être relativisé par l'observation des cours de long terme et l'analyse de la structure des marchés de matières premières 43
II.— L’INSTABILITÉ DES COURS DES MATIÈRES PREMIÈRES S’EXPLIQUE, AU-DELÀ DES ALÉAS CONJONCTURELS, PAR CERTAINES TENDANCES DE FOND DES MARCHÉS PHYSIQUES INTERNATIONAUX 49
A.— LES ALÉAS CONJONCTURELS 49
1. Les aléas naturels 49
a) Dans le domaine agricole 49
b) Dans le domaine énergétique 55
2. Les événements géopolitiques 55
a) Le prix du pétrole est en grande partie déterminé par des considérations géopolitiques 56
b) L’agriculture 59
c) Les métaux 61
3. Les mesures anti-concurrentielles 62
a) L’Europe doit adopter une réaction coordonnée face aux restrictions sur les exportations de minerais et de métaux 62
b) Le rôle des organisations internationales dans le domaine énergétique 66
4. Les chocs technologiques 67
5. Le marché des changes 70
B.— LES TENDANCES DE FOND DES MARCHÉS PHYSIQUES INTERNATIONAUX 71
1. La demande de la Chine et des autres pays émergents 72
a) L’accroissement de la demande mondiale de pétrole s’explique principalement par le dynamisme économique de la Chine et des autres pays émergents 73
b) La demande de métaux connaît une évolution très dynamique sous l’effet de la croissance des économies émergentes 79
2. L’insuffisance de l’offre 85
a) Les tensions du marché énergétique 85
b) L’insuffisance de l’offre européenne de métaux 92
3. L’opacité des marchés physiques 99
a) Les efforts de transparence les plus remarquables concernent le marché du pétrole 100
b) Des progrès ne pourront être accomplis sur les marchés des métaux que par un renforcement du dialogue entre producteurs et consommateurs 102
c) L’opacité des marchés physiques a appelé le développement d’agences privées d’évaluation des prix, dont l’activité doit être encadrée 104
4. L’impact du développement humain sur les prix agricoles 106
5. Les risques d’abus de position dominante appellent la mise en place d’une régulation des marchés physiques 108
a) L’absence quasi-générale de régulation des marchés physiques internationaux 108
b) Les marchés physiques de matières premières sont confrontés à des risques d’abus de position dominante qui entretiennent la volatilité des cours 109
c) Il convient d’améliorer l’information sur les marchés physiques et de renforcer les prérogatives du régulateur financier 112
III.— LA FINANCIARISATION DES MARCHÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES, QUI CONSTITUE UN FACTEUR D’AMPLIFICATION DES DÉSÉQUILIBRES DE L'ÉCONOMIE RÉELLE, APPELLE DES MESURES DE RÉGULATION COORDONNÉES À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE 115
A.— L'INSTABILITÉ STRUCTURELLE DES PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES A APPELÉ LE DÉVELOPPEMENT DE MÉCANISMES DE MARCHÉ 115
B.— LA FINANCIARISATION DES MARCHÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES AU COURS DES ANNÉES 2000 119
1. Un degré de financiarisation inégal selon les matières premières et les zones géographiques 119
a) Le marché pétrolier 119
b) Le marché du gaz 120
c) Le marché des minerais et des métaux 121
2. Vue d’ensemble des marchés mondiaux de matières premières 122
a) La concentration des marchés de matières premières se poursuit 122
b) Devenues une classe d'actifs à part entière, les matières premières attirent un nombre croissant d’acteurs non commerciaux 125
c) Une présence croissante des intervenants financiers sur les marchés de matières premières, notamment sur celui du pétrole 130
d) La disproportion entre les volumes échangés sur les marchés dérivés organisés et la taille des marchés physiques 132
e) Des marchés de matières premières qui représentent cependant une faible part des transactions globales de produits dérivés 133
f) Des échanges accrus sur les marchés de gré à gré de matières premières depuis 2005 134
g) Un parallélisme plus marqué entre les cours des matières premières et les cours des actions et des obligations 136
h) Le processus de financiarisation exerce un impact sur l’harmonisation des cours des différentes matières premières 139
C.— MARCHÉS À TERME ET FORMATION DES PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES : UNE CAUSALITÉ EN DÉBAT 140
1. Le rôle controversé de la spéculation dans la théorie économique 140
2. La spéculation est nécessaire au bon fonctionnement des marchés 141
a) La couverture des risques des opérateurs commerciaux 143
b) L’apport de liquidité 143
c) L’arbitrage 143
d) La découverte des prix 144
3. Si les marchés à terme se bornent à jouer, pour l’essentiel, un rôle d’amplification des fondamentaux économiques, ils peuvent être à l’origine, à court terme, de fluctuations indépendantes de l’économie réelle 145
a) Aucun lien systématique n’a pu être établi entre la spéculation et la formation des prix de long terme 145
b) Les marchés à terme jouent essentiellement un rôle d’amplification des fondamentaux économiques 149
c) Toutefois, les marchés à terme peuvent être à l’origine, à court terme, de fluctuations indépendantes de l’économie réelle 150
4. Le poids croissant des acteurs financiers sur la formation des prix au comptant 154
a) La formation des prix au comptant du pétrole est déterminée en grande partie par le prix des contrats à terme 155
b) Le développement de nouveaux produits d’investissement pourrait déstabiliser les marchés 156
5. Les risques liés à l’absence de régulation de certaines transactions sur les marchés de matières premières 160
a) Les exemptions à la réglementation financière européenne doivent faire l’objet d’un encadrement plus strict 160
b) Il convient de clarifier la distinction entre les instruments financiers et les contrats commerciaux à terme 162
D.— LES RISQUES QUE LA FINANCIARISATION DES MARCHÉS FAIT PESER SUR LA STABILITÉ DE L’ÉCONOMIE APPELLENT DES MESURES DE RÉGULATION COORDONNÉES À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE 163
1. La régulation des marchés américains et européens de matières premières 163
a) La régulation aux États-Unis 163
b) La régulation au Royaume-Uni 165
2. Les principales propositions de la présidence française du G20 167
3. L’Union européenne multiplie les initiatives pour renforcer le cadre de régulation des marchés à terme de matières premières 180
4. La transparence constitue un préalable indispensable à toute stratégie de régulation des marchés de matières premières 182
5. Le stockage à grande échelle : une solution pour les matières premières agricoles ? 184
6. Les modalités de la prévention des abus de marché sur les transactions de matières premières 188
a) La régulation des marchés à terme de matières premières n’a de sens qu’au niveau mondial 188
b) L’instauration de limites de position doit être accompagnée de modalités d’application garantissant son efficacité 190
c) Il convient de prévenir les conflits d’intérêt résultant des activités exercées au sein d’une même société 195
d) Le trading algorithmique et le trading à haute fréquence doivent être encadrés 195
e) Une sanction efficace des abus de marché appelle une clarification du concept d’information privilégiée et la prise en compte de formes spécifiques de manipulations 197
7. La réforme doit s’accompagner d’une sécurisation des transactions réalisées sur les marchés de gré à gré 198
CONCLUSION 201
EXAMEN EN COMMISSION 203
SYNTHÈSE DES PROPOSITIONS 227
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 231
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS 235
GLOSSAIRE 239
CONTRIBUTION DE M. DANIEL PAUL, DÉPUTÉ DE LA SEINE-MARITIME, AU NOM DU GROUPE GDR 241
MESDAMES, MESSIEURS,
Le 6 mai 2011, à Wall Street, sous l’effet de la remontée du dollar et de positions spéculatives, les cours de l’argent ont chuté de 13 % en quelques minutes et ceux du pétrole de 8 % en quelques heures. Ce mini krach, quoique portant sur une période très courte, est illustratif d’un phénomène plus général, à savoir la forte volatilité ayant affecté les prix de l’ensemble des matières premières au cours de la décennie 2000. Ces variations de prix brusques et de forte amplitude se sont conjuguées à une hausse tendancielle des prix, qui a vu le cours du boisseau de blé passer de 4,60 dollars en avril 2007 à 13,18 dollars en mars 2008 et le cours du baril de Brent de la mer du Nord passer de 10 dollars en décembre 1998 à plus de 140 dollars en juillet 2008. La hausse des prix comme le surcroît apparent de la volatilité constituent les facettes les plus préoccupantes des marchés contemporains des matières premières. De fait, dans le contexte plus général de la crise économique et financière consécutive à la faillite de la banque Lehmann Brothers en septembre 2008, les pays membres du G 20, sous l’impulsion de la France, qui en assure la présidence depuis novembre 2010, ont décidé d’accorder une importance particulière au prix des matières premières.
À bien des égards, ce débat, aujourd’hui inévitable, fait figure de triple revanche.
Revanche du point de vue des idées et de la théorie économique en premier lieu. Qui, au début de la décennie 2000, pouvait penser que l’approvisionnement du monde en cuivre ou en maïs, ou que l’étude du cours du cacao allaient devenir des sujets aussi cruciaux ? Dans les années 1930 et dans l’après-guerre, la réflexion économique sur les matières premières était particulièrement riche. Par ailleurs, dans un article fondateur publié en 1938 c’est-à-dire dans un contexte encore fortement marqué par la crise de 1929, l’économiste Mordecai Ezekiel avait légitimé l’adoption de mesures temporaires de nature à suspendre la concurrence sur les marchés de matières premières, telles que la mise en place de subventions, de quotas ou de droits de douane. Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, approfondissant sa relecture des « termes de l’échange » telle qu’ils avaient été définis au XIXème siècle par David Ricardo, Raùl Prebisch réfléchissait pour sa part à l’impact du prix des matières premières sur la situation économique des pays en voie de développement. Il mettra d’ailleurs une partie de ses idées à l’honneur à partir de 1964, date à laquelle il devient le premier Secrétaire général de la CNUCED. Or, depuis le début des années 1970, la réflexion sur les matières premières avait fini par passer très largement au second plan. Hormis l’inquiétude temporaire sur l’approvisionnement en pétrole des grands pays industrialisés qui, à la faveur d’une crise spécifique (les deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, la première guerre du Golfe en août 1990…), a parfois revêtu une importance particulière, le débat sur les matières premières a paru quasiment inexistant. Dans un contexte marqué certes par quelques soubresauts mais, globalement, par une offre excédentaire au regard de la demande mondiale, les matières premières faisaient figure de sujet du XIXème siècle ; elles sont pourtant aujourd’hui un sujet d’avenir.
En deuxième lieu, ce débat est une revanche de la nature sur l’homme. Là encore, parfois aveuglés par un monde où les ressources naturelles semblaient inépuisables (qu’il s’agisse évidemment des ressources énergétiques comme le pétrole ou le charbon, mais aussi des minerais ou des produits agricoles), les États ne se sont pas suffisamment préoccupés de l’éventuel hiatus qui pourrait un jour exister entre une offre limitée et une demande exponentielle, sous le double effet du développement industriel et de la croissance de la population mondiale.
En troisième et dernier lieu, le débat sur les matières premières est une revanche de la géographie sur l’histoire. En mettant notamment l’accent sur les ressources naturelles et sur l’enjeu consistant à disposer d’infrastructures suffisantes pour les acheminer, le débat sur les matières premières a renouvelé notre approche de l’espace, rappelant les contraintes inhérentes aux distances que les progrès de la technique avaient en partie fini par masquer.
On l’aura compris : le débat sur les matières premières est aujourd’hui incontournable au point d’ailleurs de fausser notre appréhension de certains événements récents.
Ainsi, les « émeutes de la faim » et autres bouleversements politiques constitutifs de ce que l’on a appelé le « Printemps arabe » ne sont pas des conséquences directes de la volatilité des cours des matières premières. Les peuples concernés ont avant tout revendiqué davantage de démocratie et de liberté. Les conséquences économiques du prix de certaines matières premières, notamment agricoles, n’ont été que le déclencheur de conflits qui, par ailleurs, ne demandaient qu’à exploser.
Paradoxalement, ce sont pourtant les événements géopolitiques récents qui ont fait prendre conscience au grand public des enjeux attachés aux matières premières.
Pour autant, plusieurs États ont déjà pris conscience de ces enjeux. Il est ainsi symptomatique de constater que la Constitution vénézuélienne a récemment inscrit, en son article 12, le principe selon lequel « les gisements miniers et d’hydrocarbures (…) sont des biens du domaine public et sont en conséquence inaliénables et imprescriptibles » ! Et ce cas n’est pas isolé : on peut parler à cet égard d’un phénomène contemporain de « constitutionnalisation » des matières premières, notamment minérales. D’autres pays ont connu de fortes oppositions de leur population à l’exploitation à outrance de leurs ressources naturelles, à l’instar de l’Équateur lorsqu’il a décidé d’ouvrir largement les principaux gisements de minerais aux compagnies étrangères.
Les pays du G 20 ont souhaité aborder l’enjeu des matières premières et les moyens de remédier à la volatilité de leurs prix. Ainsi, à l’issue des travaux du Sommet de Pittsburgh qui s’est tenu les 25 et 26 septembre 2009, le communiqué final du G 20 avait insisté sur la nécessité d’« améliorer le fonctionnement des marchés de gré à gré de produits dérivés » par le biais notamment d’un renforcement de la transparence des marchés et des opérations, en raison de la double nécessité d’atténuer les risques systémiques et de prévenir les abus des marchés. Cette préoccupation a été inscrite au rang des priorités de la Présidence française du G 20, dont les travaux aboutiront lors du sommet de Cannes des 3 et 4 novembre 2011. Ainsi, outre la nécessité de poursuivre la réforme du système monétaire international et de renforcer le cadre de la régulation financière, le G 20 a inscrit à son agenda la lutte contre la volatilité des prix des matières premières, objectif fort opportunément complété par la nécessité de veiller à la sécurité alimentaire de la planète, celle-ci reposant en premier lieu sur une disponibilité suffisante des matières premières.
La situation actuelle est, à bien des égards, exceptionnelle. Comme le souligne un spécialiste français de ces questions : « jamais les prix n’ont été aussi élevés. Nous sommes au cœur d’un choc sur les marchés mondiaux, le plus important depuis les années 1970 » (2).
Vos rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de trouver des solutions qui soient opérationnelles au niveau international : en effet, la France ne pourra évidemment résoudre seule ces difficultés, même si les expériences qu’elle a connues peuvent le cas échéant servir de modèle ou de point de départ pour une réflexion plus vaste. Dans cette optique, vos rapporteurs savent que trouver des solutions communes à des pays aux cultures et approches si diverses sera complexe. Par exemple, si l’on réfléchit aux pistes éventuelles qui s’acheminent vers une quelconque forme de « régulation », il faudra se demander si le terme de « régulation » doit être compris au sens anglo-saxon, où il signifie avant tout transparence et mesures d’encadrement (comme l’a souhaité la désormais fameuse loi Dodd – Frank), ou s’il faut plutôt l’entendre au sens français, qui induit avant tout une stabilisation des cours ? De même, que doit-on penser de la volatilité ? Certains économistes se sont interrogés : que faut-il préférer entre une volatilité qui s’exerce à des niveaux mesurés et une stabilité des cours qui s’est fixée à des niveaux élevés ? En outre, si les pays anglo-saxons sont prêts à adopter des mesures destinées à prévenir et à réprimer les abus de marché, ils semblent vouloir éviter tout dispositif s’opposant frontalement à la spéculation. C’est pourquoi vos rapporteurs estiment que les propositions formulées dans ce rapport auront d’autant plus de chances d’être acceptées si elles sont présentées sous l’angle de l’amélioration du fonctionnement des marchés.
Si les questionnements et les défis sont importants, il convient, après avoir établi un constat aussi clair et complet que possible, de réfléchir aux solutions qui pourraient permettre de résoudre tout ou partie des difficultés actuelles.
Vos rapporteurs sont conscients de la difficulté des enjeux et des questionnements posés par l’évolution des prix des matières premières.
Ce rapport n’a évidemment pas la prétention de résoudre ces problèmes. Aussi, dans une première partie, le rapport s’attachera tout d’abord à mettre en évidence la situation particulière de la décennie 2000 où la hausse générale des prix des matières premières s’est conjuguée à une volatilité d’une intensité particulière.
Dans une deuxième partie, on constatera que l’instabilité des cours des matières premières s’explique, au-delà de certains aléas conjoncturels (météorologiques, géopolitiques, commerciaux ou même technologiques), par certaines tendances de fond affectant les marchés physiques internationaux, qu’il s’agisse de l’impact du développement de la Chine et d’autres pays émergents, des déséquilibres entre l’offre et la demande ou de l’opacité des marchés physiques.
Dans une troisième et dernière partie, ce rapport insistera sur la financiarisation des marchés de matières premières qui constitue un facteur d’amplification des déséquilibres affectant les fondamentaux économiques. Cette situation appelant des mesures de régulation coordonnées à l’échelle internationale, vos rapporteurs proposeront un certain nombre de propositions de nature à prévenir le risque d’instabilité des cours et à apaiser les tensions sur les marchés de matières premières. Il est à espérer que ces propositions nourriront utilement des débats qui n’ont que trop tardé et qui sont aujourd’hui cruciaux pour l’économie mondiale.
I.— LA HAUSSE GÉNÉRALE DES PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES CONSTATÉE AU COURS DE LA DÉCENNIE 2000 S’EST CONJUGUÉE À UNE VOLATILITÉ D’UNE INTENSITÉ PARTICULIÈRE
M. Christian Hocquard, économiste au Bureau de recherches géologiques et minières, a rappelé au cours de son audition que les cours des matières premières minérales avaient connu quatre grandes phases d’évolution au cours de la décennie 2000.
1. Avant 2002, les marchés obéissent à des fondamentaux traditionnels : l’offre, la demande, les stocks et les taux de change. Les fluctuations des cours de la plupart des métaux demeurent relativement limitées au cours des années 1990.
2. 2002 voit l’entrée de la Chine dans l’OMC. Cela correspond également peu ou prou à l’accélération de la croissance chinoise. Ce pays devient rapidement le premier consommateur mondial de la plupart des matières premières minérales, ce qui provoque une déstabilisation des marchés mondiaux.
Dans un second temps, à partir de 2005, les fonds d’investissements arrivent en masse sur les marchés de matières premières, notamment pour accompagner la demande chinoise. Ils investissent en fonction des grands indices mondiaux, tels que Reuters Jefferies, Goldman Sachs, FMI, Commodity Research Bureau, Standard and Poors et Dow Jones. Cet afflux de fonds aura pour effet d’auto-entretenir la hausse.
3. En septembre 2008 se produit le crash boursier à la suite de la faillite de Lehman Brothers. Les hedge funds, qui sont majoritairement placés sur des positions courtes, s’en séparent brutalement pour honorer les demandes de liquidité des banques. Les cours s’effondrent jusqu’à un niveau situé même en deçà des coûts de production de la plupart des métaux. Les principaux groupes miniers réagissent très vite et ferment de nombreuses mines.
4. Alors que l’on s’attendait à une reprise lente, la Chine reconstitue immédiatement ses stocks stratégiques, en particulier s’agissant du cuivre. Elle soutient la demande, ce qui fait remonter les cours. Parallèlement, l’ensemble des pays développés injecte des liquidités considérables dans le cadre des plans de sauvetage des banques. On assiste alors à une deuxième vague de financiarisation des matières premières très rapide. À la fin du premier trimestre 2009, les cours étaient revenus à leur niveau d’avant-crise.
Si cette évolution concerne plus particulièrement les métaux et les minerais, elle décrit relativement bien le comportement des autres matières premières. Les produits énergétiques ont connu des fluctuations encore plus importantes, notamment lors du pic de 2008, tandis que les matières premières agricoles, quant à elles, étaient sujettes à une moindre volatilité d'ensemble.
A.— UNE TENDANCE GÉNÉRALE NETTEMENT HAUSSIÈRE QUI DOIT TOUTEFOIS ÊTRE RELATIVISÉE
Plusieurs organismes internationaux publient un indice agrégé des prix qui permet d’obtenir une vue d’ensemble de l’évolution des cours des matières premières. Ces indices diffèrent les uns des autres essentiellement par le choix des matières premières retenues et la pondération entre chacune d’elles. Le tableau ci-dessous décrit la composition de quatre des principaux indices utilisés dans le monde, à savoir ceux du Fonds monétaire international (FMI), du Commodity Research Bureau (CRB), de la banque d’investissement Goldman Sachs (GSCI) ou encore de l’indice Dow Jones (DJAIG).
Les principaux indices de prix des matières premières
Indice |
Énergie |
Métaux industriels |
Métaux précieux |
Produits agricoles |
Évolution 2001-2010 |
FMI |
63,1 % |
10,7 % |
non inclus |
26,2 % |
146 % |
CRB |
17,6 % |
< 10 % |
17,6 % |
> 55 % |
44 % |
GSCI* |
78,65 % |
6,12 % |
1,81 % |
10,42 % |
129 % |
DJ AIG |
33 % |
18,2 % |
8,0 % |
40,8 % |
32 % |
* Cet indice comporte également une composante « Bétail » de 3,01 %.
On peut constater de forts écarts dans l’évolution générale des prix au cours de la décennie 2000. En particulier, les indices du FMI et de Goldman Sachs, en raison de la place importante qu’ils accordent à l’énergie – et qui, en cela, sont conformes à la réalité du commerce mondial –, font état des hausses les plus marquées.
Le GSCI est actuellement considéré comme l’un des indices permettant de mesurer au mieux les évolutions du marché et les performances des fonds d’investissement (3). Il est composé de 24 produits, sélectionnés en fonction de leur liquidité.
Composition détaillée de l'indice Goldman Sachs Commodity Index
Sous-Groupe |
Produits |
Poids dans l'indice global |
Énergie |
Gaz nature, Gasoil, Fuel domestique, Pétrole Brut, Brent et Gaz raffiné |
78,65 % |
Métaux industriels |
Zinc, Nickel, Plomb, Cuivre et Aluminium |
6,12 % |
Métaux précieux |
Or et Argent |
1,81 % |
Produits agricoles |
Cacao, Café, Sucre, Coton, Soja, Maïs, Blé, Blé rouge |
10,42 % |
Bétail |
Bétail vivant, Bétail à engraisser et Porcs maigres |
3,01 % |
Évolution de l’indice des prix des matières premières selon l’indice
Goldman Sachs Commodity Index, 2000-2011
Source : Standards & Poor GSCI Index
Cet indice a connu une hausse spectaculaire et quasi continue de 2002 à la mi-2008. Les prix ont doublé pour atteindre l’indice 400 à la mi-2005 et avoisiner l’indice 900 au milieu de l’année 2008. L’effondrement brutal qui s’en est suivi a ramené le cours à une base proche de 300 au début de l’année 2009, afin de céder la place à une nouvelle hausse extrêmement importante, qui ramène l’indice à des niveaux proches de 800 à la mi-2011. Au total, le prix des matières premières échangées dans le monde a été – en dollars courants – multiplié par près de 4 depuis le début de l’année 2000.
2. L’étude par catégories de matières premières
À l’intérieur de cette évolution d’ensemble, les grandes catégories de matières premières (énergie, métaux industriels, métaux précieux, produits agricoles) ne présentent cependant pas le même profil et une analyse plus détaillée s’avère indispensable. On peut ainsi constater que les produits agricoles n’ont pas connu, globalement, une poussée des prix aussi forte que celle des métaux, d’une part, et de l’énergie, d’autre part. Quant aux produits alimentaires, ils présentent une hausse moins spectaculaire que ces derniers mais aux effets immédiats beaucoup plus dévastateurs sur les populations les plus pauvres.
ÉVOLUTION DES COURS DU PÉTROLE, DES MÉTAUX PRÉCIEUX
ET DES PRODUITS ALIMENTAIRES, 1998-2011 (indice 100 en janvier 1998)
Source : COE Rexecode Source : COE Rexecode
Signe de l’effervescence des marchés, sur les 41 matières premières référencées par l'indicateur Cyclope (4), 38 d'entre elles ont vu leur prix augmenter en 2010, la plupart dans des proportions considérables.
Évolution des prix mondiaux de certaines matières premières
(2010 par rapport à 2009, en %)
Source : Les marchés mondiaux de matières premières 2011
a) Les matières premières énergétiques
Les matières premières énergétiques exercent une influence prépondérante, tant en raison de leur poids dans les indices que de leur volatilité, qui les fait atteindre des niveaux extrêmement élevés.
Le pétrole a vu son prix multiplié par 7 entre 2001 et 2008. Alors qu’il atteignait 10 dollars le baril (pour le WTI coté au NYMEX de New York) en décembre 1998 (et 9,80 dollars pour le Brent de la mer du Nord), il est parvenu à un niveau de plus de 140 dollars en juillet 2008, avant de retomber sous les 40 dollars au début de l’année 2009. Il se situe aujourd'hui à un niveau proche de 100 dollars. Une différence de plus de 20 dollars persistait en octobre 2011 en faveur du Brent de la mer du Nord coté à Londres (ICE Futures UK) par rapport au pétrole WTI coté à New York, alors que ces deux pétroles présentent des caractéristiques très voisines. La première raison avancée pour expliquer ce phénomène tient aux écarts de production entre l’Amérique du nord et l’Europe. Les stocks sont au plus haut en Amérique du nord, car l’offre peine à trouver des débouchés du fait de la hausse des prix. La production du Canada et des États-Unis s’élève à près de 14 millions de barils par jour, alors que la production européenne, qui représente un peu plus de 4 millions de barils par jour, est à la fois modeste et en retrait par rapport aux années précédentes. Selon Goldman Sachs, l’origine de la divergence des prix proviendrait notamment des difficultés rencontrées par les plates-formes européennes, qui extraient de moins en moins de pétrole depuis le début de l’année 2011. La seconde raison tiendrait aux positions prises par les fonds indiciels sur les marchés à terme.
ÉVOLUTION DES COURS DU BARIL DE BRENT DE LA MER DU NORD, 1998-2011
Source : coe rexecode
Le gaz naturel a, quant à lui, vu ses cours s’accroître de près de 80 % sur le marché américain entre septembre 2007 et juin 2008, avant de chuter très lourdement jusqu’à la mi-2009. Ses cours suivaient traditionnellement, et avec parfois quelques mois de décalage, les évolutions du pétrole. Cette indexation était liée aux contrats de livraison à long terme (20 à 30 ans) conclus avec les pays producteurs à partir de la fin des années 1960, assortis de clauses relatives à l’évolution du prix du gaz fondée sur un panier de produits pétroliers (mazout, fioul lourd) avec lequel il est en concurrence. Le développement des gaz non conventionnels en Amérique du Nord a durablement décorrélé les cours du gaz et du pétrole et stabilisé le prix du gaz nord-américain à une fourchette comprise entre 25 et 30 dollars le baril. Sur les autres marchés, la corrélation avec le prix du pétrole tend à s’atténuer du fait de la libéralisation des marchés. Toutefois, même sur un marché dérégulé, une relation indirecte existe avec le marché pétrolier en raison des possibilités de substitution entre sources d’énergie.
ÉVOLUTION DES COURS DES MATIÈRES PREMIÈRES ÉNERGÉTIQUES, 2006-2011
Source : FMI, avril 2011
b) Les matières premières agricoles
Les matières premières agricoles à usage alimentaire
Les matières premières agricoles à usage alimentaire concernent à la fois les matières premières végétales (à commencer naturellement par les céréales mais également des produits comme le cacao ou le sucre) et les matières premières animales.
Le cours du blé a connu ces dernières années une évolution particulièrement erratique en raison de causes extrêmement diverses qui, prise sur une moyenne période, constitue à elle seule un cas d’école de ce que peut être la volatilité du prix d’une matière première.
Après une augmentation constante depuis le début des années 2000, le prix du blé a véritablement explosé entre 2007 et 2008 (hausse de 190 %), le boisseau (soit 27,2 kg) passant de 4,60 $ en avril 2007 à 13,18 $ en mars 2008, la tonne ayant même été négociée au prix astronomique de 272 euros au cœur du mois d’août 2007 ! Face à une dégradation des conditions météorologiques et une hausse importante de la demande (notamment de l’Égypte), les prix se sont donc envolés au détriment des pays les plus pauvres. Puis, brusque retournement de situation, les récoltes ayant été abondantes, le climat plus favorable et les stocks s’étant quelque peu reconstitués, le prix du boisseau a fortement diminué pour finalement atteindre 7,31 $ en mai 2008. Après avoir atteint environ 120 euros la tonne en octobre 2009, le cours du blé a de nouveau entamé une hausse longue et persistante à compter du mois de juin 2010. Alors que les conditions climatiques se sont fortement dégradées dans l’Union européenne qui est, avec les États-Unis, le Canada, l’Argentine, l’Ukraine, l’Australie, la Russie et le Kazakhstan, le principal producteur mondial de blé (soulignons la place de la France qui exporte annuellement près de 13 millions de tonnes de blé hors des frontières de l’Union), la baisse attendue des rendements a entraîné une hausse des cours ; le contrat de blé pour une livraison en septembre 2010 a ainsi pris 37,25 cents en une seule journée, faisant passer le boisseau à plus de 5,96 $ en plein milieu du mois de juillet. Cette tendance s’est alors emballée puisque la tonne de blé est passée du 15 au 16 juillet de 166,50 à 176,25 euros.
L’extrême sécheresse subie par l’est de l’Europe, l’annonce par les États-Unis de surfaces cultivées inférieures aux prévisions, la sécheresse atteignant également le Midwest américain… autant de causes qui ont engendré une hausse globale de 25 % des cours du blé (la canicule en Russie et les dramatiques incendies du mois d’août 2010 ayant par ailleurs condamné près de 20 % de la récolte en blé de ce pays, faisant passer les prévisions de récoltes de 97 millions de tonnes en 2009 à seulement 70 à 75 millions en 2010). À cela, il a également fallu ajouter la décision du gouvernement russe de bloquer les exportations de blé vers le reste du monde jusqu’à la fin de l’année 2010 afin d’endiguer, autant que faire se peut, la hausse du prix des denrées sur le marché alimentaire. Au final, le 4 août 2010, la tonne de blé cotait à 223,50 euros sur Euronext (premier groupe mondial de places boursières) soit une hausse de plus de 70 % en l’espace d’un mois. La légère baisse constatée dans les semaines qui ont suivi a néanmoins été partiellement bloquée par les fortes inondations qui, au mois de décembre, ont frappé l’Australie (notamment la région de la Nouvelle-Galles du sud, dans le sud-est de l’île). Comme l’avaient par exemple relevé les analystes de Commerzbank à cette époque, « les chutes de pluie, qui touchent plusieurs régions d’Australie, empêchent les moissons d’avancer. Les exportations de blé de haute qualité du pays pourraient tomber à leur plus bas niveau depuis quatre ans ». Par ailleurs, dans un mouvement quelque peu contradictoire, l’annonce de pluies attendues sur les zones américaines de production de blé ont de leur côté permis de relâcher quelque peu la pression sur les cours du blé qui, néanmoins, ont de nouveau augmenté pour atteindre 256 euros la tonne au début du mois de janvier 2011.
La hausse attendue des rendements à travers le monde (selon une analyse de l’USDA, département de l’agriculture américain, en date du 9 juin 2011, la production ukrainienne de blé devait passer à 19 millions de tonnes, soit 2,2 millions de tonnes de plus que l’année précédente, la production russe devant quant à elle passer de 41,5 à 53 millions de tonnes) a eu pour effet de maintenir les prix à des niveaux élevés (donc bénéfiques pour les pays producteurs) soit près de 200 euros la tonne au milieu du mois d’août, la production mondiale atteignant 672,09 millions de tonnes (soit 9,67 millions de tonnes supplémentaires par rapport aux prévisions initiales, selon un document de l’USDA du 11 août 2011). Le 14 septembre, le blé cotait finalement à 201,50 euros la tonne.
Le maïs est une céréale cultivée sur les cinq continents, la production mondiale devant atteindre 854,7 millions de tonnes (l’USDA ayant revu ses prévisions à la baisse puisque l’estimation qu’il avait faite au mois d’août était de 860,5 millions de tonnes), les États-Unis ayant enregistré des rendements moins importants que prévus (la production américaine étant estimée à 317 millions de tonnes contre 328 au mois d’août).
À l’instar des autres céréales, le maïs a vu son cours évoluer de façon extrêmement heurtée au cours des dernières années. La production, dépendant très largement de causes naturelles (le maïs étant une céréale irriguée à plus de 70 %, chaque épisode de sécheresse peuvent donc avoir des conséquences catastrophiques), était de 777,56 millions de tonnes en 2008-2009 contre 779,83 millions de tonnes un an plus tôt (la production américaine ayant diminué de près de 24 millions de tonnes). Pour l’exercice 2011 / 2012, la production mondiale de maïs est estimée à près de 868 millions de tonnes, cette augmentation continue depuis deux ans étant notamment due à une hausse de 3 % par an de la superficie des terres cultivées.
Le cours du maïs, qui cotait à 155 euros la tonne sur le marché français en octobre 2006, a ainsi connu de brèves oscillations jusqu’au mois d’avril 2007 où il a commencé d’augmenter pour atteindre 164 euros la tonne en avril, 185 euros la tonne à la fin du mois de juin et même un pic de 245 euros la tonne à la fin du mois d’août 2007. Les cours ont ensuite entamé une baisse continue, aboutissant au prix de 182,50 euros la tonne à la fin du mois d’avril 2008. À l’image de l’ensemble des matières premières agricoles, le cours du maïs a ensuite connu une forte baisse (118 euros la tonne en novembre 2008) avant de connaître quelques fluctuations autour d’un pivot que l’on peut estimer à environ 135 euros. La tendance haussière qui a particulièrement frappé les céréales au cours de l’année 2010 n’a naturellement pas épargné le maïs qui, souffrant à la fois d’une demande à la hausse et de récoltes plus faibles que prévues (notamment aux États-Unis, en Chine et en Argentine, les trois principaux pays producteurs à l’échelle mondiale), a atteint des prix extrêmement élevés. De 150 euros, la tonne de maïs est ainsi passée à 195,50 euros à la fin du mois de juillet, 235,25 euros la tonne au début du mois de février 2011 et même 238,25 euros la tonne au mois de juillet 2011 (la tendance actuelle étant néanmoins à la baisse même si l’abondance des récoltes attendues sur le continent européen ne suffit pas à détendre une situation mondiale extrêmement fragile).
Évolution du cours du maïs (en dollars le boisseau)
Source : http://www.gecodia.fr/Graphique-cours-du-Mais--cours-du-Mais_a1923.html
Actuellement, une des denrées agricoles les plus suivies sur les marchés est le cacao. En effet, le prix de la fève a connu des variations extraordinaires au fil des années récentes puisqu’elle a atteint, en février 2011, un sommet véritablement historique, le cours atteignant 3 666 dollars la tonne sur le NYBoT-ICE américain (New York Board of Trade - Intercontinental Exchange), les contrats conclus à la même époque étant de 2 378 dollars la tonne sur le LIFFE de Londres). Comme on le verra ultérieurement dans le cadre de ce rapport, le cacao est un parfait exemple des conséquences que peuvent avoir certaines décisions politiques sur le cours des matières premières, indépendamment donc des fondamentaux de l’économie d’un pays.
Les principaux producteurs sont les pays d’Afrique de l’Ouest avec 71,6 % de la production mondiale en 2010/2011 (à commencer par la Côte d’Ivoire qui, premier producteur mondial, représente plus de 34,2 % de la production mondiale en 2009-2010 avec 1 242 000 tonnes, et un volume estimé à 32,29 %, soit 1 300 000 tonnes, pour la récolte 2010 / 2011), les pays d’Asie et d’Océanie (l’Indonésie produisant ainsi près de 550 000 tonnes de caco en 2009-2010, le volume ayant quelque peu diminué dans les prévisions pour l’exercice 2010 / 2011 pour atteindre seulement 510 000 tonnes) et quelques pays d’Amérique du Sud, à commencer par le Brésil (198 000 tonnes attendues en 2010 / 2011) et l’Équateur (la production étant estimée à 140 000 tonnes pour la même période).
Les sommets atteints ont été l’aboutissement d’une hausse qui avait été continuelle au cours de l’année 2010. Sur le marché LIFFE de Londres (le LIFFE, London International Financial Futures and options Exchange, étant le marché à terme britannique), le prix de la tonne de fèves brunes pour livraison en mars 2011 avait atteint, au début du mois de décembre 2010, 1 960 livres sterling, subissant ainsi une hausse spectaculaire de 5 % en deux jours (les 1er et 2 décembre). De l’autre côté de l’Atlantique, sur le marché NYBoT-ICE, le contrat pour livraison à la même échéance avait connu une progression inédite de 6 % dans la seule journée du 2 décembre 2010, la tonne de cacao atteignant alors 2 920 dollars la tonne. Depuis, en raison notamment de la situation politique de la Côte d’Ivoire et d’une forte remontée des stocks, le cours du cacao a subi une chute tout aussi importante que l’avait été la hausse il y a encore quelques mois. Au début du mois d’avril 2011, le cours avait ainsi chuté pour se fixer à 2 980 dollars la tonne (cotation à New York), la tendance état la même sur le LIFFE londonien (la tonne pour livraison à mai 2011 s’étant alors négociée à 1 915 livres). En raison de récoltes excédentaires tant en 2009-2010 qu’en 2010 / 2011 (plus de 325 000 tonnes !), les cours du cacao ont continué de baisser pour atteindre, au début du mois d’octobre 2011, environ 1 750 livres la tonne (New York cotant à 2 784 dollars la tonne), menaçant ainsi sérieusement l’économie des principaux producteurs.
Tableau des principaux producteurs mondiaux de cacao
Évolution du cours du cacao (en dollars la tonne)
Autre exemple de produit à la volatilité importante, le sucre dont les variations ont été nombreuses au cours des années récentes. Produit principalement à base de betterave à sucre et de canne à sucre, cette précieuse matière première a connu une forte hausse en 2009 en raison d’un fort déséquilibre entre l’offre et la demande, l’Inde notamment ne parvenant pas à reconstituer des stocks suffisants. À l’automne 2009, le sucre raffiné a donc atteint 537 livres la tonne à Londres (à échéance du mois d’octobre), le sucre non raffiné ayant atteint pour sa part le prix de 20,68 cents la livre sur le marché de New York : un record depuis plus de vingt-cinq ans aux dires des spécialistes ! Les tensions sur l’offre s’étant confirmées (en raison principalement de mauvaises récoltes au Brésil, premier producteur mondial, et en Inde, premier importateur mondial), les cours ont continué d’augmenter, pour atteindre 28,68 cents la livre de sucre brut (pour livraison en mars) sur le NYBoT-ICE en janvier 2010, la tonne de sucre blanc pour livraison en mars étant dans le même temps cotée à 767 dollars la tonne.
Brusquement, en raison d’un retournement météorologique, l’envolée du début d’année 2010 a fait place à une baisse des cours dès le mois de mars, le sucre passant de plus de 760 dollars la tonne à 490 dollars la tonne à la fin du mois de mars, retrouvant les niveaux atteints un an plus tôt. En dépit d’une situation qui demeurait tendue, l’annonce par l’Inde d’une hausse prévisible de sa production (passant de 14 millions de tonnes annoncées quelques mois plus tôt à plus de 18 millions de tonnes) avait permis, en un temps record, de retourner la tendance haussière qui frappait le marché depuis des mois.
Les tensions générales sur les marchés dérivés (générées notamment pas des récoltes en baisse, celle pour la saison 2008 / 2009 ayant été de 13 millions de tonnes inférieure à la précédente, et par des stocks au niveau historiquement bas) ont néanmoins exercé de fortes contraintes sur le marché du sucre qui, rapidement a connu une réelle reprise. La tonne de sucre brut a ainsi de nouveau dépassé les 750 dollars (pour livraison en mars 2011). Cette tendance a ensuite perduré en raison des aléas climatiques frappant l’Australie (balayée par le cyclone Yasi à la fin du mois de janvier 2011), quatrième exportateur mondial, et l’Amérique du Sud (en proie à de fortes sécheresses). Fort logiquement, le sucre a atteint de nouveaux records, cotant à 769,60 dollars au 1er août 2011 (augmentation de 32 % en deux mois), la tonne de sucre blanc s’échangeant aujourd’hui à 657 livres sur le LIFFE, ayant récemment subi une hausse de plus de trente livres en une seule semaine ! Dans le même temps, sur le marché américain, le sucre était passé de 24,30 cents la livre à 25,19.
Évolution du cours du sucre au cours de l’exercice 2010-2011
(en livres sterling la tonne)
Source : http://www.boursereflex.com/bourse/Matiere-Premiere_Sucre-London-Sugar/graphique/
Parmi, les grandes céréales, le soja fait l’objet d’une particulière attention en raison de la complexité de son évolution sur les marchés internationaux et de sa forte dépendance du marché de la viande, le soja étant un des aliments privilégiés du bétail. En janvier 2008, le contrat de graines de soja (pour livraison au mois de mars) a atteint 13,1025 dollars, soit un dépassement de plus de 0,20 dollars par rapport au pic qui avait été atteint en juin 1973.
Le cours du soja a ensuite augmenté de façon continue au cours de l’année 2007 pour atteindre un pic en février 2008 à plus de 572 dollars le tourteau de soja coté à Chicago. Le prix a ensuite baissé de manière quasi ininterrompue au cours de l’exercice 2008-2009 (359 dollars en décembre 2008) avant de reprendre son envolée, clôturant à près de 479 dollars en août 2009 (soit 526,37 dollars la tonne de soja). Comme l’ont pointé certains observateurs, à côté du boisseau qui a
gagné 36 % au cours du second semestre 2010, l’huile de soja a pris 56 % et le tourteau 20 % sur cette même période. Par ailleurs, des études ont mis en évidence le fait qu’en 2008-2009, la volatilité des graines de soja sur le marché à terme de Chicago est trois fois plus importante que celle du taux de change dollar / euro (5).
En raison de fortes tensions persistant sur l’offre (les trois premiers producteurs mondiaux ayant annoncé au cours de l’exercice 2010 une baisse de leurs rendements en raison principalement de conditions météorologiques défavorables) et d’une demande (notamment chinoise) toujours aussi importante, le soja a atteint fin décembre 2010 son plus haut niveau depuis plus de deux ans, soit 624,28 dollars la tonne. Après avoir connu une légère baisse puis de nouveau atteint un niveau important le 9 février 2011 avec 14,46 dollars le boisseau (soit 531,69 dollars la tonne, le boisseau américain équivalant à 0,02721 tonne), le cours du soja a progressivement diminué pour coter actuellement à 11,80 dollars le boisseau, la livraison pour janvier 2012 oscillant entre 11,57 et 14,51 dollars.
Évolution du cours du soja en 2007-2008
(en centimes de dollar le boisseau)
Source : OnVista Gruppe
La forte volatilité (généralement à la hausse) qui a affecté les matières premières agricoles végétales a naturellement eu, entre autres conséquences, un impact sur le prix des produits carnés (par ailleurs affectés par la hausse des prix des intrants et de l’énergie). Ainsi, en février 2011, c’est-à-dire au plus fort de la crise ayant récemment touché les marchés de céréales, le prix du bœuf dépassait 1,10 dollar la livre sur le CME (Chicago Mercantile Exchange) ce qui était exceptionnel. Au total, sur un an, le prix du bœuf américain avait augmenté de 25 %, le prix du bœuf vendu directement au consommateur ayant pour sa part connu une hausse de 6,5 % sur la même période. Sur l’ensemble du marché mondial, ce sont les pays du Mercosur qui constituent le premier exportateur de viande bovine, à commencer par le Brésil (le second rang étant tenu par l’Australie). Si l’on étudie le prix du bœuf dit à l’« entrée de l’abattoir » tel qu’il est coté à Sao Paulo, son évolution a été importante et a suivi de façon assez mécanique les variations affectant le cours des céréales : de 1,50 euro le kilogramme de carcasse en janvier 2000, il est passé à 1 euro en juillet 2003 puis à 2,60 euros en juillet 2008, 1,70 euro en janvier 2009 pour finalement atteindre un pic de 3,20 euros le kilogramme en janvier 2011. Résultant principalement de l’évolution du cours du soja, le prix de la viande de porc vendue sur le marché chinois a également connu des hausses brutales au mois de juillet 2011, gagnant 3,4 % en une seule semaine, le prix de la viande de porc ayant finalement connu une augmentation de 40,4 % en base annuelle.
Si l’impact de l’évolution du prix des matières premières agricoles végétales est donc avéré, il convient néanmoins d’être prudent puisque celui-ci est ambivalent.
En effet, d’un côté, les volumes attendus de foin et de fourrage ont pu diminuer sous l’effet d’événements climatiques (fortes sécheresses notamment), entraînant de ce fait de moindres récoltes et une raréfaction de la nourriture disponible dans les aires habituelles de pâturage. L’offre de fourrage étant alors inférieure à la demande, le prix de la paille a mécaniquement augmenté, passant de 25 euros la tonne (prix habituellement pratiqué à l’échelle européenne) à près de 60 euros comme ce fut le cas à la fin du mois de mai 2011. En outre, il apparaît que les céréaliers ont également contribué à favoriser la hausse du prix des fourrages par un autre canal. Souffrant, pour diverses raisons, d’une baisse de leurs rendements, certains producteurs ont en effet pu chercher à compenser leurs pertes de revenus par une augmentation du prix de la paille. Lorsque l’on sait que le fourrage représente environ un tiers des coûts de production chez un éleveur, les conséquences sont immédiates : sauf à perdre une partie importante de leurs revenus, les éleveurs se voient contraints d’augmenter leurs prix de vente. Or, les conséquences d’une hausse du prix du fourrage peuvent se révéler dramatiques et, comme on l’a précédemment laissé entendre, contradictoires. C’est en effet ce type de situation qui a poussé certains producteurs à abattre, à la fin de l’année 2010 et au cours du premier semestre 2011, une partie de leurs troupeaux avant les échéances prévues faute de nourriture suffisante à leur donner. Or, véritable revers de la médaille, cette attitude a eu pour effet d’engorger les abattoirs (certains, en France, refusant même d’accueillir de nouveaux animaux), entraînant fort logiquement une baisse parfois importante des cours de la viande, l’offre étant alors supérieure à la demande !
Enfin, il convient de préciser que l’impact de la volatilité du prix de ces matières premières agricoles varie selon l’élevage considéré. Si la hausse du cours de la viande a été particulièrement importante dans les filières du porc et de la volaille, où les céréales représentent respectivement 55 et 63 % de la nourriture (statistiques de FranceAgrimer), elle a été beaucoup plus mesurée dans les élevages bovin et ovin. De même, l’impact a été plus important à l’égard de l’activité « d’engraissement », où le poids des aliments est plus fort, que dans la filière « allaitement » par exemple : les comparaisons chiffrées montrent que l’impact y est supérieur de 1 à 1,3 point. Enfin, ce lien de causalité doit être affiné en raison des modifications intervenues dans la composition de la nourriture habituellement donnée aux animaux, les éleveurs ayant logiquement cherché à atténuer les hausses des cours auxquelles ils devaient faire face en donnant moins de céréales et peut-être plus de paille aux animaux.
Compte tenu des liens existant entre prix des matières premières agricoles et produits carnés, vos rapporteurs ne peuvent qu’encourager les discussions au sein des filières qui peuvent parvenir à des accords intéressants pour l’ensemble des protagonistes. Ainsi, si l’on prend l’exemple français, on ne peut que saluer l’accord, signé sur la base du volontariat en présence du ministre français de l’agriculture le 3 mai 2011, entre 13 organisations professionnelles représentant agriculteurs, industriels et secteur de la distribution et qui prévoit la réouverture des négociations commerciales entre ces différents partenaires lorsque les prix de l’alimentation animale, notamment les céréales, dépassent un certain niveau, à la hausse comme à la baisse. Les conditions de mise en œuvre ont été minutieusement mises en place. Il faut en effet que les prix de l’alimentation animale soit de + / - 10 % par rapport au même mois de l’année précédente et ce pendant trois mois consécutifs. Par ailleurs, l’évolution de la part du coût de l’alimentation dans le prix à la production doit se situer à + / - 10 %, au-delà ou en deçà d’une référence préétablie. Un corridor de prix est alors défini de manière à lisser l’impact de la volatilité des cours des matières premières agricoles au profit des filières des viandes bovine, avicole et porcine. Vos rapporteurs souhaiteront d’ailleurs, parmi les propositions concluant le présent rapport, insister sur ce dialogue et sur la logique de contractualisation qui y préside (proposition n° 33).
Les matières premières agricoles à usage industriel
Les matières principales que l’on peut distinguer au sein de ce groupe sont le coton, les peaux ou bien le caoutchouc. On ne s’arrêtera ici que sur la situation du coton qui a connu des niveaux historiquement élevés, les plus hauts depuis la Guerre de Sécession !
Au début du mois de décembre 2010, le cours du coton a brusquement augmenté en raison des craintes de pénuries, notamment en provenance de l’Inde ; la livre de coton a ainsi presque atteint 1,50 dollar (le contrat à échéance mars 2011 ayant pour sa part gagné en une semaine plus de 0,21 dollar, passant ainsi de 1,1176 à 1,3234 dollar). Au-delà de causes facilement décelables sur lesquelles on reviendra dans le cadre du présent rapport, la spéculation a fortement amplifié les mouvements du prix du coton, celui-ci atteignant de nouveaux sommets au début de l’année 2011, le contrat pour livraison à trois mois s’échangeant à 1,5694 dollars la livre. Les tensions existant sur l’offre ne répondant pas à une demande qui s’est avérée toujours vigoureuse, le coton a atteint 1,6769 dollar la livre fin janvier 2011, un niveau jamais vu depuis plus d’un siècle. Le pic a néanmoins été atteint en mars 2011 avec une livre de coton cotée à 2,27 dollars, les investisseurs ayant parié sur une baisse des cours qui n’est jamais venue et qui ont dû accélérer leurs achats pour faire face à la demande et reconstituer leurs réserves !
Un rééquilibrage entre l’offre (qui semble être plus importante que prévue) et la demande (qui tend à diminuer, en raison même de la hausse des cours qui a conduit à l’annulation de certaines commandes) a tout de même permis de détendre le cours du coton au cours des semaines suivantes, la livre de coton ne valant plus, à la fin du mois de mai 2011, que 1,5280 dollar pour livraison en juillet. Bien que semblant bénéficier d’une baisse continue depuis quelques mois, le cours du coton a tout de même connu quelques soubresauts au point d’opérer actuellement une remontée non négligeable, la livre de coton pour livraison en décembre s’échangeant mi-septembre 2011 à 1,1152 dollar (contre 1,0589 une semaine plus tôt).
Les métaux – précieux comme industriels – ont vu leurs prix évoluer de manière beaucoup plus spectaculaire que celle des produits agricoles à usage alimentaire ou industriel, sans toutefois atteindre les niveaux des matières premières énergétiques.
● Les métaux précieux
Le cours de l’or, 1998-2011
Source : COE Rexecode
Jusqu’en septembre 2011, le cours de l’or n’avait quasiment pas été affecté par la crise. Bien au contraire, considéré comme une valeur refuge, l’or bénéficie généralement des périodes de fortes turbulences économiques. Sous l’effet conjugué de la crise des dettes souveraines européennes, du ralentissement économique mondial et, probablement, de la spéculation, son cours a augmenté continûment depuis début 2009 pour dépasser 1 900 $ l’once (soit 31 grammes) en septembre 2011 (le prix record de 1 921 $ a été atteint le 6 septembre) ; il a toutefois connu un reflux les semaines suivantes, pour se stabiliser au-dessus de 1 600 $ fin septembre. Cette baisse – la plus brutale depuis 28 ans ! – s’explique par trois facteurs principaux : des ventes liées au besoin de liquidités dans un contexte de chute des marchés de valeurs mobilières ; la hausse du dollar, qui attire les capitaux et renchérit l’or libellé en dollar ; enfin, l’or a pâti de la baisse générale des cours des matières premières. L’accroissement récent de la volatilité de ses cours a modifié les perceptions des investisseurs à son sujet : il apparaît désormais comme un actif plus risqué.
Les réserves mondiales s’élèvent à 47 000 tonnes, et laissent espérer une durée de disponibilité particulièrement faible - environ vingt ans. Les principaux pays détenteurs de réserves sont l’Afrique du Sud (13 %), l’Australie (11 %), la Russie (11 %), les États-Unis (6 %) et l’Indonésie (6 %). La durée estimée des réserves au rythme de production actuelle (2 300 tonnes par an) est d’environ 20 ans. Toutefois, la perspective de la raréfaction de l’or est à relativiser dans la mesure où ses applications industrielles représentent moins de 15 % de la production mondiale. (6)
Le cours de l’argent, 2001-2011 (en $)
Source : InfoArgent.com
Le cours de l’argent au COMEX (Commodity Exchange) de New York a connu une évolution particulièrement heurtée depuis début 2010. Passant de 17 $ l’once en avril 2010 à 48 $ en avril 2011, il a ensuite fortement rechuté jusqu’à un niveau de 31 $ en octobre 2011. Le marché de l’argent est traditionnellement plus volatil que celui de l’or, car plus étroit et davantage lié à la demande industrielle et à la croissance économique. Par ailleurs, la spéculation semble y jouer un rôle non négligeable. À la suite d’un premier relèvement de 13 % des dépôts obligatoires exigés par le Chicago Mercantile Exchange (CME)7 pour la réalisation d’opérations sur les marchés à terme, en avril 2011, les cours de l’argent ont diminué de 25 % en deux séances. Une seconde hausse des dépôts obligatoires de 16 %, en septembre 2011, s’est traduite par une nouvelle baisse brutale des cours : l’argent a perdu au total 35,4 % depuis son plus haut de 48 dollars l’once d’avril 2011.
Après avoir connu plusieurs années de désintérêt de la part des industriels – son déclin étant spectaculaire dans le domaine de la photographie –, l’argent connaît un regain de faveur pour deux raisons principales. D’une part, il semble être parvenu à concurrencer l’or dans sa fonction de rempart contre l’inflation. Ceci explique que, par exemple, la demande de l’Inde ait très fortement augmenté, comme l’atteste l’importation de 300 tonnes d’argent au mois d’avril 2011. D’autre part, de nouvelles applications ont récemment fait leur apparition, ce qui devrait entraîner, selon certains analystes, un doublement de la demande d’argent dans les dix ans à venir. Outre le traitement des eaux usées, la fabrication de textiles et la conservation des aliments, l’application la plus prometteuse est sans nul doute la fabrication de cellules photovoltaïques. Cela devrait permettre de limiter la volatilité des cours de l’argent à moyen terme, même si de nombreux analystes estiment que ses cours sont artificiellement gonflés.
Les tensions sur le prix devraient toutefois demeurer puisque l’argent est l’un des métaux dont les réserves devraient connaître l’extinction la plus rapide (on estime que cela devrait survenir dans une quinzaine d’années). La situation est rendue plus complexe encore par le fait que les deux tiers de la production sont un sous-produit d’autres métaux. Toutefois, à l’instar de l’or, les conséquences d’une pénurie doivent être relativisées car aucune application ne semble complètement dépendante de l’argent.
● Les métaux de base
Les graphiques ci-après présentent l’évolution des cours des principaux métaux de base au London Metal Exchange (LME, premier marché mondial des métaux).
INDICE DES PRIX DES MÉTAUX COMMUNS, 1998-2011
Source : COE Rexecode
Le cours de l’Étain, 1998-2011
en $
Source : COE Rexecode
Dans un contexte de diminution de la production dans les principaux pays producteurs – la Chine (45 %), l’Indonésie (30 %) et le Pérou (11 %) –, le cours de l’étain a connu une envolée historique début 2011, pour dépasser 33 000 dollars la tonne, avant de revenir à 28 000 dollars la tonne à la mi-2011. Les réserves, estimées à 5,6 millions de tonnes, sont principalement détenues par la Chine (31 %), l’Indonésie (14 %), le Pérou (13 %), le Brésil (10 %), la Malaisie (9 %) et la Bolivie (8 %). Toutes choses égales par ailleurs, elles devraient permettre de répondre à la demande au cours des 20 à 30 ans prochaines années. C’est donc l’un des grands métaux dont la pénurie apparaît la plus proche. Or, il convient de rappeler que l’étain revêt une importance de premier plan pour l’industrie, notamment en raison de ses applications dans les alliages de soudure et le fer blanc. La consommation devant, selon les prévisions, rester stable au cours des prochaines années, la hausse des prix devrait encourager le recyclage ; en revanche, on ne connaît pas de réel substitut à ce métal.
Le cours du nickel, 1998-2011
en $
Source : COE Rexecode
Alors que les opérations minières reprennent, le cours du nickel, malgré une évolution en dents de scie, a connu une trajectoire ascendante depuis son point bas de la fin 2008, pour atteindre un pic de plus de 32 000 dollars début 2011 et redescendre à un niveau proche de 25 000 dollars la tonne à la mi-2011. Le coût marginal de production étant estimé à 22 000 dollars, le niveau élevé des cours doit être attribué, selon M. Jean-Didier Dujardin, directeur administratif et financier d’Eramet, aux achats de contrats à terme par les fonds d’investissement.
Les réserves mondiales s’élèvent à 70 millions de tonnes ; elles sont détenues principalement par l’Australie (37 %), la France (Nouvelle-Calédonie, 10 %) et la Russie (10 %). Au rythme de production actuelle (1,6 million de tonnes par an), on estime que les réserves pourraient s’épuiser d’ici 35 ans. Toutefois, il va sans dire que, si le cours du nickel se stabilisait à 50 000 dollars la tonne, comme en 2007, de nouvelles ressources deviendraient économiquement exploitables. De surcroît, la faible teneur en minerais de certains gisements peut être compensée par les progrès technologiques ; à titre d’exemple, le traitement chimique des latérites présentant une teneur de 1 % est aujourd’hui réalisable. La conjugaison du facteur prix et des progrès techniques rendent envisageable un doublement de la durée de disponibilité du nickel, soit 70 à 80 ans. (8)
Le cours du zinc, du cuivre, du plomb et de l’aluminium, 1998-2011
en $
Source : COE Rexecode
Le cours du cuivre est revenu et a même dépassé le niveau qui était le sien avant la crise. Métal indispensable à l’industrie et au secteur de la construction, ses cours sont historiquement très corrélés au niveau de la demande industrielle, aujourd’hui importante car stimulée par la consommation chinoise. Son cours était proche des 10 000 dollars la tonne à la mi-2011, après avoir dépassé ce niveau au début de l’année. Les plus importantes réserves mondiales de cuivre se trouvent au Chili (29 %), au Pérou (11 %), au Mexique et en Indonésie (7 % chacun), aux États-Unis (6 %), en Chine et en Pologne (5 % chacun). Les trois premiers exportateurs sont le Chili (45 %), le Pérou (16 %) et l’Indonésie (10 %). On estime que les réserves correspondent à une production d’une quarantaine d’années. Le commerce international de cuivre représente par ailleurs un volume important, dans la mesure où, hormis pour ce qui concerne les États-Unis, les pays consommateurs sont distincts des pays producteurs.
Le cours de l’aluminium a connu des évolutions relativement moins heurtées que celles des autres métaux non ferreux. Son cours est passé de 1 500 dollars au début de l’année 1998 à un peu plus de 2 500 dollars à la mi-2011. L’évolution des cours est largement déterminée par la demande chinoise, qui représente près de 40 % de la demande mondiale. Par ailleurs, les contraintes environnementales réduisent les capacités d’extraction, ce qui maintient une tension sur les prix. Enfin, le marché de l’aluminium est l’un des marchés des métaux les plus financiarisés : le ratio des contrats à terme sur les contrats physiques atteint ainsi le niveau record de 32. L’aluminium offre en effet, à l’instar de l’or, de l’argent et du cuivre, une protection contre l’inflation. Les fonds indiciels sur les matières premières consacrent en moyenne 15 % de leur exposition aux métaux industriels, principalement sur l’aluminium et le cuivre.
Les cours du plomb et du zinc ont connu depuis 2007 une évolution relativement similaire à ceux de l’aluminium. Toutefois, le plomb est le métal de base qui a connu l’augmentation de prix la plus spectaculaire entre 2002 et la fin 2007, celui-ci étant passé au cours de cette période d’un peu plus de 400 $ la tonne à près de 3 800 $. La production mondiale de plomb est destinée pour 70 % à la fabrication de batteries, essentiellement dans le secteur automobile. Le reliquat sert notamment à la fabrication de laminés, au gainage de câbles sous-marins et à de nombreux alliages. Le zinc, quant à lui, est principalement utilisé pour la galvanisation, la fabrication de toitures, et sert également dans de nombreux alliages ainsi que sous la forme d’oxydes.
3. Une hausse des prix à relativiser par la prise en compte de l’inflation
Les graphiques ci-après comparent les évolutions des cours du pétrole WTI (9) sur une très longue période, en dollars courants pour le premier et en dollars constants pour le second.
Évolution des cours du pétrole WTI en dollars courants, 1861-2009
Source : BP Statistical Review
Évolution des cours du pétrole WTI en dollars constants, 1861-2009
Source : BP Statistical Review
À la lecture de ces graphes, on constate qu’en valeur nominale, c’est-à-dire en dollars courants, le prix du pétrole brut n’a jamais connu un niveau aussi élevé que celui de juillet 2008, où il a atteint un pic de 145 dollars le baril. Le précédent point haut (un peu moins de 40 dollars le baril) datait du second choc pétrolier. En valeur réelle, cependant, le cours de 2008 apparaît moins exceptionnel, puisqu’il a pratiquement été atteint à la fin des années 1970 et a été largement dépassé au cours des années 1860. En effet, en tenant compte de la dépréciation de la monnaie, le cours atteint à la fin des années 1970 correspondait en fait à plus de 90 dollars (valeur 2007) le baril. C’est bien à cette aune qu’il faut comparer la valeur actuelle du brut. Comme l’indique M. Luc Guyau, « on a longtemps cru pouvoir dédramatiser la hausse de ces dernières années en considérant, qu’en valeur constante du dollar, le pic du second choc pétrolier n’avait pas été atteint. Ce n’est désormais plus du tout vrai » (10). M. Guyau ajoute qu’« il n’en va pas tout à fait de même pour l’ensemble des autres matières premières. Avec la même méthode utilisée pour neutraliser l’impact de l’inflation, l’indice d’ensemble, hors énergie et métaux, est encore loin de rattraper le niveau atteint dans les années 1970 ».
B.— LE CARACTÈRE PARTICULIÈREMENT ERRATIQUE DES MARCHÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES AU COURS DES ANNÉES 2000.
1. Comment calculer la volatilité ?
L’accroissement de la volatilité depuis une dizaine d’années, en particulier au cours de la période 2008-2009, a frappé les acteurs des marchés de matières premières et a mis en question le rôle de la spéculation. Les cours du pétrole, en particulier, ont connu des mouvements de grande ampleur. En outre, tandis que les épisodes précédents de forte volatilité étaient liés à des transformations structurelles ou à des événements géopolitiques majeurs, ce ne fut pas le cas au cours de la période 2008-2009.
M. Frédéric Lasserre, directeur général au département investisseurs matières premières de la Société Générale, précise que la volatilité, qui doit être dissociée de la tendance, désigne généralement des variations de prix brusques et de forte amplitude, et non pas de faibles variations autour d’un prix moyen. Cet indicateur peut être calculé de deux manières principales. Comme l’explique Mme Delphine Lautier (11), professeur de finance à l’université de Paris-Dauphine, « la notion la plus simple est la volatilité historique. Celle-ci est calculée sur la base des fluctuations de cours passés, sur une certaine période de temps(12). Toutefois, en présence d’options activement négociées, il est possible de calculer une autre volatilité, habituellement appelée volatilité implicite. Celle-ci correspond à l’écart type des fluctuations de prix permettant d’égaliser le prix de marché de l’option et son prix théorique. Alors que la volatilité historique n’incorpore que l’information passée, la volatilité implicite révèle les attentes des opérateurs quant à la volatilité future, en fonction de l’information disponible à un moment donné. » Cette définition est également celle retenue par M. Bernard Valluis, ancien économiste à l’INRA.
Les études mentionnées dans ce rapport présentent un caractère principalement rétrospectif et se fondent en conséquence sur la volatilité historique. Elles mettent en avant les évolutions récentes des prix des matières premières, tant à la hausse qu’à la baisse. Il convient en effet de rappeler qu’une baisse prolongée des cours peut avoir des conséquences aussi dramatiques qu’une évolution haussière. Outre les effets de revenu frappant les producteurs, une baisse des prix durable nourrit le sous-investissement et risque de conduire à des phénomènes de pénurie en cas de diminution brutale de l’offre ou de hausse subite de la demande.
2. La décennie 2000 est marquée par une volatilité d’une forte intensité dont l’ampleur doit toutefois être relativisée
a) La volatilité du prix du pétrole a connu une intensité particulière au cours de la décennie 2000
Le graphique ci-après, réalisé à partir de l'étude d'une période plus récente (1988 à 2010), met en lumière les mouvements de prix de grande ampleur qui ont caractérisé le marché du pétrole WTI de New York (NYMEX). Comme le fait observer M. Jean-Marie Chevalier, professeur à l’université de Paris-Dauphine, « la volatilité à 20 jours s’est maintenue au-dessus de 80 % sur toute la période, avec de nombreux pics supérieurs à 100 %. Un tel niveau avait néanmoins déjà été atteint en 1986 (lors de l’abandon des systèmes de prix administrés du brut) ou en 1991 lors de la première guerre du Golfe » (13).
volatilité historique à 20 jours du prix du pétrole brut wti (1ère échéance)
sur le nymex depuis 1988
Source : Groupe de travail sur la volatilité des prix du pétrole – Jean-Marie Chevalier
Une autre manière de constater l’ampleur de la volatilité au cours de cette période est d’observer les variations quotidiennes et intra-journalières des cours de clôture du pétrole brut WTI sur le NYMEX depuis 1988. À cette aune, comme le note M. Chevalier, « la période 2008-2009 apparaît exceptionnelle ».
Variation quotidienne des cours de clôture du pétrole brut WTI (1ère échéance) sur le NYMEX depuis 1988 (en $ par baril)
Source : Groupe de travail sur la volatilité des prix du pétrole – Jean-Marie Chevalier
Plage de fluctuation journalière des prix du pétrole brut WTI (1ère échéance)
sur le NYMEX depuis 1988 (en $/baril)
Source : Groupe de travail sur la volatilité des prix du pétrole – Jean-Marie Chevalier
M. Chevalier en conclut que « jamais les cours du pétrole n’avaient connu de mouvement directionnel d’une aussi grande ampleur sur une période aussi courte ». De surcroît, ce phénomène ne s’explique pas, contrairement aux épisodes précédents de forte volatilité, par des changements structurels majeurs ou des chocs géopolitiques. Il ne peut être relié qu’à l’importance de la crise financière de l’été 2008.
b) Le cycle des prix des matières premières au cours de la période 2008-2011 présente un caractère inédit
Après s’être effondrés à la suite de la crise financière de 2008, les cours des matières premières se sont stabilisés en février 2009 et ont vivement rebondi jusqu’en 2011, avant de connaître pour certains d’entre eux, un relatif repli. Comme le montre le FMI (14), la chute prononcée, puis le rebond des cours observés de 2008 à 2010, contrastent fortement avec les précédents cycles de tassement et de reprise (15). En effet, les cours des matières premières ont baissé trois fois plus que lors d’un cycle moyen, en quatre fois moins de temps que d’habitude. Ils ont ensuite rebondi bien plus rapidement, affichant une hausse de 33 % depuis le creux du cycle jusqu’à février 2010. Trois facteurs d’explication peuvent être avancés. Le premier d’entre eux tient au redressement plus vif que prévu de la demande mondiale, notamment grâce à la très forte stimulation de la politique macroéconomique. Le deuxième facteur d’explication réside dans le fait que les pays émergents consomment une part croissante de la production mondiale de produits de base. En particulier, le redressement des pays émergents d’Asie a été plus rapide que prévu. Le troisième facteur est la plus grande synchronisation des cours des matières premières avec les mouvements des marchés boursiers. Selon le FMI, ce phénomène s’explique principalement par le fait que l’ensemble des marchés présente une plus grande sensibilité à l’évolution économique générale. Aux yeux de l’institution financière, les facteurs économiques de base continuent à jouer un rôle prépondérant dans la formation des cours des matières premières.
Si ces différents éléments semblent attester une volatilité croissante des prix des matières premières, une optique de plus long terme permet de relativiser, dans une certaine mesure, l’importance de ce phénomène.
c) Ce constat doit toutefois être relativisé par l'observation des cours de long terme et l'analyse de la structure des marchés de matières premières
Au cours de son audition, M. Frédéric Lasserre a apporté un éclairage complémentaire qui tend à relativiser l’ampleur actuelle de la volatilité. « Des années 1980 aux années 2000, le prix du baril fluctuait entre 10 et 30 dollars, soit une variation de plus ou moins 50 % autour de la moyenne. Aujourd’hui, la variation est de même amplitude, mais autour d’un prix moyen de 100 dollars. On est sans doute passé d’un monde à 20 dollars à un monde à 100 dollars ».
Par ailleurs, à partir de l’étude des cours de 45 matières premières depuis la fin du XVIIIème siècle, une analyse récente publiée par la Banque mondiale (16) tend à montrer que, si l’on ne peut dresser aucun constat général en la matière, tant les cas individuels sont hétérogènes, la volatilité actuelle moyenne des prix des matières premières n'a pas atteint le niveau qui était le sien au cours de trois périodes particulières de l’histoire du XXème siècle, à savoir les deux guerres mondiales et l’effondrement du système de Bretton Woods. Cette étude reconnaît toutefois qu'il y a bien eu une élévation récente de la volatilité pour de nombreuses matières premières.
Matières premières ayant connu au moins un choc de volatilité, 1840-2010
(en % de l’ensemble des matieres premieres, par décennie)
Source : Oscar Calvo-Gonzalez, Rashmi Shankar et Riccardo Trezzi
Nombre de chocs de volatilité (à la hausse et à la baisse), 1840-2010
(en unités, par décennie)
Source : Oscar Calvo-Gonzalez, Rashmi Shankar et Riccardo Trezzi
À titre d’illustration, les graphiques ci-dessous mesurent la volatilité du cuivre et du pétrole sur longue période :
Volatilité du prix du pétrole brut, en % de variation mensuelle, 1860-2010
Source : Oscar Calvo-Gonzalez, Rashmi Shankar et Riccardo Trezzi
Deux césures sont identifiées : une baisse de la volatilité à partir de 1884 et une reprise de la volatilité en 1981.
Volatilité du prix du cuivre, en % de variation mensuelle, 1908-2010
Source : Oscar Calvo-Gonzalez, Rashmi Shankar et Riccardo Trezzi
Aucune césure particulière n’est identifiée sur le marché du cuivre, signe d’une constance de la volatilité à travers le temps.
Il convient par ailleurs de rappeler que les marchés de matières premières sont structurellement instables. Cette instabilité s’explique par des fondamentaux économiques tels que les variations de la production et de la consommation et l’inélasticité de l’offre et de la demande au prix.
L’intensité capitalistique de l’économie des matières premières est l’une des raisons première de l’inélasticité de l’offre. L’augmentation durable des prix encourage l’exploitation et l’exploration qui, à leur tour, aideront à converger vers un nouvel équilibre des prix. Le versant de la demande, lui, peut se révéler beaucoup plus volatil. Hormis les matières premières agricoles dont la consommation n’est sujette qu’à de faibles variations en raison de leur caractère vital, les matières premières non organiques sont fortement tributaires de la santé de l’activité économique en général et industrielle en particulier. Les incertitudes qui pèsent sur le niveau de l’offre et les fluctuations de la demande au gré de l’activité économique expliquent que les capacités de production et le niveau de la consommation ne soient que très rarement en situation d’équilibre. Ce déséquilibre quasi-permanent explique la cyclicité des cours des matières premières. Le cas de l’agriculture est particulièrement illustratif de cette situation.
La plupart des produits agricoles de base, notamment les végétaux, se caractérisent par une production à caractère fortement saisonnier et leur offre ne peut pas toujours s'adapter rapidement à l'évolution des prix ou de la demande, ce qui signifie que les marchés agricoles se définissent par un certain degré de variabilité. Des facteurs structurels, tels que la croissance démographique, les pressions exercées sur les terres agricoles et l'incidence du changement climatique, peuvent accentuer les tensions qui sont de plus en plus fortes sur les marchés agricoles.
Toutefois, la volatilité des prix des produits agricoles de base a atteint ces temps-ci des niveaux sans précédent. C'est le cas aussi bien sur les marchés européens et internationaux que sur les marchés au comptant et à terme. Au sein de l'Union européenne, les réformes successives de la politique agricole commune (PAC) ont sensiblement réduit les prix de soutien et les mesures connexes. Les producteurs et les négociants de produits de base sont donc devenus plus sensibles à l'évolution des prix du marché, ce qui les prédispose davantage, même si ce n'est pas le cas dans l'ensemble des secteurs agricoles, à utiliser les marchés à terme pour couvrir les risques. Le négoce d'options et d'instruments dérivés de gré à gré se développe également. Ces facteurs expliquent, dans une certaine mesure, le regain d'activité sur les bourses européennes et soulèvent deux questions en particulier : la sécurité de l'approvisionnement alimentaire et la nécessité d'une plus grande transparence sur les marchés des produits dérivés agricoles
La volatilité excessive des prix des denrées pèse aussi bien sur les producteurs que sur les consommateurs et a des répercussions importantes sur la sécurité de l'approvisionnement alimentaire pour les pays en développement importateurs de denrées. En 2007 et 2008, par exemple, lorsque les prix des produits alimentaires ont flambé, une grande partie de la population pauvre des pays en développement a réduit sa ration alimentaire. Les hausses de prix des produits alimentaires observées en 2010 pourraient entraîner une nouvelle augmentation de la malnutrition, des besoins humanitaires, des tensions et des troubles sociaux chez les consommateurs les plus faibles de la planète. Si une hausse des prix mondiaux est susceptible de stimuler la production agricole, les mécanismes de transmission des prix sont souvent imparfaits. Dans de nombreux pays en développement, les marchés des produits de base sont souvent déconnectés des marchés mondiaux ou, dans le meilleur des cas, les signaux des prix mondiaux sont transmis aux marchés nationaux avec un fort décalage, la réaction de l'offre nationale s'en trouvant souvent retardée.
Plusieurs analyses, notamment de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, de l'OCDE et de la Commission, portent sur l'évolution de l'offre et de la demande, exacerbée par des facteurs économiques et stratégiques à court terme (y compris des restrictions à l'exportation), qui expliquent en partie l'extrême volatilité des prix, notamment des facteurs spécifiques aux marchés financiers qui peuvent avoir amplifié les modifications de prix. Malgré les incertitudes qui subsistent, les perspectives établies pour les produits agricoles de base par plusieurs organisations, notamment les toutes dernières projections à moyen terme de la Commission européenne, appellent clairement trois conclusions :
– les prix des produits agricoles de base devraient rester supérieurs à leurs moyennes historiques, ce qui inverserait la tendance persistante à la baisse qui les caractérisait, du moins pendant un certain temps ;
– la volatilité des prix devrait également rester élevée, même si ses causes et sa durée continuent d'être incertaines ;
– le niveau des prix des intrants agricoles risque aussi de rester supérieur à ce qu'il a toujours été.
Compte tenu de tous ces éléments, la hausse des prix des produits agricoles de base n'entraînera pas forcément une majoration des revenus des agriculteurs, notamment si leurs marges sont fortement érodées par l'augmentation des coûts. Qui plus est, les problèmes auxquels pourraient être confrontés les pays importateurs nets de produits alimentaires et, plus généralement, les consommateurs les plus vulnérables en raison de l'incidence des prix sur l'augmentation des prix des produits alimentaires, sont évidents. Si une certaine variabilité fait partie intégrante des marchés agricoles, une volatilité excessive n'est bénéfique ni pour les producteurs ni pour les consommateurs.
L’instabilité des cours des matières premières provient pour partie de phénomènes d’ordre conjoncturel : l’aléa naturel, la géopolitique, les mesures anti-concurrentielles, les chocs technologiques et le marché des changes. Mais ce sont toutefois les tendances de fond des marchés physiques internationaux qui exercent une influence prépondérante en la matière.
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* *
II.— L’INSTABILITÉ DES COURS DES MATIÈRES PREMIÈRES S’EXPLIQUE, AU-DELÀ DES ALÉAS CONJONCTURELS,
PAR CERTAINES TENDANCES DE FOND DES
MARCHÉS PHYSIQUES INTERNATIONAUX
Les facteurs naturels, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles (tremblements de terre, tsunami, …), d’épidémies, ou d’événements climatiques exceptionnels (inondations ou sécheresses) ont, du fait de leur caractère non prévisible autrement qu’à court ou très court terme, des incidences majeures.
Si l’on jette un regard sur l’évolution des cours des principales matières premières agricoles au cours des dernières années, on constate immédiatement l’effet prépondérant des conditions climatiques sur les variations ainsi constatées.
Cette corrélation n’est pas nouvelle (cf. encadré ci-dessous) ; elle n’en est pas moins fondamentale dans les variations actuellement constatées.
L’impact des aléas agricoles : les enseignements de l’Histoire Comme l’a très bien montré Emmanuel Le Roy Ladurie dans sa monumentale Histoire humaine et comparée du climat (Fayard, 3 tomes), l’influence des effets climatiques sur le cours des matières premières agricoles a existé de tous temps. Afin de bien en mesurer toutes les conséquences, il est utile d’en faire un bref panorama, ne serait-ce que pour démontrer qu’il n’y a pas lieu de s’étonner aujourd’hui de la survenance de certains mécanismes déjà constatés hier. Dès l’été 1314, la Grande-Bretagne et l’Allemagne connaissent des pluies diluviennes qui gagnent l’ensemble de l’Europe à partir du milieu de l’année 1315. Les conditions climatiques demeurent désastreuses en 1316, se caractérisant notamment par de grosses pluies de printemps et, dans les années qui suivent (tout spécialement en 1321-1322) un hiver très rude : comme le note l’historien, « le dégât maximal pour l’ensemble de la période est céréalier ». En 1315, les récoltes de froment ont véritablement été désastreuses : le prix du quarter de froment qui était habituellement de 5 shillings monte à 26 shillings au cours de l’été 1316, la hausse des prix étant d’ailleurs encore supérieure en milieu urbain où ils atteignent même 40 shillings dès l’été 1315. Ces phénomènes climatiques ont vu leurs conséquences renforcées par une forte baisse de la production céréalière en Grande-Bretagne (réduction de l’offre céréalière de 40 % en 1315 et 45 % en 1316), entraînant immédiatement une « montée plus que proportionnelle du prix des céréales ». Cet enchaînement dramatique s’est reproduit lors de la grave crise céréalières de 1374 qui a été marquée par la hausse du prix du froment et de l’avoine (en conséquence, phénomène que nous constatons également aujourd’hui, le prix de la viande s’envole également puisque le bétail ou la volaille se nourrit notamment de grains et de plantes fourragères). Emmanuel Le Roy Ladurie parle d’ailleurs, au regard des événements survenus à cette époque de « double adversité climatique », les paysans ayant dû faire face successivement à de fortes sécheresses au printemps 1370 puis à de fortes pluies estivales qui ont fait pourrir les grains et les gerbes coupées. Achevant le processus, les grosses pluies qui ont frappé l’Allemagne, la France et l’Italie dans les années 1373-1374 (provoquant également de nombreuses inondations) ont conduit le prix du carton de froment, qui valait normalement environ 4 francs, à se vendre au prix de 12 francs en novembre 1374, de 16 en décembre, et même de 32 francs en avril 1375 ! L’année 1432, qui reste en Europe comme une « année hivernale froide puis pourrie (jusqu’en juillet) » a été marquée par une augmentation du prix du grain de 56 % par rapport à l’année précédente puis, à la faveur notamment de bonnes récoltes en 1433, par une baisse relativement continue du prix du blé (mais l’ensemble des céréales en ont bénéficié) jusqu’en 1436. L’année-récolte 1438-1439 est caractérisée par une extrême cherté frumentaire. L’Europe connaît ainsi une très mauvaise année en 1438, y compris dans les pays épargnés par les retombées directes de la Guerre de Cent ans, frappant de nombreuses contrées à commencer par la Grande-Bretagne qui subit de fortes pluies, celles-ci détruisant les récoltes et engendrant une hausse inexorable des cours (doublement puis, très vite, triplement des prix habituellement pratiqués). En revanche, dès que la météo est plus clémente, les rendements s’améliorent et, par le jeu de l’offre et de la demande, les cours baissent. Ainsi, les très belles années 1494 et 1495 marquées par une forte chaleur, des vendanges précoces et abondantes, et de bonnes récoltes de blé, ont bénéficié d’une forte baisse des prix, les plus bas depuis au moins vingt-cinq ans ! Les impacts météorologiques survenus par le passé ont naturellement conduit à des situations parfois dramatiques. Ainsi, l’hiver 1564-1565 fut doux puis extrêmement rigoureux (comme on n’en avait pas connu, semble-t-il, depuis 1479 ou 1480), avant d’être de nouveau marqué par le redoux et par de nouvelles froidures : Emmanuel Le Roy Ladurie rapporte ainsi un témoignage d’après lequel « les blés furent gelés en la Brie, de cette deuxième gelée, entièrement sur les sillons à cause que le vent, ayant chassé la neige de dessus, fut la racine de ces blés semés, recuite, en telle sorte que peu en réchappa ». Cet hiver terrible, qui frappe notamment la région parisienne mais aussi les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, pousse le prix des céréales à la hausse, le prix moyen passant ainsi de l’indice 100 à la fin de l’année 1564 à l’indice 228 au début de l’année 1566. On peut ainsi résumer l’évolution du prix du froment (en livres tournois le setier, soit environ 152 litres pour les matières sèches) : Période considérée Prix du froment par setier 1568-1569 5,35 (minimum intra-décennal) 1569-1570 5,49 1570-1571 6,08 1571-1572 8,06 1572-1573 11,38 1573-1574 18,06 1574-1575 8,51 Si l’on constate un sommet des cours en 1573-1574, la raison en est immédiatement donnée par l’historien : « la cause initiale des fâcheux processus de 1573, c’est d’abord l’hiver » (op. cit., tome 1, p. 219). Et, effectivement, des témoignages unanimes provenant aussi bien de Grande-Bretagne que de Suède en passant pas la France et les rives de l’Elbe, la Saxe et la Suisse septentrionale (une partie du lac de Constance était prise par les glaces) font état d’un hiver très rigoureux. Difficulté supplémentaire que l’on doit ajouter à l’épuisement des stocks des récoltes de 1572 (une problématique que nous verrons de nouveau dans le cadre de ce rapport tant elle s’avère cruciale), ainsi qu’à de mauvaises récoltes pour l’exercice 1573 : les prix se sont logiquement envolés même si, phénomène dont l’immédiateté ne peut manquer de frapper, les bonnes récoltes de 1574 ont entraîné une baisse des prix dès l’été 1574. Alors que le setier vaut 13 à 14 livres en juillet, il n’en coûte plus que 6 ou 7 à la fin du mois d’octobre. Au XVIIème siècle, les phénomènes météorologiques, en dépit d’une incontestable modernisation de l’agriculture, continuent d’entraîner les mêmes conséquences économiques. Ainsi, en Grande-Bretagne où l’hiver 1621-1622 fut assez froid « et, surtout, l’été 1622, frais et surtout fort pluvieux » (Emmanuel Le Roy Ladurie, op. cit., p. 322), on constate une hausse considérable du prix des grains. Dans le même ordre d’idées, quelques décennies plus tard, la France subit de très fortes pluies, notamment en 1661, qui endommagent les moissons et conduisent à une forte hausse du prix du grain dans le Bassin parisien, tout spécialement pendant « l’année post-récolte » de juillet 1661 à juillet 1662 où le prix du froment passe de 12 ou 13 livres tournois dans les années 1655 à plus de 40 livres tournois en avril 1662, occasionnant ainsi famine et problèmes d’approvisionnement (le centre du royaume doit importer des grains de Hollande ou de Bretagne, région à la tradition agricole dynamique). Dans le même temps, phénomène aggravant pour le peuple, une ordonnance de Louis XIV datant de septembre 1661 interdit d’exporter les grains français, bloquant ainsi toute forme de commerce céréalier et contribuant ainsi à un renchérissement des denrées. Très rapidement, le climat se révèle néanmoins plus favorable, conduisant à de bonnes récoltes et de véritables années de « vaches grasses » marquées par un prix des céréales qui diminue fortement, celui-ci n’étant que de 9 ou 10 livres tournois entre 1667 et 1674. Bref répit puisque la dernière décennie du XVIIème siècle se caractérise par une baisse importante des températures qui nuit très fortement aux cycles agricoles, les récoltes étant régulièrement mauvaises, le setier de froment passant de 10 livres tournois en 1691 à 32 en 1692 et même 60 en 1693 ! Les dépressions concernant l’ensemble de l’Europe, on constate une situation analogue en Italie (dans la région de Bologne notamment), en Finlande et en Ecosse (tout particulièrement en 1696) et en Suède. Le parallélisme conditions météorologiques / niveau des récoltes se poursuit de façon quasi mécanique. Ainsi, de 1715 à 1720, très bonnes années climatiques, les récoltes sont excellentes et bénéficient donc d’un prix du grain parfaitement maîtrisé (environ 8 ou 9 livres tournois le setier). Au contraire, le climat s’avère rigoureux en 1740 et 1741, poussant à la hausse le prix des céréales dans l’Europe tout entière : même si la France est relativement épargnée, ce n’est pas le cas du Danemark, des Pays-Bas (sur le territoire de l’actuelle Belgique), de l’Allemagne, de l’Écosse ou de la Suède. La Finlande, de son côté, connaît une très grave crise entre les mois de juin 1740 à juillet 1741, le prix du grain augmentant de plus de 44 % entre 1738 et 1740, puis de 42 % entre 1741 et 1740. Cette corrélation s’avère d’autant plus importante que ses conséquences géopolitiques sont cruciales. Ainsi, Le Roy Ladurie précise que, selon l’historien Galloway, « 46 % des fluctuations annuelles du nombre des morts (en hausse) au-dessus de l’âge de cinq ans, sont associés avec des fluctuations (en hausse) du prix des grains, dans la France des années 1677-1734. Dans l’Angleterre des années 1675-1755, plus développée, le même pourcentage (homologue) n’est que de 24 %, ce qui demeure important ». Nous verrons que les conséquences de l’actuelle volatilité du cours des matières premières posent des défis similaires dont l’ampleur peut même se révéler plus importante encore qu’il y a deux siècles. Ainsi, au début du deuxième tome de son Histoire humaine et comparée du climat (« Disettes et Révolutions 1740 - 1860 »), Emmanuel Le Roy Ladurie souligne que la France connaît de graves émeutes frumentaires en 1770 en raison de mauvaises récoltes (dues à des pluies abondantes qui entraînèrent notamment une très forte crue de la Seine) et d’une forte baisse des stocks qui n’ont pas permis de nourrir la population ; un phénomène identique put être observé en Allemagne où « les années 1770-1772 sont carrément des Hungerjahre, années de la faim » (p. 55). En raison d’un hiver long et rigoureux (il neige encore en juillet dans certaines régions hongroises ou autrichiennes !) puis de pluies longues et fortes (de très mauvaises conditions climatiques frappèrent également la Grande-Bretagne au même moment), l’Allemagne connut une baisse des récoltes de près d’un tiers en 1770-1771, cette diminution s’avérant particulièrement dramatique pour certains produits (p. 66 s.). L’impact de la météo sur l’évolution du prix des denrées agricoles s’avère particulièrement topique à cette époque puisque, comme le fait utilement remarquer Emmanuel Le Roy Ladurie, c’est dans ce contexte que les gouvernants prennent des mesures politiques rigoureuses (arrêt ou interdiction d’exportations, accroissement des importations, décision de réserver le produit des récoltes à certains usages seulement) à tel point que l’historien parle d’une véritable « politisation du climat » ! Là encore, la situation que vit aujourd’hui notre planète n’est, de ce point de vue, pas très originale. Aussi, lorsque la conjonction entre difficultés météorologiques et mesures politiques se fait jour (comme ce fut le cas en 1774 où les récoltes ont connu un niveau exécrable et où à été pris l’édit de Turgot sur la libéralisation du commerce des grains), la hausse des prix, qui pouvaient pourtant avoir bénéficié d’une belle stabilité jusqu’alors, n’en est que plus redoutable. La France connaît ensuite une situation quelque peu contrastée. Les années révolutionnaires sont assez bonnes sauf 1794 où les récoltes sont moins importantes que prévu, les rendements repartant à la hausse dès 1795, entraînant mécaniquement une baisse continue du prix du grain jusqu’en 1799, époque à laquelle l’hectolitre de froment vaut environ 16 francs pour un peu plus de 22 francs en 1792, chiffre d’autant plus remarquable que la mise en circulation des assignats avaient exercé une forte poussée inflationniste. L’absence de difficulté météorologique permet ensuite de bénéficier de bonnes récoltes et de prix stables jusqu’en 1811. De 1823 à 1838, on observe une légère et continue hausse des rendements due aux progrès technologiques dans le domaine agricole mais ce trend est handicapé par de très mauvaises années en 1827-1831, ce « creux [étant] dû à des facteurs écologiques, bref agro-météo » (Emmanuel Le Roy Ladurie p. 318), un cycle d’années trop humides se combinant à de grandes froidures (l’hiver 1830 restant dans les mémoires comme particulièrement glacial). La situation dramatique (à l’instar de ce qui s’est passé en Angleterre et en Allemagne) s’est traduite par une hausse brutale du prix du grain et par une véritable menace de disettes locales. Dans le troisième tome de son Histoire humaine et comparée du climat (« Le réchauffement de 1860 à nos jours »), Emmanuel Le Roy Ladurie met en évidence l’absence de forte volatilité des prix des matières premières agricoles. En effet, si l’Europe, durant la décennie 1881-1890, connaît un climat assez froid (d’où des récoltes souvent médiocres, en 1891 notamment pour le froment ou le seigle), elle bénéficie en revanche d’une relative stabilité des prix en raison de la possibilité d’importer des grains en provenance de pays nouveaux (Amérique du nord ou du sud, Australie). Plus que jamais, cette mondialisation s’avère essentielle pour maintenir un niveau bas des cours : l’historien note que le prix du froment et du blé ne sont pas affectés en 1911 alors que les crues de 1910 ont considérablement plombé la production nationale, mais que le prix du vin a, lui, fortement augmenté car « la mondialisation des prix du vin n’interviendra, elle, qu’à la fin du XXème siècle » (p. 93). Comme on a déjà pu le noter précédemment, l’impact météorologique est toujours prégnant : ainsi, lors de l’année de la canicule, en 2003, l’Union européenne a produit 190 millions de tonnes de céréales, soit une baisse de 14 % par rapport aux années immédiatement précédentes et suivantes (214 millions en 2002, 228 millions en 2004), l’année 2004 figurant pour sa part parmi « l’une des plus belles années agricoles, céréalières en tout cas, que la France ait jamais connue » (p. 338). |
Aujourd’hui, les phénomènes climatiques touchent l’ensemble des grandes cultures vivrières, contribuant directement ou indirectement (par un déséquilibre entre l’offre et la demande) à augmenter les cours et, le cas échéant, à accroître la volatilité des prix.
En décembre 2010, alors qu’elle est le deuxième producteur mondial de coton, l’Inde a annoncé une baisse importante de ses rendements en raison de pluies importantes. La hausse des cours du coton, constatée au début de l’année 2011, a été principalement provoquée par les menaces pesant sur les récoltes en raison de fortes inondations constatées en Inde, mais aussi au Pakistan et en Australie depuis plusieurs semaines : le Pakistan qui, en 2009-2010, avait déjà vu ses récoltes baisser de 18 % alors qu’il se classe au quatrième rang mondial parmi les producteurs, a ainsi subi de nouvelles tensions, conduisant sur le marché mondial à une hausse des cours du coton de 64 % entre septembre et décembre 2010. En septembre 2011, la nouvelle et brutale hausse du coton est la conséquence directe de la sécheresse qui sévit au Texas depuis plusieurs mois (entraînant non seulement une baisse des rendements mais aussi une moindre qualité du coton récolté), des pluies diluviennes qui touchent le Pakistan (ce qui pourrait coûter 1,7 million de balles de coton au pays), ces phénomènes climatiques s’ajoutant aux moindres récoltes (également dues à des difficultés météorologiques) de la Chine, premier producteur mondial.
Les difficultés climatiques ont également été pointées du doigt au regard de la forte volatilité qui a affecté les marchés de céréales.
On a ainsi pu constater une très nette hausse du prix du maïs en mai 2008 du fait de pluies importantes qui, à l’époque, avaient retardé les semis. L’influence du climat a néanmoins connu une très forte actualité il y a un peu plus d’un an lorsque la canicule a frappé plusieurs États producteurs, provoquant en juillet 2010 la plus forte hausse des cours de céréales que le monde avait connu depuis 1973. Le temps chaud et sec qui a frappé le Midwest américain, la sécheresse qui a touché l’Est de l’Europe et, notamment les grands pays exportateurs du Caucase, ont poussé les prix à la hausse, le blé gagnant ainsi 37,25 cents en juillet 2010 (pour livraison en septembre 2010), le boisseau coûtant alors 5,9625 dollars. Les incendies consécutifs à cette vague de sécheresse, survenus aussi bien en Russie qu’en Ukraine et au Kazakhstan, ont également pesé sur la production de blé de ces pays, grands exportateurs, entraînant entre fin juin et début août une hausse de plus de 60 % des cours. À la même époque, la Russie révisait à la baisse son volume de production, une diminution de 20 % étant envisagée pour passer de 97 millions de tonnes en 2009 à seulement 70 à 75 millions en 2010. Pour sa part, le Canada souffrait de fortes inondations au cours de l’été 2010, le poussant également à revoir sa production à la baisse, les rendements attendus passant de 676 (prévisions effectuées en juin) à 651 millions de tonnes (prévisions d’août 2010). Au final, les seules difficultés climatiques, exerçant une pression déjà forte due à une baisse des stocks mondiaux, ont poussé la tonne de blé à la hausse, celle-ci cotant à Euronext à 223,50 euros la tonne début août 2010 contre 130 euros seulement début juillet, soit une hausse de 71 % en un mois ! Le caractère imprévisible et erratique de ces phénomènes, dont l’influence sur la volatilité des cours des matières premières agricoles n’est plus à démontrer, a été accru par leur ambivalence. Ainsi, en décembre 2010, l’annonce de pluies aux États-Unis a pu rassurer et contribuer à faire baisser le cours du blé alors que, quelques mois plus tôt, l’annonce de précipitations avait au contraire eu pour effet d’endommager les semis et, de fait, de pousser les cours à la hausse ! Dernière preuve si cela s’avérait nécessaire, les fortes pluies qui ont frappé l’Australie fin décembre 2010 (notamment en Nouvelle-Galles du Sud) ont, en empêchant les moissons de s’effectuer, contribué à renchérir la cotation du blé qui, quelques mois après, grâce à l’annonce de pluies sur les États-Unis, a bénéficié cette fois-ci d’une importante baisse de prix. En dernier lieu, les inondations qui ont affecté les États-Unis en juin 2011, occasionnant une perte estimée de 2,5 millions d’acres de maïs, ont engendré une hausse immédiate des cours.
Il convient enfin de souligner que les mouvements climatiques ont, dans le cadre d’une chaîne d’événements divers, également affecté les éleveurs, le manque de fourrage pour l’alimentation des troupeaux ayant pu avoir des conséquences économiques et humaines catastrophiques. Ainsi, en France, au mois de mai 2011, de nombreux éleveurs ont été contraints d’abattre une partie de leur cheptel au motif qu’il leur était impossible de leur fournir une alimentation suffisante.
b) Dans le domaine énergétique
Comme l’a tristement illustré la catastrophe de Fukushima, le facteur climatique a également des répercussions de premier plan sur les cours des matières premières énergétiques. 60 % de ses centrales nucléaires étant à l’arrêt à l’été 2011, le Japon doit massivement faire appel aux importations de charbon et de gaz naturel liquéfié, ce qui devrait, toutes choses égales par ailleurs, exercer une pression notable sur les cours.
Dans un autre domaine, la période des cyclones dans le golfe du Mexique est traditionnellement à l’origine de fortes variations conjoncturelles des cours du pétrole. La fin de l’année 2010 a par ailleurs été marquée par un épisode climatique connu sous le nom de La Niña (l’inverse d’El Niño), le plus violent des dernières décennies, qui s’est traduit notamment par des pluies torrentielles en Australie et par une vague de sécheresse en Amérique australe. Outre son impact sur les céréales et le coton, ce phénomène a eu de fortes répercussions sur la production de charbon et, par ricochet, mais à la baisse cette fois-ci, sur le fret maritime, avec le retour sur le marché de nombreux navires de très grande taille (de type capesize) ne pouvant charger de minerai en Australie. Sans être exceptionnels, ces accidents climatiques ont tout de même surpris par leur ampleur et sont à l’origine des fortes hausses des cours de la fin 2010. Ils ont contribué à renforcer l’atmosphère spéculative de ces derniers mois.
2. Les événements géopolitiques
De nombreuses matières premières sont concentrées dans des pays à la stabilité politique plus qu’incertaine. Or ces matières premières exercent souvent une importance essentielle, tant pour l’économie des pays consommateurs que pour celle des pays producteurs. Ces derniers, qui sont en majorité des États émergents, doivent bien souvent réaliser un arbitrage entre, d’une part, l’obligation de suivre les règles du commerce mondial édictées par l’OMC, d’autre part, la tentation de mettre en place des mesures visant à favoriser leur développement et à protéger leur économie.
a) Le prix du pétrole est en grande partie déterminé par des considérations géopolitiques
Le cas du pétrole met en évidence les limites de la logique de marché et l’importance du contexte diplomatique et militaire. Comme l’a rappelé M. Jean-Marie Chevalier, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières, 90 % de la production mondiale de pétrole provient de pays présentant des risques en termes de stabilité politique. Ces incertitudes freinent naturellement les investissements dans les installations d’exploration et d’extraction. Ainsi, en Irak, où la production actuelle s’élève à près de 2,5 millions de barils par jour, de nombreux gisements ont été découverts et permettraient d’élever cette production à près de 9 millions de barils par jour.
L’OPEP ET L’AIE L’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) est une organisation intergouvernementale fondée en 1960. Elle regroupe 12 pays producteurs de pétrole (17), coordonne une production qui atteint 33,4 % de la production mondiale et dispose de près de 75 % des réserves de pétrole brut mondiales. Ses principales missions statutaires consistent à coordonner les politiques pétrolières des pays membres et à assurer la stabilité des marchés. Une fracture oppose les pays privilégiant la pérennité des réserves et des ressources financières (en premier lieu l’Arabie Saoudite) aux pays qui souhaitent augmenter la production pour accroître immédiatement leurs ressources. À cet égard, la dernière réunion de l’organisation, en juin 2011, a mis au jour de graves divergences de vues. L’Arabie saoudite, leader historique, s’est vu refuser une hausse des quotas de production par les pays, majoritaires, qui ne disposent pas de capacités de production supplémentaires. Du point de vue économique, comme l'a souligné M. Pierre-Noël Giraud devant la mission d’information, la stratégie optimale pour l’OPEP consiste à laisser les cours s’élever jusqu'à 120 dollars le baril, puis, lorsque les inquiétudes deviennent excessives et que débutent les investissements dans les solutions alternatives, de les laisser redescendre à environ 70 dollars afin d’apaiser les tensions et de décourager les investissements, et ainsi de suite. En réaction au pouvoir grandissant de l’OPEP, les principaux pays occidentaux consommateurs de pétrole et d’autres produits énergétiques ont fondé l’Agence internationale de l’énergie (AIE). L’AIE regroupe aujourd’hui 28 des plus grands consommateurs énergétiques mondiaux (18). Créée pour faire face au choc pétrolier de 1973/1974, l’AIE avait pour mission première d’aider les pays membres à coordonner une réponse collective aux perturbations graves des approvisionnements en pétrole, par la mise en circulation de stocks de pétrole sur le marché. L’objectif principal de l’AIE est toujours d’assurer un approvisionnement de ses membres à un coût raisonnable. |
Les prises de positions de ces organisations exercent une importance prépondérante sur les anticipations des acteurs et contribuent, dans une certaine mesure, à alimenter la volatilité des cours, comme l’illustre l’impact des décisions prises par l’OPEP et l’AIE en juin 2011.
L’impact des décisions de juin 2011 sur les cours du pétrole
Le mois de juin 2011 a été particulièrement agité sur les marchés du pétrole, en raison de deux décisions géopolitiques majeures et de la crise de la dette grecque.
1. La décision de l’OPEP de ne pas faire droit à la demande des membres de l’AIE et de ne pas relever ses quotas de production a entraîné un rapide renchérissement des cours du pétrole. Le jour même de l’annonce, le prix du baril de Brent de la mer du nord augmente de plus de 2 dollars, soit une hausse de près de 3,5 %. Toutefois, comme l'a indiqué Pierre-Marie Abadie, directeur au sein de la direction de l’énergie du ministère de l’écologie, l’Arabie Saoudite a accepté d’augmenter sa production de 600 000 barils par jour afin de faire face à la forte diminution de la production libyenne (dont le niveau est passé de 1,6 Mb/j à vraisemblablement moins de 300 000 Mb/j aujourd’hui). Cette décision a contribué à maintenir les cours du pétrole à des niveaux raisonnables en dépit de ce choc géopolitique.
2. La forte décrue des cours du Brent la semaine suivante s’explique par la résurgence des craintes d’une baisse de la croissance (et donc de la demande de pétrole) induite par des cours du baril trop élevés. Cette période correspond également au plus fort de la crise de la dette grecque, entraînant une remontée du dollar face à l’euro et des craintes sur la santé des économies européennes.
3. L’AIE a décidé, le 23 juin, de diffuser sur les marchés pendant un mois une quantité équivalente à 60 millions de barils de pétrole issu des stocks stratégiques des pays membres (dont 30 millions par les États-Unis, 7 millions par le Japon, 4 millions par l’Allemagne et 3 millions par la France). Évalués à 4,1 milliards de barils, les stocks stratégiques de l’AIE sont conçus pour une utilisation exceptionnelle, comme une interruption brutale de l’offre. Ils furent employés lors de la première guerre en Irak en 1990 et après l’ouragan Katrina en 2005.
Cette mesure a été prise officiellement en compensation de la perte de la production libyenne, qui s’élevait à 1,5 million de barils par jour avant que n’éclate le conflit. Mais, aux yeux de nombreux analystes, il s’agissait d’une réaction à la décision de l’OPEP de ne pas augmenter ses quotas de production. Cette décision a surpris les marchés ; le baril de Brent a baissé de 7,4 % le jour de l’annonce alors que le baril de WTI accusait un repli de 6 %. Au cours des trois séances ayant suivi l’annonce, le baril de Brent de la Mer du Nord chutait au total de 9.7 %.
4. Les marchés ont ensuite repris conscience des fondamentaux du marché : malgré l’intervention de l’AIE, l’offre demeure nettement insuffisante pour satisfaire une demande croissante, en particulier dans les pays émergents. Les stocks de pétrole détenus par les pays de l’OCDE se situent désormais à un niveau relativement bas. Les chutes de cours de la semaine précédente seront compensées en à peine trois séances. L’OCDE, dans son rapport mensuel, estimait que cette intervention était trop tardive.
Ces décisions ont par ailleurs affecté l’écart de prix entre les différentes qualités de brut. Ainsi, après le refus de l’OPEP et la décision unilatérale de l’Arabie Saoudite d’augmenter sa production, cet écart s’est accru en faveur du Brent de la mer du Nord. Au 15 juin 2011, le baril de Brent s’échangeait avec un supplément de 9,20 dollars par rapport au pétrole de Dubaï et de 22 dollars par rapport au West Texas Intermediate alors que l’écart entre le Brent et le WTI oscillait en moyenne depuis le début de l’année 2011 autour de 15 dollars.
Le conflit survenu récemment en Libye explique cet attrait pour le Brent. En effet, le Brent comme le pétrole libyen se caractérisent par une grande qualité, au contraire du pétrole saoudien, qui est de qualité moyenne. La chute brutale de la production de pétrole libyen a donc suscité un engouement envers le pétrole de la mer du nord.
Par la suite, la mise sur le marché de 60 millions de barils par les États membres de l’AIE a entraîné une abondance de pétrole de haute qualité en provenance des réserves stratégiques, ce qui a réduit la différence de cours. Au 27 juin 2011, l’écart entre le Brent et le Dubaï avait chuté de 50 % par rapport à son plus haut pour s’établir à 3,3 %.
Les décisions politiques des États font parfois suite à la survenance de catastrophes climatiques importantes, démontrant ainsi l’imbrication des différents facteurs et la complexité de la volatilité des cours qui ne peut en aucun cas se réduire à une seule cause (cf. proposition n° 12).
LE « RICE RUN »
L’exemple historique d’incidence des aléas climatiques sur les décisions politiques et par ricochet sur les cours est celui de l’épisode dit du « rice run ». Ce marché est de taille relativement modeste (les exportations ne représentent que 7 % de la production mondiale), et reste concentré entre la Thaïlande, le Vietnam, l’Inde, les États-Unis et le Pakistan qui se partagent plus de 80 % du marché. Face à des prix élevés, les pays d’Asie, pour lequel le riz est aussi un levier politique important, ont tenté de reconstituer les stocks, au plus bas.
En 2007, les cultures de blé de l’Inde avaient été partiellement détruites par des sécheresses dramatiques. Le prix du riz sur le marché international étant alors très élevé, le gouvernement se refusa à compenser les mauvaises récoltes par des importations, jugées trop coûteuses. Il décida de substituer le riz au blé et imposa des quotas d’exportations sur le riz, transformés par la suite en interdiction. Bientôt la Thaïlande et le Vietnam suivirent.
Afin de se prémunir contre une éventuelle pénurie de riz, les ménages, les agriculteurs ainsi que certains gouvernements (Malaisie, Philippines ou encore Indonésie) constituèrent des stocks de plus en plus importants. Cette panique aurait conduit à une augmentation de plus de 25 % de la demande en riz sur une très courte période, soit une hausse du prix de plus de 167 % (en prenant des hypothèses d’élasticité-prix de – 0,1 pour la demande et + 0,05 pour l’offre), ce qui correspond en pratique aux faits observés.
En revanche, quand de bonnes récoltes furent annoncées pour la saison suivante, la crainte d’une éventuelle pénurie disparut, et les prix retombèrent à des niveaux raisonnables.
Parmi les exemples récents où les décisions politiques eurent une forte influence sur les cours des matières premières agricoles, il convient de citer en premier lieu l’exemple du blé, déjà durement affecté à l’été 2010 par des sécheresses historiques. C’est à cette époque, le 5 août 2010, que Vladimir Poutine, premier ministre russe, décida de fermer les frontières de son pays, de suspendre toute exportation de céréales (principalement de blé) entre le 15 août et le 31 décembre 2010, provoquant immédiatement une augmentation de 60 cents le boisseau sur le marché de Chicago. La tension sur le marché des céréales a été d’autant plus importante que, dans le même temps, l’Argentine imposait des quotas à l’exportation, pesant également sur l’offre de manière dramatique.
En 2008, le marché du maïs a été soumis à de nombreux soubresauts, le prix du maïs domestique ayant notamment atteint des niveaux historiquement élevés en Chine. Or, décision politique s’il en est, le gouvernement chinois a choisi, entre les mois de décembre 2007 et de mars 2008, de procéder à douze ventes aux enchères d’une partie des stocks chinois de maïs, à un prix inférieur à celui du marché. Cela a ainsi contribué à quelque peu détendre la pression sur le cours du maïs, la Chine en étant tout de même le deuxième producteur mondial.
Autre exemple de l’impact que peuvent avoir des décisions politiques sur le cours d’une matière première, le cacao, dont on a déjà pointé dans ce rapport la forte volatilité au cours des années écoulées. Ainsi, le 24 janvier 2011, en plein conflit ivoirien, le président Alassane Ouattara annonça sa décision d’arrêter les exportations de cacao et de café pendant un délai d’un mois, accélérant la progression d’un cours d’ores et déjà élevé. Or, très rapidement, la prise par les troupes de Ouattara du port de San Pedro (qui passe pour être le principal port de cacao au monde) a fait craindre aux investisseurs non une rétention supplémentaire de cacao, mais bien au contraire un futur afflux de cacao sur le marché, la Côte d’Ivoire devant commercialiser près de 400 000 tonnes de cacao alors en stock. Aussi, fort logiquement, le cours de cacao baissa pour se fixer à 2 980 dollars la tonne en avril 2011 alors qu’il avait dépassé 3 700 euros la tonne au mois de mars.
Le graphique ci-dessous met en lumière l'impact de différents événements historiques sur les cours de 15 métaux et minerais entre 1900 et 2006.
Source : F. Bersani et J-L Vo Van Qui, Problématique de la constitution de stocks stratégiques de ressources minérales non énergétiques, 2010
Une illustration plus récente de l'influence de la géopolitique sur les cours des matières premières minérales a été fournie par le différend sino-japonais relatif aux terres rares. En effet, en octobre 2010, à la suite d’un différend territorial portant sur les îles Senkaku, en mer de Chine orientale, la Chine a brutalement suspendu ses exportations de terres rares à destination du Japon. Or, le Japon consomme à lui seul 50 % des terres rares mondiales et 90 % de ses importations proviennent de la Chine.
Le quasi-monopole chinois sur les terres rares Les terres rares sont une famille de 17 métaux (19) qui jouent un rôle essentiel dans de nombreux secteurs de haute technologie. Parmi les principales applications, on peut citer les aimants permanents (néodyme), la phosphorescence (europium), la filtration de la lumière (praséodyme), le laser (samarium), les lampes fluorescentes à basse consommation (terbium) ou la fibre optique (erbium). Contrairement à ce que leur nom laisse entendre, les terres rares sont des métaux relativement abondants au sein de l’écorce terrestre. Cela est d'autant plus vrai que, le 4 juillet 2011, des universitaires japonais ont annoncé avoir découvert d’énormes gisements de terres rares sous l'océan pacifique, dont une partie se situe au large des côtes de Tahiti. Ces gisements pourraient receler plus de 100 milliards de tonnes de métaux. En revanche, leur grande profondeur - entre 4 000 et 6 000 mètres -rendrait leur exploitation techniquement et économiquement difficiles. De manière générale, les terres rares sont très rarement disponibles au sein de gisements concentrés économiquement rentables. La Chine a perçu de longue date l’importance stratégique que pourraient représenter les terres rares. Elle a institué un centre de recherche le « Pioneering Rare Earth Hi-Tech Development Zone » à Baotou, en Mongolie intérieure, qui a développé des techniques d’extraction et de raffinage plus performantes. Combinées au faible coût de la main-d’œuvre chinoise, elles ont permis d’inonder le marché d’une grande quantité de terres rares bon marché, causant la faillite, au début des années 2000, de la plupart des producteurs, situés aux États-Unis, en Inde, au Brésil et en Afrique du Sud. 97 % de leur production est désormais réalisée en Chine. |
3. Les mesures anti-concurrentielles
a) L’Europe doit adopter une réaction coordonnée face aux restrictions sur les exportations de minerais et de métaux
Comme l’a indiqué M. Antoine Valéry, avocat spécialiste du droit minier, on assiste actuellement, dans certains pays émergents, à un phénomène de « nationalisme juridique » qui se traduit par la constitutionnalisation des matières premières. Le droit souverain des États et de leur population à exploiter comme bon leur semble les matières premières présentes sur leur territoire et à en récolter les fruits, est à présent mentionné dans le texte même de la constitution de plusieurs pays producteurs, principalement en Amérique du sud. Cela explique en partie les décisions prises par certains pays d'accorder à leurs entreprises un accès privilégié aux ressources nationales, notamment en imposant des restrictions à l'exportation. Ces mesures créent des distorsions sur les marchés mondiaux et des incertitudes quant à la régularité des flux de produits de base. Elles peuvent avoir des incidences aussi bien pour les pays développés que pour les pays en développement, pratiquement aucune économie n'étant autosuffisante pour l’ensemble des matières premières.
L'Europe est ainsi très fortement dépendante aux importations des minerais et des métaux, à commencer par les métaux stratégiques.
Dépendance de l'Union européenne aux importations de minerais et de métaux (2009)
Source : BRGM
Par ailleurs, les pays les moins développés peuvent être tributaires des importations de produits de base et pâtir de l'absence ou de l'insuffisance de règles multilatérales dans certains domaines tels que les droits à l'exportation. Les entreprises réagissent aux fluctuations de prix de diverses manières, par exemple, en constituant des stocks, en négociant des contrats à long terme ou en se couvrant par des contrats à terme. Certaines de ces réactions peuvent exacerber les pressions exercées sur l'offre.
Profitant de leur position préférentielle, certains pays émergents, au premier chef la Chine, ont décidé de réduire leurs exportations de certaines matières premières dont ils sont quasiment les seuls producteurs. Selon la Commission européenne, on pouvait dénombrer en 2010 plus de 450 restrictions à l’exportation, concernant plus de 400 matières premières différentes. Les principaux pays à l’origine de ces mesures sont la Chine, la Russie, l’Ukraine, l’Argentine, l’Afrique du sud et l’Inde, alors même qu’ils bénéficient souvent d’un accès libre de droits ou à droits réduits au marché de l’Union. L’OMC relève quant à elle que le fer et le cuivre sont les matières premières minérales le plus soumises à des taxes à l’exportation (20). Par ailleurs, l’organisation constate que, « outre les considérations de termes de l’échange et de redistribution du revenu, les États peuvent imposer des taxes à l’exportation pour atteindre d’autres objectifs économiques, notamment pour atténuer la volatilité des recettes d’exportation et stabiliser le revenu. » Paradoxalement, ce type de mesures, en créant une tension sur l’offre de métaux, peut à son tour renforcer la volatilité des prix mondiaux.
Les restrictions de la Chine à l’exportation des matières premières minérales
Les États-Unis, l'Union européenne et le Mexique ont obtenu gain de cause devant l’organe de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce. Par une décision du 5 juillet 2011, l'OMC a en effet condamné la Chine en raison des restrictions à l’exportation qu'elle pratiquait sur neuf matières premières minérales, à savoir diverses formes de bauxite, de coke, de « spath fluor », de magnésium, de manganèse, de carbure de silicium, du métal de silicium, de phosphore jaune et de zinc. Les exportations chinoises de bauxite étaient ainsi passées de 102 000 tonnes en 2005 à 40 000 tonnes en 2010. Les plaignants mettaient en cause les droits à l’exportation et les contingents à l’exportation appliqués par la Chine. L’intéressée avait fait valoir que ces mesures étaient justifiées par les objectifs de la conservation de ressources naturelles épuisables et de la protection de la santé de la population. Mais, selon la décision rendue par le groupe spécial de l’OMC, elle n’a pas pu démontrer, d’une part, que ces restrictions étaient appliquées conjointement à des restrictions à la production ou à la consommation nationales, d’autre part, qu’elles avaient pour effet de réduire la pollution.
S'agissant des terres rares, en dehors de facteurs géopolitiques tels que son différend avec le Japon, la Chine applique depuis peu des quotas d’exportations drastiques vis-à-vis des pays occidentaux. Ainsi, en 2010, le ministre du commerce chinois a déclaré officiellement vouloir réduire les quantités de terres rares que le pays mettrait à la disposition des entreprises étrangères. Les quotas ont été réduits de près de 70 % au deuxième semestre de 2010, pour atteindre 8 000 tonnes, en comparaison des 29 000 tonnes offertes à l’export au même semestre l’année précédente.
Interrogé à ce sujet par la mission d’information, M. Yan Chunhua, professeur du State Key Laboratory of Rare Earth Materials Chemistry and Applications à l’Université de Pékin, a tenu à exposer le point de vue chinois sur cette question. Il a rappelé que, après l’arrêt des exploitations occidentales de terres rares, il y a une vingtaine d’années, les Chinois ont été quasiment les seuls à fournir le reste du monde, à des prix faibles, et au détriment de leur environnement. Il leur paraît donc légitime de revenir aujourd’hui à un partage plus équilibré de la production mondiale, d’autant plus qu’ils portent une attention accrue aux questions environnementales.
Toutefois, l’application soudaine de ces restrictions est dommageable pour les industries occidentales, d’autant plus que la demande en terres rares augmente rapidement. Celle-ci a plus que triplé au cours de la dernière décennie pour s’établir aux alentours de 130 000 tonnes par an. Rhodia estime que la demande pourrait s’élever à plus de 185 000 tonnes par an à l’horizon 2015.
La pénurie de matériaux disponibles a entraîné une brusque flambée des cours. Le cérium, par exemple, s’échange à près de 75 000 dollars la tonne, soit plus de quinze fois le prix auquel il était disponible un an auparavant. Le néodyme a également triplé en valeur pour s’échanger à 115 000 dollars la tonne.
Les représentants de la direction générale Commerce de la Commission européenne que la mission d'information a rencontrés en mai 2011 ont indiqué que la Commission réfléchissait à l'opportunité de déposer une plainte devant l'organe de règlement des différends. La décision de l'OMC du 5 juillet 2011 pourrait conduire la Commission à franchir le pas.
Cette situation appelle une réaction coordonnée à l’échelle européenne. À cet égard, M. Georges Pichon, PDG de la société Sarsmétal, estime qu’« aux yeux de la Chine, les États-Unis constituent le seul partenaire valable, car ils ont élaboré une véritable politique dans le domaine des matières premières. L’Europe devrait parler d’une seule voix ».
Il convient dans un premier temps d’être particulièrement vigilant à l’égard des pratiques visant à fausser le libre jeu de la concurrence. À cet effet, il serait opportun d’instituer, au sein de la Commission européenne, un mécanisme permanent de suivi des restrictions à l’exportation (proposition n° 1). Cela permettrait d’entamer un dialogue en amont avec les pays émergents, en vue de les inviter à renoncer à ces pratiques. Si ce dialogue ne porte pas ses fruits, il convient de contester ces mesures, y compris devant l’organe de règlement des différends de l’OMC.
De manière plus générale, il convient de concrétiser la proposition faite par la Commission européenne (21) tendant à ce que l’Union européenne se dote une véritable diplomatie des matières premières (proposition n° 2). Cela implique une coordination plus forte entre les différentes politiques extérieures de l’Union (relations extérieures, commerce et développement) ainsi qu’une meilleure coordination des partenariats stratégiques et des dialogues noués avec les pays tiers partenaires et les économies émergentes. Par ailleurs, dans le cadre de sa politique réglementaire et commerciale, l’Union doit conclure de nouveaux accords concernant l’accès durable aux matières premières.
b) Le rôle des organisations internationales dans le domaine énergétique
Les détracteurs de l'OPEP mettent en exergue le fait que l’Organisation a pour habitude de limiter sa production pour faire artificiellement grimper les cours du pétrole brut, en créant les conditions d’une pénurie latente. De fait, la part considérable que représentent ses membres dans la production mondiale de pétrole lui permet d'exercer un pouvoir sans équivalent sur la formation des prix. L’OPEP, pour sa part, affirme rechercher l'adaptation de la production aux évolutions de la demande mondiale.
Comme le note M. Thomas Porcher (22), « le marché international du pétrole brut est caractérisé par un équilibre non coopératif entre, d’une part un cartel représenté par l’OPEP et, d’autre part une frange compétitive et dispersée au sein de laquelle [évoluent les autres pays producteurs]. Dans ces conditions, la structure du marché du pétrole est donc proche du modèle du duopole de Stackelberg, c'est-à-dire un équilibre dans lequel l’une des deux parties, le leader, choisit son niveau de production en supposant que son concurrent va prendre sa décision en fonction de lui-même. (…) Dans une telle structure de marché, quelle stratégie l’OPEP a-t-elle intérêt à adopter ? Premièrement, dissuader les pays consommateurs de se lancer dans des programmes de recherche-développement visant à trouver des substituts au pétrole. Deuxièmement, épuiser les réserves du « concurrent » afin de devenir le seul offreur du marché et bénéficier du statut de monopole. Le but de l’OPEP est donc d’établir, en jouant avec les quotas, une tranche de prix suffisamment élevée pour rentabiliser l’exploitation de la plupart des gisements de la zone non OPEP. Cependant, cette tranche de prix ne doit pas être élevée au point d’inciter à la recherche de substituts à grande échelle (23). »
En réaction, l’AIE peut également mettre en œuvre des mesures de nature oligopolistique, comme l’atteste sa décision prise en juin 2011 de remettre sur le marché une partie de ses stocks stratégiques(24). Cette mesure a d'ailleurs suscité l’ire du président de l’OPEP et ministre iranien du pétrole, M. Mohammed Aliabadi, ce qui aurait tendance à démontrer l’efficacité de la mesure.
La mise au point de techniques permettant l’extraction de matières énergétiques non conventionnelles a eu un impact très important sur le prix du gaz naturel aux États-Unis. Les réserves américaines ont été allongées d’une vingtaine d’années. Les gaz de schiste représentent 12 % de la production américaine de gaz contre 1 % en 2000. Le prix du gaz naturel aux États-Unis est passé de 100 dollars le baril en 2006 à une fourchette comprise entre 25 et 30 dollars aujourd’hui.
Parmi les véritables chocs technologiques ayant récemment affecté les marchés de matières premières figure en bonne place le développement des biocarburants qui a eu un impact avéré mais controversé sur les prix agricoles.
On sait que les biocarburants (également appelés « agrocarburants ») désignent les carburants produits non à partir d’énergies fossiles (charbon, pétrole…) mais à partir de matériaux organiques non fossiles qui peuvent provenir de végétaux, de la biomasse, d’amidon, de cellulose… Sous la double influence des préoccupations environnementales et de la raréfaction annoncée des ressources fossiles traditionnelles, ces biocarburants connaissent un développement important depuis une décennie, conduisant d’ailleurs à la naissance de véhicules spécifiquement adaptés à ces nouvelles formes d’énergie.
Or, ce développement n’a pas été sans conséquence sur la production agricole à travers le monde et, par voie de conséquence, sur l’évolution des prix. Les États-Unis ont connu une véritable montée en puissance de la politique en faveur du bioéthanol, notamment après le 11 septembre. Cette ressource énergétique, provenant de la transformation soit de plantes sucrières (betteraves, canne à sucre…), soit de céréales (blé et maïs pour l’essentiel) a pris une ampleur relativement soudaine. Ainsi, au début des années 2000, moins de 5 % de la production américaine de maïs était consacrée à l’éthanol ; cette proportion est passée à 20 % en 2007 pour atteindre presque 40 % actuellement, étant entendu que cette ressource ne représente finalement que 10 % du carburant américain. D’ici 2020-2025, la hausse annuelle de production de maïs destinée à fabriquer de l’éthanol est estimée à 6,5 % par an, ce qui est finalement assez peu important (sur 40 % de la production de maïs qui sort de l’alimentaire traditionnel au plan international, 30 % sont directement affectés à la production d’éthanol, 10 % servant au reste du circuit industriel). Il convient de préciser que, globalement, si l’on excepte le marché du riz, la production mondiale de céréales est actuellement de 1730 millions de tonnes environ : sur ce total, 293 millions de tonnes sont utilisées à des fins industrielles soit le 1/6ème. À l’image de la situation américaine, la production d’éthanol a également cru au sein de l’Union européenne : en 2005, elle s’élevait à 750 000 tonnes, les pays de l’Union en important par ailleurs plus de 200 000 tonnes pour faire face à l’ensemble de leurs besoins.
Face à cette évolution, plusieurs économistes se sont interrogés sur l’impact de la production de bioéthanol sur les prix des matières premières. Un véritable coup de tonnerre est survenu à ce sujet lorsque la Banque mondiale a publié, au mois de juillet 2008, un document (25) rédigé par l’économiste Donald Mitchell selon lequel les biocarburants seraient responsables de 75 % de la hausse des prix des denrées alimentaires sur la période 2002 – 2008, battant ainsi en brèche plusieurs analyses précédentes qui se voulaient moins alarmistes (notamment celle du Gouvernement américain qui avait estimé cette hausse à seulement 3 %). Mitchell pointait notamment l’effondrement des stocks de blé et surtout, de maïs, poussant mécaniquement les prix à la hausse sur l’ensemble des marchés concernés. En effet, selon une règle économique classique en vertu de laquelle l’ajustement entre l’offre et la demande peut s’opérer par le biais des prix ou des quantités, plus les stocks sont bas, plus la variation de la production va se faire au niveau des prix. La demande ayant augmenté sous la pression des biocarburants, les stocks ont baissé et de ce fait, une faible variation des prix a eu un impact d’autant plus fort (phénomène économique connu sous le vocable de loi de King). En outre, le rapport mettait en évidence l’augmentation des surfaces cultivées en maïs au détriment, par exemple, de celles qui étaient auparavant dévolues au soja.
En outre, il faut préciser que la hausse du prix du maïs a été d’autant plus difficilement ressentie par les populations qu’elle intervenait dans un contexte tendu de hausse du prix du pétrole et de questionnements sur la sécurité alimentaire de la planète.
Isolée à l’époque, cette analyse a par la suite été confirmée par d’autres études universitaires émanant notamment de l’Iowa State University (d’après laquelle les subventions en faveur de la production d’éthanol auraient augmenté le prix du maïs de 17 % au cours de l’exercice 2010 – 2011) et de l’Agricultural Marketing Resource Center (26).
Cette pression sur le prix des céréales semble devoir se poursuivre puisque les États souhaitent développer cette nouvelle forme énergie. Depuis plusieurs années, les États-Unis bénéficient ainsi d’une « credit tax » de 45 cents le gallon (équivalent à une subvention non négligeable de 56 euros par tonne de maïs produite) ; après d’âpres débats au Sénat américain en décembre 2010, la credit tax fut reconduite afin de soutenir cette activité et préserver ainsi les emplois afférents alors que plusieurs voix s’élevaient pour qu’il y soit mis fin. Certains membres du Sénat (notamment la sénatrice Dianna Feinstein, très en pointe sur ce sujet) estimaient en effet que cette subvention était coûteuse et inutile, les États-Unis bénéficiant par ailleurs d’une loi de 2007 garantissant aux carburants renouvelables une part non négligeable du parc énergétique américain. De plus, nombre d’associations (agriculteurs, défenseurs de l’environnement…) mettaient en avant les conséquences néfastes de ce crédit d’impôt qui avait pour effet de renchérir l’alimentation du bétail et de pousser à une plus grande consommation d’intrants. Face à une évolution qui semblait inéluctable, les États-Unis ont pourtant opéré un revirement historique en décidant, au mois de juin 2011, d’arrêter de subventionner l’éthanol américain. Décision paradoxale s’il en est dans la mesure où, dans le même temps, les États-Unis n’abrogent pas le Renewable Fuel Standard adopté dans la ligne du Energy Policy Act (EPAct) de 2005, qui leur impose de produire 12,6 milliards de galons d’éthanol par an ! Il faut donc non seulement s’attendre encore à de fortes importations américaines en éthanol mais également à une production mondiale d’éthanol en hausse, certains pays comme le Brésil, qui réclamait depuis des années une baisse des droits de douane sur l’éthanol non américain, souhaitant bien évidemment conquérir le marché ainsi libéré.
La pression sur les prix agricoles risque donc de continuer, allant dans le sens de l’économiste Lucien Bourgeois qui, lors de son audition, a insisté sur le fait que, d’une manière ou d’une autre, « la crise actuelle [relative aux matières premières] est avant tout une crise de l’énergie ».
Même si cette nouvelle finalité de certains produits agricoles, en particulier de céréales, peut pousser les prix à la hausse, vos rapporteurs souhaitent relativiser certaines critiques adressées à cette nouvelle fonction. D’une part, le développement des agrocarburants est essentiel non seulement pour pallier le manque d’énergies fossiles à l’avenir, mais aussi pour préserver au mieux l’environnement et pour permettre aux pays en voie de développement d’assurer en partie leur indépendance énergétique. D’autre part, ce qui importe, ce sont moins les niveaux de production des agrocarburants que la manière dont ils sont fabriqués. À cet égard, il convient de développer les recherches sur les biocarburants de deuxième génération c’est-à-dire issus non de ressources alimentaires mais de produits ligno-cellulosiques (bois, feuilles, déchets végétaux…) qui, au surplus, utilisent des techniques de production non polluantes (préservant la couche d’ozone…). Enfin, il importe de préciser que le détournement de production de céréales au profit des agrocarburants ne doit pas être appréhendé de manière purement arithmétique. En effet, même si près de 40 % de la production de maïs américain est utilisée pour les biocarburants, les rendements ont, dans le même temps, considérablement augmenté sous le double effet d’une meilleure productivité et d’une extension de la surface des terres cultivées. Ainsi, on estime que les États-Unis produisent actuellement environ trois milliards de boisseaux de plus qu’il y a cinq ans, compensant ainsi en grande partie le « détournement » constaté (27).
La parité euro-dollar a des répercussions directes sur les déterminants de l’offre et de la demande de matières premières, dans la mesure où les prix de la plupart des matières premières sont libellés en dollars américains. Depuis le début de la décennie 2000, il existe une corrélation inverse entre la valeur du dollar et celle des matières premières. En effet, de 2001 à juillet 2008, à mesure que les taux d’intérêt américains baissaient, le cours du dollar s’affaissait tandis que celui des matières premières ne cessait de s’apprécier.
En juillet 2008 se produisent quasi-simultanément la chute de l’euro et celle du pétrole, qui avaient l’un et l’autre atteint un niveau très élevé. Les cours de nombreuses matières premières connaissent une évolution similaire, quand elles ne l’ont pas précédée. À partir du début de l’année 2009, le dollar se déprécie à nouveau, ce qui rend de nombreux produits plus accessibles aux consommateurs en dehors de la zone dollar ; cela se traduit par une hausse de la demande. Les cours des matières premières énergétiques et, plus généralement, minérales, connaissent alors un vif rebond, au moins jusqu’au printemps 2010. Du côté de l’offre, les entreprises étrangères doivent compenser la dépréciation du dollar en augmentant leurs prix. Certains investisseurs, anticipant cette réaction, s’orientent vers les produits concernés, dont le prix augmente en conséquence. D’une certaine manière, on peut dire que les investisseurs ont injecté des liquidités pour se protéger contre la dépréciation du dollar.
Toutefois, avec la crise financière, cette source d’augmentation des prix des matières premières s’est tarie et a peut-être même contribué à la chute brutale des prix au milieu de 2008. En effet, les investisseurs se sont orientés vers des placements moins risqués, tels que les bons du Trésor des États-Unis, ce qui a entraîné une appréciation du dollar américain vis-à-vis des monnaies de la plupart des pays en développement.
Une réflexion est en cours sur le rôle de la monnaie, et singulièrement du dollar, dans les fluctuations des prix des produits de base. Le gouverneur de la Banque populaire de Chine a ainsi proposé en 2009 qu’un rôle plus important soit attribué aux droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI en tant que monnaie de réserve internationale.
Toutefois, la corrélation entre le taux de change euro-dollar et les cours des matières premières, au même titre que l’ensemble des facteurs conjoncturels précédemment évoqués, ne doivent pas occulter la place essentielle que revêtent les mécanismes structurels régissant le fonctionnement des marchés physiques internationaux. La demande des pays émergents et singulièrement de la Chine constitue sans nul doute la principale donnée explicative de l’évolution récente des cours des matières premières.
B.— LES TENDANCES DE FOND DES MARCHÉS PHYSIQUES INTERNATIONAUX
Selon la théorie économique, le prix constitue le facteur d'ajustement entre l’offre et la demande. En règle générale, la demande d'un bien diminue à mesure que le prix s’élève. Ce postulat trouve toutefois ses limites en ce qui concerne les biens de première nécessité, dits aussi « biens de Giffen », pour lesquels la hausse des prix ne peut avoir d’effet sur la demande : elle conduit seulement à restreindre la capacité à acheter d’autres biens qui eux, ne sont pas de première nécessité. Les « émeutes de la faim », liées à des augmentations brutales et ponctuelles du prix de certaines denrées alimentaires de base, traduisent un état de fait qui, s’il est particulièrement évident lorsqu’il s’agit de survie, peut sans doute être étendu à beaucoup d’autres matières premières : le pétrole ou le gaz ne revêtent-ils pas également une importance vitale ? Dans un certain nombre de cas, la demande de matières premières se révèle ainsi totalement inélastique, l’ajustement ne pouvant alors résulter que d’une augmentation de l’offre, elle-même permise par l’augmentation des prix, pourtant insupportable pour certaines populations.
À cet égard, la récente flambée des prix des matières premières est principalement la résultante de facteurs fondamentaux du marché, tels que la vigueur de la croissance économique mondiale, les limites à court terme de l’accroissement de la capacité de production, les prix relatifs des produits de remplacement et les politiques gouvernementales. La demande émanant des pays émergents, et en premier lieu de la Chine, constitue le principal facteur explicatif de cette évolution.
1. La demande de la Chine et des autres pays émergents
En rythme annuel, la consommation mondiale des principales matières premières a augmenté davantage entre 2002 et 2007 qu'au cours des années 1980 et 1990. Cela s’explique en grande partie par la forte augmentation des revenus dont ont bénéficié certains pays émergents. À titre d'exemple, entre 2002 et 2007, la demande de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient a été à l’origine de plus de la moitié de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole. La Chine a représenté à elle seule environ 90 % de l’augmentation de la consommation mondiale de cuivre, ce qui peut s’expliquer par l’industrialisation et l’urbanisation rapides, car, aux premiers stades du développement, la croissance s’accompagne d’une forte consommation de métaux. Interrogé à ce sujet par la mission d’information, M. Gao Yunhu, directeur général adjoint à la direction des matières premières du ministère chinois de l’industrie a rappelé que le taux d’urbanisation de la Chine était d’environ 50 %. La demande en matières premières, selon lui, devrait augmenter jusqu’à un niveau d’urbanisation de 60 %, puis devrait décroître.
Par ailleurs, la chute brutale des prix des matières premières au milieu de l'année 2008 peut s’expliquer en partie par la contraction de la demande mondiale due au ralentissement de la croissance du PIB durant la récession.
Source : FMI
a) L’accroissement de la demande mondiale de pétrole s’explique principalement par le dynamisme économique de la Chine et des autres pays émergents
La demande de pétrole continue d’augmenter à l’échelle globale. Elle est d'ores et déjà revenue à ses niveaux d’avant la crise économique de 2008. Selon la banque Standard Chartered PLC, la demande mondiale de pétrole s’établira aux alentours de 90 millions de barils par jour à la fin de l’année 2011.
M. Francis Perrin, directeur de la rédaction de Pétrole et Gaz arabes et professeur à l’université Pierre Mendès-France de Grenoble, explique la hausse des cours du pétrole sur la période 2004-2008 par l’augmentation sans précédent de la demande. En effet, entre 1990 et 2003, celle-ci s’est élevée en moyenne de 1 million de barils par jour ; en 2004, cette hausse a atteint 2,6 millions de barils par jour. Cette forte progression, ajoute-t-il, en grande partie alimentée par la croissance chinoise, s’est conjuguée à des troubles politiques préjudiciables à l’offre : les manifestations d’opposition à Hugo Chavez au Venezuela, la crise dans le delta du Niger et la guerre en Irak, qui a dû cesser sa production pendant plusieurs mois.
En conséquence, les pays disposant de capacités de production inutilisées se sont efforcés de compenser la diminution de l’offre, en plaçant sur le marché 3,5 millions de barils par jour supplémentaire.
L’ensemble des facteurs étaient réunis pour provoquer une hausse des cours considérable.
M. Ian Smale, responsable de la stratégie de British Petroleum, constate que la demande s’est déplacée et évolue à deux vitesses. Globalement, elle se répartissait en 2010 de la manière suivante : 57 % pour les pays de l'OCDE et 43 % pour les pays hors OCDE. Elle progresse à l'heure actuelle nettement plus rapidement parmi les pays émergents. Selon M. Farouk Al-Zanki, président de la Kuwait Petroleum Corporation, les deux tiers de la croissance de la demande mondiale proviennent de l’Asie, essentiellement de la Chine.
Cette proportion est d’ailleurs appelée à augmenter. Comme l'indique le graphique ci-après, le Forum international de l’énergie estime pour sa part que 79 % de la croissance de la demande de pétrole sera fournie par l’Asie à l'horizon 2030.
Évolution anticipée de la demande entre 2008 et 2030
par zone économique
Source : Forum International de l’Énergie : Oil Outlook to 2030
M. Jean-Marie Chevalier, professeur à l’université de Paris Dauphine et directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières, estime que les États-Unis ont probablement atteint un pic de demande en 2008 : les sommets auxquels sont parvenus les cours ont provoqué un brusque changement des habitudes ; la consommation de carburant ne cesse depuis lors de diminuer. Plus largement, la consommation des pays de l’OCDE devrait demeurer stable.
Source : Standard Chartered : Commodity Focus Quarterly – juin 2011 / Agence internationale de l’énergie
Par conséquent, l’essentiel de la hausse de la demande est imputable à la croissance de la Chine et, plus généralement, à celle des pays émergents. Le tableau ci-après montre que la région Asie-Pacifique représentait en 2010 31,2 % de la consommation mondiale de pétrole, devant l'Amérique du nord (26,8 %) et l’Eurasie (22,3 %). Même si son rythme a récemment ralenti, la demande chinoise de pétrole a encore progressé de 11 % en progression annuelle entre janvier et mai 2011, ce qui correspond davantage au rythme de croissance du pays (28). Comme le remarque M. Jean-Marie Chevalier, ce potentiel de hausse est d’autant plus important que les habitants de ce pays ont des habitudes très différentes des nôtres : « si les Chinois consommaient au rythme des Occidentaux, on parviendrait à un chiffre de 17 millions de barils par jour, soit autant que l’ensemble de la production du Moyen-Orient ».
Source : BP Statistical Review of World Energy 2011
À l'échelle mondiale, la croissance économique exerce, toutes choses égales par ailleurs, un effet quasi-mécanique sur la hausse de la demande de pétrole et sur le niveau des prix de l’énergie. M. Marc Touati a indiqué lors de son audition qu’une croissance mondiale de 4 % – chiffre qui correspond au niveau actuel –, se traduisait en théorie par une hausse des cours du baril de l'ordre de 15 %.
Toutefois, parallèlement au dynamisme de l’économie, le poids des facteurs géopolitiques et financiers a été déterminant sur l’évolution du prix du baril au cours de la décennie 2000.
Comme le rappelle M. Jean-Marie Chevalier, les prix du pétrole évoluaient, jusqu’en 2002, au sein de ce que l’on appelait la « bande OPEP ». Depuis le second choc pétrolier, l’OPEP limitait les évolutions des cours au sein d’une fourchette comprise entre 22 dollars et 28 dollars. Le plancher de cette fourchette correspondait au cours minimum théorique permettant d’assurer l’équilibre budgétaire des pays exportateurs.
L’année 2003 a été le théâtre d’une multitude de chocs importants sur l’offre de pétrole. À la crise du Venezuela – grèves générales en soutien à Hugo Chavez – se sont ajoutées la crise sociale au Nigeria et l’offensive américaine en Irak. Ces bouleversements n’ont pas provoqué de répercussions importantes sur les prix en raison de la décision de l’OPEP d’augmenter sa production en conséquence.
Selon M. Olivier Appert, président d’IFP-Énergies nouvelles, les années 2003-2004 ont marqué l’apparition d’un nouveau paradigme, caractérisé par la forte croissance des pays émergents et la financiarisation des marchés. De fait, en 2004, la croissance mondiale s’est poursuivie à un rythme soutenu, et les capacités de production de l’OPEP déjà portées à leur maximum, n’ont pas pu suivre cette évolution. Face à la hausse de la demande, les cours ont suivi une trajectoire continûment ascendante.
En 2008, la banque Goldman Sachs a annoncé que le pétrole s’échangerait à près de 150 dollars au milieu de l’année. Le marché a été tellement convaincu qu’en juillet le pétrole a atteint son record historique de 148 dollars.
La chute vertigineuse qui s’en est suivie, jusqu’à près de 30 dollars le baril a une double explication : une première correction sur les marchés financiers et une seconde correction sur les marchés physiques, en raison de la chute soudaine de la demande.
M. Francis Perrin a estimé pour sa part devant la mission d’information que le cours du pétrole ne pourrait atteindre 200 dollars, à court terme, que dans le cas d’une crise politique majeure en Arabie Saoudite et, à plus forte raison, dans tout le golfe arabo-persique. Des tensions récentes au début de l’année 2011 ont d’ailleurs conduit le roi Abdallah à accorder des aides sociales qui représentent – chiffre révélateur des risques encourus – un coût de 36 milliards de dollars. En revanche, à long terme, il ne serait absolument pas étonnant d’approcher ce niveau de cours ; la demande, en particulier en provenance des pays émergents, ne va certainement pas ralentir, bien au contraire, alors que, dans le même temps, les réserves s’amenuisent.
La principale inquiétude exposée par M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie au ministère de l’écologie, est la perte d’un prix cible de moyen à long terme autour duquel peuvent évoluer les cours. Ce prix cible, qui était de 20 dollars pour la période 1986-2000 et de 90 dollars entre 2002 et 2007, est déterminant dans la décision d’investir des producteurs. Le rétablissement d’une fourchette de prix est par ailleurs difficilement imaginable, dans la mesure où elle serait immédiatement « testée » par les marchés.
M. Chevalier, pour sa part, ne voit pas comment on pourrait contrecarrer la tendance à la hausse. Il en arrive même à souhaiter un pétrole cher, qui favoriserait l’investissement dans l’exploration pétrolière ou dans les énergies renouvelables, qui constituent le seul garant de notre accès futur à l’énergie.
Il convient en effet de poursuivre nos efforts de réduction de la consommation de pétrole et, plus largement, de sources d’énergies carbonées. Interrogé à ce sujet, M. Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à l’école des Mines de Paris, estime qu’à l’heure actuelle, certaines énergies nouvelles, à l’image de la biomasse, sont rentables dès lors que le prix du baril excède 100 dollars. Si les acteurs anticipent un pétrole durablement supérieur à ce prix, il y aura des investissements massifs dans ce secteur. À ses yeux, le pétrole est rentable jusqu’à un cours de 120 dollars le baril. Au-delà, il sera plus rentable de produire de l’essence à partir du charbon, même en y intégrant un coût écologique, dû aux émissions de CO2, de près de 30 dollars la tonne.
Abondant dans le même sens, M. Patrick Artus considère qu’il n’y a pas de rupture technologique possible avec un baril à 100 dollars, compte tenu du fait que l’énergie éolienne coûte trois fois plus cher que le gaz et que le photovoltaïque coûte huit ou neuf fois plus cher. Par ailleurs, le prix plafond au-delà duquel les énergies renouvelables pourraient se substituer au pétrole est sans cesse revu à la hausse.
Peut-on dire dans ces conditions que le prix du pétrole sur longue période ne doit pas dépasser 120 dollars, ce qui correspondrait à la valeur d’échange de la transformation du charbon en essence ? Selon M. Artus, « ce raisonnement serait valable si le marché était réellement concurrentiel, auquel cas le prix serait actuellement de 40 dollars. Or, ce n’est pas du tout le cas. Le prix marginal de production du pétrole correspond au coût de développement du pétrole cher (schistes bitumineux au Canada et transformation du charbon en essence en Australie), qui est de l’ordre de 85 dollars à 90 dollars le baril, avant bénéfice. Au total, le prix marginal s’élève à environ 110 dollars. Par ailleurs, les pays producteurs prélèvent 60 % de taxes sur le produit vendu. Le prix légitime du pétrole est donc aujourd’hui de l’ordre de 100 dollars le baril ». Total produit ainsi du pétrole en partenariat avec la Russie à 90 dollars avant profit. C’est prendre le pari que les Saoudiens conserveront cette stratégie de maximisation des rentes (et de sous-investissements) d’ici 2018.
M. Francis Perrin a évoqué le projet développé actuellement par le Qatar, en partenariat avec la société Shell, visant à mettre au point une technique de conversion du gaz en essence. Ce type de solutions, à ses yeux, ne sera effectif qu’à long terme. En effet, les projets sont longs à développer, et, une fois parvenus à maturité, se trouvent parfois en décalage avec les nouvelles réalités du marché. Ainsi, Total a participé à une joint venture destinée à la production de gaz naturel liquéfié au Yémen ; le projet parvient actuellement à son terme alors que le marché est au plus bas. La biomasse et l’ensemble des énergies renouvelables ne représenteront d’ailleurs, dans les études les plus optimistes, que 7 % du mix énergétique en 2030.
L’Arabie saoudite craint avant tout l’émergence de solutions énergétiques alternatives, à l’image de la voiture électrique et des biocarburants. Cette perspective demeure toutefois lointaine. On constate d’ailleurs un ralentissement des investissements dans les biocarburants, du fait de la hausse du prix des intrants agricoles, qui est fortement corrélé au prix du pétrole.
b) La demande de métaux connaît une évolution très dynamique sous l’effet de la croissance des économies émergentes
La demande mondiale de métaux connaît également un regain de dynamisme du fait de la reprise de la croissance des pays émergents, et de celle de la Chine en particulier. Le graphique ci-après met exergue le fait que la demande mondiale de métaux est constituée en 2011, pour plus de 40 %, par la demande chinoise.
La consommation de matières premières de la Chine,
en % de la consommation mondiale
La Chine consomme aujourd’hui plus de 50 % de l’acier mondial, alors que l’Union européenne en consomme 20 % et la France, seule, 5 %. Sur le marché du minerai de fer, les sociétés chinoises sont dépendantes de l’oligopole formé par BHP Billiton, Rio Tinto et Vale. M. Michael Han, Group Advisor de Rio Tinto, nous a fait part de chiffres révélateurs de l’emprise de ces groupes miniers ; en effet, les ventes du groupe anglo-australien à la Chine en fer, en aluminium, en cuivre et en autres métaux, sont passées de 0,4 milliard de dollars en 2000 à 16,7 milliards de dollars en 2010. Les ventes à la Chine représentent désormais 28 % des ventes globales de Rio Tinto.
M. Xuan Zheng, directeur général de la coopération internationale de la China Iron and Steel Association, a indiqué à la mission d’information que, depuis 2010, les prix sont fixés trimestriellement par les trois groupes miniers alors que, jusqu’en 2009, les prix faisaient l’objet d’une négociation globale annuelle. Le prix du minerai de fer ayant été multiplié par 10 en dix ans, les producteurs d’acier chinois s’efforcent de trouver de nouvelles ressources. Selon M. Zhang Qiubo, président de la société Minmetals, ils se tournent vers les mines d’Amérique du sud ou d’Asie du sud-est, dont les capacités sont toutefois modestes.
La chine face à l’oligopole de vale, rio tinto et bhp billiton
sur le marché du minerai de fer
Bien que la formation des prix du minerai de fer n’ait jamais été réellement transparente, l'usage voulait, des années 1960 jusqu’en 2010, que les prix soient fixés de gré à gré entre grandes sociétés internationales, et notamment les groupes Vale, BHP Billiton et Rio Tinto. Le prix du fer n’a cessé de grimper au cours de la décennie 2000 (+560 % entre juin 2002 et juin 2010). Cette hausse est due notamment à la demande croissante de la Chine en matières premières, mais également à la puissance de l’oligopole, qui représente 70 % du marché, et impose ses prix aux sidérurgistes. À la veille de la crise, le prix du fer avait atteint des pics à 140 dollars, et à plus de 180 dollars sur le marché au comptant. Puis la crise s’est traduite par l’écroulement des cours sur le marché au comptant (63 dollars), ce qui a eu pour conséquence de placer les prix négociés début 2008 largement au-dessus des cours au comptant. Face à ces fluctuations importantes, BHP Billiton, Vale et Rio Tinto avaient décidé en avril 2010 de passer à un système de fixation des prix sur une base trimestrielle. La Chine avait alors accusé les principaux fournisseurs de minerais de fer de contraindre les clients chinois à une tarification désavantageuse. En conséquence, en 2010, les importations chinoises avaient baissé de 1,4 %, mais le prix à l’importation avait augmenté de 61 % en raison de la nouvelle tarification moyenne de 145 dollars la tonne.
Afin de réduire son taux de dépendance aux importations de 63 % en 2010 à 42 % en 2015, la Chine augmente sa propre production de minerai de fer et diversifie l’origine de ses importations. Toutefois, la qualité du fer chinois n’est pas optimale – en raison notamment de la présence d’arsenic – et contraint le pays à importer du minerai de catégorie supérieure pour l’industrie sidérurgique.
Comme l’illustre le graphique ci-après, la part de la Chine dans la demande mondiale s’élève à un niveau proche de 40 % pour le cuivre et l’aluminium, et excède ce seuil, en moyenne, pour les autres métaux non ferreux.
Source : FMI, avril 2011
De surcroît, le rythme d'augmentation annuel de la consommation chinoise, après une diminution toute relative qui l'a conduit à environ 7 % en 2008, a rebondi pour atteindre près de 17 % en 2010.
Le taux de croissance annuel de la consommation de matières premières
de la Chine
La croissance industrielle et les besoins d'équipement de la Chine exercent par conséquent une influence directe sur le prix des métaux, qui a été multiplié par plus de 3 entre 1998 et 2010.
Consommation et prix mondiaux des métaux, 1998-2010
Les estimations de l'évolution de la demande de métaux demeurent en globalité haussières même si un ralentissement est à prévoir au second semestre 2011, qui s'explique par les chiffres mitigés de l’économie chinoise au second trimestre 2011. Ainsi, les importations chinoises de cuivre ont-elles diminué de près de 36 % en glissement annuel, sans que cette situation soit appelée à perdurer (29).
Il est à noter que, pour de nombreux métaux, la Chine est numéro un mondial tant pour la production que pour les importations. Cependant, pour le minerai de fer comme pour la plupart des métaux non ferreux, la Chine est contrainte d’importer et ne peut fixer les prix. Les autorités s’efforcent actuellement de rationaliser le paysage industriel.
La restructuration du marché chinois des minerais et des métaux
Le marché chinois des métaux est aujourd’hui le premier au monde, avec 35 % de la production d’aluminium, de cuivre et de zinc et 80 % de la production de magnésium. La Chine est également leader mondial en termes d’extraction de fer, de production d’acier et d’aluminium. Elle a par ailleurs les premières réserves mondiales de terres rares et de tungstène. Toutefois, l’éclatement du tissu industriel chinois dans le domaine minier pèse sur la planification de la production à l’échelle nationale et le pays pâtit de surcapacités. En outre, l’archaïsme des structures et la faible compétitivité des outils, très consommateurs en eau et en énergie, n’autorisent quasiment aucun investissement en recherche-développement. Seuls, aujourd’hui, le coût de la main-d’œuvre encore faible et la vigueur de la consommation interne permettent à la sidérurgie chinoise de rester compétitive. Pékin prône une politique de regroupement qui s’est concrétisée par une série de fusions acquisitions dans les secteurs de l’exploitation et du commerce des métaux ferreux et non ferreux, ainsi que des terres rares, domaines dans lesquels Minmetals est un acteur de premier rang. Aujourd’hui, ces groupes manquent encore de cohésion ; néanmoins, il est probable que dans un futur relativement proche, la Chine puisse, à travers ces géants de l’exploitation et du commerce des matières premières minérales, peser véritablement dans les négociations internationales des prix et influencer durablement les marchés.
Par ailleurs, dans le cadre du douzième plan quinquennal (2011-2015), la Chine ambitionne de contrôler l'accroissement des capacités de son industrie des métaux non ferreux. Le taux de croissance de la production des dix principaux d’entre eux, dont le cuivre, l'aluminium, le plomb et le zinc, ne devrait pas dépasser 8 % et son volume sera limité à 41 millions de tonnes par an. Par ailleurs, le ministère chinois de l'industrie et des technologies de l'information a annoncé en février 2011 la préparation d’un plan destiné à doubler d’ici 2015 la capacité de production de métaux recyclés.
La tension sur les prix provient de la difficulté pour l’offre de répondre à la croissance de la demande de matières premières, tant dans le domaine de l’énergie et des métaux que dans le secteur agricole.
a) Les tensions du marché énergétique
• Des réserves disponibles en quantité limitée
Les réserves de pétrole : catégorisation et volumes Les réserves d'hydrocarbures sont catégorisées en fonction de leur qualité et de leur accessibilité. Les ressources ultimes constituent l'ensemble des ressources pétrolières de toute catégorie, soit, pour autant que l'on puisse l'évaluer, 10 000 à 12 000 milliards de barils. Les ressources extractibles sont celles que l’on est en mesure d’extraire physiquement, soit de l’ordre de 60 % des ressources ultimes (6 000 à 7 200 milliards de barils). Les réserves prouvées sont les ressources découvertes, récupérables avec une certitude raisonnable et économiquement exploitables compte tenu des prix courants et de la technologie disponible (de l’ordre de 1 000 milliards de barils). Les réserves probables sont les ressources découvertes mais non exploitées. Il s’agit d’une extrapolation des ressources potentielles, fondée sur la connaissance des formations géologiques et de leur lien avec la ressource. Les deux tiers des 600 bassins sédimentaires recensés dans le monde ont été explorés. On considère généralement que ces ressources ont au moins 50 % de chances d’être exploitables avec la technologie et les conditions économiques du moment. Les réserves possibles sont les réserves probables qui ont au moins 10 % de chances d'être exploitables. Les réserves globales de pétrole sont donc formées des réserves prouvées auxquelles s'ajoutent les réserves probables. Parallèlement à l’évaluation des réserves prouvées, diverses estimations sont faites sur l’importance des gisements restant à découvrir, soit par exploration sur place, soit par analyse statistique. Les ressources présumées sont les ressources non découvertes mais que l'on pense pouvoir trouver à l'avenir sur les sites connus et explorés ; ainsi, on ne connaît pas le potentiel exact de la mer du Nord. Les ressources spéculatives sont les ressources non découvertes, situées sur des sites non encore explorés mais sur lesquels on sait pouvoir trouver la ressource. La plupart d’entre elles sont situées dans les fosses profondes du Pacifique, que la technologie actuelle ne permet pas d'explorer. Il y a une cinquantaine d’années, l'ensemble des ressources de la mer du Nord étaient considérées comme spéculatives. Enfin, les ressources de pétrole non conventionnel désignent un pétrole dense, qu’il faut fluidifier pour le produire en quantité suffisante et le rendre économiquement rentable. On peut citer le pétrole brut extra-lourd du Venezuela et les sables asphaltiques du Canada qui représentent un potentiel pratiquement équivalent aux actuelles réserves de pétrole conventionnel du Moyen-Orient. Source : Conseil économique, social et environnemental, Rapport de M. Luc Guyau, Les marchés de matières premières, novembre 2008 |
Source : BP Statistical Review of World Energy 2011
Comme l'illustre le tableau ci-dessus, e
n l’état actuel des réserves connues et au rythme de production de l’année 2010, il resterait, dans le monde, l’équivalent de 46 années de production à extraire du sous-sol. Ce chiffre est toutefois à appréhender avec précaution tant la connaissance des réserves évolue, d'autant plus que le progrès technique permet une exploitation de gisements de plus en plus difficiles d’accès. M. Jean-Marie Chevalier a ainsi rappelé qu’en 1973, le ratio des réserves prouvées rapportées à la production s'élevait à 31 années d’exploitation, ce qui signifiait un épuisement des ressources en 2004.
Cette augmentation de la durée de vie de notre consommation pétrolière ne s’explique, non pas par une baisse de la production, mais par une amélioration considérable de la connaissance de nos réserves. La réévaluation de nos réserves a été rendue possible par trois facteurs concomitants.
Le premier d'entre eux est la découverte de nouveaux gisements. Toutefois, comme l'illustre le graphique ci-dessous, le rythme des découvertes annuelles est actuellement inférieur à la consommation annuelle.
Le deuxième facteur tient à l'amélioration des technologies de récupération. Un champ est aujourd’hui considéré comme épuisé lorsque 35 % de sa capacité ont été exploités ; or, un gain d’un point de pourcentage correspond à plus d’une année de consommation supplémentaire. Les compagnies estiment qu’en trente ans, ce taux est passé de 25 à 35 %, soit une augmentation des réserves de près de 50 %.
Le troisième facteur est lié à l’augmentation des prix du pétrole brut, qui conduit à rentabiliser des gisements au coût d’exploitation jusque-là trop élevé pour être économiquement rentables. Cependant, le doublement du prix du pétrole entre 1974 et 2002 ne s’est traduit que par une croissance de quelques points seulement des réserves prouvées.
• Des capacités de production proches de leur maximum dont le renouvellement est long et coûteux
Comme le montre le tableau ci-après, la consommation de pétrole excède les capacités de production. Cette différence, de l’ordre de 5 millions de barils par jour, tient au fait que les statistiques de la production n'incluent pas les stocks et que les chiffres de la consommation prennent en compte des fuels de substitution non pétroliers (le « fuel éthanol » et le « bio diesel »).
Toutefois, l’offre de pétrole n'excède que très faiblement la demande, ce qui entretient une tension permanente sur les cours. La plupart des experts s’accordent d’ailleurs à reconnaître que les fondamentaux du marché du pétrole constituent le principal déterminant de l’évolution des cours.
En effet, si les réserves prouvées de produits énergétiques comme le pétrole et le gaz naturel ont augmenté régulièrement, les capacités d’extraction n’ont pas suivi, ce qui s’est traduit par une réaction timide de l’offre à court terme. L’insuffisance des investissements dans de nouvelles capacités de production s’explique par la forte diminution de la demande mondiale de pétrole au cours de la décennie 1980 qui s'est poursuivie, s'agissant de l’ancien bloc soviétique, dans les années 1990.
Cette situation a conduit à puiser dans les stocks pour répondre à la demande excédentaire. Puis les prix ont augmenté lorsque la capacité inutilisée a finalement été absorbée au cours de la première moitié des années 2000. La hausse soutenue des prix du pétrole après 2003 s'explique donc, non seulement par la demande, mais également par la rigidité de l'offre à court terme.
De fait, la hausse des prix du pétrole ne stimule pas immédiatement la production car l’élasticité-prix à court terme de l’offre de pétrole est quasiment nulle. En effet, la réalisation de forages est une décision lourde qui ne conduit à l'accroissement de l’offre qu’au terme d’un délai important, bien souvent supérieur à 10 ans et au prix d’investissements toujours plus onéreux à mesure que la ressource se raréfie. En revanche, à plus long terme, la hausse des prix des matières premières a probablement stimulé l’investissement dans la capacité de production. Cela contribue à expliquer que la contraction de la demande survenue à la suite de la crise financière de 2008 ait débouché sur une baisse aussi considérable des prix.
Source : BP Statistical Review of World Energy 2011
Les personnalités entendues par la mission d’information s’accordent majoritairement à reconnaître qu’il n’existe pas actuellement de pénurie de pétrole, bien que l’interruption de la production en Libye ait conduit à entamer les capacités mondiales non utilisées. M. Marc Touati estime ainsi que la situation actuelle demeure équilibrée. M. Patrick Artus rappelle qu’en 2005, les réserves étaient estimées à 1,5 million de barils par jour, puis à 6 millions avant les événements lybiens et japonais. On a repoussé l'échéance de la rareté de 6 ou 7 ans – non pas de la ressource elle-même, mais de la rareté due aux sous-investissements de la Russie, du Vénézuéla, de l’Arabie saoudite, de l’Irak et d’autres pays producteurs. En prenant l’hypothèse d’une croissance de la demande mondiale et des capacités mondiales de production, respectivement, de 2 % et de 0,9 % par an d'ici 2020, et pour une élasticité de la demande de pétrole à la croissance mondiale de 0,5, on parvient, au prix actuel, à un écart de 1,1 million de barils par jour. Donc, selon M. Artus, on va se heurter à un problème de capacité d'ici quatre ans, compte tenu des économies d’énergie annoncées. En effet, s’il n’y a pas de rareté de la ressource elle-même, on peut s'attendre, d’ici quatre à cinq ans, à une nette insuffisance de la production compte tenu du manque d’investissements. En prenant en compte la Libye et le Japon, les prévisions de Natixis pour la fin 2011 sont de l’ordre de 120 dollars le baril. S’agissant du gaz, le Japon importe actuellement des quantités massives de GNL ; le prix du gaz en Europe est passé en 15 jours de 4 à 10 dollars le million de BTU (30).
Comme l’ont rappelé MM. Didier Houssin, directeur de l’Agence internationale de l’énergie et Bahattin Buyuksahin, économiste au sein de cette institution, les gouvernements occidentaux ont récemment demandé aux États membres de l’OPEP d’augmenter leur production, mais l’Arabie Saoudite leur a opposé qu’elle ne trouvait pas suffisamment de clients pour écouler son pétrole. En effet, l’Arabie Saoudite traite exclusivement avec les raffineurs ; or, ceux-ci, du fait de la hausse des cours, ont vu leurs marges se réduire jusqu'à devenir négatives, car, à court terme, ils ne peuvent que très difficilement répercuter leurs coûts sur les consommateurs. Par conséquent, ils ne sont plus acheteurs et puisent dans leurs stocks. Par ailleurs, MM. Houssin et Buyuksahin ont rappelé que le pétrole libyen étant un pétrole très léger et de grande qualité, la substitution proposée par l’Arabie saoudite (600 000 barils par jour) a été loin de pouvoir compenser la perte de production libyenne (1,6 million de barils par jour).
De manière plus générale, les représentants de l’AIE ont insisté sur le fait que l’Arabie saoudite disposait de réserves de long terme et fondait sa stratégie sur le maintien de prix acceptables par les Occidentaux. Comme l’a rappelé M. Marc Touati, le coût moyen pondéré du baril de pétrole s’élève actuellement à 35 dollars ; selon M. Artus, l'Arabie saoudite supporte un coût marginal de 15 dollars, ce qui lui procure une rente de 85 dollars pour un baril vendu à 100 dollars. Cela fait dire à M. Artus que « le plus gros spéculateur sur le marché du pétrole est Aramco, qui fait le choix de ne pas mettre sur le marché 3 à 4 millions de barils par jour ».
Le débat relatif au pic pétrolier
Selon la théorie du « pic pétrolier », formulée dans les années 1950 par le géologue américain Marion King Hubbert, l'évolution de la production annuelle dans une zone pétrolière donnée s'apparente nécessairement à une courbe en cloche et atteint un pic après que la moitié des réserves ultimes a été découverte. La production annuelle décroît ensuite progressivement jusqu'à l’épuisement des ressources ultimes. En effet, une fois que l'on a découvert environ la moitié des réserves ultimes, un effort d’exploration constant conduit à des découvertes de moins en moins nombreuses et de plus en plus coûteuses à exploiter.
Cependant, toute prévision en la matière paraît bien périlleuse, dans la mesure où l'on ne dispose pas de connaissances suffisantes sur les réserves ultimes et où l’évolution des prix est dans une grande mesure difficilement évaluable. Les estimations varient d’ailleurs beaucoup selon les auteurs. Pour les géologues de l’ASPO (Association for the study of Peak Oil and Gas), nous serions actuellement en présence du pic pétrolier et la production mondiale de pétrole conventionnel devrait à présent plafonner. D’autres analystes, dont de grandes compagnies pétrolières, estiment que le pic ne surviendra pas avant vingt ou trente ans.
Parmi les personnalités auditionnées par la mission d'information, M. Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à l’école des mines de Paris, qualifie la théorie du pic pétrolier d'« hérésie économique ». La consommation de pétrole continuera encore pendant longtemps, les cours croissants du baril rendant l’exploitation de nouveaux gisements toujours rentable.
Pour sa part, M. Jean-Marie Chevalier, professeur à l’université de Paris Dauphine, estime que les pays occidentaux ont atteint leur pic de consommation et que la croissance future de la demande sera due exclusivement aux économies émergentes. Le potentiel de croissance de ces pays est d’autant plus important que leur population ne consomme pas encore au rythme occidental. Le scénario le plus probable à ses yeux est celui du « plateau ondulatoire » où, une fois le maximum atteint, la consommation oscillera autour de cette valeur.
Quelle que soit l’échéance, le déclin des réserves nécessitera le développement des énergies de substitution, qui sera facilité par le maintien du cours du baril au-dessus de 100 dollars.
b) L’insuffisance de l’offre européenne de métaux
Les pays occidentaux connaissent une situation générale de sous-investissement dans la production minière depuis 20 ans. Les fondamentaux économiques permettent d'anticiper, à l'horizon 2015, une pénurie de l'offre pour la totalité des métaux industriels, ce qui aurait mécaniquement un retentissement substantiel sur les cours.
Source : Standard Chartered
De 1998 à 2009, la demande totale de métaux de base a progressé à un taux annuel moyen de 4 %, un peu supérieur à la croissance de la production primaire. Dans ces conditions, la plupart des marchés de métaux sont devenus déficitaires. Ces déséquilibres ont été compensés par le recours aux stocks ou au recyclage. Toutefois, l’offre a montré certains signes de réaction à la montée des prix et la production primaire mondiale a augmenté en 2007 au rythme annuel le plus rapide depuis au moins dix ans. Pourtant, comme l’indique le FMI (31), il est à craindre que l’offre ne puisse pas satisfaire la croissance future de la consommation. Cela n’est dû qu’en partie à une pénurie d’investissements. Pour certains métaux – notamment le cuivre et l’étain – des difficultés technologiques et géologiques ont entraîné une diminution de la productivité des mines. Pour d’autres métaux – le plomb et, dans une moindre mesure, l’aluminium –, les contraintes environnementales réduisent les capacités d’extraction. Une étude de long terme menée par le FMI montre que, depuis 1850, les cycles haussiers ont duré environ 20 ans. Le FMI en déduit que nous nous trouverions à la moitié de la période de hausse des prix. En effet, peu de signes indiquent une accélération durable de la croissance de l’offre de métaux. Si la demande continue à augmenter aux taux observés pendant la dernière décennie, la période actuelle de plus grande rareté et la tendance à la hausse des prix des métaux pourraient persister pendant un certain temps.
Une prise de conscience se fait jour, en France, et, plus largement, dans l’Union européenne et dans les pays développés, sur la nécessité de sécuriser les approvisionnements miniers. À cet égard, il convient de saluer la création du comité pour les métaux stratégiques (COMES).
Le comité pour les métaux stratégiques
Créé le 26 janvier 2011, le comité pour les métaux stratégiques est présidé par le ministre de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, son secrétaire général étant M. François Bersani, ingénieur général des Mines. Il est composé de services de l’État et d’organismes publics (ADEME, AFD, BRGM, IFREMER) contribuant à la politique d’approvisionnement en métaux stratégiques, ainsi que des représentants des industries intervenant dans leur extraction, leur transformation ou leur utilisation : la fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM), l’union des industries chimiques (UIC), le groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), le comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA), la fédération des entreprises du recyclage (FEDEREC), la chambre syndicale des producteurs d’aciers fins et spéciaux (SPAS), la fédération des industries électriques et électroniques et de communication (FIEEC), le groupement des industries de construction et activités navales (GICAN) et la fédération des industries mécaniques (FIM).
Le comité aura pour missions d’améliorer la connaissance des besoins des industriels en métaux stratégiques, d’identifier les ressources critiques, d’actualiser l’inventaire minier et de relancer la prospection minière, sur terre et en mer, d’accélérer la réalisation de projets de recyclage, d’accroître les efforts de recherche et développement, notamment s’agissant de la substitution et de développer la coopération européenne et internationale.
Il est à noter que, si les réserves exploitées par la France se limitent pour l’essentiel à l’or de la Guyane et au nickel de la Nouvelle-Calédonie, des découvertes récentes ont mis au jour des gisements de métaux, pour certains considérés comme stratégiques, dans notre zone économique exclusive. Il s’agit, selon M. François Bersani, des sulfures hydrothermaux, situés au large de Wallis et Futuna, à moins de 1 500 mètres de profondeur ; des encroûtements polymétalliques, situés en Polynésie, dont l’exploitation est rendue difficile par la densité des matériaux et la profondeur ; et des nodules polymétaliques, situés également dans le Pacifique à près de 4 000 mètres de profondeur, pour l’heure inexploitables.
La Commission européenne a également pris conscience depuis plusieurs années de la dépendance de l’Union aux importations de métaux stratégiques et a lancé un plan d’action global en 2008.
L’initiative « matières premières »
En 2008, la Commission européenne a lancé l’initiative « matières premières », qui définit une stratégie pour répondre aux différents obstacles liés à l’accès à certaines matières premières dites « essentielles », dont les importations placent l’Union en état de dépendance. Elle repose sur trois piliers :
– garantir des conditions équitables en matière d’accès aux ressources dans les pays tiers ;
– favoriser un approvisionnement durable en matières premières auprès de sources européennes ;
– dynamiser l’efficacité des ressources et promouvoir le recyclage.
Cette stratégie repose, entre autres, selon la Commission européenne, sur la nécessité d’appliquer une « diplomatie des matières premières » intégrée à des politiques plus générales à l’égard des pays tiers, telles que des politiques en faveur des droits de l’homme, de la bonne gouvernance, de la résolution des conflits, de la non-prolifération et de la stabilité régionale.
La Commission européenne se déclare également disposée à examiner « la valeur ajoutée et la faisabilité que présenterait un éventuel programme de constitution de stocks de matières premières ». Cette initiative est aujourd’hui limitée aux matières premières minérales non énergétiques.
Une stratégie globale doit être mise en œuvre afin d’apaiser les tensions sur l’approvisionnement de l’Europe en matières premières minérales.
Il convient en premier lieu d’améliorer notre information sur les matières premières qui peuvent revêtir un caractère stratégique. À cet effet, une liste de 14 matières critiques a été recensée par la Commission européenne :
Éléments |
Applications dans les technologies de l’information et de la communication |
Autres applications |
Antimoine |
Micro condensateurs, retardateurs de flamme, écrans CRT |
Médecine |
Beryllium |
Transistors de haute puissance |
Rayons X, mécanique, magnétisme, nucléaire, acoustique |
Cobalt |
Batteries Lithium-ion |
Alliages (aimants permanents), catalyse |
Fluorite |
Outils d’exposition |
Métallurgie, microscopie, optique |
Gallium |
Circuits intégrés |
Stockage d’énergie, bio-médical |
Germanium |
Infrarouge militaire |
Optique |
Graphite |
Évacuation de la chaleur (écrans, ordinateurs et téléphones portables) |
Métallurgie |
Indium |
Écrans (ITO), semi-conducteurs, soudure sans plomb |
Métallurgie |
Magnésium |
Métallurgie | |
MGP (1) : métaux du groupe du platine |
Disques durs, fils thermocouples, piles à combustible, condensateurs |
|
Niobium |
Micro-condensateurs, ferro-alliages |
|
Tantale |
Micro condensateurs |
Alliages métalliques |
Terres rares (2) |
Exemples : supraconduction (yttrium), réfrigération magnétique (gadolinium), voitures hybrides/ électriques, générateurs d’éoliennes offshore |
Catalyse, lasers de guidage, radiographie médicale, luminophores, écrans plats |
Tungstène |
Circuits intégrés (connexion) |
Métallurgie, catalyse… |
(1) Les métaux du groupe du platine (MGP) regroupent le platine, le palladium, l’iridium, le rhodium, le ruthénium et l’osmium.
(2) Les terres rares comprennent le scandium, l’yttrium et les 15 lanthanides (lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhéum, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium, lutécium).
M. Christian Hocquard a insisté lors de son audition sur la nécessité de réviser cette liste fréquemment, rejoint en cela par M. François Bersani. Le groupe de travail sur les matières premières essentielles pour l’Union européenne a de la même façon reconnu la nécessité de mettre régulièrement à jour cette liste, afin de refléter l’évolution du marché et des enjeux environnementaux. Toutefois, M. Bersani a indiqué que cette proposition se heurtait à une fin de non-recevoir de la part de la direction générale Industrie de la Commission européenne, au motif que les études nécessaires à l’établissement de cette liste étaient trop importantes pour être renouvelées fréquemment.
Plus fondamentalement, M. Bersani a regretté au cours de son audition le caractère uniforme de cette liste, qui apparaît en décalage avec la réalité industrielle de l’Union européenne. En effet, le degré de « criticité » de certains métaux varie nécessairement d’un État européen à l’autre. Ainsi, des métaux comme le lithium ou l’uranium, qui semblent éminemment stratégiques pour l’industrie française, ne figurent pas dans la base de données de la Commission. Il est à noter qu’une autre liste, créée en 2009, concerne les 9 métaux ayant fait l’objet de contentieux au cours des dernières années (32).
Comme l’indique M. François Bersani, il convient d’aider les entreprises à se procurer l’information relative aux matières premières. En effet, indique-t-il, il n’est pas rare que des industriels ignorent la composition exacte des produits qu’ils achètent. Il leur est donc difficile de connaître les risques auxquels ils s’exposent en cas de rupture de l’approvisionnement. Toutefois, c’est un sujet dont on a une connaissance imparfaite, les entreprises n’aimant guère communiquer sur cette question.
Il convient donc de :
– demander à la Commission européenne d’actualiser annuellement les données relatives aux métaux stratégiques pour l’Union européenne (proposition n° 3) ;
– demander à la Commission européenne d’établir une étude sur les importations européennes de matières premières non listées comme essentielles – telles le lithium, l’uranium, le hafnium et le nickel – qui revêtent pourtant un caractère stratégique pour répondre aux besoins de certains industriels (proposition n° 4). Cette étude pourrait également évaluer la dépendance de nos industries et la sécurisation de l’approvisionnement ;
– renforcer les missions du comité des métaux stratégiques en vue de sensibiliser les industriels à une éventuelle dépendance à certains métaux, et, plus généralement, de les aider à prévenir les risques de rupture de l’offre (proposition n° 5). Les PME, qui disposent de moyens limités en recherche-développement, doivent être particulièrement ciblées. Cette mission revient principalement au comité pour les métaux stratégiques.
En deuxième lieu, la question des stocks stratégiques a été souvent évoquée – et critiquée – par nos interlocuteurs. M. Bersani a rappelé que la décision de créer un stock public de réserve a été prise en 1968, mais, qu’à cette époque, le pays disposait encore d’une puissante industrie métallurgique ; nous pouvions acheter du minerai brut sur les marchés et le stocker, afin d’obtenir des produits adaptés aux besoins des entreprises. Par la suite, en raison de la baisse des cours, les stocks ont été vendus en 1996, à l’exception du pétrole. Une nouvelle politique a été instituée, fondée sur l’anticipation des situations à risque et la mise en place d’un système de veille.
M. Georges Pichon, PDG de la société Sarsmétal, a également rappelé l’échec des stocks régulateurs mis en place par l’accord international sur l’étain, qui disparut en 1985 et faillit entraîner avec lui le London Metal Exchange, qui ne disposait pas à l’époque de chambre de compensation.
À l’heure actuelle, la reconstitution des stocks reviendrait, selon M. Bersani, à recourir à la « technique de l’épicier » : il faudrait stocker chaque type de métal, à différents niveaux de qualité, de pureté ou de forme, afin de pouvoir répondre individuellement à chaque catégorie de consommateur, dans des délais rapides. Un stockage atteignant ce niveau de finesse nécessiterait une logistique sophistiquée et présenterait un coût en conséquence (33). De surcroît, la constitution de stocks publics destinés à remédier aux carences des industriels n’est pas une solution satisfaisante et, en tout état de cause, est fortement limitée par le droit européen. Enfin, « les industriels sont actuellement peu sensibilisés au sujet et voient les stocks comme une contrainte qu’envisagerait de leur imposer l’administration » (34).
Si cette mesure ne paraît donc pas appropriée, l’État devrait en revanche renforcer le dialogue avec les industriels afin d’élaborer une stratégie commune pour améliorer la sécurité d’approvisionnement en matières jugées critiques, qui prenne en compte les différentes approches possibles (actions sur la demande, actions sur l’offre, constitution de stocks, recyclage…) (proposition n° 6).
S’agissant plus particulièrement de la gestion des déchets, plusieurs de nos interlocuteurs nous ont également fait part des difficultés freinant cette démarche en Europe. M. Ralf Schmitz, directeur de la fédération allemande des marchands de métaux, a indiqué à la mission d’information que beaucoup d’entreprises les exportaient illégalement. Certaines provinces italiennes considèrent que les résidus ne sont pas des déchets, contrairement aux règles européennes. Or, les produits exportés contiennent des matières premières qui devraient être identifiées et recyclées. De surcroît, selon M. Schmitz, il est quasiment impossible en Europe occidentale de créer une installation de recyclage de matières premières, en raison des contraintes de toute nature pesant sur les entreprises.
Il convient donc de saisir la Commission européenne de cette difficulté et de la charger de prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux exportations illégales de déchets (proposition n° 7). Les accords internationaux doivent comporter des normes relatives au recyclage qui soient équivalentes aux normes européennes. Les États membres doivent renforcer les contrôles douaniers. Parallèlement, il est nécessaire d’alléger les contraintes administratives et environnementales et agréer plus rapidement les installations.
Par ailleurs, un vaste effort doit être entrepris dans le domaine de la recherche-développement. Il convient de soutenir financièrement, aux échelons national et européen, les investissements accomplis par les industriels afin de développer les techniques nécessaires à l’extraction de matières stratégiques diffuses dans les déchets. Par ailleurs, les programmes de recherche doivent également être développés dans le domaine de la connaissance des gisements européens (proposition n° 8).
L’apaisement des tensions sur l’offre de métaux implique également la mise en œuvre d’une politique de coopération internationale. MM. Volker Steinbach, directeur de l’énergie et des matières premières à l’Agence allemande des matières premières et Thomas Gäckle, sous-directeur en charge de la politique des matières premières au ministère allemand de l’économie, ont évoqué devant la mission d’information le partenariat noué par l’Allemagne avec le Kazaksthan et le projet de partenariat avec l’Union africaine. L’objectif de l’Allemagne, à travers ce type d’accords, est de permettre aux pays en développement d’utiliser leur potentiel de manière durable, tout en se procurant des informations intéressantes et en obtenant un accès aux ressources minérales. Deux conditions sont fixées à la réussite d’un partenariat : l’intérêt témoigné par l’industrie et l’accord du gouvernement fédéral pour accompagner le projet.
Afin de favoriser l’approvisionnement de l’industrie en ressources minérales, il convient de s’inspirer de ce type de partenariats, pour développer à l’échelon européen la coopération avec les pays en développement riches en matières premières. L’Union européenne apporterait une aide financière et technique à ces pays en matière d’exploration et d’exploitation. En contrepartie, elle pourrait acquérir les ressources minérales au cours officiel.
Parallèlement, il paraît nécessaire de nouer des coopérations bilatérales avec des pays européens ayant une tradition minière, notamment l’Allemagne et les pays scandinaves.
L’ensemble de ces mesures doit permettre de réduire la dépendance européenne aux importations de métaux et, ce faisant, d’alléger les tensions pesant sur les prix mondiaux. Plus globalement, l’amélioration du fonctionnement des marchés mondiaux de matières premières, qui est garante d’une plus grande stabilité des prix à moyen et long terme, implique en premier lieu l’accroissement de l’information disponible sur les principales données économiques. Les marchés physiques de matières premières se caractérisent en effet actuellement par un degré relativement élevé d’opacité.
3. L’opacité des marchés physiques
Les marchés au comptant et à terme ne peuvent fonctionner correctement que si les anticipations des intervenants, ou du moins un nombre suffisant d’entre elles, peuvent s’appuyer sur des données reflétant convenablement une situation existante et ses perspectives d’évolution dans le temps. La formation d’anticipations sur l’évolution des prix en lien avec les fondamentaux du marché suppose donc qu’un minimum d’informations soit publiquement mis à leur disposition. Dans le domaine des matières premières, où certains facteurs perturbateurs des anticipations sont difficilement contrôlables (facteurs naturels et géopolitiques), les acteurs économiques ont notamment besoin de données fiables sur les perspectives de production et de consommation, les réserves existantes, l’état des stocks et les capacités de stockage et de transport.
Or, s’agissant de nombreuses matières premières, les informations disponibles se révèlent souvent largement insuffisantes, quand leur fiabilité même n’est pas en question. À titre d’exemple, au cours de l’été 2010, les cours du blé ont brusquement augmenté à la suite des incendies qui ont eu lieu en Russie, en Ukraine et au Kazakhstan. Insuffisamment informés de l’état des stocks et des autres capacités de production, les intervenants ont anticipé une hausse des cours, la provoquant ainsi dans un premier temps – 60 % de hausse en deux mois – avant que l’état réel de l’offre et de la demande ne puisse être plus précisément estimé, conduisant alors le marché à revenir à des niveaux plus « rationnels ».
La transparence des marchés physiques est freinée par des considérations géopolitiques ou stratégiques, tant en ce qui concerne les pays producteurs que les pays consommateurs. Il n’est que de rappeler, dans le domaine du blé, l’enjeu que constituaient les chiffres de la production américaine et de la consommation soviétique durant la guerre froide. Plus récemment, la crise diplomatique intervenue entre le Japon et la Chine a conduit cette dernière à mettre en place un embargo non officiel sur l’exportation de terres rares. S’agissant des acteurs commerciaux, les enjeux peuvent aussi être lourds s’il était donné, directement ou indirectement (par recoupement), un accès public à des informations stratégiques pour un acteur particulier. Il est difficile d’imaginer par exemple que les conditions de réponse à un appel d’offre puissent être publiquement dévoilées.
À cet égard, Mme Delphine Lautier, professeur à l’Université de Paris-Dauphine, a rappelé au cours de son audition que les négociants de matières premières n’hésitaient pas à recourir à des techniques d’espionnage afin d’obtenir des projections sur des éléments tels que les stocks, la production ou les besoins futurs d’un pays ; la Chine ferait notamment partie des pays ainsi observés.
a) Les efforts de transparence les plus remarquables concernent le marché du pétrole
Le groupe de travail de l’organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) consacré aux marchés à terme de matières premières a souligné, dans son rapport de novembre 2010, l’enjeu de l’information sur le marché physique. S’agissant du pétrole en particulier, l’OICV a demandé à l’agence internationale de l’énergie, au forum international de l’énergie et l’organisation des pays exportateurs de pétrole d’améliorer la qualité des informations publiées et les délais de communication de ces données.
Parmi les initiatives qui ont été lancées pour améliorer l’information disponible sur les marchés physiques, la plus marquante est certainement l’initiative sur la transparence des données pétrolières (35), qui a été élaborée en 2001 par six organisations internationales (36). Cette structure informelle, dont le secrétariat est assuré par le Forum international de l’énergie (FIE), produit une base de données mensuelle relative au marché physique du pétrole, qui concerne 98 pays ; elle détaille les chiffres de la production, des importations et des exportations, des stocks, des flux à destination et au départ des raffineries et de la consommation (37).
Comme le reconnaissent les participants eux-mêmes, des progrès substantiels restent à accomplir en matière de fiabilité, d’exhaustivité et de rapidité de publication des données. MM. Didier Houssin, directeur de l’Agence internationale de l’énergie et Bahattin Buyuksahin, économiste au sein de cette institution, estiment que les chiffres disponibles sont l’objet d’incertitudes qui pèsent sur les mécanismes de découverte des prix. Ainsi, la demande chinoise est encore très incertaine. Du point de vue de l’offre, les chiffres sont souvent étonnants et de nombreux pays, à l’image du Venezuela, fournissent des statistiques hautement perfectibles. Selon M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie au ministère de l’écologie, certains États, à l’image de la Russie ou de l’Arabie Saoudite, s’opposent au contrôle des données fournies. Or, au titre de 2010, un écart de 1,6 million de barils par jour avec les chiffres de l’OPEP demeure inexpliqué.
M. Noé van Hulst, secrétaire général du Forum international de l’énergie, estime pour sa part que, si les résultats de l’initiative JODI se sont améliorés ces deux dernières années, on doit encore « déplorer le délai parfois très long de la collecte des données auprès des États ». Mais ce programme a fait prendre conscience à de nombreux pays producteurs des bénéfices possibles de la communication d’informations parfois jugées stratégiques et de la nécessité d’améliorer la qualité de leurs systèmes statistiques.
Lors du sommet de Séoul de novembre 2010, le G 20 a exprimé son soutien à l’initiative JODI tout en demandant au FIE, à l’AIE et à l’OPEP de déterminer les moyens d’améliorer la qualité – et notamment l’exhaustivité – des données publiées. Le groupe d’experts sur la volatilité des prix des énergies fossiles, constitué au sein du G 20, a demandé aux organisations internationales parties prenantes du JODI de travailler en ce sens.
Des progrès restent notamment à accomplir s’agissant des stocks spéculatifs. Comme l’indique Mme Delphine Lautier, leur surveillance représente un enjeu crucial nécessitant des moyens et une volonté politique de l’ensemble des acteurs. Le centre d’analyse stratégique note pour sa part qu’il convient de « définir des anticipations adéquates afin d’encourager les agents détenant des stocks spéculatifs à les enregistrer » (38).
De fait, les efforts de collecte d’informations doivent être poursuivis, dans la mesure où les données publiquement disponibles sur les stocks de pétrole ne concernent pas les pays hors OCDE et ne comprennent pas non plus les formes non conventionnelles de stockage. La Chine et l’Inde, en particulier, ne fournissent pas leurs niveaux de stocks. De surcroît, au sein de l’OCDE, les données publiées sont souvent incomplètes, dans la mesure où les spéculateurs évitent de révéler des informations sur leurs propres anticipations. Selon le centre d’analyse stratégique, « à l’heure actuelle, seuls les États-Unis et le Japon fournissent des données fiables sur les stocks, publiées régulièrement. »
Il convient donc de consolider l’initiative JODI, en renforçant les efforts de collecte d’informations, en particulier en direction des pays hors OCDE (proposition n° 9). Un effort particulier devra être mené en matière de stocks. Les points suivants devront en particulier être améliorés :
– l’exhaustivité des réponses fournies ;
– les délais de publication, souvent supérieurs à un mois ;
– la fiabilité des données relatives à la demande des pays émergents (notamment la Chine, l’Inde et la Russie).
Par ailleurs, deux chantiers ont été lancés à l'initiative des ministres de l'énergie lors de la réunion ministérielle du Forum international de l’énergie de Cancun en mars 2010. En premier lieu, des travaux sont conduits actuellement pour élargir l’initiative JODI au gaz. Cette mesure paraît d’autant plus importante que les marchés du gaz – en particulier ceux du gaz naturel liquéfié – revêtent un caractère mondial plus affirmé : les prix sur les marchés européens sont actuellement influencés par les fondamentaux de l'offre et de la demande globales. Ces travaux sont bien avancés et bénéficient du concours d’une quarantaine de pays.
Une seconde réflexion – qui n’a pas atteint le même degré d’avancement – a pour objet d’inclure dans le fichier JODI des données prévisionnelles concernant les investissements pétroliers. Ces travaux, beaucoup plus complexes – en termes de disponibilité, de comparabilité et de fiabilité des données –, nécessiteront plusieurs années avant de voir le jour. La tenue annuelle du symposium qui s’est tenu à Riyad en janvier 2011 et qui réunissait l’OPEP, l’AIE et le FIE permettrait d’assurer un suivi efficace de ces travaux.
Vos rapporteurs considèrent que le G20 doit se saisir de ces questions et mandater officiellement le Forum international de l’énergie afin :
- de faire évoluer la base de données JODI, dont le périmètre est aujourd’hui exclusivement pétrolier, au marché mondial du gaz ;
- d’inclure dans le répertoire JODI des données, non pas seulement historiques, mais également de nature prévisionnelle, sur les investissements pétroliers (proposition n° 10).
b) Des progrès ne pourront être accomplis sur les marchés des métaux que par un renforcement du dialogue entre producteurs et consommateurs
Le renforcement de la transparence des marchés physiques de matières premières implique le renforcement du dialogue entre producteurs et consommateurs. Si des progrès notables ont été récemment enregistrés dans le domaine pétrolier, des efforts importants doivent encore être engagés pour l’ensemble des matières premières.
En effet, s’agissant des marchés de métaux, l’information demeure très nettement insuffisante. Selon M. Christian Hocquard, la transparence n’est acceptable que dans le domaine de l’offre de métaux industriels – hormis pour ce qui concerne les stocks stratégiques. En effet, les raffineries, par lesquelles transitent les matériaux bruts, fournissent des chiffres relativement fiables sur les quantités produites. Mais l’information est beaucoup plus difficile à vérifier s’agissant des petits métaux, en raison du caractère inorganisé de ces marchés. Il en va de même s’agissant de certains métaux précieux. Comme l’a indiqué M. Philippe Mongars devant la mission d’information, « dans certaines circonstances, même les acteurs financiers professionnels, pourtant équipés de systèmes d’information sophistiqués, éprouvent des difficultés pour obtenir une information fiable (39) sur les prix au comptant alors que ces informations sont beaucoup plus facilement observables s’agissant des dérivés listés sur les marchés organisés. Sur le marché de l’or, par exemple, les différences de qualité ou les règles de livraison locales peuvent entraîner des différences de prix entre le cours à terme et le cours au comptant ».
Sur les marchés du cuivre, du nickel, du plomb et du zinc, trois organisations intergouvernementales (40), qui rassemblent la plupart des pays producteurs et consommateurs, ainsi que les industriels concernés, permettent des échanges d’informations sur les volumes de la production et de la consommation. Les chiffres sont validés par les gouvernements et font l’objet d’une publication sur internet. Ces instances sont parmi les seules à permettre des échanges de vues entre les parties prenantes de chaque marché (États et groupes privés).
Toutefois, à l’instar de la base de données JODI, des améliorations notables sont susceptibles d’être apportées à ces dispositifs. En premier lieu, certains pays membres refusent de fournir des données ou indiquent des chiffres manifestement inexacts. Comme nous l’a indiqué le ministère de l’écologie, jusqu’en 2011, les chiffres communiqués par la Chine concernant le cuivre n'incluaient pas les stocks. De manière générale, les stocks sont inclus dans le chiffre global de la consommation de métal raffiné fourni par chaque pays, ce qui ne permet pas d’en avoir une connaissance précise. D’autres pays, à l’instar de la Russie, fournissent des statistiques pour le moins approximatives. Cela contraint les groupes d’études à publier des estimations de la production et de la consommation. Cette incertitude est accrue par le fait que les États indiquent rarement la méthodologie utilisée par leurs services statistiques.
En second lieu, certains États ne participent pas à ces groupes d’études ; on peut par exemple regretter l’absence de la Chine, de l’Inde et de l’Indonésie au sein du groupe consacré au nickel et, de manière générale, la très faible présence des pays africains dans les trois structures.
Vos rapporteurs proposent de missionner la CNUCED aux fins :
- d’améliorer la fiabilité et l’exhaustivité des données collectées par ces trois organisations internationales, en particulier concernant les chiffres de la production, de la consommation et des stocks ;
- et d’obtenir la participation des principaux pays producteurs et consommateurs, et en particulier des pays émergents asiatiques et africains (proposition n° 11).
Par ailleurs, une transparence accrue des marchés des métaux nécessite une extension de ces accords à d’autres matières minérales. À cet égard, le lancement d’une étude relative aux co-produits et aux sous-produits des quatre métaux de base a été accepté par les États membres des trois groupes d’études en septembre 2011 (41). Il convient, à partir de cette base de travail, d'amorcer une réflexion sous les auspices de la CNUCED sur l’extension de la coopération à d'autres matières premières minérales – métaux industriels mais également métaux précieux et petits métaux – et sur l’institution, le cas échéant, de nouveaux groupes d’études internationaux.
Cet objectif est à l’évidence ambitieux, au regard du caractère stratégique de ces données pour de nombreux États et entreprises. Mais la relative réussite du programme JODI montre que l’impulsion de la communauté internationale peut permettre de surmonter les réticences les plus fortes.
c) L’opacité des marchés physiques a appelé le développement d’agences privées d’évaluation des prix, dont l’activité doit être encadrée
L’opacité des marchés physiques des matières premières minérales a justifié l’intervention d’agences privées chargées d’évaluer les prix, dont les deux principales sont Platt’s et Argus Media.
Il s’agit d’institutions privées indépendantes qui ont pour objet d’indiquer, en observant l’historique des transactions du jour, le niveau des cours de référence de certaines matières premières. M. Philippe Mongars a fait observer au cours de son audition que leur intervention est rendue nécessaire en raison de l’insuffisance de l’information ex post relative aux transactions ayant lieu sur les marchés physiques et sur les marchés dérivés d’un certain nombre de matières premières. Comme l’indique M. Mongars, « il ne faut pas penser qu’aucun prix n’est publié sur les marchés de gré à gré. Des agences comme Bloomberg et Reuters fournissent de nombreuses informations ponctuelles sur les opérations effectuées ; en revanche, on manque d’informations d’ensemble concernant la volumétrie, l’identité des différents intervenants et leur rôle. » La valeur ajoutée de ces agences est d’autant plus cruciale s’agissant des petits métaux, pour lesquels il n’existe pas de marché organisé. Elles jouent également un rôle de premier plan en matière énergétique, comme l’atteste l’activité déployée par l’agence Platt’s pour déterminer la cotation du pétrole brut physique européen.
Le rôle de platt’s dans la cotation du pétrole brut physique en europe
S’agissant du pétrole brut physique acheté par les raffineurs européens, l’index de référence utilisé dans les formules servant à déterminer les prix de facturation, est, dans la grande majorité des cas, la cotation Dated Brent fabriquée chaque jour par Platt’s Crude Oil Marketwire. La fabrication de cette cotation s’appuie sur une plateforme électronique – dont l’accès est payant – qui organise l’équivalent d’un processus de fixing quotidien entre professionnels des marchés abonnés, à heure fixe – 16 h 30, heure de Londres. Les ordres donnés sur cette plateforme sont ensuite exploités par Platt’s de façon à produire une valeur du jour correspondant à l’écart entre des cargaisons de « BFOE » (42) comportant des dates de chargement et des cargaisons de BFOE non datées, pour livraison différée, les mois suivants. Cet écart déterminé par Platt’s est alors ajouté ou retranché au prix négocié sur ICE à 16 h 30, heure de Londres, pour la première échéance de son contrat à terme sur le Brent : ainsi est obtenue la cotation Platt’s du jour pour le « Dated Brent ». Platt’s n’est donc pas responsable du niveau absolu des prix publiés par ses équipes.
Opérant de façon similaire pour les bruts et les produits raffinés, les équipes de Platt’s contribuent à la production de valeurs de référence essentielles pour les raffineurs opérant dans chacun des pays membres de l’Union européenne. Cependant, en matière de détermination du prix des pétroles bruts, stricto sensu, leur rôle se limite à la détermination d’un facteur de deuxième ordre : la différence de valeur entre le Dated et le prix de la livraison différée. Car c’est aux marchés à terme pétroliers – NYMEX pour le WTI, ICE Europe pour le Brent, DME pour l’Oman – que revient in fine la fonction de détermination d’un niveau de prix absolu « pour le pétrole ». La place de marché ICE Europe et l’agence Platt’s, qui opèrent toutes deux sur le territoire britannique, agissent en réalité de manière complémentaire pour déterminer tout ou partie du prix de marché des pétroles bruts physiques transformés par des raffineurs européens, ou exportés d’Europe par les producteurs qui y opèrent.
Source : Frédéric Baule, La régulation des marchés physiques du pétrole, 2010
Les travaux menés par l’Organisation internationale des commissions de valeurs, l’Agence internationale de l’énergie, le Forum international de l’énergie et l’OPEP ont mis en lumière la grande hétérogénéité des méthodes utilisées par ces agences, qui se caractérisent parfois par une grande subjectivité. Par ailleurs, certaines entreprises industrielles considèrent que les agences d’évaluation des prix exercent un pouvoir de marché excessif et qu’aucun recours n’existe en présence d’une erreur manifeste de leur part. Platt’s occupe une position nettement dominante sur le marché, à telle enseigne que certaines sociétés nationales productrices de pétrole refusent d’utiliser d’autres chiffres que les siens. Cela limite considérablement l’effectivité de la concurrence.
Le rôle majeur joué par ces entreprises justifie que l’on s’intéresse de plus près au processus de fabrication de leurs cotations. En effet, selon M. Mongars, « on ne peut exclure qu’elles publient des chiffres fantaisistes communiqués par des intervenants sur les marchés de gré à gré ». Mme Delphine Lautier a confirmé devant la mission d’information que ces institutions sont dépendantes des informations livrées par les acteurs du marché, ce qui peut donner lieu à des manipulations. Par ailleurs, une grande partie des transactions ne sont pas prises en compte par Platt’s dans l’élaboration des prix, car l’agence ne prend en considération que les données enregistrées sur sa plateforme électronique.
Certes, les mesures de régulation prévues par la proposition de règlement EMIR en Europe et la loi Dodd Frank aux États-Unis réduiront dans une certaine mesure les possibilités de manipulation, en renforçant la transparence sur les marchés de gré à gré. Vos Rapporteurs considèrent toutefois qu’eu égard au risque de « désinformation organisée » rendu possible par l’opacité de leur activité, il convient d’encadrer l’activité de ces entreprises et de contrôler tant leur mode de gouvernance que leur degré de transparence et d’impartialité (proposition n° 15). Une première étape consistera à acquérir une meilleure connaissance de leur fonctionnement et de leur impact sur les mécanismes de formation des prix, aussi bien sur les marchés financiers que sur les marchés physiques. C’est d’ailleurs l’un des objectifs de la présidence française du G20.
À l’échelon national, n’étant ni des entreprises d’investissement ni des établissements bancaires, ces agences ne relèvent ni de la Banque de France ni de l’Autorité de contrôle prudentiel. Dès lors, leur régulation devra être mise en œuvre par les régulateurs financiers nationaux (43) et coordonnée par l’Autorité européenne des marchés financiers.
4. L’impact du développement humain sur les prix agricoles
Parmi les tendances lourdes poussant à la hausse des prix des matières premières figure une cause dont on devrait tous se réjouir : le développement humain.
L’alimentation est la première énergie du monde. Depuis 2007, il existe une tendance à une hausse moyenne des prix des matières premières agricoles sur tous les marchés mondiaux, la quasi-totalité des produits étant affectée par ce vaste mouvement.
Or, une des premières causes de cette évolution tient à l’augmentation de la population mondiale. Plus de 6 milliards d’individus aujourd’hui : on estime que la population mondiale oscillera entre 9 et 10 milliards d’habitants sur terre à l’horizon 2050, époque où il devrait y avoir une certaine stagnation, même si le risque est beaucoup plus grand pour les pays en voie de développement, notamment l’Afrique où la population pourrait doubler en quarante ans ! Une telle évolution oblige à augmenter la production agricole de 70 % par rapport à 2005 afin de nourrir la population de façon suffisante. Certaines études, menées notamment par la FAO, estiment même que la production devra être doublée à la seule destination des pays en voie de développement. On évalue par exemple à 250 millions de tonnes de céréales supplémentaires la production qu’il faudra obtenir d’ici 2017 sachant qu’à l’heure actuelle, au plan mondial, on produit déjà environ 2,5 milliards de tonnes de céréales auxquelles il convient d’ajouter environ 180 à 200 millions de tonnes de stocks de report.
L’impact sur la volatilité des matières premières agricoles risque donc d’être important. En effet, classiquement, on sait qu’un choc de demande a un impact économique plus fort sur les prix qu’un choc d’offre, qui a principalement tendance à diminuer l’offre l’année suivante. Or, en 2008 – 2010, on a assisté à un choc d’offre pour les matières premières alimentaires et non à un choc sur la demande ; il existe en effet une tendance à une baisse de la demande alimentaire depuis les années 1970 (la hausse n’étant que de 1,2 % par an, ce qui s’avère très limité), notamment parce que les populations ont diminué le point de revenu moyen où la hausse de la consommation de viande est forte. L’évolution anticipée des années à venir montre au contraire que la demande globale devrait augmenter avec la population tandis que l’offre devrait céder le pas (en raison du ralentissement des gains de productivité dans le secteur agricole). Même si le prix des matières premières destinées à l’alimentation humaine s’avère moins volatil que celui des matières industrielles (coton, métaux…), de forts bouleversements sont à attendre. Comme l’a récemment admis la FAO, « plus de nourriture devra être produite durant les prochaines décennies qu’il n’en a été depuis dix mille ans » !
Vos rapporteurs tiennent également à souligner que cet accroissement de la population mondiale se double d’un important changement des régimes alimentaires. Phénomène culturel et économique qui témoigne d’une meilleure situation sanitaire, ces transformations illustrent le fait que de très nombreuses personnes sont passées de la pauvreté à la classe moyenne appelant notamment un régime alimentaire plus riche en protéines (cf proposition n° 18). Le défi pour la production agricole mondiale est patent ; comme l’a très bien dit Lucien Bourgeois, ce paradoxe peut être résumé par la phrase « il faut un an pour faire pousser un grain de blé et il faut manger trois fois par jour »… Certaines études ont ainsi évalué que la production d’un œuf supplémentaire pour chaque habitant en Chine nécessiterait d’augmenter de 50 millions de tonnes la production mondiale de blé. Indéniablement, la demande des pays émergents a été un facteur décisif dans la hausse des prix des matières premières au cours des années récentes. Les bouleversements véritables sont néanmoins encore à attendre car, ainsi que l’a souligné une note récente de BofA-Merrill Lynch Global Research, « avec l’augmentation constante des revenus dans les pays émergents, nous n’avons probablement pas encore observé le pic de l’inflation alimentaire ».
5. Les risques d’abus de position dominante appellent la mise en place d’une régulation des marchés physiques
a) L’absence quasi-générale de régulation des marchés physiques internationaux
M. Édouard Vieillefond, secrétaire général adjoint de l’AMF et M. Frédéric Lasserre, directeur général au département investisseurs matières premières de la Société Générale, ont évoqué devant la mission d’information la grave lacune que constituait l’absence quasi-générale de régulateurs physiques au niveau mondial, hormis dans le domaine énergétique. Même dans le secteur de l’énergie, les pouvoirs des autorités de régulation sont relativement circonscrits ; ainsi, en France, la Commission de régulation de l’énergie veille seulement à l'application des règles de concurrence.
Au niveau national, l'AMF n'est compétente qu’en matière d’instruments financiers ; elle peut ainsi superviser le marché des contrats à terme (futures), mais non celui des contrats à livraison différée (forward). Le monde des contrats physiques n’est ainsi soumis qu’aux règles contractuelles de droit commun. Sur les marchés physiques, les intermédiaires ne sont pas régulés, les abus de marché pas définis. Il n'existe pas de régulateur national pour les matières premières agricoles ni pour les métaux. À cet égard, l’Autorité européenne des marchés financiers nouvellement créée, quoique dotée de pouvoirs croissants, n'a pas d'interlocuteurs nationaux sur les marchés physiques. Par ailleurs, M. Vieillefond estime que les divergences de vues opposant les directions générales de la Commission européenne sont susceptibles de ralentir l’élaboration de textes transversaux.
Le régulateur financier britannique, la Financial Services Authority (FSA), considère que, si la livraison du produit sous-jacent (c’est-à-dire la matière physique) intervient dans un délai de plus de deux jours, on est en présence d'un instrument financier. Mais, pas plus que l’AMF, elle n'est compétente sur les marchés physiques purs ; son action ne peut donc s’inscrire que dans le cadre de la directive européenne sur les marchés d’instruments financiers. Aux États-Unis, les transactions physiques ne font pas l’objet d’un enregistrement. Tout au plus la CFTC peut-elle demander aux acteurs physiques si leurs positions sur les marchés à terme correspondent bien à des risques existants sur les marchés physiques.
Cette situation est d’autant plus préoccupante que les abus de position dominante sont fréquents sur les marchés de matières premières et contribuent au climat général d’instabilité des prix.
b) Les marchés physiques de matières premières sont confrontés à des risques d’abus de position dominante qui entretiennent la volatilité des cours
La première forme d’abus de position dominante consiste, pour un opérateur commercial ou financier, à s’assurer la maîtrise d’un marché en acquérant une position significative des stocks physiques de métal lui permettant de peser sur les cours, autrement dit, à réaliser un « corner ». Or, comme l’indique M. Christian Hocquard, « les grands gestionnaires de fonds, tels JP Morgan, Goldman Sachs ou Black Rock ont la capacité d’acquérir l’ensemble des stocks mondiaux d’un métal donné ». Ainsi les 300 000 tonnes de cuivre échangées au London Metal Exchange correspondent à 2 % de la production annuelle mondiale et représentent quelque 3 milliards de dollars – soit une somme aisément mobilisable par ces acteurs.
Quelques cas célèbres de corners L’exemple le plus remarquable de corner est sans conteste celui qui a été réalisé par les frères Hunt sur le marché de l’argent entre 1973 et 1980. Nelson Bunker et William Herbert Hunt décident, en 1973, d’acquérir autant de métal argent que possible, afin de se prémunir contre l’inflation. Ils se portent acquéreurs sur les marchés à terme de quantités considérables de métal et ne « débouclent » pas leurs positions à l’échéance. Les vendeurs sont alors obligés de liquider leurs positions, à n’importe quel prix. Ils réunissent 2 milliards de dollars et fondent, avec des investisseurs saoudiens, l’International Metal Investment Group ; ils acquièrent en décembre 1979 150 millions d’onces (sur un stock mondial de 500 millions), provoquant une envolée des cours, qui passent de 5 dollars l’once au début de l’année 1979 à plus de 54 dollars un an plus tard. Les frères Hunt détiennent alors plus de la moitié des stocks mondiaux d’argent. Les vendeurs ne peuvent plus tenir leurs engagements et doivent s’approvisionner sur le marché au prix fort pour assurer leurs livraisons. La fortune des deux frères s’élève virtuellement à plusieurs centaines de milliards de dollars. Mais alors qu’ils font part de leur intention de réintroduire l’argent sur le marché, les autorités se décident à intervenir. Au début de l’année 1980, le COMEX (le marché des matières premières new yorkais) exige des investisseurs des dépôts de garantie prohibitifs. Les professionnels peuvent désormais remplacer la livraison d’argent physique par un règlement monétaire. La réaction ne se fait pas attendre : entre janvier et mars 1980, le prix de l’argent s’effondre de 21 dollars. Le 26 mars 1980, les cours chutent brutalement à 10,80 dollars l’once : c’est le « jeudi de l’argent ». Des centaines de spéculateurs sont ruinés. Les frères Hunt, étouffés par les appels de marge, doivent se déclarer en faillite. Ils seront condamnés huit ans plus tard pour manipulation de marché. Les autorités ont réussi à briser net la spéculation. Cours de l’argent entre 1965 et 2005
Source : l’Expansion – New York Times 6 juillet 1996 Un autre cas célèbre de corner concerne le marché du cuivre. Entre 1986 et 1996, Yasuo Hamanaka, chef trader chez Sumitomo – grande société de négoce –, provoqua des pertes de plus de 1,8 milliard de dollars après avoir acquis, à l’insu de sa hiérarchie, près de 24 % des stocks mondiaux de cuivre pendant près de 10 ans. Il fut condamné à huit ans de réclusion. Certains spéculateurs sont parvenus à leurs fins, à l’instar d’Anthony Ward, trader reconnu sur le marché du cacao, qui, en août 2002, avait acheté près de 200 000 tonnes de fèves. Conjuguée à une crise politique en Côte-d’Ivoire (premier producteur mondial), cette opération a provoqué une hausse des cours de 60 %, procurant à l’intéressé un bénéfice de plus de 60 millions de dollars. Anthony Ward récidive en juillet 2010 et acquiert plus de 240 000 tonnes de fèves de cacao, soit 7 % de la production mondiale. Cette opération n’a pas eu le succès escompté : les cours, après avoir atteint 2 732 dollars la tonne – un record depuis 33 ans –, sont redescendus à 1 770 dollars, en raison de la qualité de la production ivoirienne. Anthony Ward a échappé à de lourdes pertes grâce à des opérations de couverture sur les marchés à terme. Il a abandonné ses positions et revendu ses stocks début décembre 2010. |
Par ailleurs, les sociétés financières peuvent également influer sur les prix du pétrole par le biais de stockages massifs. Même s’il faut rester prudent, car les informations disponibles demeurent imprécises, on estime que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n’est pas Saudi Aramco, Exxon Mobil ou Total, mais une société financière, en l’occurrence Morgan Stanley.
Un autre moyen d’exercer un abus de marché consiste à se procurer des informations privilégiées. Si le principe n’est pas propre aux marchés de matières premières, les groupes financiers actifs en ce domaine ainsi que les principaux traders des produits concernés privilégient une stratégie bien particulière pour obtenir ces informations : ils rachètent les entreprises chargées des entrepôts dans lesquels sont stockés les métaux. Ainsi JP Morgan, Goldman Sachs, Trafigura et Glencore ont-ils respectivement fait l’acquisition de Henry Bath, Metro, Nems et Pacorini.
Selon M. Hocquard, cette concentration verticale leur confère un double avantage.
En premier lieu, ces acquisitions leur permettent de faire baisser leurs coûts de stockage et de bénéficier de marges sur leurs prix à terme par rapport aux autres acteurs (44). Mais, en cas de survenance d’une bulle financière, les gestionnaires de fonds et les traders qui ont pris le contrôle des entreprises de stockage replacent de conserve le métal sur le marché. Ce processus de concentration verticale est donc porteur de tendances pro cycliques, qui accentuent la volatilité des marchés.
En deuxième lieu, en étudiant les fluctuations des stocks, ces groupes peuvent être informés immédiatement des tendances du marché et connaître les intentions des négociants et des investisseurs. Comme le souligne M. Julien Catel, vice-président de Nexans, « une entreprise comme Goldman Sachs cumule les rôles puisqu’elle est à la fois transitaire, broker et trader. Cette multiplicité de points de vue lui offre une vision globale du marché, tant en amont qu’en aval. Cette situation comporte donc un risque d’abus de marché ».
Les hangars de stockage du london metal exchange (lme)
La Bourse des métaux londonienne ne se contente pas d’organiser le marché financier des métaux non ferreux. Elle supervise également la qualité et le stockage des lots de métaux qui sont, chaque jour, échangés sur le marché. Le LME est ainsi responsable de 600 lieux de stockage, répartis à travers le monde, qui conservent l’équivalent de plusieurs semaines de consommation, en cuivre et en autres métaux non ferreux. Ainsi, le port de Rotterdam recèle-t-il 20 hangars, qui détiennent chacun 80 000 tonnes de métaux. Ces entrepôts sont agréés par le LME mais gérés par la société allemande Steinweg. Les lots changent fréquemment de propriétaire mais, la livraison physique étant très rarement demandée, demeurent immobilisés durant des mois, voire des années, dans le même entrepôt.
La propriété d’un hangar de stockage peut se révéler fort lucrative. Ainsi, le détenteur d’un magasin à Detroit (États-Unis), qui stocke 900 000 tonnes d’un métal échangé au LME bénéficie d’une marge annuelle de l’ordre de 90 millions de dollars. Chaque tonne entrant dans l’entrepôt rapporte ainsi de l’ordre de 100 dollars par an. De surcroît, quand bien même tous les clients demanderaient à sortir la marchandise, le stock demeurerait inchangé pendant au moins deux ans, en raison du phénomène des files d’attente. Cela explique que les sociétés financières détentrices des entrepôts offrent des subventions aux producteurs pour attirer du métal dans leurs magasins, d’autant plus élevées que le stock est important. En 2009 et en 2010, une grande partie de la production de cuivre et d’aluminium du Canada a été « aspirée » par des stockages financiers aux États-Unis. Concurrencés par les financiers, les industriels transformateurs paient des primes de plus en plus élevées pour acquérir le métal en raison du blocage des stocks, qui sont pourtant abondants.
Interrogés à ce sujet par la mission d’information, MM. Brian Bender, président du London Metal Exchange et Martin Abbott, directeur général de cette institution, nous ont indiqué que le LME rendait publics les stocks disponibles dans les entrepôts des négociants et nous ont assurés qu’ils contrôlaient les acteurs du marché ainsi que leurs entrepôts, mais uniquement afin de vérifier qu’ils étaient capables de remplir leurs obligations contractuelles de livraison. Aucune règle n’est imposée en termes de prévention des conflits d’intérêt.
c) Il convient d’améliorer l’information sur les marchés physiques et de renforcer les prérogatives du régulateur financier
La stratégie de limitation de la volatilité des cours des matières premières, qui est élaborée actuellement sous l’impulsion de la présidence française du G20, se traduit par une série de propositions destinées à améliorer le fonctionnement des marchés dérivés de matières premières. Les deux volets essentiels en sont le renforcement de la transparence et l’instauration de limites de position. (45) Vos rapporteurs considèrent que cette stratégie ne peut faire l’économie de mesures d’information et de régulation prenant spécifiquement en compte les marchés physiques. En effet, les stratégies de manipulation des cours impliquent bien souvent une action simultanée sur les marchés au comptant et sur les marchés à terme, face à laquelle le régulateur financier se trouve en partie démuni.
Deux propositions peuvent donc être faites, qui s’inscrivent dans le cadre de la révision des textes financiers européens.
En premier lieu, certains contrats physiques (les contrats forward et les transactions au comptant) devraient être inscrits sur une base de données centralisée au niveau européen, dès lors qu’ils présenteraient une liquidité et une homogénéité suffisantes (46) (proposition n° 16). Cela permettrait d’accroître la transparence sur le processus de formation des prix sur les différents marchés physiques. Une telle disposition permettrait de pallier une des faiblesses de la supervision actuelle des marchés de matières premières, qui tient à l’absence de visibilité des régulateurs sur l’ensemble des transactions et des positions prises par les acteurs.
Vos rapporteurs recommandent la réalisation d’études préalables permettant de déterminer à partir de quels seuils les intervenants sur les marchés physiques devraient déclarer leurs positions et/ou leurs transactions. Il serait en effet irréaliste et contre-productif d’imposer cette obligation à des particuliers ou en présence de positions particulièrement réduites. Cette mission devrait être confiée à l’Organisation internationale des commissions de valeurs, dans la continuité des travaux qu’elle a engagés sur la régulation des marchés dérivés de matières premières à la suite du sommet du G20 de Séoul en novembre 2010. Dans son rapport de septembre 2011 (47), l’OICV insiste sur le fait que chaque régulateur national (ou autorité de marché) doit pouvoir connaître les positions prises par un intervenant sur les marchés dérivés organisés et de gré à gré, ainsi que, le cas échéant, sur les marchés physiques sous-jacents, afin de pouvoir détecter les cas de manipulations croisées. À cette fin, les différentes autorités nationales devront renforcer leur coopération et définir des procédures d’échange d’information.
L’application de ces mesures risque d’être freinée par le manque de régulateurs sur les marchés physiques, essentiellement pour les matières premières non énergétiques. Dès lors, lorsque sur un marché donné, il n’existe pas de régulateur sectoriel, et qu’il n’apparaît pas opportun d’en créer un, les compétences du régulateur financier devraient être étendues à l’analyse des fondamentaux des marchés physiques sous-jacents et à la surveillance des transactions réalisées sur le marché au comptant (proposition n° 17).
Il conviendra de veiller à ce que la réglementation soit adaptée à chaque marché, puisque chacun d’entre eux répond à des logiques propres, en termes de volume, de jeu de l'offre et de la demande, d'étendue géographique, de qualité des produits et de rapports de force entre acheteurs et vendeurs. Le régulateur financier serait doté des compétences nécessaires pour :
– demander aux places de marché, voire aux intervenants eux-mêmes (opérateurs commerciaux, sociétés financières, distributeurs, traders de matières premières - tels Glencore ou Trafigura), de lui fournir des informations sur la gestion de leurs stocks, l’acquisition de sociétés gestionnaires d’entrepôts, le volume et la nature des transactions sur les marchés au comptant (en fonction des seuils ;
– éventuellement, centraliser l’information communiquée par les États européens sur les fondamentaux des marchés physiques (production, stocks, importations, exportations, consommation) ;
– demander à la place de marché concernée, en cas de violation confirmée des règles, de sanctionner elle-même l’intéressé.
Cette réforme impliquera naturellement une évolution importante du cadre réglementaire national et européen. Elle aurait eu toute sa place dans un texte européen ad hoc consacré à la régulation des marchés de matières premières, que les autorités françaises appelaient de leurs vœux. Puisque cette orientation ne semble pas devoir être suivie, ces mesures pourront s’inscrire dans le cadre de la révision des directives financières. Toutefois, il y a fort à parier qu’elles se heurteront aux réserves de certains acteurs de marché – qui tirent profit pour une partie d’entre eux de l’opacité et de l’absence de régulation du marché – et de certains États, à commencer par le Royaume-Uni.
On peut certes estimer que la qualité de l'information ne sera jamais aussi bonne sur les marchés physiques que celle qui est disponible concernant les sociétés intervenant sur les marchés d’actions. Toutefois, ces propositions permettraient d’améliorer sensiblement la transparence sur les marchés physiques et, ce faisant, de réduire les facteurs de volatilité des cours. Plus généralement, elles pourraient constituer un volet majeur du dispositif global de régulation des marchés de matières premières qui, est pour l’heure, essentiellement centré sur les marchés financiers.
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III.— LA FINANCIARISATION DES MARCHÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES, QUI CONSTITUE UN FACTEUR D’AMPLIFICATION DES DÉSÉQUILIBRES DE L'ÉCONOMIE RÉELLE, APPELLE DES MESURES DE RÉGULATION COORDONNÉES À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE
A.— L'INSTABILITÉ STRUCTURELLE DES PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES A APPELÉ LE DÉVELOPPEMENT DE MÉCANISMES DE MARCHÉ
Historiquement, des mécanismes de protection des producteurs contre l’instabilité des prix des matières premières ont été très tôt rendus nécessaires. Le code d’Hammurabi, en vigueur il y a près de 4 000 ans, accordait aux paysans le droit de ne pas honorer les intérêts de leurs dettes au cours de l’année suivant une mauvaise récolte. Le risque était ainsi mécaniquement transféré aux créanciers.
Au Moyen-Âge, les transactions sur les produits physiques pouvaient donner lieu soit à une livraison immédiate, soit, plus rarement, à une livraison différée. Les foires et les marchés médiévaux facilitaient les opérations commerciales entre acheteurs et vendeurs en réduisant les coûts de transaction et d'information. Elles débouchaient en principe sur la livraison immédiate des marchandises. Héritières de ces places commerciales, les premières Bourses de commerce européennes sont apparues dès le XIIIème siècle et se sont développées au XIXème siècle dans les pays anglo-saxons, donnant naissance à la Bourse du coton de Liverpool en 1842 et à la Bourse de commerce de Chicago en 1848.
Parallèlement au développement des marchés au comptant, des mécanismes plus élaborés permettant de sécuriser une livraison différée ont progressivement vu le jour, au terme d’une longue évolution des pratiques commerciales et financières. Ces mécanismes donneront naissance à leur tour aux produits dérivés de matières premières que nous connaissons aujourd'hui. Comme le rappelle Mme Delphine Lautier (48), « dès le XVIème siècle, les marchands hollandais signaient des contrats prévoyant de livrer le produit de leurs voyages avant que le transport en soit effectif. Le but de ces transactions était de financer les opérations commerciales et maritimes et de bénéficier ainsi d'un prix supérieur à celui qu'ils auraient obtenu par la vente des marchandises à l'arrivée des navires. »
Jusqu’au début du XXème siècle, les marchandises arrivaient physiquement à proximité des places de marché, ce qui explique que Londres, dont le port était doté d’immenses entrepôts mais aussi, à l’époque, capitale du premier pays industriel du monde, soit devenue le siège du plus important marché de matières premières. Il l’est demeuré pour les métaux mais les produits physiques restent désormais dans les pays producteurs ou transformateurs jusqu’au moment de leur livraison. De même, Chicago est devenu ensuite le premier marché à terme du monde parce que cette ville est située dans la principale zone de production céréalière et oléagineuse des États-Unis et dans le principal centre d’abattage de viande bovine (au début du siècle dernier, les abattoirs de Chicago étaient le principal lieu de production de conserves de viande) : les agriculteurs ont très tôt pris l’habitude de vendre leur récolte à terme de manière à s’assurer des débouchés à des prix convenus à l’avance.
Les deux marchés de ce type les plus anciens ont des origines fort différentes :
• Le premier est le marché des tulipes aux Pays-Bas en 1636-1637, sur lequel on pratiqua nombre de techniques « modernes » comme les « swaps » (49) (voir l’encadré ci-dessous) ;
• Le second, qui fut le plus durable, est le marché du riz à Osaka qui s’est développé à partir de 1730 ; pour la première fois dans l’Histoire était rendu obligatoire l’enregistrement des transactions auprès d’une chambre de compensation, qui fournissait une contrepartie et surveillait la régularité des opérations.
L’explosion des prix de la tulipe hollandaise dans les années 1630 Découverte en Asie, la tulipe a été importée en Europe au début du XVIIème siècle. D’abord réservée à quelques privilégiés, elle s’est rapidement répandue en Hollande. À partir de croisements, il était possible de créer une infinité de variétés de tulipes. Cet attrait et la rareté des premiers bulbes ont conduit leurs prix à grimper fortement d’autant qu’à l’époque, ces fleurs ne pouvaient être récoltées qu’en été. Un marché à terme apparut pour les bulbes de tulipe à la fin de 1636. Les variétés de tulipes furent traitées comme des actifs financiers en étant négociées tout au long de l’année et non plus seulement pendant la période de floraison. La hausse du prix des tulipes de 1636 à 1637 a vu le cours de certains bulbes atteindre jusqu’à 3 fois le prix d’un Rembrandt. La variété qui atteignit le prix le plus élevé, « Semper Augustus », se vendit jusqu’à 2 000 florins, sachant que le salaire annuel moyen de l’époque variait entre 200 et 400 florins. À l’apogée du phénomène, la majorité des transactions portaient sur des tulipes qui ne pourraient jamais être effectivement livrées et qui étaient payées au moyen de crédits qui ne pourraient jamais être réellement remboursés. À Haarlem, centre du commerce des fleurs, des rumeurs circulèrent, annonçant qu’il n’y avait soudain plus d’acheteurs, et dès le lendemain il n’y eut effectivement plus aucune vente. Le marché s’est effondré en février 1637, ruinant un nombre important d’investisseurs. La seule raison avancée était l’arrivée prochaine du printemps et donc des échéances obligeant à la livraison effective des fleurs. Source : « Devil Takes the Hindmost – A History of Financial Speculation » (E. Chancellor). |
« Aux XVIIIème et XIXème siècles, les producteurs de pommes de terre dans l'État du Maine, aux États-Unis, vendaient quant à eux leurs récoltes ou une partie d'entre elles au moment de la plantation, afin de pouvoir financer la production ». (50) Les contrats dits « forward », attestés dès 1840 sur le marché des céréales de Chicago, permettent ainsi d’acheter ou de vendre, moyennant un prix négocié, des marchandises qui seront livrées à une date ultérieure. Ces produits financiers connaissent un développement notable au cours des années 1860 en Amérique du Nord.
Le développement des produits dérivés Comme l’a montré Nicholas Dunbar (51), il faut attendre la fin du XIXème siècle pour que les produits dérivés connaissent une première phase de développement important, aux États-Unis, au moment de la Guerre de Sécession (1861-1865) : les armées du Nord avaient besoin de beaucoup d’avoine pour leurs chevaux, créant une forte demande qui faisait grimper les prix ; ils ont alors organisé un marché des grains entre les fermiers du Middle West et les populations urbaines de la côte Est. En souscrivant un contrat à terme pour les boisseaux d’avoine, ils garantissaient le prix de leur approvisionnement : si une attaque devait avoir lieu six mois plus tard, ils savaient à l’avance combien ils devraient payer pour nourrir leurs chevaux. Si, entre-temps, le prix de l’avoine doublait, ils n’avaient pas à en supporter la hausse ; de même, le fermier qui craignait que le prix baisse, garantissait le prix auquel il vendrait sa marchandise dans six mois. Bien sûr, ce dernier pouvait, dans l’intervalle, doubler ou être divisé par deux, autorisant pour l’armée ou le fermier des gains substantiels ; mais cette éventualité était considérée comme moins importante que le risque de le voir évoluer dans le mauvais sens. Pourtant, il pouvait arriver que tous les fermiers anticipent une hausse de l’avoine et refusent le future proposé par l’armée : le marché était alors dit « illiquide ». C’est là qu’entrait en jeu le spéculateur, un opérateur qui accepte précisément de prendre le risque de garantir un prix à l’armée dans six mois, en pariant qu’il arrivera à acheter moins cher ; ce pari peut être très risqué mais il peut aussi rapporter gros ; on dit que le spéculateur donne de la liquidité au marché dont il permet l’existence. Source : Conseil économique, social et environnemental. Rapport de M. Luc Guyau (2008) : les marchés des matières premières |
Ces contrats de vente ou d’achat pour des livraisons différées sont à l’origine des marchés à terme actuels. Établis au cas par cas, ils concernaient des marchandises de qualité spécifique et exigeaient du spéculateur, qui les vendait sans les posséder ou les achetait sans en avoir l’usage, de trouver un acheteur ou un vendeur. Il est, de ce fait, rapidement apparu nécessaire de codifier ces contrats et de les rendre fongibles pour qu’ils puissent être transmis par simple endossement (52). Cette évolution est apparue d’autant plus nécessaire que se développaient à Chicago et surtout à Londres, au milieu du XIXème siècle, les premières opérations de couverture contre le risque de prix.
L’apparition des marchés de contrats À terme réglementés Au XIXème siècle, les métaux non ferreux mettaient plusieurs mois avant d’être livrés à leur destinataire. Pendant ce temps, les variations de prix pouvaient bouleverser les prévisions des industriels. La nécessité de se protéger contre ces fluctuations et les possibilités de gains entrevues par des « tiers » ont donné naissance aux premières opérations de couverture. Ces transactions étaient des engagements pris par une contrepartie (un négociant, un producteur, un spéculateur) de fournir à l’acheteur dans un délai de trois mois la marchandise voulue, au prix convenu, au jour stipulé par le contrat. Ce délai de trois mois était le temps nécessaire pour faire venir en Angleterre le cuivre de l’Amérique latine ou l’étain de la Malaisie ; le fait que les cours officiels des différents métaux négociés au London Metal Exchange fassent encore aujourd’hui référence à cette échéance est une réminiscence des premières transactions de la bourse des métaux de Londres. La contrepartie (le négociant, le producteur, le spéculateur) assumait le risque de variation des prix et en était rémunérée par un profit. Ces opérations de couverture étaient d’autant plus faciles à réaliser que les caractéristiques des contrats sur lesquels les opérateurs s’engageaient étaient standardisées, connues de tous et n’avaient pas besoin d’être établies ou rediscutées à chaque transaction. Les bourses de commerce où étaient négociées des matières premières pour livraison immédiate et des contrats forward ordinaires (non standardisés) accueillirent tout naturellement les transactions de contrats standardisés prévoyant une livraison différée des produits physiques. C’est à partir de ces transactions prévoyant une livraison différée des marchandises que se développèrent plus tard les marchés de contrats à terme réglementés, dénommés en anglais futures markets. Les transactions de contrats standardisés prévoyant une livraison différée de marchandises étaient un fait bien établi à Chicago aux alentours de 1860. En même temps que s’instauraient ces transactions, les achats et les ventes de produits physiques réalisés à l’intérieur des bourses de commerce eurent tendance à diminuer et, dans certains cas, à disparaître. Par la suite, la création des chambres de compensation (clearing) constitua une innovation majeure qui marqua la naissance effective des marchés de contrats à terme. Cet organisme apporte en effet une garantie de premier ordre, une remarquable flexibilité et une liquidité potentiellement illimitée. On doit cette innovation au marché du riz d’Osaka qui l’a introduite en 1730 (voir supra). Source : Delphine Lautier, Marchés dérivés de matières premières, Economica, 3ème édition (2006), pp.12-13 |
B.— LA FINANCIARISATION DES MARCHÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES AU COURS DES ANNÉES 2000
1. Un degré de financiarisation inégal selon les matières premières et les zones géographiques
Fortement financiarisés pour le pétrole ou les métaux, les marchés de matières premières le sont sensiblement moins s’agissant du gaz, qui demeure un marché relativement jeune. C’est également le cas concernant les produits agricoles qui ont longtemps présenté un faible intérêt pour les acteurs européens en raison des soutiens publics à l’agriculture.
Les différences de développement géographique apparaissent aussi très prégnantes. Par exemple, la financiarisation des marchés de matières premières est extrêmement avancée pour les produits agricoles aux États-Unis alors qu’elle est récente en Europe.
Jusqu’au début des années 1970, le marché pétrolier était caractérisé par des contrats de fourniture bilatéraux à long terme – généralement d’une durée de 10 à 20 ans – entre pays exportateurs et pays importateurs, conclus, pour la plupart d’entre eux, par l’intermédiaire de sociétés pétrolières multinationales. Huit grandes compagnies étaient ainsi les « fournisseurs habituels » et dominaient le commerce du brut. Les producteurs comme les consommateurs souhaitant plus de flexibilité, des transactions par cargaison sont apparues, à des prix déconnectés de ceux des contrats. Ces transactions dites spot – c’est-à-dire ponctuelles – ont connu un développement accéléré au début des années 1980, aux dépens des contrats de long terme à prix fixes, dont le rôle a très fortement décru.
Les prix spot étaient naturellement plus volatils que les prix des contrats de long terme. C’est pour se couvrir contre cette volatilité que se sont développés des marchés dérivés et des bourses pétrolières, en particulier le NYMEX à New York, l’IPE à Londres et le TOCOM à Tokyo. Dès 1980 apparaissent les premiers contrats à terme suivis dans les années 1990 par des instruments financiers relativement plus sophistiqués tels que les « swaps » ou les options (53). Les marchés dérivés de pétrole ont donc été créés en réponse à la volatilité de l’actif physique sous-jacent.
L’introduction des instruments dérivés a bouleversé les modalités de fixation des prix du pétrole brut ; le prix de la matière première est en effet fixé, pour nombre de transactions, par différence avec les prix à terme, eux-mêmes reliés, par l’arbitrage, à la valeur des swaps à long terme. Par ailleurs, du fait des possibilités d’arbitrage, on observe également une convergence entre les prix à terme pour les échéances les plus proches et les prix spot du sous-jacent. Il existe donc, et de plus en plus, une interaction complexe entre la sphère financière et le prix du brut acheté sur le marché physique.
Sur les marchés dérivés pétroliers, le taux de croissance des transactions enregistrées est spectaculaire depuis quelques années, tant sur les marchés organisés que sur les marchés de gré à gré. Une fois encore en 2010, ce sont les marchés à terme du pétrole brut qui ont enregistré les volumes de contrats les plus importants parmi l’ensemble des marchés de matières premières : au total, 320 millions de contrats se sont échangés entre New York et Londres sur les deux bruts de référence que continuent à être le West Texas Intermediate (WTI) et le Brent de la mer du Nord (54). Le WTI en particulier reste la référence incontournable de la sphère énergétique, avec 220 millions de contrats échangés sur les marchés new yorkais NYMEX et londoniens ICE. Les tentatives pour coter un autre brut de référence (Oman ou Dubaï) ont jusqu’à présent échoué. D’après les opérateurs, les marchés financiers du pétrole brut et de produits pétroliers pèseraient environ trente-cinq fois plus que les marchés physiques en termes de volumes de positions ouvertes.
Le marché organisé du gaz en Europe a commencé à se développer dans le cadre de l’ouverture de ce secteur à la concurrence, débutée en 1996 et 1998 avec les premières directives sectorielles sur le sujet. Ainsi, ces marchés sont encore jeunes et majoritairement nationaux, même si des zones régionales sont en train de se constituer. La nature et les caractéristiques des places de marché peuvent donc être très variables d’un pays à l’autre.
Trois places de marché, situées aux carrefours des différents gazoducs en provenance de la mer du Nord, et directement reliées entre elles, se démarquent : le NBP (National Balancing Point) en Angleterre, qui est de loin la plus grande place de marché en termes de volumes échangés, suivie du hub de Zeebrugge en Belgique et du TTF aux Pays-Bas. En France, la bourse du gaz, créée en 2008, se développe rapidement mais ne représente encore qu’une faible part de l’approvisionnement.
De manière générale, les volumes échangés sur les marchés gaziers demeurent relativement faibles. En effet, les bourses du gaz restent souvent des marchés d’ajustement permettant de compléter les approvisionnements qui proviennent majoritairement des contrats à long terme. En Europe, 90 % du volume des transactions sur les marchés dérivés du gaz font l’objet de négociations en gré à gré. Selon Gdf Suez Trading, la volatilité infra-annuelle de ces marchés s’est accrue en raison de la rupture de l’intégration verticale des sociétés et de la fin des monopoles nationaux régulés. Les acteurs intervenant sur le marché sont principalement les producteurs et les fournisseurs. Les intervenants financiers, quoiqu’en augmentation, demeurent encore marginaux. Par ailleurs, même si le nombre d’acteurs de marché a tendance à croître, les marchés européens du gaz restent encore fortement concentrés avec une prédominance des anciens monopoles historiques.
c) Le marché des minerais et des métaux
Le degré de financiarisation des minerais et des métaux présente une grande hétérogénéité. Seuls sont cotés sur les places financières l’aluminium, le cuivre, le plomb, le zinc, l’étain, le nickel, le cobalt, le molybdène et les métaux précieux, auxquels il convient d’ajouter l’acier depuis 2009. S’agissant des métaux non-ferreux, la bourse la plus importante est le London Metal Exchange (55). Comme l’indique M. Georges Pichon, PDG de la société Sarsmétal, les cotations du LME font autorité au plan mondial ; il n’y a plus guère de cotations concurrentes. Les prix chinois sont généralement des dérivés des prix londoniens.
Les métaux échangés au LME sont disponibles physiquement dans 600 entrepôts répartis à travers le monde, ce qui garantit la possibilité de la livraison en cas de débouclage du contrat. Le volume des contrats à terme rapporté au volume du marché physique mondial atteint, comme dans le cas du pétrole, des proportions considérables. Les fonds investis sur les marchés du cuivre et de l’aluminium représentent ainsi 30 à 40 fois le volume de la production mondiale.
Les petits métaux, quant à eux, ne font pas l’objet de cotations ; les prix de référence sont fixés par des revues, notamment le Metal Bulletin.
L’uranium forme un marché à part. Comme l’indique M. Jacques Peythieu, directeur de la production du secteur des mines chez Areva, il s’agit en effet d’un petit marché de 6 milliards de dollars, qui présente un caractère faiblement spéculatif. Les discussions se font majoritairement de gré à gré et aboutissent dans plus de 85 % des cas à la conclusion de contrats de long terme. M. Sylvain Granger, directeur des combustibles d’EDF, précise que, jusqu’au début des années 2000, le marché au comptant était principalement un marché d’ajustement caractérisé par de faibles volumes. À partir de 2005, toutefois, les volumes se sont accrus et quelques acteurs financiers (traders et banques) sont apparus. Toutefois, le marché organisé qui a été créé en 2005 sur le Nymex (New York) ne fonctionne pas correctement et les prix continuent à être fixés de gré à gré. Les prix indicatifs du marché au comptant sont publiés par deux agences privées : UX Consulting et TradeTech.
La production annuelle mondiale d’uranium, qui s’élève à 53 000 tonnes, ne peut satisfaire une demande totale estimée à 68 000 tonnes, ce qui explique le niveau élevé des prix et justifie le recours important au recyclage des produits de fission et des combustibles de l’armement. Les réserves actuelles devraient pouvoir répondre aux besoins durant un siècle ; ce chiffre est peut-être surévalué, car la consommation devrait augmenter fortement, malgré l’accident de Fukushima, sous l’impulsion du développement nucléaire chinois. On estime que les besoins vont croître de 40 % d’ici 2020 et de 60 % d’ici 2030.
2. Vue d’ensemble des marchés mondiaux de matières premières
a) La concentration des marchés de matières premières se poursuit
Ce phénomène est illustré actuellement par le projet de prise de contrôle de la bourse transatlantique NYSE-Euronext par son homologue allemande, la Deutsche Börse, qui a reçu l’accord des actionnaires des deux sociétés et doit recevoir l’approbation des autorités de régulation américaines et européennes. Le pôle constitué par le LIFFE et le MATIF profiterait ainsi de son rattachement à la première entreprise de marché mondiale.
On ne peut plus à proprement parler évoquer l’existence de places de marché, dans la mesure où l’essentiel des transactions se déroule désormais sur des plateformes électroniques décentralisées. Ces plateformes sont contrôlées par les 4 groupes suivants :
– le CME Group – nom de l’ancien Chicago Mercantile Exchange – regroupe les deux marchés de Chicago (CME et CBOT) ainsi que le NYMEX ;
– l’ICE, dont le siège est à Atlanta, contrôle l’IPE de Londres ;
– le NYBOT de New York, spécialisé dans les opérations à terme portant sur des produits agricoles et alimentaires ;
– le marché de Winnipeg, seule bourse agricole et de marchés à terme du Canada.
Les principales bourses de marchés dérivés dans le monde en 2011
Marché |
Volume de contrats sur marchés dérivés (futures) (millions de contrats) |
Capitalisation boursière (milliards de $) |
CME Group |
3 080 |
20,27 |
Eurex (Deutsche Börse) |
1 896 |
15,89 |
NYSE-Euronext |
1 385 |
9,94 |
Hong Kong Exchange |
116 |
23,21 |
Singapore Exchange |
5 |
6,97 |
ICE |
328 |
- |
LME |
120 |
- |
Source : Les marchés mondiaux 2011, dir Philippe Chalmin, Economica
Les groupes CME et ICE sont les principaux marchés à terme organisés de matières premières. Le seul grand marché indépendant – qui reste mutualisé à la différence de la plupart des autres entreprises de marché –, demeure le London Metal Exchange, qui occupe des positions dominantes dans le domaine des métaux non ferreux. Toutefois, le LME a lancé en septembre 2011 une procédure officielle de cession ; une dizaine d’acquéreurs potentiels, dont certains des plus grands groupes boursiers mondiaux, auraient d’ores et déjà formulé des marques d’intérêt. Les 71 actionnaires de la Bourse londonienne doivent se pencher sur les offres de rachat en 2012.
Si les volumes affichés par les trois grandes bourses à terme chinoises en font les marchés les plus importants au niveau mondial, ils demeurent des marchés de nature essentiellement locale. En effet, les places de Dalian, Shanghai et Zhengzhou, exercent encore une influence très limitée sur leurs homologues internationales. Les raisons en sont principalement d’ordre monétaire (la non-convertibilité du yuan), réglementaire (les barrières d’accès à l’entrée des investisseurs étrangers), financière (la part prépondérante des actionnaires individuels) et juridique (la portée très locale des contrats). Cette vision générale doit toutefois être nuancée, dans la mesure où certaines cotations commencent à avoir une influence : c’est le cas du cuivre et de l’acier à Shanghai, du coton à Zhengzhou ou du soja à Dalian.
Principales places boursières pour les contrats À terme sur les matières premières, par nombre de contrats échangés en 2009 (millions)
Dalian Commodity Exchange |
Chine |
Agriculture |
834 |
Shanghai Futures Exchange |
Chine |
Métaux non précieux |
435 |
CME Group |
EU |
Énergie, métaux, agriculture |
431 |
Zhengzhou Comm. Exchange |
Chine |
Agriculture |
227 |
ICE Futures Europe |
RU |
Énergie, métaux, agriculture |
165 |
Multi Comm. Exchange of India |
Inde |
Agriculture, métaux, énergie |
161 |
London Metal Exchange |
RU |
Métaux non précieux |
106 |
ICE Futures U.S. |
EU |
Énergie |
39 |
Mercado a Término de Buenos Aires |
Argen. |
Agriculture |
14 |
NYSE Liffe |
RU |
Agriculture |
11 |
Source : World Federation of Exchanges
Les 15 premiers contrats à terme de matières premières négociés
sur les marchés organisés (nombre de contrats, en millions)
Rang |
Contrat à terme |
2008 |
2009 |
% variation |
1 |
Acier, Shanghai Futures Exchange |
0 |
161,57 |
NA |
2 |
Farine de soja, Dalian Commodity Exchange |
81,26 |
155,40 |
91,2 |
3 |
Sucre blanc, Zhengzhou Commodity Exchange |
164,49 |
146,06 |
-11,7 |
4 |
Pétrole brut léger, Chicago Mercantile Exchange |
134,67 |
137,43 |
2,0 |
5 |
Huile de soja, Dalian Commodity Exchange |
44,70 |
94,84 |
112,2 |
6 |
Caoutchouc, Shanghai Futures Exchange |
46,46 |
89,03 |
91,6 |
7 |
Cuivre, Shanghai Futures Exchange |
20,77 |
81,22 |
291 |
8 |
Pétrole brut de qualité Brent, Ice Futures UK |
68,37 |
74,14 |
8,4 |
9 |
Maïs, Chicago Mercantile Exchange |
59,96 |
50,95 |
-15 |
10 |
Gaz naturel, Chicago Mercantile Exchange |
38,73 |
47,95 |
23,8 |
11 |
Aluminium, London Metal Exchange |
48,31 |
46,99 |
-2,7 |
12 |
Pétrole brut léger, Ice Futures UK |
51,09 |
46,39 |
-9,2 |
13 |
Fioul, Shanghai Futures Exchange |
30,81 |
45,73 |
48,5 |
14 |
Huile de palme, Dalian Commodity Exchange |
6,30 |
44,43 |
604,9 |
15 |
Graine de soja, Dalian Commodity Exchange |
113,68 |
42,51 |
-62,6 |
Source : Futures Industry Association
b) Devenues une classe d'actifs à part entière, les matières premières attirent un nombre croissant d’acteurs non commerciaux
Une classe d’actifs peut être définie comme tout produit financier :
• qui connaît un rendement supérieur à celui du rendement sans risque ;
• dont le rendement présente une corrélation faible ou négative avec celui d'autres classes d'actifs ;
• et qui ne peut être reproduit avec une simple combinaison linéaire d'autres actifs.
Comme l'ont montré MM. Philippe Mongars et Christophe Marchal-Dombrat (56), les matières premières répondent à cette définition. En effet, les études menées par la Banque de France tendent à observer que, « notamment en cas de crise, il se produit une décorrélation entre l’évolution du cours des matières premières et les autres classes d’actifs connues » (Philippe Mongars). Sur longue période, le rendement des contrats à terme sur matières premières est proche de celui des actions et nettement supérieur à celui des obligations, comme l’illustre le graphique ci-dessous, qui retrace l’évolution des rendements des différents actifs sur une période de 45 ans (1959-2004).
Ce résultat est notamment dû aux performances du secteur pétrolier. Sur cette même période, les auteurs précités ont montré que les rendements des contrats à terme sur les matières premières étaient faiblement et négativement corrélés à ceux des actions et des obligations.
« Les matières premières forment une classe d’actifs nouvelle. Il n’est désormais plus rare de voir les fonds institutionnels allouer une part non négligeable de leurs portefeuilles – de l’ordre de 5 % – à une exposition aux matières premières » (Philippe Mongars).
La diversité des produits échangés sur les marchés dérivés de matières premières : instruments fermes ou optionnels, cotés ou de gré à gré
Le monde des dérivés demeure très divers et certaines caractéristiques fondamentales les distinguent :
1) Les contrats à terme fermes permettent d’acheter ou de vendre une certaine quantité du sous-jacent à un prix et une date déterminés à l’avance. Ils comportent généralement un engagement de livraison physique (57), indispensable pour faire converger à l’échéance les prix du contrat à terme et de son sous-jacent. Le plus souvent néanmoins, les opérateurs ferment leur position avant l’échéance du contrat ou effectuent un « roll (58) », de sorte que la livraison n’a pas lieu. Certains contrats à terme peuvent également être dénoués en numéraire.
L’environnement de ces contrats est assez réglementé puisqu’ils sont généralement standardisés (59) – en particulier les dérivés sur produits agricoles – et négociés sur des marchés réglementés ou organisés (60), à l’exception des forwards qui sont négociés de gré à gré. Ils donnent alors lieu à une compensation centralisée, impliquant le dépôt d’une garantie et des appels de marge quotidiens, fixés par le marché de cotation et/ou la chambre de compensation. La liquidité est une exigence essentielle à leur fonctionnement.
2) Les produits optionnels confèrent le droit et non l’obligation d’acheter ou de vendre un produit à une échéance donnée. Ils sont largement échangés de gré à gré (OTC), donc non soumis à une obligation de compensation centralisée, ce qui induit des problématiques analogues à celles relatives aux dérivés financiers, en termes de transparence, de connaissance des volumes d’échange et de maîtrise des risques.
La part de ces contrats OTC dans le volume global des dérivés sur matières premières est toutefois nettement moins prépondérante que pour les dérivés sur instruments financiers (61), et sur les marchés agricoles, les marchés organisés (en particulier le MATIF) drainent une part majoritaire des options, même si le volume des transactions OTC progresse.
Comme le souligne la Banque de France, les matières premières présentent en effet des caractéristiques particulièrement intéressantes aux yeux des investisseurs :
– elles permettent de diversifier le risque des portefeuilles, en particulier grâce à une corrélation de très long terme relativement faible avec les actions et les obligations. Elles permettent également d’en améliorer le couple risque/rentabilité ;
– de nombreuses matières premières non renouvelables et pour l’instant non substituables (pétrole, or, argent, cuivre, uranium, nickel…) constituent un support intéressant pour les investisseurs de long terme ;
– certaines matières premières minérales, telles le cuivre ou l’aluminium, offrent une protection contre l’inflation, et sont donc très recherchées par les fonds de pension dont les charges sont indexées sur l’inflation ;
– certaines matières premières, à l’image du pétrole ou de l’or, offrent une couverture contre la baisse du dollar.
Le rôle de la politique monétaire
dans la hausse des prix des matières premières
Plusieurs analystes ont mis en avant le fait que la forte hausse des prix des matières premières pouvait être, au moins partiellement, expliquée par la mise en œuvre d'une politique monétaire accommodante, et notamment par le maintien des taux d’intérêt à un niveau durablement bas. Comme l’a rappelé la direction générale du Trésor, les principales banques centrales, en réaction à la crise financière, ont considérablement abaissé leurs taux directeurs. Les marchés d’actions n’offrant pas de rendements satisfaisants, une partie de ces liquidités s’est portée vers les marchés de matières premières, créant ainsi une demande exogène. Est en cause en particulier, la politique dite d’assouplissement quantitatif, qui vise à stimuler l'activité économique lorsque les mesures traditionnelles comme les objectifs de taux d'intérêt ont été épuisées. La banque centrale injecte alors des liquidités dans le système bancaire afin de maintenir les taux d'intérêt officiels à des niveaux très bas, ce qui permet de consolider le système financier et de favoriser le crédit. Pour cela, les instituts d'émission achètent généralement de grandes quantités d'actifs auprès des banques.
Depuis le milieu des années 1980, plusieurs travaux ont montré que les conditions monétaires et en particulier le niveau des taux d'intérêt constituaient un facteur explicatif parmi d'autres du cours des matières premières. Frankel a notamment mis en évidence l'existence d'un lien entre les prix du pétrole et le niveau des taux d'intérêt (62). Barsky et Kilian ont montré pour leur part que les conditions monétaires permettaient d'anticiper les prix des matières premières (63). Ces auteurs confèrent à la politique monétaire une part explicative des chocs pétroliers des années 1970 (64). Selon eux, le principal canal de transmission entre politique monétaire et prix des matières premières réside dans les anticipations de croissance et d'inflation.
Il existe toutefois d'autres canaux, qui mettent en lumière le rôle d'une politique monétaire expansionniste dans le mouvement de hausse des prix des matières premières.
J.A. Frankel résume comme suit les effets d'une baisse des taux d'intérêt (65) :
– le coût d'opportunité de la constitution et de l'entretien de stocks décroît, favorisant ainsi le stockage et, par suite, la hausse de la demande en matières premières ;
– du côté de l'offre, les producteurs sont incités à différer l'extraction des matières minérales, puisque le coût de la détention des réserves est également en baisse ;
– le coût de la prise de positions spéculatives est également réduit, ce qui rend plus facile l'investissement sur les matières premières ; sous certaines conditions, cela peut exercer une pression à la hausse sur les prix des contrats à terme et, par le biais des arbitrages, sur les prix au comptant. Une étude récente (66) met en évidence l'impact d'une baisse de 1 % du taux directeur de la Réserve fédérale américaine.
Évolution de l’indice des prix des matières premières
dans les 4 ans suivant une baisse de 1 % du taux d’intérêt directeur de la rÉserve fÉdÉrale amÉricaine (% de variation)
Évolution des prix
Source : Anzuini, Lombardi et Pagano (2010)
À la suite de cette baisse des taux d'intérêt, l'indice des prix des matières premières connaît une hausse rapide, jusqu'à 5,6 % au bout de trois mois, puis l'effet décline lentement. Mais l'impact de la baisse des taux d'intérêt demeure substantiel et persistant, puisque l'indice met trois ans à retourner à son niveau d'origine. La violence de la réaction initiale est généralement attribuée à la grande flexibilité des prix des matières premières. En ce sens, une part de l'augmentation des prix des matières premières peut s'expliquer par l'accroissement des anticipations d'inflation de court terme qui font suite à une expansion monétaire
Cette étude tend à montrer que l'effet de la politique monétaire expansionniste des États-Unis, s'il est indiscutable, n'en demeure pas moins limité : les prix sont modérément et temporairement orientés à la hausse.
c) Une présence croissante des intervenants financiers sur les marchés de matières premières, notamment sur celui du pétrole
La transparence limitée des marchés de matières premières – s’agissant tant des produits physiques que des instruments dérivés –, rend difficile l’obtention de données consolidées précises sur les engagements des acteurs financiers. Pour autant, un ensemble de données objectives attestent que le poids des acteurs financiers sur les marchés de matières premières s’est accru de manière substantielle depuis le début de la décennie 2000.
Les acteurs des marchés dérivés de matières premières
Les intervenants présents sur les marchés de matières premières sont essentiellement constitués des « hedgers », des spéculateurs et des « swap dealers ».
• Les « hedgers » utilisent les marchés dérivés pour se préserver des fluctuations défavorables des prix. Ils regroupent les producteurs et les consommateurs qui détiennent à la fois des positions sur des actifs sous-jacents et sur des contrats à terme. Un contrat à terme en position longue est approprié quand l’opérateur sait qu’il sera amené à vendre plus tard un actif et veut s’assurer de son prix.
Par exemple, un producteur de pétrole peut se protéger contre les baisses futures de prix en vendant un contrat à terme (position courte) par opposition à sa position sur les marchés physiques qui, elle, est longue. Si le prix du pétrole augmente au cours du temps, les profits engendrés par la vente de pétrole sont compensés par les pertes qu’implique la détention de contrats à terme sur le pétrole. Inversement, si les prix baissent au cours du temps, les producteurs de pétrole peuvent compenser les pertes engendrées par la vente présente de pétrole en vendant leurs positions courtes sur le marché des contrats à terme. Fondamentalement, quoi qu’il advienne des prix, les opérateurs en couverture connaîtront dès la conclusion de leur contrat leur profit futur.
Les opérateurs en couverture qui détiennent des positions courtes sur le marché physique prennent régulièrement des positions longues sur le marché monétaire afin de limiter les risques associés aux fluctuations de prix des actifs sous-jacents. Par exemple, une compagnie aérienne peut se préserver des augmentations du prix du pétrole en achetant des contrats à terme sur le pétrole (prenant une position longue) sur le marché afin de s’assurer de pouvoir poursuivre ses activités à un coût raisonnable.
• Les « spéculateurs », quant à eux, utilisent les produits dérivés pour réaliser un profit en pariant sur l’évolution future des prix du marché des actifs sous-jacents. Fonds de pension, fonds souverains, hedge funds, banques, compagnies d’assurance et courtiers prennent tous, régulièrement, des positions spéculatives. Toutefois, on peut différencier ces catégories d’opérateurs en fonction de leur horizon temporel. Les teneurs de marché ou les spéculateurs sur la journée opèrent en fonction des évaluations de prix portant sur les minutes ou les heures à venir. Ils apportent de l’immédiateté au marché. Les suiveurs de tendance prennent des positions en fonction des évaluations de prix sur une période plus longue, des jours, des semaines ou des mois. Ces spéculateurs apportent de la liquidité aux hedgers sur les marchés de contrat à terme. À travers leurs efforts de rassemblement des informations sur les marchandises sous-jacentes, l’activité de ces traders aide à fournir des informations aux marchés ainsi qu’à la découverte des prix.
Enfin, les « swap dealers » (67) sont le plus souvent des banques d’investissement qui se posent comme contreparties, sur les marchés de gré à gré, à des entreprises (compagnies aériennes par exemple) cherchant à couvrir leur exposition au pétrole « physique » ou encore à des investisseurs financiers (spéculateurs) prenant une position directionnelle, généralement longue, sur toutes les échéances de la courbe des contrats à terme. Ils couvrent eux-mêmes leur position, soit auprès d’intervenants commerciaux traitant des produits physiques (par exemple un producteur de pétrole indépendant), soit auprès d’autres investisseurs financiers (des hedge funds qui ont des positions courtes et longues). Ceci explique que la CFTC américaine avait admis que les swap dealers soient considérés comme des intervenants commerciaux et dès lors soient exemptés des limites de transactions sur des marchés organisés. Cette exemption est toutefois discutée depuis 2009.
L’étude du marché du pétrole illustre la montée en puissance des opérateurs financiers. Sur ce marché, en effet, les acteurs non commerciaux réalisaient en 2010 plus de 50 % des positions ouvertes sur les marchés à terme du pétrole, contre 20 % en 2002. Selon le rapport de M. Jean-Marie Chevalier, en agrégeant les « swap dealers » aux « hedge funds » et aux brokers et traders spécialisés, la catégorie des agents non commerciaux, dépasserait 80 % de l’ensemble des intervenants.
répartition des positions ouvertes entre commerciaux et non commerciaux |
part de marché des traders non commerciaux | |
Source : CFTC | ||
positions ouvertes des agents |
position ouverte nette | |
Source : CFTC
COMPARAISON DES POSITIONS OUVERTES SUR LES OPTIONS ET LES FUTURES
AVEC LE COURS DU WTI
Source : CFTC
De l’analyse des graphes ci-dessus, deux principaux constats peuvent être tirés :
– l’arrivée des agents non commerciaux a coïncidé avec le fort accroissement des positions ouvertes sur les marchés de contrats à terme du pétrole ;
– une forte corrélation apparaît entre les positions ouvertes sur les options et l’évolution des cours du pétrole, ce qui suggère que ce type d’instrument a pu jouer un rôle dans la déformation du prix observée notamment en 2008.
d) La disproportion entre les volumes échangés sur les marchés dérivés organisés et la taille des marchés physiques
Sur les marchés de matières premières les plus liquides, les volumes échangés représentent plus de dix fois le marché sous-jacent, considéré en termes de volume de production ou de consommation. Ce ratio est même largement dépassé sur certains marchés.
• Sur le marché du pétrole, qui constitue un bon exemple de marché fortement financiarisé et liquide, le ratio s’établit à environ 35 ;
• Sur le marché mondial de l’aluminium estimé à 40 Mt, il s’est échangé en 2008 sur le London Metal Exchange de Londres, l’équivalent de 32 fois la taille du marché sous-jacent ;
• Sur les marchés à terme agricoles, le rapport entre les volumes négociés et le total de la production physique s’élève à 39 pour le blé et 26 pour le maïs sur le marché américain, tandis que ces ratios sont largement inférieurs à 1 en Europe.
Comme l’indique Mme Delphine Lautier, « cette multiplication des transactions à terme par rapport à la production physique s’explique par le passage de la marchandise dans plusieurs mains : cinq ou six intermédiaires, tels que l’organisme de stockage, le négociant, l’exportateur, l’importateur… peuvent acheter et vendre des produits physiques. S’ils se couvrent tous, y compris le producteur et l’utilisateur final, contre le risque de prix, le volume des transactions à terme peut être bien supérieur au montant de la production. » Elle ajoute toutefois que « ces explications demeurent partielles. Les transactions d’origine spéculative ne cessent de se développer. Les marchés à terme deviennent pour certains d’entre eux des marchés où ne se réalisent que des opérations financières – arbitrage et spéculation –, cette évolution étant accentuée par les pratiques des hedge funds et de certains investisseurs institutionnels ».
e) Des marchés de matières premières qui représentent cependant une faible part des transactions globales de produits dérivés
On estime qu’environ 5 % des investissements des fonds institutionnels sont réalisés sur les marchés de matières premières, ce qui représente un montant de près de 400 milliards de dollars. Comme l’a indiqué M. Philippe Mongars, « ce chiffre représente la capitalisation boursière d’Exxon Mobil ; il augmente vite mais reste faible en comparaison des autres actifs et même des autres catégories de produits dérivés (taux, actions, change…) », qu’il s’agisse de marchés réglementés ou de gré à gré. Comme le montrent les tableaux ci-dessous, les montants engagés sur les marchés dérivés organisés de matières premières demeurent nettement moins élevés que, par exemple, les fonds investis en dérivés de taux d’intérêt.
volume de transactions sur les marchés organisés
(en millions de contrats)
2008 |
2009 |
% de variation | |
Actions |
12 000 |
11 936 |
– 0,8 |
Taux d’intérêt |
3 205 |
2 468 |
– 23 |
Devises |
597 |
984 |
64,8 |
Matières premières |
1 832 |
2 197 |
20 |
Autres |
45 |
114 |
155 |
Total |
17 679 |
17 700 |
0,12 |
Source : D. Lautier, Les marchés dérivés énergétiques et Futures Industry Association
montants notionnels enregistrés sur les marchés de gré à gré
(en milliards de dollars)
Déc 2008 |
Déc 2009 |
% de variation | |
Actions |
6 500 |
5 900 |
– 9,3 |
Taux d’intérêt |
418 600 |
450 000 |
7,4 |
Devises |
49 700 |
49 100 |
– 1,15 |
Matières premières |
4 420 |
2 940 |
– 33,5 |
Swaps sur le risque de défaut (CDS) |
41 900 |
32 700 |
– 21,9 |
Autres |
70 700 |
73 400 |
3,7 |
Total |
592 000 |
614 000 |
3,7 |
Source : Banque des règlements internationaux
f) Des échanges accrus sur les marchés de gré à gré de matières premières depuis 2005
Les marchés organisés souffrent de deux handicaps qui, particulièrement pour les opérateurs commerciaux, les incitent à privilégier dans certaines circonstances les marchés de gré à gré.
En premier lieu, un marché organisé ne peut pas toujours répondre à la diversité des besoins de couverture exprimés par les acteurs commerciaux. En effet, il ne peut traiter que des produits standardisés et fongibles entre eux. Seul le marché de gré à gré peut offrir des produits sur mesure.
En second lieu, le marché organisé présente un coût lié à la prise en charge et à la gestion du risque de contrepartie par la chambre de compensation, qui assume le rôle de contrepartie centrale face à chacun de ses adhérents. Le coût de la compensation des dérivés en général, et des dérivés de matières premières en particulier, est aujourd’hui au centre des réflexions de nombreuses sociétés commerciales, qui souhaitent conserver des solutions de gré à gré sans compensation obligatoire.
Il n’est donc guère étonnant que le marché de gré à gré des produits dérivés ait acquis une dimension considérable, d’autant plus frappante si on la compare à la taille du marché sous-jacent. L’éclatement de la crise financière de 2008 a d’ailleurs mis en lumière les conséquences qui pouvaient en découler en termes de propagation des risques systémiques. Nombre des travaux menés, et notamment ceux entrepris très rapidement en ce qui concerne la sécurisation du marché de gré à gré des « credit default swaps », ont donc eu pour objet de répondre à cette préoccupation.
De fait, les statistiques de la Banque des règlements internationaux mettent en lumière un accroissement significatif des investissements sur les produits dérivés de matières premières traités de gré à gré depuis 2005.
Lors du pic du premier semestre 2008, les montants notionnels traités de gré à gré ont totalisé plus de 13 milliards de dollars, soit une augmentation de 56 % par rapport à la fin 2007. Il convient de noter que cette forte hausse coïncide avec les différents pics de prix observés sur différents marchés – essentiellement le pétrole et le blé.
MONTANTS NOTIONNELS DES POSITIONS DE GRÉ À GRÉ OUVERTES SUR
LES MATIÈRES PREMIÈRES DES ÉTABLISSEMENTS FINANCIERS
Source : BRI
Toutefois, comme le souligne l’association française des marchés financiers (AMAFI), on manque de données permettant d’estimer le volume global des marchés dérivés de matières premières. En effet, les chiffres publiés par la Banque des règlements internationaux sont établis en nombre de contrats, s’agissant des marchés organisés, et en montant notionnel ou en valeur de marché pour les produits de gré à gré, ce qui empêche toute comparaison entre ces deux marchés. Par ailleurs, s’agissant des marchés ne disposant pas de régulateur en tant que tel, comme c’est le cas pour les matières premières agricoles, il en résulte une absence de données empêchant d’avoir une vision claire sur les volumes traités sur les marchés de gré à gré.
L’AMAFI estime toutefois que la taille du marché de gré à gré est assez équivalente à celle du marché organisé. Pour autant, dans certains secteurs, comme celui du gaz, l’essentiel des transactions sur les marchés dérivés relève des marchés de gré à gré. De surcroît, au cas par cas, la taille respective du marché organisé et du marché de gré à gré peut varier sensiblement selon le sous-jacent ou la catégorie de sous-jacent sur lequel porte le produit dérivé.
g) Un parallélisme plus marqué entre les cours des matières premières et les cours des actions et des obligations
La financiarisation des marchés de matières premières a pour conséquence un parallélisme plus marqué entre les cours des matières premières et les cours des actions et des obligations (68). À cela s'ajoute le fait que les taux de rendement des matières premières et des autres actifs apparaissent davantage corrélés (69). Ce phénomène paraît être dû à l'activité spéculative de certains investisseurs, en premier lieu les hedge funds.
M. Patrick Artus observe ainsi une très forte corrélation entre les matières premières et les actions à partir de 2009.
Source : Natixis
La robustesse de cette corrélation doit surtout être attribuée aux métaux industriels et aux produits agricoles.
Corrélation des cours des matières premières aux actions américaines :
Source : Natixis
Cette corrélation peut s'expliquer, selon M. Patrick Artus, par les effets conjugués :
– de la liquidité mondiale :
– de l'aversion au risque :
– et du cycle économique, en particulier dans les pays émergents :
h) Le processus de financiarisation exerce un impact sur l’harmonisation des cours des différentes matières premières
Comme le notent Mme Johanne Buba et M. Maxime Liegey (70), les prix agricoles semblent être davantage corrélés à ceux du pétrole depuis le début des années 2000. Le développement des fonds indiciels peut expliquer cette évolution, en particulier s'agissant des indices GSCI de Goldman Sachs et UBS du Dow Jones. L'étude du NBER précitée montre que les fluctuations du prix du pétrole ont pu contribuer à une hausse substantielle de la volatilité des prix agricoles en 2008, au-delà de ce qui aurait pu être expliqué par les fondamentaux, même en y incluant des évolutions structurelles liées par exemple à l'usage croissant d'agro-carburants. La financiarisation pourrait ainsi expliquer une part du surcroît de volatilité des prix par la transmission de l'instabilité des cours entre différents marchés de matières premières.
Le graphique ci-dessous met en lumière un certain parallélisme entre les évolutions des prix des différentes matières premières, qui connaissent le même mouvement de hausse au cours de la période 2004-2008.
prix des matières premières, 1991-2010
C.— MARCHÉS À TERME ET FORMATION DES PRIX DES MATIÈRES PREMIÈRES : UNE CAUSALITÉ EN DÉBAT
La financiarisation joue essentiellement un rôle d’amplificateur des fondamentaux économiques
1. Le rôle controversé de la spéculation dans la théorie économique
Selon la définition de Nicolas Kaldor, toute opération d’achat ou de vente d’une marchandise est spéculative dès lors que l’action est motivée par l’anticipation d’une modification du prix en vigueur et non par un avantage lié à l’usage du bien, une transformation quelconque ou le transfert d’un marché à un autre.
Le terme de spéculation n’est employé en économie que depuis la fin du XVIIIème siècle. Adam Smith dans La richesse des nations (1776) définit le « marchand spéculateur », non pas comme un opérateur financier, mais comme un entrepreneur qui n’exerce pas son activité dans un seul domaine. Il est « marchand de maïs une année, ou marchand de thé l’année suivante. Il s’essaye à chaque commerce dans lequel il prévoit qu’il fera un profit supérieur, et il délaisse ce commerce dès qu’il prévoit que le profit va revenir au même niveau que celui réalisé dans les autres secteurs. ». Adam Smith définit donc le spéculateur par sa propension à saisir les opportunités de court terme pour réaliser des profits : ses investissements sont mouvants, alors que ceux des entrepreneurs conventionnels sont plus ou moins fixes.
L’analyse développée par Milton Friedman soutient que les spéculateurs tendent à stabiliser les prix à terme à condition qu’ils réalisent des profits. Les spéculateurs achètent en effet des contrats lorsque les cours sont faibles, ce qui élève leur prix et vendent des contrats lorsque les prix sont élevés, ce qui tend à les faire baisser. En opérant ainsi, les investisseurs réalisent des profits et stabilisent les prix. Les spéculateurs qui ne vendent pas quand les prix sont élevés et qui n’achètent pas quand les prix sont faibles font des pertes et sont éliminés du marché.
La thèse opposée soutient que la spéculation tend à déstabiliser les prix à terme. Kaldor (1939) a développé l’idée que les opérations de spéculation ne sont pas globalement bénéficiaires. Quelques grands opérateurs bien informés peuvent faire des profits, mais ils le font alors au détriment de nombreux petits spéculateurs dépourvus d’informations, peu compétents et constamment renouvelés à cause des pertes qu’ils subissent. Les opérations de spéculation peuvent en conséquence, déstabiliser les prix, car les spéculateurs professionnels sont prêts à acheter des contrats à des prix supérieurs au prix d’équilibre, s’ils sont en mesure de les revendre (à des petits spéculateurs) à des cours encore plus élevés (ou à vendre à des prix inférieurs au cours d’équilibre s’ils sont en mesure de racheter à des prix encore plus faibles). Ces débats théoriques conservent une résonance très actuelle.
2. La spéculation est nécessaire au bon fonctionnement des marchés
La plupart des personnes auditionnées par la mission d’information ont reconnu le caractère incontournable et utile de la spéculation. Ils ont notamment mis l’accent sur le fait que les opérateurs commerciaux ont besoin de spéculateurs pour pouvoir se couvrir contre les fluctuations des prix des matières premières.
Ces analyses rejoignent celles recueillies en décembre 2010 par la Commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies.
l’utilité de la spéculation « En temps normal, la spéculation joue un rôle équilibrant : des acteurs financiers mieux informés que d’autres, découvrant que les prix de certains produits ne correspondent pas à leur valeur réelle, jouent sur le retour des prix à cette valeur. » (M. Michel Aglietta, conseiller au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII) ; « Il est utopique d’interdire la spéculation, car elle est nécessaire. Au moins, elle apporte de la liquidité et de la contrepartie aux acteurs ». (M. Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine et président de Cyclope) « Un certain volume de spéculation est nécessaire. » (M. Philippe Mills, directeur général de l’Agence France Trésor) ; « (…) la suppression de la spéculation relève quant à elle d’un vœu pieux, à moins de prétendre vouloir clôturer définitivement l’ensemble des marchés financiers. (…) les acteurs économiques les plus traditionnels spéculent. » (M. Marc Touati, directeur général délégué de Global Equities). « Sans spéculateurs, il n’y aurait pas de marché. Pour qu’une transaction se fasse, il faut un acheteur et un vendeur, chacun considérant qu’elle est dans son intérêt. De même, les entreprises ne pourraient pas se protéger aussi facilement contre les fluctuations des prix des matières premières, des devises ou des taux d’intérêt s’il n’existait pas des « spéculateurs », ou plutôt des intermédiaires financiers, prêts à faire le pari inverse pour quelques heures, quelques mois, voire quelques secondes. La spéculation est consubstantielle au marché. » (M. Jean-Pierre Jouyet, président de l'Autorité des marchés financiers). Source : Assemblée nationale. Rapport n° 3034 de M. Jean-François Mancel au nom de la commission d’enquête sur les mécanismes de spéculation affectant le fonctionnement des économies (14 décembre 2010). |
Il est communément admis que la spéculation et, plus largement, l'existence de marchés à terme, présente un intérêt pratique à quatre égards :
– elle permet à certains agents économiques de se couvrir contre le risque en le transférant vers les « spéculateurs » ;
– elle assure la liquidité des marchés en augmentant les volumes traités et le nombre de transactions ;
– elle met fin aux écarts anormaux de prix par des opérations d'arbitrage qui font converger les prix des marchés physiques et financiers ;
– elle permet une dissémination de l'information relative aux prix.
a) La couverture des risques des opérateurs commerciaux
Mme Catherine Lubochinski, professeur à l’Université Panthéon-Assas affirme à cet égard que « la spéculation (…) est indispensable au marché », car, sans elle, « la liquidité des marchés serait insuffisante ; on ne pourrait pas réaliser d’opérations de couverture – qui sont la justification économique de l’existence des produits « dérivés ».
En effet, il pourrait sembler que les spéculateurs ne sont pas nécessaires, puisque, sur un marché dérivé, les opérateurs à la recherche d’une protection contre le risque de baisse des prix font naturellement face à ceux qui souhaitent éviter une hausse. Toutefois, s’ils ont une appréhension correcte du fonctionnement du marché physique, il est fort probable que les anticipations de tous les opérateurs seront similaires quant aux évolutions futures des cours ; et lorsque l’ensemble du marché s’attend à une augmentation des prix, ceux qui souhaitent éviter une baisse disparaissent. Paradoxalement, les spéculateurs jouent ici un rôle irremplaçable de « régulateur ».
Le rôle des spéculateurs sur les marchés à terme consiste en effet, moyennant une prime de risque, à endosser les risques dont d’autres désirent se défaire, c’est-à-dire à permettre aux opérateurs sur le physique de se protéger contre les risques de fluctuation des cours et de mieux gérer leurs stocks. C’est ainsi que Nexans parvient, au moyen d’une salle des marchés interne à l’entreprise, à couvrir sa position nette sur les marchés physiques afin de sécuriser 100 % de son approvisionnement en métaux (principalement en cuivre).
Comme l’affirme M. Julien Catel, vice-président de Nexans, « la prise de positions ouvertes est indispensable à la liquidité des marchés. »
En effet, il n'existe pas d’ajustement spontané entre les ordres d’achats et de ventes à terme émanant des opérateurs commerciaux (structurellement longue pour le producteur, courte pour l’utilisateur final). La liquidité des marchés impose donc l’intervention des spéculateurs, qui peuvent seuls faire face à cette asymétrie. En outre, les spéculateurs assurent la liquidité du marché en achetant lorsque les prix sont bas et en vendant lorsque les prix sont élevés ; ils exercent de la sorte un effet stabilisateur en jouant sur le retour des prix à leur valeur réelle.
Comme le rappelle Mme Delphine Lautier, l’arbitrage « exploite une situation anormale » d’un point de vue économique. Ce peut être le cas par exemple lorsque l’on constate un écart de prix inhabituel sur deux qualités proches de pétrole brut, dû à une demande particulièrement forte sur l’une de ces deux matières premières et pas sur l’autre. Le rôle des arbitragistes sur les marchés dérivés est donc essentiel : grâce à leur action, les prix des instruments dérivés restent liés à celui de l’actif sous-jacent. Peu risqué et offrant par conséquent la possibilité de faire un profit sans risque, l’arbitrage attire de nombreux agents financiers. Cet afflux d’opérateurs tend à faire disparaître la situation anormale et à restaurer l’équilibre du marché.
Les marchés à terme permettent enfin une dissémination de l’information disponible sur les prix.
Selon Mme Delphine Lautier, les marchés dérivés, à travers le mécanisme de découverte des prix, « procurent une information sur ce que seront les prix futurs ; cette information a pour caractéristiques d’être gratuite, publique, fiable et comparable. » (71) Les marchés à terme révèlent les prix que les opérateurs, en l’état actuel de leurs connaissances, estiment être les plus pertinents. En théorie, le prix à terme constitue à tout moment la meilleure estimation possible du prix au comptant futur. Il ne s'agit pas pour autant d'une prévision du prix au comptant car, fatalement, entre t et T, l’information qui parviendra au marché sera modifiée, et ce d’autant plus que le laps de temps est long.
« Cette information va permettre l’allocation de ressources, ce qui signifie que ces prix vont servir de guide pour la production, la transformation, le stockage et pour les décisions d’investissements. »(72) En facilitant l’incorporation et la diffusion des informations, les marchés à terme permettent en théorie d’obtenir un meilleur prix d’équilibre et de stabiliser davantage les cours des prix au comptant car, puisque l’information privée est incorporée dans le prix, ce dernier devrait beaucoup moins fluctuer à l’apparition de toute nouvelle information publique.
Toutefois, au regard des fluctuations des prix de la décennie 2000, on ne peut manquer de s’interroger sur l’impact de la financiarisation des marchés de matières premières sur l’évolution des cours et le surcroît de volatilité qui les caractérise. La question générale est finalement celle posée il y a longtemps par Milton Friedman : la spéculation est-elle, dans le contexte actuel, stabilisante ou déstabilisante ?
3. Si les marchés à terme se bornent à jouer, pour l’essentiel, un rôle d’amplification des fondamentaux économiques, ils peuvent être à l’origine, à court terme, de fluctuations indépendantes de l’économie réelle
a) Aucun lien systématique n’a pu être établi entre la spéculation et la formation des prix de long terme
Plusieurs auteurs estiment qu’on ne peut attribuer le récent cycle de hausse des prix des matières premières aux activités spéculatives. « Bien que nous n’excluons pas la possibilité que les traders puissent (ou même arrivent à) influencer les prix et accroître la volatilité sur de courts intervalles de temps, nous n’établissons pas de lien systématique, entre l’activité des hedge funds et des swap dealers et la volatilité… Il nous semble plutôt que la spéculation sert à réduire la volatilité des marchés et fournit la liquidité nécessaire au bon fonctionnement des marchés financiers. » (C. Brunetti, John Hopkins University ; B. Büyüksahin, International Energy Agency ; J. H. Harris, University of Delaware) ;
Comme l’indique l’OMC (73), pour qu’une bulle spéculative puisse se développer, une interaction doit s'établir entre les marchés physiques et les marchés financiers, afin que l’augmentation des prix au comptant amène les acteurs financiers à réviser leurs anticipations à la hausse, et que ces anticipations rétroagissent sur la demande et l’offre au comptant. Cette situation incite alors les opérateurs commerciaux à constituer un « stockage spéculatif ». Pourtant, les données portant sur la période récente ne révèlent aucune tendance haussière des stocks de pétrole : sur la période 2005-2008, les stocks sont restés assez stables tandis que ceux de plusieurs autres produits ont fortement diminué (74).
États-unis : stocks pétroliers mensuels et prix du pétrole,
janvier 1986 – août 2009
Dizaines de millions de barils et prix en dollars par baril
Selon ces auteurs, l'absence apparente de « thésaurisation » invaliderait ainsi la théorie selon laquelle la spéculation serait à l'origine de la hausse des prix du pétrole dans les années 2000. Toutefois, la marge d'incertitude relativement élevée qui caractérise le niveau global des stocks incite à la prudence.
Par ailleurs, plusieurs analystes constatent que l’instabilité d’un marché n’est pas nécessairement liée à son degré de financiarisation. Ainsi, entre 2006 et 2008, certains produits dépourvus de marchés à terme ont connu des augmentations de prix importantes. De surcroît, les hausses les plus spectaculaires ont eu lieu sur des marchés caractérisés par une faible participation des fonds indiciels, alors que, sur les marchés où les positions de ces fonds étaient très concentrées, les hausses de prix n’ont été que très modestes. Ainsi, le marché du riz, qui ne comporte pas de compartiment dérivé, a été marqué par des prix plus volatils pendant la crise de 2007-2008 que le marché du blé, pourtant coté à Chicago et fortement financiarisé.
MM. Damien Grulier et Guillaume Fouchères, respectivement analyste et trader chez Exane Derivatives, citent l’exemple de l’or, qui est l’un des métaux connaissant l’activité spéculative la plus forte, et qui demeure pourtant l’un des moins volatils – même si la chute brutale des prix survenue en septembre 2011 conduit à nuancer cette analyse. De même, tandis que la financiarisation des marchés de la viande bovine s’accroît, cet afflux d’intervenants financiers n’a pourtant pas provoqué, à l’heure actuelle, de réaction d’ampleur sur les marchés. Inversement, alors que le fer n’est pas encore coté sur les marchés dérivés, les cours de ce métal ont subi d’importantes hausses sur la période 2007-2008. En revanche, dans le cas de l’argent, MM. Grulier et Fouchères estiment que la brusque montée des cours est probablement le fait d’une spéculation abusive ayant tiré les prix vers le haut.
Ce cas étant mis à part, M. Chalmin conclut que la spéculation n’aurait qu’un faible impact sur la situation réelle, et que les marchés dérivés fonctionnent pratiquement sans rien ponctionner sur la filière économique elle-même : « Le fait qu’il y ait un rapport de un à dix, voire de un à vingt entre le volume total d’un marché à terme et la production mondiale des produits concernés peut paraître choquant, mais c’est oublier que les marchés dérivés sont des jeux à somme nulle. C’est comme une table de poker sur laquelle tous les joueurs ont mis leurs jetons : ils seront perdus ou gagnés, mais il y en aura le même nombre à la fin ».
Dans le même sens, M. Patrick Artus, directeur de la recherche et des études économiques de Natixis, a rappelé que ni le FMI ni l’OCDE n’avaient pu prouver que les marchés à terme auraient un impact sur le prix au comptant ; si lien il y a, celui-ci n’a rien de systématique. Autrement dit, la spéculation sur les matières premières ne passerait pas par les marchés dérivés, mais par les marchés physiques. C’est le stockage physique qui serait à l’origine de l’envolée des prix.
M. Patrick Artus a indiqué à la mission d’information que, « depuis deux mois, certains métaux et certaines matières premières agricoles enregistraient des hausses très fortes, sans aucune augmentation du nombre des contrats à terme. Le FMI conclut à l’impossibilité de prouver que les marchés à terme ont un impact sur le prix au comptant. Le lien en tout cas n’a rien de systématique. Assez curieusement, le seul marché sur lequel les prises de position à terme se soient accumulées récemment, c’est celui du riz… dont le prix ne bouge pas. Autrement dit, la spéculation sur les matières premières ne passe pas par les marchés dérivés. C’est le stockage physique qui serait à l’origine de l’envolée des prix. Et les spéculateurs ne sont pas forcément ceux auxquels on pense : ce sont des États – les pays d’Asie détiennent d’énormes stocks de matières premières – ou les producteurs eux-mêmes – les compagnies pétrolières stockent du pétrole dans des tankers. Les acteurs financiers ne sont pas en cause ». M. Artus souligne que les fortes hausses des prix du coton, du sucre, du maïs ou du fer coexistent avec des hausses modérées pour le pétrole, le zinc, le plomb, le riz, le gaz naturel. Il n’y aurait pas de spéculation généralisée sur les matières premières, mais une progression du nombre de positions ouvertes sur les métaux précieux (or, platine, palladium), le riz et le maïs.
D’autres personnalités s’accordent à relativiser le rôle de la spéculation. M. Frédéric Lasserre, directeur général au département investisseurs matières premières à la Société Générale, estime qu’ « il n’y a pas de signe clair que l’on a changé de régime de volatilité… Non seulement pour ces investisseurs, il est impossible de montrer qu’ils ont eu un impact sur le prix mais même, ils ont souvent un temps de retard sur les prix, c’est-à-dire qu’en fait ce qui les attire à un moment donné vers le blé, le cuivre ou le pétrole, c’est justement le fait qu’il y a un prix qui commence à monter. »
Cette déclaration rejoint les conclusions des analyses préliminaires menées par l’Agence américaine des marchés à terme de matières premières (CFTC). Elles suggèrent, elles aussi, que les opérations des investisseurs financiers suivent plutôt qu’elles ne précèdent les hausses de prix et ne font pas apparaître de lien clair entre l’évolution des positions sur les marchés à terme et les variations des prix agricoles.
M. Francis Perrin, directeur de la rédaction du magazine Pétrole et gaz arabes et professeur à l’université Pierre Mendès France de Grenoble et à l’IRIS a rejeté lui aussi devant la mission d’information les accusations portées à l’encontre de la spéculation : « Je ne pense pas que la spéculation ait joué dans la période récente un rôle déterminant et moteur dans la détermination des prix ».
Enfin, des observations empiriques invitent à relativiser l’impact de la spéculation financière sur l’instabilité et les prix et contestent l’hypothèse d’une bulle spéculative. La Banque mondiale (75) estime qu’au lieu de déclencher ou d’accentuer les hausses de prix, les investisseurs financiers les ont peut-être retardées ou limitées. Le graphe ci-dessous établit une corrélation entre, d’une part, les positions prises par les acteurs commerciaux et les gestionnaires de fonds, et d’autre part les prix du gaz sur le NYMEX. On constate qu’au premier semestre 2008, les positions prises par les acteurs commerciaux étaient en chute libre et l’activité des gestionnaires de fonds demeurait extrêmement stable (et de faible importance), ce qui n’a pas empêché les prix de connaître une forte hausse.
Gaz naturel : positions longues et courtes par catégorie d’investisseurs,
juin 2006-juillet 2009
Ratio et prix en dollars
Ces observations rejoignent celles formulées par le Fonds monétaire international, qui estime que, « malgré les récentes innovations financières sur le marché des matières premières, telles l’indexation des actifs, qui a permis aux investisseurs de bénéficier de l’augmentation des prix des matières premières sans avoir à entretenir de stocks physiques, il y a peu de preuves que l’augmentation des positions financières a systématiquement influencé la formation des prix. Bien que la financiarisation ait pu entraîner des mouvements corrélatifs entre certaines matières, notamment l’or, on ne peut pas établir de lien systématique entre cette évolution et la déstabilisation des marchés de matières premières pendant la première moitié de l’année 2008 ». (76) Le FMI adopte des conclusions similaires dans les Perspectives de l’économie mondiale de septembre 2011.
Plusieurs personnes auditionnées ont mis en avant le fait que, si aucun lien systématique ne pouvait être démontré entre financiarisation et fluctuations des prix de matières premières, les marchés à terme étaient néanmoins susceptibles d’amplifier les déséquilibres venant de l’économie réelle.
b) Les marchés à terme jouent essentiellement un rôle d’amplification des fondamentaux économiques
Parmi les spécialistes que vos rapporteurs ont auditionnés, l’image évoquée par Philippe Chalmin, selon lequel la spéculation ne formerait que « l’écume de la vague », sans être à l’origine de l’instabilité des marchés, est assez récurrente.
Ainsi, M. Jean-Didier Dujardin, directeur administratif et financier d’Eramet, prenant l’exemple des prix du nickel entre 2005 et 2007, considère que les fonds indiciels ne créent pas la tendance haussière mais l’amplifient. Il y a sans aucun doute une corrélation entre l’envolée des prix et les montants des fonds investis dans les matières premières, mais corrélation n’est pas synonyme de causalité. Preuve en sont les évolutions comparées de métaux « financiarisés », tels que le nickel et le cuivre, et celle de métaux traités sur des marchés de gré à gré, tel le manganèse : la non financiarisation n’empêche pas de très fortes amplitudes des cours. M. Dujardin souligne que les montants investis ne sont pas seuls en cause ; les méthodes employées par les fonds d’investissement sont également perturbatrices. En effet, ces institutions prennent fréquemment leurs décisions de conserve sur le fondement de modèles mathématiques identiques et par extrapolation de tendances historiques communes. Cela peut conduire, du fait de comportements moutonniers, à des mouvements de panique. Les fonds d’investissement peuvent ainsi amplifier les tendances résultant des fondamentaux économiques, voire accroître la volatilité.
Selon M. Patrick Artus, responsable de la recherche chez Natixis, « les marchés dérivés jouent un rôle amplificateur mais pas un rôle initiateur des mouvements de prix. La CFTC, l’OCDE et la Commission européenne ne disent pas cela, ils vont jusqu’à affirmer que les marchés dérivés ne jouent aucun rôle en la matière. »
Toutefois, M. Francis Perrin invite à relativiser le rôle amplificateur des spéculateurs dans la mesure où l’engrenage tant redouté des « prophéties auto-réalisatrices » ne relève pas, à ses yeux, de leur seul fait, les consommateurs ayant également intérêt à constituer des stocks pour pallier une hausse. « Tout le monde se met à traduire les anticipations en achats, ce qui fait augmenter les prix. Tout le monde s’y met, les producteurs physiques, les acheteurs, les fonds. Les prix reflètent l’opinion générale sur l’évolution des fondamentaux, et pas seulement l’opinion des opérateurs. »
c) Toutefois, les marchés à terme peuvent être à l’origine, à court terme, de fluctuations indépendantes de l’économie réelle
1. Une corrélation apparente entre spéculation et volatilité : le cas du marché pétrolier
L’importance croissante du marché à terme et des produits financiers liés aux matières premières peut potentiellement conduire, à court terme, à la formation de bulles spéculatives. En effet, lorsque l’attraction pour un actif augmente, cela entraîne de vives variations de prix qui paraissent déconnectées, pour un temps, des fondamentaux. Cette situation touche la plupart des matières premières. Elle est particulièrement saisissante dans le cas du pétrole.
Les quinze dernières années ont connu une augmentation très soutenue du volume de transactions sur les marchés du pétrole. Les contrats à terme sur le pétrole brut au NYMEX ou à l’ICE ont ainsi augmenté de 149 000 contrats (l’équivalent de 149 millions de barils) en 1994 à 1 019 567 contrats (l’équivalent de 1 020 millions de barils) en 2009.
Le graphique ci-dessous rapproche l’évolution des positions longues prises par les investisseurs et celle du prix du pétrole. La corrélation à la hausse au cours de la période 2000-2007 est frappante et peut suggérer une relation de cause à effet entre les positions longues et le cours du pétrole au comptant. Certains analystes y voient la démonstration de la pression sur les prix exercée par les investisseurs non traditionnels. Il est à noter, toutefois, que l’on ne peut imputer le pic de 2008 à l’évolution des positions longues.
positions longues et prix du pétrole
Une étude économétrique et des tests de causalité menés par M. Patrick Artus en 2008 semblent, eux aussi, confirmer le rôle de la spéculation à terme dans la période récente de forte hausse du prix du pétrole en 2007 et au début de 2008. Il partage le point de vue selon lequel la concentration de positions longues est un facteur explicatif du prix au comptant du pétrole, parallèlement à l’écart entre l’offre et la demande.
Toutefois, il faut également prendre en compte le fait que les positions longues sont principalement le fait des acteurs commerciaux. Les opérations commerciales sont deux fois et demie plus importantes qu’en 2001. Par comparaison, le montant des positions non commerciales est encore nettement inférieur à celui des positions commerciales et il a moins augmenté dans la période récente. Ce n’est donc pas en soi un indice d’une activité très spéculative.
positions longues
Pourtant, de nombreuses études établissent clairement une corrélation à court terme entre spéculation et évolution des cours. Selon Cifarelli et Paladino (2008), le comportement mimétique des spéculateurs comporte des risques de « réaction en chaîne » aboutissant à des mouvements de panique et à une forte volatilité.
Ces études, avec d’autres, suggèrent que la spéculation peut être déstabilisatrice sur les marchés des matières premières, et qu’elle est responsable, dans une certaine mesure, de l’évolution récente du prix du pétrole. Toutefois, le débat n’est pas clairement tranché, d’autant que la complexité des interactions entre le marché physique et le marché financier limite de fait toute explication univoque sur la forte variation des prix du pétrole au cours de la période récente. Certains, comme Caballero, Farhi et Gourinchas (2008), considèrent que les capitaux à la recherche d’actifs rentables se sont dirigés vers les matières premières et le pétrole et y ont créé une bulle spéculative. D’autres, comme Paul Krugman, soutiennent que la spéculation est un coupable trop facile.
2. Les investisseurs sont en mesure d’exercer une forte pression sur les prix
Une question récurrente consiste à évaluer l’impact des transactions effectuées sur les dérivés de matières premières (essentiellement les contrats à terme) sur les cours au comptant. Selon M. Patrick Artus, « la crise de 2007-2008 a été une crise des positions à terme prises essentiellement par les hedge funds ou par des traders de banque sur les marchés de matières premières. La responsabilité des marchés dérivés a été clairement mise en évidence ». M. Marc Touati, directeur général délégué de Global Equities, met en garde pour sa part contre l’excès de spéculation, qui a pour conséquence la perte de vue des fondamentaux économiques par le marché. À ses yeux, « la flambée des cours des matières premières s'explique pour 30 % par des facteurs réels – correspondant aux réalités économiques – et pour 70 % par des facteurs spéculatifs ; normalement nous devrions avoir l’inverse. »
Comme l’explique M. Christian de Boissieu, professeur à l’université de Paris I, le « phénomène d’anticipation est à la base du fonctionnement des marchés, comme Keynes l’avait montré dès 1936 avec l’analogie du concours de beauté : l’important, est d’anticiper ce que les autres anticipent, même s’ils se trompent. »
Sur les marchés financiers, les anticipations, qu’elles soient ou non rationnelles, peuvent provoquer des variations de cours très importantes. Ces « anticipations auto-réalisatrices » ou « tâches solaires » sont à l’origine d’un écart entre les prix et les valeurs fondamentales. Lorsque les prix montent, une vague d’enthousiasme contagieuse renforce les anticipations à la hausse, ce qui entraîne un nouveau cycle haussier. Le risque est de poursuivre de façon ininterrompue ce mouvement haussier et d’aboutir à la création d’une bulle spéculative. Toutefois, ces prix élevés ne sont plus soutenables à long terme.
L’envolée des cours du pétrole en 2008, marquée par l’emballement et l’effondrement du marché boursier est décrite par certains analystes comme un exemple de bulle spéculative auto-réalisatrice. Les marchés financiers ont anticipé que le prix du pétrole au comptant serait supérieur au prix à terme, qu’il était donc urgent d’acheter aujourd’hui des dérivés sur le marché du pétrole, entraînant une hausse mécanique des prix du pétrole. C’est typiquement une situation au cours de laquelle l’anticipation de rentabilités élevées a poussé de nouvelles catégories d’investisseurs financiers à se positionner à l’achat. Les économistes de Goldman Sachs, même s’ils ont soutenu que les prix du pétrole se formaient avant tout sur les marchés spot, ont néanmoins concédé que la spéculation avait contribué dans une certaine mesure à l’augmentation des prix du pétrole au cours de la période 2006-2008, évaluant cet impact à 9,50 dollars par baril.
Dans le même sens, M. Julien Catel, vice-président de Nexans, responsable des risques métaux, insiste également sur la pression des investisseurs sur les prix. Ainsi, depuis 2009, l’augmentation des stocks de cuivre va de pair avec l’augmentation des cours, de telle sorte que le prix du cuivre s’établit actuellement à près de trois fois son coût de production. Cette situation étant propre au cuivre, cela laisse à penser, selon M. Catel, que nous sommes en présence d’une bulle spéculative sur le « métal rouge ».
Selon lui, la spéculation sur les marchés de matières premières est également encouragée par l’espoir de réaliser une double plus-value : celle résultant de la hausse des cours du métal et celle issue du cours des actions minières. La deuxième source de bénéfices n’est toutefois nullement garantie, comme l’illustrent les résultats boursiers médiocres de plusieurs entreprises minières pourtant très largement bénéficiaires. M. Catel indique, par ailleurs, que l’adossement du cuivre comme collatéral au crédit bancaire est un phénomène nouveau qui a également contribué à alimenter la hausse des cours du métal. En effet, cette garantie offerte aux établissements bancaires crée une nouvelle demande exogène qui vient renchérir les cours.
Les phénomènes de bulle spéculative peuvent s’expliquer par le comportement moutonnier (77) des marchés financiers. M. Jean-Marie Chevalier a insisté lors de son audition sur le danger de ce mode de fonctionnement des marchés, d’autant plus que certains acteurs exercent une influence considérable. Il a notamment cité le cas de Goldman Sachs, qui provoque régulièrement des retournements du marché à la suite d’une déclaration ou d’une prise de position.
Plusieurs personnes auditionnées ont fait observer que les marchés dérivés de matières premières étaient l’objet d’une tendance à la concentration des intervenants, phénomène pouvant aboutir à une situation oligopolistique. Ces marchés sont par ailleurs caractérisés par les fluctuations simultanées de leurs prix. Dans cette configuration, la prise de position d’un acteur peut orienter les anticipations de ses concurrents. L’influence des variables macro-économiques affectant l’ensemble des marchés de matières premières ne peut expliquer, à elle seule, ces évolutions.
4. Le poids croissant des acteurs financiers sur la formation des prix au comptant
L’impact des marchés à terme sur l’économie réelle est d’autant plus prononcé que les acteurs financiers exercent une influence croissante sur la formation des prix des matières premières sur les marchés spot. Cela conduit M. Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à l’École des Mines de Paris, à affirmer qu’« il n’y a qu’un seul marché de matières premières. Les marchés physiques et les marchés de produits à terme sont très fortement interconnectés et offrent de nombreuses possibilités d’arbitrage. Il n’y a plus de différences entre ceux qui manipulent les produits physiques et les acteurs financiers, en terme de capacité d’intervention sur les marchés ». Ainsi, fait remarquer M. Giraud, les fonds d’investissements sont-ils de plus en plus actifs sur les marchés physiques, par le biais de la titrisation des produits. Il en conclut que « les marchés des matières premières ne forment en réalité qu’un seul marché qui cote les différentes échéances, la plus proche correspondant au physique. Les opinions sur les évolutions des fondamentaux sont à l’origine de la formation des prix par le biais de la formulation d’anticipations rationnelles ».
a) La formation des prix au comptant du pétrole est déterminée en grande partie par le prix des contrats à terme
M. Philippe Mongars, adjoint au directeur de la stabilité financière à la Banque de France, a insisté lors de son audition sur la porosité de la frontière existant entre marchés dérivés et cours au comptant. À ses yeux, même si la relation entre la spéculation et les prix au comptant n’est pas avérée, le rôle des marchés financiers est fondamental car le prix d’un certain nombre d’opérations commerciales est dérivé du prix des contrats à terme : la formule d’indexation du contrat incorpore en partie le prix des « futures ». « On ne peut donc pas affirmer que le contrat à terme n’exerce pas d'impact sur le prix spot et qu’il ne représente qu’un jeu à somme nulle ».
En raison de la multiplication des acteurs, des produits financiers et des places de marché, les prix du pétrole se forment essentiellement sur les marchés organisés de contrats à terme et obéissent dorénavant autant aux fondamentaux physiques qu'aux données financières. En effet, les seuls fondamentaux physiques ne paraissent pas de nature à expliquer entièrement ces mouvements de prix. L’augmentation spectaculaire des volumes traités sur les marchés à terme de matières premières, la place croissante des transactions effectuées sur les marchés de gré à gré ainsi que l’émergence de nouveaux acteurs sur les marchés pétroliers, sont des éléments qui ont pu potentiellement amplifier la volatilité « naturelle » des prix du pétrole.
L’augmentation des positions ouvertes et l’allongement de la maturité des contrats ont pu contribuer à alimenter la volatilité en permettant l’intégration des anticipations de long terme dans les prix spot. Les contrats à terme assis sur le WTI du marché new-yorkais (NYMEX) ont cru en moyenne de 10 % par an entre 1995 et 2008. De même, alors qu’en 2000 le volume des contrats sur le NYMEX pour les échéances à trois ans et plus ne dépassent pas 3 % du total des positions ouvertes, il est aujourd’hui supérieur à 6 %. Par conséquent, alors qu’il y a peu, la volatilité sur les échéances les plus lointaines n’affectait que très faiblement les prix des échéances les plus proches, tel n’est plus le cas actuellement. Le marché « papier » du pétrole a ainsi perdu son rôle originaire d’instrument de couverture de professionnels pour devenir un marché financier comme les autres.
Dans le cas spécifique du pétrole, le prix des marchandises pour livraison immédiate, sur le marché physique, cesse d’être négocié en tant que tel et dépend de manière croissante du prix anticipé sur les marchés à terme pour des livraisons plus lointaines. Cette situation implique que, si le prix du pétrole anticipé dans le futur sur le marché à terme augmente fortement, le prix au quotidien sur le marché « spot » va mécaniquement augmenter.
De surcroît, selon M. Philippe Mongars, « le cours au comptant du pétrole, du cuivre et du blé est, certes, avant tout la résultante du jeu de l’offre et de la demande mais, à court terme, les opérations financières sur les marchés dérivés sont potentiellement source de décalage de cours ». Ainsi, les cours de l’argent se sont effondrés de 25 % en deux séances en avril 2011 alors que la demande avait diminué dans des proportions bien moindres. Certains investisseurs avaient constitué des positions longues, pariant sur une hausse continue des cours. La cause de ce « débouclage » massif et désordonné résidait en réalité dans la décision du marché organisé de New York de relever de manière très modérée le niveau des dépôts de garantie exigée des investisseurs (78). Pour garder une position équivalente, les acteurs financiers devaient donc mobiliser davantage de fonds propres. Le jour même, la vente massive des positions sur les marchés dérivés a eu un impact direct sur les prix au comptant. Une seconde hausse des dépôts obligatoires de 16 %, en septembre 2011, s’est traduite par une nouvelle baisse brutale des cours.
b) Le développement de nouveaux produits d’investissement pourrait déstabiliser les marchés
Les années 2000 ont vu l’apparition de produits d’investissement gagés sur le matériau physique, qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Il s’agit des ETP (Exchange Traded Products), qui regroupent trois catégories de produits : les ETF (Exchange Traded Funds), les ETC (Exchange Traded Commodities) et les ETN (Exchange Traded Notes) (79). Ces produits, qui, jusqu’à présent, concernaient essentiellement les métaux précieux, se développent en direction des métaux industriels.
Comme l’indique M. Antoine Chacun, directeur général de Oddo Metals, les fonds indiciels sur les matières premières se sont récemment développés en réponse aux stratégies de diversification des investisseurs. Ils consacrent en moyenne 15 % de leur exposition aux métaux industriels. Ce pourcentage s’oriente en grande partie vers les métaux non ferreux, principalement le cuivre et l’aluminium.
Les montants investis par ces fonds sur les marchés du cuivre et de l’aluminium sont colossaux : les volumes de transaction représentent entre 30 et 40 fois la valeur de la production mondiale du sous-jacent, soit près de 3 000 milliards d’euros pour l’aluminium (dont le marché physique s’élève à 80 milliards d’euros) et 4 500 milliards d’euros pour le cuivre (dont le marché physique s’élève à 110 milliards d’euros).
M. Antoine Chacun a dénoncé devant la mission d’information le poids disproportionné de ces nouveaux acteurs au sein de « petits » marchés comme ceux des métaux industriels. Cet afflux monétaire exogène est de nature à dérégler les mécanismes fondamentaux de ces marchés.
À coté des ETF indiciels se sont développés des ETF dits individuels (autrement dénommés ETC). Selon M. Philippe Mongars, « l’essentiel des ETF sur matières premières individuels sont physiques : la banque achète physiquement la matière première. Au départ, ils ont été commercialisés à destination des investisseurs particuliers et concernent aujourd’hui prioritairement les investisseurs institutionnels ». Ce sont des produits de faible volume qui se concentrent sur de petits marchés : les métaux précieux – platine, or, argent – et les petits métaux – tels que l’indium ou l’uranium.
Les ETF sur matières premières connaissent une forte croissance. Selon M. Mongars, on peut estimer que « près de la moitié du total des investissements dans les matières premières, soit 200 milliards de dollars, sont placés dans les ETF ». Les États-Unis représentent 70 % du marché mondial. Les ETF indiciels sont majoritaires, même si la tendance est au lancement de produits d’investissement sur une seule matière première (ETF individuels, autrement dénommés ETC).
Actifs sous gestion dans les principaux etf liés aux matières premières,
mars 2009-mars 2011
Ainsi que le souligne M. Christian Hocquard, « comme il n’existe pas de marchés financiers sur les petits métaux et que le marché physique est très réduit, il est aisé, en retirant du métal physique, de créer intentionnellement une pénurie. C’est la volonté affichée – il n’y en a pas d’autres –, par les gestionnaires de ces produits. Ils ont la particularité, contrairement aux indices (qui ont eux pour effet d’homogénéiser les cours des différentes matières), de se concentrer sur une seule matière ». M. Philippe Mongars estime que ces produits « ont joué un rôle important dans l’explosion des expositions sur les matières premières ».
M. Antoine Chacun explique qu’« auparavant, pour s’exposer aux matières premières, les investisseurs achetaient des actions de sociétés minières. Ces titres ne dépendaient pas uniquement de la valeur du sous-jacent mais également de l’entreprise, de son management, de son environnement… Aujourd’hui, les investisseurs sont à la recherche d’une position pure sur la matière. À cette fin, ils ont créé les ETF, qui ne reflètent plus uniquement l’évolution d’un indice, mais donnent accès directement aux stocks physiques. Cela crée des difficultés pour l’industrie, car une partie du stock est thésaurisée. Ainsi, sur le marché de l’aluminium, le groupe Rusal a décidé de consacrer un tiers de sa production aux stocks d’ETF. Les sociétés minières sont également inquiètes car ces produits peuvent potentiellement dissuader les investisseurs d’investir dans les actions de leurs sociétés. »
M. Patrick Artus, pour sa part, souligne que « toutes les sociétés de gestion sont en train de lancer des gammes ETF de matières premières. Les plus gros acteurs sur les marchés des ETF sont Goldman Sachs et JP Morgan. C'est une perspective dangereuse car elle a pour conséquence de rendre les matières premières physiques illiquides ; en effet, elles ne peuvent plus être utilisées pour un usage industriel. Un total de 60 milliards de dollars – soit l’encours des sicav de matières premières – sont ainsi rendus inutilisables pour le financement de l'économie. Ces 60 milliards de dollars ont pour contrepartie la détention des stocks physiques correspondants. Autant la crise de 2007-2008 a été une crise des positions à terme, autant, aujourd’hui, [c’est] l’investissement dans la matière première physique [qui est en cause]. » Un dernier inconvénient des ETF, ajoute M. Artus, tient au fait que l'information relative aux stocks ne signifie plus rien.
M. Artus a adopté une position très ferme devant la mission d’information. « Les ETF stérilisent les stocks de matières premières et surtout l'épargne. Or, l'épargne mondiale doit financer du capital, non des stocks de matières premières. C’est une spéculation à l’état brut. Je préconise donc l'interdiction de ce type d'instruments, au moins en Europe. »
Certes, comme il le reconnaît lui-même, ces 60 milliards de dollars représentent encore un montant modeste, qui a une faible influence sur les prix. Interrogés à ce sujet, le président du London Metal Exchange, M. Brian Bender et le directeur général de cette institution, M. David Peniket ont confirmé devant la mission d’information que ces produits n’exerçaient qu’une influence très limitée sur les cours du marché. Cela tient principalement au fait que ces produits concernaient essentiellement, jusqu’en 2010, les petits métaux et les métaux précieux, qui concernent peu la place londonienne.
Mais l’extension des ETF physiques aux métaux industriels aura des effets plus marqués sur l’évolution des cours. En effet, les marchés des métaux industriels sont beaucoup plus vastes et revêtent une dimension plus stratégique que les marchés des métaux précieux. Les ETF sur les métaux industriels sont commercialisés par les banques d’affaires qui, depuis 2009, ont réduit leur exposition aux fonds indiciels (80). Interrogé à ce sujet, M. Christian Hocquard a souligné pour sa part que « le danger réside principalement dans le risque de corner, puisque les acteurs présents sur ces produits sont les grandes compagnies de gestion, qui ont une puissance incomparable. Il convient donc de contrôler ces produits. Mais, à l’heure actuelle, peu d’acteurs connaissent leur fonctionnement ».
De fait, les ETF sont porteurs d’un risque substantiel d’abus de position dominante, qui peut avoir pour conséquence la création d’une pénurie et, ce faisant, une montée brutale et artificielle des cours, du moins à court terme.
Il apparaît nécessaire d’améliorer notre information sur les caractéristiques et le volume de ces produits, avant de définir éventuellement un cadre de régulation plus développé. À l’échelon européen, la coordination de cette action pourrait être dévolue à l’Autorité européenne des marchés financiers.
L’Autorité européenne des marchés financiers devrait être mandatée afin de réaliser un suivi des fonds ETF et ETC portant sur les matières premières (proposition n° 19). Cette institution collecterait auprès des régulateurs nationaux – voire des places de marché elles-mêmes – les informations relatives aux volumes investis et aux catégories de souscripteurs et pourrait établir une étude sur l’impact réel de ces produits sur la volatilité des cours (81). L’AEMF pourrait également centraliser les informations concernant notamment le volume des stocks de métaux constitués à titre de contrepartie. Il conviendra de définir le statut de ces informations et les modalités de leur publication éventuelle.
5. Les risques liés à l’absence de régulation de certaines transactions sur les marchés de matières premières
La régulation des marchés dérivés de matières premières ne concerne pas, à l’heure actuelle, certaines catégories d’acteurs, ni certains types de produits financiers.
a) Les exemptions à la réglementation financière européenne doivent faire l’objet d’un encadrement plus strict
Comme le relève la Banque de France, un certain nombre d’acteurs dont l’activité n’est pas essentiellement orientée à des fins de couverture n’est pas soumise à la réglementation financière européenne.
Il s’agit essentiellement :
– des filiales de trading des grands groupes industriels ;
– de courtiers et traders spécialisés sur les matières premières, notamment certains intervenants localisés en Suisse ;
– des courtiers et traders intervenant uniquement sur le marché au comptant, ou dans le cadre de transactions sur contrats commerciaux à terme n’ayant pas le statut d’instruments financiers.
Les acteurs des marchés dérivés de matières premières et les règles
qui leur sont aujourd’hui applicables
Type d'acteur |
Cadre de régulation existant |
Établissements de crédit et entreprises d'investissement. |
Sont soumis aux dispositions de la directive MIF pour ce qui est de la fourniture de services d'investissements, à des obligations de fonds propres (directive CRD 2006/49/CE) et aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux (directive 2005/60/Œ). En revanche, les activités et la prestation de services portant sur des produits de base au comptant ou des contrats commerciaux à terme sur quotas ne sont pas encadrées. |
Traders spécialisés sur les matières premières. |
Non couverts par une régulation de niveau européen. |
Entités de trading des producteurs d'électricité et des acteurs industriels. |
Non couverts par une régulation de niveau européen. |
Courtiers intervenant sur des instruments dérivés ayant le statut d'instruments financiers. |
Sont soumis aux dispositions de la directive M/F pour ce qui est de la fourniture de services d'investissements, à des obligations de fonds propres (directive CHD 2005/49/CE) et aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux (directive 2005/60/Œ). En revanche, les activités et la prestation de services portant sur des produits de base au comptant ou des contrats commerciaux à terme sur quotas ne sont pas encadrées. |
Courtiers et traders intervenant uniquement sur le marché au comptant, ou dans le cadre de transactions sur contrats commerciaux à terme n'ayant pas le statut d'instruments financiers. |
Non couverts par une régulation de niveau européen. |
Source : direction générale du Trésor
Toutefois, la réglementation actuelle se caractérise par une complexité particulière (82). Les régulateurs européens s’avouent d’ailleurs incapables de dénombrer les entreprises bénéficiant de ces clauses d’exemption.
En effet, la directive sur les marchés d’instruments financiers (dite MIF) a exclu de son champ d’application un certain nombre d’entités intervenant sur des marchés dérivés de matières premières mais qui n’appartiennent pas à un groupe financier. Ainsi, en fonction de leur classification, des entreprises effectuant exactement le même type d’activité sur les marchés dérivés de matières premières sont soumises à des régimes de régulation entièrement différents.
Or, en cas de comportements déloyaux, ces intervenants peuvent faire peser des risques substantiels sur l’intégrité du marché.
Vos rapporteurs considèrent qu’il faut étendre l’application de la directive sur les marchés d’instruments financiers à l’ensemble des acteurs qui agissent sur les marchés de matières premières, dès lors que leur présence n’est pas simplement motivée par un besoin de couverture de leur production ou de leur consommation. Il faut imposer à ces intervenants des règles d’organisation, de capital réglementaire minimum et de prévention des conflits d’intérêts (proposition n° 20). Cette évolution du cadre réglementaire européen nécessite la révision des exemptions prévues par la directive sur les marchés d’instruments financiers. La Commission européenne doit soumettre des propositions en ce sens d’ici la fin de l’année 2011.
Il est en outre essentiel que les exemptions octroyées de part et d’autre de l’Atlantique n’encouragent pas l’arbitrage réglementaire ; un degré minimal de convergence est impératif. La Commission européenne en est consciente qui entretient, à ce sujet, des échanges réguliers avec les régulateurs américains, (CFTC et SEC).
b) Il convient de clarifier la distinction entre les instruments financiers et les contrats commerciaux à terme
La directive MIF ne s’applique qu’aux instruments financiers (83), par opposition aux contrats commerciaux à terme. Cette distinction est principalement fondée sur les modalités de négociation utilisées, et non sur leur finalité (couverture d’un risque) ou sur leurs caractéristiques propres. Il est préoccupant qu’un même instrument puisse être considéré comme un instrument financier (et soit régulé), dès lors qu’il est échangé sur un marché organisé, et comme un contrat commercial à terme (et ne puisse pas être régulé) s’il fait l’objet d’un échange de gré à gré.
Cette distinction obéit à un motif légitime, qui est de ne pas appliquer une réglementation complexe à des opérations de couverture peu sophistiquées menées par des acteurs industriels. Toutefois, à rebours des préconisations du G20, elle constitue une incitation à réaliser des échanges de produits dérivés de matières premières sur les marchés de gré à gré et donne lieu de surcroît à des stratégies de contournement de la réglementation.
Il convient donc d’étendre l’application de la directive MIF aux contrats commerciaux à terme suffisamment liquides et standardisés échangés sur les marchés dérivés de gré à gré (proposition n° 21). Cela permettra de réintégrer dans le champ de la régulation des opérations spéculatives ou d’arbitrage qui parvenaient jusqu’à présent à y échapper.
De plus, il convient de surveiller de façon plus approfondie les pratiques de commercialisation de produits adossés à des matières premières, leur complexité les rendant parfois peu adaptés à une clientèle d’investisseurs particuliers. Vos Rapporteurs estiment donc nécessaire de renforcer le contrôle de la commercialisation de produits adossés à des matières premières, tout particulièrement lorsqu’elle est réalisée à destination des investisseurs non professionnels (proposition n° 22).
D.— LES RISQUES QUE LA FINANCIARISATION DES MARCHÉS FAIT PESER SUR LA STABILITÉ DE L’ÉCONOMIE APPELLENT DES MESURES DE RÉGULATION COORDONNÉES À L'ÉCHELLE INTERNATIONALE
1. La régulation des marchés américains et européens de matières premières
La réglementation des marchés américains et européens se caractérise par son hétérogénéité. Les États-Unis disposent depuis longtemps d’une réglementation spécifique des marchés à terme, actuellement la plus développée au monde. Les marchés réglementés américains et la CFTC prévoient ainsi des limites de position par catégorie d’intervenants. Les marchés européens, quant à eux, s’en sont jusqu’à présent davantage remis à l’autodiscipline et n’ont pas établi de typologie harmonisée des acteurs. De même, la Bourse de Chicago (CBOT) prévoit pour les contrats à terme des limites quotidiennes de fluctuation du prix à la hausse ou à la baisse.
a) La régulation aux États-Unis
La régulation des marchés de matières premières aux États-Unis est concentrée dans les mains de l’Agence américaine des marchés à terme de matières premières (Commodities Futures Trading Commission, CFTC), qui a été instituée par la loi du 3 janvier 1975. C’est une agence indépendante dont les membres sont nommés pour cinq ans par le président des États-Unis, après accord du Sénat. Elle a succédé à la « Commodity Exchange Commission », instituée en 1936, où siégeaient les secrétaires d’État à l’agriculture et au commerce et le procureur général de la Cour suprême.
Face aux hausses périodiques des prix des matières premières, et aux accusations de manipulation des marchés, ses pouvoirs ont été progressivement accrus, même si l’institution demeure sous la pression constante du Congrès, ce d’autant plus depuis les élections de mi-mandat. La CFTC a pour mission de garantir l’intégrité des marchés de l’ensemble des matières premières, tant sur les marchés à terme que sur les marchés physiques, y compris les marchés de gré à gré. La Commission doit identifier les menaces de manipulation des marchés, les abus de position dominante et engager des actions préventives nécessaires. Face à la spéculation, le Commodity Exchange Act du 15 juin 1936 autorise la Commission à imposer des limites sur la taille des positions spéculatives sur les marchés à terme.
La CFTC publie chaque semaine les données agrégées des positions de tous les intervenants physiques ou financiers, en les distinguant par catégories, dans des bases centrales de données (« trade repositories »), essentielles à la transparence des marchés et citées en exemple par les intervenants européens. Elle peut instruire des plaintes déposées contre un professionnel enregistré auprès de la CFTC pour violation de la loi ou des règlements émis par elle.
La CFTC applique des limites de position, au nombre de trois s’agissant des marchés agricoles : le dernier mois, à chacun des autres mois et sur la totalité des échéances. Les acteurs commerciaux recourant aux contrats à terme à des fins de couverture de leurs activités sur les marchés physiques bénéficient d’une exemption. Le rapport hebdomadaire intitulé Commitments of Traders fournit également des données précises sur les expositions en contrats à terme et en options par place de marché, type d’acteur et catégorie de sous-jacent (financier ou matières premières).
Pour les marchés de matières premières, quatre grandes catégories d’acteurs sont identifiées : les acteurs commerciaux (producteurs, commerçants, industriels et utilisateurs finaux) ; les swap dealers, dont les contreparties sont des acteurs spéculatifs ou des clients commerciaux « traditionnels » ; les money managers (fonds, commodity trading advisors et commodity pool operators) ; et les autres acteurs, ne relevant d’aucune des trois catégories précédentes.
La loi Dodd-Frank de juillet 2010 a chargé la CFTC d’instiller une dose de transparence au sein des marchés de gré à gré, notamment grâce à la publication des transactions de swaps de matières premières et à la mise en œuvre d’un nouveau dispositif de limites de positions sur les contrats à terme négociés sur les marchés organisés et les swaps.
D’après la loi, ces limites de position visent explicitement à :
– diminuer, éliminer ou prévenir la spéculation excessive ;
– éliminer les manipulations de marché ;
– assurer une liquidité suffisante du marché pour les participants à la recherche d'une couverture « légitime » (bona fide hedgers) ;
– et assurer la qualité du processus de révélation du prix sur le marché.
Ainsi, la mise en place de limites de position telle que prévue par la loi Dodd-Frank répond à deux objectifs liés mais distincts :
– un objectif « micro-économique » de lutte contre les manipulations de marché ;
– et un objectif « macro-économique » de bon fonctionnement du marché en tant que lieu d'établissement du prix.
La question de la volatilité des prix, et de son lien éventuel avec des pratiques spéculatives, ne figure pas parmi les objectifs que le législateur américain a fixés à la CFTC pour justifier la mise en place de limites de position.
La CFTC avait déjà amorcé la refonte du dispositif applicable aux marchés dérivés pour quatre produits énergétiques (pétrole, gaz naturel, fioul, essence), en organisant une consultation publique de février à avril 2010. Elle a soumis à consultation début 2011 de nouvelles règles portant sur les limites de position, les swaps de gré à gré sur produits agricoles et les options sur matières premières.
L’industrie américaine a fait part à cette occasion de ses craintes quant à une éventuelle migration de l’activité vers des bourses étrangères. De telles places pourraient en effet accueillir une partie de ces transactions, à l’instar du SMX (Singapour Mercantile Exchange), qui a lancé au mois d’août 2010 un contrat à terme sur le pétrole. De même, les acteurs financiers sont réservés sur le principe même des limites de position.
La règle sur les limites de positions a finalement été adoptée par la CFTC le 18 octobre 2011 avec six mois de retard, et de justesse (3 votes démocrates contre 2 votes républicains), sur fond de fortes dissensions internes à l’institution.(84) Les règles fixées vont cependant au-delà des objectifs qui ont été agréés dans le cadre de l’OICV, dans la mesure où elles concernent les positions détenues bien avant la seule période – certes cruciale – de dénouement des contrats et où elles prévoient l’institution de limites de position a priori – et non de simples règles de gestion des positions.
Les contrats de produits dérivés concernés sont ceux dont le sous-jacent physique fait partie d’une liste de 28 matières premières (agricoles, énergétiques et minérales). La quasi-totalité des produits dérivés est concernée, qu’il s’agisse de marchés à termes, d’options ou de swaps dès lors que ces derniers sont « économiquement équivalents » à des contrats à terme.
Comme l’indique la Banque de France, l’impact de cette réforme dépendra en grande partie de la capacité de la CFTC à veiller à l’application des limites de position. Cela constitue un défi majeur pour cette institution qui n’a pas reçu de ressources complémentaires pour faire face à l’accroissement de son champ d’intervention aux marchés de gré à gré. Par ailleurs, on ne peut exclure un déplacement des opérations hors des États-Unis, ce qui plaide pour une harmonisation de la réglementation à l’échelle internationale.
b) La régulation au Royaume-Uni
Le régulateur financier britannique, la FSA (Financial Services Authority), ne définit pas de régime spécifique pour les marchés organisés de matières premières du Royaume-Uni (LME, ICE et NYSE.Liffe) et ne régule pas les marchés physiques, qui sont supervisés par des régulateurs sectoriels (par exemple, l’Ofgem pour le gaz). La FSA intervient de manière indirecte en délivrant des agréments aux marchés organisés, aux chambres de compensation et aux intervenants financiers, en fixant les principes de bon fonctionnement et en définissant les critères de l’abus de marché (85). Les marchés organisés et les chambres de compensation doivent satisfaire un certain nombre de critères de transparence (86), et disposer de systèmes d’information et de contrôle afin de détecter les éventuels abus de marché ; ils assument ainsi une régulation déléguée, la FSA, pouvant, après enquête préliminaire sur le marché concerné, mener une investigation approfondie, le cas échéant étendue à l’ensemble des marchés.
Le LME, par exemple, dispose d’une règle propre (87) pour prévenir les abus de position dominante. Le marché londonien des métaux applique en effet une gestion des positions par le biais d’une incitation négative à la détention de positions excessives, doublée d’exigences accrues envers les gros porteurs. Le ou les opérateurs qui détiennent, sur un actif, au cours d’une période donnée, des positions longues qui excèdent certains seuils (50 %, 80 % ou 90 %), doivent ainsi remettre sur le marché la quantité excédentaire à un prix encadré (88).
En revanche, le LME se refuse pour l’instant à rendre publiques les positions longues et courtes par catégorie d’acteurs (banques, fonds d’investissements, fonds de pension ou acteurs physiques), contrairement à l’ICE Futures Europe, qui a publié son premier « relevé des positions » le 27 juin 2011, et à NYSE.Liffe, qui s’est engagé à le faire prochainement.
Le mode de régulation pratiqué au Royaume-Uni constitue, aux yeux de plusieurs des personnes auditionnées, une logique pertinente. En effet, le niveau maximal de la position individuelle est fixé en fonction de la propre analyse de la place de marché, ce qui peut apparaître dans certains cas préférable à la fixation mécanique d’un pourcentage de la position ouverte. M. Amine Bel Hadj Soulami, responsable mondial des produits dérivés de matières premières chez BNP Paribas, a ainsi indiqué à la mission d’information que le compte rendu régulier ex ante des positions auprès du régulateur, tel que la FSA britannique l’envisage, constitue une approche souple et réaliste.
Toutefois, la multiplication des tentatives d’abus de position dominante sur le marché londonien, qui sont parfois couronnées de succès, du moins à court terme, laisse à penser que la régulation doit atteindre un degré d’efficacité supplémentaire. Afin de limiter les facteurs de volatilité des cours des matières premières, l’outil privilégié par la présidence française du G20 consiste à confier aux régulateurs le pouvoir d’établir des limites de position individuelles sur l’ensemble des marchés dérivés.
2. Les principales propositions de la présidence française du G20
La France a inscrit la question de la volatilité des matières premières comme l’une des priorités de sa présidence du G20. C’est à son initiative, conjointement avec la Corée du Sud, qu’a été créé le groupe de travail sur la volatilité des prix des matières premières. Après des débuts difficiles, dus aux craintes de certains pays sur les intentions régulatrices de la France, ce groupe est désormais bien accepté et a reçu le soutien des États-Unis.
Les objectifs de la présidence française dans le domaine des matières premières concernent les marchés à terme de manière générale et, plus spécifiquement, les secteurs énergétique et agricole.
S’agissant des marchés dérivés de matières premières, la présidence française souhaite obtenir l'adoption de principes communs de régulation et de supervision des marchés dérivés de matières premières, visant à :
– améliorer la transparence sur les marchés physiques et financiers, notamment de gré à gré, et à élargir le champ de la régulation à l'ensemble des produits échangés sur les marchés de dérivés de matières premières et des acteurs intervenant sur ces derniers ;
– lutter contre les abus de marché, notamment en conférant aux régulateurs le pouvoir de fixer des limites de position ;
– et renforcer la coordination entre les régulateurs financiers et les régulateurs physiques – lorsque ces derniers existent.
Le comité technique de l’Organisation internationale des commissions de valeurs a présenté en septembre 2011 son rapport définitif consacré à la régulation des marchés dérivés de matières premières (89). L’OICV insiste sur le fait que les autorités de régulation nationale doivent être en mesure de détecter les tentatives de manipulations croisées conduites simultanément sur les marchés financiers et les marchés physiques. Pour ce faire, elles doivent naturellement pouvoir accéder aux informations sur les positions et transactions réalisées sur chacun de ces marchés. Outre le renforcement de la transparence, l’organisation recommande une meilleure coopération entre les autorités de régulation nationales, tant sur les marchés physiques que sur les marchés financiers et demande que les autorités de régulation aient à leur disposition une palette d’instruments, y compris le pouvoir d’instituer des limites de position ex ante sur les marchés à terme.
Ces propositions ont reçu le 15 octobre 2011 l’aval des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G 20.
S’agissant du secteur énergétique, les objectifs de la présidence française sont de quatre ordres :
– Améliorer le dialogue entre producteurs et consommateurs sur les évolutions du marché pétrolier, en appelant au renouvellement annuel du symposium rassemblant le Forum international de l’énergie, l’AIE et l’OPEP, et en veillant à l’application de la charte signée lors de la réunion ministérielle du FIE en février 2011 à Riyad.
– Renforcer la transparence sur les marchés physiques :
• du pétrole :
– améliorer la base internationale de données JODI, grâce à des rapports d’étape nationaux et sur la base d'un calendrier bien défini ;
– obtenir l'engagement de tous les pays du G20 – Chine, Inde et Russie en particulier –, sur le respect, à moyen terme, des trois critères de « rapidité, d’exhaustivité et de régularité » ;
– appeler les organisations internationales parties prenantes de l’initiative JODI à réaliser une analyse sur la pertinence des données transmises par les pays, à renouveler tous les deux ans – bien que Russie et Arabie Saoudite s'y opposent –, afin d'améliorer, comme cela a été demandé lors du sommet de Séoul, la qualité et la fiabilité des données de JODI.
• des autres énergies fossiles : s'assurer de la bonne application de la décision du FIE d'élargir la base de données JODI au gaz naturel, et adopter des mesures concrètes pour améliorer la transparence des marchés du charbon et du gaz.
– Acquérir une meilleure visibilité sur le fonctionnement des agences d’évaluation des prix par l'analyse de leurs méthodologies et de leur impact sur les mécanismes de formation des prix, aussi bien sur les marchés financiers que sur les marchés physiques.
– Assurer un suivi actif du processus de retrait progressif des subventions aux énergies fossiles inefficaces, par une évaluation de son impact par les États et les organisations internationales concernées.
S'agissant du dialogue producteurs-consommateurs, la réunion ministérielle du Forum international de l’énergie (FIE) du 22 février 2011 a permis, outre la signature de la charte du FIE par les ministres de l'énergie, l'adoption d'un communiqué commun entre le FIE, l’AIE et l’OPEP sur leurs visions respectives de l'évolution de l'offre et de la demande de pétrole à court, moyen et long terme.
– Concernant la transparence sur les marchés du pétrole, le rapport final du FIE, de l’AIE et de l’OPEP contenant des recommandations pour améliorer la fiabilité et la rapidité de transmission des données nationales, a été présenté lors de la réunion des ministres des Finances du G20 à Washington. Il doit être complété d'ici la fin de l’année 2011 par un rapport ad hoc du FIE sur la qualité des données publiées. Trois pays en particulier doivent améliorer la qualité des informations fournies sur les niveaux et les variations de stocks : la Chine, l'Inde et la Russie.
Les ministres des finances du G20, au cours de leur réunion du 15 octobre 2011, ont adopté des propositions d'amélioration de la base de données JODI, un plan d'action pour renforcer la transparence et l'information sur le marché du gaz ainsi que des mesures destinées à améliorer le fonctionnement des agences d'évaluation des prix.
Dans le domaine agricole, la réunion des ministres de l’agriculture des pays membres du G 20 qui s’est tenue à Paris les 22 et 23 juin 2011 poursuivait deux objectifs distincts tout en étant complémentaires. Il s’agissait de réfléchir aux solutions permettant de lutter contre la volatilité des prix des matières premières mais également aux mesures permettant d’assurer la sécurité alimentaire dans le monde. Dans l’optique de nourrir plus de 9 milliards de personnes à l’horizon 2050, les ministres de l’agriculture ont posé cinq grands jalons qui sont autant de chantiers ouverts pour l’avenir et de défis à la communauté internationale :
- amélioration de la production et de la productivité en agriculture à court et à long terme pour répondre à une demande croissante de matières premières agricoles.
Outre l’augmentation proprement dite des rendements dans une perspective de développement durable (l’agriculture de demain étant confrontée à un double défi en termes de disponibilités hydrauliques et des terres arables), le G 20 agricole a souhaité mettre l’accent sur l’attention qui devait être portée aux petits exploitants agricoles, aux femmes travaillant dans ce secteur, préoccupations dont vos rapporteurs peuvent également témoigner pour avoir rencontré, lors de leur déplacement aux États-Unis, plusieurs associations pleinement impliquées dans ces sujets (National Family Farm Coalition, ActionAid, Institute for Agriculture and Trade Policy…). À cette occasion, les ministres ont également insisté sur l’importance de la recherche dans le secteur agricole (notamment sur le riz qui apparaît aujourd’hui comme la céréale la plus consommée au monde) et sur la diffusion des résultats obtenus.
- renforcer l’information et la transparence du marché pour donner des bases plus solides aux anticipations des gouvernements et autres opérateurs économiques.
Un consensus s’est rapidement fait jour sur la nécessité de bénéficier d’informations claires et accessibles à tous afin de lutter efficacement contre la volatilité des prix agricoles, notamment à court terme. À cet effet, a été lancé le « Système d’information sur les marchés agricoles » (Agricultural Market Information System ou AMIS) pour encourager les acteurs des marchés agricoles à partager leurs informations et à mieux comprendre les mécanismes de formation des prix dans ce secteur. Attachant une grande attention au partenariat entre acteurs publics et privés, le G 20 agricole a insisté sur l’information qui devait exister à l’égard des stocks de matières agricoles à travers le monde.
- renforcer la coordination politique internationale pour améliorer la confiance dans les marchés internationaux et ainsi prévenir les crises des marchés alimentaires et y répondre de manière plus efficace.
Dans le secteur agricole comme dans bien d’autres, la nécessité d’une véritable gouvernance mondiale s’est faite jour. À cet égard, les ministres du G 20 agricole ont insisté sur le rôle que pouvait jouer la FAO dans l’optique d’améliorer la sécurité alimentaire du plus grand nombre. Répondre efficacement et rapidement aux défis posés a également suscité la création d’un « Forum de réaction rapide », composé de hauts responsables chargés de veiller à une bonne coordination des politiques de marché en matière agricole. Tout en reconnaissant les bienfaits d’un marché international ouvert aux échanges, les ministres ont également insisté sur la nécessité de pousser les analyses sur les relations entre biocarburants et volatilité, sujet particulièrement controversé.
- améliorer et développer les outils de gestion du risque pour les gouvernements, les entreprises et les agriculteurs afin de renforcer leur capacité à gérer et à limiter les risques liés à la volatilité des prix agricoles, notamment dans les pays les plus pauvres.
La volatilité des prix agricoles ayant des conséquences particulièrement lourdes pour les pays en voie de développement, il était logique que les ministres du G 20 agricole s’attachent à préconiser certaines règles sur ce sujet. Afin de mieux gérer les risques existants, il apparaît ainsi souhaitable que les banques et agences de développement nationales ou régionales mettent en œuvre des mécanismes de conseil pour mieux gérer les risques et des outils contra-cycliques afin de parer aux chocs exogènes pouvant affecter les pays notamment les plus vulnérables. À cet égard, la création par la SFI (International Finance Corporation) d’un nouvel « Instrument de gestion des risques prix en agriculture » fait figure de modèle à suivre.
- améliorer le fonctionnement des marchés dérivés de matières premières, cet objectif étant poursuivi dans le cadre du travail mené par les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales.
Reconnaissant l’importance de marchés agricoles fonctionnant de manière claire et transparente, les ministres du G 20 agricole ont souligné combien il était essentiel que soient facilités les mécanismes de formation des prix, afin de permettre à chacun d’anticiper au mieux ses activités.
La direction générale du Trésor a insisté devant la mission d’information sur le fait que les pays anglo-saxons étaient prêts à adopter des mesures destinées à prévenir et à réprimer les abus de marché, mais souhaitaient éviter tout dispositif s’opposant frontalement à la spéculation. Par ailleurs, si la volonté réformatrice de la France est indiscutable, notre pays se heurte toutefois, selon la direction générale du Trésor, à un manque de crédibilité, car la France n’est pas un grand producteur de matières premières, notamment énergétiques, et n’abrite pas de marchés à terme de grande dimension. M. Philippe Mongars estime, pour sa part, que « la réforme doit être présentée sous l’angle du respect de l’intégrité des marchés, de la protection contre les abus de marché ; si elle est présentée sous un angle visant à réduire la volatilité ou à contraindre l’ajustement des prix, ni les Anglo-saxons ni les pays émergents ne l’accepteront ».
Les tableaux suivants mettent en parallèle les principales propositions de la présidence française du G20 dans le domaine de la régulation des marchés de matières premières, les propositions de la Commission européenne et les dispositions correspondantes de la loi Dodd-Frank.
RÉGULATION DES MARCHÉS DÉRIVÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES
TABLEAU COMPARATIF DES PROPOSITIONS FRANÇAISES, DES INITIATIVES RÉGLEMENTAIRES
DE L’UNION EUROPÉENNE ET DES DISPOSITIONS DE LA LOI AMÉRICAINE DODD-FRANK
I) SYNTHÈSE
RECOMMANDATIONS DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DU G20 |
PROJETS DE TEXTES DE L’UNION EUROPÉENNE |
LOI DODD-FRANK |
Aller au delà des seules mesures d’amélioration de la transparence et étendre le champ d’application de la réglementation financière à l’ensemble des acteurs intervenant sur les marchés de produits dérivés |
Une meilleure couverture réglementaire des produits et des acteurs, à travers notamment une réduction des exemptions pour ces derniers |
Élargissement de la notion de swap (qui inclut les dérivés et les contrats à terme) ainsi que de la notion de swap dealer |
Mieux définir et davantage sanctionner les abus de marché, en permettant notamment aux régulateurs de définir des limites de position de manière coordonnée |
Une amélioration de la prévention des abus de marché, avec notamment le pouvoir donné aux régulateurs de fixer des limites de positions pour tous les types de contrats dérivés |
La CFTC se voit dotée du pouvoir de fixer des limites de positions pour tous les marchés swaps et futures de matières premières |
Favoriser la coopération entre autorités de régulation financières, autorités de régulation des marchés physiques et, le cas échéant, autorités de concurrence |
Sans objet : la CFTC a déjà compétence à la fois pour les marchés dérivés et les marchés physiques |
II) TABLEAU DÉTAILLÉ
RECOMMANDATIONS DE LA PRÉSIDENCE FRANÇAISE DU G20 |
PROJETS DE TEXTES DE L’UNION EUROPÉENNE |
LOI DODD-FRANK |
Commentaires |
Couverture de l’ensemble des dérivés sur matières premières |
Proposition de révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF) La Commission européenne propose qu’un chapitre séparé dans le nouveau titre sur les dérivés qu’il est prévu d’introduire dans la future directive cadre soit ajouté et consacré spécifiquement aux dérivés de matières premières. Proposition de révision de la directive sur les abus de marché (MAD) : Tous les instruments financiers, y compris les dérivés de matières premières seront désormais assujettis aux dispositions en matière d’abus de marché, qu’ils soient échangés sur un marché organisé ou de gré à gré. De plus, les tentatives de manipulation de cours via des instruments dérivés seront également couvertes. Proposition de règlement sur les infrastructures de marché EMIR (en cours de négociation) : Tous les dérivés, y compris les dérivés de matières premières, seront soumis aux obligations de compensation centrale vers des chambres de compensation et de reporting sur les transactions. |
La nouvelle définition du swap (90) qui figure dans le Commodity Exchange Act est très large et inclut en principe les dérivés (swaps traditionnels ou contrats d’échanges) et les contrats à terme de gré à gré (y compris sur les matières premières). |
Pas de proposition de renouvellement de la définition des contrats commerciaux à terme. |
Assurer l’encadrement et la surveillance de l’ensemble des parti-cipants de marché |
Rappel de la législation existante : Type d’acteur Cadre de régulation existant Établissements de crédit et entreprises d’investissement. Sont soumis aux dispositions de la directive MIF pour ce qui est de la fourniture de services d’investis-sements, à des obliga-tions de fonds propres (directive CRD 2006/49/CE) et aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux (directive 2005/60/CE). En revanche, les activités et la prestation de services portant sur des produits de base au comptant ou des contrats commerciaux à terme sur quotas ne sont pas encadrées. Traders spécialisés sur les matières premières. Non couverts par une régulation de niveau européen. Entités de trading des producteurs d’électricité et des acteurs industriels. Non couverts par une régulation de niveau européen. Courtiers intervenant sur des instruments dérivés ayant le statut d’instruments financiers. Sont soumis aux dispositions de la directive MIF pour ce qui est de la fourniture de services d’investis-sements, à des obligations de fonds propres (directive CRD 2006/49/CE) et aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux (directive 2005/60/CE). En revanche, les activités et la prestation de services portant sur des produits de base au comptant ou des contrats commerciaux à terme sur quotas ne sont pas encadrées. Courtiers et traders intervenant uniquement sur le marché au comptant, ou dans le cadre de transactions sur contrats commerciaux à terme n’ayant pas le statut d’instruments financiers. Non couverts par une régulation de niveau européen. Proposition de révision de la directive MIF : La Commission européenne propose une réduction du champ des exemptions prévues par la directive 2004/39/CE concernant les acteurs soumis à ladite directive : - l’exemption prévue à l’article 2(1) i concernant les personnes négociant des instruments financiers pour compte propre ou fournissant des services d’investissement concernant des instruments financiers dérivés sur matières premières aux clients de leur activité principale devrait être réduite et limitée aux seules prestations de couverture de risques ; - l’exemption prévue à l’article 2(1) k concernant les personnes dont l’activité principale consiste à négocier pour compte propre des matières premières et/ou des instruments dérivés sur ces matières (ex. EDF Trading) devrait être supprimée. Proposition de révision de la directive MAD : Les dispositions de MAD s’appliquent d’ores et déjà à l’ensemble des acteurs du marché. Proposition de règlement EMIR (en cours de négociation) : Exemptions à l’obligation de compensation des dérivés (y compris des dérivés sur matières premières) en deçà de seuils pour les corporate pour les positions qui correspondent à leurs activités de couverture commerciale. Les activités de trading de dérivés pour compte propre des corporate seront cependant couvertes. |
La définition de swap dealer est également rédigée de manière très large et inclut toute personne qui a pour activité régulière de négocier des dérivés (y compris de matières premières), que ce soit pour compte propre ou pour compte de tiers. La définition de major swap participant a pour objet de couvrir les participants qui ne répondent pas à la définition des swap dealers mais qui prennent et maintiennent des positions significatives sur des dérivés dans une catégorie de dérivés donnée, étant précisée qu’il reviendra à la CFTC de définir ce qu’il faut entendre par « positions significatives ». La section 723 du Dodd Frank Act (DFA) dispose que quiconque ne peut proposer ou contracter un produit dérivé de matières premières sauf si cet instrument respecte certaines dispositions du Commodity Exchange Act ou les règles promulguées par la CFTC. Par conséquent, les produits dérivés de matières premières, agricoles notamment, émis après la date d’entrée en vigueur de la disposition, initialement prévue le 17 juillet 2011 mais désormais repoussée au plus tard au 31 décembre 2011, ne seront autorisés que si : - ils sont compensés par une chambre et échangés sur un marché ayant tous deux reçus l’aval de la CFTC ; - ils sont échangés de gré à gré entre personnes éligibles (généralement des investisseurs institutionnels ou des vendeurs commerciaux) et respectent certaines contraintes, notamment l’adéquation entre solvabilité de l’emprunteur et les termes du contrat. Une exemption en matière de compensation des positions prises sur les dérivés est appliquée aux corporate de petite taille (en pratique, l’effet sera équivalent au régime proposé en Europe). |
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Définition d’un régime de sanction et de répression des abus de marché (notamment limites de position) |
Proposition de révision de la directive MIF : La Commission européenne propose de conférer aux régulateurs le pouvoir de fixer des limites de position pour tous les types de contrats dérivés qu’ils soient échangés sur les plateformes organisées ou de gré à gré. Proposition de révision de la directive MAD : Proposition d’adapter la notion d’information privilégiée pour les dérivés de matières premières. |
La section 737 du DFA donne pouvoir à la CFTC de fixer des limites de positions. Plus précisément, la CFTC pourra fixer des limites de positions pour tous les marchés swaps et futures de matières premières incluant les métaux et les matières premières agricoles en plus de l’énergie. Il appartient désormais à la CFTC de définir plus précisément le montant des limites de position pour chacun des marchés. |
La proposition de la Commission européenne n’a pas pris en compte à ce stade la proposition française de couvrir les cas de manipulations croisées entre marchés dérivés de matières premières et marchés physiques. |
Assurer, en lien avec d’autres dispositifs communautaires, la transparence du marché et l’encadrement des transactions de gré à gré |
Proposition de révision de la directive MIF : La Commission européenne propose d’introduire l’obligation que tous les dérivés compensables et suffisamment liquides soient négociés exclusivement soit sur des marchés réglementés soit sur des plateformes d’échanges alternatives ou des marchés organisés. Par ailleurs, la Commission européenne propose d’étendre le régime de reporting des transactions à toutes les transactions sur dérivés de matières premières. Proposition de règlement EMIR (en cours de négociation) : Tous les dérivés, y compris les dérivés de matières premières sont soumis aux obligations de compensation centrale et de reporting sur les transactions vers des chambres de compensation. Proposition de règlement sur l’intégrité et la transparence du marché de l’énergie (REMIT, en cours de négociation) : Prévoit le reporting de contrats au comptant vers des bases de données centrales. |
Aux termes de la section 727 du DFA les parties à un instrument dérivés de gré à gré devront déclarer le contrat auprès d’une chambre de compensation ou, si le swap n’est pas accepté à la compensation par une chambre de compensation, auprès d’une base de données centrale ou encore, si aucune base de données n’accepte ledit contrat dérivé, auprès de la CFTC. Un régime de reporting distinct est également prévu pour les large traders, c’est-à-dire les négociants d’instruments dérivés qui ne répondent pas à la définition de swap dealers ou de major swap participant, mais qui négocient des volumes importants. Par ailleurs, le DFA comprend une obligation pour les participants de marché de publier en temps réel les transactions sur swaps, qu’ils soient soumis à la compensation ou non, de manière à rendre public prix et volumes dès que possible après la transaction. |
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Mise en place d’une architecture de surveillance efficace des marchés dérivés de matières premières |
Aucun texte n’affirme actuellement la nécessité d’une meilleure coopération entre autorités de régulation sectorielles (marchés physiques) et financières (marchés dérivés) pour assurer la surveillance des marchés dérivés de manière optimale. Pour autant, la direction générale Marché intérieur de la Commission européenne prévoit de s’associer courant 2011 à une communication plus large qui concernerait les sujets qui resteront à traiter de manière transversale avec les autres directions générales sectorielles de la Commission (interactions avec les marchés physiques sous jacents notamment). |
Source : Direction générale du Trésor
3. L’Union européenne multiplie les initiatives pour renforcer le cadre de régulation des marchés à terme de matières premières
En Europe, l’organisation des marchés et services d’investissement repose essentiellement sur la directive sur les marchés d’instruments financiers (« MIF ») du 21 avril 2004, qui est en cours de révision. Elle prévoit cependant un certain nombre d’exemptions, notamment au profit des activités de négoce de matières premières pour compte propre (dès lors qu’elles ne sont pas intégrées dans un groupe financier) et de certaines catégories d’utilisateurs de ces produits, dont se prévalent les coopératives agricoles (91).
La régulation des instruments dérivés sur matières premières est une préoccupation récente. Elle ne relève pas d’instances nationales spécifiques mais avant tout des autorités de régulation financière, les produits dérivés étant envisagés indépendamment de leur sous-jacent (92). Elle s’inscrit ainsi dans le cadre plus général du renforcement de la surveillance des marchés financiers, au travers de nombreuses initiatives communautaires :
1) La proposition de règlement sur les infrastructures européennes de marché, dite « EMIR », présentée le 15 septembre 2010, a fait l’objet d’un accord des ministres des finances des 27 États membres le 4 octobre 2011. Elle vise à réduire le risque systémique et à améliorer, pour les régulateurs, la transparence de tous les instruments dérivés, y compris sur les matières premières. Elle prévoit ainsi une obligation de déclaration de toutes les transactions sur les marchés dérivés de gré à gré auprès de « référentiels centraux » (« trade repositories »), et une obligation de compensation pour tous les dérivés de gré à gré standardisés (93). Les dérivés non compensés feront l’objet d’exigences supplémentaires en fonds propres.
2) La révision de la directive-cadre sur les abus de marché 2003/6/CE, qui a donné lieu à une consultation durant l’été 2010 et est prévue pour cette année, a pour objectif d’élargir le champ du dispositif (94), de définir plus clairement les abus et de renforcer l’harmonisation des règles de prévention et de sanction. S’agissant des dérivés sur matières premières, il est proposé un alignement de la définition de l’information privilégiée (actuellement trop restreinte) sur celle applicable aux autres instruments financiers.
3) Le réexamen en cours des produits d’investissement de détail (initiative « PRIPs ») déterminera notamment s’il est nécessaire d’améliorer la qualité des informations sur les produits d’investissement structurés sur les matières premières.
4) La directive « AIFM » sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, adoptée en novembre 2010, renforcera la transparence de la stratégie et du portefeuille de ces fonds et permettra indirectement de mieux cerner leur impact sur les marchés d’instruments dérivés sur les matières premières.
5) Le règlement sur l’intégrité et la transparence du marché de l’énergie, dit « REMIT », a été adopté par le Parlement européen le 14 septembre 2011. Il vise à réduire la volatilité du marché de l’énergie de gros (gaz et électricité) par la prévention des abus et des manipulations de marché. Le texte interdit en particulier les opérations d’initiés et oblige les acteurs du marché à publier toutes les informations relatives à leurs engagements.
6) La révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers (MIF), d’ici la fin de l’année 2011, permettra d’accroître la transparence des transactions et des prix en matière d’instruments dérivés sur les matières premières, en précisant dans quelles conditions ces instruments doivent être négociés exclusivement sur des marchés organisés. La Commission européenne a proposé de restreindre fortement les exemptions dont bénéficient aujourd’hui certains opérateurs sur matières premières (95) et de préciser celle afférente à l’activité accessoire de services d’investissement sur produits dérivés. La Commission étudiera la nécessité de recueillir des informations plus systématiques et détaillées sur les activités commerciales de différents types de participants, ainsi que le besoin, pour les régulateurs, de disposer d’une vue d’ensemble plus complète des positions existantes. Elle doit aussi se prononcer sur l’opportunité d’imposer des limites de position.
7) Enfin, la nouvelle Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) garantira la cohérence des règles techniques applicables à ces marchés et contribuera à renforcer la collaboration avec les régulateurs des marchés physiques sous-jacents. La Commission européenne a ainsi proposé, pour les marchés de l’énergie, de renforcer la coopération entre l’Agence européenne de coopération des régulateurs de l’énergie (ACRE), instituée par un règlement du 13 juillet 2009, et l’AEMF, en vue de mieux détecter les abus. Toutefois, l’AEMF ne dispose pas pour l’instant de pouvoirs de supervision. En vertu du principe de subsidiarité, le régulateur national le plus proche demeure seul compétent.
4. La transparence constitue un préalable indispensable à toute stratégie de régulation des marchés de matières premières
Dans sa communication du 3 février 2011 (96), la Commission européenne a estimé qu’« il reste difficile d’apprécier pleinement les interactions et l’incidence que peuvent avoir sur la volatilité des marchés physiques sous-jacents les fluctuations sur les marchés d’instruments dérivés », mais qu’« il convient de renforcer le degré de transparence et l’obligation de rendre des comptes » sur les deux types de marchés.
M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique, estime pour sa part que les marchés chercheront toujours une parade pour faire face à de nouvelles contraintes, mais que des mesures « minimales » apparaissent aisées à mettre en œuvre et sont de nature à favoriser un consensus de la part des acteurs.
La promotion de la transparence au sein des marchés est l’étape préalable à l’adoption de mesures plus contraignantes. Les régulateurs manquent en effet d’informations crédibles sur le fonctionnement des marchés et l’identité des acteurs. La transparence sur les marchés financiers, nécessite avant tout une meilleure information sur les intervenants et les opérations menées sur les marchés de gré à gré.
S’agissant du marché du pétrole, les travaux du groupe de travail du G 20 sur l’énergie (97) attestent que la forte volatilité du prix constatée au cours des dernières années s’explique en partie par le manque de transparence des marchés à terme. Une plus grande transparence permettra d’identifier la part respective des activités spéculatives et des opérations commerciales, afin de parvenir à une régulation plus appropriée. En effet, une allocation inappropriée des flux de capitaux, par exemple par le biais d’une spéculation excessive, peut se traduire par un surcroît de volatilité des prix du pétrole et par l’apparition d’un risque systémique.
Il convient donc de fournir aux régulateurs des informations précises sur l’identité des intervenants sur l’ensemble des marchés dérivés. Seule la CFTC dispose aujourd’hui de données fiables en la matière. À cet égard, la mise en place d’une classification des intervenants constitue une première mesure indispensable. Il est particulièrement important en la matière de parvenir à une classification harmonisée au niveau international.
La connaissance des intervenants devant aller de pair avec celle des opérations, il conviendra également de pouvoir isoler les opérations de pure couverture. Vos rapporteurs estiment donc indispensable d’instituer une obligation de déclaration des opérations réalisées sur les marchés dérivés auprès d’un registre central, chargé de collationner les données(98). Ce registre fournira aux régulateurs de marché des informations pouvant éventuellement les aider à sanctionner les abus de marché et, le cas échéant, à contribuer à l’information « post-marché » pour optimiser la formation des prix (proposition n° 23). Les superviseurs bancaires et les banques centrales y trouveront également des informations particulièrement utiles pour le suivi de la prise de risque individuelle et de la constitution éventuelle d’un risque de système.
La proposition de règlement sur les infrastructures de marché, dit « EMIR » prévoit d’ailleurs cette obligation de déclaration pour les marchés de gré à gré. Par ailleurs, l’International Swaps and Derivatives Association, sous l’impulsion de l’Organisation internationale des commissions de valeurs, a dressé un appel à propositions pour l’établissement d’un registre de données centralisé sur les dérivés de matières premières d’ici à la fin du premier trimestre 2012. La difficulté consistera à fournir des informations relativement complètes aux régulateurs, malgré les limites de la standardisation.
À l’instar de leurs homologues sur les marchés physiques, ces registres centraux devront être soumis à une réglementation précise, en termes :
– de confidentialité des informations, d’échange des données avec d’autres référentiels centraux et de publication ;
– de conditions d’alimentation, pour s’assurer que les opérations seront traitées de manière homogène.
Il convient en particulier de veiller aux modalités d’accès aux informations détenues par les registres centraux. Ces données doivent pouvoir être consultées librement et dans leur totalité, quelle que soit la localisation du registre, afin que l’ensemble des régulateurs puissent remplir leur mission. La confidentialité des informations – notamment les noms des contreparties aux transactions – ne peut leur être opposée et l’accès doit être proportionnel aux missions du régulateur.
La Commission européenne propose que ces référentiels centraux soient gérés par des institutions privées, qui seraient elles-mêmes agréées par les régulateurs nationaux. Cette proposition est actuellement en cours de discussion au Parlement européen et au Conseil. Il est à noter que les organismes déjà existants sur les autres classes d’actifs sont des institutions privées à but non lucratif.
L’application de ces mesures paraît indispensable pour réduire la très forte opacité régnant sur les marchés à terme de gré à gré. Comme le montre Mme Delphine Lautier (99), ces marchés cumulent en effet un certain nombre de caractéristiques défavorables : « la complexité des produits échangés, l’absence d’un système automatique de reporting des prix – lequel serait d'ailleurs difficile à obtenir et pas vraiment utile, dans la mesure où les produits négociés ne sont pas standardisés, donc difficilement comparables –, et des transactions fondées sur des négociations bipartites ». L’ensemble de ces facteurs propres aux marchés de gré à gré favorise leur opacité. « Le manque de transparence de ces marchés est indéniable, tout au moins pour les transactions de gré à gré « pures». Mais il convient de nuancer ce constat, dans la mesure où « certains instruments de gré à gré ont été standardisés pour faciliter leur transfert entre les opérateurs, et que ce segment de l'activité des marchés de gré à gré progresse très rapidement ».
Cette opacité peut servir de « prétexte » aux institutions financières pour vendre des services de couverture contre les risques et ainsi « restaurer des marges commerciales sérieusement entamées par le développement des plates-formes électroniques et par la concurrence sévère qui caractérise les marchés organisés ». Le marché de gré à gré permet par ailleurs de « réaliser des transactions de grande taille qui, fussent-elles ouvertement connues, auraient été susceptibles de déstabiliser ponctuellement le marché »(100).
Lors des entretiens conduits à Londres, la mission d’information a pu constater qu’une distinction très nette était opérée par plusieurs interlocuteurs entre les informations communiquées au régulateur et les informations publiques. Ainsi, M. David Peniket, président de l’Intercontinental Exchange (ICE) Futures Europe, s’est prononcé en faveur d’une transparence absolue des Bourses vis-à-vis des régulateurs mais, à l’instar de M. Amine Bel Hadj Soulami, responsable mondial des produits dérivés de matières premières chez BNP Paribas, a considéré que la transparence complète envers le public n’était pas souhaitable dans la mesure où elle pourrait aller à l’encontre des objectifs escomptés, en influant sur le comportement des acteurs.
5. Le stockage à grande échelle : une solution pour les matières premières agricoles ?
Une des solutions envisagées pour limiter la volatilité des prix des matières premières agricoles consiste à développer les capacités de stockage (propositions n° 13 et 14). Même si ce procédé ne peut évidemment pas fonctionner pour toute denrée agricole, il peut néanmoins s’avérer parfaitement opérationnel pour certaines céréales (qu’il s’agisse du blé qui peut se conserver pendant deux ou trois ans, du maïs, du riz, de l’orge ou du seigle qui peut se conserver jusqu’à sept ans…), certaines productions vivrières (cacao) ou certains produits transformés (sucre).
La plupart des analystes s’accordent pour estimer que le stockage ne peut en aucun cas être une solution de long terme ; une telle solution nécessite bien davantage d’adapter au mieux l’offre à une demande dont on peut cerner les contours avec une réelle précision. À court terme en revanche, un relâchement sur les prix peut en effet être obtenu via un puisement dans les stocks, au même titre qu’il a pu être envisagé de jouer sur les tarifs douaniers ou sur un mécanisme de baisse de la TVA.
Les modalités du stockage sont complexes. Le stockage à la ferme au sens strict (consistant à stocker sur place en vue d’une consommation personnelle ultérieure sans chercher à en commercialiser une quelconque partie) se développe dans la mesure où il favorise l’autoconsommation, l’agriculteur évitant ainsi certains coûts ultérieurs qui peuvent éventuellement compenser certaines dépenses ou manques à gagner. Il se différencie ainsi du stockage à la ferme pour livraison ultérieure (qui s’accompagne d’une commercialisation des produits stockés), de la mise en dépôt de récoltes chez un organisme stockeur et de la vente directe sitôt les récoltes effectuées. Si le stockage à la ferme conserve la préférence des professionnels de par le monde, c’est un inconvénient pour lutter contre la volatilité des prix agricoles. En effet, en cas de besoin, il est plus difficile de mobiliser de façon urgente et efficace des quantités importantes permettant ensuite d’infléchir sur le cours des matières premières. En définitive, le stockage à la ferme incite davantage au repli sur soi et à la rétention, aboutissant au surplus à un effet contra-cyclique : le producteur pourra préférer cette solution pour vendre au moment où les prix seront élevés et non de manière préventive, afin de stabiliser les cours.
Un des handicaps du stockage réside dans le coût et dans les problèmes logistiques afférents.
Le premier coût provient de l’augmentation de la production agricole nécessaire pour subvenir aux besoins courants et constituer les stocks ainsi souhaités, ce qui nécessite des investissements à long terme et dont l’ampleur peut s’avérer importante. En outre, si la production d’une matière première agricole est trop forte, la stocker peut finalement se révéler coûteux s’il faut construire des infrastructures spécifiques. Les auditions que vos rapporteurs ont pu mener sur ce sujet indiquent que le coût d’un silo de 10 000 tonnes est environ de 15 millions d’euros, son amortissement se réalisant sur une vingtaine d’années. Les autres coûts sont essentiellement des coûts de manutention car il faut en vérité peu de personnel pour faire fonctionner un silo dont la maintenance s’avère assez aisée. La construction de silos dépend ensuite de décisions politiques, elles-mêmes prises en fonction des volumes à conserver et des infrastructures disponibles. En effet, on peut distinguer trois grands niveaux de stockage : le petit niveau de stockage (la collecte des productions s’effectue alors dans le cadre de petites coopératives), le stockage dans de lourds silos qui demandent des investissements importants (l’idéal est de les construire à proximité de voies ferrées) et le stockage dans des silos portuaires. Cette dernière modalité nécessite également de lourds investissements afin d’accueillir des bateaux suffisamment grands pour pouvoir transporter des volumes conséquents (ainsi, en France, si le port de La Rochelle peut accueillir des bateaux de 50 000 tonnes du fait qu’il s’agit d’un port en eau profondes, celui de Rouen ne peut recevoir que des bateaux de 25 000 tonnes).
Le stockage représente vraisemblablement une solution importante pour pallier certaines variations excessives des prix des matières premières. Les difficultés et questions soulevées sont néanmoins nombreuses.
Construire des centres de stockage pose ainsi immédiatement la question du lieu de ces constructions. En effet, plusieurs personnes interrogées par vos rapporteurs se sont divisées sur le fait de savoir s’il convenait d’établir les capacités de stockage dans les pays producteurs (États-Unis et Union européenne par exemple) ou dans les pays qui peuvent avoir des besoins importants de matières premières agricoles. Naturellement, la réponse diffère selon le but poursuivi. S’il s’agit seulement d’infléchir les cours mondiaux en répondant à la demande, les stocks peuvent sans difficulté être implantés dans les pays producteurs. En revanche, la réponse à apporter peut être différente si les stocks ont également pour but de nourrir au plus vite les populations qui en ont besoin. Certaines expériences locales ont parfaitement fonctionné : ainsi, la construction de silos métalliques au Malawi a permis une meilleure maîtrise des produits, pour le plus grand bienfait de la population. Pour autant, certains craignent que le stockage dans les pays importateurs n’aboutisse à créer des détournements de nourriture, à favoriser la corruption et, finalement, à être voué à l’échec. En outre, la construction de structures de stockage nécessite de bénéficier d’infrastructures suffisantes (ports d’accueil, routes…). Compte tenu des difficultés pour transporter les céréales par exemple, le stockage ne peut, pour certains, que se faire là où s’effectue la production, non là où a lieu la consommation ; or, plusieurs études estiment que 70 % du fret international est accaparé par la Chine ce qui cause des problèmes indirects de transports. Le stockage nécessite donc d’être appréhendé de manière globale, au sein d’un processus beaucoup plus vaste.
En France, on estime qu’il faut accroître les capacités de stockage d’environ 5 millions de tonnes pour les céréales (les capacités actuelles étant
de 50 millions de tonnes, le stockage à la ferme représentant environ 20 millions de tonnes). Un tel développement est tout à fait envisageable car, au-delà de l’enjeu stratégique que cela représente, la France a le double avantage de bénéficier d’un grand nombre de ports et d’une réelle proximité entre centres de cultures et ports, ce qui n’est par exemple pas le cas des États-Unis.
Vos rapporteurs estiment néanmoins que la France doit réétudier la réglementation applicable à la construction de silos. Les silos présentent des dangers d’incendie et d’explosion, ce qui justifie que leurs conditions d’exploitation et de construction soient strictement encadrées. Relevant de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, les silos voient leur création et leur exploitation soumises à autorisation préalable lorsque la capacité totale de stockage est supérieure à 15 000 m3, ou à déclaration préalable lorsque le volume total de stockage est supérieur à 5 000 m3 mais inférieur ou égal à 15 000 m3. Les conditions d’exploitation des silos soumis à autorisation sont actuellement fixées par un arrêté du 29 mars 2004 relatif à la prévention des risques présentés par les silos de céréales, de grains, de produits alimentaires ou de tout autre produit organique dégageant des poussières inflammables, lequel précise les caractéristiques minimales des mesures et équipements de sécurité devant être mis en œuvre dans les silos afin de limiter la probabilité d’occurrence d’une explosion ou d’un incendie. De manière similaire, l’arrêté du 28 décembre 2007, applicable aux silos soumis à déclaration, fixe des prescriptions en matière de limitation des odeurs et impose des obligations en matière d’équipements et dispositifs de sécurité. Ainsi, les silos ne peuvent être construits à proximité immédiate des habitations, des immeubles de grande hauteur, des établissements recevant du public, de certains axes routiers et voies ferrées. Les distances d’éloignement diffèrent selon que le silo relève du régime de l’autorisation ou de celui de la déclaration. Bien que cette réglementation soit sans nul doute nécessaire en vue notamment de protéger les populations de tout dommage, un réexamen des règles applicables peut s’avérer utile puisque la construction d’un silo prend actuellement trois ans en France alors que six mois semblent normalement suffire.
Une fois les capacités de stockage déterminées, il convient de déterminer les modalités d’utilisation des produits stockés. Ainsi, la question cruciale qui se pose, et à laquelle il ne peut être répondu que dans un cadre supranational, consiste à savoir quand il apparaîtra opportun de déstocker ? Là réside la principale difficulté car, si la constitution de stocks s’avère fondamentale au plan international, la connaissance que l’on a de l’état exact des stocks existants s’avère actuellement très imparfaite ; de fait, l’opportunité de puiser dans ces stocks reste à déterminer et son efficacité peut finalement ne pas être avérée. Une solution pourrait consister, dans un souci de transparence qui protègerait également les stratégies commerciales, de confier à un organisme international indépendant les informations relatives aux stocks existants dans chaque pays, à charge pour lui de prendre la décision de vendre pour relâcher les tensions sur les marchés. C’est en tout cas la voie vers laquelle se sont engagés les ministres de l’agriculture des pays membres du G 20 lorsqu’ils ont créé, lors de leur réunion des 22 et 23 juin 2011, l’AMIS (Agricultural Market Information System ou Système d’information sur les Marchés Agricoles), auquel devraient participer plusieurs acteurs privés afin notamment de lui confier des données importantes sur les stocks pouvant être détenus à travers le monde.
6. Les modalités de la prévention des abus de marché sur les transactions de matières premières
a) La régulation des marchés à terme de matières premières n’a de sens qu’au niveau mondial
Les travaux de la mission d’information ont mis en lumière la difficulté de parvenir à un consensus sur les modalités de la réforme des marchés de matières premières. Comme l’indique la direction générale du Trésor, les principales réticences à la réforme des marchés financiers proviennent des États européens. Le Royaume-Uni, en particulier, est partisan de laisser les marchés appliquer eux-mêmes les mesures qui correspondent le mieux à leurs besoins et l’Allemagne ne semble pas non plus favorable aux limites de position.
M. Philippe Mongars, évoquant également la question des limites de position, indique que « la France a une position isolée sur cette question. Il n’y a guère que nous qui y sommes favorables. La Commission, la Banque centrale européenne et l’Allemagne n’expriment pas d’enthousiasme particulier en la matière. Les Anglais y sont strictement opposés et les pays émergents sont également contre, pour la plupart d’entre eux. Les Américains sont les seuls à avoir une politique active de limites de positions sur le marché organisé, à la main de la CFTC. Il est donc difficile de faire avancer cette proposition dans les discussions internationales, qu’il s’agisse du G20 ou du Conseil de stabilité financière. »
La mise en œuvre de la réforme sera d’autant plus délicate qu’il faut parvenir à l’application la plus large possible des règles proposées, afin d’éviter tout risque d’arbitrage réglementaire. Il convient en particulier d’inclure le Royaume-Uni et la Suisse dans le cadre de régulation. De nombreux États et acteurs financiers sont en effet inquiets à l’idée d’une fuite de capitaux vers des places de marché moins régulées, notamment en Asie. Les craintes concernent notamment les marchés à terme chinois, même si l’on peut estimer que leur degré d’opacité et les barrières à l’entrée constituent pour l’heure des facteurs relativement dissuasifs.
Il apparaît dès lors primordial d’identifier la structure qui, au niveau international, pourra faire progresser la réforme en veillant à l’application des décisions prises par le G20. Comme l’illustre l’encadré ci-après, les organisations compétentes diffèrent notamment du point de vue de l’autorité attachée à leurs décisions.
Les organisations compétentes en matière de gouvernance financière Au niveau mondial, les trois premiers échelons de la gouvernance financière sont composés de groupes et d’organisations informels par nature. Le G20 se réunit au niveau des chefs d’État. Il définit les grands principes et les priorités de la gouvernance financière mondiale. Le Conseil de la stabilité financière (CSF), remplaçant le Forum de la stabilité financière, décline les décisions du G20 et aiguille, au moyen de rapports et de recommandations, l’action des organisations internationales ou « standards setters internationaux». Les organismes normalisateurs (dits « standard setters »), tels que le Comité de Bâle ou l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), ont pour objet de faciliter la convergence de la régulation et d’améliorer la coopération en matière de supervision. Ils définissent les standards et les méthodologies qui guideront l’action des régulateurs nationaux. Les principes dégagés par le G20, les recommandations du CSF et les standards définis par l’OICV ou le Comité de Bâle n’ont aucune force contraignante. Chaque État ou entité supra-nationale (principalement l’Union européenne), décide de traduire ou non dans sa législation les normes établies par les organismes internationaux. Au niveau européen, la traduction des standards fixés par l’OICV ou le Comité de Bâle s’effectue par l’adoption de règlements et de directives, l’élaboration de mesures techniques revenant à l’Autorité européenne des marchés financiers (European Market Securities Authority – ESMA) qui a remplacé le Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières (CESR) le 1er janvier 2011. Au plan national, l’AMF, qui a pour missions de veiller à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers, à l’information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers a le pouvoir d’adopter, pour exécuter ces missions, des règles qui sont contenues dans un règlement général après homologation par arrêté du ministre chargé de l’Économie. Source : AMF, Quelles priorités pour les marchés financiers ? - mars 2011 |
La dimension hétérogène des marchés de matières premières, qui concernent tant les opérations physiques que les contrats à terme, ne permet pas de confier cette tache globale de surveillance à un régulateur exclusivement financier. Le G20, qui assure naturellement l’impulsion politique de cette démarche, doit être assisté d’un organe disposant d’une autorité suffisante pour préparer ses décisions et en assurer la mise en œuvre dans les délais fixés. En l’état actuel, le Conseil de la stabilité financière paraît être la structure la plus à même d’assumer une telle mission. Cela suppose toutefois qu’il en soit chargé officiellement par le G20.
Vos rapporteurs estiment donc qu’il convient de missionner le Conseil de stabilité financière pour coordonner l’action de régulation sur les marchés de matières premières, y compris en ce qui concerne le niveau d’information à mettre en œuvre sur le marché physique (proposition n° 24).
b) L’instauration de limites de position doit être accompagnée de modalités d’application garantissant son efficacité
La piste de travail privilégiée par les instances internationales, notamment au sein du G20, consiste en l’instauration de limites de positions, sur le modèle des mesures prises par la CFTC.
À ce sujet, la mission d’information a recueilli des avis partagés, tant sur la classification des intervenants en fonction de l’objet de leur présence sur le marché que de l’intérêt des limites de position elles-mêmes.
Sur le premier point, la segmentation rigide entre les investisseurs traditionnels, considérés comme des agents hostiles au risque et les investisseurs non traditionnels, considérés comme des preneurs de risques ou des spéculateurs, n’apparaît pas pertinente. En effet, plusieurs études ont montré que de nombreux opérateurs traditionnels se livraient à des activités spéculatives (101) et que de nombreux investisseurs non traditionnels procédaient à des ventes à découvert par anticipation d’une baisse future des prix d’équilibre (102). Ainsi, sur le marché pétrolier, certains acteurs purement financiers n’ont pas hésité à se doter de capacités physiques de stockage à terre, ou même en mer lorsque les taux d’affrètement étaient bas. À l’inverse, certains grands négociants sur le « physique » prennent des positions sur les marchés dérivés allant bien au-delà de la seule couverture de leurs besoins au titre de la gestion des risques.
La classification des acteurs du marché par la cftc
La CFTC classe les intervenants sur les marchés financiers en fonction de leurs motivations. Depuis août 2009, elle répartit les opérateurs en quatre catégories : les commerciaux (producteurs, gros consommateurs...), les « money managers » (hedge funds, fonds de pensions, ETF ...), les swap dealers et les autres intervenants.
• Les « swap dealers » sont le plus souvent des banques d’investissement qui se posent comme contrepartie, sur les marchés de gré à gré, à des entreprises commerciales (compagnies aériennes, par exemple) cherchant à couvrir leur exposition au pétrole « physique » ou encore à des investisseurs financiers (spéculateurs) prenant une position directionnelle, généralement longue, sur toutes les échéances de la courbe des contrats à terme. Ces banques couvrent elles-mêmes leur position, soit auprès d’intervenants « commerciaux » traitant des produits pétroliers physiques (un producteur de pétrole indépendant par exemple ou un négociant prêt à prendre une position « papier courte »), soit auprès d’autres investisseurs financiers (des hedge funds), et, pour le solde, sur les marchés organisés pour les échéances les plus proches qui offrent la plus grande liquidité. Ceci explique que la CFTC avait admis que les swap dealers soient considérés comme des intervenants « commerciaux » et dès lors soient exemptés des limites de transactions sur les marchés organisés. Toutefois, la classification de la CFTC étant évolutive, ils sont à présent considérés comme des intervenants financiers.
• Sur les marchés organisés du pétrole aux États-Unis, selon les données de la CFTC, la catégorie des agents non commerciaux a connu une augmentation beaucoup plus forte de son activité que la catégorie traditionnelle des agents commerciaux : les premiers représentaient en 2008 plus de 50 % des positions ouvertes sur les marchés à terme du pétrole (103), contre 20 % avant 2002. Si l’on agrège les « swap dealers » aux hedge funds et aux floor brokers/traders, qui sont typiquement des agents non commerciaux, cette proportion dépasse aujourd’hui 80 %.
• En outre, le rôle stabilisateur des arbitragistes et plus généralement des acteurs commerciaux ayant accès au « physique » se trouve limité par leur capacité à financer, non seulement l’achat du pétrole sur le marché au comptant, mais également les appels de marge du NYMEX et de l’ICE sur les contrats à terme. On peut ainsi penser que le pic atteint par le cours du pétrole brut en juillet 2008 est, en partie, dû aux contraintes de bilan de ces opérateurs, qui ne pouvaient plus se porter contrepartie des investisseurs financiers désireux de détenir des positions longues (une situation analogue a été observée sur le marché du coton en janvier 2010). Un phénomène identique a pu être observé en 2009, les capacités de stockage nouvelles, notamment en mer, ayant permis d’en limiter les effets.
S’agissant de la justification de la mesure proprement dite, les avis recueillis par la mission d’information sont également partagés, même si ses interlocuteurs ont majoritairement reconnu l’intérêt de cette proposition.
MM. Gavin Hill et Jon Farrimond, spécialistes des infrastructures des marchés à la Financial Services Authority (FSA) ont précisé devant la mission d’information le point de vue de l’autorité de régulation britannique, qui est, selon eux, souvent mal retranscrit dans le débat public. La FSA considère que les limites de position peuvent être un instrument utile pour faire face au risque d’abus de marché, en particulier à l’arrivée à maturité d’un contrat. Mais un suivi régulier des positions à tout instant de la vie d’un contrat leur paraît préférable à des limites de position fermes dans les derniers jours d’un contrat. Par ailleurs, la FSA relativise les différences d’approche avec ses homologues américains (SEC et CFTC), en mettant notamment en valeur la qualité du dialogue bilatéral. MM. Brian Bender, président du London Metal Exchange et David Peniket, président de l’Intercontinental Exchange (ICE) Futures Europe, nous ont indiqué que les limites de position présentaient une utilité sur des marchés étroits où l’offre est limitée.
De manière générale, les autorités britanniques sont réservées quant à l’utilisation des limites de positions, mais ne souhaitent pas que cette option soit pour autant écartée définitivement de la réflexion.
De la même façon, MM. Didier Houssin, directeur chargé du marché pétrolier à l’Agence internationale de l’énergie (AIE) et Bahattin Buyuksahin, économiste, nous ont indiqué très nettement que l’AIE n’était pas favorable à l’établissement de limites de position. En effet, à leurs yeux, cette mesure favoriserait l’arbitrage au profit des places de marché les moins régulées. Ce faisant, les marchés régulés seraient privés d’une certaine quantité d’information, ce qui réduirait in fine leur degré de transparence. Les limitations de positions risquent par ailleurs, selon l’AIE, de faire décroître la liquidité des marchés ce qui aura pour effet de renchérir le coût de la couverture pour les utilisateurs finaux. Si l’instauration de limites de positions était retenue, l’AIE insiste sur le fait qu’elles devront être appliquées de manière coordonnée et égalitaire entre les différentes places de marché.
De fait, la plupart des personnes auditionnées par la mission d’information ont insisté sur la nécessité d’une coordination internationale, sous peine de rendre la mesure inefficace. Ainsi, Mme Delphine Lautier a estimé que les limites de position devaient être appliquées avec beaucoup de précaution. En effet, de nombreuses opérations qui étaient auparavant réalisées aux États-Unis se sont détournées vers les marchés européen et asiatique. Mme Lautier suggère en conséquence de « laisser les chambres de compensation, qui connaissent bien mieux leur marché que les autorités de régulation, fixer les modalités précises d’application des limites de position. » M. Philippe Mongars insiste également sur le fait que ces limites doivent s’appliquer de manière uniforme aux différentes places de marché afin d’éviter la fuite des capitaux vers les plates-formes de négociation offshore.
Le principe des limites de position a par ailleurs reçu un accueil très favorable d’autres personnes que nous avons auditionnées, en particulier MM. Jean-Marie Chevalier et Vincent Chriqui. M. Mongars, pour sa part, estime que les limites de position américaines comme la gestion des positions pratiquée au Royaume-Uni permettent in fine l’une et l’autre d’empêcher avec la même efficacité, dans la plupart des cas, la formation de positions dominantes sur les marchés organisés, ce qui constitue bien leur principal objectif.
Il est à noter, de surcroît, que les ministres des Finances du G20, réunis à Washington les 14 et 15 avril 2011, ont mentionné pour la première fois la possibilité d’imposer, « en tant que de besoin » des limites de position. Jusque-là, le Royaume-Uni s’y refusait catégoriquement.
Un cas récent de manipulation de marché a par ailleurs mis en lumière l’intérêt que pourrait avoir cette mesure. En effet, la CFTC a déposé une plainte en mai 2011 contre trois sociétés spécialisées dans l’activité pétrolière pour manipulation du marché des produits à terme sur le pétrole WTI au cours de l’année 2008. Ces sociétés ont acquis sur le NYMEX new yorkais et l’ICE Futures londonien une quantité importante de contrats à terme sur les marchés physiques du WTI. Puis ils ont maintenu leur position dominante afin de laisser penser au marché que l’offre physique résiduelle demeurait très limitée, et de faire ainsi grimper les cours. La manipulation a duré jusqu’à ce que la CFTC demande des informations complémentaires, en avril 2008. Ces opérations spéculatives auraient permis de réaliser un profit de 35 millions de dollars, mais les intéressés risquent une amende pouvant atteindre le triple du gain réalisé.
Malgré l’existence de limites de position sur les marchés de produits à terme NYMEX et ICE Futures Europe (104), la manipulation a été possible car le stock physique réellement livrable représentait un faible montant au regard des limites de position sur produits à terme fixées par les marchés. À cet égard, les propositions formulées par la CFTC en matière de limites de position n’auraient pu empêcher la manipulation mais l’auraient considérablement limitée. En effet, elles auraient rendu possible la mise en regard de l’ensemble des limites de position applicables aux estimations de stocks livrables. Dès lors, les spéculateurs n’auraient pas pu acheter plus de 25 % de l’estimation faite des produits à livraison physique à courte échéance, alors qu’ils ont acquis 80 à 90 % du stock. De surcroît, l’effet de levier de leur « investissement » aurait été limité à 25 % du stock livrable, alors qu’il a atteint 200 %. L’opération aurait présenté un intérêt financier bien moindre.
Vos rapporteurs estiment nécessaire de conférer le pouvoir aux régulateurs de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières (organisés et de gré à gré) (proposition n° 25).
Toutefois, les modalités d’application de cette mesure doivent garantir un équilibre entre la prévention des abus de marché et le maintien d’une liquidité suffisante. En effet, les marchés de matières présentent des caractéristiques très hétérogènes : tandis que les marchés agricoles bénéficient d’un niveau élevé de transactions, ceux du gaz et de l’électricité nécessitent un surcroît de liquidité.
En premier lieu, une réflexion doit être engagée, sous l’égide du Conseil de stabilité financière ou, à défaut, de l’Organisation internationale des commissions de valeurs, sur la nature des limites à imposer. Trois catégories de mesures sont en effet envisageables : les limites de position stricto sensu, qui déterminent le nombre maximal de contrats de même catégorie qu’un même opérateur peut détenir ; la limite d’emprise de marché qui, par rapport au volume constaté sur le marché de façon évolutive, détermine le pourcentage maximal de contrats de même catégorie qu’un même opérateur peut détenir ; et la limite d’exposition, qui permet de déterminer le risque maximal que peut prendre un même opérateur sur des contrats de même catégorie en considérant les actifs sous-jacents qu’il détient pour satisfaire à ses engagements de livraison.
Pourrait être retenu le mode de calcul proposé par la CFTC dans le cadre de la mise en œuvre de la loi Dodd-Frank, à savoir un pourcentage de l’offre livrable totale, qui diffère selon qu’elle se déroule sous la forme physique ou sous la forme monétaire. Cette offre livrable est estimée par les places de marché.
En tout état de cause, comme l’ont indiqué plusieurs personnes auditionnées, il est particulièrement difficile d’évaluer le niveau de l’exposition maximale. Dès lors, si les limites doivent être harmonisées sur le plan international entre les différentes places de marché, il convient d’introduire une certaine souplesse dans le traitement de chaque cas individuel. Les entités concernées devront rendre compte de leurs positions au régulateur de marché, qui garantira leur confidentialité et pourra les utiliser en cas de doute sur un éventuel abus de marché. Selon Mme Maria-Teresa Fabregas Fernandez, adjointe au chef de l’unité des marchés de valeurs mobilières de la Commission européenne, les discussions à l’échelle européenne s’orienteraient vers une solution de ce type. Par ailleurs, les limites de position devraient faire l’objet d’une appréciation évolutive tout au long de la vie du contrat.
En deuxième lieu, il convient de trouver le bon dosage en termes d’octroi d’exemptions aux teneurs de marché, afin de préserver la liquidité et le bon fonctionnement du marché.
Il faut également veiller à réduire les techniques de contournement de la réglementation. En effet, comme le relève M. Philippe Mongars, « un intervenant ayant atteint la limite de position que lui a fixée l’autorité de marché organisé peut ensuite très bien continuer de contracter sur les marchés de gré à gré en toute légalité, sans que ces expositions ne soient détectées ou comptabilisées par l’organisme régulateur. Une banque peut ainsi demander à un hedge fund d’intervenir sur un marché de gré à gré, qui se couvrira à son tour sur le marché à terme. On n’aura fait en ce cas que déplacer le problème ». Il convient donc de s’assurer que le régulateur disposera des informations suffisantes sur les marchés de gré à gré. À cet égard, l’adoption du règlement sur les infrastructures de marché, dit « EMIR », permettra au régulateur d’obtenir un compte rendu des transactions effectuées sur ces marchés.
L’adaptation du cadre réglementaire européen se réalisera à l’occasion de la révision – en cours – de la directive sur les marchés d’instruments financiers.
Enfin, l’effectivité de cette réforme nécessitera l’existence d’un registre central de données opérationnel, permettant d’identifier aisément les opérateurs. La fixation de limites de position sur les marchés de gré à gré serait à défaut complètement illusoire.
Sous ces conditions, les limitations de position nous paraissent être de nature à réduire la volatilité chronique des marchés de matières premières. L’adoption de cette mesure nous paraît de loin préférable à d’autres propositions plus radicales mais sans doute irréalistes, telles la limitation de l’accès aux marchés des acteurs non commerciaux. En revanche, elle doit nécessairement s’accompagner de mesures favorisant la transparence et la stabilité des marchés de gré à gré.
c) Il convient de prévenir les conflits d’intérêt résultant des activités exercées au sein d’une même société
Parallèlement aux abus de position dominante, qui résultent de « corners » sur les marchés physiques, les abus de marché peuvent revêtir deux formes : l’utilisation d’informations privilégiées et la manipulation de marché.
En premier lieu, il convient d’instituer des dispositions permettant de prévenir les conflits d’intérêts résultant du cumul des fonctions de trader, de broker et de dépositaire. À l’échelle européenne, ces dispositions devraient s’inscrire dans le cadre de la directive sur les abus de marché (proposition n° 26). Toutefois, une telle règle n’ayant de sens que dans un cadre mondial, l’instance la plus adaptée pour coordonner l’application de cette mesure est le Conseil de stabilité financière, qu’il convient de missionner à cet effet.
En second lieu, certains groupes financiers jouent à la fois le rôle d’analyste et de traders sur les marchés. Des conflits d’intérêt évidents peuvent donc apparaître entre les activités exécutées pour compte propre et celles qui sont réalisées au bénéfice de la clientèle. Vos rapporteurs estiment donc nécessaire, dans un premier temps, d’instituer une séparation entre ces deux fonctions sur les marchés de matières premières, ce qui empêcherait la mise en œuvre du « front running » (105) (proposition n° 27).
Une réforme plus ambitieuse serait la séparation totale, qui existe déjà dans certaines banques, entre les activités sur matières premières exécutées pour compte propre et celles réalisées au bénéfice de clients externes, comme l’a proposé le président de la CFTC.
d) Le trading algorithmique et le trading à haute fréquence doivent être encadrés
Les tentatives de manipulation de marché, qui présentent un caractère récurrent sur les marchés de matières premières, impliquent notamment l’émission d’ordres trompeurs sur les intentions de leur émetteur ou la diffusion de fausses informations.
Les manipulations de marché peuvent tirer parti des nouvelles technologies. Comme l’indique M. Jean-Marie Chevalier, directeur du centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières et professeur à l’université de Paris-Dauphine, dans le domaine financier, les grands groupes créent des nouveaux produits à une vitesse telle que les autorités n’ont souvent pas le temps de vérifier leur structure interne de risques. Le régulateur a donc fréquemment un temps de retard sur le monde financier.
On peut citer le cas du trading algorithmique et du trading à haute fréquence (106), qui occupent aujourd’hui un rôle très important dans le secteur des matières premières. Selon M. Christian Hocquard, le trading algorithmique est utilisé en moyenne pour 30 % des ordres. Ce chiffre peut atteindre, selon M. Frédéric Baule, expert de la société Total, 70 % des transactions sur le marché du pétrole.
Ces techniques qui ne prennent que très peu en compte les fondamentaux du marché, renforcent l’opacité des marchés et peuvent donner lieu à des manipulations des carnets d’ordre, qui appellent une surveillance renforcée de la part du régulateur.
L’Autorité européenne des marchés financiers, à l’instar de la Commission européenne, se penchent actuellement sur cette question. L’ensemble de la communauté financière conserve en mémoire l’incident survenu sur le marché d’actions new-yorkais le 6 mai 2010. En effet, l’indice Dow Jones avait perdu 1 000 points, sans raison apparente, en quelques minutes, avant de rebondir dans les mêmes proportions, ce qui a suscité des interrogations sur la responsabilité éventuelle de ces algorithmes agissant au rythme du millionième de seconde.
Si ces techniques paraissent difficiles à interdire, il convient néanmoins de les encadrer strictement. Plusieurs mesures pourraient être mises en œuvre à cet effet : l’obligation de faire payer les ordres annulés (près de 95 % des ordres lancés par les traders de haute fréquence ne sont pas exécutés) ; introduire un pas de cotation107 minimal pour réduire les possibilités d’arbitrage ; imposer un délai de latence entre deux ordres ; fixer un ratio d’ordres journalier maximal. Vos rapporteurs recommandent la réalisation des études techniques permettant de sélectionner les mesures de prévention les plus efficaces (proposition n° 28).
Comme l’indique l’AMF, « pendant de nombreuses années, la faiblesse des montants échangés sur les marchés de matières premières a conduit les régulateurs, à l’exception notable des États-Unis, à concentrer leurs efforts de régulation, de détection et de répression des abus de marché sur les marchés d’actions. Avec l’augmentation des volumes échangés sur les marchés de matières premières, il convient de réviser cette approche et de renforcer les efforts de surveillance de ces marchés. » (108)
e) Une sanction efficace des abus de marché appelle une clarification du concept d’information privilégiée et la prise en compte de formes spécifiques de manipulations
La définition de l’information privilégiée retenue par la directive sur les abus de marché n’est pas pleinement adaptée à la réalité des marchés dérivés de matières premières. Ce texte prévoit une obligation de publication des informations privilégiées pour les seuls émetteurs d’instruments financiers. Or, cette notion est inopérante s’agissant des marchés de matières premières ; en effet, le participant au marché ne peut être considéré comme l’émetteur d’un instrument dérivé. La directive européenne a donc défini l’information privilégiée en tenant compte du cadre spécifique des matières premières (109).
Toutefois, l’European Securities Markets Experts Group, dans un avis du 6 juillet 2007, a indiqué que la définition retenue n’était pas adaptée aux marchés de matières premières. Du fait de l’imprécision du texte, en effet, il n’est pas possible de savoir si les informations relatives au transport, à la production et au négoce des produits dérivés de matières premières relèvent de la catégorie des informations privilégiées. À ce sujet, M. Pierre Chareyre, directeur général de GDF Suez Trading, a rappelé lors de son audition que les acteurs du négoce de gaz en Europe opéraient également les flux commerciaux et étaient donc par nature initiés. L’application de la législation sur les abus de marché les contraindrait, selon M. Chareyre, à communiquer leur stratégie commerciale et d’investissement.
Par ailleurs, la définition retenue ne permet pas de prendre en compte les stratégies visant à provoquer une rareté ou une impression de rareté d’un actif physique. Dans le cas précédemment évoqué d’un corner, un spéculateur achète à terme des volumes importants et acquiert en parallèle des quantités élevées de ce produit sur le marché physique. À l’approche de la date de règlement-livraison des contrats à terme, le spéculateur ne clôture pas sa position, ce qui impose à ses contreparties de livrer les volumes demandés. La rareté du bien, ou l’anticipation de la rareté, conduisent les prix à la hausse, tant sur les marchés au comptant que sur les marchés à terme. Cette stratégie est particulièrement préjudiciable aux entreprises industrielles, qui ont impérativement besoin d’une livraison physique.
Il convient donc, à la faveur de la révision de la législation européenne, d’introduire deux modifications. En premier lieu, la directive sur les abus de marché devra comporter une définition adaptée aux réalités des marchés de matières premières. Elle devra reposer sur quatre critères principaux (110) et éventuellement définir de manière préventive les informations considérées comme privilégiées. Toutefois, la liste précise de ces informations pourrait être élaborée dans le cadre d’une réglementation sectorielle.
En deuxième lieu, la directive devra prévoir explicitement le cas des tentatives de manipulation de marché par une action simultanée sur les marchés physiques et sur les marchés financiers (proposition n° 29), voire même sur plusieurs marchés dérivés de matières premières.
7. La réforme doit s’accompagner d’une sécurisation des transactions réalisées sur les marchés de gré à gré
Les contrats dérivés de gré à gré, souvent à long terme, créent des interconnexions très fortes entre les principales institutions financières. L’existence de cet écheveau complique, en cas de faillite d’une institution, la capacité à couper simplement la « branche morte » du système financier. En effet, chaque contrat a ses conditions particulières de résiliation et de valorisation. Ces incertitudes peuvent conduire à une défiance de l’ensemble des investisseurs envers le système financier, et déclencher des faillites en série par effet domino.
Les régulateurs financiers et la communauté internationale dans son ensemble réfléchissent actuellement à la manière de mieux réguler ces marchés (111).
À cet égard, MM. Damien Grulier, analyste dans le domaine des matières premières chez Exane Derivatives et Guillaume Fouchères, trader au sein de la même société, estiment que « les banques ne sont pas opposées à la mise en place de règles plus strictes visant à améliorer la transparence des marchés de gré à gré. Ce sont uniquement les négociants qui pourraient voir d’un mauvais œil un renforcement des dispositions réglementaires ». Il est vrai que le renforcement de la régulation devrait se traduire par un renchérissement des opérations de couverture. Toutefois, les acteurs commerciaux ont tout à gagner d’une plus grande sûreté des transactions et d’une réduction de la volatilité.
Dans le cadre de la révision de la directive sur les marchés d’instruments financiers, la Commission européenne propose d’introduire l’obligation que tous les produits dérivés compensables et suffisamment liquides soient négociés exclusivement, soit sur des marchés réglementés, soit sur des plateformes d’échanges alternatives ou des marchés organisés. À cet égard, MM. Bruno Bensasson, membre du comité exécutif de GDF Suez et Pierre Chareyre, directeur de GDF Suez Trading, estiment nécessaire d’adapter ces mesures aux spécificités des marchés du gaz et de l’électricité. À leurs yeux, le passage des contrats de gré à gré vers les chambres de compensations « nuirait considérablement à la liquidité des marchés, car la plupart des acteurs se retirerait du négoce de l’énergie ». De surcroît, « elle constituerait un coût important pour des acteurs qui n’ont pas un accès favorisé aux liquidités comme peuvent l’avoir les banques ».
Par ailleurs, l’adoption du règlement EMIR se traduira notamment par l’obligation de compensation centralisée vers des chambres de compensation pour tous les dérivés de gré à gré standardisés. Les conséquences de cette réforme seront majeures. En effet, Mme Delphine Lautier a fait observer à la mission d’information que cette mesure « augmenterait l’activité des chambres de compensation de 50 % à 80 % ». Ces institutions pourraient être sujettes à un risque systémique, et cela d’autant plus que ce sont des groupes privés, dépendants de leurs actionnaires. Il existe en la matière un conflit d’intérêt évident.
Vos rapporteurs estiment donc nécessaire de renforcer la protection et la supervision des chambres de compensation.
À cet effet, l’ensemble de mesures suivant pourrait être adopté.
En premier lieu, il est nécessaire d’assurer une plus grande standardisation des contrats de gré à gré, afin d’autoriser un recours accru à la compensation et à la négociation sur des plateformes d’échanges organisées (proposition n° 30). Cette évolution faciliterait également l’échange d’informations. À l’heure actuelle, les dérivés sur les produits agricoles sont plus standardisés que les contrats sur le pétrole, qui, eux, sont déjà échangés sur des marchés organisés ou compensés à 75 %, selon un sondage réalisé par l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA). Le Brésil semble être un exemple en la matière, puisque, d’après le Conseil de la stabilité financière, 90 % des produits dérivés (toutes classes d’actifs confondues) sont standardisés, échangés sur des marchés organisés et compensés.
L’ISDA et le « G14 (112) », s’emploient actuellement à définir les produits pouvant faire l’objet d’une plus grande standardisation. Il convient, sur la base des différents travaux qui seront menés en la matière, de bâtir, sous l’égide de l’OICV ou du Conseil de stabilité financière, une réglementation internationale déterminant les critères autorisant l’accès à la procédure de compensation. Une optique large devra être privilégiée. Outre le degré de standardisation des produits, d’autres éléments devraient être pris en compte, tels que la disponibilité des prix, la liquidité du marché et le fait que le produit en question soit porteur de risques qui ne peuvent être pris en charge par la chambre de compensation.
En deuxième lieu, la couverture du risque doit être mieux assurée. Les produits qui ne présentent pas un degré de standardisation suffisant et qui ne peuvent donc faire l’objet d’une compensation doivent faire l’objet d’exigences supplémentaires en fonds propres (proposition n° 31). En effet, tous les contrats de gré à gré ne sont pas « standardisables » car leurs sous-jacents ne réunissent pas certaines conditions essentielles, à savoir le caractère homogène, stockable, transportable et aisément livrable. Si cette disposition paraît de nature à sécuriser le fonctionnement du marché, il convient également de tenir compte de la capacité des établissements financiers à proposer des produits sur mesure. Il faut également prendre en considération la nature de l’intervenant ; il est certain qu’une société commerciale fait courir moins de risques au système financier qu’un hedge fund.
En troisième lieu, il est fondamental de superviser les chambres de compensation par les régulateurs nationaux, selon des critères rigoureux, appliqués de manière uniforme sur les principales places de marché. Ces critères doivent être déterminés par les régulateurs financiers, à partir des travaux conduits par l’organisation internationale des commissions de valeurs et la banque des règlements internationaux (proposition n° 32). Le renforcement de l’intégrité des chambres de compensation justifierait que l’accès aux banques centrales leur soit conféré en cas d’insuffisance des appels de marge.
Enfin, pourrait être différencié le dépôt de garantie exigé selon que le contrat fait l’objet d’une compensation centralisée ou d’un simple accord bilatéral. Il s’agit d’inciter les intervenants à recourir aux chambres de compensation lorsque le contrat en remplit les conditions. Toutefois, il faut également garder à l’esprit que certains acteurs commerciaux ont besoin de couvrir des risques spécifiques et sont demandeurs de produits atypiques, par nature non compensables. Un équilibre devra donc être recherché entre ces deux impératifs.
Les pistes de régulation proposées par vos rapporteurs ont pour objet de permettre un fonctionnement efficace et sécurisé des marchés de matières premières et, ce faisant, d’atténuer les tensions qui les frappent. Cependant, il convient de noter que leur mise en œuvre ne conduirait pas pour autant à une disparition totale de la volatilité des cours des matières premières. On sait en effet que celle-ci est en partie issue de la confrontation entre l’offre et la demande, variant au gré des récoltes ou des découvertes de gisement, du volume des investissements, de la croissance mondiale, de la démographie et de divers autres facteurs.
Toutefois, la combinaison de mesures applicables sur les marchés physiques (telles qu’une meilleure diffusion de l’information, la mise en place de stocks régulateurs et la prévention des abus de marché) et de règles destinées aux marchés à terme (en particulier, la transparence des marchés et le renforcement du cadre de régulation) peut contribuer à limiter les excès de la volatilité. À cet égard, deux événements récents attestent la volonté des autorités financières internationales de prévenir les abus de marché. Il s’agit en premier lieu de l’accord auquel sont parvenus les membres du groupe technique de l’OICV, en septembre 2011, d’une part sur l’accès aux informations sur les positions et transactions réalisées sur les marchés financiers et physiques, d’autre part sur la fixation des limites de position - y compris, le cas échéant, a priori -, sur les marchés de gré à gré. Ces propositions ont reçu le 15 octobre 2011 l’aval des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales du G 20. En deuxième lieu, le 18 octobre 2011, sur ce même sujet des limites de position, la CFTC est parvenue à un accord déterminant, qui excède, par son champ d’application, les objectifs de l’OICV. Pour sa part, la Commission européenne a engagé un processus ambitieux de renforcement de la surveillance des marchés de matières premières, illustré par l’accord intervenu entre ministres des finances européens, le 4 octobre 2011, concernant la proposition de règlement sur les infrastructures de marché.
Il appartient désormais au G 20, lors du sommet de Cannes des 3 et 4 novembre prochains, de parachever ce vaste mouvement normatif en définissant un cadre de régulation harmonisé à l’échelle internationale, afin de prévenir tout risque d’arbitrage réglementaire entre les places de marché.
Au cours de sa réunion du mercredi 19 octobre 2011, la commission des affaires économiques a examiné le rapport d’information de Mme Catherine Vautrin et de M. François Loos sur le prix des matières premières.
Monsieur le président Serge Poignant. Mes chers collègues, nous voici réunis pour procéder à l’examen du rapport d’information sur le prix des matières premières, qui conclut les travaux de la mission présidée par notre collègue Pascale Got et dont les rapporteurs sont Catherine Vautrin et François Loos.
Je rappelle que cette mission a été lancée en février dernier afin de participer à la réflexion menée dans le cadre de la présidence française du G20 sur les moyens de remédier à la hausse et à la volatilité des prix des matières premières. En effet, l’envolée des prix des matières premières (notamment énergétiques et agricoles) depuis le milieu de la décennie 2000, et la forte instabilité de leurs cours, sont une source de préoccupations majeures tant pour les pays producteurs que pour les pays consommateurs.
Outre la présidente et les rapporteurs, cinq commissaires composent la mission : MM. Yannick Favennec, Jean-Pierre Nicolas et Francis Saint-Léger pour le groupe UMP, M. Jean-Louis Gagnaire pour le groupe SRC, et M. Daniel Paul pour le groupe GDR.
Arrivée au terme de ses travaux, la mission pourra certainement répondre aux deux séries de questions suivantes : à quels facteurs peut-on attribuer l’instabilité des prix des matières premières ? Quelles solutions peuvent être préconisées pour améliorer le fonctionnement des marchés mondiaux de matières premières ?
Je laisse d’abord la parole à la présidente de la mission, Mme Pascale Got, puis aux co-rapporteurs.
Mme Pascale Got. La mission a conduit environ 90 auditions et a rencontré les plus hauts responsables des grandes places de marché, les principaux régulateurs, les dirigeants de grandes entreprises mondiales productrices et consommatrices (comme Rio Tinto, Rhodia, Eramet, Nexans…). Elle a également rencontré les spécialistes des marchés physiques et financiers, des représentants de la Commission européenne de la Banque mondiale, du FMI, de la FAO et de l’Agence internationale de l’énergie. L’angle adopté est international. C’est pourquoi la mission n’a pas traité les moyens d’atténuer les effets des fluctuations de prix sur l’économie nationale. Elle n’a pas non plus développé les questions liées à l’approvisionnement en matières premières, dans la mesure où la commission du développement durable présentera la semaine prochaine un rapport consacré à ce sujet.
Quelle est la situation actuelle sur les marchés de matières premières ? Au cours de la décennie 2000, les principales matières premières ont toutes connu une hausse importante des cours, qui s’est conjuguée à une très forte volatilité, à la hausse comme à la baisse.
Ainsi, le prix du baril de Brent de la mer du Nord a été multiplié par 7 entre 2000 et 2008 pour atteindre actuellement 110 dollars ; de même, le prix du gaz naturel a augmenté de près de 80 % sur le seul marché américain entre septembre 2007 et juin 2008, avant de connaître une forte baisse par la suite. Il en est allé de même pour les matières premières agricoles : ainsi, le cours du blé a fortement augmenté, de même que celui du maïs (la tonne étant passée de 155 euros en octobre 2006 à plus de 238 euros la tonne en juillet 2011) ou celui du coton. Citons également le cours de l’aluminium, qui est passé de 1 500 dollars au début de l’année 1998 à un peu plus de 2 500 dollars à la mi-2011
Au cours de la période 2008-2011, les cours des matières premières ont baissé trois fois plus vite que lors d’un cycle moyen, en quatre fois moins de temps que d’habitude. Trois facteurs d’explication peuvent être avancés à cette évolution : le redressement plus vif que prévu de la demande mondiale ; la demande croissante des pays émergents, notamment de l’Asie, en produits de base ; la plus grande synchronisation des cours des matières premières avec les mouvements des marchés boursiers. Selon le FMI, ce phénomène s’explique principalement par le fait que l’ensemble des marchés présente une plus grande sensibilité à l’évolution économique générale.
Les explications à ces phénomènes sont en premier lieu d’ordre conjoncturel. Il s’agit notamment des phénomènes météorologiques, qui ont joué un rôle particulièrement important s’agissant des matières premières agricoles, qu’il s’agisse de la sécheresse en Russie, des inondations en Australie et aux États-Unis, les pluies au Pakistan et bien entendu l’accident nucléaire de Fukushima, qui a poussé certaines matières premières fossiles à la hausse.
Les raisons géopolitiques concernent plus particulièrement le pétrole, qui est produit à 90 % dans des pays présentant un risque politique – les troubles récents au Maghreb ont d’ailleurs fortement perturbé le marché – et qui est de surcroît soumis aux arbitrages de l’OPEP. Les matières premières agricoles sont également concernées, qu’il s’agisse du blé – la décision russe d’arrêter les exportations de céréales à l’été 2010 ayant entraîné une hausse des cours – ou du cacao. Enfin, le marché des terres rares a été concerné au premier chef par le différend territorial ayant opposé la Chine au Japon en octobre 2010.
Des tendances de fond exercent également une influence déterminante sur les cours des matières premières, à commencer par la demande croissante de la Chine et des autres pays émergents. On peut citer également l’insuffisance de l’offre, due aux sous-investissements, qui crée des tensions en particulier sur les marchés énergétiques. Enfin, l’opacité des marchés physiques entraîne des fluctuations de prix disproportionnées sur les marchés financiers.
La financiarisation croissante des marchés de matières premières rend nécessaire l’adoption de mesures de régulation. C’est l’objet du présent rapport, qui doit contribuer à nourrir la réflexion du G 20.
Les marchés dérivés de matières premières présentent plusieurs caractéristiques majeures. En premier lieu, ce sont des marchés de plus en plus concentrés ; on constate notamment l’importance des bourses chinoises comme Dalian, Shanghai et Zhengzhou, qui sont de plus en plus influentes. En deuxième lieu, depuis le milieu de la décennie 2000, les acteurs financiers investissent de manière croissante dans les matières premières. Elles sont devenues de ce fait une classe d’actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations. En troisième lieu, les montants engagés sur les marchés dérivés de matières premières représentent néanmoins une faible part des transactions globales de produits dérivés : moins de 2 % de l’ensemble des contrats, même lors du pic de 2008. Enfin, depuis 2005, on constate un accroissement significatif des investissements sur les marchés de gré à gré, qui sont beaucoup plus opaques que les marchés organisés.
S’agissant du débat sur le rôle de la spéculation, nous n’avons pas trouvé d’études qui aient voulu – j’emploie ce mot à dessein –, démontrer un lien de causalité entre l’activité sur les marchés à terme et l’évolution des prix au comptant. Nos interlocuteurs ont souvent insisté sur le fait que les spéculateurs présentent une utilité, car ils assurent une contrepartie à l’activité de couverture des acteurs commerciaux, et qu’ils ont un temps de retard sur les prix. En revanche, un quasi-consensus existe pour reconnaître que la spéculation amplifie les déséquilibres résultant de l’économie réelle.
Plusieurs arguments plaident en faveur d’un rôle important de la spéculation dans les évolutions de prix : on estime par exemple que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n’est pas Aramco mais une société financière privée, en l’occurrence Morgan Stanley. La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre.
Ce qui est certain, c’est que les marchés financiers exercent un rôle essentiel sur la formation des prix des matières premières. En effet, le prix d’un certain nombre d’opérations commerciales est dérivé du prix des contrats à terme, notamment sur le marché pétrolier. On voit également apparaître de nouveaux produits d’investissement qui commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d’investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.
Je vais laisser nos rapporteurs présenter leurs propositions, qui répondent à deux objectifs principaux : apaiser les tensions sur les marchés physiques et prévenir les risques d’instabilité en provenance des marchés financiers. Le G20 devra définir des règles applicables à l’ensemble des marchés de matières premières afin d’éviter la fuite des capitaux vers d’autres places de marché, notamment asiatiques.
Trois mesures en particulier nous paraissent essentielles :
– l’amélioration de l’information sur l’identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent ;
– conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières ;
– sécuriser les transactions réalisées sur les marchés de gré à gré, par le renforcement de la protection et de la supervision des chambres de compensation.
Je rappelle enfin qu’une synthèse des 33 propositions figure à la fin du rapport.
Mme Catherine Vautrin, co-rapporteure. Je tiens tout d’abord à souligner la contribution de Michel Raison qui m'a accompagnée lors des auditions réalisées pour la rédaction de ce rapport, et nous a fait profiter de l'expertise que nous lui connaissons dans ce domaine.
Comme vient d’y faire allusion Pascale Got, la volatilité du cours des matières premières a touché l’ensemble de la sphère économique. Au cœur de ce phénomène, le marché des matières premières agricoles a revêtu une grande importance au cours des mois passés.
On a facilement attribué aux variations des cours les fameuses « émeutes de la faim » qui ont touché aussi bien certains États d’Asie (je pense au Viêtnam) que certains États d’Afrique, notamment au Maghreb ou en Égypte… Il ne faut pas se tromper : la volatilité des cours des matières premières n’est pas la cause de ces émeutes, je pense qu'elle n’en a été au mieux que le déclencheur, les raisons des soulèvements auxquels nous avons assistés sont, avant tout, des raisons d’ordre politique et d’aspiration à davantage de démocratie et de liberté.
Toujours est-il que les variations des prix des matières premières agricoles ont revêtu une importance qu’elles n’avaient pas eue il y a encore quelques années. Cela tient à deux phénomènes :
- le premier, qui est ancien, est la fameuse loi économique de King suivant laquelle une petite évolution de volume entraîne de fortes variations de prix ;
- le second, plus récent et qui est évidemment appelé à prendre de l’ampleur avec le temps, tient à la rapidité de la diffusion des informations qui, combinée avec la perméabilité des marchés, conduit à un impact général des hausses ou des baisses des cours d’une ampleur ignorée jusqu’alors.
En effet, comme nous l’a dit, lors d’une audition l’économiste Lucien Bourgeois, le monde doit faire face à un défi que l’on peut résumer de la façon suivante : « il faut un an pour faire pousser un grain de blé et il faut manger trois fois par jour »… Ce paradoxe, accru par une augmentation inexorable de la population mondiale (on estime à 9 milliards le nombre d’habitants sur terre en 2050 !), pèse évidemment sur la demande. Mécaniquement, si l’offre ne réagit pas, le déséquilibre ou les seules tensions qui peuvent exister sur ce point suffisent à provoquer des hausses de prix extrêmement importantes. Car, avant d’entrer dans le détail, je pense qu’il faut insister, comme l’a fait Mme Pascale Got en introduction, sur un point essentiel rappelée dans toutes nos auditions, par les différents experts : la volatilité des cours des matières premières, et notamment agricoles, a peu à voir avec la spéculation. Même si cette dernière est assez souvent montrée du doigt, elle ne fait qu’amplifier un phénomène qui lui est préexistant. La volatilité des prix des matières premières agricoles tient en premier lieu aux fondamentaux économiques.
Je souhaiterais dans un premier temps rappeler les principales causes de cette volatilité qui, comme vous allez le voir, sont plutôt indépendantes de tout phénomène spéculatif.
En premier lieu, les causes météorologiques ont un impact indéniable sur le cours des matières premières agricoles. Le pré-rapport qui vous a été distribué démontre que dans l’évolution du prix de quelques grandes productions (le blé, le maïs, le coton, le cacao…), les phénomènes climatiques ont toujours joué un rôle majeur. Qu’il s’agisse des grandes sécheresses qui ont affecté l’Europe de l’Est et notamment la Russie à l’été 2010 (poussant à la hausse les cours du blé), des inondations qui ont touché l’Inde et le Pakistan en 2010 et qui ont fortement obéré la production mondiale de coton, des cyclones et des inondations qui ont balayé l’Australie, empêchant là aussi les récoltes de blé et de maïs, la météorologie a une importance évidente dans les variations de prix que nous connaissons actuellement.
Deuxième grande source de la volatilité actuelle, les changements de comportements au plan mondial. On peut en distinguer deux principaux :
– la demande des matières premières agricoles est inélastique car ce sont bien souvent des biens de première nécessité dont la hausse va être continue en raison de l’augmentation de la population mondiale, et des progrès de développement qui entraînent des changements de comportements alimentaires. La hausse du niveau de vie pousse à une forte augmentation de consommation de produits carnés ce qui, fort logiquement, entraîne une demande accrue de besoins de maïs et de soja pour nourrir les animaux ; or, si les prix augmentent à l’avenir, la demande ne va pas baisser pour autant et, face à des stocks fluctuants, les prix seront amenés à varier ;
– autre changement de comportement, ce sont les préoccupations environnementales. Celles-ci poussent notamment à un développement des énergies alternatives au détriment des énergies fossiles, M. François Loos en parlera mieux que moi, et notamment en ce qui concerne le pétrole. Dans ce cadre, le développement du bioéthanol a conduit les États-Unis à affecter près de 40 % de leur production de maïs à la fabrication de bioéthanol, autant de production qui ne sert pas à l’alimentation humaine. Sachez que, si l’on excepte le riz, sur 1730 millions de tonnes de céréales produites au niveau mondial, 293 millions de tonnes sont utilisées à des fins industrielles soit le 1/6ème ! Même s’il faut relativiser l’impact de cette évolution sur la volatilité des prix agricoles (car, dans le même temps, les rendements ont augmenté, de même que l’étendue des surfaces cultivées), elle doit être présente à l’esprit.
Même si cette nouvelle finalité de certains produits agricoles, en particulier de céréales, peut pousser les prix à la hausse, vos rapporteurs souhaitent relativiser certaines critiques adressées à cette nouvelle fonction. D’une part, le développement des agrocarburants est essentiel non seulement pour pallier le manque d’énergies fossiles à l’avenir, mais aussi pour préserver au mieux l’environnement et pour permettre aux pays en voie de développement d’assurer en partie leur indépendance énergétique. D’autre part, ce qui importe, ce sont moins les niveaux de production des agrocarburants que la manière dont ils sont fabriqués. À cet égard, il convient de développer les recherches sur les biocarburants de deuxième génération c’est-à-dire issus non de ressources alimentaires mais de produits ligno-cellulosiques (bois, feuilles, déchets végétaux…) qui, au surplus, utilisent des techniques de production non polluantes (préservant la couche d’ozone…). Enfin, il importe de préciser que le détournement de production de céréales au profit des agrocarburants ne doit pas être appréhendé de manière purement arithmétique. En effet, même si près de 40 % de la production de maïs américain est utilisée pour les biocarburants, les rendements ont, dans le même temps, considérablement augmenté sous le double effet d’une meilleure productivité et d’une extension de la surface des terres cultivées. Ainsi, on estime que les États-Unis produisent actuellement environ trois milliards de boisseaux de plus qu’il y a cinq ans, compensant ainsi en grande partie le « détournement » constaté.
En troisième lieu, certaines variations de cours de matières premières agricoles sont dues à des décisions purement politiques, certaines étant d’ailleurs prises à la suite de difficultés climatiques. Ainsi, lorsque, le 5 août 2010, M. Vladimir Poutine, premier ministre russe, décida de fermer les frontières de son pays et de suspendre toute exportation de céréales (principalement de blé) entre le 15 août et le 31 décembre 2010, cela a immédiatement entraîné une augmentation de 60 cents le boisseau de blé sur le marché de Chicago. Le rôle du politique n’est pas nouveau dans l'évolution, volontaire ou non, des prix agricoles mais celle-ci a récemment eu des conséquences importantes : on peut également citer l’exemple de la Chine sur le marché du riz ou les conséquences qu’ont eues les luttes en Côte d’Ivoire sur le cours du cacao.
Quatrième grande cause de la volatilité des prix agricoles, et il ne faut pas s’en cacher, ce sont les décisions d’ordre économique qui ont pu être prises au fil des dernières années :
– l’attitude de l’OMC (organisation mondiale du commerce) qui consiste à vouloir libéraliser la plupart des marchés au plan mondial a indéniablement contribué à favoriser la volatilité des prix agricoles. L’impact de ses décisions est d’autant plus fort que, si l’on prend en considération le seul marché des céréales, les échanges internationaux sont peu importants au regard des volumes de production ;
– si l’on prend en considération cette fois-ci la situation française, reconnaissons également que la libéralisation des marchés prise dans le cadre de la politique agricole commune a eu un impact indéniable au niveau de l’Union européenne mais également au-delà. La disparition d’instruments de stabilisation, des prix d’intervention, des prix de seuil et de certains autres instruments de régulation ont eu pour effet, pour reprendre là aussi l’expression que nous avons entendue lors de certaines auditions, d’« importer de la volatilité », celle-ci étant désormais devenue structurelle.
La volatilité des prix des matières premières agricoles tient également à de pures stratégies financières, la volatilité étant même un objet de transactions à part entière, à la création de « fonds indiciels » où les prix de différentes matières premières sont liés de telle sorte que la variation de l’une d’entre elles conduit inévitablement à faire bouger les autres, aux variations de change, la parité dollar / euro pouvant par exemple avoir de fortes conséquences sur les cours…
Une fois ce constat effectué, que faut-il faire ?
Les efforts pour assurer une stabilité des prix des matières premières, notamment agricoles, ne sont pas nouveaux. J’évoquerai ici les travaux précurseurs de l’économiste argentin Raùl Prebisch qui, en sa qualité de premier secrétaire général de la CNUCED était particulièrement attaché à l’aide aux pays en voie de développement, avait pointé dès le début des années 1960 les dégâts irrémédiables qu’une volatilité trop importante des cours des matières premières (volatilité à la hausse comme à la baisse d’ailleurs) faisait courir aux États. J’évoquerai également les travaux encore plus anciens de Mordecai Ezekiel qui, dans un article fondateur publié en 1938, avait pour sa part légitimé les mesures temporaires suspendant la concurrence comme les subventions, les quotas ou l’instauration de droits de douane si l’on souhaitait véritablement lutter contre les trop fortes fluctuations de prix.
Vos rapporteurs ne souhaitent naturellement pas en arriver à de nouvelles formes de protectionnisme mais des solutions doivent être trouvées afin de réduire cette volatilité qui, à court et à long terme, empêchent les investissements et mettent en danger les approvisionnements alimentaires.
La première voie vers laquelle il convient de s’engager est celle du stockage. Le fait de constituer des stocks stratégiques de blé, de maïs ou de sucre peut permettre, lorsque les tensions sont trop fortes au niveau de la demande, de relâcher ces tensions sur le marché en répondant plus efficacement à l’offre existante. Cette idée, qui a également été avancée par le G 20 agricole lorsqu’il s’est tenu à Paris au mois de juin dernier, présente un caractère quelque peu novateur en France où la logique du « zéro stock » a longtemps été la règle, la baisse des prix n’incitant pas à stocker mais au contraire à vendre dans l’immédiat afin de réduire au maximum d’éventuelles pertes futures. Aujourd’hui, chacun convient qu’il faudrait accroître les capacités de stockage en France d’environ 5 millions de tonnes notamment pour les céréales (les capacités actuelles étant de 50 millions de tonnes). A cet égard, nous pensons qu’il faut revoir la réglementation sur les silos de stockage qui, tout en veillant à la sécurité des populations environnantes, doit probablement être revue afin de construire des stocks plus facilement et plus rapidement mobilisables en cas de besoin. Il convient d'avoir une vraie réflexion sur ce sujet car la construction d’un silo de 10 000 tonnes coûte environ 15 millions d’euros et s’amortit sur une vingtaine d’années : le processus est donc relativement long. Au plan international, le stockage doit être partagé entre pays producteurs et pays importateurs ; si on ne doit pas nier les problèmes d’infrastructures, de corruption, de risques de détournement qui peuvent exister dans certains pays en voie de développement, il ne s’agit pas pour autant de faire preuve de néocolonialisme à ce sujet. Une aide technique peut leur être apportée et il paraît tout à fait envisageable de constituer des stocks sur leur territoire, tout en en disposant chez nous pour pallier d’éventuels besoins supplémentaires. Par ailleurs, la nouvelle PAC doit être l'occasion de stabiliser une vraie politique de stockage.
La deuxième voie vers laquelle il faut aller est bien évidemment celle d’une plus grande transparence des marchés. Le développement de chambres de compensation, ainsi qu’une information claire donnée sur les stocks existants au plan mondial (information qui pourrait par exemple être donnée à une agence ou une organisation internationale comme la FAO et qui préserverait ainsi les stratégies commerciales des acteurs étatiques) doivent être poursuivis. De même, si l’on se réfère aux travaux publiés le 15 septembre dernier en conclusion des travaux de l’Organisation Internationale des Commissions de Valeurs (IOSCO) sur la question des marchés de dérivés de matières premières, il serait opportun de réfléchir au renforcement des compétences des autorités de marchés afin d’imposer aux acteurs une plus grande lisibilité des contrats passés sur les marchés de matières premières. C’est vers cette voie que se sont engagés les États-Unis avec le vote de la loi Dodd – Frank de juillet 2010, qui renforce considérablement les pouvoirs de la Réserve Fédérale et des grandes autorités financières américaines. De plus, cette loi a choisi de s’engager résolument dans la régulation des marchés de produits dérivés. Il est prévu que les transactions transiteront à l’avenir via des chambres de compensation spécifiques pour limiter les marchés de gré à gré, les banques étant par ailleurs obligées de filialiser les activités dans les dérivés les plus risquées.
Je dois néanmoins préciser, et Mme Pascale Got comme M. François Loos pourront également en témoigner, que, lors de nos entretiens aux États-Unis, beaucoup de nos interlocuteurs doutent de l’effectivité de cette loi, de nombreuses mesures réglementaires restant encore à prendre et s’avérant relativement coûteuses. Pour autant que ces principes ont été définis et c’est sans nul doute la direction dans laquelle il faut aller. Le G 20 a d’ailleurs insisté pour qu’il y ait une forte coordination entre les parties prenantes, notamment les États-Unis et l’Union européenne, sur ces sujets.
Il faut également réfléchir aux moyens de renforcer les instruments de couverture afin de mieux protéger les populations, notamment dans les pays en voie de développement, contre les effets de la volatilité des cours. Cela passe par l’exploration de nouveaux mécanismes assurantiels, par de nouveaux instruments financiers qui doivent permettre de bénéficier d’une plus grande sécurité en termes d’approvisionnements.
Enfin, mais c’est une piste qui, comme les autres, devra être discutée avec nos partenaires, il ne faut pas exclure d’encadrer l’évolution des cours de certaines matières premières en établissant une sorte de corridor dans lequel le cours pourrait librement varier, une intervention pouvant éventuellement être requise si le cours doit être au-delà ou en deçà. C’est une idée que nous avons entendue lors des auditions : elle mérite qu’on s’y arrête. Une meilleure organisation des filières agricoles, par type de production, doit également s’envisager de façon à leur permettre de limiter à leur niveau l’impact de la volatilité des cours.
Voilà, Monsieur le président, mes chers collègues, ce que je souhaitais dire sur la partie agricole de notre rapport. Comme vous le voyez, beaucoup reste à faire mais ce ne sont pas les pistes qui manquent. Les conclusions du sommet du G 20 qui doit se tenir à Cannes au début du mois de novembre sont attendues compte tenu notamment des impératifs en termes de sécurité alimentaire, qui font d’ailleurs partie des priorités du G 20 (je rappelle à ce titre l’initiative prise par le Président de la République en juin 2008 lorsqu’il a lancé son « Partenariat mondial pour l’agriculture, la sécurité alimentaire et la nutrition »), on ne peut plus attendre trop longtemps. Il faut agir.
M. Président Serge Poignant : Je vous remercie, Madame la rapporteure, pour cette présentation d’une actualité brûlante, j’en veux pour preuve la décision importante prise la nuit dernière par la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) d’instituer des limites de position sur les marchés dérivés de matières premières. Je passe maintenant la parole à M. François Loos, co-rapporteur.
M. François Loos, co-rapporteur. Comme l’a souligné Mme Pascale Got, les marchés de matières premières minérales et énergétiques sont suspendus aux aléas de l’économie chinoise. Entre 2002 et 2007, la demande de la Chine, de l’Inde et du Moyen-Orient a été à l’origine de 50 % de l’augmentation de la consommation mondiale de pétrole. On estime que près de 80 % de la croissance de la demande de pétrole sera fournie par l’Asie à l'horizon 2030. Dans le secteur des métaux, la Chine a représenté à elle seule 90 % de l’augmentation de la consommation mondiale de cuivre. La demande chinoise devrait continuer à augmenter jusqu’à ce que ce pays atteigne un taux d’urbanisation de 60 % - sachant qu’il se situe actuellement à un niveau de 50 %.
Cette augmentation de la demande en énergie et en métaux se heurte à une rigidité de l’offre, ce qui entretient une tension permanente sur les prix. Dans le domaine pétrolier, par exemple, l’offre n'excède que très faiblement la demande. Nous ne sommes pas en situation de pénurie, mais il y a une rareté de la ressource, due aux sous investissements, qui devrait conduire, d’ici quatre à cinq ans, à une réelle insuffisance de la production, c’est-à-dire à un écart d’environ un million de barils par jour entre la demande mondiale et les capacités de production.
Quelles conséquences peut-on attendre de cette situation sur le prix du baril ? La stratégie de l’OPEP, – Arabie Saoudite en tête –, consiste à fixer, à travers les quotas, des prix suffisamment élevés pour que les pays non membres de l’OPEP poursuivent l’exploitation de leurs gisements jusqu’à épuisement, mais assez « faibles » pour freiner la recherche de substituts à grande échelle de la part des pays consommateurs, c’est-à-dire ne dépassant pas un seuil de 110 à 120 $ le baril. Par ailleurs, à la fin des années 1990, l’Arabie Saoudite parvenait à équilibrer son budget avec un baril situé entre 15 et 20 $. Ce n’est plus le cas. Même si l’Arabie Saoudite supporte un coût marginal d’extraction très faible, de l’ordre de 15 $ le baril, elle a besoin aujourd’hui d’un cours élevé, de l’ordre de 70 $ à 80 $ le baril.
Ce phénomène d’insuffisance de l’offre produit également des tensions très fortes sur les marchés des métaux. Les pays occidentaux connaissent une situation générale de sous-investissement dans la production minière depuis vingt ans. À cela s’ajoutent la diminution de la productivité de certaines mines et les contraintes environnementales. L’ensemble de ces facteurs devrait conduire, à l'horizon 2015, à une pénurie de l'offre pour la totalité des métaux industriels.
Face à cela, l’Europe a défini en 2008 une stratégie pour améliorer l’accès aux matières premières, et la France comme l’Allemagne ont créé des structures spécialisées dans l’approvisionnement en matières premières. Nous formulons pour notre part plusieurs propositions destinées à améliorer l’approvisionnement de l’Europe, entre autres : mieux faire respecter les règles de l’OMC, conclure des accords avec les pays riches en ressources et élaborer une stratégie concertée entre l’État et les industriels.
Les tensions entre l’offre et la demande sont accentuées par l’opacité des marchés physiques et le manque de régulation de ces marchés. Des efforts importants ont été menés sous l’égide du G20 pour promouvoir la transparence sur le marché pétrolier, mais des progrès substantiels restent à accomplir : nous formulons d’ailleurs plusieurs propositions à ce sujet, en particulier une consolidation et un élargissement de l’initiative sur la transparence des données pétrolières (dite « JODI-Oil »). Pour remédier à l’opacité sur les marchés des métaux, qui apparaît encore plus forte, nous proposons notamment un élargissement des accords internationaux sur les métaux de base ainsi que la supervision des agences d’évaluation des prix.
De plus, les tentatives d’abus de position dominante sont fréquentes sur ces marchés. La plus emblématique est la réalisation d’un « corner », c’est-à-dire l’accaparement d’une partie des stocks mondiaux d’un métal donné ; la manipulation des frères Hunt sur le marché de l’argent entre 1973 et 1980, est restée dans les mémoires. Pour remédier à cette opacité, nous proposons d’instituer des règles de prévention des conflits d’intérêt, de créer – sous certaines conditions – une base de données européenne répertoriant certains contrats physiques et d’étendre les prérogatives du régulateur financier.
La troisième partie du rapport analyse l’impact de la financiarisation des marchés sur les fluctuations de prix et propose un certain nombre de mesures pour réduire le risque d’instabilité. Comme l’a rappelé Mme Pascale Got, une question fondamentale à laquelle nous avons été confrontés a été d’évaluer le rôle de la spéculation, et plus généralement des marchés dérivés, sur les fluctuations des prix.
Je rappellerai deux caractéristiques fondamentales des marchés dérivés de matières premières. En premier lieu, les acteurs financiers ont massivement investi dans les matières premières depuis le milieu des années 2000, à telle enseigne qu’elles sont devenues une classe d’actifs à part entière, au même titre que les actions ou les obligations. En deuxième lieu, la finance occupe une place disproportionnée par rapport aux fondamentaux économiques : le ratio des contrats à terme sur les contrats physiques atteint 35 sur le marché du pétrole, et 32 sur le marché de l’aluminium ! Cela a pour conséquence un parallélisme plus marqué entre, d’une part, les cours des matières premières et les cours des actions, d’autre part entre les cours des matières premières elles-mêmes – en particulier le pétrole et les matières agricoles.
Sur le rôle de la spéculation, deux faits saillants ressortent de nos auditions. Premièrement, aucune étude n’a pu démontrer un lien de causalité entre l’activité sur les marchés à terme et l’évolution des prix physiques. Les financiers que nous avons auditionnés nous ont répété à l’envi qu’ils n’étaient pas à l’origine de la spéculation. Deux arguments ont notamment été avancés par nos interlocuteurs : les spéculateurs présentent une utilité car ils assurent la contrepartie à l’activité de couverture des acteurs commerciaux ; les spéculateurs ont souvent un temps de retard sur les prix.
En revanche, un quasi-consensus s’est formé pour reconnaître aux marchés à terme un rôle d’amplificateur des déséquilibres résultant de l’économie réelle.
Toutefois, si la spéculation n’entraînait pas de hausse des prix, quel serait l’intérêt des sociétés financières à stocker du pétrole et des métaux ? Même s’il faut rester prudent, car les informations disponibles demeurent imprécises, on estime que le premier propriétaire mondial de stocks pétroliers n’est pas Saudi Aramco, Exxon Mobil ou Total, mais une société financière, en l’occurrence Morgan Stanley. Par ailleurs, deux sociétés financières bien connues - Goldman Sachs et JP Morgan - ont racheté une grande partie des 600 entrepôts mondiaux de stockage agréés par le London Metal Exchange (LME). Cela ne répond évidemment pas à des exigences de logistique ! Il s’agit plutôt pour ces sociétés de se procurer des informations de première main sur l’identité des acheteurs et des vendeurs.
La spéculation a incontestablement joué un rôle important dans la hausse du cours du baril de pétrole entre 2000 et 2008. Il en va de même sur le marché du cuivre. En tout état de cause, le rôle des marchés financiers est fondamental car le prix d’un certain nombre d’opérations commerciales, notamment le prix du pétrole physique, est dérivé du prix des contrats à terme.
Par ailleurs, de nouveaux produits financiers commencent à déstabiliser les marchés : ce sont les ETF (Exchange Traded Funds), qui sont des certificats d’investissement qui ont pour contrepartie un stock physique de métaux. Le métal correspondant au certificat de propriété est retiré du marché. A mesure que les investissements s’accroissent, la matière disponible pour l’industrie diminue et les prix augmentent. Les principaux gestionnaires de ces fonds, Goldman Sachs et JP Morgan, créent intentionnellement de la pénurie en retirant le métal du marché.
Ces observations nous ont conduits à proposer un éventail de mesures destinées à améliorer le fonctionnement des marchés, tant sur le plan de l’information que de la régulation. Nos propositions s’organisent autour de deux objectifs. Le premier d’entre eux est d’apaiser les tensions sur les marchés physiques, grâce à trois outils essentiels : l’amélioration de l’approvisionnement de l’Europe en matières premières ; la réduction de l’opacité des marchés physiques ; l’institution d’un minimum de régulation sur ces marchés, notamment en Europe. Le deuxième objectif consiste à prévenir les risques d’instabilité en provenance des marchés financiers, par l’amélioration de l’information relative aux acteurs et aux opérations et à l’extension du champ de la régulation.
Deux mesures en particulier nous paraissent essentielles : l’amélioration de l’information sur l’identité des acteurs intervenant sur les marchés de matières premières et la nature des opérations auxquelles ils se livrent. C’est pourquoi nous proposons d’instituer une obligation de déclaration des opérations réalisées sur les marchés à terme auprès d’un registre central. Cela permettra de distinguer les opérateurs présents pour des motifs de couverture et ceux d’entre eux qui ont des intentions purement spéculatives. La deuxième mesure essentielle consiste à conférer le pouvoir aux régulateurs financiers de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières – organisés et de gré à gré. Comme mes collègues l’ont évoqué, un pas en avant a été accompli dans cette direction hier aux États-Unis. La fixation de règles de la part de l’Union européenne et du G20 est aujourd’hui à l’étude. Mais encore faut-il pouvoir identifier les différents acteurs et fixer précisément les modalités de ces limites de position.
Pour conclure, mes chers collègues, j’insisterai sur le fait que, si l’on veut éviter une fuite de capitaux vers d’autres marchés, notamment asiatiques, il est impératif de définir une stratégie coordonnée à l’échelle internationale. C’est pourquoi, lors du sommet de Cannes, les 3 et 4 novembre prochains, nous préconisons que le G20 missionne le Conseil de stabilité financière pour coordonner l’action de régulation sur l’ensemble des marchés de matières premières.
M. Président Serge Poignant. Merci mes chers collègues. Le rapport que vous nous présentez aujourd’hui est au cœur de l’actualité, comme l’illustre la décision de la CFTC, prise à l’arrachée, mais aussi la récente prise de position du G20. Sa portée va bien au-delà du cadre français. Il s’agit du premier travail réalisé dans cette Assemblée sur ces questions de matières premières ; il restera sûrement une référence. Quant à la stratégie des banques en matière de stockage du pétrole et des métaux, si bien décrite par M. Loos, elle est proprement stupéfiante ! Je laisse maintenant la parole aux représentants des groupes.
M. Michel Raison. Je voudrais, à votre suite, féliciter la présidente et les rapporteurs pour leur travail de grande qualité, qui s’appuie sur l’audition de près de quatre-vingt-dix acteurs influents et de haut niveau dans le domaine de la matière première.
Ce rapport est très politique, au sens noble du terme, et non politicien, car il met bien en valeur le débat qui fait rage entre deux extrêmes : d’un côté les intégristes du marché, de l’autre, de l’autre, ceux qui sont favorables à une régulation étroite. Sur ces sujets, il faut bien avoir en tête l’importance des économistes qui conseillent les instances européennes au plus haut niveau. La très grande majorité d’entre eux, du moins sur les sujets agricoles, font partie du courant des libéraux ; à l’inverse, les économistes régulateurs, dont je partage les idées, sont plutôt minoritaires.
S’agissant de la spéculation, un enseignement important de ce rapport est qu’il reste des incertitudes. En écoutant les deux rapporteurs et la présidente, on prend également conscience du rôle extrêmement différent que joue cette spéculation selon le type de produit. Le marché des matières premières agricoles est finalement le moins influençable. L’autre grande leçon est que les tenants de la démondialisation ont tort, car les échanges mondiaux de la plupart des marchandises, comme les minerais, le pétrole, le gaz, les produits agricoles, ainsi que le bois, que l’on oublie souvent, sont inévitables.
D’autre part, les pays de l’Union européenne doivent s’entendre sur des règles de régulation du marché des matières premières. Si je dis que l’Europe doit être plus puissante en matière de régulation, c’est aussi, pour fortifier son rôle lors des négociations à l’OMC, où elle ne pèse pas de son poids réel dans l’économie mondiale.
Mettre fin à l’opacité des marchés des matières premières est un enjeu de tout premier ordre : comment voulez vous organiser des stocks et réguler des marchés sans avoir connaissance des données de la production et des stocks ? Le manque de transparence est un frein considérable à la régulation.
En revenant à l’agriculture, on a observé, les années passées, la suppression progressive des divers systèmes de régulation. Pourtant, il s’agit bien d’un marché qui a besoin d’être régulé. Sa particularité est de combiner une offre très fluctuante et une demande relativement fixe, ou du moins dont la croissance est prévisible.
Je conclurai en comparant la façon dont on doit réguler l’économie à la façon dont on doit maîtriser la nature. Les intégristes du marché sont aussi nuisibles que les intégristes de la nature. Si vous laissez la nature intacte, l’homme finira pas mourir ; laissez-faire le marché, l’homme mourra aussi. Alors, soyons régulateur et l’homme s’en portera d’autant mieux.
M. Jean Gaubert. Je m’associerai à mes collègues pour saluer la qualité du travail accompli. Ce rapport confirme un certain nombre d’éléments que l’on connaissait mais présente également des nouveautés : par exemple, j’ignorais que Morgan Stanley contrôlait une partie aussi importante du pétrole mondial ! Partout, la finance a pris le pas sur les industriels. Cela ne s’est pas fait dans le sens du progrès tel que nous le concevons ! La main invisible du marché a des conséquences qui ne sont pas toujours invisibles. Ce n’est pas toujours le marché lui-même qui est en cause mais plutôt la façon dont on le manipule. Par ailleurs, il convient de bien distinguer entre les fluctuations et la spéculation, ainsi que cela a été dit. Les propos de M. François Loos relatifs aux matières premières minérales sont inquiétants car on se trouvera bientôt devant un mur physique qui pèsera sur nos économies. Cela doit nous interroger sur nos politiques de maîtrise de la consommation : le développement durable passera par la réalisation d’économies d’énergie et un recyclage aussi développé que possible des matières premières. Il est certes difficile de recycler des produits alimentaires mais on peut le faire pour les autres matières premières. Certes, il est important de conclure des accords avec les pays détenteurs de matières premières mais, le marché étant en perpétuelle évolution, ces pays ont intérêt à jouer les prix à la hausse, en particulier pour les produits pétroliers.
On constate par ailleurs une spécificité des produits agricoles qui sont les plus impactés par les aléas climatiques, ceux-ci donnant lieu à des variations de prix que l’on peut comprendre mais aussi à une spéculation supplémentaire. L’importance d’une inondation en Australie peut, comme cela a été dit, être amplifiée par les rumeurs.
L’arbitrage entre le réservoir et l’estomac est donc extrêmement important. Si l’on prend l’exemple de l’alimentation du bétail, grand problème en Bretagne ces jours-ci, on s’aperçoit que les opérateurs ne savaient pas, en septembre, quel arbitrage allait être fait sur la part de la récolte de maïs qui allait être attribuée à ces deux éléments. Ils déterminent eux-mêmes quelle part de maïs sera attribuée aux agrocarburants : de tels comportements sont liés à volatilité. Ensuite, il y a la spéculation, qui se greffe sur la volatilité, mais qui est d’une tout autre nature. La spéculation se fonde sur la confrontation entre celui qui a une assez grande certitude sur les stocks et celui qui ne l’a pas. Lorsqu’un spéculateur souhaite vendre un produit, il essaie de faire vivre la rumeur selon laquelle le prix du produit va monter et, dès qu’il l’a vendu, de faire vivre la rumeur selon laquelle le prix du produit va baisser pour pouvoir le racheter, et recommencer l’opération de manière à multiplier les gains. L’essentiel du travail n’est pas d’acheter ou de vendre mais de faire vivre des rumeurs – qui deviennent contradictoires. Morgan Stanley l’a bien compris et a fait ce que l’Union européenne faisait jusqu’au démantèlement de la politique agricole commune au début des années 2000 : cette compagnie financière a compris qu’en maîtrisant une partie du stockage, il ne lui était pas nécessaire de tout maîtriser. Connaissant l’état des stocks et du marché, elle peut aisément manipuler ce dernier. Il n’est pas nécessaire d’en maîtriser 50 % : il suffit de maîtriser quelques lieux de stockage stratégiques pour savoir si l’on vous demande de stocker, ce qui veut dire que les prix vont baisser, ou si l’on vous demande de déstocker, ce qui veut dire que les prix vont augmenter. Si l’on a de la matière première, on peut faire courir ce genre de rumeurs.
Ce rapport constitue un très bon travail mais, après cela, quels sont les moyens que l’on peut mettre en place ? On ne peut agir seul, les propositions du rapport sont à porter auprès d’autres institutions. Cela étant, il serait bon que nous en ayons l’initiative.
M. Michel Raison. N’oublions pas les pays pauvres ! Car l’assèchement des matières premières est aussi un problème. Il est de notre devoir de penser à l’ensemble des pays concernés.
M. Thierry Benoit. Je voudrais à mon tour saluer l’excellent travail de la mission. Votre rapport percute brutalement le concept de démondialisation. Les rapporteurs ont utilisé plusieurs termes évocateurs : « l’opacité », face à laquelle vous suggérez davantage de transparence ; la « spéculation », à laquelle répond la régulation ; la « spéculation financière outrancière sur les marchés de matières premières », à laquelle pourrait répondre l’humanisation des marchés liée aux besoins humains.
Je souhaiterais aborder successivement trois thèmes qui me paraissent essentiels : l’inflation du prix des matières premières agricoles ; l’enjeu du développement des biocarburants, et principalement, du bioéthanol ; et l’instauration d’un accord européen pour réguler les prix des matières premières et les mesures anticoncurrentielles prises par les pays producteurs de pétrole.
Concernant les matières premières agricoles, à l’échelle mondiale, ce sont principalement les catastrophes naturelles et la spéculation qui dérégulent les prix des marchés agricoles : vous l’avez parfaitement démontré. Ce sont les pays en voie de développement qui en sont les plus éprouvés, tandis que les pays développés sont en mesure de faire face aux augmentations tarifaires. Les moyens dont dispose l’Union européenne pour plafonner les prix des matières premières agricoles vitales lors des périodes de ralentissement de la production permettraient de pallier les problèmes de famine dans les pays en développement. Il est essentiel de mieux répartir les productions de céréales entre les pays développés et les pays en voie de développement.
Au delà de l’enjeu écologique, le développement des biocarburants, et en particulier du bioéthanol, doit permettre de pallier la raréfaction des énergies fossiles et d’apporter des réponses vertueuses. Lorsque l’on sait que l’augmentation des biocarburants a des conséquences sur l’augmentation des prix des matières premières agricoles (céréales), et participent à 75 % à leur élaboration, n’est-il pas temps d’encourager plus encore la recherche et le développement des biocarburants dans un but écologique ? Ne faudrait-il pas distinguer les cultures ayant une fonction nourricière (pour les hommes et les animaux) des cultures intermédiaires ayant une vocation d’engrais vert ou de couvert végétal ?
Enfin, s’agissant des mesures anticoncurrentielles mises en place par les pays producteurs de pétrole, la limitation de la quantité de pétrole faisant l’objet d’une extraction, alors que les stocks existent et que la demande continue de croître, a un effet dramatique sur la volatilité des prix. Vous soulignez l’intérêt qu’aurait l’Union européenne à s’organiser pour suivre au plus près ces restrictions quantitatives qui faussent le jeu de la concurrence dans le but d’enrichir certains pays. Si cette intervention est possible, un dialogue devra être instauré avec les pays émergents et l’Europe, afin de contraindre les premiers à abandonner ces pratiques. La mise en place d’une véritable politique de l’Union européenne dans le domaine des matières premières, et essentiellement du pétrole, est nécessaire pour faire face à certaines organisations intergouvernementales, telle l’OPEP qui exerce à l’heure actuelle un pouvoir substantiel sur la formation des prix.
M. le Président Serge Poignant. Je signale que, pour le groupe GDR, M. Daniel Paul, qui a malheureusement dû quitter la réunion, nous a remis une contribution écrite qui figurera dans le rapport.
Mme Frédérique Massat. Tout d’abord, je tiens également à féliciter les rapporteurs pour ce travail qui nous sera utile au cours des mois à venir. D’un point de vue formel, serait-il possible d’annexer au rapport la liste des 90 personnes auditionnées ? Quelle sera la conclusion du rapport ? S’agissant de la spéculation, M. François Loos a tenu un propos sans ambiguïté. Le rapport fait état pour sa part de l’utilité que peut revêtir la spéculation, et des débats relatifs à l’existence d’une bulle spéculative. Êtes-vous parvenus à une conclusion à ce sujet ? Mme Christine Lagarde, lorsqu’elle a été ministre de l’Économie et des Finances, en février 2011, a affirmé que la spéculation avait eu un impact sur le prix des matières premières. Le Président de la République avait été encore plus catégorique, en affirmant que la spéculation entraînait des émeutes de la faim. Même si cela va peut-être au-delà du thème principal, l’impact humain de la spéculation aurait sans doute pu être développé dans le rapport. La question des droits sociaux et environnementaux pourrait également être abordée.
Lors du dernier G20 a été évoquée la possibilité de mettre en place un groupe d’études qui serait piloté par le Japon, pour analyser l’impact de la volatilité des prix des matières premières sur la croissance mondiale ainsi que le rôle de la financiarisation des marchés. Ce groupe a-t-il été mis en place ?
Allez-vous porter vos propositions auprès de nos instances nationales lors du prochain G 20 ?
Mme Laure de la Raudière. Je félicite à mon tour la présidente et les rapporteurs pour leur excellent travail. Je souhaiterais que l’on crée davantage de missions d’information, car leurs comptes rendus sont toujours passionnants et de grande qualité.
Il est très difficile d’évaluer les stocks de matières premières qui, on l’a vu, ont un impact très fort sur leur cours. Il me semble que les propositions du G20 ont pris en compte cette question pour les matières premières agricoles : cela est-il également le cas pour les autres matières premières (cuivre, pétrole, terres rares – dont 90 % du stock se trouve en Chine) ?
Concernant la forte progression de la financiarisation des marchés de matières premières, disposez-vous de chiffres dans le rapport ?
M. Kléber Mesquida. Je félicite, moi aussi, les rapporteurs pour ce travail riche d’enseignements, qui s’appuie sur des données historiques remarquables remontant même, pour illustrer les risques liés aux aléas des crises agricoles, aux pluies de l’été 1314 ! Si l’on fait la synthèse des 33 propositions du rapport, on comprend que la France ne peut agir seule. Je suppose donc que des actions vont être entreprises par notre Parlement afin de demander à la Commission européenne de prendre en compte ces propositions. D’autres pays ont-ils engagé la même démarche ou la France est-elle isolée, ce qui limiterait notre capacité à atteindre ces objectifs ? Sur combien de pays peut-on compter pour faire du lobbying auprès de la Commission européenne ? Comment comptez-vous inciter les autres parlements à s’engager dans la même voie ? Le rapport va-t-il rester lettre morte ou a-t-on la volonté, et à quel horizon, de l’élargir au delà de notre pays ?
M. Alain Suguenot. Ce rapport est porteur d’une véritable utilité pour les semaines et les mois qui viennent : il donne en effet un coup de vieux à l’idée de démondialisation, la mondialisation ne datant pas d’aujourd’hui. S’agissant de la spéculation, il n’y a pas de « deposit » pour les marchés de matières premières. On parle de « ventes à découvert », ce qui est encore pire. On négocie dès à présent sur le marché de Chicago des volumes de céréales qui ne seront disponibles que dans quatre ans : on est donc bien dans un domaine spéculatif outrancier.
Concernant les agrocarburants, on estime qu’en 2050, près de 58 millions d’hectares pourront être « spécialisés » dans les agrocarburants alors qu’il n’y en a que 8,5 millions actuellement ! Il existe des tensions sur le rachat des terrains agricoles, essentiellement en Afrique et en Amérique du Sud, ce qui crée une réelle menace pour l’avenir. Il y a non seulement des fonds souverains souhaitant bien sûr assurer la sécurité alimentaire de leur pays, mais également, en Chine, des investisseurs qui achètent ces terres pour des raisons de rentabilité et, quelquefois, pour ne pas produire, afin de permettre des évolutions très spéculatives du marché. Quel peut être le moyen de réguler le rachat des terres agricoles, notamment en Afrique, réservoir de demain permettant d’éviter que certains pays ne meurent de faim à l’avenir ?
M. Patrick Lebreton. À mon tour d’exprimer une appréciation très positive du travail réalisé. Les prix des matières premières en outre-mer sont un problème prégnant ; j’en veux pour preuve la grève qui secoue actuellement le département de Mayotte contre la vie chère. Je ne me ferai pas le chantre de la démondialisation, car certains occupent déjà ce créneau et il paraît qu’il est déjà trop tard pour s’en vanter.
Concernant la volatilité des cours des matières premières, qui justifie bien souvent une envolée durable du prix de produits finis, nous connaissons ce phénomène avec d’autant plus d’acuité dans les territoires d’outre-mer que nos marchés y sont restreints et captifs. Si la puissance publique n’a que peu d’influence sur la spéculation internationale, elle dispose toutefois de différents leviers comme la fiscalité et l’intervention directe. À la Réunion, par exemple, le préfet a fixé administrativement le prix des carburants. Ce dispositif, loin de faire fuir les distributeurs et d’avoir fait monter les prix des carburants trop hauts, conduit au contraire à bénéficier de prix moins élevés que dans l’Hexagone. Par exemple, le prix du gazole à la Réunion est à 1,22 euro le litre contre 1,32 à 1,69 euro le litre sur le sol parisien. Le travail sur les marges a donc été réalisé. Une intervention directe et temporaire sur les prix de certaines matières premières de nécessité absolue est-elle envisageable ?
M. Lionel Tardy. La financiarisation des marchés de matières premières met en lumière l’interaction entre marché physique et marché virtuel. Les achats et les ventes à découvert ont récemment été interdits sur les marchés de valeurs mobilières. Or, le marché des matières premières est encore plus sensible que le marché des actions puisque le pouvoir d’achat et la gestion des entreprises sont en jeu. Y a-t-il dans le rapport, des informations relatives à ces marchés virtuels ? Par exemple, entre son pays producteur et le pays de destination, une cargaison de pétrole peut changer 50 fois de mains pendant son transport : est-ce du « virtuel » ou du « physique » ?
Vous évoquez également dans le rapport la question des terres rares. C’est en effet une matière première qui devient stratégique car elle entre de plus en plus dans la composition des produits électroniques ; or, la Chine exerce un monopole en ce domaine et a établi des restrictions à l’exportation de matières minérales. Le prix de ces matières premières s’échange à plus de 15 fois le prix auquel il était disponible un an auparavant. Au delà du pétrole et du blé, c’est un enjeu majeur pour l’avenir.
M. Jean-Michel Vuillaumé. À mon tour de saluer ce rapport de grande qualité. On sait que la variation des prix des matières premières agricoles a de fortes répercussions sur la filière de l’élevage : en avez-vous parlé ? Quels instruments de régulation sont envisageables pour ne pas fragiliser à outrance des pans entiers de notre économie agricole. En amont du G20 de novembre, le GRET, ONG française réunissant des professionnels du développement, a édité une note sur la volatilité des prix agricoles. Avez-vous pris connaissance de leurs propositions, notamment les mesures visant à limiter la production en cas d’apparition d’excédents structurels ? Qu’en pensez-vous ?
M. Jean-Pierre Nicolas. Je fais miens les qualificatifs énoncés quant à la qualité de ce rapport qui, loin d’enfoncer des portes ouvertes, nous fait, bien au contraire, découvrir un certain nombre de choses. On voit bien que les spéculateurs jouent un rôle différent selon qu’il s’agit des matières premières agricoles, énergétiques ou minérales. J’ai cru comprendre à écouter Mme Catherine Vautrin que la volatilité se distinguait de la spéculation. La spéculation est-elle indépendante de l’état prévisible des marchés ? Concernant le pétrole, on peut être assez stupéfait de constater que le premier stock de produits pétroliers est détenu par la société Morgan Stanley. Il serait intéressant de connaître l’évolution de ce stock. Peut-il peser sur le prix des marchés ? Notre pays représente 1 % de la population mondiale : que pouvons-nous faire si ce n’est adopter une stratégie coordonnée au niveau international ? À cet effet, le G20 peut être un fort levier d’action. Il est nécessaire que nous soyons particulièrement actifs et persuasifs à ce niveau.
Mme Catherine Coutelle. Le sujet étant mondial, on se sent un peu démuni pour formuler des réponses. Je partage les inquiétudes relatives aux agro-carburants de première génération. En lisant les propositions du rapport, on a le sentiment, de la part de la majorité, d’une conversion extraordinaire, et que vous êtes, tel Saint Paul sur le chemin de Damas, tombé du cheval en vous disant que le libéralisme ne marche pas et qu’il faut le réguler ! La notion de régulation apparaît dans toutes les propositions, la plupart d’entre elles faisant appel à l’Europe ou à des régulations mondiales. Pouvez-vous nous préciser quelle sera la portée de la proposition n° 16, visant à confier aux régulateurs l’encadrement des agences d’évaluation, et de la proposition n° 29, visant à encadrer strictement le trading algorithmique et le trading à haute fréquence ? Ce rapport vise bien à un changement de modèle et de préconisations, sans aller jusqu’à la démondialisation. Enfin, je tiens à signaler que, parmi les produits hautement spéculatifs, le cacao et le coton sont deux produits qui recourent à l’esclavage des enfants.
M. William Dumas. Je souhaite m’associer aux compliments qui ont été adressés à la présidente et aux rapporteurs. Je partage notamment le constat selon lequel la crise que nous connaissons dans le domaine des matières premières actuellement est liée à une crise de l’énergie. Je prendrai seulement ici l’exemple sud-américain où 40% du maïs récolté est alloué la production de biocarburants. Certes, j’entends bien qu’il y a eu une augmentation des surfaces exploitées ainsi qu’une hausse de la productivité ; cependant, dans le cas d’aléas climatiques, les prix seront répercutés sur les prix à l’alimentation. Ce qui m’interroge et m’inquiète, c’est que les Chinois sont dépendants de 80 à 90 % de l’extérieur pour certains produits. En conséquence, ils achètent des terres agricoles en Afrique et dans d’autres pays en développement : il y a là un risque pour les pays en voie de développement de devenir dépendants de la Chine dans le futur. J’ai une autre question : est-ce que d’autres pays ont une démarche similaire à la nôtre ? On sait ce que l’Union européenne a fait au niveau des marchés agricoles. Il faut donc prendre le sujet à bras-le-corps au niveau européen. Quand on pense cependant à ce qu’a pu faire Bruxelles s’agissant de la libéralisation des droits de plantation, on est en droit de se poser des questions sur l’utilité des initiatives qui ont été prises…
M. le président Serge Poignant. Je vais laisser les rapporteurs et la présidente s’organiser pour les réponses. Je voudrais simplement faire une petite remarque au préalable. Laure de la Raudière a souligné l’importance des rapports d’information parlementaires, car ils représentent un vrai travail de fond. Je partage ce constat. Je veux aussi dire à Catherine Coutelle qu’il y a eu des époques, en Europe en particulier, où il fallait ouvrir nos frontières afin de développer nos marchés : nous sommes aujourd'hui dans une situation différente. Mais libéralisme n’a jamais voulu dire absence de règles ! Cette précision méritait d’être rappelée.
Mme Pascale Got. Je vais répondre aux questions d’ordre général, les rapporteurs répondront pour leur part aux questions relatives à leur secteur propre. Je voudrais dire à messieurs Michel Raison et à Thierry Benoit qu’il va falloir un certain « parallélisme des formes » entre la décision qui vient d’être prise aux États-Unis cette nuit sur l’institution de limites de position et les décisions qui devront être prises au niveau du G 20. Il faut rassembler les bonnes volontés au niveau européen. Cependant, il ne faut pas nier que la Grande-Bretagne freine des quatre fers sur la question de la régulation ! Je pense, et je crois que les rapporteurs seront d’accord avec moi, que l’on parviendra plus facilement à un accord sur les sujets agricoles que sur le pétrole et les métaux.
Pour répondre à la question de M. Jean Gaubert, il n’y a plus réellement en Europe d’investissements dans la recherche de nouvelles ressources énergétiques. En revanche, la Chine ne se prive pas d’acheter des gisements et des mines en Australie et en Afrique. Elle s’oriente vers un stockage à la source de ces matières premières.
Je voudrais signaler à Mme Frédérique Massat qu’il ne s’agit que d’un pré-rapport qui va encore être enrichi, notamment de la contribution de M. Paul, et que, évidemment, la liste des personnes auditionnées sera annexée au rapport définitif. Quant à la spéculation que vous évoquiez, je pense que c’est une réalité, elle amplifie les phénomènes de hausse et de volatilité. Il y a d’ailleurs, dans le cadre du G 20 un groupe de travail sur la volatilité des prix des matières premières qui a été institué à l’initiative de la France et de la Corée du Sud.
Réagissant aux remarques de MM Dumas, Mesquida et Nicolas, je précise que ce rapport sera transmis au Gouvernement pour qu’il soit pris en compte dans le cadre des négociations du G 20.
Monsieur Lionel Tardy, vous évoquiez le sujet des terres rares. J’appelle votre attention sur le fait que, la semaine prochaine, un rapport d’information portant sur la gestion durable des matières premières minérales sera présenté devant la commission du développement durable : la question des terres rares sera développée à cette occasion.
Je veux dire à madame Catherine Coutelle que la régulation doit être au minimum européenne ; nous attendons d’ailleurs prochainement des propositions de la Commission européenne sur la régulation des marchés de matières premières.
Le trading algorithmique et le trading à haute fréquence constituent un enjeu de taille car ces techniques pèsent sur la formation des cours et peuvent donner lieu à des abus de marché. La Commission européenne et l’Autorité européenne des marchés financiers se sont saisies de cette question. Par ailleurs, l’AMF a prononcé sa première condamnation en la matière en juin 2011.
Mme Catherine Vautrin. Je répondrai pour ma part aux questions portant sur les sujets agricoles.
Madame Frédérique Massat, Monsieur Jean-Pierre Nicolas, la volatilité a quatre causes principales : le climat, l’environnement, les changements comportementaux, les décisions politiques. Je serais donc tentée de dire que la spéculation n’est que le « supplément d’âme » de cette volatilité. L’objectif de notre rapport, Mme Pascale Got l’évoquait, était d’être un outil à la disposition de l’exécutif dans le cadre des négociations du G20.
Monsieur Michel Raison, je partage vos commentaires, notamment sur l’absence de régulation et je voudrais dire à madame Catherine Coutelle que, sur certains sujets viticoles, nous nous sommes déjà retrouvés pour souhaiter davantage de régulation : je veux, évidemment, parler des droits de plantations. C’est au niveau européen au minimum qu’il faut travailler. M. Jean Gaubert a parlé des problèmes d’impact, notamment en Bretagne de la raréfaction des fourrages. On ne peut que partager ses commentaires. On sait les conséquences qu’ont eu en France ou en Russie ces raréfactions de fourrages.
MM. Thierry Benoit, Alain Suguenot et Mme Catherine Coutelle sont intervenus sur le sujet des biocarburants. Je voudrais dire à monsieur Benoit que l’étude de l’économiste Mitchell sur l’augmentation des prix à laquelle vous faisiez allusion et qui a été publiée en 2008 a été très controversée lors de sa sortie. Néanmoins, nous sommes d’accord sur le fait qu’il faut développer les recherches concernant les biocarburants de seconde génération et des coproduits. S’agissant de la question des terres, les États-Unis ont des rendements importants, qui leur permettent de produire pour les secteurs de l’alimentation et de l’énergie.
M. Suguenot a mis en avant les menaces qui pèsent sur la situation actuelle : je pense que la régulation de l’achat de terres agricoles peut passer par deux voies. En premier lieu, il existe encore de nombreuses terres agricoles, notamment en Afrique ainsi que nous l’ont confirmé les représentants de la FAO que nous avons auditionnés. En second lieu, il faut développer des biocarburants de seconde génération, plus performants, qui permettent de relâcher la pression sur les terres arables.
Mme Laure de la Raudière est revenue sur le sujet des stocks : il y a une initiative à ce sujet dans le cadre du G 20 qui vise également à mettre en place des systèmes d’information sur les marchés agricoles. Cela permet à la fois la constitution de stocks mais aussi une plus grande transparence. Ce sont des réponses tout à fait concrètes.
M. Patrick Lebreton a évoqué la régulation des prix. Il y a effectivement des questions de cet ordre qui se posent au niveau des filières. Pour autant, je pense que personne ici ne veut revenir à une administration des prix mais c’est une piste, en effet, à étudier.
Concernant l’impact des variations des prix des matières premières végétales sur l’élevage, M. Jean-Michel Villaumé a raison, comme M. Michel Raison tout à l’heure s’agissant de la question du bois, ce sont peut-être des thématiques sur lesquelles nous n’avons pas assez insisté dans ce rapport. Il est clair que des liaisons existent. Je m’engage à faire un développement sur ce point en prévision de la publication du rapport. Nous n’avons pas eu connaissance de la note que vous avez évoquée mais il est clair que l’idée de constituer des stocks et de les utiliser en cas de variations des prix à la hausse ou à la baisse pourrait permettre de limiter les variations et c’est un sujet sur lequel nous devrons travailler.
Mme Catherine Coutelle faisait allusion à l’esclavage des enfants, c’est un sujet sur lequel je ne peux que la rejoindre même si ce n’était pas l’objet de notre rapport.
M. William Dumas est intervenu sur l’impact de la Chine sur le cours des matières premières. La Chine en est effectivement un très gros consommateur et a donc une vraie influence sur le cours du blé et du maïs, mais pas sur le riz, pour lequel la Chine est dans un contexte d’autosuffisance. En ce qui concerne les achats de terres et la production « attitrée » de certains produits comme le cacao ou même les fleurs, il y a une réflexion en cours. Nous avons rencontré aux États-Unis, un acteur majeur de l’agroalimentaire mondial, Kraft Foods, qui nous a expliqué qu’ils avaient également envisagé d’assurer leur approvisionnement en faisant l’acquisition de terres.
M. François Loos. Je voudrais commencer par une réflexion générale, en rappelant que nous nous trouvons dans une économie de la rareté. Dans le domaine des matières premières énergétiques et minérales, la production peine à répondre à la consommation. À ce sujet, je rappellerai une anecdote révélatrice : lors de notre déplacement en Chine, Mme Pascale Got et moi-même avons rencontré l’un des représentants de Sinopec – deuxième producteur de pétrole et premier fabricant de produits pétroliers chinois –, qui nous a affirmé que le pays ne consommerait pas plus de pétrole en 2011 qu’en 2010 ! Le discours officiel chinois consiste à apaiser les inquiétudes afin d’éviter toute répercussion sur le niveau des prix. Mais la Chine connaît une augmentation de sa consommation, ce qui pèse énormément sur l’économie mondiale.
La priorité pour l’Europe consiste à exploiter de nouveaux gisements et à instituer une diplomatie coordonnée dans le domaine des matières premières. La France, pour sa part, s’est toujours efforcée d’atteindre un niveau élevé d’indépendance énergétique, ce qui lui a permis de sécuriser en grande partie ses approvisionnements. Mais, à l’échelle nationale et européenne, de nouveaux efforts seront à accomplir au cours des prochaines années. S’agissant des terres rares, la France est relativement épargnée et les perspectives n’incitent pas à l’inquiétude, car les gisements ne manquent pas, que ce soit – pour ne citer que les pays disposant des gisements les plus importants – aux États-Unis, en Australie ou en Afrique du Sud. Toutefois, l’exploitation de ces gisements ne sera envisageable que dans cinq à dix ans et devra tenir compte de contraintes environnementales.
De manière générale, ce sont non seulement la spéculation mais aussi et surtout la rareté qui sont à l’origine de l’augmentation des coûts. M. Jean Gaubert évoquait l’opportunité de conclure des accords avec des pays disposant de réserves importantes. C’est la politique officielle de l’Allemagne. La France n’est pas allée aussi loin, car elle dispose encore, contrairement à l’Allemagne, d’opérateurs miniers tels que Areva ou Eramet. Mais il est vrai que les besoins ont changé de nature : seules 15 matières premières métalliques entraient dans la composition des produits du quotidien il y a cinquante ans ; il y en a aujourd'hui 70.
La négociation avec les pays riches en ressources est indispensable. Il faut tenir compte à cet égard de la dimension géopolitique de l’économie des matières premières. À titre d’exemple, l’exportation du minerai de fer libyen, notamment vers la Chine – premier consommateur mondial – dépend d’un accord avec d’autres pays africains.
Quant à la question très précise de M. Jean-Pierre Nicolas sur les stocks pétroliers, je voudrais dire que, en raison de l’opacité des marchés de gré à gré pétroliers, on ne dispose pas de preuve, mais qu’il existe un faisceau d’indices concordants permettant d’affirmer que la société qui détient le premier stock pétrolier au monde est Morgan Stanley.
Je voudrais également dire à monsieur Lionel Tardy et à madame Laure de la Raudière que les Chinois disent privilégier la France quant à l’approvisionnement en terres rares parce qu’elle collabore avec eux sur ce sujet. Il n’est pas impossible que cela soit lié à des transferts de technologie. Par ailleurs, la Chine affirme diminuer sa production de terres rares notamment pour des raisons environnementales. Ce n’est pas un argument spécieux dans la mesure où on lui demande par ailleurs de se soumettre à des normes internationales rigoureuses en la matière.
Pour conclure, je voudrais dire à M. Jean Gaubert, qui avait évoqué la question du recyclage, que l’exploitation de la mine urbaine est en effet indispensable, car il est aujourd'hui plus rentable dans certains cas d’extraire les matières premières à partir des déchets. Cela nécessite cependant un aménagement de la législation européenne. Pour l’instant, il est interdit, en principe, d’exporter les déchets, bien que certaines sociétés s’y livrent, par exemple en Italie.
M. le président Serge Poignant. Il s’agissait d’une présentation très intéressante, qui a donné lieu à des échanges riches et éclairants. Si vous autorisez la publication de ce rapport, je m’associerai à la démarche de la présidente et des rapporteurs, afin de remettre ce rapport au Président de la République et aux ministères concernés.
La publication du rapport est autorisée à l’unanimité.
Axe n° 1 : Sécuriser l’approvisionnement de l’Europe en matières premières minérales
Proposition n° 1 : Instituer, au sein de la Commission européenne, un mécanisme permanent de suivi des restrictions à l’exportation des matières premières minérales.
Proposition n° 2 : Instituer une véritable diplomatie des matières premières de l’Union européenne, grâce à une meilleure coordination des politiques extérieures et des partenariats stratégiques de l’Union et la conclusion d’accords de coopération avec les pays en développement prévoyant un accès durable aux matières premières.
Proposition n° 3 : Demander à la Commission européenne d’actualiser annuellement les données relatives aux métaux stratégiques pour l’Union européenne.
Proposition n° 4 : Réaliser une étude sur les importations européennes de matières premières non listées comme essentielles – telles le lithium, l’uranium, le hafnium et le nickel – qui revêtent pourtant un caractère stratégique pour répondre aux besoins de certaines industries.
Proposition n° 5 : Renforcer les missions du comité des métaux stratégiques en vue de sensibiliser les industriels à une éventuelle dépendance à certains métaux, et, plus généralement, les aider à prévenir les risques de rupture de l’offre.
Proposition n° 6 : Élaborer une stratégie commune à l’État et aux industriels destinée à améliorer la sécurité d’approvisionnement en matières jugées critiques, qui prenne en compte les différentes approches possibles (actions sur l’offre et la demande, constitution de stocks, recyclage…). Aider les industriels à investir dans des mines à l’étranger.
Proposition n° 7 : Mandater la Commission européenne afin qu’elle adopte toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux exportations illégales de déchets.
Proposition n° 8 : Accroître l’effort entrepris dans le domaine de la recherche-développement : soutenir financièrement les investissements accomplis par les industriels afin de développer l’extraction de matières stratégiques diffuses dans les déchets et développer des programmes de recherche dans le domaine de la connaissance des gisements européens.
Axe n° 2 : Améliorer le fonctionnement des marchés physiques de matières premières
Proposition n° 9 : En matière énergétique, consolider l’initiative sur la transparence des données (dite « JODI » : Joint Organisations Data Initiative), en renforçant les efforts de collecte d’informations, en particulier en direction des pays hors OCDE.
Proposition n° 10 : Dans le cadre du G20, mandater officiellement le Forum international de l’énergie afin de parvenir à un élargissement du périmètre du répertoire JODI au marché mondial du gaz et aux données prévisionnelles sur les investissements pétroliers.
Proposition n° 11 : Améliorer la fiabilité et l’exhaustivité des données collectées par les trois organisations intergouvernementales relatives aux métaux de base. Étendre le périmètre de la coopération internationale à d’autres métaux.
Proposition n° 12 : Demander à la Commission européenne d’actualiser annuellement les données relatives aux matières premières agricoles pour l’Union européenne.
Proposition n° 13 : Dans le cadre de la nouvelle PAC (politique agricole commune), améliorer la fluidité des marchés agricoles en favorisant la constitution de stocks de matières premières agricoles au niveau régional, national et supranational, selon des modalités qui doivent être définies dans le cadre des travaux du G 20.
Proposition n° 14 : Dans le cadre de la nouvelle PAC (Politique agricole commune), favoriser la connaissance des stocks de matières premières agricoles sous l’égide de l’AMIS (« Système d’information des marchés agricoles ») afin de permettre aux acteurs d’anticiper leurs actions de façon optimale.
Proposition n° 15 : Confier aux régulateurs de marché l’encadrement des agences d’évaluation des prix et contrôler tant leur mode de gouvernance que leur degré de transparence et d’impartialité. Acquérir une meilleure connaissance de leur fonctionnement et de leur impact sur les mécanismes de formation des prix.
Proposition n° 16 : Créer une base de données européenne répertoriant certains contrats physiques – les contrats forward et les transactions au comptant - , dès lors qu’ils présentent une liquidité et une homogénéité suffisantes. Déterminer au préalable les seuils au-delà desquels les intervenants sur les marchés physiques devraient déclarer leurs positions et/ou leurs transactions.
Proposition n° 17 : Lorsque, sur un marché donné, il n’existe pas de régulateur sectoriel, étendre les compétences du régulateur financier à l’analyse des fondamentaux des marchés physiques sous-jacents et à la surveillance des transactions réalisées sur le marché au comptant.
Proposition n° 18 : Développer le dialogue avec les associations œuvrant dans le domaine de la sécurité alimentaire et du secteur agricole afin d’anticiper les besoins et de prendre les mesures de nature à favoriser une allocation optimale des ressources agricoles en évitant toute tension excessive sur les prix du marché.
Axe n° 3 : Étendre le périmètre de la régulation financière à l’ensemble des opérations réalisées sur les marchés de matières premières
Proposition n° 19 : Mandater l’Autorité européenne des marchés financiers afin qu’elle réalise un suivi des fonds indiciels ETF et ETC portant sur les matières premières.
Proposition n° 20 : Étendre l’application de la directive sur les marchés d’instruments financiers à l’ensemble des acteurs qui agissent sur les marchés de matières premières, dès lors que leur présence n’est pas uniquement motivée par un besoin de couverture de leur production ou de leur consommation. Imposer à ces intervenants des règles d’organisation, de capital réglementaire minimum et de prévention des conflits d’intérêts.
Proposition n° 21 : Étendre l’application de la directive sur les marchés d’instruments financiers (dite MIF) aux contrats commerciaux à terme suffisamment liquides et standardisés échangés sur les marchés dérivés de gré à gré.
Proposition n° 22 : Renforcer le contrôle de la commercialisation de produits adossés à des matières premières, tout particulièrement lorsqu’elle est réalisée à destination des investisseurs non professionnels.
Axe n° 4 : Prévenir les abus de marché sur les transactions de matières premières
Proposition n° 23 : Instituer une obligation de déclaration des opérations réalisées sur les marchés dérivés de matières premières auprès d’un registre central, chargé de collationner les données, aux fins de sanction des abus de marché et d’optimisation de la formation des prix.
Proposition n° 24 : Missionner le Conseil de stabilité financière pour coordonner l’action de régulation sur les marchés de matières premières, y compris en ce qui concerne le niveau d’information à mettre en œuvre sur le marché physique
Proposition n° 25 : Conférer aux régulateurs financiers le pouvoir de fixer des limites de position sur l’ensemble des marchés dérivés de matières premières (organisés et de gré à gré). Définir des modalités d’application garantissant un équilibre entre la prévention des abus de marché et le maintien d’une liquidité suffisante.
Proposition n° 26 : Dans le cadre de la révision de la directive sur les abus de marché, instituer des dispositions permettant de prévenir les conflits d’intérêts résultant du cumul des fonctions de trader, de broker et de dépositaire.
Proposition n° 27 : S’inspirer de la réglementation applicable aux marchés de valeurs mobilières pour instituer, au sein des établissements financiers, une séparation entre les fonctions d’analyste et de trader sur les marchés de matières premières. Réfléchir à la possibilité d’instituer une séparation totale entre les activités sur matières premières exécutées pour compte propre et celles réalisées au bénéfice de clients externes.
Proposition n° 28 : Encadrer strictement le trading algorithmique et le trading à haute fréquence ; pour ce faire, réaliser des études techniques permettant de sélectionner les mesures de prévention les plus efficaces.
Proposition n° 29 : Dans le cadre de la révision de la directive sur les abus de marché, clarifier le concept d’information privilégiée et prévoir explicitement le cas des tentatives de manipulation de marché par une action simultanée sur les marchés physiques et sur les marchés financiers.
Proposition n° 30 : Assurer une plus grande standardisation des contrats de gré à gré afin d’autoriser un recours accru à la compensation et à la négociation sur des plateformes d’échanges organisées.
Proposition n° 31 : Imposer aux produits ne présentant pas un degré de standardisation suffisant – et ne pouvant donc faire l’objet d’une compensation – des exigences supplémentaires en fonds propres.
Proposition n° 32 : Renforcer la supervision des chambres de compensation par les régulateurs nationaux, selon des critères définis à partir des travaux de l’Organisation internationale des commissions de valeurs et de la Banque des règlements internationaux.
Proposition n° 33 : Inciter les acteurs à chercher, au sein des filières et dans une logique de contractualisation, les moyens de déterminer un prix d’équilibre des matières premières agricoles qui soit de nature à garantir un revenu suffisant aux agriculteurs tout en limitant l’impact de la volatilité au bénéfice des consommateurs.
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES
– M. Georges Pichon, président-directeur général de Marsmétal SAS
– M. Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française et délégué général de l'association française des marchés financiers (AMAFI)
– Mme Claire de Langeron, déléguée générale de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux (FEDEM) et M. Jean-Didier Dujardin, directeur administratif et financier d’Eramet
– M. Olivier Appert, président d’IFP-Énergies nouvelles
– M. Pierre-Noël Giraud, professeur d'économie à l'École des mines de Paris
– M. Francis Perrin, directeur de la rédaction de Pétrole et gaz arabes, professeur à l'université Pierre Mendès France (Grenoble) et à l’IRIS
– M. Frédéric Lasserre, responsable de la recherche matières premières, Société Générale
– M. Patrick Artus, responsable de la recherche, Natixis
– M. Édouard Vieillefond, secrétaire général adjoint de l’Autorité des marchés financiers, en charge de la direction de la régulation et des affaires internationales
– M. Daniel Krajka, journaliste à L’Usine nouvelle
– M. Christian Hocquard, économiste au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
– M. Hervé Grimaud, membre de la Commission environnement et développement durable de la Fédération des industries électriques, électroniques et de communication (FIEEC), directeur général de Récylum, et Mme Anne-Charlotte Wedrychowska, responsable développement durable de la FIEEC
– MM. Patrick Blain, président, et Pierre-Louis Debard, directeur économie, statistiques et transports, du Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA)
– M. Marc Touati, directeur général délégué de Global Equities
– M. Pierre-Marie Abadie, directeur de l’énergie, et M. Julien Tognola, chef du bureau de la Sécurité d'approvisionnement au ministère de l’écologie
– M. Vincent Chriqui, directeur général du Centre d’analyse stratégique
– MM. Damien Grulier, analyste matières premières et Guillaume Fouchères, trader, Exane Derivatives
– Mme Béatrice Ambrosi, responsable du département global services de Newedge
– M. François Bersani, secrétaire général du Comité pour les métaux stratégiques (COMES)
– M. Sylvain Granger, directeur Combustibles d’EDF
– M. Julien Catel vice-président, metal risk management de Nexans
– M. Jean-Marie Chevalier, professeur à l’université Paris Dauphine et directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières.
– M. Bruno Bensasson, membre du Comité exécutif de GDF SUEZ en charge de la stratégie et du développement durable et M. Pierre Chareyre, directeur de GDF SUEZ Trading.
– M. Antoine Chacun, managing director, Oddo.
– M. Antoine Valéry, avocat à la Cour
– Mme Delphine Lautier, professeur à Paris Dauphine
– M. Didier Houssin, directeur, chargé du marché pétrolier et des mesures d’urgence, et M. Bahattin Buyuksahin, de l’Agence internationale de l’énergie
– Mmes Delphine d'Amarzit, chef du service des affaires multilatérales et du développement, Clotilde L'Angevin, chef du bureau du diagnostic et des prévisions internationales, et M. Michel Houdebine, chef du service des politiques publiques, Direction générale du Trésor
– M. Philippe Mongars, adjoint au directeur de la stabilité financière auprès du Gouverneur de la Banque de France
– M. Jacques Peythieu, directeur production du business group mines d’AREVA
– M. Jean-Marc Boussard, directeur de recherches à l’INRA
– M. Bernard Valluis, économiste
– M. Lucien Bourgeois, économiste
– MM. Patrick Messerlin et Pierre Boulanger, économistes à l’Institut d’études politiques de Paris
– M. Pierre-Alexandre Teulié, Secrétaire général du Groupe Carrefour, et M. Sylvain Ferry, Directeur PGC (produits grande consommation)
– M. Jean-Claude Pénicaud, membre du directoire du GALEC, en charge de la politique commerciale alimentaire au Groupe Leclerc, et M. Frédéric Gheeraert, responsable du développement commercial
– M. Jean-Luc Cade, Président de Coop de France Nutrition Animale, M. Luc Desbuquois, Président de Coop de France Aviculture, M. Jacques Poulet, Directeur du Pôle Animal de Coop de France, M. Hubert Grallet, Président de Coop de France Métiers du grain, M. Vincent Magdelaine, Directeur de Coop de France Métiers du grain, et Mme Irène de Bretteville, Responsable des relations parlementaires de Coop de France
– M. Guy Callejon, Président du SIFPAF (Syndicat des Industriels Fabricants de Pâtes Alimentaires de France) – CFSI (Comité Français de la Semoulerie Industrielle), et Mme Christine PETIT, Secrétaire générale
– M. Hervé Lejeune, sous-directeur général de la FAO, et M. Mehdi DRISSI, chargé des relations publiques
– M. Gilles Blin, représentant d’Axéréal
– M. Michel Portier, président d’Agritel
– M. Jean Bernard Bayard, vice président de la FNSEA, M. Patrick Ferrere, directeur général, et Mme Nadine Normand, chargée des relations institutionnelles
– M. Fabien Bova, directeur général de FranceAgrimer, M. André Barlier, directeur des marchés, études et prospective, et M. Xavier Rousselin, chef d'unité en charge des grandes cultures
– M. Philippe Collin, porte-parole de la Confédération paysanne
– M. Eric Lainé, Président de la CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves), M. Alain Jeanroy, Directeur général, et M. Nicolas Rialland, service économique - Éthanol et Bioénergie
LISTE DES PERSONNES RENCONTRÉES LORS DES DÉPLACEMENTS
Déplacement à Berlin les 9 et 10 mars 2011
– M. Torsten Dennin, spécialiste des marchés des matières premières, société de gestion d’actifs financier Altira Group
– M. Thomas Gäckle, sous-directeur en charge de la politique des matières premières au ministère de l’Économie et M. Volker Steinbach, directeur énergie et matières premières à l’Agence des matières premières de Hanovre
– M. Ralf Schmitz, directeur de la fédération allemande des marchands de métaux (Verband Deutscher Metallhändler)
– M. Clemens Haftendorn, économiste spécialiste des marchés de matières premières énergétiques, institut DIW
– M. Wilko Specht, chargé des questions de politique dans le domaine des matières premières au BDI (Fédération de l’industrie allemande), M. Stefan Beisswenger, directeur de la Fédération des métaux (WVM : WirtschaftsVereinigung Metalle) et M. Martin Hoffmann, chargé des relations avec l’Ukraine, la Biélorussie, l’Asie centrale et le Caucase au comité pour les relations économiques avec les pays de l’Est (Ost-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft)
– M. Friedbert Pflueger, ancien député du Bundestag et directeur du centre européen EUCERS pour la sécurité d’approvisionnement (énergie et matières premières) au King’s College de Londres
– M. Christian Vollmuth, directeur de la Fédération des acteurs des produits dérivés.
Déplacement en Chine (Pékin et Shanghaï) du 9 au 13 mai 2011
– M. Gao Yunhu, directeur général adjoint, Ministère de l’industrie et des technologies de l’information (MIIT)
– M. Liu Bin, directeur, China Nonferrous Metals Industry Association et M. Harry Liu, directeur général des métaux non ferreux, China Metal Recycling LTD
– M. Chun-Hua Yan, vice-président, Société chinoise des terres rares
– M. Zhang Qiubo, directeur général, et M. Wang Feihon, analyste senior, China Minmetals Corporation
– M. Xuan Zhen, directeur général, China Iron & Steel Association
– M. Jacques de Boisséson, président, Total China Investment
– M. Remi Charachon, président, Air Liquide Chine
– M. Michael Han, chef économiste, Rio Tinto
– Dr Guo-Quiang Cheng, directeur général adjoint, Development Research Center
– Dr Yanxin Huang, directeur adjoint du ministère de l’agriculture
– M. Wu Fei, directeur général et M. Fu Ruliang, directeur général, division de la recherche, département de la stratégie de COFCO
– M. Cai Xiyou, vice-président senior, SINOPEC
– Mme Mariane Guamælius, Premier conseiller, chef de la section Commerce et investissement et M. Joao Da Graca Santos, chargé des questions industrielles et des matières premières, Délégation de l’Union européenne en Chine
– M. Teunis D. Baas, consultant pour les matières premières agricoles et les dérivés de maïs, Roquette Asie
– M. Michel Ybert, président, M. Hua Du, responsable mondial pour les terres rares et M. Frédéric Carrencotte, directeur des opérations Rhodia Chine
– M. Dean Owen, senior vice-president Chine, Newedge
– M. Ding Shouhu, directeur general, Baosteel (Baoshan Iron & Steel Co., LTD)
– M. Zhang Yixiu, directeur des marchés des métaux non ferreux et M. Qu Ronghui, délégué à la coopération internationale, Shanghai Futures Exchange
– M. François Cristofari, président et M. Steven Jin, Head of Commodity Finance, BNP Paribas China
– M. Hugues Chataigné, directeur général, Arcelor Mittal Chine
Déplacement à Londres le 26 mai 2011
– M. Amine Bel Hadj Soulami, responsable mondial des dérivés de matières premières, BNP Paribas Commodity Futures LTD
– M. Gavin Hill et M. Jon Farrimond, Market infrastructure and policy markets division, Financial Services Authority (FSA)
– Sir Brian Bender, président et M. Martin Abbott, directeur général, London Metal Exchange (LME)
– M. David Peniket, président, Intercontinental Exchange (ICE)
Déplacement à Bruxelles le 31 mai 2011
– M. Michel Barnier, Commissaire en charge du marché intérieur et des services, Commission européenne
– Mme Signe Ratso, directrice, direction "accès au marché et à l'industrie", direction générale Commerce, Commission européenne
– Mme Maria-Teresa Fabregas Fernandez, adjointe au chef de l'unité "marchés des valeurs mobilières", direction générale Marché intérieur et services, Commission européenne
Déplacement à Washington les 6 et 7 juin 2011
– M. Ambroise Fayolle, Administrateur pour la France au FMI et à la Banque mondiale
– M. Andrews Burns et M. John Baffes, économistes au département Agriculture de la Banque mondiale (stratégie de développement)
– M. Otaviano Canuto, vice président du réseau de la pauvreté et de la gestion économique
– M. Jean-François Boittin, Ministre Conseiller pour les Affaires Économiques et Commerciales (Ambassade de France), chef de service économique régional, chef de Service Économique Régional (CSER)
– Mme Kathy Ozer (National Family Farm Coalition)
– Mme Marie Brill (ActionAid, organisation de lutte contre la pauvreté dans le monde)
– Mme Karen Hansen-Kuhn (responsable du programme international de l’IATP, Institute for Agriculture and Trade Policy)
– Mme Nancy Alexander (Fondation Heinrich Böll)
– M. Thomas Helbling, responsable économique au FMI
– M. Dennis Kelleher, responsable de la mise en œuvre de la loi Dodd - Frank à l’Association Better Markets
– M. John Nichols Boozman, Sénateur (républicain) de l’Arkansas
Déplacement à Chicago les 8 et 9 juin 2011
– M. Bernard E. Harcourt, professeur de droit et de sciences politiques à l’Université de Chicago et Mme Lynne Ostfeld, avocate, spécialiste dans le secteur agro-alimentaire
– Mme Julia Brown, responsable du département des approvisionnements chez Kraft Foods, et M. Jack Bienkowski, responsable du secteur des matières premières
– MM. Fred Seamon, économiste au CME Group (Chicago Mercantile Exchange), Charles P. Carey, vice-président de CME Group, M. Arthur A. Eubank, économiste
AEMF : Autorité européenne des marchés financiers
AIE : Agence internationale de l’énergie
AIFM : Directive européenne sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs
AMF : Autorité des marchés financiers
AMIS : Agricultural Market Information System
ASPO : Association for the study of Peak Oil and Gas
BTU : British Thermal Units
CDS : Credit Default Swaps ou swaps sur le risque de défaut.
CFTC : Commodity Futures Trading Commission
CME : Chicago Mercantile Exchange
COMES : Comité pour les métaux stratégiques
CRB : Commodity research Bureau
DJAIG : Indice boursier Dow Jones
EMIR : proposition de règlement européen sur les infrastructures de marché
ETC : Exchange Traded Commodity
ETF : Exchange Traded Fund
ETN : Exchange Traded Note
ETP : Exchange Traded Product
EUREX : European Exchange
FIE : Forum international de l’énergie
FMI : Fonds monétaire international
FSA : Financial Services Authority
G14 : Les 14 banques les plus actives dans le domaine des contrats dérivés
GSCI : Banque d’investissement Goldman Sachs
ICE : Intercontinental Exchange
IPE : International Petroleum Exchange
JODI : Joint Oil Data Initiative
LIFFE : London International Financial Futures and Option Exchange
LME : London Metal Exchange
MAD : Directive européenne sur les abus de marché
MIF : Directive européenne sur les marches d’instruments financiers
NBP : National Balancing Point
NYBoT – ICE : New York Board of Trade – International Exchange
NYMEX : New York Mercantile Exchange
OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Économiques
OICV : Organisation internationale des commissions de valeurs
OMC : Organisation mondiale du commerce
OPEP : Organisation des pays exportateurs de pétrole
PAC : Politique agricole commune
REMIT : Règlement européen sur l’intégrité et la transparence du marché de l’énergie
TOCOM : Tokyo Commodity Exchange
TTF : Title Transfer Facility
USDA : Département américain de l’agriculture
WB : Banque mondiale
WTI : West Texas Intermediate
CONTRIBUTION DE M. DANIEL PAUL,
DÉPUTÉ DE LA SEINE-MARITIME,
AU NOM DU GROUPE GDR
Derrière les matières premières se cache une diversité de produits allant du pétrole, aux métaux en passant par les matières premières agricoles. Il n’est pas très aisé de mener une analyse globale sur l’évolution générale de leurs cours, tant la diversité de ces produits et de leur transformation est grande. Cependant, nous constatons depuis plusieurs années un phénomène général qui tend à s’accélérer : celui de la volatilité et de l’instabilité des prix.
Un rapport publié en 2010 par la banque de France sur l’évolution de la situation économique et financière internationale confirme ce constat. Il mentionne, et je cite, « que depuis 1980, la volatilité des prix des matières premières s’est sensiblement accrue sur l’ensemble de la période pour toutes les catégories de produits concernés. En outre, les prix des matières premières ont enregistré la volatilité la plus forte au cours de la décennie la plus récente (2000-2010). » Ce même rapport confirme que ce sont les pays les plus pauvres qui sont les plus exposés à cette volatilité. Ce sont les pays les plus fragilisés et leurs populations qui subissent les conséquences les plus lourdes de la fluctuation des prix des matières premières et plus particulièrement des prix matières premières agricoles.
Prenons l’exemple du blé : en mai 2007, la tonne de blé s’échangeait à 196 dollars, en mai 2008 à 440 dollars, en juin 2010 à 157 dollars pour s’établir en juin 2011 à 344 dollars ! Autre exemple : le riz. Pour la seule année 2011, son prix est passé de 12 dollars la tonne en janvier 2011 à 6,10 dollars en juin.
Il y a différentes causes à cette volatilité. Les prix des matières premières agricoles ont toujours fluctué, mais nous observons depuis quelques années une accélération voire un affolement des prix. La principale raison réside dans le fait que les prix sont fixés de manière libre sur des marchés mondiaux. Ils répondent donc à la logique de l’offre et de la demande. Or, cette dernière ne cesse d’augmenter, car la population mondiale croît et que de nouveaux marchés se développent (ex. : la Chine). Alors que l’offre est beaucoup plus fragile. Il existe différentes explications à cette fragilité. Certaines sont structurelles comme les phénomènes climatiques, ou le ralentissement des gains de productivité. D’autres plus récentes comme l’urbanisation croissante des terres arables ou l’explosion de la production de bio carburants. L’an passé la seule production américaine a requis un volume de maïs équivalent à la consommation de 20 millions de personnes !
Cependant, il y a une explication à cette volatilité qui est la conséquence des choix politiques des gouvernements. Je veux évidemment parler de la déréglementation des marchés agricoles et de l’explosion de la spéculation autour de ces produits. Avec la crise financière, les produits agricoles sont devenus des actifs privilégiés, car plus sûrs et plus rentables, pour les spéculateurs. Portés par la logique d’une rentabilité à court terme ils ont envahi les marchés agricoles mondiaux. Les prix agricoles, les matières premières sont devenus les jouets aux mains d’investisseurs peu scrupuleux des conséquences de leur « petit jeu spéculatif ». Et alors même que dans les années 70-80, nous avions des cours stabilisés, plutôt raisonnables, nous avons assisté à une explosion des prix, sans que cela soit directement en lien avec les volumes de production. Il faut savoir qu’aujourd’hui 90 % des échanges de matières premières agricoles sont opérés par informatique. De l’aveu même de traders, il est devenu impossible d’expliquer les tendances sur certains produits.
Cet emballement, cette course sans vergogne à l’argent facile, cette rapacité, n’est malheureusement pas sans conséquence. Nous l’avons vu avec la crise alimentaire de 2008. Entre janvier 2007 et janvier 2008, l’indice des prix alimentaires du FAO est passé de 139 à 219. Le prix du blé a doublé. L’indice du prix des céréales a bondi de 152 à 281. La facture céréales des pays les plus pauvres a explosé de 58 % alors même qu’elle avait déjà augmenté de 37 % en 2007. Les conséquences ont été dramatiques. Souvenez-vous par exemple des émeutes de la faim en Haïti et ces enfants obligés de consommer des galettes de boue.
Il faut que cela cesse. Les gouvernements doivent s’entendre pour mettre en œuvre une régulation des marchés des matières premières. Nous avons besoin de politiques interventionnistes ambitieuses, portées par la coopération et la planification entre État. Il nous faut jouer sur les stocks. À ce titre, il faut que cesse rapidement le démantèlement de la PAC qui s’inscrit justement dans cette déréglementation qu’il nous faut combattre. Le marché ne doit plus être le grand horloger des prix alimentaires. Et si les gouvernements ne font rien, alors nous pouvons craindre le retour de crises similaires à celle de 2008.
Le Groupe GDR votera le rapport de la mission d’information.
1 () La composition de la mission d’information figure au verso de la présente page.
2 () Philippe CHALMIN, entretien au Figaro, 17 mai 2011
3 () Charles-Alexandre Houillon, Guide pratique des marchés de matières premières et de l’énergie, Sefi, 2005.
4 () Les marchés mondiaux de matières premières, sous la direction de Philippe Chalmin, 2011.
5 () http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf_synthese991001.pdf
6 () Benaît de Guillebon,, Quel futur pour les métaux ?, 2010
7 ()Le CME est la maison mère du Commodity Exchange (COMEX) de New-York, plus grande Bourse mondiale pour les métaux précieux.
8 () Quel futur pour les métaux ?, précité.
9 () Le West Texas Intermediate, produit, comme son nom l’indique, dans l’ouest du Texas, est le pétrole brut américain de référence.
10 () Conseil économique, social et environnemental. Les marchés des matières premières. Rapport de M. Luc Guyau, novembre 2008.
11 () Delphine Lautier, les marchés dérivés énergétiques, 2010.
12 () La volatilité historique peut être déterminée sur une base intra-journalière, inter-journalière, hebdomadaire, mensuelle ou annuelle. Les graphes ci-après font appel à plusieurs de ces catégories d’analyse.
13 () Jean-Marie Chevalier, Rapport du groupe de travail sur la volatilité des prix du pétrole, février 2010.
14 () FMI, Perspectives de l’économie mondiale, avril 2010.
15 () Il s’agit des points de retournement de la production industrielle dans les pays avancés pour lesquels des données mensuelles étaient disponibles sur la période 1950–2009.
16 () Oscar Calvo-Gonzalez, Rashmi Shankar et Riccardo Trezzi, Banque mondiale, Policy Research Working Paper n° 5460, Are Commodity Prices More Volatile Now ? A long-run perspective, octobre 2010.
17 () Il s’agit des États suivants : Algérie, Angola, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Equateur, Iran, Iraq, Koweït, Libye, Nigéria, Qatar et Venezuela.
18 () Il s’agit des États suivants : Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Corée du sud, Danemark, Espagne, États-Unis, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Japon, Luxembourg, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, République slovaque, Royaume-Uni, Suède, Suisse et Turquie.
19 () Scandium, yttrium, lanthane, cérium, praséodyme, néodyme, prométhéum, samarium, europium, gadolinium, terbium, dysprosium, holmium, erbium, thulium, ytterbium et lutécium.
20 () OMC, Rapport sur le commerce mondial, 2010.
21 () Dans sa communication au Parlement européen et au Conseil du 6 mai 2010, intitulée : « Initiative matières premières ».
22 () Professeur d’économie à l’ESG et fondateur de GBP Conseil.
23 () Article dans La Tribune du 30 juin 2011.
24 () A la suite de cette mesure et de la brusque réaction des marchés, le Financial Times du 29 juin 2011 titrait : « Who’s the Oiligopolist now ? ».
25 () A Note on Rising Food Prices, Donald Mitchell, Banque mondiale, juillet 2008 (http://www-wds.worlbank.org/external/default/WDSContentServer/WDSP/IB/2008/07/28/000020439_20080728103002/Rendered/PDF/WP4682.pdf)
26 () http://www.extension.iastate.edu/agdm/crops/outlook/soybeanbalancesheet.pdf
27 () On estime ainsi qu’au plan mondial, la production agricole a été multipliée par 2,5 entre 1960 et 2005,
cf Alternatives internationales mai 2011, “L’état de la terre 2011”
28 () Standard Chartered Plc : Commodity Focus Quarterly, 21 juin 2011.
29 () Certains observateurs estiment toutefois que l'accident du train à grande vitesse chinois en juillet 2011 pourrait conduire à une remise en cause du programme ferroviaire national et réduire considérablement la demande de métaux. C’est notamment l’hypothèse formulée par le chef économiste de Citigroup en Chine, M. Shen Minggao, qui anticipe un ralentissement des travaux d’infrastructures, ce qui risque de briser l’essor des métaux de base. La progression de l’indice du LME, qui a connu une hausse de 35 % entre juillet 2010 et juillet 2011, pourrait dans cette hypothèse être ralentie.
30 () British thermal units. La valeur du gaz naturel est déterminée par son potentiel énergétique mesuré en Btu. Un Btu est la quantité de chaleur nécessaire pour élever la température d'une livre d'eau d'un degré à la pression atmosphérique.
31 () FMI, Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2010.
32 () Il s’agit de la bauxite, du coke, du « spath fluor », du magnésium, du manganèse, du carbure de silicium, du métal de silicium, du phosphore jaune et du zinc
33 () Le souvenir demeure prégnant de la gestion des stocks par la Caisse française des matières premières, créée en 1980. L’Inspection générale des finances lui a porté des critiques sévères en 1988, au motif de son coût, de son absence de stratégie et de son faible degré d’utilité (dans un contexte d’absence de pénurie).
34 () François Bersani et Jean-Luc Vo Van Qui, Problématique de la constitution de stocks stratégiques de ressources minérales non énergétiques, avril 2010.
35 () JODI en anglais, « Joint Oil Data Initiative », renommé récemment : « Joint Organisations Data Initiative ».
36 () Ces 6 organisations sont l’Agence internationale de l’énergie, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole, l’Organisation pour la coopération Asie-Pacifique, Eurostat, l’Organisation latino-américaine de l’énergie et le service statistique des Nations-Unies.
37 () Cette base de données porte sur 7 produits pétroliers : pétrole brut, GPL, essence, kérosène, gazole, fuel et autres produits issus du pétrole
38 () J. Buba et M. Liegey, La volatilité des prix des matières premières, Centre d’analyse stratégique, Note d’analyse n° 206, janvier 2011.
39 () Le prix affiché n’est pas toujours le reflet de transactions effectives, contrairement aux prix des contrats à terme.
40 () Il s’agit des Groupes d’études internationaux sur le cuivre (ICGS), le nickel (INSG) et le plomb et le zinc (ILZSG).
41 () Selon le Bureau des ressources minérales du ministère de l’écologie, les métaux concernés par cette étude seraient le cobalt, le rhodium, le palladium, le scandium, le germanium, l'indium, le rhénium, le molybdène, le tellure et les terres rares.
42 () L’acronyme BFOE (Brent, Forties, Oseberg, Ekofisk) désigne le panier de qualités auquel fait référence le contrat Brent du marché ICE.
43 () Il est à noter qu’un rapport sur ce sujet, élaboré conjointement par l’Organisation internationale des commissions de valeurs, le Forum international de l’énergie, l’Agence internationale de l’énergie et l’OPEP sera présenté aux ministres des finances du G20 en octobre 2011.
44 () En effet, deux catégories de prix sont disponibles au LME : le prix au comptant et le prix à 3 mois. Dans la mesure où il intègre les coûts de stockage, d’assurance et de transport, le prix à terme est en principe plus élevé que le prix au comptant : c’est ce que l’on nomme une situation de « contango ». Les banques s’assurent ainsi un revenu régulier, dit de « renouvellement du contango ».
45 () Les propositions formulées par vos rapporteurs à ce sujet sont exposées en détail dans la troisième partie du rapport.
46 () Cela reviendrait à élargir le périmètre de la base de données sur les produits dérivés de gré à gré dont la création est aujourd’hui à l’étude (notamment dans le cadre de la proposition de règlement EMIR), et qui fait l’objet d’une proposition de vos rapporteurs (cf p. 141)
47 () Principles for the Regulation and Supervision of Commodity Derivatives Markets, Rapport final du comité technique de l’OICV, septembre 2011.
48 () Delphine Lautier, Yves Simon, Marchés dérivés de matières premières, Economica, 2006.
49 () Un swap (de l’anglais « to swap » : échanger) est le principal instrument négocié sur le marché de gré à gré auquel recourent les opérateurs à la recherche d’une protection contre le risque de prix.
50 () D. Lautier, Y. Simon, ouvrage précité
51 () Nicholas Dunbar, Inventing Money, John Wiley & Sons, 2000.
52 () L’endossement consiste à transférer à un tiers qui les accepte les obligations impliquées par le contrat commercial d’origine.
53 () JP Favennec, L’énergie à quel prix, Technip, 2006.
54 () Les autres qualités physiques spécifiques jugées représentatives des pétroles bruts raffiné sont, pour l'Amérique du Nord, le brut domestique (la loi interdisant l’exportation du pétrole américain) du Golfe du Mexique comme le Light Louisiania Sweet (LLS) ou le Mars ; pour l'Europe, l’autre brut britannique de la Mer du Nord - le Forties – et les bruts norvégiens, l'Oseberg et l'Ekofisk, disponibles, comme le Brent, sous forme de cargaisons négociées free on board, c’est-à-dire pour livraison dans les eaux territoriales de leur pays de production ; et pour « l'est de Suez », des bruts du golfe arabo-persique: le Dubai et l'Oman, également négociables sous forme de cargaison F.O.B.
55 () Huit pays (le Royaume-uni, les États-Unis, le Brésil, l’Australie, la Chine, l’Inde, la Corée du Sud et le Japon), disposent de bourses de marchandises concernant les métaux. Ils cotent le plus souvent un nombre réduit de métaux à l’exception des bourses de Londres, de Shanghaï et Mumbay (ex Bombay-Inde).
56 () Les matières premières : une classe d'actifs à part entière ? Banque de France, Revue de la stabilité financière, n° 9, décembre 2006.
57 () Sauf si le sous-jacent est un indice composite. Le règlement s’effectue alors en numéraire.
58 () Soit la reconduction de la position sur l’échéance suivante.
59 () En particulier la quantité d’actif sous-jacent par contrat (appelée quotité), la qualité dudit sous-jacent, les détails de la livraison et pénalités de retard, la devise et le pas de cotation, les échéances (les plus fréquentes sont à trois mois), ou les variations journalières maximales.
60 () Tels que le Chicago Mercantile Exchange (CME), le Chicago Board of Trade (CBOT) et le New York Mercantile Exchange (NYMEX), tous trois membres du CME Group, le London Metal Exchange ou l’ex-MATIF à Paris (NYSE Liffe désormais, établi à Londres et qui dispose d’un marché à Paris). Des places se sont également développées dans les pays émergents (Dalian Exchange en Chine, Multi-Commodity Exchange en Inde, Bolsa di Mercadorias e Futuros au Brésil…) mais sont moins ouverts aux transactions internationales.
61 () On ne dispose pas de statistiques permettant de déterminer précisément cette part, les données publiées par la Banque des règlements internationaux étant établies en nombre de contrats pour les marchés organisés et en montant notionnel ou en valeur brute de marché pour les produits OTC. On constate néanmoins que les dérivés sur matières premières ne représentaient fin juin 2010 que 0,5 % du montant notionnel de tous les dérivés OTC comptabilisés, plus des trois quarts étant constitués de dérivés de taux d’intérêt (swaps et options).
62 () J.A. Frankel (1986), Commodity Expectations and commodity prices dynamics : the over-shooting model. American Journal of Agricultural Economics, n°68, pp. 344-348.
63 () R.B. Barsky et L. Kilian (2002), Do we really know that oil caused great stagflation ? A monetary alternative. NBER Macroceconomics Annual n° 16, pp. 137-198.
64 () R.B. Barsky et L. Kilian (2004), Oil and the macroeconomy since the 1970s. Journal of Economic Perspectives n°18, pp. 115-134.
65 () J.A. Frankel (2007), The effect of monetary policy on real commodity price dynamics in Asset prices and monetary policy, edited by J. Campbell, University of Chicago Press
66 () A. Anzuini, M.J. Lombardi et P. Pagano (2010), The impact of monetary policy shocks on commodity prices. Banque centrale européenne, Working Paper Series, n°1232.
67 () Dans sa définition la plus large, le swap (échanger en anglais) est un échange entre deux entités portant sur un actif ou un passif de façon temporaire. Un swap sur matières premières se définit ainsi comme un accord en vertu duquel un agent convient d’acheter à date fixe et à un prix déterminé une certaine quantité de matières premières et reçoit en contrepartie le produit monétaire de la vente aux prix variables observés régulièrement sur le marché, de cette même quantité. Un swap dealer est une personne qui agit à titre de contrepartie dans un contrat de swap.
68 () K. Tang et W. Xiong, Index Investment and the Financialization of Commodities, National Bureau of Economic Research, septembre 2010.
69 () P. Artus Financiarisation des matières premières : un rôle important mais probablement surestimé, Flash Economie, Natixis, 29 mars 2011 et B. Büyüksahin et M.A. Robe, Speculators, Commodities and Cross-Market Linkages, Working Paper, 2010.
70 () Volatilité des prix des matières premières, Note d'analyse du Centre d'analyse stratégique n°206, janvier 2011.
71 () Delphine Lautier, Yves Simon, Marchés dérivés de matières premières, 3ème édition, Economica, 2006 (p.307).
72 () Idem.
73 () Organisation mondiale du commerce, Rapport sur le commerce mondial 2010.
74 () J.L. Smith (2009), World Oil : Market or mayhem ? Journal of Economic perspectives 23 (3) et P. Krugman (2008), Running out of planet to exploit, The New York Times, 21 avril 2008
75 () Banque mondiale, Global Economic Prospects 2009 : Commodities at the Crossroads, Washington DC.
76 () Fonds monétaire international, Perspectives de l’économie mondiale, octobre 2008.
77 () En 1990, Pindyck et Rotenberg ont défini le comportement moutonnier – ou « herding » - comme une situation dans laquelle les opérateurs se positionnent alternativement à la hausse ou à la baisse sur les matières premières, sans aucune raison économique plausible.
78 () Le montant des dépôts obligatoires est passé de 12,8 $ à 14,5 $ par contrat en raison de la hausse du prix du métal physique.
79 () Les ETF sont des fonds indiciels traités, cotés et négociables en bourse. Les ETC font également l’objet d’une cotation en continu. Leur principale différence avec les ETF réside dans leur nature juridique, puisqu’un ETC est une obligation zéro coupon à durée indéterminée, tandis qu’un ETF est un OPCVM. Les ETN répliquent le profil rendement/risque des principales stratégies d’investissement sur les marchés de matières premières (achat, vente, levier). Il s’agit de titres de dette senior et non subordonnée, dont la structure est ouverte. Les ETN comme les ETC peuvent répliquer la performance d’une seule matière première, contrairement aux ETF qui doivent respecter une règle de diversification.
80 () En effet, les fonds indiciels présentent l’inconvénient de répliquer les cours de l’ensemble d’un marché. Or, depuis la crise financière de 2008, les cours des matières premières connaissent des évolutions bien plus disparates. Un ETF physique permet à l’inverse de cibler un métal en particulier.
81 () Il est à noter que l’AEMF a lancé une consultation publique sur ce sujet.
82 () Il existe quatre régimes de régulation applicables aux intervenants sur les marchés dérivés de matières premières en Europe : un régime de soumission totale aux directives européennes ; un régime de soumission partielle, notamment en matière de capitaux propres ; un régime d’exemption totale ; un régime d’exemption totale au niveau européen mais faisant l’objet de dispositions nationales spécifiques.
83 () Selon le règlement 1287/2006/CE du 10 août 2006 d’application de la directive 2004/39/CE relative aux marchés d’instruments financiers, il s’agit des produits qui remplissent l’une des caractéristiques suivantes : 1) être réglables en espèces 2) être échangés sur un marché organisé 3) ou être assimilables à un contrat échangé sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, être normalisé et faire l’objet d’une procédure de compensation.
84 () Le commissaire démocrate Dunn, malgré son vote en faveur du texte, s’est lui-même déclaré sceptique sur l’utilité d’une telle règle, jugée non prioritaire
85 () Les abus de marchés sont le délit d’initié, la manipulation de transactions, la dissémination d’informations fausses ou tendancieuses, les comportements trompeurs et déloyaux.
86 () Les critères d’obtention des licences et l’encadrement de la supervision déléguée sont précisément définis par la FSA. L’information doit être pertinente, honnête et complète, et disponible auprès de tous les acteurs concernés avant, pendant et après la transaction.
87 () Il s’agit de la « Lending Guidance ».
88 () Ce prix doit être inférieur au prix spot majoré d’une prime (0,5 % du prix spot pour le seuil de 50 % ; 0,25 % pour le seuil de 80 % ; prime nulle pour le seuil de 90 %).
89 () Principles for the Regulation and Supervision of Commodity Derivatives Markets, Rapport final du comité technique de l’OICV, septembre 2011.
90 () Dans sa définition la plus large, le swap (échanger en anglais) est un échange entre deux entités portant sur un actif ou un passif de façon temporaire. Un swap sur matières premières se définit ainsi comme un accord en vertu duquel un agent convient d’acheter à date fixe et à un prix déterminé une certaine quantité de matières premières et reçoit en contrepartie le produit monétaire de la vente aux prix variables observés régulièrement sur le marché, de cette même quantité. Un swap dealer est une personne qui agit à titre de contrepartie dans un contrat de swap.
91 () Par une interprétation favorable du point i de l’article 2, qui prévoit une exemption pour les « personnes négociant des instruments financiers pour compte propre ou fournissant des services d’investissement concernant des instruments dérivés sur matières premières (…) aux clients de leur activité principale à condition que ces prestations soient accessoires par rapport à leur activité principale, lorsque cette activité principale est considérée au niveau du groupe ».
92 () En France, la loi de régulation bancaire et financière a récemment étendu certaines compétences de l’Autorité des marchés financiers (AMF) aux produits dérivés. Elle a également appliqué aux marchés de quotas d’émission de gaz à effet de serre les règles pertinentes qui régissent déjà les échanges d’instruments financiers, notamment au travers d’un dispositif de coopération entre l’AMF et la Commission de régulation de l’énergie.
93 () Selon des critères d’éligibilité prédéterminés, par exemple un niveau élevé de liquidité.
94 () En particulier aux instruments financiers qui sont négociés exclusivement sur des plates-formes alternatives ou de gré à gré.
95 () Notamment par la suppression de la dérogation au profit des « personnes dont l'activité principale consiste à négocier pour compte propre des matières premières et/ou des instruments dérivés sur ces matières ».
96 () Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions : « Relever les défis posés par les marchés des produits de base et les matières premières » (doc. 5992/11 du 3 février 2011).
97 () Energy Working Group’s issues paper on fossil-fuel price volatility, 2010.
98 () La question de sa localisation n’apparaît pas primordiale, l’essentiel étant d’offrir aux autorités un accès complet et non entravé aux informations.
99 () Les marchés dérivés énergétiques, 2010.
100 () Idem
101 () Stultz, 1996.
102 () Frankel, 2008.
103 () Les marchés pétroliers tendent aussi à devenir des marchés d’investissement. Même si le volume investi par les fonds indexés reste difficile à apprécier, il a été estimé à 50 Md$ par la CFTC en juin 2008 sur le seul contrat WTl du NYMEX (soit 28 % du total des positions ouvertes} et à 120 à 130 Md$ par d’autres sources sur les contrats WTl et Brent du NYMEX et d’ICE (soit 62 % des positions ouvertes sur les seuls futures). Fin 2008, selon LCM Commodities, ces montants avaient cependant été ramenés à environ 20 Md$, sous l’effet tant de la chute des prix du pétrole que des désinvestissements réalisés par ces fonds.
104 () Les marchés NYMEX et ICE Futures Europe ont institué des limites de position souples de 10 000 contrats. Les investisseurs peuvent ainsi détenir 10 000 contrats à terme sur le WTI et 10 000 « calendar spreads », qui sont des produits dérivés livrés financièrement à l’échéance et constitués de deux contrats à terme, à échéance distincte.
105 () Selon M. Jean-Marie Chevalier, « cette pratique consiste, pour un trader, à prendre une position sur le marché sur la base d’informations figurant dans une note d’analyse destinée aux investisseurs, avant que celle-ci ne soit diffusée, ou à passer un ordre pour compte propre avant celui du client externe pour en tirer avantage. Cette pratique est prohibée sur les marchés d’actions. »
106 () Selon l’AMF, le trading à haute fréquence ne recouvre que partiellement la notion de trading algorithmique. En effet, le trading à haute fréquence désigne uniquement les « stratégies pour lesquelles la vitesse d’exécution est fondamentale », alors que le trading algorithmique « implique essentiellement la forte utilisation de l’outil informatique pour automatiser les tâches de prise de décision d’investissement et/ou d’exécution, dans un but de vitesse ou d’optimisation. »
107 () Un pas de cotation est l’écart minimal autorisé entre deux cours d'une même valeur sur un marché réglementé. Cet écart est établi en euros ou en pourcentage.
108 () AMF, précité.
109 () Elle la définit comme une « information à caractère précis, qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directement ou indirectement, un ou plusieurs de ces instruments dérivés et que les utilisateurs des marchés sur lesquels ces instruments dérivés sont négociés s’attendraient à recevoir conformément aux pratiques admises sur ces marchés ».
110 () 1) L’information se réfère à des circonstances qui ne sont pas publiques 2) L’information est en lien direct ou indirect avec le prix d’au moins un dérivé sur matière première 3) L’information se réfère à des faits dont l’occurrence est possible 4) Ces faits ont un impact potentiel sur le prix des produits dérivés en question.
111 () Le groupe de travail (« task force ») de l’Organisation internationale des commissions de valeurs consacré aux marchés à terme de matières premières a souligné, dans son rapport d’avril 2011, l’accord qui s’est manifesté entre les différents États pour étendre la régulation aux marchés de gré à gré, conformément à la proposition de la présidence française du G20. Par ailleurs, la section 727 de la loi Dodd-Frank contraint les parties à un instrument dérivé de gré à gré à déclarer le contrat auprès d’une chambre de compensation ou, si le swap n’est pas accepté à la compensation par une chambre de compensation, auprès d’une base de données centrale ou encore, si aucune base de données n’accepte ledit contrat dérivé, auprès de la CFTC.
112 () Cette dénomination est donnée aux 14 banques les plus actives dans le domaine des contrats dérivés : Bank of America, Barclays, BNP Paribas, Citigroup, Crédit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, HSBC, JP Morgan Chase, Morgan Stanley, Royal Bank of Scotland, Société Générale, UBS et Wells Fargo.