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N° 4031

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 décembre 2011.

RAPPORT D’INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l’article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES FINANCES, DE L’ÉCONOMIE GÉNÉRALE ET DU CONTRÔLE BUDGÉTAIRE

en conclusion des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle (MEC) (1)

sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

et prÉsentÉ

par MM. Alain CLAEYS, Jean-Pierre GORGES, et Pierre LASBORDES

Députés

___

MM. Olivier CARRÉ et David HABIB

Présidents.

____

La mission d’évaluation et de contrôle est composée de : MM. Olivier Carré, David Habib, Présidents, Jérôme Cahuzac, Président de la commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, M. Gilles Carrez, Rapporteur général, MM. Pierre Bourguignon, Jean-Pierre Brard, Bernard Cazeneuve, Alain Claeys, Charles de Courson, Richard Dell’Agnola, Yves Deniaud, Jean-Louis Dumont, Jean-Michel Fourgous, Louis Giscard d’Estaing, Laurent Hénart, Jean Launay, François de Rugy, Philippe Vigier.

LES FINANCEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES DE LA RECHERCHE : POINTS DE REPÈRE 7

INTRODUCTION 9

1.– La nécessité d’une forte relance de l’effort de recherche français 9

2.– Le recours aux financements extrabudgétaires 11

I.– L’AMPLEUR CROISSANTE DES CRÉDITS EXTRABUDGÉTAIRES CONSACRÉS À LA RECHERCHE 13

A.– UN RECENSEMENT DES FINANCEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES CONSACRÉS À LA RECHERCHE 13

1.– Les dispositifs antérieurs au grand emprunt 13

a) Les crédits apportés aux pôles de compétitivité 13

b) Les dispositifs d’apports en fonds propres 15

2.– Le plan Campus 15

a) Les modalités de financement des dotations Campus 15

b) Un retour financier promis par l’État aux universités et non encore effectué 17

c) La répartition des dotations entre les différents groupements universitaires 17

d) Quel équilibre entre les disciplines ? 20

3.– Les Investissements d’avenir 21

a) Un mode de financement et de gestion particulier 21

b) Les investissements relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur 23

c) Les dépenses concernant les autres ministères dans le périmètre de la mission interministérielle 24

d) Une architecture financière innovante 25

B.– LA DIFFICULTÉ DE COMPTABILISER LES INVESTISSEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES 25

C.– UNE GOUVERNANCE COMPLEXE ET TROP PEU LISIBLE 27

D.– L’ARTICULATION ENTRE LES FINANCEMENTS ET LEUR IMPACT SUR LE DÉVELOPPEMENT DU TERRITOIRE 28

1.– Quelle convergence entre les crédits des différents programmes ? 28

2.– Y a-t-il un risque de concentration des moyens au détriment de certains territoires ? 29

II.– L’ÉTAT DE MISE EN œUVRE DU PLAN CAMPUS ET DU PROGRAMME D’INVESTISSEMENTS D’AVENIR 31

A.– LE PLAN CAMPUS : UNE MISE EN œUVRE RETARDÉE PAR DE NOMBREUX OBSTACLES 32

1.– Des obstacles juridiques qui ont été surmontés 35

a) L’absence de compétence des universités en matière immobilière 35

b) Le recours à la nouvelle forme juridique des partenariats public-public 35

c) La capacité d’emprunter des universités 37

2.– Des lenteurs dues à l’insuffisante adaptation de la gouvernance du système universitaire 38

B.– LE PROGRAMME D’INVESTISSEMENTS D’AVENIR 39

1.– La phase de l’identification des projets a été menée à bien 40

2.– Le montant des crédits engagés et versés : une progression rapide 40

III.– LE CONTRÔLE DE LA DÉPENSE : GARANTIR SA RÉGULARITÉ ET SON EFFICACITÉ 44

A.– LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DU SUIVI ET DU CONTRÔLE 45

1.– Le rôle du Commissariat général à l’investissement 45

2.– Quel suivi par les opérateurs ? 45

3.– L’intervention souhaitable de l’AERES 47

B.– LE SUIVI DES INVESTISSEMENTS D’AVENIR PAR LE PARLEMENT 48

1.– L’implication d’opérateurs extérieurs dans les projets du plan Campus 49

2.– La surveillance des éventuelles débudgétisations 51

3.– La réalité du transfert des crédits budgétaires vers le non budgétaire à travers les Investissements d’avenir 52

4.– La traçabilité des fonds et la surveillance à instaurer 53

C.– L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE 54

1.– L’évaluation des Investissements d’avenir : des indicateurs incomplets 55

2.– L’évaluation de la mise en œuvre des plans d’investissement 57

3.– L’évaluation du retour sur investissement 59

IV.– MINIMISER L’IMPACT SUR LE PILOTAGE DES FINANCES PUBLIQUES 60

A.– LA SITUATION TRÈS DÉGRADÉE DE NOS FINANCES PUBLIQUES 60

1.– Un contexte budgétaire très contraint 60

2.– Une exigence absolue de maîtrise de la dépense publique 61

a) Le cadre européen : le pacte de stabilité et de croissance 61

b) Le cadre national : les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques et la norme de dépense 62

B.– LES FINANCEMENTS INNOVANTS COMPLEXIFIENT LA LECTURE DU BUDGET DE L’ÉTAT 63

1.– Prendre en compte les Investissements d’avenir dans la norme de dépense 63

a) En 2010, les dépenses d’avenir ne sont pas prises en compte dans le périmètre de la norme de dépense 64

b) En conséquence, selon la Cour des comptes, la norme de dépenses n’a été respectée qu’en apparence en 2010 64

c) À partir de 2011, un impact sur le déficit différencié selon la nature des fonds considérés 65

2.– Les difficultés d’apprécier l’impact des Investissements d’avenir sur les finances publiques 67

a) L’impact sur le déficit public 67

b) L’impact sur la dette publique 69

c) L’impact sur le solde des administrations publiques 69

LES PROPOSITIONS DE LA MEC 73

EXAMEN EN COMMISSION 75

ANNEXES 83

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 83

II.– TABLE DES AUDITIONS 85

LES FINANCEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES DE LA RECHERCHE :
POINTS DE REPÈRE

I.– Le plan Campus, laboratoire expérimental des financements innovants

Le plan Campus, lancé en 2007, a pour objet immédiat de rénover le patrimoine universitaire ; son but est de créer une dynamique en faisant émerger une dizaine de campus de niveau international, sélectionnés par le Gouvernement. Le montant de la dotation totale s’élève à 5 milliards d’euros, composés de 3,7 milliards d’euros issus de la cession du capital d’EDF fin 2007 et de 1,3 milliard d’euros au titre des Investissements d’avenir (dotations non consommables transférées à l’ANR en 2010).

Les universités reçoivent, non pas des tranches de cette dotation, mais le produit des intérêts du capital correspondant, calculé sur la base du taux d’intérêt à dix ans auquel se finançait l’État lors du lancement de l’opération.

Au 30 novembre 2011, les avances versées correspondant aux intérêts 2010 et 2011 s’élèvent à 56,9 millions d’euros. La modicité de cette somme est liée à la complexité des opérations immobilières en cause.

II.– Le grand emprunt : des financements profondément novateurs

● L’État, stratège, n’a pas vocation à prendre en charge la gestion, mais à fixer le cap. La démarche suivie vise à l’efficacité des dépenses d’investissement d’avenir. Elle est originale à plusieurs titres :

– un pilotage par une administration de mission légère, le Commissariat général à l’investissement ;

– la sélection des projets par des jurys internationaux, garantie de qualité ;

– un financement non retracé dans le budget de l’État, car réalisé directement par des opérateurs, l’Agence nationale de la recherche (ANR) jouant un rôle central dans les domaines de la recherche et de l’enseignement supérieur ;

– une distinction entre les actifs risqués, donnant lieu à des dotations dites « consommables » (le terme « consomptible » n’ayant pas été retenu) et les actifs sans risques, conservés au sein de la trésorerie de l’État et assurant par leurs intérêts des revenus réguliers.

● Lancé par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, le grand emprunt a pour objectif le financement des Investissements d’avenir préconisés par la Commission Juppé-Rocard.

Cet emprunt de 34,64 milliards d’euros se compose de 15 milliards d’euros de dotations non consommables et de 19,6 milliards d’euros de dotations consommables. Les dotations consommables sont destinées à constituer des actifs à risque. Elles incluent trois catégories d’interventions : les prêts et garanties de prêts, les prises de participations et les avances remboursables.

Elles se distinguent des dotations non consommables, constituées de fonds déposés sur le compte de l’opérateur auprès du Trésor, dont seuls les produits d’intérêt sont versés aux bénéficiaires des crédits, et qui présentent un caractère non risqué pour l’État. L’objectif recherché est la sécurisation sur longue période d’une source de revenus réguliers pour les universités ou les centres de recherche publique.

La durée concernée par l’ensemble de ces dotations pluriannuelles varie selon les conventions. En moyenne, elle serait proche de 4 à 5 ans.

● Les priorités des Investissements d’avenir déterminés par la commission Juppé-Rocard portent principalement sur l’enseignement supérieur et la formation, pour 11 milliards d’euros, et sur la recherche, pour 7,9 milliards d'euros, soit au total 18,9 milliards d’euros sur 34,6.

Les autres priorités étaient les suivantes :

– les filières industrielles et les PME (6,5 milliards d'euros) ;

– le développement durable (5,1 milliards d'euros) ;

– le numérique (4,5 milliards d'euros).

● En 2010, la totalité des fonds levés par le grand emprunt a été versée sur les comptes des opérateurs. Les fonds ont donc disparu des documents budgétaires, d’où la difficulté d’en assurer le suivi.

Au 30 septembre 2011, le bilan des engagements de crédits est le suivant : 12,4 milliards d’euros d’engagements, soit 36 % du total, dont 6,34 milliards d’euros de dotations consommables et 6,07 milliards d’euros de dotations non consommables.

Le bilan des décaissements de crédits consommables à la fin du troisième trimestre 2011 est de 1,6 milliard d’euros, soit un quart des crédits consommables engagés.

● Fin 2011, les perspectives d’engagements de crédits porteraient sur 15 à 20 milliards d’euros, dont 6 à 8 milliards d’euros de dotations consommables et 10 à 12 milliards d’euros de dotations non consommables.

Quant aux décaissements de crédits, au 30 septembre 2011, ils se limitent à 1,5 milliard d'euros de dotations consommables et 10,4 millions d’euros d’intérêts de dotations non consommables.

Le volume des crédits décaissés pourrait être plus rapidement croissant dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche que pour les projets industriels dont la mise en œuvre est nécessairement plus longue.

Certaines décisions des jurys d’initiatives d’excellence (Idex) n’ayant pas encore été finalisées, des incertitudes persistent quant au montant des dotations et au calendrier des décaissements.

INTRODUCTION

Selon le rapport du Conseil d’analyse économique sur les marchés de brevets dans l’économie de la connaissance présenté en novembre 2010 (2), les dépenses de recherche et développement (R&D) des entreprises ont plus que doublé dans le monde entre 1991 et 2008, passant de 300 à 640 milliards de dollars, avec un effort très important des pays émergents.

En 2008, alors que la dépense de R&D des États-Unis s’élevait à 236 milliards de dollars (+ 60 % par rapport à 1991), celle de l’Europe était seulement de 139 milliards de dollars (+ 50 %). Cette même année, la France a engagé 22 milliards de dollars de dépenses de recherche et développement (+ 25 % par rapport à 1991) tandis que l’effort des pays émergents se montait à 120 milliards de dollars, dont 80 milliards pour la Chine seule, soit 27 fois plus qu’en 1991.

La stratégie nationale de recherche et d’innovation adoptée en conseil des ministres de décembre 2009 a rappelé la nécessité de la recherche fondamentale dans une société de la connaissance comme l’impératif de compétitivité qui s’impose à l’économie française.

Le rapport du Conseil d’analyse économique met par ailleurs en exergue le transfert des connaissances de l’université vers l’industrie, comme une composante centrale des politiques d’innovation des pays avancés. Il souligne que « la France, où la densité des chercheurs est supérieure à celle des autres pays européens ou des États-Unis, se caractérise par une efficacité moindre de sa machine à innover, imputable autant à une productivité de la recherche inférieure qu’à des structures de valorisation des brevets encore mal adaptées ».

L’effort de recherche français, mesuré par le rapport entre la dépense intérieure de recherche et le PIB, était inférieur en 2009 (2,21 %) à celui de 2002 (2,23 %) et nous situe à la cinquième place des pays les plus importants de l’OCDE, nettement derrière le Japon (3,42 %), la Corée du Sud (3,37 %), les États–Unis (2,77 %) et l’Allemagne (2,64 %), mais devant le Royaume-Uni (1,77 %).

1.– La nécessité d’une forte relance de l’effort de recherche français

Si l’on prend en considération la part de la recherche effectuée par les entreprises au sein de la dépense totale de recherche française, on constate qu’elle est du même ordre que dans les autres pays de l’Union européenne. Pourtant cette part prise par les entreprises à l’effort total de recherche est inférieure dans l’UE à celle de l’ensemble des pays de l’OCDE, elle-même en retard au regard de la croissance des dépenses de R&D dans le reste du monde.

En 2008, la part de la France dans les publications scientifiques mondiales de haut niveau était de 4,2 % contre 5,7 % pour l’Allemagne et le Royaume-Uni et 24 % pour les États-Unis, selon le rapport cité plus haut. Le fait que les chercheurs britanniques publient davantage que les chercheurs français avec une dépense de recherche moindre soulève une question intéressante sur la pertinence de l’effort de recherche, ou sur le statut des chercheurs français.

Compte tenu des difficultés liées à la crise de la dette publique, en Europe comme aux États-Unis, et des contraintes pesant sur la politique budgétaire française, avec un déficit public évalué à 5,7 % du PNB pour 2011, le renforcement de l’économie française par une meilleure diffusion de l’innovation, du savoir et des progrès de la recherche est l’enjeu décisif des prochaines années. Dès 2009, cette politique a été mise en œuvre par l’adoption de la stratégie nationale de recherche et d’innovation (SNRI). Puis la loi relative aux libertés et responsabilités des universités du 10 août 2007 (LRU) a posé les bases d’une réforme d’ensemble du système d’enseignement supérieur, en permettant notamment aux universités de se doter de l’autonomie et de créer des fondations faisant appel à la générosité privée.

Face à l’insuffisance de la recherche privée en France, et au sous-financement de notre système d’enseignement supérieur, l’État a engagé depuis 2007 un effort considérable de remise à niveau de la dépense intérieure de recherche et de développement. Il s’agit de faire progresser la dépense nationale de R&D jusqu’à atteindre 3 % du PIB, objectif fixé au Conseil européen de Lisbonne de mars 2000. Malgré l’accroissement des crédits de soutien, le ratio de la dépense intérieure de recherche et de développement par rapport au produit intérieur de la Nation (DIRD), de 2,23 % en 2002, était en effet tombé à 2,07 % en 2007, avant de remonter à 2,11 % du PIB en 2008.

Depuis le début de la présente législature, entre la loi de finances initiale pour 2007 et le projet de loi de finances pour 2011, les moyens budgétaires consacrés à la recherche ont connu une progression de 19,5 % en autorisations d’engagement et de 18,4 % en crédits de paiement. En 2011, la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur de l’État reste la première priorité du Gouvernement, avec 25,19 milliards d’euros de crédits de paiement. En outre, la réforme du crédit impôt recherche engagée en 2008 pour stimuler les dépenses de R&D des entreprises françaises, inférieures de 25 à 40 % aux dépenses des entreprises observées au Japon, aux États-Unis et en Allemagne, a accru le poids de la créance fiscale dont bénéficient les entreprises éligibles. Celle-ci est en effet passée d’un montant initial de 1,68 milliard d’euros en 2007 à 4,5 milliards d’euros en 2010 (+ 194 %, soit un quasi triplement entre 2007 et 2008).

Des résultats ont été enregistrés : en 2009, la dépense intérieure de recherche a continué le redressement amorcé en 2008 et a progressé à un rythme soutenu, bien au-dessus de la moyenne observée au cours des dix dernières années : cette progression est essentiellement due à la recherche publique, dont la contribution augmente quatre fois plus que celle des entreprises. Par ailleurs en 2008, les universités, qui ont fortement augmenté leurs dépenses de recherche (+ 7 % en volume en 2005 et 2006), deviennent le premier secteur d’exécution de la recherche publique.

Au-delà de ces efforts exceptionnels, le Gouvernement a jugé nécessaire en 2010, de mettre à la disposition des chercheurs français des moyens accrus, afin de permettre des avancées scientifiques fondamentales, et de susciter les sauts technologiques qui assureront à notre pays de conserver ou d’acquérir une place prééminente dans les domaines d’avenir, comme l’espace, les énergies renouvelables, l’information les biotechnologies et les nanotechnologies ou le numérique. À défaut d’investissements, laisser la France en dehors de la compétition mondiale pour les emplois du futur revient à laisser ceux-ci aux États-Unis, à l’Inde, au Brésil ou à la Chine.

2.– Le recours aux financements extrabudgétaires

En l’absence de marges de manœuvre financières et budgétaires, la priorité donnée au secteur de la recherche en raison de son caractère stratégique pour l’avenir de l’économie française a conduit à sélectionner des financements spécifiques, d’un impact limité sur le niveau d’endettement public. Ces financements ont été le recours choisi pour le plan Campus d’abord, pour le programme d’Investissements d’avenir ensuite.

Renforcer l’attractivité et la modernisation de l’enseignement supérieur français, telle était la mission du plan Campus, lancé en 2007 et visant à rénover le patrimoine immobilier universitaire. Ce plan a été doté d’un montant total de crédits de l’État de 5 milliards d’euros, soit 3,7 milliards dégagés par la cession de 2,5 % du capital d’EDF en décembre 2007, puis, dans le cadre des Investissements d’avenir, 1,3 milliard d’euros supplémentaires.

Selon les orientations définies par la Commission Juppé Rocard à la fin novembre 2009, le programme d’Investissements d’avenir s’est fondé sur un recours aux crédits extrabudgétaires, ainsi que l’a établi la loi de finances rectificative pour 2010 n° 2010-237 du 9 mars 2010. Celle-ci a alloué 21,9 milliards d’euros de crédits à des programmes relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur, soit 62,5 % des crédits du grand emprunt.

Il convient de cerner de manière précise la notion de financement extrabudgétaire. La Cour des comptes, dans sa communication sur les interventions de l’État dans l’économie par des moyens extrabudgétaires, présentée le 15 septembre 2010 (3), définit cette notion par deux critères : l’exclusion du recours aux flux budgétaires d’une part, et, d’autre part, la non-application des principes du droit budgétaire, dont en particulier l’annualité, l’unité, l’universalité ou la spécialité.

Dans son analyse de la procédure du grand emprunt, la Cour apprécie le recours aux mécanismes extrabudgétaires au regard du contexte actuel d’un déficit et d’un endettement massifs de la France, et de la nécessité de contrôler au plus près la rentabilité économique des investissements par le choix d’organismes spécialisés.

Dans le cas des Investissements d’avenir, les crédits empruntés par l’État cessent de figurer dans les écritures budgétaires aussitôt après leur transfert aux opérateurs, réalisé en 2010. Les crédits ont été inscrits dans les missions de l’État en loi de finances rectificative pour 2010, pour disparaître dès la loi de finances pour 2011. L’engagement et le paiement des crédits se dérouleront sur une période de dix ans, en dehors des flux budgétaires et, dans une grande mesure, hors des procédures de vote et de contrôle du Parlement.

Ces considérations ont conduit le bureau de la commission des Finances à saisir la Mission d’évaluation et de contrôle des différents problèmes de pilotage et de contrôle des financements extra-budgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur. La mission a désigné les trois rapporteurs qui avaient déjà travaillé sur les pôles de compétitivité en 2009 (rapport n° 1930) et sur le crédit d’impôt recherche en 2010 (rapport n° 2686). Ses travaux ont été conduits en concertation avec la troisième chambre de la Cour des comptes, en particulier M. Jacques Tournier, conseiller-maître, qui a assisté à l’ensemble des auditions.

I.– L’AMPLEUR CROISSANTE DES CRÉDITS EXTRABUDGÉTAIRES CONSACRÉS À LA RECHERCHE

A.– UN RECENSEMENT DES FINANCEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES CONSACRÉS À LA RECHERCHE

Les financements extrabudgétaires, extrêmement limités auparavant, ont acquis un poids et une visibilité sans cesse croissants au cours des dernières années. Il convient de rappeler de quelle manière et pour quels objectifs ils ont pris une telle place dans le paysage de la recherche française.

1.– Les dispositifs antérieurs au grand emprunt

a) Les crédits apportés aux pôles de compétitivité

Le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les enjeux de la politique des pôles de compétitivité, définis comme « le rapprochement d’entreprises, de centres de formation et d’unités de recherche engagés dans une démarche partenariale et voués à dégager des synergies autour de projets innovants » a permis de dresser en septembre 2009 un premier bilan de cette politique lancée en 2005. Les crédits publics engagés pour le soutien du processus de constitution et de développement des pôles se sont élevés à 1,5 milliard d’euros pour la période 2005-2008 et au même montant pour la période 2009-2011. L’un des buts recherchés était d’améliorer le passage et les passerelles entre la recherche fondamentale, la recherche industrielle et l’innovation par le moyen des procédures d’appel à projets lancées par des opérateurs.

Dans son rapport d’enquête sur les interventions extrabudgétaires de l’État en faveur de la recherche développement, notamment dans les pôles de compétitivité, la Cour des comptes précise que l’ensemble des financements de l’État et des opérateurs comme l’Agence nationale de la recherche (ANR), Oséo innovation et la Caisse des dépôts et consignations (CDC) a représenté 1,46 milliard d’euros en 2005-2008, dont 946 millions d’euros pour l’État et donc 514 millions en provenance des opérateurs, suscitant près de 4 milliards d’euros de dépenses de recherche et développement. Pour la période 2009-2011, les ressources publiques s’élèvent à 1,5 milliard d’euros dont 850 millions distribués par l’ANR (600 millions d'euros), par Oséo et par la CDC, (250 millions d’euros). La part « opérateurs » et donc le financement d’origine extrabudgétaire, a augmenté de 35 à 56 % dans le total des dépenses, entre la première et la seconde phase, soit de 2005-2008 à 2009-2011.

Mais beaucoup reste à faire pour accroître la qualité du transfert de technologie depuis la recherche universitaire, alors que seulement 10 % des projets les plus prometteurs financés par Oséo, très en amont, trouvent leur marché, et ce sera la tâche des sociétés d’accélération des transferts de technologie (SATT) (4). Dans le cadre des projets d’innovation, environ 55 % des projets d’Oséo réussissent.

Hors grand emprunt, la Cour des comptes estime que les dispositifs extrabudgétaires de soutien à l’innovation (pôles de compétitivité et intervention d’Oséo Innovation, de l’ANR et de l’ADEME) représentent un montant annuel moyen compris entre 700 et 800 millions d’euros par an. Ce montant est à mettre au regard du coût du dispositif fiscal du crédit d’impôt recherche (CIR). En volume, l’incitation, et donc la dépense fiscale du crédit d’impôt recherche est beaucoup plus importante, puisqu’en 2009, plus de 13 000 établissements ont bénéficié du CIR, les entreprises concernées ayant déclaré plus de 15 milliards d’euros de dépenses et reçu en retour 4,2 milliards d’euros de réduction d’impôts.

Soulignant le coût de la réforme du CIR de 2008, la Cour des comptes rappelle que celui–ci est cinq fois plus élevé que celui des aides ciblées sur appel à projet des opérateurs, et conclut à la relative modestie des interventions extrabudgétaires en faveur de l’innovation par rapport à la dépense fiscale du crédit d’impôt recherche.

Sur le bilan financier des pôles, la MEC relevait dans son rapport de septembre 2009 qu’en décembre 2008 les restes à payer s’élevaient encore à 76,6 % des crédits de paiement, indiquant une certaine inertie du système. La critique a été relayée par un référé de la Cour des comptes sur la politique de regroupement dans l’enseignement supérieur du 22 février 2010, dont l’analyse constatait également l’empilement des dispositifs de soutien et l’absence de coordination comme de synergie entre les 71 pôles de compétitivité, les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) créés par la loi sur la recherche de 2006, les réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA), et les instituts Carnot, contrairement à l’objectif recherché. La suite du présent rapport conduira à confirmer la pertinence de cette remarque.

b) Les dispositifs d’apports en fonds propres

En 2009, les dispositifs extra–budgétaires d’apports en fonds propres aux entreprises, et notamment aux PME, ont représenté 2,1 milliards d’euros. Il s’agit des fonds mobilisés par le Fonds stratégique d’investissement (FSI) (1,3 milliard d’euros) et la Caisse des dépôts et consignations (750 millions d’euros), ainsi que des contributions de l’État au capital risque par l’intermédiaire du Fonds de fonds technologique 3, ou « FFT3 », fonds commun de placement à risque géré par CDC entreprises, filiale de la CDC (50 millions d’euros pour la part de l’État).

À ces montants s’ajoutent les contrats de développement participatifs d’Oséo accordés sur une enveloppe d’un milliard d’euros refinancée par le programme d’Investissements d’avenir.

2.– Le plan Campus

Il était temps que les universités françaises, plongées elles aussi dans la compétition mondiale, sortent de leur isolement relatif. Le classement de Shanghaï, comme celui du Times, a fait prendre conscience d’un risque de mise à l’écart. L’opération Campus, lancée en 2007, porte sur la rénovation du patrimoine immobilier universitaire, évalué à 18 millions de mètres carrés, souvent partiellement obsolète et trop consommateur d’énergie, dont un tiers est en très mauvais état. Dix sites ont été sélectionnés courant 2008 dans le cadre d’un appel à projets, l’objectif du plan étant également de susciter des regroupements associant des universités et des grandes écoles déjà réunies dans les PRES, pour faire émerger des campus de niveau international et renforcer la visibilité et l’attraction des universités françaises dans la compétition internationale. Sept sites sont en région et trois en Île-de-France.

Ces opérations doivent bénéficier d’un montant total de 5 milliards d’euros apportés par l’État. La majeure partie, soit 3,7 milliards d’euros, est issue de la cession de 2,5 % du capital d’EDF en décembre 2007. Elle est inscrite sur le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État. La loi de finances rectificative du 9 mars 2010 a ajouté 1,3 milliard d’euros supplémentaires dans le cadre des Investissements d’avenir.

a) Les modalités de financement des dotations Campus

Le tableau suivant présente la provenance et la répartition des financements entre les sites, les dotations provenant donc pour certains sites du compte d’affectation spéciale, pour d’autres des Investissements d’avenir nés de la loi de finances rectificative de 2010.

LES SOURCES DE FINANCEMENT DU PLAN CAMPUS : COMPTE D’AFFECTATION SPÉCIALE ET INVESTISSEMENTS D’AVENIR

(en millions d’euros)

Site

Bénéficiaires

Dotation

Aix-Marseille

PRES-EPCS

500

Bordeaux

PRES-EPCS

475

Grenoble

PRES-EPCS

400

Lyon

PRES-EPCS

575

Montpellier

PRES-EPCS

325

Strasbourg

université

375

Toulouse

PRES-EPCS

350

Condorcet

EPCS Campus Condorcet

450

Paris

PRES-EPCS Hesam

100

CROUS de Paris

150

Total convention CAS PFE

3 700

Paris

PRES-EPCS Paris Cité

200

FCS Sorbonne universités

130

FCS Paris Sciences et Lettres

70

Fondation CIUP

50

Plateau de Saclay

FCS

850

Total conventions LFR 2010

1 300

Total opération Campus

5 000

Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Ces dotations en capital sont dites « non consomptibles » ou « non consommables », c'est-à-dire que seuls les intérêts produits par leur rémunération sur un compte du Trésor seront attribués aux universités. Celles-ci ont manifesté une réaction très positive, disposant ainsi d’une source de financement pérenne supplémentaire et non soumise à la régulation budgétaire. Ces revenus ne transitent pas par la mission Recherche et enseignement supérieur mais pèsent sur les dépenses du programme Charge de la dette et trésorerie de l’État de la mission Engagements financiers de l’État, mécanisme qui sera repris pour les Investissements d’avenir.

Les conditions de rémunération des fonds ont été fixées par un arrêté du ministre de l’Économie du 15 juin 2010, lequel distingue les fonds provenant de la vente d’EDF et les fonds votés en 2010. Au total, la dotation est rémunérée par le Trésor à un taux moyen de 4,032 %, ce qui représente des intérêts d’environ 202 millions d’euros chaque année.

L’Agence nationale de la recherche (ANR) est l’opérateur attributaire des crédits, et la dotation en capital lui a été transférée au mois d’août 2010. En réalité, la dotation transférée atteignait très précisément 4 986 541 003 euros ; ce sont les premiers intérêts perçus par l’ANR en octobre 2010 qui ont permis de porter cette dotation au montant annoncé de 5 milliards d’euros.

b) Un retour financier promis par l’État aux universités et non encore effectué

Le Gouvernement s’était engagé à ce que la rémunération du capital attribué aux universités intègre également les intérêts correspondant aux intérêts d’emprunt économisés par l’État du fait de la réduction de son besoin de financement à due concurrence des sommes destinées au plan Campus mais demeurées situées, depuis la fin décembre 2007, sur le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

Cet engagement, qui n’a pas encore été honoré, représente un enjeu financier non négligeable, car cette rémunération « rétroactive susceptible d’être reversée aux universités » pourrait atteindre, selon les calculs de la Mission d’information relative à la mise en œuvre de la LOLF (MILOLF) (5), au moins 350 millions d’euros. Selon le ministère du Budget, ces sommes sont qualifiées « d’intérêts notionnels » et n’ont pas été inscrites au budget de l’État, constituant une « dette morale ».

La mission considère que cette question doit faire l’objet d’une décision explicite au terme d’un débat, afin d’éviter de laisser perdurer un malentendu et d’entretenir la frustration du monde de l’université et de la recherche. C’est pourquoi elle demande qu’il soit donné suite à la recommandation exprimée en juillet 2010 par la MILOLF.

Proposition n° 1 – Garantir aux universités bénéficiaires du plan Campus une rémunération pour le capital de 3,7 milliards d’euros au titre de l’ensemble de la période écoulée depuis décembre 2007, date de l’inscription de cette somme sur le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

c) La répartition des dotations entre les différents groupements universitaires

Les intérêts produits par la rémunération de la dotation ont été partagés entre les sites universitaires retenus par le ministère au terme d’une procédure d’appel à projets.

LA RÉPARTITION DES INTÉRÊTS DE 2010-2011 ENTRE LES SITES

(en milliers d’euros)

site

bénéficiaire

opération

engagé

payé

Aix-Marseille

PRES Université d'Aix-Marseille

Aix rénovation du stade Ruocco

1 020

918

Aix Centre sportif universitaire extension des installations

2 350

2 115

AIX Centre sportif universitaire restructuration 1ère tranche

2 670

2 403

Aix Cité des Gazelles rénovation des pavillons 2 et 3

4 000

3 600

Bordeaux

PRES Université de Bordeaux

acquisition foncière Carreire

1 000

100

aménagement de la cour Leyteire

1 000

900

TPG crèche interuniversitaire

180

900

Talence Pessac Gradignan travaux pôle SHS

760

684

Grenoble

PRES Université de Grenoble

Site Ouest GreEnER libération des emprises et travaux préparatoires

3 624

3 262

Site Ouest plateforme nanosécurité

3 000

2 700

Campus Est plan lumière

1 050

945

Campus Est collecte sélective

250

225

Campus Est création de trois terrains de sports street basket et football

583

525

Campus Est réfection des terrains de sport extérieurs

1 986

1 787

Campus Est bibliothèque universitaire de droit et lettres création d’une cafétéria

800

720

Campus Est piscine rénovation des salles annexes et vestiaires

2 290

2 061

Campus Est démolition Agora et achat de préfabriqués

645

581

Campus Est Coriolis reconstruction

3 858

772

Lyon

PRES Université de Lyon

Lyon Tech La Doua équipements sportifs 1ère tranche

2 543

2 289

Montpellier

PRES Université Montpellier Sud de France

Cité universitaire Colombière réhabilitation du bâtiment 4

2 850

2 565

Cité universitaire Boutonnet réhabilitation du bâtiment D

2 743

2 469

Cité universitaire Triolet réhabilitation du bâtiment I

2 194

1 975

Strasbourg

Université de Strasbourg

Campus vert 1ère tranche

3 700

3 330

Toulouse

PRES Université de Toulouse

Toulouse School of Economics fouilles archéologiques

850

400

Rangueil maison de la recherche et de la valorisation

4 754

4 279

37 allées Jules Guesdes laboratoire d'anthropologie moléculaire

995

896

Condorcet

AFTRP

acquisitions foncières 1ère tranche

10 000

0

Paris

EPAURIF

Caserne Lourcine partie universitaire études

2 000

1 800

Censier Poliveau et Irlandais études

2 990

2 691

Centre technique du livre de l’enseignement supérieur études

3 200

2 880

CROUS de Paris

Centre universitaire rue des Saints Pères rénovation de la cafétéria

600

540

Chancellerie des universités de Paris

Sorbonne rénovation des installations électriques

4 500

4 050

Saclay

Fondation Campus de Saclay

Fondation Hadamard

1 600

1 600

   

TOTAL

76 585

56 959

Chaque site bénéficie d’une enveloppe globale et d’une liste d’opérations. Les ajustements entre lignes en fonction des prix réels sont ainsi facilités. Pour un site universitaire important qui reçoit entre 800 millions et un milliard d’euros par an, le ratio que représente l’apport de l’opération Campus est de 2 à 2,5 % par an.

La programmation des 270 millions d’euros correspondants aux intérêts 2010 et 2011 a été validée en novembre 2010. Elle sera notifiée, au fur et à mesure de la signature des 68 conventions, aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur et aux établissements publics de coopération scientifique gestionnaires du plan Campus, selon la répartition suivante :

LA RÉPARTITION DES INTÉRÊTS DE 2010-2011 ENTRE LES SITES

Site

Intérêts attribués
(en milliers d’euros)

Conventions à signer

Aix-Marseille

23 054

6

Bordeaux

20 100

10

Grenoble

21 662

14

Lyon

23 243

6

Montpellier

11 787

4

Strasbourg

16 900

3

Toulouse

18 254

5

Condorcet

10 000

1

Paris CAS PFE

51 000

7

Total convention CAS PFE(1)

196 000

56

Paris LFR 2010

24 000

6

Saclay

50 000

6

Total convention LFR 2010

74 000

12

Total Opération Campus

270 000

68

Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

(1) Compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

Pour les opérations anticipées permettant d’accélérer la réalisation des opérations Campus, la règle imposée aux sites est la passation des marchés de travaux d’ici au premier trimestre 2012. Pour veiller au respect de cette règle et inciter les porteurs de projet à la respecter, la convention de financement État/ANR/porteur de projet n’est signée qu’à cette échéance. Les porteurs de projet (les PRES) pré financent les études jusqu’à ce stade, et bénéficient ensuite d’une avance de trésorerie.

Les porteurs de projet pourront ajuster la liste des opérations à l’intérieur de leur enveloppe. Seuls trois sites ont demandé à bénéficier de cette possibilité : Bordeaux, Paris et Toulouse. Compte tenu de ces diverses modifications, le nombre d’opérations et donc de conventions à signer est passé de 58 à 68. Selon le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, au 30 novembre 2011, 33 conventions ont été signées sur 68, pour lesquelles les avances payées s’élèvent à 56 millions d’euros, concernant Aix-Marseille, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Strasbourg, Paris, Toulouse, Condorcet et Saclay.

Les décaissements liés au plan Campus sont donc faibles : les raisons de ces lenteurs, imputables à la complexité des opérations d’aménagement urbain réunissant de multiples partenaires – villes, universités, financiers, opérateurs et entreprises de transport – seront analysées dans la deuxième partie du présent rapport.

À Paris, certaines opérations financées sur les intérêts perçus par l’ANR pour 2010-2011 ont intéressé plusieurs bénéficiaires de la dotation Campus. Leur réalisation a été confiée à un établissement tiers : l’EPAURIF ou la chancellerie des universités de Paris, qui peuvent l’un et l’autre intervenir. Certaines conventions de financement seront ainsi passées avec une autre personne morale que l’un des six bénéficiaires parisiens d’une dotation Campus, selon l’avenant à la convention du 20 juillet 2010 publié au Journal officiel du 4 août 2011.

d) Quel équilibre entre les disciplines ?

Ce premier bilan de mise en œuvre des Investissements d’avenir montre que les exigences des appels d’offres ont été conçues pour les « sciences dures », et que des domaines comme la gestion, les lettres et le droit ne pouvaient être retenus, notamment car ils ne disposent pas des mêmes indicateurs de dénombrement des publications, en particulier internationales, qui permettraient de les mettre en valeur lors de la sélection. Ainsi que l’a souligné le président de la Conférence des présidents d’université (CPU), la manière de procéder en Allemagne pour la sélection des initiatives d’excellence a été différente : elle est partie de la base en interrogeant les universités par une grande enquête leur demandant de recenser les meilleurs projets. La CPU allemande a participé à la rédaction du cahier des charges en veillant à l’équilibre des disciplines, aussi trouve-t-on une grande université de droit au cœur d’un projet d’excellence, alors qu’aucun Labex n’a encore été sélectionné en droit.

Il est certain que la deuxième vague de sélection doit être l’occasion d’ouvrir le processus d’excellence à des domaines « oubliés » jusqu’à présent mais également nécessaires à la présence économique française dans le monde et à la performance de son modèle juridique. Le droit européen, l’arbitrage, le droit du commerce international ou le droit environnemental pourraient ainsi être considérés comme ayant vocation au label Idex ou Idefi (Initiatives d’excellence en formations innovantes).

Pour parfaire la carte de l’excellence, il était souhaitable d’associer la CPU au processus, au moins par une contribution à la rédaction du cahier des charges de la sélection. Le dispositif nouveau des Idefi doit répondre à la préoccupation exprimée devant la MEC d’ouvrir la possibilité d’un renforcement du poids des projets en sciences humaines. L’appel à projets, qui est en cours au dernier trimestre 2011, donnera lieu, au début de l’année 2012 à la sélection de 20 projets au maximum. Préparé en concertation avec les représentants des universités et des organismes de recherche, il donne une nouvelle chance à la sélection notamment dans les domaines précédemment « oubliés ».

À noter qu’un autre avenant, consacré à l’action de recherche sur le cancer est également en cours d’élaboration. Il pourrait permettre le redéploiement de 20 millions d’intérêts générés par la dotation non consommable des initiatives d’excellence. La mission ne peut qu’approuver le comblement de cette lacune de la première vague d’appels à projets, plusieurs fois regrettée au cours des auditions.

3.– Les Investissements d’avenir

Au cours de son audition par la commission des Finances le 26 janvier 2010, le Commissaire général à l’investissement, M. René Ricol, a estimé que grâce aux effets de levier escomptés par les cofinancements privés, l’engagement des 34,64 milliards d’euros du grand emprunt devrait permettre de provoquer une dépense finale de 60 milliards d’euros. Les Investissements d’avenir sont le développement le plus important du financement extrabudgétaire : la loi de finances rectificative de 2010 a en effet alloué 18,9 milliards d’euros, soit 55 % des crédits du grand emprunt, à des programmes relatifs à la recherche (7,8 milliards d'euros) ainsi qu’à l’enseignement supérieur et à la formation (11 milliards d'euros).

a) Un mode de financement et de gestion particulier

Ce montant engagé sur 10 ans est à rapprocher des crédits prévus au budget triennal 2011-2013 de la mission : 10 milliards d’euros par an, et des crédits de recherche engagés par les universités. Pour 2011, il faut ajouter aux 10,8 milliards de crédits de recherche relevant de la MIRES les 3,9 milliards d’euros de crédits de recherche effectuée par les organismes et les universités, soit 14,7 milliards d’euros votés. Il s’agit donc d’un apport annuel décisif d’engagement de l’économie française dans l’économie de la recherche et de la connaissance, et d’investissements structurants dans les secteurs porteurs, santé, énergies renouvelables, économie numérique, qui doivent générer la croissance et les emplois de demain.

Conformément aux préconisations de la commission Juppé–Rocard, le financement de projets véritablement innovants et marquant une rupture technologique, validés comme tels par des jurys internationaux et certifiés par le Commissariat général à l’investissement, responsable de la définition des indicateurs d’évaluation de la performance, ne sera pas confié aux services de l’État. Il sera assuré par des agences spécialisées comme l’Agence nationale de la recherche ou l’Agence de l’environnement et de la promotion de l’énergie, plus habituées à expertiser des projets de recherche, mieux disposées à œuvrer en lien avec le secteur privé ou à susciter les cofinancements nécessaires. Ainsi le ministère du Budget, tout en étant présent aux conseils d’administration de l’ANR, du CNRS ou du CEA, n’est pas représenté aux différents comités de pilotage, à l’exception de celui du plateau de Saclay qui est un investissement immobilier.

« Si le nouveau mode opératoire conduit à privilégier le financement sur projets c’est que le financement par des dotations récurrentes était trop peu lié aux résultats des organismes financés et que l’allocation des moyens au sein d’organismes n’intégrait qu’imparfaitement les résultats des évaluations internationales existantes », comme l’a indiqué au cours de son audition M. Vincent Moreau, sous-directeur à la direction du Budget, chargé de la recherche et de l’enseignement supérieur, le 5 juillet 2010. Autrement dit, le nouveau montage est destiné à améliorer la performance, les résultats et la reconnaissance internationale des projets de recherche.

D’autre part, la logique des Investissements d’avenir conduit les opérateurs à effectuer deux mutations.

La première est un changement d’échelle de leur intervention. En effet, les crédits antérieurement gérés par l’ANR concernaient des projets de 400 000 euros pour un projet académique, ou de 800 000 euros pour un projet en partenariat. L’ampleur des crédits désormais gérés par l’ANR au titre des Investissements d’avenir est de 18,85 milliards d’euros sur 10 ans, alors même que son budget a diminué en 2011 de 90 millions d’euros sur un total de 800 millions d’euros environ en 2010. Cette agence a obtenu 30 postes supplémentaires sur les 45 demandés pour faire face aux nouveaux enjeux représentés par les Investissements d’avenir. Lors de son audition par la MEC le 8 juin 2011, la présidente de l’ANR, Mme Jacqueline Lecourtier, a souligné la complémentarité entre les projets propres à l’ANR et les nouveaux projets des Investissements d’avenir, en matière de technologie de la santé, de nouveaux matériaux ou encore pour ce qui concerne l’aide au vieillissement.

D’autre part, les Investissements d’avenir seront soumis à la double exigence systématique d’effet de levier et de retours financiers, posée à juste titre par le CGI. Ces objectifs supposent une importante mutation de culture d’entreprise pour les opérateurs, puisqu’au mode opératoire traditionnel des subventions directes (un tiers des crédits), s’ajoutent des partenariats et des prises de participation qui entraînent, du propre aveu des opérateurs, de vrais changements de mentalité. À cette fin, l’ADEME par exemple a dû se rapprocher de CDC Entreprises pour mieux instruire les prises de participation, qui devraient représenter 6 à 800 millions d’euros sur les 2,85 milliards de crédits à gérer. Pour son président, M. Philippe Van de Maele, rappelant les premiers appels à manifestation d’intérêt concernant le stockage de l’énergie, l’énergie solaire thermodynamique ou photovoltaïque, la géothermie ou le grand éolien, lors de son audition par la MEC le 28 juin 2011, le programme d’Investissements d’avenir est un outil extraordinaire pour les enjeux du Grenelle, car il multiplie la capacité financière disponible pour monter les projets et structurer les filières industrielles.

b) Les investissements relevant de la mission Recherche et enseignement supérieur

Pour les investissements relevant de la MIRES, ceux-ci ont été répartis entre les programmes suivants.

LISTE DES CONVENTIONS AU TITRE DE LA
MISSION RECHERCHE ET ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

(en milliards d’euros)

Programme

Action

Convention

Opérateur

Montant

Instituts d’excellence en matière d’énergies décarbonées

Instituts d’excellence

Instituts d’excellence en matière d’énergies décarbonées

ANR

1

Projets thématiques d’excellence

Équipements d’excellence

Équipements d’excellence

ANR

1

Santé et biotechnologies

Santé et biotechnologies

ANR

1,55

Espace

Espace

CNES

0,5

Pôles d’excellence

Campus d’excellence

Initiatives d’excellence

ANR

7,7

Opération Campus

Opération Campus

ANR

1,3

Opération du plateau de Saclay

Opération du plateau de Saclay

ANR

1

Valorisation

Fonds national de valorisation

ANR

0,95

France Brevets

CDC

0,05

Instituts Carnot

ANR

0,5

Instituts de recherche technologique

ANR

2

Laboratoires d’excellence

Laboratoires d’excellence

ANR

1

Instituts hospitalo-universitaires

Instituts hospitalo-universitaires

ANR

0,85

Recherche dans le domaine de l’aéronautique

Démonstrateurs technologiques aéronautiques

Recherche dans le domaine de l’aéronautique

ONERA

0,9

Aéronefs du futur

ANR

0,6

Nucléaire de demain

Réacteur de 4e génération

Réacteur de 4e génération ASTRID

CEA

0,65

Réacteur Jules Horowitz

Réacteur Jules Horowitz

CEA

0,25

Recherche en matière de traitement et de stockage des déchets

Recherche en matière de traitement et de stockage des déchets

ANDRA

0,1

Les 17 conventions signées entre l’État et les 6 opérateurs reprennent les actions prévues en loi de finances rectificative, certaines, comme le renforcement des Instituts Carnot ou les campus d’innovation technologique, bénéficiant d’une convention spécifique. Sur la période 2010-2020, le total des crédits consommables des programmes Projets thématiques et Pôles d’excellence représentent un peu plus de 4 milliards d’euros, auxquels s’ajoutent un peu plus de 4 milliards supplémentaires des intérêts capitalisés sur la part non consomptible des dotations, et deux milliards de plus pour l’opération Campus, soit un total d’une dizaine de milliards de crédits supplémentaires effectifs qui pourront être versés aux bénéficiaires ultimes sur la période 2010–2020.

c) Les dépenses concernant les autres ministères dans le périmètre de la mission interministérielle

Cinq programmes pilotés par le ministère de l’Écologie concernent les « Instituts thématiques d’excellence en matière d’énergie décarbonées », la « Recherche dans le domaine aéronautique », le « Nucléaire de demain », les « Démonstrateurs et plateforme technologiques en énergie renouvelable et décarbonées et chimie verte » et le « Véhicule du futur ».

L’objectif central de ces programmes dotés de 6 milliards d’euros, est de stimuler les synergies entre la recherche publique et les entreprises. Ils sont destinés à accélérer le développement des énergies renouvelables, le captage et le stockage de CO2, la future génération d’énergie nucléaire, la chimie verte, le recyclage, ainsi que les transports du futur, afin de contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre et pallier l’épuisement à venir des ressources naturelles d’hydrocarbure.

Les investissements prévus sont partagés comme l’indique le tableau suivant.

PROGRAMMES « RECHERCHE ET INNOVATION » PILOTÉS PAR LE MEEDDM

(en milliards d’euros)

Programme

Actions

   

Instituts thématiques sur les énergies décarbonées (MEEDDM)

Instituts d’excellence

1,0

Opérateur ANR

Convention publiée au JO le 30 juillet 2010

Clôture de l’AMI le 10 septembre 2010

Sortie de l’AAP en octobre ou novembre 2010

Clôture de l’AAP en janvier 2011 ?

Véhicules du futur recherche transports (MEEDDM)

Démonstrateurs de recherche et plates-formes partenariales

 

Opérateur ADEME

1. Construction automobile

0,75

2. Construction ferroviaire

0,15

3. Construction navale

0,10

Énergies renouvelables & décarbononées et chimie verte (MEEDDM)

1. Démonstrateurs énergies renouvelables et chimie verte

1,35

Démonstrateurs de recherche, plate-formes expérimentations avant industrialisation

Opérateur : ADEME

Convention publiée au JO le 8 avril 2010

2. Tri et valorisation des déchets, dépollution, écoconception de produits

0,25

Économie circulaire :

démonstrations et expérimentations

Opérateur : ADEME

Convention publiée au JO le 8 août 2010

Recherche dans le domaine aéronautique (MEEDDM)

   

Opérateur : ONERA

Convention publiée au JO le 31 juillet 2010

1. Démonstrateurs technologiques aéronautiques

0,9

Thèmes : efficacité énergétique, gestion de l’énergie, systèmes de navigation

2. Aéronefs du futur

0,6

Soutien au développement de nouveaux appareils

Nucléaire de demain (MEEDDM)

1. Réacteur de 4ème génération

0,65

Opérateur : CEA

Convention publiée au JO le 11 septembre 2010

2. Réacteur Jules Horowitz

0,25

Opérateur : CEA

Convention publiée au JO le 20 juillet 2010

3. Recherche en matière de traitement et de stockage des déchets

0,10

Opérateur : ANDRA

Convention publiée au JO le 15 août 2010

d) Une architecture financière innovante

Le programme d’Investissements d’avenir (PIA) porte au total sur 34,64 milliards d’euros composés de 15 milliards d’euros de dotations non consommables – ou « non consomptibles » – et de 19,6 milliards d’euros de dotations consommables. L’architecture financière distinguant entre dotations consommables et dotations non consommables, dont seuls les intérêts sont dépensés par des opérateurs, rappelle le montage mis en œuvre pour les dépenses du produit de la taxe sur les billets d’avion (6).

Les dotations non consommables sont des fonds déposés sur les comptes du Trésor de l’opérateur générant des intérêts, seuls les produits d’intérêt étant versés aux bénéficiaires. Ces dotations non consommables concernent uniquement l’enseignement supérieur et la recherche.

Les dotations consommables se composent de prises de participation au capital, d’avances remboursables, de prêts et de dotations en fonds de garantie.

B.– LA DIFFICULTÉ DE COMPTABILISER LES INVESTISSEMENTS EXTRABUDGÉTAIRES

L’articulation des procédures dérogatoires du plan Campus et du grand emprunt avec la logique de « droit commun » de la LOLF apparaît complexe ; elle est néanmoins indispensable.

En matière de recherche et d’enseignement supérieur, interviennent les crédits budgétaires, figurant dans la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES). Puis intervient le PIA, qui passe par une « poche » spécifique comprenant des investissements et du fonctionnement, et qui n’est pas consolidée dans les documents budgétaires. Aussi le Parlement n’aura-t-il aucune vision consolidée de ce programme lorsqu’il examinera les prochains projets de loi de finances et de loi de règlement.

Pour financer le plan Campus, le produit de la vente des titres d’EDF a été réparti entre les universités. Le coût budgétaire de l’opération, qui s’impute non sur la MIRES mais sur le compte d’affectation spéciale des participations de l’État, est à présent connu, depuis que la rémunération en a été fixée à 4,03 %, sous réserve du décalage de départ qui a déjà été souligné.

L’information sur les intérêts versés annuellement aux opérateurs figurera dans les annexes budgétaires relatives aux comptes de commerce (Gestion de la dette et trésorerie de l’État).

La MILOLF a mis en évidence, dans son rapport déjà cité présenté en juillet 2010, que le Parlement doit avoir une vision consolidée pour être à même de contrôler l’efficacité de la dépense et d’assurer la transparence budgétaire. La LOLF a été conçue pour permettre d’évaluer une politique à coûts complets, ce qui suppose de disposer, en additionnant les différents programmes budgétaires, d’une vision consolidée de la dépense publique dans un secteur. Cette vision consolidée est impossible aujourd’hui.

La présente mission reprendra ici la demande exprimée par la MILOLF en 2010 : disposer d’une vision consolidée de l’ensemble des financements, qui continue de faire défaut, même dans l’annexe budgétaire jaune présentée pour la première fois à l’automne 2010, qui était il est vrai encore embryonnaire.

La consolidation des dépenses pourrait être effectuée dans un document de politique transversale (DPT) mis à la disposition du Parlement lors de l’examen du projet de loi de finances.

Proposition n° 2 – Mettre à la disposition du Parlement une présentation homogène et continue des dépenses budgétaires et extrabudgétaires permettant une vision des différents volets des politiques publiques en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Ce document de consolidation peut prendre la forme d’un document de politique transversale présenté en annexe au projet de loi de finances. Il devrait avoir son correspondant en loi de règlement.

Des questions se posent pour l’approche consolidée tant des dépenses de fonctionnement que des affectations d’investissement. De même, il faut préciser comment les immobilisations doivent être valorisées dans la certification des comptes patrimoniaux des universités et de l’État. La manière dont les fonds investis dans l’immobilier universitaire ou dans une société d’accélération de transfert technologique (SATT) seront valorisés n’est pas évidente à ce jour : bien que ces crédits ne soient pas inscrits au budget de l’État, ils s’analysent comme un actif patrimonial appartenant à l’État.

Aussi la consolidation devrait-elle intégrer deux présentations : l’une, budgétaire, en crédits, recettes et dépenses, avec une ventilation entre investissement et fonctionnement ; l’autre en termes d’actifs durables de l’État et de rentabilité de ces actifs, afin que l’on puisse comparer leur rentabilité à celle d’une dépense budgétaire ordinaire.

Ainsi que l’a observé M. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance de la Caisse des dépôts, lors de son audition par la Mission, cela permettrait de savoir si l’opération aura eu le même coût qu’un emprunt ou s’il y aura eu valeur ajoutée, c’est-à-dire accroissement de l’actif patrimonial de l’État.

Cette question rejoint celle, récurrente, du lien entre comptabilité budgétaire et sa contrepartie dans le compte de résultats et dans le compte de bilan, en comptabilité générale.

Ce suivi de la constitution d’actifs suppose que soit clarifié le régime de ces actifs. Ainsi dans le cas de projets immobiliers du plan Campus, les constructions appartiennent-elles au porteur de projet (le PRES) ou à l’État ? Dans le cas des partenariats publics-privés, la constitution de l’actif se fera par versement de loyers. Pour les initiatives d’excellence et les laboratoires d’excellence, les actifs se constitueront de manière immatérielle par des équipements ou des prises de participation dans la constitution de sociétés, ou encore se traduire par des brevets. Dans l’action dont France Brevet est l’opérateur, qui sera le propriétaire des actifs immatériels ? Ces précisions devront, selon la Mission, être apportées.

Proposition n° 3 – Le document établissant les dépenses consolidées doit intégrer deux présentations. L’une, budgétaire, en crédits, recettes et dépenses, doit comporter une ventilation entre investissement et fonctionnement. L’autre doit présenter la constitution d’actifs durables et autant que possible la rentabilité de ces actifs.

Ce document de synthèse doit décrire les actifs créés au bénéfice de l’État ou des porteurs de projets en précisant leur nature, leur volume et leur régime juridique.

C.– UNE GOUVERNANCE COMPLEXE ET TROP PEU LISIBLE

Pour les universités et les chercheurs, les fonds mobilisables semblent nombreux : crédits budgétaires pluriannuels, crédits d’investissements des CPER, dotations dans le cadre des partenariats publics-privés, crédits des Investissements d’avenir gérés par l’ANR puis réattribués à des fondations ou des PRES.

La superposition des sources de financement, au titre des différents labels équipements d’excellence (Equipex), laboratoires d’excellence (Labex), instituts d’excellence (Idex), qui supposent des partenariats différents de ceux qui s’élaboraient dans le cadre des PRES, peut susciter une perplexité de première approche, qui persiste à l’audition des principaux responsables. Un afflux de fonds va se produire vers ces nouvelles structures (Labex, Idex, IHU), se superposant aux structures antérieures (IRT), qui sont au demeurant récentes.

Dans la pratique, et alors que le taux d’engagement des contrats de projets États régions est de 50 % pour la période 2007–2013, que les Labex et Equipex ont été attribués, le quotidien du chercheur qui ne peut disposer d’un bureau personnel, ne disposant ni de frais d’achats de livres ou de défraiement pour des missions à l’étranger peut n’avoir guère changé, comme le déplore un chercheur attributaire d’un Labex. La multiplication des guichets de financement amène les chercheurs à consacrer beaucoup de temps à la mise en forme de leurs projets, notamment pour en adapter la présentation aux exigences des guichets. Comme l’a noté le Commissaire général à l’investissement, les Alliances, les opérateurs du grand emprunt, les sociétés d’accélération du transfert technologique, les universités interviennent toutes en matière de recherche et cette avalanche de guichets peut susciter des frustrations.

Les établissements devront se doter des compétences nécessaires pour contrôler le suivi des opérations lors des dialogues compétitifs et le suivi des objectifs tout au long de la réalisation des travaux.

Le mode de gouvernance diffère ainsi que les priorités de sélection du jury constitué par l’ANR, qui ne recoupent pas forcément les choix nationaux. L’ensemble des opérateurs auditionnés a admis que la gouvernance du PIA, si elle fait intervenir en dernier ressort le Premier ministre en arbitrage, est extrêmement compliquée. Les conventions font l’objet d’un aller-retour devant la Commission de surveillance de la Caisse et le Commissariat général à l’investissement. L’intervention du Commissariat général pour « repêcher » in extremis une entreprise porteuse de projet, en modifiant le cahier des charges par la convocation en urgence des directeurs d’administration centrale, conduit la MEC à réclamer parfois plus de souplesse dans l’examen de passage.

D.– L’ARTICULATION ENTRE LES FINANCEMENTS ET LEUR IMPACT SUR LE DÉVELOPPEMENT DU TERRITOIRE

1.– Quelle convergence entre les crédits des différents programmes ?

La Cour des comptes n’a pas manqué d’observer dans son référé de février 2010 sur la politique de regroupement dans l’enseignement supérieur que l’articulation des pôles de compétitivité, des PRES, des Campus d’excellence puis des structures issues du grand emprunt risque de multiplier les centres de coût si cette politique ne s’accompagne pas de mutualisations effectives.

Il n’existe pas de coordination entre le plan Campus et le programme d’Investissements d’avenir : celle-ci, si elle intervient, a lieu au sein des structures décisionnaires des universités. Si l’éligibilité à un programme ou à l’autre relève de procédures de sélection distinctes qui n’interfèrent pas, on constate cependant qu’il y a souvent convergence. Les choix ayant été fondés sur la qualité des projets et le socle sur lequel ils s’appuient, il y a donc une logique à ce que les deux types de projets se recoupent. Toutefois, et cela semble très positif, il existe des surprises, avec des équipes retenues dont on n’avait pas anticipé la sélection.

C’est pourquoi la Mission s’est interrogée sur le risque de voir des doublons entre les crédits du plan Campus et ceux des Investissements d’avenir. Se pose aussi la question de substitution des crédits les uns aux autres.

Les opérateurs avaient, pour certain, bâti des plans d’intervention préexistants au PIA, comme le plan stratégique élaboré par la Caisse des dépôts en 2007. Celui-ci, qui comporte quatre axes prioritaires – université, logement, développement durable et PME – doit à présent croiser ces priorités avec six des huit conventions que le commissaire général à l’investissement a confiées à la Caisse, qui se déroulent à un autre rythme.

L’on peut aussi s’interroger sur la cohérence des différentes interventions conduites par un même opérateur. Les objectifs définis par les conventions du PIA ne rencontrent pas forcément ceux poursuivis par les opérateurs. Ceux-ci tâcheront de les concilier s’ils disposent d’une latitude suffisante aux termes de la convention qui les lie avec l’État.

2.– Y a-t-il un risque de concentration des moyens au détriment de certains territoires ?

La passation des appels d’offres, les appels à manifestation d’intérêt suscitent, Internet aidant, des milliers de réponses dont le traitement prend du temps, provoquant des incompréhensions et des frustrations. Ainsi la CDC se voit reprocher, en région, de ne rien faire pour conforter les structures existantes. Dans les zones dotées d’universités importantes ou de pôles de compétitivité, le PIA ne change pas la donne puisque les jurys retiennent les dossiers excellents qui sont présentés. On peut craindre à l’inverse que des projets qui n’auront pas été jugés prioritaires, du fait du filtre (les jurys internationaux) imposé par le commissaire général, se retrouvent sans moyens. La Caisse devra alors « faire preuve d’imagination pour reprendre le leadership », ainsi que l’ont formulé ses représentants. Le Commissaire général à l’investissement a estimé que l’attribution des laboratoires d’excellence ou des équipements d’excellence ne donnait pas lieu à des déceptions majeures, car Lyon, Grenoble, Bordeaux, Lille et Toulouse ont obtenu satisfaction, alors que Marseille ou Nice auraient pu monter des projets plus significatifs.

Comme l’a relevé l’ensemble des intervenants, les critères de sélection des projets d’initiatives d’excellence par exemple ne prennent pas en compte l’implantation territoriale de ceux-ci, ni leurs implications en matière d’aménagement du territoire.

Il résulte de ce mode de sélection un biais dans la répartition géographique des initiatives d’excellence, que révèle la cartographie de la première vague d’Investissements d’avenir établie par l’Agence nationale de la recherche.

Pour l’année 2010, les dotations budgétaires de l’ANR vont majoritairement aux régions Île-de-France (35,01 % des dotations), Rhône-Alpes (15,70 % des dotations) et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) (7,96 % des dotations).

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, 42,9 % des dotations sont destinés à la région Île-de-France et 10,5 % à la région PACA. S’agissant de la biologie et de la santé, l’Île-de-France concentre jusqu’à 45 % des crédits et la région Rhône-Alpes 14,6 %.

Autre marqueur des inégalités territoriales induites par les Investissements d’avenir, le nombre d’initiatives d’excellence varie sensiblement selon les régions. À elle seule, la région Île-de-France concentre ainsi :

– 32 Equipex ;

– 55 Labex ;

– 15 projets de bio informatique, nano biotechnologies, biotechnologies et bioressources ;

– 11 projets de cohortes et d’instituts hospitalo-universitaires ;

– 6 projets de démonstrateurs et d’infrastructures.

Enfin, si l’effort extrabudgétaire en faveur de la recherche est inégalement réparti entre les régions de France métropolitaine, l’outre-mer ne reçoit quant à elle que 0,32 % des dotations budgétaires de l’ANR. Cette part est destinée à financer les 7 Labex en réseau qui y sont implantés.

On notera qu’outre l’Île-de-France et les grands centres universitaires de province, des spécialisations de grande qualité ont été mises en exergue : Labex de Limoges sur la céramique, trois Labex à Clermont-Ferrand dont un sur la volcanologie et l’IRT de Valenciennes sur le rail.

Les deuxièmes vagues d’appel à projet devraient continuer à donner leur chance à des projets de qualité situés en dehors des plus grands sites.

L’attention doit être également portée au mouvement de formation des nouveaux réseaux d’universités et d’organismes de recherche qui s’est mis en place au cours des dernières années : il serait regrettable que les premiers résultats de la dynamique impulsée par le Gouvernement soient compromis par les nouvelles procédures et les nouvelles synergies.

II.– L’ÉTAT DE MISE EN œUVRE DU PLAN CAMPUS ET DU PROGRAMME D’INVESTISSEMENTS D’AVENIR

Le paysage de la recherche et de l’enseignement supérieur connaît une transformation progressive sous l’impact de nombreux facteurs, tels la loi sur l’autonomie et la responsabilité des universités, ou l’intervention des financements extrabudgétaires. Ceux-ci suivent des calendriers et des rythmes différents, qu’il s’agisse du plan Campus, des Idex, du programme d’Investissements d’avenir ou encore du plan numérique.

● Le plan Campus a été adopté en 2007. L’état des lieux en ce qui concerne sa mise en œuvre concrète en termes de construction et de rénovation de l’immobilier universitaire est à première vue décevant : le monde universitaire constate que quatre ans après la décision, les travaux n’ont pas commencé.

De fait, le nombre des projets immobiliers passés au stade opérationnel avec lancement des appels à candidature et des dialogues compétitifs est très faible. Les crédits engagés se limitent à environ 42 millions d’euros et les crédits versés à 34,3 millions d’euros à fin septembre 2011.

Ce constat doit cependant être tempéré. Tout d’abord, les présidents et les conseils d’administration des universités ont été « pris par surprise », n’ayant pas défini de projet à l’avance, dans la mesure où mener à bien la construction ou la rénovation du bâti n’avait jamais relevé de leur compétence. Il a donc fallu définir et faire adopter des projets, qui sont dans de nombreux cas de très importantes opérations bouleversant l’organisation des universités, comme à Bordeaux, ou supposant la fusion d’universités séparées depuis vingt ans, comme à Strasbourg.

Après l’appel à projets Campus, la sélection des campus lauréats a été annoncée début 2009. Il a fallu ensuite en moyenne 18 mois d’études préalables pour définir le périmètre opérationnel et les plans de financement stabilisés. Les premières conventions de site entre l’État et les collectivités territoriales, exposant les engagements des parties prenantes, ont été signées en 2010. L’intervention des collectivités se fera sous la forme de subvention d’investissement ou de maîtrise d’ouvrage traditionnelle.

La situation des sites est donc variable : certains encore en phase d’étude, d’autres en phase d’attribution de contrats. Les appels d’offres se concrétisent très lentement. Les premiers chantiers lancés en 2011 portent plutôt sur des équipements « périphériques » des universités (rénovations de restaurants universitaires, créations de cafétérias, acquisitions foncières) que sur des éléments centraux. Ces premiers équipements sont d’ailleurs réalisés en maîtrise d’ouvrage publique, ce qui montre la difficulté et la complexité des montages juridiques et financiers pour les projets majeurs.

Il est souhaitable que les obstacles retardant l’entrée dans la phase opérationnelle, soient surmontés cette année, car la communauté universitaire ne comprendrait pas que cinq ans se soient écoulés sans que les premiers chantiers de construction ou de rénovation ne soient visibles. À défaut, le risque est fort d’une démobilisation des porteurs de projets.

● La mise en œuvre du programme d’Investissements d’avenir est totalement différente quant aux procédures juridiques, la question de la maîtrise d’ouvrage ne se posant pas, par exemple. Pourtant, les délais de mise en œuvre peuvent aussi sembler longs : ainsi par exemple, l’opérateur Caisse des dépôts et consignations, disposant d’une enveloppe de 6,5 milliards d’euros (de crédits consommables), n’avait décaissé que 8 millions d’euros au 31 mars 2011, soit un an après l’adoption du programme, et 16 millions d’euros au 30 juin 2011. Les engagements sont toutefois plus élevés (267, puis 316 millions d’euros).

Pour ce programme, les procédures apparaissent aussi, selon les gestionnaires, lourdes et compliquées, car les opérateurs travaillent à la fois pour l’État qui leur a donné délégation et pour les structures de coopération scientifique, et doivent rendre des comptes puisqu’ils gèrent des fonds pour le compte de tiers.

L’état d’engagement et de décaissement des fonds qui a été dressé au 30 juin 2011 montre, 18 mois après l’adoption du programme, un démarrage dynamique du processus. On observera cependant que si le versement des fonds aux opérateurs a été rapide, il est suivi d’un complexe travail juridique de mise au point des règles contractuelles et des garanties apportées aux investissements.

La Mission s’est efforcée de dresser le bilan de la mise en œuvre de ces deux politiques et de mettre à jour les aspects qui doivent faire l’objet d’améliorations.

A.– LE PLAN CAMPUS : UNE MISE EN œUVRE RETARDÉE PAR DE NOMBREUX OBSTACLES

Les lenteurs de la mise en œuvre du plan Campus sont liées à plusieurs facteurs, décrits par les acteurs du processus auditionnés par la Mission.

On précisera d’abord qu’en 2010, les crédits versés ont tous été des crédits budgétaires, avec 59,73 millions d’euros versés pour les dix sites, issus des programmes 315 et 150. L’engagement et le décaissement de crédits du plan Campus n’ont commencé qu’en 2011 : le tableau suivant montre l’état de ces mouvements. On peut constater qu’ils sont très faibles par rapport aux crédits disponibles, soit 270 millions d’euros d’intérêts perçus par l’ANR en 2010 et 2011.

OPÉRATIONS CAMPUS
CONVENTIONS SIGNÉES – ÉTAT DES ENGAGEMENTS ET DÉCAISSEMENTS

INTÉRÊTS ANR 2010-2011

Au 13 septembre 2011 (en milliers d’euros)

Site

Bénéficiaire

Opération

Engagé

Payé

Aix-Marseille

PRES Université d’Aix-Marseille

Aix rénovation du stade Ruocco

1 020

918

Aix Cité des Gazelles rénovation des pavillons 2 et 3

4 000

3 600

Bordeaux

PRES Université de Bordeaux

Acquisition foncière Carreire

1 000

100

Grenoble

PRES Université de Grenoble

Site Ouest GreEnER libération des emprises et travaux préparatoires

3 624

3 262

Site Ouest plateforme nanosécurité

3 000

2 700

Campus Est Coriolis reconstruction

3 858

772

Lyon

PRES Université de Lyon

Lyon Tech La Doua équipements sportifs 1ère tranche

2 543

2 289

Montpellier

PRES Université Montpellier Sud de la France

Cité universitaire Colombière réhabilitation du bâtiment 4

2 850

2 565

Cité universitaire Boutonnet réhabilitation du bâtiment D

2 743

2 469

Cité universitaire Triolet réhabilitation du bâtiment I

2 194

1 975

Strasbourg

Université de Strasbourg

Campus vert 1ère tranche

3 700

3 330

Paris

EPAURIF

Caserne Lourcine partie universitaire études

2 000

1 800

Centre technique du livre de l’enseignement supérieur études

3 200

2 880

Chancellerie des universités de Paris

Sorbonne rénovation des installations électriques

4 500

4 050

Saclay

Fondation Campus de Saclay

Fondation Hadamard

1 600

1 600

 

TOTAL

41 832

34 308

La prévision du ministère est que 150 millions d’euros pourront être délégués aux établissements dans le courant de l’année 2011, selon les calendriers proposés par les porteurs de projets.

Huit sites seulement sont mentionnés. Le site de Toulouse relève d’une situation spécifique, combinant un financement extrabudgétaire du plan Campus et un financement budgétaire (752 000 euros) pour le contrat de partenariat pour la reconstruction du campus du Mirail.

Les universités ne disposaient pas en 2007 des capacités en ingénierie et analyse financière pour identifier les besoins et les coûts d’investissement, ou pour effectuer des montages financiers. La MILOLF a constaté dans son rapport de 2010 le retard lié au temps nécessaire pour mettre en place cette ingénierie financière et de monter les dossiers. Des moyens ont été mis à la disposition des établissements afin de recruter les compétences nécessaires : grâce au Plan de relance, 72,5 millions d’euros ont été alloués aux universités, dont 58,8 millions pour les dix sites concernés par les financements extrabudgétaires. Le président de la Conférence des présidents d’université (CPU), auditionné par la mission, a décrit les progrès faits par les universités dans le passage à de nouveaux modes de gestion, et notamment dans l’adoption d’une comptabilité analytique, grâce notamment au recours au Système d’information financier, analytique et comptable (SIFAC), à présent utilisé par la moitié des universités.

Les programmes envisagés par les porteurs de projets sont apparus très ambitieux, non seulement pour les aspects scientifiques et pédagogiques, mais aussi l’aspect immobilier. On constate que la taille des campus concernés va de 40 à 260 hectares, ce qui a pour conséquence des questions d’urbanisme prégnantes à régler, de même que par la suite le lien avec le réseau de transport local.

Une fois le cadre financier connu (en 2009), les préfets ont travaillé à l’aboutissement des conventions partenariales de site afin d’acter les engagements de tous les financeurs, dont les collectivités territoriales. L’engagement financier précis de l’État lui-même s’est fait attendre dans certains cas, et le recours à la formule juridique des partenariats publics privés, préconisé par les services, a pu susciter la réticence des collectivités. C’est pourquoi la signature des conventions a eu lieu de décembre 2009 à mai 2011.

Des obstacles de nature juridiques sont apparus, qui vont être décrits plus loin : ceux-ci sont en voie d’être résolus. Des dissensions ont opposé les partenaires associés à l’investissement, touchant des questions importantes, comme celle de la maîtrise d’ouvrage, du choix de la construction d’un bâtiment neuf, plus prestigieuse, ou de la rénovation qui l’est moins, jusqu’à des questions fiscales comme le bénéfice de la récupération de la TVA, ou encore d’autres qui l’étaient beaucoup moins...

1.– Des obstacles juridiques qui ont été surmontés

La construction et la rénovation du patrimoine universitaire nécessitent le recours à des outils juridiques auxquels les universités n’ont pas accès.

a) L’absence de compétence des universités en matière immobilière

Depuis la loi LRU d’août 2007, les universités peuvent bénéficier de la dévolution des biens mobiliers et immobiliers appartenant à l’État qui leur sont affectés ou mis à disposition, afin d’être non seulement maîtres d’ouvrage sur leurs projets d’aménagement mais aussi de détenir la capacité de disposer pleinement de leur patrimoine. Ce processus de dévolution a été engagé il y a quatre ans ; il est cependant encore inachevé : sur neuf universités candidates, seules cinq ont reçu l’accord pour devenir propriétaires du patrimoine immobilier, et trois se sont engagées dans la procédure de dévolution. Ce processus s’avère long et complexe, et ce n’est qu’à son terme que les universités auraient en principe disposé de la maîtrise d’ouvrage et de la capacité de délivrer les autorisations d’occupations temporaires nécessaires à la signature des partenariats publics privés.

L’adoption de la loi relative aux activités immobilières des établissements d’enseignement supérieur du 13 décembre 2010, sur la proposition de loi présentée par MM. Jean-Léonce Dupont et Philippe Adnot (7), leur a donné la compétence de conclure sur les biens immobiliers des contrats conférant des droits réels à un tiers (indépendamment du transfert du patrimoine). Depuis, les universités peuvent délivrer des droits réels (AOT) sur les bâtiments que l’État leur a affectés. Les universités, disposant d’un apport, peuvent également entrer dans des SCI. Cette modification a ouvert la voie à la signature des PPP. Il n’en demeure pas moins qu’un délai de deux ans est considéré comme inéluctable pour la mise en œuvre d’un tel partenariat, au vu des nombreuses parties prenantes.

b) Le recours à la nouvelle forme juridique des partenariats public-public

Le montage juridique des projets a donné lieu à une innovation sur le plan juridique : à côté des partenariats public-privé (PPP) traditionnels, la Caisse des dépôts et consignations a proposé le montage de partenariats spécifiques public-public, conjuguant les investissements de la Caisse, des régions et des universités.

UNE FORME JURIDIQUE APPROPRIÉE : LE PARTENARIAT PUBLIC-PUBLIC

Dans le montage du « partenariat public-public », un maître d’ouvrage public unique – l’université – est mis au service de la valorisation et de la mutualisation d’un programme immobilier d’ensemble. Une société de réalisation immobilière est créée, filiale (société par actions simplifiées) de l’université ou du PRES porteur du projet, dont le capital est ouvert à la CDC et aux collectivités territoriales. La société est détenue à 51 % par l’université et à 49 % par la Caisse des dépôts et les collectivités le cas échéant. Les parties prenantes s’engagent à rester toute la durée des contrats.

Une autorisation d’occupation du domaine public est conclue avec la société, assortie d’une convention de mise à disposition non détachable. La filiale, seul maître d’ouvrage des opérations immobilières, peut piloter le programme de rénovation, assurer les arbitrages budgétaires et mobiliser les financements nécessaires à la réalisation des opérations. Dans un second temps, le montage est complété par la mise en place de contrats globaux pour la construction, la réalisation et la maintenance des ouvrages.

L’université est ainsi totalement aux commandes de sa programmation et de sa stratégie immobilière et en garantit la cohérence, à la différence des partenariats public-privé classiques où, jusqu’à la fin de l’année 2010, l’État ne pouvait être que le seul signataire des contrats de partenariats.

Cette nouvelle forme juridique a nécessité une période d’élaboration et sa légitimité a été mise en cause. Un arbitrage du Premier ministre est intervenu en avril 2011, au terme duquel les quatre montages en cours ont été confirmés, mais la finalisation des partenariats en a été retardée de plusieurs mois. Ces premiers PPP concernent Bordeaux, Lyon, Strasbourg et AgroParisTech.

En effet, l’investissement direct des conseils régionaux dans le patrimoine des universités est nouveau. Jusqu’à présent, dans le cadre du plan Université 2000 par exemple, l’apport de fonds des collectivités locales à une université avait lieu sous forme de prêt sans aucun transfert de patrimoine. La communauté universitaire a montré des réticences à l’idée que des investisseurs extérieurs puissent intervenir dans le montage patrimonial : le montage public-public, outre qu’il évite la dépendance des universités à l’égard des sociétés de BTP, devrait se révéler plus économique.

Un second problème tenait au fait que, contrairement aux partenariats public-privé, les locaux des établissements concernés par les nouveaux partenariats n’étaient pas exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Cette possibilité d’exonération a été introduite par loi de finances rectificative du 29 décembre 2010, et les collectivités pourront exonérer de taxe foncière, pendant toute la durée du contrat, les immeubles faisant l'objet des contrats « conférant des droits réels à un tiers » et conclus avec des sociétés dont le capital est entièrement détenu par des personnes publiques, ainsi que l’indique l’article L. 762-2 du code de l'éducation.

Un décret était nécessaire pour autoriser formellement les universités à être parties prenantes aux SCI qui seront constituées pour porter les projets. Le texte, approuvé par le Conseil d’État, est aujourd’hui à la signature.

c) La capacité d’emprunter des universités

Une question importante a concerné la capacité d’emprunt des organismes divers d’administration centrale (ODAC).

En effet, la MILOLF ayant insisté sur la nécessité d’encadrer les opérateurs, une circulaire, puis la loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014 a interdit à ces organismes de recourir à l’emprunt à moyen et long terme auprès des établissements bancaires ou financiers.

Une liste des ODAC pour lesquels cette interdiction s’appliquera doit être publiée dans un arrêté ministériel. Les universités seraient donc probablement interdites de recours à l’emprunt, ce qui limite le processus d’autonomie en cours ; toutefois, la mesure ne devrait pas affecter, selon la CDC, la conclusion de partenariats public-public, car les prêts accordés par la Caisse s’effectuent non par l’intermédiaire d’un établissement financier mais sur fonds d’épargne. Les services du Premier ministre ont été sollicités pour arbitrer cette question, et ont autorisé la CDC à financer les opérations à hauteur de 80 % sur une enveloppe d’un milliard qui lui permet d’intervenir dans des opérations de prêt relatives à l’immobilier des universités (au sein de l’enveloppe « infrastructures » de 8 milliards ouverte au titre des actions du plan de relance). Le reste sera apporté en fonds propres sur le capital des SCI, dont la section générale de la Caisse sera partie prenante.

Les diverses incertitudes juridiques et financières ayant été levées, il devient impératif que le Gouvernement fasse clairement le point sur le calendrier prévisionnel de déroulement du plan Campus : évaluations préalables ; appels d’offres et dialogue compétitif avec les partenaires privés ; signature des contrats de partenariat ; début des travaux. Ainsi que la MILOLF l’a observé dans le rapport déjà cité, l’information du Parlement est un enjeu d’autant plus essentiel que les ressources financières utilisées passent par des canaux distincts de la procédure budgétaire classique.

La mission constate en conséquence que beaucoup d’obstacles juridiques ont été levés dans un délai assez rapide. Pourtant, malgré le fait que le CGI, ainsi que le souligne le commissaire général, est « pressé de dépenser » les fonds, les projets revêtent parfois une « complexité inouïe » selon ses propres termes, donnant l’exemple du plateau de Saclay. Pour ce site où l’intervention porte essentiellement sur l’immobilier, les universités et les écoles doivent trouver un accord, le plan local d’urbanisme doit être modifié, les sols viabilisés, le logement doit être développé, la desserte des transports doit être améliorée (ligne de métro évoquée), et bien d’autres questions se posent. Le déclenchement d’une procédure d’intérêt général aurait pu, en effet, être une solution. Ces problèmes expliqueraient que Saclay n’ait pas été sélectionné lors de la première vague d’appels à projet d’initiative d’excellence.

Proposition n° 4 – Présenter annuellement au Parlement un calendrier actualisé et détaillé du déroulement réalisé et prévisionnel de l’opération Campus.

2.– Des lenteurs dues à l’insuffisante adaptation de la gouvernance du système universitaire

La mise en œuvre des projets appelle des arbitrages, souvent délicats, entre les présidents des universités au sein d’un PRES : le processus a certainement contribué à l’apprentissage du fonctionnement d’une gouvernance politique réactive assumant les arbitrages et la gestion des aléas.

Ainsi que l’a démontré le rapport de la MILOLF déjà cité, les insuffisances de la gouvernance du système universitaire ont entraîné des retards dans les procédures, en particulier la tardiveté de la mise en place des « initiatives d’excellence », (nouvelle dénomination des « campus d’excellence »). Ceux-ci ne sont intervenus qu’en toute fin de processus, à l’été 2011 (8). L’on peut toutefois admettre que la création des synergies nécessaires pour développer une véritable logique de site exige du temps.

En outre, la logique défendue par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche a choisi la logique d’un enchaînement successif des différents labels ; d’abord les résultats des appels à projets (laboratoires d’excellence, valorisation, instituts hospitalo-universitaires, etc.), puis sélection des sites éligibles aux initiatives d’excellence. Le choix ayant été fait, l’on ne peut que souhaiter aujourd’hui que les différents sites soient rapidement dotés d’« une organisation et une gouvernance conformes aux standards mondiaux » ainsi que le demandait le rapport de MM. Alain Juppé et Michel Rocard.

La question de l’articulation entre ces opérations exceptionnelles et la politique de regroupement des établissements d’enseignement supérieur a été soulevée par la Cour des comptes dans son référé relatif à la politique de regroupement et de coopération dans l’enseignement supérieur transmis le 21 mai 2010 à la commission des Finances.

La Cour signalait certaines limites des regroupements sous forme de pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) : l’absence de contractualisation avec l’État, la concurrence de la loi LRU privilégiant une logique d’autonomie, l’insuffisante mutualisation des politiques de recherche et des fonctions support et les faiblesses de gouvernance et de gestion. Elle souligne que les mesures prévues dans le cadre des Investissements d’avenir, certes destinées à accélérer la dynamique de transformation du monde universitaire, « recèlent un risque d’empilement supplémentaire des labels et des structures, et de complexification des relations entre les acteurs ».

Ainsi que l’avait observé la MILOLF en 2010, il n’existe pas de système de gouvernance imposé par l’État pour procéder aux regroupements d’établissements préalables à la mise en œuvre des Investissements d’avenir et, en particulier, des initiatives d’excellence. La constitution de PRES peut prendre diverse formes (fusion d’établissements, adoption du statut de grand établissement, création d’un établissement public de coopération scientifique, ou constitution d’une fondation de coopération scientifique). Leur finalité peut varier d’une situation à l’autre.

Les pouvoirs publics restent en retrait face à la politique de restructuration de la carte universitaire. Cette position laisse aux acteurs universitaires la capacité d’initiative et de d’organisation, ce qui est positif, cependant le processus entraîne des délais qui risquent de voir les porteurs de projet se démobiliser. C’est pourquoi la Mission a estimé, comme la MILOLF, que les pouvoirs publics devaient être plus présents dans la clarification du rôle joué par les PRES.

Proposition n° 5 – Clarifier le rôle des PRES, en fonction de leurs différentes formes juridiques, dans la mise en œuvre des Investissements d’avenir, en particulier des initiatives d’excellence, en élargissant leur socle de compétences minimales et en améliorant leur gouvernance.

La complexité de l’opération Campus a eu pour conséquence des délais très longs, on soulignera qu’elle a toutefois permis le « défrichage » de procédures innovantes, ce qui a certainement facilité la mise en œuvre comparativement beaucoup plus rapide du PIA.

La difficulté d’identification des organismes attributaires des dotations en capital – qu’il s’agisse des fonds du grand emprunt ou de l’opération Campus –difficulté que nous avons évoquée plus haut, témoigne également des défauts de pilotage du système.

B.– LE PROGRAMME D’INVESTISSEMENTS D’AVENIR

Depuis l’adoption de la loi de finances rectificative de 2010, le bilan suivant peut être dressé : l’ensemble des 35 conventions publiées au Journal officiel, correspondant aux politiques poursuivies, a été signé avec les opérateurs, et l’ensemble des crédits votés a été versé aux opérateurs.

1.– La phase de l’identification des projets a été menée à bien

La première phase des appels à projets s’est déroulée à partir de juin 2010 a été clôturée, et la deuxième vague des appels à projets a été lancée début juin. Il a en effet été prévu par beaucoup de conventions de lancer plusieurs vagues d’appels à projets en 2011 et 2012 afin de permettre à d’excellents projets dont le niveau de maturité serait jugé insuffisant d’être retenus par la suite.

Le tableau suivant récapitule le déroulement de la première vague des appels à projets dans le secteur de la recherche et de l’enseignement supérieur.

LES PHASES DE LA PREMIÈRE VAGUE D’APPELS À PROJETS
DANS LE SECTEUR DE LA RECHERCHE ET DE L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

(en milliards d’euros)

   

Crédits totaux

Publication
des AAP

Remise des dossiers

Décisions d’attribution

1

Équipements d’excellence

1

Juin 2010

Août 2010

Fin 2010

Santé et biotechnologies

1,55

2

Laboratoires d’excellence

1

Juillet 2010

Automne 2010

Début 2011

Instituts hospitalo-universitaires

0,85

3

IRT et IEED (a)

2 + 1

Juillet 2010

Automne 2010

Début 2011

Fonds national de valorisation

1

4

Initiatives d’excellence

7,7

Été 2010

Printemps 2011

Été 2011

5

Instituts Carnot (b)

0,5

Automne 2010

Début 2011

Mars 2011

TOTAL

16,6

     

(a) IRT : Instituts de recherche technologique. IEED : Instituts thématiques d’excellence en matière d’énergies décarbonées.

(b) Les instituts Carnot bénéficieront également en 2010 d’un abondement de 0,5 milliard d’euros hors appel à projets.

Source : ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

La conduite de ce « démarrage » peut être approuvée, car les délais de délégation de ce montant important de crédits, exigeant une « ingénierie » juridique assez complexe, ne sont pas excessifs.

2.– Le montant des crédits engagés et versés : une progression rapide

Le bilan de la mise en œuvre des Investissements d’avenir a été dressé pour le deuxième trimestre 2011 : il présente les montants de crédits engagés et décaissés de manière cumulée depuis le début des opérations. Ce bilan figure dans le tableau suivant, qui mesure la progression réalisée par rapport au réalisé au 31 mars 2011.

BILAN DU PROGRAMME DES INVESTISSEMENTS D’AVENIR

(en millions d’euros)

 

Au 31 mars 2011

Au 30 juin 2011

Au 30 septembre 2011

Engagements

     

dotations consommables

3 025,03

5 226,39

6 340,97

dotations non consommables

936,40

6 009,00

6 067,59

Total des engagements

3 961,43

11 235,39

12 408,56

Décaissements

     

dotations consommables

1 118,59

1 400,00

1 589,67

dotations non consommables (intérêts décaissés)

7,10

8,93

10,40

Total des décaissements

1 125,69

1 408,93

1 600

Cofinancements (hors actions ANR)

 

8 800

10 000

Source : Commissariat général à l’investissement.

La progression des crédits engagés a été spectaculaire au cours du deuxième trimestre, avec un quasi-triplement en montants cumulés entre mars et juin : les engagements de crédits consommables ont été de 5,23 milliards d’euros et les engagements de crédits non consommables de 6 milliards d’euros.

Cette évolution des crédits engagés s’explique par la sélection de nombreux lauréats pour les initiatives d’excellence, intervenue au cours du trimestre dernier.

Le décaissement des crédits consommables a progressé de la manière attendue, avec 1,4 milliard de crédits décaissés. On constate en revanche que le décaissement des intérêts issus des crédits non consommables est encore très faible : il se limite toujours aux 7,1 millions d’euros versés aux Instituts Carnot, lesquels ne recevront que des crédits issus du non consommable. Ce montant est considéré comme décaissé, car il a été versé aux Instituts, mais il est encore impossible de préciser la part dépensée (par les Instituts) pour laquelle la remontée d’information aura lieu en fin d’année seulement. Ce versement a pu être rapide car il s’inscrit dans la suite d’un abondement de crédits déjà mis en œuvre antérieurement par l’Agence nationale de la recherche. Il ne s’agit pas, ainsi qu’on le verra plus loin, d’une action totalement nouvelle.

Contrairement à ce qui avait été envisagé à la fin du premier trimestre, aucun versement n’a été réalisé au cours du deuxième trimestre pour les autres opérateurs bénéficiaires des crédits issus du non consommable.

Ce faible niveau des décaissements s’explique par le fait que de nombreux projets de cette première vague seront encore en phase de conventionnement jusqu’à la fin de l'année 2011 : c’est alors que le conventionnement des équipements d’excellence et des laboratoires d’excellence sera achevé. Dans l’attente, les bénéficiaires ne reçoivent que des crédits issus du consommable.

Le CGI indique que des versements devraient toutefois intervenir au troisième trimestre, ce qui permettra d’établir, en fin d’année, un premier bilan des décaissements.

Ainsi par exemple, l’Agence nationale de la recherche prévoit de décaisser 10 % des crédits en fin 2011, soit entre 500 millions et 1 milliard d’euros. Ainsi que le souligne Mme Jacqueline Lecourtier, directrice générale de l’ANR, le décaissement pourra s’opérer sur une période de cinq à dix ans, suivant la durée des conventions ; il s’agit donc d’un processus de long terme.

Le tableau suivant indique les projets les plus avancés, qui ont pu recevoir des montants significatifs de crédits.

AVANCES FAITES AUX PROJETS AU DEUXIÈME TRIMESTRE 2011

(en millions d’euros)

Nature de l’opération

Opérateur

Crédits engagés

Laboratoires d’excellence

ANR

100 (dotations consommables)

   

2 851 (dotations non consommables)

Bioressources, infrastructures nationales en biotechnologies, démonstrateurs, bio-informatique

ANR

166 (DC) et 442 (DNC)

Instituts hospitalo-universitaires

ANR

170 (DC) et 680 (DNC)

Projet de plateforme « satellite du futur »

CNES

42,5

4 projets sélectionnés pour la formation professionnelle en alternance

CDC

31

Projets A350, hélicoptères du futur, développement de l’hélicoptère X4, l’avion du futur composite et le moteur EPICE

ONERA

1 260

7 Projets aide à la réindustrialisation

OSEO

34

6 Projets smart grids

ADEME

28

Projet d’expérimentations liées aux infrastructures de recharges pour les véhicules électriques et hybrides rechargeables suite à l’appel à manifestation d’intérêt

ADEME

2,66

16 partenaires financiers et 9 projets sélectionnés dans l’économie sociale et solidaire

CDC

13

Versement au fonds national d’amorçage

CDC

4

Engagements pour les internats d’excellence

ANRU

129

Engagements pour la rénovation thermique des logements

ANAH

0,82

Fonds consommables sur les premières opérations de Saclay

ANR

51

Intérêts engagés sur les premiers projets de l’opération campus

ANR

5,15

Source : Commissariat général à l’investissement.

Le tableau suivant fait apparaître le bilan des mouvements de crédits par opérateur.

ENGAGEMENTS PAR OPÉRATEUR AU 30 SEPTEMBRE 2011

(en millions d’euros)

Opérateur

Engagements non consommables

Engagements consommables

Consommables décaissés

Intérêts décaissés

ANR

6 067,59

1 132,56

101,80

10,40

CDC

 

943,83

19,76

 

ADEME

 

106,71

10,90

 

OSEO

 

1 412,95

1 204,44

 

CEA

 

900,00

50,50

 

ANAH

 

3,53

0,21

 

ANRU

 

218,93

68,70

 

CNES

 

362,45

33,36

 

ONERA

 

1 260,00

100,00

 

ANDRA

 

0,00

0,00

 

TOTAL

6 067,59

6 340,96

1 589,67

10,40

Source : Commissariat général à l’investissement.

On constate que le mouvement de décaissement de crédits le plus élevé a été réalisé par Oséo. Ce dernier a décaissé un milliard d’euros destinés à financer notamment les contrats de développement participatifs. Conclus pour une durée de 5 à 7 ans, ces prêts sans garantie sont destinés aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire indépendantes souhaitant consolider leur structure financière et développer un plan de développement ou d’investissement.

Selon M. René Ricol, Commissaire général à l’investissement, la prévision que l’on peut actuellement établir quand à l’état d’engagement des crédits à fin 2011 est ambitieuse : le total des engagements pour l’ensemble des Investissements d’avenir s’élèverait entre 15 et 20 milliards d’euros. Sur ce total, le volet enseignement supérieur et recherche bénéficierait de l’engagement de 12 à 13 milliards d’euros. La progression importante constatée au deuxième trimestre par rapport au premier permet selon lui l’optimisme ; en effet, les engagements ont progressé spectaculairement, de 4 à 11 milliards d’euros, au deuxième trimestre, car de nombreux lauréats ont été sélectionnés ces trois derniers mois pour les Idex.

Sur ce total, les engagements de crédits consommables s’élèveraient entre 6 et 10 milliards d’euros, et les engagements de non consommables s’élèveraient à 8 à 10 milliards d’euros.

Le CGI n’annonce aucune prévision de décaissements à fin 2011, soulignant que ceux-ci dépendent de la signature des conventions d’abord, des échéanciers des lauréats ensuite, qui ne sont pas encore connus. Selon la direction du Budget, les décaissements pourraient être de 5 milliards d’euros à fin 2011.

III.– LE CONTRÔLE DE LA DÉPENSE : GARANTIR SA RÉGULARITÉ ET SON EFFICACITÉ

L’importance des sommes engagées de manière extrabudgétaire imposera de suivre leur utilisation de près, dès le début de la mise en œuvre et sur une longue durée. La régularité des procédures devra être contrôlée et aussi la conformité des réalisations au projet annoncé. Il faudra ensuite procéder à l’évaluation scientifique et porter un jugement sur les résultats : mesurer le niveau de production scientifique des laboratoires d’excellence retenus par rapport aux attentes : cela devrait être possible d’ici deux à quatre ans. Il faudra également comprendre l’impact, direct sur l’emploi, emplois scientifiques et emploi en périphérie pour les acteurs économiques. Enfin, les effets de leviers, d’émulation, d’entraînement et l’impact à long terme sur l’emploi et la croissance seront difficiles à mesurer, et il n’est pas sûr que l’on dispose aujourd’hui des outils nécessaires.

L’analyse de la mise en place du programme d’Investissements d’avenir fait apparaître que le contrôle de sa bonne mise en œuvre s’effectuera aux deux niveaux de gestion des projets et des crédits : le Commissariat général à l’investissement et les opérateurs.

On peut s’interroger sur ce qu’il advient du contrôle et de l’évaluation, au regard des objectifs du grand emprunt, au troisième niveau de base de la mise en œuvre, c'est-à-dire les organismes, les universités et, en leur sein, les unités de recherche.

Le contrôle du Parlement se heurte quant à lui à la particularité de la procédure des Investissements d’avenir : les crédits ouverts par la loi de finances rectificative ont été consommés dès 2010 : l’autorisation parlementaire a été délivrée une seule fois pour l’ensemble des crédits, le décaissement est intervenu sur un seul exercice, et les programmes budgétaires créés en 2010 ne figurent plus dans la structure budgétaire dès le budget 2011.

Pourtant, les fonds en question entrent incontestablement dans le champ de l’article 57 de la LOLF, selon lequel « les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des financements suivent et contrôlent l’exécution des lois de finances et procèdent à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques. »

Les acteurs chargés de mettre en œuvre, à tous niveaux, les investissements, ont eu comme priorité, jusqu’à présent, la sélection des projets et l’attribution des crédits. Ils doivent dorénavant faire porter ce suivi sur l’usage des fonds, et la manière dont les projets répondent aux objectifs formulés.

Il importe néanmoins de constater si les outils de suivi et de contrôle sont satisfaisants. Les particularités de la gouvernance des investissements extrabudgétaires pourraient exiger que des outils non prévus à l’origine du processus soient mis en place.

A.– LES DIFFÉRENTS NIVEAUX DU SUIVI ET DU CONTRÔLE

1.– Le rôle du Commissariat général à l’investissement

Le Commissariat général à l’investissement veille à l’évaluation, a priori et a posteriori, des investissements et de leur rentabilité. Il doit veiller au bon emploi des ressources au regard des retombées attendues, ainsi qu’à la cohérence des différentes actions. De façon générale, il veille à la cohérence des politiques d’investissements de l’État.

Le comité de surveillance évalue le programme d’Investissements et dresse le bilan annuel de son exécution. Ce comité transmet chaque année au Parlement et au Premier ministre un rapport sur ses travaux.

La démarche des Investissements d’avenir amplifie une certaine dichotomie entre le financement sur projets et les dotations récurrentes. Le suivi des crédits des Investissements d’avenir est assuré par le Commissariat général à l’investissement, jouant le rôle d’une administration de mission. Il s’agit comme on l’a vu d’une gouvernance spécifique, qui ne laisse place qu’à un suivi plus général de la part des ministères du Budget et de la Recherche.

La loi de finances rectificative du 9 mars 2010 prévoit, dans son article 8, que l’opérateur transmet annuellement au plus tard le 31 mars au Commissaire général à l’investissement et aux ministères concernés un rapport sur la mise en œuvre de l’action, qui comporte notamment les informations suivantes :

– l’état d’avancement des projets et conventions conclues avec les bénéficiaires de crédits ;

– le calendrier prévisionnel de décaissement des fonds et état des crédits déjà consommés par type d’intervention ;

– les résultats de l’ensemble des indicateurs de performance mentionnés à la rubrique 5.2.

Les conventions prévoient, dans les dispositions transverses, que les opérateurs s’engagent à mettre à la disposition des commissions compétentes du Parlement l’ensemble des documents relatifs au programme d’investissement d’avenir en leur possession.

2.– Quel suivi par les opérateurs ?

Les opérateurs ont en charge plusieurs missions, de la formalisation des cahiers des charges des appels à projet jusqu’à l’engagement des fonds, mais aussi le suivi des projets. Leur rôle dans le suivi et le contrôle sera d’autant plus difficile à définir que les opérateurs se sont vus attribuer, ou se sont attribués, des rôles multiples dans le déroulement de Campus et du programme d’Investissements d’avenir. La Mission a pris la mesure de la difficulté d’identifier le rôle et les responsabilités des opérateurs et des autres intervenants.

Ainsi, dans le cas de la Caisse des dépôts et consignations par exemple, quatre rôles peuvent être identifiés. La Caisse est opérateur des PIA selon les termes des conventions qu’elle a signées. Elle est investisseur en direct, sur ses ressources propres, soit seule dans l’immobilier universitaire – au travers des SCI qui seront constituées –, soit en partenariat pour ce qui est des SATT. Elle est ensuite conseil en ingénierie, en particulier dans les Labex et les Idex. Enfin, elle est prêteur sur l’enveloppe du milliard des fonds d’épargne mentionnée plus haut.

Certains de ces investissements dans les missions d’intérêt général sont consentis « à fonds perdus », avec cependant des retombées indirectes comme dans l’ingénierie apportée au milieu universitaire. Pour les autres, elle escompte des retours : pour ses investissements patrimoniaux dans les SCI, ou pour les participations dans France Brevets ou dans les SATT.

Les représentants de l’ANR construisent le dispositif de suivi, qui devrait être comparable à celui des projets financés par l’agence de manière habituelle. Dès le démarrage des projets, des réunions seront organisées pour vérifier la mise en œuvre, et une vérification de suivi sera opérée tous les ans. Un rapport final sera ensuite élaboré.

À ce dispositif standard, l’agence veut ajouter des indicateurs, élaborés en liaison avec le CGI, afin de suivre l’état d’avancement des projets et des différents programmes ; une plate-forme commune au Commissariat général à l’investissement et au ministère chargé de la recherche est en cours d’organisation pour ce suivi. L’agence a également prévu des réunions et des rendez-vous réguliers, menés en commun avec les comités d’évaluation, tous les deux ans, en principe, selon les types de projets. Les présidents des comités d’évaluation ont donné leur accord pour participer au suivi des IHU et à celui des instituts de recherche technologique (IRT) et pour réunir les porteurs de projets, les interroger, et vérifier régulièrement l’avancée de leurs actions.

M. Philippe Van de Maele, président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, souligne que les conventions prévoient des suivis réguliers de la mise en œuvre et qu’en particulier, chaque projet comporte des objectifs de résultat sur le plan industriel comme sur celui de la recherche. L’évaluation de la pertinence du projet devra intégrer l’entrée ou non dans un modèle économique, c'est-à-dire si l’aide a permis à un industriel de lancer une unité de production et d’avoir trouvé un marché pour vendre sa technologie à un prix abordable. Des évaluateurs externes seront appelés à intervenir. L’ADEME procède pour la première fois à des prises de participation, car elle ne procédait auparavant que par subventions ou avances remboursables. La recherche du retour financier, imposée par le contexte du grand emprunt, a donc transformé de manière positive ses méthodes d’intervention.

Aussi serait-il utile de disposer d’un récapitulatif consolidé par site et par organisme de l’ensemble des crédits reçus, précisant, dans l’exemple concernant la CDC, le niveau de participation de la Caisse pour la recherche et l’université, ainsi que ses modalités. Un document pourrait établir annuellement l’état des engagements et des décaissements pour la recherche et l’enseignement supérieur.

Cette information pourrait être établie sous la forme d’un tableau indiquant pour chaque politique d’investissement – plan Campus, PIA, autres missions –, les éléments de fonds propres, de transformation et d’investissement alimentés par les PIA. Pour chacune de ces catégories, le montant de chaque action serait rapporté. Les difficultés, les délais et les retards éventuels pourraient être présentés dans une analyse jointe aux données chiffrées. Cette présentation est particulièrement nécessaire pour les investissements immobiliers qui correspondent à des opérations complexes et de long terme.

Proposition n° 6 – Les opérateurs chargés de la mise en œuvre des investissements extrabudgétaires doivent présenter chaque année un récapitulatif consolidé par site et par organisme de l’ensemble des crédits reçus, précisant leur niveau de participation financière dans le domaine de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Les représentants du ministère de l’Enseignement supérieur comme celui du ministère du Budget ont indiqué partager cette préoccupation. Une base de données consolidant les différents financements à l’échelle des opérateurs est en cours d’élaboration : elle serait partagée entre le CGI, l’ANR et le ministère. Cet outil devrait être opérationnel à la fin de l’année 2011.

3.– L’intervention souhaitable de l’AERES

L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES), qui est déjà impliquée dans l’évaluation des efforts de mutualisation effectués par les établissements universitaires et de recherche dans le cadre des PRES, pourrait être davantage associée à la mesure de la performance des Investissements d’avenir.

L’AERES a d’ores et déjà joué un rôle d’évaluateur ex ante, en mettant à la disposition des jurys internationaux les rapports qu’elle a réalisés sur les unités de recherche et les établissements d’enseignement supérieur au cours des dernières années.

L’agence pourrait participer à l’évaluation ex post des actions en examinant la manière dont les opérateurs relevant de sa compétence habituelle jouent leur rôle d’opérateur dans le cadre de la relation conventionnelle avec les opérateurs : l’ANR et le CEA, par exemple. Il s’agirait d’apprécier les interactions mises en place avec les bénéficiaires des crédits. L’Agence examinerait aussi comment les opérateurs procèdent à l’évaluation des actions engagées.

Elle pourrait également évaluer les bénéficiaires, ce qui rentre dans son rôle habituel d’évaluateur des unités de recherche et des établissements. Ceux-ci seront pour certains attributaires des initiatives d’excellence (Idex), des laboratoires d’excellence (Labex) et des équipements d’excellence (Equipex). Le président de l’agence a indiqué que celle-ci veillerait à la cohérence entre la sélection des Idex et celle des Labex. Cette évaluation prendrait place dans le programme de l’agence annuellement pour les Labex comme pour les unités et les CHU, de manière distincte pour les Idex, dans une « approche par site » plus globale impliquant la gouvernance et la mutualisation, par exemple.

Elle devrait enfin apporter sa contribution à la mesure des incidences du grand emprunt sur le système éducatif, en particulier le système d’enseignement supérieur et de recherche. Ainsi que l’a formulé son président, on peut se poser la question de savoir si la création de niches d’excellence jouera un rôle de locomotive pour le système de recherche dans son ensemble, par émulation, ou si l’on verra apparaître des phénomènes d’éviction ou de ralentissement.

Proposition n° 7 – Encourager l’AERES à participer à l’évaluation ex post des Investissements d’avenir tout en précisant les modalités de son intervention.

Les objectifs mêmes assignés aux crédits du grand emprunt conduisent à des évaluations nouvelles, aussi se pose un problème de données structurées, afin de mettre en relation des informations d’ordre scientifique – comme la production scientifique et le nombre de brevets obtenus – avec des indices économiques : emploi, croissance. C’est pourquoi nous nous trouvons face à un enjeu important, souligné par le président de l’AERES : définir les données qui seront nécessaires, identifier celles déjà disponibles, élaborer un système de récupération des données manquantes, examiner comment les traiter – sachant qu’elles proviendront de différentes sources qui ne sont pas forcément reliées entre elles (ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi de l’Industrie et autres sources), et enfin concevoir des méthodes susceptibles de mesurer les effets des dispositifs mis en place.

B.– LE SUIVI DES INVESTISSEMENTS D’AVENIR PAR LE PARLEMENT

La teneur de l’information qui doit être transmise au Parlement est précisée dans l’article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 (9).

Les commissions des Finances du Parlement ont été destinataires des projets de conventions liant l’État aux gestionnaires des fonds. Les rapporteurs spéciaux ont donc pu interroger les responsables des programmes créés pour gérer les fonds issus de la loi de finances rectificative, recevoir l’information utile et formuler d’éventuelles observations.

Le premier rapport au Parlement mentionné à l’article 8 a été présenté en annexe au projet de loi de finances pour 2011, sous la forme d’un document « jaune budgétaire ». Élaboré alors que les premiers processus de sélection des projets étaient en cours, il ne comportait que la description des étapes de la finalisation des conventions et du lancement des appels à projets. Des rubriques plus nombreuses devraient être présentes dans le « jaune » à annexer au projet de loi de finances pour 2012.

Le Parlement est représenté, on le rappellera, au sein du comité de surveillance des Investissements, constitué à l’origine de quatre députés et quatre sénateurs membres respectivement des commissions chargées des finances et des autres commissions compétentes. Ce comité a été élargi à huit personnalités qualifiées nommées par arrêté du Premier ministre (décret n° 2010-360 du 8 avril 2010).

La qualité du suivi par le Parlement dépendra évidemment de la teneur et de l’exhaustivité de l’information qui sera fournie dans le rapport annuel. Mais celui-ci ne suffit pas, car comme il a déjà été souligné, la réalisation des objectifs fondamentaux de la LOLF est rendue difficile dans le champ des financements extrabudgétaires. C’est pourquoi la présentation des coûts complets de chaque politique publique à laquelle participent ces financements est indispensable, ainsi que nous l’avons déjà évoqué plus haut.

L’intervention, sous la forme de financements, mais sous d’autres formes également, dans des actions relevant traditionnellement de programmes budgétaires peut faire craindre un processus « rampant » de débudgétisation.

Pour ces différentes raisons, le Parlement doit conserver un droit de regard sur l’usage des fonds du grand emprunt, selon des modalités à approfondir.

1.– L’implication d’opérateurs extérieurs dans les projets du plan Campus

La Caisse des dépôts et consignations n’intervient pas directement dans le plan Campus, ce qu’elle aurait souhaité pour des raisons de consolidation et de facilité, cependant son implication dans le développement des universités conduit à s’interroger sur la vraie nature des modes de financement.

En effet, la CDC a décidé, au titre de ses propres politiques, d’apporter de l’ingénierie aux universités, dans la mesure où les universités ne disposaient d’aucune capacité technique d’analyse financière pour définir des schémas immobiliers et des schémas d’aménagement, envisager les investissements numériques et intégrer le développement durable à leurs projets. Or ces capacités étaient nécessaires pour identifier les besoins et les coûts d’investissement, ou pour effectuer des montages financiers pour développer les plans stratégiques et les schémas immobiliers ou numériques. La Caisse a ainsi aidé à élaborer soixante projets en vue du plan Campus, soit la quasi-totalité de ceux qui ont été sélectionnés.

Ces interventions prennent place dans le cadre du programme Élan 2020 de la CDC et s’exercent sur les fonds propres de sa section générale. Selon M. Michel Bouvard, président de la Commission de surveillance de la CDC, cette nature d’interventions permet à la Caisse de s’immerger dans les dossiers universitaires et de gagner ainsi en légitimité et en pertinence dans ses interventions classiques.

Au total, ces financements se sont élevés à 30 millions pour les dépenses d’ingénierie et à 63,5 millions en investissement immobilier afin d’accompagner les projets des universités.

Ces interventions, importantes, comme on peut le constater, peuvent laisser craindre qu’elles ne s’apparentent à une forme de débudgétisation, la Caisse se substituant à l’État pour effectuer une dépense qu’il pourrait assumer.

La Caisse finance en outre des infrastructures universitaires. Dans les fonds d’épargne, dont la ministre de l’Économie fixe l’emploi, une enveloppe « infrastructures » de 8 milliards a été ouverte au titre des actions du plan de relance. Elle contient une sous-enveloppe d’un milliard, qui lui permet d’intervenir dans des opérations de prêt relatives à l’immobilier des universités. La Caisse investit parallèlement aux côtés de celles-ci dans les SCI qui vont être constituées.

La Caisse intervient par ailleurs comme opérateur lié par une convention dans tous les volets du programme d’Investissements d’avenir : schéma lié à l’innovation, schéma numérique, valorisation des brevets, sociétés d’accélération de transfert de technologie (SATT). Ces actions, qui portent aussi sur le logement étudiant, sont menées parallèlement au plan Campus de l’État.

La vérification que toutes ces opérations ne s’inscrivent pas dans une logique de débudgétisation appartient à la commission de surveillance de la Caisse. Mais celle-ci aurait-t-elle intérêt à s’interdire des interventions nouvelles et stratégiques ?

2.– La surveillance des éventuelles débudgétisations

L’une des préoccupations de la commission Rocard-Juppé était la mise en place d’un suivi spécifique de ces investissements pour éviter tout soupçon sur le financement de l’activité courante des organismes par les crédits du grand emprunt.

Lorsque l’on évoque des éventuelles « débudgétisations » à la faveur du grand emprunt, il convient de souligner d’abord qu’au sens comptable, il n’y a pas d’effet de substitution de crédits, car les crédits inscrits au budget triennal 2011-2013 ne montrent aucune décroissance qui serait liée à la montée en puissance des dépenses au titre du grand emprunt. L’évolution budgétaire traduit un ralentissement de l’augmentation des crédits, qui progressent de 1,4 % en 2011 par rapport à 2010.

La direction du Budget, représentée au cours des auditions de la mission par M. Vincent Moreau, sous-directeur, analyse les interventions des Investissements d’avenir comme des « opportunités pour mener à bien des opérations plus structurantes que celles qui étaient en cours avec les crédits récurrents ».

La loi de finances pour 2011 a certes décidé une diminution de 90 millions d’euros des crédits de l’Agence nationale pour la recherche (qui étaient de 800 millions d’euros en 2010). Cependant l’Agence avait connu une montée en puissance importante au cours des dernières années, et on soulignera qu’elle était un outil de soutien et de financement d’une recherche finalisée sur projets, laquelle devait se forger une place significative, à côté du financement récurrent des laboratoires. Les Investissements d’avenir poursuivent de manière évidente l’objectif de dynamisation de la recherche française grâce au financement par projet, aussi la baisse relative des crédits de l’agence ne porte pas de conséquence négative quand à cette dynamique importante.

La mission s’est interrogée en particulier sur l’interaction éventuelle entre le plan Campus – qui prévoit des lignes de cofinancement – et les contrats de projets État-régions qui, avec les crédits budgétaires, concouraient déjà au financement de projets non négligeables en matière d’immobilier universitaire. Il en est ainsi les dernières tranches de programmes immobiliers ou les universités « du troisième millénaire ». Comment s’assurer que le ministère ne reprend pas d’une main ce qu’il donne de l’autre ?

Le taux de réalisation des contrats de projets État-régions était de 50 % au 31 décembre pour l’actuelle programmation portant sur la période 2007-2013. Ce taux, supérieur à celui de la période précédente, est l’indice d’une poursuite normale de la réalisation nonobstant l’application du plan Campus, ce qu’il faudra néanmoins suivre régulièrement.

3.– La réalité du transfert des crédits budgétaires vers le non budgétaire à travers les Investissements d’avenir

Le financement de certaines actions par un passage des crédits budgétaires vers les crédits extrabudgétaires est une réalité. Cependant, pour appréhender les montants concernés, il convient de distinguer trois situations différentes.

Dans la première, il est difficile de qualifier les initiatives de « projets », dans la mesure où aucune autorisation d’engagement n’était inscrite, et il s’agissait davantage d’intentions.

C’est le cas par exemple du projet ASTRID de futur réacteur nucléaire de 4ème génération, qui n’avait connu aucun début de réalisation et a bénéficié de l’opportunité du grand emprunt, qui lui alloue un montant de 650 millions d’euros.

Dans la seconde situation, le financement était prévu sur crédits budgétaires et il y a eu glissement. Tel est le cas de l’aéronautique civile pour environ 450 millions d’euros, sur un total de financement de 1,5 milliard. Il s’agit surtout des démonstrateurs technologiques aéronautiques, pour lesquels l’ONERA disposera d’un montant de 900 millions d’euros.

De même, certains projets qui avaient répondu aux appels à manifestations d’intérêt de l’ADEME lancés en 2009, avant le grand emprunt, seront financés sur les crédits d’investissement d’avenir, dans le cadre des conventions « démonstrateurs énergies renouvelables et chimie verte » et « véhicule du futur ». Il a été considéré qu’ils respecteraient les exigences du programme Investissements d’avenir, c'est-à-dire la constitution d’actifs pour l’État dès que possible et le passage par les règles de sélection prévues dans la convention avec l’ADEME.

Hors du périmètre Recherche, on notera que la convention Internats d’excellence et égalité des chances est venue relayer par le financement qui lui est attaché l’action entreprise sur les crédits budgétaires de la mission Enseignement scolaire. Le Gouvernement a fixé l’objectif d’ouvrir (par la création ou la réhabilitation) 20 000 places en internat d’excellence. Tenir cet objectif n’aurait pas été possible sans l’abondement apporté par le grand emprunt. Sa mise en œuvre montre qu’en outre, une partie des 300 millions d’euros qui devaient être consacrés à l’action Développement de la culture scientifique et égalité des chances devra être reportée sur l’action relative à la création des places d’internat (qui bénéficiera d’au moins 300 millions d’euros au lieu des 200 millions initialement prévus). La fongibilité est permise pour ce programme, avec la signature d’une seule convention entre l’État et l’ANRU au lieu de deux.

Ce glissement est particulièrement prévisible lorsque les conventions signées par l’État portent sur des projets identifiés antérieurement au grand emprunt, comme les deux projets de réacteur nucléaires, l’apport complémentaire à l’opération Campus, le plateau du Saclay, la recapitalisation d’Oséo ou encore l’intervention pour France Brevets.

Dans la troisième situation, les projets ont évolué avec l’intervention des financements nouveaux. Ainsi :

– le projet de réacteur Jules Horowitz (RJH) était un réacteur de recherche à l’origine, et a été étendu à la production de radionucléides à usage médical (250 millions d’euros) ;

– les développements Ariane VI de restructuration de la filière des lanceurs n’auraient pu être engagés avec les seuls crédits budgétaires du CNES tels que prévus dans le contrat d’objectif actuel de l’opérateur (les engagements sur Ariane 6 sont de 110 millions d’euros). Or le CNES recevra 500 millions d’euros dans le cadre du grand emprunt.

4.– La traçabilité des fonds et la surveillance à instaurer

La Cour des comptes, dans un référé du 22 février 2010 sur la politique de regroupement et de coopération de l’enseignement supérieur, soulignait que le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche « ne dispose ni de tableaux de bord, ni d’un suivi de synthèse budgétaire des structures de coopération, en crédits et en emplois. Sans instruments destinés à mesurer les progrès dans la mutualisation mais aussi les coûts de structures générés, la réflexion stratégique et la traçabilité des fonds publics dédiés à la mise en œuvre de l’opération Campus et des mesures du grand emprunt risquent d’être problématiques, ce qui n’est pas compatible avec l’exigence du bon emploi des sommes considérables qui seront investies par la nation dans ces projets ».

En réponse partielle à cette critique, la direction des Affaires financières du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche a élaboré un « tableau de bord » permettant de constater l’état de consommation des crédits des Investissements d’avenir, quand les crédits ont été versés à l’ANR, et quand celle-ci les a, à son tour, versés aux bénéficiaires finaux, le calendrier étant différent selon les actions.

L’ANR doit, aux termes des conventions qu’elle a passées avec l’État, rendre compte trimestriellement de son action et établir un bilan annuel pour chacune des actions.

Le dernier « maillon de la chaîne » est représenté par les contrats passés entre l’opérateur et le bénéficiaire final ; ils doivent préciser les obligations en matière de traçabilité des fonds et de reporting des projets. Cependant les outils de reporting sont encore en phase d’élaboration, afin de restituer les informations du bénéficiaire vers l’opérateur (ANR le plus souvent, ou ADEME), puis de l’opérateur vers le comité de pilotage. Ce dernier est lui-même constitué du CGI, des représentants du ministère et de l’ANR en qualité d’opérateur.

Proposition n° 8 – Assurer la traçabilité des crédits jusqu’à leur exécution pour les crédits du programme d’Investissements d’avenir.

Cette exigence est d’autant plus nécessaire que les opérateurs gèrent les dépenses du grand emprunt dans des comptes de tiers et que celles-ci sont comptabilisées dans les conventions jusqu’à l’exécution. Ce mécanisme « étanchéifie » les crédits, ce qui joue son rôle pour vérifier que les crédits ne se substituent pas à des crédits budgétaires ou autres.

Afin de conserver un droit de regard sur l’usage des crédits extrabudgétaires, le Parlement doit être destinataire d’un bilan annuel permettant de pouvoir suivre les opérations les plus importantes, au-dessus de dix millions d’euros par exemple. Pour cette catégorie d’actions, l’information qui lui est destinée à travers le « jaune budgétaire » doit retracer les engagements et décaissements opération par opération, en particulier pour les opérations du plan Campus et les initiatives d’excellence.

Proposition n° 9 – Introduire dans le document de politique transversale ou dans le « jaune budgétaire » une présentation des crédits engagés et décaissés opération par opération pour les projets d’un montant supérieur à 10 millions d’euros.

C.– L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE

Il appartient au Commissariat général à l’investissement de mettre en place l’ensemble des indicateurs permettant de suivre la performance spécifique des Investissements d’avenir, d’exercer une pression pour le suivi et l’évaluation rigoureux des actions réalisées au moyen des crédits ici décrits. Cet exercice essentiel s’avérera extrêmement difficile, surtout dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche : les rapporteurs spéciaux des commissions des Finances ont pu constater les limites de cet exercice lorsqu’il s’agit des crédits budgétaires et le chemin à parcourir pour réaliser une évaluation exhaustive, fiable et tournée vers l’avenir.

L’une des restrictions à l’impact que pourrait en outre détenir l’évaluation de la performance tient dans ce que le maintien des dotations budgétaires n’est pas lié aux résultats des organismes financés ; d’autre part, l’allocation des moyens au sein des organismes n’intègre que de manière limitée les résultats des évaluations internationales existantes.

Dans le cas du plan Campus et des Investissements d’avenir, le contexte est autre. Ainsi, dans le cas des Initiatives d’excellence, les fonds ne seront acquis aux universités qu’après une période probatoire, et peuvent leur être partiellement ou totalement retirés. De manière générale, non seulement des objectifs sont assignés aux crédits, des indicateurs de performance doivent être renseignés tout au long de l’exécution du programme, mais le retour sur investissement au profit de l’État doit être mesuré, et les coûts de gestion des projets doivent être maîtrisés.

Également, une évaluation doit intervenir à différents moments du déroulement du programme. Une évaluation ex-ante intervient évidemment dans le cadre de la procédure de sélection. Une évaluation scientifique, économique, sociale et environnementale a posteriori des actions doit être mise en place par l’opérateur pour apprécier l’impact des investissements sur l’évolution des bénéficiaires, ou encore la rentabilité socio-économique et financière de l’action.

Une part des crédits versés aux opérateurs, se montant à 0,08 % en moyenne, sera consacrée à l’évaluation a posteriori. Pour réaliser cette évaluation, les opérateurs pourront recourir à la mise en concurrence de laboratoires universitaires ou de cabinets de consultants.

Il importe de savoir si les outils et indicateurs de mesure de ces résultats sont aujourd’hui insuffisants.

1.– L’évaluation des Investissements d’avenir : des indicateurs incomplets

La question des critères est essentielle et le système actuel de mesure de la performance des actions et des crédits peut encore être largement amélioré. Les principaux critères d’évaluation qui se dégagent, dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur, sont la qualité scientifique des opérations, leur caractère innovant, leur cohérence avec la politique nationale et européenne de recherche, les effets de levier générés sur la recherche-développement privée, le degré de participation des établissements sur leurs ressources propres et les retours sur investissement obtenus (qu’ils soient financiers ou socio-économiques).

Les conventions établies entre l’État, les opérateurs et les bénéficiaires des crédits mettent l’accent sur le critère de rentabilité économique et financière, dont les contours et les modalités d’évaluation restent mal définis. Variant selon les conventions, l’appréciation de la rentabilité socio-économique des Investissements d’avenir est étayée par leur apport scientifique et technique, leur contribution à la création d’entreprises et d’emplois, leurs bénéfices sociétaux et environnementaux et leur incidence sur l’attractivité et le rayonnement des établissements de recherche et d’enseignement supérieur.

Au regard des dispositifs d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur existants à l’étranger, comme le projet Star Metrics aux États-Unis ou la plateforme Lattès au Brésil, la mesure de la performance telle qu’elle est pratiquée en France présente deux points de faiblesse. Centrés sur l’analyse de la qualité des travaux scientifiques, les critères d’évaluation permettent difficilement d’apprécier les retombées économiques et financières des programmes et leur positionnement face à la concurrence internationale. Par ailleurs, la très forte variabilité des indicateurs de performance, d’une convention à l’autre, rend malaisées l’analyse comparée des projets ou l’appréciation globale des performances du système.

Aussi, il apparaît souhaitable d’améliorer les modalités d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. C’est ainsi que la loi de finances rectificative pour 2010 oblige à la transmission régulière d’indicateurs de performance dans ce domaine. L’évaluation des Investissements d’avenir doit notamment s’efforcer de prendre en compte leur incidence sur :

– l’excellence du savoir scientifique et technique à travers notamment : le nombre de travaux primés, le nombre de publications, le nombre de citations dans les revues scientifiques et le nombre de brevets déposés ;

– la croissance économique via par exemple : le nombre de contrats de recherche avec les entreprises, le nombre de services de recherche et d’activités commerciales, le montant des ressources générées par la valorisation des titres de propriété intellectuelle, l’évolution du chiffre d’affaires des entreprises partenaires et le nombre de start-up créées ;

– la formation professionnelle et l’emploi pouvant être évalués par : le taux d’insertion professionnelle des jeunes diplômés, l’évolution du niveau d’emploi dans les entreprises partenaires et le nombre d’emplois créés ;

– la situation sanitaire et environnementale au moyen d’indicateurs tels que : les bénéfices des programmes en matière de santé publique, l’efficience énergétique et l’empreinte environnementale des projets, le respect des normes éthiques et de sécurité dans la conduite des actions ;

– l’attractivité et le rayonnement international des établissements de recherche et d’enseignement supérieur pouvant être mesurées par : la position des établissements de recherche et d’enseignement supérieur dans les classements internationaux, le nombre d’étudiants et de chercheurs français en mobilité à l’étranger, le nombre d’étudiants et de chercheurs étrangers en mobilité en France.

De plus, bien que les spécificités propres à chacun des Investissements d’avenir obligent à une évaluation différenciée de leurs performances, les exemples étrangers plaident pour une plus grande cohérence dans le choix des indicateurs. A minima, la performance des projets similaires doit pouvoir être mesurée par des indicateurs identiques.

Enfin, s’il est nécessaire d’enrichir l’évaluation des Investissements d’avenir au moyen d’une palette d’indicateurs plus complète, il importe également d’en renforcer la portée par un suivi appuyé de la part des évaluateurs. À cet égard, on rappellera que les clauses garantissant, dans les appels à projets, le recours à des sous-traitants français semblent avoir un effet économique très limité. Le choix des projets est à l’entière appréciation des jurys désignés à cet effet, et non des ministères. Lorsque ces clauses ont été incluses dans les conventions attributives des crédits, le Commissariat général à l’investissement (CGI) doit être le garant de leur bonne observation.

Proposition n° 10 – Systématiser l’usage d’un « noyau dur » de critères d’évaluation standardisés mesurant la rentabilité socio-économique des Investissements d’avenir, afin de permettre l’analyse globale ou comparée de leurs performances.

Il conviendrait enfin de disposer d’un outil équivalent au projet Star Metrics en France, afin que le Gouvernement puisse présenter au Parlement et aux citoyens, d’ici cinq à dix ans, les résultats objectifs du programme des Investissements d’avenir. Il sera alors indispensable de connaître de manière scientifique et documentée son impact, afin de décider si l’on réitère ou non l’expérience.

Ainsi que le soulignait Mme Lecourtier, directrice générale de l’ANR, l’impact est l’élément le plus difficile à mesurer. L’agence a fait appel à un consultant pour construire cette mesure ; les premiers retours conduisent à proposer plusieurs indicateurs scientifiques, économiques, ou relatif à l’emploi des jeunes, notamment.

2.– L’évaluation de la mise en œuvre des plans d’investissement

LE PROJET « STAR METRICS » : UN EXEMPLE D’ÉVALUATION DES INVESTISSEMENTS D’AVENIR AUX ÉTATS-UNIS

Mis en place selon la volonté du président Barack Obama lors du vote du plan de relance économique de 2009, le projet Science and Technology for America’s Reinvestment : Measuring the Effect of Research on Innovation, Competitiveness and Science ou « Star Metrics » vise à apprécier la rentabilité économique et financière des dépenses publiques en matière de recherche et de développement.

Piloté par l’administration fédérale, le projet associe les agences publiques de financement, les universités et les instituts de recherche au sein d’une démarche volontaire et partenariale.

Fondé sur la mutualisation des informations détenues par chacun des acteurs, le projet se déploie en deux séquences. Dans un premier temps, il s’agit de mesurer l’effet des investissements en matière de création d’emplois. Une phase ultérieure du projet doit permettre d’acquérir une vision globale des bénéfices socio-économiques du financement public de la recherche en mesurant son impact sur :

– l’état du savoir scientifique (publications scientifiques et citations) ;

– la situation sociale (impact sanitaire et environnemental) ;

– la qualité de la main-d’œuvre (insertion des étudiants et création d’emplois) ;

– la croissance économique (dépôt de brevets et création de start-up).


Les indicateurs de performance insérés dans les conventions attributives de crédits portent principalement sur « le c
œur de métier » des investissements, soit les projets de recherche. Les observations formulées dans la deuxième partie du présent rapport quant aux difficultés de la mise au point des procédures juridiques, de la prise de décision, puis de la gestion des dossiers, conduisent à la constatation que des indicateurs portant sur la mise en œuvre des investissements sont nécessaires.

Les conventions prévoient et organisent l’évaluation des opérateurs au titre de leur rôle de gestionnaires. Les principaux indicateurs de performance sont la maîtrise de l’enveloppe de moyens, le respect du calendrier prévisionnel et la qualité du suivi des conventions. Calqués sur les obligations contractuelles des opérateurs, ces critères d’évaluation sont nettement insuffisants et ne permettent pas de valoriser l’efficience de la gestion. Par ailleurs, le champ de l’analyse est étroit puisque l’évaluation ne concerne que les opérateurs et se focalise principalement sur le degré d’atteinte des objectifs finaux.

Ce constat appelle au renforcement de l’évaluation de la mise en œuvre des investissements dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur. Parmi les indicateurs de performance expérimentés dans d’autres missions budgétaires et insérés dans certaines conventions pouvant être exploités, on notera :

– le nombre de projets engagés au cours d’une année ;

– le respect du calendrier lors du processus de sélection ;

– le délai moyen de la procédure de contractualisation ;

– la qualité du montage juridique et financier ;

– le respect des échéances pour le versement des fonds ;

– la maîtrise des coûts à chaque étape du projet ;

– la maîtrise des délais lors de la mise en œuvre opérationnelle du projet ;

– la qualité du pilotage et du suivi du projet ;

– la qualité et la régularité du reporting ;

– le taux de réalisation des objectifs attendus ;

– le nombre de projets achevés au cours d’une année et leur part sur le nombre de projets engagés.

Plus encore, afin de rendre compte de l’état d’avancement des opérations, l’évaluation ne peut pas seulement porter sur les résultats finaux mais doit prendre en compte le degré d’atteinte des objectifs à chaque phase des projets. L’usage d’indicateurs de performance intermédiaires, prévu par certaines conventions, doit être systématisé afin de permettre une évaluation de la mise en œuvre des investissements au fil de l’eau.

Enfin, la mesure de la performance ne saurait concerner les seuls opérateurs mais doit être étendue aux structures de pilotage nationales. À ce titre, le comité de pilotage de l’Opération Campus, créée en 2008 par le ministère de l’Enseignement supérieur et devenu le service des grands projets immobiliers en 2009, doit faire l’objet d’un suivi portant notamment sur le nombre d’actions engagées, en cours de réalisation et achevées dans l’année, la qualité du montage, du pilotage et du suivi des actions et l’efficience de la gestion.

Proposition n° 11 – Élaborer des indicateurs de performance quant à la conduite des actions immobilières et d’équipement de grande taille, portant sur la maîtrise des coûts et des délais à chaque phase du projet.

3.– L’évaluation du retour sur investissement

Le retour sur investissement pour l’État comprend, outre le critère de rentabilité socio-économique dont les difficultés d’évaluation ont déjà été soulignées, plusieurs composantes pouvant varier selon la nature des projets et leurs modalités de financement. Les principaux éléments entrant en ligne de compte sont le remboursement des avances, la rémunération des fonds prêtés, la réalisation de prises de participation, et la valorisation des titres de propriété intellectuelle (dont les redevances et les royalties).

Les sommes perçues par l’État au titre du retour sur investissement lui sont versées par les bénéficiaires des crédits via les opérateurs. Certaines conventions peuvent également comporter un intéressement de l’opérateur à la rentabilité des projets, dont les contours sont parfois mal établis. La convention du projet de réacteur Jules Horowitz (RJH) prévoit ainsi la conservation par l’opérateur des « sommes générées par le projet […] dans la mesure où elles sont strictement nécessaires à une exploitation viable et durable de l’infrastructure de recherche RJH telle qu’elle résulte du modèle économique développé et validé par le comité de suivi », ce qui ne manque pas de soulever des interrogations.

Faiblement développés, les critères d’évaluation du retour sur investissements intégrés aux conventions sont quant à eux insuffisants. Les principaux indicateurs s’intéressent prioritairement à l’ampleur et à la progression du remboursement des avances. Les autres éléments composant le retour sur investissement ne sont parfois pas intégrés au champ de l’étude. Par ailleurs, l’intéressement de l’opérateur à la rentabilité du projet et son rôle de gestionnaire lors du versement du retour sur investissement ne font l’objet d’aucune évaluation.

Pour pallier ces incomplétudes, une meilleure évaluation de la performance du retour sur investissement nécessite de mesurer :

– l’ensemble des composantes du retour sur investissement de l’État, en incluant notamment les sommes générées par les prises de participation et la gestion des titres de propriété intellectuelle ;

– l’intéressement de l’opérateur à la rentabilité du projet, de manière à en suivre le volume, l’évolution et l’utilisation ;

– l’efficience de la gestion afin de veiller au respect par l’opérateur des délais, des coûts et de la traçabilité des fonds, lors du versement du retour sur investissement à l’État.

Proposition n° 12 – Élaborer des indicateurs de performance relatifs au retour sur investissement de l’État et à l’intéressement de l’opérateur à la rentabilité du projet portant sur leur volume, leur évolution et leur efficience.

IV.– MINIMISER L’IMPACT SUR LE PILOTAGE DES FINANCES PUBLIQUES

A.– LA SITUATION TRÈS DÉGRADÉE DE NOS FINANCES PUBLIQUES

1.– Un contexte budgétaire très contraint

Après plus de trente années de budget voté en déséquilibre et une crise économique mondiale traversée depuis 2008, l’assainissement des finances publiques de notre pays est devenu un enjeu majeur pour les années à venir.

L’état des lieux chiffré en 2010 et la dynamique des déséquilibres constatés illustrent la gravité de la situation, puisque :

– l’année budgétaire 2010 s’est achevée sur un déficit historique de 148,8 milliards d’euros, soit 7,1 % du produit intérieur brut (PIB), qui s’est creusé de près de 11 milliards d’euros par rapport à 2009. Le déficit budgétaire de l’État a ainsi été multiplié par cinq en 10 ans ;

– l’encours de la dette publique a été multiplié par 18 entre 1978 et 2008, faisant passer sa part dans le PIB de 21,1 % à 67,4 %. Après 78,1 % du PIB en 2009, la dette publique a atteint 1 591 milliards d’euros, soit 82,3 % du PIB. Elle a plus que doublé en dix ans ;

– la charge de la dette s’est élevée à 50,5 milliards d’euros, soit 2,6 % du PIB.

Ce contexte des finances publiques très dégradé a réduit à tel point les marges de manœuvres budgétaires qu’elles sont aujourd’hui, compte tenu des engagements pris par la France vis-à-vis de ses partenaires européens et du risque réel d’emballement de la dette, devenues pratiquement inexistantes.

Aussi, pour continuer à financer ses priorités stratégiques, l’État se doit de trouver des solutions innovantes et tend, pour cette raison, à privilégier désormais les financements extrabudgétaires.

Pour autant, leur impact n’est au final pas neutre sur le budget de l’État.

L’enjeu consiste donc à pouvoir appréhender au plus juste cet impact pour s’assurer que ces financements, bien qu’extrabudgétaires, n’entravent pas le redressement des finances publiques tel que planifié auprès des instances européennes dans le programme de stabilité et organisé par les différentes règles juridiques prises au niveau national successivement depuis 2004.

2.– Une exigence absolue de maîtrise de la dépense publique

a) Le cadre européen : le pacte de stabilité et de croissance

Mis en place dès 1997, ce pacte vise à promouvoir une discipline budgétaire destinée à assurer le maintien de la cohésion au sein de l’Union européenne et, plus particulièrement, de la zone euro.

Les deux principaux objectifs sont, pour chaque État, le respect des limites de 3 % du PIB pour le déficit public et de 60 % du PIB pour la dette publique brute.

Pour la France, l’objectif est de revenir à l’équilibre structurel de ses finances publiques à de moyen terme (2015). Pour y parvenir, le Gouvernement a décidé de mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour respecter le calendrier ci-après.

TRAJECTOIRE DES FINANCES PUBLIQUES 2011-2014

(en % du PIB)

 

2009

2010

2011 (1)

2011 

2012

2013

2014

Déficit budgétaire

7,5

7,7

6,0

5,7

4,6

3,0

2,0

Ratio d’endettement au sens de Maastricht

78,1

82,9

86,2

84,6

87,4

86,8

85,3

(1) Prévisions initiales inscrites dans la loi de programmation des finances publiques 2011-2014.

Source : Plan national de réforme de la France 2011-2014.

La crise des dettes souveraines survenue cet été est venue rappeler l’intérêt que portent les marchés financiers à la situation financière des États. Leur défiance se traduisant immédiatement par une hausse des taux d’intérêt exigés sur les emprunts publics, la contrainte est forte pour éviter tout risque d’emballement de la dette. Le Premier ministre a par ailleurs rappelé que ces engagements sont « intangibles » (10).

b) Le cadre national : les lois de programmation pluriannuelle des finances publiques et la norme de dépense

Pour donner de la visibilité à la trajectoire de ses finances publiques et être en mesure d’anticiper l’évolution de ses dépenses et ses recettes, l’État s’est progressivement doté de moyens de pilotage de plus en plus contraignants de ses finances.

Depuis le projet de loi de finances pour 2004, la maîtrise des dépenses était assurée par l’application d’une norme d’évolution en volume portant sur les charges nettes du budget général (hors remboursements et dégrèvements et hors recettes en atténuation de la charge de la dette).

La loi de finances initiale pour 2008 a franchi une nouvelle étape en élargissant le périmètre de la norme (périmètre de la norme de dépense élargi) aux prélèvements sur recettes en faveur des collectivités territoriales et de l’Union européenne et aux nouvelles affectations de ressources à des organismes publics.

Depuis la révision constitutionnelle de 2008 (11), les orientations des finances publiques sont définies par des lois de programmation triennales :

– la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 (12) a institué la règle selon laquelle les dépenses de l’État (hors plan de relance de l’économie) ne peuvent progresser qu’en « zéro volume », c'est-à-dire que leur progression est limitée à l’inflation sur les trois années de la programmation ;

– la loi de programmation pour les années 2011 à 2014 (13) a renforcé cet encadrement en prévoyant la stabilisation en euros courants (norme dite « zéro valeur ») des crédits budgétaires et des prélèvements sur recettes (hors charge de la dette et pensions des fonctionnaires de l’État). Par ailleurs, en incluant ces deux postes de dépenses, l’augmentation annuelle des crédits doit être au maximum égale à l’inflation (norme dite « zéro volume ») sur le périmètre de la norme élargi. Le rapport annexé au projet de loi de programmation précise que « quelles que soient ces hypothèses, les plafonds de dépenses résultant des normes « 0 volume » et « 0 valeur hors dette et pensions » seront respectés, la règle la plus contraignante des deux étant retenue pour chaque année. »

Les dépenses inscrites dans le périmètre de ces normes ne prennent pas en compte :

– les dépenses inscrites aux comptes spéciaux, qu'il est difficile d'agréger aux dépenses budgétaires en raison des risques de double comptabilisation que l'exercice comporte ;

– les remboursements et dégrèvements d'impôts, qui répondent à une logique de recettes et sont moins aisément pilotables que la dépense budgétaire au sens strict ;

– et l’ensemble des dépenses fiscales.

A contrario, elles incluent le prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne.

B.– LES FINANCEMENTS INNOVANTS COMPLEXIFIENT LA LECTURE DU BUDGET DE L’ÉTAT

1.– Prendre en compte les Investissements d’avenir dans la norme de dépense

Dans le contexte actuel d’extrême attention portée à l’évolution du déficit public, le Gouvernement a choisi de considérer que certaines dépenses substantielles ne devaient pas être incluses dans la norme de dépense, et ce en raison de leur caractère temporaire ou exceptionnel.

Cela a été le cas en 2010 pour les crédits ouverts au titre :

– du plan de relance, à hauteur de 5,2 milliards d’euros ;

– du prélèvement exceptionnel sur les recettes de 2010 au profit des collectivités territoriales dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, à hauteur de 32,4 milliards d’euros ;

– des « Investissements d'avenir », pour un montant de 32,4 milliards d’euros.

Soit au total un montant significatif de près de 70 milliards d’euros en 2010, représentant 20 % des dépenses incluses dans le périmètre de la norme élargie.

a) En 2010, les dépenses d’avenir ne sont pas prises en compte dans le périmètre de la norme de dépense

Selon les termes de la Cour des comptes, le PIA a été mis en place « par l’intermédiaire d’un montage particulièrement hétérodoxe au regard des principes budgétaires » (14).

En effet, il est considéré que la consommation budgétaire des crédits est intégralement réalisée en 2010 et que l’ensemble du dispositif devient totalement extrabudgétaire à compter de 2011.

b) En conséquence, selon la Cour des comptes, la norme de dépenses n’a été respectée qu’en apparence en 2010

Le tableau ci-après met en évidence compare les prévisions et l’exécution des dépenses inscrites dans la norme en 2010 au sens du Gouvernement.

LA NORME DE DÉPENSES EN 2010 AU SENS DU GOUVERNEMENT

(en milliards d’euros)

 

LFI 2010 + LFR

Exécution

Dépenses nettes budget général (1)

281,4

282,2

PSR hors compensation relais de la réforme TP (2)

71,2

70,4

Dépense sur le périmètre de la norme élargie (1+2)

352,6

352,5

     

Dépenses « exceptionnelles » hors norme (plan de relance, investissement d’avenir, compensation taxe professionnelle)

69,0

70,0

Source : Rapport de la Cour des comptes : Résultats et gestion budgétaire de l'État exercice 2010 – mai 2011.

Ainsi, alors que la norme prévoyait pour 2010 un plafond de dépenses de 352,6 milliards d’euros, l’exécution s’est située à 352,5 milliards d’euros.

La Cour des comptes se montre critique à l’égard de cette analyse (15) : elle relève un ensemble de dépenses qui, selon elle, devraient figurer dans le champ de la norme, et ce pour un montant total de 3,3 milliards d’euros, faisant passer ainsi le total des dépenses à 355,8 milliards d’euros.

L'objectif de 352,6 milliards d’euros correspondant à l'application de la norme « zéro volume » aurait donc été dépassé de 3,2 milliards d’euros, soit 0,9 % de la dépense soumise à la norme. Par rapport à l'exécution 2009, les dépenses ainsi recalculées pour l’année 2010 ont augmenté de 2,2 % en valeur, soit de 0,7 % en volume compte tenu de l'inflation constatée de 1,5 %.

Parmi les dépenses réimputées par la Cour dans le champ de la norme figurent les dépenses effectivement décaissées au titre des Investissements d’avenir. Elles sont prises en compte à hauteur de 675 millions d’euros par la Cour et correspondent aux contrats de développement participatifs mis en œuvre par Oséo.

Dans son bilan établi au 31 décembre 2010, le Commissariat général à l’investissement annonce quant à lui un montant total décaissé d’un peu moins de 900 millions d’euros (16).

Rapportées au dépassement de 3,3 milliards d’euros évoqué plus haut, les dépenses effectives réalisées au titre du PIA contribuent donc pour près d’un tiers au dépassement de la norme de dépense en 2010.

c) À partir de 2011, un impact sur le déficit différencié selon la nature des fonds considérés

La totalité des dotations versées au titre des dépenses d’avenir (34,64 millions d’euros) fait l’objet d’une obligation de dépôt sur le compte du Trésor.

Ces dotations se répartissent en :

– une part de fonds non consommables (15 milliards d’euros, 45 %) (17) : ils font l’objet d’une rémunération de l’État fixée au taux de 3,4 %. L’État rembourse aux opérateurs au fur et à mesure de leur consommation : il emprunte et les intérêts dus entrent dans le champ de la norme.

Selon les estimations fournies lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, les montants versés aux opérateurs au titre de ces dotations étaient de l’ordre de 510 millions d’euros en année pleine. Au 30 septembre 2011, le montant atteint est seulement de 10,4 millions d’euros (18) ;

– et une part de fonds consommables (19,5 milliards d’euros, 55 %) : ils se répartissent en cinq catégories de dépenses (prises de participation, subventions remboursables, prêts participatifs et dotations de fonds de garantie).

Leur utilisation est progressive au fur et à mesure du rythme de sélection des projets, sur la durée des conventions conclues avec les organismes gestionnaires (10 ans).

Les décaissements seront donc réalisés pour l’essentiel sur une période de cinq ans, et devraient représenter des dépenses de l’ordre de 4 à 5 milliards d’euros par an. Cette utilisation des dotations consommables n’apparaît cependant plus au niveau budgétaire au-delà de 2010 et n’est pas non plus intégrée à la norme de dépenses.

La Cour des comptes qualifie ce traitement budgétaire des fonds consommables « de mode de gestion très particulier (19) ». Elle y voit un double défaut :

– le versement des fonds aux opérateurs est selon elle un moyen utilisé par le Gouvernement pour contourner la norme imposée à l’évolution des dépenses de l’État (20) ;

– la distinction entre fonds consommables et non consommables conduit à un traitement budgétaire différencié qui affecte la lisibilité du solde budgétaire (21).

Elle propose donc d’ajouter, chaque année à compter de 2011, la consommation de la part des dotations consommables aux dépenses entrant dans le champ de la norme, considérant qu’il s’agit là de véritables investissements de l’État.

Interrogé par les Rapporteurs de la MEC sur cette proposition,
M. Vincent Moreau, sous-directeur à la direction du Budget objecte que « La norme de dépense est définie comme la norme que l’État se fixe pour piloter ses dépenses. Il est difficile d’y intégrer les dépenses effectuées par les opérateurs, puisque la réalisation de la norme de dépense dépendrait des décaissements opérés par des opérateurs, en l’occurrence l’ANR. L’effet pervers pourrait être que, pour garantir le respect de cette norme, le ministère du Budget intervienne directement auprès des opérateurs, en demandant par exemple à l’ANR de retenir 100 millions d’euros, ce qui perturberait la bonne exécution des conventions. »

Pour le Gouvernement, le choix de passer par des opérateurs, outre celui de préserver le déficit public à moyen terme en concentrant son impact total sur une seule année, se justifie par la volonté de donner une visibilité spécifique aux Investissements d’avenir, et de les faire passer par des canaux distincts. Selon lui, le transfert des fonds aux opérateurs permet d’assurer une parfaite étanchéité entre les crédits extrabudgétaires et budgétaires.

Conscients des impératifs liés à la nécessaire maîtrise des dépenses publiques, les Rapporteurs de la MEC ont porté une attention particulière à la proposition de la Cour des comptes. Néanmoins, il leur a semblé que toute la particularité de la mise en œuvre des Investissements d’avenir tenait précisément dans la « désannualisation » des crédits destinés au financement des projets sélectionnés, et que cette souplesse (relative car encadrée par les termes définis dans chaque convention) était garante du succès de leur réalisation.

Pour ces raisons et après réflexion, ils soutiennent le choix fait par le Gouvernement selon lequel les dépenses d’Investissements d’avenir, par leur caractère exceptionnel, n’ont pas vocation à être intégrées dans la norme d’évolution des dépenses de l’État. Au demeurant, cette option présente l’avantage de conserver à la norme un champ d’application homogène.

2.– Les difficultés d’apprécier l’impact des Investissements d’avenir sur les finances publiques

L’impact sur le déficit public des Investissements d’avenir s’apprécie de façon différente selon les règles des trois référentiels comptables de l’État : la comptabilité nationale, la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale (ou patrimoniale). Pour passer de l’une à l’autre, les retraitements portent principalement sur la qualification d’opérations budgétaires en opérations financières et de corrections permettant d’établir la situation des comptes de l’État en droits constatés.

a) L’impact sur le déficit public

● Un impact fort en 2010 sur le solde budgétaire

En comptabilité budgétaire, le déficit a atteint en 2010 148,8 milliards d’euros (soit 7,6 % du PIB). Le solde s’est donc nettement accru entre 2009 et 2010 (– 138 milliards d’euros en 2009, soit une progression de 7,2 %).

Les dépenses d’avenir sont à l’origine d’une grande part de cette dégradation : 34,6 milliards d’euros ont effectivement été inscrits en dépenses (32,4 milliards d’euros sur le budget général et 2,2 milliards d’euros sur des comptes spéciaux du Trésor). L’impact a cependant été ramené à 31,9 milliards d’euros, compte tenu notamment de la révision à la hausse des recettes fiscales (22).

La Cour des comptes souligne que, sans ce programme, le déficit budgétaire aurait été de 114,2 milliards d’euros (soit 5,9 % du PIB), un niveau inférieur à celui de 2009.

Il convient de rappeler que les dépenses liées aux intérêts dus par l’État sur les dotations non consommables versées au Trésor (15 milliards d’euros au total), évaluées à 0,6 milliard d’euros par an (23), sont intégrées à la norme de dépenses. Elles sont dès lors gagées par l’annulation de crédits inscrits au budget général et sont donc sans impact sur le solde.

● Un impact moindre sur le solde public mais différé dans le temps

En comptabilité nationale, le déficit en 2010 est ramené à 121,1 milliards d’euros, contre 117,1 milliards d’euros en 2009.

L’écart par rapport au solde précédent tient au traitement de certaines dépenses et recettes budgétaires, considérées en comptabilité nationale comme des opérations financières et qui à ce titre, n’ont pas d’impact sur le solde de financement.

Dans le cas des Investissements d’avenir, un choix stratégique a été fait par le Gouvernement de les ventiler entre différentes catégories pour privilégier la constitution d’actifs et ainsi, limiter l’impact sur le solde public.

Ainsi :

– la part consacrée à des prêts, des prises de participation et des apports en fonds propres (7,2 milliards d’euros) ne dégrade pas l’actif financier net de l’État et n’a donc pas d’impact sur le solde public ;

– les sommes versées sous forme d’avances remboursables (2,8 milliards d’euros) ont un impact plus difficile à mesurer puisque le remboursement des prêts est conditionné à la réussite des projets (et donc soumis à incertitude) (24) ;

– la part versée sous forme de subventions (10 milliards d’euros) à des secteurs stratégiques a un impact total sur le solde budgétaire en 2010 (les fonds étant versés intégralement aux opérateurs) mais leur effet sur le solde public est différé (25) (car réparti annuellement selon le rythme de décaissements des fonds).

Au final, l’impact des Investissements d’avenir sur le solde public se trouve substantiellement réduit par rapport à celui constaté sur le solde budgétaire : il devait se limiter à un montant annuel de l’ordre de 2 à 3 milliards d’euros (équivalent à 0,1 % de PIB) selon les données fournies lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative.

Les données actualisées permettent d’estimer un impact suivant un profit « en bosse » (26) : de 1 milliard d’euros en 2001, d’environ 2 milliards d’euros en 2012 et d’environ 3 milliards d’euros entre 2013 et 2015.

● Un impact maîtrisé sur la situation nette de l’État

En comptabilité générale, le déficit s’élève en 2010 à 112 milliards d’euros (99,9 milliards d’euros en 2009).

Le passage de la comptabilité nationale à la comptabilité générale tient notamment au traitement des dépenses budgétaires correspondant à la constitution d’actifs physiques (investissements immobiliers) ou financiers (prêts et avances, apports en fonds propres). Elle permet ainsi d’apprécier l’enrichissement (ou l’appauvrissement) de l’État.

Dans le cas des dépenses d’avenir(27), les dotations aux opérateurs constituent des dépenses budgétaires qui en comptabilité générale, ont été inscrites à l’actif du bilan sans affecter le résultat. Les montants en 2010 sont 25,6 milliards d’euros inscrits en immobilisations financières et 5,6 milliards d’euros inscrits pour les avances.

b) L’impact sur la dette publique

Le montant de la dette publique au sens du traité de Maastricht s’est élevé à 1 591 milliards d’euros (82,3 % du PIB) en 2010 contre 1 493 milliards d’euros en 2009 (79 % du PIB).

La dette publique au sens de Maastricht est une dette « brute » dans le sens où elle ne prend pas en compte les actifs financiers acquis par les administrations publiques mais mesure les flux réels de financement.

L’impact pour la dette est échelonné de la façon suivante : environ 2 milliards d’euros de décaissements en 2011, 3 milliards d’euros en 2012 et entre 3 et 4 milliards d’euros entre 2013 et 2015.

c) L’impact sur le solde des administrations publiques

Pour avoir une vision consolidée de l’impact des Investissements d’avenir sur la situation financière et budgétaire de l’État, il convient d’être particulièrement attentif à l’évolution des comptes des organismes divers d’administration centrale (ODAC).

Comme le rappelle M. Vincent Moreau, sous-directeur à la direction du Budget : « … même si les dotations consommables des Investissements d’avenir ne sont pas incluses dans la norme de dépense, elles ont un impact sur l’évolution du solde des administrations publiques et de la dette publique, qui sont aussi des indicateurs importants pour le pilotage des finances publiques. »

Pour rappel, le coût des Investissements d'avenir est porté à 80 % par les ODAC, le reste étant porté par des fonds distincts de l’État en comptabilité budgétaire, mais qui lui sont rattachés en comptabilité nationale.

La lecture de l’évolution du solde des ODAC sur la période de programmation est nettement marquée par les dotations exceptionnelles transférées de l’État à plusieurs d’entre eux en 2010 dans le cadre des Investissements d'avenir et du plan Campus, comme le met en évidence le tableau ci-après.

SOLDE DES ODAC, EN COMPTABILITÉ NATIONALE

 

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Dépenses en points de PIB

3,9

4,2

4,2

4,1

4,1

4,0

Recettes en points de PIB

4,0

6,2

4,5

4,4

4,4

4,3

Solde en points de PIB

0,1

2,1

0,3

0,3

0,3

0,4

Solde en milliards d’euros

2,8

4,4

5,8

5,8

7,1

8,1

Source : Budget, rapport sur la programmation des finances publiques pour la période 2011 à 2014.

En comptabilité nationale, en 2010, la mise en œuvre du programme d’Investissements d’avenir s’est traduite par le transfert de 11,5 milliards d’euros de l’État vers des opérateurs, ce qui correspond à une fraction seulement (28) des dotations consommables (19,5 milliards d’euros au total).

Par conséquent, cette opération améliore fortement le solde des organismes divers d’administration centrale en 2010, et contribue à le dégrader les années suivantes, au rythme du décaissement des fonds.

L’article 8–V de la loi de finances rectificative pour 2010 prévoit que le Gouvernement présente dans le rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances « pour les années précédentes, l’année en cours et les années à venir, les conséquences sur les finances publiques des investissements financés par les crédits ouverts sur les programmes créés par cette loi de finances rectificative. Ce rapport présente en particulier leurs conséquences sur le montant de dépenses publiques, du déficit public et de la dette publique, en précisant les administrations publiques concernées ».

Les données fournies au Parlement dans le rapport économique, social et financier sont les suivantes.

PRÉVISIONS D’IMPACT SUR LE DÉFICIT ET LA DETTE DES ADMINISTRATIONS
PUBLIQUES DES ADMINISTRATIONS PUBLIQUES

Source : Rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2012 – Tome I.

*

* *

LES PROPOSITIONS DE LA MEC

Proposition n° 1 – Garantir aux universités bénéficiaires du plan Campus une rémunération pour le capital de 3,7 milliards d’euros au titre de l’ensemble de la période écoulée depuis décembre 2007, date de l’inscription de cette somme sur le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État.

Proposition n° 2 – Mettre à la disposition du Parlement une présentation homogène et continue des dépenses budgétaires et extrabudgétaires permettant une vision des différents volets des politiques publiques en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Ce document de consolidation peut prendre la forme d’un document de politique transversale présenté en annexe au projet de loi de finances. Il devrait avoir son correspondant en loi de règlement.

Proposition n° 3 – Le document établissant les dépenses consolidées doit intégrer deux présentations. L’une, budgétaire, en crédits, recettes et dépenses, doit comporter une ventilation entre investissement et fonctionnement. L’autre doit présenter la constitution d’actifs durables et autant que possible la rentabilité de ces actifs.

Ce document de synthèse doit décrire les actifs créés au bénéfice de l’État ou des porteurs de projets en précisant leur nature, leur volume et leur régime juridique.

Proposition n° 4 – Présenter annuellement au Parlement un calendrier actualisé et détaillé du déroulement réalisé et prévisionnel de l’opération Campus.

Proposition n° 5 – Clarifier le rôle des PRES, en fonction de leurs différentes formes juridiques, dans la mise en œuvre des Investissements d’avenir, en particulier des initiatives d’excellence, en élargissant leur socle de compétences minimales et en améliorant leur gouvernance.

Proposition n° 6 – Les opérateurs chargés de la mise en œuvre des investissements extrabudgétaires doivent présenter chaque année un récapitulatif consolidé par site et par organisme de l’ensemble des crédits reçus, précisant leur niveau de participation financière dans le domaine de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Proposition n° 7 – Encourager l’AERES à participer à l’évaluation ex post des Investissements d’avenir tout en précisant les modalités de son intervention.

Proposition n° 8 – Assurer la traçabilité des crédits jusqu’à leur exécution pour les crédits du programme d’Investissements d’avenir.

Proposition n° 9 – Introduire dans le document de politique transversale ou dans le « jaune budgétaire » une présentation des crédits engagés et décaissés opération par opération pour les projets d’un montant supérieur à 10 millions d’euros.

Proposition n° 10 – Systématiser l’usage d’un « noyau dur » de critères d’évaluation standardisés mesurant la rentabilité socio-économique des Investissements d’avenir, afin de permettre l’analyse globale ou comparée de leurs performances.

Proposition n° 11 – Élaborer des indicateurs de performance quant à la conduite des actions immobilières et d’équipement de grande taille, portant sur la maîtrise des coûts et des délais à chaque phase du projet.

Proposition n° 12 – Élaborer des indicateurs de performance relatifs au retour sur investissement de l’État et à l’intéressement de l’opérateur à la rentabilité du projet portant sur leur volume, leur évolution et leur efficience.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur, au cours de sa séance du mercredi 7 décembre 2011 à 9 heures30.

M. Alain Claeys, rapporteur. Ce rapport n’est qu’un rapport d’étape. En effet, il est impossible à ce stade d’avancer des conclusions définitives sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur. Cependant, beaucoup d’informations contradictoires ayant circulé à ce propos, il a paru utile de faire un point précis sur l’avancement des programmes et la consommation des crédits.

En créant cette mission d’évaluation et de contrôle, notre objectif était de clarifier, et si possible d’améliorer par nos propositions, le recours à ces modes de financement de la recherche, qui ne sont pas une nouveauté en France – ainsi le secteur aéronautique bénéficiait d’avances remboursables – mais qui n’ont longtemps porté que sur des montants limités. Ces flux ont pris de l’importance avec la constitution des pôles de compétitivité, mais c’est surtout à compter de décembre 2007, avec le plan Campus, puis avec le grand emprunt prévu par le collectif budgétaire du 9 mars 2010, que le phénomène a pris une ampleur majeure : le plan Campus porte sur cinq milliards d’euros et le programme d’investissements d’avenir sur près de 35 milliards !

Ces modes de financement sont mis en œuvre par des opérateurs de l’État : en particulier par les universités s’agissant du plan Campus et par l’Agence nationale de la recherche, l’ANR, pour le volet « recherche » des investissements d’avenir.

Le développement qu’ils ont pris résulte à la fois d’une contrainte et d’une exigence. Comme nous l’avions souligné dans notre rapport de l’an dernier sur le crédit d’impôt recherche, les pouvoirs publics se sont attachés depuis 2007 à relancer l’effort de recherche à partir d’un triple constat : celui du retard dont souffrait la « machine à innover » française, celui du recul de nos universités dans les classements internationaux et celui de l’insuffisance de la recherche, qu’elle soit publique ou privée.

La contrainte, nous la connaissons bien, c’est celle qui pèse sur les finances de l’État, et elle incite à mobiliser plus largement des financements innovants mis en œuvre par des opérateurs. Cependant, comme l’ont rappelé aussi bien la mission d’information sur la mise en œuvre de la LOLF, la MILOLF, dans son rapport de juillet 2010, que la Cour des comptes, ces financements échappent aux principes du droit budgétaire, qui sont une garantie du contrôle parlementaire. Ainsi les crédits mobilisés par le grand emprunt ont disparu des écritures de l’État dès leur transfert aux opérateurs, à la fin de l’année 2010. Leur suivi est donc un enjeu à la fois de bonne gestion et de démocratie.

D’où la série d’auditions auxquelles la MEC a procédé de mai à octobre 2011 : en particulier celles des responsables des agences de recherche, des représentants des universités et des grandes écoles ainsi que des ministères concernés, sans oublier le Commissaire général à l’investissement. Ce tour d’horizon nous a permis en particulier de faire le point sur l’état d’avancement du plan Campus et du programme des investissements d’avenir.

La dotation totale du plan Campus, lancé fin 2007, se monte à cinq milliards d’euros puisqu’aux 3,7 milliards d’euros issus de la cession d’une partie du capital d’EDF se sont ajoutés 1,3 milliard d’euros au titre des investissements d’avenir ; il s’agit d’une dotation non consommable transférée à l’ANR en 2010. Au 30 novembre 2011, les avances versées correspondant aux intérêts de 2010 et 2011 s’élevaient à 56,9 millions d’euros. La modicité de ce montant s’explique par la complexité des opérations immobilières en cause et par le fait que les universités, manquant de compétences dans ces matières, ne disposaient pas d’une gouvernance à la hauteur du défi. Elle tient également aux limites des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES, regroupements d’universités d’une même ville ou d’une même région prévus par la loi dans le but d’assurer la mise en œuvre du plan. Cependant, la montée en charge du dispositif devrait s’accélérer après cette phase transitoire.

Les investissements d’avenir, lancés par la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 après avoir été sélectionnés par la commission Juppé-Rocard, s’élèvent à 34,64 milliards d’euros, dont 15 milliards d’euros de dotations non consommables et 19,6 milliards d’euros de dotations consommables. Ces dernières, destinées à constituer des actifs à risque, incluent trois catégories d’interventions : les prêts et garanties de prêts ; les prises de participations ; les avances remboursables. Quant aux dotations non consommables, elles sont constituées de fonds, déposés sur le compte de l’opérateur auprès du Trésor, dont seuls les produits d’intérêts sont versés aux bénéficiaires des crédits. Elles présentent un caractère non risqué pour l’État. L’enseignement supérieur et la recherche mobilisent à eux seuls 18,9 milliards d’euros sur le total de 34,6 milliards.

Aujourd’hui, les perspectives d’engagements de crédits portent sur quinze à vingt milliards d’euros, dont six à huit milliards d’euros de dotations consommables et dix à douze milliards d’euros de dotations non consommables. Quant aux décaissements, ils se limitaient, au 30 septembre dernier, à 1,5 milliard d’euros de dotations consommables et 10,4 millions d’euros d’intérêts de dotations non consommables. Au vu de cette situation, il est indubitable que la consommation de ces crédits doit s’accélérer.

En outre, nous avons constaté que le glissement de crédits budgétaires à des crédits extrabudgétaires à travers les investissements d’avenir était une réalité. C’est le cas avec le projet ASTRID de réacteur nucléaire de quatrième génération, qui n’avait pas connu le moindre début de réalisation avant que le grand emprunt ne lui alloue 650 millions d’euros. De même, l’aéronautique civile a bénéficié d’un transfert de 450 millions d’euros, sur un financement total de 1,5 milliard. Quant aux démonstrateurs technologiques aéronautiques, ils bénéficieront d’un montant de 900 millions d’euros. Certains projets de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, seront également financés sur les crédits destinés aux investissements d’avenir.

La très faible consommation des crédits au titre du plan Campus crée des impatiences. J’en ai donné les raisons, mais le constat de lenteur vaut aussi pour les investissements d’avenir. Dans ce dernier cas, c’est la complexité de l’articulation entre le Commissariat général à l’investissement, les différents opérateurs et les jurys internationaux qui explique l’allongement du processus, au grand dam des chercheurs.

La sélection des projets d’investissements d’avenir par des jurys internationaux est une garantie de transparence et un gage de qualité. L’État doit néanmoins assumer son rôle de stratège, et ce sur deux points : pour la définition des priorités en matière de recherche et pour le rééquilibrage des financements entre les différentes régions – la deuxième vague d’appels à projets devra permettre de corriger les inégalités que nous avons pu constater à cet égard.

En conclusion, j’appelle la Commission à continuer de surveiller de façon rigoureuse la conduite de ces deux politiques.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Le sujet est complexe, en raison de la difficulté de distinguer clairement crédits budgétaires et crédits extrabudgétaires. En outre, les dispositifs en cause, récents, ne sont pas encore stabilisés. Nos douze propositions, de caractère assez technique, visent donc davantage à les clarifier et à mieux les encadrer qu’à en modifier la substance.

La première, qui reprend fidèlement l’une de celles qu’avait formulées la MILOLF dans son rapport de juillet 2010, vise à revenir aux conditions arrêtées lors du lancement du plan Campus. Comme vous le savez, la dotation allouée aux universités était fondée sur la rémunération du capital de 3,7 milliards d’euros issu de la vente d’actions d’EDF. Or cette rémunération n’était pas calculée à compter de la date de leur encaissement. Afin de respecter l’engagement initial de l’État, nous demandons que ce calcul prenne en compte l’intégralité de la période écoulée depuis décembre 2007.

Vient ensuite une série de propositions destinées à garantir l’information du Parlement, et donc des citoyens. Nous demandons d’abord que soit mis à notre disposition un document de consolidation des dépenses budgétaires et extrabudgétaires faisant la synthèse de toutes les politiques publiques en matière d’enseignement et de recherche. La forme d’un document de politique transversale annexé au projet de loi de finances serait probablement la plus adaptée. Il conviendrait naturellement qu’en exécution, un document correspondant soit annexé au projet de loi de règlement.

Notre troisième proposition précise le contenu de ce document de synthèse. Devrait y figurer une présentation budgétaire comportant une ventilation entre dépenses d’investissement et dépenses de fonctionnement. Il devrait aussi décrire les actifs créés au bénéfice de l’État ou des porteurs de projet, en précisant leur nature, leur montant et leur régime juridique.

Quatrièmement, nous souhaitons que soit présenté chaque année au Parlement un calendrier actualisé et détaillé du déroulement de l’opération Campus.

Cinquièmement, nous proposons que le rôle des PRES dans la mise en œuvre des investissements d’avenir, notamment des initiatives d’excellence, soit clarifié, que leur socle de compétences minimales soit renforcé et leur gouvernance précisée.

Il importe également de disposer d’informations analytiques détaillées sur les opérations. C’est pourquoi notre sixième proposition tend à exiger des opérateurs la production annuelle d’un récapitulatif consolidé, par site et par organisme, de l’ensemble des crédits reçus à des fins d’enseignement et de recherche.

Septièmement, il convient d’encourager l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, l’AERES, créée par la loi de programmation pour la recherche de 2006, à exercer pleinement sa mission d’évaluation des investissements d’avenir.

Nos huitième et neuvième propositions visent à assurer la traçabilité, à nos yeux indispensable, des crédits du programme d’investissements d’avenir jusqu’à leur exécution et à obtenir une présentation des crédits engagés et décaissés opération par opération, pour les actions d’un montant supérieur à dix millions d’euros.

Les trois dernières propositions portent sur le suivi de la performance des investissements d’avenir. Pour en permettre l’analyse globale, nous préconisons de faire un usage systématique d’un « noyau dur » de critères d’évaluation standardisés mesurant leur rentabilité socio-économique. Il conviendra également d’élaborer des indicateurs de performance pour la conduite des projets immobiliers et des projets d’équipements de grande taille, permettant notamment d’évaluer le degré de maîtrise des coûts et des délais à chaque phase du projet.

Enfin, la MEC juge essentiel de constituer, pour chaque projet, des indicateurs de performance en vue de mesurer le retour sur investissement qu’il procurera à l’État ainsi que ses effets sur l’activité économique globale et sur l’emploi.

Comme nous nous en doutions étant donné la nature des financements en cause et l’état d’avancement des projets, nous n’avons pu produire qu’une sorte de rapport d’étape. Notre mission d’évaluation et de contrôle devra donc continuer d’exercer sa vigilance au cours de la prochaine législature.

M. Alain Rodet. La lenteur avec laquelle le plan Campus est mis en œuvre est critiquée de toutes parts, l’exécution de certains projets enregistrant de tels retards qu’ils imposent des réactualisations, génératrices de surcoûts. En tant que maîtres d’ouvrage, les universitaires manquent de diligence : comme les magistrats, ils se comportent comme s’ils avaient l’éternité devant eux ! Or il s’agit de répondre à des besoins dont l’urgence est manifeste…

M. Philippe Vigier. On ne peut qu’approuver les propositions présentées par Jean-Pierre Gorges, mais le problème majeur est celui de la faiblesse des crédits effectivement mobilisés. Je ne suis pas surpris par l’observation du rapport selon laquelle « les présidents et les conseils d’administration des universités ont été “pris par surprise”, n’ayant pas défini de projet à l’avance, dans la mesure où mener à bien la construction ou la rénovation du bâti n’avait jamais relevé de leur compétence », puisque j’observe que le volet universitaire du contrat de projets entre l’État et la région Centre connaît, lui aussi, un retard considérable. Quels motifs vous permettent d’être plus optimistes pour 2012 ? Ne faudrait-il pas imaginer d’autres dispositifs, tels que des délégations de maîtrise d’ouvrage qui feraient intervenir des collectivités locales, afin d’accélérer la réalisation des programmes ? Dans ma région, des projets n’ont pas pu éclore alors même que, contrairement au passé, il y avait des financements.

Mme Marie-Christine Dalloz. L’évaluation de ces programmes, notamment des investissements d’avenir, est absolument nécessaire eu égard à l’importance des crédits en jeu et au contexte budgétaire contraint que nous connaissons. Si votre rapport reconnaît cette nécessité, il faudrait maintenant dépasser l’étape du constat : comment mesurer précisément l’efficacité de ces politiques, établissement par établissement ?

M. Gérard Bapt. S’agissant des projets du plan Campus, l’évaluation ne présente pas de difficulté. Il en va tout autrement pour les projets de recherche financés par le grand emprunt. En ce qui concerne les opérations encadrées par l’ANR, elles font déjà l’objet d’une double évaluation, par l’ANR et par l’AERES. Mais certains projets peuvent faire problème : dans le domaine de la recherche en santé, par exemple, comment évaluer les programmes comportant le suivi de cohortes, qui peut s’étendre sur un grand nombre d’années ?

J’ai eu par ailleurs la surprise de constater qu’un jury international chargé de sélectionner des projets de recherche médicale ne comptait comme membres français que deux représentants du monde de l’entreprise : la composition de ces jurys obéit-elle à des règles particulières ?

M. Alain Claeys, rapporteur. Il est vrai que l’exécution du plan Campus connaît un retard considérable, seulement 56 millions d’euros ayant été consommés après quatre ans sur les cinq milliards annoncés, alors que le taux de réalisation des programmes est de 50 % dans les contrats de projets État-régions (CPER). Les causes de ce retard sont multiples. D’abord, les projets éligibles n’étaient pas complètement élaborés. D’autre part, c’était la première fois que les universités étaient réellement maîtres d’ouvrage, alors que ce rôle revient à l’État ou à la région dans le cadre des CPER. De plus, la diversité de structure des PRES appelait, notamment en ce qui concerne le rôle du maître d’ouvrage, des clarifications juridiques – qui ont été apportées depuis. Surtout, les universités ne disposent pas encore des outils susceptibles de donner une traduction concrète au principe de leur autonomie, même si celui-ci fait aujourd’hui l’objet d’un consensus.

Quant aux membres des jurys internationaux chargés de sélectionner les projets d’investissements d’avenir, ils sont recrutés parmi les candidats retenus par l’ANR. Je pense que ces modalités de recrutement garantissent la qualité de ces jurys, étant entendu que l’État stratège doit faire valoir ses priorités.

M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur. Nous proposons déjà dans notre rapport des outils pour aller plus loin que le simple constat, madame Dalloz. Vous devez cependant mesurer qu’évaluer des projets de recherche demande des compétences « pointues ». Reste que l’accompagnement politique est essentiel : il faut que le Parlement maintienne une pression constante, d’autant plus que ces financements sont complexes. Le problème aujourd’hui est qu’il n’y a pas suffisamment de dialogue entre la compétence et le politique.

C’est pourquoi nous avons souhaité jeter dès maintenant un regard sur ces projets, même si ce premier contrôle est sans aucun doute un peu trop précoce, ces dispositifs n’ayant pas encore atteint leur régime de croisière. Cependant, nos douze propositions devraient nous permettre d’affiner notre évaluation et de maîtriser la dépense.

M. Alain Claeys, rapporteur. Il faut noter que l’État dialogue avec les universités via les rectorats, qui sont leurs interlocuteurs en région. Or, au sein de ceux-ci, le service consacré aux universités est souvent le plus petit et le moins bien doté. Je crois qu’il est temps de tirer les conséquences de l’autonomie des universités en renforçant ces services.

M. Olivier Carré. Les auditions de la mission nous ont démontré que les universités étaient totalement dépourvues de la culture de la maîtrise d’ouvrage. Si on y ajoute l’insuffisance des moyens et le manque de soutien de l’État avant la loi d’autonomie des universités, on comprend les difficultés actuelles. Le constat de celles-ci a poussé la Caisse des dépôts et consignations, partie prenante du plan Campus, à diligenter des équipes pour aider les universités à réaliser ces investissements. Par ailleurs, en tant que membre du comité de surveillance des investissements d’avenir, je peux témoigner que la consommation des crédits à ce titre s’accélère de mois en mois. Cela ne remet cependant pas en cause l’opportunité de publier aujourd’hui notre rapport car, comme l’ont souligné les rapporteurs, il est très important que le Parlement suive de près l’utilisation de ces financements complexes.

M. Michel Diefenbacher, Président. Messieurs les rapporteurs, souhaitez-vous que vos propositions soient, en application de l’article 60 de la LOLF, transmises au Gouvernement, à charge pour celui-ci de répondre dans un délai de deux mois ? (Assentiment).

La Commission, en application de l’article 145 du Règlement, autorise la publication du rapport de la Mission d’évaluation et de contrôle sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

ANNEXES

I.– LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

– le 4 mai 2011, M. Ronan Stéphan, directeur général pour la Recherche et l’innovation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Catherine Gaudy, adjointe, et de M. Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers » ;

– le 4 mai 2011, MM. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers » du même ministère ;

– le 4 mai 2011, M. Frédéric Guin, directeur des Affaires financières du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Chantal Chambellan Le Levier, sous-directrice du budget pour la mission Recherche et enseignement supérieur ; et de M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle ;

– le 11 mai 2011, M. René Ricol, commissaire général à l’investissement ;

– le 1er juin 2011, M. Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP-FSU), accompagné de M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national et M. Marc Champesme, secrétaire national ;

– le 8 juin 2011, M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, accompagné de M. Daniel Vitry, responsable de la mission Universités, de Mme Annabelle Cazes, directrice adjointe du département Infrastructures d’intérêt général, de Mme Brigitte Gotti, secrétaire générale de la commission de surveillance, et de M. Frédéric Sabattier, chargé de mission ;

– le 8 juin 2011, Mme Jacqueline Lecourtier, directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR), accompagnée de Mme Martine Latare, directrice générale adjointe, et de M. Jean-François Baumard, responsable du département « Investissements d'avenir » ;

– le 8 juin 2011, M. Louis Vogel, président de l'université Panthéon-Assas, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), accompagné de M. Michel Dellacasagrande, consultant auprès de la CPU ;

– le 28 juin 2011, M. Philippe Van de Maele, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ;

– le 28 juin 2011, M. Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, accompagné de M. Pierre Glorieux, directeur de la section des unités de recherche ;

– le 28 juin 2011, M. Pierre Tapie, directeur général du groupe ESSEC et président de la Conférence des grandes écoles, accompagné de M. Pierre Aliphat, délégué général, et de M. Hervé Biausser, directeur de l’École centrale Paris et vice-président de la Conférence des grandes écoles ;

– le 5 juillet 2011, M. Vincent Moreau, sous-directeur, chargé de la 3ème sous direction de la direction du Budget ;

– le 5 octobre 2011, M. Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

II.– TABLE DES AUDITIONS

SOMMAIRE

Pages

Audition du 4 mai 2011

À 16 heures 15 : M. Ronan Stéphan, directeur général pour la Recherche et l’innovation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Catherine Gaudy, adjointe, et de M. Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers » 87

À 17 heures 30 : MM. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers » du même ministère 99

À 18 heures 30 : M. Frédéric Guin, directeur des affaires financières du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Chantal Chambellan Le Levier, sous-directrice du budget pour la mission Recherche et enseignement supérieur ; et de M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle 104

Audition du 11 mai 2011

À 16 heures 15 : M. René Ricol, commissaire général à l’investissement 109

Audition du 1er juin 2011

À 16 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP-FSU), accompagné de M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national et M. Marc Champesme, secrétaire national, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur 121

Audition du 8 juin 2011

À 16 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, accompagné de M. Daniel Vitry, responsable de la mission Universités, de Mme Annabelle Cazes, directrice adjointe du département Infrastructures d’intérêt général, de Mme Brigitte Gotti, secrétaire générale de la commission de surveillance, et de M. Frédéric Sabattier, chargé de mission 129

À 17 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de Mme Jacqueline Lecourtier, directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR), accompagnée de Mme Martine Latare, directrice générale adjointe, et de M. Jean-François Baumard, responsable du département « Investissements d'avenir », sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’Enseignement supérieur, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur 141

À 18 heures 15 : M. Louis Vogel, président de l'université Panthéon-Assas, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), accompagné de M. Michel Dellacasagrande, consultant auprès de la CPU 150

Audition du 28 juin 2011

À 16 heures 15 : M. Philippe Van de Maele, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) 161

À 17 heures 15 : M. Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, accompagné de M. Pierre Glorieux, directeur de la section des unités de recherche 169

À 18 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Tapie, directeur général du groupe ESSEC et président de la Conférence des grandes écoles, accompagné de M. Pierre Aliphat, délégué général, et de M. Hervé Biausser, directeur de l’École centrale Paris et vice-président de la Conférence des grandes écoles, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur 175

Audition du 5 juillet 2011

À 14 heures 30 : Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Moreau, sous-directeur, chargé de la 3ème sous direction de la direction du Budget, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur 183

Audition du 5 octobre 2011

À 16 heures 15 : Audition ouverte à la presse, de M. Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, chargé sur le financement extrabudgétaire de la recherche et de l’enseignement supérieur 189

Audition du 4 mai 2011

À 16 heures 15 : M. Ronan Stéphan, directeur général pour la Recherche et l’innovation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Catherine Gaudy, adjointe, et de M. Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers »

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Mes chers collègues, mesdames et messieurs, je suis heureux d’ouvrir cette première audition qui inaugure nos travaux relatifs aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur. Le financement extrabudgétaire est une source de préoccupation, voire de perplexité pour la commission des Finances, dans la mesure où, à côté de dépenses clairement identifiées en loi de finances – et gérées de façon stricte –, les financements extrabudgétaires pourraient couvrir des dépenses qui, elles, pourraient ne pas avoir le même souci de la maîtrise.

L’environnement de la recherche et de l’université, modifié par les lois de 2006 et 2007 qui lui ont donné l’autonomie, et, au-delà du plan Campus, par l’apport du grand emprunt, est extrêmement évolutif. C’est la raison pour laquelle le bureau de la commission des Finances a jugé utile de saisir de cette question la Mission d’évaluation et de contrôle.

Le mode de financement extrabudgétaire d’une manière générale est l’une de nos préoccupations majeures, puisque le bureau de la commission des Finances a également demandé à la MEC de s’intéresser aux financements des politiques culturelles par des ressources affectées.

Quel est le véritable impact des financements extrabudgétaires sur les finances publiques ? Comment sont-ils pris en compte au regard des critères de Maastricht ? Nous avons bien vu, lors du dernier débat budgétaire, que ces dépenses n’étaient pas comptabilisées dans le total des dépenses publiques « au sens de Maastricht », alors qu’elles représentent pourtant un débours, mais un débours partiel. C’est le cas, très concrètement dans le domaine universitaire, avec la distinction entre les dépenses consomptibles et celles qui ne le sont pas. Pour ces dernières, seul le montant des intérêts produits sera dépensé au fil des ans par les opérateurs.

Nos travaux porteront également sur un enjeu de gouvernance puisque la loi de 2007 a donné l’autonomie aux universités après différents regroupements. La Cour des comptes a réalisé un excellent travail pour mettre en évidence à la fois les forces et les faiblesses des différents dispositifs à l’issue de ces premières années de mise en œuvre. Un de nos objectifs sera de voir comment organiser le contrôle budgétaire. Comment pourra-t-on agréger, au-delà de la mission, ces dépenses extrabudgétaires pour avoir une vision réaliste de l’engagement public sur ces différentes politiques ?

Dans le cadre de nos travaux, les deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur les crédits de la recherche, MM. Jean-Pierre Gorges et Alain Claeys, seront associés à M. Pierre Lasbordes, rapporteur pour avis de la commission des Affaires économiques.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par des magistrats de la Cour des comptes, et je salue aujourd’hui la présence de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

Nous accueillons M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l’innovation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Catherine Gaudy, directrice générale adjointe, et M. Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers ».

M. Alain Claeys, Rapporteur. Merci monsieur le Président. Vous avez rappelé l’objet de nos travaux et je pense que nous avons trois ou quatre sujets principaux à examiner : peut-être, monsieur le directeur général, pourriez-vous rappeler les dispositifs de financement des crédits extrabudgétaires qui sont alloués à la recherche et à l’enseignement supérieur. Ensuite, pourriez-vous analyser les deux grands blocs aujourd’hui concernés par ces crédits, à savoir d’une part le plan Campus et d’autre part les Investissements d’avenir.

Le plan Campus, sur lequel je souhaiterais entrer dans le détail, a été lancé en 2008, suite à la loi sur l’autonomie et, en principe, les crédits devraient être mis à disposition des universités ou des pôles de recherche et d’enseignement supérieur – PRES – en 2011. Or il s’avère, semble-t-il, que nous avons pris un certain retard. Il me semble important de connaître les raisons de ce retard. Le président, à juste titre, a abordé les problèmes de gouvernance, thème évoqué par la Cour des comptes. Je souhaiterais donc que vous entriez dans le détail de ces sujets et que vous nous indiquiez, notamment, les difficultés auxquelles vous êtes confrontés au niveau des PRES.

Les financements relatifs au plan Campus doivent être mis en parallèle avec le Programme des Investissements d’avenir. Peut-être pouvez-vous déjà présenter un bilan ? Il est important de bien comprendre l’articulation existant entre le plan Campus et le Programme d’Investissements d’avenir. Le dernier sujet est l’évaluation du montant de ces crédits extrabudgétaires : nous sommes demandeurs d’information.

Pour ouvrir la discussion, nous pourrions commencer par les deux thèmes suivants : d’une part le rappel du dispositif des crédits extrabudgétaires dans le domaine de la recherche et de l’enseignement supérieur et, d’autre part, l’articulation entre le plan Campus et le Programme Investissements d’avenir. Nous souhaiterions obtenir des éclaircissements sur les raisons du retard du plan Campus et sur les solutions envisagées pour ne pas créer sur le terrain trop d’inquiétudes.

M. Ronan Stephan, directeur général pour la Recherche et l’innovation du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Le plan Campus est une opération qui est surtout portée par la direction générale de l’Enseignement supérieur et celle de l’insertion professionnelle. Je laisserai donc Alain Neveü, qui est en charge d’un service commun entre ces deux directions, d’apporter un certain nombre de réponses.

Pour ce qui concerne les Investissements d’avenir, souhaitez-vous que nous commencions par lister les différents programmes de ces Investissements ou préférez-vous d’abord que nous abordions le plan Campus ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avant même d’aborder le détail du plan Campus, pourriez-vous rappeler quels sont les crédits extrabudgétaires mobilisés sur ce plan et sur le Programme d’Investissements d’avenir et nous dire si ces crédits extrabudgétaires viennent se substituer à des crédits qui avaient été « fléchés » sur la recherche et l’enseignement supérieur ?

M. Ronan Stephan. Dans ce cas, je vais d’abord vous parler brièvement des actions qui vont être financées dans le cadre des Investissements d’avenir, soit typiquement deux grandes actions : une action sur les pôles d’excellence et une action sur les projets thématiques d’excellence.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous allons suivre votre plan.

M. Ronan Stephan. Il s’agit d’une présentation liminaire. Je ne m’attarderai pas sur ces différentes rubriques et ensuite M. Neveü pourra apporter tous les compléments sur le plan Campus.

Dans l’action Pôles d’excellence, nous avons une dotation de 7,7 milliards d’euros qui concerne les initiatives d’excellence, une dotation de 1,3 milliard d’euros qui vient compléter l’opération Campus pour finaliser un certain nombre d’opérations lancées ; nous avons également une opération spécifique d’un montant d’un milliard d’euros qui concerne le plateau de Saclay ; une opération de valorisation des Instituts de recherche technologique à hauteur de 2 milliards d’euros ; le fonds national de valorisation qui va abonder trois sous-dispositifs : les sociétés d’accélération du transfert de technologie à hauteur de 900 millions d’euros, France Brevet à hauteur de 50 millions d’euros et les consortiums thématiques de valorisation à hauteur de 50 millions d’euros également.

Il y a ensuite les instituts Carnot qui font déjà partie de la programmation générale. Cette fois, il s’agit d’un complément destiné à accompagner l’ouverture de la recherche publique vers les petites et moyennes entreprises et à pousser l’internationalisation de la diffusion des résultats de recherche obtenus dans nos laboratoires. Leur dotation s’élève à 500 millions d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour être bien précis, pour les crédits ouverts sur les Investissements d’avenir, les 7,7 milliards…

M. Ronan Stephan. …qui sont non consomptibles…

M. Alain Claeys, Rapporteur. …concernent les Campus d’excellence ? Et les opérations Campus correspondent à 1,3 milliard d’euros, n’est-ce pas ?

M. Ronan Stephan. Oui, tout à fait.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Et est-ce que ce montant reprend des crédits budgétaires qui avaient été annoncés en Investissements ?

M. Olivier Carré, Président. L’enveloppe est-elle de 5 + 5 milliards d’euros ?

M. Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers ». L’opération Campus, c’est 5 milliards, dont 3,7 milliards issus de la vente d’actions EDF auxquels ont été ajoutés 1,3 milliard d’euros issus du grand emprunt.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le financement par voie extrabudgétaire est brutal. Pour redonner du sens, il faut reconstituer l’ensemble des crédits dont dispose chacun des domaines d’opérations.

M. Ronan Stephan. Dans ce cas, consolidé entre les Investissements d’avenir et l’opération Campus, l’ensemble des moyens revient à 5 milliards d’euros. 3,7 milliards d’euros mobilisés au départ et 1,3 milliard d’euros mobilisés dans le cadre de ces Investissements d’avenir.

M. Olivier Carré, Président. Les 3,7 milliards d’euros sont inscrits au budget de l’État en autorisations d’engagement. Où apparaissent les 1,3 milliard d’euros supplémentaires ?

M. Ronan Stephan. L’opérateur est l’ANR.

M. Olivier Carré, Président. Et où sont inscrits les 3,7 milliards d’euros ?

M. Ronan Stephan. Ils sont également inscrits à l’ANR.

M. Alain Neveü. L’ensemble des deux sources de financement est confié à l’ANR depuis le début d’août 2010.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il convient quand même de préciser qu’il s’agit de dotations non consomptibles. À la différence du milliard d’euros consacré à Saclay qui, lui, est consomptible. Dans les Investissements d’avenir, il faudrait que vous précisiez, chaque fois, quels sont les crédits consumptibles et quels sont ceux qui ne le sont pas.

Souvenons-nous que lorsque les titres EDF ont été vendus, l’État espérait engranger 5 milliards de recettes. Mais, le cours de l’action ayant baissé, les recettes ne se sont élevées qu’à 3,7 milliards d’euros. Or, il était admis que le plan Campus n’avait de sens qu’à hauteur de 5 milliards d’euros. On a donc profité de l’opération Investissements d’avenir pour compléter le fameux plan Campus originel. C’est une espèce de masse sui generis à 5 milliards non consomptibles.

M. Ronan Stephan. Dans ce cas, je précise brièvement les montants et leur nature :

– les initiatives d’excellence ou Campus d’excellence : 7,7 milliards d’euros non consomptibles ;

– le plateau de Saclay : 1 milliard d’euros consomptibles ;

– les instituts de recherche technologique : 2 milliards d’euros dont 1,5 non consomptibles et 500 millions consomptibles ;

– le fonds national de valorisation, comprenant les trois éléments déjà évoqués (les sociétés accélératrices du transfert de technologie, France Brevet et les consortiums nationaux de valorisation) : un milliard d’euros consomptibles ;

– Les instituts Carnot, orientés vers les PME et l’international : 500 millions d’euros non consomptibles ;

– les laboratoires d’excellence : un milliard d’euros dont 900 millions non consomptibles et 100 consomptibles ;

– les instituts hospitalo-universitaires : 850 millions d’euros, dont 680 millions non consomptibles et 177 consomptibles.

Voilà dans ce premier programme intitulé Pôles d’excellence la répartition ainsi que le mode de consommation. Le deuxième grand programme est celui relatif aux Projets thématiques d’excellence dans lequel on va trouver les actions suivantes :

– les équipements d’excellence : un milliard d’euros dont 600 millions sont non consomptibles et 400 millions consomptibles ;

– la santé et les biotechnologies : 1,550 milliard d’euros dont 450 millions d’euros consomptibles et 1,1 milliard d’euros non consomptibles ;

– l’espace : 500 millions d’euros consomptibles mais dont l’opérateur n’est pas l’ANR, mais le CNES (Centre national d’études spatiales).

Si je fais la somme, nous aboutissons à une dotation non consomptible de 14,280 milliards d’euros et à une dotation consomptible de 4,120 milliards d’euros. A l’ensemble de ces sommes, il convient d’ajouter les 3,7 milliards d’euros correspondant à la phase initiale de l’opération Campus.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On arrive à pratiquement 22 milliards d’euros.

M. Ronan Stephan. 22,1 milliards d’euros exactement.

M. Alain Neveü. En ce qui concerne l’opération Campus, l’ensemble du projet concerne à la fois les dix sites qui bénéficient du label Campus et des financements des 5 milliards d’euros extrabudgétaires, mais également un ensemble de onze sites retenus par la ministre après l’appel à projets qui bénéficient eux, de financements budgétaires. L’action du ministère pour la gestion globale de l’opération Campus porte sur ces vingt-et-un sites.

Les dix sites bénéficiant des 5 milliards d’euros de financements extrabudgétaires ont été sélectionnés courant 2008 dans le cadre d’un appel à projets, sur proposition d’un comité d’évaluation constitué de personnalités françaises et internationales. La sélection s’est effectuée en deux vagues sur la base de notes d’intention sommaires qui ont permis de retenir six sites en mai 2008 : Bordeaux, Grenoble, Lyon, Montpellier, Strasbourg et Toulouse. En juillet 2008, quatre sites complémentaires ont été retenus : Aix-Marseille, Condorcet Paris-Aubervilliers, Paris et Saclay. Soit au total, sept sites en régions et trois sites en Île de France.

Après la sélection sur ces notes d’intention sommaires, les sites sélectionnés ont eu cinq à six mois pour présenter de véritables projets. Ces projets ont également été soumis au comité d’évaluation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qui portait les projets de ces dix sites ? Les universités ou les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) ?

M. Alain Neveü. Les situations étaient variées. Lorsque les PRES existaient, ils portaient le projet. En leur absence, dans certains cas il s’est agi d’universités inscrites dans une perspective de fusion comme à Strasbourg, dans d’autres cas de groupements informels d’établissements, comme par exemple à Grenoble ou à Montpellier.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels ont été les problèmes concrets rencontrés, notamment en ce qui concerne la gouvernance de ces projets au regard de ce que prévoyait la loi ? Pourquoi a-t-on pris du retard ?

M. Alain Neveü. Je ne pense pas que l’ensemble de l’opération Campus puisse être stigmatisée pour un retard général. Les programmes demandés étaient très ambitieux, notamment en matière immobilière, ce dont les différents porteurs de projets n’avaient pas jusqu’à présent l’expérience. Si l’on s’attache à l’échelle des projets en régions, la taille des campus s’échelonne entre 40 hectares et 260 hectares. Il ne s’agissait pas seulement, par ailleurs, de projets scientifiques et pédagogiques d’une part et de projets immobiliers d’autre part. Il s’agissait également de projets urbains. Or un projet urbain ne s’élabore pas en quatre à cinq mois.

De plus ces sites ont tous présenté des projets très ambitieux dont le montant cumulé excédait très largement l’espérance mathématique moyenne résultant de la capacité d’investissement attachée à 5 milliards d’euros divisés par dix. Lorsque ces sites ont eu connaissance des moyens qui leur étaient alloués par l’État et par les collectivités territoriales, ils ont dû passer du projet proposé au projet financé, en intégrant la nature non seulement immobilière mais également urbaine du projet. Cela demande du travail et des compétences. Le choix a été fait de ne pas confier la mise en œuvre de l’opération Campus à un établissement public national, dans le respect de la loi sur l’autonomie des universités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le ministère avait-il la possibilité de piloter ces opérations ? Quelle est votre réponse à l’absence d’outil de pilotage constatée par la Cour des comptes ?

M. Alain Neveü. Le ministère s’est doté d’une structure de pilotage à partir de la fin de la période de l’appel à projets. Mon recrutement date d’octobre 2008. J’ai constitué l’équipe devenue le service des grands projets immobiliers entre la fin 2008 et le début 2009. Le service a été formellement créé dans le cadre de la réorganisation de l’administration centrale en mars 2009.

Par ailleurs, un certain nombre d’outils ont été développés pour mettre en place un cadre conventionnel de relations avec les établissements. Des outils d’accompagnement leur ont été fournis pour les aider à acquérir les compétences nécessaires pour mener des projets de ce type. Des moyens ont également été mis à la disposition des établissements dans le cadre du Plan de relance : 72,5 millions d'euros sur le programme 315 ont été alloués à l’ensemble des sites des opérations Campus, financements budgétaires et extrabudgétaires hors Paris, soit 20 sites. Ces moyens leur ont permis de recruter les personnes compétentes et de s’attacher les services d’assistants leur permettant de mener à bien leur projet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Disposez-vous d’indicateurs pour évaluer l’efficacité et l’efficience de ces structures ?

M. Alain Neveü. Le directeur général pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle pourra détailler plus précisément l’ensemble des mesures de la performance des établissements avec lesquels des contrats quadriennaux et prochainement quinquennaux ont été passés, notamment en ce qui concerne leur modèle d’allocation des moyens et leur financement. Les indicateurs de performance évaluent pour l’essentiel le cœur de métier de ces établissements et ne concernent pas les projets immobiliers de grande taille.

M. Olivier Carré, Président : On comprend effectivement que les moyens dévolus à ces établissements leur offrent des perspectives de création de filières ou d’aménagement de laboratoires. Cependant, la plupart des plans ont été contractualisés au cours du premier semestre 2009, et même s’il faut relativiser les retards, pouvez-vous nous indiquer si des plans d’Investissements ont été effectivement programmés ? Estimez-vous que les financements prévus, environ 200 millions d'euros de dotation annuelle, sont suffisants pour alimenter une source d’autofinancement permettant effectivement une logique d’investissement en phase avec les ambitions ? Les moyens sont-ils en adéquation avec les perspectives et les besoins des sites ?

M. Alain Neveü. L’ensemble des sites, à de rares exceptions près, au regard des dossiers déposés en 2008, avaient des espérances de moyens d’action qui se sont révélés nettement supérieurs aux moyens dont ils ont réellement disposé, compte tenu des dotations en capital fournies par l’État d’une part, et de l’engagement réel des collectivités territoriales d’autre part. Une fois le cadre financier précisé et connu, entre janvier et septembre 2009, à l’exception de Paris dont le calendrier a été décalé, les préfets ont été mandatés au cours de l’été 2009 pour faire aboutir dans les meilleurs délais les conventions partenariales de site et concrétiser les engagements de l’ensemble des financeurs, dont les collectivités territoriales, autour des porteurs de projet. Les signatures de ces conventions se sont échelonnées entre le mois de décembre 2009 et le mois de mai de cette année.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour une raison simple qui tient à l’existence de contrats de projets entre l’État et les collectivités locales. En quoi ces nouveaux crédits extrabudgétaires sont-ils venus modifier les contrats de projets ?

M. Alain Neveü. Dans la plupart des sites, les porteurs de projets ont opéré une disjonction entre le CPER et l’opération Campus. Ils ont présenté dans l’opération Campus des opérations qui n’étaient pas inscrites aux contrats de projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Aucune suppression n’a été constatée dans les contrats de projets ?

M. Alain Neveü. Sur d’autres sites ont été présentées des opérations partiellement inscrites aux CPER pour des montants jugés insuffisants au regard de l’ampleur que devaient atteindre ces opérations. Dans le cadre de la mise au point des conventions partenariales de site, certains ajustements ont pu être opérés dans les CPER, en maintenant l’ensemble des engagements initiaux des contrats de projets en en ajoutant les engagements des opérations Campus.

Les porteurs de projets rencontrent encore des difficultés concrètes en Île de France, du fait de l’absence d’engagement ferme et définitif de la part des collectivités territoriales. Le contexte y est plus difficile qu’en régions.

Les porteurs de projets ont avancé dans la mise au point de leur projet au fur et à mesure de la clarification des engagements de l’État. Le principe du montant des dotations a été annoncé entre janvier et septembre 2009. Les modalités de transfert des dotations et de leur rémunération ont été fixées au cours du premier semestre 2010, et n’ont été explicitées aux porteurs de projets qu’en juin 2010.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les règles financières et les enveloppes ont donc été connues par l’État et les collectivités territoriales au cours du premier semestre 2010. Est-ce le cas pour l’ensemble des projets ?

M. Alain Neveü. Il demeure, en Île de France, une situation particulière où les porteurs de projets ne connaissent pas clairement les engagements des collectivités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous remercie de ces réponses qui concernent l’aspect financier, mais êtes-vous par ailleurs confrontés à des problèmes de gouvernance qui retardent les projets ? Tout en approuvant évidemment le principe d’autonomie des universités, n’a-t-on pas sous-estimé les difficultés en raison de l’absence d’outils de gouvernance à disposition des universités ou des PRES, pour tel ou tel projet ?

M. Alain Neveü. Je pense que nous avons tous collectivement sous-estimé la charge de travail que représentent la définition et le suivi de tels projets. Le poids de la collaboration à mettre en œuvre avec les collectivités territoriales sur la dimension urbaine notamment, a été sous-estimé. L’aménagement complet de campus représentant plusieurs dizaines d’hectares et définissant des quartiers entiers à l’échelle d’une ville implique nécessairement un dialogue approfondi avec les collectivités territoriales. Ce dialogue prend forcément du temps notamment du fait du manque d’expérience des porteurs de projets, qui apprennent en marchant. Nous nous attachons à les assister au travers d’une aide au recrutement de professionnels expérimentés et de bureau d’études compétents. La mise en œuvre de ces projets appelle aussi des arbitrages, parfois délicats, entre les présidents d’université au sein d’un PRES et l’apprentissage du fonctionnement d’une gouvernance politique réactive assumant les arbitrages et la gestion des aléas.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels sont les crédits de paiements engagés au 31 décembre 2010, pour le plan Campus ?

M. Alain Neveü. Pour les opérations Campus, les crédits de paiement délégués aux sites comportent les 72,5 millions d’euros du Plan de relance, soit 58,879 millions d’euros pour les dix sites bénéficiant de financements extrabudgétaires ; s’y ajoute le cas de Toulouse qui présente la spécificité de combiner un financement extrabudgétaire du plan Campus et un financement budgétaire pour le contrat de partenariat pour la reconstruction du campus du Mirail (752 000 euros de crédits d’ingénierie sur le programme 150).

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur l’enveloppe globale de Campus, quels sont les crédits de paiement versés au 31 décembre 2010 ? Pour 2010, il n’y aurait eu aucun versement de crédits extrabudgétaires ? Et en 2011 ?

M. Alain Neveü. Effectivement, les crédits versés en 2010 ont tous été des crédits budgétaires : pour les dix sites, 59,731 millions d’euros issus des programmes 315 et 150 ont été versés. Pour 2011, les intérêts des crédits du plan Campus perçus par l’Agence nationale de la recherche lui sont versés à trimestre échu depuis août 2010. Les intérêts versés pour le 3ème trimestre 2010 ont servi à combler la différence entre les 4,986 milliards et 5 milliards pour aboutir à 5 milliards d’euros comme prévu.

On arrive donc à des intérêts de 270 millions d’euros pour 2010 et 2011. Ils ont fait l’objet d’une programmation en novembre 2010 avec répartition entre les différents sites : ils financent des acquisitions foncières, des travaux préparatoires aux PPP ainsi que des opérations de vie étudiante et d’aménagement des campus, et les premières conventions ont été transmises à l’ANR. L’évaluation à ce stade est que 150 millions d’euros sur les 270 pourront être délégués aux établissements dans le courant de l’année 2011, en tenant compte des calendriers de paiement prévisionnels.

M. Olivier Carré, Président : les actions EDF ont été vendues en décembre 2007. Les crédits ont été versés à l’été 2010 mais les intérêts correspondant à cette période intermédiaire ont–ils été conservés dans le giron de l’État ou sont-ils un à-valoir pour financer l’université également ? C’était la volonté des législateurs de voir ces intérêts profiter dès l’origine aux universités.

M. Alain Neveü. Les sommes ont été qualifiées d’« intérêts notionnels » par le ministère du Budget et n’ont pas été inscrits au budget de l’État ; ils forment une « dette morale ».

M. Olivier Carré, Président : Non, il y a une réalité de recettes.

M. Alain Neveü. La totalité du capital a été transférée à l’ANR en août 2010.

M. Olivier Carré, Président. Cependant entre 2007 et 2010, le produit de la vente était bien dans la trésorerie de l’État ? Il a contribué à réduire le déficit mais le législateur avait prévu que la vente générerait des intérêts au profit des universités dès le premier euro : la consolidation peut certainement en être trouvée dans les documents budgétaires. Ce n’est pas seulement une dette morale. Ces produits financiers étaient « fléchés ». Il y a là un élément à prendre en compte.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On peut s’interroger sur la justesse de nos choix consistant à financer des Investissements par les intérêts de l’argent placé que nous n’avons pas et que nous empruntons sur le marché à des taux plus élevés. Donc ces sommes ne vous ont pas été attribuées. Comment avez-vous pu faire face aux dépenses ?

M. Olivier Carré, Président. Je suis d’accord, néanmoins c’est une autre question. La MILOLF avait souligné cet élément dans son rapport de juillet 2010 et a recommandé que soient précisées les conditions d’un éventuel retour aux universités de l’équivalent de la rémunération de ce capital (sur cette période intermédiaire entre la vente et le transfert à l’ANR).

M. Alain Neveü. Pour cette première période, les besoins de financement consistaient en études, et étaient donc encore peu élevés. Les crédits du programme 150 et du plan de relance y ont pourvu.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour 2011, les crédits extrabudgétaires en crédits de paiement s’élèveraient à quel montant ?

M. Alain Neveü. Pour 2011, ces crédits extrabudgétaires seront de 270 millions programmés dont 50 correspondant au 4ème trimestre 2011 qui ne seront versés qu’au 1er trimestre 2012. La masse disponible d’ici le 31 décembre 2011 serait donc de 220 millions d’euros. Un versement de l’ordre de 150 millions d’euros aux porteurs de projets devrait être opéré si les calendriers de ceux-ci sont tenus.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les choses sont bien plus complexes qu’on le pense, ce que les maires savent bien, constatant que la rénovation d’un quartier peut prendre dix ans. Il y a une programmation budgétaire qui a été optimiste ou euphorique eu égard à l’ambition de projets d’aménagement de 40 à 260 hectares et pas en phase avec la réalité des opérations, car actuellement les établissements ne sont pas encore sortis des phases d’étude.

M. Alain Neveü. Cela dépend des sites : certains sont encore en phase d’étude, d’autres sont déjà dans la phase d’attribution de contrats ; pour tous les sites, on a demandé aux établissements de présenter, de manière anticipée, des opérations de travaux préparatoires, des acquisitions foncières et des travaux légers de rénovation, d’équipements sportifs ou autres. Cela a pu donner lieu à cette programmation de 270 millions d’euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le PRES est-il un outil approprié pour porter ce genre de projets, d’autant que les PRES ont été jusqu’à présent ignorés par les grands organismes de recherche, sans vouloir aborder les sujets qui fâchent ?

M. Olivier Carré, Président. Il y a aussi la question des fondations, où l’argent non consomptible pouvait jouer un effet de levier, comme à Toulouse qui avait mis en place une fondation.

M. Alain Neveü. Il n’y a pas de différence fondamentale entre une opération menée par une université et une opération menée par un PRES, dès lors que le PRES accepte de jouer ce rôle de porteur de projet et s’en donne les moyens. Il y a peu de relations entre les fondations créées dans le monde universitaire et les opérations Campus. Les porteurs de projets Campus sont généralement des établissements publics : universités ou établissements publics de coopération scientifique. Quelques-uns ont choisi la formule de fondation de coopération scientifique (cas de Saclay et Condorcet) mais Condorcet a voulu aller finalement vers le statut d’établissement public de coopération scientifique pour avoir une meilleure capacité d’agir pour un projet de ce genre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment s’articulent les décisions prises au niveau de Campus et au niveau des Investissements d’avenir ? Quelle est la stratégie de l’État ? En termes d’efficacité et d’efficience, comment cela se passe-t-il ?

M. Ronan Stephan. Les Investissements d’avenir, et en particulier ceux en connivence avec Campus (les Initiatives d’excellence) visent à faire apparaître une dizaine de sites universitaires pour une visibilité au plus haut niveau international. Nous anticipions un certain recouvrement entre les sites retenus pour les deux opérations, avec une dimension infrastructure dans Campus et une dimension plus immatérielle avec les Investissements d’avenir. La difficulté pour la mise en place de Campus a été de constituer des équipes rompues à la gestion de projets de cette envergure et à la négociation dans un système mixte mêlant public et privé, ce qui n’était pas l’habitude antérieure. Il y a donc aussi une réforme des profils nécessaires pour mener à bien les opérations (y compris quelques partenariats publics privés), et les équipes se sont constituées jusqu’à l’été 2010.

M. Alain Neveü. Le principe de base du plan Campus est que les financements sous forme de revenus d’une dotation en capital servent à payer les redevances d’un contrat de partenariat public privé, qui est l’outil privilégié. Tous les sites développent en effet des projets de contrats de partenariats.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il y a donc une dynamique entre les deux types d’opérations. Ceux qui sont fléchés « Campus » ont de grandes chances d’être aussi « Investissement d’avenir » ? La carte des équipes éligibles montre-t-elle un recoupement ?

M. Ronan Stephan. Il y aurait une cohérence et une logique à ce que les deux types de projets se rejoignent, puisque les choix ont été fondés sur la qualité des projets et le socle sur lequel ils s’appuyaient. On peut donc prévoir une proportion importante de sites qui émargeront aux deux types d’initiatives. Il est trop tôt pour le constater cependant et il existe des surprises, avec des équipes dont on n’avait pas anticipé la présence au sein des lauréats.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Les sites supplémentaires du plan Campus sont financés par des crédits budgétaires, ce que j’ai du mal à comprendre. Les projets de la partie infrastructures auront lieu essentiellement sous la forme de PPP. Selon le principe du PPP, les loyers doivent être versés à l’issue des travaux d’investissement, et sont donc des crédits de fonctionnement, mais avant il n’y a rien à verser. Donc pourquoi évoque-t-on de l’investissement alors qu’à terme les charges seront du fonctionnement ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le capital de 5 milliards d’euros va produire des intérêts de 4 % par an soit environ 200 millions d’euros. Si on les répartit entre dix sites, on obtient en moyenne 20 millions d’euros par an. On ne finance donc pas d’investissement en dur car on n’en a pas les moyens budgétaires, mais ces 20 millions plus l’apport des collectivités locales permettront de financer des Investissements massifs d’opérations de centaines de millions d’euros. Le recours au PPP consistera à financer sur 20 ans un loyer de 20 ou 25 millions d’euros par an.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On parle donc d’investissement pour des sommes qui vont être destinées à payer du fonctionnement. Or les masses financières que l’on évoque ne sont pas les mêmes.

M. Olivier Carré, Président. Les masses financières sont celles du montant de la dotation affectée aux 10 projets allant de 325 millions d’euros à Montpellier à 850 millions à Saclay. On a affecté à la dotation une durée de vie d’environ 20 à 25 ans. La masse de chaque projet consiste en les intérêts capitalisés à 25 ans d’une somme placée à 4 %, soit le montant de la dotation de chacun des projets. On est sur des profils de projets dont on peut comprendre la volumétrie en regardant la dotation qui leur est affectée.

Les décaissements de trésorerie ne porteront que sur les loyers des PPP soit 4 à 5 % (les 4 % de l’État plus la part des collectivités qui viendra s’ajouter), les PPP permettant de cumuler les sommes.

Quel est le mode d’intervention des collectivités territoriales ?

M. Alain Neveü. Les interventions des collectivités se font sur forme de subvention d’investissement ou de maîtrise d’ouvrage traditionnelle. Les revenus paient des loyers qui comprennent l’amortissement de l’investissement, les frais financiers du titulaire du contrat, le gros entretien-renouvellement. Le fonctionnement et l’exploitation resteront pris en charge par le budget des établissements sur leurs crédits de fonctionnement courant.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La Cour s’est inquiétée dans son référé concernant la politique de regroupement et de coopération dans l’enseignement supérieur de « l’empilement des labels et des structures induites par le plan Campus et les Investissements d’avenir ». La réponse de l’administration a été qu’elle souhaitait « simplifier le paysage ». Comment allez-vous y procéder ?

M. Ronan Stephan. Ces différents dispositifs se superposent à ce qui était mis en place précédemment. On peut craindre en effet que des entités bénéficient de labels variés, et les gouvernances pourraient pêcher par trop de complexité.

Les appels à projet ont indiqué que la simplicité de la gouvernance serait un facteur prépondérant. Les jurys y ont été très sensibles, ont voulu éviter la superposition et partant, la difficulté de prendre des décisions. Les organismes ont contribué à cela en évitant (ce fut le cas par exemple du CNRS), de faire du redécoupage des unités en équipes ; on a voulu éviter la reconfiguration plus fine des acteurs actuellement existants et pertinents.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR a-t-elle un rôle dans cette simplification ?

M. Ronan Stephan. Les services de l’État au sens large ont un rôle d’accompagnement des porteurs et développeurs de projets. Le message de simplification est passé en permanence.

L’ANR est chargée de l’évaluation, au fil des étapes qui vont se suivre. L’accent y est mis sur la simplicité et la lutte contre la redondance. L’ANR recense sur une base trimestrielle la mise en œuvre et le développement des projets. La fluidité de la gouvernance est essentielle à tous ces stades.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le rôle du ministère de la Recherche dans le grand emprunt, étant donné qu’il s’agit de décisions interministérielles pour une part, de décisions prises par un comité de sélection présidé par M. Ricol d’autre part : êtes-vous dessaisi de certaines choses ?

M. Ronan Stephan. Je n’ai pas le sentiment d’être dessaisi de quoi que ce soit. Les projets concernent également l’Industrie, l’Environnement, l’Énergie ; ils impliquent d’accélérer l’ouverture entre public et privé, ce qui permet d’espérer une dynamique exceptionnelle, de même que l’articulation entre nos budgets récurrents et les crédits exceptionnels dont il s’agit aujourd’hui. Après les recommandations émises par les comités de pilotage par action, le Commissariat général à l’investissement forme une proposition qu’il soumet à la signature du Premier ministre. Le processus, qu’on pouvait craindre complexe, est parfaitement maîtrisable et vertueux. C’est donc l’occasion accélérée de mieux articuler les relations interministérielles sur des sujets d’avenir.

M. Olivier Carré, Président. Comme membre du comité de surveillance sur le grand emprunt, présidé par M. René Ricol, je me trouve confronté à des inquiétudes similaires sur l’usage des fonds. Car le comité craint à l’inverse d’être dessaisi de la réalité du suivi au profit de l’ANR.

M. Ronan Stephan. En ce domaine, notre ministère doit également assumer toutes ses responsabilités.

Audition du 4 mai 2011

À 17 heures 30 : MM. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et Alain Neveü, responsable du service « Grands projets immobiliers » du même ministère

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Nous abordons à présent d’autres sujets devant des interlocuteurs en partie renouvelés, M. Patrick Hetzel nous ayant rejoint.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La définition des appels à projet par le ministère dans l’opération Campus est-elle conciliable avec l’autonomie des universités ?

M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle. L’autonomie est sans conteste un levier d’action des établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Elle ne se confond pas néanmoins avec l’indépendance, puisqu’ils sont aussi des opérateurs publics concourant à la mise en œuvre de politiques définies par le ministère. Ce dernier demeure donc garant de l’articulation de leurs actions avec le niveau national.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je comprends que les diplômes resteront nationaux et je m’en félicite !

M. Pierre Lasbordes. Quels critères de gouvernance les universités doivent-elles réunir pour que leurs projets soient retenus ? Comment Saclay a-t-elle ainsi pu manquer la première marche ?

M. Patrick Hetzel. S’agissant des initiatives d’excellence, le cahier des charges prévoit que les établissements rendent compte de la manière dont ils prennent leurs décisions. C’est donc moins la gouvernance en tant que telle que le processus décisionnel qui entre en considération. Le président de jury s’est ainsi employé à vérifier la cohérence entre les objectifs à atteindre et la démarche proposée pour y parvenir. Je rappelle au demeurant que, dans le cadre des initiatives d’excellence, les attributions de crédits ne sont définitives qu’au terme d’une période probatoire de quatre ans souhaitée par le Parlement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La Cour des comptes s’inquiète dans son référé du 21 mai 2010 de l’« empilement des labels et structures » induit par le plan Campus qui venait à peine d’être lancé. Sans remettre en cause les regroupements d’établissements en tant que tels, il a privilégié dix regroupements en particulier, laissant se défaire certains regroupements qui s’étaient amorcés.

La Cour des comptes exprimait ainsi une demande de stabilisation des structures, constatant que de nouvelles initiatives de regroupements commencent tous les deux ans, sans que les précédentes n’aient eu le temps d’aboutir, ni même seulement d’arriver à maturité. Que répondez-vous ?

M. Patrick Hetzel. La loi sur la recherche de 2006 a prévu quatre formules juridiques différentes pour établir les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) : association à but non lucratif de la loi de 1901, groupement d’intérêt public, fondation de coopération scientifique ou établissements publics de coopération scientifique. Cette dernière formule est la plus utilisée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le référé de mai 2010, le premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, souligne que ces pôles ne peuvent réussir qu’à la condition que les établissements leur transfèrent des compétences.

M. Patrick Hetzel. Nous avons continué de mettre à profit l’expérience des PRES, qui permettent de coordonner l’action entre établissements, tant à l’échelle régionale que métropolitaine ou inter-régionale. La ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche a annoncé devant la représentation nationale que, dès lors que les établissements prévoiraient quelles compétences ils entendent transférer aux PRES, et avec quels moyens pour les mettre en œuvre, une négociation contractuelle devenait possible avec les PRES.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous privilégiez donc une forme juridique précise et le transfert de compétences vers les PRES ainsi constitués. Cela vous conduit-il à une réévaluation des opérations du plan Campus ? Combien sont-elles gérées par des PRES, hors Paris ?

M. Alain Neveü, responsable du service « grands projets immobiliers » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Hors Paris, six opérations campus sont gérées par des PRES EPCS. Les exceptions sont : Strasbourg où le porteur de projet est l’université fusionnée, Condorcet et Saclay où le porteur de projet est une fondation de coopération scientifique (à Saclay, deux PRES sont en présence). Au 1er janvier 2012, le nombre de PRES sera identique mais deux modifications seront intervenues : à Condorcet un PRES EPCS aura été substitué à la FCS comme porteur de projet, à Aix-Marseille l’université fusionnée se substituera au PRES. Des conventions d’ingénierie de projet signées début 2010 sur chaque site par l’ensemble des établissements impliqués confient au PRES la responsabilité du projet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si la gouvernance est assurée, quels sont les problèmes qui restent en suspens ?

M. Patrick Hetzel. Tous les PRES n’ont pas atteint le même niveau de maturité ou le même degré de coopération, certains devant progresser dans la gouvernance de leurs projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Fin 2011, sur les cinq milliards consacrés au plan Campus, combien de crédits de paiement sont-ils déjà dépensés ?

M. Alain Neveü. La dotation de capital reste dans les caisses de l’ANR. En 2011, les porteurs de projet bénéficieront de subventions de l’ANR grâce aux revenus produits par les intérêts (270 millions d’euros au titre des années 2010 et 2011).

M. Alain Claeys, Rapporteur. À combien cela se chiffre-t-il pour un PRES ?

M. Alain Neveü. Il faut tabler sur deux cents millions d’euros par an pendant vingt-cinq ans, ce qui représente une capacité d’investissement de deux milliards d’euros, auxquels s’ajoutent les crédits alloués par les collectivités territoriales (plus de 800 millions d’euros). Saclay bénéficie en outre d’un milliard consomptible.

M. Patrick Hetzel. Cette démarche est coordonnée avec l’initiative en faveur des Investissements d’avenir dans les universités, grâce aux contrats signés avec les établissements publics de coopération scientifique et avec les établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche. Le ministère veille à assurer la cohérence entre les projets d’excellence et les contrats signés avec l’État.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le Parlement, et particulièrement la commission des finances, a besoin d’informations consolidées. La question, qui d’ailleurs est à l’origine de la création de cette mission d’évaluation, est de savoir si vous disposez, aujourd’hui, des outils qui permettent d’avoir une vision consolidée de l’ensemble des financements extrabudgétaires et budgétaires alloués au plan Campus. Il s’agit là d’une question essentielle.

M. Olivier Carré, Président. Par mon expérience personnelle et même si sur le fond, c’est très différent, je voudrais faire le parallèle avec le financement de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU. Dans ce cadre, on trouve également une large part de financements extrabudgétaires, avec des plans, des engagements, des logiques d’Investissements à long terme, des opérations complexes mais qui font l’objet d’un suivi, parfaitement réalisé, de toute l’évolution de la dépense.

Donc, la puissance publique sait faire et même de façon multipartenariale, avec des financements très complexes et le résultat est clair. Pour le plan Campus, avons-nous ces outils ?

M. Patrick Hetzel. Hors les Investissements d’avenir pour lesquelles le processus est encore en cours, aujourd’hui, sur l’opération Campus, on identifie clairement les sommes affectées aux bénéficiaires, puisque les porteurs sont les PRES.

Pour les Investissements d’avenir, nous élaborons une base de données partagée entre le Commissariat général à l’investissement – CGI -, l’Agence nationale de la recherche
– ANR - et le ministère pour pouvoir consolider à l’échelle des opérateurs les différents financements.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quand ces outils seront-ils opérationnels ?

M. Patrick Hetzel. J’espère d’ici la fin de l’année.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourrons-nous en disposer d’ici le prochain débat budgétaire ?

M. Patrick Hetzel. Je n’en suis pas sûr. Mais nous y travaillons déjà. Ensemble (le ministère, l’ANR et le CGI), nous avons considéré qu’il s’agissait d’un élément essentiel et que nous ne devions pas attendre la fin du processus pour élaborer notre base de données.

M. Olivier Carré, Président. Le commissaire général à l’investissement nous a expliqué, au cours d’une réunion récente du conseil de surveillance, que les dévolutions de crédits ont bien été faites à l’ANR. Au niveau global, pour vérifier l’usage des 35 milliards d’euros qu’allait faire chacun des opérateurs, il demande des conventionnements particuliers à chacun d’eux, sur lequel il a sa propre opinion sur l’évaluation d’un juste retour des bénéfices par rapport aux Investissements réalisés. Pour ce faire, il s’appuie sur des techniques de commissariat aux comptes, c’est-à-dire des procédures originales par rapport au mode de fonctionnement habituel du contrôle public. Nous disposons donc de ces éléments qui peuvent être intéressants. Mais qu’est-ce qu’ils apportent ? Est-ce que cela ajoute de la complexité ? Quelle est votre participation à l’élaboration de ces outils de contrôle ?

M. Patrick Hetzel. C’est effectivement un élément supplémentaire de complexité car ce sont des outils qu’il faut construire. Nous gérons les conventions de financement signées par les bénéficiaires finaux avec l’ANR dans lesquelles sont prévus ces outils de suivi. Ainsi, l’ANR dispose d’un outil de reporting –– de données consolidées –– qui remontent au comité de pilotage pour chacune des actions. Cette procédure de reporting est donc bien en place, du bénéficiaire vers l’ANR et de l’ANR vers le comité de pilotage, lui-même constitué du CGI, du ministère et de l’ANR en tant qu’opérateur.

M. Jean-Pierre Gorges. J’aimerais souligner une double question. La première porte sur la conjugaison des priorités : seule une vision consolidée des financements apportés dans le cadre du plan Campus et des dépenses d’avenir permettra de voir s’il y a résonance des priorités ou bien si leur mise en œuvre ne s’apparente pas plutôt à une politique de saupoudrage ou de distribution sous la forme d’un guichet classique.

La seconde interrogation porte sur la consolidation globale entre les financements budgétaires et les financements extrabudgétaires. Jusqu’à présent, l’enseignement supérieur et la recherche étaient l’objet de financements d’origine principalement budgétaires. À ce stade, il faut se demander si le niveau de ces financements budgétaires est maintenu – compte tenu bien sûr des évolutions globales du budget de l’État – ou bien si la mise en œuvre de ces opérations exceptionnelles (plan Campus et dépenses d’avenir) n’est pas l’occasion de diminuer la part des financements d’origine budgétaires, soit pour réduire de manière générale le budget global de l’État, soit pour les attribuer à d’autres. La question se pose également de savoir si, les financements extrabudgétaires allant prioritairement aux grands établissements d’excellence sélectionnés, est-ce que la masse de crédits budgétaires dès lors récupérés est allouée à des établissements n’étant pas désignés comme prioritaires et ainsi au final, tout le monde est financé ? Pour résumer, est-ce qu’en consolidant annuellement les sommes budgétaires et extrabudgétaires, les financements de l’enseignement supérieur et de la recherche sont en croissance ou observe-t-on des effets de transfert ou d’éviction, qui viendraient en atténuation de la politique de concentration des financements sur des sites prioritaires ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. À défaut de pouvoir bénéficier de tous les indicateurs dès cette année, je pense qu’il est tout à fait nécessaire que nous ayons une photographie de l’ensemble de ces financements.

M. Olivier Carré, Président. À propos de ces financements, nous raisonnons ici sur une partie de flux, constitués par les intérêts des dotations non consomptibles, qui, dans le cas présent, ont l’avantage d’être sanctuarisés, à l’inverse des dotations budgétaires, soumises aux aléas de l’évaluation annuelle du vote du budget. La partie sanctuarisée permet donc de contractualiser des Investissements pluriannuels de façon assez robuste, ce qui est un élément intéressant pour les pôles qui bâtissent leur projet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le taux de réalisation des contrats de projets État-régions ?

M. Alain Neveü. Au 31 décembre 2010, le taux de réalisation est de plus de 50 %, pour l’actuelle programmation qui couvre la période 2007-2013.

M. Patrick Hetzel. Et c’est un meilleur taux que celui obtenu sur la période précédente.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avec ces opérations Campus, comment appréhendez-vous la question de la dévolution du patrimoine ?

M. Patrick Hetzel. Aujourd’hui, deux universités sont concernées par cette dévolution : l’université d’Auvergne et le 13 mai prochain, l’université de Toulouse 1.

Nous avons constitué un groupe de travail qui fonctionne depuis presque deux ans avec une dizaine d’universités (y compris les deux citées à l’instant). La question de la dévolution est très étroitement liée à l’existence, à l’intérieur de l’établissement, d’une compétence de gestion immobilière. Celle-ci doit se construire car nous avons demandé un certain nombre de schémas prévisionnels aux universités intéressées par l’obtention de cette dévolution immobilière. C’est là un travail important qui est réalisé avec ces établissements d’enseignement supérieur et de recherche, pour lesquels il faut le souligner, la gestion immobilière n’est pas le cœur de métier. Pour les deux établissements cités précédemment, la stratégie immobilière vient en appui et renforce une stratégie d’ensemble déjà fixée.

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, nous vous remercions.

Audition du 4 mai 2011

À 18 heures 15 : M. Frédéric Guin, directeur des affaires financières du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Chantal Chambellan Le Levier, sous-directrice du budget pour la mission Recherche et enseignement supérieur ; et de M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Nous sommes maintenant rejoints par M. Frédéric Guin, directeur des Affaires financières du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, accompagné de Mme Chantal Chambellan - Le Levier, sous-directrice du budget pour la mission Recherche et enseignement supérieur. Je remercie M. Hetzel de sa proposition de rester parmi nous. Cela ne pourra que nourrir encore davantage les échanges. L’un de nos rapporteurs a d’emblée une question à vous poser, monsieur le directeur des Affaires financières.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’est-ce que les nouveaux financements extrabudgétaires ont changé pour vous ? Avez-vous élaboré de nouveaux outils d’évaluation ?

M. Frédéric Guin, directeur des Affaires financières du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Permettez-moi tout d’abord de préciser le périmètre de compétences de la direction dont j’ai la charge. Étant rappelé que nous intervenons exclusivement dans les domaines budgétaire, financier et comptable, nous avons un rôle classique de coordination et de synthèse budgétaire lors de l’élaboration du projet de loi de finances, de sa discussion avec Bercy, de son examen au Parlement puis, au fil de l’exercice, de pilotage et de suivi de son exécution, en lien constant et étroit avec la direction générale de l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle et la direction de la Recherche et de l’innovation. Nous pouvons également faire bénéficier, à leur demande, le cabinet ou les autres directions de notre expertise. Au-delà de ces rôles traditionnels, la direction des Affaires financières a hérité de la responsabilité des programmes Projets thématiques et d’excellence et Pôles d’excellence, représentant à eux deux 18,5 des 21,9 milliards d’euros alloués à l’enseignement supérieur et à la recherche par la loi de finances rectificative pour 2010 au titre du plan « Investissements d’avenir ».

En tant que directeur des Affaires financières et directeur de programme, cette dernière fonction exigeant plus que toute autre d’être exercée de manière collégiale, j’assure le suivi des Investissements d’avenir au sein du comité de pilotage ministériel et des comités existant pour chacune des actions.

Enfin, étant depuis quelques mois membre du conseil d’administration de l’ANR, je peux suivre la façon dont l’Agence retenue pour mener à bien les Investissements d’avenir, s’acquitte de cette tâche et rend compte de son action.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous avons bien compris votre mission.

Le sujet est complexe. Des annonces ont été faites, desquelles on espère beaucoup, qu’il s’agisse de l’opération Campus ou du plan « Investissements d’avenir ». Mais il est aujourd’hui difficile de s’y retrouver et de communiquer à ce sujet, notamment d’un point de vue politique. Or, des échéances électorales approchent qui exigeront que nous le fassions…. Notre commission des Finances pourrait-elle disposer d’un tableau de bord régulièrement actualisé qui nous permettrait de suivre en temps réel les crédits engagés et les crédits décaissés ? Si nous parvenions simplement à avoir un tel document, notre mission serait quasiment terminée sur le sujet !

Il est clair qu’on a eu recours aux financements extrabudgétaires car l’État n’avait plus les moyens d’investir avec des crédits budgétaires. C’est, de même, la limitation des moyens qui a conduit à développer les partenariats public-privé. Les dotations de l’opération Campus sont non consomptibles, c’est-à-dire que les universités ne peuvent utiliser que les intérêts produits par leur placement sur un compte du Trésor. Les partenariats public-privé aboutissent à « transformer » des dépenses d’investissement en dépenses de fonctionnement. Comment le citoyen, qui n’a pas les compétences des conseillers maîtres de la Cour des comptes, dont les travaux nous éclairent, peut-il s’y reconnaître ? Pourriez-vous nous fournir un document nous permettant de savoir où on en sont les dépenses ? Ce qui nous importe au final, à nous comme à nos concitoyens, est de savoir où en sont les projets, s’ils ont été menés à bien et, s’ils ne l’ont pas encore été, à quelle échéance ils le seront.

M. Olivier Carré, Président. Quand il s’agit de construire plusieurs centaines de mètres carrés de locaux, on comprend que cela ne puisse pas se faire en dix-huit mois !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Lorsqu’ont été imaginés tous ces montages financiers extrabudgétaires, a-t-on parallèlement mis au point des indicateurs de suivi ?

M. Olivier Carré, Président. Une autre de nos craintes est que sous la pression budgétaire, ces 35 milliards d’euros de financements innovants ne soient utilisés pour des opérations de droit commun. Certains domaines seront-ils sanctuarisés ? Si oui, lesquels et pourquoi ? D’autres au contraire verront-ils leurs crédits, y compris d’intervention, diminuer ? Pouvez-vous nous aider à y voir clair, à la fois dans la volonté politique et sa traduction sur le terrain ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Rapporteur spécial des crédits de la recherche dans les domaines du développement durable, je sais par exemple que pour l’ADEME, on est passé de crédits budgétaires à des financements extrabudgétaires pour un montant de quelque 400 millions d’euros. Il est beaucoup plus difficile d’y voir clair dans les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur pour lesquels on ne semble pas disposer d’outils d’évaluation. À quel rythme les crédits sont-ils consommés et existe-t-il des mouvements entre crédits extrabudgétaires et crédits budgétaires ?

M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et l’insertion professionnelle. Nous travaillons en étroite concertation avec la direction des Affaires financières. Ronan Stephan, que vous avez auditionné tout à l’heure, et moi-même sommes responsables de deux programmes budgétaires classiques, pour lesquels sont donc établis projets annuels de performances et rapports annuels de performances. Conscients de la nécessité d’assurer une cohérence d’ensemble des indicateurs, nous avons mené, en amont des projets financés par des crédits extrabudgétaires, un travail très important de façon à assurer cette cohérence. Il faut sans doute aller plus loin et nous nous y attachons.

M. Frédéric Guin. Notre souci à tous, particulièrement à la direction des Affaires financières, a été d’élaborer un tableau de bord permettant de savoir exactement où en est la consommation des crédits réservés aux Investissements d’avenir, quand ceux-ci ont été versés à l’ANR, et quand celle-ci les a, à son tour, versés aux bénéficiaires finaux, le calendrier étant différent selon les actions. Ce tableau de bord existe.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourriez-vous nous le transmettre ?

M. Frédéric Guin. Sans problème. Cet outil est indispensable au pilotage des crédits et à l’optimisation de la ressource, laquelle n’a pas été fixée une fois pour toutes dans la loi de finances rectificative pour 2010 mais dépend, d’une part, de la répartition entre dotations en capital non consomptibles et crédits directement consommables, d’autre part de la capitalisation des intérêts sur les premières en fonction des dates de versement à l’ANR ou au bénéficiaire ultime. Le montant de la ressource disponible doit être en permanence actualisé, de façon que les versements soient ajustés en conséquence. C’est là le premier niveau de suivi, élémentaire mais indispensable s’agissant de dispositifs conjoncturels mais appelés à s’étaler sur un grand nombre d’années.

Le deuxième niveau de suivi est celui que l’ANR réalise, comme le lui prescrit la loi et comme en disposent les conventions qu’elle a pu passer avec l’État, lesquelles prévoient qu’elle rende compte trimestriellement de son action et établisse un bilan annuel pour chacune des actions. Ce sont ces comptes-rendus qui nous permettront de fournir au Parlement l’information annuelle dont il a besoin. Une annexe « jaune » sera élaborée qui sera très riche d’informations, avec une double analyse, par action et par structure bénéficiaire.

M. Olivier Carré, Président. Avez-vous les moyens d’avoir une vision consolidée des montants des plans pluriannuels envisagés par les différents maîtres d’ouvrage (PRES, universités, instituts…), qui seule permet de s’assurer de la soutenabilité financière des projets à long terme ? Les moyens prévus seront-ils suffisants, sachant qu’à côté des crédits budgétaires, il y a des crédits extrabudgétaires d’origine publique, quelques fonds privés et d’autres encore, provenant notamment de transferts de propriété immobilière ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le ministère est l’ordonnateur et l’ANR le comptable.

Mme Chantal Chambellan-Le Levier, sous-directrice du budget pour la mission Recherche et enseignement supérieur. Nous sommes l’ordonnateur de premier rang. L’ANR l’est de second rang lorsqu’elle reverse les sommes aux bénéficiaires.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous avez raison sur le plan juridique. En un mot, l’ANR dispose-t-elle des moyens suffisants pour mener à bien ces opérations ?

M. Frédéric Guin. Nous avons eu un débat approfondi avec l’Agence pour évaluer les moyens supplémentaires qui lui étaient nécessaires à cette fin. Une décision a été prise, qui bien entendu ne correspond pas totalement à ce qu’elle avait demandé. Mais nous n’avons à ce jour aucune raison de penser que ses moyens ne soient pas suffisants. Nous aurons sans nul doute des discussions récurrentes avec elle à ce sujet.

M. Olivier Carré, Président. Sentez-vous qu’on est passé, dans les PRES et les universités ayant dès à présent fait le choix de l’autonomie, à une logique nouvelle de projet ?

M. Patrick Hetzel. Clairement oui, mais ce n’est que l’illustration d’un changement culturel plus important intervenu depuis l’entrée en vigueur de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), avec laquelle les universités ont pris conscience qu’elles étaient des acteurs de plein exercice. Lorsque nous négocions avec elles leur contrat pluriannuel, je suis aujourd’hui frappé du degré de maturité de leur réflexion stratégique. Cela a des incidences sur la manière même dont elles font évoluer leur structure. La logique de projet est de mieux en mieux intégrée : les universités s’interrogent de plus en plus souvent sur la fonction soutien ou la fonction support, sur ce qu’il est possible de mutualiser et sur ce qui relève ou non de leur cœur de métier. Avec la loi LRU, elles découvrent les marges de manœuvre dont elles disposent. En matière de gestion des personnels par exemple, elles n’ont plus besoin d’en référer au ministère lorsqu’elles souhaitent transformer un poste. Elles peuvent ainsi être plus réactives et leur démarche a gagné en souplesse. Une véritable évolution culturelle a eu lieu.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Revenons-en aux financements extrabudgétaires. Pensez-vous que l’opération Campus puisse à terme remettre en cause la nature des contrats de projet ? En régime de croisière, quelle part les crédits de cette opération pourraient-ils représenter de l’ensemble des crédits que l’État consacre aux universités ?

M. Patrick Hetzel. 200 millions d’euros par an pour dix sites, cela représente en moyenne quelque vingt millions d’euros par an et par site. Pour un important site, qui reçoit 800 millions à un milliard, le ratio sera de 2 à 2,5 %.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les contrats de projet vous paraissent-ils adaptés à la nouvelle donne ?

M. Patrick Hetzel. Pour les universités qui vont devenir propriétaires de leurs locaux, le problème ne se posera plus dans les mêmes termes. Ce sera au minimum nécessairement un contrat de projet université-État-région. L’université sera dans le tour de table et y jouera un rôle effectif, avec un pouvoir de négociation directe. On peut s’interroger sur l’après-2013, terme des actuels contrats de projet. Mais, comme vous le pressentez bien, ce n’est pas là un sujet seulement technique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment, selon vous, va évoluer le nombre des universités allant devenir propriétaires de leur patrimoine ? Neuf se sont actuellement portées candidates.

M. Patrick Hetzel. On peut imaginer que ces neuf transferts-là soient effectués dans les deux années qui viennent. Pour le reste, cela ira plus ou moins vite selon les moyens mobilisés pour les mises à niveau, mais aussi pour le gros entretien et les réparations. Avec beaucoup d’allant, cela prendrait de toute façon au moins cinq ans. Mais c’est vraisemblablement plutôt une décennie qui sera nécessaire pour y parvenir.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Disposez-vous d’indicateurs de performance sur la politique menée ?

M. Frédéric Guin. S’il est difficile d’évaluer ce qu’apportent les financements extrabudgétaires en régime de croisière – j’aurais bien du mal à définir celui-ci –, il est tout à fait possible, au vu des mesures décidées dans le cadre de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 et de l’opération Campus, de savoir à combien s’élèvent les ressources supplémentaires destinées à être effectivement dépensées sur la période 2010-2020. Le total des crédits consommables des deux programmes dont j’ai la responsabilité représente un peu plus de quatre milliards d’euros. Si on ajoute les intérêts capitalisés sur la part non consomptible des dotations, cela fait un peu plus de quatre milliards supplémentaires. Avec les crédits de l’opération Campus, ce sont encore deux milliards de plus. Au total, une dizaine de milliards de crédits supplémentaires effectifs pourra être versée aux bénéficiaires ultimes sur les dix prochaines années.

Votre question renvoie en fait au troisième niveau d’évaluation, celle réalisée ex post de l’ensemble des projets. Des objectifs et des indicateurs sont en train d’être élaborés qui seront présentés au Parlement dans le « jaune » budgétaire prévu par la loi de finances rectificative. Cela étant, l’évaluation définitive, s’agissant des indicateurs ultimes, ne pourra être effectuée qu’au terme de la période de mise en œuvre des différents projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Des outils existent-ils permettant d’évaluer le bénéfice retiré des efforts de mutualisation dans les PRES ?

M. Patrick Hetzel. Pour la première fois cette année, nous disposons de l’évaluation, désormais systématique, effectuée sur chaque site par l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Un travail est d’ailleurs en cours avec l’Agence pour définir des critères supplémentaires après qu’un premier bilan a été tiré. Il faut étudier de manière plus approfondie la mutualisation pour voir comment cela concourt à créer une dynamique d’ensemble.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous l’aurez compris, l’un de nos soucis est la traçabilité des fonds publics alloués notamment dans le cadre de l’opération Campus. C’est difficile à assurer.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Surtout lorsque s’ajoutent d’autres financements extrabudgétaires !

M. Olivier Carré, Président. La garantie de financements longs ne doit pas être le prétexte à consommer les crédits même en l’absence de besoins. J’entends bien qu’une part des dotations est non consomptible, mais les dotations normalement consommables représentent aussi des montants substantiels.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Dans le cadre des opérations « Initiatives d’excellence », les fonds ne seront acquis aux universités qu’après une période probatoire, pouvant même éventuellement leur être retirés. Quelles sont les modalités prévues pour le retrait éventuel et figurent-elles dans chaque convention ?

M. Patrick Hetzel. Tout à fait. Le retrait peut être total ou partiel. Il y aura chaque fois une discussion avec le porteur de projet sur l’atteinte ou non des objectifs pluriannuels fixés dans la convention.

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, madame, nous vous remercions. Nous avons pris le sujet des financements extrabudgétaires de l’enseignement supérieur et de la recherche très en amont : c’est pourquoi beaucoup de questions demeurent encore aujourd’hui sans réponse. Mais il nous était utile, ainsi qu’à la Cour des comptes, de connaître dès à présent les types de suivi et de contrôle envisagés.

Audition du 11 mai 2011

À 16 heures 15 : M. René Ricol, commissaire général à l’investissement

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Mes chers collègues, Mesdames, Messieurs, nous poursuivons nos travaux relatifs aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Mercredi dernier, nous avons entendu les directeurs concernés au ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur. Nous poursuivons en accueillant cet après-midi M. René Ricol, commissaire général à l’investissement, accompagné de M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint, et de M. Florent Massou, directeur stratégique et financier.

Monsieur le commissaire général, messieurs, vous connaissez le principe de la mission d’évaluation et de contrôle qui est de formuler des propositions consensuelles sur des politiques publiques. Son organisation est paritaire : je partage la présidence avec mon collègue David Habib, et nos rapporteurs – Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes – représentent à la fois la majorité et l’opposition, ainsi que les commissions des Finances et des Affaires économiques, particulièrement concernées par notre thème de ce jour.

Vous savez aussi que ce thème porte sur une partie seulement des Investissements d’avenir dont vous avez la charge. Mais il s’agit de leur noyau central, qui justifie particulièrement le titre d’investissement d’avenir : recherche et enseignement supérieur.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

Monsieur le commissaire général, comme vous le savez, la commission des Finances partage avec la Cour des comptes la double préoccupation d’une allocation optimale des moyens issus du grand emprunt et d’un suivi exhaustif et détaillé des Investissements d’avenir.

Je me permets de rappeler que loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite « loi LRU », fut l’une des premières lois votées et reste l’un des moments forts de cette législature. Elle s’est accompagnée du déblocage de moyens conséquents. Sont ensuite arrivés les projets d’Investissements d’avenir et leur enveloppe de 35 milliards d’euros, essentiellement destinés à la recherche. Nous sommes conscients qu’il est sans doute encore un peu tôt pour analyser l’efficacité des moyens ainsi dégagés, les premiers versements venant d’être effectués. Il est toutefois possible d’analyser les méthodes retenues, afin de s’assurer que les moyens consentis depuis 2007 ont bien été dirigés vers la recherche, l’enseignement supérieur et la formation, c’est-à-dire vers des éléments structurants pour la croissance de demain. Aussi, en guise d’introduction, je vous demanderai de nous rappeler comment ce fléchage des crédits a été effectué, comment vous opérez le suivi de chaque projet retenu, et comment vous vous assurez, d’ores et déjà, de l’efficacité de la dépense.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je souhaiterais d’abord féliciter monsieur le commissaire général pour la clarté des documents transmis à la commission des Finances en mars dernier.

Vous gérez cinq programmes prioritaires, regroupant dix opérateurs et subdivisés en 35 actions. À la demande du bureau de la commission des Finances, nous avons limité notre étude aux domaines « Investissements d’avenir » et « Campus ».

Ma première question sera relative à la gouvernance : quels acteurs interviennent dans le processus de validation des projets ? J’en identifie quatre : vous-même, l’Agence nationale pour la recherche (ANR), le Premier ministre, et le ministère de la Recherche et de l’enseignement supérieur.

Cette gouvernance n’est-elle pas trop complexe, trop lourde ? Pourrait-elle, le cas échéant, être améliorée ?

M. René Ricol, commissaire général à l’investissement. Monsieur le rapporteur, je vous remercie pour vos compliments quant à la qualité de nos documents de reporting, auxquels nous accordons une attention toute particulière et que nous nous efforçons toujours d’améliorer.

Je me permettrai de faire un commentaire en guise d’introduction. Nous ne sommes pas chargés de l’aménagement du territoire mais de la valorisation de l’excellence. Les demandes émanant des territoires n’ont pas systématiquement été satisfaites par les jurys. Toutefois, il est certain qu’à terme, la valorisation de l’excellence emportera la valorisation des territoires. Progressivement, se dessinera une carte fondée sur la réalité de l’excellence, une excellence susceptible d’être mondialement reconnue.

M. Olivier Carré, Président. Vous nous confirmez que nous ne sommes pas dans une logique de guichet ?

M. René Ricol. Tout à fait. Certains guichets existent au sein d’opérateurs, Oséo par exemple, mais dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce sont des jurys qui sont décideurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Puis-je vous rappeler les propos tenus par le Président de la Conférence des présidents d’université (CPU), M. Louis Vogel ? Celui-ci déclarait que les choix opérés par les jurys « sont inexplicables pour certains universitaires. Le seul critère sur lequel on a demandé au jury de se prononcer était le critère d'excellence scientifique. Ce que les jurys internationaux ont jugé, et, dans l'ensemble, bien jugé. Mais c'est un choix qui peut être discuté. Il a abouti à une « photographie » de l'état des forces scientifiques françaises actuelles, et non à une vision prospective de la recherche à vingt ans. » J’en déduis qu’en réalité, on n’anticipe pas sur l’émergence des pôles d’excellence de demain. Cette critique est-elle recevable selon vous ?

M. René Ricol. Je répondrai d’abord par un trait d’humour : le Président Vogel regrette-t-il d’avoir été présélectionné comme initiative d’excellence au titre du pôle de Paris 2-4-6 ?

Plus sérieusement, je suis en désaccord total avec cette vision, et je l’ai dit au Président, car elle est factuellement fausse. Concernant les laboratoires d’excellence, les jurys se sont naturellement dirigés vers des projets novateurs. Personne ne s’attendait à ce que Clermont-Ferrand voie trois laboratoires sélectionnés, ou que Montpellier en compte six.

La procédure est toujours la même : le jury me communique son choix, que je respecte systématiquement et dont je propose la validation au Premier ministre – hormis les cas où je bénéficie d’une délégation de la part de celui-ci.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il n’y a donc jamais eu aucune discordance entre le choix du jury et le projet transmis in fine ?

M. René Ricol. En vérité, un choix n’a pas été validé, dans la sélection des infrastructures de biotechnologie. Malgré les précautions prises lors de la validation de la composition des jurys, il est arrivé, à une reprise dans cet appel à projet précisément, qu’un de leurs membres favorise indûment un projet au détriment des autres. Cette personne avait exercé des fonctions de conseil auprès de la société concernée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Prolongeons les propos du Président de la CPU. Peut-être met-il le doigt sur une difficulté quant au processus de décision. Le Plan Campus a pris du retard. Or il a été créé pour faire émerger les pôles de recherche de demain. Vous avez vocation à favoriser les pôles d’excellence. N’y a-t-il pas un risque de contradiction entre ces deux logiques, qui serait préjudiciable in fine aux objectifs globaux que l’État s’est fixé ?

M. René Ricol. Je me permets de revenir rapidement sur les questions de méthode : le jury fait un premier choix que je valide quasiment toujours. Par ailleurs un comité de pilotage regroupant l’ensemble des acteurs concernés peut formuler des observations et des propositions complémentaires au jury. Si d’un côté nous réclamons des jurys internationaux et que de l’autre nous ne tenons pas compte de leurs choix, le signal envoyé est terrible ! Le processus permet donc la discussion.

Notre analyse est diamétralement opposée à celle du Président de la CPU : dans le cas des laboratoires, le jury a mis l’accent sur l’innovation, puis le comité de pilotage a soumis aux jurys des projets qui, selon lui, avaient été oubliés à tort. Ainsi le comité de pilotage a-t-il proposé 25 laboratoires complémentaires au jury, lequel en a retenu 17. En somme, grâce au comité, le jury a fait émerger des laboratoires que l’on n’attendait pas… et il a bien fait ! Je précise que le comité ne peut « sauver » que des projets classés A ou B. Le processus est totalement transparent.

Sur la gouvernance, je rappelle que nous agissons dans un cadre interministériel. Dans ce cadre, le Premier ministre est le pilote et nous sommes son bras armé, sachant que au-delà d’un certain montant c’est le Premier ministre qui valide directement le projet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel rôle joue l’ANR ?

M. René Ricol. L’ANR est un opérateur qui fonctionne formidablement bien en tant que tel, mais son rôle n’est pas d’arbitrer entre les différents ministères ni de les mettre d’accord. L’un de nos objectifs est de rapprocher le monde de l’entreprise et celui de la recherche publique comme de l’université. L’ANR fait très bien fonctionner ses jurys. Toutefois, eu égard aux enjeux, il est normal qu’elle se rapproche du Commissariat général pour valider les jurys des Investissements d’avenir, afin de s’assurer, avec les services spécialisés de l’État, que leurs membres extranationaux ne viennent pas « faire leur marché », c’est-à-dire chercher de l’information et débaucher nos chercheurs. Certaines candidatures ont ainsi pu être refusées.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans ce dispositif qui fait intervenir des jurys internationaux, l’AERES, l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, a-t-elle un rôle ?

M. René Ricol. Pas directement, si ce n’est que les évaluations qu’elle réalise font partie du dossier d’instruction de chaque projet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La gouvernance est donc satisfaisante ?

M. René Ricol. Prenons l’exemple des instituts de recherche technologique, les IRT. La direction générale de la Compétitivité, de l’industrie et des services (DGCIS) ainsi que celle de la recherche et de l’innovation (DGRI) avaient naturellement des idées sur ce qui relevait des priorités en la matière. Elles ont tenté de mettre en avant les projets concernés. Nous avons été les gardiens des règles méthodologiques qui avaient été définies : le jury se prononce souverainement, avec l’appui du comité de pilotage.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les pressions ont donc été fortes ?

M. René Ricol. Il est normal que les promoteurs d’un projet cherchent à le « vendre ». Mais si nous n’avions pas été là, on aurait eu au sein du comité de pilotage une montée en charge très forte pour des secteurs d’activités jugés « vitaux » pour la France.

L’exemple des IRT est assez parlant. Il est parfois malaisé d’expliquer à des présidents de région qui se sont beaucoup battus que leur projet n’est pas retenu. Mais nous résistons et in fine nous bâtissons l’avenir des territoires sur de vrais lieux d’excellence.

M. Olivier Carré, Président. Dès le départ, il a été retenu comme option de ne pas utiliser les crédits du programme des Investissements d’avenir gérés par le Commissariat général à l’investissement pour réaliser un rattrapage budgétaire mais pour accélérer la mise en œuvre de projets d’avenir.

M. René Ricol, Commissaire général à l’investissement. Pour cette raison nous avons sélectionné six projets d’instituts de recherche technologique ; la loi prévoyait d’en sélectionner quatre à six. Nous avons constaté que certains projets d’IRT classés en septième et huitième positions étaient très remarquables et méritaient un réexamen. Ce type de situation justifie la présence du Commissariat général à l’investissement. En effet, ces deux derniers projets concernent la recherche en matière de numérique, qui constitue un enjeu fort. Le Commissariat va donc adresser un courrier aux présidents des commissions des Finances de l’Assemblée nationale et du Sénat afin de préconiser la sélection de huit IRT au lieu de six pour couvrir les besoins existant en matière de recherche numérique.

Une difficulté du même ordre concerne les instituts hospitalo-universitaires, les IHU, car les projets sélectionnés ne concernent ni la recherche sur le cancer ni la dépendance. En effet, le jury a donné une prime aux projets en rupture de la recherche. Le devoir du CGI est donc de préserver le bon fonctionnement du jury, ce qui nous a conduit à ne pas retenir l’INU cancer dans la liste des lauréats. Mais le CGI se demande, ensuite, s’il faut donner une chance à un projet supplémentaire par la suite dans des secteurs jugés essentiels comme le cancer et la dépendance.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Justement, n’y a-t-il pas là un exemple du danger d’une méconnaissance de la vision stratégique de l’État et de ses priorités, lorsque celui-ci souhaite un appui à certains pôles d’excellence ?

M. René Ricol. En effet, la recherche sur le cancer et la dépendance constitue une préoccupation incontournable. La sélection éventuelle d’un IHU pour la recherche sur le cancer pourrait constituer un complément peu onéreux et valorisant aux moyens attribués dans le cadre du plan cancer, et surtout un apport très important pour la visibilité de cette recherche au plan international.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment s’articulent les interventions de l’État et le rôle du jury ?

M. René Ricol. Le rôle du CGI est exactement de permettre une harmonieuse communication de tous les intervenants.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je reviens sur la question de la gouvernance. La préparation des conventions passées entre l’État et les dix opérateurs a-t-elle mis en évidence des faiblesses, voire des manques ?

M. René Ricol. Nous avons, Jean-Luc Tavernier et moi, appliqué tacitement une règle simple. En cas de présomption de conflit d’intérêt, même virtuel, nous concernant, l’un ou l’autre, nous avons décidé de nous déporter systématiquement, c'est-à-dire de ne pas participer au processus de choix.

Notre sentiment est que les conventions signées avec les opérateurs sont de bonne qualité, et que ces opérateurs sont efficients. Certes, l’Agence nationale de la recherche a comme activité traditionnelle d’attribuer des crédits, alors que le programme des Investissements d’avenir a pour but de mettre en œuvre des financements stratégiques. L’ANR a été confortée dans sa tâche et non affaiblie par le CGI. Un dialogue fructueux a permis de résoudre les rares problèmes qui ont pu se poser.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On constate que les opérateurs, comme l’ADEME ou l’ANR, gèrent des crédits budgétaires mais ont l’habitude également de mobiliser des ressources extrabudgétaires. A-t-on mesuré la part des ressources extrabudgétaires appelée en cofinancement des moyens du CGI ? Y a-t-il eu un passage de crédits budgétaires vers des crédits extrabudgétaires ? Cela a été le cas pour les démonstrateurs de l’ADEME.

M. René Ricol. Oui, il y a eu un passage partiel. On ne dispose pas de chiffrage complet sur ce mouvement, mais il ne représente qu’une fraction très minime des 35 milliards d’euros, peut être de l’ordre d’un milliard. Il s’inscrit dans le contexte de la réduction attendue des dotations budgétaires, compte tenu des économies présentes et à venir sur les dépenses de l’État. Le phénomène est patent pour la direction générale de l’Aviation civile (DGAC), dont les crédits ont oscillé avec le temps, et ont été rognés de 60 millions d’euros environ, alors que les dotations étaient élevées à l’origine. Y a-t-il eu du transfert ? Je n’en suis pas sûr. La baisse peut être analysée sous l’angle de la restriction de dépense.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Notre volonté est de clarifier les financements du programme d’Investissements d’avenir.

M. Olivier Carré, Président. Les projets se traduisent par des plans pluriannuels d’investissement qui comportent des crédits budgétaires classiques ainsi que des moyens complémentaires. A-t-on établi ou non une hypothèse de diminution des crédits budgétaires pour évaluer les compléments de financements à rechercher pour mener à bien les projets ? Quelle est la partie incertaine des financements qui nécessiteront une couverture extrabudgétaire ?

M. Jean-Luc Tavernier, commissaire général adjoint à l’investissement. Un rapport de la Cour des comptes sur la gestion budgétaire, actuellement soumis à la contradiction, présente des éléments d’information extrêmement précis et fidèles sur cette question. Nous n’avons d’ailleurs pas fait mystère de l’existence de ce phénomène, tant dans l’aéronautique que dans les fonds démonstrateurs.

M. René Ricol. Les financements extrabudgétaires ont concerné une faible part des projets en matière d’enseignement supérieur et de recherche, mais par contre affectent significativement la DGAC.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’ai constaté pourtant ce problème dans le secteur de la recherche et du développement durable. Je suis à la recherche du milliard d’euros supplémentaires annoncé par la ministre au profit de ce domaine, qui n’a pas pour le moment été dégagé sur les crédits budgétaires…

M. René Ricol. Certains organismes, comme l’ADEME, sont habitués à assortir les attributions de subventions à des cofinancements, notamment de collectivités territoriales. La recherche de cofinancements est saine et procède de différentes considérations. D’abord, des restrictions budgétaires sont prévisibles, ensuite la politique de modernisation devra se poursuivre après l’achèvement du programme des Investissements d’avenir (PIA) de 35 milliards. En conséquence, le PIA repose sur la recherche de co-Investissements plutôt que de simples subventionnements. Il faudra avoir des retours pour l’État afin de pouvoir continuer à financer la modernisation. C’est ainsi qu’après des échanges de vue animés avec le ministère de l’Industrie et avec l’Aviation civile sur le programme d’hélicoptères X4, on a abouti au financement de ce projet, d’une part, par avances remboursables et, d’autre part, avec un système permettant un retour sur investissement pour l’État, ce qui permettra de financer par la suite d’autres projets dans le même secteur.

Il y a un changement de culture très important. Ainsi, dans le domaine de la Culture, avec l’appui du ministre, le projet de numérisation de la Bibliothèque nationale de France (BNF) pourrait bénéficier pour se financer d’une participation modique des usagers, qui économisent, via la disposition d’ouvrages dématérialisés, au moins un ticket de métro.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est l’horizon moyen de programmation des 35 milliards d’euros ? Quant aux décaissements, un peu plus de 800 millions d’euros avaient été versés à la fin 2010 ; quels montants auront été débloqués fin 2011 ?

M. René Ricol. Les décisions d’engagements de crédits devraient atteindre environ 15 à 20 milliards d’euros à la fin de 2011, et même, selon moi, jusqu’à 21 milliards d’euros. Les versements effectifs aux opérateurs devraient être sensiblement plus faibles.

M. Jean-Luc Tavernier. Les décaissements de crédits ne sont peut-être pas le paramètre le plus significatif. C’est ainsi que pour les instituts de recherche technologique, le financement des projets se déroule en trois étapes : premièrement, la sélection du lauréat, deuxièmement, la fixation de la dotation, et enfin des décaissements qui vont commencer dans quelques mois et peuvent s’étaler sur dix ans ou plus pour les cohortes. À la fin de 2011, on peut prévoir qu’une décision aura été prise sur plus de la moitié de l’enveloppe de 35 milliards et davantage dans le secteur de l’Enseignement supérieur et de la recherche que sur les projets industriels qui sont plus longs à mettre en place.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Et l’engagement de l’autre moitié des montants ?

M. René Ricol. Douze à treize milliards pourraient être engagés d’ici à la fin de l’année dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Toutefois, les décisions de jury d’initiatives d’excellence (Idex) sont toujours attendues et il existe une incertitude sur les enveloppes de crédits qui seront allouées aux Idex. En effet, les montants engagés y sont importants, de l’ordre de 850 millions d’euros pour chaque initiative, aussi est-il difficile d’établir un chiffrage pour le moment.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous dites que l’AERES n’intervient pas au moment du choix des Investissements d’avenir, mais quand fera-t-elle l’évaluation pour constater l’efficacité de l’utilisation des crédits ? Comment le relais sera-t-il pris par la recherche privée ?

M. René Ricol. Dans quatre ans. Cependant, elle sera un évaluateur important mais peut-être pas le seul. Nous avons des crédits mis de côté qui seront dédiés à l’évaluation a posteriori.

En effet, en France, nous avons une recherche privée pas assez développée et une recherche publique importante contrairement à des pays comme l’Allemagne. Notre but est d’assurer le lien entre ces deux mondes, ce que nous faisons jusqu’à présent moins bien que d’autres pays, et aussi de permettre aux industriels d’y entrer et de participer au financement de la recherche.

M. Olivier Carré, Président. Quid du crédit d’impôt recherche ?

M. René Ricol. Le crédit d’impôt recherche est une nécessité absolue ; mais je ne crois pas que cela fasse doublon avec les Investissements d’avenir.

On a besoin de jurys internationaux pour avoir une réputation mondiale mais l’enjeu étant l’excellence mondiale et la création de richesses, il est impératif de créer une solidarité entre grands groupes, PME, TPE, start-up etc.

Il faut pour cela obtenir des fusions de PME pour leur permettre de grandir : cela suppose de lever un certain nombre de difficultés, comme celles liées à la présence de sociétés civiles immobilières – les SCI – dont j’estime qu’on devrait les faire disparaître des pratiques des entreprises parce qu’elles conduisent à investir dans l’immobilier au profit de sa famille au détriment de l’investissement dans l’entreprise. Pour réaliser par exemple le saut formidable en matière photovoltaïque qu’on attend, il faut faire travailler des entreprises ensemble et qu’elles se regroupent. La SCI est un blocage absolu pour le rapprochement d’entreprises. Tout « l’écosystème » qu’on construit pièce par pièce depuis plusieurs années vise à renforcer les filières et les entreprises, et il nous faut des moyens de pression comme le CIR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Même si ce n’est pas une question directement de votre compétence, diriez-vous que la façon de travailler de l’ANR est un bon outil de développement de l’investissement d’excellence ?

M. René Ricol. L’ANR est un outil excellent pour sélectionner de manière impartiale les bons projets mais, à l’avenir, il faudra impérativement une instance dépendant du Premier ministre pour s’assurer que tous les ministères travaillent ensemble et pour valoriser les bons projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourquoi l’ANR ne peut-elle pas jouer ce rôle de bras séculier de l’État ? C’était pourtant son rôle, et sa gouvernance a été modifiée pour le lui permettre.

M. René Ricol. L’ANR est une agence, elle n’a pas de compétences interministérielles. Je vous donne un exemple : une entreprise porteuse de projet nous a récemment dit que notre cahier des charges l’empêchait d’être candidate. Vérification faite, c’était malheureusement vrai. Ayant délégation de l’autorité du Premier ministre, je suis détenteur d’une délégation de compétences et d’un pouvoir interministériel ; j’ai donc pu convoquer les directeurs d’administration centrale et régler la question avec eux, ce qui a pu être fait rapidement, dans la journée. L’ANR ne le peut pas, car une agence indépendante n’a pas ce pouvoir ni cette autorité.

M. Jean-Luc Tavernier. L’ANR gère très bien le lancement des appels à projets et le processus de sélection. Mais son rôle s’arrête là. Prenons l’exemple des IRT, la pente naturelle aurait pu être de lancer un second appel à projet. Seul l’État pouvait décider de rentrer dans un processus de discussion et maturation des deux projets d’IRT dans le secteur stratégique du numérique.

M. René Ricol. On ne peut pas demander à l’ANR, garant du bon fonctionnement du choix des projets, d’avoir le pragmatisme nécessaire pour organiser le rapprochement des points de vue entre les acteurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment les organismes de recherche sont-ils associés dans le processus ? Quelles sont leurs relations avec le CGI ?

M. René Ricol. Nous recevons tout le monde en amont et en aval de la décision du jury mais une fois que le jury a statué, nous nous en tenons à sa décision. Je vous assure que nous-mêmes avons souvent des surprises quant aux décisions du jury. La Conférence des présidents des universités a absolument voulu des jurys internationaux et c’est pour nous un gage de sérieux. Nous avons confirmé ce choix, mais en précisant qu’il faudra tout de même accepter certaines contingences.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On devra à un moment s’interroger sur nos outils de financement de la recherche : ANR, crédit d’impôt recherche, Plan de relance, financements extrabudgétaires, dotations budgétaires… Il faudra voir l’articulation et l’évaluation de tout cela. Il y a un besoin de visibilité.

M. Olivier Carré, Président. Surtout que, selon la rumeur, la diminution programmée des crédits sera compensée à l’euro près par les intérêts provenant des crédits extrabudgétaires. Le grand emprunt n’a pas cette finalité, il faut le répéter.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est vrai.

M. René Ricol. Premièrement, nous suivons de près ce risque-là et il y a, on l’a dit, environ 1 milliard sur les 35 milliards sur lesquels on peut se poser la question. Cela me paraît légitime. Deuxièmement, il n’y a aucun élément permettant de penser qu’il y a quelqu’un au sein de l’État, politique ou haut fonctionnaire, qui favorise une telle substitution. Peut-être y a-t-il eu une tentation sur l’A 400 M ; j’ai clairement affirmé que c’était un projet du passé et non de l’avenir et tout est rentré dans l’ordre.

Dans le même temps, nous sommes très vigilants sur l’effet de levier des projets, qui doit être systématique. Actuellement, lorsqu’un chercheur dépose un brevet, il reçoit des fonds de soutien si le projet a un potentiel ; ces fonds peuvent venir de fonds régionaux mais aussi de fonds d’innovation spéculatifs. Ces organismes finissent souvent par vendre un brevet et un concept prometteurs à l’étranger sans que la collectivité publique en bénéficie. Pour changer cela, nous mettons en place des sociétés régionales de valorisation (les SATT) (900 millions d’euros) pour faire la preuve du concept, dans une douzaine de sociétés réparties sur le territoire, dirigées par les centres de recherche des universités, ce qui permettra de ne solliciter les fonds privés qu’une fois le brevet déposé. Nous avons par ailleurs 400 millions d’euros dédiés à l’amorçage pour lesquels nous changeons les règles de rémunération au profit de ceux qui ont soutenu le projet dès l’origine.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je reviens au Plan campus. Eu égard au retard pris, ne regrettez-vous pas qu’il n’y ait pas eu une articulation plus forte entre ce Plan et les initiatives d’excellence eu égard aux objectifs poursuivis ?

M. René Ricol. Je ne regrette rien, je me demande seulement pourquoi les moyens n’ont pas encore été engagés et dépensés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous n’êtes pas le seul !

M. René Ricol. Mon idée est que nous sommes pressés de dépenser cet argent– 1,3 milliard d’euros – le plus vite possible, à Saclay par exemple. Mais nous constatons que le sujet est d’une complexité inouïe : beaucoup d’interlocuteurs doivent, pour le projet de Saclay, se mettre d’accord. Comment appréhender les questions de révision des plans locaux d’urbanisme (PLU) qui sont du ressort des maires dont certains sont d’accord et d’autres non ? Comment traiter les infiltrations d’eau dans le sous-sol du plateau de Saclay ? Les exemples de difficultés à surmonter sont nombreux. Il aurait fallu une procédure d’intérêt général pour avoir le pouvoir d’accélérer les choses.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Comment expliquez-vous le retard pris par le projet de Saclay ?

M. René Ricol. Les causes sont multiples et tiennent notamment à la question des PLU et aux discussions longues entre les universités et les écoles. Quoi qu’il en soit, le fait que Saclay n’ait pas été retenu parmi la première vague de projets d’initiative d’excellence est la preuve que les jurys sont indépendants !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Saclay est un cas d’école. Ce projet a été considéré par nos plus hautes autorités, dont le Président de la République, comme une priorité d’avenir. Or, le projet n’est pas retenu ! Comment gère-t-on une telle contradiction ?

M. René Ricol. Le choix a été fait, par le Président de la République notamment, de recourir à des jurys internationaux. À partir du moment où les règles ont été définies, il convient de les respecter.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il faut donc selon vous, aux côtés de l’ANR, une structure qui affiche et défende les priorités de l’État, une structure qui dépende du politique.

M. René Ricol. Tous sont d’accord sur le point que le projet de Saclay doit réussir, c’est dans l’intérêt général. Toutefois, le fait que ce projet n’ait pas été présélectionné est un rappel à l’ordre capital vis-à-vis de tous les acteurs, qu’il s’agisse des universités, des grandes écoles ou des élus. On ne peut pas dégager de telles sommes sur un projet sans garantie d’excellence reconnue internationalement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous. À mon sens, il n’est absolument pas choquant qu’un gouvernement, quel qu’il soit, définisse ses priorités en matière de recherche. Un jury peut également tenir compte des priorités qu’un pays se fixe ! Par exemple, il est pour le moins étrange que, en dépit du lancement par l’État d’un ambitieux Plan cancer, aucun investissement d’avenir n’ait encore été retenu dans ce domaine ! Nos équipes sont-elles mauvaises ou ne savons-nous pas présenter un projet ?

Selon moi, la reconnaissance d’un pôle d’excellence n’est pas seulement le constat à un instant t de la qualité du travail d’une équipe, c’est aussi le fait d’adopter une vision prospective qui puisse faciliter l’émergence les pôles de demain.

M. Jean-Luc Tavernier. Un pôle doit regrouper trois critères cumulatifs : un projet, un caractère d’excellence, une gouvernance propre à assurer que l’argent alloué sera correctement dépensé. Le jury y ajoute parfois un critère complémentaire : les moyens supplémentaires qui seraient injectés si le projet était retenu feraient-ils une différence ou celui-ci est-il déjà suffisamment doté ? C’est peut-être le cas pour le Plan cancer où on a pu considérer qu’il n’y a pas de rupture ou qu’il y a assez de financement par ailleurs. Sur Saclay, je rappellerai qu’il n’est pas étonnant qu’un tel agrégat ait besoin de quelques mois pour rattraper son retard, notamment en matière de gouvernance, compte tenu du progrès que certaines universités ont fait pour se regrouper et s’organiser au cours des derniers mois, voire des dernières années.

M. René Ricol. Je pense que le système de gestion du Plan cancer est bon. Je ne suis pas ennuyé par le fait que le jury n’ait pas retenu de projet relatif au Plan cancer ou à la dépendance. Ma recommandation au Gouvernement et au Parlement est la suivante : peut-être faut-il envisager d’ouvrir un appel restreint d’IHU sur ces sujets. Notre règle d’or est qu’on ne bâtit l’avenir que sur l’excellence.

Sur Saclay, le jury a pris position au cours de la première vague. Il serait terrible pour notre pays qu’un projet moyen, voire médiocre concernant la gouvernance, mais soutenu par le Gouvernement soit malgré tout retenu ! La Chancelière allemande Angela Merkel a lancé des initiatives d’excellence, elle s’est ensuite pliée aux choix des jurys.

Le site de Saclay n’a pas été sélectionné au cours de la première vague, il participera donc à la deuxième vague au cours de laquelle il sera peut-être sélectionné. Mais comme c’est une priorité nationale, s’il ne l’est pas, on va vraiment se poser la question de savoir comment on sort ce projet. Toutefois, le plus mauvais service qu’on pourrait rendre à Saclay, comme aux instituts de recherche pour le cancer, ce serait de leur accorder des passe-droits.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous arrête tout de suite, vous répondez à coté de ma question. Je ne vous dis pas qu’il faut des passe-droits dès lors que l’État a fixé un certain nombre de priorités. Je vous dis simplement que c’est de la responsabilité d’un État de fixer des priorités thématiques de recherche. Et que ça devient gênant si ces thématiques n’apparaissent pas dans les projets retenus au titre des Investissements d’avenir.

M. René Ricol. Donc nous ne sommes pas en contradiction.

M. Olivier Carré, Président. Les projets peuvent être financés par ailleurs.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Je voudrais intervenir car je pense bien connaître le sujet. Je crois qu’on fait une confusion : le projet du Président de la République ne se résume pas au projet d’excellence du plan Campus. Ce plan Campus n’en est qu’un sous-ensemble. L’échec de Saclay à la première vague de sélection tient à une gouvernance un peu confuse parce que l’État n’a pas été assez clair dans ses priorités, entre responsables scientifiques – École Polytechnique en particulier – et universités : il faut donc qu’il se prononce maintenant clairement sur ce qu’il veut faire en termes scientifiques et le projet pourra aboutir.

Encore une fois, le projet du Président de la République va au-delà du plan Campus. Les élus locaux doivent apporter une réponse à la question de la protection des 2 300 hectares du site, à sa desserte en moyens de transport (créer un métro que l’on annonce régulièrement mais pour lequel rien n’est encore décidé). Je fais confiance aux scientifiques de ce plateau pour se redresser et présenter un projet cohérent en matière de gouvernance pour la deuxième vague de sélection. Mais ce n’est pas parce qu’on aura franchi cette étape que le projet du plateau de Saclay et le projet du Président de la République seront nécessairement une réussite.

M. René Ricol. Il n’y a pas de divergence de point de vue entre nous, mais je préférerais qu’on parle bien d’ « Initiatives d’excellence », que nous finançons, et pas de « Plan campus », qui recouvre de l’immobilier. Étant précisé que le site de Saclay constitue une exception puisque nous finançons à hauteur d’1,3 milliard de l’immobilier.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Nous sommes bien d’accord.

M. René Ricol. Nous sommes ici au cœur du sujet. Sur les deux exemples que vous avez pris, je suis convaincu qu’on sortira quelque chose sur le cancer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je pense que la thématique du cancer est plus pertinente que le projet de Saclay.

M. René Ricol. Le cancer, c’est une priorité nationale. Mais il y a là un rappel à l’ordre qui me paraît salutaire, lorsque des équipes pourtant formidables ne parviennent pas à convaincre un jury international reconnu par la communauté scientifique et dont la composition n’a pas été discutée. C’est en effet intéressant, pour ces équipes, alors que l’État investit massivement sur cette thématique, en dehors des Investissements d’avenir, de se demander si elles présentent la rupture technologique suffisante et qu’elles regardent ce qui se passe ailleurs. Et il est important que nous, nous leur redonnions une chance d’être reconnu par un jury international comme étant un lieu d’excellence. Il me semble que c’est très positif, c’est un défi de qualité.

À propos de Saclay, je constate que depuis qu’il n’y a pas eu de présélection par le jury, beaucoup de choses bougent. Je n’ai pas de divergence de point de vue avec le co-rapporteur, dans le sens où effectivement, pour réussir ce projet, il faut que tout fonctionne : l’aménagement du site, le réseau de transports, l’accès aux logements, que les sols soient viabilisés, etc. … Au final, les effets de cette non sélection sont plutôt positifs. J’avais rencontré les équipes de Saclay et pu constater qu’elles ont réalisé un travail très important pour rapprocher les écoles et les universités. J’ai d’ailleurs beaucoup d’admiration pour le président de l’université de Paris XI qui a su convaincre son conseil d’administration. Mais comparé à d’autres projets, il est apparu qu’il y avait du retard en termes de gouvernance. Je voudrais aussi souligner que ce projet a bénéficié de moins de soutien qu’attendu de la part des collectivités environnantes. Je vois aujourd’hui que ce projet a beaucoup bougé puisque je lis tous les jours des annonces plutôt positives. Lorsque le bureau de la Conférence des présidents des universités m’a dit de façon unanime qu’il souhaitait que soient installés des jurys internationaux, j’ai donné mon accord mais dès lors, il faut respecter la règle du jeu.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous sommes tous d’accord sur le rôle de ces jurys internationaux, mais il y a une autre dimension, comme nous le disions tout à l’heure.

M. René Ricol. Entièrement d’accord avec vous et c’est bien là que nous intervenons. Nous avons en particulier voulu que les appels à projets se déroulent par vague, car nous pensons qu’il est dans l’intérêt général que les étapes se déroulent progressivement. Sur les instituts de recherche technologiques, la qualité des projets était inouïe, le travail réalisé spectaculaire et le jury a peu discuté. Les deux projets non sélectionnés sur le numérique étaient très proches des critères de sélection, ils pourront être rattrapés et ainsi nous serons dans la ligne des enjeux décidés pour notre pays.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Compte tenu du caractère extrabudgétaire du programme des Investissements d’avenir, j’aimerais poser une dernière question portant sur notre outil de travail pour le prochain débat budgétaire. La loi prévoit une annexe budgétaire « Jaune ». Avez-vous déjà préparé la maquette des rubriques qui figureront dans ce document et qui permettront aux commissions des Finances et au Parlement d’être totalement éclairés ?

M. Jean-Luc Tavernier. Nous avons effectivement présenté cette annexe dès l’an dernier car la loi le prévoyait pour suppléer au manque d’informations dans les projets et les rapports annuels de performances puisque la totalité des crédits aura été versée en 2010 et qu’ils n’apparaîtront plus dans les documents budgétaires à compter de 2011. Ce n’était pas indispensable de le faire l’an dernier car le programme démarrait et le document ne respectait donc pas entièrement le plan détaillé prévu en six points par l’alinéa VI de l’article 8 de la loi de finances rectificative. Cette année, vous aurez un document plus complet encore.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je vous remercie.

Audition du 1er juin 2011

À 16 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de M. Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP-FSU), accompagné de M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national et M. Marc Champesme, secrétaire national, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

Présidence de M. Jean-Pierre Gorges, rapporteur

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous poursuivons nos travaux relatifs aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Je vous rappelle que nous avons entendu les directeurs concernés au ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur ainsi que M. René Ricol, commissaire général à l’investissement.

Nous poursuivons en accueillant cet après-midi M. Stéphane Tassel, secrétaire général du syndicat national de l'enseignement supérieur (SNESUP), M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national et M. Marc Champesme, secrétaire national.

Vous savez que l’organisation de la MEC est paritaire et que je partage avec Alain Claeys et Pierre Lasbordes la responsabilité du rapport. Mais Alain Claeys, comme le Président Olivier Carré, m’ont demandé de vous présenter leurs excuses : ils ne peuvent être présents avec nous. La commission des Finances poursuit actuellement l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2011. Quant à Pierre Lasbordes, il est retenu du fait du décalage d’une réunion et espère nous rejoindre.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

Monsieur le secrétaire général, comme vous le savez, la commission des Finances partage avec la Cour des comptes la double préoccupation d’une allocation optimale des moyens issus du grand emprunt et d’un suivi exhaustif et détaillé des Investissements d’avenir.

Je vous propose de commencer cette audition par un bref propos introductif de quelques minutes avant de passer aux questions préparées en concertation avec mes collègues

M. Stéphane Tassel, secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur. Nous nous trouvons depuis quatre ans dans une période très particulière avec la mise en œuvre de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), d’une part, et celle du grand emprunt, d’autre part.

Je vois néanmoins trois axes sur lesquels nous pouvons commencer à émettre des commentaires.

Premièrement, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche affiche des budgets qui laissent à penser que l’Enseignement supérieur et la recherche crouleraient sous les liquidités, alors que l’on voit quotidiennement nos conditions de travail se dégrader. Dans ce contexte d’enchaînement des actions – plan Licence, plan Campus et plan d’Investissements d’avenir – on voit se créer des pôles qui attirent et concentrent la quasi-totalité des ressources nouvelles au détriment des autres établissements. Cela pose les questions portant sur des déserts scientifiques qui vont se créer et sur la nécessité d’un aménagement équilibré du territoire, oublié des débats.

Deuxième remarque, ce sont des budgets trompeurs. Je vais vous remettre deux documents qui montrent la répartition des financements de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous ne disposons pas de montants mais uniquement de variations par rapport à une année de référence qui est 2007, « année zéro » de la loi LRU. Au fil des années, entre 2010 et 2011 la valeur de référence chute de 5 % environ, ce qui mécaniquement permet d’afficher des augmentations qui n’en sont pas en vérité. Cela pose la question des montants de crédits effectivement versés. Je citerai à titre d’exemple les crédits versés au titre des Equipex, soit 260 millions d'euros de dotation, qui ont été concentrées sur quelques lieux et ont été déduits des moyens de l’enseignement supérieur et de la recherche dès 2010 et en 2011, parallèlement à la comptabilisation des intérêts du grand emprunt.

Mon dernier point concerne le gâchis des deniers publics. Les premières réponses aux appels d’offres n’ont fait l’objet d’aucune décision dans les instances des établissements. Le montage des dossiers d’appels d’offres a conduit à rémunérer des cabinets de conseil : ce sont quelques dizaines de millions d’euros qui ont été gâchés et détournés des missions du service public.

Voilà donc les trois points sur lesquels je veux insister : l’aménagement du territoire, les mensonges budgétaires et le gâchis des crédits publics.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Donc, vous dites que c’est moins bien qu’avant.

M. Stéphane Tassel. Exactement.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. De plus, vous portez des accusations extrêmement lourdes quant à la sincérité budgétaire. La Cour des comptes se devra d’approfondir ce point.

M. Stéphane Tassel. Nous avons effectivement écrit aux parlementaires pour qu’ils étudient la réalité des dotations budgétaires aux établissements.

M. Pierre Duharcourt, membre du bureau national du SNESUP. Il est bon en effet que l’on se pose la question de la définition des financements extrabudgétaires, qui sont, comme le dit la Cour des comptes, un dispositif dérogatoire porteur de risques. Il y aurait deux genres de dotations, ce que vote et contrôle le Parlement, et le reste qui peut être engagé à la discrétion du Gouvernement. Au cours de son audition devant la MEC le 4 mai dernier, M. Patrick Hetzel a visiblement été embarrassé pour répondre aux questions à ce sujet.

Plusieurs observations sur ce point. Ces financements créent un régime à deux vitesses. L’exercice est de repérer l’excellence, qui va recevoir les dotations extrabudgétaires, parmi les autres projets de recherche qui n’y figureront pas et seront donc considérés comme mauvais. La philosophie du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche est donc d’établir une hiérarchie. C’est à mon sens une conception archaïque de la recherche. Prenons une métaphore sportive. Certains sports sélectionnent des athlètes très tôt sur des critères subjectifs, mais ce ne sont pas ceux qui obtiennent de meilleurs résultats, au contraire de sports comme la natation française qui laisse prospérer un large vivier duquel surgit toujours l’excellence.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il s’agit d’un choix politique, ce n’est pas anormal qu’un Gouvernement en fasse.

M. Stéphane Tassel. C’est surtout une conception philosophique de l’université qui mérité d’être interrogée et peut être remise en question.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous semblez condamner a priori les dispositifs qui ont été mis en place, mais croyez-vous que le recul est suffisant pour porter un jugement ? La mission souhaite pouvoir faire un point de contrôle intermédiaire.

M. Pierre Duharcourt. Nous souhaitons avant tout être écoutés en tant qu’acteurs de la communauté scientifique.

J’ai en mémoire le rôle joué de longue date, au sein du CNRS, par le comité national de la recherche scientifique, chargé d'évaluer, d'effectuer ou de faire effectuer toutes recherches présentant un intérêt pour l'avancement de la science ainsi que pour le progrès économique, social et culturel du pays. D’où mon interrogation : qui décide dans la logique de la LRU ? Cette question intéressante avait été évoquée avec M. Alain Claeys et elle renvoie à l’idée que l’on se fait de l’autonomie des universités. Tout est en réalité piloté d’en haut alors que l’on s’ingénie à donner l’impression que ce sont les acteurs de terrain qui décident.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous portez à nouveau un jugement de valeur ! Tous, nous constatons le retard accumulé par la recherche française ; pour y remédier, il faut faire des choix. Cela n’exclut pas une évaluation – bien au contraire – mais cela n’aurait aucun sens de critiquer ces choix par avance.

M. Pierre Duharcourt. Sur quelle base appréciez-vous ce retard supposé ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je fais notamment référence à la part du produit intérieur brut consacrée à la recherche scientifique. L’articulation entre la recherche et l’innovation paraît perfectible elle aussi et la recherche française me semble éprouver des difficultés à déboucher sur des projets concrets.

À nouveau, je vous rappelle que l’objet central de la mission d’évaluation et de contrôle est de faire en sorte, sur le plan budgétaire et comptable, que les dotations votées par le Parlement soient bien engagées.

M. Pierre Duharcourt. Il me semble que vous mélangez deux éléments dans votre raisonnement : les dépenses consacrées à la recherche et les retombées de celle-ci.

Incontestablement, notre pays affiche un retard sur les dépenses consacrées à la recherche et la responsabilité en incombe aux entreprises. C’est pourquoi, d’ailleurs, le crédit d’impôt recherche (CIR) a été inventé. Le CIR n’a cependant pas suffi à inverser la tendance car il a suscité un effet d’aubaine important. Du point de vue des retombées de la recherche, en revanche, les résultats doivent prendre en compte d’autres critères que ceux que vous évoquiez : les publications de chercheurs français, ou encore les prix et récompenses obtenus.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous n’ignorez pas que les indicateurs de publication démontrent que l’influence de la recherche française est plutôt déclinante. Ne relançons pas un nouveau débat politique ! Ce n’est pas l’objet de cette mission. Pouvez-vous, M. Tassel, nous donner précisément votre point de vue sur le déroulement des appels à projets ?

M. Stéphane Tassel. Je suis, comme vous, soucieux de précision mais vous ne pouvez pas nous retirer notre capacité d’appréciation politique des réformes en cours.

En ce qui concerne le plan Campus, nous observons que les sommes allouées n’arrivent pas jusqu’aux équipes de recherche. S’agissant maintenant des appels à projets, sur lesquels vous m’interrogez, je tiens à souligner que les enseignants du supérieur ont travaillé dans des délais très courts pour les préparer ; pour ce faire, ils ont été obligés de mettre entre parenthèses leurs travaux de recherche, leur engagement pédagogique ou de réduire l’accompagnement des étudiants. Nous ne pouvons pas accepter la mise entre parenthèses du droit à la recherche !

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous comprenez tout de même que l’autorité qui paie puisse définir des priorités…

M. Stéphane Tassel. Nous ne remettons pas en question l’existence de priorités, mais qui les établit ? Le Parlement a-t-il seulement débattu des priorités de la recherche française ? Je rappelle le rôle joué par le discours de lancement de la stratégie nationale de recherche et d’innovation – SNRI – du Président de la République au fondement des appels à projets pour le grand emprunt qui a débouché sur des réponses aux projets confiées à des cabinets de conseil privés et dans lesquelles le contenu scientifique était totalement absent.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Est-ce que vous parlez du plan Campus ou du plan d’Investissements d’avenir ?

M. Stéphane Tassel. Je parle du second.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cette spécialisation des tâches dans la mise au point des appels à projet n’est pas choquante…

M. Stéphane Tassel. Elle suscite néanmoins de l’incompréhension parmi la communauté scientifique : au sein d’une même unité, certaines équipes reçoivent le label d’excellence alors que d’autres sont mises de côté. Marc Champesme pourrait vous en parler puisque, dans son propre laboratoire de recherche en informatique, il est dans cette situation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous faites grief au Gouvernement et au Parlement qui le soutient de mettre du désordre en instillant de la compétition ; c’est pourtant inévitable.

M. Stéphane Tassel. Prenons un autre exemple. Les universités de Grenoble III et Lyon II se retrouvent en concurrence afin d’obtenir des crédits au titre des Initiatives d’excellence ; cette situation aboutit à distendre les relations pourtant anciennes qui s’étaient tissées entre les deux établissements, en particulier dans le champ des sciences humaines.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. La prise en compte d’objectifs d’aménagement du territoire est sans doute une faiblesse dans l’approche retenue pour les pôles de compétitivité.

M. Marc Champesme. Il faut tout de même tenir compte de cette question de l’aménagement du territoire. La loi LRU pose pour principe une programmation et une prévision sur l’ensemble du territoire, avec une répartition équilibrée de l’offre de formation. On ne retrouve pas cette préoccupation dans le processus actuel des appels à projet, qui risquent de conduire à une restructuration profonde du réseau actuel de la recherche : selon la sélection des projets déjà opérée, le Nord et l’Ouest de la France sont un désert. Le processus traduit donc une logique mortifère introduisant des déséquilibres graves.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous du fait que le plateau de Saclay n’ait pas été retenu dans la sélection des cent laboratoires d’excellence ?

M. Pierre Duharcourt. Cela ne me paraît pas le principal scandale. On peut par exemple regretter que l’Université Paris V n’ait pas été retenue dans les initiatives d’excellence. D’après l’explication qui en a été donnée, l’université candidate n’a pas fait un tri suffisamment sélectif des projets, sa gouvernance n’a pas été jugée « conforme » car elle a voulu que toutes ses composantes soient représentées, enfin la nature scientifique des projets n’a visiblement pas été suffisamment prise en considération.

Il existe aujourd’hui de très bonnes coopérations au sein des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES ; elles se manifestent par des échanges, des séminaires en commun, des travaux collectifs. La logique des initiatives d’excellence, les « Idex » est autre ; en outre elle n’établit pas de lien entre recherche et formation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce lien n’est-il pas plutôt le fait des pôles de compétitivité, par lesquels les collectivités ont voulu constituer des ensembles de formation et de recherche visibles ? Au risque d’ailleurs de voir le saupoudrage des moyens mettre en danger la qualité de la formation et de la recherche dans les pôles qui s’avèrent moins justifiés.

M. Stéphane Tassel. L’inégalité est déjà très visible : on peut constater, par exemple, que l’université de Pau, qui conduit une recherche importante sur le bois, ne recevra à travers les appels à projet que quelques dizaines de milliers d’euros, alors que le PRES de Bordeaux recevra un soutien de dizaines de millions d’euros. Dans une telle situation, l’avenir de l’université de Pau, comme celle d’Artois ou d’autres encore, suscite l’inquiétude. Il serait intéressant d’effectuer une cartographie des évolutions des thématiques de recherche au cours des dernières années : on constaterait les conséquences d’un certain arbitraire dans les choix et l’affectation des moyens.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. J’aimerais que nous revenions à la manière de mettre en œuvre et d’évaluer les Investissements d’avenir pour une allocation optimale et efficace de ces crédits très importants. Le travail de la MEC n’a pas vocation à se limiter à des échanges sur les stratégies politiques du Gouvernement.

M. Stéphane Tassel. Je tenais cependant à souligner que 125 millions d’euros ont été supprimés au budget de la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur en 2010, en lien avec les Investissements d’avenir. C’est la réalité tangible du grand emprunt.

M. Pierre Duharcourt. Les projets d’initiatives d’excellence sont vides de contenu scientifique. Je suis incapable, même dans mon domaine de l’économie et de la gestion, de déceler l’intérêt des recherches mentionnées dans les projets sélectionnés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous êtes donc critiques sur le contenu des projets : la période laissée aux chercheurs a-t-elle été insuffisante ? La méthode de sélection des projets est-elle contestable selon vous ?

M. Pierre Duharcourt. Certains projets sont bons. Nous contestons le caractère trop sélectif de la procédure qui conduit à rejeter d’autres projets qui sont de qualité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Nous n’échapperons pas à la nécessité d’opérer des choix en fonction de priorités. Lorsque l’Allemagne annonce l’arrêt du recours au nucléaire, cela suppose de renforcer de manière prioritaire la recherche sur les autres énergies.

M. Stéphane Tassel. La politique des Investissements d’avenir, après les réformes conduites ces dernières années, a produit un empilement illisible des structures et a généré une bureaucratie exponentielle pour les enseignants chercheurs, leur laissant de moins en moins de temps pour ce qui devrait être l’essentiel de leur tâche d’enseignement et de recherche.

Il est vrai que la procédure de sélection des projets laisse à désirer : il est très difficile de connaître la composition des comités d’experts (en général elle n’est connue qu’après la décision). La participation de l’ancien directeur de cabinet de la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche ainsi que d’un conseiller technique du cabinet, à un jury de sélection, n’est pas satisfaisante. Le pouvoir donné à ces comités d’experts est excessif, les reculs de la démocratie sont partout : décemment est-il acceptable que l’avenir de la communauté de chercheurs de Nancy et Metz soit arrêté par un jury de 28 personnes ? – recomposition en lieu avec les Idex. Il n’est pas étonnant que l’avis des organisations représentées au CNESER ait été défavorable sur les décisions prises.

M. Marc Champesme. L’empilement des labels d’excellence, des équipements d’excellence et autres par des choix autoritaires est contraire à l’esprit de la coopération scientifique et à la cohérence du développement scientifique. De plus elle perturbe les chercheurs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Quelles sont vos propositions sur le suivi de ces crédits et vos remarques sur leur attribution ?

M. Stéphane Tassel. Nous n’avons pas eu communication de la répartition des budgets ni des clefs de répartition des crédits par établissement, bien que nous ayons réclamé ces informations.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Votre demande de précisions concerne les outils de programmation et le suivi de ces outils.

M. Stéphane Tassel. Cela concerne les crédits versés au titre du plan Campus, des Investissements d’avenir ou du plan Réussir en licence, car les dotations devraient être clairement identifiables par établissement et par dispositif ; or seules les augmentations par année nous ont été communiquées. Les financements sont concentrés sur certains sites et laissent subsister un désert scientifique ailleurs, situation inquiétante pour les établissements non sélectionnés.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Dans un univers de compétition mondiale, il faut bien faire des choix pour les affectations de crédits. Certains enjeux de la recherche apparaissent plus stratégiques que d’autres. Dans ma région, nous nous interrogeons sur le type de pôle d’excellence que nous pourrions initier alors que nous n’avons pas de campus.

M. Stéphane Tassel. Le processus d’affectation de crédits creuse les inégalités entre les établissements dits d’excellence et les autres, et le processus d’autonomie a aggravé les distorsions entre les établissements. C’est sans parler des écarts de coûts d’encadrement entre les universités et les grandes écoles, qui sont un sujet ancien.

Nous réclamons une lisibilité de l’attribution des crédits par établissement pour le plan Campus, les équipements d’excellence ainsi qu’une amélioration de la méthode d’évaluation des projets. Les structures se superposent, les critères sont opaques et échappent au débat parlementaire. Les choix des équipements privilégiés sont politiques et subjectifs.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Vous considérez donc que les critères de sélection des experts sont insuffisamment transparents. Auriez-vous voulu être choisi parmi les experts ? Estimez-vous qu’il y a eu du favoritisme ?

M. Pierre Duharcourt. J’aurais accepté d’être parmi les experts et l’ai déjà été dans d’autres cadres. Cependant, leur avis n’est pas toujours suivi par les décideurs. Nous demandons davantage de pluralisme dans les comités d’expertise.

On ne peut parler de favoritisme direct, mais certains critères de sélection conduisent à accorder la préférence à telle ou telle école.

M. Stéphane Tassel. La communauté scientifique a été saisie en toute précipitation des appels à projets des Investissements d’avenir à la veille de Noël pour rendre des projets de candidatures avant le 7 janvier dans un esprit de précipitation néfaste. Des cabinets de conseil privés ont été mis à contribution pour préparer les dossiers d’appels d’offres. Les équipes des présidents d’université ont dû rédiger dans l’urgence les dossiers de projets.

M. Pierre Duharcourt. Les réformes touchant l’université se sont succédé tous les trois ans sans que le bilan n’en ait été dressé. Aujourd’hui, un nouveau système bouleverse ce milieu avec une procédure d’appel à projet incohérente, que nous pourrions dire de type « bidulex ».

En réalité, ces choix sont graves et irréversibles car ils emportent des conséquences sur vingt ans. Il faudra analyser l’évolution des thématiques de recherche et des formations au cours des dernières années : on constatera que certaines ont disparu, alors qu’elles faisaient réussir els étudiants.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si l’on en juge par les montants annuels financés, il ne faut pas surestimer les conséquences financières du grand emprunt ; les décideurs doivent faire des choix dans un monde de compétition galopante. Vous estimez que la compétition suscitée par ces procédures peut être destructrice ?

M. Stéphane Tassel. Certes des priorités peuvent exister, mais la recomposition des formations et de la recherche a besoin de beaucoup de temps. Pour exemple les formations technologiques ont été délibérément effacées dans les premiers cycles universitaires.

M. Pierre Duharcourt. La logique du travail scientifique est celle d’un travail en réseau pour les chercheurs, qui n’ont pas besoin de fonctionner en campus, même si ce système est intéressant pour les étudiants. Aux États-Unis, la discrimination entre équipes et laboratoires est moindre. Toutes les équipes gardent leurs chances, contrairement à celles qui, en France, ne seront pas retenues pour les laboratoires d’excellence. La compétition à laquelle on assiste actuellement est certainement destructrice.

M. Marc Champesme. Cette procédure tend à faire le tri entre les équipes et à éliminer celles qui sont en dehors du périmètre de la sélection. L’avenir des équipes restées hors du périmètre d’excellence est inquiétant : les chercheurs doivent-ils abandonner leur unité pour en rejoindre une autre labellisée « excellence » ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je note donc qu’il conviendra d’améliorer les procédures de sélection de projets, d’éviter d’agir de manière trop précipitée, et qu’il sera souhaitable de disposer en fin d’année des outils de suivi évoqués par M. Patrick Hetzel, directeur général pour l’Enseignement supérieur et la formation professionnelle. Il conviendra aussi d’obtenir des documents de restitution simples et précis en ce qui concerne l’attribution des crédits au titre des différents plans mis en œuvre par le Gouvernement : tous les acteurs les réclament. Les conséquences des nouvelles procédures sur le tableau de la recherche ne peuvent encore être analysées : cela devra être fait après une période d’observation plus longue.

Messieurs, je vous remercie.

Audition du 8 juin 2011

À 16 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, accompagné de M. Daniel Vitry, responsable de la mission Universités, de Mme Annabelle Cazes, directrice adjointe du département Infrastructures d’intérêt général, de Mme Brigitte Gotti, secrétaire générale de la commission de surveillance, et de M. Frédéric Sabattier, chargé de mission

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Alain Claeys, Rapporteur. La Mission s’interroge sur l’état de consommation des crédits dédiés à l’université et à la recherche. En tant qu’opérateur, où en est la Caisse des dépôts ? Quelles difficultés a-t-elle rencontré et quelle appréciation porte-t-elle sur le rythme des dépenses ? Les parts publique et privée du co-financement correspondent-elles aux prévisions de l’État et des opérateurs ? D’autre part, le dispositif contribue-t-il à l’aménagement du territoire et au développement du tissu économique ?

Quid du contrôle parlementaire des crédits extrabudgétaires ? Enfin, quel regard peut-on porter sur la gouvernance ? Le système mis en place n’est-il pas trop complexe ? Pouvait-on le simplifier ?

M. Michel Bouvard, président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations. La Caisse des dépôts est concernée à plusieurs titres par le sujet. Dès la fin de 2007, elle a intégré l’université et l’économie de l’intelligence dans les priorités de son plan stratégique Élan 2020, qui font l’objet d’un suivi annuel devant la commission de surveillance – nous vous laisserons le rapport qui lui a été présenté il y a deux semaines sur la politique menée en direction de l’enseignement supérieur.

Au titre de ses propres politiques, elle a donc décidé, dans le cadre d’Élan 2020, de s’impliquer dans le développement des universités. Dans ce domaine, elle apporte de l’ingénierie sur les fonds propres de la section générale. On pourrait craindre que son intervention, liée au fait que les universités manquent d’un encadrement technique pour développer les plans stratégiques et les schémas immobiliers ou numériques, ne s’apparente à une forme de débudgétisation ; mais elle nous offre l’occasion d’acquérir des connaissances, de nous immerger dans les dossiers universitaires et de gagner ainsi en légitimité et en pertinence.

La Caisse finance en outre des infrastructures universitaires. Dans les fonds d’épargne, dont la ministre de l’Économie fixe l’emploi, une enveloppe « infrastructures » de 8 milliards a été ouverte au titre des actions du plan de relance. Elle contient une sous-enveloppe d’un milliard, qui nous permet d’intervenir dans des opérations de prêt relatives à l’immobilier des universités. Parallèlement, nous investissons aux côtés de celles-ci dans les SCI qui vont être constituées.

Nous intervenons enfin dans tous les volets du programme d’Investissements d’avenir (PIA) : schéma lié à l’innovation, schéma numérique, valorisation des brevets, sociétés d’accélération de transfert de technologie (SATT). Autant de conventions pour lesquelles la Caisse a été choisie comme opérateur, et dont la commission de surveillance vérifie qu’elles ne s’inscrivent pas dans une logique de débudgétisation. Ces actions, qui portent aussi sur le logement étudiant, sont menées parallèlement au plan Campus de l’État, dans lequel la Caisse n’intervient pas directement, ce qu’elle aurait cependant souhaité dans un souci de consolidation et de facilité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous n’intervenez pas directement dans le plan Campus ?

M. Michel Bouvard. Non. À ce jour, nous avons consacré environ 30 millions à des dépenses d’ingénierie et 63,5 millions en investissement immobilier afin d’accompagner les projets des universités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ces crédits les ont aidées à amorcer leur plan Campus ?

M. Michel Bouvard. Oui.

M. Olivier Carré, Président. Est-ce parce que les universités ont dû assumer leur autonomie et gérer en pleine propriété un patrimoine immobilier, ce qui ne relevait pas de leurs tâches traditionnelles, que vous avez apporté ce soutien ?

M. Michel Bouvard. Quand le directeur général de la Caisse, avec l’accord de la commission de surveillance, s’est adressé aux universités, c’était en effet pour les aider, en leur proposant de l’ingénierie, à affronter des missions pour lesquelles elles n’étaient pas armées. Elles devaient définir des schémas immobiliers et des schémas d’aménagement, réfléchir au numérique et intégrer le développement durable à leurs projets, alors même qu’elles ne disposaient d’aucune capacité d’analyse financière pour identifier les besoins et les coûts d’investissement, ou pour effectuer des montages financiers. La Caisse a ainsi aidé à élaborer soixante projets en vue du plan Campus, soit la quasi-totalité de ceux qui ont été sélectionnés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce manque d’ingénierie explique-t-il le retard avec lequel le plan Campus a été mis en œuvre ?

M. Michel Bouvard. Tout serait évidemment allé plus vite si les universités avaient disposé d’emblée de moyens en ingénierie, mais il a fallu monter les dossiers, puis procéder aux appels d’offres. La mission d’information relative à la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (MILOLF) avait d’ailleurs identifié par avance certains facteurs de retard : le déblocage des enveloppes et la mise en place de l’ingénierie financière prennent nécessairement du temps. S’est aussi ouvert un débat sur la rémunération, qui n’est pas encore clos, semble-t-il.

Enfin, il a fallu réfléchir tant aux partenariats public-privé (PPP) traditionnels qu’aux partenariats public-public, que nous avons proposés – surtout à ceux-ci, qui conjuguent les Investissements de la Caisse, des régions et des universités. Nous sommes en train de régler les derniers dossiers mais, la légitimité de ces partenariats spécifiques ayant été mise en cause, il a fallu recourir à l’arbitrage du Premier ministre, ce qui a pris plusieurs mois. Tout le monde n’était pas favorable à ce que les conseils régionaux investissent directement dans le patrimoine des universités, ce qui était nouveau. Quand, par exemple dans le cadre du plan Université 2000, les collectivités locales avaient apporté des fonds à une université, il s’agissait d’un prêt, qui n’emportait aucun transfert de patrimoine.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans ce cas, le débat portait uniquement sur la maîtrise d’ouvrage pour les Investissements nobles.

M. Michel Bouvard. Il s’agissait de savoir qui récupérerait la TVA et qui couperait le ruban le jour de l’inauguration, et les collectivités s’engageaient rarement dans une rénovation, toujours moins prestigieuse que la construction d’un bâtiment neuf !

Nous avons introduit une approche différente. Alain Rousset souhaitait que, dans un cadre national, les régions investissent aux côtés de l’État et des universités. La solution retenue en définitive est une cote mal taillée, qui consiste à tester les partenariats public-public avec quelques universités, mais nous connaissions les réticences de la communauté universitaire à l’idée que certains investisseurs puissent intervenir dans leur montage patrimonial et nous avions deviné qu’un montage public-public, outre qu’il éviterait toute dépendance des universités à l’égard des sociétés de BTP, se révélerait plus économique.

Une fois rendu l’arbitrage du Premier ministre, nous avons buté sur deux problèmes, que n’avait pas bien mesurés la direction des Enseignements supérieurs. Le premier, qui a trait à la dévolution du patrimoine, n’a été réglé que lorsque nous avons repris, dans une niche parlementaire de l’Assemblée, la proposition de loi déposée au Sénat par Philippe Adnot. Désormais, cette dévolution est effective et les universités, disposant d’un apport, peuvent entrer dans des SCI. L’obstacle que n’avait pas anticipé la loi sur l’autonomie des universités est ainsi levé.

Le second problème tient au fait que, contrairement aux partenariats public-privé, les partenariats public-public n’étaient pas exonérés de la taxe foncière sur le bâti. Ce point a été réglé en collectif budgétaire de 2010.

Reste tout de même un dernier frein : le cabinet de Mme Valérie Pécresse m’a informé avant-hier qu’il fallait encore un décret pour autoriser formellement les universités à être parties prenantes aux SCI qui seront constituées pour porter les projets. Le texte, approuvé par le Conseil d’État, est aujourd’hui à la signature.

Distinguons donc, si l’on veut parler de retard, les délais tenant à l’adoption des textes législatifs ou réglementaires nécessaires, ceux qu’a exigés le traitement de la question de la dévolution et les problèmes d’ordre financier : retards dans la délégation des enveloppes, discussions sur les niveaux de rémunération, ou encore sur la capacité d’emprunt des organismes divers d’administration centrale (ODAC). En effet, nous avons tellement insisté, au sein de la MILOLF, sur la nécessité d’encadrer les opérateurs qu’à la fin une circulaire, puis le projet de loi pluriannuel de finances publiques ont interdit à ces organismes de s’endetter auprès des établissements bancaires ou financiers. Toutefois, la mesure n’affectera pas la conclusion de partenariats public-public, car les prêts accordés par la Caisse s’effectuent non par l’intermédiaire d’un établissement financier mais sur fonds d’épargne. Sollicité pour arbitrer cette question, Matignon a autorisé la CDC à financer les opérations à hauteur de 80 % sur l’enveloppe d’un milliard que j’ai mentionnée tout à l’heure. Le reste sera apporté en fonds propres sur le capital des SCI, dont la section générale de la Caisse sera partie prenante.

M. Olivier Carré, Président. Qui avancera le prêt ?

M. Michel Bouvard. Le fonds d’épargne. Ces dispositions n’ont pas été taillées sur mesure pour les universités, puisque, parmi les ODAC, les agences de l’eau disposent elles aussi d’une enveloppe de prêt sur fonds d’épargne, qui leur permet de subventionner la construction de stations d’épuration. Nous avons appliqué la même jurisprudence, mais, dès l’origine, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac, Charles de Courson et moi-même avons insisté au sein de la MILOLF sur le fait que, pour les universités, le financement des opérations devrait s’effectuer dans un cadre spécifique, ce qui supposait d’aménager les dispositions encadrant le financement des ODAC.

Ces trois sortes de difficultés – mise à jour des textes réglementaires, traitement de la dévolution et arbitrages financiers – sont intervenues entre les premiers prêts, effectués sur fonds d’épargne avant la publication du projet de loi pluriannuel sur les finances publiques, et le vote du texte final, au terme duquel la Caisse a requis un arbitrage pour pouvoir continuer à prêter sur fonds d’épargne.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous sur la gouvernance du PIA ?

M. Michel Bouvard. M. Daniel Vitry, qui travaille dans les instances exécutives sous l’autorité du directeur général, vous répondra de manière plus technique sur l’articulation des projets.

M. Daniel Vitry, responsable de la mission Universités. Je reviendrai d’abord un instant sur les plans Campus. Si retard il y a, c’est par rapport à des anticipations extrêmement optimistes, car les universités n’étaient pas prêtes à se lancer dans des projets qui les ont prises par surprise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Elles n’avaient pas les moyens de leur autonomie.

M. Daniel Vitry. Quand on leur a annoncé qu’il fallait réhabiliter les bâtiments, elles y ont vu une aubaine, mais elles n’avaient jamais réfléchi au sujet, qui échappait à leur compétence. De ce fait, il fallait du temps pour se mettre d’accord, définir des projets et les faire adopter.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le retard dont nous parlons concerne le délai entre le choix des campus et la phase opérationnelle, que nous attendons encore.

M. Olivier Carré, Président. Soit dix-huit mois !

M. Daniel Vitry. C’étaient d’énormes opérations que de repenser complètement l’organisation des universités de Bordeaux et de fusionner les universités de Strasbourg, dont la partition remontait à vingt ans. Peut-on parler de retard, puisqu’on savait, dès le premier jour, que les délais retenus étaient très optimistes ? Quoi qu’il en soit, une des grandes vertus de la loi a été d’enclencher le mouvement, même si toutes les universités n’avancent pas au même rythme.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Venons-en à la gouvernance.

M. Olivier Carré, Président. Dans ce domaine, qu’est-ce qui fonctionne bien et qu’est-ce qui peut être amélioré ?

M. Daniel Vitry. La gouvernance du PIA est extrêmement compliquée.

M. Olivier Carré, Président. Quand nous les avons auditionnées, les équipes du Commissariat général à l’investissement ont reconnu que la situation était difficile. Elles ont fait évoluer certains critères par rapport aux conventionnements qu’elles avaient imaginés. Cependant, elles signalent que la Caisse ajoute, elle aussi, des procédures. Serait-il possible de rapprocher vos points de vue ?

M. Michel Bouvard. Pour le plan Campus, la situation est pour nous relativement simple : même si nous devons prendre en compte l’environnement administratif, notre seul interlocuteur est la présidence de l’université. En revanche, pour ce qui est du PIA, nous travaillons, dans un cadre prédéfini, pour une université et, au-delà, pour l’État qui nous a donné délégation ; nous présentons un projet qui sera validé à l’extérieur et qui implique un appel à concurrence. La procédure est lourde et compliquée. C’est pourquoi j’ai souhaité d’emblée que la mise en œuvre des conventions soit examinée chaque année par la commission de surveillance.

Relevant ce défi, la Caisse courait en effet deux risques : d’abord, celui de se voir attribuer la responsabilité d’un éventuel échec ; ensuite, celui d’être amenée à supporter des charges indues pour garantir le succès d’une opération, ou à compléter les enveloppes faute de pouvoir traiter certaines opérations dans le cadre du PIA. Placée sous le contrôle du Parlement et tenue à des comptes rigoureux, elle ne peut être un instrument de débudgétisation. Ses prestations dans le PIA doivent être rémunérées, et ses Investissements sécurisés dans les mêmes conditions que tous les autres. Elle doit rendre des comptes puisqu’elle gère des fonds pour le compte de tiers. Ces contraintes cohabitent avec un système de décision externe. D’ailleurs, la commission de surveillance va examiner le 20 juillet les huit conventions, dont la plupart sont liées à l’enseignement supérieur et à la recherche, pour savoir exactement où elles en sont.

M. Olivier Carré, Président. Vous avez vos propres critères concernant les risques liés aux Investissements. De son côté, le commissaire général à l’investissement apprécie les sommes investies dans le PIA en fonction du taux de retour. Ces réactions semblent saines dans le paysage du subventionnement français.

M. Michel Bouvard. Au sein du PIA, nous gérons, pour certains sujets, de l’argent qui appartient uniquement à l’État et, pour d’autres, des partenariats dans lesquels nous sommes co-investisseurs.

M. Olivier Carré, Président. Cette gestion s’inscrit-elle dans le cadre d’un mandat qui vous a été confié ?

Mme Annabelle Cazes, directrice adjointe du département Infrastructures d’intérêt général. Dans le cadre d’une convention, validée par la commission de surveillance.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le PIA, dès lors qu’une convention a été signée, jouez-vous votre rôle d’opérateur dans des conditions normales ?

M. Michel Bouvard. Le niveau de difficulté que nous rencontrons varie d’un programme à l’autre.

M. Daniel Vitry. Quand les fonds d’épargne rencontrent des difficultés financières, je n’ai pas à donner mon avis : ce problème regarde la direction compétente. En revanche, si le problème concerne les programmes ou les initiatives d’excellence (Idex), le dossier revient chez nous, au moins pour information, car nous devons chercher comment les projets dont nous avons connaissance peuvent s’y intégrer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quand une convention est signée, que le programme est décidé et que des appels d’offres ont été lancés, quel est votre rôle en tant qu’opérateur ?

M. Daniel Vitry. Ce n’est pas de ma compétence.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Peut-être aidez-vous pour l’appel d’offres.

M. Daniel Vitry. Il peut arriver que nous parlions avec des collègues qui en sont chargés, et qui occupent un bureau voisin, mais on ne peut pas réellement parler d’aide.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’appel d’offres se déroule donc sans intervention de l’opérateur. Comment intervenez-vous par la suite ? Arrive-t-il que les décisions prises pour les PIA contrarient celles que vous mettez en œuvre dans le cadre du plan Campus ?

M. Daniel Vitry. Cela ne s’est jamais produit.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quand un appel d’offres a lieu, rencontrez-vous des difficultés ?

M. Daniel Vitry. Aucune.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La Caisse a été choisie comme opérateur. Quel est votre rôle et quels problèmes êtes-vous amenés à rencontrer ?

M. Michel Bouvard. Dans le cadre du PIA, huit conventions ont été confiées à la Caisse. Toutes ont été signées. Si certaines, relatives à l’économie sociale et solidaire ou à la formation en alternance, ne concernent pas strictement le champ universitaire, des croisements s’opèrent dans les SATT, dans lesquelles nous sommes co-investisseurs, à France-brevets, dans le Fonds national d’amorçage, ainsi que dans le programme « Développement de l’économie numérique », dont le volet Investissements concerne en partie les campus. Chaque fois, les modes de gouvernance diffèrent, comme les priorités de sélection du jury. Pour France-brevets, nous avons reçu une enveloppe et nous sommes quasiment maîtres du jeu. Pour le numérique, les projets doivent être intégrés à un projet universitaire. Parfois, leur mode de sélection est extérieur à la Caisse, qui a donc pour chaque convention un type de délégation et de compétence différent. Il est dès lors difficile de dire en un mot où en est le PIA.

M. Olivier Carré, Président. Indépendamment de ces huit conventions, vous soutenez, à travers le plan Campus, les pôles qui ont été lancés. Parallèlement, à Bordeaux, à Grenoble ou ailleurs, des laboratoires d’excellence (Labex) et des instituts de recherche technologique (IRT) qui ont été désignés bénéficieront de conventionnements, dans lesquels intervient l’Agence nationale de la recherche (ANR). Grâce à ces crédits, ils pourront payer des loyers importants et consolider une partie de l’investissement prévu dans le plan Campus. Ces changements plus que marginaux ont-ils consolidé ou bousculé les plans que vous aviez élaborés ? Dans l’articulation des différents projets, les crédits s’additionnent-ils ou se substituent-ils les uns aux autres ? Les sommes promises ont-elles effectivement été versées et l’argent des PIA permet-il d’accélérer les projets et d’aller plus loin dans le cadre des Idex ?

M. Daniel Vitry. Le calendrier est ainsi fait que les Idex sont choisis en ce moment, ce qui m’empêche de répondre à votre question. Nous en sommes encore au stade des projets, sur lesquels nous nous interdisons d’avoir un avis pédagogique ou scientifique. Nous reprenons les expertises telles qu’elles nous sont données.

M. Michel Bouvard. Nous les tenons par construction pour pertinentes.

M. Olivier Carré, Président. Pour vous, c’est un facteur exogène. Il semble en tout cas que les crédits s’additionnent.

M. Daniel Vitry. Oui. Encore une fois, il est trop tôt pour l’affirmer, mais nous serons très attentifs à ce qu’il n’y ait ni doublon ni gouffre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment pourrez-vous le vérifier et, le cas échéant, corriger la situation ?

Mme Annabelle Cazes. C’est une valeur ajoutée que nous apportons au traitement des programmes. À Bordeaux, où nous nous sommes concentrés dans une première phase sur la valorisation du patrimoine, le PIA représente une valeur ajoutée – il s’agit donc bien d’une addition – en termes de contenu.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Lors du lancement des appels d’offres, il n’y a donc pas de coordination entre le plan Campus et le PIA ?

Mme Annabelle Cazes. Il faut espérer qu’elle intervient au niveau de l’université.

M. Michel Bouvard. Nous n’avons pas à nous prononcer sur le projet scientifique de l’université.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une université peut être éligible au plan Campus et non au PIA, ou inversement.

M. Olivier Carré, Président. En théorie, oui, mais, en réalité, il y a convergence.

Mme Annabelle Cazes. Oui, la réalité révèle des points de rencontre, sinon une convergence, ce qui exclut les doublons.

M. Olivier Carré, Président. Je craindrais plutôt l’inverse : un retrait des crédits.

Mme Annabelle Cazes. Ils ne traitent pas la même valeur ajoutée.

M. Michel Bouvard. Globalement, il n’y a ni doublon ni substitution. Nous apportons, outre la logistique pour les équipements qui permettront à l’université de mener à bien ses projets d’enseignement et de recherche, une analyse financière et budgétaire des programmes d’investissement et de la viabilité des projets, dont le contenu scientifique ne dépend pas de nous.

Quand nous avons travaillé en amont, par exemple avec l’université de Strasbourg, les PIA n’étaient pas encore prêts. Il a pu arriver ensuite qu’une université émarge à un programme de recherche : soit elle avait dès l’origine la capacité de le mener à bien, et cet effet d’aubaine lui assure de meilleures conditions financières ; soit, ce qui est plus fréquent, elle n’en disposait pas, et il faut compléter le programme. Quoi qu’il en soit, il s’agit d’une addition, puisque les programmes initiaux ont été construits en fonction des capacités de financement de l’université. Celle-ci avait en main un projet de recherche, les moyens de le mettre en œuvre et des analyses budgétaires des données. Les programmes choisis par l’ANR, qui sont arrivés ensuite, se sont traduits par des ajouts.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR a une double casquette, puisqu’elle définit ses priorités et qu’elle est le principal opérateur des PIA.

Au titre des conventions, quelle somme vous a été affectée pour les universités ?

M. Michel Bouvard. Ce n’est pas à la Caisse, mais directement aux universités que la somme a été affectée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans ce cas, quelle somme avez-vous à ventiler ?

M. Daniel Vitry. Nous n’avons aucune somme à ventiler.

M. Michel Bouvard. Nous gérons les programmes qui ont fait l’objet de conventions avec la Caisse.

M. Olivier Carré, Président. Quelle est votre valeur ajoutée dans la gestion des PIA ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur chaque ligne, sur chaque opération, il y a nécessairement une enveloppe.

Mme Brigitte Gotti, secrétaire générale de la commission de surveillance. S’il n’y a ni addition ni substitution, comme l’a signalé M. Bouvard, il y a cependant des frustrations. C’est ce qui ressort des rencontres que nous faisons régulièrement dans les directions régionales et de la supervision des dossiers par la commission de surveillance. Fin 2007, la Caisse a bâti un plan stratégique, ce qu’elle n’avait pas fait depuis le début des années quatre-vingt. Celui-ci, qui comporte quatre axes prioritaires – université, logement, développement durable et PME –, préexistait au PIA. L’an dernier, six des huit conventions que le commissaire général à l’investissement a confiées à la Caisse sont venues croiser ces quatre priorités...

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur le PIA, la Caisse dispose d’une enveloppe de 6,5 milliards.

Mme Brigitte Gotti. Oui, pour les huit conventions.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Et vous n’avez décaissé que 7,82 millions.

Mme Brigitte Gotti. Cet écart est aisé à comprendre. Les conventions ont fait l’objet d’une concertation entre les services de la Caisse et ceux du Commissariat général à l’investissement. Elles sont revenues plusieurs fois devant la commission de surveillance avant d’être validées. Il y a deux semaines, la commission s’est aperçue que deux d’entre elles étaient encore stériles. Pour le numérique, il a fallu créer un fonds d’investissement stratégique, afin de débloquer quatre fois 100 millions d’euros. Pour les plates-formes d’innovation, une convention justifiait un amendement qui nous a été présenté il y a deux semaines.

Depuis 2007, les équipes de la Caisse travaillaient en vue des quatre priorités du plan stratégique, mais les nouvelles actions qui nous ont été confiées obéissent à un autre tempo. Le commissaire général à l’investissement vous a sans doute expliqué de quelle manière il constituait des jurys internationaux pour certains appels d’offres, ou comment il lançait des appels à manifestation d’intérêt pour certaines conventions. Cela suscite, Internet aidant, des milliers de réponses dont le traitement prend du temps, provoquant des frustrations. En région, on nous reproche de ne rien faire pour conforter les structures existantes. Dans les zones dotées d’universités importantes ou de pôles de compétitivité, le PIA ne change pas la donne puisque les jurys retiennent les dossiers, qui sont excellents, mais on peut craindre pour la Caisse et ses interlocuteurs que des projets qui n’auront pas été jugés prioritaires, du fait du filtre imposé par le commissaire général, se retrouvent sans moyens. Les équipes de la Caisse devront alors faire preuve d’imagination pour reprendre le leadership. Mais, pour l’heure, notre priorité est l’investissement, et non la subvention ni l’ingénierie.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous travaillons non sur les choix stratégiques de la Caisse, que nous comprenons parfaitement, mais sur l’agencement du PIA. Quel jugement la Caisse, qui est un des principaux opérateurs, porte-t-elle sur le fonctionnement de ce programme, sur le rythme de consommation des crédits et sur la gouvernance ? Le PIA entre-t-il en cohérence avec les choix stratégiques qu’elle a faits par ailleurs ?

M. Michel Bouvard. Tout dépend de l’autonomie dont nous disposons. Nous gérons la totalité des 50 millions de France-brevets, qui ont été engagés. Mais, si nous avons les mains libres pour ce dossier, il n’en va pas de même pour le numérique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sur 266 millions d’euros consommables, seulement 7 820 000 ont été décaissés. Pour comprendre cette différence, peut-on savoir programme par programme quelles difficultés que vous avez rencontrées ?

M. Olivier Carré, Président. Monsieur le rapporteur, je vous rappelle que les dispositions relatives au PIA n’ont été votées, dans la loi de finances rectificative, qu’en janvier 2010.

M. Daniel Vitry. La question du rapporteur est néanmoins légitime et les universités se la posent aussi. Mais les différentes opérations – plan Campus, Idex, PIA, plan numérique –, qui n’ont pas été décidées à la même époque, se déroulent selon des tempos différents.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous êtes opérateur pour le PIA.

M. Michel Bouvard. Oui, c’est-à-dire sur huit programmes, mais pas pour le reste – par exemple pour les Idex, qui dépendent de l’ANR.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’ai sous les yeux la liste des opérateurs, ainsi que les montants correspondants. Sur les PIA, où en sont les appels d’offres ? Quelle part des crédits consommables pensez-vous décaisser dans les mois qui viennent ?

M. Michel Bouvard. Le directeur général a annoncé à la commission de surveillance que, d’ici à la fin de l’année, seraient engagés un quart des crédits sur la totalité des enveloppes gérées par la Caisse, c’est-à-dire sur les huit conventions qui nous sont confiées, déduction faite des dépenses relatives au très haut débit pour lequel les derniers avenants ne datent que d’une quinzaine de jours.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous engager le quart des sommes pour les programmes relatifs à la recherche et à l’enseignement supérieur ?

M. Michel Bouvard. Oui, pour la part que nous gérons, mais ce sont l’université et l’ANR qui choisissent les Idex.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Quelle somme aurez-vous à gérer au titre des PIA pour l’enseignement supérieur et la recherche ?

M. Michel Bouvard. Nous gérons les huit programmes qui nous sont confiés, lesquels représentent 8 milliards, et, pour l’enseignement supérieur, quelques centaines de millions. Reste à savoir quelle sera la part des universités dans les Investissements dédiés au numérique – qui comprennent aussi des Investissements généraux menés avec les collectivités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En tant que président du conseil de surveillance et membre de la commission des Finances, quel jugement portez-vous sur le contrôle parlementaire des crédits extrabudgétaires ?

M. Michel Bouvard. La MILOLF l’a mis en évidence : le Parlement doit avoir une vision consolidée pour être à même de contrôler l’efficacité de la dépense et d’assurer la transparence budgétaire. À ce dernier égard, la LOLF est conçue pour nous permettre d’évaluer une politique à coûts complets, ce qui suppose de disposer, en additionnant les différents programmes budgétaires, d’une vision consolidée de la dépense publique dans un secteur.

Or, en matière de recherche et d’enseignement supérieur, il y a d’abord des crédits budgétaires, figurant dans la mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur (MIRES). Il y a ensuite le PIA, qui passe par une « poche » spécifique comprenant des Investissements et du fonctionnement, et qui n’est pas consolidée dans les documents budgétaires. Nous n’aurons donc aucune vision consolidée de ce programme quand nous discuterons du projet de loi de finances et du projet de loi de règlement. Troisièmement, pour financer le plan Campus, des titres d’EDF ont été répartis entre les universités. Or le coût budgétaire de l’opération, qui s’impute non sur la MIRES mais sur le compte d’affectation spéciale des participations de l’État, n’est pas totalement connu, puisqu’on en ignore la rémunération – la première rémunération a certes été fixée, à 4,03 %, mais le problème du décalage n’a pas été réglé : la première année, le Trésor a utilisé les fonds sans reverser l’argent aux universités, qui le revendiquent. Résultat : bien qu’en juin dernier, la MILOLF ait souhaité disposer d’une vision consolidée, celle-ci continue de faire défaut, même dans l’annexe budgétaire jaune.

Il est essentiel que nous ayons ces chiffres, ce qui suppose qu’on nous fournisse au moins un document de politique transversale (DPT) assurant la consolidation. D’autre part, en vue des rendez-vous budgétaires avec le ministre, nous devons disposer d’une approche consolidée tant des dépenses de fonctionnement que des affectations d’investissement. Reste le problème des immobilisations, sur lesquelles la Cour des comptes nous éclairera peut-être. Dans la certification des comptes de l’État par exemple, comment les sommes investies dans une SATT ou dans de l’immobilier universitaire seront-elles valorisées ? Prendra-t-on en compte des recettes sous forme de loyers ?

M. Olivier Carré, Président. Ces sommes ne sortent pas du budget.

M. Michel Bouvard. Certes, mais elles sont dans l’actif patrimonial de l’État. Il nous faudrait deux lectures : l’une, budgétaire, en crédits, recettes et dépenses, avec la ventilation entre investissement et fonctionnement ; l’autre en termes d’actifs durables de l’État et de rentabilité de ces actifs, rapportée à celle d’une dépense budgétaire ordinaire. On saurait alors si l’opération aura le même coût qu’un emprunt ou s’il y aura eu valeur ajoutée, c’est-à-dire accroissement de l’actif patrimonial de l’État. Je n’ai pas de réponse à cette question que ne manquera pas de nous poser la commission des Finances.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La question, qui est récurrente, porte sur la jonction entre la comptabilité budgétaire et sa contrepartie, éventuellement dans le compte de résultats mais essentiellement dans le compte de bilan, en comptabilité générale. Il serait bon qu’elle figure au programme de la Cour des comptes pour les prochaines années en matière de certification, car la comptabilisation et l’articulation du grand emprunt et du plan Campus posent problème. En la matière, la mission d’assistance de la Cour des comptes, qui la conduit à participer à nos travaux, contribue aussi bien à les enrichir qu’à compléter l’information de la Cour.

Nous continuons de nous heurter à l’absence d’un tableau qui permettrait de comprendre les responsabilités de chacun. La Caisse intervient en tant qu’opérateur dans les conventions, au sein desquels il faudrait isoler, pour autant qu’on le puisse, la partie recherche et l’enseignement supérieur. Elle intervient aussi en tant qu’investisseur direct, sur ses fonds propres, en autofinancement, principalement dans les opérations Campus. Elle intervient enfin en tant que conseil dans les Idex ou les Labex. En somme, elle a trois casquettes.

M. Michel Bouvard. Allons jusqu’à quatre. La Caisse est opérateur des PIA. Elle est investisseur en direct, sur ses ressources propres, soit seule dans l’immobilier universitaire – au travers des SCI qui seront constituées –, soit en partenariat pour ce qui est des SATT. Elle est conseil en ingénierie. Elle est enfin prêteur sur l’enveloppe du milliard des fonds d’épargne.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il serait intéressant de disposer d’un récapitulatif, qui préciserait le niveau de participation de la Caisse pour la recherche et l’université, ainsi que ses modalités.

M. Michel Bouvard. Nous pouvons fournir ces chiffres, mais il faut distinguer deux logiques. La première est budgétaire : nous gérons des fonds pour le compte de l’État et, dès lors que nous sommes dans une perspective d’investissement, il faut valoriser les sommes engagées, afin de créer des ressources ou du progrès économique, conformément au principe du PIA. La seconde logique est d’argent. La loi nous impose de dépenser chaque année, avec une rentabilité attendue, une partie de nos enveloppes pour des missions d’intérêt général. Dès lors que nous investissons dans de l’immobilier universitaire, nous attendons un retour – du moins un retour « moyen » car nous n’avons pas les mêmes attentes que les gens du BTP, ce qui explique que les projets menés en partenariat public-public soient plus intéressants que les leurs.

Par ailleurs, nous devons veiller à ce qu’il n’y ait pas de poche de débudgétisation, c’est-à-dire à ce que la Caisse ne se substitue pas à l’État pour effectuer une dépense qu’il pourrait assumer. C’est le souci permanent de la commission de surveillance, qui vérifie notamment qu’on rémunère comme il convient le travail des équipes chargées de mettre en œuvre les conventions. La Caisse n’a pas à verser des subventions déguisées. En d’autres termes, si elle dépense de l’argent pour l’université, qu’elle le gère pour le compte de l’État ou qu’il s’agisse de ses fonds, il doit produire un résultat.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans ce cas, il faut ajouter une colonne où figurerait le paiement par les universités des prestations fournies par la Caisse hors investissement.

M. Michel Bouvard. Nos Investissements dans les missions d’intérêt général, notamment les 30 millions correspondant à l’ingénierie, sont des Investissements à fonds perdus, mais la Caisse escompte des retombées indirectes de l’effort qu’elle consent pour bien maîtriser le modèle universitaire. D’abord, dès lors qu’elle attend des retours de ses Investissements patrimoniaux dans les SCI, il est logique qu’elle étudie les projets, comme le ferait n’importe laquelle de ses filiales. Ensuite, l’investissement intellectuel que réclame le travail avec les universités lui sera utile, s’agissant de France-brevets ou des SATT, pour mettre au point les bonnes pratiques et pour sélectionner les techniques de valorisation des brevets, afin de vendre des licences et de percevoir un retour financier. En somme, par cet investissement intellectuel, elle s’approprie de la connaissance universitaire.

M. Olivier Carré, Président. Les rapporteurs souhaitent que vous leur transmettiez par écrit l’état des engagements et des décaissements pour la recherche et l’enseignement supérieur. On pourrait imaginer un tableau avec plusieurs colonnes – plan Campus, PIA, autres missions –, avec des sous-colonnes pour les éléments de fonds propres, de transformation et d’investissement alimentés par les PIA. Les lignes indiqueraient le montant de chaque action. Il conviendrait également de mentionner les difficultés, les délais et les retards éventuels. Nous attendons aussi vos suggestions pour améliorer les procédures.

Peut-être n’a-t-on pas assez dit que la Caisse est au centre de toute la chaîne de valorisation économique des résultats de la recherche. Dès lors qu’elle gère les fonds de brevets et d’amorçage et qu’elle intervient dans les fonds stratégiques d’investissement, qui permettent des transferts de technologie, elle agit comme une courroie de transmission entre les grands groupes et les chercheurs qu’elle aide à développer leurs projets. Peut-on établir un organigramme de cette valorisation ? Pour l’instant, on voit les pièces du puzzle, mais non son architecture générale, ce qui est fort dommage car il conviendrait que tous puissent pleinement mesurer ce que fait la Caisse au service de l’intérêt général.

M. Michel Bouvard. Nous vous laissons le document qui a été présenté à la commission de surveillance et qui montre clairement l’articulation des différentes interventions de la Caisse dans tous les maillons de la chaîne recherche, enseignement supérieur, valorisation.

Pour les enveloppes du PIA concernant la recherche et l’enseignement supérieur, les chiffres transmis au rapporteur sont clairs. Pour les SATT, l’appel à projets est en cours, de même que pour les pôles de compétitivité. Quand la réponse sera connue viendra le temps de la notification à la Commission européenne. Pour la formation professionnelle, un premier appel à projets, qui remonte à novembre 2010, aboutira cette année. Pour France-brevets, 20 millions d’euros sur 50 ont été engagés, et nous avons décaissé un million en acquisition de brevets. Par ailleurs, le Fonds national d’amorçage, doté de 400 millions, est maintenant en place, après que les conventions ont été complétées. Sur ces différents points, nous ne pouvons pas apporter de nouveaux éléments chiffrés, les procédures étant en cours.

M. Olivier Carré, Président. Le document constitue donc davantage une approche méthodologique.

M. Michel Bouvard. Pour ce qui est de la MILOLF, je vous renvoie au rapport de 2010, que les travaux de la MEC ne pourront qu’enrichir.

M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie.

Audition du 8 juin 2011

À 17 heures 15: Audition, ouverte à la presse, de Mme Jacqueline Lecourtier, directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR), accompagnée de Mme Martine Latare, directrice générale adjointe, et de M. Jean-François Baumard, responsable du département « Investissements d'avenir », sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’Enseignement supérieur, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Mesdames et monsieur, nous avons le plaisir de vous recevoir dans le cadre des travaux de la Mission d’évaluation et de contrôle concernant les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’université.

Au cours de ces dernières années, des montants très importants ont convergé vers le monde de la recherche et de l’université, à travers le plan Campus, en 2007, et, plus récemment, en 2010, le plan d’Investissements d’avenir. Chacun de ces plans a mis en avant certaines orientations. L’opérateur principal des Investissements d’avenir est l’ANR : c’est vers elle que converge la gestion de 19 des 35 milliards d'euros des fonds réservés à ces Investissements.

Nous nous intéressons à la méthodologie de l’affectation de ceux-ci. Nous savons aussi qu’il existe des retards, mais également que des délais de mise en œuvre peuvent être nécessaires. Par ailleurs, nous craignons que l’affectation de crédits extrabudgétaires ne se traduise par une diminution des crédits budgétaires, autrement dit que des effets de substitution viennent grever l’ambition initiale. La volonté du Parlement est au contraire que cette affectation de crédits extrabudgétaires conduise à des abondements de crédits pour la recherche et l’université françaises.

Mesdames et monsieur, je vous rappelle aussi que, conformément à ses usages, la MEC est assistée dans ses travaux par la Cour des comptes, en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR joue, en tant qu’opérateur, un rôle central dans la gestion des crédits relatifs aux Investissements d’avenir. Comment est organisée la cohérence entre la gestion de ces crédits – qui nous paraît un peu compliquée – et la stratégie propre de l’ANR de choix des projets et de lancement des appels d’offres, c’est-à-dire de financement de la recherche, y compris pour ce qu’on appelle les « programmes blancs » ?

Pouvez-vous nous présenter la ventilation des crédits entre les programmes d’Investissements d’avenir sélectionnés par les jurys internationaux ?

Pouvez-vous également nous confirmer que, si vous avez facilité la mise en place de ces jurys, vous n’avez pas été partie prenante dans les choix qu’ils ont opérés ?

Mme Jacqueline Lecourtier, directrice générale de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Les cinq années d’expérience de l’ANR ont été vraiment utiles à son efficacité opérationnelle. Nous avons appris à travailler avec les grandes agences internationales, à lancer des appels d’offres, à constituer des jurys et à ne pas tomber dans un certain nombre de chausse-trapes.

Il était donc cohérent d’utiliser la compétence ainsi acquise pour la gestion des crédits, aux montants élevés, destinés aux Investissements d’avenir. Nous avons eu tout de suite conscience de la responsabilité qui nous était confiée : la sélection devait être pertinente, le processus devait être aussi efficace que possible, et l’ensemble devait être accepté par ceux qui allaient s’investir dans la sélection des dossiers.

Les Investissements d’avenir et ceux de l’ANR ne relèvent absolument pas de la même granulométrie. Les projets financés par l’ANR sont de taille modeste ; ils sont aussi destinés à alimenter des équipes de recherche. Certes, l’ANR a financé des projets structurants mobilisant plus d’un million d’euros d’aide ; en moyenne, cependant, les aides de l’ANR sont de 400 000 euros pour un projet académique et de 800 000 euros pour un projet en partenariat.

En revanche, les approches sont complémentaires. Nous avons retrouvé dans les projets proposés au titre des Investissements d’avenir des amplifications de projets que nous avions déjà financés – par exemple, en matière de technologie de la santé, domaine dans lequel l’ANR finançait des études sur l’imagerie, les nouveaux matériaux ou encore l’aide au vieillissement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour quelle raison aucun des projets relevant des Investissements d’avenir ne concerne-t-il le cancer ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Le projet IHU cancer – un IHU est un institut hospitalo-universitaire – s’est révélé assez décevant.

M. Olivier Carré, Président. La situation pourrait évoluer, monsieur le Rapporteur.

Mme Jacqueline Lecourtier. À l’ANR, nous sommes très attentifs à la frontière entre nos actions et celles de l’Institut national du cancer. Le cancer est évidemment présent dans les préoccupations des chercheurs qui travaillent sur la technologie de la santé et les techniques d’imagerie. En biologie, la compréhension de certains mécanismes de l’évolution de la cellule et de l’interaction avec les contaminants relève de la science du cancer. Les « Labex » – laboratoires d’excellence – qui se consacrent à la biologie, comme l’Institut Curie, ont bénéficié d’équipements d'excellence – dits « Équipex ».

Nous avons donc assisté à travers les Investissements d’avenir à une amplification de projets qui naissaient à travers les financements de l’ANR : grâce à ces Investissements, des équipes disposent d’équipements qu’autrement elles auraient dû attendre pendant des années. Il n’y a pas d’incohérence entre l’action de l’ANR et les financements du grand emprunt.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le processus de distribution des crédits du grand emprunt, quelle est la valeur ajoutée de l’ANR ?

Mme Jacqueline Lecourtier. L’ANR a assuré la qualité de l’évaluation. Nous avons mis en place des jurys pertinents, et fait en sorte qu’ils fonctionnent. Nous demandons à chacun d’entre eux de rechercher des experts extérieurs ; nous vérifions l’adéquation entre ces experts et les projets ; enfin nous vérifions aussi que les jurys prennent bien en compte l’avis de ces experts et que chacun d’entre eux comporte un rapporteur et un lecteur.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Autrement dit, carte blanche a été donnée à l’ANR pour la composition des jurys – qui sont internationaux – et leur fonctionnement.

Mme Jacqueline Lecourtier. La « carte blanche » vaut surtout pour le fonctionnement. La composition des jurys a été négociée avec le ministère chargé de la recherche et le Commissariat général à l’investissement (CGI), sur la base de propositions que nous avons formulées.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Donc, il vous revient d’organiser les jurys. Ensuite vous dialoguez avec le ministère chargé de la recherche pour trouver les meilleurs intervenants.

Mme Jacqueline Lecourtier. Oui. Le ministère chargé de la recherche et le CGI sont présents au sein du comité de pilotage de nos actions.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Une fois constitué, chaque jury est souverain ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Oui.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Aucune décision d’un jury n’a jamais été remise en cause ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Non. M. René Ricol, le commissaire général à l’investissement a exprimé une volonté très forte de respecter les décisions des jurys.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La structure de gouvernance n’est-elle pas trop lourde ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Elle est adaptée à l’enjeu. Dans la mesure où les Investissements d’avenir auront un impact fort sur les orientations de la recherche, il est logique que le ministère chargé de la recherche et le CGI souhaitent comprendre les raisons des choix.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le système de jurys indépendants permet-il le respect des priorités exprimées par l’État pour les Investissements d’avenir ? Certaines d’entre elles ne risquent-elles pas d’être négligées ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Les priorités de l’État ont été exprimées dans le rapport de MM. Alain Juppé et Michel Rocard. Les biotechnologies, les instituts d'excellence énergies décarbonées (IEED), les IHU correspondent à des choix forts. Les appels à projet fondés sur le grand emprunt n’ont pas été définis par l’ANR mais lancés à partir du rapport Juppé-Rocard.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Y a-t-il une différence pour ce qui est de l’examen des projets relevant du grand emprunt et de ceux que vous choisissez d’aider ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Pour les projets qui ne relèvent pas du grand emprunt, c’est l’ANR qui choisit ; bien sûr, elle rend compte à ses tutelles et à son conseil d’administration, qui valident ses choix. En revanche, nous sommes seulement l’opérateur des projets relevant du grand emprunt.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. En aval, en revanche, vous travaillez de la même façon ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Oui, notre procédure de sélection est la même.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le grand emprunt a-t-il eu des conséquences sur l’enveloppe financière accordée à l’ANR ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Non, même si l’ANR a vu son budget diminuer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. À la commission des Finances, nous suivons de près les crédits du grand emprunt qui transitent par l’ANR.

Mme Jacqueline Lecourtier. Cette année, notre budget – de 800 millions d'euros environ en 2010 – a diminué de 90 millions d'euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels ont été les montants décaissés depuis la mise en place du grand emprunt ? Quels sont ceux qui auront été décaissés à la fin de l’année 2011 ?

Mme Martine Latare, directrice générale adjointe de l'Agence nationale de la recherche (ANR). À l’heure actuelle, les décaissements au profit des porteurs de projets se sont limités aux instituts Carnot, pour un montant de 7 millions d'euros en 2010 et au début de 2011. Les suppléments de crédits pour les instituts Carnot existants ont été traités comme des compléments de l’abondement déjà versé par l’ANR. La mise en œuvre était donc rapide.

Pour les autres actions, le processus est plus long ; il faut d’abord que la sélection ait eu lieu.

Nous pensons que fin 2011, nous aurons terminé le conventionnement de la première vague des appels à projets – équipements d’excellence (« Équipex ») et laboratoires d’excellence (« Labex ») – et procédé à leur profit au versement d’une première tranche de crédits. La seule exception concerne les initiatives d’excellence – « Idex » – pour lesquelles il faudra sans doute un peu plus de temps

Le décaissement s’opère sur dix ans, en conformité avec la durée des conventions. Fin 2011, nous aurons donc décaissé 10 % des crédits, soit entre 500 millions et 1 milliard d'euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quels auront été les montants engagés ?

Mme Martine Latare. Fin 2011, sur décision du Premier ministre, la totalité de la vague 1 aura dû être engagée. Cela représente les deux tiers de l’ensemble qui nous est confié, pour un montant de 6 ou 7 milliards d'euros.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour traiter les Investissements d’avenir, vous avez sans doute été obligés d’accroître les ressources humaines de l’ANR ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Trente postes supplémentaires nous ont été accordés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Combien en aviez-vous demandé ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous avions souhaité en obtenir 45.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ces 30 postes vous suffisent-ils pour travailler ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous avons réussi à achever la phase de rédaction des appels à projets, de mise en place de ceux-ci et de sélection. La phase de conventionnement, qui constitue notre travail d’aujourd’hui, s’avère très complexe et difficile. Nous espérons cependant faire face.

À ce jour, nous avons tenu les calendriers, fixés en juin et juillet 2010.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel dispositif d’évaluation des Investissements d’avenir a-t-il été élaboré ? Ces Investissements seront-ils évalués par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Le dispositif d’évaluation n’est pas encore défini dans le détail. Le suivi sera comparable à celui des projets financés par l’ANR. Dès le démarrage des projets, des réunions seront organisées pour vérifier que tout est bien en place. Une vérification de suivi sera opérée tous les ans. Un rapport final sera ensuite élaboré.

À ce dispositif standard s’ajouteront des indicateurs, élaborés en liaison avec le CGI. Ils vont nous permettre de suivre l’état d’avancement des projets et des différents programmes. Nous mettons aujourd’hui en place une plate-forme commune au Commissariat général à l’investissement et au ministère chargé de la recherche pour les suivre.

Nous avons également prévu des réunions et des rendez-vous réguliers. Fixé en principe tous les deux ans, leur espacement sera modulable – de un à trois ans – selon les types de projets. Ces rendez-vous seront menés en commun avec les comités d’évaluation. Les présidents de ceux-ci sont d’accord pour participer au suivi des IHU et à celui des instituts de recherche technologique (IRT) et pour réunir les porteurs de projets, les interroger, et vérifier régulièrement l’avancée de leurs actions.

L’impact enfin est sans doute l’élément le plus difficile à mesurer. Nous avons fait appel à un consultant. Dans un premier rapport, celui-ci a proposé plusieurs indicateurs : scientifiques, économiques, emploi des jeunes…

M. Olivier Carré, Président, et M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel est le nom de ce consultant ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Il s’agit de Dual Conseil.

Nous sommes aujourd’hui encore dans une phase de réflexion et d’ajustement. Nous nous sommes engagés à mettre en place des indicateurs précis.

Il est certain que l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur interviendra dans l’évaluation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ses conditions d’intervention ne sont pas encore arrêtées ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Non. La mise en place du dispositif, la rédaction des appels à projets, leur lancement, l’accompagnement des porteurs a représenté un travail très dense. Ce n’est que depuis deux ou trois mois que nous réfléchissons au suivi, au bilan et aux évaluations.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il serait intéressant pour la Mission d’avoir connaissance des indicateurs.

M. Olivier Carré, Président. Absolument.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avez-vous constaté, dans les premières décisions prises, des déséquilibres territoriaux ? Ce point nous a été signalé.

Mme Jacqueline Lecourtier. Non. Les cartographies des engagements du grand emprunt et des dotations de l’ANR sont cohérentes. Nous vous les communiquerons.

M. Olivier Carré, Président. Madame la directrice générale, considérez-vous que l’annonce du programme d’Investissements d'avenir a provoqué un élan ?

Vous qui faites partie du monde de la recherche, avez-vous perçu ce dynamisme qui surprend les non initiés, y compris au sein du comité de surveillance de ce programme auquel j’ai le plaisir de participer ? Ceux-ci ont été surpris à la fois de la maturité et de l’ampleur des projets.

Mme Jacqueline Lecourtier. L’énergie de la mobilisation, dans toutes les régions, pour nous proposer des projets nous a satisfaits – mais pas surpris.

M. Jean-François Baumard, responsable du département « Investissements d'avenir » à l'Agence nationale de la recherche (ANR). Nous avons tout de même été relativement surpris de recevoir des réponses aussi nombreuses aux appels à propositions, alors que, même s’il avait été annoncé à l’avance, l’exercice devait être conduit en temps très limité. Les porteurs ont réussi à réunir autour d’eux des partenaires et à proposer des programmes cohérents. Les comptes rendus établis par les présidents des jurys internationaux ont tous souligné la qualité des projets présentés.

Ayant été moi-même chercheur, je peux affirmer qu’il y a peu d’opportunités pour monter des projets à horizon de dix ans. L’initiative des Investissements d'avenir a permis de dépasser le cadre habituel de projets au financement moindre et sur une durée plus limitée pour lancer des projets d’envergure, voire, dans certains cas, prendre des paris.

L’enjeu bien sûr est à la hauteur des paris. Mais l’évaluation doit être laissée à l’appréciation du jury. Il reste qu’il est intéressant pour la science française de pouvoir monter des projets sur une telle durée.

M. Olivier Carré, Président. Le montage financier, tel qu’il est prévu, peut-il satisfaire les besoins dans la durée ?

M. Jean-François Baumard. Nous allons devoir imaginer un processus de suivi suffisamment efficace des projets.

Dans un premier temps, il va nous falloir nous assurer de leur démarrage effectif, sur les bases prévues.

Ensuite, au bout de quatre ans par exemple, il faudra réaliser une évaluation pour essayer de mesurer le chemin parcouru par rapport aux objectifs. Cette évaluation est prévue dans l’agenda des « Idex », voire des « Labex ».

M. Alain Claeys, Rapporteur. Bref, un rendez-vous sera nécessaire.

M. Jean-François Baumard. Pour la plupart des projets, un tel rendez-vous est fixé à horizon de quatre ans environ.

M. Olivier Carré, Président. La loi me paraît prévoir de tels rendez-vous.

Lorsque pari il y a, jusqu’où va-t-il ? Existe-t-il des projets où, comme sur certains campus nord-américains, une équipe est montée dans une logique de rupture pour travailler sur des projets dont nul ne sait s’ils aboutiront à des découvertes majeures ou éventuellement à rien ?

M. Jean-François Baumard. L’un des critères permanents d’appréciation des projets a été la plus-value apportée au regard des activités traditionnelles des partenaires qui le présentent.

Comme pour tous les projets scientifiques, l’appréciation de la dimension du pari au regard de la faisabilité du projet est laissée à l’appréciation du jury.

Mme Jacqueline Lecourtier. Eu égard au volume des financements, les projets auxquels nous avons affaire sont plutôt des projets qui capitalisent sur des émergences et des ruptures qui ont déjà fait l’objet de travaux d’approche. Certes, le pari est toujours présent : les travaux d’approche ne garantissent pas forcément un aboutissement. Il reste que le grand emprunt ne finance normalement pas de projets construits sur une rupture ex nihilo. Il y a toujours eu des premières étapes, financées par l’ANR ou d’autres institutions. Pour autant, le caractère innovant des projets a beaucoup compté dans les choix des jurys.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En matière de recherche, il n’y a jamais de rupture…

Mme Jacqueline Lecourtier. Si ! Par exemple, le travail sur les cyanobactéries pour capturer le CO2 en est une.

Cela dit, si nous sommes sûrs que les projets financés par le grand emprunt produiront de l’innovation, il n’est pas possible, eu égard aux financements qu’ils nécessitent et aux dimensions des équipes qui les conduisent, de les faire partir d’une feuille blanche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelles informations pouvez-vous nous fournir sur les cofinancements de ces projets ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Les IHU, les IRT et les IEED disposent de cofinancements industriels solides et planifiés.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La Mission pourrait-elle disposer d’un état des cofinancements privés ou provenant des collectivités territoriales ? Il nous serait utile pour analyser l’effet de levier du grand emprunt.

Mme Jacqueline Lecourtier. Nous pouvons fournir cet état, par appel à projets. Les cofinancements apparaissent déjà dans les propositions. Cependant, dans la mesure où celles-ci vont être remodelées, ce sont les conventionnements qui permettront de disposer des données précises. Nous pourrons donc vous fournir celles-ci au mois de septembre.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pas plus tard ! Il nous faut présenter notre rapport.

M. Jean-François Baumard. Les projets en partenariat ont été sélectionnés les derniers. Nous avons donc besoin d’un peu de temps.

Mme Jacqueline Lecourtier. C’est dans la phase de contractualisation que les engagements financiers seront signés. Aujourd’hui, nous ne sommes pas sûrs de l’engagement futur des montants que nous pourrions vous communiquer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment les organismes de recherche vivent-ils le mécanisme du grand emprunt ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Comme M. Jean-François Baumard vous l’a exposé, le grand emprunt a été un puissant accélérateur. Chacun s’est mobilisé pour proposer des projets et trouver des partenaires. Le volume des financements, et donc la dimension des projets, ont conduit à des reconfigurations et des alliances.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Des alliances européennes se sont-elles constituées ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Non. Les alliances se sont nouées exclusivement entre Français.

En revanche, nous constatons que des équipes travaillant séparément par le passé ont monté des projets ensemble. Même si le financement n’a pas été obtenu, cette démarche a été cause de progrès pour chacune d’entre elles. Les conséquences du grand emprunt ont donc été extrêmement positives.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cette dynamique a-t-elle concerné le secteur des sciences du vivant ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Oui, bien sûr.

M. Jean-François Baumard. Les premiers projets de laboratoires d’excellence ont provoqué beaucoup de regroupements d’équipe par site. On a vu des équipes s’associer à de grands organismes sur le même site. Il y a aussi eu des regroupements plus vastes, en réseau.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour monter leurs projets, les équipes ont-elles fait appel à des bureaux d’études ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Personne ne nous l’a avoué. Nous détectons cependant ce recours à la façon dont certains projets sont rédigés ; il ne constitue pas forcément un élément positif, et nous n’en connaissons pas l’ampleur.

M. Olivier Carré, Président. Le système mis en place oblige-t-il l’ANR à reconsidérer sa stratégie d’investissement en matière de recherche ? Les laboratoires qui ont obtenu de solides financements par le biais de la procédure du grand emprunt n’ont plus forcément besoin de faire appel à elle, et en tout cas pas dans la même proportion qu’avant le lancement du grand emprunt. Cela vous amène-t-il à vous redéployer différemment ? Vous recentrez-vous sur des programmes émergents ?

Mme Jacqueline Lecourtier. Les laboratoires qui ont obtenu un « équipement d’excellence » veulent le faire tourner. Dès lors, celui-ci est un facteur de développement de leurs travaux, et donc de demandes de financement. Pour moi, l’impact du grand emprunt sur l’ANR ne sera pas considérable.

Par ailleurs, si les crédits versés à certaines structures ne sont pas négligeables, l’exemple des IRT montre que l’impact du grand emprunt sur la recherche technologique est bien inférieur à celui de l’ANR.

L’ANR reste le financeur de problématiques émergentes et de projets de petite dimension qui permettent aux équipes de mener leurs actions. Pour moi, les financements de l’ANR et du grand emprunt sont complémentaires. Nous n’avons constaté aucune diminution de la demande de nos crédits cette année.

M. Olivier Carré, Président. Pourriez-vous décrire à la Mission les circuits de financement des Investissements d’avenir ? Quels dispositifs ont été mis en place pour permettre le contrôle budgétaire et la transparence des flux ?

Mme Martine Latare. Les montants sont de 22 milliards d'euros, 19 au titre des programmes budgétaires relevant du grand emprunt et 3 issus de la privatisation d’EDF. Versés à l’ANR en 2010, ils figurent donc sur des comptes détenus par elle. Ils se répartissent entre dotations consommables et non consommables.

Une fois les porteurs de projets sélectionnés, nous avons pour mission de conclure avec eux des conventions. Nous leur versons la totalité de la dotation consommable. Ainsi, pour les « Équipex », la dotation consommable sera destinée à l’achat et à la mise en œuvre de l’équipement lui-même.

Les dotations non consommables, quant à elles, portent intérêt. Elles ont vocation à rester gérées par l’ANR. Seuls les intérêts seront versés aux porteurs de projets. La seule exception concerne les initiatives d’excellence – « Idex ». Il est prévu qu’après une phase transitoire de quatre ans et une évaluation à mi-parcours des projets, la dotation non consommable leur sera transférée. Elle restera cependant non consommable et aura vocation à financer par ses produits l’institution à laquelle elle sera consacrée.

Pour toutes les autres actions, nous verserons en dotation annuelle les intérêts qui seront produits par la dotation non consommable.

Pour l’ensemble des actions, nous disposons donc d’une dotation consommable qui va financer, au départ des projets, les équipements – pour les « Équipex » – ou leur démarrage – pour les « Labex ». Ensuite, les intérêts annuels issus de la dotation non consommable qui nous seront versés vont permettre de financer le fonctionnement du projet pendant un peu moins de dix ans, la fin de la période étant consacrée à la conclusion et au bilan final du projet, avant le versement du solde.

Ces fonds sont gérés sous forme de comptes de tiers. L’ANR joue un rôle de banque pour le compte de l’État sur la base d’un mandat. Autrement dit, si ces fonds figurent au bilan de l’ANR, ils ne font pas partie de ses crédits budgétaires, et ne relèvent donc pas de son budget.

M. Olivier Carré, Président. Mesdames et monsieur, merci beaucoup.

Audition du 8 juin 2011

À 18 heures 15 : M. Louis Vogel, président de l'université Panthéon-Assas, président de la Conférence des présidents d'université (CPU), accompagné de M. Michel Dellacasagrande, consultant auprès de la CPU

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Les auditions que nous avons engagées visent à déterminer la façon dont sont perçus les différents plans, assez massifs, qui ont été consacrés ces dernières années à la réorganisation de la recherche et de l’université. Comme nous nous heurtons à un certain nombre de difficultés d’ordre méthodologique, nous souhaitons connaître votre approche des problèmes qui se posent – les universités se sentent-elles emportées par un élan, déçues par des frustrations, bousculées dans leurs habitudes ? – afin d’obtenir une vision complète et consolidée des flux qui se mettent en place.

MM. Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, rapporteurs de cette mission sur les financements extrabudgétaires de la recherche, veilleront en particulier à vérifier que ces enveloppes budgétaires ne se substituent pas aux crédits antérieurs mais s’y ajoutent. Notre volonté politique, de ce point de vue-là, est sans faille.

Je précise, enfin, que nous sommes assistés par M. Jacques Tournier, conseiller-maître à la Cour des comptes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il me semble important de distinguer le plan Campus du programme des Investissements d’avenir (PIA).

Sur le premier point, je me montrerai un peu provocateur en vous posant une question simple : que faites-vous ? Vous avez voulu l’autonomie, vous l’avez eue, et l’on a l’impression que le plan Campus est en panne ou sa mise en œuvre trop lente. Les universités sont-elles responsables d’une telle situation ? Existe-t-il des blocages ? Est-il difficile de monter des projets ?

Je note, de plus, que la mise en place des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (les PRES) est parfois difficile pour des raisons juridiques – le législateur, il faut le reconnaître, ne s’étant pas montré très précis. En revanche, un effort juridique a été accompli afin de pouvoir nouer des partenariats public-public ou public-privé (PPP).

Les universités, de surcroît, ont-elles du mal à maîtriser leurs nouvelles missions comptables et financières ?

Après avoir entendu des représentants de l’État et de la Caisse des dépôts, votre analyse nous semble donc très importante, même si nous savons fort bien que les universités ne sont pas homogènes et qu’il existe des différences considérables entre elles.

M. Louis Vogel, président de l'université Panthéon-Assas, président de la Conférence des présidents d'université (CPU). Le plan Campus a été mis en place au début de 2008. En février 2009, dix opérations avaient été sélectionnées, six l’ont été à la fin du mois de mai, auxquelles quatre autres se sont ajoutées, Lille et Nancy constituant deux cas particuliers de rattrapage financier. Au total, nous dénombrons donc une petite vingtaine de campus dans notre pays.

L’application du plan n’a pas vraiment pris de retard car il n’était pas possible de procéder plus rapidement. Certes, il y a eu des discussions pour les entités qui n’avaient pas la forme d’un établissement public – ce qui est le cas à Paris –, mais il n’en demeure pas moins que la mise en œuvre des PPP nécessite au moins deux ans tant les parties prenantes – dont les collectivités locales – sont nombreuses. C’est donc la structure juridique choisie qui explique pareille situation. Sans doute aurait-il été possible de procéder autrement en allouant directement les crédits aux universités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les PRES sont-ils satisfaisants pour ce type d’opération ?

M. Louis Vogel. Même s’il s’agit là d’un problème à part entière qui n’intéresse peut-être pas spécifiquement le plan Campus, on peut dire qu’indépendamment de leur statut juridique, il y a PRES et PRES.

Par ailleurs, même si l’autonomie leur a permis de réaliser de nombreux progrès en la matière, les universités n’étaient pas prêtes à assurer des missions comptables.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Qu’en est-il des recrutements ?

M. Louis Vogel. Des problèmes continuent de se poser puisque nous ne disposons pas, en interne, des personnels – je songe aux contrôleurs de gestion, par exemple – disposant des compétences pour gérer une université autonome.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Un vrai problème de recrutement se pose donc, le vivier des fonctionnaires destinés à prendre le poste de secrétaire général des universités n’étant pas très fourni.

M. Louis Vogel. En effet, c’est pourquoi nous sommes contraints de chercher des personnels à l’extérieur mais ils coûtent assez chers dès lors que l’on souhaite recruter des fonctionnaires expérimentés. J’y insiste cependant : nous avons fait des progrès et nous sommes dans la bonne direction grâce à la mise en place du Système d’information financier, analytique et comptable (SIFAC) qu’a développé l’Agence de mutualisation des universités et établissements (AMUE).

M. Michel Dellacasagrande, consultant auprès de la CPU. La moitié des universités utilise ce système, et ce sera à terme le cas de la quasi-totalité d’entre elles. Les universités sont en train d’entrer dans la comptabilité analytique.

M. Louis Vogel. Une telle évolution est d’autant plus importante que l’autonomie nous incite à user de ce système puisqu’il nous est nécessaire : nous voulons connaître le coût des formations et nous savons que si nous souhaitons en créer de nouvelles, nous devrons en fermer d’autres. Nous sommes donc entrés dans cette nouvelle logique.

Autre élément qui nous aide beaucoup à progresser et à rationaliser notre fonctionnement interne : la certification des comptes par un commissaire aux comptes.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Avez-vous songé à recruter des fonctionnaires de Bercy ou parmi les anciens secrétaires généraux de ministères ?

M. Michel Dellacasagrande. La plupart des directeurs financiers viennent de Bercy.

M. Louis Vogel. C’est en effet l’un des lieux de recrutement possible.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Puisque l’on entend dire que les fonctionnaires sont mal payés, ils coûteront moins chers que d’autres !

M. Louis Vogel. Ceux de Bercy sont un peu mieux payés !

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Je plaisantais, mais il est vrai que le ministère de l’Économie et des finances peut vous aider.

M. Michel Dellacasagrande. Il le fait déjà puisqu’une partie des responsables financiers, qui sont souvent agents comptables, en sont issus.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les opérations symboliques qui ont eu lieu
– fusion de l’Université de Strasbourg, importante opération à l’Université de Bordeaux – contribuent-elles à donner un sens à la coopération entre universités ? Le plan Campus a-t-il permis de donner un contenu aux PRES sans que tous les conseils d’administration ne montent au créneau ?

M. Louis Vogel. Les deux domaines sont distincts – ainsi, à Paris 2, avons-nous réalisé notre PRES indépendamment du plan Campus.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Certes, et c’est également le cas de nombreuses universités, mais les PRES, en l’état, n’ont pas beaucoup de réalité.

M. Louis Vogel. Cela dépend desquels.

Le plan Campus concerne au premier chef l’immobilier et, comme tel, constitue un élément important au service de la reconstruction d’une grande université française. Parce que l’un des problèmes qui se pose à Paris, précisément, est l’absence de campus pour les étudiants, il serait intéressant que des Investissements favorisent la construction de logements sur place ainsi que d’espaces piétonniers.

La gouvernance des PRES ne résoudra pas toutes les difficultés car il convient tout d’abord de s’assurer de la cohérence de leur structure. Nous voulons reconstruire de grandes universités globales en faisant retravailler ensemble des universités qui avaient été fragmentées après Mai-68 – d’où le succès de certains PRES en province, notamment à Strasbourg, où une université unique avait été éclatée mais, aussi, à Aix-Marseille ou Bordeaux. À Paris, en raison d’une fragmentation extrême, la reconstruction est beaucoup plus délicate – d’où un plus grand décalage par rapport au reste de la France –, y compris d’un point de vue immobilier puisque certains bâtiments appartiennent à la ville et d’autres à l’État. Les universités partenaires doivent donc faire preuve de cohérence. Au sein du PRES 2-4-6, nous avons ainsi veillé à ce qu’il n’y ait pas de superpositions d’actifs, auxquelles il est très difficile de remédier – cela serait notamment le cas lorsque trois universités, par exemple, disposeraient de trois facultés de médecine et de trois facultés de droit.

De plus, les PRES doivent impérativement attirer les écoles afin que les uns et les autres bénéficient de leurs apports respectifs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ils doivent également attirer les organismes de recherche.

M. Louis Vogel. En effet, et je vais y venir.

Les écoles doivent aussi bénéficier d’un statut particulier parce qu’elles souhaitent conserver plus d’autonomie encore que les universités. Il convient, en outre, de rassembler celles d’entre elles qui ont un lien avec les universités et non de constituer un « portefeuille de marques » qui n’auraient aucun rapport les unes avec les autres. Ainsi avons-nous inclus dans notre PRES les seules écoles susceptibles de réaliser des programmes avec les universités : Écoles de la magistrature, du barreau et des commissaires de police. Nous constatons en effet que les magistrats français – mais cela est également valable pour les autres professions juridiques ou judiciaires – ne parviennent pas à accéder au plus haut niveau des juridictions internationales. Il en est ainsi, autres exemples, des commissaires de police vis-à-vis d’Interpol ou des officiers vis-à-vis des états-majors internationaux. Par rapport à leurs concurrents étrangers, il leur manque un doctorat. Un magistrat entre à l’École de la magistrature avec un master 1 ou 2, y suit sa scolarité avant de partir en juridiction sans avoir le temps de rédiger une thèse.

Nous proposons donc de créer un système de thèses courtes ou professionnelles comme il en existe dans tous les autres pays de manière à ce que ces hauts fonctionnaires puissent les soutenir avant d’aller sur le terrain. Les étudiants de l’École de la magistrature pourraient ainsi commencer leurs travaux avant leurs stages – lesquels seraient raccourcis – et les terminer avant de partir en juridiction. Notre université est prête, en l’occurrence, à créer un laboratoire spécifique car nous sommes intéressés, par exemple, par la sociologie des décisions de justice sur laquelle nous ignorons tout. C’est ainsi que nous parviendrons à construire des PRES solides !

En outre, il convient d’attirer les organismes de recherche grâce aux instituts d’excellence, les Idex : PRES, Idex, même combat !

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je suis d’accord avec vous.

M.  Olivier Carré, Président. C’est en effet cohérent.

M. Louis Vogel. Nous avons mis en place une gouvernance spécifique aux Idex. Notre PRES comporte trois universités, le président du PRES portant leur voix unique ; au sein de l’Idex, le CNRS dispose de deux voix, l’INSERM d’une voix de même que l’IRD. Les organismes de recherche disposent donc de quatre voix quand nous en avons une – avec droit de veto, ce qui implique un accord unanime. Ce n’est pas facile à réaliser mais les grandes écoles, les universités et les organismes de recherche doivent parvenir à travailler ensemble en se conformant à une même stratégie. Le problème de l’université française, c’est que l’on a les grandes écoles d’un côté, les universités d’un autre côté et les organismes de recherche encore d’un autre côté : avec un tel système, on n’arrive à rien. Il est tout de même incroyable que deux universités anglaises figurent parmi les dix premières du classement de Shanghai alors que la première université française occupe le trente-neuvième rang ! Une telle situation ne rend absolument pas compte du potentiel de recherche de notre pays.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Un tel montage a-t-il été effectué ailleurs ?

M. Louis Vogel. L’État nous donne des instruments que les universités doivent utiliser, tel est le sens de l’autonomie, en élaborant des stratégies aussi bonnes que possible. Nous sommes maintenant de grands garçons qui pouvons bien ou mal jouer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La condition sine qua non pour que le plan Campus fonctionne n’est-elle pas la possession, par les universités retenues, de la dévolution du patrimoine ?

M. Louis Vogel. Des études ont été réalisées…

M. Alain Claeys, Rapporteur. En la matière, le législateur que nous sommes n’a pas été bon.

M. Louis Vogel. M. Aghion, dans son rapport, considère en effet, en citant de nombreux auteurs américains, que la maîtrise du patrimoine est la condition de l’autonomie des universités puisqu’elle détermine selon lui jusqu’à la stratégie de ces dernières. En quelque sorte : « Comment vivre libre si l’on n’est pas dans ses murs ? » Mon université a ainsi demandé la dévolution du patrimoine, mais deux problèmes se posent : les bâtiments des universités parisiennes appartiennent parfois à la ville – c’est le cas de la Sorbonne –, parfois à l’État, parfois à l’un et à l’autre comme pour l’université Panthéon-Sorbonne – la ville et l’État devant donc engager une démarche commune. De surcroît, la dévolution, comme la décentralisation, a un coût. Sommes-nous prêts à faire cet effort ? Je crois que ce serait en effet opportun, mais c’est au législateur de le dire.

M. Michel Dellacasagrande. Quoi qu’il en soit, les universités exercent les droits et obligations du propriétaire, la dévolution du patrimoine ne leur apportant en plus que le droit de vendre des bâtiments. Par ailleurs, les règles accompagnant la dévolution, notamment en ce qui concerne le financement de l’amortissement, ne sont pas claires.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Réalisez-vous un suivi des différents projets ? Quand des résultats significatifs pourront-ils être constatés ?

M. Michel Dellacasagrande. La plupart des conventions de sites étant signées, les problèmes liés aux financements de l’État et des collectivités territoriales sont réglés à peu près partout.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Même à Saclay ?

M. Michel Dellacasagrande. Précisément, non, ni à Paris.

La phase suivante consistant à évaluer l’opportunité ou non de PPP dont la finalisation nécessite 18 à 24 mois, rien ne sera effectif avant 2013 ou 2014. À cela s’ajoute le fait que les PPP ne constituent pas les seules modalités de financement du plan Campus.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourquoi entend-on parler d’un malaise universitaire à propos de ce plan ?

M. Louis Vogel. Il ne faut pas exagérer ! Tous les présidents d’université ne pleurent pas ! Cela dit, nous constatons une certaine inquiétude car le financement du plan Campus est une chose et le financement récurrent des universités en est une autre. Nous devons assurer la gestion quotidienne.

M. Olivier Carré, Président. C’est aussi notre souci.

M. Louis Vogel. Comme vous le disiez dans votre introduction, monsieur le président, l’un ne remplace pas l’autre. Un tel financement est fondamental pour le tissu de notre enseignement supérieur.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il ne faut pas, en effet, les opposer.

M. Louis Vogel. Il convient de les articuler et de ne pas substituer l’un à l’autre. En l’occurrence, nous sommes inquiets du ralentissement de l’augmentation du financement récurrent. En la matière, nous sommes au milieu du gué, le rattrapage n’étant pas encore terminé.

M. Michel Dellacasagrande. Le budget de 2011 a progressé de 1,4 %, ce qui ne correspond même pas à l’inflation, et sans doute en sera-t-il de même pour 2012. Incontestablement, un ralentissement de l’augmentation du financement budgétaire est notable.

M. Olivier Carré, Président. Nous sommes à euros constants.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Nous avons rencontré le même problème avec l’ANR.

M. Louis Vogel. En revanche, une véritable dynamique à laquelle personne ne s’attendait a été enclenchée à travers les réponses aux appels à projets.

M. Olivier Carré, Président. Les responsables de l’ANR ont eux-mêmes convenu que cette évolution était positive.

M. Louis Vogel. Le nombre de dossiers déposés confirme cette dynamique, laquelle doit être aussi financièrement entretenue.

M. Olivier Carré, Président. L’esprit de la loi de 2007 implique de parvenir à un écosystème où le secteur privé interviendra davantage, tant en ce qui concerne les financements que les programmes ou la formation, mais également à travers le développement des fondations. Ces éléments-là contribuent à changer le modèle économique.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On ne peut pas dire qu’il ait changé.

M. Olivier Carré, Président. Précisément, où en est-on ?

M. Louis Vogel. Le financement demeure public à hauteur de 80 %. Les marges de manœuvre possibles proviennent en effet des fondations, mais il est difficile d’en créer : toutes les fondations universitaires réunies, aujourd’hui, représentent autant que la seule fondation d’HEC !

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’admire les présidents d’université ! Ils sont confrontés à de véritables parcours du combattant.

M. Louis Vogel. En France, nous ignorons la tradition anglo-saxonne où les anciens considèrent qu’ils ont une dette à l’endroit de leur école. Le service public, chez nous, même si cela est en train de changer, consiste à délivrer un diplôme sans même songer à l’insertion professionnelle des étudiants puis à lâcher ces derniers dans la nature. J’ai voulu créer une association d’anciens élèves afin d’établir un réseau. J’ai ainsi constitué un annuaire contenant 10 000 noms, mais les autres associations d’étudiants ont fait la guerre à la mienne en niant sa légitimité : même s’il existe un fort sentiment d’appartenance, nous ne sommes pas une école. Nous partons de loin, mais il est possible de copier, en les transposant, bien des points qui fonctionnent les écoles. De plus, les dirigeants d’entreprise, donateurs potentiels, en sont le plus souvent issus – et non des universités. Les fondations se développeront donc mais cela prendra du temps.

Deuxième ressource propre : la formation continue. Là encore, nous en sommes aux balbutiements car, le plus souvent, nous ne disposons pas des techniques en vigueur dans le secteur privé, qui, lui, est armé pour la concurrence. Nous procédons donc à des alliances avec des partenaires extérieurs afin qu’ils nous apprennent à commercialiser notre offre.

Autre ressource propre : la taxe d’apprentissage pour les masters professionnels. Toutefois son montant est très limité.

La quatrième ressource propre provient, elle aussi, en grande partie de l’apprentissage et concerne les diplômes en alternance.

Nous sommes au début de l’aventure.

M. Olivier Carré, Président. Qu’en est-il des contrats de recherche ?

M. Louis Vogel. En effet, il y a les contrats de recherche. Mais il y a aussi les appels d’offres internationaux dont la France est hélas exclue en raison d’une trop grande dispersion empêchant ses universités d’atteindre une taille critique qui leur permettrait, par exemple, de répondre à un appel d’offres de la Banque mondiale. La situation devrait changer avec la mise en place des PRES.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Président de la CPU, vous êtes parfaitement dans votre rôle en promouvant les universités. Pensez-vous que les projets retenus dans le cadre du programme d’Investissements d’avenir permettront d’améliorer leur attractivité par rapport aux grandes écoles ?

M. Louis Vogel. Je ne conçois pas l’université sans les écoles. Il n’y a pas d’avenir hors ce que j’appellerai une université renouvelée – d’où le rôle des PRES et des Idex. Je n’envisage aucune absorption des secondes par la première, mais je considère que les écoles doivent rejoindre les campus universitaires car ils sont complémentaires. Par exemple, nous pouvons essayer d’attirer dans nos laboratoires des étudiants des écoles pour qu’ils y fassent des doctorats, les écoles nous apportant des cerveaux qui ont l’habitude de beaucoup travailler. C’est ainsi que l’on reconstruira une université globale.

Le PIA doit être poursuivi, mais il faut veiller, comme je l’ai dit, à ne pas sacrifier les financements récurrents, car l’université ne pourra pas vivre avec quatre ou cinq champions nationaux, les autres mourant de faim sur le bas-côté de la route. De toute façon, les champions nationaux auront besoin du tissu universitaire : la carrière d’un professeur ne commence pas à Harvard ! L’ensemble de notre territoire doit donc être irrigué sans qu’aucune discipline ne soit oubliée. N’oublions pas la formation, n’investissons pas dans la seule recherche !

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Vous avez déclaré à propos des laboratoires d’excellence : « Ils sont inexplicables pour certains universitaires. Le seul critère sur lequel on a demandé au jury de se prononcer était le critère d’excellence scientifique. Ce que les jurys internationaux ont jugé et, dans l’ensemble, bien jugé. Mais c’est un choix qui peut être discuté. Il a abouti à une " photographie " de l’état des forces scientifiques françaises actuelles, et non à une vision prospective de la recherche à vingt ans. » Pouvez-vous préciser vos propos ?

M. Louis Vogel. Il est facile de récompenser les gagnants dont on connaît l’excellence depuis longtemps. Toutefois, il ne faut pas oublier des laboratoires moins visibles qui, dans certaines régions, n’ont pas la taille critique mais parviendront à obtenir de très bons résultats s’ils travaillent en réseaux. L’effet de taille ne doit pas leurrer : de très petites universités abritent de très grands laboratoires. Ainsi cite-t-on souvent l’université de Limoges pour l’excellence de son laboratoire de céramique, mais sait-on que tous les spécialistes de droit du sport sont issus de la faculté de droit de cette université ? Même si cela n’est pas facile, il faut parvenir à distinguer partout l’excellence.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Est-il obligatoire de passer par les appels à projets ?

M. Louis Vogel. La démarche est bonne, le jury international apportant un regard extérieur, sans préjugé ni être influencé par des conflits d’intérêts Il convient cependant de l’encadrer à travers un cahier des charges, la CPU pouvant jouer un rôle à cet égard. Les Allemands, comme nous, ont réalisé des initiatives d’excellence mais leur démarche est différente de la nôtre : ils ont en effet commencé par interroger les universités grâce à une grande enquête leur demandant de recenser les meilleurs projets, ce qui a permis d’éviter bien des erreurs en lançant des appels d’offres en phase avec la réalité du terrain. La CPU allemande a donc participé à la rédaction du cahier des charges en veillant à l’équilibre des disciplines : s’il est évidemment très intéressant de disposer de produits élaborés et de laboratoires de physique, il ne sert à rien d’en créer sans disposer d’une grande université de droit comprenant des spécialistes capables de bien ficeler des contrats. Une grande université de droit, en Allemagne, est ainsi présente au cœur de l’une des universités d’élite. La France, en revanche, ne possède aucun laboratoire d’excellence (Labex) en droit, ce système ayant été conçu pour les sciences dures.

M. Olivier Carré, Président. Il en existe un en économie.

M. Louis Vogel. Les domaines qui en comprennent le moins sont la gestion, les lettres et le droit parce qu’ils ne correspondent guère aux appels d’offres tels qu’ils ont été conçus. Outre que nos laboratoires sont très petits, nous ne disposons pas des mêmes publications, en particulier internationales, qui permettraient de nous mettre en valeur – il en va d’ailleurs de même de tous les laboratoires de droit dans le monde. Je le répète : la constitution d’une très bonne carte passe par la consultation des universités elles-mêmes et, notamment, de la CPU.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Il faut agir en ce sens.

M. Louis Vogel. J’ai eu l’occasion de le dire au commissaire général à l’investissement René Ricol : nous sommes prêts. Si des changements doivent être opérés dans le cahier des charges et les appels d’offres, nous y participerons.

De surcroît, il convient d’interroger les acteurs de terrain afin de connaître les différents réseaux. Une carte des équipements d’excellence (equipex) ne sera guère utile s’il n’y figure pas tous les sites qui travaillent avec eux ; or, de telles informations ne peuvent provenir que des universités.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. La dynamique que vous évoquez se traduira tout de même nécessairement par une différenciation assez forte entre les « grandes universités mondiales » et les « petites universités régionales ». Nous nous apprêtons à sortir de ce réflexe français qui, en caricaturant, consiste à dire que sur 83 universités, nous disposons de 83 lieux d’excellence en matière d’enseignement supérieur et de recherche qui doivent être égalitairement traités.

En tant que président de la CPU, pensez-vous que ce schéma de différenciation est acceptable dès lors que chacun dispose des moyens lui permettant de gagner l’excellence dans son domaine et à son niveau, et alors que des représentants du SNESUP, la semaine dernière, nous ont encore tenu un discours égalitaire en demandant de sortir de l’élitisme à tout crin dans lequel nous serions ?

Plan Campus et PIA constituent des leviers forts afin d’engager une redistribution et, à terme, une différentiation, sachant que grâce à la mécanique des PRES, le paysage universitaire est en pleine recomposition. Comment vos mandants réagissent-ils à cette situation ? Des résistances se font-elles jour ?

M. Louis Vogel. Il convient absolument d’éviter la suprématie de quatre, cinq ou six champions nationaux qui concentreraient tous les avantages, les autres étant oubliés. Ce n’est pas ainsi que je conçois le service public de l’enseignement supérieur. Nous devons veiller à ce que l’ensemble du territoire soit couvert et à ce que chacun puisse étudier pas trop loin de chez lui dans de bonnes conditions. L’université, en effet, joue un rôle fondamental dans l’aménagement du territoire.

De plus, la hiérarchie entre les universités existe déjà. Je sais très bien, comme mes collègues, où commence une carrière et où elle se termine, et ce n’est pas dans le même établissement. Ce n’est pas en répétant la fameuse phrase de Jules Ferry –« Il est huit heures trente du matin, le cours de géographie commence » dans toutes les écoles de France – que l’on relèvera les défis internationaux.

Nous sommes confrontés à un double enjeu : maintenir le service public partout et différencier les universités afin que l’excellence y soit partout présente. Il est en effet possible d’exceller dans des domaines très différents au lieu de succomber sans cesse à ce mal français qui veut que nous agissions partout de la même manière, ce qui est le meilleur moyen de fabriquer des bons et des mauvais. Différencier les actions doit permettre à chacun d’être optimal dans son domaine. J’ai retrouvé à peu près les mêmes diplômes de master 2 dans la première et la dernière universités où j’ai été nommé, alors que les territoires différaient autant que les besoins locaux. Il convient donc d’adapter les formations et la recherche en fonction des situations en impliquant les différents acteurs dans le développement des universités. Si je souhaite développer à Paris 2 un programme de droit de l’environnement, il est inutile que Paris 1 fasse de même !

Tant que les étudiants étaient peu nombreux et relativement homogènes sur un plan culturel, le système fonctionnait. Or, il n’en est plus de même aujourd’hui : ceux qui arrivent devant nous n’ont ni les mêmes talents, ni les mêmes envies, ni la même façon de travailler que leurs anciens. Les réunir en une même section contribuera à faire des gagnants et des perdants avant même qu’ils aient pu jouer. Pour éviter cela, j’ai quant à moi créé à Paris 2 trois filières hors la filière classique.

Tout d’abord, un parcours « réussite sur mesure » pour les étudiants qui ne disposent pas des bases culturelles leur permettant de réussir nos examens. Trois cours de droit sont remplacés par trois cours de remise à niveau en français langue écrite, en français expression orale, en méthodologie et en culture générale, lesquels sont dispensés par des professeurs de lycée. À profil égal, le taux de réussite y est plus élevé de 30 % que dans le parcours classique.

Ensuite, à l’autre bout de la chaîne figure le collège de droit où étudient des jeunes gens qui ont obtenu une mention très bien au baccalauréat et qui doivent être stimulés, en l’occurrence en suivant un programme plus soutenu dans trois domaines : international, économie et gestion, fondamentaux du droit. Le maintien d’un enseignement aussi général nous placera dans les mêmes conditions que celles des grandes écoles. Il faut obtenir 13 de moyenne pour passer en deuxième année ; ceux qui ne l’ont pas repassent dans le parcours classique où tous ceux qui réussissent bien peuvent intégrer à tout moment le collège de droit. D’ores et déjà, nous obtenons d’excellents résultats.

C’est en agissant sur ces deux fronts, entre universités et au sein d’une même université, que nous parviendrons à reconstruire un système rapidement performant. Nous avons tout sous la main ; il suffit de nous organiser.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Nous sommes d’accord avec vous mais ce point de vue est-il raisonnablement partagé par vos collègues présidents d’université et les équipes qui les accompagnent, voire les responsables d’UFR, ou bien est-il relativement minoritaire ?

M. Louis Vogel. J’ai été élu président de la CPU après avoir écrit un petit livre dans lequel j’ai exposé l’ensemble de ces thèses. J’insiste : les universités françaises sont entrées dans une dynamique incroyable.

M. Olivier Carré, Président. Nous en sommes convaincus.

M. Louis Vogel. Il faut que vous le soyez, car l’argent que vous y investissez n’est pas mal placé. Nous nous améliorons sur tous les plans parce que nous en avions assez d’être des perdants. Je suis persuadé que l’avenir de notre pays dépend des universités car ce n’est pas dans les écoles que les chercheurs seront formés. La Chine et l’Inde nous rattraperont très vite – si ce n’est déjà fait – en formant des techniciens et des ingénieurs. Nous avons quant à nous tout intérêt à investir dans la recherche fondamentale et l’innovation. Les cerveaux de notre pays doivent faire des études plus longues, et c’est à l’université seulement que cela est possible.

La France a opéré un mauvais choix en misant sur les filières courtes – cela fonctionnait au XIXe siècle –et sur les grandes écoles – où se trouvent les plus brillants esprits, certes –, l’université étant reléguée au rôle de parent pauvre. Cela ne marche plus. L’avenir appartenant aux universités, il convient de réorienter les financements vers elles, ce qui leur permettra aussi d’attirer les écoles.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Il importe également d’avoir de grands patrons charismatiques au lieu d’être confrontés à des candidats par défaut.

Avez-vous d’autres suggestions à faire afin d’améliorer les procédures d’appels à projets ainsi que les critères de bonne gouvernance – le plateau de Saclay, ce n’est pas surprenant, n’a d’ailleurs pas été retenu lors de la sélection du premier tour ?

M. Louis Vogel. Je l’ai dit, des disciplines ont été un peu oubliées – droit, gestion, lettres – faute d’entrer dans le cadre qui avait été défini. La formation et les innovations pédagogiques peuvent également être améliorées – j’ai ainsi moi-même soumis un projet de création de grande école de droit –, le deuxième tour de sélection des Labex et des Idex devant permettre, comme le souhaite René Ricol, de procéder à un certain nombre de rattrapages. Je note, à ce propos, que les Allemands ont lancé une initiative excellence formation après l’initiative excellence recherche. Enfin, il convient d’améliorer le travail en réseau.

Il est vrai que les gouvernances doivent être d’autant plus fortes que les tendances centrifuges sont importantes. Vous avez évoqué le plateau de Saclay, dont Jean-Marc Monteil s’occupe, où la situation est en effet délicate en raison de la concentration d’un très grand nombre d’écoles qui n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble avec une seule université.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Les organismes de recherche comme le CNRS et le CEA y sont très puissants.

M. Louis Vogel. En ce qui nous concerne, notre projet a été présélectionné pour être labellisé Idex et nous connaissons désormais les points que nous devons améliorer pour franchir le cap de l’admission définitive. Le jury, finalement, nous aide. Il ne faut pas perdre de vue que, quoi qu’il arrive, les appels d’offres sont positifs : de nombreux projets émergent, les laboratoires de recherche sont restructurés – si 80 % de ceux qui composent notre PRES sont classés A et A +, tous n’ont pas été candidats au label Idex mais nous avons cependant profité de cette situation pour remettre de l’ordre dans nos divisions. Il faut profiter des deuxièmes chances qui sont données.

Enfin, j’y insiste une fois encore, il serait bon que la CPU soit associée au cahier des charges.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le message est bien passé.

M. Olivier Carré, Président. Je vous remercie, messieurs, pour vos interventions.

Audition du 28 juin 2011

À 16 heures 15 : M. Philippe Van de Maele, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Nous accueillons aujourd'hui M. Philippe Van de Maele, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie – ADEME –, l'un des opérateurs du programme d'Investissements d'avenir – PIA –.

La MEC s’est saisie de ce programme, lié à d’autres modalités du soutien à la recherche et à l’enseignement supérieur, après la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite LRU, et le plan Campus, qui comportent de nombreuses innovations en termes d’ingénierie financière.

Ne pourrait-on pas d’ailleurs faire un parallèle avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine – ANRU – que vous avez dirigée, monsieur Van de Maele, dans la mesure où l’on retrouve, dans les opérations du programme d'Investissements d'avenir, une logique de pluriannualité, de mobilisation d’acteurs, de simplicité des solutions apportées à des problèmes complexes – même si les mises en œuvre peuvent être compliquées –, d’équipes compétentes très resserrées et aussi de bouleversement à la fois des habitudes de l’administration et des rapports entre cette dernière, le privé et l’initiative semi-publique ?

Selon l'usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes, en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ADEME est l’un des opérateurs du programme d’Investissements d’avenir au titre de 2,85 milliards d’euros. Sur ces crédits, quel montant relève de la dotation en capital ? Pourriez-vous également expliquer pourquoi, en mars 2011, la part des crédits consommables décaissés ne représentait que 0,14 million d’euros ?

Par ailleurs, la coordination entre les projets engagés par l’ADEME au titre du Grenelle de l’environnement – dont elle est un des acteurs majeurs – et les projets PIA présente-t-elle des difficultés ?

Quant à la gouvernance, est-il facile de travailler avec le Commissariat général à l'investissement ?

Enfin, le PIA se substitue-t-il à des crédits budgétaires ? Selon les chiffres qui nous ont été communiqués, les dotations du budget concernant les fonds démonstrateurs seraient en effet passées entre 2008 et 2010 de 325 à 130 millions d’euros.

M. Philippe Van de Maele, président de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie. Les missions de l’ADEME couvrent quasiment tous les champs de l’environnement – à l’exception de l’eau et de la biodiversité –, qu’il s’agisse de l’énergie, des matières premières, de l’air, du bruit, de l’efficacité énergétique, des déchets ou encore des sols pollués. Traditionnellement, nous avons des programmes de recherche, en tout cas depuis 2006, année où a été mise en place une vraie stratégie de recherche avec différentes thématiques, qui représentent en engagements chaque année environ 50 millions d’euros, les recherches ayant lieu aussi bien avec des acteurs publics qu’avec des industriels, souvent en consortium dans le cadre de projets conjoints.

Le Grenelle, au-delà de ses impacts sur nos missions, a été l’occasion de créer un fonds démonstrateur de recherche qui a confié à l’ADEME un montant de 325 millions d’euros non plus pour faire de la recherche amont, mais pour aller vers des démonstrateurs industriels. À ce jour, 167,4 millions d’euros ont été consommés sur cette enveloppe. Du fait du PIA, il a été décidé d’arrêter ce fonds démonstrateur. Les différents partenaires, à savoir les ministères, ne l’abonderont plus, suite à une convention de clôture.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’objectif du fonds démonstrateur sera donc atteint par le PIA ?

M. Philippe Van de Maele. Il sera même dépassé puisque le programme d’Investissements d’avenir prévoit un budget de 2,85 milliards d’euros confié par l’État à l’ADEME via quatre programmes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. D’autres crédits budgétaires que ceux du fonds démonstrateur ont-ils été arrêtés au profit de l’ADEME ?

M. Philippe Van de Maele. Il n’y a que lui qui ait été arrêté en notre faveur car il se positionnait sur une partie de nos missions issues du PIA. Nous avons reçu de nos différents partenaires les sommes arrêtées à hauteur de 167,4 millions d’euros, et nous gérons les projets qui en dépendaient.

Pour revenir aux programmes ou actions de l’ADEME issus des actions du PIA, les thèmes retenus sont de quatre ordres :

– le programme « Démonstrateurs énergies renouvelables » – biomasse issue de l’agriculture et des forêts – « et chimie verte » – matériaux à base de produits carbonés végétaux –, sans oublier le captage et le stockage de carbone qui concernent les problèmes d’émission de gaz à effet de serre ;

– le programme « Véhicule du futur », d’un montant de 750 000 000 euros pour la recherche en matière de construction automobile, de 150 000 000 d’euros pour la construction ferroviaire et de 100 000 000 d’euros pour la construction navale ;...

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourquoi les engagements de crédits sont-ils si faibles concernant ce programme ?

M. Philippe Van de Maele. Les engagements juridiques sont aujourd'hui de près de 40 millions d’euros. Je reviendrai sur le processus lourd suivi en la matière, mais qui a ses justifications.

– le troisième programme est celui des « Réseaux électriques intelligents », qui est une action de notre propre programme « Développement de l’économie numérique » ;

– enfin, le quatrième programme « Économie circulaire » a trait à la gestion des déchets, au retraitement, au recyclage des matériaux et aux technologies de dépollution.

À la suite de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010, confiant à l’ADEME ces 2,85 milliards d’euros, nous avons travaillé à la préparation des conventions avec l’État permettant d’assurer la gestion de ces fonds. Le principe retenu à cette occasion a été celui qui avait prévalu pour le fonds démonstrateur, c'est-à-dire que l’on travaille avec les industriels sur des axes de développement à vingt ou trente ans dans le domaine concerné – par exemple les véhicules du futur – afin de disposer d’une « feuille de route » qui identifie notamment les verrous technologiques. Une fois ce travail préalable de mise en place de feuilles de route effectué, des appels à manifestation d’intérêt – AMI – sont lancés. C’est ainsi que près de 25 AMI – en matière de stockage de l’énergie, d’énergie solaire thermodynamique, d’énergie solaire photovoltaïque, de géothermie ou encore de grand éolien – ont été proposés après un découpage assez précis des différentes thématiques, sachant que l’on ne s’adressait pas aux mêmes industriels.

Nous avons également établi les bases d’un bon fonctionnement avec notre nouveau partenaire, le Commissariat général à l'investissement, afin de permettre à nos équipes respectives de se connaître et, surtout, de finaliser la répartition financière que nous obtiendrions entre les différentes thématiques. Pour être synthétique, je dirai que le financement des projets relevant de chacun des quatre programmes ou conventions dont j’ai fait état se ferait pour un tiers par le biais de subventions directes. Pour le reste, il s’agirait principalement d’avances remboursables, une part estimée entre 300 et 600 millions d’euros étant réservée à des prises de participation, démarche qui ne relève pas de la culture traditionnelle de l’ADEME – c’est d’ailleurs pourquoi nous envisageons un partenariat avec CDC Entreprises afin de bénéficier de leur expérience dans ce domaine.

Le premier AMI lancé dans le cadre des Investissements d’avenir a été proposé au mois de novembre 2010 sur l’écomobilité – ou mobilité du futur dans les zones urbaines. Les réponses nous étant parvenues, elles ont été instruites au mois de mars, et les premiers engagements devraient avoir lieu à l’été ou à l’automne. Juridiquement, les premiers que j’ai pu signer relèvent en fait de trois appels à manifestation d’intérêt lancés par l’intermédiaire du fonds démonstrateur qui ont été repris par nous dans le cadre du PIA. Ils concernent respectivement 7 projets relatifs aux véhicules du futur, 5 projets ayant trait aux énergies en mer et 5 projets concernant les réseaux électriques intelligents. Si nous avons pris un peu de temps pour engager ces différents projets, c’est parce qu’il nous a fallu passer d’une logique de subvention dans le cadre du fonds démonstrateur à une logique intégrant, certes, une part de subvention, mais également une part d’avance remboursable voire, pour certains projets, une part de prise de participation. Aussi avons-nous dû également rediscuter avec les porteurs de projet.

C’est ainsi que 40 millions d’euros sont engagés en faveur des véhicules du futur et qu’une trentaine de millions le sont pour les réseaux électriques intelligents, sachant que le montant consacré à l’énergie marine sera connu à l’automne, la complexité du sujet nous ayant conduit à des modifications substantielles des projets. Je vous laisserai une liste des AMI Investissements d’avenir et leur programmation en 2011, qui montre une montée en puissance, ce qui explique d’ailleurs le faible niveau d’engagement actuel, sachant que tout engagement juridique ne peut porter que sur un dossier parfaitement au point.

Concernant par exemple l’AMI « Photovoltaïque », lancé en janvier 2011, ce sont 25 propositions que nous avons reçues qui oscillent entre des propositions de recherche en amont, des démonstrateurs et une prise de participation dans une entreprise souhaitant se lancer dans la production de cellules. Après une présélection, nous sommes maintenant dans une phase d’analyse, l’objectif étant de pouvoir confirmer à l’automne tel ou tel projet et signer des conventions d’engagement juridique.

Les conventions identifiaient des tranches annuelles d’engagement et les AMI devaient donc être lancés d’une manière plus étalée dans le temps. Le souhait, logique, de pouvoir répondre aux industriels plus rapidement conduit à lancer toutes les AMI en même temps, ce qui implique d’ailleurs une charge de travail importante.

Pour l’ADEME, le programme d’Investissements d’avenir est un outil extraordinaire s’agissant des enjeux du Grenelle. Il nous donne en effet une capacité que l’on n’imaginait pas pour envisager des projets ou pour intervenir en matière par exemple de structuration de filière industrielle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’imagine bien que le PIA est un plus en termes financier,...

M. Philippe Van de Maele. Et de mode d’intervention.

M. Alain Claeys, Rapporteur mais qu’en est-il en termes de gouvernance ?

M. Philippe Van de Maele. La gouvernance des Investissements d’avenir me conduit à revenir sur le sujet de l’ANRU, car le mode de fonctionnement est en la matière un peu différent. En effet, avec l’ANRU, le financement était confié à un opérateur qui intégrait en son sein le partenariat des acteurs et la comitologie, fondement des décisions, et auquel on faisait confiance.

S’agissant aujourd'hui des appels à manifestation d’intérêt, on procède d’abord à une présélection de projets avant de les soumettre à un comité de pilotage qui réunit l’ensemble des ministères concernés et l’ADEME. Le CGI y assiste, mais n’en est pas membre. C’est dans ce cadre que les projets qui seront proposés à la décision du CGI ou plutôt du Premier ministre sont définis – j’ai cru comprendre que M. Ricol, commissaire général à l'investissement, n’avait délégation de signature que jusqu’à hauteur de 5 millions d’euros.

Le CGI est constitué d’une petite équipe avec un ou deux spécialistes par thème, ce qui signifie que nous avons le plus souvent comme correspondant une personne – qui a un rôle essentiel de validation des projets – qui a sa vision des choses et donc à qui il nous faut faire partager notre propre vision et celle des ministères avec lesquels nous avons défini les projets. La démarche de validation partenariale laisse donc la place à une validation du CGI sur avis. Aujourd'hui cependant, si le mode de fonctionnement reste lourd, des progrès sont enregistrés – mais les choses pourraient être plus simples.

Un vrai problème en revanche – sur lequel la Cour des comptes a d’ailleurs été sollicitée par l’intermédiaire de la direction générale des Finances publiques – DGFIP – a porté sur le statut juridique des fonds. À l’occasion de la préparation des conventions, j’avais milité pour que ce soit de l’argent confié à l’Agence sous responsabilité du conseil d’administration. Ce n’est pas le cas. Les conventions signées s’apparentent, semble-t-il, à des conventions de mandat, et je suis ordonnateur de crédits d’État sur décision du Premier ministre. Je regrette de ne pas être un opérateur plein, c'est-à-dire quelqu’un qui gère et qui rend compte.

Je me suis vraiment posé la question de savoir à quel titre je signais : je n’interviens pas au titre de président du conseil d’administration puisque ce dernier n’a pas son mot à dire bien qu’il fixe les objectifs, et je ne prends pas formellement la décision.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Concernant le financement des projets, la difficulté n’est-elle pas plutôt d’ordre scientifique, avec le choix d’une piste un jour et son abandon un autre ? On l’a vu pour les biocarburants, alors qu’un accompagnement fiscal avait pourtant été prévu, et on le voit aujourd'hui avec les véhicules du futur dont l’autonomie ne serait finalement que d’une heure en tout électrique. Ne faudrait-il pas envisager une structure où des scientifiques pourraient explorer les pistes envisagées ?

Pour prendre l’exemple des réseaux de chaleur, des municipalités ont été incitées à faire fonctionner les chaudières à base de paille. Aujourd'hui, du fait des aléas climatiques qui ont rendu la paille rare et chère, il est plutôt conseillé d’utiliser du miscanthus, voire les sous-produits issus de l'exploitation forestière. De tels changements incessants empêchent tout retour sur investissement.

Inversement, veillons à ce que ceux qui détiennent un monopole et qui ont tout intérêt à ce que la rentabilité de leur système perdure, ne parviennent pas à empêcher que d’autres systèmes se développent.

D’autre part, des représentants du ministère de la recherche nous ont parlé, à propos de projets « Idex », « Labex » ou « Équipex », de la constitution de jurys internationaux. Or, si je comprends bien, le dialogue n’a lieu pour ce qui vous concerne qu’entre votre Agence, qui fonctionne selon ses processus habituels, et un représentant du CGI, qui pourrait avoir des partis pris. Quels sont les moyens que l’on s’est donnés pour éviter justement de s’engager dans des impasses ?

M. Olivier Carré, Président. Existe-t-il une procédure d’arbitrage ?

M. Philippe Van de Maele. J’ai omis de mentionner l’existence, conformément aux statuts de l’Agence, des commissions nationales des aides – CNA – de l'ADEME qui comprennent des experts non pas internationaux – les projets industriels posent en effet des problèmes de confidentialité de l’information –, mais externes. Les réunions permettent une analyse sérieuse et approfondie des projets. Pour autant, il ne s’agit pas formellement de jurys en ce sens qu’ils ne prennent pas de décision. En tout état de cause, cela concerne la partie des fonds du CGI gérés par l’ADEME.

M. Jean-Pierre Gorges. Si je parlais de jury, c’est parce que l'Agence nationale de la recherche – ANR –, en constituait.

M. Philippe Van de Maele. Il ne faut pas se faire d’illusion pour autant : même avec un jury, il y a toujours un parti pris.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Concernant la sélection des projets, les vôtres ne dépendraient donc pas d’un jury, mais d’un dialogue entre un représentant du CGI que préside M. René Ricol, et vos spécialistes ?

M. Philippe Van de Maele. Je reprends notre procédure : après réception des dossiers, une pré-analyse est effectuée en interne avec nos experts et des experts externes. Les projets retenus sont alors présentés à une commission nationale des aides de l'ADEME comprenant des experts extérieurs – représentant aussi bien le secteur de la recherche que la société civile –, avant d’être soumis au comité de pilotage. Il y a une vision externe, mais pas de jury qui décide. Je fais confiance aux fonctionnaires de ce pays pour faire des choix dans l’intérêt général.

Pour revenir sur la question des différentes technologies possibles applicables dans un secteur, la crainte que nous avions était de ne pas recevoir assez de projets lors des appels à manifestation d’intérêt. Or, la dynamique du PIA a fait que les projets sont nombreux et que l’on peut opérer une vraie sélection, aidé en cela par des experts. Reste la question du déploiement, notamment auprès des collectivités locales, des différentes technologies retenues. Nous accompagnons les industriels dont la technologie nous semble bonne, mais il n’en reste pas moins en effet que cette dernière revêt toujours une part de recherche et d’innovation faute d’être parvenue à un stade industriel.

S’agissant de l’exemple des réseaux de chaleur et des conflits d’intérêt chez des opérateurs, notre travail, dans le cadre du Grenelle, est de donner tous les outils possibles, notamment aux collectivités locales, pour permettre de faire les meilleurs choix. Ainsi, dans le domaine du tri des déchets, notre avis est très réservé quant au tri mécano-biologique qui intéresse nombre d’entre elles. Pour autant, la décision finale, que je ne maîtrise pas, relève de la responsabilité de chacun. De même pour la filière bois : un vrai problème d’approvisionnement aura lieu si l’on n’arrive pas à la structurer en amont, avec le problème du paradoxe de l'œuf et de la poule : faut-il organiser la filière avant les débouchés ? À cet égard je ne peux que regretter que le fonds de mobilisation de la forêt prévu dans le Grenelle n’ait pu être mis en place par le ministère de l’Agriculture. Alors que des capacités gigantesques existent, il ne faudrait pas que, comme en Belgique, on doive importer du bois du Canada – encore qu’avec un transport en bateau, le bilan carbone n’est pas nécessairement mauvais... En accord avec le ministère de l’Agriculture, j’ai moi-même demandé une expérimentation sur les monts du Forez en Auvergne, mais sa généralisation n’est ni dans les missions ni dans les capacités de l’ADEME.

La grande différence avec l’ANR est que, plutôt que de faire des appels d’offres « blancs », par exemple sur les laboratoires d’excellence ou les instituts d’énergie carbonée, sans définir les thématiques qui en relèveront, nous avons fait le choix avec le CGI d’avoir d’abord, avec des industriels, des experts environnementaux ou encore des sociologues, une vision des thématiques les plus opportunes pour l’industrie française. C’est sur cette base que reposent nos AMI concernant le programme « Véhicule du futur » : « Véhicules décarbonés », « Mobilité », « Expérimentations liées aux infrastructures de recharge des véhicules électriques », « Chaînes de traction électrique », « Allègement, aérodynamique, architecture des véhicules », « Poids lourds et bus », etc.

Concernant d’ailleurs le véhicule électrique, l’ADEME n’a jamais milité pour le tout électrique, sachant qu’il existe plusieurs visions d’utilisation des véhicules électriques, qui nécessitent chacune plus ou moins de changements sociétaux : l’achat d’un hybride, dont l’autonomie est suffisante pour faire comme aujourd'hui 400 ou 500 kilomètres ; l’achat d’un tout électrique urbain comme deuxième véhicule, qui permet de faire moins de 100 kilomètres ; la location d’un véhicule longue distance après avoir acheté un véhicule électrique ; la location, enfin, d’un véhicule électrique, en autopartage par exemple, à côté d’un véhicule longue distance que l’on possède. Ces différentes possibilités ne s’appuient pas sur les mêmes évolutions sociétales.

Je crois pour ma part au véhicule électrique urbain et à l’hybride pour le court terme, sachant que ce dernier coûte cher et est donc plutôt réservé aux gros véhicules, et que le premier nécessite de changer de vision pour ses déplacements, sauf s’il s’agit d’une deuxième voiture. Les grands constructeurs visent même le marché des tricycles et quadricycles à moteur – TQM – qu’il s’agisse de Renault avec la Twizy, biplace urbain électrique couvert, ou de Peugeot avec le concept car BB1.

Tout dépendra ensuite de la stratégie des industriels, mais comme le montrent ces exemples, il n’est jamais simple de dire que telle technique est bonne et pas telle autre.

M. Olivier Carré, Président. En matière de stockage de l’énergie, il existe deux grandes technologies dont on peut anticiper les progrès : l’une concerne les batteries, l’autre les piles à combustible. Comment pouvez-vous faire en sorte que des filières émergent dans ces domaines ?

M. Philippe Van de Maele. Si l’on voit assez bien comment l’on pourrait aider à structurer une filière des hydroliennes ou des éoliennes offshore, qui représentent un marché mondial naissant et où nous pourrions accompagner des industriels concernant tant la recherche que la structuration capitalistique de leur industrie, le marché des batteries est un cas particulier puisque l’on ne dispose pas de technologie franco-française au point – mis à part peut-être chez Bolloré. L’orientation suivie en la matière est plutôt d’acheter des brevets, en l’occurrence de Nissan, pour produire en France. Il est possible que nous accompagnions une telle démarche, mais nous ne serions alors plus dans une logique d’innovation, mais d’industrialisation, ce qui nous semble à la limite de la notion d’Investissements d’avenir telle que nous l’avons comprise.

Le stockage de l’énergie est une technologie où les pistes possibles sont nombreuses : le stockage électrique avec les batteries, le stockage de l’hydrogène pour une utilisation avec la pile à combustible, le stockage inertiel, le stockage par remontée de l’eau, etc. Si l’on veut augmenter la part du renouvelable dans le mix électrique, il faut d’ailleurs travailler davantage sur le stockage de l’électricité : au Japon, un bâtiment n’est pas dit intelligent s’il ne comporte pas un système de stockage de l’énergie. En France, on parle de mieux consommer, d’isoler, mais pas de participer au stockage de l’énergie. Or le renouvelable doit se développer en même temps que le stockage. C’est là un énorme enjeu, et l’un de nos AMI porte d’ailleurs sur ce thème.

Pour revenir aux batteries, nous ne travaillons pas sur un développement industriel de stockage d’énergie dans des batteries. Mais nous pourrions très bien être sollicités pour la création d’une unité de production de batteries, sachant cependant que parmi les critères de jugement que le CGI nous demande, figure, au-delà de l’effet levier en termes de résultat, le caractère incitatif ou non de l’aide.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Comment l’ADEME va-t-elle évaluer les projets financés ?

M. Philippe Van de Maele. Chaque projet a des objectifs de résultat sur le plan industriel comme sur celui de la recherche. Les conventions prévoient à cet égard des suivis très réguliers des mises en œuvre. L’évaluation de la pertinence du sujet s’appréciera selon que l’industriel est entré ou non dans un modèle économique, c'est-à-dire si l’aide lui a permis non seulement de lancer une unité de production, par exemple de stockage d’électricité par effet gyroscopique, mais également d’avoir trouvé le marché commercial pour vendre sa technologie à un prix abordable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est l’ADEME elle-même qui procède à l’évaluation de la recherche ?

M. Philippe Van de Maele. Nous procédons à l’évaluation en faisant intervenir, comme cela a été prévu avec le CGI, des experts externes.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Faites-vous intervenir l’AERES ?

M. Philippe Van de Maele. Non, car nous avons relativement peu affaire aux organismes de recherche. Contrairement à l’ANR, notre recherche se situe plus au niveau préindustriel voire industriel.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. N’êtes-vous d’ailleurs pas plus dans l’innovation que dans la recherche ?

M. Alain Claeys, Rapporteur. La frontière en la matière est celle des démonstrateurs.

M. Philippe Van de Maele. Selon les projets, nous allons de la recherche amont jusqu’à la phase aval en passant par le démonstrateur. Si l’on veut, comme le demande le CGI, des retours financiers garantis dans une certaine période, ce n’est pas dans la recherche amont qu’on les trouvera. C’est d’ailleurs pourquoi j’avais demandé qu’un tiers des subventions soit dédié à l’amont, le reste l’étant sous la forme soit d’avances remboursables soit de prises de participation – où les retours sont malgré tout risqués.

Nous avons donc une part recherche en amont – avec des subventions –, une part industrialisation en aval – avec des prises de participation – et, entre les deux, une part démonstrateur – avec des subventions ou des avances remboursables selon la taille de l’entreprise.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pour revenir à la gouvernance, quelle est, dans le domaine qui vous concerne, la valeur ajoutée du CGI ?

M. Philippe Van de Maele. Le CGI est arrivé avec le PIA. Je n’ai pas eu le choix, mais le PIA demeure une formidable opportunité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est un banquier qui pose des conditions ?

M. Philippe Van de Maele. Non, c’est une administration nouvelle qui s’est défini sa vision qu’il a fallu comprendre. Dans certains cas, il nous a beaucoup apporté, s’agissant des prises de participation par exemple, qui ne sont pas, je le répète, dans la tradition de l’ADEME : nous aurions eu plutôt tendance à ne faire que des subventions ou des avances remboursables. En nous incitant à rechercher des retours financiers, le CGI nous a aidés à avancer plus que si nous étions restés opérateur direct.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Devant une complexité aussi forte, le même dynamisme et la même objectivité n’auraient-ils pas été obtenus avec des jurys ?

M. Olivier Carré, Président. Ce qu’il faut se demander également, c’est si cela va faire perdre ou gagner du temps au moment où les contrôles devront être opérés, sachant que la situation n’a rien à voir entre la vision d’un chercheur et le devenir, cinq ans plus tard, de son brevet. L’ambition de René Ricol était d’ailleurs de donner une impulsion, non de travailler à fonds perdus.

M. Philippe Van de Maele. Pour être honnête, si c’est nous qui avions dû verser l’argent, nous n’aurions pas été aussi loin dans cette logique de retour financier. Quant aux procédures, si elles restent lourdes, cela n’empêche pas d’anticiper.

En tout cas, que le Parlement ne change rien tout de suite ! Il faut un peu de stabilité pour que tout fonctionne.

Pour l’ADEME et les technologies de développement durable, le résultat en tout cas est là : les industriels sont beaucoup plus nombreux aujourd'hui à nous proposer des idées.

M. Olivier Carré, Président. Le fait d’avoir réveillé les énergies dans ce pays est une vraie valeur ajoutée.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Mettre beaucoup de l’argent sur la table ne peut que réveiller les ardeurs !

M. Olivier Carré, Président. D’où l’intérêt de canaliser cette énergie.

M. Philippe Van de Maele. L’ANRU a pu aussi le constater, c’est parce qu’il y a des ressources que l’on arrive à mobiliser les gens, mais aussi que l’on peut être très exigeant avec eux.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Est-ce que cela a changé beaucoup de choses dans vos agences régionales ?

M. Philippe Van de Maele. L’Agence a deux composantes constituées d’experts : les services centraux et les directions régionales. Dans ces dernières, les experts servent de relais avec les opérateurs et suivent toutes les initiatives qui peuvent surgir au niveau local.

Le PIA a alourdi la charge de travail des équipes centrales, mais l’on a obtenu des postes supplémentaires – ils sont cependant étalés sur tant d’années que cela ne règle pas tout – pour accompagner et compléter les équipes d’experts nationaux. Je travaille beaucoup avec mes équipes régionales pour que l’information passe bien, qu’il s’agisse d’assurer le relais auprès d’industriels locaux qui pourraient être intéressés par des appels à projets ou d’accompagner ensuite les projets.

À cet égard, quatre thématiques sont territorialisées parmi lesquelles je citerai, d’une part, le déploiement de l’infrastructure de charge – qui s’adresse aux collectivités locales qui souhaitent, dans le cadre du plan « Véhicules décarbonés » porté par l’État, implanter sur leur territoire des bornes de recharge pour véhicules électriques – et, d’autre part, les bâtiments et îlots décarbonés à basse consommation – il est plus économique que les énergies renouvelables délocalisées soient consommées par le voisin plutôt que d’être renvoyées sur le réseau. En tout cas, dès qu’un AMI concerne un pôle de compétitivité, il revient à nos directeurs régionaux de faire le relais auprès des acteurs locaux.

M. Olivier Carré, Président. Il me reste à vous remercier, monsieur le président, pour la franchise et la clarté de vos propos. Avoir l’opinion d’un opérateur un peu plus en aval de la filière que l’ANR nous fait avancer sur le chemin de l’innovation.

Audition du 28 juin 2011

À 17 heures 15 : M. Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, accompagné de M. Pierre Glorieux, directeur de la section des unités de recherche

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, je vous remercie d’avoir répondu à notre invitation pour cette après-midi d’auditions consacrées aux financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur.

Au cours des dernières années, le secteur a bénéficié de nombreux plans de financement, à travers la loi relative aux libertés et responsabilités des universités – LRU –, le plan Campus, le budget général et le programme des Investissements d’avenir ; le Président de la République a confirmé hier que ce dernier donnerait une impulsion exceptionnelle, grâce à un effort de 35 milliards d’euros.

Le mode de gouvernance du programme est particulièrement original, mais complexe aussi. Nos auditions visent à savoir quelle place chacun des acteurs occupe dans le dispositif et comment nous, parlementaires, pouvons contrôler que les fonds abonderont bien l’ensemble des politiques d’innovation et de recherche, de façon à obtenir le surcroît de croissance attendu.

Nos trois rapporteurs, Alain Claeys, Jean-Pierre Gorges et Pierre Lasbordes, vous interrogeront sur ces points. Je rappelle que, conformément à ses usages, la MEC est assistée dans ses travaux par la Cour des comptes, en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On ne peut que se féliciter des sommes mises à la disposition de la recherche et de l’enseignement supérieur. Il convient néanmoins de veiller à leur bonne utilisation et à l’évaluation des actions engagées. L’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur – AERES – a été créée récemment, dans le cadre de l’autonomie des universités, et a constitué une petite révolution pour notre pays. A-t-elle joué un rôle en amont de la sélection des projets ? Sera-t-elle chargée d’une mission particulière en matière d’évaluation ? Quelles sont ses relations avec le Commissariat général à l’investissement – CGI – et avec les opérateurs des Investissements d’avenir ?

M. Didier Houssin, président de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. La sélection des projets a été confiée à des jurys internationaux. L’AERES a joué un rôle indirect dans la phase d’évaluation ex ante, dans la mesure où elle a mis à la disposition des jurys les rapports d’évaluation qu’elle a établis au fil des années sur les unités de recherche surtout et sur les établissements.

On peut s’attendre à ce qu’elle joue un rôle plus important en matière d’évaluation ex post pour s’attacher à apprécier les effets de ces Investissements. Des discussions sont en cours avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, le CGI et l’Agence nationale de la recherche – ANR –, pour que l’AERES soit impliquée dans le processus d’évaluation à travers d’abord l’évaluation de l’ANR ; elle s’attacherait plus particulièrement à la manière dont l’ANR joue son rôle d’opérateur, notamment dans le cadre de sa relation contractuelle ou conventionnelle avec les bénéficiaires, et lorsqu’elle procède à l’évaluation des actions engagées.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il est vrai que la loi prévoit que l’AERES évalue l’ANR. Toutefois, le rôle joué par celle-ci dans le cadre des Investissements d’avenir diffère de celui qu’elle joue habituellement, lorsqu’elle procède elle-même à l’évaluation et détermine les crédits. Que pensez-vous du rôle joué par les opérateurs ? N’ont-ils pas tendance à quitter la scène une fois les jurys constitués ? Ils semblent un peu absents dans la suite du processus.

M. Didier Houssin. L’ANR dispose d’un savoir-faire éprouvé en matière d’évaluation ex ante des projets de recherche, qui est son activité quasi quotidienne depuis des années. Il n’était pas illogique de s’adresser à elle pour organiser cette procédure. Dans le processus d’évaluation que nous devons conduire sur l’ANR cette année, nous aurons certainement à examiner la façon dont elle a rempli sa mission et comment elle s’est organisée pour conduire les interactions avec les bénéficiaires.

Une première possibilité serait donc d’évaluer l’action des opérateurs, en particulier ceux qui se situent dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche, comme l’ANR et le CEA. Pour les opérateurs qui ne se situent pas dans ce champ, la réponse est moins évidente.

Nous pourrions également jouer un rôle dans l’évaluation ex post des bénéficiaires, puisque le métier de l’AERES est d’évaluer, d’une part, les unités de recherche, d’autre part, les établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Or, certaines de ces structures sont bénéficiaires des Investissements d’avenir, à travers des initiatives d’excellence – Idex –, des laboratoires d’excellence – Labex – et des équipements d’excellence – Equipex –. Elle portera le même regard évaluatif sur les organismes et surtout les unités.

Le problème est de savoir comment cette tâche d’évaluation des structures bénéficiaires va s’intégrer dans le cycle habituel de nos missions d’évaluation répondant à la contractualisation fixée par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, compte tenu du caractère très particulier des Investissements d’avenir et des sommes engagées. Faut-il privilégier le rythme quinquennal et donc créer une désynchronisation pour les Investissements d’avenir ou créer une synchronisation ? Ce point est actuellement en discussion avec le ministère et le CGI.

L’AERES peut encore jouer deux autres rôles. D’abord, n’y aurait-il pas lieu, après un an et demi ou deux ans, d’engager un retour d’expérience sur la manière dont les choses se sont passées ? L’AERES bénéficiant d’une certaine expérience et disposant d’une vision large du champ, elle pourrait être sollicitée pour donner son avis sur d’éventuelles inflexions à apporter.

Ensuite, et surtout, il conviendrait d’apprécier l’impact de ces Investissements, en termes non de production scientifique, mais d’industrialisation du pays, de croissance et d’emploi. Le CGI réfléchit actuellement à cette question complexe. L’AERES pourrait apporter une contribution très utile en mesurant les incidences du dispositif sur le système éducatif, et en particulier sur le système d’enseignement supérieur et de recherche. La création de niches d’excellence jouera-t-elle un rôle de locomotive pour l’ensemble du système, par émulation et mimétisme, ou verra-t-on apparaître des phénomènes d’éviction ou de ralentissement ?

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Qu’en est-il aujourd’hui ? Y a t-il concurrence entre ceux qui bénéficient des Investissements d’avenir et les autres ?

M. Didier Houssin. Dans l’ensemble, l’effet de substitution semble limité : il y a vraiment eu un effort supplémentaire. La communauté scientifique s’est fortement mobilisée. Je n’ai pas l’impression que ceux qui n’ont pas présenté de projet en aient pâti ; en revanche, on a pu tirer les leçons des échecs, qui ont pu créer un choc. On voit ainsi apparaître des choses nouvelles dans les projets Idex. Il faudra aussi repérer les éventuels effets négatifs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La sélection de la première vague de projets a pu faire débat, au point que le Gouvernement a demandé que certains avis soient reconsidérés. Avez-vous constaté des divergences entre le choix opéré par les jurys internationaux et celui qu’aurait fait l’ANR ?

Par ailleurs, aucun projet sur le cancer ne figurait parmi les projets éligibles. Pourquoi ?

M. Didier Houssin. La procédure qui a été retenue est celle qui est la plus reconnue à l’échelle internationale pour la promotion de l’excellence. Ont été constitués des jurys internationaux, regroupant des personnalités dont la compétence est peu discutable. On a évité les dysfonctionnements dus aux conflits d’intérêts – sauf un cas, qui a été traité –, et l’on a fait en sorte de choisir les meilleurs projets. Pour ce que j’en sais, les décideurs ont respecté les résultats de la sélection. En revanche, si les bons projets sont nombreux et que les possibilités financières le permettent, rien n’empêche les responsables politiques de prendre en considération d’autres facteurs, comme la cohérence avec la stratégie nationale de recherche et d’innovation ou avec la politique territoriale. Cela n’est pas choquant. Il me paraît important qu’une cohérence sur le plan de la politique territoriale en particulier soit recherchée. De son côté, l’AERES veillera à la cohérence entre la sélection des Idex et celle des Labex.

S’agissant du cancer, un effort important a déjà été fourni dans le cadre des deux plans Cancer, chacun d’entre eux comportant un volet de recherche ; des initiatives importantes ont été prises, comme les cancéropôles ou l’immunogénétique. On ne peut pas dire que ce domaine ait été laissé en déshérence durant ces dernières années ! Peut-être est-ce la raison pour laquelle il n’y a pas eu de projet d’Institut hospitalo-universitaire – IHU – d’importance – mais cela peut changer.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Que pensez-vous du recours de l’État à des financements extrabudgétaires ? Ne se substituent-ils pas pour partie aux crédits budgétaires ? S’agit-il d’un « coup » politique ?

M. Didier Houssin. Je ne suis pas sûr d’être compétent pour répondre à cette question !

Certes, deux éléments peuvent amener à se poser la question. D’abord, la présidente de l’ANR, Mme Lecourtier, a signalé lors de son audition une diminution des crédits de l’agence – quoique limitée par rapport aux sommes en jeu. Ensuite, il est possible qu’il s’agisse d’une réponse aux difficultés de financement du plan Campus.

Je ne connais pas assez bien les mécanismes budgétaires pour vous apporter une réponse plus précise ; il vaudrait mieux poser la question à la Caisse des dépôts ou à M. Guin, directeur des Affaires financières. Mais, je n’ai pas l’impression que le dispositif vise à compenser une diminution des crédits budgétaires. Il s’agit d’un effort important – et inédit – en faveur de la recherche et de l’enseignement supérieur dans notre pays.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Existe-t-il une cohérence entre les actions financées à travers le plan Campus et celles financées par le programme des Investissements d’avenir ? Le retard pris sur le plan Campus est-il lié au fait que l’autonomie des universités n’a pas été traduite par des conséquences suffisantes sur le plan de la gouvernance ? La question de la relation entre les universités et les organismes de recherche est aussi posée à travers ces difficultés.

M. Didier Houssin. Il faudrait s’assurer de la cohérence des projets retenus ; je ne suis pas, aujourd’hui, en mesure de le faire, car le processus ne fait que commencer. L’opération Idex – qui est à peu près de même nature que le plan Campus – est récente ; par ailleurs, en ce qui concerne la cohérence, seuls un nombre limité d’objets sont concernés : une douzaine pour le plan Campus, cinq à dix pour les Idex. Je ne peux affirmer qu’il n’y a pas d’incohérences. Mais l’opération Campus porte avant tout sur l’immobilier universitaire, c’est-à-dire sur les lieux d’enseignement et sur l’organisation de la vie universitaire. Il convient néanmoins de veiller à ce que les projets retenus favorisent l’émergence de pôles d’excellence et que, réciproquement, les Idex ne soient pas implantés dans des lieux où aucun effort n’aurait été fait en matière d’immobilier. L’aspect de la cohérence a été regardé.

Les universités étant confrontées à de nouvelles missions, auxquelles elles n’étaient pas toujours bien préparées, il peut se poser un problème de montée en charge, surtout pour des projets ayant des incidences sur le plan local d’urbanisme ou sur le réseau de transports. Il n’est pas certain qu’un président d’université dispose des compétences nécessaires autour de lui pour gérer des projets de cette ampleur. C’est pourquoi le rôle d’appui joué par la Caisse des dépôts est si important. Il faudra certainement accompagner les universités pendant plusieurs années dans leur marche vers l’autonomie, en les aidant à assumer leurs nouveaux rôles en matière d’immobilier, de gestion des ressources humaines, de relations internationales et de valorisation.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Au bout de combien de temps pourra-t-on porter un jugement objectif sur la rupture provoquée par la nouvelle organisation de la recherche et des universités et, éventuellement, corriger le tir ?

M. Didier Houssin. Cette question très importante appelle plusieurs réponses.

D’abord, vu les sommes engagées, il conviendra de suivre leur utilisation de près, dès le début, et sur une longue durée, en vérifiant la régularité des procédures et que les réalisations sont bien conformes à ce qui était annoncé.

Il s’agira ensuite d’évaluer de manière scientifique, de porter un jugement sur les résultats, ce qui est plus délicat. Il faudra mesurer le niveau de la production scientifique des laboratoires d’excellence retenus par rapport aux attentes ; on devrait être capable de le faire d’ici deux à quatre ans. On devrait aussi avoir, assez rapidement, une idée de l’impact direct sur l’emploi, emploi scientifique et aussi en périphérie pour les acteurs économiques. En revanche, il sera plus difficile de mesurer les effets de levier, d’émulation, d’entraînement et l’impact à long terme sur l’emploi et la croissance.

Pour ce faire, nous aurons un problème de données structurées, afin de mettre en relation des informations d’ordre scientifique – comme la production scientifique et le nombre de brevets obtenus – avec des indices économiques : emploi, croissance. L’enjeu est aujourd’hui de définir les données dont nous aurons besoin, identifier celles qui sont d’ores et déjà disponibles, élaborer un système de récupération de données manquantes, examiner comment les traiter – sachant qu’elles proviendront de différentes sources qui ne sont pas forcément reliées entre elles : ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, mais aussi de l’Industrie et d’autres sources –, enfin concevoir des méthodes susceptibles de mesurer les effets des dispositifs mis en place.

Les conventions entre l’État et l’ANR, comme celles de l’ANR avec les bénéficiaires, prévoient une mesure de l’impact des résultats, de l’efficience et de la rentabilité socio-économique des projets retenus. Aux États-Unis, le programme Science and Technology for America’s Reinvestment : Measuring the Effects of Research on Innovation, Competitiveness and Science – STAR METRICS – vise précisément à mesurer de façon scientifique et documentée l’impact des Investissements dans le secteur de la recherche. Il faudrait que l’on dispose d’un outil équivalent en France, afin de pouvoir présenter au Parlement, d’ici cinq à dix ans, les résultats objectifs du programme des Investissements d’avenir, ce qui permettra de décider si l’on réitère ou non l’expérience.

M. Olivier Carré, Président. Le programme rencontre en effet un tel succès que certains pensent qu’il faudrait le renouveler chaque année. Existe-t-il une capacité d’absorption suffisante ? Y a-t-il des secteurs qui appellent davantage d’investissement ?

M. Didier Houssin. Cela revient à s’interroger sur la capacité de création et d’imagination de la communauté scientifique ! Et sur sa capacité à s’organiser.

Mme Lecourtier ne semble pas noter de ralentissement sur les contrats ANR, mais il est un peu tôt pour en juger. Il s’agit d’une initiative de grande ampleur : accordons-nous un délai avant d’analyser les résultats et laissons-nous la possibilité d’infléchir les choses. Le processus conduit en France est plus rapide que celui conduit en Allemagne.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Le rôle de l’AERES dans l’évaluation des actions n’a pas été précisé. Le commissaire général à l’investissement, M. Ricol, a répondu à la mission que l’Agence procéderait à l’évaluation dans quatre ans. Qu’en pensez-vous ? Respecterez-vous ce délai, ou proposerez-vous des évaluations intermédiaires ?

M. Didier Houssin. Le programme des Investissements d’avenir porte sur des objets divers. Pour avoir une bonne visibilité du dispositif, il faudrait procéder à leur évaluation en partant de la catégorie dont ils relèvent. Par exemple, nous pourrions porter un intérêt particulier aux laboratoires étiquetés Labex à l’occasion de l’évaluation annuelle des unités de recherche dans les universités et les centres hospitaliers universitaires. S’agissant des Idex, en revanche, on pourrait privilégier une approche par site : l’évaluation donnerait une vision d’ensemble des universités, des écoles et des projets créés dans le cadre de l’initiative. Il serait bon d’enclencher la préparation du processus d’évaluation rapidement, sans exclure de passer à un rythme annuel ou bisannuel. Nous allons régler cette question en concertation avec le ministère et avec le CGI.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dispose-t-on d’indicateurs de performance satisfaisants ?

M. Pierre Glorieux, directeur de la section des unités de recherche. S’agissant des unités de recherche, nous sommes confrontés à une grande variété de milieux, depuis la philosophie et les arts jusqu’à l’ingénierie, en passant par la santé ou l’environnement. Dans certains domaines, comme l’ingénierie et, plus généralement, la recherche finalisée, il existe déjà des référentiels, des traditions ou des valeurs partagées. Dans d’autres domaines, comme les sciences humaines et sociales, le travail est en cours d’élaboration ; les critères retenus doivent être à la fois acceptables par tous les membres de la communauté et suffisamment lisibles par ceux qui n’y appartiennent pas. Il faut aussi aboutir à une certaine homogénéité, pour que les données puissent être rassemblées et partagées.

Ce travail s’accompagne d’une réflexion sur l’utilisation avisée de la bibliométrie. Dans certains milieux, on a tendance à y avoir recours sans discernement, dans d’autres, à la rejeter systématiquement. Le rapport de l’Académie des sciences sur l’évaluation des enseignants-chercheurs est particulièrement instructif sur ce point.

Pour mettre en place des indicateurs, nous privilégions une approche ascendante, avec des phases d’agrégation successives : un certain nombre de disciplines élaborent, chacune de leur côté, leurs propres indicateurs, on retient ceux qu’elles ont en commun et l’on s’efforce d’aboutir à une convergence sur les autres. La démarche inverse, où des indicateurs tels que le nombre de publications ou de citations sont imposés, fait l’objet d’un rejet – souvent à juste titre, d’ailleurs.

Le travail est bien avancé dans le secteur des sciences humaines et sociales, où l’on a réussi à définir des catégories communes à l’Europe, au ministère, au CNRS et à l’AERES, ce qui n’était pas le cas auparavant.

M. Olivier Carré, Président. Envisagez-vous, pour l’évaluation, d’ouvrir la notion d’« établissement » aux campus et aux groupements tels que les universités fusionnées ou les pôles de recherche et d'enseignement supérieur, les PRES ?

M. Didier Houssin.  C’est précisément ce que j’entends par « approche par site » : il s’agit de se situer au niveau de l’enveloppe la plus large, quelle que soit sa forme, afin de disposer d’une vision d’ensemble, en termes de gouvernance, d’organes de décision, de mutualisation et de valeurs partagées. Une telle méthode devrait permettre l’évaluation des Idex.

S’agissant des établissements, notre évaluation met en exergue des domaines qui nous paraissent importants et nous proposons des outils, des indicateurs utiles, mais nous tenons à ce que les établissements élaborent eux-mêmes leurs propres indicateurs. Il serait contradictoire de leur imposer un cadre normatif rigide alors que les universités sont censées devenir autonomes !

M. Olivier Carré, Président. Messieurs, je vous remercie. Nous vous adressons tous nos encouragements pour les travaux à venir.

Audition du 28 juin 2011

À 18 heures 15 : Audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Tapie, directeur général du groupe ESSEC et président de la Conférence des grandes écoles, accompagné de M. Pierre Aliphat, délégué général, et de M. Hervé Biausser, directeur de l’École centrale Paris et vice-président de la Conférence des grandes écoles, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Le financement de l’enseignement supérieur fait aujourd’hui appel, en complément des crédits budgétaires ordinaires qui sont loin d’être négligeables, à deux vecteurs principaux : le plan Campus et le grand emprunt.

Ces nouveaux financements, joints aux effets de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités, conduisent à des bouleversements en matière de gouvernance, de montants disponibles et de responsabilisation des acteurs, l’enjeu étant de susciter une dynamique nouvelle pour reconquérir des positions perdues au cours des dernières décennies.

Après avoir auditionné notamment les représentants de la Conférence des présidents d’universités, nous avons souhaité avoir entendre ceux de la Conférence des grandes écoles. Merci d’avoir répondu à notre invitation.

Je rappelle que nos travaux bénéficient de l’assistance de la Cour des comptes, en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ma première question porte sur la mise en œuvre du plan Campus : quelles sont, d’après vous, les raisons des retards constatés ?

En deuxième lieu, pensez-vous que les grandes écoles disposent des moyens logistiques et comptables nécessaires pour l’application de ce plan ?

J’en viens enfin au campus de Saclay, qui n’a pas été sélectionné lors de la « première vague » des Investissements d’avenir, alors qu’il constitue l’une des fiertés de notre pays. Plusieurs grandes écoles y étant implantées, j’aimerais connaître votre avis sur cet échec.

M. Pierre Tapie, directeur général du groupe ESSEC et président de la Conférence des grandes écoles. La mise en œuvre du plan Campus a été compliquée par plusieurs facteurs. Tout d’abord, les schémas financiers retenus par le ministère n’étaient pas toujours très clairs, notamment en ce qui concerne le recours aux partenariats public - privé (PPP) et l’engagement précis de l’État pour certains établissements – certains d’entre eux ont dû attendre juin 2011 pour être définitivement fixés sur leur sort, alors que le plan Campus a été lancé au printemps 2008. La prise de décision a été retardée par quelques hésitations, ainsi que par l’élargissement du processus.

À cela s’ajoutent les contreparties parfois demandées par l’État aux collectivités territoriales : comme elles ne sont pas toujours de la même sensibilité politique que le Gouvernement, en particulier au plan régional, elles ont manifesté un empressement variable à répondre à l’invitation qui leur était adressée...

L’organisation des élections régionales, au cours des opérations, a également joué un certain rôle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il y avait aussi des raisons financières…

M. Pierre Tapie. Bien sûr. Certaines collectivités ont fait savoir qu’elles n’étaient pas du tout favorables à la formule juridique des PPP, dont l’État souhaitait l’application dans certains cas.

Une autre raison est que le plan Campus s’est finalement accompagné, en particulier dans la région parisienne, des Investissements d’avenir. L’État a voulu, sinon globaliser l’effort, du moins assurer la cohérence de l’ensemble.

M. Hervé Biausser, directeur de l’École centrale Paris et vice-président de la Conférence des grandes écoles. Le degré de maturité des projets était, par ailleurs, assez variable à Saclay. Certains établissements avaient l’habitude de coopérer depuis longtemps, mais ce n’était pas toujours le cas : il a parfois été nécessaire d’apprendre à travailler ensemble, ce qui a pris du temps.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Disposez-vous de données chiffrées sur le nombre de docteurs formés au sein des grandes écoles ? Observe-t-on une évolution dans ce domaine ?

M. Pierre Tapie. De manière générale, un tiers des docteurs est aujourd’hui formé dans les laboratoires des grandes écoles, contre un quart il y a une dizaine d’années.

On constate, en outre, qu’il y a exactement la même proportion d’étudiants continuant leur formation jusqu’au doctorat dans l’ensemble des masters, toutes disciplines confondues, et dans les écoles d’ingénieurs – je mets à part les écoles de management, car elles ont des problématiques très différentes, en France comme à l’étranger. On prétend souvent que les grandes écoles détournent de la recherche, mais c’est une erreur.

Cela étant, il existe des différences selon la difficulté d’accès aux grandes écoles au plan abstrait : dans les écoles plutôt orientées vers l’innovation technologique, la recherche appliquée, les PME et les PMI, le pourcentage des ingénieurs faisant une thèse est compris entre 1 et 2 %, contre 7 % en moyenne ; il est de 15 ou 18 % à l’École centrale Paris, de 27 % à l’École Polytechnique, et de 50 ou 80 % dans les Écoles normales supérieures – pour des raisons en grande partie endogènes dans ce dernier cas. Je rappelle que ce taux était de 5 ou 7 % à Polytechnique il y a trente ans. Il y a donc eu une évolution considérable.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Si je vous ai posé cette question, c’est que notre pays est handicapé par la présence insuffisante de docteurs dans l’économie marchande par rapport à d’autres pays européens. Pensez-vous que la situation a tendance à s’améliorer ?

M. Pierre Tapie. L’idée du retard de la France correspond à une vision erronée de la réalité, exception faite des cas très spécifiques de l’Allemagne et de la Suisse : il faut être allé jusqu’au doctorat pour jouir d’une certaine considération dans l’industrie chimique, prédominante dans ces pays, où le titre de docteur fait, en outre, partie de l’identité personnelle. C’est un facteur d’ennoblissement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Un des principaux aspects de notre réflexion est de comprendre pourquoi la recherche est moins développée en France dans le secteur privé. On sait que beaucoup d’ingénieurs, en particulier ceux qui sont issus des grandes écoles, sont happés par des tâches de management. Qu’en pensez-vous ?

M. Hervé Biausser. Étant administrateur de l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), j’ai eu l’occasion de participer, en 2009, à la réalisation d’une étude sur l’emploi des docteurs. Nous nous sommes demandés si leur proportion était réellement insuffisante en France, et s’il était vrai qu’ils ne se tournent pas assez vers l’entreprise. Dans ces deux domaines, les résultats de la comparaison avec des pays tels que le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Suisse, les États-Unis et le Japon sont assez inattendus.

En premier lieu, les situations sont très différentes selon les pays. En France, les étudiants inscrits en thèse souhaitent devenir, dans 75 % des cas, maître de conférences ou chargé de recherches au CNRS. Or, moins de 25 % des docteurs accèdent à une position académique stable, et près de la moitié doit changer de projet professionnel. Au Brésil, les étudiants inscrits en thèse ont, en revanche, plus de 70 % de chances de trouver un emploi dans une université, car ce pays connaît la situation qui était la nôtre dans les années 1970. Aux États-Unis, la proportion est d’environ 50 % grâce à l’existence d’un extraordinaire système pyramidal, formé de 4 000 entités qu’on peut qualifier d’universités : il est possible de commencer modestement sa carrière dans une petite université de province avant d’être recruté par Penn State, Stanford ou l’université du Wisconsin.

Nous nous sommes également interrogés sur l’avenir professionnel des docteurs qui ne parviennent pas à trouver une position à l’université. Pour répondre à cette question, nous avons comparé le pourcentage des titulaires d’un doctorat dans les états-majors des cent entreprises les plus actives dans le monde en matière de recherche et développement
– R&D. Ce taux est de 20 % en France, ce qui est loin d’être mauvais par rapport à la moyenne mondiale – environ 15 % –, même si l’on peut regretter qu’il n’y ait pas suffisamment de groupes français parmi les cent premières entreprises. Deux pays sortent du lot, l’Allemagne et la Suisse, avec des taux respectifs de 56 % et 35 % – l’Allemagne en raison de son industrie chimique, la Suisse en raison de son industrie pharmaceutique. Mais le plus étonnant est que le Royaume-Uni est moins bien classé que la France, et que les États-Unis se trouvent en queue de peloton, avec un taux de 8 %.

Ce résultat s’explique, tout d’abord, par le fait que 50 % des docteurs entrent dans le système académique aux États-Unis ; en outre, plus de la moitié du reste des docteurs fait entièrement carrière dans la R&D au sein du secteur privé : si les grands groupes et les entreprises moyennes tournées vers la technologie les recrutent, ce n’est pas pour qu’ils deviennent des managers, mais des chercheurs professionnels. C’est un phénomène inconnu en France, alors qu’il faudrait embaucher les docteurs pour ce qu’ils savent faire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je suis entièrement d’accord sur ce point. Les grandes écoles recrutent les meilleurs scientifiques ; or ils sont souvent happés par des tâches de management dès leur sortie. Comment pourrait-on mieux irriguer le tissu des PME pour assurer leur développement ?

M. Hervé Biausser. Il faut, tout d’abord, commencer par éviter certaines erreurs. À une époque, beaucoup de docteurs en biologie ont ainsi accumulé les « post-docs » sans jamais trouver la place qu’ils souhaitaient en France. Si l’on accroît le nombre de docteurs dans un domaine, ce qui est tout à fait cohérent avec l’objectif consistant à développer la recherche, il faut assurer une certaine continuité.

Sachant que seul un quart des docteurs trouveront une position académique stable, nous devons réfléchir à l’avenir des personnes inscrites en thèse dans un cadre global : la politique industrielle des entreprises, notamment celles de taille intermédiaire, la politique de la recherche, la politique de l’emploi, mais aussi la politique étrangère – si l’on ne forme pas des docteurs pour notre pays, on les forme pour d’autres. Nous avons des propositions à faire sur ce point. Il faut, en tout cas, veiller à offrir des carrières intéressantes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Pensez-vous que le crédit d’impôt recherche constitue un bon outil ?

M. Hervé Biausser. Il est plébiscité par le monde de l’entreprise.

M. Pierre Tapie. C’est effectivement un très bon outil. Cela étant, la part du PIB investi dans la recherche est restée désespérément basse et plate, au cours des huit dernières années, par rapport aux autres grands pays de l’OCDE. Des pays tels que la Corée, le Japon ou la Finlande atteignent des taux de 3, voire 3,5 %, quand nous passons de 2,1 à 2,2 %.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On s’accorde généralement pour dire que le grand emprunt constitue un coup de fouet, malgré les retards observés. Comment faire pour que les efforts consentis en faveur de la recherche puissent s’inscrire dans la durée et donner une vraie impulsion ? Quel regard portez-vous, plus généralement, sur le grand emprunt ?

M. Pierre Tapie. Si le total de l’opération est de 35 milliards d’euros, dont 22 milliards pour l’enseignement supérieur et la recherche, les flux annuels ne dépassent pas 600 millions. Or, ce n’est pas suffisant pour rattraper le point de PIB qui manque dans le domaine de la recherche. Quant à l’effort budgétaire réalisé entre 2007 et 2011, il est certes considérable, mais il ne suffira pas non plus.

Notre proposition, qui consiste à tripler le nombre d’étudiants étrangers solvables, permettrait de dégager des recettes sept fois plus importantes sans faire appel aux marchés financiers internationaux – on recevrait directement des devises étrangères.

J’ajoute que les 600 millions d’euros issus du grand emprunt ne représentent que 4 % du programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire, doté de 15 milliards d’euros, et qu’ils sont du même ordre de grandeur que les économies réalisées, chaque année, en sous-traitant la formation d’environ 65 000 jeunes aux 60 établissements supérieurs associatifs.

Au total, même si l’effort prévu par l’État peut jouer un rôle catalyseur intéressant, il ne faudra pas en attendre des miracles : on est encore loin des 15 ou 20 milliards d’euros supplémentaires qu’il faudrait trouver, chaque année, pour consacrer 3 % du PIB à la recherche, conformément à l’objectif de Lisbonne.

M. Olivier Carré, Président. Précisons qu’il ne s’agit pas nécessairement de financements publics supplémentaires.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. En effet, cet investissement n’a pas pour vocation d’être uniquement financé par de l’argent public, donc par l’impôt : on peut aussi inciter les entreprises. À cet égard, le crédit d’impôt recherche est un outil nécessaire, mais il n’est sans doute pas suffisant : ce n’est pas en consacrant seulement 2 % du PIB à la recherche que nous allons gagner la compétition. Du reste, il faudrait certainement aller au-delà de 3 %, car nous devons miser sur la seule matière première dont nous disposons.

M. Pierre Tapie. En ce qui concerne le grand emprunt, le jeu a parfois été à somme négative. Le résultat de l’effort réalisé, que le ministère estime à 6 000 hommes/an, a fait de nombreux déçus : seul un petit nombre a été conforté dans ses projets, car le dispositif repose sur le principe de la concentration.

Or, le choix consistant à faire la part belle aux « grains » les plus gros dans les appels d’offres ne conduit pas nécessairement à une allocation optimale des crédits. Je pense, en particulier, à la conception des Instituts de recherche technologique (IRT), qui donne une primauté absolue au concept de technology push. N’oublions pas que seuls 5 % de la valeur ajoutée créée dans la Silicon Valley sont liés à la recherche de l’université Stanford. Le reste est le fruit d’un écosystème complexe, où les cafés et les petites banques jouent un rôle important, et qui est tiré par l’aval. Quant au fameux iphone, vous savez qu’il ne comporte qu’une seule innovation technologique sur 17 technologies clefs. Le choix du big is beautiful parce que big is visible ne correspond donc pas nécessairement à l’optimum dans une économie où 70 % de la valeur vient des services. Le monde intellectuel est devenu très interactif et très mobile, avec des points de très haute intensité.

M. Olivier Carré, Président. Le cœur de la stratégie n’est pas tant la taille que le rassemblement. On considère souvent, à l’heure de la dématérialisation, que l’écran suffit comme point de rassemblement. Or, ce n’est pas complètement vrai : l’exemple californien montre que les différents acteurs ont besoin de se rencontrer physiquement, dans le monde réel, et pas seulement de manière virtuelle. C’est un des facteurs de réussite des bassins qui se sont développés en atteignant un point d’excellence dans un domaine précis. Êtes-vous d’accord avec cette analyse ?

M. Hervé Biausser. Les facteurs décisifs dans la Silicon Valley, comme à Munich, sont la concentration de l’intelligence et la disponibilité du capital d’amorçage. Si vous rassemblez des esprits jeunes, brillants, bien formés, dynamiques et entreprenants, avec du capital à proximité et un réseau scientifique puissant, vous aboutirez à des résultats. On présente souvent les fondateurs de Google et de Facebook comme des « bricoleurs inspirés », alors qu’à l’origine, ils étaient de jeunes étudiants extrêmement brillants, insérés dans un environnement dans lequel il est possible d’entreprendre sans craindre qu’un échec éventuel ait une trop grande importance.

Avec Philippe Courtier, directeur de l’École des ponts et chaussées, auquel je veux rendre hommage, j’ai été l’un des premiers à dire depuis des années que les grandes écoles doivent travailler avec les universités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Tous vos homologues ne sont pas sur la même ligne.

M. Hervé Biausser. Je ne me prononcerai pas sur ce sujet.

En revanche, je peux vous dire que si le conseil d’administration de l’École centrale Paris s’est prononcé à l’unanimité en faveur d’un déménagement sur le plateau de Saclay, c’est parce que nous avons intérêt à être près de nos alliés, et à chercher à bénéficier d’un effet de concentration dans un certain nombre de champs de recherche assez lourds, ou faisant appel à des compétences variées. Il faudra ensuite accompagner le mouvement en direction des entreprises, mais nous sommes certains de faire émerger de la recherche de très grande qualité.

Le projet de Saclay sera, en outre, un facteur important de visibilité et d’attractivité au plan international, à condition que le campus soit agréable : il faut qu’on ait envie d’y vivre. Notre modèle doit être celui de Cornell ou de Madison, plutôt que celui d’Orsay, même si j’aime beaucoup cette université pour d’autres raisons.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les projets ont été évalués en amont par un jury international. Comment envisagez-vous leur évaluation dans quatre ou cinq ans ? Comment procédez-vous, par ailleurs, pour évaluer les laboratoires des grandes écoles ? J’aimerais savoir si l’AERES intervient dans ce domaine.

M. Hervé Biausser. Nous sommes évalués dans les mêmes conditions que les universités. L’École centrale est, du reste, sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.

Comme vous le savez, le projet de Saclay implique notamment la deuxième université française, celle de Paris 11, six écoles d’ingénieurs comptant parmi les meilleures de France, et une très grande école de commerce, HEC. Notre objectif commun est d’améliorer nos capacités dans trois domaines : attirer de très bons étudiants étrangers, à l’instar des grandes universités américaines, développer des partenariats d’entreprises de grande qualité, et permettre à nos étudiants de réaliser de belles carrières. Ce sont des critères objectifs en matière de formation. L’École centrale a déjà un partenariat avec Cambridge dans le domaine de l’ingénierie, mais elle ne peut pas prétendre à un partenariat scientifique global avec cette université prestigieuse ; en revanche, Saclay pourrait y parvenir.

Il existe, par ailleurs, des critères universellement reconnus dans le domaine de la recherche : les publications, les conférences invitées de haut niveau, le volume des contrats et la qualité du réseau international. À cet égard, la provenance des post-docs est un facteur qui ne trompe pas.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Parvenez-vous à récupérer certains post-docs partis à l’étranger ?

M. Hervé Biausser. Oui, fort heureusement. L’Agence nationale de la recherche a joué un grand rôle dans ce domaine.

En matière de valorisation, les projets devraient être portés par l’IRT et la SATT, la Société d'accélération du transfert technologique. Pour le directeur de Centrale que je suis, le critère prioritaire de réussite sera le nombre de centraliens portant des projets d’entreprises ou partant dans des entreprises de taille intermédiaire (ETI). C’est un critère objectif et mesurable. Si nous parvenons à progresser dans ce domaine, nous aurons travaillé pour le bien de la Nation.

M. Pierre Tapie. S’agissant du rôle de l’AERES, je rappelle que nous avons largement dépassé la distinction administrative, héritée de notre histoire, entre les universités et les grandes écoles.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il reste tout de même quelques sujets de réflexion, notamment les classes préparatoires.

M. Pierre Tapie. Si l’on additionne les universités et les grandes écoles, la France compte 300 entités universitaires pour 60 millions d’habitants, contre 4 000 entités appelées « universités » aux États-Unis pour 300 millions d’habitants et 17 millions d’étudiants. La taille moyenne des établissements est d’environ 4 000 étudiants dans ce pays : certaines grandes universités rassemblent entre 10 000 et 30 000 étudiants, quand des centaines d’autres n’en comptent que 1 000 ou 2 000, avec un niveau de recherche souvent inférieur à celui de grandes écoles de taille comparable en France.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Certaines universités américaines sont, en effet, des « collèges » n’offrant pas de masters et ne réalisant pas de recherche.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Comment faire pour que les filières scientifiques attirent davantage les jeunes ? Elles sont aujourd’hui un peu en perte de vitesse.

M. Pierre Tapie. Un premier aspect de la question est le regard porté sur les sciences et les techniques : il peut y avoir des inquiétudes, liées au principe de précaution ou à la peur des centrales nucléaires.

Un deuxième enjeu est l’attractivité des filières longues et difficiles pour les jeunes issus des milieux modestes. Nous avons découvert qu’il y avait, dans l’ensemble des cycles universitaires scientifiques et dans la filière des classes préparatoires scientifiques aux grandes écoles d’ingénieurs, le même pourcentage d’étudiants dont les parents appartiennent aux catégories socioprofessionnelles les plus élevées. Il y a donc une barrière mentale, sur laquelle nous travaillons dans le cadre de dispositifs tels que les « cordées de la réussite » et l’opération « pourquoi pas moi ».

À cela s’ajoute la perte d’un grand nombre de jeunes filles : alors qu’elles représentent 50 % des candidats au bac S, elles ne sont plus que 20 % des inscrits dans les filières scientifiques au 1er septembre.

Dans ces trois domaines, il y a un véritable travail à mener sur les représentations sociales.

M. Alain Claeys, Rapporteur. J’en viens à la question de la gouvernance. Que pensez-vous des pôles de recherche et d’enseignement supérieur, les PRES ? Y est-on entré à reculons ? Estimez-vous que le législateur devrait apporter des précisions au dispositif, ou bien considérez-vous, au contraire, que sa souplesse est un atout dans certains cas ?

M. Hervé Biausser. L’École centrale Paris et Supélec, son allié, ont choisi de participer au PRES UniverSud Paris, peu après sa création, afin de rejoindre les universités d’Evry-Val d’Essone, de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines et de Paris 11. Nous ne sommes pas du tout entrés à reculons dans le PRES, car il nous paraissait très intéressant.

Cela étant, je tiens à préciser que je ne crois pas aux structures, mais plutôt aux projets : les structures ne sont que des outils pour les réaliser. Pour notre part, nous nous sommes d’abord intéressés aux projets susceptibles d’être réalisés dans le cadre du PRES UniverSud, quitte à faire évoluer cette structure par la suite.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pensez-vous que les PRES sont des structures capables de porter des projets ?

M. Hervé Biausser. C’est une solution qui fonctionne bien dans un certain nombre de cas, mais pas dans d’autres. Le législateur devra donc accompagner le mouvement.

Lors de la constitution du projet de Saclay, nous avons réalisé une étude sur les universités américaines avant de définir notre propre modèle de gouvernance. Nous nous sommes alors aperçus qu’il existe d’importantes variations dans ce domaine : Harvard, par exemple, est une université extrêmement décentralisée, alors que l’université de Californie est beaucoup plus centralisée. Cela étant, le rapport de Philippe Aghion a fait ressortir un certain nombre de constantes : les universités américaines comportent généralement un board, majoritairement composé de personnalités extérieures et chargé d’élaborer la stratégie, un Sénat rassemblant le corps enseignant et plutôt tourné vers les questions académiques, ainsi que des départements jouissant d’une grande liberté. Je rappelle que ces départements sont voués à l’enseignement : en matière de recherche, les professeurs des universités américaines ne sont pas des hommes de laboratoire, mais des entrepreneurs qui vont chercher des partenaires.

À titre personnel, je pense que les universités du XXIe siècle ne doivent pas être conçues comme des structures, mais comme des lieux où l’on fait de l’enseignement et de la recherche. Il faut donner à ces clusters, ou à ces assemblages, la liberté de définir les structures de coopération qui leur permettront de développer leur projet. On verra bien, dans un second temps, ce qui fonctionne ou non.

Le PRES est certes un cadre, mais il en existe d’autres – un rapport a d’ailleurs été remis par l’inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche sur ce sujet. Il faut commencer par imaginer des structures de coopération ; il reviendra ensuite au législateur d’intervenir. De toute façon, les solutions qui ne fonctionnent pas seront éliminées par le jeu de la concurrence.

M. Pierre Tapie. Sur ce point, je précise que la Conférence des grandes écoles est plus favorable aux projets qu’aux structures.

M. Alain Claeys, Rapporteur. C’est un élément positif…

M. Olivier Carré, Président. Surtout en France, où l’institution est souvent un projet en soi.

M. Pierre Tapie. C’est effectivement une tendance dominante. Alors que la loi du 18 avril 2006 offrait aux acteurs un choix entre quatre types de structures, on a cherché très fortement, au niveau central, à imposer une solution unique, ce qui revenait à placer la structure avant le projet.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il y a là un problème. Cela étant, si le marché suffisait pour élaborer des projets, on le saurait depuis longtemps.

M. Olivier Carré, Président. Il me reste à vous remercier pour vos réponses, qui témoignent d’un grand dynamisme.

M. Pierre Tapie. Si vous le permettez, je voudrais vous remettre une synthèse du congrès que nous avons organisé sur le thème : « Quelle réponse au défi de l’international pour l’enseignement supérieur ? ».

Audition du 5 juillet 2011

À 14 heures 30 : Audition, ouverte à la presse, de M. Vincent Moreau, sous-directeur, chargé de la 3ème sous direction de la direction du Budget, sur les financements extrabudgétaires de la recherche et de l’enseignement supérieur

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Monsieur Moreau, nous avons souhaité à travers la série d’auditions que nous avons conduite nous assurer du bon déroulement du processus des Investissements d’avenir en vérifiant tant ce qui s’est passé en amont que ce qui va se passer en aval de la passation des appels d’offre et de la signature des contrats avec les bénéficiaires finaux. Aujourd’hui, nous souhaitons avoir le point de vue du ministère du Budget après avoir entendu le point de vue de différents acteurs du processus.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Je souhaite tout d’abord connaître votre avis sur l’état d’avancement du programme, en particulier le rythme des engagements et des décaissements des crédits. Ensuite, je souhaiterais des précisions sur d’éventuels glissements du financement de certains projets des crédits budgétaires vers les crédits extrabudgétaires du grand emprunt. C’est une question importante et politique sur laquelle il faut être très clair.

M. Vincent Moreau, sous-directeur, chargé de la 3ème sous direction de la direction du Budget. Je précise tout d’abord que le ministère du Budget n’est pas représenté dans les différents comités de pilotage à l’exception du dossier de Saclay et n’a donc pas de visibilité sur l’ensemble des calendriers d’engagement et de décaissement des fonds ; nous sommes plutôt en situation de suivi. Le bilan suivant peut être dressé : l’ensemble des conventions avec les opérateurs a été signé, l’ensemble des crédits prévus par la loi de finances rectificative a été versé aux opérateurs, les appels à projet de la première phase ont été clôturés. La deuxième vague des appels à projet a été lancée début juin. Ce rythme représente déjà une performance à souligner, avec un montant important de crédits et une ingéniérie juridique assez lourde. Les crédits engagés au 31 mars 2011 représentent presque 4 milliards d’euros (3 milliards de dotations consommables et 936 millions d’euros de dotations non consommables). Le bilan du deuxième trimestre n’est pas encore finalisé. Les engagements à fin 2011 représenteront 15 à 20 milliards d’euros dont 12 à 13 dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche. Quant aux décaissements, ils sont par définition plus longs et dépendent de plusieurs facteurs : date de sélection des projets, des conventions passées entre l’ANR et les bénéficiaires finaux, des prévisions de décaissement des bénéficiaires…. Que les décaissements ne soient pas immédiats ne doit pas être source d’inquiétude : il est préférable de s’assurer dès aujourd’hui qu’il seront mis en place dans de bonnes conditions. Les prévisions sont différentes selon s’il s’agit de financer un gros investissement ou de financer une équipe de recherche.

Dans son rapport déposé en annexe au projet de loi de finances, le Gouvernement avait évoqué un total de 5 milliards de décaissement en 2011 pour l’ensemble des Investissements d’avenir : rien n’indique que ce ne sera pas respecté. L’ANR a déjà décaissé 18,5 millions d’euros pour les bénéficiaires des laboratoires d’excellence et 7 millions d’euros d’intérêts sur les dotations non consommables pour les instituts Carnot.

La mise en place de l’ensemble du processus se déroule bien et cela me paraît le plus important.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Si l’on additionne les crédits budgétaires et extrabudgétaires, sommes nous au-dessus de ce qui aurait du être versé de toute façon au titre des crédits budgétaires, pour une phase d’investissement comparable ?

M. Vincent Moreau. Les subventions aux organismes et aux universités sont versées conformément à leur rythme habituel, il y a donc un supplément avec les crédits extrabudgétaires.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On voit bien que le système est particulier, avec des processus nouveaux qui sont mis en place. Nous souhaitons nous assurer que ces crédits supplémentaires ont un impact fort, mais il est complexe de faire le suivi et de veiller à terme aux résultats.

M. Vincent Moreau. L’idée de la commission Rocard et Juppé était bien de mettre en place un suivi spécifique de ces Investissements pour éviter le soupçon que les crédits viendraient financer l’activité courante des organismes ou des projets qui n’auraient pas trouvé de financement par ailleurs.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je souhaiterais connaître les projets « fléchés » qui n’avaient pas été financés par les crédits de la loi de finances et qui pourront l’être grâce au grand emprunt.

M. Vincent Moreau. Il y a deux situations différentes. Dans l’une, le financement était prévu sur crédits budgétaires et il y eu glissement : c’est le cas de l’aéronautique civile pour environ 450 millions d’euros, et des fonds démonstrateurs de l’Ademe, mais je ne connais pas d’autre cas avéré. Dans les autres cas soulevés par la Cour, il est difficile de dire s’il s’agissait réellement de projets, ou seulement d’intentions, dans la mesure où aucune autorisation d’engagement n’était inscrite, Il s’agit par exemple du projet de réacteur expérimental Jules-Horowitz destiné à la recherche, du projet Astrid et des internats d’excellence.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. On peut se demander alors s’il s’agit réellement de « projets d’avenir », s’ils existaient déjà.

M. Vincent Moreau. Il est arrivé que ces projets changent de nature en cours de route. Le projet de réacteur Jules-Horowitz était un réacteur de recherche à l’origine, et, sur proposition de la commission Juppé-Rocard, il a été étendu à la production de radio nucléides à usage médical ; le projet Astrid pour sa 4ème génération quant à lui n’avait connu aucun début de réalisation.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Je demanderai une réponse écrite sur ces points, avec la précision du nombre des projets concernés et la manière dont ils ont évolué.

M. Olivier Carré, Président. Comment prévoyez-vous l’évolution des crédits budgétaires dans ce contexte ? Le plan Campus prévoit des lignes de cofinancement. Sur l’immobilier universitaire en particulier, le ministère n’en vient-il pas à reprendre d’une main ce qu’il donne de l’autre ? Quant à l’équipement de recherche, verra t-on un maintien ou une baisse de l’effort ?

M. Vincent Moreau. Je peux tout à fait vous fournir cette liste des projets qui ont évolué avec l’intervention des financements nouveaux. On constate par exemple que le projet RJH a changé de nature lorsqu’il a été envisagé de le financer dans le cadre du grand emprunt. Astrid n’était pas vraiment un projet et a bénéficié de l’opportunité. Les développements de restructuration de la filière des lanceurs Ariane VI n’auraient pu être engagés avec les seuls crédits budgétaires du CNES tels que prévus dans le contrat d’objectif actuel de l’opérateur. De même, je doute que nous aurions eu des internats d’excellence supplémentaires sans les Investissements d’avenir.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Y a-t-il des projets dont le financement a été bouclé grâce aux Investissements d’avenir ?

M. Vincent Moreau. Non, il serait plus juste de dire que des projets ont été complétés grâce au grand emprunt. Quant à l’évolution budgétaire, il n’y a pas de décroissance inscrite au triennal 2011-2013 ; il n’y aura donc pas d’effet de substitution de crédits. En revanche, il y aura des opportunités pour mener à bien des opérations plus structurantes que celles en cours avec les crédits récurrents.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Avant le plan Campus, les contrats de plan État-régions et les crédits budgétaires concouraient déjà au financement de projets non négligeables, telles les dernières tranches de programmes immobiliers ou les universités du troisième millénaire. Les dix universités retenues dans le cadre du plan Campus ont-elles aussi émargé à ces plans successifs ? Ou bien le plan Campus et le grand emprunt, en leur apportant un ballon d’oxygène sur le plan financier, ont-ils permis de réduire le volume des crédits budgétaires qui leur sont alloués et qui servent, en grande partie, au développement d’infrastructures immobilières visant à répondre à la massification de l’enseignement supérieur ?

M. Vincent Moreau. La mise en œuvre des contrats de plan État-régions se poursuit nonobstant l’application du plan Campus.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourtant, le faible taux de consommation des crédits liés aux contrats de plan État-régions demande explication.

M. Vincent Moreau. Il n’est pas lié à la mise en place du plan Campus.

M. Olivier Carré, Président. La stratégie financière est difficile à définir dans un environnement nouveau où les partenariats publics privés apparaissent, l’autonomie des établissements se développe et la dévolution du patrimoine immobilier est enfin amorcée… Dans ce contexte, quelles sont vos propres préoccupations ?

M. Vincent Moreau. Le ministère du Budget souhaite disposer d’une vision consolidée des financements existants. En établissant le jaune budgétaire, ainsi que l’a préconisé la Commission Juppé-Rocard, il assure un suivi spécifique des Investissements d’avenir, mais au-delà, il faudrait être capable de faire un suivi consolidé par site et par organisme de l’ensemble des crédits reçus. Nous y travaillons avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche. Cette préoccupation est particulièrement prégnante pour les sujets immobiliers qui correspondent à des opérations lourdes et de long terme.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Comment le ministère du Budget s’assure-t-il du respect des clauses qui garantissent, dans les appels à projet, le recours à des sous-traitants français, dans une volonté de développement du territoire national ? Il me semble que les retombées effectives sont très faibles.

M. Vincent Moreau. Le choix des projets est à l’entière appréciation des jurys désignés à cet effet, non du ministère. Il conviendrait d’examiner une à une les conventions attributives de crédits. Dans celles où ce point serait inclus, le CGI serait garant de sa bonne observation.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. Sous quelle forme la direction du Budget est-elle partie prenante à l’établissement public du plateau de Saclay ?

M. Vincent Moreau. Je siège ès qualités au sein de son conseil d’administration.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quelle impression retirez-vous de cet empilement de financements ? La situation vous paraît-elle optimale ?

M. Vincent Moreau. Elle résulte d’un changement de nature survenu ces dernières années. De dotations récurrentes à des opérateurs le mode opératoire est passé au financement sur projet, consécutivement à la création de l’ANR. Comme la mise en œuvre des Investissements d’avenir commence à le montrer, le nouveau mode opératoire est plus favorable au développement de grands projets.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’ANR ne devrait-elle pas piloter les crédits extrabudgétaires alloués dans le cadre des appels à projets ?

M. Vincent Moreau. Le Gouvernement, via le CGI, a souhaité garder la haute main sur ces Investissements, mais l’ANR reste très présente dans les faits, notamment au sein des jurys de sélection.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Vous voulez dire qu’elle se contente de les organiser ! J’estime qu’elle serait pourtant mieux à même de suivre l’exécution des crédits.

M. Vincent Moreau. Les appels d’offre qu’elle publie ne répondent pas aux mêmes exigences que les opérations du grand emprunt. L’agence est plutôt dimensionnée pour attribuer des aides à des projets d’un montant moyen de 500 000 euros.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’exemple de la loi organique relative aux lois de finances devrait inspirer plus de rigueur dans la gestion des crédits. Deux structures se développent en parallèle, l’une pour attribuer les crédits, l’autre pour en suivre l’exécution. La théorie classique du management connaît les plateformes d’impulsion pour engager les projets d’avenir, mais elle prévoit que ces plateformes sont ensuite intégrées à la structure existante de l’entreprise.

M. Vincent Moreau. Je n’ai pas encore observé l’apparition de contradictions de ce genre. Du reste, tous les crédits n’ont pas encore été attribués.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. L’existence même de notre mission d’évaluation et de contrôle atteste pourtant du besoin d’éclaircissements. Je crois à un risque de superposition de structures redondantes.

M. Vincent Moreau. Les décisions sur le suivi des crédits ne sont pas encore à prendre immédiatement. La priorité aujourd’hui va à l’attribution des dernières tranches. Mais je conviens avec vous de ce que la démarche des Investissements d’avenir a pu amplifier une certaine dichotomie entre le financement sur projets et les dotations récurrentes.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Cette démarche garantit-elle un meilleur suivi ?

M. Vincent Moreau. D’une certaine manière. Les organismes concernés sont peu nombreux et je siège simultanément au conseil d’administration de l’ANR, du CNRS et du CEA. Le suivi des crédits des Investissements d’avenir est assuré par une administration de mission, le Commissariat général aux Investissements. Il n’y a pas d’autre solution que cette gouvernance spécifique, qui présente certes l’inconvénient de ne laisser place qu’à un suivi plus général des ministères du Budget et de la Recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La représentation nationale voudrait pourtant savoir quels crédits financent quels projets. Il faudrait pour cela que les crédits consommables des Investissements d’avenir soient inclus dans la norme de dépense.

M. Vincent Moreau. La norme de dépense est définie comme la norme que l’État se fixe pour piloter ses dépenses. Il est difficile d’y intégrer les dépenses effectuées par les opérateurs, puisque la réalisation de la norme de dépense dépendrait des décaissements opérés par des opérateurs, en l’occurrence l’ANR. L’effet pervers pourrait être que, pour garantir le respect de cette norme, le ministère du Budget intervienne directement auprès des opérateurs, en demandant par exemple à l’ANR de retenir 100 millions d’euros, ce qui perturberait la bonne exécution des conventions. Enfin, même si les dotations consommables des Investissements d’avenir ne sont pas incluses dans la norme de dépense, elles ont un impact sur l’évolution du solde des administrations publiques et de la dette publique, qui sont aussi des indicateurs importants pour le pilotage des finances publiques.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ce montage rappelle l’agencement du budget d’une ville et d’une société d’économie mixte.

M. Olivier Carré, Président. La nature juridique du versement a une incidence sur le bilan et entraîne une obligation de consolidation à la fin.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Il conviendrait de trouver des mécanismes plus transparents et plus précis.

M. Vincent Moreau. La traçabilité est assurée jusqu’à l’exécution, car les opérateurs comme l’ANR gèrent les dépenses du grand emprunt dans des comptes de tiers et celles–ci sont comptabilisées dans les conventions jusqu’à l’exécution.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Le principe du grand emprunt est positif, mais il gagnerait à être complété par de mécanismes de transparence et de cantonnement distinguant plus précisément les crédits budgétaires des Investissements d’avenir, ne serait-ce que pour dissiper les soupçons politiques tendant à accréditer l’hypothèse de la substitution ou d’une diminution des crédits budgétaires compensés par les dépenses du grand emprunt.

M. Vincent Moreau. Cette recommandation est en effet pertinente. Mais si le mécanisme est lourd, et pourrait être qualifié parfois de trop bureaucratique, c’est justement pour donner une garantie de traçabilité des crédits. Ce mécanisme étanchéifie les crédits des Investissements d’avenir, ce qui préserve du soupçon de substitution, tout en traduisant une forte volonté politique de suivi.

M. Pierre Lasbordes, Rapporteur. À titre personnel, j’estime que le montage actuel se rapproche d’une « usine à gaz », et que l’opacité du dispositif est dommageable à terme. Il me semble nécessaire de simplifier et rendre plus transparent la structure actuelle.

M. Vincent Moreau. Il ne serait toutefois pas pertinent de changer la procédure au milieu de la phase d’attribution ; les projets du grand emprunt ne sont en aucun cas des projets « de repêchage », ils se situent dans la logique de véritables Investissements d’avenir, certifiés par le Commissariat général à l’investissement.

M. Alain Claeys. La Commission Juppé Rocard a fait un bon travail de tamisage et de sélection des projets. Pour un projet de cette ampleur financière, les structures de contrôle actuelles ne sont pas injustifiées. Il n’en demeure pas moins que le grand emprunt accroît le déficit budgétaire de 35 milliards d’euros, même si les dépenses sont étalées sur plusieurs années. La logique du Commissariat général est de faire un tri sévère pour accroître la sélectivité des projets de recherche dans le sens de la rentabilité.

M. Jean-Pierre Gorges, Rapporteur. Ce qui serait fondamental, ce serait d’améliorer les indicateurs et les outils de mesure de retour sur Investissements. Une réflexion est-elle en cours pour améliorer les indicateurs de suivi de la performance des crédits budgétaires ?

M. Vincent Moreau. C’est le Commissariat général à l’investissement qui doit mettre en place l’ensemble des indicateurs permettant de suivre la performance spécifique de ces Investissements. C’est un exercice essentiel mais extrêmement difficile que de mesurer la performance de ces crédits, surtout dans un domaine comme l’enseignement supérieur et la recherche. Ce n’est cependant pas parce que c’est complexe qu’il ne faut pas le faire, et l’existence du CGI est un moyen justement de nous motiver et de continuer à avoir cette très forte pression sur le suivi et la performance qui n’était pas nécessairement la tendance spontanée du système, tel qu’il était organisé auparavant dans le secteur de la recherche. Si le financement sur projet s’est développé depuis plusieurs années, c’est justement parce que le financement par des dotations récurrentes était trop peu lié aux résultats des organismes financés et que l’allocation des moyens au sein d’organismes n’intégrait par exemple qu’imparfaitement les résultats des évaluations internationales existantes.

M. Olivier Carré, Président. Tout dépend aussi de la nature de l’investissement : s’il s’agit d’infrastructures, il est très difficile de mesurer le retour sur investissement, sinon d’un point de vue global.

M. Olivier Carré, Président. Le grand emprunt peut conduire la représentation nationale à s’interroger en miroir sur la façon dont elle a mis en œuvre la LOLF. On se trouve en effet ici dans une dynamique de projets, avec des financements calés sur des objectifs précis et déterminés à l’avance, ce qui est bien la méthodologie retenue par la LOLF, dont on sait bien que la mise en œuvre peut être encore améliorée. La commission des Finances peut donc prendre appui sur la réflexion qu’elle mène actuellement sur ces financements extrabudgétaires pour s’interroger sur les conditions de mise en œuvre de la LOLF.

Messieurs, je vous remercie.

Audition du 5 octobre 2011

À 16 heures 15 : Audition ouverte à la presse, de M. Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, chargé sur le financement extrabudgétaire de la recherche et de l’enseignement supérieur

Présidence de M. Olivier Carré, Président

M. Olivier Carré, Président. Merci, M. le ministre, d’avoir répondu à notre invitation au terme nos travaux. Même si la recherche fait figure d’exception en matière de réduction des dépenses publiques, la MEC juge important que le Parlement dispose d’une vue d’ensemble des financements qui seront affectés aux universités et à la recherche. Nous voulons pouvoir nous assurer à l’avenir de l’absence de diminution de crédits, ce qui mettrait à mal une ambition portée par des Investissements lourds.

Selon l’usage de la MEC, nous serons accompagnés par la Cour des comptes, en la personne de M. Jacques Tournier, conseiller-maître.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Monsieur le ministre, comment l’État peut-il jouer son rôle de stratège à travers les différents outils dont il dispose – crédit d’impôt recherche, Agence nationale de la recherche (ANR), crédits récurrents du ministère et grand emprunt ? Autrement dit, peut-il déterminer ses priorités ? N’y a-t-il pas un risque d’interférence entre les différents financements ?

S’agissant du grand emprunt, je souscris totalement à votre choix de jurys internationaux. Cependant, en juin, le Président de la République s’est étonné que certains secteurs ne soient pas concernés après la première vague de projets sélectionnés par ces jurys.

M. Olivier Carré, Président. C’est le cas du cancer.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la gouvernance du grand emprunt et de l’ANR ? Des corrections doivent-elles être apportées, ou considérez-vous le dispositif opérationnel ?

M. Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche. La gouvernance des Investissements d’avenir a exigé que le Commissariat général à l’investissement (CGI) apprenne à travailler avec le ministère, et que ce dernier apprenne à faire travailler le CGI avec l’ANR. Aujourd’hui, chacun a trouvé sa place, en s’appuyant sur l’expertise des autres.

Nous avons besoin de l’ANR. Elle possède une grande expertise en matière de jurys et sait organiser des appels à projets.

Nous avons également besoin de la vision apportée par le CGI. En effet, compte tenu de la particularité des dispositifs de financements du grand emprunt, le pilotage du CGI permet de s’assurer d’un niveau d’exigence qui réponde au défi de l’investissement d’avenir dans son ensemble. De ce point de vue, le conventionnement, piloté par l’ANR, mais sous le contrôle commun du CGI et du ministère, est indispensable.

Une première difficulté résidait dans la nécessité de discussions régulières. Elle est résolue puisque le comité de pilotage, qui rassemble tous les acteurs, se réunit tous les quinze jours et a aujourd’hui trouvé sa vitesse de croisière.

La seconde difficulté était due aux dossiers en souffrance en raison d’études d’impact non reçues ou de conventionnements plus longs que prévu. Fort heureusement, les Investissements d’avenir ont connu une forte accélération, en particulier grâce à la mise en place d’une sorte de task force qui se réunit à la demande très rapidement en cas de retard sur le calendrier ou de blocage d’un dossier.

Ainsi, dans cette gouvernance, le travail en commun de chacun des acteurs est à peu près correctement organisé aujourd’hui.

Votre question sur le pilotage stratégique de l’État est très délicate, car elle renvoie à la capacité de celui-ci de choisir son modèle en matière de recherche. Doit-il s’agir d’un modèle de type coréen, concentré sur quelques domaines seulement ? Ou bien la France a-t-elle vocation à porter plusieurs domaines d’excellence ? Dans le cadre de notre stratégie nationale de recherche et d’innovation, cinq domaines assez larges ont été identifiés. Nous nous inscrivons donc clairement dans une logique de fixation des priorités.

Les Investissements d’avenir sont conformes à ces cinq priorités. Le pétrole vert, par exemple, faisait partie de la priorité environnement. En outre, en matière de nanotechnologies, notre pays affiche une vraie longueur d’avance : la plupart de vos téléphones cellulaires sont en effet équipés de processeurs mis au point par un laboratoire du CNRS, ce qui a donné lieu à la création d’une start up qui détient aujourd’hui les trois quarts du marché mondial.

Ainsi, le pilotage assure progressivement l’émergence de priorités.

Les alliances de recherche déclinent ces priorités. Pour autant, nous avons besoin d’aller plus loin en matière d’alliances. En partenariat avec l’ANR, elles doivent nous aider à renforcer notre capacité à faire des choix stratégiques. C’est pour moi la voie d’avenir.

Pour finir, je voudrais insister sur le fait que les universités et les organismes de recherche, c’est l’État. Que l’ANR contribue à mettre en place notre stratégie ou que les alliances nous aident à définir notre stratégie d’État ne me pose pas de problème. Ce dont j’ai besoin, c’est d’instances capables d’animer une démarche proactive.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La démarche des alliances est-elle désormais acceptée par l’ensemble des organismes ?

M. le ministre. Tout à fait. Reste à savoir comment faire évoluer le rôle, notamment stratégique, des alliances.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sans que la responsabilité en revienne exclusivement à l’État, l’opération Campus accuse un retard financier. En effet, les universités ont peiné à mettre en place un certain nombre de conventions et, aujourd’hui, 35 millions d’euros sont décaissés pour ce plan, ce qui est faible.

Notre débat sur la loi relative à l’autonomie des universités n’a pas dissipé le flou sur le périmètre juridique des pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES). Ces derniers sont-ils opérationnels aujourd’hui ? Pendant un temps, les organismes de recherche se sont contentés de les observer, ce qui n’a pas empêché des fusions exemplaires d’université dans certaines zones. Ces PRES sont-ils le bon outil pour la mise en œuvre de l’opération Campus ?

M. le ministre. Les PRES nous ont permis de créer des embryons de coopération commune entre les grandes écoles et les universités. Vous me permettrez d’ailleurs de les associer aux fondations de coopération scientifique. Les PRES sont un maillon important dès lors que nous n’avons pas fait le choix d’imposer des fusions d’universités. Ils constituent donc un cadre souple pour notre enseignement supérieur auquel il est demandé une grande adaptation en termes de gouvernance.

Cependant, les PRES situés sur des territoires très larges fonctionnent difficilement, tandis que ceux installés dans des territoires trop petits ont manqué des interfaces. Ils ont donc, selon moi, vocation à s’améliorer.

J’en viens au plan Campus et à son pilotage. À ce jour, nous avons lancé des appels d’offre pour 94 projets qui représentent 1,2 milliard d’euros. Notre objectif est de passer à 120 projets pour 2 milliards d’euros au début de l’année 2012.

Le démarrage des opérations a été ralenti. En effet, il faut d’abord que la structure capable de porter un projet émerge – d’où la question de l’adaptation du statut des PRES. Il est ensuite nécessaire d’attendre les engagements formels des partenaires, notamment des collectivités territoriales. Enfin, comme le savent les élus locaux, il s’écoule un délai de trois à quatre ans entre la conception d’un projet et sa réalisation.

Un appel à projets s’est déroulé de février 2008 à février 2009, et les annonces de la répartition ont été faites entre le mois de février 2009 et l’été 2009. À présent, les travaux démarrent.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’opération Campus n’a pas commencé à Poitiers.

M. le ministre. Au demeurant, n’oublions pas que l’opération Campus vise non pas simplement à couler du béton, mais à faire émerger une véritable conception urbaine.

Le déblocage anticipé des intérêts d’emprunt a permis de cibler en priorité des opérations pouvant être mises en œuvre immédiatement. 270 millions d’euros ont d’ores et déjà été engagés, et 170 millions supplémentaires le seront l’année prochaine.

Ainsi, après la mise en place des structures juridiques, l’opération Campus est entrée dans sa phase opérationnelle.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Sa montée en charge durant les deux semestres à venir sera donc significative ?

M. le ministre. Oui. Une petite centaine de chantiers sera en phase opérationnelle. C’est un vrai changement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. S’agissant des Investissements d’avenir, les engagements des crédits consommables s’élèvent, d’après les chiffres dont je dispose, à 5,23 milliards, les engagements des crédits non consommables à 6 milliards, les crédits consommables décaissés à 1,41 milliard, et les crédits non consommables décaissés à 7,1 millions d’euros. Ces chiffres sont-ils toujours d’actualité ?

M. le ministre. Une somme de 11 milliards d’euros est d’ores et déjà engagée sur 219 projets. Nous vous fournirons ultérieurement la répartition précise entre crédits consommables et crédits non consommables, en complément du dossier d’information que je vous ai fait remettre au début de cette réunion.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Aucun versement n’a été réalisé au cours du deuxième trimestre. Y a-t-il une raison particulière à cela ?

M. le ministre. Il faut distinguer engagements et versements. En fonction du niveau d’avancement des conventionnements, des versements ont déjà pu être effectués, d’autres non. De ce point de vue, un important travail a été réalisé pendant l’été pour accélérer la politique de conventionnement et la maturation des projets.

En effet, la procédure était devenue extrêmement lourde, notamment en raison d’un surcroît de documents demandés pour les conventionnements, en particulier des études d’impact socio-économiques ou environnementales. Nous avons remédié à ces difficultés.

D’ici à la fin de l’année et avant la seconde vague des Investissements d’avenir, tous les projets de la première vague devront avoir reçu un financement, ce qui devrait représenter environ 418 millions d’euros. En outre, les décaissements devront représenter 1,3 milliard d’euros à l’horizon 2012. Tels sont nos objectifs.

La moitié des projets sélectionnés a reçu un premier versement, ce qui représente au total 111 millions d’euros.

Sur l’opération Campus, la Caisse des dépôts et consignations hésitait quant à la nécessité d’un recours à la loi pour chaque partenariat public/public. Nous avons réussi à lever ces blocages, en particulier grâce à l’esprit constructif des responsables de la Caisse.

Jusqu’au mois de juin, aucun Labex (laboratoire d’excellence) n’était conventionné ; aujourd’hui, ils sont une centaine à l’être. La même accélération a bénéficié aux Equipex (équipement d’excellence) grâce à une plateforme de suivi qui nous a permis de suivre les projets et leur montée en puissance. En outre, un système d’avance a été mis en place, notamment pour les Idex (initiatives d’excellence) avec de premiers versements à hauteur de 10 millions d’euros par Idex qui seront versés sous 1 mois.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Envisagez-vous également des avances pour le plan Campus ?

M. le ministre. Le décaissement immédiat de nos intérêts, alors même que les contrats de partenariat du plan Campus n’ont pas forcément été signés, constitue nos avances au titre de ce plan.

M. Alain Claeys, Rapporteur. En tant que ministre des Universités et de la recherche, pourrez-vous récupérer la rémunération du capital de 3,7 milliards d’euros issu de la cession de titres d’EDF, conservée depuis décembre 2007 sur le compte d’affectation spéciale Participations financières de l’État ?

M. le ministre. Les intérêts de ces 3,7 milliards liés à l’opération Campus ont déjà commencé à revenir aux universités.

M. Olivier Carré, Président. Entre la vente et les premiers versements, le capital a été rémunéré. Pendant une période d’au moins dix-huit mois, les intérêts n’ont donc pas été reversés.

M. le ministre. Le placement a été effectué à partir du mois d’août 2010. Ce choix a été fait par Bercy. Depuis août 2010 et jusqu’à la signature des contrats en 2012, les intérêts produits représentent environ 440 millions d’euros d’intérêts. L’objectif est que ces intérêts soient rendus aux universités, et c’est ce que nous faisons avec les décaissements des avances sur intérêts.

Il y a donc bien un écart, monsieur le président, mais je ne peux pas récupérer de l’argent qui n’a pas été placé. Sur ces 440 millions d’euros d’intérêts, 270 millions ont d’ores et déjà été engagés, et 170 le seront à nouveau dans les prochaines semaines.

M. Olivier Carré, Président. C’est une décision politique. L’État a utilisé à d’autres fins une part d’intérêts ou de moindres besoins de trésorerie.

M. le ministre. Cette somme n’a pas été placée : elle a servi au désendettement et n’a donc pas produit d’intérêts. Mais dès le moment, en 2010, où cette somme en capital a été placée et a produit des intérêts, l’argent a été intégralement réorienté en direction des universités.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel sera le rôle de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) pour l’évaluation des Investissements d’avenir ? A-t-elle trouvé sa vitesse de croisière ?

M. le ministre. L’AERES est une institution fondamentale dans notre dispositif d’enseignement supérieur. Nous avons en effet besoin d’une instance d’évaluation – comme il en existe d’ailleurs dans tous les systèmes étrangers. Cette agence doit évoluer pour nous permettre d’avancer vers une vision plus stratégique : au-delà d’une évaluation scientifique de qualité, laboratoire par laboratoire, formation par formation, elle doit nous aider à être une force de proposition pour les futures décisions stratégiques.

S’agissant de l’évaluation des Investissements d’avenir, il faut distinguer trois niveaux.

Le premier est la convention, réalisée avec l’ANR. Nous devons nous assurer que les objectifs sur lesquels se sont engagés les différents laboratoires ou structures avec lesquels nous avons conclu la convention sont honorés.

Le deuxième niveau d’évaluation est macroéconomique : il s’agit de savoir quel surcroît de compétitivité et de taux de croissance cet investissement d’avenir a apporté à la France. C’est l’évaluation du CGI.

Le troisième et dernier niveau consiste à savoir comment l’argent investi permet à la France de gagner des places dans la compétition mondiale, de quelle manière il fait progresser nos laboratoires pour les positionner sur un niveau d’excellence. C’est le rôle central de l’AERES, sur lequel nous nous appuierons.

M. Alain Claeys, Rapporteur. L’heure est à la stabilisation des crédits de l’ANR, et je pense qu’un problème se posera à terme pour les crédits récurrents.

Les crédits extrabudgétaires à travers le grand emprunt pourraient-ils se substituer à des crédits budgétaires ?

M. le ministre. Les dépenses d’investissement d’avenir, pour une partie d’entre elles, ont un caractère récurrent. Autrement dit, nous avons voulu les inscrire dans la durée. Pour autant, il ne doit pas y avoir de confusion entre le rôle des crédits récurrents, celui des financements de l’ANR et celui des crédits extrabudgétaires. En aucun cas, ces derniers ne peuvent se substituer aux premiers.

En effet, les crédits récurrents permettent aux laboratoires de fonctionner au quotidien, alors que les dépenses d’avenir sont destinées à atteindre un niveau d’excellence avec un investissement plus particulier sur tel élément de la structure du laboratoire ou telle partie de la recherche.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Cela va peut-être amener les organismes de recherche à répartir autrement leurs crédits récurrents entre les différents laboratoires.

M. le ministre. Certes, mais il faudra y être attentif car le but des Investissements d’avenir est de produire un effet de levier, et non un jeu de chaises musicales. D’où l’utilité du suivi assuré par l’ANR et l’AERES.

Cela pose d’ailleurs la question des préciputs. En effet, dans le cadre de l’accompagnement des Labex et des Equipex, on peut se demander si la partie du laboratoire qui bénéficie de l’investissement d’avenir ne doit pas contribuer au fonctionnement global de la structure de recherche.

Nos économies sur la partie des organismes de recherche se montent à 37 millions d’euros. Je vous rappelle que l’apport financier des Investissements d’avenir s’élève à 1,2 milliard d’euros en 2012.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Dans le cadre des Investissements d’avenir, la sûreté nucléaire a été oubliée par le conseil de surveillance du grand emprunt, alors qu’elle est essentielle. Une ligne a été ouverte, me dit-on, au niveau de l’ANR.

M. le ministre. De façon générale, la recherche doit être menée sur la durée et non gérée en fonction des à-coups médiatiques. S’agissant de la sûreté nucléaire, notre travail a porté sur la durée, avec des évolutions intéressantes, notamment en termes de gouvernance pour la gestion de crise, la gestion des flux de transport, la transmission d’information, etc. Dans ce domaine, la recherche française a donc été considérablement décloisonnée : d’abord très concentrée sur les aspects purement techniques, elle a aujourd’hui investi des travaux beaucoup plus larges.

En outre, la recherche en matière de sûreté nucléaire est réalisée en coopération étroite avec les États-Unis et le Japon depuis plusieurs années. Nous allons bien sûr tirer toutes les leçons de l’accident de Fukushima, en nous appuyant sur le travail des alliances de recherche.

Par ailleurs, un appel à projets est en préparation sur le thème précis de la sûreté nucléaire. Il correspond à une demande formulée fin juin par le Président de la République.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Quel en est le montant ?

M. le ministre. Nous sommes en train de l’arrêter car le périmètre est interministériel.

M. Alain Claeys, Rapporteur. On m’a indiqué le chiffre de 50 millions.

M. le ministre. Il devrait être de cet ordre, mais il faut prendre en compte l’ensemble du périmètre, en particulier les actions qui existent déjà entre les différentes alliances.

M. Alain Claeys, Rapporteur. S’agissant des conventions, l’ANR ne nous a pas fourni l’état des cofinancements – entre le secteur privé et les collectivités locales – que nous lui avions demandé.

M. le ministre. Nous allons nous en occuper.

M. Olivier Carré, Président. Nous aimerions avoir un document qui nous permette de voir converger tous les efforts, y compris des collectivités territoriales car les financements à travers les contrats de projets État-régions (CPER) sont loin d’être négligeables pour la structuration des campus et des laboratoires.

M. le ministre. Certes, mais il nous manque des engagements fermes de certaines collectivités locales : elles ont une position de principe, mais n’ont pas voté l’engagement des crédits. Or dans le cadre du conventionnement, chacun doit assumer sa part de responsabilité.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Le plan Campus vous a-t-il amené à renégocier les contrats de projets État-régions ?

M. le ministre. Non. Il faut distinguer les projets identifiés et portés par les campus d’avenir et les contrats de projets État-régions qui, vous le savez, peuvent faire l’objet de reports d’engagements.

M. Alain Claeys, Rapporteur. La difficulté que rencontre la commission des Finances est de relever les efforts réels consacrés à la recherche à travers les différents outils. Vous deviez nous fournir des bases de données sur les montants éligibles à l’ANR et au grand emprunt.

M. le ministre. La MEC avait demandé une évaluation région par région : elle vous est fournie dans le dossier que nous venons de vous distribuer.

M. Olivier Carré, Président. Pouvez-vous nous fournir un tableau distinguant les Investissements directs et les subventions, à l’image des titres 5 et 6 du budget de l’État ?

M. le ministre. Ce sont des données dont on dispose.

Notre première priorité a donc été de fournir une vision région par région. Elle est d’ailleurs très intéressante car elle permet de voir les choses avec objectivité. À cet égard, la région Aquitaine a été très bien traitée, contrairement à ce que prétend son président !

À présent, nous travaillons sur la vision établissement par établissement. Cela est beaucoup plus difficile, car un projet peut rassembler cinq à six établissements, comme le CNRS, l’INRIA, deux universités, etc.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Pourra-t-on avoir une indication d’ici à la fin de l’année ?

M. le ministre. La répartition est très compliquée à faire.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les universités ne souffrent-elles pas d’un déficit humain en matière de gestion pour conjuguer leur autonomie ?

M. le ministre. Il y a eu une période d’apprentissage – tout à fait normale pour une des plus grandes révolutions culturelles dans le domaine de gestion de l’État depuis la décentralisation. Passé cette période, les outils sont toujours en devenir, mais commencent à prendre une vraie vitesse de croisière. La preuve en est l’accélération en termes de décaissements, de versements et de projets conventionnés.

Auparavant, les principaux travaux réalisés par les universités consistaient en des coups de peinture au plafond. Aujourd’hui, elles doivent être capables de porter un projet de plusieurs dizaines de millions d’euros. C’est une vraie métamorphose. Cette autonomie suppose des équipements, mais aussi la montée en puissance de hauts fonctionnaires qui vont se spécialiser autour de cette thématique de gestion des universités en traitant de dossiers passionnants.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Ils sont en effet les parents pauvres aujourd’hui, y compris au niveau de l’État : dans les rectorats, le service le plus faible est souvent celui des universités.

M. le ministre. Tout à fait. C’est pourquoi je demande aux recteurs de consacrer beaucoup plus de temps à l’enseignement supérieur et à la recherche, car leur mission en la matière est fondamentale en termes de compétitivité et d’emplois pour notre pays. Cela étant dit, pour être généralement issus du monde universitaire, nos recteurs sont sensibles aux enjeux de l’enseignement supérieur et de la recherche, ce qui est un atout.

Le nombre des agents de catégorie A dans les personnels administratifs est encore trop faible – 12 % dans les universités contre 25 % dans les organismes de recherche. Ainsi, une force administrative d’aide à la recherche se constitue progressivement.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Les deux logiques à l’œuvre dans votre ministère - une logique de sites orientée vers l’enseignement supérieur, et une logique d’excellence scientifique portée par les jurys du grand emprunt et orientée vers la recherche – ne se recoupent pas. Il y a quelques années, on décidait de construire dix pôles d’excellence géographiquement localisés et identifiés. Aujourd’hui, la superposition d’outils que sont les PRES, le plan Campus et les Investissements d’avenir, avec leur déclinaison en Idex, Labex et Equipex, aboutit à un système plus tranché.

Le ministère trouve-t-il une cohérence dans ce dispositif et, au final, a-t-il une vision de l’objectif cible ? Ou bien souhaite-t-il que « fleurissent cent fleurs » en espérant que le système finira par trouver son point d’équilibre ?

En Île-de-France, d’un côté, des PRES tentent de se constituer, de l’autre, Paris Sciences et Lettres (PSL) « sort du bois » et est labellisé, alors même qu’il n’était pas forcément prioritaire. C’est un exemple parmi d’autres.

M. le ministre. D’abord, l’enseignement supérieur doit impérativement être couplé à la recherche. Un bon chercheur est un chercheur qui enseigne – notre nouveau prix Nobel, le professeur Hoffman, en est la parfaite incarnation. De la même façon, les bonnes unités de recherche comportent des doctorants.

L’État stratège doit avoir une vision qui s’appuie sur les acteurs de terrain et sur ce qu’ils sont capables de construire. Ce n’est ni la vision archaïque à la façon du Gosplan, ni celle de la prolifération désordonnée des « cent fleurs ». De ce point de vue, me méfiant d’une vision étroitement parisienne de l’excellence, je trouve intéressant en termes d’aménagement du territoire que parmi les trois premiers Idex, deux soient élaborés hors de l’Île-de-France.

Nous misons sur une approche de sites, mais aussi sur la nécessité d’une vision nationale. Autrement dit, il faut à la fois laisser vivre la conception des acteurs de terrain et conserver une vision nationale dans tous les domaines.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Il est possible de mener une politique de réseaux intelligente à partir de pôles d’excellence.

M. le ministre. Bien sûr. Un laboratoire d’observation de la biodiversité en Guyane, par exemple, ne peut pas travailler avec un seul site. C’est pourquoi le travail en réseau et notre capacité à coordonner les initiatives sont primordiaux. Ce gage de confiance envers l’enseignement supérieur et la recherche permet de démultiplier les initiatives.

M. Alain Claeys, Rapporteur. Chacun ici est persuadé que l’enseignement supérieur et la recherche vont de pair. Mais ne craignez-vous pas, à terme, une tension entre la logique d’un jury international pour lequel une politique de sites n’est pas forcément une priorité, et celle du ministère plutôt orientée vers une politique de sites ?

M. le ministre. Je ne mène pas une politique de sites à tout prix.

Bordeaux ne figurait pas forcément sur la carte du spectroscope, mais le jury et la mise en concurrence ont permis de faire émerger ses atouts. Tant mieux. Cela nous amène d’ailleurs à remettre en cause l’idée reçue selon laquelle l’excellence ne se trouve qu’à Paris.

De la même manière, un Idex a permis de révéler la richesse de Strasbourg. Le jury nous a permis d’apprécier la présence d’une des plus grosses universités européennes, capable de s’imposer dans une région à la confluence du Luxembourg, de l’Allemagne et de la Suisse. Ce n’est pas forcément ce que l’administration centrale avait en tête initialement.

Vous vous demandez sans doute ce qu’il adviendra de Saclay et des PRES de Paris II-IV-VI et de Paris III-V-VII. Laissons faire… L’ensemble des pôles parisiens font actuellement un travail remarquable, notamment en matière de gouvernance pour améliorer leur projet.

M. Olivier Carré, Président. Merci beaucoup, monsieur le ministre.

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1 () La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

2 () Les marchés de brevets dans l’économie de la connaissance. Conseil d’analyse économique. La documentation française, novembre 2010.

3 () Cour des comptes, communication du 15 septembre 2010 présentée au titre de l’article 58-2° de la loi organique du 1er août relative aux lois de finances, publiée en annexe au tome 1 du rapport général de M. Gilles Carrez sur le projet de loi de finances pour 2011, doc AN n° 2587.

4 () Intervention de Mme Laure Reinhart, directrice déléguée d’Oséo le 23 novembre 2010 devant l’OPECST.

5 () Rapport d’information (n° 2706) de la Mission d’information relative à la mise en œuvre de la LOLF (MILOLF), composée de MM. Michel Bouvard, Jean-Pierre Brard, Thierry Carcenac et Charles de Courson, 7 juillet 2010.

6 () Voir le rapport d’information n° 3645 de M. Henri Emmanuelli sur la taxe sur les billets d’avion et l’utilisation de ses recettes, 12 juillet 2011.

7 () Loi n° 2010-1536 du 13 décembre 2010 relative aux activités immobilières des établissements d'enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération et aux conditions de recrutement et d'emploi du personnel enseignant et universitaire, publiée au Journal officiel du 14 décembre 2010.

8 () Il s’agit de faire émerger cinq à dix « initiatives d’excellence », réunissant sur un même site universités, grandes écoles et établissements de recherche. Un montant de 7,7 milliards d’euros non consomptible est prévu à ce titre.

9 () Le VI de l’article 8 de la loi de finances rectificative du 9 mars 2010 dispose : « Le Gouvernement dépose chaque année jusqu’en 2020, en annexe générale au projet de loi de finances de l’année, un rapport relatif aux Investissements financés par les crédits ouverts sur les programmes créés par la présente loi de finances rectificative. Pour chacune des missions concernées, ce rapport présente notamment : 1° Les Investissements prévus et en cours de réalisation, en justifiant le choix des projets et en présentant l’état d’avancement des Investissements : 2° Les montants dépensés, les moyens financiers prévus pour les années à venir, les modalités de financement mises en oeuvre et, le cas échéant, les modifications apportées à la répartition initiale des fonds ; 3° Les cofinancements publics et privés attendus et obtenus ; 4° Les objectifs poursuivis et les résultats attendus et obtenus, mesurés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié ; 5° Les retours sur investissement attendus et obtenus ainsi que les méthodes d’évaluation utilisées ; 6° Le rôle des organismes [bénéficiaires des fonds], le contenu et la mise en oeuvre des conventions (...), ainsi que les résultats du contrôle par l’État de la qualité de la gestion de ces organismes. Ce rapport est déposé sur le bureau des assemblées parlementaires et distribué au moins cinq jours francs avant l’examen par l’Assemblée nationale, en première lecture, des crédits de la première des missions concernées. »

10 () Lors de la présentation du second projet de loi de finances rectificative pour 2011 le 24 août 2011 en Conseil des ministres.

11 () Loi constitutionnelle n° 2008–724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

12 () Article 5 de la loi n° 2009-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012.

13 () Article 5 de la loi n° 2010-1645 du 28 décembre 2010 de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014.

14 () Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État – exercice 2010 – mai 2011 – p. 20.

15 () Rapport sur les résultats et la gestion budgétaire de l'État - exercice 2010 – mai 2011 – p. 116 à 119.

16 () La répartition s’établit de la façon suivante : 172,8 millions d’euros décaissés sous forme de prises de participations, 682 millions d’euros sous forme de prêts et 47 millions d’euros sous forme de subventions.

17 () Ces dotations concernent uniquement l’enseignement supérieur et la recherche.

18 () Reporting du Commissariat général à l’investissement.

19 () Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques – juin 2011, p. 57.

20 () Rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques – juin 2011, p. 149.

21 () Rapport sur les résultats et gestion budgétaire de l'État – exercice 2010 – mai 2011.

22 () Rapport n° 2268 sur le PLFR 2010.

23 () Inscrits au programme Charge de la dette et trésorerie de l’État de la mission Engagements financiers de l’État.

24 () L’INSEE a choisi de les considérer comme des dépenses (et non pas comme des opérations financières, hypothèse retenue dans la loi de programmation des finances publiques). Elles impactent donc le solde public.

25 () À l’exception des fonds versés à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) qui n’est pas une administration publique (100 millions d’euros versés fin 2010 selon la convention du 3 août 2010).

26 () Source : Rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2012, p. 9.

27 () Au total, 73 % du montant de l’emprunt soit environ 25 milliards d’euros est destiné à financer la formation d’actifs financiers.

28 () Certains fonds sans personnalité morale et gérés pour le compte de l’État par des opérateurs ou par la CDC sont considérés comme faisant partie de l’État et n’impacte donc pas le solde des ODAC.


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