Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 15 décembre 2011.
RAPPORT D'INFORMATION
DÉPOSÉ
au nom du comité d’évaluation et de contrôle
des politiques publiques sur
l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe
et présenté
par MM. Michel HEINRICH et Régis JUANICO,
Députés.
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INTRODUCTION 11
SYNTHÈSE 17
LISTE DES PROPOSITIONS 25
I.– LA PERFORMANCE DES POLITIQUES SOCIALES EN EUROPE : QUELS ENJEUX, QUELLES RÉPONSES POLITIQUES ? 31
A.– L’ÉVALUATION DE L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE SOCIALE : UN EXERCICE DÉLICAT MAIS ESSENTIEL 31
1. Les objectifs de l’évaluation 31
a) La définition de la performance : une notion multidimensionnelle reposant sur trois principaux critères 31
b) La mesure de la performance : un impératif pour nourrir le débat public et éclairer le décideur 35
c) La comparaison de la performance : un « benchmarking » pour repérer des bonnes pratiques et concourir à la coordination des politiques en Europe 39
2. Les précautions à prendre du fait de certaines limites des analyses comparatives 40
a) La nécessaire prudence dans l’interprétation d’indicateurs en nombre croissant 41
b) Les défis de la mesure de l’impact propre d’une politique publique, a fortiori en période de mutations économiques 43
c) La question de la « transférabilité » et l’importance de la prise en compte des contextes socio-culturels 45
3. La méthodologie retenue par le groupe de travail 45
a) L’identification préalable des principaux objectifs des politiques sociales et des indicateurs communs au niveau européen 46
b) La démarche de l’évaluation 48
c) La mobilisation de plusieurs outils d’investigation et d’évaluation 51
B.– L’ANALYSE DU POSITIONNEMENT DE LA FRANCE EN EUROPE AU REGARD DES PRINCIPAUX INDICATEURS SOCIAUX ET DES ÉVALUATIONS RÉALISÉES 52
1. Un niveau de dépenses sociales particulièrement élevé 52
a) Un effort financier important en faveur de la protection sociale correspondant en grande partie, comme dans d’autres pays, aux pensions et à la santé 53
b) Une progression des dépenses au cours des dernières décennies, qui apparaît supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE 57
2. Une comparaison faisant apparaître plusieurs points forts du modèle social français mais aussi des résultats plus contrastés 61
a) Une revue des principales évaluations : forces et faiblesses du modèle français 61
b) La performance du système de santé français comparée aux autres pays : l’exemple de l’évaluation réalisée par l’OCDE en 2010 68
c) Des faiblesses en matière d’emploi par rapport à d’autres pays et aux objectifs européens 71
3. Des transferts contribuant significativement à la réduction de la pauvreté, qui constitue un objectif central des politiques sociales 75
a) Un objectif devenu central au niveau européen 75
b) En France, un taux de pauvreté inférieur à la moyenne des pays européens mais une évolution préoccupante pour certains publics fragiles 84
c) L’accès à l’emploi : un enjeu stratégique pour lutter efficacement contre la pauvreté 87
C.– LE DÉPLOIEMENT D’INSTRUMENTS ET D’UNE GOUVERNANCE RÉNOVÉS POUR RENFORCER LA PERFORMANCE DES POLITIQUES SOCIALES 93
1. Des instruments de l’Europe sociale susceptibles d’être confortés ou mieux exploités 93
a) Mieux exploiter le Fonds social européen (FSE) en France et dans l’Union européenne 94
b) Conserver un dispositif européen d’aide alimentaire aux plus démunis après 2014 99
2. Le développement de l'expérimentation et de l'évaluation pour un meilleur pilotage des politiques sociales 101
a) Renforcer le rôle du Parlement 101
b) Adopter une conduite pragmatique des réformes, comme en Suède notamment, en développant l'expérimentation et l'évaluation 104
c) Encourager les échanges de bonnes pratiques entre les départements et améliorer l’évaluation des politiques sociales locales 109
II.– QUELS FACTEURS DE PERFORMANCE DES POLITIQUES DE L’EMPLOI EN EUROPE ? 112
A.– EN REMARQUES LIMINAIRES : DES ENJEUX TRANSVERSAUX POUR LES POLITIQUES DE L’EMPLOI 112
a) Le poids des cotisations sociales sur le coût du travail 112
b) La nécessité d’une politique de croissance 114
B.– UNE APPROCHE : L’ÉVALUATION COMPARÉE DE CINQ POLITIQUES D’ACCOMPAGNEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI EN EUROPE 116
1. Des dépenses importantes mais des pratiques évaluatives inégalement développées 116
a) Des dépenses élevées en faveur de l’emploi, dont l’efficacité est aujourd’hui questionnée 116
b) Des efforts d’évaluation comparée par les organisations internationales mais un développement inégal des pratiques évaluatives au niveau national 121
c) Des évaluations qui semblent peu exploitées par les décideurs publics 125
2. Des enjeux communs et des logiques convergentes élaborées au sein des organisations internationales 126
a) La logique de guichet unique : vers un service commun à tous les demandeurs d’emploi 127
b) L’activation des revenus de remplacement 128
c) Les « droits et devoirs » d’un parcours individualisé vers l’emploi 132
3. Des modalités de mise en œuvre spécifiques, révélatrices du poids des contextes nationaux 135
a) Des modèles de gouvernance contrastés 135
b) Des modes de gestion des ressources financières et humaines différents suivant les pays 139
c) Des conceptions variées de l’accompagnement individualisé et une palette de prestations d’aide au retour à l’emploi propre à chaque pays étudié 142
C.– LES LEÇONS DE LA COMPARAISON : DES ENSEIGNEMENTS ROBUSTES À DIFFUSER ET DES PROPOSITIONS CONCRÈTES À METTRE EN œUVRE EN FRANCE 145
1. Des enseignements peu nombreux mais robustes sur l’efficacité des politiques de l’emploi 145
a) Les exonérations de cotisations sociales sur les salaires des moins qualifiés suscitent des questionnements 146
b) L’accompagnement personnalisé et renforcé des demandeurs d’emploi est efficace 149
c) La formation professionnelle ne facilite le retour à l’emploi que dans certaines conditions 152
d) Les prestataires externes ne sont pas plus efficaces que l’opérateur public 154
e) Les contrats aidés ne doivent pas se substituer à des emplois normaux mais peuvent être utilisés de façon ciblée 155
2. Des propositions pour améliorer l’accompagnement des demandeurs d’emploi en France 157
a) Renforcer l’accompagnement personnalisé et adopter une approche globale du demandeur d’emploi 158
b) Renforcer les compétences et l’autonomie des conseillers de Pôle Emploi 162
c) Être plus à l’écoute des usagers 165
III.– L’ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE COMPARÉE DE DEUX POLITIQUES SOCIALES À DESTINATION DES FAMILLES DANS CINQ PAYS EUROPÉENS 171
A.– DES POLITIQUES SOCIALES SUSCEPTIBLES DE CONTRIBUER À L’AMÉLIORATION QUANTITATIVE ET QUALITATIVE DE L’EMPLOI EN EUROPE 171
1. Les politiques familiales au sein de l’Union européenne : des finalités variées, l’émergence de défis communs 171
a) La diversité des objectifs assignés aux politiques familiales dans les États membres 172
b) L’investissement en faveur des familles : un effort significatif en France et des formes diverses selon les pays 177
c) Le rôle croissant de l’Europe, à travers notamment les orientations visant à accroître les taux d’activité ainsi que la qualité de l’emploi 181
2. L’articulation entre le travail et les responsabilités familiales : des enjeux majeurs pour les politiques sociales 186
a) Un levier de performance économique ayant un impact sur la croissance et les finances sociales, mais aussi au niveau des entreprises 186
b) Un facteur de performance sociale à travers l’amélioration des conditions de travail et la prévention des risques psychosociaux 188
c) Un vecteur d’égalité entre les hommes et les femmes 190
3. Le champ de l’étude confiée au groupement KPMG/Sciences Po et le choix des cinq pays européens sous revue 193
B.– LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À FAVORISER LA CONCILIATION ENTRE VIE FAMILIALE ET VIE PROFESSIONNELLE 196
1. Un objectif bien identifié des politiques publiques au niveau national 196
a) Un des quatre objectifs définis par le programme de qualité et d’efficience « Famille » annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale 196
b) Un objectif contractualisé avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) dans le cadre de sa convention avec l’État 201
c) Un aspect important de la résolution sur l’égalité entre les femmes et les hommes adoptée par l’Assemblée nationale en mars 2011 202
2. Une comparaison européenne faisant apparaître plusieurs spécificités des politiques de conciliation en France 204
a) Un système socio-fiscal moins individualisé que dans certains autres pays 204
b) Une très bonne prise en charge des enfants en âge préscolaire, mais un manque de places d’accueil pour les moins de trois ans 206
c) Un congé parental très féminisé, plus long et moins bien rémunéré que dans certains pays, en particulier en Suède et en Allemagne 211
3. Plusieurs enseignements à tirer de la tentative d’évaluation de la performance comparée des politiques de conciliation 214
a) Les limites rencontrées pour évaluer la performance comparée des politiques de conciliation 214
b) De bons résultats dans certains domaines, en particulier la natalité et l’insertion professionnelle qui se fait plutôt à temps plein 216
c) Mais des voies d’amélioration afin de favoriser l’égalité des genres et l’emploi des mères et de mieux répondre aux difficultés parfois exprimées par les parents 219
C.– LES POLITIQUES PUBLIQUES CONCERNANT LES FAMILLES MONOPARENTALES 222
1. Des familles en nombre croissant, le plus souvent des mères seules, qui sont particulièrement exposées au risque de pauvreté en France et en Europe 223
2. De multiples leviers d’action reflétant, comme pour les politiques de conciliation, les différentes figures contemporaines de l’État social 228
a) Entre ciblage et universalisme : deux grandes catégories de pays, selon que les parents isolés constituent ou non une cible spécifique des politiques publiques 229
b) Du « maternalisme » à l’activation : des formes de protection sociale évoluant progressivement 235
3. Quels instruments apparaissent les plus performants pour lutter contre la pauvreté et favoriser l’accès à l’emploi des parents isolés ? 239
a) L’absence d’un réel modèle de réussite, même si la Suède et la France apparaissent plutôt mieux positionnées 239
b) Le caractère rémunérateur de la reprise d’un emploi, comme c’est le cas en France avec le revenu de solidarité active (RSA) 241
c) L’importance d’un accompagnement adapté, de la prise en compte des difficultés liées à la garde d’enfants et de l’accès à des emplois de qualité 245
d) L’importance des politiques universalistes visant à promouvoir l’emploi des mères en général 247
D.– PRÉCONISATIONS : CRÉER LES CONDITIONS D’UN MEILLEUR ÉQUILIBRE DES TEMPS PROFESSIONNELS ET FAMILIAUX ET AMÉLIORER L’ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES MONOPARENTALES 249
1. Réformer le congé parental pour favoriser l’accès ou le retour à l’emploi et promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes 250
a) Fixer le cap d’une réforme allant progressivement vers un congé parental plus court et mieux rémunéré, en prévoyant en son sein une période réservée pour l’un des parents 250
b) Apporter un accompagnement renforcé vers la formation et l’emploi aux bénéficiaires du complément du libre choix d’activité 256
2. Poursuivre le développement et la diversification de l’offre d’accueil de la petite enfance 258
3. Encourager le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques en milieu de travail 263
a) Encourager le développement de la négociation collective dans le champ de l’articulation entre vies familiale et professionnelle 263
b) Favoriser le développement des bonnes pratiques en entreprise 265
4. Apporter un accompagnement professionnel et social adapté aux parents isolés pour mieux répondre aux situations de vulnérabilité, tout en soutenant l’emploi des parents en général 273
a) Améliorer l’information, concernant les aides aux familles et le dispositif du revenu de solidarité active (RSA), et progresser en matière d’accès aux droits 273
b) Procéder à l’évaluation de l’accompagnement par les travailleurs sociaux et des conditions d’accès aux crèches pour les bénéficiaires de minima sociaux 276
c) Pour mieux répondre aux situations particulières de vulnérabilité, renforcer la coordination entre les acteurs et envisager un accompagnement spécifique 279
RÉUNION DU COMITÉ DU 7 AVRIL 2011 : POINT D’ÉTAPE 287
RÉUNION DU COMITÉ DU 15 DÉCEMBRE 2011 : EXAMEN DU PROJET DE RAPPORT D’INFORMATION 297
ANNEXE N° 1 : Liste des personnes auditionnées 317
ANNEXE N° 2 : Comptes rendus des tables rondes (la pauvreté en France et en Europe, la conciliation entre famille et travail et les familles monoparentales, l'accompagnement des demandeurs d'emploi et la conciliation famille-travail) 325
ANNEXE N° 3 : Réponses des ambassades (Allemagne, Autriche, Finlande, Italie, Norvège, Portugal, Royaume-Uni, Suède) au questionnaire adressé par les rapporteurs 372
ANNEXE N° 4 : Réponses des parlements européens (Allemagne, Autriche, Finlande, Portugal, Royaume-Uni, Suède, Suisse) au questionnaire adressé par les rapporteurs 417
ANNEXE N° 5 : Liste des sigles des noms de pays 447
ANNEXE N° 6 : Objectifs définis dans les programmes de qualité et d’efficience (PQE) annexés au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2011 449
ANNEXE N° 7 : Objectifs fixés dans les projets annuels de performance (PAP) annexés au projet de loi de finances (PLF) pour 2011 pour les missions budgétaires relevant du champ social 451
ANNEXE N° 8 : Objectifs de la nouvelle stratégie « Europe 2020 » 457
ANNEXE N° 9 : Objectifs généraux de la méthode ouverte de coordination en matière de protection et d’inclusion sociales 459
ANNEXE N° 10 : Quelques indicateurs utilisés dans le cadre des « comparaisons ouvertes » entre les collectivités locales suédoises 461
ANNEXE N° 11 : Rapports d’évaluation extraits de la liste des rapports réalisés par l’Inspection générale des affaires sociales depuis 2010 accessibles en ligne 463
ANNEXE N° 12 : Études réalisées à la demande des rapporteurs 469
– Étude réalisée par le cabinet Euréval sur la politique de l’emploi dans plusieurs pays européens (France et Allemagne, Portugal, Royaume-Uni, Suède)
– Étude réalisée par Sciences Po Expertise et conseil / CEE, Liepp et l’OFCE sur les politiques d’articulation entre vie familiale et vie professionnelle et les politiques envers les familles monoparentales dans cinq pays européens (France et Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède)
« L’évaluation des politiques publiques est une discipline d’importance décisive. Discipline au double sens du mot : à la fois une véritable technique professionnelle et une exigence qu’une démocratie moderne doit s’imposer (1) ».
Lors de sa réunion du 21 octobre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a décidé d’inscrire à son programme de travail l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe, à l’initiative du groupe UMP.
Conformément aux dispositions prévues par l’article 146-3 du Règlement de l’Assemblée nationale (2), un groupe de travail a été constitué, associant des représentants de différentes commissions permanentes concernées :
– Mme Anne Grommerch (UMP), désignée par la commission des Affaires européennes ;
– M. Michel Heinrich (UMP), désigné par la commission des Affaires sociales ;
– M. Régis Juanico (SRC), désigné par la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et par la commission des Affaires européennes ;
– M. Jean Mallot (SRC), désigné par la commission des Affaires sociales et membre du CEC ;
– M. Pierre Méhaignerie (UMP), président de la commission des Affaires sociales et membre du CEC.
Au sein de ce groupe, le Comité a désigné ses deux rapporteurs : M. Michel Heinrich (UMP), membre de la commission des Affaires sociales, et M. Régis Juanico (SRC), membre de la commission des Affaires culturelles et de l’éducation et de la commission des Affaires européennes, qui ont pu engager leurs travaux communs à compter du 12 janvier 2011.
« Alors que nous devons surmonter de lourdes contraintes et relever de nombreux défis », comme l’a souligné le président Pierre Méhaignerie, à l’origine de l’inscription du sujet au programme du CEC, « l’exigence de performance constitue un impératif : une évaluation régulière doit la mesurer (3) ».
Pour être effectivement essentielle, au regard notamment de ses enjeux majeurs pour l’amélioration du pilotage de l’action publique, l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe n’en constituait pas moins un véritable défi, pour le moins ambitieux, sinon audacieux.
Aux difficultés liées au champ particulièrement large des politiques publiques concernées, se sont effet ajoutées celles relatives au nombre de pays relevant du champ de l’investigation, soit a minima les 27 États membres de l’Union européenne, sans compter notamment la Norvège et la Suisse. En outre, la question de la « performance » de diverses politiques sociales ne pouvait manquer de faire naître un certain nombre d’interrogations épistémologiques (que peut-on connaître et apprendre ?), méthodologiques (de quelle façon ?) et instrumentales (à quelles fins ?) concernant les conditions selon lesquelles il convenait de procéder à cette évaluation. Les travaux du groupe de travail devaient par ailleurs être conclus au plus tard douze mois suivant la désignation des rapporteurs, conformément aux dispositions prévues par le Règlement de l’Assemblée.
Dès lors, il est apparu nécessaire de définir une démarche évaluative et des angles d’étude permettant tout à la fois d’envisager cette question dans sa globalité, mais aussi de tenir compte de l’ensemble des contraintes précédemment évoquées, ainsi que de l’intérêt qu’il pouvait y avoir à examiner de manière plus approfondie quelques politiques plus ciblées dans un nombre limité de pays, en vue notamment d’identifier des bonnes pratiques.
Le Comité a validé, lors de sa réunion du 7 avril 2011, les grandes lignes de la démarche que lui ont proposée les rapporteurs lors de la présentation d’un point intermédiaire (4)
Dans cette perspective, le présent rapport comporte, tout d’abord, plusieurs éléments d’analyse transversale sur la performance des politiques sociales en Europe, en vue d’en cerner les enjeux, mais aussi d’identifier les principales caractéristiques du modèle social de la France et de son positionnement en Europe, ainsi que les leviers possibles d’amélioration de la performance, en termes notamment de gouvernance et d’évaluation des politiques (I). Un second volet – thématique – du rapport a pour objet l’évaluation de la performance comparée des politiques d’accompagnement des demandeurs d’emploi, d’une part (II), et de deux politiques sociales à destination des familles, d’autre part (III), dans cinq pays européens.
Pour la préparation de ce rapport, 80 personnes ont été entendues par le groupe de travail, au cours de 40 auditions et tables rondes, dont la liste est présentée dans l’annexe n° 1. Les rapporteurs se sont également rendus en Suède, à Bruxelles, au Royaume-Uni et en Allemagne, entre mai et novembre 2011. Parallèlement, des questionnaires ont été adressés aux postes diplomatiques et aux parlements dans quinze pays européens (5). Les rapporteurs ont par ailleurs souhaité bénéficié du concours de prestataires extérieurs pour réaliser, avec l’accord du Comité, deux études sur les thèmes plus ciblés évoqués plus haut, lesquelles sont publiées en annexe du présent rapport. Ces prestataires (groupement KPMG-Sciences Po et KPMG-Euréval), ont été sélectionnés après mise en concurrence sur appel d’offres, au titre de l’accord-cadre dont bénéficie le CEC pour la réalisation d’évaluation de politiques sociales.
Que toutes les personnes entendues par les rapporteurs, les deux équipes de prestataires ainsi que les services des ambassades – en particulier celles des pays visités par les rapporteurs, soit, dans l’ordre chronologique, les postes de Suède, du Royaume-Uni et d’Allemagne – et de la Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne soient ici remerciés pour leur aide précieuse à l’élaboration du présent rapport et, plus largement, leur contribution à nourrir un débat qui, loin d’être épuisé par ce rapport, a vocation à se poursuivre régulièrement au sein de notre Assemblée.
*
À titre liminaire, que recouvre précisément le terme de « politiques sociales » ? Avant que de chercher à évaluer et comparer la performance des politiques sociales, il importe en effet de commencer par préciser leur périmètre ou, tout du moins, de mettre au jour les questionnements qu’il suscite, dans la mesure où ce terme ne désigne pas un ensemble clairement délimité de politiques publiques.
● Au sens strict, les politiques et les dépenses sociales renvoient le plus souvent au champ de la protection sociale.
Les politiques de protection sociale visent à protéger les personnes contre un certain nombre d’événements ou de risques sociaux, par exemple la maladie, la vieillesse ou le chômage. Elles recouvrent ainsi traditionnellement :
– les régimes de base de sécurité sociale (assurance), qui en constituent le « noyau dur » et assurent la couverture des risques relatifs à la vieillesse, à la maladie, à l’invalidité, aux accidents du travail, aux maladies professionnelles et à la famille ;
– l’assurance complémentaire ou surcomplémentaire (prévoyance) ;
– l’indemnisation du chômage ;
– les dispositifs d’aide sociale, qui repose sur le principe d’une solidarité en faveur des plus démunis (assistance). À défaut d’autre protection, l’aide sociale est allouée aux personnes qui se trouvent dans l’impossibilité financière ou physique de pourvoir à leurs besoins quotidiens. L’aide sociale peut revêtir des formes variées en fonction de la situation du bénéficiaire et est le plus souvent financée par l’impôt, et non par les cotisations sociales.
● Le champ des politiques sociales peut toutefois apparaître beaucoup plus large et évolutif et inclure, en particulier, les questions relatives à la formation professionnelle, au travail et à l’emploi.
Dans un ouvrage de référence sur les politiques sociales (6), Mme Marie-Thérèse Join-Lambert, inspectrice générale des affaires sociales, a défini le champ des politiques sociales comme correspondant « dans leur ordre d’apparition, aux politiques du travail (conditions de travail et relations collectives entre employeurs et salariés), à la protection sociale (aide sociale, politiques d’assurances puis de sécurité sociale, vieillesse, santé, famille, indemnisation du chômage), aux politiques de la formation professionnelle et de l’emploi, ainsi qu’aux différentes politiques dites " transversales " plus récentes : revenu minimum et politiques locales d’insertion qui lui sont liées, intégration des immigrés, politique de la ville… ».
De fait, il apparaît difficile de circonscrire précisément le périmètre des politiques sociales, dès lors notamment que l’on considère qu’elles visent non seulement à couvrir ou à réparer un risque social (soit le « social réparateur »), mais aussi à prévenir sa survenue (par exemple, les politiques de l’emploi pour prévenir le chômage, et donc les dépenses sociales au titre de l’assurance chômage). Par un « effet domino », on pourrait ainsi considérer que les questions relatives à l’éducation et à la formation, du fait notamment de leur impact en termes d’accès à l’emploi, ou encore les questions fiscales, eu égard à la dimension redistributive des prélèvements obligatoires, relèvent également, entre autres, du champ social. Celui-ci peut ainsi s’avérer très extensif, comme l’a notamment souligné Mme Annie Fouquet (7), inspectrice générale des affaires sociales et ancienne présidente de la Société française de l’évaluation (SFE), et ce d’autant plus que les politiques sociales interagissent étroitement avec les politiques économiques.
Pour les investigations du groupe de travail, cette définition du champ des politiques sociales présentait toutefois l’avantage d’embrasser un plus large spectre d’analyse et, en particulier, de permettre l’analyse des politiques visant à promouvoir l’accès et le retour à l’emploi, auxquelles s’attachent des enjeux stratégiques en termes de cohésion sociale et de lutte contre la pauvreté.
Cette approche a semblé d’autant plus nécessaire qu’en France, comme cela est apparu très clairement au cours de plusieurs auditions, l’on tend souvent à cloisonner, sinon à opposer, le champ de l’emploi et celui des questions sociales.
Or, dans bien des domaines, il y a une forme d’hémiplégie de la pensée à vouloir envisager l’un sans l’autre. Par exemple, chercher à favoriser l’insertion professionnelle d’un demandeur d’emploi peut conduire à prendre en compte ses difficultés de logement, de santé ou encore de garde d’enfant, et à proposer un accompagnement social adapté à la nature de celles-ci. En sens inverse, l’analyse de dispositifs sociaux, et en particulier de prestations monétaires, ne peut occulter la question de leur impact éventuel en termes d’éloignement du marché du travail. Le cloisonnement du champ social et de l’emploi peut également conduire à mettre en place des fonctionnements administratifs « en tuyaux d’orgue », c’est-à-dire de manière parallèle et insuffisamment coordonnées, qui sont sources de complexité pour les usagers, mais aussi de dispersion des responsabilités et de perte d’efficacité dans le pilotage de l’action publique (sur tous ces points, cf. infra).
Pour l’ensemble de ces raisons, les rapporteurs ont donc souhaité retenir cette seconde acception, plus large, des politiques sociales pour évaluer leur performance comparée en France et en Europe.
En octobre 2010, le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques (CEC) a décidé d’inscrire à son programme de travail l’évaluation de la performance des politiques sociales en Europe. Essentielle pour l’amélioration du pilotage de l’action publique, cette évaluation n’en constituait pas moins un véritable défi, pour le moins ambitieux, sinon audacieux. Pour y répondre, le présent rapport comporte, tout d’abord, plusieurs éléments d’analyse transversale sur la performance des politiques sociales en Europe, ainsi qu’un second volet, thématique, ayant pour objet l’évaluation de la performance comparée des politiques d’accompagnement des demandeurs d’emploi, d’une part, et de deux politiques sociales à destination des familles, d’autre part.
Il est appuyé sur deux études comparatives, portant sur cinq pays européens (8) outre la France, réalisées par des prestataires externes, sur appel d’offres. Le groupe de travail a par ailleurs auditionné plus de 80 personnes, au cours de 40 auditions et tables rondes. Les rapporteurs se sont également rendus à Stockholm, à Bruxelles, à Londres et à Berlin, où une quarantaine de représentants des différentes parties prenantes ont été entendus. Parallèlement, des questionnaires ont été adressés par les rapporteurs aux ambassades et aux parlements dans quinze pays européens.
Première partie :
Éléments d’analyse transversale
LA PERFORMANCE DES POLITIQUES SOCIALES EN EUROPE : QUELS ENJEUX, QUELLES RÉPONSES POLITIQUES ?
● La performance a tout d’abord été définie comme la capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, en termes notamment d’efficacité socio-économique (pour le citoyen), d’efficience (pour le contribuable) et de qualité de service (pour l’usager). Il est également apparu nécessaire d’inscrire son évaluation dans une temporalité suffisamment longue pour prendre en compte, par exemple, les économies qu’une réforme peut être susceptible de générer, à plus ou moins long terme. Le suivi de la performance des politiques sociales constitue aujourd’hui un impératif pour améliorer leur gestion et éclairer la décision publique. Dans cet objectif, de nombreux enseignements peuvent être tirés de l’observation de bonnes pratiques dans d’autres pays, même si les comparaisons internationales appellent certaines précautions, par exemple sur l’interprétation des différents indicateurs.
● Par rapport aux autres pays européens, la France se caractérise par un niveau particulièrement élevé de dépenses sociales, qui représentent aujourd’hui plus de 31 % du PIB (produit intérieur brut), mais aussi par leur augmentation sensiblement plus marquée que la moyenne des pays de l’OCDE au cours des dernières décennies.
Dans le domaine social, les performances françaises sont le plus souvent au-dessus de la moyenne de l’OCDE. Le dynamisme démographique de la société française, l’espérance de vie à la naissance, la durée de la vie en retraite ou encore l’efficacité redistributive du système fiscalo-social dans son ensemble apparaissent comme des points forts du modèle français en comparaison internationale. D’autres résultats moins favorables posent question : en particulier, la faiblesse des taux d’emploi par rapport à d’autres pays et par rapport aux objectifs européens. Même dans les domaines où les performances françaises sont bonnes, les évaluations soulignent que des progrès sont possibles : en particulier, dans le domaine de la santé, des progrès dans la lutte contre les inégalités de santé, la coordination des soins et la réduction des frais administratifs. Enfin, une analyse fine à partir des indicateurs français et européens – élaborés pour leur part dans le cadre de la nouvelle stratégie « Europe 2020 » qui a fait de la lutte contre la pauvreté et l’exclusion un des objectifs phares de l’Union européenne – montre une tendance à l’aggravation des inégalités et de l’exclusion en France, même si les inégalités de revenus en France sont plus faibles que dans la moyenne des pays de l’OCDE. Alors que le taux de pauvreté relatif au seuil de 60 % du revenu médian s’établit à 13,5 % selon l’Insee (2009), l’indicateur européen, plus complet, qui tient également compte de la pauvreté en conditions de vie et des ménages dont aucun membre ne travaille, révèle qu’avec 18,4 % des Français concernés par le risque de pauvreté ou d’exclusion en 2009, la France est plus performante que la moyenne de l’Union européenne mais seulement à la 9e place après la République Tchèque, les Pays-Bas et la Suède, notamment.
● Pour renforcer la performance des politiques sociales, le rapport préconise tout d’abord d’améliorer leur pilotage et leur évaluation, au regard notamment de pratiques observées dans plusieurs pays européens, et de :
→ organiser chaque année un débat au Parlement sur l’efficacité des politiques sociales, qui porterait par exemple sur des thèmes correspondant à certains des objectifs des programmes de qualité et d’efficience (PQE), et dont le choix serait partagé entre la majorité et l’opposition ;
→ développer le recours à l’expérimentation dans le champ social, en définissant un programme pluriannuel d’expérimentations, soumis pour avis à la commission des Affaires sociales et en organisant régulièrement des débats en séance publique à l’Assemblée nationale sur les résultats des expérimentations ; et d’améliorer l’évaluation des politiques et d’en tirer tous les enseignements pour une conduite pragmatique des réformes dans la durée, fondée sur une démarche d’amélioration en continu des dispositifs ;
→ renforcer l’évaluation des politiques locales et favoriser les échanges de bonnes pratiques par la création d’un tableau de bord commun pour la comparaison de l’action sociale décentralisée et d’un fonds de « recherche et développement » des politiques sociales locales, financé conjointement par l’État et les collectivités territoriales.
Le rapport propose également de s’appuyer sur les outils de l’ « Europe sociale », encore trop souvent négligée et de :
→ redéployer le Fonds social européen, en fonction de l’objectif européen de sortir 20 millions d’Européens de la pauvreté et de l’exclusion d’ici 2020, et en France, faciliter l’accès des associations innovantes dans le domaine social à ces financements ;
→ conserver un programme européen d’aide alimentaire aux plus démunis après 2014, dans le cadre des engagements de l’Union européenne exprimés dans la stratégie Europe 2020.
Seconde partie : Analyse de la performance comparée de différentes politiques publiques dans cinq pays européens
LES FACTEURS DE PERFORMANCE DES POLITIQUES DE L’EMPLOI EN EUROPE
● Des enjeux transversaux s’attachent à l’évaluation des politiques de l’emploi : le poids des cotisations sociales sur le travail en France rend aujourd’hui nécessaire une réflexion sur le financement de la protection sociale et sur le système fiscal. De plus, l’efficacité de la politique de l’emploi est intrinsèquement liée à la croissance économique, appelant une politique volontariste de développement industriel et d’innovation.
À la demande des rapporteurs, le cabinet Euréval a réalisé une comparaison des politiques de l’emploi dans cinq pays européens (Allemagne, France, Portugal, Royaume-Uni, Suède) et une synthèse des travaux d’évaluation consacrés, dans ces pays, à l’efficacité de l’accompagnement et des dispositifs censés favoriser le retour à l’emploi.
● Par rapport à ses voisins européens, la France se caractérise par la complexité et l’éclatement des structures d’accompagnement des demandeurs d’emploi, par la faiblesse des effectifs du service public de l’emploi affectés au placement et par une adaptation moindre des ressources humaines et financières. Les autres pays européens étudiés paraissent plus réactifs que la France dans l’ajustement des moyens à la conjoncture. Les conseillers du service public de l’emploi y ont plus d’outils, de prestations ou d’aides sociales à leur disposition et plus d’autonomie que les conseillers français. Les rapporteurs préconisent de :
→ lancer une expérimentation avec des collectivités territoriales volontaires sur le rapprochement des acteurs de l’Emploi, de l’Entreprise et de la Formation professionnelle sous une direction commune pour identifier et promouvoir les meilleures pratiques.
● La synthèse des travaux de recherche réalisés dans le domaine des politiques de l’emploi a mis en évidence des enseignements peu nombreux mais robustes sur l’efficacité des politiques de l’emploi. Les exonérations de charges sociales sur les salaires des moins qualifiés se sont révélées efficaces mais pourraient constituer une trappe à bas salaire et limiter la progressivité des carrières. Le renforcement et la personnalisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi a un impact favorable sur le retour à l’emploi, susceptible de générer des économies pour l’assurance chômage. Plusieurs dispositifs doivent être mieux ciblés : la formation professionnelle doit être encouragée en période de récession, en privilégiant les formations en alternance, et pour augmenter la qualité de l’emploi à plus long terme. Les contrats aidés sont utiles pour les publics structurellement éloignés de l’emploi ou pour donner un « coup de pouce » temporaire. Enfin, les évaluations européennes montrent de façon convergente que les prestataires privés ne sont pas plus efficaces que l’opérateur public pour les mêmes missions. Les rapporteurs insistent sur la nécessité de
→ mettre un terme à l’instabilité juridique et financière relative aux contrats aidés, qui nuit à l’efficacité de ces dispositifs, et veiller à des durées de contrat suffisantes pour permettre un accompagnement, une formation et une insertion durable des bénéficiaires.
Pour améliorer les performances du service public de l’emploi français, les rapporteurs proposent les mesures suivantes :
→ renforcer et personnaliser l’accompagnement des demandeurs d’emploi, en organisant rapidement un premier entretien consacré à l’indemnisation, suivi d’un second sur l’accompagnement professionnel et en intensifiant les contacts ;
→ adopter une approche globale du demandeur d’emploi, en renforçant la coordination entre les professionnels du retour à l’emploi et ceux de l’insertion sociale, en utilisant plus fréquemment et plus efficacement les aides à la reprises d’activité (aide au permis de conduire, aide à la garde d’enfants) et en intervenant le plus en amont possible de la fin des dispositifs temporaires comme les contrats aidés ;
→ renforcer les compétences, l’expertise et l’autonomie des conseillers de Pôle Emploi, en renonçant à la généralisation du métier unique tout en encourageant la polyvalence pour ceux qui le souhaitent, en renforçant la formation des conseillers et leur autonomie ;
→ adapter les moyens de Pôle Emploi à la conjoncture et au niveau de chômage, en augmentant le nombre de conseillers pour maintenir le niveau de service en période de crise et pour cela, en permettant un recours accru aux CDD ;
→ être plus à l’écoute des usagers, en confirmant le rôle et l’importance des lieux d’échanges entre les usagers et Pôle Emploi et en confiant au Médiateur la responsabilité d’un rapport annuel plus complet sur la satisfaction des bénéficiaires.
L’ARTICULATION ENTRE VIE FAMILIALE ET VIE PROFESSIONNELLE : UN DÉFI PERSONNEL, UN ENJEU COLLECTIF
Le rapport comporte une analyse de deux politiques sociales à destination des familles, qui s’est appuyée sur une étude comparative réalisée, à la demande des rapporteurs, par Sciences Po/ le Centre d’études européennes (CEE), le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
● Des enjeux majeurs s’attachent aux politiques visant à favoriser l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, en termes économiques, sociaux et sociétaux. En effet, au regard des difficultés parfois rencontrées dans ce domaine, qui peuvent être plus aiguës encore pour des parents seuls, ces politiques sont susceptibles de favoriser l’augmentation des taux d’activité des parents, et particulièrement des mères, ainsi que la qualité de l’emploi et l’égalité entre les hommes et les femmes. Elles peuvent également contribuer à la consolidation des systèmes de protection sociale et à la performance des entreprises.
La France se place au premier rang des pays de l’OCDE pour les différentes aides apportées aux familles, qui représentent 3,7 % du PIB ; des moyens importants sont en particulier alloués aux mesures visant à favoriser la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, qui constitue aujourd’hui un objectif clairement identifié des politiques publiques.
● L’analyse comparée des politiques d’articulation fait tout d’abord ressortir plusieurs spécificités françaises, notamment un système socio-fiscal moins individualisé que dans certains autres pays, et un congé parental très féminisé, plus long et moins bien rémunéré que dans certains pays, en particulier la Suède et l’Allemagne. Par ailleurs, on constate en France une très bonne prise en charge des enfants de trois à six ans, mais, a contrario, un manque de places d’accueil pour les moins de trois ans, les besoins non couverts étant estimés à environ 350 000 places. En tout état de cause, l’accès à des modes de garde de qualité présente des enjeux importants en termes d’égalité des chances, de réussite scolaire et de lutte contre les inégalités sociales.
Dans l’analyse de la performance des politiques d’articulation, la France se distingue par de bons résultats dans certains domaines, en particulier la natalité et l’insertion professionnelle des femmes, qui se fait plutôt à temps plein. Il existe néanmoins des voies d’amélioration afin de favoriser l’égalité des genres, l’accès ou le retour à l’emploi des mères et de mieux répondre aux difficultés parfois exprimées par les parents en matière de conciliation.
Il convient également de souligner la persistance d’écarts salariaux entre les hommes et les femes : une étude récente de l’OFCE montre ainsi qu’une cohorte d’hommes, dans la tranche des quarantenaires, gagnent 17 % de plus qu’une cohorte de femmes disposant des mêmes caractéristiques (même âge, ayant des enfants, aucune interruption de carrière pour les élever, diplômes et expériences égaux, voire supérieurs pour les femmes), et que l’essentiel de cette différence (70 %) reste inexpliqué.
● Pour créer les conditions d’un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, le rapport préconise en conséquence :
→ d’aller progressivement vers un congé parental plus court, de quatorze mois, en incluant deux « mois d’égalité » non transférables, qui seraient réservés à celui des parents n’ayant pas pris le reste du congé, et mieux rémunéré qu’aujourd’hui, par exemple à hauteur des deux tiers du salaire antérieur, en s’inspirant des dispositifs mis en place en Suède et en Allemagne ;
→ de poursuivre le développement de l’offre de garde de la petite enfance, en particulier en accueil collectif, qui est très développé dans les pays nordiques, tels que la Suède, et en maintenant au moins au niveau actuel la scolarisation des enfants de moins de trois ans ;
→ de favoriser le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques en milieu professionnel en matière d’articulation entre le travail et les responsabilités familiales, au regard notamment de l’implication des entreprises dans ce domaine en Allemagne. Les directeurs des ressources humaines de l’entreprise (DRH) des entreprises doivent penser l’organisation du travail (horaires, prise en compte des modes de garde des enfants…), en fonction d’un objectif de meilleure conciliation travail/famille, qui vise à favoriser une paternité active et un véritable partage des tâches familiales, y compris ménagères dans le couple, par une meilleure implication des hommes (double journée de travail pour les femmes).
Les rapporteurs souhaitent ainsi offrir de meilleures opportunités de carrières aux mères et plus de temps de famille aux pères.
LES FAMILLES MONOPARENTALES : ENTRE CIBLAGE ET UNIVERSALISME, DES RÉPONSES ADAPTÉES AUX SITUATIONS PARTICULIÈRES DE VULNÉRABILITÉ
● En France comme en Europe, les familles monoparentales sont particulièrement exposées au risque de pauvreté et de précarité et il s’agit très majoritairement de mères seules. Le taux d’emploi des parents isolés est plus élevé en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE, contrairement au taux de pauvreté qui lui est nettement inférieur. Toutefois, dans les cinq pays européens étudiés, y compris en France, le taux de chômage des mères seules est partout supérieur à celui de l’ensemble des mères.
● Dans les cinq pays sous revue, les politiques publiques en direction des familles monoparentales se caractérisent par une certaine diversité, illustrant les différentes figures contemporaines de l’État social. Certains pays, comme la France ou le Royaume-Uni ont ainsi adopté des dispositifs spécifiques en faveur des parents isolés, contrairement à d’autres pays, tels que la Suède, qui ont adopté une approche dite universaliste. Par ailleurs, des réformes ont été mises en place dans plusieurs pays afin de favoriser l’accès à l’emploi et lutter contre la pauvreté des parents isolés, les formes de protection sociale évoluant ainsi progressivement du « maternalisme » à l’activation.
● De l’évaluation de la performance comparée des différentes politiques publiques, il ressort tout d’abord l’absence d’un réel modèle de réussite, même si la Suède, puis la France, apparaissent plutôt mieux positionnées par rapport aux principaux indicateurs socio-économiques. Cette analyse comparative permet également d’identifier plusieurs leviers de l’action publique de nature à lutter contre la pauvreté et à soutenir l’accès à l’emploi des parents isolés, notamment : le caractère rémunérateur de la reprise d’un emploi, l’importance d’un accompagnement adapté et de la prise en compte des frais et des difficultés liées à la garde des enfants ainsi que l’accès à des emplois de qualité. Parallèlement, il convient également de déployer des politiques volontaristes et universalistes visant à promouvoir l’emploi des mères en général.
● Afin d’améliorer l’accompagnement social et professionnel des parents isolés en situation de vulnérabilité, les rapporteurs proposent :
→ d’améliorer l’information concernant les aides aux familles et le dispositif du revenu de solidarité active (RSA) ;
→ de procéder à une évaluation de l’accompagnement par les travailleurs sociaux et des conditions d’accès aux établissements d’accueil des jeunes enfants pour les bénéficiaires de minima sociaux. ;
→ de renforcer la coordination entre les acteurs, de sensibiliser les agences de l’emploi à la question des parents isolés et d’engager des expérimentations visant à proposer un accompagnement spécifique des parents isolés, sur la base du volontariat, en s’inspirant des bonnes pratiques observées notamment au Royaume-Uni et en Allemagne.
Recommandation n° 1 : Conforter les instruments de l’Europe sociale
– Poursuivre les négociations dans le sens d’un redéploiement du Fonds social européen en faveur des nouveaux objectifs de la stratégie Europe 2020, en particulier celui visant à « sortir » 20 millions d’Européens de la pauvreté et de l’exclusion d’ici à 2020, et de l’expérimentation sociale.
– Conserver un dispositif d’aide alimentaire pour les plus démunis après 2014 et encourager les réflexions dans le sens d’un financement de cette aide par le Fonds social européen, à l’occasion des négociations actuelles sur les perspectives budgétaires 2014-2020.
En France :
– Renforcer l’information et l’accompagnement juridique des associations françaises candidates aux financements FSE dans les Direccte, par la création d’un groupe de travail impliquant des associations bénéficiaires et notamment chargé de proposer des mesures de simplification ;
– Encourager l’expérimentation sociale en apportant un appui financier aux projets innovants susceptibles d’être cofinancés par le FSE.
Recommandation n° 2 : Organiser un débat au Parlement en semaine de contrôle, par exemple au printemps, sur l’efficacité des politiques sociales, qui pourrait s’appuyer sur certains objectifs des programmes de qualité et d’efficience (PQE), dont le choix serait partagé entre la majorité et l’opposition, ainsi que sur un rapport du Gouvernement au Parlement.
Recommandation n° 3 : En s’inspirant notamment des pratiques observées en Suède, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni :
– définir un programme pluriannuel d’expérimentations sociales, qui pourrait être soumis pour avis à la commission des Affaires sociales ;
– organiser des débats au Parlement sur les résultats d’expérimentations, par exemple dans le cadre des semaines de contrôle de l’Assemblée nationale ;
– aller vers une exigence d’expérimentation préalable systématique, au moins pour les grandes réformes sociales ;
– améliorer l’évaluation in itinere et ex post des politiques sociales afin de pouvoir les adapter, en tant que de besoin, par exemple en prévoyant a priori un budget pour l’évaluation, même limité en proportion des dépenses, et en veillant à associer les parties prenantes, ainsi que des chercheurs, éventuellement d’autres pays européens.
Recommandation n° 4 : Encourager la mise en place d’une « méthode ouverte de coordination » entre conseils généraux, en promouvant l’exemple suédois
– Encourager une évolution de l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (ODAS) dans le sens d’un renforcement de ses capacités d’évaluation.
– Susciter l’adoption d’un tableau de bord commun pour la comparaison de l’action sociale décentralisée.
– Créer un fonds de « recherche, développement et évaluation » sur les politiques sociales locales financé conjointement par l’État et les collectivités territoriales.
Recommandation n° 5 : Lancer une expérimentation avec des collectivités territoriales volontaires sur le rapprochement des acteurs de l’Emploi, de l’Entreprise et de la Formation professionnelle sous une direction commune pour identifier et promouvoir les meilleures pratiques.
Recommandation n° 6 : Mettre un terme à l’instabilité juridique et financière relative aux contrats aidés, qui nuit à l’efficacité de ces dispositifs et veiller à des durées de contrat suffisantes pour permettre un accompagnement, une formation et une insertion durable des bénéficiaires.
Recommandation n° 7 : mettre en œuvre un accompagnement renforcé
– Programmer deux entretiens très rapprochés au début du parcours personnalisé, l’un sur l’indemnisation, l’autre sur le projet professionnel.
– S’inscrire effectivement dans l’objectif d’organiser le premier entretien cinq jours après l’inscription à Pôle Emploi.
– Intensifier les contacts avec les demandeurs d’emploi.
Recommandation n° 8 : adopter une approche globale du demandeur d’emploi
– Renforcer la coordination entre les acteurs de l’aide sociale et ceux du retour à l’emploi, grâce à un pilotage de haut niveau associant préfets, directeurs locaux de Pôle Emploi et présidents de conseils généraux.
– Préserver les moyens consacrés aux aides à la reprise d’activité comme l’aide au permis de conduire B ou les aides à la garde d’enfants pour lutter efficacement contre les freins au retour à l’emploi et donner plus de marges de manœuvre aux conseillers et travailleurs sociaux dans l’attribution de ces aides.
– Accompagner les bénéficiaires de contrats aidés en amont de la fin de leur contrat.
Recommandation n° 9 : renforcer les compétences et l’autonomie des conseillers de Pôle Emploi
– Renoncer à la généralisation du métier unique tout en encourageant la polyvalence pour ceux qui le souhaitent.
– Renforcer la formation initiale et développer l’expertise des conseillers sur les bassins d’emploi.
– Accorder une plus grande autonomie aux conseillers en favorisant les échanges de bonnes pratiques.
Recommandation n° 10 : l’adaptation des moyens de Pôle Emploi à la conjoncture et au niveau de chômage
– Adapter les moyens de Pôle Emploi aux besoins résultant de la conjoncture économique en permettant l’augmentation rapide du nombre de conseillers lorsque le chômage augmente.
– Dans cette perspective, permettre un recours accru aux CDD à Pôle Emploi.
Recommandation n° 11 : être à l’écoute des usagers
– Confirmer le rôle et l’importance des lieux d’échanges entre les associations de chômeurs et Pôle Emploi (comités de liaison) aux niveaux local et national.
– Confier au Médiateur la responsabilité d’un rapport annuel plus complet sur la satisfaction des bénéficiaires.
Recommandation n° 12 : En s’inspirant des dispositifs mis en place en Suède et en Allemagne notamment :
– aller progressivement vers une allocation de congé parental (CLCA) d’un montant plus élevé et proportionnel au salaire antérieur, à hauteur des deux tiers, jusqu’à un montant maximum, et sur une période plus courte, de 14 mois ;
– prévoir une période non transférable réservée à l’un des parents au sein du congé parental (« mois d’égalité »), de 2 mois, et organiser parallèlement des campagnes de sensibilisation concernant la parentalité masculine.
Recommandation n° 13 : Metttre en place un accompagnement renforcé vers l’emploi et la formation des bénéficiaires du CLCA, et accroître la coopération entre Pôle Emploi et les Caf, en prévoyant en particulier la transmission par ces dernières des listes des allocataires du CLCA à Pôle Emploi, pour lui permettre de proposer une offre de services dédiée.
Recommandation n° 14 : Au regard notamment des pratiques observées dans les pays nordiques, en particulier en Suède, poursuivre le développement de l’offre de garde de la petite enfance, et :
– atteindre les objectifs fixés par le Gouvernement en termes de création de places, soit 200 000 places supplémentaires, dont la moitié en accueil collectif ;
– définir des objectifs ambitieux dans ce domaine dans la prochaine convention d’objectifs et de gestion (Cog) entre l’État et la Cnaf ;
– afin qu’il s’agisse bien d’une création nette de nouvelles places d’accueil, maintenir au moins au niveau actuel la scolarisation des enfants de moins de trois ans.
Recommandation n° 15 : Améliorer les connaissances et réaliser une étude permettant d’évaluer finement les besoins ainsi que les disparités territoriales concernant la qualité et l’offre des modes de garde, en particulier dans les départements et territoires d’outre-mer, et développer les données sur l’accueil périscolaire.
Recommandation n° 16 : Afin d’encourager le développement de la négociation collective concernant l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle, dans le prolongement des préconisations du rapport de Mme Brigitte Grésy de juin 2011 :
– inscrire la question de l’articulation dans le champ de la négociation triennale de branche sur l’égalité professionnelle ;
– définir en conséquence les indicateurs pertinents, concernant la question de l’articulation, pour la négociation triennale de branche sur l’égalité professionnelle (par voie réglementaire), et améliorer le suivi des actions en faveur de l’articulation dans le cadre du bilan annuel de la négociation collective.
Recommandation n° 17 : En s’inspirant notamment de l’implication des entreprises dans le champ de la conciliation entre famille et travail en Allemagne, soutenir le développement des bonnes pratiques et :
– procéder à une évaluation approfondie du crédit d’impôt famille (Cif) en faveur des entreprises qui réalisent certaines dépenses pour aider leurs salariés à mieux articuler vie familiale et vie professionnelle ;
– confier à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) une mission de diffusion des bonnes pratiques et d’accompagnement des entreprises dans le domaine de l’articulation ;
– veiller à la formation et la sensibilisation de l’encadrement aux questions relatives à l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle ; les directeurs des ressources humaines (DRH) de l’entreprise doivent penser l’organisation du travail (horaires, prise e compte des modes de garde des enfants…), en fonction d’un objectif de meilleure conciliation travail/famille, qui vise à favoriser une paternité active et un véritable partage des tâches familiales ;
– favoriser la mixité au sein des instances de direction des entreprises, en envisageant de préciser explicitement que la délibération annuelle des conseils d’administration sur la politique d’égalité au sein de l’entreprise doit notamment porter sur la question de la mixité au sein des comités de direction, et de prévoir la transmission du rapport de situation comparée entre les hommes et les femmes à l’assemblée générale des actionnaires.
Recommandation n° 18 : Pour améliorer l’information et l’accès aux droits :
– organiser une campagne d’information sur le revenu de solidarité active (RSA), en direction des bénéficiaires potentiels mais aussi du grand public, et étudier finement les raisons du recours limité au RSA chapeau ;
– renforcer l’information des familles sur l’ensemble des aides existantes, par exemple en diffusant un guide sur les aides en faveur des familles monoparentales ;
– généraliser les pratiques consistant à simplifier les formulaires et les courriers administratifs en associant systématiquement les représentants des bénéficiaires.
Recommandation n° 19 : Pour mieux évaluer les pratiques actuelles afin d’améliorer l’accompagnement des allocataires du RSA, notamment des parents isolés :
– faire le bilan de l’application des dispositions législatives prévoyant un accès préférentiel aux établissements d’accueil des jeunes enfants pour les bénéficiaires de minima sociaux et en particulier les parents isolés disposant de faibles ressources ;
– procéder à une étude sur le nombre des travailleurs sociaux, leur formation et les pratiques actuelles en matière d’accompagnement ).
Recommandation n° 20 : Concernant les politiques en direction des parents isolés, soutenir l’emploi des mères en général, et parallèlement, en vue d’améliorer l’accompagnement des parents isolés pour répondre aux situations particulières de vulnérabilité :
– renforcer les coopérations entre les services sociaux, les collectivités locales et les acteurs de l’emploi (plus développées par exemple en Norvège et au Royaume-Uni) ;
– envisager des expérimentations pour proposer un accompagnement renforcé aux parents isolés, sur la base du volontariat, avec par exemple un parcours intégré d’insertion comprenant notamment des aides accrues pour la garde d’enfants et le retour à l’emploi, voire d’autres options ou droits spécifiques, tels qu’un accès renforcé à la formation ou à un mode d’accueil (en s’inspirant de certains aspects du dispositif d’accompagnement mis en place au Royaume-Uni) ;
– mettre en place un comité national d’évaluation des expérimentations, en associant largement les parties prenantes et les associations, et en prévoyant l’examen des résultats de l’expérimentation par le Parlement ;
– sensibiliser les agences de l’emploi à la question spécifique des parents isolés, et, en concertation avec les organisations syndicales, en étudiant les possibilités de fixer des objectifs aux agents du service public de l’emploi dans ce domaine (en s’inspirant de certaines pratiques observées en Allemagne).
I.– LA PERFORMANCE DES POLITIQUES SOCIALES EN EUROPE : QUELS ENJEUX, QUELLES RÉPONSES POLITIQUES ?
L’évaluation comparative de la performance des politiques sociales en Europe soulève essentiellement trois séries de questions.
Tout d’abord, de quelle façon définir et évaluer la « performance » des politiques sociales, dans quels objectifs et selon quelles modalités ?
Par ailleurs, comment se situe globalement la France en Europe, autrement dit quelle analyse peut-on faire des moyens mis en œuvre et des résultats obtenus par rapport aux principaux objectifs et indicateurs sociaux, en particulier en matière de lutte contre la pauvreté ?
Enfin, quels leviers d’amélioration de la performance peut-on identifier, concernant ce qu’il est convenu d’appeler l’Europe sociale, mais aussi la gouvernance et l’évaluation des politiques en France, au regard des pratiques observées dans d’autres pays ?
A.– L’ÉVALUATION DE L’EFFICACITÉ DE LA DÉPENSE SOCIALE : UN EXERCICE DÉLICAT MAIS ESSENTIEL
Il convient en premier lieu de clarifier le cadre conceptuel de la performance de l’action publique et d’en cerner les principaux enjeux. Comme l’ont fait apparaître les premières auditions du groupe de travail, les comparaisons internationales peuvent se heurter à certaines limites ou, du moins, appellent certaines précautions, concernant par exemple l’interprétation des indicateurs. Au regard notamment de ces éléments, une méthodologie a été définie pour procéder à l’évaluation comparée de la performance des politiques sociales en Europe, qui conduit, d’une certaine manière, à apprécier l’efficacité de la dépense sociale.
1. Les objectifs de l’évaluation
La mesure de la performance des politiques – notion multidimensionnelle qui doit naturellement être définie au préalable – ainsi que sa comparaison entre les pays présentent des enjeux majeurs pour l’action publique. Les objectifs de cette évaluation comparative apparaissent, en effet, aussi divers que stratégiques.
a) La définition de la performance : une notion multidimensionnelle reposant sur trois principaux critères
● La définition de la performance fondée sur les critères de qualité, d’efficacité socio-économique et d’efficience
Dans l’esprit de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (Lolf), la performance peut être définie comme « la capacité à atteindre des objectifs préalablement fixés, exprimés en termes d’efficacité socio-économique, d’efficience de la gestion et de qualité de service (9) ».
En d’autres termes, une action, un programme ou une politique publique peuvent être jugés plus ou moins performants selon la nature des résultats obtenus au regard des ressources allouées et des objectifs ayant été préalablement fixés, en prenant en compte les trois dimensions de la performance du point de vue du citoyen, du contribuable et de l’usager (10). En effet :
– pour l’usager, la performance dépend de la qualité du service rendu ;
– pour le citoyen ou la collectivité, elle doit s’apprécier en examinant dans quelle mesure une action a produit les résultats escomptés, en termes notamment de modification de l’environnement économique et social, et donc de juger de son efficacité socio-économique ;
– pour le contribuable, cette notion recouvre l’efficience de la gestion ou encore l’optimisation des moyens : autrement dit, les résultats sont-ils à la hauteur des sommes dépensées par la collectivité ? Les moyens humains et financiers ont- été utilisés au mieux ?
LES PRINCIPAUX CRITÈRES DE LA PERFORMANCE
La performance s’inscrit ainsi dans une démarche « objectifs/résultats » et, dans ce sens, participe du contrôle de la gestion, qui consiste à produire des outils de connaissance afin d’améliorer le rapport entre les moyens mobilisés et l’activité ou les résultats produits ainsi que d’améliorer le pilotage, comme l’illustre le schéma présenté ci-après.
L’APPROCHE TRADITIONNELLE DE LA PERFORMANCE, À L’INTERSECTION DU CONTRÔLE DE GESTION ET DE L’ÉVALUATION
Évaluation des politiques publiques : apprécier si les moyens juridiques, administratifs, organisationnels, financiers ou humains mis en œuvre et les biens et services publics rendus permettent d’obtenir les effets attendus de la politique et d’atteindre les objectifs qui lui sont liés (effets en termes de retombées socio-économiques).
Contrôle de gestion : produire les outils de connaissance des coûts, des activités et des résultats pour améliorer le rapport entre les moyens mobilisés et l’activité ou les résultats produits et pour objectiver et nourrir le dialogue de gestion entre les acteurs des différents niveaux d’une administration et pour améliorer le pilotage.
Source : ministère du budget et de la réforme de l’État, in « La mesure de la performance de l’action publique », Alexandre Siné et Brice Lannaud, Économie politique de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf), Conseil d’analyse économique (2007)
● Le choix de retenir une acception un peu plus large de la performance
Au-delà des trois critères d’efficacité, de qualité et d’efficience, il est apparu nécessaire de prendre en compte certains autres éléments, de manière complémentaire, pour évaluer la performance des politiques sociales :
– tout d’abord, les questionnements relatifs à la pertinence et la cohérence des objectifs assignés à l’action publique dans certains domaines : par exemple, concernant les performances comparées des politiques visant à favoriser la conciliation entre le travail et la vie familiale, l’étude confiée au groupement KPMG/Sciences Po (11) souligne le manque de cohérence globale du système français, qui serait lié à la multiplicité, voire l’incompatibilité de certains objectifs, de nature à créer des dysfonctionnements ;
– d’autre part, au-delà des objectifs socio-économiques stricto sensu, le souhait d’évaluer la situation des différents pays européen au regard de certains objectifs sociaux, voire sociétaux, en tant que tels, par exemple l’égalité entre les hommes et les femmes ou encore le bien-être des enfants ;
– enfin, au-delà des conséquences directes et immédiates de l’intervention publique (les résultats), l’appréciation de l’impact et des modifications induites par l’action des pouvoirs publics, y compris par rapport à des objectifs susceptibles d’avoir un impact à plus long terme (les retombées) et dépendre de multiples facteurs, concernant par exemple le chômage ou la natalité. Dans une perspective d’évaluation des politiques publiques, il s’agit ainsi d’apprécier dans quelle mesure la situation des bénéficiaires finaux, jugée initialement problématique, s’est finalement améliorée.
En effet, il est apparu important d’inscrire l’évaluation dans une temporalité plus longue et de mesurer l’ensemble des impacts pour pouvoir véritablement apprécier la performance d’un dispositif. Ainsi, des réformes susceptibles d’être coûteuses dans un premier temps, par exemple pour accroître les moyens d’un service public ou améliorer le niveau d’une prestation (le cas échéant, sur une période plus courte, comme cela est envisagé pour le congé parental, cf. infra), peuvent néanmoins être jugées performantes, dès lors notamment qu’il est établi qu’elles peuvent ensuite avoir un impact positif sur les finances sociales (12).
LE CHOIX DE MESURER LA PERFORMANCE À L’AUNE DE L’ENSEMBLE DES OBJECTIFS DE L’ACTION PUBLIQUE, Y COMPRIS GÉNÉRAUX ET AYANT UN IMPACT À MOYEN TERME
Source : ministère du budget et de la réforme de l’État, ibid.
La performance ne se résume pas donc à la recherche d’efficience, même si elle en constitue indéniablement une dimension importante. D’une certaine manière, il s’agit ainsi d’évaluer et de promouvoir une « performance durable », selon la formule employée par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), dont le directeur général, M. Jean-Baptiste Obeniche (13) a été auditionné par le groupe de travail, concernant la notion de performance en milieu de travail (14).
Pour la présente évaluation, la performance pourrait ainsi être définie comme la capacité à atteindre, à plus ou moins long terme, des objectifs préalablement fixés en termes, notamment, d’efficacité socio-économique, d’efficience et de qualité de service.
b) La mesure de la performance : un impératif pour nourrir le débat public et éclairer le décideur
À travers la production d’outils de connaissance des moyens, des activités et des résultats, la mesure de la performance des politiques publiques constitue un vecteur d’amélioration de leur gestion, qui apparaît particulièrement nécessaire au regard de la situation actuelle des finances sociales.
● Un élément essentiel du pilotage de l’action publique
Conformément aux principes posés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (15), le suivi de la performance et, plus largement, l’évaluation des politiques publiques doivent permettre une plus grande transparence sur les objectifs et les résultats de l’action publique, de nature à renforcer sa légitimité, et par voie de conséquence, celle des prélèvements obligatoires.
Exigence démocratique, la mesure de la performance vise à promouvoir une meilleure allocation des moyens ainsi qu’à maintenir ou améliorer la qualité des services publics.
En effet, le recueil d’informations relatives au coût et aux résultats produits par l’action publique, à travers par exemple l’élaboration et le suivi d’une série d’indicateurs, peut constituer un outil d’aide à la décision, que ce soit au niveau politique, pour la définition des objectifs stratégiques et la conception des politiques publiques ou, au niveau des gestionnaires.
Il s’agit donc notamment d’interroger le rapport coût-efficacité des politiques mises en œuvre, afin d’optimiser l’utilisation des moyens, mais aussi et corrélativement, dans un contexte budgétaire contraint, de concourir au maintien et à l’amélioration de la qualité des services publics. À cet égard, si l’emploi du terme de « performance » peut susciter certaines réserves dans le champ social, les rapporteurs ont pu constater, en revanche, lors de leur déplacement à Londres, combien la notion de « value for money » était développée au Royaume-Uni (soit, d’une certaine manière, les évaluations visant à vérifier que le citoyen « en a pour son argent »). Cette approche peut toutefois apparaître réductrice et présente certaines limites.
La mesure de la performance n’est donc pas une fin en soi, mais doit permettre d’éclairer la décision publique concernant la pertinence des choix opérés et l’efficacité de leur mise en œuvre.
● Une démarche nécessaire dans le contexte actuel, marqué par le poids de la dette et la dégradation des comptes sociaux
Il convient tout d’abord de rappeler que les dépenses correspondant aux prestations de protection sociale représentaient près de 597 milliards d’euros en 2009 (16), soit 31,3 % du produit intérieur brut (PIB).
La situation actuelle des finances sociales se caractérise principalement par le niveau élevé des dépenses publiques en comparaison d’autres pays européens (cf. infra), ainsi que par les déficits des régimes de base de sécurité sociale, en particulier au titre de l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse, comme l’illustre le graphique présenté ci-après. En outre, la dette portée par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) restant à amortir devrait s’élever à 140 milliards d’euros à la fin de l’année 2011, soit environ 7 points de PIB (17).
ÉVOLUTION DES SOLDES DU REGIME GÉNÉRAL ET DES CAISSES NATIONALES D’ASSURANCE MALADIE (CNAM) ET D’ASSURANCE VIEILLESSE (CNAV)
(en milliards d’euros courants)
Source : Rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2011)
Concernant les recettes, un premier constat est celui d’un niveau de prélèvements obligatoires sensiblement plus élevé que la moyenne européenne (18).
ÉVOLUTION DE 1965 A 2009 DU TAUX DE PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES EN FRANCE, DANS L’UNION EUROPÉENNE ET DANS LES PAYS DE L’OCDE
(en pourcentage du produit intérieur brut)
Source : Rapport sur les prélèvements obligatoires et leur évolution, annexé au projet de loi de finances pour 2012, ministère du budget, des comptes publics et de la réforme de l’État (octobre 2011)
Or aujourd’hui, ce sont plus des deux tiers des prélèvements obligatoires qui financent la protection sociale (70 % contre 59 % en 1981). En 2009, l’ensemble des prélèvements obligatoires finançant la protection sociale représentaient ainsi près de 29 % du PIB.
De plus, la composition des prélèvements obligatoires sociaux (19) a sensiblement évolué depuis plusieurs décennies : aujourd’hui, les cotisations sociales représentent en effet 73 % de ces prélèvements, contre 97 % en 1981, le reste (soit 27 %) correspondant à des impôts et à des taxes affectés.
PART DES PRÉLÈVEMENTS OBLIGATOIRES FINANÇANT LA PROTECTION SOCIALE
(en pourcentage du PIB)
Note de lecture du graphique :
Le taux de prélèvements obligatoires est défini comme l’ensemble des impôts et cotisations sociales effectives perçues par les administrations publiques rapporté au produit intérieur brut (PIB). Il atteint 42,8 % du PIB en 2008, contre 40,4 % en 1981. Les prélèvements obligatoires sociaux recouvrent les cotisations sociales effectives reçues par les administrations publiques, et les impôts et taux affectés à la protection sociale. Le taux de prélèvements obligatoires sociaux, calculé en rapportant ces montants au PIB atteint 23 % en 2008. Enfin, pour mesurer l’ensemble des financements publics affectés à la protection sociale, il convient d’ajouter les contributions publiques affectées à la protection sociale, qui représentent 3 % du PIB en 2008, et les cotisations imputées des administrations publiques (APU), qui représentent 1,8 % du PIB (20)
Source : Insee, Drees, programme de qualité et d’efficience (PQE) « Financement » annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012)
Le niveau des charges sociales en France peut soulever des questionnements, en termes notamment de coût du travail, d’emploi et de compétitivité de l’économie française, qui seront développés au début de la seconde partie du présent rapport relative à l’accompagnement des demandeurs d’emploi. Par ailleurs, ces cotisations étant prélevées sur les salaires et leur augmentation étant dès lors susceptible d’impacter le revenu net, donc le pouvoir d’achat des ménages, il n’apparaît pas illégitime de chercher à s’assurer de la bonne utilisation de ces ressources collectives.
Dans cette perspective, l’évaluation de la performance des politiques peut apporter des éléments d’analyse permettant d’envisager des mesures de nature à dépenser mieux et à améliorer la qualité de l’action publique. Ainsi, quel que soit l’objectif poursuivi (par exemple, le retour à l’équilibre des comptes publics ou l’amélioration des aides sociales et de la couverture d’un risque, tel que la dépendance), cette évaluation est de nature à éclairer le décideur concernant la possibilité et les moyens de mettre en œuvre cet objectif – et notamment, avant que d’accroître, le cas échéant, les prélèvements sociaux, de lui permettre d’envisager toutes les alternatives possibles en termes de redéploiements ou de plus grande efficacité de l’intervention publique.
c) La comparaison de la performance : un « benchmarking » pour repérer des bonnes pratiques et concourir à la coordination des politiques en Europe
Pour évaluer la performance d’une action publique, il convient naturellement de comparer la situation actuelle à ce qu’elle était auparavant, en vue de mesurer les résultats obtenus par rapport aux objectifs fixés. À cette comparaison dans le temps doit toutefois s’ajouter une comparaison dans l’espace par rapport aux pratiques d’autres pays. Les apports de l’analyse comparée des politiques publiques peuvent en effet être importants et ce, à plusieurs titres.
Il convient tout d’abord de rappeler que l’analyse comparative (encore appelée étalonnage ou parangonnage, en anglais « benchmarking ») s’est développée initialement afin de permettre aux entreprises d’améliorer leurs performances et leur productivité face à la concurrence mondiale. Il s’agissait ainsi d’identifier les meilleures pratiques (« best practice ») et d’organiser un échange d’informations en vue d’atteindre de meilleurs résultats. Dans le cadre de la nouvelle gestion publique (« New public management »), cette pratique a été transposée et progressivement utilisée par les administrations pour améliorer l’efficacité et la qualité des services publics.
L’analyse comparative (« benchmarking ») s’inscrit ainsi dans une perspective dynamique d’amélioration de l’action publique, et non de classement ou de palmarès.
Constituant l’un des outils d’évaluation des politiques publiques, l’étalonnage permet en effet de fournir des points de repères et à leur aune, d’identifier les points forts et faibles d’une politique mise en œuvre dans un pays et de concourir à l’analyse de son impact, en comparant les résultats atteints par différents dispositifs. Comme l’a notamment indiqué la directrice de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), Mme Anne-Marie Brocas (21), les comparaisons internationales peuvent également permettre de comprendre comment les autres États abordent des problèmes similaires et dans quelle mesure des agencements de politiques ou de programmes ont pu être vertueux. Plus largement, il s’agit ainsi d’irriguer la réflexion stratégique du décideur, par l’identification de bonnes pratiques dans d’autres pays.
Au niveau européen, ce « benchmarking » s’effectue notamment dans le cadre de la méthode ouverte de coordination (Moc) dans le champ social, qui offre un cadre commun d’évaluation des politiques, d’échanges et d’identification des bonnes pratiques, en vue de favoriser la convergence des politiques sociales en Europe, ainsi que l’a rappelé Mme Anne-Marie Brocas.
Dans les domaines relevant de la compétence des États membres, tels que l’emploi, la cohésion sociale, la santé ou les retraites, ce processus non contraignant, qui a été engagé en 2000 (22), se fonde principalement sur :
– la définition d’objectifs à atteindre, dans le cadre d’orientations stratégiques (« guidelines ») et non de directives, ainsi que d’indicateurs communs visant à mesurer les progrès réalisés dans l’atteinte de ces objectifs ;
– l’établissement de rapports nationaux dans lesquels les États membres présentent notamment les stratégies mises en œuvre à cette fin, ainsi que l’évaluation conjointe de ces politiques avec la Commission européenne et l’identification de bonnes pratiques dans le cadre des revues par les pairs (« peer reviews »). Ainsi les travaux réalisés dans le cadre de la Moc permettent-ils de suivre les performances des États membres en matière sociale (cf. infra).
L’analyse comparative peut ainsi être une approche féconde, à la condition toutefois de prendre les précautions méthodologiques nécessaires et de garder à l’esprit certaines limites quant aux enseignements susceptibles d’être tirés de l’observation de dispositifs étrangers, afin notamment de ne pas porter de jugements hâtifs sur leur caractère plus ou moins performant.
2. Les précautions à prendre du fait de certaines limites des analyses comparatives
L’évaluation comparée de l’efficacité et de l’efficience en matière sociale est un exercice rigoureux, qui impose des précautions ayant trait :
– au choix des outils de mesure, les indicateurs étant nombreux et devant être interprétés avec prudence ;
– à l’interprétation des résultats, la chaîne causale entre une politique publique et des résultats étant difficile à établir ;
– à la formulation de conclusions ou de préconisations pour le décideur public, les bonnes performances observées étant parfois liées à des facteurs aux effets incertains, comme le facteur culturel.
a) La nécessaire prudence dans l’interprétation d’indicateurs en nombre croissant
Un premier constat s’agissant de l’évaluation des performances dans le domaine social peut être celui de la multiplicité des indicateurs, tant au niveau national qu’international.
Au niveau national, la recherche de politiques performantes s’est accompagnée par un développement croissant d’indicateurs, dont la nature et l’usage varient significativement.
Avec la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001, appliquée pour la première fois en 2006, le budget de l’État est désormais accompagné de projets annuels de performance (Pap) fixant des objectifs, mesurés au moyen d’indicateurs précis et comportant des cibles de résultats à moyen terme. Ces annexes aux projets de loi de finances et leur pendant, les rapports annuels de performances (Rap), présentés en annexe des lois de règlement et qui rendent compte des résultats obtenus en expliquant les écarts par rapport aux prévisions, constituent la manifestation la plus importante de l’introduction de la mesure de la performance au cœur de l’action publique.
S’inscrivant dans une démarche analogue, des programmes de qualité et d’efficience (PQE) sont également annexés, depuis 2006, au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Ils permettent de suivre les progrès réalisés par rapport aux objectifs définis, à travers plus de 170 indicateurs. Ces programmes constituent ainsi un outil structurant d’analyse de la performance des politiques de sécurité sociale.
Plus ponctuellement, des objectifs et des indicateurs sont également présentés à l’occasion de plans sectoriels, par exemple, les cent objectifs quinquennaux de santé publique, définis dans le cadre de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, ou le tableau de bord de la lutte contre la pauvreté, prévu par la loi du 1er décembre 2008, assorti d’une série d’indicateurs.
Enfin, au niveau national, des objectifs et des indicateurs figurent également dans les conventions d’objectifs et de gestion (Cog) conclues entre l’État et les caisses de sécurité sociale.
Ce nombre croissant d’indicateurs suscite des interrogations légitimes : Ces indicateurs sont-ils tous nécessaires ? Sont-ils robustes sur le plan statistique ? Le décideur public dispose-t-il des moyens et du temps pour les examiner ?
Lors de son audition, M. Laurent Caussat, sous-directeur des études et des prévisions financières à la direction de la sécurité sociale (DSS) (23), a admis que les indicateurs s’étaient multipliés ces dernières années, sans toujours correspondre à un réel besoin.
Face à cette grande diversité, il a estimé que les PQE participaient plutôt d’une démarche de rationalisation et de sélection, en reprenant pour la plupart des indicateurs éprouvés, y compris au niveau international.
Cette multiplication des indicateurs de performance s’observe aussi au niveau international, en particulier dans le domaine social, à la faveur des exercices de comparaison des performances réalisés par l’OCDE ou des instruments de convergence et d’apprentissage réciproque mis en place par l’Union européenne.
Dans le cadre de la « Moc sociale », déjà évoquée précédemment, le Comité de la protection sociale (24), lieu d’échanges entre la Commission européenne et les États membres, a institué un « sous-groupe indicateurs » (SGI) en vue de formuler et de définir des indicateurs harmonisés. Le SGI contribue à l’amélioration de la collecte de statistiques pertinentes, en particulier grâce à la réalisation de l’étude européenne sur le revenu et les conditions de vie (EU-Silc). De ce fait, il participe à une démarche d’harmonisation des indicateurs pour faciliter les comparaisons internationales.
Ces travaux n’aboutissent pas toujours à la réduction du nombre d’indicateurs. Par exemple, dans le cadre des travaux relatifs à la stratégie Europe 2020, il n’a pas été possible de définir un indicateur synthétique de la pauvreté en Europe, compte tenu, notamment, des spécificités nationales. Une définition tridimensionnelle a donc été retenue, fondée sur trois indicateurs communs (cf. infra).
Lors de son audition (25), Mme Anne-Marie Brocas, directrice de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), a souligné les grandes disparités politiques entre États membres, en dépit de la convergence des objectifs favorisée au niveau communautaire. Outre ces finalités politiques divergentes, elle a averti que d’autres précautions étaient nécessaires, compte tenu des singularités nationales et des acceptions différentes – bien qu’apparemment voisines – de certains concepts, chaque État membre souhaitant conserver ses propres définitions.
S’agissant de l’emploi des femmes – un objectif très suivi depuis la stratégie de Lisbonne définie en mars 2000, les performances française et britanniques paraissent semblables. En réalité, beaucoup de femmes considérées comme étant dans l’emploi au Royaume-Uni sont en réalité à temps partiel voire très partiel, aux Pays-Bas, par exemple. A l’extrême inverse, on observe traditionnellement en Allemagne une dualité très marquée entre les femmes qui travaillent et celles qui ont des enfants. Ces pays se sont donc opposés à la définition d’un taux d’emploi des femmes en équivalent temps plein.
Les chiffres et les concepts sont donc au cœur des débats politiques et sont aisément instrumentalisés.
Mme Monika Queisser et M. Stéphane Carcillo, économistes à la division des politiques sociales, au sein de la direction pour l’emploi, le travail et les affaires sociales de l’OCDE (26), ont aussi souligné que beaucoup de pays ont utilisé les prestations de handicap pour garantir les revenus des personnes sans emploi. Ainsi, le taux de chômage de la Norvège est significativement plus faible que celui de ses voisins européens, mais une partie du chômage est en réalité « masquée » par des statuts liés à l’incapacité. Outre les difficultés de comparaison internationale qu’elles induisent, ces politiques ont des effets que les deux experts ont qualifiés de « dramatiques » sur le niveau de pauvreté (cf. infra).
Lors de leur déplacement à Berlin, les rapporteurs ont également pu observer qu’une partie significative des personnes employées dans le cadre des « mini-jobs » en Allemagne (emplois de courte durée dont la rémunération mensuelle ne dépasse pas 400 euros ; sur ce point, voir la seconde partie du rapport) n’étaient pas comptabilisées dans les statistiques du chômage, ce qui peut être de nature à modifier sensiblement leur interprétation (27).
Un des enjeux de l’évaluation de la performance réside donc dans les outils utilisés. Trop synthétiques, les indicateurs ne permettent pas toujours une compréhension fine des politiques sociales et de leurs facteurs de performance. Trop nombreux, ils deviennent inexploitables pour le décideur public de haut niveau. Une différenciation et une hiérarchisation des indicateurs paraissent donc souhaitables.
De plus, leur examen ne saurait se substituer à des travaux d’analyse qualitative et approfondie des politiques considérées qui, seule, permet d’identifier les facteurs d’efficacité ou d’efficience et de saisir la réalité illustrée par les chiffres.
b) Les défis de la mesure de l’impact propre d’une politique publique, a fortiori en période de mutations économiques
Les comparaisons internationales se heurtent encore aux limites épistémologiques inhérentes à toute évaluation, en particulier les limites relatives à la mesure de l’impact (28) des politiques publiques, à l’imputabilité des résultats à une dépense publique donnée et à l’interprétation de l’impact observé.
Un premier enjeu consiste à identifier une chaîne causale et des responsabilités, comme l’a souligné M. Laurent Caussat, qui s’interrogeait (cf. supra) sur le responsable de l’évolution du pourcentage du nombre de bénéficiaires de l’AAH qui perçoivent une rémunération d’activité. De même, à quel acteur ou à quelle politique faut-il imputer une augmentation du taux d’emploi des seniors ?
En matière sociale, l’établissement du lien causal est rendu particulièrement ardu par la multiplicité des facteurs agissant sur le résultat attendu d’une politique donnée. Par exemple, la mesure de l’efficacité de la politique de l’emploi doit tenir compte du fait que toute réduction du taux de chômage est en partie due à la conjoncture et à d’autres politiques, comme la politique industrielle.
La multiplication des acteurs intervenant dans le champ social (État, caisses de Sécurité sociale, collectivités territoriales, secteur associatif…) renforce cette difficulté de l’imputabilité, de même que les profondes mutations économiques auxquelles chacun des pays européens étudiés fait face aujourd’hui, de façon différente : dans la crise actuelle, la détermination de l’impact en propre des différentes politiques de l’emploi est en effet malaisée. Selon les pays, atténuent-elles les effets de la crise ? Les renforcent-elles ? L’évaluation doit tenir compte du contexte macroéconomique propre à chaque pays. Un délai d’observation et d’analyse est de surcroît nécessaire pour évaluer l’impact en propre d’une politique sociale.
Ensuite, en dépit des progrès apportés par la Lolf, la mesure de l’efficience représente une deuxième difficulté, compte tenu des multiples formes de dépenses publiques (transferts financiers directs, prestations de service, exonérations fiscales etc.) dans le domaine social. En France, le quotient familial, par exemple, n’est pas considéré formellement comme une dépense sociale en faveur des familles, mais comme un mode de calcul consubstantiel à l’impôt sur le revenu favorisant l’équité horizontale. Ce mode de calcul est pourtant un élément clé de la politique familiale française.
Enfin, les phénomènes observés, lorsqu’ils sont restitués correctement par les analyses et les indicateurs, sont complexes et il revient au décideur politique de définir les objectifs à l’aune desquels l’impact d’une politique publique peut être jugé positif ou négatif. Ainsi, une politique peut être efficace dans l’ensemble mais être très discriminante socialement. Dès lors, peut-elle être qualifiée de performante ?
c) La question de la « transférabilité » et l’importance de la prise en compte des contextes socio-culturels
Les premières auditions du groupe de travail ont fait apparaître un troisième écueil possible concernant cette fois, non pas l’analyse, mais les enseignements susceptibles d’être tirés des études comparatives.
Le plus souvent, s’impose en effet, a minima, une adaptation nécessaire des dispositifs afin de pouvoir les mettre en œuvre dans un contexte différent, si tant est que ce soit envisageable. Par exemple, des actions publiques peuvent produire des résultats très positifs dans des pays de petite taille ou dont le nombre d’habitants est sensiblement inférieur, par exemple la Suède ou le Danemark, ou encore dans des États fédéraux ou très décentralisés, comme l’Allemagne et l’Espagne, mais s’avérer beaucoup moins adaptés dans des pays ayant des caractéristiques un peu différentes.
L’étude comparée des politiques publiques peut ainsi conduire à identifier des bonnes pratiques, mais cela ne signifie pas pour autant qu’elles pourront être reproduites à l’identique en France.
À cet égard, il convient en particulier de prendre en compte les facteurs socio-culturels, qui peuvent par exemple contribuer à expliquer les différences entre la France et l’Allemagne en termes de recours à l’apprentissage ou encore d’acceptation sociale des mères qui travaillent, qui sont encore parfois surnommées les « mères corbeaux (29) » (« Rabenmutter »). L’étude réalisée par Sciences Po/CEE, Liepp et l’OFCE souligne ainsi que « le contexte socio-culturel est un facteur important qui peut freiner ou encourager l’accès des femmes au marché du travail », de même que « le poids des normes sociales sur les comportements de fécondité », qui peut être de nature à impacter sensiblement l’efficacité, au moins à court terme, des politiques de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Ces limites possibles des comparaisons internationales ainsi que l’importance des enjeux attachés à l’évaluation de la performance des politiques sociales doivent conduire à s’interroger sur les moyens de procéder à celle-ci.
3. La méthodologie retenue par le groupe de travail
Une méthodologie a été définie par les rapporteurs, en s’appuyant principalement sur l’identification des principaux objectifs et indicateurs sociaux au niveau européen, sur l’établissement d’une démarche évaluative ainsi que sur la mobilisation de plusieurs outils d’investigation.
a) L’identification préalable des principaux objectifs des politiques sociales et des indicateurs communs au niveau européen
Il résulte de la définition même de la performance d’une action publique que sa mesure dépend des objectifs lui ayant été assignés et auxquels pourront, le cas échéant, être associés des indicateurs. Évaluer la performance des politiques sociales suppose donc, dans un premier temps, de pouvoir recenser leurs principaux objectifs qui, en France, sont essentiellement ceux définis par :
– les programmes de qualité et d’efficience (PQE) annexés au PLFSS, concernant les politiques de sécurité sociale ;
– les projets annuels de performances (Pap) annexés au projet de loi de finances (PLF), concernant les missions budgétaires relevant du champ social ;
– les conventions d’objectifs et de gestion (Cog) entre l’État et les caisses nationales de sécurité sociale.
Importants pour éclairer l’analyse, ces objectifs ne constituaient cependant pas un point de départ possible pour évaluer la performance comparée de différentes politiques en Europe. En effet, un dispositif mis en œuvre dans un autre pays pourrait difficilement être qualifié de peu efficace ou performant, sous prétexte qu’il n’aurait pas atteint des objectifs qui ne lui auraient pas été fixés par les pouvoirs publics, au niveau national (30).
Il est donc apparu pertinent de privilégier les objectifs communs fixés au niveau européen pour fonder l’analyse comparative. L’adoption de la démarche de performance (« objectifs/résultats ») s’y est en effet traduite par :
– la définition d’objectifs, certes formulés en des termes assez généraux, et d’indicateurs communs dans le cadre de la méthode ouverte de coordination (Moc) en matière de protection et d’inclusion sociale, ainsi que dans le cadre de la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE), qui vise à créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité, à travers notamment des lignes directrices (31) ;
– surtout, l’adoption par les chefs d’État et de gouvernement, en mars 2000, de plusieurs objectifs chiffrés dans le cadre de la « Stratégie de Lisbonne », en particulier en matière d’emploi, à laquelle a succédé la stratégie « Europe 2020 » pour « une croissance intelligente, durable et inclusive », qui a été adoptée par le Conseil européen en juin 2010 et comporte cinq grands objectifs, dont deux concernent la lutte contre la pauvreté (cf. infra) et l’emploi.
Cette nouvelle stratégie fixe en particulier l’objectif de porter à 75 % le taux d’emploi de l’ensemble des hommes et des femmes âgés de 20 à 64 ans d’ici à 2020.
OBJECTIFS FIXÉS EN MATIÈRE D’EMPLOI À L’HORIZON 2010 DANS LE CADRE DE LA STRATÉGIE DE LISBONNE
Objet |
Objectif chiffré |
Conseil européen |
L’un des trois objectifs chiffrés finaux (*) | ||
Taux d’emploi |
70 % de la population active (de 15 à 64 ans) |
Lisbonne (mars 2000) |
60 % concernant les femmes (de 15 à 64 ans) | ||
L’un des objectifs intermédiaires (**) | ||
Structures d’accueil subventionnées pour les enfants (taux de couverture) |
90 % pour les enfants de 3 ans jusqu’à l’âge de la scolarité obligatoire (32) |
Barcelone (mars 2002) |
33 % pour les enfants âgés de moins de 3 ans |
(*) Le Conseil européen a d’abord fixé trois objectifs chiffrés « finaux », entre 2000 et 2002, concernant les taux de croissance, d’emploi et d’émission de gaz à effet de serre, avant d’opérer un recentrage sur les deux premiers en 2005.
(**) Une dizaine d’objectifs « intermédiaires » ont également été identifiés, en vue d’atteindre les objectifs de croissance et d’emploi, concernant par exemple la recherche et l’éducation.
Source : tableau réalisé d’après le rapport de M. Laurent Cohen-Tanugi, Une stratégie européenne pour la mondialisation : rapport en vue de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (avril 2008)
Plusieurs indicateurs ont également été définis en commun pour mesurer les progrès atteints vers ces objectifs, concernant notamment l’emploi et le champ social, comme l’a rappelé Mme Anne Duthilleul (33), auteure d’un rapport au nom du Conseil économique, social et environnemental sur le suivi de la situation de la France au regard de ces indicateurs (34).
Les indicateurs de Lisbonne ou « indicateurs structurels »
Au Conseil européen de Lisbonne, en mars 2000, l’Union européenne s’est fixée pour objectif stratégique à l’horizon 2010 de « devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Pour le suivi de la stratégie de Lisbonne, 42 indicateurs ont été définis concernant six domaines (contexte économique général, emploi, innovation et recherche, réforme économique, cohésion sociale et environnement). Parmi ceux-ci, une « liste restreinte » de 14 indicateurs a été fixée par le Conseil européen en décembre 2003 (voir la liste en annexe). Ces « indicateurs structurels » se rapportent aux trois piliers de la stratégie de Lisbonne (économique, social, environnemental) et mesurent la situation de chaque pays dans chacun des six domaines précités concourant à l’amélioration de la compétitivité européenne.
Pour évaluer la performance comparée des politiques sociales, il est donc apparu pertinent de chercher notamment à mesurer les résultats obtenus par les différents pays par rapport aux objectifs sur lesquels ils s’étaient accordés, au niveau européen, en particulier concernant l’emploi et la lutte contre la pauvreté.
b) La démarche de l’évaluation
Lors de son audition, M. Jean-Claude Barbier (35), sociologue, directeur de recherche au Centre d’économie de la Sorbonne (CNRS) et fondateur de la Société française de l’évaluation (SFE), a constaté une tendance à répéter ce qui a déjà été fait, y compris dans le domaine de l’évaluation, faute d’études bibliographiques, en estimant qu’il serait utile de recenser ce qui a déjà été produit sur un sujet et d’évaluer ce matériau. Selon son analyse, la valeur ajoutée d’une étude sur la performance des politiques sociales devrait résider dans sa capacité à montrer les limites, présenter des chiffres à jour, sélectionner l’information et traduire des études techniques en information utile pour le décideur.
En tout état de cause, il est apparu indispensable, en premier lieu, compte tenu du nombre de pays européens (36) et de l’ampleur des politiques publiques concernées – elles-mêmes constituées d’un ensemble de programmes et d’actions – et en vue notamment d’identifier de bonnes pratiques, de préciser le champ des investigations du groupe de travail (37) et d’approfondir l’analyse sur quelques politiques plus ciblées dans un nombre circonscrit de pays.
Le choix de ces thèmes d’étude a été défini en prenant tout d’abord en compte le champ et la structure des prestations sociales servies en France, présentées ci-dessous. Par ailleurs, certains thèmes ont été écartés, en raison notamment des travaux parlementaires récents ou en cours sur : la prise en charge de la dépendance (38), les retraites (39) – du fait également de l’adoption récente de la loi n° 2010-330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites –, la fraude sociale (40), ainsi que la politique de la ville et les sans-abris, compte tenu des travaux du CEC sur les quartiers défavorisés (41) et, en cours, sur l’hébergement d’urgence.
Il a également été tenu compte de la création, en janvier 2011, par la Conférence des Présidents d’une mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale même si certains aspects de cette question seront évoqués dans le cadre du présent rapport, concernant par exemple le coût du travail ou le financement des politiques familiales. Enfin, au-delà des travaux parlementaires, l’évaluation récente de la performance des systèmes de santé par l’OCDE (42), dont les principales conclusions seront présentées plus loin, a conduit à écarter également la santé des thèmes d’étude possibles.
LA STRUCTURE DES PRESTATIONS SOCIALES EN FRANCE EN 2009
Source : Drees, Les comptes de la protection sociale en 2009, Études et résultats (février 2011)
En revanche, il est apparu intéressant d’approfondir l’analyse sur certaines des faiblesses de la France identifiées au cours du premier cycle d’auditions transversales menées par les rapporteurs, en particulier en matière d’emploi (cf. la section B ci-dessous relative au positionnement de la France en Europe). Au regard de l’ensemble de ces éléments, les rapporteurs ont choisi de porter leurs investigations sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi et sur deux politiques sociales à destination des familles (43).
En deuxième lieu, il est apparu important de prendre en compte les spécificités du secteur social, et notamment le fait que ces politiques sont mises en œuvre par de multiples acteurs, le rôle de l’État étant de fait sensiblement plus limité ou moins direct que dans d’autres domaines, compte tenu notamment des prérogatives des partenaires sociaux, mais aussi des associations ou des collectivités territoriales. Les questions relatives à la gouvernance locale des politiques ont donc également été intégrées dans le champ de l’évaluation.
Enfin, la démarche d’évaluation s’est notamment appuyée sur les principes de transparence et de pluralité, en prenant en compte, autant que possible, la diversité des points de vue des parties prenantes.
Concrètement, cette préoccupation s’est par exemple traduite par le souhait de s’intéresser aux enquêtes d’opinion auprès des bénéficiaires des politiques et aux mesures de la satisfaction des usagers, dans le cahier des charges prévu pour la réalisation de deux études complémentaires par des prestataires extérieurs.
Par ailleurs, le présent rapport s’attache, autant que possible, à justifier les partis pris méthodologiques et la démarche suivie, ainsi qu’à publier, en annexe, un certain nombre de données complémentaires sur lesquelles l’évaluation a pu s’appuyer.
Les principes de pluralité et de transparence dans l’évaluation des politiques publiques
Principe de pluralité : l’évaluation s’inscrit dans la triple logique du management public, de la démocratie et du débat scientifique. Elle prend en compte de façon raisonnée les différents intérêts en présence et recueille la diversité des points de vue pertinents sur l’action évaluée, qu’ils émanent d’acteurs, d’experts, ou de toute autre personne concernée. Cette prise en compte de la pluralité des points de vue se traduit, chaque fois que possible, par l’association des différentes parties prenantes concernées par l’action publique ou par tout autre moyen approprié.
Principe de transparence : la présentation des résultats d'une évaluation s’accompagne d’un exposé clair de son objet, de ses finalités, de ses destinataires, des questions posées, des méthodes employées et de leurs limites, ainsi que des arguments et critères qui conduisent à ces résultats. La diffusion publique des résultats d’une évaluation est souhaitable. Les règles de diffusion des résultats sont établies dès le départ. L’intégrité des résultats doit être respectée, quels que soient les modalités ou les supports de diffusion retenus.
Source : charte de l’évaluation des politiques publiques de la Société française de l’évaluation (SFE)
c) La mobilisation de plusieurs outils d’investigation et d’évaluation
Afin de multiplier et recouper les sources d’information, en cherchant notamment à ne pas se limiter aux données et travaux réalisés par des organisations internationales, telles que l’OCDE, comme y a invité M. Claude Martin, sociologue (44), plusieurs outils d’investigation ont été mobilisés :
– des cycles d’auditions pour chaque thématique retenue, entre le 18 janvier et le 26 octobre 2011, qui ont notamment permis d’entendre des experts, des responsables administratifs ainsi que différentes parties prenantes des politiques concernées, dans le cadre notamment de tables rondes avec les organisations syndicales de salariés, avec plusieurs associations et organismes représentant ou intervenant auprès des familles ou des plus démunis (45) ;
– des déplacements à Bruxelles (6 juin 2011), Stockholm (13 et 14 juin 2011), Londres (18 et 19 juillet 2011) et Berlin (6 et 7 novembre 2011) ;
– une revue de la littérature et des principales ressources documentaires et statistiques disponibles, notamment produites par Eurostat et l’OCDE ;
– l’envoi d’un questionnaire aux missions diplomatiques dans quinze pays européens (46), dont les réponses sont présentées en annexe ;
– l’envoi d’un questionnaire aux parlements de ces pays, pour les aspects plus spécifiquement parlementaires, dont les réponses sont présentées en annexe ;
– le recours à des expertises extérieures, avec l’accord du CEC, après mise en concurrence sur appel d’offres, les prestataires retenus ayant remis, en octobre 2011, leurs études comparées sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi, d’une part, et sur deux politiques sociales en direction des familles, d’autre part, dans cinq pays européens ;
– l’organisation, le 3 novembre 2011, d’un séminaire de travail, ouvert aux membres du CEC, au cours duquel a été présentée l’étude réalisée par Sciences Po/CEE-Liepp et l’OFCE, concernant les politiques d’articulation entre vie familiale et vie professionnelle ainsi que les politiques en direction des familles monoparentales, en présence de différents experts (économistes, sociologues, etc.), en vue notamment de permettre la confrontation des points de vue.
B.– L’ANALYSE DU POSITIONNEMENT DE LA FRANCE EN EUROPE AU REGARD DES PRINCIPAUX INDICATEURS SOCIAUX ET DES ÉVALUATIONS RÉALISÉES
Concernant les politiques sociales en France et en Europe, quels sont les principaux résultats obtenus au regard des objectifs qui leur sont assignés et aux moyens mis en œuvre ? Quelles singularités du modèle social français cet exercice de « benchmarking » permet-il de mettre en lumière ?
Cette analyse, nécessairement globale et donc parcellaire, peut néanmoins s’appuyer sur les évaluations déjà réalisées ainsi que sur l’analyse des principaux indicateurs sociaux, en particulier en matière de lutte contre la pauvreté, mais aussi dans d’autres domaines, par exemple la santé. Il apparaît ainsi que la France se caractérise notamment par l’importance des moyens alloués au système de protection sociale, mais aussi par le caractère très redistributif de celui-ci.
1. Un niveau de dépenses sociales particulièrement élevé
Pour les comparaisons internationales, l’indicateur le plus souvent utilisé est le montant des dépenses sociales, le cas échéant ventilé selon la nature des risques, rapporté au produit intérieur brut (PIB). La définition et le périmètre des dépenses sociales peuvent toutefois différer sensiblement selon les organisations internationales et les pays.
Ainsi, les dépenses sociales sont considérées comme publiques par l’OCDE lorsque les administrations centrales, les organismes de sécurité sociale ou les collectivités locales gèrent les flux financiers correspondants (47). Les dépenses sociales correspondent alors à l’ensemble des ressources allouées par les pouvoirs publics pour les retraites, la santé et les prestations d’aide sociale.
En revanche, pour Eurostat et l’Insee (48), les dépenses de protection sociale comprennent la fourniture de prestations sociales, qui représentent l’essentiel, ainsi que les coûts administratifs et d’autres dépenses, par exemple les intérêts payés aux banques. Ceci explique qu’il puisse y avoir parfois des divergences entre les chiffres avancés concernant la part des dépenses sociales dans le PIB en France.
En tout état de cause, par rapport à la moyenne des pays européens, la France se distingue à la fois par le niveau et par la progression des dépenses, qui apparaissent sensiblement supérieurs à la moyenne européenne.
a) Un effort financier important en faveur de la protection sociale correspondant en grande partie, comme dans d’autres pays, aux pensions et à la santé
Si la part de la richesse nationale consacrée au système de protection sociale apparaît sensiblement plus importante en France, la structure des dépenses sociales est en revanche très proche de la moyenne européenne.
● Le niveau des dépenses sociales par rapport aux autres pays
En France, la part des prestations sociales dans la dépense publique n’a cessé de croître au cours des cinquante dernières années, comme l’illustre le graphique ci-après. En 2010, les dépenses consolidées des administrations publiques, qui s’élevaient à 1 094,5 milliards d’euros, soit 56,6 % du PIB, se composaient ainsi pour près de 45,3 % de prestations sociales (49).
ÉVOLUTION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE EN FRANCE DEPUIS 1960
(en pourcentage du PIB)
Source : Insee, calculs de la direction du trésor
Représentant près de 31 % du PIB en 2008, les dépenses de protection sociale en France étaient les plus élevées au sein de l’Union européenne, dont la moyenne était de 26,4 % en 2008.
La situation de la France se rapproche ainsi, mais au-dessus, de celles du Danemark, de la Suède, des Pays-Bas, de la Belgique et de l’Autriche, qui consacrent également près de 30 % de la richesse nationale à leur système social.
dÉpenses de protection sociale en France et en europe en 2008
(en pourcentage du PIB)
Source : Eurostat, Statistics in focus (avril 2011)
● La ventilation des dépenses sociales par rapport aux autres pays
En France, comme en Europe, les dépenses liées à la vieillesse et à la santé représentent les trois quarts des prestations sociales, ainsi que l’indique le tableau ci-dessous. Les autres types de prestations représentent des proportions plus faibles et sont très variables selon les pays.
RÉPARTITION DES PRESTATIONS SOCIALES PAR GROUPE DE FONCTIONS EN 2008
(en pourcentage du total des prestations, en parité de pouvoir d’achat et en pourcentage du PIB)
Moyenne de l’UE |
France |
Allemagne |
Suède |
Royaume-Uni |
Pays-Bas | |
Répartition des prestations sociales par principaux groupes de fonctions (en pourcentage du total de prestations) : |
||||||
Vieillesse, survie |
45,4 |
45,8 |
43,0 |
41,8 |
39,7 |
39,9 |
Maladie, soins de santé |
29,7 |
29,8 |
30,5 |
26,0 |
33,3 |
32,8 |
Invalidité |
8,1 |
6,0 |
7,8 |
15,1 |
11,0 |
8,8 |
Famille, enfants |
8,3 |
8,4 |
10,6 |
10,4 |
7,3 |
6,6 |
Chômage |
5,2 |
5,8 |
5,4 |
3,0 |
2,5 |
3,8 |
Logement, exclusion sociale |
3,4 |
4,2 |
2,8 |
3,7 |
6,1 |
8,0 |
Dépense moyenne par habitant (en parité de pouvoir d’achat) |
100 |
126 |
121 |
137 |
104 |
145 |
Dépenses totales de protection sociale (en pourcentage du PIB) |
26,4 |
30,8 |
27,8 |
29,4 |
23,7 |
28,4 |
Source : tableau réalisé d’après les données d’Eurostat (base Sespros)
La structure des prestations sociales en France apparaît ainsi très proche de la moyenne européenne, même si les dépenses liées au chômage, à la vieillesse, au logement et à l’exclusion sociale sont proportionnellement plus élevées, de même que, dans une moindre mesure, pour la maladie et la famille. En revanche, les dépenses liées à l’invalidité sont relativement plus faibles que dans d’autres pays européens.
Au-delà de l’Europe, les prestations liées aux pensions et à la santé représentent également une part prépondérante des dépenses publiques sociales dans l’ensemble des pays de l’OCDE, la France se situant également en première position, avec des dépenses représentant 28 % du PIB (50), contre une moyenne de 19 % (cf. le graphique présenté ci-dessous).
DÉPENSES SOCIALES PUBLIQUES PAR GRANDS DOMAINES EN 2007
(en pourcentage du PIB)
Source : OCDE, Panorama de la société 2011. Les indicateurs sociaux (juillet 2011), éléments présentés au groupe de travail lors de l’audition de Mme Monika Queisser, le 15 février 2011
Cette situation s’explique notamment par les principaux déterminants économiques et sociaux de la dépense publique, en particulier le vieillissement de la population, la hausse du niveau de vie et le progrès technique.
Outre les facteurs spontanés d’évolution de la dépense, tels que la conjoncture économique (par exemple, un épisode de crise s’accompagne mécaniquement d’une hausse des dépenses d’aide sociale), plusieurs facteurs structurels influent en effet à long terme sur le montant et la composition des dépenses sociales. En particulier, le vieillissement de la population entraîne une hausse des dépenses de retraite, du fait de la dégradation du ratio de dépendance économique (51), mais aussi au titre des dépenses de santé et de la prise en charge de la dépendance. Outre l’allongement de l’espérance de vie, la progression des dépenses de santé est également liée à d’autres évolutions, au demeurant positives, telles que l’élévation du niveau de vie et le progrès technique et médical.
Mais l’importance de cet effort financier traduit également en partie un choix de société, lié à la forte socialisation de ce type de dépenses et à l’objectif de redistribution associé à des transferts sociaux significatifs. De fait, il apparaît en effet que les inégalités de revenus (après transferts) sont plus faibles dans les pays dont les dépenses sociales sont plus élevées.
COEFFICIENT DE GINI (52) DE L’INÉGALITÉ DE REVENUS ET DÉPENSES SOCIALES EN 2007 : LES PAYS À FORTES DÉPENSES SOCIALES ONT UNE PLUS FAIBLE INÉGALITÉ DE REVENUS
(dépenses sociales publiques en pourcentage du PIB)
Source : OCDE, ibid. (juillet 2011)
b) Une progression des dépenses au cours des dernières décennies, qui apparaît supérieure à la moyenne des pays de l’OCDE
En France, la dynamique des dépenses sociales est portée notamment par les postes correspondant à la retraite et à la santé, en partie pour les raisons évoquées plus haut. Il n’en reste pas moins que, dans d’autres pays européens confrontés à des enjeux analogues de long terme, la progression des dépenses a été sensiblement moins marquée, ainsi que l’indique le graphique ci-après.
RÉPARTITION DE LA DÉPENSE PUBLIQUE EN 2009 ET DE LA HAUSSE PRÉVISIONNELLE ANUELLE DE LA DÉPENSE PUBLIQUE
APUC : administrations publiques centrales ; APUL : administrations publiques locales ASSO : organismes de sécurité sociale
Source : direction générale du trésor, Rapport sur la dépense publique et son évolution, annexé au projet de loi de finances pour 2011 (septembre 2010)
Les dépenses sociales ont ainsi augmenté en France de 6,1 points de PIB entre 1982 et 2007, contre 2,5 points en moyenne dans les pays de l’OCDE sur la même période.
La progression des dépenses sociales en France contraste par ailleurs avec celle du groupe de pays qui se caractérisent, comme elle, par un niveau élevé de dépenses publiques, en particulier la Suède, l’Allemagne et le Danemark, dont l’évolution a été plus contenue, voire en diminution dans le cas de la Suède par exemple (cf. le second graphique présenté ci-après). En particulier, la diminution de la part des prestations sociales dans le PIB, entre 2003 et 2008, a atteint 0,8 points en Finlande, 1,7 points au Danemark, et 2,8 points en Suède (53).
ÉVOLUTION DES DÉPENSES SOCIALES PUBLIQUES ENTRE 2007 ET 1982 OU L’ANNÉE DISPONIBLE LA MOINS RÉCENTE
(en points de produit intérieur brut, PIB)
Source : OCDE (éléments présentés lors de l’audition de Mme Monika Queisser, chef de la division des politiques sociales, le 15 février 2011)
ÉVOLUTION DES DÉPENSES SOCIALES PUBLIQUES DANS CERTAINS PAYS DE L’OCDE DEPUIS 30 ANS
(en pourcentage du PIB)
Source : OCDE (éléments présentés lors de l’audition de Mme Monika Queisser chef de la division des politiques sociales, le 15 février 2011)
Enfin, plusieurs éléments doivent être pris en compte pour compléter l’analyse comparative des dépenses sociales en France et en Europe :
– tout d’abord, comme l’a notamment souligné M. Laurent Caussat (54), sous-directeur des études et des prévisions financières à la Direction de la sécurité sociale (DSS), les prestations sociales sont l’outil principal de la redistribution en France, où le levier fiscal est beaucoup moins mobilisé que dans certains autres pays, dans la mesure où les impôts directs n’assureraient que 30 % de la redistribution ;
– par ailleurs, lorsqu’elle est exprimée en parité ou standards de pouvoir d’achat (55) (SPA) par habitant, et non par rapport au PIB, la dépense sociale de la France apparaît certes élevée, mais au sixième rang des pays européens, derrière le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et l’Autriche (56). Exprimé dans cette unité, le niveau de dépenses de protection sociale de la France (8 310 en SPA par habitant) n’apparaît pas aussi significativement supérieur à la moyenne des seize pays de la zone euro (8 108 en SPA par habitant), qu’il ne l’est en rapportant ces mêmes dépenses sociales au PIB.
En tout état de cause, l’importance de cet effort de la Nation en faveur du système de protection sociale doit conduire à s’interroger sur les principaux résultats obtenus grâce à ces transferts monétaires, en particulier en matière de lutte contre la pauvreté.
2. Une comparaison faisant apparaître plusieurs points forts du modèle social français mais aussi des résultats plus contrastés
a) Une revue des principales évaluations : forces et faiblesses du modèle français
Les travaux permettant une comparaison des performances sociales entre la France et ses voisins européens sont relativement nombreux. Les organisations internationales ont notamment pour objectif la comparaison internationale et l’échange de bonnes pratiques, de façon plus ou moins contraignante, sur la base de ces études réciproques.
Les économistes de l’OCDE produisent des comparaisons internationales de qualité, consacrées de façon croissante aux enjeux sociaux : l’éducation, la santé, le financement des systèmes de protection sociale, les retraites, les inégalités, la mesure du bien-être etc. (57) Depuis les années 2000, plusieurs rapports conjoints ont également été produits dans le cadre de la méthode ouverte de coordination (Moc) dans le domaine de la protection sociale (58). Enfin, d’autres organisations à l’échelle mondiale comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (59), l’Organisation internationale du travail (OIT) (60) et le Fonds monétaire international (FMI) financent des travaux de recherche ou communiquent des données à cette fin (61). Les travaux des corps d’inspection (Inspection générale des finances, Inspection générale des affaires sociales), de la Cour des comptes doivent également être signalés. (62) Les comparaisons régionales, c’est-à-dire dans la zone OCDE ou au niveau communautaire, sont toutefois plus pertinentes pour la présente étude.
Dans son Panorama de la société, une publication annuelle, l’OCDE propose un tableau de bord synthétique évaluant les performances respectives des pays membres sur la base d’indicateurs de la situation sociale. Un extrait de l’édition de 2011 est présentée infra et témoigne des performances intermédiaires de la France.
D’après les publications de l’OCDE et de l’Union européenne, quelques points forts du modèle français font toutefois consensus par rapport à l’ensemble des pays européens :
● Le dynamisme démographique – Après l’Irlande et l’Islande, avec près de 2 enfants par femme, la France a le taux de fécondité le plus élevé des pays européens et le 9e de l’OCDE. La moyenne de l’OCDE est de 1,74 enfants par femme. (63)
● L’espérance de vie en retraite – Avec un âge officiel de départ à la retraite bas et la 2e espérance de vie la plus élevée dans l'OCDE, les femmes françaises peuvent s'attendre à profiter de 26,5 années à la retraite, la quatrième plus longue période de l'OCDE. Les hommes français peuvent s’attendre à vivre 21,8 années à la retraite, la troisième plus longue durée de l'OCDE. (64)
● La redistribution et la lutte contre la pauvreté – Les inégalités de revenus et la pauvreté (après impôts et transferts) restent plus faibles en France qu’en moyenne dans l’OCDE. Le rapport entre le revenu moyen des 10 % les plus pauvres et les 10 % les plus riches est de 1 à 7 en France contre une moyenne OCDE de 1 à 9, et 7,2 % de la population vit en dessous du seuil de 50 % du revenu équivalent médian en France contre une moyenne OCDE de 11,1 %. (65)
● La santé – La France fait partie des pays de l’OCDE (7e place), et en particulier de l’Europe (4e place) où l’espérance de vie à la naissance est la plus forte, ce qui témoigne de l’efficacité de son système de santé (66) (cf. infra). La France est également au-dessus de la moyenne des pays de l’Union européenne (EU 27) s’agissant de l’espérance de vie en bonne santé pour les femmes avec 63,2 ans (62,5 ans pour les hommes) contre 61,6 (60,9 ans pour les hommes) pour la moyenne de l’Union (67) en 2009 mais elle atteint seulement la 11e place après la Suède, Malte, la Norvège ou encore le Royaume-Uni.
*
En revanche, compte tenu du niveau des dépenses sociales françaises, certaines performances moindres suscitent des interrogations.
● La population active – En 2009, la France était à la 20e place des pays de l’OCDE, avec un taux d’emploi en pourcentage de la population de 15 à 64 ans de 64,1 %, en dessous de la moyenne OCDE à 66,1 %. (68)
● Le financement du système de retraite – Le dernier rapport conjoint de la « Moc Pensions » de 2010 (69) estimait que le système français garantissait efficacement le maintien du niveau de vie des personnes retraitées et notait que le taux de pauvreté des seniors était bien inférieur à la moyenne des pays de l’Union (11 % contre 19 %). Cependant, l’âge moyen de départ à la retraite en 2008 (59,3 ans) était le plus bas de l’Union européenne à 27. La soutenabilité de long terme du système de retraite français compte tenu du vieillissement de la population était évaluée « moyennement risquée » par les institutions européennes, au regard de la réforme de 2003. Depuis cette publication, la Commission européenne note que la dernière réforme des retraites votée en novembre 2010 « vise principalement à équilibrer les comptes du système de retraite d’ici à 2020 (qui redeviendrait néanmoins déficitaire par la suite » La Commission ajoute que « la réforme […] comprend un relèvement progressif de l’âge minimal de départ à la retraite (de 60 à 62 ans), dont l’effet cumulé représentera 1 % du PIB en 2020. » (70) En 2009, conformément aux recommandations de l’OCDE et de l’Union européenne, le taux d’emploi des seniors est en augmentation (38,9 % des personnes âgées de 55 à 64 ans) mais reste particulièrement faible par rapport à la moyenne européenne (46,0 %) et à l’objectif de Lisbonne de 50 %. Les dépenses de retraite françaises demeurent en troisième position dans le classement 2009 (avec 14,5 % du PIB) (71).
● L’éducation scolaire – La France atteint tout juste la moyenne des pays de l’OCDE avec un score moyen au test PISA (72) pour les compétences en lecture de 496 points contre 539 pour la Corée (2009). À l’occasion de la parution de l’édition 2011 de Regards sur l’éduction, l’Organisation estime que « la France a rattrapé le retard qu’elle pouvait déplorer ces dernières décennies en matière de niveau d’éducation atteint par sa population. […] Cependant depuis 1995, de sérieux signes de ralentissements sont observés aussi bien dans les taux de scolarisation […] que dans l’investissement financier dans l’enseignement primaire et secondaire. » (73)
● La confiance et la cohésion sociale – Bien que ces indicateurs ne mesurent pas la performance de politiques sociales en tant que telles, il faut souligner le faible niveau de confiance manifesté par les Français vis-à-vis d’autrui et vis-à-vis des institutions nationales, qui va de pair avec le constat de l’Organisation sur les comportements « pro-social » et « anti-social » en France (74) : seulement 31 % des français ont consacré du temps au volontariat, au don d’argent et à l’aide d’autrui le mois précédent leur réponse (2010), la moyenne OCDE étant de 39 %.
Enfin, le Rapport conjoint sur la protection sociale et l’inclusion sociale de 2009 élaboré au sein du Comité de la protection sociale de l’UE a essayé de conclure de façon synthétique sur les défis que la France paraissait devoir relever en matière sociale :
« – Promouvoir l'inclusion active, en particulier l'accès et le retour durable sur le marché du travail des personnes qui en sont le plus éloignées, avec une attention particulière pour l'intégration effective, professionnelle et socio-économique, des jeunes et des minorités visibles, également dans un souci de cohésion territoriale.
– Résorber la crise du logement, notamment dans les zones urbaines les plus exposées.
– Assurer l'adéquation des pensions et leur viabilité financière en renforçant les mesures favorables à l'emploi des seniors.
− Consolider la viabilité financière du système de santé par un approfondissement des réformes visant à assurer une meilleure coordination et rationalisation du parcours de soins tout en préservant un large accès et corrigeant les disparités géographiques.
− Pour les soins de longue durée, assurer une coordination des différents acteurs du financement, afin de garantir la solvabilité à long terme du système et réduire le reste à charge pour les personnes, assurant ainsi une meilleure égalité d'accès. » (75)
APERÇU RÉCAPITULATIF DE LA SITUATION SOCIALE DANS LES PAYS DE L’OCDE
Indicateur du contexte général |
Indicateurs |
Indicateurs relatifs à l’équité |
Indicateurs de santé |
Indicateurs de cohésion sociale | |||||||||||||
Revenu médian équivalent des ménages en USD convertis à l’aide des PPA |
Taux d’emploi de la population âge de 15 à 64 ans |
Taux de chômage de la population âge de 15 à 64 ans |
Performances moyennes (PISA) sur l’échelle des compétences |
Coefficient de Gini des inégalités de revenus |
Taux de pauvreté |
% des personnes qui trouvent difficile ou très difficile de vivre avec leur revenu actuel |
% du salaire brut moyen nécessaire pour dépasser le seuil de pauvreté de 60 % du revenu médian pour un parent seul avec 2 enfants |
Espérance de vie à la naissance |
Mortalité infantile |
Taux d’expériences positives |
Pourcentage de personnes satisfaites de la qualité |
Part de la population exprimant un niveau de confiance élevé dans autrui |
Indice de corruption |
Indice de comportement pro-social |
Taux de participation à la dernière élection |
Tolérance de la communauté envers les groupes minoritaires | |
2007 |
2009 |
2009 |
2009 |
2007/ |
2007/ |
2010 |
2009 |
2008 |
2008 |
2009 |
2009 |
2007/08 |
2010 |
2010 |
2009 ou + récent |
2010 | |
Autriche |
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– |
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Belgique |
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Danemark |
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Espagne |
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Estonie |
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Finlande |
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France |
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Allemagne |
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Grèce |
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Hongrie |
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Islande |
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Irlande |
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Italie |
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Luxembourg |
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Pologne |
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Portugal |
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République slovaque |
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République tchèque |
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Slovénie |
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Source : Compilation des indicateurs sociaux de l’OCDE dans Panorama de la société 2011(www.oecd.org/els/social/indicateursSAG).
Nota : un point indique que le pays est classé dans les deux déciles supérieurs, un rectangle dans les deux déciles inférieurs et un triangle dans les six déciles intermédiaires.
b) La performance du système de santé français comparée aux autres pays : l’exemple de l’évaluation réalisée par l’OCDE en 2010
La brève revue des travaux de comparaison internationale réalisée supra montre que les résultats de la France semblent très positifs dans le domaine de la santé, au regard de l’indicateur de l’espérance de vie à la naissance. Toutefois, une évaluation de la performance suppose l’examen d’autres indicateurs qualitatifs et appelle également une analyse en termes d’efficience, c’est-à-dire un examen du rapport coût – efficacité. Compte tenu de la publication d’un rapport récent du département des affaires économiques de l’OCDE intitulé Améliorer le rapport coût-efficacité des systèmes de santé (2010), le groupe de travail a entendu sur ce sujet Mme Isabelle Joumard, économiste principale, et M. Peter Hoeller, chef de la division d’économie publique à l’OCDE (76).
Selon les deux économistes, le rapport de 2010 s’inscrit dans une démarche plus générale, initiée en 2003 par le secrétariat général de l’OCDE, pour mesurer l’efficacité de la dépense publique. L’OMS avait déjà réalisé une première analyse en termes d’efficacité, en 2000, dans laquelle la France apparaissait comme disposant du système sanitaire le plus efficace. Si le rapport de l’OCDE confirme globalement les très bonnes performances françaises, il identifie cependant des marges de progrès possibles en termes d’efficience.
En premier lieu, l’analyse des deux intervenants s’est attachée aux indicateurs de résultats finaux et de dépenses. Les indicateurs d’état de santé sont plutôt satisfaisants en France : au 8e rang pour l’espérance de vie à la naissance des femmes, la France est en 2e position pour l’espérance de vie à 65 ans des femmes, juste après le Japon. Surtout, la France est le pays au monde où la mortalité évitable (77) est la plus faible.
D’autres indicateurs plus qualitatifs portent sur la qualité des soins, comme celui qui mesure les hospitalisations évitables. Par exemple, dans un système de santé globalement efficace, peu de gens devraient normalement se rendre à l’hôpital parce qu’ils ont une crise d’asthme. Mais les écarts dépendent beaucoup des pays et des pathologies : la France est plutôt bien classée pour l’asthme, par exemple, ainsi que pour les autres maladies pulmonaires, mais beaucoup moins bien pour les insuffisances cardiaques. Des indicateurs relatifs à la satisfaction des patients ont aussi été présentés mais doivent être interprétés avec précaution : les Japonais, par exemple, sont peu satisfaits de leur système de santé, alors même que leurs indicateurs d’état de santé sont parmi les plus satisfaisants.
Mme Isabelle Joumard a souligné que la relève de la génération actuelle des médecins, en particulier des généralistes, était un sujet de préoccupation. D’après les deux experts, si le nombre de médecins généralistes en exercice par habitant est dans la moyenne de l’OCDE (3,4 ‰), le nombre de diplômés en médecine pour 100 000 habitants en 2007 était le plus faible de l’OCDE.
En second lieu, des techniques économétriques ont été utilisées pour approcher l’impact en propre des politiques de santé. L’état de santé est en effet aussi dû à l’éducation, au niveau de revenu ou encore à la pollution.
D’après ces travaux, plusieurs marges de progression ont été identifiées :
● Les inégalités – La France se situe au-dessus de la moyenne de l’OCDE, en termes d’efficacité, mais en dessous pour l’équité La France fait partie des pays de l’OCDE où les inégalités d’état de santé sont les plus fortes (cf. graphique infra).
● La coordination des soins – Les soins de long séjour sont plus importants en France que dans les autres pays, ce qui justifie les efforts mis en œuvre en faveur de la coordination des soins.
● Les frais administratifs – La France fait partie des pays les plus inefficaces pour les frais administratifs (coûts de collecte des recettes, de fonctionnement, cf. graphique infra). Elle est proche des États-Unis qui, comme l’a rappelé Mme Joumard, ont un système d’assurance privée fragmenté. La fragmentation du système français paraît donc être une piste de réflexion. De ce point de vue, les pays les plus performants sont ceux dans lesquels les politiques sociales sont financées par la fiscalité, en raison de coûts de collecte des recettes moindre.
INÉGALITÉS CONCERNANT L’ÉTAT DE SANTÉ (2008) (78)
(Indice d’inégalité mesuré par l’écart-type
des âges de mortalité pour la population âgée de plus de 10 ans)
Source : Human Mortality Database, Université de Californie, Berkeley, USA
DÉPENSES ADMINISTRATIVES (2008) (79)
(en pourcentage des dépenses totales)
Source : ECO-Santé, OCDE 2010
D’après les calculs des économistes de l’OCDE, la France pourrait économiser 1,3 % du PIB sur une période de dix ans en étant plus efficiente, la moyenne de l’OCDE étant de 2 %. Pour cela ils estiment que des gains d’efficience sont notamment possibles à l’hôpital, en réduisant les coûts de gestion et en améliorant la coordination des soins.
ÉCONOMIES POTENTIELLES DUES À UNE PLUS GRANDE EFFICIENCE DES DÉPENSES DE SANTÉ D’APRÈS L’OCDE
(en pourcentage du PIB projeté en 2017)
Source : OCDE 2010, “Améliorer le rapport coût-efficacité des systèmes de santé”, OCDE Département des Affaires Économiques, Note de politique économique, n° 2.
Les deux experts ont également insisté sur l’économie politique des réformes pouvant être mises en œuvre, autrement dit les facteurs de réussite de celles-ci (80). Leurs travaux montrent en effet qu’il n’y a pas un modèle unique à suivre, mais des groupes de pays ayant des institutions semblables. La cohérence doit primer, et à cet égard l’expérience des pairs comparables est utile. La France gagnerait notamment à se comparer avec le Canada, la Belgique, ainsi qu’avec l’Australie, où une réforme sur le financement des hôpitaux était en débat début 2011.
c) Des faiblesses en matière d’emploi par rapport à d’autres pays et aux objectifs européens
Si la France paraît avoir des résultats relativement satisfaisants en matière de santé, l’emploi apparaît en revanche comme un point faible du modèle français. Ce constat a été repris par la plupart des personnes entendues au début des travaux du groupe de travail.
ÉVOLUTION DU TAUX DE CHÔMAGE EN FRANCE (2005-2010)
Source : OCDE
Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du Conseil d’orientation pour l’emploi (81), a rappelé qu’une période de forte décrue du chômage avait précédé la crise de 2008, puisque le taux de chômage avait atteint un minimum historique de 7,4 %, taux le plus bas observé depuis 25 ans. Un relatif consensus semblait alors établi sur la nécessité de dynamiser la création d’emploi, de sécuriser les parcours professionnels et d’augmenter les taux d’emploi, en remettant en cause les dispositifs « malthusiens » (82) comme les préretraites. La crise a cependant entraîné une hausse rapide du chômage dès 2008 et un allongement de la durée moyenne du chômage à partir de 2009, nécessitant l’adoption de mesures conjoncturelles.
Toutefois, l’observation de l’évolution du taux d’emploi sur une plus longue période suggère des difficultés plus structurelles. Bien que le taux d’emploi (83) ait augmenté – de 60,9 % en 1999, selon Eurostat, il a atteint son maximum en 2008 avec 64,8 % – la France n’est jamais parvenue à atteindre l’objectif de la stratégie de Lisbonne en matière de taux d’emploi (70 %). La Commission européenne a rappelé très récemment qu’en France « les niveaux enregistrés pour les travailleurs les plus jeunes et les plus âgés restent inférieurs à la moyenne de l’Union européenne et de la zone euro (surtout parmi les 60-64 ans). Dans l’ensemble, le taux d’emploi (69,2 % en 2010) est légèrement supérieur à la moyenne de la zone euro et de l’Union européenne mais reste bien loin de l’objectif de 75 % fixé dans la stratégie “ Europe 2020 ” » (84).
Selon les Perspectives de l’emploi 2011 de l’OCDE, la France devrait aujourd’hui s’attacher à certains défis structurels relatifs au marché du travail.
Les défis de la France sur le fonctionnement du marché du travail
En France, les taux d’emploi des jeunes (15-24 ans) et des seniors (55-64 ans) sont relativement faibles. Au premier trimestre 2011, le taux d’emploi des jeunes atteignait 29 %, sensiblement moins que la moyenne OCDE (38 %). Le taux d’emploi des seniors en France s’est bien maintenu pendant la crise et a même progressé de 2,4 points de pourcentage entre les premiers trimestres 2008 et 2011. Cependant, il reste significativement en dessous de la moyenne OCDE (40 % en France au premier trimestre 2011 contre 54 % en moyenne OCDE).
La différentiation marquée entre contrats temporaires et permanents en France pourrait accroître la fragilité financière des travailleurs qui ont moins de sécurité d’emploi. Une nouvelle analyse de l’OCDE sur la volatilité des gains dans les Perspectives de l’emploi 2011 montre qu’en comparaison des travailleurs permanents, les travailleurs temporaires, même ceux qui travaillent à temps complet, sont plus susceptibles de connaître de fortes variations de leurs gains d’une année à l’autre.
Près de la moitié des travailleurs en France estime que leurs qualifications sont sous-utilisées. Une analyse de l’OCDE sur l’adéquation des qualifications sur le marché du travail dans les Perspectives de l’emploi 2011 a montré qu’environ 45 % des travailleurs en France estiment que leurs qualifications sont sous-utilisées dans leur emploi actuel, ce qui est nettement plus qu’en moyenne dans les pays de l’OCDE (autour de 35 %). Ce résultat doit être repris avec prudence car il repose sur la déclaration des individus, subjective par définition. Une estimation de l’inadéquation des qualifications faite en comparant le niveau d’éducation formelle des travailleurs à celui requis par leur catégorie socioprofessionnelle indique qu’environ 20 % des travailleurs en France sont surqualifiés, ce qui est inférieur à la moyenne OCDE (autour de 25 %).
Source : Perspectives de l’emploi, OCDE, 2011
La Commission européenne estime qu’ « en ce qui concerne les jeunes travailleurs, la faiblesse du taux d’emploi est liée aux taux de chômage élevés (surtout des jeunes peu qualifiés), qui s’expliquent en partie par le niveau du salaire minimum et l’absence (depuis des années) de liens forts entre les établissements d’enseignement et les entreprises.
Mme Marie-Claire Carrère-Gée a confirmé que le marché du travail français se caractérisait par une forte dualisation. Les difficultés se concentrent sur certains publics : les familles monoparentales, les moins qualifiés, les jeunes, les immigrés et les Français issus de l’immigration, qui parviennent difficilement à s’extraire d’emplois de moindre qualité. Les autres publics accèdent à des emplois plus stables, avec des conditions de travail plus satisfaisantes, mais toutefois peu de perspectives d’évolution.
Auteur de nombreux travaux sur la qualité de l’emploi, Mme Christine Ehrel, chercheur au Centre d’études pour l’emploi (CEE) (85) a également souligné la position moyenne de la France par rapport à ses voisins européens, au regard des quatre dimensions principales de la qualité de l’emploi que sont la sécurité socio-économique, l’accès à la formation, les conditions de travail ainsi que les inégalités de genre et les difficultés à concilier travail et vie familiale. Sur la base d’un indicateur synthétique de qualité de l’emploi, la France obtient des résultats moindres, avec un indice de 1,1, que la Suède (2,1), l’Irlande (1,6), la République Tchèque (1,3) ou la Belgique (1,25). (86) Mme Christine Erhel a ajouté que la crise avait accentué la destruction d’emplois médians, sauf en Allemagne où des emplois de qualité intermédiaire sont créés par le dynamisme industriel. La France se caractérise, selon Mme Ehrel, par la difficulté que représentent les transitions.
M. Jérôme Vignon (87), a conclu que le marché du travail français était pénalisé à trois titres :
– le coût du travail, en France, entraîne un problème de compétitivité ;
– la structure des rémunérations lui paraît désincitative et la progressivité des carrières insuffisante : certains secteurs ont uniquement recours à des personnels peu qualifiés et à bas salaires ;
– l’intensité du travail (88) entraîne des formes d’usure.
Compte tenu des enjeux mis en évidence mais aussi des moindres performances françaises dans ce domaine, vos rapporteurs ont jugé nécessaire de consacrer une partie de leur rapport d’information à une analyse plus approfondie des politiques relatives au marché du travail et à l’emploi. Celles-ci présentent une importance majeure pour lutter contre la pauvreté, promouvoir la cohésion sociale et soutenir la croissance, mais aussi prévenir certaines dépenses sociales, par exemple au titre des minima sociaux ou de l’assurance chômage.
*
* *
Comme le montre la brève synthèse réalisée précédemment, des travaux de comparaison des performances sociales en Europe sont élaborés dans le cadre des organisations internationales, en particulier l’Union européenne et l’OCDE. Toutefois, une précision s’impose, au regard des objectifs de la présente étude. Bien qu’ils soient nombreux, les travaux de comparaison internationale ou les rapports favorisant la coordination et la convergence des systèmes nationaux au niveau communautaire s’intéressent aux performances globales des systèmes nationaux. S’ils permettent d’identifier les forces et les faiblesses des systèmes de protection sociale, ils ne proposent pas d’analyse précise des différents dispositifs mis en œuvre dans les pays considérés. Les recommandations générales qui sont formulées à l’issue de ces travaux appellent des réflexions complémentaires sur les causes qui sous-tendent les forces et faiblesses observées. Le caractère transposable des « bonnes pratiques » parfois identifiées doit être évalué, compte tenu du contexte national. Cette évaluation plus approfondie est l’objet des deux parties thématiques du présent rapport.
3. Des transferts contribuant significativement à la réduction de la pauvreté, qui constitue un objectif central des politiques sociales
La réduction de la pauvreté constitue un objectif essentiel des politiques sociales. L’ensemble des dépenses sociales y contribue et la performance des politiques sociales en Europe ne saurait être abordée sans examiner les résultats dans ce domaine, le caractère central de cet objectif étant d’ailleurs depuis plus de dix ans, pleinement reconnu par les institutions européennes.
a) Un objectif devenu central au niveau européen
● Une intervention résiduelle et indirecte à l’origine
L’action de l’Union européenne en matière de lutte contre l'exclusion sociale et la pauvreté repose sur l'article 137 du traité CE. S'agissant des droits sociaux fondamentaux, ce dernier prévoit que « la Communauté soutient et complète l'action des États membres dans [...] l'intégration des personnes exclues du marché du travail ». Bien que deux recommandations du Conseil datant de 1992 expriment la détermination des États membres à œuvrer en faveur du droit de chacun à des ressources de base et à préserver la qualité de leurs systèmes de protection sociale, l’action de l’Union dans ce domaine est surtout résiduelle et indirecte.
Ainsi, le programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD), créé à la demande de Jacques Delors alors président de la Commission européenne, en 1987, avait surtout vocation à écouler les stocks d’invendus issus de la politique agricole commune (PAC), en les redistribuant à des associations caritatives. (cf. infra, section C.1.a.).
● Un objectif de plus en plus assumé depuis 2000
La lutte contre la pauvreté est toutefois devenue un objectif de plus en plus assumé des politiques communautaires avec la création, lors du Conseil de Lisbonne de mars 2000, d’une méthode ouverte de coordination (Moc) pour la protection sociale et l’inclusion sociale et la définition d’objectifs communs au sommet de Nice de décembre 2000.
Lors du Sommet de Lisbonne en mars 2000, le Conseil européen a fait de la cohésion sociale, au même titre que l’emploi et l’économie de la connaissance, « un objectif stratégique pour la décennie à venir ». Il souligne que « le chômage structurel de longue durée et les déséquilibres marqués entre les taux de chômage régionaux [constituent] des problèmes dont continuent à souffrir de façon endémique certaines parties de l’Union. […] Il est inacceptable que, dans l’Union, tant de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté et soient touchés par l’exclusion sociale. Il faut prendre des mesures pour donner un élan décisif à l’élimination de la pauvreté ». Pour atteindre ces objectifs, une cible chiffrée a été définie : « réduire de moitié, le nombre de personnes menacées par la pauvreté dans toute l'Union européenne en prenant le niveau de 1997 comme référence. »
Le Conseil européen de Nice, en décembre 2000, a complété le volet social des objectifs de Lisbonne par un « Agenda social européen ». Des objectifs communs de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale ont été fixés dans ce cadre, à traduire dans des « Plans nationaux d’action contre la pauvreté et l’exclusion sociale » (PNAI), évalués conjointement par la Commission et par le Conseil. En 2003, un indicateur européen a également été créé pour mesurer l’ampleur du phénomène des travailleurs pauvres.(89).
Les rapports conjoints sur la protection sociale et l'inclusion sociale (90), l'agenda social de la Commission pour la période 2005-2010 (91), les deux consultations publiques lancées par la Commission, sur les services sociaux d’intérêt général en 2006 (92), et sur la réalité sociale européenne en 2007 (93), les objectifs communs en matière d'inclusion sociale définis dans le cadre de la Moc (94) et adoptés par le Conseil européen en 2005 (et confirmés en 2008) témoignent de l’importance croissante conférée à cet enjeu.
● Le tournant, initié en 2008, de la stratégie « Europe 2020 »
Un des objectifs de la Présidence française de l’Union européenne, au second semestre de 2008, fut de renforcer l’attention portée à la lutte contre la pauvreté dans l’UE. Par décision n° 1098/2008 du Parlement et du Conseil européens du 22 octobre 2008, l’année 2010 a été proclamée « année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » pour « donner un élan décisif à l’élimination de la pauvreté et l’exclusion sociale et promouvoir cet engagement et des actions à tous les niveaux de gouvernance […] en tirant parti des réalisations et des potentialités de la Moc sur la protection sociale et l’inclusion sociale […] et en mobilisant tous les acteurs concernés... ». En France, une enveloppe de 26 millions d’euros a été prévue, dont 17 millions financés par l’Union européenne.
Enfin, lors de l’élaboration de la nouvelle stratégie de croissance européenne « Europe 2020 », succédant à la stratégie de Lisbonne, la Commission européenne a proposé, dans une communication du 3 mars 2010, de retenir un objectif de réduction d’un quart du nombre de personnes vivant en situation de pauvreté d’ici à 2020. Compte tenu du consensus exprimé par les institutions communautaires en faveur d’un nombre resserré d’objectifs, cette proposition de la Commission constituait un engagement fort.
Lors du Conseil dit « EPSCO » (95) du 8 mars 2010 réunissant les ministres de l’Emploi et des Affaires sociales pour discuter du volet social de la stratégie Europe 2020, la France a soutenu la définition de cet objectif, préconisant, pour l’atteindre, de mettre en œuvre une stratégie européenne globale et ambitieuse, reposant sur l’accroissement du niveau d’emploi, une plus grande efficience des systèmes de protection sociale et la facilitation de l’accès au logement, aux produits alimentaires, au crédit bancaire, à la santé et à l’énergie. Ce faisant, la France estimait que l’Union européenne montrerait son attachement à un modèle de croissance qui bénéficie au plus grand nombre – répondant ainsi aux préoccupations des citoyens européens – tout en respectant le principe de subsidiarité (96).
Le 17 juin 2010, le Conseil européen a adopté la nouvelle stratégie Europe 2020 pour l'emploi et une croissance intelligente, durable et inclusive et fait de la réduction de 25 % du nombre de personnes vivant en situation de pauvreté, soit 20 millions de personnes, un des cinq grands objectifs de l’UE. Le 16 décembre 2010, la Commission européenne a donc publié un diagnostic de la situation européenne en matière de pauvreté et proposé un plan d’action (97), qui repose sur la coordination des États membres : la « plateforme européenne contre la pauvreté et l’exclusion sociale ».
● Le diagnostic de la Commission européenne
Tout d’abord, le diagnostic fait par la Commission, élaboré sur la base des travaux du Comité de la protection sociale, est le fruit d’un consensus politique difficile entre les États membres. Lors d’un déplacement à Bruxelles, Mme Eva Török, chef de cabinet adjoint du commissaire chargé de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, M. Lazlo Andor, et Mme Anne Degrand-Guillaud, spécialiste de la lutte contre la pauvreté et organisatrice de l’année européenne de la pauvreté en 2010 (98), ont présenté les trois indicateurs définis par le sous-groupe indicateurs du Comité de la protection sociale, afin d’appréhender les différents aspects de la pauvreté en Europe.
Encadré 1 : mesure du risque de pauvreté et d’exclusion sociale dans le cadre de la stratégie Europe 2020(99)
La cible européenne de réduction de la pauvreté repose sur trois indicateurs : la notion de pauvreté relative ou pauvreté monétaire (seuil de pauvreté défini à 60 % du revenu médian), celle de faible intensité laborieuse (nombre de ménages où personne ne travaille) et la pauvreté en conditions de vie (critères de privation matérielle).
Source : Données EU-SILC (2009) – année de référence pour les revenus : 2008 in « The social dimension of the Europe 2020 strategy: a report of the social protection committee (2011) (100)»
Le taux de risque de pauvreté (« at risk of poverty » sur le graphique) ou pauvreté monétaire relative est définie comme le pourcentage de personnes vivant avec l’équivalent d’un revenu disponible inférieur à 60% du revenu médian individualisé d’un ménage dans son pays, après taxes et transferts. Cette mesure de la pauvreté est dite « relative » puisqu’elle vise à identifier les personnes dont les revenus les excluent du train de vie considéré comme étant le minimum acceptable dans le pays où ils vivent.
La notion de privation matérielle grave (« severe material deprivation ») vise des personnes qui ne peuvent accéder à un certain nombre de biens ou de services considérés comme nécessaires à une vie normale et digne, en Europe. Les personnes en situation de privation matérielle sévère sont celles qui connaissent au moins quatre des neuf privations définies au niveau européen : ne pas pouvoir payer ses factures ou son loyer, ne pas pouvoir chauffer suffisamment son logement, être dans l’impossibilité de faire face à des dépenses inattendues, de manger des protéines au moins tous les deux jours, d’avoir une télévision couleur, un téléphone ou une machine à laver etc. Cet outil de mesure permet à la fois de tenir compte des inégalités au sein des pays, mais aussi de mesurer les inégalités entre États membres, en particulier ceux des pays de l’Union dont le PIB est le plus faible aujourd’hui, c’est-à-dire les nouveaux États membres.
La faible intensivité du travail dans un ménage (« living in very low work intensity households ») correspond au nombre de personnes de moins de soixante ans, vivant dans un ménage où les adultes ont travaillé moins de 20 % de leur temps d’activité potentiel durant les douze derniers mois. Les services de la Commission européenne estiment que cet indicateur permet notamment de prendre en compte des situations souvent peu visibles lorsqu’elles sont compensées par un système de protection sociale généreux : ainsi, en dépit de ses bons résultats, le nombre de ménages où personne ne travaille est significatif. Il permet aussi d’identifier des situations d’exclusion ou de discrimination envers les minorités.
Au total, l’Union européenne considère aujourd’hui que 114 millions de personnes sont en situation de pauvreté ou d’exclusion sociale en Europe.
La Commission a rappelé qu’en 2008, « les “ travailleurs pauvres ” représentaient 8 % de la population active, tandis que le risque de pauvreté avait considérablement augmenté pour les personnes sans emploi, passant de 39 % en 2005 à 44 %. En outre, 8 % des Européens vivent dans un dénuement matériel extrême et n’ont pas les moyens de subvenir à des besoins estimés essentiels pour mener une vie décente en Europe, tels que le téléphone ou un système de chauffage correct. Dans les pays les plus pauvres, ce taux est supérieur à 30 %. Enfin, plus de 9 % des Européens en âge de travailler vivent dans des ménages où personne n’a d’emploi. Une telle situation est inacceptable dans l’Europe du XXIe siècle. » (101)
PART DE LA POPULATION EN SITUATION DE PAUVRETÉ, SELON LES TROIS INDICATEURS DÉFINIS DANS LE CADRE DE LA STRATÉGIE « EUROPE 2020 » (2009)
(en pourcentage de la population totale)
n risque de pauvreté ou pauvreté relative n privation matérielle sévère o ménages à faible intensité de travail
Les sigles de chaque pays sont détaillés en annexe du présent rapport.
Source : Données EU-SILC (2009) in « The social dimension of the Europe 2020 strategy: a report of the social protection committee (2011) » – Année de référence pour les revenus : 2008, sauf IE (2008-2009) et UK (2009)
● Le plan d’action de la Commission européenne
Une fois le diagnostic adopté, le plan d’action de la Commission européenne consiste, d’une part, à susciter des réflexions stratégiques thématiques communes et, d’autre part, à organiser le redéploiement des fonds structurels européens pour tenir compte des priorités stratégiques de l’UE, ce second point étant un enjeu majeur.
En premier lieu, « en 2012, la Commission présentera une communication qui fournira une évaluation approfondie de la mise en œuvre des stratégies d’inclusion active à l’échelon national, y compris l’efficacité des mécanismes de revenu minimum, et de l’utilisation possible des programmes de l’UE à l’appui de l’inclusion active. » En outre, plusieurs réflexions et initiatives ont débuté dès 2011 sur les retraites et le vieillissement actif ; sur la qualité des services sociaux, dans le domaine des soins de longue durée ou du sans-abrisme, notamment ; sur l’efficacité et l’efficience du système de santé ; sur les politiques de lutte contre l’abandon scolaire ; sur la pauvreté des enfants ; sur l’intégration des minorités, en particulier des Roms ; sur les inégalités entre les femmes et les hommes ; sur l’accès aux droits des personnes handicapées ; sur le sans-abrisme et le logement.
En second lieu, le redéploiement des fonds structurels européens devrait être opéré à l’occasion de l’examen du prochain cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2014-2020. Il existe en effet un décalage entre le calendrier stratégique de l’UE (2011-2020) et celui de la programmation budgétaire, ce qui paraît problématique. M. Koos Richelle, directeur général de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion, à la Commission européenne (102) a confirmé la réalité de cette difficulté et souligné que l’effectivité du redéploiement des fonds pour soutenir la stratégie Europe 2020 demeurait une question majeure.
Enfin, l’action de la Commission consistera surtout à coordonner et évaluer l’action des États membres, comme l’a souligné M. Koos Richelle. La lutte contre la pauvreté au niveau communautaire s’inscrit désormais dans la stratégie macroéconomique d’ensemble, poursuivie dans le cadre du « semestre européen ». Ce dernier, mis en œuvre pour la première fois cette année à la suite de la réforme de la gouvernance économique de l’UE, permet le suivi simultané des politiques économique, budgétaire et de l’emploi des États membres sur six mois.
Dans ce cadre, les États membres communiquent leurs objectifs et leurs plans d’action via les plans nationaux de réforme (PNR), qui sont ensuite évalués par la Commission. D’après M. Koos Richelle, il s’agit bien d’amorcer une démarche objectifs – résultats. Ainsi, la Commission a publié le 7 juin 2011 un document de travail portant évaluation du programme national de réforme 2011 et du programme de stabilité de la France pour 2011-2014 (103), accompagnant un projet de recommandation du Conseil sur ces deux mêmes programmes.
D’après M. Richelle, les objectifs nationaux annoncés en juin 2011 par les États membres sont cependant insuffisants : l’addition des cibles des vingt-sept États membres ne permettait pas d’atteindre l’objectif communautaire.
OBJECTIFS DE RÉDUCTION DE LA PAUVRETÉ EXPRIMÉS PAR LES ÉTATS MEMBRES POUR LA STRATÉGIE EUROPE 2020 (PNR 2011)
(en nombre de personnes concernées)
Autriche |
235 000 |
Belgique |
380 000 |
Bulgarie |
260 000 |
Chypre |
27 000 |
République Tchèque |
Maintenir le nombre de personnes menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale sous le niveau de 2008 (15,3 % de la population totale), en s’efforçant de le diminuer de 30 000 |
Allemagne |
330 000 (chômeurs de longue durée) |
Danemark |
22 000 (ménages à faible intensité de travail) |
Estonie |
Ramener le taux de risque de pauvreté (après transferts sociaux) à 15 % (17,5 % en 2010) |
Grèce |
450 000 |
Espagne |
1 400 000 – 1 500 000 |
Finlande |
150 000 |
France |
Réduction d’un tiers du taux de pauvreté ancré dans le temps sur la période 2007-2012, soit 1,6 million de personnes |
Hongrie |
450 000 |
Irlande |
186 000 d’ici 2016 |
Italie |
2 200 000 |
Lituanie |
170 000 |
Luxembourg |
Pas d’objectif |
Lettonie |
121 000 |
Malte |
6 560 |
Pays-Bas |
100 000 |
Pologne |
1 500 000 |
Portugal |
200 000 |
Roumanie |
580 000 |
Suède |
Réduction de la proportion de femmes et d’hommes n’appartenant pas à la population active (hors étudiants à plein-temps), de chômeurs de longue durée et de travailleurs en congé maladie de longue durée bien en deçà de 14 % d’ici à 2020 |
Slovénie |
40 000 |
Slovaquie |
170 000 |
Royaume-Uni |
Objectifs chiffrés figurant dans la loi de 2010 sur la pauvreté |
Grand objectif de l’UE |
20 000 000 |
Source : Plans nationaux de réformes, résumés dans le tableau de suivi de la Commission européenne, disponible sur le site Internet d’Europe 2020 (104)
b) En France, un taux de pauvreté inférieur à la moyenne des pays européens mais une évolution préoccupante pour certains publics fragiles
● Des résultats « assez bien mais disparates » au regard des objectifs de Lisbonne
Depuis l’adoption de la stratégie de Lisbonne par le Conseil européen de mars 2000, les résultats de la France en matière de lutte contre la pauvreté sont évalués régulièrement et comparés avec ceux de ses voisins européens.
Mme Anne Duthilleul, actuellement membre de la Commission de régulation de l’énergie et ancien membre du Conseil économique, social et environnemental (CESE) de 2004 à 2010, a été entendue par le groupe de travail au titre de son rapport réalisé au nom de la délégation pour l’Union européenne du CESE intitulé Le suivi de la situation de la France au regard des indicateurs de Lisbonne (édition 2009) (105). Les résultats de la France en 2009 au regard des objectifs de cohésion sociale de la stratégie européenne étaient jugés « assez bien, mais disparates ».
D’après le rapport, « le taux de risque de pauvreté après transferts sociaux s’élèv[ait] en France à 13 % en 2006, soit un taux inférieur à la moyenne (UE-27 à 16 %), selon la définition européenne. Il pla[çait] notre pays dans une situation intermédiaire au sein de l’Union entre des pays comme la Lettonie, les pays du sud de l’Europe et la Lituanie, où le risque de pauvreté après transferts sociaux [était] élevé, et d’autres pays comme la République tchèque et les Pays-Bas, où ce risque [était] plus faible. »
● L’évaluation du plan national de réforme (PNR) français par la Commission européenne
Plus récemment, le 7 juin 2011, la Commission européenne a publié ses recommandations à la lecture du dernier programme national de réforme français, transmis en avril 2011. S’agissant de la lutte contre la pauvreté (106), elle indique que « 18,4 % de la population étaient confrontés au risque de pauvreté ou d’exclusion en 2009, ce qui est inférieur à la moyenne de l’Union européenne (23,1 %) […] Le PNR indique que 1,6 million de personnes (selon les indicateurs de l’UE) pourraient sortir de la pauvreté d’ici 2012. » Toutefois, selon la Commission, « les trois indicateurs de la pauvreté définis dans le cadre de [la] stratégie [Europe 2020] stagnent depuis plusieurs années en France. »
ÉVOLUTION DES INDICATEURS DE LA STRATÉGIE « EUROPE 2020 » EN FRANCE
(2005-2009)
Indicateurs d’inclusion sociale |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
Taux de risque de pauvreté (en % de la population totale) |
13,0 |
13,2 |
13,1 |
12,7 |
12,9 |
Privation matérielle grave (en % de la population totale) |
5,3 |
5,0 |
4,7 |
5,4 |
5,6 |
Pourcentage de personnes vivant dans un ménage à faible intensité de travail (en % des personnes âgées de 0 à 59 ans, hors étudiants) |
8,6 |
9,1 |
9,5 |
8,8 |
8,3 |
Intersection des trois indicateurs : risque de pauvreté ou d’exclusion (en % de la population totale) |
18,9 |
18,8 |
19,0 |
18,6 |
18,4 |
Source : SESPROS – EU-Silc (107)
● Les résultats des enquêtes de l’Insee
D’après l’Insee, le taux de pauvreté relatif au seuil de 60 % du revenu médian (954 euros en 2009) s’établit à 13,5 % de la population française métropolitaine. La part des personnes confrontées à des difficultés financières et des privations matérielles a augmenté par rapport à 2009 : 13,3 % de la population rencontrent un cumul important de « difficultés en conditions de vie » en 2010 contre 12,6 % en 2009 (108). À cet égard, le rapport souligne que le nombre de dossiers déclarés éligibles aux procédures légales de traitement du surendettement a augmenté de 14 % entre 2008 et 2009, avant de se stabiliser en 2010. Selon les résultats de l’enquête sur les Revenus fiscaux et sociaux de 2009 de l’Insee (109), 10,1 % des actifs ayant au moins 18 ans sont considérés comme pauvres, soit une augmentation de 0,6 point par rapport à 2008. Parmi les personnes occupant un emploi, ce sont les non-salariés qui sont affectés par la hausse de la pauvreté : leur taux de pauvreté passe de 15,3 % à 16,9 %.
Dans la dernière édition de son Portrait social (110) publiée le 15 novembre 2011, l’Insee confirme cette tendance. L’augmentation de la pauvreté est essentiellement liée à l’augmentation du taux de chômage depuis 2008 et à l’allongement de la durée moyenne du chômage depuis 2009. Les inégalités de niveaux de vie sont importantes parmi les chômeurs, en fonction des ressources du ménage dans lequel ils vivent, et les écarts constatés ont eu tendance à augmenter depuis 2002. L’Insee souligne de surcroît la persistance du phénomène des travailleurs pauvres. L’Insee indique en effet que « deux personnes en emploi sur dix font malgré tout partie des 30 % de personnes les plus modestes. »
Sur le long terme, d’après Mme Monika Queisser et M. Stéphane Carcillo, économistes à la division des politiques sociales, au sein de la direction pour l’emploi, le travail et les affaires sociales de l’OCDE (111), la relation entre âge et pauvreté a beaucoup changé au cours des dernières décennies : la pauvreté concernait auparavant beaucoup les personnes âgées, inactives, en mauvaise santé ; les jeunes sont désormais les plus touchés. Les publics les plus vulnérables aujourd’hui leur paraissent être les jeunes non étudiants, les familles monoparentales, les familles nombreuses, et les personnes immigrées.
Toutefois, selon une enquête réalisée à la demande de la Mutuelle des étudiants (LMDE), « 26 % des étudiants interrogés déclarent rencontrer de réelles difficultés financières (loyer, alimentation...) » (112) D’après cette même enquête, cette précarité financière conduit nombre d’entre eux à renoncer aux soins : 34 % des étudiants disent avoir renoncé à consulter un médecin au cours de l’année écoulée et 19 % déclarent ne pas bénéficier d’une assurance maladie complémentaire contre 6 % en moyenne pour l’ensemble de la population.
Enfin, le 23 mars 2011, à l’occasion de la remise de son rapport annuel, le Médiateur de la République, M. Jean-Paul Delevoye, a évoqué « entre douze et quinze millions de personnes [qui] seraient actuellement concernées par le sentiment de précarité, c’est-à-dire [dont les] fins de mois se joueraient à 50 ou 150 euros près. […] Selon une enquête d’Ipsos, 45 % des 35-44 ans disent avoir déjà vécu une situation de précarité – pas assez d’argent pour payer les impôts, pour donner de l’argent à son enfant ou pour faire réparer la voiture –, soit une augmentation de 16 points entre 2008 et 2009. » (113)
● Le témoignage des associations de lutte contre la pauvreté
À la suite de ces observations, vos rapporteurs ont souhaité rencontrer des représentants du secteur associatif, à l’occasion d’une table ronde sur la pauvreté en France et en Europe, le 5 octobre 2011 (114). Plusieurs constats communs ont été formulés sur les indicateurs de pauvreté et la dégradation de la situation actuelle.
Plusieurs associations ont confirmé l’importance de conserver un nombre suffisant d’indicateurs pour appréhender les multiples formes de pauvreté. M. Bruno Grouès, conseiller technique du pôle « Lutte contre l’exclusion » de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS) a estimé « qu’il était très important de garder les seuils de pauvreté monétaire qui sont actuellement utilisés par l’Onpes, à 40, 50 et 60 % du revenu médian » faute de quoi « on risque de négliger la situation des plus pauvres. » Mme François Coré, représentante d’ATD Quart Monde, a ajouté qu’une « batterie extrêmement large » était nécessaire pour limiter les risques de sélectivité et d’écrémage.
Les associations s’accordent également sur le constat d’une dégradation de la situation depuis le début de la crise, ainsi qu’une évolution des formes de pauvreté et des publics concernés. D’après M. Bruno Grouès, « les associations elles-mêmes ont constaté une augmentation de la pauvreté depuis la crise, à travers notamment l’augmentation des demandes d’aide alimentaire et le fort accroissement du nombre de bénéficiaires du “ RSA socle ”, qui a augmenté de 10 % entre juin 2009 et juin 2010. Tous ces indicateurs révèlent une forte augmentation de la pauvreté, qui s’accompagne d’un creusement des inégalités. Les catégories les plus touchées sont les jeunes, les familles monoparentales, surtout les femmes seules avec enfants, les travailleurs pauvres, même si le RSA a permis une amélioration de leur situation, ainsi que les personnes âgées, nouveau public qu’on voit arriver aux permanences des associations de solidarité. »
Selon M. Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (Fnars), « les seniors sont de plus en plus concernés […] On voit aujourd’hui arriver à l’âge de la retraite les premières générations de la crise ; leurs pensions sont moins confortables en raison de parcours plus chaotiques. Il ne s’agit pas encore d’un phénomène massif mais le problème est réel. » D’après M. Pascal Rodier, secrétaire national du Secours populaire, citant un sondage Ipsos : « 30 % des 15-34 ans considèrent avoir connu personnellement une situation de pauvreté. »
c) L’accès à l’emploi : un enjeu stratégique pour lutter efficacement contre la pauvreté
Après un bilan, dont certains éléments ont été évoqués supra, Mme Monika Queisser et M. Stéphane Carcillo ont proposé une réflexion sur la contribution du système de protection sociale à la réduction de la pauvreté. Le système français fait partie des plus efficaces en Europe, en dépit d’une fiscalité sur le revenu qui pourrait être plus redistributive.
● La réduction de la pauvreté par le système socio-fiscal
Les travaux de l’OCDE témoignent en effet d’une corrélation indéniable entre les dépenses sociales et la réduction du taux de pauvreté. 80 % de la réduction du taux de pauvreté en Suède est imputable aux transferts sociaux et aux impôts. Le système français, transferts et impôts, est également efficace puisqu’il contribue à 78 % de la réduction du taux de pauvreté (cf. premier graphique infra).
RÉDUCTION DU TAUX DE PAUVRETÉ GRÂCE AUX TRANSFERTS SOCIAUX ET AUX IMPÔTS (DIRECTS) SUR LES MÉNAGES (2005) (115)
(pour l’ensemble de la population, en points et en pourcentage)
Dans tous les pays de l’OCDE, les transferts monétaires publics et les impôts sur les ménages réduisent sensiblement la pauvreté. On peut mesurer cet effet à travers la différence entre le taux de pauvreté fondé sur le revenu disponible et le taux de pauvreté calculé à partir du revenu marchand. L’OCDE mesure la pauvreté en termes de revenu marchand par la proportion de personnes ayant un revenu marchand inférieur à un seuil donné de revenu disponible des ménages. Compte tenu de cette définition, la différence entre le taux de pauvreté fondé sur le revenu marchand et le taux de pauvreté fondé sur le revenu disponible correspondra à la fois à l’ampleur en valeur absolue des impôts sur les ménages et des transferts monétaires publics, et au degré auquel ils sont ciblés sur les pauvres. Les différences mesurées en points de pourcentage vont de moins de 10 points en Corée, aux États-Unis et en Suisse à plus de 23 points en Belgique et en France, tandis que l’écart en pourcentage entre les taux de pauvreté dû aux effets conjugués des impôts sur les ménages et des transferts monétaires publics varie de 12 % en Corée à 80 % au Danemark et en Suède, et s’établit légèrement au-dessus de 60 % en moyenne.
Source : OCDE, Croissance et inégalités (2008)
RÉDUCTION DES INÉGALITÉS IMPUTABLE AUX TRANSFERTS ET AUX IMPÔTS (2005) (116)
(Baisse du coefficient de Gini, en points)
Source : OCDE, Croissance et inégalités (2008)
Par ailleurs, les inégalités de revenus entre les ménages sont réduites d’environ 41 % par le système socio-fiscal français (contre 33 % en moyenne dans l’OCDE), tandis que certains pays comme la Belgique, le Luxembourg, la Suède, le Danemark ou la République Tchèque ont des systèmes plus redistributifs (cf. graphique supra).
Toutefois, l’accès à l’emploi reste un enjeu majeur pour lutter efficacement contre la pauvreté. Mme Monika Queisser et M. Stéphane Carcillo ont montré que les transferts sociaux seuls ne permettaient pas de sortir durablement de la pauvreté. Comme le montre le graphique infra, qui prend l’exemple d’un parent isolé avec deux enfants, bénéficiaire de l’aide sociale en 2007, rares sont les pays dans lesquels ces transferts permettent effectivement d’atteindre le seuil de pauvreté.
Ce graphique semble également indiquer que, contrairement à une idée reçue répandue, les minima sociaux français sont parmi les moins généreux de l’OCDE (117). Ce constat vient contredire le préjugé selon lequel les « assistés » pourraient vivre des minima sociaux confortablement et sans travailler.
Quoiqu’il en soit, le retour à l’emploi reste une nécessité pour sortir durablement de la pauvreté. Beaucoup de pays ont utilisé les prestations liées au handicap, comme les préretraites, pour garantir les revenus de personnes sans emploi, selon les deux économistes de l’OCDE. L’effet de ces choix politiques sur le niveau de pauvreté est dramatique : les personnes concernées par l’incapacité ne reviennent jamais ensuite vers l’emploi ou extrêmement rarement. L’employabilité et le capital humain décroissent en effet avec le temps passé sans activité.
Les associations de lutte contre la pauvreté souscrivent en partie à cette idée : « Toutes [les] personnes [en situation de pauvreté] ont en commun de rencontrer des difficultés d’accès à l’emploi », a confirmé M. Matthieu Angotti, directeur général de la Fnars. L’accès au droit et l’accès à une activité économique sont les enjeux majeurs de la lutte contre la pauvreté, d’après les associations, qui ont également souligné les difficultés administratives croissantes rencontrées par les seniors – compte tenu de la complexification des parcours – pour le calcul de leurs droits à la retraite et au minimum vieillesse. Ces ruptures de droit sont une des causes les plus fréquentes d’exclusion pour les plus de 50 ans (118).
REVENUS NETS DES BÉNÉFICIAIRES DE L’AIDE SOCIALE – PARENT ISOLÉ, 2 ENFANTS (2007) (119)
(pourcentage du revenu médian des ménages, différents seuils de pauvreté)
Source : OCDE, Perspectives de l’emploi (2009)
Ce point de vue a également été développé par M. Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) et ancien directeur de la protection et de l’intégration sociales de la Commission européenne (120), pour qui l’augmentation des taux d’emploi est une nécessité, à la fois pour la soutenabilité et l’efficacité des systèmes de protection sociale mais aussi pour la lutte contre la pauvreté des enfants, qui reste plus élevée en France que dans d’autres pays aux dépenses comparables, notamment le Danemark, la Suède, la Finlande, la Norvège et l’Autriche. Lors de son audition, il a estimé que l’emploi était la clé de l’efficacité des dépenses sociales en France. Il a rappelé que les dépenses sociales françaises étaient les plus élevées d’Europe en points de PIB. Or, le taux d’emploi en France est moindre que celui des autres États qui ont des dépenses comparables. Pourquoi, en dépit de dépenses si importantes, sommes-nous si peu capables d’avoir de meilleurs résultats en termes d’emploi ?
C.– LE DÉPLOIEMENT D’INSTRUMENTS ET D’UNE GOUVERNANCE RÉNOVÉS POUR RENFORCER LA PERFORMANCE DES POLITIQUES SOCIALES
1. Des instruments de l’Europe sociale susceptibles d’être confortés ou mieux exploités
Comme le rappelle le présent rapport dans ses développements consacrés à la lutte contre la pauvreté au niveau communautaire, les compétences de l’Union européenne en matière sociale, telles que prévues par les traités, sont surtout résiduelles et indirectes.
D’après les traités, les politiques sociales sont en effet du ressort des États membres. Le Traité de Rome de 1957 comportait toutefois deux postulats qui ont servi de fondements aux avancées ultérieures. En premier lieu, la libre circulation des travailleurs est érigée au rang de principe fondamental du droit communautaire. Le traité européen prévoit ainsi « l'abolition de toute discrimination, fondée sur la nationalité, entre les travailleurs des États membres, en ce qui concerne l'emploi, la rémunération et les autres conditions de travail. » En deuxième lieu, pour éviter toute distorsion de concurrence entre les États membres, l’Union européenne favorise l’établissement de normes communes de travail. L’introduction de la monnaie unique a accru les besoins de convergence économique au sein de l’Union. Avec le traité d’Amsterdam en 1997, l’emploi devient une « question d’intérêt commun ». Un objectif est clairement inscrit dans le traité : atteindre « un niveau d'emploi élevé » sans affaiblir la compétitivité. Pour cela, une stratégie coordonnée est élaborée lors du sommet extraordinaire sur l’emploi, à Luxembourg en novembre 1997 : la stratégie européenne pour l’emploi (SEE). Enfin, la stratégie de Lisbonne, révisée en 2004, marque une nouvelle avancée de l’Europe sociale avec un premier objectif de réduction de la pauvreté.
L’Europe sociale s’est cependant développée plus vite et plus sûrement que ne le prévoyaient les traités, grâce à des initiatives apparemment marginales. Créé en 1957 par le Traité de Rome pour faciliter les reconversions dans les secteurs en restructuration, le Fonds social européen (FSE) est le plus ancien des « fonds structurels » (121) communautaires. Le programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD) a été créé en 1987 pour redistribuer les stocks d’invendus de la politique agricole commune (PAC) aux plus pauvres.
Avec des interprétations très différentes des traités communautaires, les États membres sont aujourd’hui relativement divisés sur le devenir de l’Europe sociale. Les négociations relatives au cadre financier pluriannuel pour 2014-2020 témoignent de ces divergences.
a) Mieux exploiter le Fonds social européen (FSE) en France et dans l’Union européenne
L’objectif premier des financements du FSE est de soutenir la création d’emplois dans l’UE. Il s’agit de créer plus d’emplois et de meilleure qualité en cofinançant des projets locaux, régionaux et nationaux qui améliorent les niveaux d’emplois, leur qualité et l’inclusion sur le marché du travail dans les États membres et dans leurs régions.
DÉPENSES DU FONDS SOCIAL EUROPÉEN PAR ÉTAT MEMBRE (2007-2013)
(en millions d’euros)
Source : Commission européenne
Bien que la France fasse partie des premiers bénéficiaires du FSE (6e place), avant d’autres pays dont le PIB est inférieur, l’examen des dépenses par habitant confirme l’effet redistributif du fonds.
DÉPENSES DU FONDS SOCIAL EUROPÉEN PAR HABITANT
DANS CHAQUE ÉTAT MEMBRE (2007-2013)
(en millions d’euros par habitant)
Source : Commission européenne
L’actuel cycle de programmation du FSE s’étend de 2007 à 2013, avec pour devise : « Investir dans les personnes ». Sur cette période, le FSE investit au total environ 75 milliards d’euros (près de 10 % du budget de l’UE) dans des projets d’amélioration de l’emploi. La répartition des fonds varie d’une région à l’autre, pour s’adapter aux priorités locales et régionales. Les financements sont accordés dans six domaines prioritaires spécifiques (cf. graphique infra).
RÉPARTITION DU FONDS SOCIAL EUROPÉEN PAR CATÉGORIES DE PRIORITÉS (2007-2013)
( en pourcentage des dépenses du FSE en France par rapport à la moyenne de l’Union européenne)
Source : Commission européenne
En France, l’enveloppe 2007-2013, de 800 millions d’euros, finance par exemple des projets d’associations accompagnant les créateurs d’entreprises, des dispositifs facilitant la transmission et la reprise de très petites entreprises, ou encore des associations proposant un soutien renforcé aux demandeurs d’emploi et aux employeurs.
Alors que le cycle de programmation actuel est sur le point de prendre fin, les institutions européennes débattent actuellement du prochain budget du FSE, dans le cadre plus large des négociations relatives au cadre financier pluriannuel de l’UE pour 2014-2020.
Renouvelés tous les sept ans, la stratégie et le budget du FSE sont en effet négociés entre les États membres de l’UE, le Parlement européen et la Commission européenne. De nouvelles règles de fonctionnement du FSE ont ainsi été proposées au Conseil et au Parlement européen, le 6 octobre 2011, par la Commission, en vue d’une adoption fin 2012, afin de permettre le lancement d'une nouvelle génération de programmes de politique de cohésion en 2014. Dans une résolution non législative du 15 novembre 2011, le Parlement européen a souligné que « le Fonds social européen reste le principal instrument ayant spécifiquement pour objectif l'inclusion sociale […] il doit être renforcé de manière à répondre de façon adéquate aux objectifs ambitieux fixés dans la stratégie UE 2020 et dans la plateforme contre la pauvreté ». (122)
Le montant global proposé pour les sept années à venir s’établit à 1 025 milliards d’euros en crédits d’engagement (soit 1,05 % du revenu national brut ou « RNB » de l’UE) et à 972,2 milliards d’euros (soit 1 % du RNB de l’UE) en crédits de paiement. La Commission propose d’allouer 36,7 % du budget septennal à la politique de cohésion, contre 35 % lors de l’exercice précédent. Les principaux changements proposés par la Commission sont les suivants :
● Le Fonds social européen (FSE) devrait jouer un rôle fondamental dans la lutte contre le chômage et la persistance de niveaux de pauvreté élevés et dans la réalisation des objectifs phares de la stratégie Europe 2020. D’après la proposition de la Commission, le FSE représentera 25 % du budget alloué à la politique de cohésion, soit au moins 84 milliards d’euros.
● La Commission propose également d’établir un cadre stratégique commun pour l’ensemble des fonds structurels afin de traduire les objectifs de la stratégie Europe 2020 en priorités d’investissement. Concrètement, la Commission propose de conclure des contrats de partenariat avec chaque État membre. Ces contrats énonceront l’engagement, souscrit par les partenaires au niveau national et régional, de consacrer les fonds alloués à la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020.
● La proposition prévoit enfin d’introduire dans la politique de cohésion de nouvelles dispositions en matière de conditionnalité : celles-ci seront axées sur les résultats et encourageront les États membres à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour garantir une utilisation efficace des ressources financières. Par ailleurs, 5 % du budget de cohésion affecté à chaque État membre sera affecté à une réserve de performance, qui, après révision à mi-parcours, sera allouée aux États membres dont les programmes auront le plus contribué à atteindre les objectifs convenus dans les contrats de partenariat pour le développement et l’investissement.
Il serait souhaitable que la France soutienne ces orientations positives. La réserve de performance, sous réserve qu’elle ne se traduise pas par des obligations d’information administrative supplémentaires pour les bénéficiaires, peut contribuer à la démarche objectifs-résultats. L’augmentation du budget du FSE et son redéploiement pour soutenir la réalisation des objectifs de la stratégie « Europe 2020 » devraient également être soutenus par la France, afin de permettre à l’Europe sociale de tenir ses promesses.
*
Les associations présentes à la table ronde sur la pauvreté en France et en Europe ont par ailleurs émis plusieurs critiques sur le fonctionnement du FSE en France. Le FSE est en effet réparti sous la forme d’enveloppes nationales, confiées aux États membres, qui définissent les règles de leur utilisation dans les limites imposées par la Commission. L’enveloppe de 800 millions d’euros en France est sous divisée en enveloppes régionales, gérées au niveau déconcentré. Les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) sont chargées d’accompagner les associations candidates.
D’après M. Matthieu Angotti, « le FSE est un bon outil, qui accorde des subventions importantes, mais qui, en France, est handicapé par une gestion trop pointilleuse : on ne touche l’argent qu’au bout de deux à trois ans, ce qui implique des avances de trésorerie, donc des frais bancaires énormes. ». Outre ces questions de trésorerie, qui handicapent les plus petites associations, les personnes présentes ont jugé les procédures du fonds trop complexes. « Ces contraintes sont tellement monstrueuses qu’il serait plus simple d’émarger au FSE pour une entreprise du CAC 40 que pour une mission locale ! », a regretté M. Pascal Rodier. Au surplus, le recours au FSE paraît même « dangereux, étant donné l’excès des contrôles », a ajouté M. Matthieu Angotti. Ainsi, M. Étienne Grass, conseiller chargé du travail, de l’emploi, de la santé, de l’inclusion sociale et de la coordination du service Emploi, politiques sociales et santé à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne (123), a mentionné un incident récent, à l’occasion de contrôles de la Commission en Île-de-France. Le seuil de 2 % d’erreurs ayant été dépassé lors de l’audit d’un projet, l’ensemble des remboursements de la Commission pour les projets en Île-de-France a été arrêté, y compris pour les associations dont les dossiers étaient corrects.
Si la complexité des dossiers soulignée par les associations semble inhérente aux procédures des fonds structurels communautaires, les associations bénéficient normalement d’un soutien juridique de qualité dans les Direccte, d’après M. Étienne Grass. Des progrès sont également attendus de la part de la Commission européenne qui s’est engagée à chercher « à faciliter l’accès des petites organisations aux subventions globales et veillera à ce que les groupes souffrant de handicaps multiples et fortement menacés par la pauvreté aient un meilleur accès aux financements. » (124)
D’après les responsables associatifs, un effort d’information en direction des associations et pour les projets innovants pourrait toutefois être envisagé. M. Étienne Grass a également précisé qu’actuellement, une association porteuse d’un projet devait trouver un co-financeur en plus des financements FSE. Il propose donc que les projets innovants soient financés à 100 % et bénéficient d’un appui spécifique, par exemple par le Fonds pour l’innovation et l’expérimentation sociale.
Enfin, lors de son audition par le groupe de travail, le 6 septembre 2011, M. Martin Hirsch, président de l’Agence du service civique et ancien Haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, a proposé qu’une partie du FSE soit utilisée pour financer des expérimentations dans le domaine social à l’échelle de l’Union européenne. Convaincu de la nécessité de mettre en œuvre un cercle vertueux d’expérimentation et d’évaluation, M. Martin Hirsch a considéré que l’Union européenne était un niveau pertinent pour développer l’expérimentation sociale à grande échelle, comparer les résultats et proposer des lignes directrices en conséquence.
b) Conserver un dispositif européen d’aide alimentaire aux plus démunis après 2014
D’après les associations entendues lors de la table ronde sur la pauvreté en France et en Europe , « le PEAD était la seule chose ressemblant peu ou prou à une politique sociale européenne. » (125) Ce programme a cependant été brusquement remis en cause en 2011 par le juge communautaire. (126)
Adossé à la politique agricole commune, le PEAD mis en place en 1987 reposait à l’origine principalement sur le troc de matières premières (viande, lait, céréales, sucre, riz) issues des stocks d’intervention de la politique agricole commune (PAC) contre des produits alimentaires finis plus ou moins élaborés (pâtes, crèmes dessert, lait, etc.), via des appels d’offres communautaires auprès des professionnels de l’agroalimentaire, redistribués à des associations caritatives agréées (en France : la Croix-Rouge française, la Fédération française des Banques alimentaires, les Restos du Cœur, et le Secours populaire français). D’après M. Pascal Rodier, secrétaire national du Secours populaire, « son adossement à la politique agricole commune portait déjà en germes les difficultés actuelles, la PAC étant régulièrement remise en cause. »
En effet, les réformes successives de la PAC permettent la disparition progressive des stocks d’invendus sur lesquels s’appuie le PEAD. Dans un premier temps, le budget communautaire a compensé les diminutions temporaires des stocks. Mais en 2008, compte tenu de l’attrition inévitable des ressources du programme, la Commission européenne a proposé d’en modifier les règles de financement. Une minorité de blocage au Conseil (Allemagne, Danemark, Pays-Bas, République Tchèque, Royaume-Uni, Suède) s’est alors opposée à ce que des fonds tirés du budget agricole soient utilisés à des fins de politique sociale. En effet, comme l’a souligné M. Bruno Lemaire, actuel ministre chargé de l’agriculture et de l’alimentation (127), le PEAD représente un coût net de 200 millions d’euros pour l’Allemagne, qui n’en bénéficie pas au niveau national.
Dans son arrêt du 13 avril 2011, le juge communautaire a donné raison aux requérants, considérant que le PEAD ne pouvait plus être lié à la PAC mais relevait de l'aide sociale directe, et devait donc être financé dans ce cadre, lequel n'est pas communautarisé.
Cette situation est apparue dramatique pour les associations françaises de lutte contre la pauvreté. Lors de la table ronde du 5 octobre 2011, M. Pascal Rodier a fait part de l’inquiétude et de l’indignation du milieu associatif : « il faut savoir qu’en 2010, le PEAD a financé plus de la moitié des 90 millions de repas distribués par notre association. […] On mesure l’impact d’une réduction aussi drastique de l’aide alimentaire : la situation sociale risque de se tendre dangereusement dans certains endroits. Pour les associations de solidarité, le pire serait de se retrouver en porte-à-faux par rapport à une politique dont nous ne sommes que les exécutants, et non les décideurs. On aurait pu à la limite accepter une baisse de 10 % de l’enveloppe financière, mais pas de 80 % d’un coup ! »
Témoignant d’un réel effort pour sortir de cette impasse, la Commission européenne a présenté le 3 octobre 2011 une nouvelle base juridique pour le PEAD, à savoir l’objectif de cohésion sociale, dans l'espoir de parvenir à un accord politique et de permettre au programme de continuer d'exister en 2012 et 2013, mais aussi à plus long terme, financé par le budget communautaire. Après plusieurs mois de blocage, les États membres de l’Union européenne sont finalement parvenus, le 14 novembre 2011, à un accord permettant de prolonger le PEAD pendant deux ans (2012-2013) sur les crédits de la PAC, avec un financement à hauteur de 500 millions d’euros. L’Allemagne a obtenu que plus aucune politique sociale ne soit financée après 2014 par la PAC.
Mais l’avenir du PEAD reste menacé à plus long terme. La Commission européenne a élaboré une proposition, qui devrait être prête d'ici à la fin de l'année 2011, visant à prolonger le programme au-delà de 2013, en intégrant le PEAD dans les instruments de la politique sociale de l'UE en le dotant d'une enveloppe de 2,5 milliards d’euros. Plusieurs États membres s’opposent cependant à ce que les prérogatives de l’Union européenne soient étendues en matière sociale, craignant que cette communautarisation ne se fasse au détriment des compétences des États membres.
Selon M. Jean Leonetti, ministre chargé des affaires européennes, répondant aux questions de la presse au sortir du Conseil « Affaires générales » du 15 novembre 2011, « la France est favorable à ce qu’on définisse exactement qui fait quoi dans les perspectives financières après 2014. Si vous regardez le retour français du PEAD, ce doit être à peu près 75 millions d’euros, donc vous comprenez que dans la complexité du budget européen, ça n’aurait pas été non plus totalement insurmontable sur le plan national, de renationaliser le budget aux démunis. Mais nous pensons qu’il est important que l’Europe ait cette marque symbolique de solidarité dans une période de crise, et donc c’est la raison pour laquelle nous nous sommes battus pour obtenir l’accord franco-allemand, qui aujourd’hui, débloque la situation. » (128)
La Confédération européenne des syndicats (129) et plusieurs eurodéputés (130) ont déjà apporté leur soutien à l’idée d’intégrer le PEAD dans le fonds social européen.
Recommandation n° 1 : Conforter les instruments de l’Europe sociale
– Poursuivre les négociations dans le sens d’un redéploiement du Fonds social européen en faveur des nouveaux objectifs de la stratégie Europe 2020, en particulier celui visant à « sortir » 20 millions d’Européens de la pauvreté et de l’exclusion d’ici à 2020, et de l’expérimentation sociale.
– Conserver un dispositif d’aide alimentaire pour les plus démunis après 2014 et encourager les réflexions dans le sens d’un financement de cette aide par le Fonds social européen, à l’occasion des négociations actuelles sur les perspectives budgétaires 2014-2020.
En France :
– Renforcer l’information et l’accompagnement juridique des associations françaises candidates aux financements FSE dans les Direccte, par la création d’un groupe de travail impliquant des associations bénéficiaires et notamment chargé de proposer des mesures de simplification ;
– Encourager l’expérimentation sociale en apportant un appui financier aux projets innovants susceptibles d’être cofinancés par le FSE.
2. Le développement de l'expérimentation et de l'évaluation pour un meilleur pilotage des politiques sociales
a) Renforcer le rôle du Parlement
Aux termes de l’article L. O. 111-4 du code de la sécurité sociale, issu de la loi organique du 2 août 2005 (131), des annexes sont jointes, chaque année, au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), en présentant, pour les années à venir, les programmes de qualité et d’efficience (PQE) relatifs aux dépenses et aux recettes de chaque branche de la sécurité sociale.
Ces programmes doivent comporter « un diagnostic de situation appuyé notamment sur les données sanitaires et sociales de la population, des objectifs retracés au moyen d’indicateurs précis dont le choix est justifié, une présentation des moyens mis en oeuvre pour réaliser ces objectifs et l’exposé des résultats atteints lors des deux derniers exercices clos et, le cas échéant, lors de l’année en cours ». Cette annexe comprend également un PQE relatif aux dépenses et aux recettes des organismes qui financent et gèrent des dépenses relevant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) concernant l’invalidité et les dispositifs gérés par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA).
Les PQE comportent une présentation stratégique des objectifs assignés aux politiques de sécurité sociale dans les six domaines couverts (132), exposent les principaux résultats obtenus, et précisent les actions mises en œuvre par le gouvernement et les acteurs du système de sécurité sociale afin de poursuivre ou d’infléchir ces résultats. Les progrès réalisés au regard de chacun des objectifs sont ensuite mesurés au moyen d’un ensemble d’indicateurs, dont le choix est justifié au niveau méthodologique. Des indicateurs de cadrage permettent également d’apprécier la nécessité des mesures mises en œuvre ou envisagées au regard du contexte économique, sanitaire, social et financier. En outre, les PQE comportent une série d’indicateurs « objectifs / résultats », dont plusieurs sont assortis d’une cible quantifiée à une échéance donnée ou d’une simple trajectoire d’évolution jugée souhaitable.
Les PQE constituent ainsi un outil structurant pour déterminer les objectifs et analyser les performances des politiques de sécurité sociale, dans le cadre d’une démarche « objectifs-résultats » s’inspirant de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf).
Par ailleurs, comme l’a rappelé M. Laurent Caussat (133), sous-directeur des études et des prévisions financières à la direction de la sécurité sociale (DSS), ils visent à appréhender, de façon globale, l’impact final des politiques de sécurité sociale, la nature des indicateurs des PQE étant ainsi un peu différente de celle des indicateurs retenus pour les lois de finances, dans le cadre des projets annuels de performances (Pap). Ils permettent ainsi de prendre en compte les spécificités des politiques de sécurité sociale, concernant notamment le caractère évaluatif des dépenses correspondantes ainsi que la pluralité des acteurs chargés de leur mise en œuvre, qui rendent délicate l’identification précise des contributions de chacun d’entre eux aux résultats finaux de ces politiques.
Pourtant, alors qu’ils constituent en théorie un instrument stratégique pour le suivi et l’amélioration de la performance des politiques de sécurité sociale, ils ne font à aucun moment l’objet d’un véritable débat au Parlement.
Le calendrier d’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), particulièrement serré, constitue sans doute l’explication principale de cette situation. Par ailleurs, il semble que ni le débat d’orientation sur les finances publiques, organisé chaque année en juin ou juillet, ni l’examen par la commission des Affaires sociales des rapports sur le suivi de la mise en application des lois de financement de la sécurité sociale, ne permettent d’examiner ces programmes de qualité et d’efficience et, plus largement, d’interroger et de débattre de l’efficacité des politiques sociales.
Cette situation n’apparaît guère satisfaisante pour le pilotage de l’action publique et pour les conditions d’exercice par le Parlement de ses missions d’évaluation et de contrôle, et ce d’autant plus que les PQE ne constituent pas une simple annexe technique, mais, en présentant les objectifs des politiques de sécurité sociale et les indicateurs retenus pour mesurer l’atteinte de ces objectifs, soulèvent un certain nombre de questions sur le fond. Par exemple, le PQE de la branche famille présente certaines limites ou du moins suscite plusieurs questionnements, concernant par exemple la pertinence de quelques-unes des cibles retenues (cf. sur ce point, la dernière partie du présent rapport).
Concernant les moyens susceptibles d’améliorer l’exploitation des PQE, M. Laurent Caussat (134), en rappelant les contraintes liées au calendrier parlementaire d’examen des PLFS, s’est interrogé sur la possibilité d’organiser, par exemple au printemps, un débat sur un ou plusieurs sujets concernant la performance dans le champ des politiques sociales.
Il semblerait en effet nécessaire d’organiser, chaque année, un débat pendant les semaines de contrôle de l’Assemblée nationale, portant par exemple sur un nombre limité d’objectifs des politiques de sécurité sociale tels qu’ils sont définis dans les PQE (par exemple « concilier vie familiale et vie professionnelle » ou « aider les familles vulnérables » pour le PQE Famille, « assurer un égal accès aux soins » ou « développer la prévention » pour le PQE Maladie, « concilier le financement de la sécurité sociale avec la politique de l’emploi » pour le PQE Financement (135), etc.)
Ces thèmes seraient choisis par les groupes parlementaires de la majorité et de l’opposition, et il serait également possible de prévoir le dépôt par le Gouvernement d’un rapport au Parlement pour préparer ce débat. À cet égard, il est intéressant de noter qu’au Royaume-Uni, selon M. Philip Aylett, responsable du secrétariat du comité des comptes publics (Public accounts comittee, PAC) du Parlement britannique (136), les ministères rendent des rapports annuels devant les commissions, concernant notamment des questions relatives à la performance au regard des objectifs fixés et qu’en tout état de cause, l’analyse budgétaire et le suivi de la performance s’effectuent plutôt a posteriori, après le vote du budget.
Ce débat pourrait ainsi permettre à la représentation nationale de se prononcer sur la pertinence des objectifs fixés et des moyens mis en œuvre, ainsi que d’apprécier les résultats obtenus par rapport à ceux-ci, en identifiant les faiblesses et les marges de progrès ainsi que les leviers d’amélioration éventuels de la performance des politiques sociales concernant les thématiques retenues.
Recommandation n° 2 : Organiser un débat au Parlement en semaine de contrôle, par exemple au printemps, sur l’efficacité des politiques sociales, qui pourrait s’appuyer sur certains objectifs des programmes de qualité et d’efficience (PQE), dont le choix serait partagé entre la majorité et l’opposition, ainsi que sur un rapport du Gouvernement au Parlement.
b) Adopter une conduite pragmatique des réformes, comme en Suède notamment, en développant l'expérimentation et l'évaluation
Apparue assez récemment en France, l’expérimentation constitue une forme privilégiée d’évaluation ex ante des politiques publiques, qui apparaît très utile, en particulier dans le champ social, en vue de tester l’efficacité des dispositifs et de mesurer leur impact et leur coût avant, le cas échéant, de les mettre en œuvre à grande échelle. Depuis la révision du 28 mars 2003 (137), l’article 37-1 de la Constitution prévoit ainsi que « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ».
À cet égard, la directrice générale de la cohésion sociale (DGCS), Mme Sabine Fourcade (138), qui est également déléguée interministérielle à l’innovation, à l’expérimentation sociale et à l’économie sociale, a rappelé que cette méthode avait été utilisée préalablement à la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA), et que plusieurs expérimentations étaient actuellement engagées dans le champ social, par exemple dans le domaine du handicap.
Il convient également de rappeler qu’un fonds pour l’innovation et l’expérimentation sociale a été créé en 2006, suite à au Conseil national de lutte contre l’exclusion du 16 septembre 2005. Pour 2012, sa dotation représente environ 3,1 millions d’euros et les crédits de la mission budgétaire « Solidarité, insertion et égalité des chances » destinés à l’expérimentation sociale et autres expériences en matière sociale et d’économie sociale représentent au total 6,2 millions d'euros (139).
Plusieurs rapports parlementaires ont toutefois regretté, concernant ces crédits relatifs à l’expérimentation sociale, que « le projet annuel de performances (PAP) annexé au présent projet de loi de finances se montre toujours aussi lacunaire sur la finalité et, surtout, l'efficacité de ces crédits (140) », en souhaitant également que « les actions engagées dans le cadre du FIES (Fonds pour l’innovation et l’expérimentation sociale) soient à l’avenir plus détaillées et qu’elles fassent l’objet d’évaluations annexées aux projets annuels de performances transmis au Parlement (141) ».
Surtout, selon certaines personnes entendues par le groupe de travail, en particulier M. Martin Hirsch (142), président de l’Agence du service civique, l’expérimentation semble encore insuffisamment développée dans le champ social, alors que d’autres pays en Europe semblent y recourir plus fréquemment.
Le rapport conjoint de l’Igas et du Centres d’études sur l’emploi (143) sur l’accompagnement des demandeurs d’emploi d’octobre 2007, dont deux de ses auteurs ont été entendus par le groupe de travail (144), fait ainsi apparaître les différentes approches pragmatiques suivies en Suède, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, pour adapter les politiques de l’emploi.
Expérimentations et évaluations : la conduite pragmatique des réformes dans le champ des politiques de l’emploi en Suède, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni
« Un point commun intéressant entre ces trois pays est leur attachement à une conduite pragmatique des politiques de l’emploi, qui sont pour la plupart dans un premier temps expérimentées, avant d’être généralisées si (et seulement si) une première évaluation de ces expérimentations en a montré l’intérêt, puis ultérieurement à nouveau évaluées pour juger de leur efficacité, et au besoin réformées, voire abandonnées si les résultats ne sont pas à la hauteur des objectifs fixés.
La Suède s’est ainsi dotée d’un organisme indépendant, institutionnellement rattaché au ministère de l’emploi, l’Institut d’évaluation des politiques de l’emploi (IFAU), qui coordonne les activités d’expérimentation et d’évaluation. L’IFAU intervient ainsi en amont, pour faire des propositions et préparer les réformes, puis en aval pour expertiser les politiques mises en place. C’est lui par exemple qui est actuellement chargé, en partenariat avec l’AMS, de construire un outil de profilage statistique des demandeurs d’emploi, puis de le tester dans les agences pour l’emploi d’un comté. Deux modèles sont pour l’instant à l’étude (l’un national, l’autre régional), et l’expérimentation servira entre autres à dégager les atouts et faiblesses de chacun. Si l’expérimentation conclut à l’efficacité de l’outil, il sera ensuite mis en place sur tout le territoire, puis à nouveau évalué par l’IFAU après une période test. L’IFAU a par ailleurs évalué l’ensemble des politiques actives développées notamment dans les années 1990, et ses évaluations sur les différents dispositifs ont un impact fort sur les choix opérés, notamment pour privilégier les emplois aidés dans le secteur privé et pour diminuer le volume des formations longues.
Au Royaume-Uni, les politiques de l’emploi sont systématiquement soumises à des expérimentations sur des échantillons tests, puis ultérieurement évaluées, du point de vue de leur efficacité par le ministère du Travail et des pensions (DWP), et sur les aspects financiers par l’Office national d’audit (National audit office, NAO). Ces évaluations ont un impact politique concret, puisqu’elles alimentent les débats autour des réformes à envisager. Si un dispositif perdure dans le temps, il sera régulièrement évalué pour voir s’il correspond toujours aux besoins, dans un contexte économique et social changeant. C’est par exemple le cas des New Deals, qui ont tous déjà donné lieu à de nombreuses études, et qui devraient être prochainement repensés, après bientôt dix ans de fonctionnement, pour tenir compte des propositions de réformes, et des nouveaux besoins qui ont émergé compte tenu de l’ensemble des autres réformes mises en place sur le marché du travail. Le recours à des expérimentations préalables donnant lieu à évaluation avant généralisation est également à l’œuvre sur de nombreux aspects du système britannique : la mise en place des Jobcentre Plus a ainsi été précédée d’un projet pilote, l’extension actuelle de l’accompagnement vers l’emploi aux personnes handicapées et invalides correspond à l’extension nationale du projet Pathways to Work, une expérimentation d’accompagnement renforcé après l’accès à l’emploi est en cours (…), etc. Dans certains cas, l’expérimentation conduit à ne rien changer (…).
Aux Pays-Bas, si la culture de l’expérimentation était traditionnellement moins systématique, elle s’est largement développée ces dernières années. Le dispositif des Toonkamers, tentatives de guichets uniques complets (rassemblant l’Organisation centrale du travail et du revenu, CWI, l’organisme de gestion des assurances sociales, UWV, et les services sociaux des municipalités), est par exemple actuellement expérimenté dans huit régions afin de juger de ses performances. Les évaluations des politiques de l’emploi sont très relayées dans le débat politique, et en général programmées dès la mise en place du dispositif. Il était ainsi par exemple prévu que la loi de 2002 soit évaluée en 2006, lorsqu’il a été décidé du développement d’un marché privé du placement, un organisme a été créé pour suivre sa montée en charge, évaluer ses performance, et promouvoir les bonnes pratiques : le Conseil de l’emploi et des revenus (RWI), qui finance des enquêtes de satisfaction auprès des bénéficiaires, et évalue l’efficacité des prestations proposées par les opérateurs privés.
Il est intéressant de noter que, dans les trois pays, l’ensemble du calendrier est en général programmé dès la mise en place d’un nouveau dispositif : expérimentation, déploiement puis évaluation sont prévus dès le départ, et intégrés comme des étapes indispensables pour juger de la qualité de la réforme. Une « mauvaise » évaluation constitue ensuite un argument politique suffisant pour retirer une mesure ou la réformer. »
Source : Les prestations et services d’accompagnement des demandeurs d’emploi. Comparaisons internationales. Suède, Pays-Bas et Royaume-Uni, rapport de M. Nicolas Grivel, membre de l’Igas, et de Mmes Nathalie Georges et Dominique Méda, membres du Centre d’études de l’emploi (octobre 2007)
L’étude de Sciences Po annexée au présent rapport souligne également concernant la Suède, dont le système est jugé « le plus efficace » pour les politiques d’articulation entre vies familiale et professionnelle, « la grande réactivité de l’action publique dans ce domaine liée à une démarche d’évaluation constante des dispositifs au regard des objectifs fixés. En cas d’inefficacité, des modifications sont rapidement apportées de sorte à corriger les effets pervers du système (…). Ce fut notamment le cas pour inciter les pères à recourir au congé parental ou pour réduire l’effet désincitatif sur l’emploi des mères du coût des structures d’accueil des jeunes enfants ». Mme Maria Hemström (145), chef de l’unité d’analyse du ministère suédois de l’emploi, a par ailleurs rappelé la création d’une autorité indépendante chargée de l’évaluation des politiques de l’emploi (IFAU, Institut pour l’évaluation des politiques de l’emploi, cf. l’encadré supra), et l’utilisation des évaluations réalisées pour le pilotage des réformes mises en œuvre dans ce domaine.
En Italie, le gouvernement a récemment mis en place une série de réformes dans le domaine des politiques sociales et de l’emploi, dont certaines ont été confirmées après une période d’expérimentation et d’autres sont encore en phase d’évaluation, concernant par exemple la carte sociale (146) (cf. l’encadré ci-après), selon les informations communiquées par l’ambassade de France en Italie. Autre exemple en Europe : les représentants de l’Institut de recherche britannique sur les finances publiques (Institute for fiscal studies, IFS), qui ont été entendus par les rapporteurs lors de leur déplamcent à Londres (147), ont par exemple évoqué une expérimentation en cours concernant les aides aux familles monoparentales.
L’expérimentation sociale en Italie : l’exemple de la « carte sociale »
La « Social card » (également appelée « carte-achats ») avait été introduite avec le plan de rigueur de 2008, et la loi n°10 du 26 février 2011 a confirmé cette mesure en étendant son utilisation, d’où l’appellation de « Nouvelle Social Card ». Les individus qui peuvent la demander sont les familles avec un enfant de moins de trois ans et les personnes âgées de plus de 65 ans en situation de pauvreté absolue, et les familles en situation de pauvreté absolue (environ 4,2 % des familles italiennes) ont été ajoutées. La phase expérimentale qui a démarré avec le décret-loi n°112/2008 prévoyait d’aider les familles et les personnes âgées pour les achats et les dépenses domestiques (électricité et gaz). Actuellement 50 % des financements disponibles, qui représentent au total 500 millions d’euros, ont été consommés et 734 000 individus en ont bénéficié. Il faut noter que certaines régions, provinces et municipalités ont également intégré la Social card (…) dans leur politique régionale afin de compléter la part financée par l’Etat. Le ministère du travail et des politiques sociales a évalué l’extension de la Social card en y ajoutant des services, une possibilité d’accès à toutes les personnes qui habitent en Italie mais qui n’ont pas la citoyenneté italienne et en augmentant sa valeur mensuelle fixée actuellement à 40 euros pour l’élever à 129 euros en moyenne (cela signifie une augmentation moyenne de 23 % du revenu familial). Mais les résultats de cette évaluation ont montré que si on étendait la Social card de cette manière, dès 2013, à plein régime, la dépense annuelle estimée passerait de 500 millions d’euros à 2,3 milliards d’euros. Cette mesure n’a donc à ce stade pas été adoptée. Et la loi du 26 février 2011 prévoit le renouvellement de la Social card sur les bases actuelles en maintenant le principe d’évaluation annuelle des résultats obtenus.
Source : réponse de l’ambassade de France en Italie au questionnaire adressé par les rapporteurs en septembre 2011.
À la lumière notamment de pratiques observées dans d’autres pays européens et dans le prolongement de préconisations formulées par M. Martin Hirsch lors de son audition, il apparaît dès lors nécessaire de renforcer le recours à l’expérimentation dans le champ social. Ceci constitue incontestablement un levier d’amélioration de la performance des politiques publiques, dans la mesure où elles peuvent permettre de « corriger le tir » très rapidement, en évitant notamment d’engager des sommes importantes sur des dispositifs dont l’efficacité ne serait pas avérée ou, du moins, qui mériteraient d’être sensiblement améliorée.
Dans ce sens, il conviendrait de développer une approche pragmatique des réformes dans la durée, comme c’est notamment le cas en Suède, et pour cela de :
– définir un programme pluriannuel d’expérimentations sociales, qui pourrait être soumis pour avis à la commission des Affaires sociales ;
– organiser un débat régulier au Parlement sur les résultats des évaluations parvenues à leur terme, par exemple dans le cadre des semaines mensuelles de contrôle ;
– attendre l’évaluation de l’expérimentation avant, le cas échéant, de généraliser les dispositifs ;
– adopter progressivement le principe d’une expérimentation préalable systématique, au moins pour toutes les grandes réformes sociales ;
– améliorer l’évaluation in itinere et ex post des politiques : en veillant à associer largement les parties prenantes, ainsi que des chercheurs, éventuellement d’autres pays européens, dans les instances de débat et d’évaluation (telles que le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, le Conseil d’orientation pour l’emploi, etc.), et en prévoyant dès le lancement d’une réforme un budget, même très faible par rapport aux montants considérés pour l’évaluation, comme cela existe dans d’autres pays ;
– tirer tous les enseignements de ces évaluations pour pouvoir adapter les dispositifs « au fil de l’eau », en s’engageant dans un processus d’amélioration continue des politiques publiques.
Recommandation n° 3 : En s’inspirant notamment des pratiques observées en Suède, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni :
– définir un programme pluriannuel d’expérimentations sociales, qui pourrait être soumis pour avis à la commission des Affaires sociales ;
– organiser des débats au Parlement sur les résultats d’expérimentations, par exemple dans le cadre des semaines de contrôle de l’Assemblée nationale ;
– aller vers une exigence d’expérimentation préalable systématique, au moins pour les grandes réformes sociales ;
– améliorer l’évaluation in itinere et ex post des politiques sociales afin de pouvoir les adapter, en tant que de besoin, par exemple en prévoyant a priori un budget pour l’évaluation, même limité en proportion des dépenses, et en veillant à associer les parties prenantes, ainsi que des chercheurs, éventuellement d’autres pays européens.
c) Encourager les échanges de bonnes pratiques entre les départements et améliorer l’évaluation des politiques sociales locales
Depuis les premières lois de décentralisation, les collectivités territoriales ont pris une place importante dans le développement et la mise en œuvre des politiques publiques, en particulier dans le domaine social et éducatif. Les conseils généraux sont ainsi devenus des acteurs incontournables de l’action sociale, les conseils régionaux se sont vus reconnaître un rôle dans la stratégie économique du territoire et la formation. Les communes conservent des prérogatives importantes dans le domaine de l’action sociale, en particulier pour la petite enfance. Ce mouvement s’est accompagné d’une déconcentration progressive des services de l’État.
La volonté de mieux prendre en compte la variabilité et la multiplicité des situations locales a conduit au développement de programmes contractuels entre l’État et les collectivités locales, dans des champs aussi variés que l’éducation, l’action sociale, le logement, l’insertion, ou encore la santé. Un foisonnement de contrats locaux réunit désormais, sur un territoire précis, identifié par ses caractéristiques sociales, tous les acteurs susceptibles de relayer l’action publique : les zones d’éducation prioritaire, les contrats enfance, les contrats éducatifs locaux, les programmes locaux d’insertion etc.
Les collectivités territoriales sont donc aujourd’hui des acteurs incontournables de la performance des politiques sociales en Europe.
Or, force est de constater que leurs pratiques et leurs résultats sont insuffisamment connus aujourd’hui. M. Antoine Magnier, directeur de la Dares (148), a regretté que la décentralisation ne se soit pas accompagnée d’une réflexion sur le système d’information. Aujourd’hui, l’information sur les politiques décentralisées dépend de la bonne volonté des collectivités et se heurte au coût d’une telle collecte d’information.
M. Stefan Ackerby, président de l’association des régions et des communes de Suède (SKL) (149) a présenté ce qui pourrait constituer un exemple de performance. La SKL a mis en place un système dit « de comparaisons ouvertes » entre les collectivités locales. Les régions et les communes font l’objet d’un classement, à partir de leurs résultats mesurés par des indicateurs communs. Ce classement, réalisé en coopération avec l’inspection des affaires sociales, est rendu public et repris par la presse locale et nationale, de sorte qu’une telle comparaison des performances locales a un effet incitatif. Il est très populaire, selon M. Stefan Ackerby. À certains égards, ce mécanisme ressemble à la « méthode ouverte de coordination » pratiquée au niveau communautaire, puisqu’elle n’est pas contraignante et qu’elle préserve l’autonomie des collectivités concernées.
M. Ackerby a reconnu la difficulté de mesurer la performance et l’efficacité des politiques, ainsi que l’efficience. Les indicateurs mesurent surtout la satisfaction des usagers. La SKL essaie, par ailleurs, de publier des travaux de recherche et d’analyse indépendants (evidence-based research) et de diffuser les bonnes pratiques.
Les rapporteurs proposent donc d’encourager la mise en place d’une méthode ouverte de coordination au niveau locale, une « Moc locale », en particulier entre conseils généraux pour favoriser les échanges de bonnes pratiques dans le domaine de l’insertion sociale et professionnelle, domaine dans lequel les marges de progrès et les bénéfices potentiels de ces échanges paraissent les plus importants.
Pour cela, ils préconisent de faire notamment évoluer le rôle de l’Observatoire national de l’action sociale décentralisée (ODAS), en renforçant ses capacités de recherche et en lui permettant de réaliser des expérimentations et des évaluations de politiques sociales locales (150). Les rapporteurs proposent également que l’ODAS puisse s’appuyer sur un fonds de « recherche, développement et évaluation » sur les politiques sociales locales, dont le financement serait partagé entre l’État et les collectivités locales. Comme l’a très bien dit M. Martin Hirsch, il est temps aujourd’hui d’utiliser pleinement les dispositions introduites par la révision constitutionnelle de 2003 sur le recours aux expérimentations locales, mises en œuvre pour la première fois en 2007 pour le revenu de solidarité active (RSA).
En s’inspirant de l’exemple suédois, les rapporteurs proposent l’adoption d’un tableau de bord commun pour la comparaison de l’action sociale décentralisée. Comme l’avait souligné M. Ackerby, ces indicateurs ont leurs limites et ne sauraient traduire, à eux seuls, toute la richesse des politiques menées au niveau local. C’est pourquoi le renforcement des capacités d’évaluation des collectivités territoriales paraît justifiée. Mais ce tableau de bord constituerait un repère pour nos concitoyens et un objet de débat utile, susceptible de mettre en lumière des « bonnes pratiques ».
Recommandation n° 4 : Encourager la mise en place d’une « méthode ouverte de coordination » entre conseils généraux, en promouvant l’exemple suédois
– Encourager une évolution de l’Observatoire de l’action sociale décentralisée (ODAS) dans le sens d’un renforcement de ses capacités d’évaluation.
– Susciter l’adoption d’un tableau de bord commun pour la comparaison de l’action sociale décentralisée.
– Créer un fonds de « recherche, développement et évaluation » sur les politiques sociales locales financé conjointement par l’État et les collectivités territoriales.
II.– QUELS FACTEURS DE PERFORMANCE DES POLITIQUES DE L’EMPLOI EN EUROPE ?
A.– EN REMARQUES LIMINAIRES : DES ENJEUX TRANSVERSAUX POUR LES POLITIQUES DE L’EMPLOI
Plusieurs constats formulés par les personnes auditionnées ont convaincu les rapporteurs de consacrer une partie du rapport aux facteurs de performance des politiques de l’emploi. La partie transversale du présent rapport a montré en effet à quel point l’emploi est déterminant pour la soutenabilité des systèmes de protection sociale et pour lutter efficacement contre la pauvreté. Elle a souligné également plusieurs faiblesses de la France par rapport à ses voisins européens : les taux d’emploi des jeunes et des seniors, inférieurs à la moyenne de l’OCDE ; la dualisation croissante du marché du travail, qui pénalise les jeunes et les moins qualifiés ; la faible progressivité des carrières et la difficulté des transitions professionnelles.
Compte tenu des multiples facteurs agissant sur l’activité et le chômage, de la pluralité d’objectifs que peut avoir la politique de l’emploi selon les pays – l’accès à l’emploi seulement ou l’accès à un emploi de qualité ? – et de l’interdépendance qu’elle entretient avec l’ensemble des politiques économiques et sociales, quelques remarques liminaires sur des enjeux transversaux sont apparemment nécessaires.
a) Le poids des cotisations sociales sur le coût du travail
Les enjeux relatifs à la compétitivité de l’économie et l’analyse de l’impact des prélèvements obligatoires en France ne sont pas l’objet du présent rapport, qui ne saurait, en tout état de cause, traiter de ces sujets que de manière superficielle.
Toutefois, il faut souligner que le mode de financement de la protection sociale a une incidence sur les résultats en matière d’emploi. Le poids des cotisations sociales sur le coût du travail constitue un enjeu important pour la France dans les comparaisons internationales (cf. graphique infra, page suivante). Ce sujet a été évoqué par nombre de personnes entendues, au titre du premier cycle d’auditions transversales sur la performance du système français de protection sociale, ainsi que par plusieurs spécialistes par la suite. Les déplacements réalisés par vos rapporteurs en Suède, au Royaume-Uni et en Allemagne ont confirmé l’acuité de cette question pour la France.
L’IMPOSITION DES REVENUS DU TRAVAIL : IMPÔTS SUR LE REVENU ET COTISATIONS DE SÉCURITE SOCIALE DES SALARIÉS ET DES EMPLOYEURS EN 2009
(en pourcentage des coûts de main d’œuvre, pour un célibataire sans enfant ayant un salaire égal à celui d’un salarié moyen)
CSS : cotisations de sécurité sociale.
Source : Les impôts sur les salaires 2008-2009, OCDE (août 2010)
Le programme de qualité et d’efficience (PQE) « Financement », annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale en 2012, comporte un objectif consistant à « concilier le financement de la sécurité sociale et la politique de l’emploi ». À cet égard, le PQE Financement souligne le niveau élevé des cotisations sociales en général et plus particulièrement que « l’ensemble des cotisations et contributions patronales versées aux organismes de sécurité sociale représente 29,8 % du coût du travail au niveau du salaire moyen en France, qui se situe de fait au premier rang des pays de l’OCDE en termes d’importance des prélèvements patronaux sur les salaires, devant l’Italie (24,3 %), la Suède (23,9 %) et la Belgique (23 %). Ce ratio est de 16,3 % en Allemagne et 0 % au Danemark, puisque depuis 2000, il n’existe plus de cotisation patronale obligatoire de sécurité sociale. » (151)
Le 9 novembre 2011, M. Bernard Accoyer, Président de l’Assemblée nationale, a pris acte, avec regret, de l’impossibilité de parvenir à un consensus transpartisan sur un rapport dans le cadre de la mission d’information sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale qu’il présidait : « des points de vue trop éloignés, notamment sur l’impact des 35 heures sur la compétitivité de notre pays, n’ont pas permis d’aboutir à un constat partagé. […] Un constat commun a néanmoins pu être dressé sur un certain nombre de sujets tels que le déficit croissant du commerce extérieur, la dégradation de la compétitivité du coût salarial de notre pays notamment par rapport à l’Allemagne, la désindustrialisation de la France, et certaines difficultés de financement des petites et moyennes entreprises. »
Pour sa part, le Président de la République a décidé, le 15 novembre 2011, la création d’un Haut Conseil au financement de la protection sociale, associant les partenaires sociaux et chargé de faire des propositions pour réduire le poids des prélèvements sur les salaires (152).
Ces éléments témoignent de l’importance de cette question, qui doit toutefois être abordée dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’impact des prélèvements obligatoires.
b) La nécessité d’une politique de croissance
Outre les difficultés liées au coût du travail, plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs ont tenu à rappeler qu’une politique de croissance et de développement économique était nécessaire à l’amélioration de la situation de l’emploi. La croissance française ne s’accompagne pas d’une offre de travail de haut niveau et de qualité, selon M. Jérôme Vignon, président de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (Onpes) (153), pour qui les transitions vers des emplois de qualité doivent être favorisées, afin d’éviter que la politique de l’emploi ne se traduise par la subvention massive par les prestations sociales d’emplois sous-qualifiés.
Le retour au plein-emploi, mais également l’amélioration de la qualité de l’emploi, nécessitent une politique industrielle repensée, fondée sur l’innovation, selon M. Philippe Askenazy, économiste (154), rejoint sur ce point par M. Francis Kramarz, directeur du centre de recherche en économie et en statistique (Crest) (155). Selon Mme Christine Erhel, chercheuse au Centre d’études de l’emploi (CEE) (156), la solidité du tissu industriel allemand est pour beaucoup dans le maintien d’emplois intermédiaires, tandis que le développement du secteur tertiaire en France s’accompagne souvent d’une diminution de la qualité de l’emploi. Par ailleurs, comme le soulignait M. Philippe Askenazy, le développement de l’aide à la création d’entreprise doit s’accompagner d’un renforcement des mesures d’aides ou de simplification à destination des petites et très petites entreprises. La performance des politiques de l’emploi a donc pour corollaire des performances économiques et industrielles, appuyées sur une véritable stratégie visant notamment la création d’emplois de qualité.
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* *
De ces remarques liminaires découle un constat essentiel pour l’évaluation comparée des politiques de l’emploi : les objectifs comme les modalités de ces politiques varient considérablement en Europe. Dans cette diversité, une mission apparaît toutefois commune à tous les pays considérés : l’accompagnement des demandeurs d’emploi et la facilitation de l’accès à l’emploi.
C’est pourquoi la présente étude s’est donnée pour objectif de comparer la mise en œuvre de cette mission dans cinq pays européens, dont la France, en soulignant les phénomènes de convergence ou les singularités nationales. Recherchant une compréhension poussée des contextes nationaux, elle conclut sur les principaux enseignements des travaux de recherche et d’évaluation menés sur ce sujet.
Cette analyse repose sur un travail de synthèse de la littérature académique et publique dans les cinq pays étudiés (Allemagne, France, Portugal, Royaume-Uni, Suède) réalisé par le cabinet Euréval, en réponse à un appel d’offre au titre de l’accord cadre dont bénéficie le CEC pour faire réaliser des évaluations de politiques publiques, ainsi que sur les auditions menées par le groupe de travail, complétées par des déplacements dans plusieurs des pays étudiés.
B.– UNE APPROCHE : L’ÉVALUATION COMPARÉE DE CINQ POLITIQUES D’ACCOMPAGNEMENT DES DEMANDEURS D’EMPLOI EN EUROPE
1. Des dépenses importantes mais des pratiques évaluatives inégalement développées
a) Des dépenses élevées en faveur de l’emploi, dont l’efficacité est aujourd’hui questionnée
Les dépenses totales en faveur du retour à l’emploi évoluent de façon relativement similaire dans les cinq pays étudiés, montrant une réaction conjoncturelle commune. Le premier graphique infra montre qu’après une baisse générale des dépenses publiques consacrées à cette politique publique entre 2005 et 2008, la crise économique apparue en 2008 a entraîné une hausse des dépenses dès 2009, cependant inégale selon les pays.
● La classification des dépenses par les organisations internationales
Une analyse plus approfondie de la répartition de ces dépenses (second graphique infra) permet de caractériser les pays étudiés et d’identifier des approches différentes des politiques de l’emploi. Eurostat et l’OCDE répartissent ainsi les dépenses en faveur de l’emploi suivant neuf catégories de « politiques du marché du travail » (PMT) :
– les « services PMT » (catégorie 1), qui incluent les coûts des services publics de l'emploi (SPE) ainsi que tous les autres services publics pour les demandeurs d'emploi ;
– les « mesures PMT » (catégories 2-7), qui recouvrent les mesures d'activation pour les chômeurs et autres groupes cibles incluant la formation professionnelle (cat. 2), la rotation dans l'emploi et le partage d'emploi (cat. 3), les incitations à l'emploi (cat. 4), l’emploi protégé et la réadaptation (cat. 5), la création directe d'emplois (cat. 6) et les aides à la création d'entreprise (cat. 7) ;
– les « soutiens PMT » (catégories 8-9), qui recouvrent le maintien et le soutien du revenu en cas d'absence d'emploi (principalement prestations de chômage) et allocations de préretraite.
L’OCDE a fait le choix d’une classification plus normative encore : l’Organisation distingue en effet les mesures dites « actives » (l’équivalent des « services » et « mesures PMT ») des dépenses « passives » (les « soutiens PMT »). Les premières sont considérées comme un investissement susceptible de favoriser le retour à l’emploi. L’effet désincitatif des secondes sur l’activité doit être limité au mieux (cf. encadré infra).
ÉVOLUTION DES DÉPENSES PUBLIQUES EN FAVEUR DU RETOUR À L’EMPLOI (2005-2009)
(en pourcentage du PIB))
Source : OCDE in Étude comparée concernant la politique de l’emploi dans plusieurs pays européens, Euréval, 2011, annexée au présent rapport.
DÉPENSES PUBLIQUES EN FAVEUR DES POLITIQUES DU MARCHÉ DU TRAVAIL,
PAR TYPE D'ACTION (2009)
Source : Eurostat
La notion d’activation des dépenses sociales selon l’OCDE
L’activation est un concept introduit dans le vocabulaire politique international à partir de la réforme suédoise des politiques dites « actives » de l’emploi, débattue à partir des années 1930 et mise en œuvre dans les années 1950. L’activation impliquait que tout chômeur qui ne pouvait trouver un emploi devait en premier lieu se voir proposer une formation ou une mesure appropriée. Elle s’inscrivait toutefois dans une politique plus large de lutte contre les inégalités et de construction d’un système de protection sociale.
Gösta Rehn – l’un des pères du fameux modèle suédois – a contribué à la diffusion de la notion lorsqu’il a occupé les fonctions de chef du département de l’emploi et des politiques sociales à l’OCDE de 1962 à 1973. À partir de 1964, l’OCDE adopte cette notion en transformant progressivement son contenu, la détachant de ses interactions avec la politique économique et les revenus, pour fonder une critique des « politiques passives » : la simple indemnisation du chômage et les préretraites.
Dans les années 1990, la question de l’emploi apparaît dans l’agenda communautaire – au sommet d’Édimbourg en 1992, dans le « Livre Blanc » présenté au sommet de Bruxelles en 1993 – et dès cette époque, la Commission et le Conseil des ministres plaident conjointement pour des « politiques actives de l’emploi ».
La notion fait ensuite son entrée dans les conclusions du sommet de Lisbonne en mars 2000, sous l’impulsion conjointe des Espagnols et des Britanniques. Elle appartient désormais au lexique de base des sommets européens.
La France manifeste, en matière de dynamique d’activation, son caractère hybride. Jusqu’au milieu des années 2000, elle se rapprochait des systèmes scandinaves par la constance et la variété de ses dispositifs, justifiés par la situation des bénéficiaires, mais elle y consacrait des ressources proportionnellement bien inférieures. Les emplois temporaires (publics ou associatifs) relevaient d’une logique « d’employeur en dernier ressort », l’État étant considéré comme chargé de fournir des emplois temporaires pour pallier les déficiences du marché, à la manière des politiques actives suédoises ou danoises.
Depuis le milieu des années 2000, cependant, l’activation a plutôt pris la forme de mesures qui empruntent à la fois à la logique de l’activation des personnes et à la logique de l’activation des systèmes. Ainsi, la réduction des durées d’indemnisation, la décroissance progressive du taux de remplacement ou encore le contrôle de la recherche active d’un emploi (sanction des refus d’offres « raisonnables » d’emploi, sanction du manque d’assiduité aux rendez-vous avec Pôle Emploi) s’inscrivent dans une démarche d’activation des personnes, proche du régime libéral britannique. La Prime pour l’emploi (PPE) et plus récemment le Revenu de solidarité active (RSA) relèvent plutôt de l’activation des systèmes, par la lutte contre les « trappes à inactivité ».
L’OCDE estimait qu’en France, en 2008, les dépenses « passives » en faveur de l’emploi représentaient 1,2 % du PIB, contre 0,7 % pour les dépenses « actives ».
Source : D’après Jean-Claude Barbier (2002) « Peut-on parler « d’activation » de la protection sociale en Europe ? », Revue française de sociologie, n°43-2, avril-juin, pp. 307-332.
● Trois modèles européens d’accompagnement vers l’emploi
Une analyse statique, à partir des dépenses de 2009 par exemple, permet d’identifier trois modèles contrastés s’agissant des dépenses en faveur de l’emploi :
– le Royaume-Uni, avec une intervention publique minimale destinée à fluidifier le fonctionnement du marché du travail en favorisant la rencontre de l’offre et de la demande ;
– la Suède, dont les dépenses sont inférieures à la moyenne de l’Union européenne (1,8 % du PIB contre 2,1 % pour l’UE 27) mais qui consacre 60 % de celles-ci à des politiques « actives » ;
– le Portugal, l’Allemagne et la France, avec des dépenses sensiblement plus élevées et une répartition marquée par le poids des « soutiens », autrement dit des dépenses « passives ».
La faiblesse relative des dépenses du Royaume-Uni en faveur de l’emploi témoigne d’une approche différente de celle qui prévaut dans les modèles continental (France, Allemagne, Portugal) et nordique (Suède). Comme le montre le second graphique supra, le Royaume-Uni concentre les moyens sur le service public de l’emploi. Ceux-ci sont équivalents à ceux de l’Allemagne et supérieurs à ceux de la France. En revanche, les dépenses en faveur des « mesures PMT » sont quasi inexistantes (7 % des dépenses totales). Les « soutiens PMT » sont très faibles, comparativement aux autres pays (0, 32 % du PIB contre environ 1,5 % pour la France et l’Allemagne).
La Suède se caractérise par des dépenses relativement plus faibles que celles des autres pays étudiés et réparties presque également entre les services, les mesures et les soutiens PMT. Comparativement aux autres pays étudiés, la Suède est le pays qui consacre la part de son PIB la plus importante aux dépenses « actives » (services et mesures PMT).
● Les questions suscitées par ces modèles contrastés
Ce premier constat traduit le poids des spécificités institutionnelles des cinq pays étudiés : les trois modèles identifiés correspondent en effet à une classification traditionnelle (modèles libéral, social-démocrate ou nordique, corporatiste ou continental) inspirée de la typologie des États-providence d’Esping-Andersen (157). Toutefois, la limitation de la proportion des dépenses « passives » est présentée par l’OCDE comme un premier indicateur d’efficacité ou d’efficience. L’importance très variable des « mesures PMT » soulève également des questions sur leur efficacité et appelle une analyse complémentaire de leur contenu réel. De plus, une analyse dynamique depuis 2005 montre qu’au contraire des dépenses globales, les dépenses publiques pour le placement et les services assimilés ont évolué de façon très contrastée selon les pays depuis le début de la crise (cf. graphique infra).
DÉPENSES PUBLIQUES DE PLACEMENT ET SERVICES ASSIMILÉS (2005-2009)
(en pourcentage du PIB)
Source : OCDE in Étude comparée concernant la politique de l’emploi dans plusieurs pays européens, Euréval, 2011, jointe au présent rapport.
La comparaison de la répartition des dépenses en faveur de l’emploi dans les cinq pays étudiés suscite donc les questionnements suivants :
– Quelles sont les caractéristiques de l’accompagnement des demandeurs d’emploi dans les cinq pays étudiés ? À quels services, à quelles mesures, ceux-ci ont-ils le plus souvent recours ? Quelles convergences ou divergences peuvent être observées ?
– Comment s’expliquent les écarts entre les pays étudiés concernant les dépenses de « soutien », dites « passives » ? Dans quelle mesure les écarts constatés sont-ils intrinsèquement liés au modèle national de protection sociale ou au contraire issus d’une volonté délibérée ?
– Quelles sont les politiques les plus efficaces ou les plus efficientes ? Dans quelle mesure la répartition des dépenses en faveur de l’emploi est-elle délibérée et inspirée par l’évaluation de l’efficacité des différents dispositifs ? Les évolutions observées depuis le début de la crise sont-elles la résultante d’un choix politique ?
b) Des efforts d’évaluation comparée par les organisations internationales mais un développement inégal des pratiques évaluatives au niveau national
Une première démarche consiste à chercher des réponses aux questions soulevées supra dans les comparaisons et les évaluations réalisées par les organisations internationales, qui réalisent un grand nombre de travaux sur l’emploi.
L’Organisation internationale du travail (OIT) publie par exemple un rapport annuel intitulé Tendances mondiales de l’emploi, qui décrit très précisément l’évolution du chômage, des taux d’activité, de la productivité, proposant pour chaque phénomène une ventilation régionale, infrarégionale, une analyse par secteur d’activité, des projections, des simulations etc. Toutefois, ces publications sont essentiellement descriptives, statistiques. Les travaux des organisations de coopération que sont l’OCDE ou l’Union européenne sont plus normatifs et sont conclus par des recommandations.
● Les recommandations de l’OCDE relatives à l’emploi
Certaines d’entre elles ont été évoquées dans la première partie du présent rapport (section I.B.2.c.), à l’occasion de la présentation d’un panorama des évaluations internationales en matière sociale témoignant notamment des moindres performances françaises en matière d’emploi. Ces évaluations reposent sur les lignes directrices définies par les organisations internationales qui les produisent.
S’agissant de l’emploi, les ministres chargés de l’emploi et des affaires sociales des pays membres de l’OCDE ont adopté une stratégie en 1995, réévaluée lors d’une conférence politique à haut niveau à Toronto en 2006 et définissant désormais les quatre axes stratégiques suivants :
– « des politiques macro-économiques axées sur la stabilité », c’est-à-dire une politique macroéconomique solide, encourageant l’investissement et la croissance, et visant à réduire les fluctuations cycliques de l’économie ;
– « une réforme des systèmes fiscaux et de protection sociale » pour « activer » les dépenses sociales, c’est-à-dire s’assurer qu’elles ne dissuadent pas le travail ou l’emploi ;
– « de meilleures réglementations du travail pour une plus grande sécurité d'emploi », traduite fréquemment par la notion de « flexicurité » ;
– un renforcement du capital humain (158), par l’investissement dans des politiques d’éducation, de formation professionnelle et de santé et par une politique de lutte contre les inégalités d’accès à ces services.
● Des préconisations voisines dans l’Union européenne
Ces préconisations très générales, adoptées par l’ensemble des pays membres de l’Organisation, sont voisines de celles qui sont formulées au niveau communautaire. Ainsi, la stratégie de Lisbonne adoptée en mars 2000 s’appuyait sur des axes relativement similaires pour faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Cette stratégie a été recentrée autour de trois axes principaux en 2004 : rendre l'Europe plus attractive pour les investissements et le travail ; faire de la connaissance et de l'innovation le cœur de la croissance européenne ; bâtir des politiques permettant de créer davantage et de meilleurs emplois (159).
● Des outils et des processus multiples, dont le fonctionnement est chronophage
Définie en 1997, la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) repose sur une méthode ouverte de coordination, processus volontaire de convergence et d’échange de bonnes pratiques dont le volet Emploi fut la première manifestation (cf. première partie du présent rapport). Des « rapports conjoints » mesurent les progrès des États membres par rapport aux « lignes directrices pour l’emploi » élaborées dans ce cadre, en lien avec le Comité de l’emploi, créé en 2000 pour faciliter les échanges entre les services de la Commission européenne et les services gouvernementaux des États membres.
Ensuite, à partir de 2000, dans le cadre de la stratégie de Lisbonne, la Commission européenne a proposé plusieurs « initiatives », comme celle visant à améliorer les qualifications des travailleurs, en concordance avec les besoins des employeurs européens, intitulée « Des compétences nouvelles pour des emplois nouveaux. » De multiples dispositifs tels qu’Europass, cadre européen unique pour la transparence des qualifications et des compétences ; Eures, le réseau européen des services publics de l’emploi pour l'emploi et la mobilité des travailleurs ; Progress, le programme communautaire pour l'emploi et la solidarité dont l’objet est de financer principalement des activités d’analyse et d’apprentissage mutuel, de sensibilisation et de diffusion pour la période 2007-2013 ; le Fonds social européen (cf. première partie du présent rapport) sont créés ou voient leurs missions évoluer compte tenu des objectifs communautaires en matière d’emploi.
Enfin, dans un registre proche, la Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), un organe tripartite de l'Union qui a été institué dès 1975 dans le but de contribuer à la planification et à la mise en place de meilleures conditions de vie et de travail en Europe, participe notamment aux réflexions sur la qualité de l’emploi, qui constitue un objectif explicite de l’Union depuis 2003.
Ce foisonnement d’initiatives, d’objectifs et d’exercices de suivi est porteur d’une relative confusion. À la suite de l’adoption, en 2007, du Traité de Lisbonne, la gouvernance a d’ailleurs été opportunément simplifiée, de façon à regrouper les différents exercices de coordination des politiques européennes au sein du « semestre européen » (cf. première partie du présent rapport). Les avis, rapports et publications des institutions européennes, produites notamment par le Comité de l’emploi, présentent un intérêt indéniable mais restent difficilement accessibles pour le décideur public.
Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail – notamment M. Jérôme Vignon, ancien directeur de la protection et de l’intégration sociales à la Commission européenne (160) et M. Étienne Grass, conseiller en charge des affaires sociales à la représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne (161) – ont souligné la richesse de ces travaux tout en reconnaissant que des outils de synthèse pour les élus nationaux pourraient faciliter leur diffusion. Suggérant qu’elle était trop peu sollicitée aujourd’hui, M. Étienne Grass a par exemple proposé de recourir plus fréquemment aux services de la représentation permanente de la Commission européenne en France, qui pourrait ainsi utilement exposer le résultat des travaux communautaires sur l’emploi au Conseil d’orientation pour l’emploi (COE).
D’un contenu variable, ces processus de coordination et de comparaison ont pour effet la production d’une information statistique et technique croissante, souvent factuelle. Autorisant un classement des États membres les uns par rapport aux autres en fonction de leurs résultats finaux, conduisant à des modèles de gouvernance, ces comparaisons ne permettent cependant pas toujours de mettre en évidence les facteurs d’efficacité ou d’efficience en propre des politiques menées.
● Un développement inégal des analyses d’impact au niveau national
En sus des travaux réalisés par les organisations internationales, plusieurs publications nationales ou instituts de recherche spécialisés sur les politiques de l’emploi offrent aujourd’hui des études d’impact de qualité. Le développement de l’évaluation de l’impact des politiques de l’emploi est cependant inégal suivant les pays. L’étude réalisée par le cabinet Euréval souligne que « sur le plan de l’évaluation des impacts, les pays étudiés présentent une image très contrastée puisqu’une partie d’entre eux (Allemagne, France, Suède) a une pratique active, tandis que les analyses d’impact approfondies ne sont pas, ou sont très peu pratiquées dans d’autres (Portugal, Royaume-Uni). Ce constat a été confirmé par les experts nationaux chargés de superviser les cinq études par pays. […] Ce panorama est également confirmé par un autre article récent qui passe en revue des analyses plus anciennes et qui suggère que l’analyse quantitative des impacts était un peu plus pratiquée au Royaume-Uni dans les années 1990. »
L’Allemagne, la France et la Suède peuvent être considérés comme des pays plus avancés dans le domaine de l’évaluation de l’impact des politiques de l’emploi : « en Allemagne, l’Institut de recherche du service public de l’emploi (IAB) joue un rôle clé. De plus, la fondation IZA (Institut de recherche sur le travail) a acquis une renommée internationale dans le domaine de l’évaluation des politiques de l’emploi et contribue très efficacement à la capitalisation des leçons apprises grâce aux évaluations. Par ailleurs, en Suède, une organisation publique (Institut pour l’évaluation de la politique d’emploi) finance, coordonne et diffuse une grande proportion des travaux d’évaluation conduits dans le pays. Dans les deux pays, l’évaluation mobilise fortement les centres de recherche universitaires et aboutit à des publications répondant aux critères académiques d’indépendance et de qualité. »
En France, les évaluations d’impact sont encore souvent réalisées par ou à l’initiative des pouvoirs publics : « des travaux pertinents sont régulièrement publiés par l’administration nationale (Dares) et par le service public de l’emploi (Pôle Emploi). Des évaluations plus approfondies et plus indépendantes sont régulièrement produites par un ensemble d’instituts de recherche publics (CEE, Crest, Cereq) et d’équipes universitaires. » (162)
À cet égard, Mme Marie-Claire Carrère-Gée a souligné le rôle du COE (163), qui s’appuie sur la recherche académique pour construire des analyses partagées et des propositions consensuelles avec les acteurs de l’emploi. Elle a toutefois évoqué plusieurs zones d’ombre, pour lesquelles aucune évaluation n’est aujourd’hui disponible. Le suivi des taux d’insertion à l’issue de chaque formation au niveau régional serait par exemple insuffisant, de même que l’information statistique et l’évaluation des politiques relatives aux très petites entreprises (TPE). Mme Véronique Hespel et M. Pierre-Emmanuel Lecerf, respectivement inspectrice générale et inspecteur des finances, auteurs d’une récente étude sur les effectifs des services publics de l’emploi en Europe (164), ont également jugé insuffisante l’information actuelle sur les effectifs chargés de l’indemnisation et de l’accompagnement au niveau local (165).
M. Antoine Magnier, directeur de la Dares, s’est pour sa part félicité du développement des évaluations d’impact en France, qu’il juge de bonne qualité. Il a rappelé de surcroît le coût d’une information statistique croissante demandée par les pouvoirs publics, en particulier sur les interventions et les politiques locales. En conséquence, le développement de nouvelles bases de données, de travaux de recherche et d’enquêtes doit être justifié et il importe que ces travaux soient effectivement utilisés. (166)
c) Des évaluations qui semblent peu exploitées par les décideurs publics
● Des évaluations peu exploitées en France
Plusieurs des personnes entendues par le groupe de travail ont regretté que les évaluations et les travaux de recherche sur l’emploi soient insuffisamment exploités et peu connus des décideurs publics. La construction d’un consensus sur les causes du chômage prendra du temps, d’après Mme Marie-Claire Carrère-Gée, présidente du COE, qui a estimé que les décideurs devaient s’approprier les résultats des travaux académiques et des évaluations (167). L’élaboration de positions communes sur l’emploi lui paraît aujourd’hui plus difficile au sein du COE qu’au Conseil d’orientation sur les retraites où des points de convergence et des diagnostics partagés ont pu se développer.
M. Martin Hirsch a d’ailleurs regretté que les décisions publiques ne soient pas plus souvent précédées d’expérimentations ou d’évaluations et que les recommandations de celles-ci ne soient pas plus suivies, le cas échéant (cf. première partie du présent rapport). Il a observé que les décisions obéissaient souvent à des logiques court-termistes (limiter les dépenses à court terme) ignorant les gains d’efficience pouvant éventuellement être obtenus à plus long terme (168).
● Un défaut partagé par la plupart des pays étudiés
Lors du déplacement organisé à Londres les 18 et 19 juillet 2011, les rapporteurs ont été frappés de l’ampleur des coupes budgétaires décidées par le gouvernement, sans considération pour l’efficacité prouvée de certains dispositifs, notamment contre l’exclusion et la pauvreté des enfants (169). Si ces réductions drastiques ont sans doute pour effet d’améliorer l’état des finances publiques à court terme, leur effet sur la situation sanitaire et sociale, ainsi que sur la compétitivité de l’État concerné, et donc sur ses perspectives de recettes à moyen et long terme pourrait cependant être préjudiciable.
En Allemagne, le ministère chargé du travail a présenté un projet de réforme, justifié par l’obligation de réaliser des économies de 8 milliards d’euros d’ici 2015 dans le cadre du plan d’austérité allemand. La subvention aux créateurs d’entreprises sera notamment réduite, de façon à économiser 5 milliards d’euros, sans toutefois qu’une évaluation témoignant d’une efficacité insuffisante de ce dispositif ait été invoquée (170).
À l’inverse, la Suède fait exception puisqu’après avoir connu une récession importante et une augmentation durable du chômage dans les années 1990, le gouvernement s’était appuyé sur des travaux d’évaluation pour ne conserver que les dispositifs en faveur de l’emploi les plus efficients, avant de les adapter dans la période récente pour répondre à la crise de 2008 (171).
M. Jean-Claude Barbier, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des politiques de l’emploi en Europe et aux États-Unis (172) a estimé qu’il y avait peu d’apprentissage réciproque entre les pays. Le poids des spécificités nationales et de l’organisation historique reste déterminant. À cet égard, l’observation des profils de dépenses en faveur de l’emploi supra confirme la persistance de modèles relativement stables dans le temps (libéral, continental, nordique).
2. Des enjeux communs et des logiques convergentes élaborées au sein des organisations internationales
En dépit de l’inertie des modèles nationaux, dus au poids des contextes nationaux et des modes de décision publique, les États européens partagent des enjeux communs et mettent progressivement en œuvre des réformes convergentes suivant les recommandations des organisations internationales.
Les missions des services publics de l’emploi en Europe sont relativement similaires et consistent à favoriser l’appariement des offres et des demandes d’emploi sur le marché du travail, l’accompagnement des demandeurs d’emploi, et le contrôle du respect des obligations de recherche d’emploi par les bénéficiaires d’assurance chômage.
a) La logique de guichet unique : vers un service commun à tous les demandeurs d’emploi
● Une intégration progressive
L’intégration des fonctions d’indemnisation et d’accompagnement est une tendance commune aux cinq pays étudiés et la plupart des réformes récentes ont pour objectif la création de « guichets uniques », une recommandation désormais habituelle de l’OCDE, que l’Organisation applique à divers domaines de l’action publique (173). Cette tendance à l’intégration des fonctions d’indemnisation et d’accompagnement se double d’une volonté de rapprocher le service public de l’emploi des structures de l’aide sociale.
Selon l’étude réalisée à la demande des rapporteurs par le cabinet Euréval, « c’est au Royaume-Uni que l’intégration semble la plus aboutie. Les agences locales du service public de l’emploi (Jobcentre Plus) sont issues de la fusion en 2002 des Jobcentres et des Benefit Agencies, sous la forme d’un guichet unique qui délivre également des aides au logement et des aides au paiement des impôts locaux. » (174) La logique intégrative s’accompagne souvent d’un questionnement sur « le métier unique » qui, en France par exemple, doit devenir celui des professionnels de l’accompagnement et de l’indemnisation de Pôle emploi. À cet égard, il faut souligner qu’en dépit d’une intégration considérée comme la plus aboutie, le Royaume-Uni a conservé des métiers distincts, qui sont cependant regroupés dans un même lieu. En particulier, le conseiller qui assiste le demandeur d’emploi dans l’élaboration de son projet professionnel n’est pas le même que celui qui vérifie le respect de ses obligations de recherche d’emploi.
● Un constat qui doit être en partie nuancé
La Suède est demeurée dans une situation qui était celle de la France avant la création de Pôle Emploi en 2008. L’indemnisation des demandeurs d’emploi y est assurée par les caisses d’assurance chômage, tandis que le service public de l’emploi est chargé de l’accompagnement. Selon M. Stefan Ackerby, directeur de l’Association suédoise des régions et des municipalités, la politique nationale de l’emploi s’appuie sur le réseau déconcentré des « services publics de l’emploi » (nom donné aux agences locales). Les communes, responsables de l’aide sociale, ont cependant mis en place des services municipaux d’aide au retour à l’emploi, destinés aux bénéficiaires de l’assistance. Les communes sont relativement autonomes dans la mise en œuvre de mesures de suivi ou de coaching. En théorie, des accords peuvent être passés entre les municipalités qui souhaitent se doter d’unités d’aide au retour à l’emploi et les services publics de l’emploi locaux mais en pratique, 85 % des communes se sont dotées de tels services et les relations avec le service public de l’emploi ne paraissent pas parfaitement harmonieuses. M. Stefan Ackerby a souligné la suppression de la possibilité octroyée aux municipalités d’employer les demandeurs d’emplois. En effet, ce système créait une tentation pour les communes consistant à employer les bénéficiaires de l’assistance (financée par les communes) avant de les licencier pour qu’ils bénéficient ensuite de l’assurance chômage (175).
En Allemagne, l’Agence fédérale pour l’emploi assure l’accompagnement et l’indemnisation des chômeurs couverts par le régime d’assurance chômage. Elle participe également à l’accompagnement des bénéficiaires du régime de solidarité avec les communes. Selon l’étude réalisée par le cabinet Euréval : « dans ce second régime, l’Agence assure l’accompagnement et l’indemnisation des allocataires, tandis que les communes ont la charge de l’assistance sociale et du versement d’aides complémentaires. L’Agence et les communes conviennent généralement d’établir des guichets uniques. » (176)
La logique intégrative est également remise en cause par le développement de la cotraitance et de la sous-traitance. Le recours à l’externalisation est par exemple important au Royaume-Uni. En France, « l’aide à la recherche d’emploi reste […] fragmentée dans la mesure où d’autres acteurs, comme les départements ou les missions locales, remplissent des fonctions en partie similaires pour les bénéficiaires des minima sociaux et pour les jeunes entrant sur le marché du travail. », selon la même étude (177).
b) L’activation des revenus de remplacement
● Une recommandation des organisations internationales
Outre l’intégration des services publics, l’OCDE préconise « l’activation » de la protection sociale (cf. encadré supra, B.1.a.). Dans une publication récurrente intitulée Prestations et salaires, l’Organisation évalue l’importance des « trappes à inactivité », autrement dit les désincitations financières induites par le système socio-fiscal à la reprise d’un emploi, dans chaque pays membre. Le revenu de solidarité active (RSA) mis en place en France en 2008 avait ainsi pour objectif de lutter contre ce phénomène, en évitant la perte nette résultant du passage de l’aide sociale à un emploi faiblement rémunéré, au niveau du salaire minimum par exemple. L’activation concerne aussi bien l’indemnisation chômage que les minima sociaux, qui agissent tous deux sur le « salaire de réservation », « c'est-à-dire le niveau de salaire minimum qu’un emploi doit offrir pour décider une personne à quitter le chômage. Il est établi qu’un niveau élevé d’indemnisation tend à prolonger la durée du chômage, parfois avec des effets positifs dans la mesure où les personnes concernées finissent par trouver des emplois de meilleure qualité ». (178)
L’étude réalisée par le cabinet Euréval confirme que « la tendance est à une moindre générosité de l’indemnisation du chômage dans tous les pays étudiés, ce qui correspond à un mouvement de plus grande ampleur et de plus longue durée. En fait, depuis une vingtaine d’années, la logique des systèmes d’indemnisation du chômage s’est considérablement modifiée dans la plupart des pays de l’OCDE. On est progressivement passé d’une logique d’assurance où le rôle de l’indemnisation consistait à lisser le revenu dans les périodes de chômage à une logique plus incitative. » (179)
De façon plus générale, un rapprochement progressif de l’assurance chômage et des minima sociaux est observé dans la plupart des pays européens, favorisé par la logique d’activation et par la recherche d’une meilleure maîtrise des dépenses publiques.
La tendance à une moindre générosité et à une plus grande conditionnalité de l’assurance chômage entraîne en effet, dans un contexte de chômage élevé, un basculement au moins partiel vers les régimes de solidarité, dont les effets incitatifs ou désincitatifs pour le retour à l’emploi posent ensuite question. Sur le plan financier, ce mouvement se traduit par une fiscalisation du financement des revenus de remplacement au sens large, qui sont donc gérés de façon croissante par l’État. De plus, les recettes issues des cotisations sociales sont mécaniquement réduites en cas de récession, entraînant une baisse des moyens disponibles pour l’indemnisation et l’accompagnement des demandeurs d’emploi, qui justifie alors une intervention de l’État. La fiscalisation du financement de l’indemnisation chômage peut permettre, en outre, de ne pas faire porter le financement de l’assurance chômage sur les facteurs de production, augmentant la compétitivité.
● Une logique inégalement aboutie dans les pays étudiés
Pour des raisons historiques, le Royaume-Uni et la Suède sont les pays où ces logiques sont les plus abouties. La durée d’indemnisation du chômage au Royaume-Uni est la plus faible des pays étudiés (3,5 mois). Les demandeurs d’emplois sont incités à retrouver un emploi, même faiblement rémunéré. Un système de crédits d’impôts progressif, dont l’objectif explicite est de « rendre le travail payant » (make work pay), garantit un revenu minimum. En Suède, le système est beaucoup plus généreux (en montant et durée de l’indemnisation) mais l’assurance chômage est financée principalement par l’impôt. Sans avoir atteint ce stade, le plafonnement de l’allocation mensuelle en Allemagne et au Portugal, introduisant une dimension redistributive, remet en question la logique uniquement assurantielle de ces régimes dits « bismarckiens ».
La France se situe dans une situation intermédiaire. Le taux de remplacement des indemnités chômage a diminué continuellement depuis 2001. Les conventions d’assurance chômage depuis 2001 ont progressivement regroupé les filières d’indemnisation dans un régime unique, durci les conditions d’accès à l’indemnisation et renforcé les contreparties mais ont supprimé la dégressivité des allocations. Ensuite, dans un contexte de crise, la convention de 2009 a plutôt recherché une extension de la couverture des demandeurs d’emploi.
Les bénéficiaires de l’assurance chômage en fins de droits peuvent recevoir l’allocation de solidarité spécifique (ASS) versées par Pôle Emploi mais financée par l’État. Les demandeurs d’emplois non éligibles à l’assurance chômage peuvent bénéficier du RSA, financé par les départements. L’intérêt financier des départements est donc d’encourager le retour vers l’emploi.
En tout état de cause, les faibles montants des minima sociaux devraient faire aujourd’hui de la France un des systèmes de protection sociale les plus « activés » – ou en tout état de cause « activant » – de l’OCDE.
L’INDEMNISATION DU CHÔMAGE (2010)
Allemagne |
France |
Portugal |
Royaume-Uni |
Suède | |
Taux de cotisation Employeurs Salariés Total |
1,40 % 1,40 % 2,80 %(180) |
4,00 % 2,40 % 6,40 % |
| ||
Financement par l’impôt |
Partiellement |
Non |
Non |
Non |
Principalement |
Conditions d’affiliation minimale |
360 jours d’activité au cours des 24 derniers mois |
122 jours d’activité au cours des 28 derniers mois |
430 jours d’activité au cours des 24 derniers mois |
Système spécifique(181) |
Environ 65 jours d’activité au cours des 12 derniers mois |
Durée d’indemnisation |
Entre 6 et 24 mois (182) |
Entre 4 et 24 mois |
Entre 9 et 38 mois |
3,5 mois (uniforme) |
8 mois |
Montant d’indemnisation Mode de calcul Pour cent Euros / mois |
% du salaire
|
Forfait + % du salaire |
% du salaire
|
Forfait 324 |
% du salaire
|
Plafond du salaire de référence |
4 650 à 5 500 (nouveaux / anciens Länder) |
11 540 |
Aucun |
Aucun |
/ |
Montant minimal de l’allocation mensuelle (Euros / mois) |
/ |
829 |
475 |
/ |
/ |
Montant maximal de l’allocation mensuelle (Euros / mois) |
1 940 à 2 215 (nouveaux / anciens Länder) |
- |
1 425 |
/ |
1 625 |
Montant mensuel du salaire minimum national (Euros / mois) |
/ |
1 344 |
475 |
1 175 |
/ |
Source : Euréval d’après l’Unédic
Ces éléments appellent deux remarques de la part de vos rapporteurs.
● Un débat sur le plafonnement de l’indemnisation du chômage des cadres
En premier lieu, un débat a été engagé au début de l’année 2011 sur la question du plafonnement de l’indemnisation chômage des cadres, notamment par M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale et membre du groupe de travail sur la performance des politiques sociales en Europe (183). Cette proposition a également été soutenue par M. Bruno Lemaire, ministre chargé de l’agriculture, en charge du projet présidentiel de l’UMP pour 2012. (184) Opposé à cette mesure, comme d’ailleurs le Médef et la CGPME, le président de la CFE-CGC, M. Bernard Van Craeynest, a souligné que les cadres versaient une cotisation supérieure à la somme qu'ils touchent lorsqu'ils sont au chômage. (185) Le système actuel est donc rentable pour l’Unédic. Les quelques éléments de comparaison internationale évoqués supra montrent que cette question renvoie plus largement à un débat sur la philosophie du système de protection contre le risque de chômage. La définition d’un montant maximal d’indemnisation chômage augmenterait les incitations au retour à l’emploi pour les cadres et – sous réserve du maintien du niveau actuel de cotisations chômage – remettrait en cause la logique assurantielle prévalant actuellement au profit d’une logique de solidarité comme dans les modèles universalistes de protection sociale (Royaume-Uni, Suède). Vos rapporteurs préconisent que cette réflexion se poursuive dans le cadre plus large des débats sur le financement de la protection sociale associant les partenaires sociaux (cf. supra section II.A.) et estiment que ce sujet de société pourra être débattu à l’occasion des prochaines échéances électorales.
● Les limites des incitations financières
En second lieu, si la réduction des freins financiers au retour à l’emploi paraît effectivement devoir être recherchée, « l’activation » financière montre aussi ses limites, soulignées par les associations de chômeurs (186), les associations de lutte contre la pauvreté (187), les syndicats de salariés (188) et les syndicats de Pôle Emploi (189), et résumées par M. Matthieu Angotti, directeur général de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, lorsqu’il a affirmé que « depuis vingt ans, les études sur le RMI tend[ent] à montrer que le principal facteur de retour à l’emploi n’[est] pas l’incitation financière à travailler, mais l’accompagnement. Les personnes éloignées de l’emploi sont dans une problématique de survie, et les obstacles qui les séparent de l’emploi ne se surmontent pas avec un chèque. » Vos rapporteurs souscrivent à ce constat, exprimé à de nombreuses reprises durant les auditions. L’indemnisation du chômage et les minima sociaux ne doivent pas décourager le travail, mais ils ne sauraient constituer à eux seuls une politique de l’emploi.
c) Les « droits et devoirs » d’un parcours individualisé vers l’emploi
L’accompagnement des demandeurs d’emploi et le contrôle des obligations de ces derniers constituent une autre mission commune des services publics de l’emploi en Europe. L’adoption d’une logique de « droits et devoirs », prévoyant que le versement des prestations de l’assurance chômage ou de l’aide sociale est conditionné au respect d’un parcours plus ou moins standardisé, constitue un autre point partagé par les pays étudiés. Conformément à la logique de l’activation, les obligations des demandeurs d’emploi évoluent dans le temps, en fonction de leur éloignement du marché du travail. Cet éloignement est soit évalué a priori par des techniques de ciblage ou de « profilage » – le demandeur d’emploi est alors orienté vers une filière ou un programme correspondant à son employabilité supposée – , soit considéré comme croissant avec le temps passé au chômage. Tandis que les années 1990 ont vu se multiplier les parcours ciblés sur des groupes de demandeurs d’emploi (jeunes, seniors, parents isolés, personnes handicapées), le regroupement des programmes et l’individualisation du suivi constituent une tendance commune aux pays étudiés dans la période récente.
● Un parcours contraignant ou un système de sanctions discrétionnaires ?
Ainsi, en Allemagne, les « réformes Hartz » de 2001 à 2005 ont été engagées conformément au principe « Fördern und Fordern » (« promouvoir et exiger »). Bien qu’il existe différents régimes correspondant au type d’allocations reçues (allocations chômages dites « UB » ou filet de sécurité sociale minimal dit « UB2 »), les obligations des bénéficiaires sont les mêmes. Au Royaume-Uni, les programmes « New Deal » lancés par le gouvernement travailliste en 1997 à destination des jeunes, des seniors, des parents isolés, des chômeurs de longue durée ou encore des personnes handicapées ont progressivement été regroupés pour aboutir au « Work program » unique mis en place par le nouveau gouvernement conservateur en 2010. Le système portugais paraît plus personnalisé avec trois types de programmes (« Emploi », « Formation professionnelle » et « Réinsertion professionnelle »), dont le choix est arrêté lors de l’élaboration du projet personnel du demandeur d’emploi avec son conseiller et adapté en fonction de ses besoins. En Suède, au parcours de droit commun s’ajoute un programme dédié aux jeunes de 16 à 24 ans, ciblé sur l’acquisition d’une expérience professionnelle.
Ces programmes plus ou moins regroupés et individualisés prévoient des obligations croissantes pour le demandeur d’emploi, dont le non respect entraîne des sanctions. Suivant les pays, ces sanctions sont plus ou moins considérés comme des outils de la politique de l’emploi et sont plus ou moins laissées à la discrétion des conseillers du service public de l’emploi.
Les pays de type continental ont défini clairement les efforts de recherche d’emploi et les conditions d’une « offre raisonnable d’emploi », à l’instar de la France, sans toujours l’appliquer toutefois.
Au Portugal, « la recherche de travail est rendue obligatoire par la loi pour les bénéficiaires d’allocation chômage, mais les demandes de preuves de recherche d’emploi ainsi que le nombre de candidatures requises varient selon le plan personnel de retour à l’emploi de chaque chômeur. Le demandeur d’emploi a le devoir d’accepter toute offre d’emploi dont les tâches sont en adéquation avec son profil et ses exigences salariales. Il n’a pas le droit de refuser un emploi correspondant à son profil, afin de suivre une formation. Un seul refus d’un travail adéquat ou d’une activité de formation ou d’orientation fait l’objet d’une suspension des allocations chômage. La mobilité géographique n’est pas obligatoire, mais elle est encouragée par des incitations financières. » (190)
En Allemagne, « un demandeur d’emploi doit en principe accepter tout poste correspondant à son profil à condition que des motifs où raisons personnelles ne soient pas incompatibles avec le poste proposé. S’il bénéficie de mesures d'insertion, le demandeur d’emploi ne peut pas compter sur le fait que l'agence lui proposera des emplois en lien avec la formation qu'il aura suivie. Si l’agence n’est pas en mesure de proposer un emploi “convenable”, et que les efforts fournis par le demandeur d’emploi sont vains, il devra réajuster ses orientations et intérêts personnels en fonction des besoins. Après les trois premiers mois de chômage, le chômeur doit accepter tout type d'emploi qu'il est capable d'occuper. » (191)
Dans les modèles libéral et nordique, les sanctions sont plus discrétionnaires et le renforcement des obligations des demandeurs d’emploi résulte plutôt des changements progressifs de l’indemnisation et des modalités du parcours vers l’emploi. Au Royaume-Uni, la décision de sanctionner un demandeur d’emploi fait beaucoup appel à l’appréciation des conseillers du Jobcentre. D’après les experts auteurs de la monographie sur la Suède réalisée dans le cadre de l’étude annexée au présent rapport, les sanctions sont considérées dans ce pays comme un dernier recours et non comme un instrument sensé favoriser le retour à l’emploi, ce qui reste l’objectif du parcours contraignant imposé au demandeur d’emploi : « afin de limiter le nombre de sanctions et d’interruption des aides, le SPES (192) essaie de tenir les chômeurs régulièrement informés des termes et conditions de l’assurance chômage. » (193)
Ces éléments de comparaison mettent en évidence que, dans les pays dans lesquels le parcours des demandeurs d’emploi est très normé, l’augmentation progressive des contraintes du parcours personnalisé est considérée comme suffisamment incitative, tandis que les pays proposant des parcours plus personnalisés ont tendance à préciser les « droits et devoirs » du demandeur d’emploi.
● Jusqu’où renforcer les devoirs des demandeurs d’emploi ?
Par ailleurs, le renforcement de la conditionnalité observée dans tous les pays étudiés suscite des questionnements sur les éventuels effets d’aubaine qui pourraient en résulter pour les employeurs. En Suède, l’obligation de travailler à temps plein en échange des prestations sociales introduite par le gouvernement est une des rares mesures fermement condamnée par l’opposition et par les syndicats de salariés (cf. encadré infra).
En Suède, l’introduction d’un travail obligatoire d’insertion
en échange des prestations sociales est critiquée par l’opposition
En Suède, le parcours du demandeur d’emploi est rythmé par des phases successives. (194) Les demandeurs d’emploi bénéficient d’abord des services dans les agences locales du service public de l’emploi (195), tout en étant relativement autonomes. Au bout d’une période allant de 300 jours à 18 mois, les demandeurs d’emploi entrent dans un programme en trois phases appelé « Garantie emploi et développement ». La phase 1 est centrée sur l’accompagnement et la motivation du demandeur d’emploi, la phase 2 comprend des mesures en faveur de l’insertion dans l’entreprise, c’est-à-dire des stages et des contrats aidés.
La phase 3 est la plus contestée puisqu’elle prévoit que le demandeur d’emploi qui serait toujours au chômage en dépit des mesures de soutien et des formations d’adaptation pourrait être employé à temps plein en échange des prestations sociales. La phase 3 peut devenir permanente, avec un changement obligatoire d’employeur tous les deux ans. Dans l’esprit des concepteurs de la réforme, la phase 3 peut être un tremplin pour des personnes éloignées de l’emploi à la suite d’un ou plusieurs accidents de parcours, mais aussi remettre au travail des chômeurs et des assistés qui souhaiteraient bénéficier à vie des prestations sans travailler ou encore des invalides ou personnes handicapées qui ne pourraient retrouver un emploi autrement.
En juin 2011, l’opposition a cependant déposé une proposition de loi pour rendre optionnelle la phase 3, dénonçant les effets d’aubaine qu’elle induit pour les employeurs et le subventionnement d’emplois de mauvaise qualité.
Les initiatives consistant à conditionner les prestations sociales à une activité, même partielle, dans le secteur marchand ou non marchand, imposent de tenir compte de la situation spécifique de certains publics très éloignés de l’emploi. Il importe de faire en sorte que les emplois d’insertion, pensés pour être des tremplins, ne deviennent pas des « voies de garage » et que la recherche légitime d’un équilibre entre les droits et les devoirs du citoyen n’aboutisse pas au subventionnement massif d’un secteur à bas salaire, au profit des employeurs les moins scrupuleux.
3. Des modalités de mise en œuvre spécifiques, révélatrices du poids des contextes nationaux
Outre les convergences telles qu’observées précédemment, la comparaison révèle aussi des spécificités nationales dans la mise en œuvre des politiques de l’emploi, qui témoignent selon les cas du poids de l’organisation historique ou de choix récents plus ou moins performants.
a) Des modèles de gouvernance contrastés
La gouvernance des politiques de l’emploi est un des aspects essentiels des différences observées entre les pays. Elle peut être caractérisée suivant notamment deux axes : le degré de décentralisation des politiques de l’emploi et le rôle des partenaires sociaux.
● Un degré de décentralisation variable
Ainsi, bien que le Royaume-Uni et la Suède partagent un certain nombre de caractéristiques, leurs institutions sont relativement éloignées. Alors que le système britannique est décrit par l’étude réalisée par le cabinet Euréval comme « très centralisé », les municipalités suédoises ont une relative autonomie dans l’accompagnement de certains demandeurs d’emploi et ont maintenu des caisses d’assurance chômage gérées par les partenaires sociaux. S’agissant du service public de l’emploi, l’étude précitée souligne que le service public de l’emploi « reste relativement concentré en France, au Portugal et au Royaume-Uni. À l’inverse, la déconcentration donne une grande marge d’autonomie aux agences régionales et locales en Suède et encore plus en Allemagne. Cela tient aux origines historiques de l’assurance chômage, traditionnellement portée dans ces deux pays par les partenaires sociaux au niveau local. » (196)
La mise en œuvre des politiques de l’emploi est très différente en France et en Allemagne, dont les systèmes de protection sociale sont pourtant proches historiquement. Le fédéralisme allemand a pour corollaire l’existence de directions régionales, qui traduisent les objectifs nationaux en objectifs régionaux et locaux, orientent étroitement les agences locales et collaborent avec les Länder sur des programmes régionaux pour l’emploi ou dans le cadre de politiques économiques structurelles au niveau régional. La gouvernance du service public de l’emploi français confère beaucoup moins d’autonomie aux agences locales.
● Une implication inégale des partenaires sociaux
L’implication des partenaires sociaux diffère également fortement suivant les pays étudiés. Selon la même étude, « au Royaume-Uni et dans une moindre mesure au Portugal, la formulation des politiques relève essentiellement du gouvernement. […] En Allemagne, les partenaires sociaux jouaient un rôle important dans la définition des règles d’indemnisation du chômage au niveau national et dans sa mise en œuvre au niveau local. Ce rôle traditionnel reste d’actualité dans la mesure où les partenaires sociaux sont membres du conseil d’administration du service public de l’emploi et y font des contributions actives, comme par exemple lors de la gestion de la crise de 2008. Cependant leur poids a évolué à la suite des réformes du début des années 2000 et leur influence a été jugée comme déclinante [par une récente étude]. En Suède, la gestion et l’amélioration de la politique de l’emploi à l’échelle nationale sont une préoccupation centrale du gouvernement, mais la formulation des réformes politiques est largement influencée par les partenaires sociaux. » (197)
D’après l’étude réalisée par le cabinet Euréval, la France se situe dans une position intermédiaire : « les partenaires sociaux y ont un rôle fixé par le législateur à plusieurs niveaux : ils contribuent à la fixation des règles d’indemnisation du chômage, des règles relatives à l’affiliation et aux contributions sociales relevant du champ d’application du régime d’assurance chômage. Par ailleurs, au sein de l’Unedic, ils conservent la responsabilité de la gestion de l’assurance-chômage. » (198)
RÔLE DES PARTENAIRES SOCIAUX DANS LA GOUVERNANCE
DU SERVICE PUBLIC DE L’EMPLOI (2007)
Pays Fonctions |
Allemagne |
France |
Portugal |
Royaume-Uni |
Suède |
Indemnisation |
Tripartite |
Paritaire |
État |
État |
Paritaire |
Suivi / contrôle |
Tripartite |
Tripartite |
État |
État |
Tripartite |
Sanction |
Tripartite |
État |
État |
État |
Paritaire |
Modèle de gouvernance |
État et partenaires sociaux |
Intermédiaire |
État seul |
État seul |
État et partenaires sociaux |
Source : d’après Ferracci, 2007 in Étude comparée concernant la politique de l’emploi dans plusieurs pays européens, Euréval, décembre 2011, en annexe au présent rapport.
● Le « mille-feuille » français
Mais la France se distingue surtout des autres pays par la complexité de sa gouvernance, soulignée par la plupart des personnes entendues par vos rapporteurs, à l’instar de Mme Marie-Claire Carrère-Gée (199) qui jugeait indispensable de simplifier le « mille-feuille français ». Ce constat était déjà présent dans le rapport de M. Jean Marimbert sur le rapprochement des services de l’emploi en 2004, qui déplorait « l’extrême complexité de la physionomie actuelle des services publics de l’emploi » résultant d’une histoire sociale qui a engendré « le développement par strates d’un dispositif très éclaté de services d’accueil, d’orientation, et d’aide au placement des demandeurs d’emploi. » (200)
Aujourd’hui, outre le noyau du service public de l’emploi composé, au niveau national, des services de l’État en charge de l’emploi et de la formation professionnelle, de Pôle Emploi, de l’Association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et de l’Unédic, concourent également à la politique de l’emploi les collectivités territoriales et leurs groupements, chacune dans son domaine de compétences (201), ainsi que les « cotraitants » de Pôle Emploi – les missions locales pour le public jeune, Cap Emploi pour le public handicapé, ainsi que d’autres acteurs du monde associatif, éducatif ou professionnel sous réserve de conventions locales – et enfin les sous-traitants, c’est-à-dire les prestataires externes. Le service public de l’emploi français demeure donc éclaté par rapport à ses voisins, et ce en dépit de la fusion ANPE/Unedic. Dans une étude comparative récente, l’Inspection générale des finances dénombre huit organismes chargés du suivi et de l’indemnisation des demandeurs d’emploi en France, contre seulement quatre en Allemagne et deux au Royaume-Uni (202).
Compte tenu de cette fragmentation très forte du paysage institutionnel, M. Daniel Jamme, membre du Conseil économique, social et environnemental et auteur d’un rapport intitulé Pôle emploi et la réforme du service public de l'emploi : bilan et recommandations estime que « Pôle Emploi est appelé à jouer un rôle pivot afin de favoriser la coordination entre les multiples acteurs du service public de l’emploi. » (203)
Les rapporteurs considèrent qu’une plus grande coordination des composantes du service public de l’emploi est nécessaire et qu’une simplification du paysage institutionnel doit être recherchée à moyen terme. À cet égard, des initiatives locales de rapprochement des composantes du service public de l’emploi avec les acteurs de l’initiative économique (Chambre de commerce et d’industrie, Chambre des métiers, notamment) constituent des exemples pertinents. Vitré-Communauté, la communauté d'agglomération autour de la ville centre de Vitré, dans l'Ille-et-Villaine, a par exemple créé une Maison de l’emploi, de l’entreprise et de la formation professionnelle, réunissant sous une direction unique l’opérateur Pôle Emploi, Transitio CTP, une filiale de l’Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), le service Insertion de Vitré Communauté, le centre d'information et d'orientation, le point information jeunesse, une cyber-base d’offres d’emploi, la chambre d'agriculture, la chambre de commerce et d'industrie, ainsi que la chambre des métiers et de l'artisanat.
Des échanges entre les collectivités territoriales (conseils généraux, les communes et leurs groupements) devraient être favorisés pour identifier les meilleures pratiques en la matière.
Recommandation n° 5 : Lancer une expérimentation avec des collectivités territoriales volontaires sur le rapprochement des acteurs de l’Emploi, de l’Entreprise et de la Formation professionnelle sous une direction commune pour identifier et promouvoir les meilleures pratiques.
b) Des modes de gestion des ressources financières et humaines différents suivant les pays
● Une gestion souple et réactive des ressources humaines dans certains pays
Par lettre de mission du 18 juin 2010, le ministre de l’Économie, de l’industrie et de l’emploi et le secrétaire d’État à l’emploi ont confié à l’Inspection générale des finances (IGF) la réalisation d’une étude comparative sur les effectifs du service public de l’emploi (SPE) des principaux partenaires européens de la France, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne, afin d’éclairer le débat en France sur la « bonne taille » de l’opérateur principal Pôle emploi. Le rapport indique qu’à l’été 2010, le SPE français était moins doté en effectifs que les SPE allemand et britannique, en particulier en matière d’accompagnement des demandeurs d’emploi.
EFFECTIFS DU SPE RAPPORTÉS AU NOMBRE DE CHÔMEURS (2010)
Allemagne |
France |
Royaume-Uni | |
ETP pour 10 000 chômeurs au sens de l’Organisation internationale du travail |
420 |
215 |
221 |
ETP pour 10 000 chômeurs au sens des administrations nationales |
377 |
159 |
349 |
Source : IGF
Le SPE français paraît structurellement moins doté en effectifs que les SPE allemand et britannique, en particulier en matière d’accompagnement des demandeurs d’emploi, mission que les deux membres de l’Inspection générale des finances ont qualifiée de « sous dotée » en France. Selon leur rapport, « les écarts résultent selon les missions d’une productivité plus importante ou d’une moindre intensité de l’offre de services du SPE français. […] En ce qui concerne l’accueil des demandeurs d'emploi, le SPE français est probablement caractérisé par une productivité et une efficience plus grandes que celles de ses homologues, permettant de concilier un effectif limité et l’existence d’un réseau d’accueil de proximité relativement dense. »
Les pays étudiés se distinguent également par leur réactivité dans la crise. Les auteurs du rapport précité soulignent que la stratégie de sortie de crise, en Allemagne et au Royaume-Uni, s’est traduite par un renforcement massif des moyens consacrés à l’accompagnement, pour réduire la taille des portefeuilles de chaque conseiller, orientation facilitée par le recours aisé aux contrats à durée déterminée dans ces pays. Les pouvoirs publics britanniques ont embauché 16 000 conseillers supplémentaires au plus fort de la crise, alors que la France adoptait une démarche plus restrictive. En Allemagne, les agences pour l’emploi ont été renforcées par 5 000 emplois supplémentaires, correspondant à une dépense de 800 millions d’euros pour 2009 et 2010, payés pour moitié par l’État fédéral et l’Agence fédérale du travail (204). En France, la convention collective de Pôle Emploi prévoit un maximum de 4,5% de salariés en contrat à durée déterminée.
L’Inspection générale des finances a préconisé de favoriser l’adaptation conjoncturelle des effectifs de Pôle Emploi en permettant un recours plus important aux contrats à durée déterminée et s’est montrée convaincue de l’utilité de développer la sous-traitance, suivant des modalités performantes, en s’inspirant de l’Australie pour les contrats ou de l’Allemagne, qui a recours aux opérateurs externes via un système de « bon de placement ».
● Des tentatives peu concluantes pour recourir à l’externalisation de façon efficiente
L’externalisation des services aux demandeurs d’emploi est effectivement une tendance commune aux pays étudiés, à la faveur de l’abolissement du monopole de placement imposé par le respect du principe de libre concurrence garanti par les articles 85 et 86 du Traité de Rome.
D’après l’étude menée par l’Inspection générale des finances, en 2008, le placement par des prestataires privés « concernait 511 000 chômeurs en Allemagne, 481 000 en France et 728 000 au Royaume-Uni. Rapportés au nombre de chômeurs tiré des statistiques de l’OCDE, ces chiffres conduisent à des ratios de 16 %, 23 % et 30 % respectivement. » (205)
D’après l’étude réalisée à la demande des rapporteurs, « l’externalisation de l’accompagnement des demandeurs d'emploi c'est-à-dire la sous-traitance de tâches jusqu’alors assurées par le service public(206) s’est faite à des degrés divers et selon des modalités variées dans les pays considérés. […] Cette pratique est particulièrement marquée au Royaume-Uni où les opérateurs privés et associatifs sont rémunérés par le SPE pour suivre et accompagner les bénéficiaires des programmes Flexible New Deal ou Pathways to Work. L’externalisation est limitée aux prestations qui concernent les personnes les plus en difficulté. Un paiement aux résultats conduit à augmenter la rémunération du prestataire si la personne accompagnée retrouve rapidement un emploi. Tous les opérateurs privés sont tenus de respecter un seuil minimum d’exigences défini par le SPE en matière de niveau et de qualité de service. Cependant, en dehors de ces exigences, les prestataires sont libres d'organiser comme bon leur semble la mise en œuvre des prestations sans avoir à en rendre compte au SPE. (207) » (208) L’étude rappelle également que depuis 2005, la France expérimente le recours à des prestataires externes pour proposer aux demandeurs d’emploi les plus en difficulté un accompagnement renforcé. En Suède, certains services ont également été ouverts à la concurrence du secteur privé.
L’externalisation se développe donc à des degrés divers et de façon variée en Europe. Les pays étudiés ont également innové dans la recherche de modalités d’externalisation les plus efficientes possibles.
En Allemagne, « l’externalisation a été introduite en 2002. Les bénéficiaires du type d’allocation 2 (seuil minimum d’aide sociale) peuvent profiter de ce système sous certaines conditions. Quant aux bénéficiaires du type d’allocation 1 (assurance chômage), ils peuvent décider de recourir à un prestataire privé après six mois de chômage, grâce à une somme qui leur est allouée sous forme d’un “bon de placement” utilisable auprès des prestataires de leur choix. » (209) Ce système des « bons de placement » permet aux demandeurs d’emploi d’exercer individuellement leur droit à choisir librement parmi des prestataires concurrents, ce qui suscite des questions au regard de l’asymétrie d’information, dont pourraient être victimes les personnes les plus fragiles et les moins informées.
L’étude réalisée à la demande des rapporteurs rappelle ainsi qu’« une étude approfondie (210) a identifié des effets potentiellement négatifs, dont le plus important est le risque d’écrémage engendré par la rémunération au résultat. Si les opérateurs privés sont payés, au moins en partie, en proportion des retours à l’emploi, ils ont en effet une incitation à prendre en charge prioritairement les personnes les plus proches de l’emploi afin de présenter de bons résultats. Cet “effet pervers” peut être prévenu si, parallèlement à sa propre activité d’accompagnement, le SPE se charge également de surveiller le profil des personnes recrutées par les opérateurs privés. Le SPE britannique envisage d’aller plus loin en intégrant la distance à l’emploi dans le mode de calcul de la rémunération des opérateurs privés. » Lors du déplacement organisé à Londres les 18 et 19 juillet 2011, ces nouvelles modalités d’externalisation ont en effet été évoquées avec des représentants du National Audit Office (NAO) et de l’Institute for fiscal studies (IFS).
Toutefois, les représentants de l’Agence fédérale pour l’emploi – service public de l’emploi allemand – rencontrés à Berlin le 7 novembre 2011, se sont montrés dubitatifs sur l’externalisation, les prestataires externes ayant finalement montré une moindre efficacité que l’opérateur public (cf. infra, partie C.1.d.).
c) Des conceptions variées de l’accompagnement individualisé et une palette de prestations d’aide au retour à l’emploi propre à chaque pays étudié
● Un accompagnement dont le contenu varie considérablement en fonction du rôle du conseiller et de la fréquence des contacts
L’analyse du contenu de l’accompagnement proposé aux demandeurs d’emploi est également riche d’enseignements, compte tenu des différences importantes observées entre les pays. Selon l’étude réalisée à la demande des rapporteurs, « le face-à-face entre conseiller et demandeur d’emploi est au cœur des dispositifs d’insertion dans les pays considérés. » (211) Les différences observées sont de deux types : les premières ont trait au rôle et à l’autonomie des conseillers du service public de l’emploi ; les secondes à la nature et à la fréquence des contacts avec le demandeur d’emploi.
L’Allemagne se distingue des autres pays étudiés par l’absence de référent attitré à chaque demandeur d’emploi. D’après l’étude précitée, « les conseillers établissent des relations avec les employeurs du bassin d’emploi local afin d’identifier leurs besoins, puis ils proposent à l’employeur un candidat pour un poste vacant. Cette logique de traitement au cas par cas et en étroite relation avec les entreprises tend à améliorer les chances d’insertion des personnes les plus fragilisées. » (212)
En France, à l’inverse, chaque demandeur d’emploi se voit normalement attribuer un conseiller référent mais « l’organisation des services d’accompagnement aux demandeurs d’emploi repose sur une faible spécialisation des agents et une approche globale de l’intermédiation. Les conseillers sont polyvalents, dans la mesure où l’offre de services aux entreprises, qui émane tant de Pôle emploi que de ses cotraitants, est très fortement intégrée à celle destinée aux demandeurs d’emploi. » (213)
Alors qu’au Royaume-Uni et en Suède, les parcours sont très structurés et strictement définis, les conseillers du service public de l’emploi allemand paraissent plus autonomes puisque « le conseiller adapte la fréquence des entretiens et les mesures d’aide en fonction de son appréciation de la situation du demandeur. » (214)
L’élaboration du plan d’action individuel requiert dans tous les pays au minimum un entretien peu après l’inscription. Deux entretiens successifs sont mêmes prévus en Suède. « L’actualisation et la révision du plan d’action se font selon des modalités et fréquences variables, allant d’un entretien toutes les 2 semaines (France) à un entretien toutes les 8 semaines (en Suède, Allemagne). » (215)
Le rapport précité de l’Inspection générale des finances a relevé l’intérêt, au Royaume-Uni, de l’organisation rapide d’un premier entretien de 45 minutes, suivi de contacts très courts mais fréquents. L’intensité des contacts s’accroît au bout du 6e mois au chômage. Au bout de 12 mois, les demandeurs d’emploi sont orientés vers un sous-traitant, rémunéré selon ses résultats. Contrairement aux idées reçues, le rapport montre qu’au Royaume-Uni, la multiplication des contacts n’est pas perçue comme inquisitoire, mais comme une forme de soutien. Si celui-ci est sans doute superflu pour certains demandeurs d’emploi, plusieurs études concordantes semblent attester de l’efficacité de contacts fréquents et en tête-à-tête.
L’étude réalisée par le cabinet Euréval ajoute que « le conseiller personnalisé a pour unique mission l’aide et l’accompagnement, le contrôle étant assuré par une tierce personne. Pour proposer la solution la mieux adaptée au demandeur d’emploi, ce conseiller personnalisé est capable de mobiliser de nombreuses ressources relevant de domaines très divers : milieu professionnel de l’entreprise, services médicaux et sociaux, services de formation, etc. » (216)
Une réflexion sur l’intensité et la personnalisation de l’accompagnement du demandeur d’emploi, et donc sur le degré d’autonomie et les ressources pouvant être mobilisées par les conseillers du service public de l’emploi, paraît donc justifiée (cf. infra, C.1.b.).
● Des « palettes » de prestations d’aide au retour à l’emploi propres à chaque pays étudié
Contrairement au Royaume-Uni où ces prestations sont peu nombreuses, très ciblées et représentent un faible montant de dépenses (cf. supra, partie B.1.a.), les autres pays utilisent une palette variée de prestations d’accompagnement et d’aide au retour à l’emploi.
En particulier, la France a une approche très complète avec des prestations de toutes natures, dont les principaux sont les contrats aidés, les subventions à l’emploi et la formation professionnelle. Outre un recours élargi à l’ensemble des types de prestations recensées en Europe, le système français se caractérise par une multiplicité de dispositifs ciblés.
La Suède prône une approche très raisonnée, appuyée sur des apprentissages et des évaluations menées durant la crise économique des années 1990.
L’Allemagne a plus volontiers recours à la formation dans le cadre des dispositifs d’activité partielle. D’après l’ambassade de France en République fédérale d’Allemagne, le chômage partiel est l’instrument traditionnel de l’industrie allemande face aux crises conjoncturelles. Les entreprises y ont eu largement recours pendant la crise économique de 2008-2009 : 102 000 salariés étaient au chômage partiel en 2008, puis 570 000 en janvier 2009, puis 1 247 000 en mars 2009 avant une nette décrue depuis.
LES PRESTATIONS OFFERTES PAR PAYS
Pays Prestations |
Allemagne |
France |
Portugal |
Royaume-Uni |
Suède |
Subventions à l’emploi |
Aide temporaire aux employeurs qui embauchent des personnes de certains groupes cibles |
Création directe d’emploi : les Contrats d’avenir, les contrats d’accompagnement dans l’emploi et les contrats Emploi solidarité (217) |
Subvention à l’employeur (2 500 euros + exonération des charges sociales pendant 24 mois) pour l’embauche en CDI d’un chômeur de plus de 6 mois |
Subvention de 2340 euros pour l’embauche d’un participant au programme New Deal for Young People |
Subventions salariales, en particulier pour les personnes handicapées Dispositif « nouveau départ » pour les chômeurs depuis plus de 12 mois |
Aide à la création d’entreprise |
Subvention à la création d’entreprise pour une durée maximale de 90 jours |
Aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d’entreprise(218) |
Appui technique et aide au financement des projets des jeunes chômeurs de longue durée |
Aide d'un montant équivalent à l’allocation chômage + prime de 600 euros pour les participants au programme New Deal for Young People |
Aide pour les jeunes de moins de 25 ans participant au programme « Garantie d’activité jeune » |
Emplois spécifiques |
Emplois subventionnés dans le secteur non marchand Emplois très temporaires dans le secteur marchand destiné aux personnes éloignées du marché du travail (219) |
Nombreux dispositifs tels que: contrat de professionnalisation, contrat jeune en entreprise, entreprise d’insertion par l’économie, association intermédiaire |
Emplois occupationnels au sein de structures publiques ou privées non lucratives |
Emplois dans le secteur de l’environnement ou dans le secteur associatif pour les participants au programme New Deal for Young People |
Emplois de développement subventionnés, emplois sécurisés et emplois publics protégés |
Formation |
Bons de formation délivrés par le conseiller Formations courtes qualifiantes destinées aux personnes proches du marché du travail en entreprise ou en milieu scolaire |
Allocations de formation, formation institutionnelle (stages, formations conventionnées), formations en alternance, apprentissage |
Formation en apprentissage Dispositif de rotation-formation Cours de spécialisations |
Formations générales ou professionnelles à temps plein (peu fréquent) |
Formations courtes, orientées vers l’industrie, la santé et le transport |
Autres aides |
Aide spéciale en cas d’addiction, de surendettement, d’enfant à garder |
Aide à la garde d'enfants pour les parents isolés (AGEPI) |
Aide à la mobilité géographique pour un emploi à plus de 50 km du lieu de résidence |
Aide spéciale, ex. : pour achat de vêtements |
Source : Étude comparée concernant la politique de l’emploi dans plusieurs pays européens, Euréval, décembre 2011, en annexe au présent rapport.
La France et l’Allemagne se distinguent par le nombre de chômeurs aidés pour créer leur entreprise, avec une tendance croissante pour la France et décroissante pour l’Allemagne, où les crédits destinés à l’aide à la création d’entreprises sont actuellement en diminution (cf. supra, partie B.1.c.).
Il faut également souligner l’existence de dispositifs d’aide personnelle à la reprise d’activité (aide à la garde d’enfants, aide pour l’achat de vêtements etc.) dans tous les pays étudiés, à l’exception de la Suède, où les services publics et le système fiscal semblent lutter efficacement contre ce qu’il est convenu d’appeler les « freins périphériques » à la reprise d’un emploi.
Cette grande variété de dispositifs appelle une analyse en termes de performance. À l’exception du Royaume-Uni, les différents pays étudiés ont en effet recours depuis longtemps à ces dispositifs en faveur de l’emploi. Les réformes menées en Suède et en Allemagne font cependant suite à des évaluations de l’efficacité respective de ces différents dispositifs.
C.– LES LEÇONS DE LA COMPARAISON : DES ENSEIGNEMENTS ROBUSTES À DIFFUSER ET DES PROPOSITIONS CONCRÈTES À METTRE EN œUVRE EN FRANCE
1. Des enseignements peu nombreux mais robustes sur l’efficacité des politiques de l’emploi
L’information sur la performance respective des différents dispositifs est lacunaire mais la synthèse des évaluations et des travaux académiques, réalisée à la demande des rapporteurs, permet de dégager quelques grands enseignements.
a) Les exonérations de cotisations sociales sur les salaires des moins qualifiés suscitent des questionnements
Les subventions en faveur de l’emploi sont fréquemment critiquées à l’issue des travaux d’évaluation, au regard des effets dits « d’aubaine » ou « de file d’attente » qu’elles peuvent induire. Dans le premier cas, l’entreprise aurait embauché même en l’absence de la subvention : celle-ci représente donc une aubaine. Dans le second cas, le dispositif a pour seul effet de favoriser l’embauche du public ciblé par la mesure, au détriment des autres demandeurs d’emplois dans la « file d’attente », sans pour autant réduire le chômage global.
La Cour des comptes avait souligné à plusieurs reprises l’insuffisance des évaluations sur les nombreux dispositifs d’exonérations de charges sociales en dépit de la charge financière croissante qu’ils représentaient sur les finances publiques. En 2009, elle estimait que « s’agissant des allègements généraux sur les bas salaires, leur efficacité sur l’emploi était trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité. Quant aux allègements ciblés sur des territoires ou des secteurs d’activité, leur manque de lisibilité et leur impact limité sur l’emploi justifiaient un réexamen des différents mécanismes. » (220)
Toutefois, M. Francis Kramarz, directeur du Crest et membre du Conseil d’analyse économique, ainsi que du groupe d’experts sur le salaire minimum, a affirmé que les baisses massives de charges sur les bas salaires étaient la seule politique de l’emploi qui ait été efficace en France. (221) En effet, selon un récent rapport du Comité d’évaluation des dépenses fiscales et sociales (222), les allègements de charges sur les bas salaires ont été jugés efficaces et efficients : « parmi les niches sociales totalement efficientes […] la plus importante est le dispositif d’allègements généraux de charges sur les bas salaire (“ réduction Fillon”). Cette politique est considérée, de façon consensuelle, comme fortement créatrice d’emplois. Elle présente une excellente efficacité en termes de coût par emploi créé dans les conditions actuelles de fonctionnement du marché du travail français : en effet, la baisse du coût du travail est d’autant plus forte à enveloppe financière donnée qu’elle est concentrée sur les bas salaires (“effet d’assiette”). De plus, pour ces niveaux de rémunération, la sensibilité de la demande de travail des entreprises à son coût est particulièrement élevée ; ceci reflète notamment le déséquilibre entre offre et demande de travail non qualifié pouvant s’expliquer par la rigidité à la baisse pour les basses rémunérations liée au salaire minimum. »
Ce constat a également été partagé par M. Jérôme Vignon, qui a considéré que cette politique était un moyen de contourner les inconvénients du SMIC.
La comparaison entre les pays étudiés est troublante sur ce point. La Suède n’a en effet pas de salaire minimum. Le poids des partenaires sociaux et l’efficacité des transferts sociaux et fiscaux garantissent un niveau élevé respectivement de salaire et de ressources. Le salaire minimum au Portugal s’établit à un niveau très faible : 475 euros en 2010 (cf. tableau supra, section B.2.b.). Le Royaume-Uni a deux salaires minimum : le premier (223), de droit commun, s’établit à un niveau inférieur à celui du SMIC français (224) ; le second, encore inférieur, parfois appelé « SMIC jeunes » vise à rendre ces derniers plus compétitifs sur le marché du travail.
En Allemagne, les Mini et Midi-jobs, emplois à faible rémunération qui bénéficient d’une imposition et de charges sociales moindres, destinés aux personnes les plus éloignées du marché du travail, ont été introduits par les réformes Hartz.
Midi, Mini-jobs et Jobs à 1 euro en Allemagne
En Allemagne, une importante réforme du marché du travail est intervenue entre 2003 et 2005, par le vote de quatre lois successives appelées « lois Hartz », du nom de leur promoteur, ancien directeur du personnel chez Wolkswagen.
Notamment, la loi Hartz II a introduit une exonération de charges sociales pour les mini-jobs, emplois occasionnels, historiquement plus développés en Allemagne que dans d’autres pays européens et habituellement occupés par les étudiants, les femmes au foyer, les retraités, ou par des salariés en plus de leur activité principale. Depuis le 1er avril 2003, date de l’entrée en vigueur de la réforme, la limite de rémunération des activités à temps très partiel est passée de 325 à 400 euros. La limitation temporelle de 15 heures par semaine a été totalement supprimée. Les détenteurs d’un Mini-job ne versent ni cotisations sociales ni impôt sur le revenu. Cette franchise s’applique à ceux qui n’ont aucun autre revenu comme à ceux qui souhaitent compléter leurs revenus en plus d’un emploi principal. Dans ce dernier cas, leur employeur verse une somme forfaitaire de 25 % du salaire (12 % seulement dans le cas des emplois domestiques) qui se décomposent en : 12 % de cotisations aux assurances retraite, 11 % pour l’assurance maladie, ainsi que 2 % d’impôt sur le revenu. Le « mini-salarié » n’acquiert toutefois aucun droit en matière d’assurance maladie et seulement des droits très restreints pour sa retraite. Il peut néanmoins augmenter ces derniers en versant lui-même le complément de cotisations nécessaire (7,5 % de son salaire) à sa caisse d’assurance retraite.
Pour lisser la transition entre mini-job et activité plus importante, et ainsi éviter une « trappe à pauvreté », la loi a créé les midi-jobs. Ces midi-jobs se situent dans la zone de rémunération qui va de 401 à 800 euros et sont l’objet d’un régime de transition favorable aux salariés eu égard aux cotisations sociales. Alors que l’employeur verse la totalité des charges pour ses midi-salariés dès que le salaire atteint 401 euros, le salarié ne voit ses propres cotisations augmenter que de façon graduelle : elles passent progressivement de 4 % jusqu’au taux plein de 21 % pour un salaire de 800 euros. Les prestations des assurances maladie et chômage sont intégralement maintenues, en dépit de cotisations réduites. Les droits à la retraite peuvent être accrus, comme pour les mini-jobs, par le versement d’un complément de cotisations. Si les détenteurs d’un nouveau midi-job sont privilégiés au niveau du versement des cotisations sociales, tel n’est pas le cas pour l’impôt sur le revenu : ils sont tenus d’intégrer leur salaire à leur revenu global et de verser des impôts le cas échéant.
La réforme est donc avantageuse pour les élèves, les étudiants, et les retraités, qui ont vu leurs revenus augmenter avec le nombre d’heures. En revanche, si le mini / midi-salarié est un bénéficiaire de l’aide sociale, son activité professionnelle lui rapporte très peu : seuls les premiers 70 euros lui restent acquis (« franchise ») ; de 70 à 690 euros par mois, 85 % de ses revenus sont défalqués de l’aide sociale ; la part dépassant 690 euros par mois est défalquée à 100 % de l’aide sociale. les bénéficiaires de l’aide sociale perdent la totalité de leurs prestations au-delà de 15 heures par semaine (225).
Enfin, la loi Hartz IV de 2005 est la plus importante et la plus controversée : elle prévoit une réduction des indemnités versées aux chômeurs de longue durée qui refuseraient d'accepter des emplois en dessous de leur qualification. De plus, une nouvelle mesure « d’activation » destinée aux chômeurs de longue durée a été créée : pour conserver le bénéfice de leurs aides sociales, les chômeurs de longue durée sont tenus d’accepter des petits contrats temporaires, des 1-Euro-Jobs (ou emplois à un euro).
Source : Brigitte Lestrade , « Les mini-jobs, une perspective pour les chômeurs ? », Regards sur l'économie allemande, n° 67, juillet 2004.
Selon les chiffres de l’Agence fédérale pour l’emploi (226), entre 2003 et 2010, le nombre de personnes occupant un Mini-Job est passé de 5,53 millions à 7,27 millions (dont 4,6 millions de femmes), soit une hausse de 1,6 million sur cette période. En 2010, un travailleur sur 4 occupait donc un Mini-Job.
Le nombre important et croissant de « Mini-Jobbers » conduit à nuancer les chiffres du chômage. Plusieurs études et syndicats soulignent qu’une part significative des « Mini-Jobbers » (surtout les femmes majoritairement concernées par ces dispositifs) souhaiterait travailler davantage. Or, le Mini-Job a échoué dans son objectif de permettre une transition vers un Midi-Job ou un emploi régulier à plein temps. Au contraire, il conduirait à une précarisation croissante de l’emploi, de même qu’à une paupérisation des bénéficiaires dans la mesure où une rémunération de 400 euros est en deçà du salaire de subsistance.
Ces éléments semblent donc conforter l’idée d’un mouvement général de remise en question du salaire minimum, encouragé d’ailleurs par l’OCDE.
Toutefois, le 14 novembre 2011, lors du congrès du parti démocrate-chrétien (CDU) à Leipzig, la chancelière allemande, Mme Angela Merkel, a annoncé son intention d’instaurer un salaire minimum dans toutes les branches d’activité mais négocié secteur par secteur. Les syndicats allemands critiquent en effet les « mini-emplois », qui dans les faits sont surtout occupés par des femmes, accroissant ainsi leur vulnérabilité en cas de divorce, notamment.
Ce revirement illustre les difficultés auxquelles fait face le modèle social européen dans un contexte de crise et de forte compétition internationale. Compte tenu de la récession actuelle, les États européens hésitent à encourager la flexibilisation du marché du travail, de crainte qu’elle n’entraîne surtout, dans un premier temps, un recul en termes d’emploi et donc une hausse rapide des dépenses de protection sociale. Une telle hausse représenterait un coût trop élevé pour des États déjà fortement endettés.
b) L’accompagnement personnalisé et renforcé des demandeurs d’emploi est efficace
Selon les conclusions de plusieurs études concordantes, le renforcement du suivi individualisé des demandeurs d’emploi favorise le retour à l’emploi.
D’après l’étude réalisée à la demande des rapporteurs, « cette leçon s’appuie sur des analyses réalisées en Allemagne, France et Suède. En France et en Suède, les dispositifs testés ont porté sur un renforcement du conseil personnalisé complété par un accès à une gamme de services variés tels que des bilans de compétences et des aides à la définition d’un projet. […] Dans les trois pays, le retour à l’emploi a été amélioré par rapport aux modalités « normales » de suivi et d’accompagnement. »
En effet, en Allemagne, ce renforcement aurait augmenté le retour à l’emploi par rapport à l’accompagnement normal de 5 % après 12 mois tandis que la France constate une amélioration de 6 à 9 % après 12 mois. En Suède, quatre dispositifs pilotes d’accompagnement renforcé se sont montrés 25 % plus efficaces que l’accompagnement normal.
Bien que le contenu de ces initiatives d’accompagnement renforcé varie (bilans de compétence, coaching, ateliers collectifs, aides à la définition d’un projet, à la rédaction d’un curriculum vitae, entraînements à l’entretien d’embauche), les évaluations mettent en évidence plusieurs facteurs d’efficacité.
● L’intensification des échanges avec le demandeur d’emploi – De façon concordante, les études montrent que le taux de retour à l’emploi augmente avec l’intensité de l’accompagnement. Une récente étude (227) de l’Institut d’études de l’emploi allemand (Forschunginstitut zur Zukunft der Arbeit) a notamment démontré que le temps consacré à la recherche d’emploi est considérablement réduit à mesure que le chômage perdure. L’organisation d’un premier rendez-vous dès que possible avec le demandeur d’emploi et des contacts fréquents limitent le découragement systématiquement observé à mesure que la durée du chômage augmente.
● La personnalisation du suivi – L’étude précitée souligne également qu’une étude française montre un meilleur taux de retour à l’emploi lorsque l’accompagnement est plus personnalisé. Le profilage n’est pas nécessaire, selon certaines études suédoises, qui suggèrent qu’un bon conseiller est aussi efficace.
● Les qualités professionnelles du conseiller – Les qualités professionnelles des conseillers sont le corollaire de la personnalisation du service. « Le fait d'avoir été suivi par tel ou tel conseiller a un impact significatif sur le retour à l'emploi (jusqu'à ± 13 % de probabilité de retour à l'emploi après un an) », selon l’étude réalisée à la demande des rapporteurs. « Le succès de l’accompagnement tient principalement à la pratique du conseiller », c’est-à-dire de sa bonne connaissance du bassin d’emploi local, comme en Allemagne ; de sa capacité à mobiliser des aides utiles pour le demandeur d’emploi, comme au Royaume-Uni ; de sa connaissance des prestations d’aide au retour à l’emploi et de leurs effets ; de sa relation avec le demandeur d’emploi. Ces éléments plaident pour une autonomie accrue et un renforcement des qualifications des conseillers du service public de l’emploi.
Ces remarques générales sont valables pour tous les demandeurs d’emploi. Elles n’excluent pas, cependant, qu’une aide plus soutenue et appropriée puisse être apportée à des demandeurs d’emploi connaissant de grandes difficultés financières, sociales ou psychologiques (cf. infra, section C.2.a.)
D’après les seules informations disponibles sur le rapport coût – efficacité, produites par le service public de l’emploi suédois, le coût de l’accompagnement serait bien moindre que les autres mesures d’aide au retour à l’emploi, justifiant le recours presque exclusif à cette mesure au Royaume-Uni. Ce moindre coût est en partie expliqué par le fait que l’accompagnement seul est généralement proposé aux demandeurs d’emplois les moins en difficulté (cf. tableau infra, deuxième ligne). Les « programmes de garantie » (228) sont un peu plus coûteux mais permettent d’aider des demandeurs d’emploi plus éloignés du marché du travail.
COMPARAISON DU COÛT DE CINQ TYPES DE SERVICES EN SUÈDE (2010)
Suivi-accompa-gnement |
Formation profession-nelle |
Placement / stage |
Programmes de garantie |
Emploi aidé | |
Coût en euros par participant sortant du chômage (dans les 6 mois après la sortie du dispositif) |
3 000 |
30 000 |
6 000 |
15 000 |
160 000 |
Distance des participants au marché de l’emploi (indice 0-1) |
0,12 |
0,14 |
0,21 |
0,16 |
0,32 |
Source : Euréval
COÛT PAR PARTICIPANT SORTANT DU CHÔMAGE POUR CINQ TYPES DE DISPOSITIFS D’AIDE AU RETOUR À L’EMPLOI EN SUÈDE (2010)
(en euros)
Source : Euréval, à partir des données du SPE suédois.
Les deux membres de l’Inspection générale des finances, auteurs de l’étude comparative sur les services publics de l’emploi en France, en Allemagne et au Royaume-Uni, concluent pour leur part que le renforcement des moyens dédiés à l’accompagnement peut générer des économies à terme, en réduisant la durée d’indemnisation.
c) La formation professionnelle ne facilite le retour à l’emploi que dans certaines conditions
D’après l’étude réalisée à la demande des rapporteurs, « le moindre recours aux formations, la réduction de la durée des formations et le développement des formations en alternance sont des options qui se sont souvent révélées efficaces pour le retour à l’emploi à court terme […] Sachant que ces options impliquent souvent des diminutions de coût, elles sont potentiellement porteuses de gains d’efficience. Cependant, ces gains n’ont pas été évalués empiriquement. »
Le service public de l’emploi suédois propose de moins en moins de formations longues. En effet, selon les travaux synthétisés dans l’étude réalisée par le cabinet Euréval, l’efficacité des formations dépend de trois variables qu’il faut prendre en compte pour que les formations produisent des effets bénéfiques :
● Le temps de la formation et de ses effets – Les formations ne favorisent pas le retour à l’emploi à court terme et pour cause, puisque le demandeur d’emploi formé n’est pas dans l’emploi (« effet de verrou »). Les effets bénéfiques de la formation professionnelle apparaissent à plus long terme : les emplois obtenus à la suite d’une formation proposée dans le cadre d’un projet de retour à l’emploi sont plus durables et de meilleure qualité. Une étude allemande (229) montre également que la formation a un impact positif sur l’emploi (+ 10 %) à moyen terme (2 à 3 ans). De façon assez inattendue, « des études récentes ont identifié un “effet de dissuasion” engendré par certaines prestations d’aide au retour à l’emploi. Ainsi, la perspective de devoir s’engager dans une formation obligatoire à temps plein pousse certains bénéficiaires à intensifier leur recherche d’emploi et/ou accepter plus facilement les emplois qui leurs sont accessibles. L’impact de ce mécanisme sur le taux d’emploi a été estimé à 7 points dans les pays du nord de l’Europe où les programmes destinés aux chômeurs sont à la fois généreux et contraignants. » (230)
● Les liens entre la formation et le monde professionnel – Une étude allemande montre que les formations incluant un stage en entreprise ont un meilleur impact sur le retour à l’emploi (231).
● Les besoins du public bénéficiaire – l’expérience suggère également qu’il n’est pas des plus utile de proposer une formation longue à des jeunes qualifiés, qui ont plutôt besoin d’expérience professionnelle, ou à des jeunes sans diplômes qui peuvent rencontrer en formation des difficultés similaires à celles qu’ils ont connu durant leur scolarité.
En conclusion, « la formation n’est pas une réponse à court terme au chômage, sauf à être brève et professionnalisante » (232). Toutefois, elle permet d’accéder à des emplois de meilleure qualité et peut être opportunément prescrite aux demandeurs d’emplois en période de récession.
Des études concordantes montrent en effet que « la formation longue est relativement plus efficace en temps de crise, d'une part parce qu'elle a un meilleur impact à long terme dans ce contexte, mais aussi parce que l’effet de verrou a une influence moins négative en période de récession. » Ces éléments confortent la pratique, très développée en Allemagne, consistant à encourager les formations professionnelles pendant les périodes d’activité partielle (dit « chômage partiel » en France). Ce type de mesure est très utilisé en Allemagne où les employeurs, en particulier dans l’industrie, compte tenu des perspectives démographiques, sont soucieux de conserver leurs employés qualifiés.
RÉCURRENCE AU CHÔMAGE POUR CINQ TYPES DE DISPOSITIFS EN SUÈDE
(pourcentage de participants ayant retrouvé puis perdu un emploi
dans les 12 mois suivant la fin du programme)
Source : Euréval, d’après les données du SPE suédois.
En France, le recours à l’activité partielle se développe, même si la structure de l’économie française, où le secteur des services est particulièrement développé, en fait une mesure moins prisée qu’en Allemagne et plusieurs dispositions encouragent son articulation avec la formation professionnelle.
L’articulation entre activité partielle et formation en France
Les partenaires sociaux ont mis en place un ensemble de dispositions pour favoriser le recours à l’activité partielle dans la période récente à travers diverses dispositions de l’accord national interprofessionnel du 8 juillet 2009 relatif à la gestion sociale des conséquences de la crise économique sur l’emploi et à travers l’accord national interprofessionnel du 2 octobre 2009 relatif au chômage partiel.
D’après un rapport parlementaire récent (233), « des progrès restent manifestement à faire pour mieux articuler chômage partiel et formation, si l’on en croit le rapport public pour 2011 de la Cour des comptes, lequel, se fondant sur l’expérience récente de la crise financière, regrette “une articulation encore embryonnaire entre chômage partiel et formation”, en l’absence d’obligations légales ou réglementaires en la matière. La cour souligne également la difficulté pratique à mettre en œuvre des formations dans le cadre de périodes de chômage partiel, du fait du cloisonnement des dispositifs de formation (et de leurs financements) selon qu’ils ont vocation à trouver place dans le temps de travail ou hors de celui-ci. La cour relève enfin “l’absence de suivi précis et rigoureux par les services du ministère chargé de l’emploi de la qualité de cette articulation entre chômage partiel et formation”. »
Consultée dans le cadre des travaux du groupe de travail, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a estimé que les partenaires sociaux avaient mis en place tous les outils nécessaires au développement de l’activité partielle et à son articulation avec la formation professionnelle.
« Si la nécessité s’en fait sentir, les organisations représentatives des employeurs et des salariés, comme elles l’ont prévu dans le programme de l’Agenda Social qu’elles viennent d’élaborer, pourront bien entendu réactiver ou compléter les mécanismes existants en matière de chômage partiel. »
S’agissant de l’articulation avec la formation professionnelle, la CGPME a rappelé les récentes améliorations introduites par « les accords nationaux interprofessionnels du 7 janvier 2009 et du 5 octobre 2009 repris par la loi du 24 novembre 2009. Les derniers textes réglementaires concernant la mise en œuvre de l’intégralité du dispositif viennent à peine de paraître. […] tous les instruments sont là. Il convient de les utiliser pleinement. De plus, il y a lieu de laisser à ces différents instruments, dont plusieurs sont novateurs, notamment la préparation opérationnelle à l’emploi – POE –, le temps de produire leurs effets en ayant présent à l’esprit que les entreprises, notamment les PME, ont besoin d’une véritable stabilité législative. » (234)
d) Les prestataires externes ne sont pas plus efficaces que l’opérateur public
Selon l’étude réalisée à la demande des rapporteurs, « le Royaume-Uni est le pays qui a le plus développé l’externalisation et la rémunération des opérateurs en fonction du retour à l’emploi. Une étude réalisée au début de ce processus dans le cadre des “employment zones” a montré des effets positifs. On peut toutefois regretter l’absence d’évaluation plus récente du système britannique d’incitation financière à la performance, car plusieurs évaluations d’un dispositif américain similaire ont pointé les risques d’écrémage induits par la rémunération au résultat. » Le service public de l’emploi britannique tente actuellement de limiter les risques d’écrémage en incluant un critère d’éloignement du marché du travail dans la rémunération du prestataire au résultat. Si les prestataires externes ne sont pas plus efficaces que l’opérateur national, l’externalisation est cependant perçue comme un instrument de flexibilité et permet de proposer une offre de service plus adaptée à certains groupes ciblés (chômeurs de longue durée ou personnes handicapées).
L’étude précitée confirme l’impression ressentie lors des déplacements au Royaume-Uni et en Allemagne : outre le risque de voir les prestataires se concentrer sur les demandeurs d’emploi les moins en difficulté (« écrémage »), plusieurs expérimentations conduites en France, en Suède et en Allemagne montrent que les prestataires privés ne sont pas plus efficaces que l’opérateur public.
Elle souligne que « l’accompagnement externalisé [a] un impact légèrement plus tardif et plus faible (- 2 %) en termes de sortie vers l’emploi. D’un côté comme de l’autre, les modalités d’accompagnement sont similaires en termes de contenu, d’organisation, d’affectation de conseillers dédiés avec des « portefeuilles » réduits de demandeurs d’emploi, de méthodes, d’outils de travail et d’innovation. Il apparaît que le service public a fait des propositions d’emploi particulièrement bien adaptées aux attentes des bénéficiaires et que les prestataires privés ont particulièrement soigné l’appui méthodologique à la recherche d’emploi. » Ce constat français est confirmé par une étude suédoise similaire (235), qui conclut aussi à un impact identique entre public et privé.
Toutefois, la mise en concurrence des prestataires externes et de l’opérateur national dans l’expérimentation menée en France semble avoir créé une émulation réciproque. Ainsi, le rapport de synthèse du Comité de pilotage de l’évaluation sur les expérimentations d’accompagnement renforcé des demandeurs d’emplois conduites par l’Unédic et l’ANPE en 2007 (236) souligne que les deux types de programmes – publics, d’une part, privés, d’autre part – « ont un impact supérieur dans les zones où ils ont été conjointement déployés. »
e) Les contrats aidés ne doivent pas se substituer à des emplois normaux mais peuvent être utilisés de façon ciblée
Les contrats d’insertion, aussi appelés « contrats aidés », sont fréquemment mis en cause par les évaluations d’impact. Dans le secteur non marchand, les contrats aidés auraient le même effet « verrou » qu’une formation longue sans toujours procurer aux demandeurs d’emplois concernés des qualifications qu’ils puissent faire valoir sur le marché du travail. D’après M. Antoine Magnier, directeur de la Dares, les évaluations tendent à démontrer que les contrats aidés constituent l’une des mesures les moins efficaces et les plus stigmatisantes (237). Dans le secteur marchand, des effets « d’aubaine » et de « file d’attente » sont observés : soit l’entreprise aurait embauché de toute façon, soit elle aurait pris un autre demandeur d’emploi. De plus, selon l’étude réalisée à la demande des rapporteurs, les contrats aidés font également partie des mesures les plus coûteuses (cf. tableau supra C.1.b.).
En dépit de ces faiblesses, le recours aux contrats aidés ne doit pas être écarté systématiquement. À l’inverse, ils peuvent être utilisés comme en Suède dans certaines circonstances pour pallier des difficultés temporaires.
● Un « coup de pouce » pour dénouer des situations difficiles ou en période de crise – Lorsque des difficultés transitoires éloignent des personnes actives du marché du travail, leur employabilité décroît à mesure que la durée de chômage augmente, accroissant les risques de pauvreté, de perte de qualification (effets dits « d’hystérèse » (238)). Les contrats aidés peuvent être des instruments de souplesse dans des situations individuelles difficiles ou en période de crise économique pour éviter les conséquences à long terme du chômage. Il existe nombre d’exemples de personnes, qui se sont vus « donner une chance » à l’occasion d’un contrat de ce type dans les collectivités territoriales et qui sont devenus par la suite des professionnels reconnus.
● Des emplois aménagés pour des publics structurellement éloignés du marché du travail – Tous les publics ne sont pas en mesure de s’insérer sur le marché du travail normal, sans aménagements. Les contrats aidés dans le secteur non marchand font partie des mesures permettant d’éviter une alternative trop brutale entre, d’une part, le marché du travail normal, et d’autre part, l’incapacité.
● Une mesure d’insertion pour les chômeurs de longue durée – Les contrats aidés peuvent constituer des mesures d’insertion efficaces pour les publics éloignés de l’emploi. Toutefois, les débats actuels en Suède sur la politique gouvernementale consistant à rendre obligatoire l’exercice d’une activité d’insertion pour les chômeurs de longue durée témoignent de plusieurs interrogations. Les syndicats ont notamment dénoncé les risques de voir ces emplois se substituer à des emplois normaux et compromettre la qualité de l’emploi (dumping social).
En tout état de cause, les rapporteurs jugent indispensable de stabiliser les dispositifs et les moyens qui y sont affectés. Les changements incessants de règles concernant les contrats aidés (nombre, montant de l'aide de l'État, conditions de renouvellement durée et qualité des contrats…) ont des effets très déstabilisants pour les structures qui les emploient (associations, collectivités) mais surtout pour les bénéficiaires. Il faut assurer au dispositif des contrats aidés de la visibilité, de la stabilité et de la continuité dans le temps.
Recommandation n° 6 : Mettre un terme à l’instabilité juridique et financière relative aux contrats aidés, qui nuit à l’efficacité de ces dispositifs et veiller à des durées de contrat suffisantes pour permettre un accompagnement, une formation et une insertion durable des bénéficiaires.
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Les enseignements accumulés sur l’efficacité des politiques de l’emploi tendent donc à montrer que la combinaison de plusieurs dispositifs permet de répondre efficacement aux besoins des demandeurs d’emploi. Les écueils sont pourtant nombreux : les risques d’effets d’aubaine, de sélection, de « file d’attente », d’« écrémage » ont été clairement mis en évidence par les travaux économétriques. La performance des politiques de l’emploi nécessite donc d’utiliser les différents outils avec discernement.
L’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi, à la fois efficace et efficient, doit être privilégié et développé en France.
Les prestations d’aide au retour à l’emploi doivent être dispensées de façon ciblée, pour les publics et dans les cas où elles sont les plus efficaces :
– les subventions et les exonérations de charges sociales pour les plus bas salaires et les publics les plus éloignés de l’emploi ;
– les formations professionnelles, en période de récession préférablement, pour améliorer la qualité de l’emploi ;
– les contrats aidés pour donner un « coup de pouce » temporaire.
D’autres prestations comme les aides à la création d’entreprise restent encore sous-évaluées en France comme ailleurs mais pourraient avoir des effets bénéfiques à condition d’être accompagnées d’un soutien à plus long terme pour les plus petites entreprises.
2. Des propositions pour améliorer l’accompagnement des demandeurs d’emploi en France
Dans un ouvrage récent (239), M. Philippe Askenazy, économiste, membre du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap), a affirmé que le chômage de masse en France était dû à l’application de politiques économiques inadaptées, qui trouverait son origine dans une lecture conjoncturelle et erronée de la crise des années 1970-1980, et par l’obsession partagée par l’ensemble de classe politique française d’un retour au plein emploi à court terme.
Lors de son audition par le groupe de travail, le 17 avril 2011, il a insisté sur la poursuite vaine du « mythe nordique » ou du « miracle économique allemand » et préconisé de considérer les politiques dans leur globalité. Par exemple, le modèle allemand se caractérise, selon lui, par une forte compétitivité, liée à une industrie dynamique et exportatrice, par un grand nombre de jeunes en apprentissage d’autant plus facilement embauchés que le coût de leur travail est moindre que celui des ouvriers. En revanche, ces résultats sont obtenus au détriment des femmes et des employés du secteur tertiaire, qui supportent l’essentiel de la modération salariale, tandis que la faible natalité constitue la faille de ce modèle sur le long terme.
Les recommandations qui suivent tiennent compte de cette réflexion et des autres remarques de méthode formulées notamment dans la première partie du présent rapport. Elles ne proposent pas « l’importation » d’un modèle idéal mais essaient de tenir compte à la fois des enseignements généraux soulignés précédemment et de la réalité de la situation française évoquée au cours des auditions menées par le groupe de travail.
a) Renforcer l’accompagnement personnalisé et adopter une approche globale du demandeur d’emploi
● Les modalités d’un accompagnement renforcé
Les rapporteurs souscrivent au constat exprimé par les associations de demandeurs d’emploi, l’ensemble des syndicats de salariés et par les représentants du personnel de Pôle Emploi, qui ont tenu à rappeler, à l’instar de Mme Françoise Kermogant, déléguée centrale de Force ouvrière à Pôle Emploi que « le demandeur d’emploi demande à un organisme comme le nôtre une porte unique, ce qui n’exclut pas deux guichets puisque, une fois qu’il a poussé la porte, il peut parfaitement passer d’un bureau à un autre. La première préoccupation de quelqu’un qui vient de perdre son emploi, et c’est parfaitement légitime, c’est de savoir comment il sera indemnisé. Une fois qu’il est rassuré, on peut lui parler orientation, formation, reclassement. Mais une chose après l’autre. » (240)
Les travaux d’évaluation et les personnes entendues dans le cadre des travaux du groupe de travail, ainsi que les rapports les plus récents comme ceux de l’Inspection générale des finances (241), du CESE (242), et du Sénat (243), sont unanimes : il faut renforcer l’accompagnement des demandeurs d’emploi en France et rechercher une plus grande personnalisation du service aux usagers. La fréquence des entretiens améliore le suivi, renforce la confiance entre le demandeur d’emploi et le conseiller et permet de prévenir efficacement les erreurs ou les fraudes. Selon le rapport de l’IGF précité, « l’action du SPE, focalisée sur l’intensification des contacts avec les demandeurs d’emploi en Grande Bretagne et en Allemagne, entraîne une sortie plus précoce du chômage pour une fraction significative de demandeurs d’emploi lorsqu’elle est bien ciblée ; cette moindre durée du chômage se traduit par une diminution des dépenses d’indemnisation pesant sur les finances publiques, ce qui peut conduire à une économie supérieure aux coûts engendrés par l’intensification des contacts »
Concrètement, ce renforcement paraît pouvoir s’articuler autour de trois propositions phares :
– programmer deux entretiens très rapprochés au début du parcours personnalisé, l’un sur l’indemnisation, l’autre sur le projet professionnel ;
– organiser dès que possible le premier entretien, qui doit rassurer le demandeur d’emploi sur sa situation et lui permettre de se projeter dans un projet professionnel ;
– augmenter la fréquence des contacts avec les demandeurs d’emploi en privilégiant des contacts brefs, téléphoniques ou électroniques pour ceux qui sont demandeurs et des rendez-vous plus approfondis avec ceux qui sont les plus éloignés de l’emploi.
Recommandation n° 7 : mettre en œuvre un accompagnement renforcé
– Programmer deux entretiens très rapprochés au début du parcours personnalisé, l’un sur l’indemnisation, l’autre sur le projet professionnel.
– S’inscrire effectivement dans l’objectif d’organiser le premier entretien cinq jours après l’inscription à Pôle Emploi.
– Intensifier les contacts avec les demandeurs d’emploi.
● Le rapprochement des acteurs de l’insertion professionnelle et sociale au niveau local
La mise en place du RSA en 2008 rend nécessaire le rapprochement des acteurs de l’insertion professionnelle et ceux de l’insertion sociale, en particulier dans le contexte institutionnel français, qui se caractérise par une multitude d’intervenants. L’accompagnement des bénéficiaires du RSA vers l’emploi est source d’efficience à long terme mais il nécessite des investissements dans un premier temps, ainsi que des échanges entre les acteurs au niveau local.
Selon les propos de M. Arnaud Richard, rapporteur pour avis de la commission des Affaires sociales sur le projet de loi de finances 2012 pour les crédits de la mission Travail et Emploi, « la territorialisation de Pôle Emploi se trouve encore aujourd’hui au milieu du gué. Tant le rapport du Conseil économique, social et environnemental que celui du Sénat parus avant l’été soulignent les insuffisances des démarches entreprises par Pôle Emploi et appellent à un renforcement de la coordination avec les autres acteurs du service public de l’emploi et plus particulièrement avec les co-traitants, de manière à éviter les chevauchements d’actions, à accroître la lisibilité pour le public et à éviter les mises en concurrence entre acteurs. […] La territorialisation (au double sens d’adaptation aux caractéristiques locales et de complémentarité avec d’autres acteurs) et la déconcentration (délégation de compétences et subsidiarité) constitueraient des leviers importants pour répondre aux attentes et aux besoins du public. Une telle démarche s’inscrirait en outre dans la continuité de la “personnalisation” de l’offre de services » (244)
C’est pourquoi les rapporteurs proposent tout d’abord de veiller au renforcement de ces échanges, grâce à un pilotage de haut niveau associant les préfets et les présidents de conseils généraux. Il paraît de surcroît indispensable
– de mobiliser les conseils généraux et leurs services, dans le cadre des Plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE) par exemple ;
– d’organiser des rencontres et des formations communes aux conseillers de Pôle Emploi et aux travailleurs sociaux pour tenir compte des besoins spécifiques des bénéficiaires du RSA (cf. infra, partie III) ;
– d’encourager le développement de guichets uniques partagés entre travailleurs sociaux et conseillers de Pôle Emploi, dans la logique du « référent unique » du dispositif du RSA.
● La lutte contre des freins dits « périphériques » au retour à l’emploi
L’adoption d’une approche globale du demandeur d’emploi nécessite également un abandon de la logique « de statut » qui a prévalu jusqu’à présent. Plusieurs aides à la reprise d’activité ont été mises en place pour lutter contre ce qu’il est convenu d’appeler « les freins périphériques » au retour à l’emploi : les problèmes de santé, de transport, ou de garde d’enfants, qui sont loin d’être négligeables.
Les aides à la mobilité, l’aide au permis de conduire B, l’aide différentielle de reclassement (245) (dispensées par Pôle Emploi), et l’aide à la garde d’enfants pour parents isolés (AGEPI) sont proposées par Pôle Emploi. L’aide personnalisée au retour à l’emploi (APRE) est dispensée par le guichet qui suit, en l’espèce, un bénéficiaire du RSA donné (département, Pôle Emploi ou prestataire privé). Bien que cette aide soit théoriquement adaptée aux besoins du demandeur d’emploi à la discrétion de son conseiller, plusieurs personnes entendues par le groupe de travail ont regretté que des critères d’attribution aient été réintroduits, altérant leur efficacité et dévoyant l’idée initiale d’un « coup de pouce » facilement accessible.
Les rapporteurs préconisent donc
– de préserver les moyens consacrés à ces aides ;
– de confier la décision d’attribution aux conseillers et travailleurs sociaux ;
– de travailler avec les conseils généraux et leurs services à l’élaboration d’une charte d’utilisation de ces aides pour les conseillers et les travailleurs sociaux et de renforcer l’information des acteurs sur l’intérêt d’utiliser ces outils avec souplesse.
● L’accompagnement des demandeurs d’emploi en amont et en aval de la perte ou de la reprise d’un emploi
Enfin, l’approche globale consiste également à accompagner les demandeurs d’emploi dès que possible et aussi longtemps que nécessaire.
Selon Mme Véronique Hespel et M. Pierre-Emmanuel Lecerf, auteurs de l’étude précitée de l’IGF sur les effectifs des services publics de l’emploi en Europe, l’idée d’une intervention en amont et en aval de la perte de l’emploi ou du retour à l’emploi, telle que pratiquée en Allemagne, où les entreprises qui licencient doivent prévenir la Bundesagentür für Arbeit, a reçu un accueil très favorable à Pôle Emploi.
Plus particulièrement, les personnes entendues par les rapporteurs se sont fait l’écho des conditions dans lesquelles se terminaient les contrats aidés, du jour au lendemain. La reprise d’un contact avec Pôle Emploi lorsque le travailleur est encore dans l’emploi serait de nature à favoriser sa transition vers un autre emploi. Ce suivi en aval du chômage requiert une réflexion sur une modification des conditions de gestion des fichiers de Pôle Emploi.
Recommandation n° 8 : adopter une approche globale du demandeur d’emploi
– Renforcer la coordination entre les acteurs de l’aide sociale et ceux du retour à l’emploi, grâce à un pilotage de haut niveau associant préfets, directeurs locaux de Pôle Emploi et présidents de conseils généraux.
– Préserver les moyens consacrés aux aides à la reprise d’activité comme l’aide au permis de conduire B ou les aides à la garde d’enfants pour lutter efficacement contre les freins au retour à l’emploi et donner plus de marges de manœuvre aux conseillers et travailleurs sociaux dans l’attribution de ces aides.
– Accompagner les bénéficiaires de contrats aidés en amont de la fin de leur contrat.
b) Renforcer les compétences et l’autonomie des conseillers de Pôle Emploi
● La revalorisation des métiers des conseillers professionnels
Le renforcement des compétences et de l’autonomie des conseillers et des travailleurs sociaux chargés de l’accompagnement est le corollaire du renforcement et de la personnalisation de l’accompagnement des demandeurs d’emploi.
Les conseillers allemands, suédois ou britanniques semblent avoir plus d’autonomie et de leviers que les conseillers français :
– les conseillers britanniques délivrent également des aides au logement ou des aides au paiement des impôts locaux et ce sont eux qui décident de la fréquence des contacts avec le demandeur d’emploi ;
– les conseillers allemands sont des experts du bassin d’emploi local et proposent les aides qu’ils jugent les plus utiles au demandeur d’emploi ;
– les conseillers suédois ont également une grande autonomie pour définir les besoins du demandeur d’emploi.
Au regard des expériences étrangères et des propos rapportés lors des auditions, les rapporteurs estiment que la France fait fausse route en voulant généraliser le métier unique. Au Royaume-Uni, le conseiller qui assiste le demandeur d’emploi dans l’élaboration de son projet professionnel n’est d’ailleurs pas le même que celui qui vérifie le respect de ses obligations de recherche d’emploi.
Si la poursuite du développement de la polyvalence, ou « polyactivité », peut se poursuivre sur la base du volontariat, force est de constater que tous les professionnels de l’accompagnement n’ont pas vocation à devenir des spécialistes de l’indemnisation et réciproquement. Il paraît plus utile de développer l’interdisciplinarité et les échanges. L’existence d’un référent unique constitue un facteur d’efficacité mais peut s’accommoder de plusieurs intervenants, de la même manière qu’un collégien a un professeur principal mais un enseignant par matière et que la plupart des Français ont aujourd’hui un médecin traitant, qui les oriente vers des spécialistes. Les rapporteurs jugent qu’il serait préférable de renforcer la formation des conseillers, considérablement réduite depuis la création de Pôle Emploi (de 6 mois à 4 jours, dans certains cas) et de favoriser l’échange de bonnes pratiques.
En revanche, la réduction des différences de statut ou de primes entre les agents doit être poursuivie.
Recommandation n° 9 : renforcer les compétences et l’autonomie des conseillers de Pôle Emploi
– Renoncer à la généralisation du métier unique tout en encourageant la polyvalence pour ceux qui le souhaitent.
– Renforcer la formation initiale et développer l’expertise des conseillers sur les bassins d’emploi.
– Accorder une plus grande autonomie aux conseillers en favorisant les échanges de bonnes pratiques.
Ces changements sont également de nature à changer le fonctionnement de l’opérateur et à réduire les risques psychosociaux, aujourd’hui croissants. Selon les syndicats de salariés et les représentants des salariés de Pôle Emploi entendus par le groupe de travail, « la situation à Pôle Emploi est dramatique. Le manque de moyens entraîne une carence dans la qualité de l’accueil et des services […] certains prennent des médicaments, le nombre d’arrêts maladie augmente à un rythme exponentiel. En outre, les agents absents ne sont pas remplacés, ce qui aggrave encore la situation. » (246) Ils ont également mentionné « des incidents de plus en plus fréquents, voire dramatiques » et rappelé que l’employeur avait une responsabilité au titre de la sécurité des biens et des personnes, qui comprend leur santé physique et mentale.
Comme l’a conclu M. Gaby Bonnand (CFDT), président de l’UNEDIC, « la mécanique administrative doit être changée, décentralisée pour donner plus de souplesse aux antennes et aux agents de sorte qu’ils soient remis au cœur du système, car qui mieux qu’eux peut, dans un cadre déterminé et collectif, bien sûr, connaître les besoins des demandeurs ? N’en restons pas à des outils nationaux appliqués administrativement à des publics normés ! » (247)
● Les moyens de Pôle Emploi
L’ensemble des personnes entendues par le groupe de travail, ainsi que tous les rapports précités de l’IGF, du CESE et du Sénat jugent aujourd’hui nécessaires de renforcer les moyens de Pôle Emploi. M. Yves Razzoli, conseiller confédéral en charge du dossier Emploi (CFTC), a relevé « le mécanisme paradoxal du financement de Pôle Emploi, qui a de l’argent quand il n’y a pas de chômeurs et qui n’en a pas quand il y a des chômeurs. C’est à ce niveau-là que l’État devrait intervenir. Tant que le problème ne sera pas réglé, Pôle Emploi se heurtera toujours à un problème de moyens. Le manque d’effectifs et de moyens est flagrant, criant même. » (248)
Selon le rapport de l’IGF précité, « Afin d’éviter que le surcroît d’activité généré par la hausse du chômage ne se traduise par une dégradation de l’offre de services aux demandeurs d’emploi, le SPE doit être en mesure de mobiliser, rapidement et à titre transitoire, des capacités supplémentaires. A cet égard, Pôle emploi semble présenter davantage de rigidités que ses homologues étrangers en matière de recrutement de personnels en CDD... »
Cet avis est partagé par les rapporteurs, qui jugent trop hâtive la réduction des crédits alloués au retour à l’emploi dans la récession considérée par le gouvernement comme « la plus sévère depuis la seconde guerre mondiale. » (249) (250) D’après le ministère de l’Emploi suédois, le manque d’efficacité du service public de l’emploi suédois dans la crise économique des années 1990 a durablement pénalisé l’emploi en Suède. La tiédeur s’est avérée plus coûteuse à moyen et long terme qu’une politique volontariste.
Les rapporteurs préconisent donc de s’inspirer de la réactivité et de la flexibilité des modèles allemand et britannique. Une forte réactivité du service public de l’emploi est souhaitable en période de crise, sous réserve que les dépenses engagées soient justifiées par leur efficacité (cf. supra). Ainsi, les effets de l’augmentation du nombre de contrats aidés décidée par le Gouvernement en 2011 devront être évalués. D’après les auteurs de l’étude précitée sur les effectifs des services publics de l’emploi en Europe, l’accroissement des dépenses à court terme est susceptible d’engendrer des économies en réduisant les dépenses d’indemnisation chômage. C’est pourquoi les rapporteurs proposent également de permettre un recours accru aux contrats à durée déterminée à Pôle Emploi, aujourd’hui limités à 5 % des heures travaillées, hors contrats aidés, par la convention collective.
Par la suite, la réduction des dépenses d’indemnisation doit permettre le retour à l’équilibre. Un redéploiement des effectifs, dès lors que la fusion est terminée, vers l’accompagnement et l’accompagnement en région serait souhaitable. Mais comme l’ont souligné les auteurs du rapport de l’IGF précité, « Dans le contexte actuel de contrainte budgétaire, un tel objectif peut être réalisé, au moins pour partie, au travers d’un redéploiement de personnels vers les services d’accompagnement […] Toutefois, sans une amélioration significative de la situation de l’emploi, ces leviers ne seront probablement pas suffisants pour permettre au SPE français d’atteindre les taux d’encadrement de ses homologues allemands et britanniques en matière de suivi des chômeurs. »
Recommandation n° 10 : l’adaptation des moyens de Pôle Emploi à la conjoncture et au niveau de chômage
– Adapter les moyens de Pôle Emploi aux besoins résultant de la conjoncture économique en permettant l’augmentation rapide du nombre de conseillers lorsque le chômage augmente.
– Dans cette perspective, permettre un recours accru aux CDD à Pôle Emploi.
c) Être plus à l’écoute des usagers
Selon l’étude réalisée à la demande des rapporteurs par le cabinet Euréval, il existe peu d’enquêtes sur la satisfaction des demandeurs d’emploi et leurs résultats sont peu significatifs. Le niveau de satisfaction dépend en effet essentiellement de la question posée et s’explique souvent par des facteurs géographiques ou sociaux. Selon l’étude précitée, en France, « l’enquête réalisée par le Service public de l’emploi montre un taux de satisfaction de 66 %. La satisfaction est plus élevée en ce qui concerne l’écoute et l’accueil (79 % et 75 %), et plus faible en ce qui concerne les services d’aide à la recherche d’emploi (52 %). Les publics les plus éloignés de l’emploi sont les moins satisfaits, de même que les personnes qui utilisent moins fréquemment les services de Pôle Emploi. Le taux de satisfaction est variable avec l’âge, il est de 75 % pour les plus de 55 ans et de 59 % pour les moins de 25 ans. »
Le 14 septembre 2011, les rapporteurs ont rencontré des représentants des principales associations de demandeurs d’emplois. Les demandeurs d’emploi déplorent un discours coercitif et culpabilisant, qui semble assez éloigné de celui des autorités britanniques ou suédoises (cf. supra, section B.2.c.). Selon une enquête française, 39 % des chômeurs éligibles n’ont pas fait valoir leurs droits à l’assurance chômage en 2010 (251) : « Les motifs de non recours sont au nombre de quatre : la balance des gains et des pertes financières peut ne pas pencher du côté de l’indemnisation ; l’information sur les règles d'éligibilité peut être imparfaite ; la demande peut être difficile à faire ; l'efficacité de l'accompagnement vers l’emploi peut ne pas être crédible. »
Le non-recours à l’assurance chômage est estimé à 39 % en France
« Pour prétendre à l’indemnisation chômage en France, un travailleur privé d’emploi doit satisfaire des critères portant notamment sur son ancienneté au travail et sa disponibilité à rechercher activement un emploi. Par exemple, entre 2003 et 2006, un individu de moins de 50 ans doit avoir travaillé au moins 6 mois dans les 22 derniers mois pour être éligible. Même pour les individus répondant à ces conditions, le versement de l’allocation n’est pas systématique : dans l’année suivant la perte de l’emploi, l’individu doit s’inscrire auprès de l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE) et déposer un dossier de demande d’allocations en y joignant les preuves justifiant son éligibilité. Pour être effectivement indemnisé, un chômeur éligible doit donc comprendre et entreprendre différentes formalités administratives. En exploitant les enquêtes Emploi de l’Insee pour la période 2003-2006, nous obtenons un échantillon de 1890 demandeurs d’emploi de moins de 50 ans pour lesquels nous pouvons établir l’éligibilité à l’indemnisation. 39% de ces individus ne s’inscrivent pas à l’ANPE au cours de leur épisode de chômage, s’empêchant ainsi de percevoir l’allocation. Certes, un problème de sous-déclaration pourrait affecter ce chiffre. Néanmoins, un travail que nous menons actuellement sur données administratives issues du FH-DADS (Appariement du Fichier Historique des demandeurs d’emploi et des Déclarations Annuelles des Données sociales) et non sujettes à ce biais, semblent confirmer ce constat (Blasco et Fontaine [2009]). Il faut cependant noter que le fait de ne considérer que les individus pour lesquels nous pouvons garantir l’éligiblité opère une sélection sur les données. Malgré ces réserves, ce non-recours significatif, non spécifique à la France, indique bien que des coûts sont associés à l’indemnisation (coûts de transaction, frictions dans le processus de recours) ou que certains chômeurs se considèrent à tort comme non éligibles. »
Source : Extrait de Étudier le non-recours à l’assurance chômage, Sylvie Blasco, François Fontaine, 2010.
Les revendications des demandeurs d’emploi semblent relever du bon sens : « introduire davantage de respect de la personne dans les lettres envoyées aux chômeurs ; fournir un livret d’accueil aux demandeurs d’emploi au moment de leur inscription avec les coordonnées des associations locales de chômeurs ; généraliser les panneaux d’affichage dans les agences et l’expression libre des organisations de chômeurs sur ces panneaux ; simplifier les règles d’indemnisation du chômage et d’accès aux mesures d’accompagnement ; lutter contre les radiations abusives et promouvoir les droits de la défense des chômeurs et précaires… » (252)
De façon générale, les associations de chômeurs regrettent de ne pas être plus associées à l’élaboration des politiques et des dispositifs les concernant. Ils ont mentionné l’existence d’un « Parlement des chômeurs » dans le Land de Thuringe, en Allemagne, ainsi qu’un réseau national très actif et systématiquement impliqué dans la gouvernance en Finlande. Ils ont jugé que les chômeurs et leurs représentants étaient déconsidérés en France, ajoutant que pour la plupart d’entre eux, il s’agissait de leur première rencontre avec des parlementaires.
Plusieurs initiatives récentes en faveur de l’expression des demandeurs d’emploi ont été relevées : un groupe de travail associant des représentants des associations de chômeurs et de Pôle Emploi a travaillé sur le contenu des courriers, avant d’être supprimé avec la généralisation de la dématérialisation ; le Grenelle de l’insertion (CNLE) a associé les représentants des chômeurs ; le Conseil national de la lutte contre l’exclusion a invité certaines associations, mais elles ne sont pas conviées de façon systématique etc. Des comités de liaison ont été mis en place au niveau régional mais ils avaient surtout vocation à être un lieu d’information des chômeurs, et non pas d’échanges. Les rapporteurs préconisent de revaloriser ces comités de liaison au niveau local et de permettre l’expression des associations de demandeurs d’emploi au niveau national en facilitant leur représentation dans des instances consultatives telles que le CNLE.
Les rapporteurs ont également entendu M. Jean-Louis Walter, médiateur de Pôle Emploi, qui a d’abord rappelé le volume considérable des dossiers traités par l’opérateur. Pôle Emploi gère environ 6 millions de dossiers par an. 300 000 réclamations sont formulées chaque année et seulement 15 240 arrivent au niveau du Médiateur. Jean-Louis Walter a indiqué que ce chiffre augmenterait probablement encore quelques années, à mesure que se développera la notoriété de l’institution. Les résultats du Médiateur, son efficacité, ne devraient pas être évalués à l’aune de ce chiffre. En revanche, la réduction du nombre total de réclamations pourrait être un objectif de long terme plus pertinent pour l’ensemble de Pôle Emploi.
Dix à quinze pourcent des réclamations reçues sont rejetées : les courriers d’humeurs, les demandes qui ne sont pas à proprement parler des réclamations et qui auraient du être adressées aux agences de Pôle Emploi, etc. Cet indicateur ne paraît pas très satisfaisant cependant : M. Walter indique que les rejets incluent formellement toutes les demandes n’ayant pas été satisfaites. Dans ce nombre, il y a cependant des usagers dont la demande ne pouvait être satisfaite mais qui l’ont accepté après avoir reçu une réponse explicative bien faite.
Dans son prochain rapport annuel, M. Walter souhaite étudier de façon approfondie l’ensemble des 300 000 réclamations formulées par les usagers, pour établir un diagnostic plus complet du niveau de satisfaction des usagers de Pôle Emploi, dépassant ainsi l’analyse de l’activité propre du Médiateur.
Les rapporteurs souscrivent à cette dernière idée, qui pourrait contribuer à améliorer la participation des usagers à l’évaluation des besoins et à la prise de décision.
Recommandation n° 11 : être à l’écoute des usagers
– Confirmer le rôle et l’importance des lieux d’échanges entre les associations de chômeurs et Pôle Emploi (comités de liaison) aux niveaux local et national.
– Confier au Médiateur la responsabilité d’un rapport annuel plus complet sur la satisfaction des bénéficiaires.
Plusieurs conclusions de cette étude appellent des réflexions complémentaires, compte tenu des interactions des politiques de l’emploi avec d’autres politiques sociales ou économiques. Le financement de la protection sociale est l’une de ces réflexions indispensables et urgentes. D’autres recommandations appellent cependant une mise en œuvre rapide. L’accompagnement personnalisé est un facteur d’efficacité mais plus encore une exigence morale. Aux « devoirs » des demandeurs d’emploi répondent les « devoirs » de la puissance publique. M. Gaby Bonnand, président de l’Unédic (CFDT) s’est inquiété des conséquences des politiques actives de retour à l’emploi : « peut-on vraiment, comme on envisage de le faire, considérer comme « emploi durable » une succession ininterrompue de contrats pendant six mois, sur une période totale de sept mois ? Non. Que Pôle Emploi devienne l’outil qui pourvoit de tels postes est problématique. M. Gaby Bonnand a également souligné la rotation croissante des emplois mise en évidence par les statistiques de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) : « hors intérim, 19 millions de recrutements en 2010, soit le nombre de déclarations uniques d’embauche (DUE) recensé par l’Acoss, et 32 millions avec l’intérim. Sur 19 millions, 12 millions sont des contrats de moins d’un mois. Il y a dix ans, les chiffres étaient deux fois moindres et on créait trois fois plus d’emplois nets. Autrement dit, si l’objectif de Pôle Emploi est uniquement le retour à l’emploi, Pôle Emploi deviendra un simple instrument de rotation de la main-d’œuvre. » Une politique active de retour à l’emploi doit donc avoir pour corollaire le développement d’emplois de qualité.
III.– L’ÉVALUATION DE LA PERFORMANCE COMPARÉE DE DEUX POLITIQUES SOCIALES À DESTINATION DES FAMILLES DANS CINQ PAYS EUROPÉENS
En France, comme dans d’autres pays en Europe, des enjeux majeurs, en termes économiques, sociaux et sociétaux, s’attachent aux politiques sociales à destination des familles.
En particulier, au regard des difficultés parfois rencontrées en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, qui peuvent être plus aiguës encore pour des parents seuls, les politiques publiques visant à favoriser cette articulation sont des instruments susceptibles de favoriser l’emploi des parents, mais aussi la qualité de l’emploi et l’égalité entre les hommes et les femmes.
Il apparaît dès lors nécessaire de créer les conditions d’un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, ainsi que d’améliorer l’accompagnement social et professionnel des parents isolés en situation de vulnérabilité, en vue de favoriser l’accès à l’emploi et de lutter contre la pauvreté au sein de ces foyers.
A.– DES POLITIQUES SOCIALES SUSCEPTIBLES DE CONTRIBUER À L’AMÉLIORATION QUANTITATIVE ET QUALITATIVE DE L’EMPLOI EN EUROPE
Si les politiques familiales apparaissent extrêmement variées en Europe, certaines problématiques communes ont progressivement émergé, sous l’impulsion notamment des organismes internationaux et communautaires, concernant en particulier le soutien à l’articulation entre le travail et la vie privée et, corrélativement, à l’emploi des femmes (1).
Ceci peut s’expliquer notamment par le fait que les mesures visant à favoriser cette articulation peuvent contribuer à accroître les performances économiques et sociales générales de l’action publique, mais aussi celles des entreprises (2).
Par ailleurs, les rapporteurs ont par ailleurs pu s’appuyer sur une étude comparée réalisée par le groupement KMPG/Sciences Po concernant deux politiques sociales à destination des familles, dont il convient de présenter les objectifs et le champ, ainsi que les raisons ayant présidé au choix des cinq pays sous revue (3).
1. Les politiques familiales au sein de l’Union européenne : des finalités variées, l’émergence de défis communs
Qu’elles soient ou non nommées « politiques familiales », les politiques sociales à destination des familles en Europe se caractérisent par une grande diversité dans les différents États membres, concernant tant leurs objectifs que les moyens qui leur sont alloués.
L’intervention croissante de l’Europe dans ce champ de l’action publique, en particulier au cours de la décennie passée, a néanmoins contribué à faire apparaître plusieurs enjeux communs.
a) La diversité des objectifs assignés aux politiques familiales dans les États membres
● Les objectifs de la politique familiale en France
Comme l’a rappelé M. Hervé Drouet (253), directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), l’objectif premier des politiques familiales est de soutenir la natalité ainsi que de compenser les charges des familles, en opérant ainsi une forme de solidarité horizontale. Ces deux objectifs font relativement consensus, ainsi que l’a observé le Haut conseil de la famille (254), qui a également relevé, concernant l’objectif de soutien de la natalité, que « cette affirmation revendiquée la distingue des autres pays, où cet objectif n’apparaît que très peu, très récemment ou de façon très indirecte ».
À partir des années soixante-dix, un accent plus important a été mis sur le soutien des familles les plus modestes, dans une perspective de redistribution verticale. À cet égard, M. Hervé Drouet a souligné l’importance de l’effet redistributif des prestations sociales dans ce domaine.
Par ailleurs, au cours des dix dernières années, « c’est la question de l’encouragement de la participation des femmes à l’activité économique, et donc aussi celle de la conciliation entre vie familiale et professionnelle, qui est au centre des priorités gouvernementales », selon le programme de qualité et d’efficience (PQE) de la branche Famille, annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012.
● Les objectifs des politiques familiales dans les différents pays européens
Comme l’a souligné M. Bertrand Fragonard, président délégué du Haut conseil de la famille (255), les comparaisons internationales représentent un exercice très difficile, en particulier dans le domaine des politiques familiales, dès lors que tous les pays n’ont pas de politiques spécifiques dédiées à la famille, par exemple l’Espagne ou l’Italie, tandis que les pays nordiques ou le Royaume-Uni ont des dispositifs assez originaux.
En effet, la notion même de politique familiale ne fait pas l’objet d’un consensus en Europe. Dans certains pays, l’aide aux familles s’inscrit dans le champ plus vaste de la politique sociale : au Portugal, par exemple, la notion de politique familiale ne figure expressément dans aucun programme de gouvernement depuis au moins cinq ans, et elle est vue essentiellement comme une politique d’assistance ou de solidarité, selon les informations communiquées par l’ambassade de France au Portugal. D’autres pays, en revanche, sont très attachés à l’autonomie de ce champ d’action publique. Globalement, les États membres n’en mènent pas moins un ensemble de politiques qui, conjuguées, constituent une politique familiale, qu'elle soit ainsi nommée ou non (256).
De fait, même si la question de la conciliation semble désormais bien identifiée dans plusieurs pays, les objectifs assignés aux politiques familiales apparaissent très divers, , comme l’illustre le tableau ci-après. Le directeur général de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion à la Commission européenne, M. Koos Richelle (257), a d’ailleurs souligné combien les approches et les positions étaient très différente en Europe en matière familiale.
Lors de son audition (258), M. Olivier Thévenon, économiste à l’Institut national des études démographiques (Ined) et à la division des politiques sociales de l’OCDE a pour sa part expliqué que ces objectifs sont principalement les suivants : la lutte contre la pauvreté et l’aide financière aux familles ; l’aide au développement de l’enfant ; le soutien à l’emploi des femmes et la conciliation entre le travail et la vie familiale ; l’égalité entre les sexes ; l’aide aux ménages à avoir plus ou moins d’enfants souhaités et au moment désiré, avec des orientations plus ou moins natalistes. Selon son analyse, il n’y a pas en général de conflit entre ces objectifs ou tout du moins lorsqu’il y en a, les politiques ont précisément pour objet de rendre compatibles ces objectifs.
Pour autant, s’ils ne sont pas nécessairement en tension, il reste que certains objectifs peuvent être plus difficiles à concilier que d’autres. Par exemple, certains estiment que la politique familiale ne doit pas être confondue avec la politique sociale, son objectif devant être l’équité horizontale (en direction des familles), et non la redistribution verticale (en direction des plus modestes), qui relève d’autres instruments (259) .
En outre, la multiplicité ainsi que le manque de clarté et de cohérence entre les différents objectifs assignés aux politiques familiales peuvent être sources de difficultés pour le pilotage de l’action publique et, par voie de conséquence, de moindres performances pour les politiques, en particulier celles visant à favoriser conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (cf. infra).
LA PLURALITÉ DES OBJECTIFS ASSIGNÉS AUX POLITIQUES FAMILIALES EN EUROPE
Pays |
Objectifs des politiques familiales |
Le cas échéant, nature du texte définissant ces objectifs |
ALLEMAGNE |
Concilier vie familiale et de la vie professionnelle (par la mise à disposition de structures d’accueil pour les enfants, le congé parental et l’allocation parentale d’éducation). Soutenir financièrement à toutes les familles (par l’allocation parentale d’éducation, l’allocation familiale, des avantages fiscaux pour des parents). Aider les familles pauvres et réduire les risques de pauvreté des enfants. |
Loi sur la garde des enfants de 2008 (développement des structures d’accueil pour les enfants). Loi sur l'accélération de la croissance de 2009 (augmentation de l’allocation familiale). Loi sur les acomptes de pensions alimentaires de 1979 (paiement d’acomptes de pensions alimentaires pour les enfants vivant avec un parent isolé). Loi sur le congé parental et l’allocation parentale d’éducation de 2006. |
AUTRICHE |
Soutenir financièrement les familles vulnérables, permettre aux parents de s'occuper de leurs enfants comme ils le désirent (soi-même, en charger un membre de la famille ou une nourrice, jardin d'enfants, etc.), faciliter la réinsertion des parents sur le marché du travail et la création de lieux de travail favorables à la famille (familienfreundlich), protéger les enfants de toute forme de violence, promouvoir et financer des services de garde d'enfants de bonne qualité et encourager les pères à s'impliquer davantage dans la vie familiale. | |
FINLANDE |
La politique familiale finlandaise est ancienne. Elle a été mise en place en 1948. Le dernier document ministériel décrivant cette politique date de 2006. Il rappelle que l’objectif en est de créer un environnement sûr pour les enfants et de fournir aux parents les moyens de les élever dans de bonnes conditions. L’importance de la famille en tant qu’unité sociale apportant une stabilité aux relations humaines est soulignée. La Finlande adhère aux objectifs de la Convention des droits de l’enfant de l’ONU. | |
FRANCE |
Contribuer à la compensation financière des charges de famille. Aider les familles vulnérables. Concilier vie familiale et vie professionnelle. Garantir la viabilité financière de la branche famille. |
Programme de qualité et d’efficience (PQE) « Famille » annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012 |
ITALIE |
Protéger les droits de la famille, donner des aides économiques, lutter contre la crise démographique et soutenir la maternité et la paternité, réduire les coûts des services pour les familles nombreuses, développer des systèmes territoriaux de services socio-éducatifs, concilier vie familiale et vie professionnelle, améliorer la qualification des femmes qui aident à domicile. |
Décret de la présidence du conseil des ministres du 29 octobre 2009 (qui modifie le décret du 3 juillet 2002) : ce décret prévoit la création du secrétariat d’Etat pour les Politiques de la Famille, ses compétences et ses objectifs. Celui-ci est rattaché à la présidence du Conseil des ministres (260). |
PORTUGAL |
« Dans la société actuelle la famille constitue un espace privilégié pour la réalisation de la personne et le renforcement de la solidarité entre les générations. Il est du devoir de l’État de coopérer, soutenir et stimuler le développement spécifique de la famille, sans que cela signifie une substitution dans les tâches qui sont et doivent être les siennes ». Pour cela, la loi du 20 décembre 2002 « consigne, dans le cadre du système public de sécurité sociale, le principe d’autonomie du sous-système de protection familiale, dont l’objectif est de compenser les charges qui pèsent sur les familles lorsqu’elles dépassent un certain seuil ». Le décret loi n° 91 du 9 avril 2009 « reconnaît le rôle indispensable des familles et choisit comme priorité l’incitation à la natalité et l’égalité des genres et pour ce faire cherche à promouvoir le partage du congé de parentalité, ceci dans le but de mieux concilier vie professionnel et familiale ». |
Décret-loi n° 176/2003 du ministère de la sécurité sociale et du travail du 2 août 2002.
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ROYAUME-UNI |
Lutter contre la pauvreté infantile en œuvrant auprès des familles les plus démunies. |
La loi contre la pauvreté infantile de 2010 qui fixe un objectif d’éradication de la pauvreté infantile d’ici 2020. La stratégie du gouvernement en matière de pauvreté infantile pour les dix années à venir. |
Concilier vie professionnelle et vie familiale. |
La loi pour le travail et les familles de 2006 qui a créé un ensemble de mesures permettant de mieux concilier vie professionnelle et vie familiale (congés maternité, parental et d’adoption et droit de requérir une plus grande flexibilité au travail notamment). Lancement en mai 2011 d’une consultation nationale sur la modernisation des lieux de travail qui inclurait notamment un assouplissement des conditions de recours aux congés maternité, paternité et parental et élargirait le droit à demander un aménagement des horaires de travail. | |
Lutter contre les inégalités en santé des enfants |
Le NSF (National service framework for children, young people and maternity services, un programme décennal d’amélioration de la santé des enfants mis en place en 2004) détaille des standards précis pour onze thématiques différentes qui couvrent l’ensemble des problématiques de la santé des enfants (exemples : le soutien à la parentalité, l’enfant à l’hôpital, la santé mentale de l’enfant). | |
Réduire le déficit public en gelant le montant des allocations familiales et en conditionnant leur versement au niveau de revenu |
Revue des dépenses (Spending review). La décision a été prise de supprimer les allocations familiales (en janvier 2013) dès lors que l’un des membres du couple perçoit plus de 43.875 £ par an. Par ailleurs, le montant des allocations familiales sera gelé pendant trois ans. | |
SUÈDE |
Les grands objectifs du gouvernement en matière de politique de la famille ont été rappelés dans le projet de budget général de septembre 2011. Il s’agit d’assurer la sécurité économique des familles et des enfants. L’action de l’État et des communes doit contribuer à assurer un niveau de vie convenable aux familles et à leur donner une liberté de choix dans leur mode de vie. Le ministère en charge de la famille transmet aussi tous les ans en décembre une sorte de lettre de cadrage à l’Agence de sécurité sociale. Cette lettre est liée à la négociation de son budget pour l’année suivante. Ce système vaut pour toutes les agences nationales mais les objectifs sont très généraux, en l’occurrence les mêmes que ceux décrits dans le budget. Deux pistes spécifiques sont toutefois précisées : donner aux parents toute l’information nécessaire sur leurs droits afin qu’ils soient en mesure de choisir les modalités de partage du congé parental. Implicitement, on comprend qu’il s’agit en fait de rappeler la règle selon laquelle les pères qui ne prennent pas leurs deux mois de congés parental les perdent et qu’un bonus est accordé si le congé parental est mieux partagé entre les parents. Cela étant, le gouvernement refuse d’augmenter la durée du nombre de jours de congé non transférables (quota du père). Par ailleurs, l’agence devra aussi tenter de diminuer les dépenses liées à l’allocation servie au parent isolé dont l’ex-conjoint ne paye pas la pension, ce qui revient, dans la réalité, à se montrer plus rigoureux envers les pères qui n’assurent pas leurs devoirs alimentaires. L’agence nationale dispose d’indicateurs de suivi, notamment l’évolution des revenus des familles avec enfants, particulièrement le nombre de celles disposant de ressources limitées, l’impact des différentes allocations sur le niveau économique des familles, le taux de natalité. La politique familiale est d’ores et déjà très développée : allocations générales ou ciblées, congé parental généreux, obligation pour les municipalités de fournir une place de crèche à l’issue du congé parental. Elle se situe dans une perspective de protection de l’enfant, d’égalité entre les genres, de conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Le gouvernement met aussi beaucoup l’accent, comme déjà indiqué, sur la notion de liberté de choix des parents. |
Sources : extraits des réponses des ambassades au questionnaire adressé par les rapporteurs en septembre 2011
b) L’investissement en faveur des familles : un effort significatif en France et des formes diverses selon les pays
Dans les pays de l’OCDE, les dépenses publiques au titre des prestations familiales représentent en moyenne un dixième des dépenses sociales publiques nettes totales. Particulièrement généreuse en France, l’aide apportée aux familles prend des formes diverses selon les pays en Europe.
● Une politique généreuse en faveur des familles en France, comparativement à d’autres pays en Europe
Le montant total des prestations familiales et des allocations logement versées par la branche famille atteint 46,1 milliards d’euros en 2010 (261), dont une partie prépondérante (83 %) est financée par la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf). Les trois cinquièmes de ces dépenses sont universelles, c'est-à-dire non soumises à des conditions de ressources. Ces aides de la branche famille sont complétées par des prestations au titre de la maternité, des majorations de pensions à raison des enfants élevés ainsi que des aides fiscales, telles que le quotient familial.
En tout état de cause, dans l’analyse et la comparaison des politiques familiales, il convient de garder à l’esprit qu’outre les prestations monétaires, les familles bénéficient également d’aides fiscales significatives, en particulier en France, à travers le système du quotient familial, qui est quasiment unique au monde, selon M. Hervé Drouet.
ÉVOLUTION DES PRESTATIONS FAMILIALES ET DES ALLOCATIONS LOGEMENT VERSÉES PAR LA BRANCHE FAMILLE EN FRANCE DEPUIS 2001
(en milliards d’euros courants)
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 | |
Montant total |
35,9 |
37,1 |
37,5 |
39,0 |
40,1 |
41,6 |
42,5 |
44,4 |
45, 8 |
46,1 |
Source : Cnaf, direction de la sécurité sociale (DSS), données présentées dans le programme de qualité et d’efficience (PQE) « Famille » annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012
Selon l’OCDE, qui compare les efforts en faveur des familles des pays en agrégeant les prestations familiales, les aides fiscales ainsi que les dispositifs d’accueil des jeunes enfants, ces différentes aides représentent environ 3,7 % du produit intérieur brut (PIB) en France, contre 2,2 % en moyenne dans les pays de l’OCDE (262), ainsi que l’illustre le graphique ci-après.
La France est ainsi au premier rang des pays de l’OCDE pour l’effort de redistribution de la richesse nationale en faveur des familles.
DÉPENSES PUBLIQUES AU TITRE DES PRESTATIONS FAMILIALES EN ESPÈCES, EN SERVICES EN NATURE ET DES MESURES FISCALES EN 2007
(en pourcentage du PIB)
Source : OCDE, Assurer le bien-être des familles (juillet 2011)
Il convient toutefois de préciser que les comparaisons internationales concernant les politiques familiales peuvent également s’appuyer sur la base de données d’Eurostat (base Sespros, qui ne prend en compte que les dépenses de protection sociale, et non la fiscalité par exemple).
Le classement de la France en termes de dépenses publiques dépend donc également des conventions de calcul retenues par ces deux sources statistiques. Ainsi, les dépenses publiques en faveur des familles ne représentent « que » 2,5 % du PIB selon les données d’Eurostat, contre une moyenne de 2 % environ en Europe, ainsi que le constate un rapport récent du Haut conseil de la famille (263). Comme l’illustre le graphique ci-après, la France est l’un des pays où l’écart est le plus fort entre ces deux sources statistiques, en raison principalement de deux spécificités nationales, qui sont prises en compte par l’OCDE, et non par Eurostat, concernant, d’une part, le taux très élevé de pré-scolarisation des enfants de moins de six ans, et, d’autre part, le quotient familial.
PART DU PRODUIT INTÉRIEUR BRUT (PIB) CONSACRÉ AUX FAMILLES SELON L’OCDE (2005) ET SELON EUROSTAT (2007)
(en pourcentage)
Sources : Eurostat et l’OCDE, in L’investissement de la Nation en direction des familles, note de travail adoptée par le Haut conseil de la famille (9 septembre 2010)
Par ailleurs, si les dépenses sont plus élevées en France, c’est aussi en partie du fait d’un nombre d’enfants proportionnellement plus important que dans d’autres pays, en raison d’un taux de fécondité parmi les plus élevés en Europe, comme l’a rappelé Mme Jeanne Fagnani, directrice de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et consultante auprès de l’OCDE (264). De ce fait, pour les comparaisons internationales, il est important de compléter l’analyse en s’appuyant sur un autre indicateur relatif au montant moyen des dépenses publiques rapporté à chaque enfant, ainsi que l’a d’ailleurs également observé l’étude de Sciences Po/CEE-Liepp et l’OFCE (265).
Il n’en reste pas moins que la France consent un effort important en faveur des familles par rapport à d’autres pays européens. L’importance de cet effort mais aussi, et peut-être tout autant, sa relative stabilité dans le temps constituent certainement l’un des points forts de la politique familiale française, par rapport à d’autres pays en Europe.
Dans ce sens, M. Claude Martin (266), directeur de recherche au CNRS et au Centre de recherche sur l’action politique en Europe (Crape), a souligné que le modèle français de politique familiale est caractérisé par sa continuité, en dépit des alternances politiques. Cet atout ne doit pas cependant se transformer en inconvénient, au sens où le caractère globalement stable de l’aide apportée aux familles ne doit naturellement pas être synonyme d’inertie, c’est-à-dire d’impossibilité d’envisager un quelconque aménagement au dispositif actuel.
A contrario, les représentants de l’Institut britannique pour la famille et la parentalité (Family and parenting institute, FPI), entendus par les rapporteurs lors de leur déplacement à Londres (267), ont souligné l’importance des réductions budgétaires intervenues récemment au Royaume-Uni (par exemple, la suppression des aides à la naissance à partir du troisième enfant), mais aussi l’impact de la diminution des aides sociales sur les familles les plus vulnérables.
● Des profils de dépenses très divers selon les pays
Dans les différents systèmes de protection sociale européens, l’aide aux familles prend principalement la forme d’allègements fiscaux, de prestations monétaires et de services en nature (en particulier, des services de garde d’enfants). Les transferts en espèces en constituent une partie importante dans la grande majorité des pays, comme l’illustre le graphique présenté plus haut sur les dépenses publiques dans les différents pays de l’OCDE.
La ventilation des dépenses publiques consacrées aux familles apparaît très hétérogène dans les différents pays en Europe, cette diversité reflétant des priorités différentes ainsi que des spécificités historiques et culturelles.
La France se caractérise notamment par la part plus élevée d’allègements fiscaux à des fins sociales, comme cela a été évoqué plus haut, ainsi que par des prestations en nature proportionnellement plus importantes que dans certains autres pays, tels que l’Allemagne, probablement en partie grâce à l’accueil dans les écoles maternelles des enfants âgés de trois à six ans (cf. infra, dans le B relatif aux politiques de conciliation).
DÉPENSES PUBLIQUES EN FAVEUR DES FAMILLES EN FRANCE, EN ALLEMAGNE
ET EN SUÈDE EN 2007 ET DANS LA MOYENNE DES PAYS DE L’OCDE EN 2009
(en pourcentage du PIB)
En espèces |
En services |
En déductions fiscales |
Total | |
France |
1,33 |
1,66 |
0,72 |
3,71 |
Moyenne de l’OCDE (en 2009) |
1,17 |
0,83 |
0,23 |
2,2 |
Allemagne |
1,09 |
0,75 |
0,88 |
2,7 |
Suède |
1,49 |
1,86 |
0 |
3,35 |
Sources : tableau réalisé d’après les données présentées par Mme Jeanne Fagnani, lors de son audition par le groupe de travail le 7 septembre 2011 (base de données sur les familles, 2011), complétées par les données de l’OCDE pour la moyenne des pays en 2009
Dans les différents pays européens, les profils de dépenses évoluent par ailleurs sensiblement en fonction de l’âge des enfants, comme l’a expliqué M. Olivier Thévenon.
Enfin, si la politique familiale est majoritairement financée par les cotisations sociales en France, ce financement est assuré par l’impôt dans d’autres pays en Europe, par exemple l’Allemagne, la Finlande et la Norvège.
À cet égard, la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) a rappelé, dans une contribution écrite adressée aux rapporteurs, que les entreprises contribuent aujourd’hui très largement au financement de la branche Famille du régime général de sécurité sociale, à travers leur cotisation déplafonnée (268) de 5,4 %, dont le produit représente 45,3 % du financement de la branche.
MODE DE FINANCEMENT DES POLITIQUES FAMILIALES EN ALLEMAGNE, EN ITALIE, EN FINLANDE, EN FRANCE, EN NORVÈGE, AUX PAYS-BAS ET AU PORTUGAL
Allemagne |
En Allemagne, il n’existe pas de branche famille dans la sécurité sociale, les prestations familiales sont financées par l’impôt. |
Finlande |
L’impôt, aussi bien municipal que d’État, finance la politique familiale. |
France |
En France, la branche famille du régime général de la sécurité sociale est majoritairement financée par des cotisations sociales, le reste l’étant par des impôts et taxes (269). |
Italie |
L'article 19 de la loi n°248/2006 prévoit l'institution d'un « Fonds pour les politiques de la famille » auprès de la Présidence du Conseil des ministres. Chaque année, le montant du fonds est décidé au moment du vote de la loi de Finances. Le fonds est ensuite redistribué entre les différents projets que le secrétariat d’État compétent souhaite développer. En 2009, ce fonds représentait 187 millions d’euros. |
Norvège |
La politique de la famille est financée par l’impôt ; elle fait partie intégrante du modèle de protection sociale universel norvégien. Elle est déterminée par le Parlement et le Gouvernement, même si les municipalités jouent un rôle essentiel dans sa mise en œuvre. |
Pays-Bas |
Ce sont les communes qui gèrent le budget qui leur a été alloué par le ministère compétent. Le paiement des allocations est assurée par l’UWV (autorité administrative indépendante, qui est l’opérateur principal de placement des demandeurs d’emploi), en collaboration avec le service des impôts (Belastingdienst) ainsi que par la SVB (Sociale Verzekeringsbank ou Banque d’assurance sociale). |
Portugal |
Les budgets affectés à la famille sont déterminés au sein du budget annuel de sécurité sociale (intégré lui-même au budget annuel de l’État). Il y existe une sous-rubrique prestations sociales, au sein de laquelle figurent les dépenses affectées à la famille (18,1 milliards d’euros pour 2012, sur un total de 40 milliards de dépenses pour la sécurité sociale), réparties en quatre sous-systèmes : solidarité (4 milliards), protection familiale (1 milliard), action sociale (100 millions), prévoyance, par exemple pour le congé parental (13 milliards). |
Source : réponses des ambassades au questionnaire adressé par les rapporteurs en septembre 2011
c) Le rôle croissant de l’Europe, à travers notamment les orientations visant à accroître les taux d’activité ainsi que la qualité de l’emploi
Si les politiques familiales relèvent en principe de la compétence des États membres, l’Europe exerce toutefois une influence croissante dans ce domaine, en particulier dans le champ de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, à travers principalement les objectifs et recommandations définis en matière d’emploi ainsi que d’égalité entre les hommes et les femmes.
● La signature du traité d’Amsterdam (270) en 1997 a marqué (cf. I du présent rapport) un tournant dans les orientations communautaires, en inscrivant les questions sociales dans l’agenda européen, à travers notamment l’introduction de dispositions prévoyant que « l’Union se donne pour objectif de promouvoir le progrès économique et social ainsi qu’un niveau d’emploi élevé et de parvenir à un développement équilibré et durable, notamment par (…) le renforcement de la cohésion économique et sociale ».
S’inscrivant dans cette lignée, la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE, cf. supra) a été lancée par le Conseil européen en novembre 1997, afin notamment d’accroître les taux d’activité, la cohésion sociale, la compétitivité et la croissance des économies, ainsi que de consolider les systèmes de protection sociale. Par la suite, des objectifs chiffrés de taux d’emploi, pour chaque État membre, ont été fixés lors du Sommet de Lisbonne en mars 2000, concernant notamment l’emploi des femmes (60 % de taux d’emploi des femmes âgées de 15 à 64 ans, à l’horizon 2010), comme indiqué dans la première partie du rapport.
L’intervention de l’Europe dans le champ des politiques familiales est ainsi très liée aux objectifs visant à accroître les taux d’activité.
Or l’atteinte de ces objectifs en matière d’emploi nécessite le déploiement de mesures permettant de mieux concilier travail et vie de famille. C’est d’ailleurs pour cette raison que, dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne, une ligne directrice pour l’emploi a été adoptée lors du sommet de Barcelone en mars 2002, en fixant des objectifs chiffrés concernant les taux de couverture des services de garde des jeunes enfants (cf. sur ce point, la section B ci-dessous), en vue de permettre aux parents, particulièrement aux mères, d’accéder ou de se maintenir dans l’emploi.
En effet, comme l’a souligné le Comité économique et social européen dans un avis très récent sur les politiques familiales (271), l’objectif fixé à l’horizon 2020 « ne pourra être atteint que s’il est conjugué avec une politique familiale permettant aux hommes et aux femmes d’élever le nombre d’enfants qu’ils souhaitent en travaillant, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, dans la plupart des États de l’Union ». Dans cette perspective, le Conseil européen a engagé les États membres à agir concrètement « pour promouvoir une participation accrue au marché du travail en général (272) » et continuer de soutenir le développement de l’offre de structures pour la garde d’enfants ainsi que la conciliation entre la vie professionnelle, la vie familiale et la vie privée (273).
● Cette influence de l’Europe s’est également traduite par des orientations visant à améliorer la qualité de l’emploi, dont l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle constitue l’une des dimensions.
À cet égard, Mme Christine Erhel (274), maître de conférences à l’université Paris I, chercheure au Centre d’études de l’emploi (CEE) et au Centre d’économie de la Sorbonne, a rappelé que l’Union européenne s’est dotée en 2001 de plusieurs indicateurs de la qualité de l’emploi, dits « indicateurs de Laeken », dans le prolongement de la réflexion initiée par les organisations internationales, en particulier le Bureau international du travail (BIT), autour de la notion de « travail décent ».
Cette question a également fait l’objet de nombreux travaux de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail, dite Fondation de Dublin.
En effet, suite au sommet de Lisbonne en mars 2000, qui visait notamment une « amélioration quantitative et qualitative de l’emploi », et dans la lignée de la méthode ouverte de coordination (Moc), le Conseil européen, réuni à Laeken en décembre 2001, a approuvé une liste d’indicateurs correspondant aux différentes dimensions de la qualité de l’emploi, parmi lesquelles l’insertion et l’accès au marché du travail, l’égalité des genres et « l’organisation du travail et l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle ». Bien qu’ils aient été considérés seulement comme une première étape, ces indicateurs ne firent cependant pas l’objet de nouveaux débats, même lors de l’examen de la stratégie « Europe 2020 ».
En tout état de cause, des politiques publiques contribuant à améliorer la qualité de l’emploi sont non seulement facteurs de progrès social mais aussi d’amélioration des performances économiques, en favorisant l’emploi, la cohésion sociale, la productivité et la croissance, comme l’a notamment souligné la Commission européenne, dans plusieurs communications (cf. l’encadré ci-après).
Les enjeux de l’amélioration de la qualité de l’emploi, en termes notamment de croissance, de performances économiques et de cohésion sociale
Dans sa communication du 20 juin 2001, la Commission européenne souligne que :
« Les conclusions du Conseil de Nice ont appelé à accorder davantage d’attention à la qualité de l’emploi et à son importance pour la croissance en tant qu’élément important d’attractivité et d’incitation au travail (…). Rétablir le plein emploi signifie qu’il est important d’axer notre action sur une amélioration non seulement quantitative, mais aussi qualitative de l’emploi.
Promouvoir la qualité dans la politique de l’emploi et la politique sociale constitue un élément clé pour les objectifs consistant à bâtir des emplois plus nombreux et meilleurs, à créer une économie compétitive, fondée sur la cohésion et la connaissance, et à assurer une interaction positive entre les politiques économiques, sociales et de l’emploi. À ce titre, la qualité peut et doit aller de pair avec une amélioration de l’efficacité, en particulier en ce qui concerne les finances publiques et les “incitants” sur le marché du travail. Les politiques sociales ne sont pas simplement un résultat de bonnes performances et de bonnes politiques économiques, mais elles constituent en même temps un apport et un cadre. »
Dans la communication de 2003, la Commission européenne évoque par ailleurs la corrélation entre qualité de l’emploi, la productivité et les performances économiques :
« Au sein de l’UE, on observe une corrélation positive entre les performances globales du marché du travail d’une part et, de l’autre, la qualité de l'emploi. On relève en particulier une corrélation négative entre la proportion d’emplois de qualité médiocre et le taux d’emploi, notamment pour les femmes et les travailleurs possédant un niveau de qualification moyen à élevé. (…) La corrélation entre les dimensions qualitative et quantitative de l’emploi est corroborée par des simulations dynamiques, qui montrent que sans amélioration significative de l'emploi, la création d’emplois demeure en deçà de son potentiel. (…)
Une analyse comparative intersectorielle menée à l’échelle de l’UE ainsi que dans différents États membres montre qu’il existe une relation positive entre la qualité de l'emploi et la productivité du travail. Diverses études qualitatives et quantitatives montrent que de nouvelles formes d’organisation du travail, caractérisées entre autres par de nouvelles structures organisationnelles, des méthodes de travail plus souples et moins hiérarchisées, une participation plus forte et de nouveaux systèmes de gratification des salariés et d'évaluation de leurs performances tendent à accroître la productivité et les taux d’emploi.
Le dialogue social et les relations entre les partenaires sociaux peuvent jouer un rôle important dans l’amélioration de la productivité et de la qualité de l’emploi. On observe une corrélation étroite entre emplois de qualité médiocre, d’une part, et pauvreté et exclusion sociale, d’autre part. (…) Dans plusieurs États membres, ce sont surtout les femmes faiblement qualifiées qui courent le plus le risque de devenir prisonnières d’un cycle alternant périodes de chômage et emplois précaires à temps partiel mal rémunérés. »
Sources : communications de la Commission européenne du 21 juin 2001, « Politiques sociales et de l’emploi : un cadre pour investir dans la qualité », et du 26 novembre 2003, « Amélioration de la qualité de l’emploi : un examen des progrès accomplis »
Mme Christine Erhel a également observé que les études tendent à montrer une corrélation entre de bonnes performances économiques et la qualité de l’emploi. Instrument de modernisation du modèle social européen, celle-ci apparaît ainsi porteuse d’une interaction positive entre les politiques économiques, sociales et de l’emploi.
Par ailleurs, dans un rapport remis à la Commission européenne en 2008 sur la qualité de l’emploi (275), Mme Christine Erhel a indiqué avoir retenu quatre dimensions principales dans l’analyse de cette notion :
– la sécurité socio-économique (niveau du revenu lié au travail et ses perspectives de progression, type de contrat, activité en temps partiel ou temps plein et facilité des transitions professionnelles) ;
– l’accès à la formation ;
– les conditions de travail (niveau d’exposition aux risques et aux accidents du travail, durée du travail, intensité et modularité du travail) ;
– le genre et la conciliation entre vie familiale et professionnelle, cette dimension faisant l’originalité de la démarche européenne. Elle prend en compte les inégalités d’accès et de taux d’emploi ainsi que les inégalités salariales, mais aussi l’existence d’une offre de garde d’enfants de qualité (disponibilité horaire, coût, qualité de la garde, mesurée par le niveau de qualification du personnel ou la satisfaction des usagers, etc.).
● Enfin, l’Union européenne peut légiférer dans des domaines qui concernent la conciliation entre le travail et la vie familiale ainsi que l’égalité professionnelle.
Suite à l’accord conclu entre les partenaires sociaux, une directive a par exemple été adoptée en mars 2010 (276) concernant le congé parental (cf. infra, dans la section D). Comme l’a rappelé Mme Sophie Mandelbaum, secrétaire confédérale responsable de la délégation femmes à la Confédération française démocratique du travail (CFDT) (277), la directive européenne relative au congé parental doit être transposée avant le 8 mars 2012.
Des débats ont également eu lieu récemment au Parlement européen et au Conseil européen concernant le congé de maternité et l’allongement éventuel de la durée minimale de celui-ci (278).
2. L’articulation entre le travail et les responsabilités familiales : des enjeux majeurs pour les politiques sociales
Sous l’impulsion notamment des institutions européennes et d’organisations internationales telles que l’OCDE, l’expression « conciliation entre vie familiale et vie professionnelle » (ou « work-life balance », dans une formulation opposant d’ailleurs curieusement le travail à la vie) est progressivement entrée dans le langage courant de l’action politique. Ce terme désigne un objectif pour l’action publique, un énoncé qui apparaît donc plutôt normatif, en même temps qu’une série de mesures qui visent en principe à faciliter la vie des citoyens (279).
En tout état de cause, l’articulation entre le travail et les responsabilités familiales pose aujourd’hui des questions majeures, en termes notamment de performance économique et sociale des politiques publiques, mais aussi de progrès démocratique, en contribuant à promouvoir l’égalité des genres.
a) Un levier de performance économique ayant un impact sur la croissance et les finances sociales, mais aussi au niveau des entreprises
La conciliation apparaît tout d’abord comme un vecteur de performance, tant au niveau macro que micro-économique.
● Selon l’analyse développée par M. Philippe Askenasy, économiste, chercheur au CNRS, membre du Centre pour la recherche économique et ses applications (Cepremap) et professeur associé à l’École d’économie de Paris (280) , l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle apparaît comme un véritable enjeu pour améliorer les taux d’emploi des femmes, et cette articulation peut être améliorée sensiblement par les services de gardes d’enfants,
En effet, plus de six millions de femmes de 25 à 49 ans dans l’Union européenne affirment être contraintes à l’inactivité ou au travail à temps partiel en raison de leurs responsabilités familiales. Pour plus d’un quart d’entre elles, le manque de services de garde d’enfants ou leur coût est à l’origine de cette situation (281) et, selon la Commission européenne (282), « répondre à cette demande pourrait permettre d’augmenter le taux d’emploi féminin global d’au moins un point de pourcentage ».
Dès lors, les politiques publiques visant à favoriser la conciliation entre la famille et le travail peuvent avoir un impact positif sur la natalité ainsi que sur les taux d’activité, et donc sur la croissance. En favorisant une participation accrue au marché du travail des parents, particulièrement des mères, ces politiques contribuent également à la lutte contre la pauvreté des familles ainsi qu’à la consolidation des systèmes de protection sociale, à travers la perception de cotisations sociales supplémentaires correspondant à cette augmentation de la population active, mais aussi la préservation du ratio de cotisants par retraités, ainsi que la diminution éventuelle du nombre de bénéficiaires de minima sociaux.
Au cours de leurs déplacements en Europe, les rapporteurs ont pu mesurer combien ces enjeux sont aujourd’hui bien identifiés comme majeurs dans d’autres pays. Par exemple, les représentants du ministère britannique du travail et des retraites (283) (Departement for work and pensions, DWP) ont souligné l’importance pour l’emploi de la question de la conciliation entre famille et travail, en évoquant notamment la question de la « trappe à inactivité » liée à la garde des enfants.
● Les mesures visant à favoriser l’articulation sont également sources d’externalités positives pour les entreprises.
Dans ce sens, les représentants de la Confédération des employeurs allemands (Bundesvereinigung der Deutschen Arbeitgeberverbände, BDA), rencontrés par les rapporteurs lors de leur déplacement à Berlin, ont souligné très clairement « la valeur économique d’une conciliation bien faite », dans la mesure où celle-ci peut contribuer « à retenir les meilleurs salariés et à conserver une main d’œuvre hautement qualifiée, ainsi qu’à attirer de jeunes talents et donner une image positive de l’entreprise ».
Par ailleurs, comme l’a très justement souligné Mme Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales, auteure d’un rapport récent sur l’égal accès aux responsabilités professionnelles et familiales (284), l’équilibre entre le travail et la vie privée peut constituer un réel atout pour les entreprises, selon notamment la théorie de « l’enrichissement croisé ». Les ressources et compétences acquises dans la sphère familiale pourraient ainsi être mobilisées dans un autre domaine et contribuer à obtenir de meilleurs résultats professionnellement, et réciproquement. La parentalité et les mesures visant à favoriser la conciliation peuvent également contribuer à une saine mise à distance des tensions et difficultés professionnelles éventuellement rencontrées, de nature à prévenir les situations de stress au travail (cf. infra) et, plus largement, selon l’analyse développée par Mme Brigitte Grésy, à favoriser l’équilibre personnel et donc une meilleure efficacité professionnelle.
Selon cette dernière, la prise en compte de la parentalité, notamment masculine, apparaît « donc facteur de performance, tant au niveau macro-économique que pour les entreprises ». Dans ce sens, M. Jean-Baptiste Obeniche (285), directeur général de l’Anact, a également indiqué que l’accroissement de la performance pourvait passer par l’amélioration des conditions du travail.
b) Un facteur de performance sociale à travers l’amélioration des conditions de travail et la prévention des risques psychosociaux
À la suite de la remise du rapport de MM. Philippe Nasse et Patrick Légeron sur les risques psychosociaux au travail (286) à M. Xavier Bertrand, alors ministre du Travail, des relations sociales et de la solidarité, un collège d’expertise sur le suivi statistique de ces risques a été mis en place en 2008 afin de dresser un premier état des lieux.
Ce collège d’expertise a élaboré, à titre provisoire, une batterie d’une quarantaine d’indicateurs immédiatement disponibles dans les sources statistiques existantes afin de mesurer ces risques. Les risques psychosociaux ont été analysés selon six dimensions : les exigences émotionnelles, l’autonomie et les marges de manœuvre, les rapports sociaux et relations de travail, les conflits de valeur, l’insécurité socio-économique ainsi que les exigences du travail, qui recouvrent notamment les difficultés de conciliation entre vies familiale et professionnelle (287).
● Les difficultés de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle constituent un facteur reconnu de risques psychosociaux.
En effet, selon les informations communiquées par le ministère du Travail, de l’emploi et de la santé, suite à l’audition de M. Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail (288), le collège d’expertise a considéré que les difficultés de conciliation entre la vie personnelle et la vie professionnelle constituent un facteur de risques psychosociaux, au même titre que d’autres difficultés liés à l’intensité et au temps de travail. Ces difficultés passent par plusieurs canaux :
– pour les cadres, le fait de devoir une disponibilité sans limites, qui peut provoquer des dépassements fréquents des horaires et une présence étendue ;
– des horaires décalés ou atypiques, qui créent un déphasage par rapport aux rythmes de la vie familiale et sociale ;
– le télétravail, qui peut être incompatible avec la vie familiale et sociale, si le salarié ne sait pas établir de frontières entre les différents temps de vie, mais qui peut inversement également permettre de mieux conjuguer vie familiale et vie professionnelle, dans le cas contraire.
Selon une publication récente de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) sur les indicateurs des risques psychosociaux (289), s’appuyant sur les résultats d’une enquête réalisée en 2007 (290), il apparaît que les problèmes de conciliation entre le travail et la vie personnelle touchent au moins 11 % des actifs occupés qui disent avoir toujours ou souvent des difficultés à concilier travail et obligations familiales. De façon apparemment paradoxale, les femmes ne sont pas sensiblement plus nombreuses que les hommes à exprimer cette opinion, ce qui s’expliquerait en partie, selon cette étude, par leur durée du travail en moyenne moins élevée. Il semblerait toutefois que les femmes rencontrent des difficultés particulières en matière de conciliation (cf. infra).
En tout état de cause, selon les informations communiquées par la direction générale du travail, si ce thème est identifié par le collège d’expertise et étudié par le biais de quelques questions dans les grandes enquêtes épidémiologiques, en revanche, il n’existerait pas d’indicateur de la conciliation entre la vie professionnelle et la vie privée.
● Or les risques psychosociaux n’ont pas seulement un coût humain mais aussi financier, même s’il reste difficile à chiffrer précisément.
Le coût pour les dépenses publiques peut être lié, par exemple, aux indemnités journalières versées par la sécurité sociale pendant les arrêts maladie ou encore à la prescription de médicaments, tels que des psychotropes, suite à un épisode d’épuisement professionnel (« burn out »), voire même au retrait du marché du travail de la personne exposée à ces risques. En France, selon certaines estimations (291), le coût social du stress au travail représenterait 10 à 20 % des dépenses de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale.
Pour les entreprises, les risques psychosociaux peuvent également être source de coûts, du fait notamment du turn-over, des arrêts maladie ou encore des « coûts cachés » liés à une organisation déficiente du travail. À cet égard, en regrettant « l’obligation du présentéisme à la Française », Mme Brigitte Grésy (292) a évoqué une étude réalisée en 2009 au Royaume-Uni, selon laquelle le nombre de jours perdus attribués au « présentéisme » (soit notamment le fait d’être présent dans l’entreprise mais sans pouvoir se concentrer sur son travail en raison d’un stress élevé) serait 1,5 fois plus élevé que celui des jours perdus liés à l’absentéisme : le présentéisme serait donc plus coûteux que l’absentéisme (293).
Il convient par ailleurs de rappeler que les risques psychosociaux, qui pèsent sur le bon fonctionnement des entreprises, représenteraient un coût évalué entre 3 et 4 % du PIB dans les pays industrialisés, selon le Bureau international du travail (BIT). L’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail avait également estimé, en 2002, que le coût du stress d’origine professionnelle représentait environ 20 milliards d’euros par an dans quinze pays européens.
Ainsi, les mesures visant à favoriser la conciliation entre la famille et le travail, y compris sur le lieu de travail, peuvent être de nature à accroître sensiblement la performance des entreprises.
c) Un vecteur d’égalité entre les hommes et les femmes
● La promotion de l’égalité des genres, à laquelle contribuent les politiques de conciliation, est aujourd’hui un objectif largement partagé.
Au niveau européen, l’article 8 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que : « Pour toutes ses actions, l’Union cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes ». L’égalité entre les femmes et les hommes constitue également un droit fondamental garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (294) : en effet, aux termes de son article 23, « L’égalité entre les hommes et les femmes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d’emploi, de travail et de rémunération. Le principe de l’égalité n'empêche pas le maintien ou l’adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté ».
En soulignant que l’égalité entre les sexes est une condition indispensable de la réalisation des objectifs de croissance, d’emploi et de cohésion sociale, la Commission européenne a par ailleurs réaffirmé son engagement en faveur de celle-ci, en adoptant la Charte des femmes, en septembre 2010 (295), ainsi qu’une Stratégie pour l’égalité entre les femmes et les hommes pour 2010-2015 (296).
En France, plusieurs mesures ont également été adoptées au cours des dernières années en vue de promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes. En particulier, l’article 1er de la Constitution a été complété en 2008 (297) par un nouvel alinéa précisant que « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes (…) aux responsabilités professionnelles et sociales ».
● Des inégalités persistent néanmoins entre les hommes et les femmes, notamment en France, concernant l’accès à l’emploi et les trajectoires professionnelles.
Selon le genre, l’influence de la parentalité sur la participation au marché du travail est encore très différente dans l’Union européenne, notamment parce que les femmes continuent à assumer une part prépondérante des tâches relevant de la sphère familiale. À l’arrivée de jeunes enfants, les mères ont de fait plus souvent tendance à se retirer du marché du travail ou à diminuer leur temps de travail.
Comme l’a souligné la Commission européenne, dans la Stratégie pour l’égalité précitée, les femmes et les hommes sont toujours inégaux face à la pauvreté et à l’exclusion sociale, les femmes connaissant un risque plus élevé de pauvreté, surtout les mères célibataires et les femmes âgées, du fait notamment de l’écart de pensions (cf. infra). Les obstacles à l’emploi se traduisent également par des taux d’inactivité et de chômage de longue durée plus élevés.
Par ailleurs, l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes (298) demeure de 17,8 % dans l’Union européenne, ainsi que l’a indiqué Mme Anne Duthilleul (299) : celui-ci représente notamment 23 % en Allemagne et 17 % en France (300).
Évoquant l’importance des enjeux éthiques liés aux questions relatives à l’égalité des genres, Mme Brigitte Grésy a rappelé que les femmes sont encore considérées comme des « agents à risque » par certains employeurs, et qu’une enquête récente (301) de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) montre qu’une cohorte d’hommes, dans la tranche des quadragénaires, gagnent 17 % de plus qu’une cohorte de femmes disposant des mêmes caractéristiques (302), mais qu’une partie prépondérante de cet écart (70 %) reste inexpliquée.
Or cet écart salarial ainsi que les différences de parcours professionnels se traduisent ensuite par des niveaux des retraites plus faibles pour les femmes.
Lors de la table ronde avec les organisations syndicales (303), M. Yves Razzoli, conseiller confédéral en charge du dossier Emploi (CFTC), a ainsi estimé que « Les mécanismes de l’assurance vieillesse devraient aussi être rendus plus équitables. Aujourd’hui, on constate que la différence entre les retraites des hommes et celles des femmes est de l’ordre de 40 %. C’est énorme. Si l’on introduit des dispositifs qui incitent les femmes à s’absenter, il faut les accompagner de mécanismes qui rétablissent les droits à la retraite, à moins d’aggraver encore les distorsions. » Mme Françoise Kermorgant, déléguée centrale de Force ouvrière (FO), a également précisé que « dans ces dispositifs, il faut tenir compte non seulement de l’affiliation – c'est-à-dire du nombre de trimestres – mais aussi de la bonification des points, et surtout du niveau de salaire. Sinon, le problème ne sera jamais résolu. »
Concernant le niveau des pensions de retraite, le président de l’Union des associations familiales de France (Unaf), M. François Fondard (304), a également souligné que « celles-ci sont aujourd’hui, en moyenne, de 1 450 euros par mois pour les hommes et de seulement 850 euros pour les femmes. »
En tout état de cause, comme l’a fait valoir la Confédération générale du travail (CGT), dans une contribution écrite adressée aux rapporteurs dans le prolongement de la table ronde, les inégalités professionnelles semblent s’appuyer sur des représentations négatives des femmes dans toute la société. Selon la confédération, les stéréotypes culturels relatifs à la place des femmes se retrouvent en particulier au niveau familial (le travail ménager, la prise en charge des enfants et des personnes âgées leur étant naturellement attribués) et au niveau social (la notion de salaire d’appoint restant bien présente). Or ces inégalités se renforcent mutuellement.
En effet, comme cela est apparu très clairement au cours des auditions, l’inégal partage des tâches familiales, les écarts de rémunération, le recours au congé parental presque exclusivement féminin, du moins en France, ainsi que les différences de trajectoires professionnelles et la persistance de certaines représentations sociales tendent à amplifier leurs effets et à se consolider mutuellement.
C’est donc nécessairement en adoptant une démarche globale et volontariste qu’il convient de poursuivre les efforts déjà réalisés en matière d’égalité professionnelle, particulièrement dans le champ de l’articulation entre le travail et la famille, qui peut concourir significativement à celle-ci.
À cet égard, on ne soulignera jamais assez combien le développement de politiques ambitieuses en matière d’égalité professionnelle ne relève pas d’une « victimisation », et moins encore d’une vision paternaliste de protection des femmes. Il s’agit, au contraire et avant tout, de mesurer et de prendre en compte un certain nombre de données factuelles concernant la parentalité en général et son impact sur les trajectoires professionnelles – et ce, concernant aussi bien les hommes que les femmes – avant d’envisager, le cas échéant, les mesures correctrices nécessaires, au regard des inégalités observées et de leur impact négatif éventuel, au niveau individuel mais aussi pour la collectivité.
Et quand bien même le débat devrait être posé en ces termes, alors il faudrait bien admettre que les hommes, eux aussi, sont victimes, au sens où les dispositifs actuels (cf. infra) ainsi que la persistance de certaines représentations sociales, concernant notamment la parentalité masculine, peuvent conduire certains d’entre eux à renoncer, par exemple, à la possibilité de prendre un congé de paternité ou un congé parental, ou même à éprouver davantage de difficultés à aménager l’organisation du travail ou leurs horaires pour des raisons familiales, par crainte notamment d’être mal jugés de leur employeur ou de leurs collègues.
Il doit donc s’agir, dans un même mouvement, de donner aux hommes la possibilité de s’impliquer davantage dans la vie familiale, et aux femmes toutes les chances d’insertion et de réussite professionnelle, en tenant compte du fait que tous les parents n’ont pas les mêmes préférences, et ce faisant, en créant les conditions d’un réel « libre choix ».
Les rapporteurs ont d’ailleurs pu constater que cette préoccupation était aujourd’hui largement partagée en Europe, notamment dans les pays nordiques, de longue date, mais aussi, par exemple, au Royaume-Uni. Les représentants du ministère du travail et des retraites, entendus par les rapporteurs lors de leur déplacement à Londres (305), ont ainsi souligné leur attachement à l’objectif de réduction des inégalités entre les genres, en rappelant à cet égard qu’une consultation nationale avait été lancée récemment, concernant notamment la question de la conciliation entre la famille et le travail, ainsi que l’importance de favoriser une meilleure implication des pères dans la vie familiale, ce qui permettrait de réduire les inégalités entre les hommes et les femmes.
3. Le champ de l’étude confiée au groupement KPMG/Sciences Po et le choix des cinq pays européens sous revue
Avec l’accord du CEC, deux études complémentaires ont été réalisées par des prestataires extérieurs à l’Assemblée, dont l’une portait sur deux politiques sociales à destination des familles dans cinq pays européens : outre la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède.
● Le champ de l’étude confiée au groupement KPMG/Sciences Po
L’étude avait pour objectif l’analyse comparée de dispositifs en vigueur et des évaluations des résultats, concernant plus spécifiquement :
– d’une part, les politiques publiques visant à favoriser l’articulation entre vie familiale et vie professionnelle, en particulier les dispositifs de prise en charge de la petite enfance et les congés parentaux ;
– d’autre part, les politiques publiques menées en direction des familles monoparentales, en matière notamment d’emploi et de lutte contre la pauvreté.
La synthèse des principales données disponibles et des évaluations existantes avait pour objectif de dégager des constats pertinents sur l’efficacité de différents instruments relevant de ces politiques et d’identifier le cas échéant de bonnes pratiques. Les réponses aux questions évaluatives posées sur ces deux thématiques devaient s’appuyer sur des indicateurs pertinents, mais aussi sur des données qualitatives et des enquêtes d’opinion, et faire apparaître les spécificités nationales ayant le cas échéant une incidence sur la comparaison avec la situation française.
L’étude devait par ailleurs comprendre une analyse transversale permettant d’identifier les convergences ou les divergences, ainsi que les meilleures performances, et être accompagnée, en annexe, d’une monographie par pays étudié. L’étude réalisée par Sciences Po/CEE, le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) et l’OFCE comporte ainsi plusieurs tableaux et graphiques synthétiques, par exemple le tableau 12 récapitulatif sur l’évaluation des performances comparées des dispositifs d’articulation entre vie familiale et vie professionnelle dans les cinq pays européens.
● Le choix des cinq pays européens sous revue
Le panel des cinq pays retenus pour cette évaluation comparative a été constitué en retenant tout d’abord deux pays qui sont apparus incontournables, en raison de leur caractère comparable en taille et en proximité : l’Allemagne et le Royaume-Uni.
En outre, en vue d’améliorer la performance des politiques sociales en France à la lumière de bonnes pratiques observées à l’étranger, il a semblé nécessaire d’approfondir l’analyse concernant les pays se caractérisant par de bons résultats ou par des évolutions positives dans certains domaines, dans le champ des deux politiques précitées, notamment :
– la Suède, où le taux d’emploi des femmes est parmi les plus importants en Europe (près de 76 % en 2010), comme l’illustre le graphique ci-dessous, et le taux de fécondité également relativement élevé (1,97 en 2010 (306)) ; la Suède est par ailleurs bien positionnée en termes de taux d’emploi et de pauvreté des parents isolés (cf. infra) ;
– les Pays-Bas, où le taux de participation des femmes au marché du travail, également très élevé, s’est significativement accru depuis les années 1990, l’étude de Sciences Po rappelant à cet égard que « ce phénomène a largement sous-tendu l’idée d’un " miracle néerlandais" des années 1990 », même si cela a été essentiellement rendu possible par des politiques visant à favoriser l’emploi à temps partiel ;
– le Royaume-Uni, en raison notamment de la progression significative du taux d’emploi des parents isolés sur une décennie (d’environ 11 points entre 1997 et 2006), tandis que le nombre d’allocataires du revenu d’assistance (income support) et le taux de pauvreté monétaire des parents isolés ont diminué sensiblement sur la même période (cf. infra, dans la section C du présent rapport relative aux familles monoparentales).
TAUX D’EMPLOI DES FEMMES DANS DIFFÉRENTS PAYS EUROPÉENS EN 2010
Note : le taux d’emploi est calculé en divisant le nombre de personnes occupées de 20 à 64 ans par la population totale de la même classe d’âge ; cet indicateur est fondé sur l’enquête EFT (307).
Source : Eurostat (extraction des données en novembre 2011)
Enfin, il a semblé pertinent de tenir compte de l’adoption ou de la mise en œuvre récente de réformes dans le champ des politiques publiques de conciliation ou à destination des familles monoparentales, dans l’objectif d’évaluer leur impact. À cet égard, l’exemple de l’Allemagne est apparu particulièrement intéressant, du fait de l’adoption d’une loi tendant à instituer un droit à un mode de garde, en 2004, et de la réforme récente du congé parental, en 2006 (308). Ce pays, dont les politiques familiales sont en profonde mutation, constitue ainsi une forme de « laboratoire expérimental », en permettant d’observer in concreto les effets et l’impact de la réforme qui a modifié le congé parental, afin qu’il soit plus court et mieux rémunéré et que davantage de pères y recourent.
B.– LES POLITIQUES PUBLIQUES VISANT À FAVORISER LA CONCILIATION ENTRE VIE FAMILIALE ET VIE PROFESSIONNELLE
Les « politiques de conciliation » peuvent être définies comme l’ensemble des mesures contribuant à accroître les ressources familiales (revenus, services et temps consacré aux enfants) ainsi que l’intérêt des parents pour le marché du travail, selon la définition proposée par l’OCDE (309).
En France, le soutien à l’articulation entre les responsabilités professionnelles et familiales constitue l’un des grands objectifs assignés aux politiques sociales en direction des familles. Les dispositifs mis en œuvre dans ce domaine présentent par ailleurs plusieurs spécificités par rapport à d’autres pays européens. Enfin, plusieurs enseignements peuvent être tirés de la présente tentative d’évaluation de la performance comparée des politiques de conciliation.
1. Un objectif bien identifié des politiques publiques au niveau national
Favoriser la conciliation entre vies familiale et professionnelle correspond désormais à un objectif clairement défini de l’action publique, aussi bien dans le cadre des programmes de qualité et d’efficience (PQE) annexés au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), qui est examiné chaque année par le Parlement, que dans celui de la convention d’objectifs et de gestion (Cog), conclue tous les quatre ans entre l’État et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).
Plus ponctuellement, l’adoption par l’Assemblée nationale, au printemps dernier, de la résolution sur l’égalité entre les femmes et les hommes (cf. infra) a également été l’occasion de rappeler l’importance des enjeux liés à la conciliation, et plus largement, de mettre en exergue et de réaffirmer clairement les objectifs poursuivis par les pouvoirs publics en matière d’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et familiales.
a) Un des quatre objectifs définis par le programme de qualité et d’efficience « Famille » annexé au projet de loi de financement de la sécurité sociale
Comme cela a été souligné dans la première partie du présent rapport, les programmes de qualité et d’efficience (PQE), qui sont annexés au PLFSS, constituent un instrument structurant de mesure et de suivi de la performance des politiques mises en œuvre dans le champ de la sécurité sociale.
En particulier, le PQE de la branche Famille définit, dans sa deuxième partie « Objectifs/résultats », quatre grands objectifs, dont l’un concerne la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (objectif n° 3). Ce dernier est assorti de plusieurs indicateurs et de cibles, parfois chiffrées, concernant, d’une part, l’accès à l’offre de garde et, d’autre part, l’équilibre entre la vie familiale et la vie professionnelle selon le genre, comme indiqué dans le tableau ci-après, extrait de l’annexe n° 1 au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012.
S’il présente de manière circonstanciée la finalité, les résultats et les modalités de construction de chaque indicateur, ainsi qu’un certain nombre de précisions méthodologiques, le PQE Famille n’en présente pas moins un certain nombre de limites, particulièrement concernant l’objectif relatif à la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
● Tout d’abord, l’indicateur retenu sur l’emploi des femmes n’apparaît pas pertinent, puisqu’il ne prend compte ni les nouvelles orientations stratégiques européennes, ni les objectifs fixés par ailleurs au niveau national.
En effet, la nouvelle stratégie « Europe 2020 », adoptée en juin 2010, fixe l’objectif d’un taux d’emploi de 75 % des personnes âgées de 20 à 64 ans d’ici à 2020, sans plus désormais définir d’objectif commun, au niveau européen, concernant l’emploi des femmes. Dans ce cadre, la France a décidé de se fixer un objectif de taux d’emploi des femmes de 70 % d’ici à 2020, comme l’ont rappelé les représentants de la Délégation générale pour l’emploi et la formation professionnelle (DGEFP) lors de leur audition (310).
En effet, le programme national de réforme (PNR) de la France, établi en avril 2011 (311), précise que « la question de l’emploi des femmes demeure un défi majeur et transversal notamment pour leur participation au marché du travail. La France a donc choisi de fixer un sous-objectif dédié, atteindre un taux d’emploi des femmes âgées de 20 à 64 ans de 70 % d’ici à 2020 ».
Or l’objectif retenu par le PQE annexé au PLFSS pour 2012 n’est pas de 70 % mais de 60 % et concerne les femmes âgées de 15 à 64 ans, et non de 20 à 64 ans : en d’autres termes, il correspond à l’ancien objectif, qui avait été fixé pour la France, comme pour les autres États membres, à l’horizon 2010, dans le cadre de la Stratégie de Lisbonne, alors même que celle-ci est désormais remplacée par la stratégie « Europe 2020 ».
LES OBJECTIFS ET INDICATEURS FIXÉS EN MATIÈRE
DE CONCILIATION ENTRE VIES FAMILIALE ET PROFESSIONNELLE DANS LE PROGRAMME DE QUALITÉ ET D’EFFICIENCE (PQE) « FAMILLE » ANNEXÉ AU PLFSS POUR 2012
Partie II – « Objectifs / résultats » |
Cibles |
Responsables administratifs portant les politiques à titre principal | |
Ob-jectif |
Indicateur | ||
3. Concilier vie familiale et vie professionnelle |
Accès à l’offre de garde | ||
3-1. Indicateur sur l'offre en modes de garde * évolution de la capacité théorique d’accueil par les modes de garde formels pour 100 enfants de moins de 6 ans * taux d'occupation des établissements d'accueil pour jeunes enfants |
50 % en 2011 (moins de 3 ans) 100 % en 2011 (3 à 6 ans) Augmentation |
CNAF/ Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) | |
3-2. Suivi du développement de la garde, collective et individuelle, d’enfants de moins de 3 ans sur la période 2009-2012 * nombre de places créées en accueil collectif depuis 2009 * nombre d’enfants supplémentaires de moins de 3 ans accueillis par un assistant maternel de moins 3 ans |
100 000 100 000 |
CNAF/DGCS/DSS | |
3-3. Indicateur sur l’évolution de la dispersion territoriale des modes de garde * densité moyenne de la capacité théorique d’accueil par les modes de garde « formels » pour 100 enfants de moins de 3 ans dans les départements les mieux et les moins bien dotés * densité moyenne de la capacité théorique d’accueil en EAJE pour 100 enfants de moins de 3 ans dans les départements les mieux et les moins bien dotés |
Réduction de la dispersion |
CNAF /DGCS | |
3-4. Taux d'effort et reste à charge des familles selon le mode de garde, le revenu et la configuration familiale (cas types) |
Renforcement de la liberté de choix |
CNAF | |
Équilibre vie familiale – vie professionnelle, selon le genre | |||
3-4. Indicateur sur l'emploi des femmes * taux d'emploi des femmes et des hommes âgés de 15 à 64 ans * taux d'emploi des femmes et des hommes selon le nombre d'enfants à charge (0, 1, 2, 3 et plus) et l’âge de l’enfant * taux d'activité des femmes selon le nombre d'enfants à charge (0, 1, 2, 3 et plus) et l’âge de l’enfant |
60 % pour les femmes, 70 % au total (en 2010) (sic) Augmentation Augmentation |
DGEFP | |
3-5. Nombre de bénéficiaires d'aides à la réduction partielle ou totale d’activité professionnelle (CLCA (312) et COLCA (313) ) et proportion de femmes parmi ces bénéficiaires |
Libre choix |
CNAF | |
3-6. Proportion de femmes en emploi après un CLCA ou un COLCA |
Pas d’écart avant et après CLCA |
DGEFP | |
3-7. Nombre de bénéficiaires et taux de recours au congé de paternité |
Augmentation |
CNAMTS |
Source : programme de qualité et d’efficience (PQE) de la branche « Famille », annexe n° 1 au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2012
Par ailleurs, au-delà de la cible chiffrée fixée pour l’emploi des femmes, le PQE Famille pour 2012 n’évoque que de manière incidente, dans les développements relatifs à cet indicateur, « les objectifs de la nouvelle stratégie « Europe 2020 [qui] ont fixé le taux d'emploi des 20 à 64 ans à 75 %, d’ici 2020 », mais sans expliciter les raisons pour lesquelles l’indicateur 3-5 n’a pas été modifié en conséquence, et surtout, sans évoquer à aucun moment le nouvel objectif fixé par la France concernant l’emploi des femmes...
● L’insuffisante coordination entre les services ministériels concernant l’élaboration des PQE et le suivi de ces indicateurs explique probablement en partie cette situation, qui n’apparaît guère satisfaisante pour le pilotage de l’action publique comme pour la bonne information du Parlement.
En effet, alors même que la DGEFP est identifiée comme « responsable administratif portant les politiques à titre principal » pour deux séries d’indicateurs du PQE Famille (3.5. et 3.7. concernant l’emploi des femmes et la proportion de femmes en emploi après un congé parental), les représentants de la délégation qui ont été entendus par les rapporteurs, ne semblaient pas avoir été consultés sur ceux-ci. Ils se sont interrogés, au surplus, sur la nature des leviers réels dont la DGEFP pouvait disposer sur cette question spécifique.
A contrario, concernant le deuxième sous-objectif relatif à « l’équilibre entre vie familiale et vie professionnelle selon le genre » – qui soulève donc, par définition, des questions relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes – on peut noter que la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS) n’est mentionnée à aucun moment parmi les responsables administratifs portant ces politiques à titre principal.
Pourtant, la DGCS est notamment chargée de la conception, du pilotage et de l’évaluation des politiques publiques en matière de politique familiale, de lutte contre les exclusions, de cohésion sociale ainsi que d’égalité entre les hommes et les femmes (314). En particulier, le décret du 25 janvier 2010 (315) prévoit qu’elle « initie et pilote la politique de l’égalité entre les femmes et les hommes et promeut les droits des femmes. (…) Elle promeut les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes, dans le respect de l’approche intégrée et de l'approche spécifique préconisées au plan international. Elle est chargée dans ces domaines de renforcer et de développer les collaborations entre l’État, les collectivités territoriales, les partenaires sociaux, les associations et les entreprises. » Ce même décret prévoit d’ailleurs également qu’ « Elle organise les conditions dans lesquelles la politique d’égalité entre les femmes et les hommes est prise en compte par les ministères concernés »…
● Le choix de l’indicateur n° 3.1 sur l’offre en modes de gardes qui s’appuie sur l’évolution de la « capacité théorique d’accueil » (316) peut également susciter des interrogations, concernant notamment les conditions dans lesquelles il correspond pleinement à l’indicateur retenu au niveau européen dans ce domaine, qui semble concerner plutôt le taux de couverture (soit le nombre d’enfants accueillis par rapport au nombre total d’enfants de la même classe d’âge).
Dans un rapport publié en 2008 (317), la Commission européenne indiquait en effet que pour évaluer les progrès sur l’atteinte des objectifs de Barcelone pour l’accueil des moins de trois ans, « l’offre est mesurée par le nombre d’enfants accueillis (par des structures officielles autres que la famille) par rapport au nombre total d’enfants de la même classe d’âge (enfants de moins de trois ans et enfants âgés entre trois ans et l’âge de la scolarité obligatoire), » …) Ces données concernent l’utilisation de l'offre existante de garde d'enfants par les parents et non le nombre de places existantes dans chaque État membre, difficilement comparable au niveau européen. » C’est d’ailleurs également sur l’analyse des taux de couverture que s’appuie l’étude comparée figurant en annexe au présent rapport.
● Enfin, il est permis de s’interroger sur la pertinence des cibles choisies, qui pourraient sans doute être plus ambitieuses dans certains domaines, notamment en matière d’égalité des genres.
Par exemple, pour l’indicateur n° 3-6 relatif au nombre d’allocataires du complément ou du complément optionnel du libre choix d’activité (CLCA et COLCA) et la proportion de femmes, le seul objectif fixé est celui du « libre choix ». Pourtant, compte tenu du caractère quasi exclusivement féminin du congé parental – par lequel la France se distingue d’ailleurs d’un certain nombre de pays en Europe (cf. infra) – , il pourrait être envisagé, par exemple, de fixer un objectif de progression de la proportion d’hommes bénéficiant de cette allocation.
Il en va de même, dans une certaine mesure, pour la cible retenue pour l’indicateur n° 3.3 sur l’évolution de la dispersion territoriale des modes de garde (indicateur d’ailleurs également exprimé en termes de capacité théorique d’accueil), dont l’objectif, qui est sans surprise de réduire cette dispersion, pourrait sans doute être affiné ou complété…
En tout état de cause, ces limites renvoient au problème principal des PQE, à savoir qu’ils ne font à aucun moment l’objet d’un véritable débat au sein de la représentation nationale, alors même qu’ils définissent des objectifs, assortis d’une série d’indicateurs, qui sont loin d’être seulement techniques, mais posent des questions importantes en termes de pilotage de l’action publique et de performance des politiques sociales.
b) Un objectif contractualisé avec la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) dans le cadre de sa convention avec l’État
Dans le respect des lois de financement de la sécurité sociale, l’État conclut avec différents organismes de sécurité sociale, notamment la Cnaf, une convention d’objectifs et de gestion (Cog) comportant des engagements réciproques des signataires, pour une durée minimale de quatre ans (318).
Ces conventions déterminent les objectifs pluriannuels de gestion, les moyens de fonctionnement dont les branches et les organismes disposent pour les atteindre et les actions mises en oeuvre à ces fins par chacun des signataires (319). Les Cog prévoient également, le cas échéant, les indicateurs quantitatifs et qualitatifs associés à la définition des objectifs ainsi que le processus d’évaluation contradictoire des résultats obtenus au regard des objectifs fixés. Elles doivent être transmises aux commissions parlementaires chargées des affaires sociales.
À travers une démarche « objectifs/résultats », les Cog s’inscrivent pleinement dans une logique de performance des politiques sociales. Selon le portail du service public de la sécurité sociale (320) , elles ont en effet « pour ambition de permettre aux usagers de bénéficier des performances d’un service fiable et moderne, en recherchant constamment les conditions d’une plus grande efficience ».
Concernant plus particulièrement les questions relatives à l’articulation des temps professionnels et familiaux, la Cog conclue entre l’État et la Cnaf pour 2009-2012, signée le 9 avril 2009, prévoyait que la branche Famille devait contribuer de façon décisive à la mise en œuvre de deux politiques majeures, constituant l’investissement principal de la branche pendant les deux premières années de la convention :
– la mise en œuvre du revenu de solidarité active (RSA), qui modifie en profondeur la logique des minima sociaux ;
– « le développement de l’accueil du jeune enfant qui constitue une préoccupation partagée par l’État et la branche Famille et qui est, au même titre que l’action en direction des enfants plus âgés et de la jeunesse, primordial pour permettre aux parents de concilier vie familiale et vie professionnelle ».
L’une des quatre missions autour desquelles se structure l’offre de services de la Cnaf dans la Cog pour 2009-2012 vise ainsi à « aider les familles à concilier vie familiale, vie professionnelle et vie sociale », en prévoyant notamment pour cela de poursuivre la structuration d’une offre diversifiée en direction de la petite enfance (321). Des indicateurs généraux sont par ailleurs associés aux objectifs stratégiques de la COG : à titre d’exemple, le tableau ci-dessous présente l’un d’entre eux, relevant du champ de la conciliation.
LES INDICATEURS GÉNÉRAUX ASSOCIÉS À LA COG ENTRE L’ÉTAT ET LA CNAF : UN EXEMPLE DANS LE CHAMP DE LA CONCILIATION ENTRE FAMILLE ET TRAVAIL
Objectif stratégique |
Nature de l’indicateur (322) |
Modalités de calcul |
Cibles |
Observa-tions |
Une offre de services et d'équipements adaptée aux besoins | ||||
Améliorer l’information et l’accompagne-ment des familles afin qu’elles obtiennent un mode d’accueil collectif |
Évolution du nombre de places d’accueil en établissement d’accueil du jeune enfant (EAJE) |
Nombre de places en EAJE (0-5 ans révolus) agréées par la PMI (323) |
386 000 places fin 2012 |
Les résultats ne dépendent pas de la seule branche famille |
Nombre de places en jardins d’éveil |
Indicateur de suivi | |||
Nombre de places en EAJE de personnel |
Indicateur de suivi | |||
Nombre de projets rentrés dans la base plan crèche |
Indicateur de suivi | |||
Taux de fréquentation des structures |
60 % des structures doivent atteindre le taux cible de 70 % |
Source : convention d’objectifs et de gestion (COG) conclue entre l’État et la Cnaf pour 2009-2012
En outre, la Cog prévoit notamment que les Caf assurent une offre de service pour l’accompagnement des familles monoparentales ayant des jeunes enfants, en fonction de leurs partenariats locaux et de leurs ressources, soutiennent les projets d’insertion sociale de ces familles et contribuent à lever les obstacles familiaux et sociaux (par exemple, la garde des enfants) permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle.
c) Un aspect important de la résolution sur l’égalité entre les femmes et les hommes adoptée par l’Assemblée nationale en mars 2011
Conformément aux dispositions prévues par l’article 34-1 de la Constitution (324), l’Assemblée nationale a adopté, le 22 mars dernier, une résolution sur l’égalité entre les femmes et les hommes en 2011, suite au dépôt de la proposition de résolution de MM. Christian Jacob, Jean-François Copé, Pierre Lequiller, Guy Geoffroy et Mme Marie-Jo Zimmermann (325).
Cette résolution avait pour ambition de permettre à chacun d’exercer avec plus de liberté ses responsabilités professionnelles et familiales, selon l’exposé des motifs de la proposition de résolution, qui souligne également que l’égalité n’est pas qu’une affaire de femmes : « sans l’implication des hommes, il est vain de défendre une vision d’équilibre tant dans la sphère professionnelle que familiale ». Une démarche similaire était par ailleurs entreprise par les députés allemands, selon l’exposé des motifs, dans le souci de l’affirmation d’une volonté commune de lutter contre les inégalités entre les hommes et les femmes.
La proposition de résolution a été adoptée par l’Assemblée nationale, les groupes de l’opposition SRC et GDR s’étant abstenus sur celle-ci.
Ainsi, considérant notamment que « l’articulation entre vie professionnelle et vie familiale repose essentiellement sur les femmes et retentit sur leur carrière, les femmes étant plus souvent que les hommes touchées par les contrats précaires, les emplois à temps partiels et par un accès limité à la formation professionnelle », et que « la rigidité des rôles attribués aux femmes et aux hommes risque d’entraver leur choix et de limiter l’expression de leurs potentiels respectifs », l’Assemblée nationale s’est prononcée solennellement :
– en faveur d’une application stricte de l’ensemble des lois relatives à l’égalité entre les hommes et les femmes ;
– pour que la lutte contre les inégalités de rémunérations entre les femmes et les hommes soit une priorité des politiques publiques ;
– pour que les parents puissent « exercer en toute liberté leurs choix professionnels et familiaux, par un environnement de travail flexible et juste » ainsi que par « une amélioration quantitative et qualitative des modes d’accueil d’enfants, notamment au sein des entreprises ».
En adoptant ce texte, l’Assemblée nationale a par ailleurs affirmé l’importance du rôle des hommes dans la recherche de l’égalité entre les sexes et les a encouragé « à prendre toute la mesure de leur rôle éducatif au sein de leur famille ».
L’examen en séance publique de cette proposition de résolution par l’Assemblée nationale a également été l’occasion pour la ministre des Solidarités et de la cohésion sociale, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, de souligner que la France avait la chance de conjuguer un taux de natalité et un taux d’activité professionnelle féminine élevés, mais qu’il convenait de pérenniser cet équilibre, de sorte qu’il ne repose pas uniquement sur les épaules des femmes (326). Selon la ministre, « le partage des responsabilités » familiales et professionnelles « est d’ailleurs au cœur de notre politique familiale, puisque le Président de la République en a fait un objectif majeur de son quinquennat ».
En tout état de cause, il apparaît que le soutien à l’articulation entre les responsabilités professionnelles correspond désormais à un objectif bien identifié des politiques publiques en France, dont un parangonnage européen ou « benchmarking » fait apparaître plusieurs spécificités.
2. Une comparaison européenne faisant apparaître plusieurs spécificités des politiques de conciliation en France
Si l’objectif général visant à favoriser la conciliation entre le travail et la vie familiale apparaît aujourd’hui relativement consensuel, en France et en Europe, les instruments ou dispositifs susceptibles d’être mis en œuvre à cette fin font débat et, à tout le moins, se caractérisent par une certaine diversité entre les pays.
Les différentes informations recueillies par le groupe de travail font apparaître, de manière convergente, trois spécificités françaises concernant le système socio-fiscal, l’accueil de la petite enfance et les congés parentaux. Les spécificités concernant ces deux derniers points seront présentées succinctement, compte tenu de l’analyse approfondie des dispositifs concernés dans l’étude comparative présentée en annexe au présent rapport.
a) Un système socio-fiscal moins individualisé que dans certains autres pays
En France, la fiscalité repose sur le principe d’une imposition conjointe des deux membres du couple, à travers le quotient familial (327). Ce système permet notamment de prendre en compte les différentes facultés contributives des couples, dans une perspective de redistribution tenant compte du fait que les couples bi-actifs ont souvent des revenus supérieurs à ceux où l’un des deux ne travaille pas.
En revanche, dans d’autres pays en Europe, notamment en Suède, l’imposition est individuelle. De même, en Finlande, l’assiette de l’impôt sur le revenu est individualisée, la notion de « couple fiscal » n’existant pas (328).
Individualisation ou « conjugalisation » de la fiscalité en Europe
Certains pays comme la France appliquent un quotient conjugal (329) (Allemagne, où il s’agit davantage d’une imposition commune que d’un quotient conjugal en tant que tel, Luxembourg, Portugal), d’autres ont mis en place une imposition séparée accompagnée d’un crédit d’impôt ou d’un abattement (Autriche, Belgique, Danemark, Italie, Espagne) ou une imposition totalement séparée (Finlande, Grèce, Pays-Bas, Suède, Royaume-Uni).
Source : Architecture de la politique familiale, Haut conseil de la famille (note adoptée en janvier 2011)
Or, dans certaines configurations, compte tenu des caractéristiques du système socio-fiscal, l’accès ou le retour à l’emploi du membre du couple dont le salaire est le plus faible, soit la femme le plus souvent, peut induire un gain financier finalement limité pour le couple, dans la mesure où :
– le système du quotient peut entraîner une baisse du taux d’imposition du membre du couple ayant le plus haut revenu (l’homme en général) et une augmentation de celui du second apporteur de revenus, et dès lors, selon certaines analyses, avoir un effet désincitatif sur l’emploi des femmes ;
– la part du salaire qui n’est pas conservée par le couple, du fait de la hausse des prélèvements et de la baisse des prestations sociales, dont certaines sous conditions de ressources au niveau du ménage, auxquels s’ajoutent les frais de garde des enfants, peut être significatif, ceci pouvant avoir un effet désincitatif sur le retour à l’emploi.
Le système socio-fiscal peut dès lors avoir des effets négatifs sur l’emploi des femmes et corrélativement sur l’égalité des genres.
C’est précisément pourquoi Mme Christina Stockfisch (330), représentante de la division « Femmes et égalité des chances » de la Confédération des syndicats allemands (Deutsche GewerkshaftsBund, DGB) a vivement critiqué le système de l’imposition au niveau du couple existant en Allemagne. De même, l’étude comparative présentée en annexe souligne que la France « conserve des dispositifs qui encouragent le retrait total ou partiel des mères du marché du travail, comme le congé parental, ou encore un système fiscalo-social familialisé ».
En sens inverse, les représentants de la deuxième confédération syndicale de Suède (TCO), entendus par les rapporteurs lors de leur déplacement à Stockholm (331), ont clairement identifié la suppression de l’imposition des ménages au profit d’une imposition individuelle, dès les années 1970, comme l’un des principaux facteurs expliquant le taux d’activité élevé des femmes dans ce pays.
Si la suppression du quotient conjugal devait sans doute avoir « des conséquences socio-économiques considérables et n’irait pas dans le sens d’une réduction de la pauvreté des familles », comme le souligne la note précitée du Haut conseil de la famille précitée, il reste que la « conjugalisation » ou « familialisation » de l’imposition et des droits sociaux peut avoir des effets dissuasifs sur l’emploi féminin, tenant également aux écarts de rémunération persistants entre les hommes et les femmes.
Au-delà des spécificités des systèmes socio-fiscaux en Europe, c’est donc d’abord sur ces écarts de rémunération, et plus largement sur l’égalité professionnelle, qu’il convient d’améliorer la situation actuelle en France.
b) Une très bonne prise en charge des enfants en âge préscolaire, mais un manque de places d’accueil pour les moins de trois ans
Le développement des structures d’accueil des jeunes enfants constitue un élément central des politiques publiques d’articulation entre famille et travail, en contribuant à favoriser l’emploi, et donc la lutte contre la pauvreté, la natalité ainsi que l’égalité des chances. Conscients de ces enjeux, de nombreux pays européens ont mis en œuvre des réformes visant à accroître leur offre de garde.
En mars 2002, le Conseil européen réuni à Barcelone a invité les États membres à « éliminer les freins à la participation des femmes au marché du travail et, compte tenu de la demande et conformément à leurs systèmes nationaux en la matière, s’efforcer de mettre en place, d’ici 2010, des structures d'accueil pour 90 % au moins des enfants ayant entre trois ans et l’âge de la scolarité obligatoire et pour au moins 33 % des enfants âgés de moins de trois ans (332)».
Près de dix ans plus tard, quels progrès ont été réalisés vers l’accomplissement de ces objectifs dits de Barcelone, concernant le développement des « services d’accueil formels », selon la terminologie communautaire (333) ? Et de quelle manière se positionnent les différents pays européens dans ce domaine? Concernant la France, il apparaît que les caractéristiques des modes de garde varient assez sensiblement, selon que l’enfant a plus ou moins de trois ans.
● Concernant la prise en charge des enfants en âge préscolaire
Le système français présente plusieurs points forts comparativement à d’autres pays : il permet en effet un accueil gratuit des enfants dès l’âge de trois ans dans les écoles maternelles, et une prise en charge par des enseignants qui disposent d’un niveau élevé de formation, comme c’est aussi le cas en Suède.
La France est la mieux positionnée des cinq pays européens étudiés en termes de prise en charge des enfants âgés de trois à six ans : elle dépasse en effet les objectifs de Barcelone, avec un taux de couverture de 100 % des enfants, contre par exemple moins de 70 % aux Pays-Bas (334).
Par ailleurs, il est à noter que l’accueil des enfants se fait sur la journée entière, alors que les horaires d’ouverture des structures d’accueil sont moins larges dans un certain nombre de pays. Par exemple au Royaume-Uni, l’accueil préscolaire s’est développé récemment dans des écoles primaires publiques, mais ne couvre en général que le matin ou l’après-midi (335). Mme Nicola Smith, chef du département des affaires économiques et sociales du Congrès des syndicats britanniques (Trade union congress, TUC), a d’ailleurs souligné, plus généralement, le problème de l’offre de garde de la petite enfance, en jugeant le marché inefficace et en soulignant l’importance d’une action publique dans ce domaine (336).
L’étude réalisée par l’OFCE, le CEE et le LIEPP souligne ainsi que « Le système scolaire en France (…) est remarquable du point de vue de la prise en charge des enfants âgés de 3 à 6 ans » et que « le point fort du système français reste l’école maternelle », comme l’ont également souligné, notamment, M. Claude Martin et Mme Brigitte Grésy, qui a par ailleurs rappelé combien le système français des maternelles est aujourd’hui envié en Europe.
● Concernant la prise en charge des enfants de moins de trois ans
Les travaux du groupe de travail, l’étude comparée figurant en annexe ainsi que les informations recueillies par les rapporteurs lors de leurs déplacements à Londres, Stockholm et Berlin ont permis de faire apparaître plusieurs grandes caractéristiques des différents systèmes de garde.
En Suède, comme l’a indiqué M. Stefan Ackerby (337), directeur de l’Association suédoise des régions et des municipalités (SKL), les services d’accueil et de garde de la petite enfance se sont fortement développés depuis les années 1980, à la suite de la mise en place d’un droit opposable à la garde d’enfant dès les 13 mois de celui-ci. Le pourcentage d’enfants âgés de 1 à 3 ans inscrits dans des services d’accueil s’élevait ainsi à 78,7 % en 2010. Les représentants du syndicat suédois TCO ont ainsi considéré que l’accessibilité des systèmes de garde – tous les enfants ayant accès à une place de garderie à partir d’un an – ainsi que le système souple et incitatif de congé parental (cf. infra) expliquaient, avec le système d’imposition, le niveau élevé d’emploi des femmes en Suède.
En Allemagne, en revanche, malgré les réformes récentes visant à développer les infrastructures d’accueil de la petite enfance, les représentants de la Confédération des employeurs (BDA) ont regretté l’insuffisance de places d’accueil, et pas seulement pour les enfants en bas âge, ainsi que les horaires d’ouverture trop limités. L’Allemagne est ainsi le seul pays du panel à ne pas atteindre les objectifs de Barcelone, avec d’importantes disparités territoriales (338).
Au Royaume-Uni, les modes de garde sont insuffisants et coûteux et les mères travaillent fréquemment à mi-temps, selon M. Peter Grigg et Mme Katherine Rake de l’Institut pour la famille et la parentalité (FPI), qui ont indiqué que la crèche commence à trois ans et demi et qu’avant elles sont privées et très chères (339). Les représentants du ministère britannique ont également convenu qu’il existait aujourd’hui un véritable problème concernant l’offre et le coût de garde.
Aux Pays-Bas, les structures d’accueil sont nombreuses mais les enfants sont très souvent pris en charge à temps partiel (seuls 4 % des enfants de moins de 3 ans sont accueillis dans des structures formelles pour plus de 30 heures par semaine), en cohérence avec le niveau élevé d’emplois à temps partiel dans ce pays. Il existe également d’importantes disparités territoriales.
En France, il convient tout d’abord de rappeler que, selon une étude récente de la Drees (340), la majorité des enfants de moins de trois ans (63 %) sont gardés à titre principal par un de leurs parents et qu’un enfant sur trois n’est gardé que par ses parents, sans autres intervenants durant la semaine – il s’agit le plus souvent de la mère.
Selon l’étude annexée au présent rapport (cf. le graphique présenté ci-après), la France atteint les objectifs européens (33%) mais, avec un taux de couverture de 42 % pour la garde des enfants de moins de trois ans dans les services formels, ne se place qu’en 3ème position par rapport aux autres pays sous revue, derrière la Suède (47 %) et les Pays-Bas (56 %) (341).
Ce constat mérite toutefois d’être nuancé :
– par la bonne amplitude horaire des services d’accueil en France par rapport à d’autres pays, et contrairement par exemple au Royaume-Uni et aux Pays-Bas, où les enfants sont presque exclusivement pris en charge à temps partiel ; à cet égard, l’étude réalisée par l’équipe de Sciences Po/CEE, Liepp et OFCE présente de manière très pertinente un graphique, présenté ci-dessous, permettant de comparer les taux de couverture en équivalent temps plein des services d’accueil de la petite enfance, la France se plaçant alors en deuxième position, devant les Pays-Bas ;
TAUX DE PRISE EN CHARGE DES ENFANTS DE MOINS DE 3 ANS DANS LES STRUCTURES FORMELLES (342) EN ÉQUIVALENT TEMPS PLEIN EN 2008
(en pourcentage)
Source : étude de Sciences Po/CEE, LIEPP ET OFCE, annexée au présent rapport (OCDE, Base de données sur la famille)
– par le biais qu’il peut y avoir dans l’évaluation du fait du choix des pays du panel, dont deux sont parmi les mieux placés en Europe (la Suède et les Pays-Bas), alors que des grands pays européens, à l’instar de l’Italie, de l’Autriche ou de l’Irlande, ont des résultats très inférieurs à ceux de la France, qui est tout de même mieux positionnée par rapport à la moyenne des États membres pour l’accueil des moins de trois ans, comme l’illustre le graphique ci-après.
LES MODES DE GARDE D’ENFANTS DE MOINS DE TROIS ANS EN 2009 EN ALLEMAGNE, EN FRANCE, EN IRLANDE, AU ROYAUME-UNI, AU DANEMARK ET DANS L’UNION EUROPÉENNE
(en pourcentage et en nombre d’heures)
Note de lecture : En France, 41 % des enfants de moins de trois ans sont gardés par un mode de garde formel (dont 25 % plus de 30 heures par semaine). 45 % sont gardés exclusivement par leurs parents. En moyenne, les enfants sont accueillis dans un système de garde formelle 30,4 heures dans la semaine. 14 % des enfants de moins de 3 ans bénéficient d’un mode de garde informel (par exemple, un membre de la famille ou un employé à domicile).
Source : Eurostat/Sespros 2011, calculs de la direction de la sécurité sociale (DSS), in Rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2011)
Il n’en reste pas moins qu’il existe aujourd’hui d’importants besoins de garde d’enfants non couverts, qui sont estimés à environ 350 000 places, même s’ils apparaissent difficiles à évaluer précisément (cf. l’encadré ci-après). Dans l’analyse des performances comparées des politiques d’articulation présentée en annexe, ce point est très clairement identifié comme l’un des points faibles du système français.
Cette insuffisance des places d’accueil pour les moins de trois ans, malgré les efforts significatifs mis en œuvre pour développer l’offre de garde depuis plusieurs années (cf. infra), peut aussi apparaître comme l’envers d’une politique familiale, qui apparaît par ailleurs efficace, au sens où elle contribue à expliquer un taux de natalité particulièrement élevé en Europe, et donc un nombre proportionnellement plus important d’enfants en bas âge en France. Or il est bien évident qu’il est plus facile de satisfaire aux objectifs européens, lorsque le dénominateur (le nombre total d’enfants d’une classe d’âge considérée) est plus faible, en termes d’effort public.
L’estimation des besoins non couverts des jeunes enfants
« Au plan national, l’estimation des besoins non couverts est (…) délicate et conduit à des chiffres assez éloignés les uns des autres selon les conventions retenues. Une majorité d’écrits convergent actuellement vers un chiffre de besoins non couverts d’environ 350 000 places (ou enfants…). Ce chiffre peut être jugé comme sous-évalué ou sur-évalué en fonction des conventions de calcul retenues. Ces estimations intègrent un « besoin latent », celui des familles qui optent pour le complément de libre choix d’activité (CLCA), faute d’un mode de garde qui corresponde à leurs souhaits. (…) Il est donc nécessaire d’acquérir une meilleure connaissance (à l’échelle globale et par territoires) des besoins et de l’offre. »
Source : Les aides apportées aux familles qui ont un enfant de moins de trois ans, Haut conseil de la famille (décembre 2009)
À cet égard, il est à noter que la France et la Suède se distinguent par l’importance des dépenses publiques en matière de prise en charge de la petite enfance (1 % du PIB), mais que leur ventilation varie assez sensiblement (343).
c) Un congé parental très féminisé, plus long et moins bien rémunéré que dans certains pays, en particulier en Suède et en Allemagne
En France, il est possible d’interrompre son activité professionnelle jusqu’aux trois ans de l’enfant, en percevant une allocation – le complément de libre choix d’activité (CLCA) – dont le montant est d’environ 560 euros par mois.
La prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), le complément de libre choix d’activité (CLCA) et le congé parental
La prestation d’accueil du jeune enfant (Paje) regroupe cinq allocations. Instituée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, elle s’est en effet substituée, pour les enfants nés après le 1er janvier 2004, aux cinq prestations qui, jusqu’alors, étaient liées à la petite enfance : allocation parentale d’éducation (APE), allocation pour jeune enfant (APJE), allocation d’adoption (AAD), aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (Afeama) et allocation de garde d’enfant à domicile (Aged).
La Paje se compose : d’une prime de naissance ou d’adoption ; d’une allocation de base (AB) versée pendant les trois années qui suivent l’arrivée de l’enfant (sous conditions de ressources et dont le montant est de 180 euros par mois) ; d’un complément de libre choix d’activité (CLCA ou Colca) en cas d’interruption totale ou partielle de l’activité professionnelle d’un des parents et ce, dès le premier enfant (mais pendant seulement 6 mois) ; d’un complément mode de garde (CMG) en cas de recours à une assistante maternelle agréée ou à une garde à domicile.
Le CLCA s’élève à 560 euros par mois (ou 380 euros si l’allocataire touche déjà l’allocation de base) pendant un congé d’une année, renouvelable deux fois, jusqu’aux trois ans de l’enfant. Par ailleurs, les parents d’au moins trois enfants, l’allocataire qui souhaite réduire ou interrompre son activité professionnelle a le choix entre le CLCA ou le complément optionnel de libre choix d’activité (Colca), qui est une allocation d’un montant plus élevé versée pendant une durée plus courte (un an).
Il convient enfin de distinguer ces deux prestations du congé parental d’éducation, dont peut bénéficier le salarié (le contrat de travail étant alors seulement suspendu pendant cette période), dans les conditions prévues par les articles L. 1225-47 et suivants du code du travail. Aujourd’hui, de nombreuses femmes sont éligibles aux prestations précitées sans l’être au congé parental ; elles ne bénéficient donc pas de la protection de leur emploi issue du droit du travail.
● Comme cela a été souligné à plusieurs reprises au cours des auditions, les spécificités du congé parental français sont principalement les suivantes :
– un congé parmi les plus longs en Europe, comme l’illustre le graphique ci-après ;
– une faible rémunération, comparativement à certains autres pays européens, tels que le Danemark, la Suède ou l’Allemagne, où l’allocation parentale mensuelle correspond à 67 % du salaire antérieur plafonné à 1 800 euros par mois, comme l’ont précisé les représentants du ministère fédéral allemand de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse (344) ;
– un recours quasi-exclusivement féminin au congé parental (le taux de recours des pères est de 1 % en France, contre 16 % par exemple en Allemagne ou 13 % aux Pays-Bas) et l’absence de « quota du père », c’est-à-dire d’une période non transférable réservée au deuxième parent qui n’a pas pris l’intégralité du congé, les mois étant perdus si celui-ci ne les prend pas (345).
LES CONGÉS PARENTAUX EN EUROPE
Source : Favoriser l’égal accès des hommes et des femmes aux responsabilités professionnelles et familiales, rapport de Mme Brigitte Grésy, inspectrice générale des affaires sociales (juin 2011)
● Le dispositif actuel du congé parental peut entraîner de longues interruptions de carrières préjudiciables pour l’insertion professionnelle et le déroulement de carrière des femmes. M. Christophe Lefevre, délégué national de la Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), a ainsi fait part de ses inquiétudes concernant l’« éloignement des mères de familles de l’emploi et de l’entreprise, au bout de trois ans de congé parental (346) ». En considérant que le congé parental est trop long et mal rémunéré, M. Claude Martin a par ailleurs estimé qu’il renvoie vers l’inactivité les femmes peu qualifiées, qui sont celles qui recourent le plus au congé parental à taux plein.
Identifiant là l’un des points faibles de la France dans l’analyse des performances comparées des politiques de conciliation, l’étude présentée en annexe comporte plusieurs développements approfondis concernant les effets des congés parentaux sur l’emploi des femmes, à travers notamment une revue de la littérature académique sur l’évaluation de l’impact de l’extension de l’allocation parentale d’éducation (APE), qui a eu lieu en 1994 (347). Selon les évaluations de cette réforme, qui permettent d’évaluer empiriquement l’effet de prestations sur les comportement d’activité des mères, entre 110 000 et 150 000 mères de deux enfants auraient ainsi été incitées à se retirer du marché du travail.
En revanche, plusieurs réformes ont été mises en œuvre dans différents pays européens, afin de rendre les congés parentaux plus favorables à l’emploi des mères, par exemple en Allemagne en 2006 (cf. infra). De ce point de vue, le dispositif français apparaît plus défavorable à l’emploi et à l’égalité professionnelle.
● Enfin, concernant les dépenses publiques correspondant à l’ensemble des congés familiaux (y compris le congé de maternité), la Suède consacre environ le double (0,70 % du PIB) des moyens alloués par l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, où les dépenses publiques représentent environ 0,3 % du PIB.
Au total, en agrégeant les dépenses relatives aux modes de garde et aux congés parentaux – ce qui permet de donner un ordre de grandeur et de comparer les moyens consacrés aux politiques d’articulation dans les différents pays – , il apparaît que la France consacre des moyens significatifs à ces politiques. La dépense au titre de la prise en charge des enfants de moins de six ans représente en effet 26 milliards d’euros par an, soit environ 1,3 % du PIB. Au sein du panel, seule la Suède dépasse la France en termes de dépenses (1,7 % du PIB).
À la lumière des objectifs fixés aux politiques d’articulation, aux spécificités des dispositifs mis en œuvre et aux moyens qui leur sont alloués, il convient enfin, dans un troisième temps, de chercher à mesurer les résultats atteints dans les différents pays, en vue d’appréhender la performance comparée de ces politiques.
3. Plusieurs enseignements à tirer de la tentative d’évaluation de la performance comparée des politiques de conciliation
Si l’évaluation comparative de la performance des politiques publiques de conciliation s’est heurtée à quelques difficultés, elle a néanmoins permis d’identifier plusieurs points forts du système français ainsi que des voies possibles d’amélioration dans certains domaines.
a) Les limites rencontrées pour évaluer la performance comparée des politiques de conciliation
Par construction, l’évaluation de la performance comparée des politiques de conciliation nécessitait de pouvoir identifier leurs objectifs et les moyens mis en œuvre, et de disposer de données permettant de mesurer les résultats obtenus dans les différents pays. Cet exercice a toutefois soulevé plusieurs questions.
● Tout d’abord, à l’aune de quels objectifs convient-il en définitive d’apprécier la performance des politiques sociales ? Doit-il s’agir uniquement de la mesurer au regard des objectifs européens, qui peuvent n’apparaître que comme des « plus grands communs dénominateurs » ? Dans quelle mesure doit-on pondérer ou compléter cette évaluation par l’analyse de la performance des politiques au regard des objectifs qui leur sont fixés au niveau national ? Par exemple, si les Pays-Bas n’atteignent pas certains objectifs européens, les politiques de conciliation peuvent néanmoins y être jugées performantes, au regard de la grande cohérence d’un système organisé autour du temps partiel et de la satisfaction des parents.
Concernant la France, Mme Jeanne Fagnani, a souligné la nécessité de clarifier les objectifs assignés aux politiques familiales. De même, l’étude comparée figurant en annexe souligne que « les différents objectifs assignés aux politiques d’articulation créent des incohérences, voire des effets pervers », concernant notamment le congé parental (348), et que « le système n’est pas pensé dans sa globalité avec des objectifs clairs qui permettraient d’évaluer sa performance à l’aune de l’approche » consistant à comparer les résultats obtenus dans les différents pays par rapport aux objectifs, non pas européens, mais nationaux. À cet égard, M. Koos Richelle (349) a d’ailleurs estimé que le terme de « performance » était peut-être trop normatif pour correspondre à la diversité des enjeux dans les États membres.
● Concernant les moyens, il n’est pas toujours aisé d’évaluer précisément et de comparer des dépenses publiques concernant des dispositifs très différents, compte tenu des données disponibles. Par exemple, l’étude en annexe a retenu la base de données qui est apparue la plus robuste pour analyser les dépenses relatives à l’accueil de la petite enfance, mais les dernières données dataient de 2005 (350).
● S’agissant enfin de l’évaluation des résultats, des données semblent lacunaires dans certains domaines, par exemple le secteur périscolaire ou la qualité de l’accueil, dont l’évaluation pourrait nécessiter d’aller au-delà des seuls indicateurs relatifs au nombre d’enfants par encadrant ou à leur niveau de qualification. De manière générale, les données statistiques présentent également plusieurs limites en termes de comparabilité et d’interprétation. Enfin, certaines réformes peuvent être plus lentes à produire leurs effets.
Sur un plan plus qualitatif et en vue notamment de mesurer la satisfaction des bénéficiaires finaux des politiques (les parents), il existe certes des enquêtes et sondages d’opinion réalisés au niveau européen (cf. par exemple, infra, le graphique sur la perception des difficultés en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle dans différents pays européens), mais pas nécessairement sur tous les aspects soulevés par ces questions ni, semble-t-il, concernant certains publics, tels que les parents isolés.
Par ailleurs, des évaluations qualitatives peuvent être réalisées au niveau national. Par exemple, en Allemagne, le ministère fédéral a fait réaliser des enquêtes auprès des familles en Allemagne pour mesurer l’impact de réforme ou de prestation relevant des politiques familiales (351). Toutefois, pour apprécier la performance comparée des politiques de conciliation, il eût fallu idéalement réaliser de telles enquêtes qualitatives dans différents pays européens, par exemple sous forme d’entretien de group (« focus group »), voire suivre des cohortes dans le temps, mais cela était matériellement impossible dans les délais impartis.
L’intérêt des études qualitatives pour l’évaluation des politiques publiques
« Les études qualitatives sont utilisées pour mieux comprendre en profondeur les opinions, représentations et comportements. C’est grâce au temps passé à écouter les personnes choisies avec soin comme étant réellement concernées par la problématique, et au mode d’interview (non directif) que certaines opinions peuvent être exprimées, sortant du discours "convenu" obtenu lors d’un questionnaire quantitatif fermé. Elles sont complémentaires des données chiffrées quantitatives qu’elles permettent d’éclairer ou de nuancer. »
Source : Union nationale des associations familiales (Unaf), Écouter les familles pour mieux les comprendre n° 1 (mars 2009)
Nonobstant ces limites, plusieurs enseignements peuvent néanmoins être tirés de l’observation et de l’analyse des politiques de conciliation.
b) De bons résultats dans certains domaines, en particulier la natalité et l’insertion professionnelle qui se fait plutôt à temps plein
Les mesures des résultats des politiques de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle peuvent tout d’abord s’appuyer sur l’analyse des principaux indicateurs sociaux, en particulier en matière de fécondité et d’emploi, qui font apparaître plusieurs points positifs du système français :
– un emploi des femmes majoritairement à temps plein, contrairement par exemple aux Pays-Bas, où le temps partiel est très développé : en effet, si l’on compare les taux d’emploi recalculés en équivalent temps plein, comme l’illustre le graphique ci-après, la France se place alors en 2e position parmi les pays du panel ; par ailleurs, l’écart de taux d’activité entre les hommes et les femmes (8,7 points) est inférieur à celui des Pays-Bas, de l’Allemagne et du Royaume-Uni (de 11,1 à 12,3 points) ;
TAUX D’EMPLOI DES FEMMES ET TAUX D’EMPLOI EN ÉQUIVALENT TEMPS PLEIN,
15-64 ANS, EN 2010
(en pourcentage)
Source : étude de Sciences Po/CEE, LIEPP et OFCE, annexée au présent rapport (Eurostat, EFT)
– un niveau de fécondité qui est le deuxième plus élevé en Europe et très supérieur à celui de l’Allemagne, où 30 % des femmes n’ont aucun enfant, selon Mme Jeanne Fagnani, contre 10 à 15 % seulement en France.
INDICE CONJONCTUREL DE FÉCONDITÉ (352) DANS LES PAYS DE L’UNION EUROPÉENNE EN 2009
Source : Eurostat, in France, portrait social. Édition 2011, Insee (novembre 2011)
Pour apprécier les résultats des politiques de conciliation, il s’agit là d’un point important – et en l’occurrence très clairement à l’avantage de la France – , qui peut également justifier d’apporter un tempérament à l’analyse comparative présentée en annexe. On peut en effet considérer que les politiques de conciliation n’ont pas seulement pour objectif de prendre acte et d’accompagner une natalité dynamique, ainsi que de limiter ses effets éventuellement négatifs sur les carrières des femmes (353) – cette approche impliquant de juger de l’efficacité des dispositifs essentiellement à l’aune des objectifs d’insertion professionnelle et d’égalité –mais aussi de concourir à soutenir la natalité, au même titre que d’autres instruments, et ce, y compris dans des pays où celle-ci est déjà élevée.
Par ailleurs, les objectifs européens sont atteints, en termes d’emploi et de modes de garde formels : de ce point de vue, le système français peut être jugé performant, ainsi que le souligne l’étude présentée en annexe.
Au niveau plus qualitatif, les parents sont globalement satisfaits de leur mode de garde. M. François Fondard, président de l’Unaf (354), a ainsi indiqué qu’« aujourd’hui, 90 % des jeunes familles souhaitent faire garder leur enfant en crèche, mais le nombre de places y étant limité – il n’y en a que 350 000, soit 15 % du nombre des enfants de zéro à trois ans –, elles se tournent vers les assistantes maternelles, qui leur donnent globalement satisfaction. Comme le montre en effet une enquête qualitative que nous avons menée avec des entretiens individuels (355), neuf familles sur dix se déclarent satisfaites de leur mode de garde. » . De même, selon l’enquête précitée de la Drees de 2007, 72 % des parents se déclaraient satisfaits du mode de garde, même si cela ne signifie pas qu’ils n’éprouvent pas de difficultés en termes de conciliation (cf. infra).
Enfin, l’accent mis sur le « libre choix » en France, même s’il présente certaines limites dans la pratique, permet pour les parents, et particulièrement pour les femmes, d’avoir un parcours peut-être moins normé qu’il ne peut l’être, par exemple, en Suède. Ainsi, M. Stefan Ackerby a rappelé qu’en principe, les enfants y sont gardés par leurs parents jusqu’à l’âge d’un an, puis par une structure préscolaire d’accueil avec un contenu pédagogique jusqu’à l’âge de 6 ans, âge où l’enfant commence la scolarité obligatoire. En France, une femme peut probablement plus facilement reprendre une activité, si elle le souhaite, dès dix semaines suivant la naissance, compte tenu de l’offre de garde mais aussi d’une acceptation sociale plus importante que dans d’autres pays, tels que l’Allemagne.
c) Mais des voies d’amélioration afin de favoriser l’égalité des genres et l’emploi des mères et de mieux répondre aux difficultés parfois exprimées par les parents
Il apparaît tout d’abord qu’en France et dans l’Union européenne, l’emploi des femmes a globalement progressé entre 2000, année de l’adoption de la Stratégie de Lisbonne, et 2010, échéance fixée pour l’atteinte de ses objectifs, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
Toutefois, la France atteint tout juste le seuil de 60 %, tandis que l’emploi des femmes est près de dix points supérieur en Suède ou au Danemark par exemple.
L’ÉVOLUTION DU TAUX D’EMPLOI DES FEMMES DANS SIX PAYS EUROPÉENS ET DANS L’UNION EUROPÉENNE ENTRE 2000 ET 2010 PAR RAPPORT AUX OBJECTIFS DE LISBONNE
Les taux d’emplois concernent les personnes âgées de 15 à 64 ans.
Source : Eurostat 2011, Rapport à la Commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2011)
En effet, si dans l’esprit du « benchmarking », on compare la situation de la France aux pays obtenant les meilleurs résultats dans ce domaine, il est clair que des progrès restent à faire en matière d’égalité dans l’emploi entre les hommes et les femmes. Ainsi, le taux d’emploi des mères d’enfants en bas âge est significativement plus important en Suède et, plus généralement, les écarts d’activité entre hommes et femmes y sont également moins marqués, comme l’indique le tableau ci-dessous.
L’EMPLOI DES FEMMES EN FRANCE ET EN SUÈDE
(en pourcentage et en points)
France |
Suède | |
Taux d’emploi des femmes de 15 à 64 ans (2010) |
59,9 % |
70,3 % |
Taux d’emploi des mères dont le benjamin a moins de six ans (2010 pour la France et 2009, pour la Suède) |
65,7 % |
80,9 % |
Différence entre les taux d’activité selon le sexe (2010) |
8,7 |
5,6 |
Écart de taux d’emploi hommes/femmes en ETP (2008) |
13,6 |
10,7 |
Source : tableau réalisé d’après les données présentées sur les graphiques 13, 14 et 18 de l’étude comparée de Sciences Po/CEE, LIEPP et OFCE présentée en annexe
D’un point de vue plus qualitatif, et concernant tout d’abord l’appréciation portée sur les dispositifs actuels, il semblerait que même si globalement les parents sont satisfaits du mode de garde obtenu pour leur enfant, l’accueil collectif est généralement plébiscité au moment du choix (quand les femmes sont enceintes ou en congé maternité), et notamment parce qu’il favorise l’apprentissage de la vie en collectivité. En outre, il ressort d’une enquête qualitative réalisée par l’Unaf (cf. encadré ci-dessous) que le congé parental n’était pas perçu comme offrant une véritable liberté de choix, en raison du faible montant de l’indemnité.
Les enseignements d’une étude qualitative réalisée auprès de familles concernant la perception des congés familiaux
Selon les résultats de cette enquête, « la possibilité de s’occuper de son enfant après la naissance est appréciée, mais là encore le sentiment des mères n’est pas celui d’une vraie liberté de choix. Le congé maternité est perçu comme beaucoup trop court, « inhumain » (...), les mères déclarent donc tout faire pour allonger ce congé : vacances, RTT, congés maladies pour dépression post-natale " de complaisance ". Le congé parental est perçu comme appréciable mais n’offrant pas un véritable choix du fait du faible montant de l’indemnité. » Par ailleurs, sur la proposition concernant le congé parental d’un an rémunéré à 67 %, l’étude note que « cette proposition séduit clairement un bon nombre de parents interviewés ». Enfin, « la possibilité de partager le congé parental avec le père est perçue de manière très positive, à la fois pour lui et pour la mère. ».
Source : « Modes de garde : vécu et attentes des parents et futurs parents », Unaf (mars 2009)
Par ailleurs, les enquêtes d’opinion semblent suggérer une perception plus aiguë des difficultés en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle en France.
LA PERCEPTION DES DIFFICULTÉS À TROUVER LE BON ÉQUILIBRE ENTRE VIE PRIVÉE ET VIE PROFESSIONNELLE DANS DIFFERENTS PAYS EUROPÉENS
Note : la question posée était la suivante : « Trouvez-vous personnellement très difficile, plutôt difficile, plutôt facile ou très facile de concilier le travail et la vie familiale ? » Les réponses sont, de gauche à droite : très difficile (en noir), moyennement difficile (en gris clair), plutôt facile (en gris moyen), très facile (en gris foncé), et sans réponse (en blanc).
Source : « Family life and the needs of an ageing population », enquête Eurobaromètre réalisée à la demande de la Direction générale pour l’emploi, les affaires sociales et l’égalité des chances par la Commission européenne (octobre 2008)
À cet égard, M. Claude Martin a souligné que si les taux d’activité des femmes françaises sont satisfaisants, le stress au travail est très élevé, en s’interrogeant par ailleurs sur un « mal-être de genre » susceptible de toucher les femmes, soumises à une multitude d’injonctions (être une bonne mère, une bonne épouse, une bonne employée, réussir sa vie personnelle, etc). Concernant les questions de conciliation, il a également rappelé qu’un nombre important de femmes en France prenaient des psychotropes, et qu’un sondage a révélé que la France est le pays d’Europe où les enfants parlent le moins avec leur père.
*
Les politiques visant à favoriser la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle semblent donc relativement efficaces par rapport à d’autres pays européens si l’on regarde les principaux indicateurs, qui montrent que les femmes françaises ont beaucoup plus d’enfants et que leur taux d’emploi, sans être parmi les plus élevés, reste supérieur à la moyenne européenne.
De ce point de vue, il est vrai qu’il y a là une forme de « petit miracle », selon les termes de Mme Brigitte Grésy, qui a toutefois également considéré que le système français est « miraculeux, mais fragile », en identifiant notamment parmi les sujets de préoccupation le manque de places pour l’accueil des enfants en bas âge et la prise en charge par l’éducation nationale des enfants de moins de trois ans.
Au regard notamment des moyens significatifs alloués par les pouvoirs publics aux politiques d’articulation, et des attentes ou des difficultés parfois exprimées par les parents, des marges de progression existent en effet, en vue, en particulier, de mieux soutenir l’emploi des mères, de promouvoir l’égalité des genres, et de mieux répondre à certaines difficultés de conciliation entre famille et travail, qui sont souvent plus aiguës pour les parents seuls.
C.– LES POLITIQUES PUBLIQUES CONCERNANT LES FAMILLES MONOPARENTALES
En raison de leur augmentation et de leur plus grande exposition à la pauvreté et à la précarité (1), les familles monoparentales constituent « un défi pour les politiques sociales », selon les termes de Mme Anne Eydoux (356), maître de conférences d’économie, chercheuse à l’Université de Rennes 2 (Cress-Lessor) et associée au Centre d’études de l’emploi (CEE).
Dans les différents pays européens, les parents isolés ne sont pas toujours identifiés comme une cible spécifique des politiques publiques et, lorsque c’est le cas, les dispositifs mis en place en leur faveur apparaissent très variés.
Néanmoins, une relative convergence peut être observée en Europe concernant la nécessité de soutenir l’accès à l’emploi des parents isolés – le cas échéant, au même titre que l’ensemble des parents, pour les pays n’ayant pas de dispositifs ciblés –, de sorte que leurs revenus soient moins dépendants des prestations sociales et qu’ils soient ainsi mieux protégés du risque de pauvreté, ainsi que leurs enfants (2). Les politiques publiques en direction des parents isolés s’inscrivent donc nécessairement dans une perspective plus large visant à favoriser l’emploi des femmes.
Comme pour les politiques de conciliation, les éléments de constat, concernant notamment la situation socio-économique ainsi que les dispositifs mis en place en faveur des parents isolés, seront présentés brièvement compte tenu de leur analyse très approfondie dans l’étude présentée en annexe. Enfin, si aucun des cinq pays étudiés ne propose un réel modèle de réussite, l’analyse comparée des politiques qui y sont mises en œuvre fait apparaître plusieurs leviers de l’action publique susceptibles de soutenir l’accès à l’emploi et de lutter contre la pauvreté des familles monoparentales (3).
1. Des familles en nombre croissant, le plus souvent des mères seules, qui sont particulièrement exposées au risque de pauvreté en France et en Europe
● La « monoparentalité » : une notion complexe aux contours mouvants
Comme l’ont souligné un certain nombre de personnes auditionnées, le terme de « parents isolés » recouvre une réalité évolutive et multiforme.
En effet, en rappelant qu’elle concerne aujourd’hui environ deux millions de familles et près d’un enfant sur cinq, Mme Christine Kelly, présidente de la Fondation K d’urgences (357), a souligné combien la monoparentalité est un phénomène complexe : le père peut être plus ou moins présent, il peut s’agir d’une famille recomposée qui ne dit pas son nom, ou à l’inverse d’une situation qui est dissimulée à l’entourage, d’une situation transitoire, etc. Mme Anne Eydoux a également souligné les difficultés de définition, mais aussi de comparaison entre les pays, compte tenu de la dispersion des données et des différentes définitions retenues au niveau national.
Il s’agit très majoritairement de mères seules, en France (85 % des parents isolés), comme en Europe, la Suède se distinguant toutefois par la proportion significative d’hommes parmi les parents isolés (32 %), selon l’étude annexée au présent rapport (358). Les raisons de la monoparentalité varient également selon les pays : en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, la proportion de parents divorcés ou séparés est élevée, tandis que dans d’autres, tels que le Royaume-Uni ou la Suède, la maternité célibataire est plus importante.
Par ailleurs, la proportion de parents isolés tend à augmenter dans les différents pays européens, et notamment en France, où elle a augmenté de 2,9 points depuis 2005.
● Des familles particulièrement exposées au risque de pauvreté
Les personnes vivant au sein d’une famille monoparentale sont particulièrement touchées par la pauvreté. En effet, selon les dernières données de l’Insee (359), en France, près d’un tiers de ces personnes sont pauvres au sens monétaire, soit une proportion 2,3 fois plus élevée que dans l’ensemble de la population, et le taux de pauvreté des familles monoparentales (360) a augmenté (de 29,7 % à 30,9 %) entre 2005 et 2009, comme l’illustre le graphique ci-dessous.
ÉVOLUTION DU TAUX DE PAUVRETÉ EN FRANCE PAR TYPE DE MÉNAGES ENTRE 2005 ET 2009
(en pourcentage)
Source : Insee, France, portrait social 2011 (novembre 2011)
Mme Sabine Fourcade (361), directrice générale de la cohésion sociale (DGCS), a précisé à cet égard que les risques d’exclusion sociale sont plus particulièrement importants concernant les mères seules avec des enfants en bas âge, tout en observant que les familles monoparentales ne devaient pas être considérées, de manière générale et par principe, comme des familles en danger.
Au niveau européen, Mme Anne Degrand-Guillaud, spécialiste de la lutte contre la pauvreté, entendue par les rapporteurs lors de leur entretien avec des membres du cabinet du Commissaire européen pour l’emploi et les affaires sociales (362), a fait part de ses inquiétudes concernant les familles monoparentales, en ayant le sentiment que leur pauvreté tendait à se développer en Europe.
Il apparaît en effet que, dans d’autres pays, les foyers monoparentaux sont également particulièrement exposés au risque de précarité, comme l’indiquent l’analyse comparative en annexe ainsi que les éléments présentés par Mme Anne Eydoux (363) et reproduits ci-après, concernant le taux de pauvreté de ces foyers comparé à celui des autres ménages avec enfants.
En particulier, l’étude annexée au présent rapport souligne que le taux de pauvreté des familles monoparentales « est près de deux fois plus élevé en France et au Royaume-Uni que celui de l’ensemble des ménages avec enfants, près de 2,5 fois plus élevé aux Pays-Bas et en Suède et près de trois fois plus élevé en Allemagne », en notant également « une hausse importante du taux de pauvreté des parents isolés en Allemagne, tandis que le taux de pauvreté aurait fortement baissé au Royaume-Uni entre 2008 et 2009. En France, compte tenu de la rupture de série signalée par Eurostat en 2008, le taux de pauvreté est relativement stable. »
TAUX DE PAUVRETÉ DES FOYERS MONOPARENTAUX COMPARÉ À CELUI DES AUTRES MÉNAGES AVEC ENFANTS
(en pourcentage)
1997 |
2005 |
2008 |
2009 | |
Union européenne Autres ménages avec enfants |
37 17 (UE 15) |
31 17 (UE 27) |
35 18 (UE 27) |
34 17 (UE 27) |
Allemagne Autres ménages avec enfants |
48 12 |
26 11 |
36 13 |
37 13 |
France Autres ménages avec enfants |
30 15 |
26 13 |
29 16 |
29 15 |
Norvège Autres ménages avec enfants |
- - |
20 7 |
21 8 |
29 9 |
Royaume-Uni Autres ménages avec enfants |
55 22 |
38 19 |
46 19 |
35 18 |
Suède Autres ménages avec enfants |
- - |
20 8 |
27 11 |
29 11 |
Le taux de pauvreté des foyers monoparentaux en pourcentage est indiqué en police romaine, tandis que celui des autres ménages avec enfants est indiqué en italique.
Source : Eurostat, EU-SILC (éléments présentés lors de l’audition de Mme Anne Eydoux, chercheuse au Centre d’études de l’emploi, le 28 septembre 2011)
En Suède, Mme Sophia Lövgren, secrétaire générale de l’association Makalösa Föräldrar (364), qui propose des aides aux familles monoparentales, a souligné que celles-ci sont confrontées à un risque de pauvreté matériel important, en soulignant par ailleurs leurs conditions de logement plus difficiles ainsi qu’un manque de liens sociaux.
Par ailleurs, en Allemagne, selon les informations communiquées par les représentants du ministère fédéral de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse (365), 43,7 % des parents isolés ont un revenu mensuel net moyen se situant entre 1 300 et 2 600 euros, et 41,7 % disposent de moins de 1 300 euros.
● L’insertion professionnelle des parents isolés
Comme l’indique le tableau ci-après, les enfants des familles monoparentales sont confrontés à un risque élevé de pauvreté, mais l’on peut observer également que, dans le cas par exemple de la France, le taux de pauvreté est divisé par plus de deux lorsque le père ou la mère exerce une activité professionnelle.
Outre les aides sociales, l’accès à l’emploi apparaît ainsi stratégique pour lutter contre la pauvreté des familles monoparentales.
À cet égard, comme l’a constaté M. Olivier Thévenon, économiste à l’Ined et à l’OCDE (366), en présentant le graphique ci-dessous, le taux d’emploi des parents isolés est plus élevé en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE, tandis que leur taux de pauvreté est nettement inférieur à celle-ci.
TAUX D’EMPLOI ET DE PAUVRETÉ DES PARENTS ISOLÉS DANS LES PAYS DE L’OCDE EN 2007
(en pourcentage)
Source : OCDE (éléments présentés lors de l’audition de M. Olivier Thévenon le 12 avril 2011)
TAUX DE PAUVRETÉ DES ENFANTS ET DES FAMILLES SELON LA SITUATION AU REGARD DE L’EMPLOI (DU MILIEU À LA FIN DES ANNEES 2000)
(en pourcentage)
Enfants |
Un seul parent |
Deux parents | ||||
Ne travaillant pas |
Travaillant |
Aucun ne travaille |
Un seul |
Les 2 | ||
Autriche |
6.2 |
51.3 |
10.5 |
36.3 |
4.5 |
2.9 |
Belgique |
10.0 |
43.2 |
10.1 |
36.1 |
10.6 |
2.5 |
République tchèque |
10.3 |
71.4 |
10.3 |
43.2 |
9.5 |
0.7 |
Danemark |
3.7 |
33.9 |
5.1 |
29.2 |
7.8 |
0.6 |
Estonie |
12.4 |
94.5 |
29.2 |
75.4 |
16.3 |
3.1 |
Finlande |
4.2 |
46.3 |
5.6 |
23.4 |
8.9 |
1.1 |
France |
8.0 |
35.8 |
14.6 |
18.1 |
8.7 |
3.0 |
Allemagne |
8.3 |
46.2 |
11.6 |
23.2 |
3.7 |
0.6 |
Grèce |
13.2 |
83.6 |
17.6 |
39.2 |
22.1 |
4.0 |
Hongrie |
7.2 |
30.8 |
21.3 |
9.6 |
6.5 |
3.1 |
Islande |
8.3 |
22.9 |
17.1 |
51.0 |
28.8 |
4.1 |
Irlande |
16.3 |
74.9 |
24.0 |
55.4 |
15.7 |
1.9 |
Israël |
26.6 |
81.1 |
29.6 |
86.4 |
37.5 |
3.6 |
Italie |
15.3 |
87.6 |
22.8 |
79.3 |
22.5 |
2.7 |
Luxembourg |
12.4 |
69.0 |
38.3 |
27.4 |
15.8 |
5.3 |
Pays-Bas |
9.6 |
56.8 |
23.2 |
63.1 |
14.6 |
1.8 |
Norvège |
5.5 |
42.5 |
5.9 |
45.4 |
7.3 |
0.2 |
Pologne |
21.5 |
74.9 |
25.6 |
51.2 |
28.4 |
5.7 |
Portugal |
16.6 |
90.2 |
26.2 |
53.2 |
34.3 |
4.8 |
Espagne |
17.3 |
78.0 |
32.2 |
70.6 |
23.2 |
5.1 |
République slovaque |
10.9 |
65.9 |
23.9 |
66.0 |
18.2 |
1.8 |
Suède |
7.0 |
54.5 |
11.0 |
46.0 |
18.5 |
1.4 |
Suisse |
9.4 |
21.6 |
7.6 |
|||
Turquie |
24.6 |
43.6 |
31.9 |
28.1 |
18.9 |
20.2 |
Royaume-Uni |
10.1 |
39.1 |
6.7 |
35.8 |
9.0 |
1.0 |
États-Unis |
21.6 |
91.5 |
35.8 |
84.1 |
30.6 |
6.6 |
OCDE 34 moyenne |
12.7 |
61.4 |
21.3 |
49.4 |
17.3 |
3.9 |
Le taux de pauvreté des enfants est défini comme la proportion d’enfants vivant dans des familles dont le revenu est inférieur à 50 % du revenu médian pour l’ensemble de la population (367).
Source : OCDE 2011 (questionnaire sur la distribution des revenus)
Dans les cinq pays européens sous revue, l’étude comparée présentée en annexe fait ressortir plusieurs points saillants concernant l’insertion professionnelle des parents isolés :
– le taux d’emploi des parents isolés en France (73 %) est le deuxième plus élevé des cinq pays, derrière la Suède (81 %) et devant les Pays-Bas (69,8 %), l’Allemagne (68%) et le Royaume-Uni (56,8 %) ;
– le recours au temps partiel est plus faible en France (28,4 %), à l’inverse notamment des Pays-Bas ;
– la France et la Suède se distinguent par une faible différence de taux d’emploi entre les parents isolés et l’ensemble des parents, contrairement par exemple aux Pays-Bas et surtout au Royaume-Uni, où le taux d’emploi des mères isolées est plus de dix points inférieur à celui de l’ensemble des mères ;
– en revanche, le taux de chômage des mères isolées est partout supérieur à celui de l’ensemble des mères : le rapport note ainsi que « de même qu’en Suède, en France, le taux de chômage des mères isolées (15 %) est plus élevé que celui de l’ensemble des mères (9,6 %) ».
2. De multiples leviers d’action reflétant, comme pour les politiques de conciliation, les différentes figures contemporaines de l’État social
Comme l’a rappelé Mme Anne Eydoux (368), on distingue traditionnellement trois grands systèmes de protection sociale ou d’ « État social » (369) :
– le modèle libéral (ou résiduel), qui repose sur la responsabilité individuelle et la régulation par le marché, les politiques sociales étant financées par l’impôt et les prestations visant prioritairement à aider les familles les plus vulnérables, par exemple le Royaume-Uni et les États-Unis ;
– le modèle universaliste (ou social-démocrate), mis en œuvre dans les pays scandinaves, où la protection sociale est financée par l’impôt et s’inscrit dans une logique égalitariste et universaliste, en proposant notamment une offre développée de services à l’ensemble de la population ;
– le modèle corporatiste (encore appelé conservateur ou assurantiel), où les prestations sociales et leur niveau sont essentiellement conditionnés par le versement de cotisations prélevées sur les salaires, comme c’est le cas en Allemagne, et où les modèles des politiques familiales reposent plutôt sur le modèle du « male breadwinner » (« gagne-pain masculin - chef de famille »).
En fonction des caractéristiques propres aux différentes formes d’État-providence – qui contribuent également à expliquer la diversité des approches adoptées en matière de conciliation (370) – mais aussi de leurs spécificités culturelles et historiques, les cinq pays étudiés ont développé, à l’égard des familles monoparentales, des politiques publiques plus ou moins ciblées ou universalistes, qui se caractérisent également par une évolution progressive de l’« assignation » aux tâches domestiques « à l’activation (371) ».
a) Entre ciblage et universalisme : deux grandes catégories de pays, selon que les parents isolés constituent ou non une cible spécifique des politiques publiques
● Les éléments de typologie et le modèle universaliste suédois
Schématiquement, deux grands groupes de pays peuvent être distingués, selon l’approche retenue à l’égard des familles monoparentales :
– les pays où les parents isolés constituent, de longue date, une cible spécifique des politiques publiques, en particulier la France et le Royaume-Uni, qui ont tous deux mis en place une prestation spécifique pour ces publics : l’allocation de parent isolé (API), créée en France en 1976 et désormais remplacée par le revenu de solidarité active (RSA) majoré (cf. l’encadré présenté ci-après), et l’allocation sous conditions de ressources créée en 1975 au Royaume-Uni (income support) ;
– ceux où tel n’est pas le cas, mais où les parents isolés peuvent néanmoins faire l’objet d’un traitement différencié, au cas par cas, selon l’étude présentée en annexe au présent rapport et parmi lesquels l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suède (372).
À cet égard, Mme Ulroika Hagström et M. Mats Essemyr, experts au département pour les questions sociales du syndicat suédois TCO (373), ont rappelé que les prestations sociales sont universelles et individuelles en Suède, et que les parents isolés touchent donc les mêmes aides sociales que les parents en couple, ainsi qu’une aide supplémentaire de l’État lorsque l’autre parent ne peut payer la pension alimentaire (en l’absence de ressources ou s’il est en prison, par exemple). Observant que les familles monoparentales et leurs difficultés sont aujourd’hui une problématique émergente, ils ont également fait état de critiques concernant le niveau de prestations sociales liées aux enfants et de la pension de remplacement de la pension alimentaire, qui n’auraient pas été réévaluées depuis quinze ans.
La Suède apparaît ainsi comme l’archétype du modèle d’État social universaliste, avec la prégnance d’une logique individualiste en matière de droits, ne tenant pas particulièrement compte de la situation conjugale ou familiale (cf. supra, sur le système de l’imposition individuelle). De ce fait et en cohérence avec l’ensemble du système socio-fiscal, il n’y a pas de dispositif ciblé en direction des parents isolés, exceptées les avances sur pension alimentaire.
● La diversité des dispositifs ciblés en faveur des parents isolés en Europe
Les pouvoirs publics peuvent utiliser un large éventail d’instruments pour aider les parents isolés, comme l’illustre le tableau ci-après élaboré à partir des informations recueillies auprès des postes diplomatiques. Il peut s’agir par exemple de compléments d’allocations familiales, d’exonérations fiscales, de dispositions relatives aux congés parentaux, de prestations d’aide à la garde d’enfants, de compléments d’aide sociale ou d’allocations de logement, de garanties de ressources, ou encore d’avances sur pension alimentaire.
En Allemagne, il est à noter que s’il n’y a pas de garantie minimale de ressources spécifique pour les parents isolés, comme c’est le cas en France par exemple, les représentants du ministère fédéral chargé de la famille (374) ont néanmoins évoqué plusieurs prestations s’adressant particulièrement aux parents isolés (375) (cf. également, dans la section D infra, le schéma relatif aux aides apportées aux parents isolés en Allemagne).
● Les prestations liées à la monoparentalité en France
Le revenu de solidarité active (RSA) majoré constitue aujourd’hui la principale prestation sociale liée à la monoparentalité.
Les prestations liées à la monoparentalité en France : l’allocation de soutien familial (ASF), l’allocation de parent isolé (API) et le revenu de solidarité activé (RSA)
• L’allocation de soutien familial (ASF) est versée aux personnes qui ont la charge d’un enfant privé de l’aide de l’un ou de ses deux parents, qu’il soit orphelin, que sa filiation ne soit pas légalement établie ou que l’un de ses parents, ou les deux, se soustrait à ses obligations d’entretien ou au versement d’une pension alimentaire (376), ou se trouve hors d’état d’y faire face. 750 000 allocataires perçoivent l’ASF en 2009, soit 4 % de plus qu’en 2008.
• L’allocation de parent isolé (API) est un minimum social qui garantit aux parents assumant seuls la charge d’au moins un enfant ou d’un enfant à naître un revenu minimum. L’API est versée pendant 12 mois, lorsque le plus jeune enfant a plus de 3 ans (API courte), ou bien jusqu’au mois précédant le 3ème anniversaire du plus jeune enfant (API longue), lorsque celui-ci a moins de 3 ans. Au 1er juin 2009, le RSA a été mis en place en métropole, qui en remplaçant notamment l’API, qui continue cependant d’être servie dans les départements d’outre-mer ainsi que dans quelques situations spécifiques en métropole.
• Le revenu de solidarité active (RSA) est une prestation entrée en vigueur le 1er juin 2009, en France métropolitaine. Il remplace notamment le revenu minimum d’insertion (RMI), l’API et les mécanismes d’intéressement à la reprise d’activité propres à ces minima. Il permet ainsi aux personnes dépourvues de revenus professionnels de disposer d’un revenu garanti forfaitaire (RSA socle) en fonction de la composition du foyer. Ce revenu est majoré (RSA socle majoré) pour les parents isolés. Les bénéficiaires qui perçoivent de faibles revenus d’activité peuvent également bénéficier d’un complément de revenu (le « RSA activité » : sur ce point, ainsi que sur les droits et devoirs des bénéficiaires du RSA, cf. l’encadré présenté infra). Au 31 décembre 2009, 223 500 personnes bénéficiaient du RSA socle majoré ou de l’API, soit 11,5 % de plus qu’en 2008.
Source : Les prestations familiales et de logement en 2009, Drees, Études et résultats n° 769 (juillet 2011)
DISPOSITIFS SPÉCIFIQUES PRÉVUS EN FAVEUR DES FAMILLES MONOPARENTALES
Pays |
Compléments d’allocations familiales |
Exonérations fiscales |
Congés parentaux |
Compléments d’aide sociale ou d’allocations logement |
Garanties de ressources pour parents isolés |
Avances sur pension alimentaire |
ALLEMAGNE Nature de l’aide |
Déduction supplémentaire des impôts pour les parents isolés |
Allocation de parent isolé dans le cadre de l’allocation de chômage ou l’aide sociale |
Si le parent non résident ne respecte pas ses obligations de paiement de pensions alimentaires pour enfants vers le parent résident, l’État verse des avances sur ces pensions alimentaires pour compenser les défauts ou retards de paiement : | |||
Montant et conditions d’attribution |
1 308 euros par an. Un ou plusieurs enfants mineurs vivent dans le ménage du parent isolé (la limite d’âge de l’enfant passe à 25 ans si l’enfant suit une formation ou des études). |
131 euros par mois si un enfant de moins de 7 ans, ou deux ou trois enfants de moins de 16 ans vivent dans le ménage ; 175 euros par mois avec 4 enfants mineurs ; 218 euros par mois avec 5 ou plus d’enfants mineurs |
– 117 euros pour les enfants de moins de 6 ans, 158 euros pour les moins de 12 ans ; – versé pendant 72 mois au maximum ; limite d’âge à 12 ans. | |||
Nombre de bénéficiaires |
Il n’existe pas de statistiques, mais le ministère de la famille estime qu’entre 600 000 et 1,3 million de parents isolés en bénéficient. |
Il n’en existe pas de statistiques |
Environ 500 000 cas par an | |||
AUTRICHE |
Allocation parentale d’éducation (Kinderbetreuungs-geld) : les parents isolés et les familles économiquement faibles peuvent recevoir un supplément de 6,06 euros par jour (limite de revenu net annuel : 5 800 euros). |
Abattement fiscal pour parents isolés (Alleinerzieherabsetz-betrag) : Un montant de 494 euros est déduit par an des impôts à payer individuellement, pour le 1er enfant, 669 euros pour le 2ème, 220 euros pour tout enfant supplémentaire. |
Cf. compléments d’allocations familiales. Les parents isolés ayant soumis une demande de pension alimentaire à l’autre parent, mais ne la recevant pas encore peuvent recevoir 2 mois supplémentaires d’allocation parentale d’éducation (limite de revenu net mensuel : 1 200 euros). |
|||
ITALIE |
Il n’existe pas réellement de mesures spécifiques pour les familles monoparentales mais les mesures présentées ci-dessous s’adressent également à ces familles. Compléments d’allocations familiales. L'aide est donnée en fonction des revenus, du nombre de personnes qui composent la famille et de sa typologie. Il existe des tableaux pour calculer le montant de l'allocation, donné sous forme de chèque, qui sont publiés chaque année. La demande d'allocation doit être présentée aux employeurs ou à l’Institut national de prévoyance sociale (INPS). Il existe aussi un chèque familial qu'il faut demander aux mairies et l'INPS s'occupe du paiement. Ils peuvent être demandés par une famille composée au moins d'un parent et de trois enfants mineurs ou par des familles qui ont un salaire et des biens inférieurs à ceux prévus par l'indicateur de la situation économique (ISE). Le montant des chèques familiaux est calculé en tenant compte des seuils de revenus fixés et réévalués chaque année en fonction du taux d'inflation prévisionnel. Le montant du chèque est calculé chaque année par l'Istat (Institut de statistique). Pour 2010, le montant mensuel était de 129,79 euros (13 mois de durée). Exonérations fiscales. Il existe différents types d'exonération fiscale. L’impôt sur le revenu appelé « Irpef » (impôt sur les personnes physiques) peut être réduit sous certaines conditions et l’abattement fiscal opéré est proportionnel au revenu. Pour les familles, qui ont un parent à charge, celui-ci ne doit pas avoir un revenu supérieur à 2 840,51 euros annuels. Pour les enfants à charge, le revenu du foyer ne doit pas dépasser 95 000 euros annuels pour un enfant. Si le nombre d’enfants est plus élevé, le seuil de 95 000 euros augmente de 15 000 euros par enfant supplémentaire. L'abattement de base pour les enfants est de 800 euros (900 euros si les enfants ont moins de 3 ans). De plus, le montant augmente de 220 euros si l’enfant est handicapé et de 200 euros, pour tous les enfants, s'ils sont plus de 3. Si les parents sont divorcés, il existe différents critères pour la répartition de l'abattement. Pour les familles nombreuses (au moins 4 enfants à charge) un abattement de 1 200 euros est prévu en plus et il ne dépend pas du revenu. | |||||
NORVÈGE |
Les parents isolés – essentiellement des mères – bénéficient de mesures spécifiques : une allocation de « transition » qui peut atteindre au maximum, annuellement, 145 762 couronnes norvégiennes, soit environ 18 800 euros. Cette aide varie en fonction des revenus du travail du parent isolé. En principe, elle peut être versée pendant trois ans, mais peut par exemple être prorogée de deux ans si le parent poursuit des études. Le parent isolé peut aussi bénéficier d’une allocation l’aidant à faire garder son enfant afin de lui permettre de travailler ou de chercher un emploi de 38 652 couronnes norvégiennes (de l’ordre de 4 900 euros par an) et d’une allocation « d’éducation » à taux variable. Une aide peut aussi être attribuée au parent qui déménage pour trouver un emploi. Enfin, lorsque le parent qui n’a pas la garde de l’enfant ne paye pas la pension alimentaire qu’il doit, l’agence pour l’emploi et les affaires sociaux (NAV) peut verser au parent isolé, sous condition de ressources, une avance. | |||||
PAYS-BAS |
Réduction du revenu imposable de 945 € (377) |
Allocation de garde d'enfants ; budget enfance ; allocation logement ; allocation frais de santé (378)( |
||||
PORTUGAL |
Supplément de 20 %. Pour mémoire, les allocations familiales au Portugal ne sont pas universelles, mais sous conditions de ressources : elles sont attribuées par foyer fiscal et pour un salaire per capita (des personnes majeures) inférieur à 420 euros par mois. |
Il existe une possibilité d’exonération fiscale sur les pensions alimentaires en cas de divorce. Par ailleurs, en cas de perte d’emploi et donc de la capacité de payer une pension alimentaire, un fonds de l’Etat se substitue au parent défaillant (ce dispositif est jugé discriminatoire par certaines associations familiales, car un tel avantage n’existe pas, même proportionnellement, pour les pères ou mères mariés au chômage). |
Pas de dispositif spécifique |
Il n’existe pas au Portugal de telles garanties, car les dispositifs de garantie de ressources existants sont calculés par foyer fiscal. Un projet est néanmoins à l’étude. |
Pas de dispositif spécifique |
Source : tableau réalisé d’après les réponses des postes diplomatiques au questionnaire adressé en septembre 2011
Par ailleurs, les collectivités locales peuvent mettre en place des aides spécifiques, telles que la prestation « Paris logement Familles monoparentales (379) », ainsi que l’a expliqué Mme Olga Trostiansky, adjointe au maire de Paris chargée de la solidarité, de la famille et de la lutte contre les exclusions (380).
Les aides de la ville de Paris en faveur des familles monoparentales
« À Paris, les familles monoparentales représentent 27,6 % des familles parisiennes en moyenne. 39,9 % des familles monoparentales sont sous le seuil de bas revenus contre 20,6% pour l’ensemble des familles. Par ailleurs, presque la moitié des familles monoparentales ne sont pas imposables. Presque 40 % d’entre elles sont demandeuses d’un logement social (…). Panorama non exhaustif des mesures et des aides spécifiques de la Ville, qualifiables de mesures sociales :
– les aides spécifiques : le RSA (pour les ex-allocataires s de l’API : fin 2009, on dénombre 4 809 allocataires de la majoration isolement du RSA), Paris logement Familles monoparentales (en 2009, 6 983 familles monoparentales parisiennes ont reçu cette aide d’un montant de 122 euros maximum) ; aide pour le départ en vacances (Renouveau Vacances a traité 177 dossiers de familles monoparentales en 2009) ;
– les aides non spécifiques : au-delà des aides spécifiques, les familles monoparentales, sous réserve d’en remplir les conditions d’octroi, peuvent prétendre à d’autres aides, (…) au même titre que les couples. Il n’est alors pas possible d’isoler, parmi les bénéficiaires de ces allocations les familles monoparentales des autres. »
Source : note de la Direction des familles et de la petite enfance de la ville de Paris sur les familles monoparentales (381) (juin 2010)
Concernant enfin les transferts sociaux, l’étude annexée au présent rapport comporte une analyse approfondie de leur impact sur les conditions de vie et la pauvreté des parents isolés ainsi que de leur montant (cf. les séries de tableaux 11 et le tableau 12 relatif aux prestations sociales reçues par les parents isolés et l’ensemble des ménages de l’étude en annexe, ainsi que le tableau récapitulatif présenté infra sur les principaux résultats socio-économiques concernant les parents isolés).
b) Du « maternalisme » à l’activation : des formes de protection sociale évoluant progressivement
Comme l’a observé Mme Anne Eydoux (382), l’analyse des politiques sociales à l’égard des mères qui élèvent seules leurs enfants, et par extension à l’égard des parents isolés, peut apparaître révélatrice de la manière dont les États sociaux conçoivent la place des femmes dans la société.
● Dans plusieurs pays européens, en particulier la France, le Royaume-Uni et la Norvège, des prestations sociales dédiées aux parents isolées, plus ou moins généreuses et pour des périodes plus ou moins longues, ont été mises en place selon une approche qualifiée de « maternaliste (383) », au sens où elles avaient pour objectif de permettre aux mères isolées de ne pas travailler pour pouvoir s’occuper de leurs jeunes enfants.
Par exemple, le Royaume-Uni a mis une place en 1975 une allocation (income support) permettant aux parents isolés de s’occuper de leurs enfants, quasiment jusqu’à leur majorité, et, jusqu’au milieu des années 1990, les parents élevant des enfants de moins de 16 ans étaient éligibles à cette allocation, sous condition de ressources et sans obligation de travail ou recherche d’emploi (384). En France, en revanche, l’allocation de parent isolé (API) était temporaire, dans la mesure où elle ciblait plutôt les parents d’enfants de moins de trois enfants (« API longue »), outre l’ « API courte » évoquée plus haut.
● Afin de mieux favoriser l’insertion professionnelle des parents isolés, plusieurs réformes ont été mises en œuvre dans les pays européens étudiés ; elles sont présentées de manière approfondie dans l’étude annexée au présent rapport (385).
Au Royaume-Uni, les représentants du ministère de l’emploi et des pensions (DWP) ainsi que de l’Institut britannique pour la famille et la parentalité, qui ont été entendus par les rapporteurs (386), ont expliqué qu’auparavant, il n’y avait que très peu de soutien, sinon rien, pour inciter les parents à reprendre un travail, mais qu’un changement profond était intervenu en vue de créer des conditions plus favorables à leur insertion professionnelle, à travers notamment la mise en place d’un programme d’accompagnement spécifique (New deal for lone parents), qui semble avoir eu un impact significatif sur les taux d’emploi (cf. la section D infra).
Cette évolution semble toutefois progressive : dans ce sens, l’étude annexée au présent rapport indique que « depuis peu, les entretiens avec les conseillers des services de l’emploi sont devenus obligatoires tous les ans si les enfants ont plus d’un an ». Les représentants du syndicat TUC entendus à Londres ont par ailleurs expliqué qu’aujourd’hui les mères isolées ne peuvent être obligées des faire de recherches d’emploi en dehors des heures d’école, si elles n’ont pas de mode de garde.
En France, l’allocation de parent isolé (API) a été mise en place en 1976 , sans réelle considération pour le retour à l’emploi et plutôt comme un « salaire maternel », comme l’ont notamment rappelé MM. Claude Martin et Bertrand Fragonard (387), ce dernier ayant souligné que le RSA s’inscrit dans une perspective différente et qu’il est assorti de certaines obligations, l’impact de cette réforme devant être évalué dans le temps.
La loi (388) prévoit en effet que les bénéficiaires du RSA socle sont soumis à un ensemble de droits et devoirs, présentés dans l’encadré ci-après.
L’étude annexée au présent rapport souligne à cet égard que « la réforme du RSA renforce l’exigence d’insertion selon un principe de "droits et devoirs" qui dépendent de la situation familiale et professionnelle de l’individu », tout en relevant que des dispositions spécifiques sont prévues pour les bénéficiaires du RSA majoré, qui a remplacé l’API. En effet, l’article L. 262-28 du code de l’action sociale et des familles dispose que « les obligations auxquelles est tenu (…), le bénéficiaire ayant droit à la majoration mentionné à l’article L. 262-9 », concernant le RSA majoré au titre de l’isolement, « tiennent compte des sujétions particulières, notamment en matière de garde d’enfants, auxquelles celui-ci est astreint ». Selon l’étude annexée au présent rapport, « tant que l’enfant a moins de 3 ans, les parents isolés ne sont concernés par les devoirs d’insertion qu’une fois la garde de leur enfant assurée (Périvier, 2010). Lorsque l’enfant atteint 3 ans, ils sont soumis aux mêmes droits et devoirs que les autres bénéficiaires. »
Cette étude rappelle également qu’une évaluation réalisée en 2008 montrait que les parents isolés (qui bénéficiaient du RMI, donc des parents isolés n’ayant pas d’enfants de moins de trois ans) participaient plus aux dispositifs d’insertion que les autres allocataires de cette prestation (389).
La parution du rapport final du comité national d’évaluation du RSA, prévue en principe d’ici la fin de l’année, permettra certainement de disposer d’éléments d’analyse afin d’évaluer plus finement l’impact de la création du RSA sur la situation des parents isolés et les pratiques actuelles en matière d’accompagnement vers l’emploi.
Les droits et les devoirs prévus par la loi relative au RSA
Depuis le 1er juin 2009, le RSA s’est substitué au RMI (revenu minimum d’insertion) et à l’API (allocation de parent isolé) en France métropolitaine (loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008). Il constitue une modification majeure de la politique sociale mettant l’accent sur l’articulation entre les revenus de l’assistance et les revenus d’activité (…).
Les droits garantis par la loi
■ Le droit à un revenu minimum garanti : un droit familial
Comme le RMI et l’API, le RSA est une allocation différentielle qui complète les revenus du ménage jusqu’au niveau garanti. Ce dernier est égal à la somme :
– d’un montant forfaitaire (RSA socle) qui varie en fonction de la composition du foyer. Il est fixé par décret à un montant équivalent à celui des anciens dispositifs RMI et API (460 euros par mois, forfait logement compris, pour une personne vivant seule et 780 euros pour une personne élevant seule un enfant de moins de 3 ans : il s’agit du RSA majoré) ;
– d’une fraction des revenus professionnels des membres du foyer, fixée par décret à 62 % (RSA activité) (…)
■ Le droit à l’insertion : un droit individuel
Chaque bénéficiaire du RSA (l’allocataire ou son conjoint, concubin ou partenaire lié par un pacte civil de solidarité) a droit à un accompagnement social et professionnel adapté à ses besoins et organisé par un référent unique. La loi préconise que les personnes soient orientées en priorité vers un organisme d’insertion professionnelle (Pôle emploi ou autre organisme de placement en emploi) ou, en cas de difficultés faisant obstacle à une telle orientation, vers un organisme compétent en matière d’insertion sociale (conseils généraux, CCAS, …).
Les devoirs exigés par la loi
■ Qui est concerné par les devoirs ?
Les individus appartenant à un ménage dont les ressources initiales sont inférieures au montant forfaitaire, donc qui perçoit le RSA socle, et qui, soit n’ont pas d’emploi, soit ont un emploi avec un salaire mensuel inférieur à 500 euros.
■ Quels sont les devoirs ?
Le bénéficiaire doit rechercher un emploi, ou entreprendre des démarches pour créer son activité ou encore s’engager dans une démarche d’insertion sociale ou professionnelle. Concrètement, une fois que le foyer auquel la personne appartient perçoit le RSA, celle-ci peut être :
– orientée vers Pôle emploi : dans ce cas, elle est liée par un contrat qui implique qu’elle recherche activement un emploi selon les modalités de droits commun (comme tout chômeur) ; elle ne peut pas refuser plus de deux offres « raisonnables » d’emploi ;
– orientée vers un organisme compétent en matière d’insertion sociale : dans ce cas, elle entre dans un parcours d’insertion sociale et signe un contrat de même nature que celui que signaient les allocataires du RMI.
Source : « La logique sexuée de la réciprocité dans l’assistance », Hélène Périvier, OFCE, Centre de recherche en économie de Sciences Po, Revue de l’OFCE n° 114 (juillet 2010)
3. Quels instruments apparaissent les plus performants pour lutter contre la pauvreté et favoriser l’accès à l’emploi des parents isolés ?
Si aucun des pays du panel ne se distingue par d’excellents résultats concernant le taux de pauvreté des parents isolés, la comparaison des politiques mises en œuvre permet néanmoins d’identifier quelques leviers susceptibles d’accroître la performance de l’action publique dans ce domaine, en vue notamment de lever les obstacles à l’emploi rencontrés par les parents isolés.
a) L’absence d’un réel modèle de réussite, même si la Suède et la France apparaissent plutôt mieux positionnées
● Un champ de l’action publique qui se prête plus difficilement à une évaluation de la performance comparée des politiques mises en œuvre...
Il est en effet apparu beaucoup plus difficile de mesurer et de comparer la performance des politiques publiques concernant les familles monoparentales, en raison principalement :
– de l’absence d’objectifs communs au niveau européen dans ce domaine, mais aussi, et fort logiquement, d’objectifs fixés au niveau national dans les pays où les parents isolés ne constituent pas une cible spécifique de l’action publique ; au demeurant, même dans les pays où ils le sont, par exemple en France, il apparaît malaisé d’identifier précisément les objectifs assignés aux politiques mises en œuvre dans ce domaine (390) ;
– des limites liées aux données statistiques disponibles pour isoler et comparer les dépenses publiques correspondant aux politiques mises en œuvre en direction des parents isolés (qu’il s’agisse du coût des prestations ou des dispositifs ciblés sur ces foyers, ou encore du montant des transferts sociaux qu’ils reçoivent dans les différents pays) : en dépit de ces difficultés réelles, l’étude présentée en annexe propose néanmoins une estimation des prestions sociales reçues par les parents isolés dans les différents pays étudiés (391), mais il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit uniquement de données déclaratives, et non pas de données issues des comptabilités nationales ;
– enfin, des évaluations des résultats, qui peuvent s’appuyer sur certains indicateurs, concernant en particulier la situation socio-économique des parents isolés ou l’impact des transferts sociaux, mais qui apparaissent limités dans certains domaines.
Ainsi, l’étude annexée au présent rapport souligne que « du fait du non-ciblage des parents isolés et du caractère local du suivi, il n’y a pas d’évaluation spécifique des programmes d’activation sur les parents isolés et il est donc difficile d’en tirer un bilan différencié ». En effet, en Suède ou encore aux Pays-Bas, les pratiques varient au niveau local et selon les travailleurs sociaux, ce qui constitue une difficulté supplémentaire pour pouvoir apprécier et comparer les résultats entre les pays.
Enfin, compte tenu des données disponibles, il semble qu’il n’ait pas été possible de s’appuyer sur des enquêtes d’opinion, telles que celles ayant été réalisées au niveau européen concernant la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
● Une analyse comparative permettant néanmoins de tirer des conclusions concernant l’efficacité et la soutenabilité des différentes politiques publiques
Au regard des principaux résultats socio-économiques concernant les parents isolés dans les cinq pays européens étudiés, résumés dans le tableau ci-dessous, l’étude présentée en annexe au présent rapport souligne qu’il n’y a pas de réel modèle de réussite, dans la mesure où les taux de pauvreté sont partout très élevés (allant de 28,9 % en Suède à 37,5 % en Allemagne) et qu’« au final, aucun ne répond à l’ensemble des problèmes posés par la monoparentalité de manière totalement satisfaisante ».
PRINCIPAUX RÉSULTATS SOCIO-ÉCONOMIQUES CONCERNANT LES PARENTS ISOLÉS
(en pourcentage)
Allemagne |
France |
Pays-Bas |
Royaume-Uni |
Suède | |
Taux d’emploi |
68 (4) |
73 (2) |
70 (3) |
57 (5) |
81 (1) |
Part de temps partiel |
49 (3) |
24 (1) |
69 (5) |
51 (4) |
27 (2) |
Taux de pauvreté avant transferts |
58 (3) |
50 (2) |
64 (4) |
77 (5) |
39 (1) |
Revenu équivalent avant transferts |
53 (3) |
64 (2) |
46 (4) |
34 (5) |
64 (1) |
Prestations sociales reçues par les parents isolés |
0,6 (4) |
0,7 (2) |
0,7 (3) |
1,8 (1) |
0,4 (5) |
Niveau de vie moyen – après transferts |
66 (4) |
69 (2) |
67 (3) |
65 (5) |
70 (1) |
Taux de pauvreté - après transferts - (à 60 %) |
37(5) |
29 (2) |
33 (3) |
35 (4) |
29 (1) |
Soutenabilité |
-- |
+ |
- |
-- |
++ |
Source : étude de Sciences Po/OFCE présentée en annexe au présent rapport (EU-Silc, EFT, auteurs)
L’étude formule néanmoins plusieurs conclusions particulièrement éclairantes pour l’analyse des politiques publiques mises en œuvre et de leurs résultats :
– tout d’abord, « les performances de la Suède sont plus élevées » que celles des autres pays étudiés, tant du point de vue de la pauvreté, du niveau de vie médian par rapport à l’ensemble de la population, que de l’emploi (le taux d’emploi des parents isolés y étant en effet supérieur à 80 %) ;
– concernant plus particulièrement la France : au regard du taux de pauvreté (après transferts sociaux), « la France et la Suède sont tout de même plus performantes en matière de pauvreté que l’Allemagne ou le Royaume-Uni, où le taux de pauvreté des parents isolés est proche de 35 % » ; par ailleurs, « la France, dont les taux d’emploi sont proches de 70 %, est également relativement performante de ce point de vue » ;
– en revanche, en termes de performance dans l’emploi et de performance redistributive, le modèle de l’Allemagne est jugé « probablement le moins efficace », d’autant plus qu’il n’apparaît « pas soutenable d’un point de vue démographique » ;
– enfin, le taux d’emploi des parents isolés est particulièrement faible au Royaume-Uni (57 %) et « ces familles sont très dépendantes des transferts sociaux (…). Or la relative générosité du système social est déjà remise en question par la politique de rigueur budgétaire liée à la crise économique ».
Enfin, il est intéressant de noter que, de manière apparemment paradoxale, le pays qui est le « premier de la classe », c’est-à-dire la Suède, au regard de ses résultats en matière de pauvreté et d’emploi, est aussi celui qui ne développe aucune politique spécifique en direction des parents isolés.
b) Le caractère rémunérateur de la reprise d’un emploi, comme c’est le cas en France avec le revenu de solidarité active (RSA)
Qu’il s’agisse ou non spécifiquement des parents isolés, favoriser l’accès à l’emploi suppose, en premier lieu, de veiller à ce qu’il soit effectivement rémunérateur (« to make work pay », selon la formule anglo-saxonne), c’est-à-dire qu’il permette un gain effectif de revenu, en prenant notamment en compte l’augmentation des prélèvements obligatoires ainsi que la diminution éventuelle des prestations sociales, suite à la reprise d’une activité professionnelle, ainsi que le surcoût lié au travail (par exemple les transports, la garde d’enfants, etc.).
● En France, cette préoccupation a été l’une des raisons de la création du revenu de solidarité active (RSA) par la loi du 1er décembre 2008 (392). Cette nouvelle prestation avait notamment pour objectif, selon l’exposé des motifs du projet de loi (393), « d’offrir des moyens convenables d’existence à toute personne privée de ressources » et « de faire en sorte que chaque heure travaillée se traduise, pour l’intéressé, par un accroissement du revenu disponible – c’est-à-dire que le travail " paie " et ce, dès la première heure travaillée ».
En permettant le cumul entre revenus du travail et prestation de solidarité, cette réforme devait donc permettre d’assurer une progression du revenu total, comme l’illustre le graphique ci-après.
ILLUSTRATION THÉORIQUE DU MONTANT DU RSA EN FONCTION DES REVENUS D’ACTIVITÉ
Note : l’axe des abscisses retrace le montant des revenus d’activité de la personne concernée ; l'axe des ordonnées reflète le revenu de cette personne après versement du RSA : revenus d’activité (partie en gris foncé), RSA socle (partie en gris moyen) et RSA activité (partie en gris clair). Pour un revenu d’activité de 200 euros, une personne seule reçoit 254,63 euros de RSA socle (partie gris moyen) permettant d’atteindre le forfait de 454,63 euros ainsi que 62 % de son revenu d’activité au titre du RSA activité (partie en gris clair) soit un revenu total de 578,63 euros. Au-delà de 454,63 euros de revenus d’activité, seul le RSA activité est versé (partie clair). Au-delà de 1 200 euros de revenus d’activité, le RSA n'est plus versé.
Source : Les comptes de la protection sociale 2009, Drees, Études et résultats n° 755 (février 2011)
Il semblerait toutefois qu’une proportion non négligeable de bénéficiaires potentiels du « RSA activité » ne le demande pas, pour différentes raisons (cf. infra).
● Par rapport aux autres pays étudiés, l’étude annexée au présent rapport comporte une analyse des « contraintes budgétaires », représentant le revenu disponible après transferts (394), à partir du modèle Taxben de l’OCDE, qui s’appuie sur les législations sociales et fiscales nationales (modèle de cas-types). Le graphique présenté ci-après, extrait de cette étude, permet ainsi de mettre en évidence les incitations financières à l’emploi dans les différents pays européens.
L’étude souligne en particulier qu’ « en France, depuis la réforme du RSA, le revenu disponible est toujours une fonction croissante du revenu d’activité (…) : ainsi, toute reprise d’emploi est désormais rémunératrice », même à temps très partiel, et que, « par rapport aux autres pays, les gains à la reprise d’un emploi sont plus élevés en bas de l’échelle des revenus (c’est-à-dire pour des reprises à temps partiel, voire très partiel) ». Dans d’autres pays en effet, les incitations à la reprise d’un emploi sont faibles, voire nulles pour peu d’heures travaillées, par exemple en Suède et aux Pays-Bas, ce qui se traduit par un « plateau » au tout début des courbes, correspondant dans une certaine mesure au dispositif existant antérieurement en France avec le RMI.
ÉVOLUTION DU REVENU DISPONIBLE D’UN PARENT ISOLÉ AVEC DEUX ENFANTS EN
FONCTION DE SON REVENU NET D’ACTIVITÉ
Lecture du graphique : en France, un parent isolé avec deux enfants n’ayant aucun revenu d’activité a un revenu disponible (après transferts et impôt) équivalent à 40 % du salaire moyen (395). En Suède, le revenu disponible d’un parent isolé ayant deux enfants est équivalent à 44 % du salaire moyen, s’il ne travaille pas et jusqu’à des revenus nets d’activité équivalant à 20 % du salaire moyen.
Source : étude annexée au présent rapport, OCDE Tax Ben 2009
En revanche, l’étude note que « la France est également le pays où les revenus d’inactivité (pour les parents isolés sans autres ressources) sont les plus faibles » : ils représentent en effet 40 % du salaire moyen, contre 52 % au Royaume-Uni, par exemple. Cet élément semble corroborer l’analyse de Mme Christine Kelly (396), selon laquelle la France fait partie des pays en Europe où les mères isolées sans emploi sont les plus pauvres, après transferts sociaux. De manière plus générale, M. Bertrand Fragonard (397) a également indiqué que les bénéficiaires du RSA sont plus pauvres que leurs équivalents ailleurs en Europe et que les prestations de solidarité sont moins généreuses que dans d’autres pays européens.
Enfin, dans l’évaluation comparée des incitations financières à l’emploi, il convient également de prendre en compte les frais de garde d’enfants, comme l’a indiqué M. Oliver Thévenon, en présentant le graphique ci-après.
PARENTS ISOLÉS PRENANT UN EMPLOI À PLEIN TEMPS : POURCENTAGE DU SALAIRE BRUT CORRESPONDANT À L'IMPOSITION, À LA BAISSE DES PRESTATIONS ET AUX FRAIS DE GARDE DES ENFANTS
(pour une famille monoparentale gagnant 50 % du salaire moyen, en pourcentage du salaire brut dans le nouvel emploi en 2008)
Note : Chaque famille comprend deux enfants âgés de 2 et 3 ans. Le scénario considéré est celui d’une transition de l’inactivité professionnelle (la personne ne perçoit aucune allocation de chômage mais a droit, le cas échéant, à un revenu minimum garanti) vers un emploi à plein temps. Les enfants sont gardés à plein temps dans une structure collective lorsque le parent travaille, et le parent n’a pas de frais de garde lorsqu’il ne travaille pas. Les prestations servies à titre temporaire uniquement, immédiatement après l’entrée dans l’emploi, ne sont pas prises en compte.
Source : OCDE (audition de M. Olivier Thevenon, économiste à l’Ined et à l’OCDE, le 12 avril 2011)
Le graphique fait notamment apparaître que, dans ce cas de figure, la part de revenu absorbé suite à la reprise d’un emploi en France (en prenant en compte l’effet des prestations, de la fiscalité et des frais de garde, soit la « charge fiscale effective avec frais de garde d’enfants ») correspond à la moyenne des pays de l’OCDE (78 %), mais qu’elle est sensiblement inférieure dans d’autres pays, par exemple la Suède (66 %), où les frais de garde sont notamment plus limités. M. Olivier Thévenon a ainsi expliqué que, pour les familles monoparentales, la rentabilité d’un emploi faiblement rémunéré peut-être limitée, particulièrement en présence d’un enfant en bas âge. Au-delà de leur coût, la garde des enfants soulève également, plus largement, la question des freins non monétaires à l’emploi.
c) L’importance d’un accompagnement adapté, de la prise en compte des difficultés liées à la garde d’enfants et de l’accès à des emplois de qualité
Selon Mme Christine Kelly (398), présidente de la Fondation K d’urgences, les principaux obstacles à la recherche et à la reprise d’un emploi sont l’inaccessibilité des services de garde d’enfants, les questions liées aux moyens de transport et les difficultés dans la poursuite de formations. En particulier, selon un sondage récent, les solutions proposées en termes de garde d’enfants sont jugées insuffisantes par les deux tiers des parents qui élèvent seuls leurs enfant.
Les difficultés exprimées par les familles monoparentales
La difficulté des familles monoparentales à concilier vie professionnelle et vie personnelle est la contrainte principale que les Français anticipent… Dans l’esprit des Français, les difficultés rencontrées par les personnes contraintes d’élever seules un ou plusieurs enfants sont hétéroclites. 37 % d’entre eux déclarent toutefois que la capacité à concilier la vie professionnelle et la vie personnelle est la principale difficulté endurée pour ces parents. Le manque d’aides financières est identifié comme un autre obstacle majeur (27 %), tandis que le manque de solutions de garde d’enfants et la difficulté pour toucher la pension alimentaire fixée au tribunal sont respectivement évoqués par 18 % et 12 % des Français.
… mais pour les familles monoparentales la principale difficulté vécue concerne les aides insuffisantes et inadaptées de l’État. La moitié des Français qui élèvent seuls un ou des enfants (50 %) déclarent que le manque d’aides financières de la part de l’État est la principale difficulté qu’ils rencontrent au quotidien. Concilier sa vie professionnelle et personnelle (28 %) n’est cité qu’en deuxième position. Le manque de solutions de garde d’enfants et la difficulté pour toucher la pension alimentaires fixée par le tribunal sont respectivement cités par 11 % et 8 % des personnes en situation monoparentale. Parmi les parents élevant seuls un ou plusieurs enfants, près de 4 sur 5 (79 %) déclarent ainsi « ne pas être suffisamment aidés » par l’État. Par ailleurs, les solutions proposées en termes de garde d’enfants pour les familles monoparentales sont jugées insuffisantes par 66 % des personnes qui élèvent seules leur(s) enfant(s). Un sentiment exacerbé chez les femmes (71 %), les personnes âgées de 30 à 49 ans (72 %) et les actifs (74 %).
Source : « Les difficultés des familles monoparentales/Fondation K d’urgences », sondage de l’Institut CSA (399) (avril 2011)
Concernant ces freins non monétaires à l’emploi, qui sont en réalité tout sauf « périphériques (400) », comme l’a fait valoir Mme Anne Eydoux (401), les rapporteurs ont pu observer que les parents isolés rencontrent des difficultés analogues dans d’autres pays en Europe, par exemple :
– en Suède, où Mme Sophia Lövgren (402), secrétaire générale de l’association « Les parents remarquables » (Makalösa Föräldrar), a expliqué que, le plus souvent, les mères isolées travaillent et que les structures d’accueil et de garde d’enfants sont excellentes, mais que les horaires de ces garderies ne sont pas particulièrement adaptés aux parents isolés qui travaillent à temps plein, en particulier les plus qualifiés, ou ceux dont les emplois impliquent des horaires décalés, en expliquant que l’association plaidait pour un élargissement des horaires d’ouverture de ces structures d’accueil ;
– au Royaume-Uni (403), où les représentants du syndicat britannique TUC (Trade union congress), en rappelant la progression du taux d’emploi des parents isolés, ont également évoqué les problèmes auxquels sont confrontés les parents isolés concernant en particulier l’accès à des modes de garde ainsi qu’à des emplois adaptés, avec des éléments de souplesse.
Sur un autre registre, les représentants du Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), entendus par le groupe de travail (404) ont évoqué les craintes de certains employeurs concernant par exemple le risque d’absence du parent en raison d’un enfant malade, mais aussi, plus généralement, l’idée selon laquelle la mère isolée n’est pas vraiment « disponible » pour chercher un emploi.
Enfin, il convient de prendre en compte la question de la qualité de l’emploi, ainsi que l’ont notamment fait valoir Mme Anne Eydoux et M. Claude Martin (405), ce dernier ayant notamment rappelé que les mères seules occupent souvent des emplois précaires, à temps partiel, d’où une grande vulnérabilité.
Dans ce sens, une étude réalisée pour la Commission européenne en 2008 sur la pauvreté des familles monoparentales (406), soulignait que « pour favoriser l’accès au marché du travail des " gagne-pain " des familles monoparentales –hommes ou femmes –, il ne faudrait pas avoir recours à la contrainte ou au chantage, mais améliorer surtout la qualité du travail auquel ils peuvent avoir accès. Le problème d’être piégées dans des emplois de mauvaise qualité est une réalité pour les mères seules ».
Concernant la nature des freins à l’emploi, l’étude réalisée par Sciences Po/CEE, Liepp et l’OFCE rappelle également les résultats d’une évaluation des expérimentations conduites par les caisses d’allocations familiales (CAF) concernant l’accompagnement social des bénéficiaires du RSA pour les parents isolés (407), et dont il ressort que sur « les principaux obstacles au maintien dans l’emploi : 36 % des enquêtés répondent en premier lieu la formation professionnelle contre 34 % pour le transport, 29,5 % la gestion des problèmes budgétaires, 26 % les modes de garde et 21 % le logement ». Dans une autre étude parue en 2008, les allocataires de l’API recherchant activement un emploi invoquaient l’absence de formation adéquate comme cause de chômage et 17 % l’absence de permis de conduire.
Ainsi, selon l’étude annexée au présent rapport, « les obstacles à la participation au marché du travail des parents qui élèvent seuls leurs enfants en France résident surtout dans la faible attractivité ou qualité de certains emplois et dans l’insuffisance des services d’accueil pour les enfants ».
d) L’importance des politiques universalistes visant à promouvoir l’emploi des mères en général
Les différentes informations recueillies par le groupe de travail concernant la situation des familles monoparentales, en France et en Europe, suggèrent l’importance des politiques universalistes, c’est-à-dire qui visent à favoriser l’emploi des mères et, au-delà, des parents en général – le cas échéant, en complément de quelques dispositifs ciblés – au regard notamment des éléments suivants.
● Tout d’abord, d’un point de vue sociologique, la monoparentalité n’est pas un état, comme l’a notamment fait observer M. Claude Martin (408), dans la mesure où elle se traduit fréquemment par des « séquences » (par exemple, une période de célibat avant un remariage, etc.) : il convient dès lors de ne pas fonder exclusivement les politiques publiques sur des dispositifs qui s’avèreraient trop rigides et inadaptés à une réalité plus évolutive.
● Tous les parents divorcés, célibataires ou veufs ne sont pas, heureusement, dans une situation de vulnérabilité économique justifiant qu’un accompagnement spécifique leur soit systématiquement proposé. En sens inverse, « Il ne faut pas oublier non plus [les familles] qui, sans être monoparentales, souffrent d’une grande pauvreté », selon M. François Fondard (409), qui a également précisé que « l’Unaf estime qu’il faut porter une attention particulière aux familles en situation de précarité » et « que les familles monoparentales représentent 16 % de l’ensemble des familles ayant charge d’enfant ».
● De surcroît, il est important de prendre en compte le souhait exprimé par les parents isolés de ne pas être stigmatisés, comme cela a notamment été évoqué au cours du séminaire de travail du 3 novembre dernier, mais aussi lors des échanges avec les responsables du ministère fédéral en charge de la famille (410).
Les enseignements d’une enquête réalisée en Allemagne en 2011 concernant les attentes exprimées par les parents isolés
Pour une mère isolée, être mère est un des éléments centraux de l’image qu’elle se fait d’elle même, mais aucunement le seul. La réussite professionnelle et l’engagement professionnel sont plus importants pour elles que pour les mères vivant en couple.
Par ailleurs, les parents isolés attendent de la société :
– d’être acceptés comme une famille normale au sein d’une société moderne ;
– qu’il n’y ait pas de différenciation par rapport aux autres familles ;
– de ne pas être présentés comme un groupe séparé (les avantages accordés constituent aussi une part de stigmatisation ) ;
– des offres d’emplois et de garde des enfants avec des horaires souples ;
– de ne pas être punis s’ils s’engagent dans un nouveau partenariat (pension alimentaire, régime fiscal).
Source : « Le monde et les réalité des parents isolés » (Lebenswelten und -wirklichkeiten von Alleinerziehenden), étude réalisée par l’Institut Sinus en 2011 (411)
● La subordination à une condition relative à l’isolement d’une prestation ou de tout autre dispositif ciblé, tel que l’allocation de parent isolé (API), peut ensuite soulever des difficultés en termes de contrôle, voire de fraude. À cet égard, Mme Christine Kelly a jugé illégitime que des familles en réalité recomposées puissent bénéficier d’aides sociales destinées à compenser une situation de monoparentalité (412).
● Le principe même d’aides réservées aux parents seuls peut également soulever des questions sociétales.
Sur ce point, les représentants de l’Institut britannique pour la famille et la parentalité (FPI) ont fait état d’un débat concernant le soutien apporté aux parents isolés et de la mesure dans laquelle a pu contribuer au développement des familles monoparentales (413), en expliquant que le FPI considérait pour sa part qu’il s’agissait d’une tendance sociale, et non du résultat d’une politique.
M. Bertrand Fragonard (414) a également évoqué le fait qu’une augmentation éventuelle des prestations en faveur des familles en raison des difficultés particulières qu’elles rencontrent, pourrait aussi poser des problèmes éthiques, selon certaines analyses, au regard des craintes que ce type de mesures ne favorise l’éclatement des familles, voire, dans une certaine mesure, la fraude.
● Enfin, comme le démontre l’étude réalisée par l’équipe de Sciences Po/CEE, Liepp et l’OFCE annexée au présent rapport, les parents isolés ne suivent pas de modèle d’insertion spécifique sur le marché de travail. En effet, lorsqu’on les compare à l’ensemble des mères, « en termes de recours au temps partiel, de contrats temporaires et de travail indépendant, il n’y a pas de spécificités des mères isolées ». En particulier, il apparaît que « le recours au temps partiel et, dans une moindre mesure, les taux d’emploi des mères isolées sont corrélées avec la situation générale des femmes sur le marché du travail. L’augmentation des taux d’emploi des parents isolés passe donc probablement par une politique volontariste concernant l’emploi des mères en général, et des mères de jeunes enfants en particulier. »
Au regard des politiques publiques mises en œuvre dans ce domaine (cf. supra, la section B relative aux politiques de conciliation), ceci semble en effet de nature à expliquer, au moins en partie, que le taux d’emploi des mères isolées soit de plus de 81 % en Suède.
Il convient dès lors d’améliorer les politiques publiques dans le champ de l’articulation, en vue de créer les conditions d’un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux et, parallèlement d’apporter un accompagnement social et professionnel adapté pour répondre aux situations particulières de vulnérabilité des parents isolés.
D.– PRÉCONISATIONS : CRÉER LES CONDITIONS D’UN MEILLEUR ÉQUILIBRE DES TEMPS PROFESSIONNELS ET FAMILIAUX ET AMÉLIORER L’ACCOMPAGNEMENT DES FAMILLES MONOPARENTALES
Pour reprendre la formule d’une étude réalisée pour la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), la conciliation entre le travail et la vie familiale apparaît comme « un défi personnel (et) un enjeu collectif (415) ».
À cet égard, comme l’a très justement fait remarquer le directeur général de l’Anact, M. Jean-Baptiste Obeniche (416), il semble préférable de retenir le terme d’« équilibre » (ou à défaut, d’articulation), plutôt que celui de « conciliation », dans la mesure où ce dernier suggère d’emblée une opposition qui semblerait inéluctable entre les deux sphères, professionnelles et personnelles, et invite également à penser le travail dans un rapport d’assujettissement, alors qu’il peut être un facteur de développement personnel.
Pour créer les conditions d’un meilleur équilibre des temps professionnels et familiaux, plusieurs mesures pourraient être envisagées, en s’inspirant notamment de pratiques observées à l’étranger, concernant les congés parentaux, le dispositif d’accueil de la petite enfance ainsi que le développement de la négociation collective et des bonnes pratiques dans ce domaine.
Parallèlement, il convient de veiller à apporter un accompagnement, social et professionnel, adapté pour répondre aux situations particulières de vulnérabilité concernant les parents isolés.
1. Réformer le congé parental pour favoriser l’accès ou le retour à l’emploi et promouvoir l’égalité entre les hommes et les femmes
a) Fixer le cap d’une réforme allant progressivement vers un congé parental plus court et mieux rémunéré, en prévoyant en son sein une période réservée pour l’un des parents
Ainsi que cela a été souligné plus haut, le système français du congé parental présente principalement deux faiblesses comparativement à d’autres pays européens, concernant ses effets sur l’emploi et les trajectoires professionnelles de ses bénéficiaires, ainsi que sur les inégalités de genres qu’il peut contribuer à conforter.
● Un complément du libre choix d’activité (CLCA) plus court et mieux rémunéré
En s’inspirant des dispositifs mis en place dans différents pays européens, en particulier les pays nordiques ainsi que l’Allemagne (cf. l’encadré ci-après ainsi que les monographies réalisées dans le cadre de l’étude annexée au rapport), il conviendrait tout d’abord de réformer les modalités d’indemnisation de cette prestation, afin que son montant ne soit plus forfaitaire, mais proportionnel au salaire antérieur, en fixant également, de ce fait, un montant minimum.
Dans ce sens, le rapport de Mme Marie-Françoise Clergeau au nom de la Mecss (417) de l’Assemblée nationale s’était prononcé en faveur d’un « congé parental réformé, plus court, mieux indemnisé, partagé et souple ». Par ailleurs, Mme Michèle Tabarot, dans un rapport au Premier ministre remis en 2008 (418), avait préconisé un congé plus court et mieux rémunéré, à hauteur de 67 % du salaire brut.
Ainsi, en s’inspirant du dispositif existant en Allemagne, il conviendrait d’aller progressivement vers un relèvement du CLCA, dont le montant serait fixé de manière proportionnelle au salaire antérieur, par exemple à hauteur des deux tiers. Compte tenu notamment des écarts salariaux persistants entre les hommes et les femmes, cette réforme permettrait ainsi de donner à tous les parents, quel que soit le montant de leurs revenus, un choix réellement libre s’agissant de la garde de leur enfant.
En contrepartie d’une meilleure rémunération et afin notamment de mieux favoriser l’insertion professionnelle de ses allocataires, il conviendrait, d’autre part, de raccourcir la durée du CLCA, en prévoyant également, en son sein, une période réservée pour l’un des parents, par exemple le père (cf. infra).
La réforme du congé parental mise en œuvre en Allemagne en 2006
En 2006, a été mise en place l’allocation parentale d’éducation proportionnelle au revenu, versée pendant un an, en lieu et place d’un dispositif de congé parental de deux ans rémunéré sur une base forfaitaire. Innovation supplémentaire, si les parents se partagent le congé parental, il est prolongé de deux mois. L’allocation parentale mensuelle s’élève à 67 % du revenu antérieur net, 300 euros au minimum et 1 800 euros au maximum.
Tout parent qui exerce une activité professionnelle et l’interrompt à cause de la naissance d’un enfant peut prendre le congé parental. Ce congé peut être pris par la mère, par le père ou par les deux parents, soit successivement, soit dans le même temps. Les parents peuvent prendre le congé parental jusqu’à l’âge de trois ans révolus de l’enfant. Les 12 ou 14 premiers mois sont indemnisés : un parent peut partir en congé parental indemnisé pour une période maximum de 12 mois ; si l’autre parent prend également un congé parental d’au moins deux mois, il a droit à deux mois d’indemnisation supplémentaires.
Selon les évaluations, 96 % des jeunes mères cessent leurs activités professionnelles pour partir en congé parental, dont 90 % pendant un an, et 23 % des jeunes pères partent en congé parental, dont 75 % ne prennent toutefois que deux mois de congé au maximum.
Source : réponse de l’ambassade de France en Allemagne au questionnaire envoyé par les rapporteurs en septembre 2011
Ainsi, en s’inspirant du dispositif mis en place en Allemagne, la durée du CLCA pourrait par exemple être portée à 14 mois, en incluant la période de deux mois réservée à l’autre parent (cf. infra). À cet égard, les rapporteurs ont noté avec intérêt qu’en Allemagne, depuis la réforme intervenue en 2006, « un nombre nettement accru de mères revient rapidement sur le marché de l’emploi », et que les évaluations qui ont été réalisées montrent une moindre activité professionnelle la première année après la naissance, mais aussi « un fort désir de retour au travail » et « les signes d’un retour plus rapide au travail la deuxième année suivant la naissance », selon les représentants du ministère chargé de la famille (419), dont les présentations sont reproduites ci-dessous.
L’analyse de l’impact du congé parental en Allemagne, suite à la réforme de 2006
Impact du revenu parental (420)
– Avec le revenu parental, les parents sont dans une situation économique sûre durant les deux ans suivant la naissance de l’enfant.
– Le revenu parental renforce la cohésion au sein du couple.
– L’activité professionnelle des mères subit une mutation en fonction de leurs souhaits : les mères sont plus nombreuses à se consacrer à leur enfant pendant l’année suivant la naissance qu’elles ne l’étaient avant l’introduction du revenu parental ; un nombre nettement accru de mères revient rapidement sur le marché de l’emploi. À l’heure actuelle, une mère sur trois ayant des enfants entre un et deux ans travaille.
Évaluation, avec le ministère des finances, de prestations liées à la famille, analyse d’impact et suivi du revenu parental au sein du ministère fédéral chargé de la famille
– Deux évaluations du revenu parental ont été faites jusqu’à présent à la demande du BMFSFJ (421) : en 2008 et en 2009 par le RWI. Le suivi (monitoring) régulier du revenu parental à la demande du BMFSFJ examine si ce revenu parental atteint les objectifs qui ont motivé la loi. Aucune autre prestation légale n’a fait l’objet d’un examen aussi intensif depuis son introduction. Tous les résultats ont été publiés.
– Objectif de l’examen : amélioration constante de la prestation. Au-delà du suivi (monitoring), dans le cadre de l’évaluation d’ensemble de prestations liées au mariage et à la famille, le BMFSFJ et le ministère fédéral des finances (BMF) examinent en commun, jusqu’en 2013, l’interaction entre une multitude de prestations liées à la famille en vue d’atteindre des objectifs primordiaux de politique familiale (422).
– Des études réalisées sur le revenu parental et le congé parental d’éducation, il ressort que 91 % de l’ensemble de la population connaissent le revenu parental et 90 % des parents le percevant voient en lui une prestation particulièrement importante pour la famille (cette perception ne varie que très peu entre parents appartenant à différentes catégories de revenus : 88 % des bas revenus et 83 % des revenus élevés la partagent) ainsi qu’une forte identification de la politique familiale avec le revenu parental. Cette prestation est très appréciée de la population. Son introduction a été perçue comme un signal fort de l’assistance de l’État aux familles.
– Les évaluations font également apparaître : un degré élevé de stabilité économique pour les familles les deux années suivant la naissance ; une moindre activité professionnelle des mères (période de répit) l’année suivant la naissance (Institut de recherche économique allemand, RWI) ; un fort désir de retour au travail et des signes d’un retour plus rapide au travail la deuxième année suivant la naissance (RWI, DIW) ; un retour plus rapide des mères dont le partenaire perçoit le revenu parental (RWI 2009) ; des effets positifs du revenu parental sur la fertilité des femmes bénéficiant d’une qualification, avérés régionalement.
Source : ministère fédéral de la famille, des personnes âgées, des femmes et de la jeunesse (423)