N° 4187
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2012.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
en application de l’article 145 du Règlement
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
sur « La place de la France en Inde »
et présenté par
MM. Paul GIACOBBI et Éric WOERTH
Députés
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INTRODUCTION 5
I – L’INDE, UN DES PLUS GRANDS POTENTIELS DU MONDE 9
A – LA PLUS GRANDE DÉMOCRATIE DU MONDE 9
1) Une croissance démographique encore soutenue 9
2) Une démocratie solidement ancrée 11
3) D’importants défis à relever 15
B – UN POTENTIEL ÉCONOMIQUE CONSIDÉRABLE 19
1) Une ouverture très progressive de l’économie indienne 20
2) La croissance indienne : chiffres, fondements et projections 25
3) Des freins à la croissance qui doivent être levés 29
C – UN PAYS MAJEUR DANS UN MONDE MULTIPOLAIRE 36
1) Un environnement régional qui pousse l’Inde à la vigilance 36
2) La redéfinition des alliances stratégiques 40
3) La volonté indienne de tenir son rang 42
II – FAIRE DU PARTENARIAT FRANCO-INDIEN UNE PRIORITÉ STRATÉGIQUE 47
A – CONFORTER UNE RELATION POLITIQUE DE HAUT NIVEAU 47
1) Une relation qui s’est densifiée au cours des dernières années 47
2) Un partenariat stratégique substantiel 54
a) Le nucléaire civil 54
b) La sécurité et la défense 58
c) L’espace 61
3) Des désaccords qui ne constituent pas des irritants majeurs 64
B – COMPLÉTER UNE COOPÉRATION CULTURELLE BIEN ÉTABLIE PAR UN VÉRITABLE PARTENARIAT ÉDUCATIF ET SCIENTIFIQUE 67
1) Un environnement propice à une coopération fructueuse 67
2) Une diplomatie culturelle française relativement dynamique 69
3) Une coopération en matière scientifique éprouvée 74
4) L’ambition d’un partenariat éducatif à concrétiser 78
a) L’amorce d’une politique de mobilité étudiante 78
b) La création d’établissements franco-indiens : une possibilité sous-utilisée 82
c) Des résultats globaux très en deçà d’objectifs pourtant peu ambitieux 86
C – CRÉER LES CONDITIONS DE LIENS ÉCONOMIQUES PROFONDS ET DURABLES 96
1) Des relations économiques insuffisamment développées qui traduisent une présence récente 96
a) Des échanges commerciaux en progression mais encore modestes 97
b) Des investissements qui se multiplient sur un marché toujours difficile 101
2) La nécessité de surmonter la méconnaissance du tissu économique local 107
a) Des entreprises françaises qui doivent s’adapter au contexte indien 107
b) Des réseaux d’appui aux intérêts économiques français à conforter 111
c) Des lieux de rencontres à relancer 112
3) Des secteurs clés à identifier pour développer une coopération utile, profonde et durable 116
CONCLUSION : CRÉER UN FONDS STRATÉGIQUE PUBLIC-PRIVÉ DÉDIÉ À L’INDE 121
EXAMEN EN COMMISSION 123
ANNEXES 131
Annexe 1 - Résumé des préconisations pour plus de France en Inde et plus d’Inde en France 133
Annexe 2 - Liste des personnalités rencontrées 135
Annexe 3 - Carte générale de l’Inde 139
Annexe 4 - Carte du réseau diplomatique et culturel français en Inde 141
Annexe 5 - La présence française en Inde en quelques chiffres 143
Mesdames, Messieurs,
Constituée par la commission des affaires étrangères au début du mois de mars 2011, cette mission d’information avait pour objectif d’étudier la place occupée par la France en Inde et de formuler des propositions visant à la renforcer.
La France et les Français sont depuis longtemps fascinés par la Chine et semblent se désintéresser de l’Inde.
Les deux pays ont une image très différente : alors que le premier est vu comme une immense puissance économique menaçante, le second reste perçu comme un pays pauvre, très complexe, dont les représentations idéalisées des films de Bollywood ne font pas oublier les images de misère extrême. Même si l’explosion du secteur des services informatiques indien et « l’Inde qui brille » ont, un temps, occupé les médias français, il est évident que le Français moyen consomme infiniment plus de marchandises « made in China » que de produits indiens.
Au-delà de ces questions d’image dans l’opinion publique, les entreprises françaises voient dans la Chine à la fois un site de production très compétitif et le plus grand marché du monde ; elles rêvent de s’y implanter, quand ce n’est pas déjà fait. L’Inde ne les attire pas autant. Quand un groupe chinois rachète une entreprise française, on y voit le résultat, inexorable, du « rouleau compresseur chinois » ; quand le géant de l’acier Mittal acquiert le groupe Arcelor, c’est la surprise et la consternation…
Mêmes les autorités françaises semblent davantage s’intéresser à la Chine qu’à l’Inde. Par exemple, les effectifs des postes consulaires et diplomatiques français en Chine sont plus élevés d’un tiers que ceux des postes français en Inde – il y a six consulats généraux en Chine, quatre en Inde. De même, les visites officielles bilatérales sont cinq à six fois plus nombreuses entre la France et la Chine qu’entre la France et l’Inde.
L’un des signes les plus frappants de ce « tropisme chinois » est la création récente d’une Grande commission France-Chine (1) qui, sur le modèle de la Grande commission France-Russie, doit constituer un cadre d’échanges réguliers entre notre Assemblée et l’Assemblée populaire nationale de Chine : n’est-il pas à la fois très significatif et surprenant que notre Assemblée ait choisi de mettre en place une telle structure avec le parlement d’un pays si peu démocratique, quand elle ne témoigne qu’un intérêt limité à la plus grande démocratie du monde ?
L’objectif de la Mission n’est pas de critiquer la politique de la France à l’égard de la Chine. Elle veut surtout mettre l’accent sur la nécessité de mieux connaître l’Inde et de lui consacrer plus d’attention. Même si la Chine et l’Inde sont rivales sur un certain nombre de sujets, il ne s’agit pas de se brouiller avec la première pour se rapprocher de la seconde mais de les considérer toutes les deux comme des puissances incontournables, qui, quelles que soient leurs différences, méritent également notre intérêt.
Impressionnés par la pauvreté des masses indiennes et par l’étrangeté de certains éléments de leur culture, au premier rang desquels les religions et l’existence de castes, nous oublions souvent l’importance de ce qui nous rapproche des Indiens : la majeure partie des langues indiennes sont indo-européennes, nous avons partagé des moments historiques, nous avons en commun bien des valeurs démocratiques…
Notre intérêt mutuel est de faire davantage ensemble.
Pour être en mesure de décrire l’état actuel des relations entre la France et l’Inde, mettre en lumière leurs faiblesses et tenter de proposer des moyens pour y remédier, la Mission a réalisé une vingtaine d’auditions à Paris. Elle a choisi un large spectre de personnes, parmi lesquelles des hauts fonctionnaires, des chercheurs, mais aussi des responsables d’établissements d’enseignement supérieur et de nombreux hommes d’affaires, tous engagés à un titre ou un autre dans l’intensification des liens franco-indiens (2).
La Mission a effectué un déplacement en Inde, fin septembre. Elle s’est rendue à Delhi, à Bengaluru (3) et à Mumbai (4). Elle y a rencontré un nombre important de personnalités indiennes d’horizons très variés (5), afin notamment de recueillir leur sentiment sur la place de notre pays en Inde et de connaître leurs attentes à son égard. La Mission tient à remercier M. Jérôme Bonnafont, alors ambassadeur de France en Inde, le chef du service économique régional, les consuls généraux français à Bengaluru et Mumbai, ainsi que leurs collaborateurs, pour leur rôle dans l’organisation et le bon déroulement de cette visite.
A l’issue de ce travail, la Mission souhaite d’abord susciter une prise de conscience de l’immensité du potentiel de l’Inde, dont les atouts, pour être différents, n’en sont pas moins aussi réels que ceux de la Chine. Comme le met en évidence le tableau dynamique du partenariat franco-indien qu’elle dresse ensuite, la France a beaucoup à offrir à l’Inde et à gagner à une intensification de leurs relations bilatérales. La Mission formule des propositions pour accélérer ce processus.
I – L’INDE, UN DES PLUS GRANDS POTENTIELS DU MONDE
Longtemps considéré comme un pays pauvre et arriéré, l’Inde apparaît aujourd’hui comme le pays émergent par excellence. Cette émergence est particulièrement visible dans les sphères économique et politique. Elle résulte des nouveaux choix faits par les dirigeants du pays après la fin de la guerre froide, et devrait s’accentuer au cours des prochaines années et décennies.
Soutenu pas une dynamique démographique encore forte et des atouts certains, le potentiel de développement indien est en effet immense. Pour qu’il se concrétise, le pays doit parvenir à relever des défis importants, ce à quoi ses partenaires étrangers peuvent contribuer, dans l’intérêt de l’Inde comme dans le leur.
A – La plus grande démocratie du monde
Si l’on considère volontiers l’Inde comme la plus grande démocratie du monde, c’est qu’elle est incontestablement le pays le plus peuplé dont le système politique est démocratique.
Son poids démographique et son fonctionnement démocratique constituent à la fois des atouts exceptionnels et des facteurs de risques réels pour la stabilité et le développement du pays. Les autorités doivent s’efforcer d’optimiser les premiers et de limiter l’impact négatif des seconds.
1) Une croissance démographique encore soutenue
Avec une population qui aurait dépassé 1,2 milliard d’habitants, selon les premiers résultats du recensement national mené en 2011, l’Inde est le pays le plus peuplé du monde après la Chine. Selon la Banque mondiale, cette dernière comptait en effet 1,338 milliard d’habitants en 2010, quand l’Inde en avait 1,17 milliard.
L’Inde abrite ainsi aujourd’hui plus de 17 % de l’humanité, soit la même part qu’en 1913, alors que la part de la population mondiale vivant en Chine est passée de 26 % au début du XXème siècle à moins de 20 % actuellement. La population indienne devrait dépasser la population chinoise en valeur absolue à l’horizon 2030, selon un rapport de la division de la population de l’Organisation des Nations unies de 2005, ou à l’horizon 2025, selon les projections du Bureau du recensement des Etats-Unis de décembre 2010 qui prévoient qu’elle comptera alors 1,396 milliard d’habitants (contre 1,394 milliard en Chine).
La Planning Commission (Commission indienne du plan) estime que la population indienne atteindra 1,3 milliard d’habitants en 2020 ; les différentes projections, notamment américaines et des Nations unies, arrivent à des fourchettes comprises entre 1,4 et 1,5 milliard d’habitants en 2025 et entre 1,6 et 1,7 milliard d’habitants à l’horizon 2050.
Alors que la politique de l’enfant unique a fait chuter le taux moyen de fertilité des Chinoises à 1,5 enfant, ce taux a diminué mais se maintient à 2,7 enfants par femme en Inde. La baisse de la mortalité infantile et celle du taux de natalité ne suivent pas le même rythme partout dans le pays : leurs effets sont surtout sensibles dans les Etats du sud et de l’ouest.
Le taux de croissance de la population pour la décennie 2001-2011 reste élevé – le pays a gagné 181 millions d’habitants en dix ans, soit l’équivalent de la population du Brésil – mais est en baisse par rapport à la période 1991-2001, à 17,64 %, contre 21,54 %. L’accroissement de la population se fait de façon inégale sur le territoire. Il est particulièrement sensible dans les Etats d’Uttar Pradesh et du Maharashtra (6), qui concentrent 312 millions d’habitants, soit plus que la population des Etats-Unis.
La population indienne s’accroît tous les trois ou quatre ans de l’équivalent de la population française actuelle !
Sur l’ensemble du pays, la densité de population, que la Banque mondiale estimait à 394 habitants par kilomètre carré en 2010, a augmenté de 17,5 % par rapport à la décennie précédente. Les densités dépassent 500 habitants par kilomètre carré dans les régions côtières et les bassins des grands fleuves – au sud de Mumbai, dans les bassins du Gange et de la Yamuna –, Delhi et Chandigarh restant les villes les plus densément peuplées. La densité dans la capitale atteint 11 297 habitants par kilomètre carré, contre 9 340 habitants il y a dix ans.
Ce dynamisme démographique est source de nombreux défis (cf. infra), mais constitue aussi une chance pour le développement économique de l’Inde.
Selon des études récentes citées par M. Jean Leviol, qui était alors le chef du service économique régional à Delhi, 10 millions de personnes entrent chaque année sur le marché du travail indien, ce qui conduit le cabinet de conseil MacKinsey à estimer à 230 millions le nombre de personnes actives supplémentaires sur le marché du travail d’ici à 2030. Or, une étude menée par le Fonds monétaire international vient de montrer que, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’accélération de la croissance indienne est moins due aux réformes économiques qui ont été menées (cf. infra) qu’à l’évolution de la structure d’âge de la population, et surtout de la part accrue de la population active. Ainsi, on peut estimer que, sur les décennies 2010 et 2020, l’Inde gagnera deux points de croissance supplémentaires par an grâce à la hausse de la part des actifs dans la population totale, laquelle devrait atteindre 65 % (7) en 2026.
La croissance démographique indienne va donc directement contribuer à sa croissance économique. Si les tendances actuelles se poursuivent, elle devrait s’accompagner d’un enrichissement progressif de la population, qui ouvrira de nouveaux marchés pour les entreprises étrangères susceptibles de répondre à ses besoins.
Ce sont surtout les perspectives de développement de la classe moyenne qui ont été mentionnées par les interlocuteurs de la Mission. La définition même de la classe moyenne est l’objet de débats infinis qui expliquent les grandes différences d’appréciation du nombre des Indiens qui en font partie. Les membres de la direction générale du Trésor reçus par la Mission ont évoqué la montée en puissance d’une classe moyenne qui compte actuellement 150 millions d’Indiens. M. Guy de Panafieu, alors président du Comité France-Inde du MEDEF International, a pour sa part estimé entre 200 et 300 millions le nombre de personnes ayant un niveau de vie suffisant pour s’intéresser aux produits étrangers.
Pour ce qui est des projections de croissance de cette classe moyenne, M. Jean Leviol a indiqué que le Fonds monétaire international avait jugé, en 2011, qu’elle devrait doubler d’ici à 2025 pour atteindre 114 millions de ménages, soit 547 millions de personnes, tandis que MacKinsey prévoyait qu’elle passerait de 22 millions de ménages en 2008 à 91 millions en 2030. Plus que le nombre de personnes concernées, c’est la progression rapide de cette catégorie de population qui mérite l’attention.
2) Une démocratie solidement ancrée
Même si elle a très longtemps vécu sous une monarchie impériale, l’Inde, à la différence de l’Europe, a bénéficié de traditions très anciennes de débat démocratique et de tolérance religieuse. Ainsi, l’institution du « Panchayat », conseil des cinq sages régissant les affaires communales, toujours en vigueur, remonte à des temps immémoriaux. L’empereur Akbar avait, dès le XVIème siècle, institué l’égalité des religions et l’égal accès aux emplois publics sans considération de la religion (8).
La période de la colonisation britannique a été pour l’Inde le moment d’un apprentissage démocratique. C’est alors qu’ont été posés les deux piliers fondamentaux sur lesquels repose encore la démocratie indienne : le régime parlementaire et un système politique multipartisan.
Le Parti du Congrès a été créé en 1885, alors que s’amorçaient les premières réformes institutionnelles et constitutionnelles. Des avancées ont été progressivement enregistrées au niveau des municipalités puis des provinces. La Constitution de 1935, qui divisait l’Inde en deux entités distinctes, l’Inde britannique, gérée directement par Londres, et l’Inde des Etats indiens, laissée à l’administration des princes, donna même au Parti du Congrès l’occasion de diriger sept des onze provinces de l’Inde britannique entre 1937 et 1939.
En quelques décennies, le pays s’est habitué à la logique électorale et partisane et n’a pas retenu de l’expérience coloniale que la démocratie lui avait été imposée par l’étranger et qu’elle devait donc être repoussée, mais au contraire qu’elle devait être amplifiée et enrichie grâce à l’autonomie puis à l’indépendance (9). L’Inde indépendante abolit les Etats princiers, la règle des « électorats séparés » (10) et le mode de scrutin censitaire, qui privait du droit de vote 89 % de la population adulte. Les élites politiques indiennes, que les Britanniques avaient utilisées comme intermédiaires entre leur propre pouvoir et le peuple, avaient acquis l’expérience des compromis et des arbitrages et étaient prêtes à exercer elles-mêmes le pouvoir. C’est le Parti du Congrès qui dirigea les pays pendant près de trente ans avant de le céder brièvement à une coalition hétéroclite entre 1977 et 1980, de le reprendre et de le garder, bon an mal an, jusqu’en 1996. La législature 1999-2004 est la seule qui ait été entièrement dominée par un autre parti, le parti nationaliste hindou BJP (Bharatya Janata Party). Depuis 2004, le pays est à nouveau dirigé par un Premier ministre appartenant au Parti du Congrès, M. Manmohan Singh, à la tête d’une coalition au sein de laquelle son parti a renforcé sa position à l’occasion des élections de 2009.
Depuis l’adoption de la Constitution de 1950, la démocratie indienne n’a pas été un long fleuve tranquille. Elle a connu des heures difficiles, mais elle s’est aussi approfondie. C’est « une démocratie qui se démocratise », comme l’écrit M. Max-Jean Zins (11).
Le Parti du Congrès a perdu le pouvoir en 1977 à l’issue de deux années d’une quasi-dictature d’Indira Gandhi, qui voulait couper cours à l’agitation qui montait au sein de son parti et dans le pays. Alors que l’Inde n’avait connu que trois premiers ministres entre 1947 et 1977 et que les élections législatives s’étaient tenues régulièrement tous les cinq ans depuis 1952 – à l’exception de celles de 1977, retardées d’un an à cause de l’état d’urgence –, il y eut, entre 1977 et 2005, douze premiers ministres et des élections générales après chacune des dissolutions de la chambre basse, conséquences de la chute des coalitions au pouvoir. Plus aucun parti n’a en effet été en mesure de diriger le pays seul depuis lors. Depuis 1993, les coalitions au pouvoir ont toujours compté au moins douze partis.
Les partis, qui reposent souvent sur une base géographique ou communautaire limitée, se sont multipliés : en 2005, on comptait six partis dits nationaux, trente-quatre partis dits régionaux et une myriade de partis locaux. Les taux de participation aux élections ont augmenté depuis 1977 : ils sont en moyenne de 59 % depuis cette date, contre 52 % au cours de la période précédente. Le taux de participation aux élections législatives n’a jamais été inférieur à 55,7 % (en 1991) et a plusieurs fois dépassé 60 %, ce qui est d’autant plus remarquable que les consultations électorales sont fréquentes, les élections provinciales s’ajoutant aux scrutins nationaux. Il s’est établi à 57,7 % des 671 millions d’électeurs en 2004 et à 63,16 % des 714 millions d’électeurs inscrits en 2009. Ce dernier scrutin s’est déroulé en cinq phases étalées sur plusieurs semaines ; pour les élections générales, le vote est électronique (12) depuis 2004, ce qui fait de l’Inde l’un des pays les plus avancés dans le monde sur ce point.
De surcroît, en Inde, contrairement à ce qui se passe dans la plupart des grandes démocraties, les « pauvres » votent davantage que les « riches » : en termes de castes, d’une manière générale, les communautés les plus défavorisées par la naissance (intouchables et autres classes arriérées, scheduled casts and tribes, other backward classes) votent davantage que les hautes castes. Elles se mobilisent en effet autour des nouvelles organisations qu’elles ont créées ou de celles qui se donnent pour objectif de les défendre. Ce phénomène témoigne de la vitalité de la démocratie indienne, alors que le « système congressiste » des premières décennies après l’indépendance reposait sur la réduction de dizaines de millions d’Indiens en simples membres de réseaux clientélistes.
Le fait que l’Inde est à la fois une démocratie et un Etat de droit a été souligné par tous les interlocuteurs de la Mission : il est unanimement considéré comme un atout pour le pays, même s’il peut induire des difficultés dans certains cas. L’Inde est un pays extraordinairement procédurier et les tribunaux y jouissent d’une indépendance totale vis-à-vis du pouvoir. Sur ce point encore, la comparaison avec la Chine, qui n’est un modèle ni de démocratie ni d’Etat de droit, s’impose.
Alors que l’autoritarisme chinois pourrait un jour être remis en cause par des moyens violents, la démocratie indienne est un gage de stabilité. M. Christophe Jaffrelot, spécialiste de l’Inde, a estimé que le fonctionnement fédéral de l’État assurait sa stabilité. Il a écarté tout risque d’une implosion de l’Union ou d’un dysfonctionnement du cycle électoral. Pour désamorcer certains conflits, l’Inde a été amenée à se redécouper : le pays est ainsi passé de quatorze États à l’origine à vingt-neuf aujourd’hui, chiffre qui devrait encore évoluer.
M. Jean Leviol présente même la démocratie et l’Etat de droit comme l’un des moteurs de la croissance économique indienne. Il insiste sur les nombreux progrès réalisés dans ce domaine. Sur le plan juridictionnel, la seule existence de la Cour suprême, dont la saisine est très facile et les décisions d’une grande objectivité (ce qui n’est pas le cas en Chine), rassure les investisseurs étrangers. L’émergence de contre-pouvoirs induite par l’approfondissement de la démocratie tend à empêcher les situations de monopole, d’oligopole ou de rente, à créer de la concurrence et à éviter les abus de pouvoir comme l’utilisation irraisonnée des ressources mais ces contre-pouvoirs peuvent aussi constituer un frein à la croissance du pays. Ainsi, les mouvements environnementalistes prennent actuellement de l’ampleur et s’opposent aux expropriations et aux différents projets conduits dans les zones rurales ou tribales, qui jusque là ne faisaient aucunement l’objet d’une opposition politique ou civile.
Le groupe français Lafarge a récemment fait l’expérience à la fois des inconvénients et des avantages de cette situation. Il a construit au Bangladesh une usine de ciment approvisionnée par un gisement calcaire situé dans l’Etat indien du Meghalaya, relié à l’usine par une bande transporteuse de 17 kilomètres. En février dernier, quatre ans après le début de l’exploitation de cette carrière, le permis d’exploitation accordé à Lafarge a été suspendu par la Cour suprême de Delhi, à la suite d’une saisine par des opposants au projet qui contestaient le droit d’exploitation de Lafarge, dénonçaient les dommages causés à l’environnement et en particulier à la forêt et critiquaient les hypothèques sur les terrains. Après un combat juridique de cinq mois, sur la base d’un approfondissement de l’étude d’impact réalisée par le ministère de l’environnement et d’un nouveau permis, Lafarge a été autorisé par la Cour suprême à reprendre son activité en juillet dernier. L’affaire s’est donc conclue à l’avantage du groupe français, dont le projet avait le soutien du gouvernement fédéral, mais il a dû remplir des conditions additionnelles sur le plan financier – avec notamment le paiement d’une très lourde contribution au titre de la responsabilité sociale et environnementale – et sur le plan environnemental – des opérations de reboisement ayant été mises à sa charge.
La multiplication des manifestations hostiles à l’ouverture de centrales nucléaires depuis l’accident nucléaire de Fukushima est un autre exemple de ce nouvel activisme. Le mois de septembre dernier a été marqué par des manifestations et une grève de la faim suivie par une centaine de personnes contre la construction de deux réacteurs nucléaires à Kundankulam, sur la côte du Tamil Nadu : la Chief Minister de l’Etat a demandé au Premier ministre Singh l’arrêt du projet jusqu’à ce que les mesures de sécurité concernant la centrale soient expliquées à la population ; elle a obtenu gain de cause. Les responsables de l’entreprise nucléaire publique indienne rencontrés par la Mission ont dénoncé l’instrumentalisation qui a été faite de ces manifestations et le soutien dont elles ont bénéficié de la part d’ONG antinucléaires étrangères, mais les élus n’ont pu rester sourds à la pression des manifestants. Il est évident que rien de tel ne se serait passé en Chine…
3) D’importants défis à relever
Pour optimiser l’atout que constitue le fait d’être la plus grande démocratie du monde, l’Inde doit faire des progrès dans un certain nombre de domaines afin que sa croissance démographique soit un facteur de sa croissance économique et non un frein et que le développement économique conduise à l’amélioration du sort du plus grand nombre, condition de sa durabilité.
M. Jean Leviol a résumé l’essentiel de ces défis en appelant à la construction d’une « société plus solidaire ». En dépit des efforts réalisés depuis l’indépendance et de la non-discrimination officielle des castes – voire la discrimination positive (positive action) –, les déséquilibres sont nombreux dans la société indienne, à commencer par le ratio entre hommes et femmes.
Le recensement conduit en 2011 a montré une légère amélioration du ratio entre hommes et femmes, tous âges confondus : en dix ans, il est passé de 933 femmes pour 1 000 hommes à 940 femmes pour 1 000 hommes. Aujourd’hui, 51,54 % de la population sont des hommes, 48,46 % des femmes. Mais il a aussi fait apparaître une nette dégradation du ratio pour les enfants de moins de six ans : en 2011, on compte 914 fillettes pour 1 000 garçons, soit 13 fillettes de moins qu’en 2001. Ce déséquilibre est particulièrement marqué dans certains Etats (seulement 830 filles pour 1 000 garçons de moins de six ans au Pendjab, 846 en Haryana) et la situation s’est dégradée dans les Etats qui étaient plutôt de « bons élèves » dans ce domaine. Si la préférence sociale pour les garçons subsiste, pour des raisons religieuses ou culturelles – notamment liées au poids de la dot exigée de la famille des filles au moment de leur mariage –, cette dégradation de la situation montre aussi l’échec de la politique d’interdiction légale de la mention du sexe de l’enfant lors de l’échographie, décidée en 1984 mais mal appliquée faute de sanctions, et le fait que la croissance économique ne suffit pas à réduire le phénomène des avortements sélectifs. Il semblerait même qu’ils soient plus fréquents au sein de la classe aisée.
La place de l’Inde en terme de développement humain témoigne des immenses efforts qu’elle doit encore consentir pour améliorer les conditions de vie de sa population : avec un indice de 0,547 en 2011, elle se place au 134ème rang mondial, quand la Chine occupe le 101ème, le Pakistan le 145ème et le Bangladesh le 146ème. Elle est ainsi l’un des derniers pays considérés comme ayant un « degré de développement humain moyen », alors que la Chine est l’un des premiers de cette catégorie (13). L’amélioration de cet indice semble néanmoins s’accélérer depuis 2000 : il a augmenté de 1,56 % par an en moyenne, contre 1,38 % par an entre 1990 et 2011.
Même si une classe moyenne émerge et si le pays comptait près 128 000 millionnaires en dollars en 2009 et 49 milliardaires en dollars en 2010 (14), la pauvreté continue à toucher une part considérable de la population indienne. 27 % de celle-ci sont pauvres selon les critères du gouvernement – qui sont sur le point d’être modifiés pour encore réduire optiquement cette part –, 42 % si on retient le seuil fixé par la Banque mondiale à l’équivalent d’un dollar et demi par personne et par jour. 800 millions d’Indiens (soit les deux tiers) vivent en deçà du seuil de pauvreté européen et 150 à 200 millions peuvent être qualifiés de « vrais pauvres ». Un effort notable a cependant été consenti par l’Etat indien depuis une dizaine d’années dans le domaine de l’allocation de ressources subventionnelles : l’État verse désormais des compléments de revenu aux populations pauvres et agricoles.
La croissance économique n’a pas suffi à améliorer notablement l’accès au soin du plus grand nombre. Ainsi, 50 % de la population n’ont toujours pas accès aux soins primaires, seulement les deux tiers des enfants sont vaccinés contre le DTC (diphtérie-tétanos-coqueluche), les maladies transmissibles comme la tuberculose, la malaria et le SIDA ont un impact sévère et la sous-nutrition infantile – qui, selon les critères utilisés, atteindrait jusqu’à la moitié des enfants – reste un fléau qu’il apparaît difficile d’éradiquer à court terme. La Planning Commission a estimé qu’il faudrait multiplier par quatre le niveau des dépenses publiques de santé d’ici 2020 pour combattre efficacement ces maux. Le gouvernement indien dépense en effet actuellement cinq fois moins pour la santé que le gouvernement chinois : en termes relatifs, ces dépenses représentent 1,1 % du produit intérieur brut indien et 1,9 % du PIB chinois.
En conséquence, en Inde, l’espérance de vie à la naissance est limitée à 64,4 ans (73,5 ans en Chine, 66,9 ans au Bangladesh dont le revenu par habitant en parité de pouvoir d’achat est pourtant de moitié inférieur de celui de l’Inde), le taux de mortalité infantile est de 50 pour mille (17 pour mille en Chine, 41 pour mille au Bangladesh), le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans s’établit à 66 pour mille (19 pour mille en Chine, 52 pour mille au Bangladesh) et le taux de mortalité maternelle s’élève à 230 pour 100 000 naissances vivantes (38 en Chine).
Le système éducatif n’est pas non plus à la hauteur des besoins du pays. 35 % des adultes sont encore touchées par l’analphabétisme (contre 6 % des Chinois), même si celui-ci est partiel, concernant plus l’écriture que la lecture, et surtout prévalent chez les femmes et les populations les plus âgées ; il recule de 1,3 % par an selon l’UNESCO. En dépit d’une population de six à quatorze ans qui double régulièrement tous les dix ans, les plans gouvernementaux successifs ont permis d’assurer un accès plus systématique à l’enseignement, principe qui a été réaffirmé à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2002, si bien que rares sont aujourd’hui les enfants qui ne vont pas du tout à l’école. Mais beaucoup ne la fréquentent que de manière épisodique et 30 % des enfants quittent l’école avant l’âge de 14 ans. La durée moyenne de scolarité est estimée à 4,4 ans en Inde, contre 7,5 années en Chine et 4,8 ans au Bangladesh. En 2009, la loi a reconnu aux parents le droit d’obtenir de la puissance publique la scolarisation de leurs enfants, mais elle n’a pas imposé d’obligation de scolarisation : pour les populations pauvres, le travail des enfants est toujours nécessaire et ancré dans les habitudes et la Planning Commission n’a pas prévu les investissements qui seraient indispensables pour permettre la scolarisation obligatoire de tous les enfants – il faudrait par exemple trois fois plus de professeurs qu’actuellement.
Au défi de la scolarisation de base du plus grand nombre, s’ajoute celui de la formation professionnelle et de l’enseignement supérieur. La qualification des populations intermédiaires est un élément de compétitivité essentiel dans un pays en développement économique rapide. Or, il n’existe pas de formation professionnelle en Inde : on estime à 12 % la part des actifs ayant une formation en lien avec le métier qu’ils exercent et le taux d’employabilité à la sortie du système éducatif est de 25 %. Le manque de techniciens spécialisés est patent, ce qui se ressent sur la qualité de la production et du travail ; les domaines de la construction mécanique, du bâtiment et de l’électrotechnique sont les plus touchés. Le gouvernement ne conduit aucun projet d’envergure pour résoudre cet important goulet d’étranglement.
Il a en revanche pris des initiatives pour ce qui est de l’enseignement supérieur, auquel seulement 6 à 7 % des jeunes Indiens accèdent actuellement. Le pays possèdent des instituts de technologies (IIT) et de management (IIM) d’un excellent niveau – la dizaine d’IIT accueille et forme 12 000 ingénieurs par an, pour un million de candidats – et il est doté d’un réseau d’universités publiques dont les plus anciennes ont été fondées au XIXème siècle – l’université publique de Delhi (DU) compte 800 000 étudiants –, mais il n’est pas en mesure de former tous les cadres dont son économie a besoin. Certes, quelques centaines de milliers de jeunes gens partent se former à l’étranger, principalement dans les pays anglo-saxons, mais les autorités ont conscience de la nécessité de renforcer leur propre enseignement supérieur, notamment avec le soutien de partenaires étrangers. Après avoir limité le nombre d’établissements d’enseignement supérieur étrangers sur le territoire indien, elles ont décidé de changer de politique : un projet de loi visant à autoriser les établissements étrangers à établir des campus dans le pays est actuellement discuté au Parlement.
Les nouvelles technologies pourraient contribuer à combler le retard accusé par l’Inde en matière éducative et de santé, comme l’a montré M. Sam Pitroda qui travaille sur des technologies – la création de chaînes de télévision spécialisées dans le domaine de la santé et d’applications pour la téléphonie mobile sont à l’étude – permettant aux populations les plus pauvres d’accéder à des formations ou à des informations dans ces domaines.
Mais des investissements publics massifs restent absolument indispensables. Or, malgré la croissance économique, ils sont freinés par la relative faiblesse des capacités financières de l’Etat, qui résulte d’un système fiscal peu performant, et par l’importance des « fuites » dans le système, conséquence du haut degré de corruption que connaît le pays.
Le gouvernement de M. Manmohan Singh a fait du système de fiscalité indien un domaine de réforme prioritaire de sa politique économique. En effet, la vaste réforme qu’il a déjà connue en 2005 n’est venue à bout ni de sa complexité ni de tous ses défauts. Le système fiscal continue à induire de fortes distorsions tout au long de la chaîne de production et entre les Etats. Le projet de fusionner toutes les taxes sur la valeur ajoutée existantes en une seule taxe, la Goods and Services Tax, dont le fonctionnement se rapprocherait du système prévalant dans les pays européens, est actuellement à l’étude, mais il se heurte à des oppositions politiques et aux réticences des Etats auxquels le taux unique ferait perdre des recettes.
La lutte contre la corruption est aussi devenue une priorité à laquelle la population est particulièrement attentive. L’Inde occupe la quatre-vingt-septième place, sur cent soixante-dix-huit, en terme d’indice de perception de la corruption selon le classement fait par Transparency International. D’après une étude publiée par cet organisme en 2005, la population indienne dépenserait de l’ordre de 4 milliards de dollars par an en pots de vie pour accéder aux services publics quotidiens (comme l’école, la police, la justice, l’hôpital public, l’accès à l’eau…) (15) et environ 20 milliards de dollars destinés chaque année à la lutte contre la pauvreté seraient détournés de leur objectif (16). Ce phénomène touche tous les échelons de l’administration et des scandales rejaillissant sur des personnalités politiques de haut niveau éclatent régulièrement. En janvier dernier, la Cour des comptes a déclenché le scandale de l’attribution des licences téléphoniques 2G, qui aurait fait perdre 40 milliards de dollars de recettes à l’Etat : plusieurs ministres ont été directement impliqués. Les affaires de tentative de corruption de parlementaires ou d’exploitation illégale de mines par exemple sont monnaie courante, au niveau fédéral comme au niveau des Etats fédérés.
C’est pour obtenir un renforcement des dispositions du projet de loi anti-corruption que M. Anna Hazare, militant des droits de l’Homme de soixante-treize ans qui se réclame de l’héritage du Mahatma Gandhi, a récemment conduit un mouvement citoyen. Il a mis un terme à la grève de la faim qu’il avait entreprise mi-août après que le gouvernement et le Parlement se sont engagés à prendre en compte les trois exigences principales du mouvement, à savoir l’élaboration d’une charte du citoyen, l’instauration d’un organisme anti-corruption à l’échelle des Etats et l’inclusion de toute la fonction publique dans le périmètre du Lokpal, « défenseur du peuple » chargé de la lutte contre la corruption au niveau central, dont la création est envisagée depuis 1968… Le projet de loi n’a pas encore été voté définitivement, mais ce mouvement a témoigné de l’exaspération du peuple, et en particulier des classes moyennes, face aux pratiques généralisées de corruption. M. Christophe Jaffrelot a expliqué à la Mission que la « dépolitisation » des classes moyennes résultait principalement de leur perception de la classe politique comme démagogue et corrompue.
Dans ce combat aussi, les nouvelles technologies peuvent s’avérer précieuses : en août 2010 a été lancé le projet d’un « recensement biométrique » qui prévoit d’enregistrer l’identité biométrique de 600 millions d’Indiens en quatre ans. En donnant son numéro d’enregistrement et en prouvant son identité grâce à ses empreintes digitales et à l’image numérisée de son iris, tout Indien recevra automatiquement le montant des aides auxquelles il a droit sur un compte bancaire, sans que l’argent ait à transiter par un chef de village, qui gardait l’essentiel des sommes.
L’Inde gagnerait également à alléger ses procédures administratives, dont la lourdeur et la complexité entretiennent la corruption et rebutent les investisseurs étrangers.
Le pays a ainsi beaucoup à faire pour tirer pleinement profit de ses atouts et consolider son modèle de développement. Il ne pourra exploiter durablement son immense potentiel économique que si l’ensemble de la société bénéficie des fruits de la croissance.
B – Un potentiel économique considérable
Les performances indiennes, les fondamentaux économiques et les perspectives de croissance font de l’Inde, indubitablement, un géant économique amené à peser de plus en plus sur les affaires du monde. L’ouverture graduelle du pays, caractéristique qui la différencie des autres pays émergents, a accompagné une mutation du modèle économique qui propulsa l’Inde parmi le fameux groupe des BRIC devenus BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud). L’émergence de l’Inde sur la scène internationale est ainsi le résultat d’un processus assez lent qui prend de l’amplitude depuis les années 1990.
L’économie indienne s’inscrit depuis lors dans une trajectoire de croissance élevée, aux alentours de 9 % par an, jusqu’au ralentissement observé cette année. En 2010, l’Inde est la onzième puissance économique mondiale, avec un PIB estimé à 1 430 milliards de dollars américains. Elle pourrait devenir la troisième puissance économique mondiale en 2025 et la deuxième en 2050, derrière la Chine en termes de produit intérieur brut à parité de pouvoir d’achat. Pour ce faire toutefois, un certain nombre d’hypothèques devront être levées.
1) Une ouverture très progressive de l’économie indienne
L’Inde se caractérise par des changements très progressifs de ses structures et de sa stratégie économique. Depuis cinquante ans, elle a significativement élevé son taux de croissance et son effort d’investissement, avec un tournant que l’on situe généralement au milieu des années 1980, lorsque fut abandonné un modèle de croissance fondé sur une économie administrée et autarcique. La transition a donc consisté en un double changement : une libéralisation de nombreux secteurs qui a stimulé l’investissement et l’innovation, d’une part, une ouverture du pays sur le monde, d’autre part.
Les initiatives de réformes prises par le gouvernement de Rajiv Gandhi dans les années 1980 sont prudentes. Elles incluent l’assouplissement du système de licences réglementant l’activité industrielle, des mesures facilitant les importations de biens d’équipement industriels et de biens intermédiaires destinés aux industries exportatrices, notamment la baisse des tarifs douaniers et la réduction des restrictions quantitatives, ainsi qu’une baisse de certains taux d’imposition. Malgré leur caractère parcellaire, ces réformes marquent toutefois un important changement en donnant la priorité aux investisseurs privés et aux grandes entreprises. Les investissements productifs et du secteur privé augmentent, la productivité progresse fortement, alors que ces entreprises demeurent abritées de la concurrence extérieure.
Cependant, ces changements sont réalisés au prix d’un déficit budgétaire et commercial qui rend l’Inde vulnérable aux chocs extérieurs. De fait, en 1991, l’Inde se retrouve en situation de crise des paiements extérieurs. Le gouvernement indien amorce alors un tournant dans sa stratégie économique. Un programme de stabilisation et de réformes structurelles appuyé par le FMI vise à libéraliser et à ouvrir l’économie. La roupie est dévaluée de 24 %. C’est de cette époque que l’ont peut dater le point de rupture.
C’est le mouvement de réformes initié sous le gouvernement de P. V. Narasimha Rao à partir de 1991, dont le grand architecte fut son ministre des finances et actuel premier ministre, l’économiste Manmohan Singh, qui provoque l’accélération de la croissance indienne. Dans l’industrie, les monopoles d’État sont réduits au minimum et le système des licences réservant la production de biens de consommation aux petites et moyennes entreprises est presque totalement aboli dans l’industrie manufacturière. Un programme de restructuration des entreprises publiques et d’ouverture de leur capital est mis en place. Le secteur bancaire et financier est libéralisé, les banques étrangères sont autorisées, de même que les investissements étrangers de portefeuille (17). Les barrières non tarifaires et les droits de douanes sont abaissés, tandis que la convertibilité de la roupie est introduite pour les opérations courantes. L’Inde adhère au GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) en 1994, qui devient, le 1er janvier 2005, l’Organisation mondiale du commerce.
C’est depuis cette époque également que la Commission indienne au plan, présidée par le Premier ministre, est un lieu d’expertise, de débat et de prévision macro-économique, dont les plans quinquennaux sont conçus comme des orientations de moyen terme sanctionnées d’un suivi des dépenses budgétaires dédiées. Par exemple, le plan quinquennal en cours est le onzième plan et couvre la période 2007-2012. Il se caractérise par un assouplissement des contraintes budgétaires, notamment la règle de déficit, pour faciliter le financement des dépenses de développement en matière de santé, d’éducation et d’infrastructures. Le prochain plan de croissance devrait encore reposer sur cette stratégie de « croissance inclusive ».
Le nouveau modèle indien a permis de libérer une économie jusqu’alors très fermée et de positionner l’Inde sur un sentier de croissance. La croissance prend de l’ampleur au début des années 2000 dans les services et l’industrie, atteignant un rythme global de 6 % par an et les exportations de biens et services augmentent. Les réformes continuent depuis lors à se poursuivre par étapes, sans que les changements de gouvernement ne remettent en cause l’orientation générale. Par exemple, l’autorité de régulation des marchés financiers en Inde, la SEBI, a officialisé, le 28 juillet 2011, un ensemble de réformes du cadre réglementaire sur les marchés de capitaux, dans le but de faciliter les acquisitions, de favoriser les investissements des particuliers et de dynamiser l’activité des fonds mutuels (possibilité de détenir 25 % du capital sans faire d’offre ouverte, taxe à l’entrée des fonds mutuels applicable seulement pour les investissements supérieurs à 10 000 roupies, soit 150 euros).
Au milieu de la décennie 2000, l’Inde est encore l’une des économies les plus fermées du monde, relativement en marge du processus de mondialisation, mais elle a acquis une place de premier plan dans un certain nombre de secteurs comme les services informatiques et la pharmacie, qui tranchent avec l’image traditionnelle de l’Inde et, au fond, avec la structure même de son économie qui demeure traditionnelle. Les entreprises de service, qui se sont spécialisées dès le milieu des années 1980 dans la sous-traitance internationale (« offshoring/
outsourcing »), source de près de 90 % du chiffre d’affaires du secteur, sont devenues des poids lourds et commencent à diversifier leurs activités. L’informatique en est l’archétype. En prévision du passage à l’an 2000, les sociétés américaines ont commencé à utiliser la main d’œuvre indienne, qualifiée et disponible. Les premières sociétés indiennes se sont créées et ont d’abord concentré leurs activités sur les Etats-Unis, qui représentaient 70 à 80 % de leur activité à l’époque, et sur le secteur bancaire après l’an 2000 : 350 000 étudiants sont diplômés dans l’informatique en Inde chaque année. Les trois groupes indiens majeurs dans le domaine de l’informatique, Infosys, Tata Consulting et Wipro tentent désormais de se renforcer dans l’intégration système.
Certains industriels indiens commencent également à acquérir une véritable visibilité internationale : évidemment le groupe Tata, avec l’achat du numéro deux de l’acier Corus puis de Jaguar et Land Rover, Ranbaxy, avec le rachat de RPG, filiale d’Aventis SA spécialisée dans les génériques, fin 2004, et Lakshmi Mittal lorsqu’il se porte acquéreur d’Arcelor en janvier 2006. Il faut au moins ajouter à ces succès ceux des frères Ambani, dont le père Dirubhai aura construit en trois décennies ce qui est aujourd’hui le premier groupe privé indien, Reliance (énergie, télécommunications et distribution), de Mahindra (tracteurs), de Suzlon Energy (textile) et de Biocon (biotechnologies).
Progressivement, l’Inde s’intègre au concert économique des nations, sans toutefois pouvoir être comparée à la Chine. Elle a notamment négocié des accords commerciaux plus conformes aux exigences de l’Organisation mondiale du commerce que ceux qu’elle avait pu conclure auparavant. Ceux-ci permettent aux investisseurs étrangers de pénétrer le marché indien dans de meilleures conditions. L’Inde recherche des zones de croissance pour ses exportations tout en atténuant sa dépendance à l’égard de l’Union européenne et des Etats-Unis. 34 % des exportations indiennes se font à destination de l’Europe et de l’Amérique du nord et 64 % des exportations de services informatiques sont à destination des Etats-Unis.
L’Inde a d’abord renouvelé sa politique commerciale à l’égard des pays d’Asie : de nouveaux accords ou des amendements ont ainsi été adoptés avec l’ASEAN, la Thaïlande, Singapour, la Malaisie, la Corée et le Japon au cours des trois dernières années. Des négociations ont également été engagées avec deux organisations régionales africaines, l’Union douanière de l’Afrique du sud (SACU) et le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), ainsi qu’avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Un approfondissement des accords avec le MERCOSUR est également à l’étude. Surtout, un accord de libre-échange avec l’Union européenne est actuellement en cours de négociation.
Mais cet activisme ne se traduit pas par des concessions importantes de la part de l’Inde. Les accords de libre-échange conclus jusqu’ici par les Indiens sont beaucoup moins complets que celui en cours de négociation avec l’Union européenne, qui organisera la levée des mesures destinées à protéger les produits et les emplois indiens. L’ouverture économique de l’Inde n’est encore que partielle et il reste de nombreux obstacles réglementaires et bureaucratiques à lever pour fluidifier les échanges. La Commission espérait une signature au cours du premier semestre 2011, mais, à ce jour, plusieurs questions demeurent en discussion. Des désaccords subsistent quant au « paquet automobile », au calendrier de réduction des droits de douane et à l’ouverture des secteurs encore fermés tels que la distribution, la banque de détail, l’assurance et les transports. Côté indien, des concessions sont attendues de l’Union européenne dans les secteurs du textile, de l’électronique et de l’automobile, où l’Union applique encore des droits de douane et n’accepte pas toutes les normes étrangères.
Concernant la filière automobile, la négociation est particulièrement difficile. L’Inde privilégie l’intégration locale avec une taxation importante aux frontières pour les pièces détachées, imposées au taux de 27 %, et, surtout, pour les véhicules neufs montés, avec un taux qui s’établit entre 60 % et 100 % selon les véhicules, conduisant à un niveau de taxation à l’importation toutes taxes incluses de 159 %. Seuls 6 000 véhicules ont donc été importés déjà montés en Inde en 2010. La fermeture du secteur permet à l’Inde de valoriser ses avantages comparatifs en termes de main d’œuvre, de formation et d’étendue du marché intérieur. L’accord doit permettre à la fabrication et à la sous-traitance en territoire européen d’accéder au marché indien, dont la croissance est de 25 % par an. Car les constructeurs indiens pour leur part commencent, eux, à pénétrer le marché européen (453 500 unités en 2010-2011 essentiellement de marque Maruti-Suzuki et Tata). L’Inde est le quatrième fournisseur de véhicules légers, après le Japon, la Corée et la Turquie, mais avant la Chine. L’Union européenne représente 60 % des exportations d’automobiles indiennes en volume. L’Europe absorbe également 37 % des exportations indiennes de composants automobiles pour un montant de 4 milliards d’euros par an, en très forte croissance.
Concernant les alcools, le marché intérieur indien est surtaxé et fermé aux importations, alors qu’il est le troisième marché au monde en volume, derrière la Chine et la Russie. A titre d’illustration, dès 2011, l’Inde devrait devenir le premier marché en volume de Pernod Ricard, qui y produit un whisky local. Le secteur est préservé en ce qu’il est pourvoyeur de taxes pour les Etats fédérés et qu’il est associé à une gouvernance contestable. Les taxes d’importation sont de 150 % et les droits d’accises atteignent jusqu’à 200 % selon les Etats. Le secteur des vins et spiritueux est très fermé du fait du processus d’homologation et des règles de propriété intellectuelle. Cela explique par exemple que les exportations françaises d’alcools plafonnent à 6,3 millions d’euros par an, alors qu’elles atteignent plus de 560 millions d’euros vers la Chine. Les exportateurs indiens de vins et spiritueux adoptent pour leur part une attitude de plus en plus offensive. L’Inde n’a jamais inclus les alcools dans le périmètre de négociation d’un accord de libre-échange. Elle a accepté avec l’Union européenne le principe d’une taxation dégressive en fonction de la gamme, mais dont le niveau est encore à définir (dans l’accord Unions européenne-Chine le haut de gamme est taxé à 14 %).
S’agissant de la distribution, les investissements directs étrangers sont autorisés jusqu’à 51 % pour les magasins monomarque, tandis que pour les magasins multimarques, seule la franchise avec un partenaire indien est autorisée, les entreprises étrangères n’ayant la possibilité d’investir en Inde en conservant 100 % du capital que sous la forme de cash and carry, sous laquelle est notamment implanté Carrefour à Delhi et à Jaipur. Les droits de douane s’élèvent à 30 %. LVMH n’est même pas présent et Hermès n’a que très récemment ouvert un troisième magasin à Mumbai, en partenariat avec le groupe Khanna Trail. Pourtant, le marché du luxe est évalué à 20 milliards d’euros en 2015.
L’ouverture du commerce de détail à la grande distribution étrangère a fait l’objet d’un texte approuvé en Conseil des ministres le 24 novembre 2011. Ce projet a toutefois rencontré de très fortes oppositions et a été suspendu. Il prévoyait l’ouverture du commerce de détail multimarques dans les villes de plus d’un million d’habitants, à des conditions encore restrictives : l’investisseur étranger ne pouvait disposer de plus de 51 % du capital d’une société conjointe ; sur un minimum de 100 millions de dollars d’investissement, au moins la moitié devait être réservée au développement d’infrastructures ; 30 % des produits devaient être achetés localement auprès de PMI et, enfin, le gouvernement restait prioritaire pour l’achat auprès des agriculteurs de leurs productions agricoles. S’agissant de la distribution monomarque, le projet de loi autorisait les investisseurs étrangers à détenir 100 % du capital des sociétés créées en Inde.
Deux autres volets où la position indienne est très fermée méritent d’être mentionnés. C’est d’abord le secteur de la propriété industrielle, l’Inde étant un des trois grands producteurs de médicaments génériques. Les concessions ne pourront être élevées, mais le statu quo s’oppose à la protection des indications géographiques. C’est ensuite l’ouverture du marché indien des services. L’Inde présente en revanche des exigences fortes quant à l’établissement des sociétés indiennes en Europe et la mobilité de ses travailleurs, y compris dans les secteurs règlementés. On signalera enfin que l’Inde réplique aux critiques européennes sur son intransigeance en formulant des demandes d’accès au marché agricole européen, quoiqu’elle soit en réalité en position favorable quant à la balance commerciale agricole.
Ce qu’il est important de souligner, c’est que l’Inde a besoin d’investissements étrangers pour assurer sa croissance et qu’elle se trouve prise en tenaille entre le souhait de protéger au maximum son marché intérieur et la nécessité de drainer des capitaux et des compétences pour libérer des marges de croissance. Dans certains secteurs, l’ouverture est même devenue indispensable pour sauver de la crise des compagnies privées nées de la libéralisation opérée au cours des dernières années. C’est le cas des compagnies d’aviation qui se sont lourdement endettées et qui se trouvent aujourd’hui dans une situation critique. La politique en matière d’investissements directs étrangers demeure très contraignante dans ce secteur puisque aucune compagnie aérienne étrangère ne peut à ce jour entrer directement ou indirectement au capital d’une compagnie régulière indienne, la participation des autres investisseurs étrangers étant limitée à 49 %. Le cas de Kingfisher Airlines est urgent : la compagnie a enregistré des pertes qui se sont élevées à 226 millions de dollars sur l’exercice 2010-2011 et qui ont conduit le propriétaire, M. Vijay Mallya, à céder aux banques indiennes 23 % du capital de la société. Or, la recapitalisation à conduire n’attire pas les investisseurs indiens.
Le mouvement de libéralisation de l’économie indienne et d’ouverture sur le monde se poursuit donc en Inde au rythme des nécessités, guidées tantôt par la pression des circonstances, tantôt par les concessions bilatérales, tantôt par le besoin d’assurer un taux de croissance suffisant pour un pays dont le revenu par habitant demeure faible. Car cette croissance, à la fois conséquence et moteur de l’ouverture indienne, implique que l’Inde franchisse des étapes difficiles, qui feront notamment appel à l’assistance ou aux capitaux étrangers.
2) La croissance indienne : chiffres, fondements et projections
L’Inde est la dixième puissance économique mondiale et la quatrième en parité de pouvoir d’achat. Si le taux de change paraît plus pertinent pour évaluer la capacité d’influence d’un pays émergent sur l’économie et les échanges mondiaux, qui passe par des opérations commerciales et d’investissement, la parité de pouvoir d’achat (PPA) est plus adaptée pour comparer les niveaux de vie de la population.
L’étude menée par l’ambassade de France en Inde « Prospective 2025 », fondée notamment sur les travaux menés par le CEPII (Centre français d’étude et de recherche en économie internationale) et portant sur la situation économique de l’Inde, identifie trois piliers de la croissance indienne.
Le premier réside dans la forte croissance démographique que connaît l’Inde et l’évolution de sa population active (cf. supra). Le deuxième réside dans l’existence d’une classe d’entrepreneurs privés, laquelle, selon M. Jean Leviol, présente deux caractéristiques majeures :
– contrairement aux grandes entreprises françaises ou occidentales qui se développent selon un modèle de spécialisation, les entreprises indiennes, majoritairement familiales, tendent vers le conglomérat. Diversifier son activité permet ainsi à une entreprise de diminuer les risques. Une telle stratégie a notamment été adoptée par le groupe JK, qui produit des pneus mais aussi, notamment, du ciment et du papier ;
– l’entrepreneur indien apparaît comme un substitut à l’État providence, presque inexistant en Inde. Les entrepreneurs mènent des actions dans les domaines de la santé ou de l’éducation, particulièrement dans les régions où ils sont implantés ou dont ils sont originaires.
Enfin, le troisième moteur de la croissance économique indienne est la démocratie et l’État de droit, qui sécurisent les investissements.
La croissance indienne est portée avant tout par le secteur des services, qui contribue pour environ 53 % au PIB : l’industrie des technologies de l’information et de la communication est en effet très développée et performante. L’industrie de sous-traitance informatique et d’externalisation des services aux entreprises a un chiffre d’affaires de 52 milliards de dollars en 2009 et emploie deux millions de personnes. Le secteur des logiciels, qui grandit rapidement, dope les exportations de services et modernise l’économie indienne.
L’Inde est la quatrième puissance agricole mondiale. L’agriculture compte pour approximativement 20 % du PNB et emploie à peu près 60 % de la population. Les principales productions agricoles sont le blé, le millet, le riz, le maïs, la canne à sucre, le thé, la pomme de terre et le coton. L’Inde est également le second producteur de bovins, le troisième producteur d’ovins et le quatrième en matière de production halieutique. Dans l’industrie de fabrication, le textile joue un rôle prédominant. Mais il est frappant de constater que la part de l’industrie dans le PIB plafonne à 28 % (26 % en 2000), la diminution régulière de la valeur ajoutée du secteur agricole s’étant faite au profit des services. C’est aussi ce qui explique que la croissance est malgré tout peu créatrice d’emplois.
L’Inde est dans ces conditions devenue un pays de plus en plus attractif pour les investisseurs, s’affirmant comme un marché potentiel considérable, avec une demande intérieure forte. Certes, le marché indien n’est pas de la taille du marché chinois, mais il est comparable à ce que ce dernier était il y a quinze ans et suit une trajectoire de rattrapage rapide, qui se traduit notamment par le développement de sa classe moyenne. Les villes indiennes sont les symboles les plus visibles de la croissance économique et du rattrapage du déficit d’urbanisation d’un pays dans lequel 70 % de la population est encore rurale. Le pays compte désormais 340 millions d’urbains, neuf villes de plus de 4 millions d’habitants (Delhi, Mumbai, Kolkata (18), Bengaluru, Chennai, Hyderabad et Pune) et près de 42 villes de plus d’1 million d’habitants (contre 35 sur le territoire européen). Ces chiffres pourraient s’établir, respectivement à 590 millions, 13 et 68 en 2030 selon une étude de McKinsey Global Institue d’avril 2010. Le taux d’épargne intérieure brute est de 37 %.
L’Inde demeure toutefois une économie beaucoup moins internationalisée que la Chine.
En 2009-2010 (d’avril à mars), les exportations indiennes de biens totalisaient 165 milliards de dollars, représentant 13 % du PIB (contre 24 % du PIB en Chine), soit une croissance annuelle de 18 % depuis 2001-2002 (43 milliards de dollars). Concernant les importations, elles totalisaient, toujours en 2009-2010, 258 milliards de dollars, représentant 21 % du PIB (contre 20 % en Chine), soit une croissance moyenne annuelle de 20 % (59 milliards de dollars d’importations en 2001-2002). Les énergies fossiles constituent le plus gros poste d’importations (96,3 milliards de dollars, soit plus du tiers des importations totales), suivies de la bijouterie et des pierres précieuses (46,3 milliards de dollars), une large part des importations dans ces deux secteurs donnant lieu à réexportation après transformation. Les autres secteurs d’importations principaux sont les produits chimiques et pharmaceutiques, le nucléaire et les équipements électriques. La part de l’Inde dans le commerce mondial est de l’ordre de 2 %, services inclus. Le pays a l’ambition de la doubler d’ici à 2020. La dynamisation de son commerce extérieur est donc essentielle.
Concernant les investissements directs étrangers, dans leur rapport World Investment Prospects Survey 2009-2011 (Enquête mondiale sur les perspectives d’investissements), les Nations unies placent l’Inde en troisième position en 2009. Les grandes entreprises occidentales s’installent en Inde pour conquérir de nouveaux marchés et délocaliser leur production, parfois leurs centres de recherches, voire leurs ateliers de maintenance et de réparation. Elles y ont recours aux services performants et compétitifs du secteur informatique.
L’enquête 2010-2012 montre aussi que, comme la Chine et la Russie, l’Inde n’est plus seulement destinataire d’investissements directs étrangers (IDE), mais appartient aussi aux dix pays investissant le plus à l’étranger. Entre avril 2000 et décembre 2010, l’Inde aurait reçu près de 186,8 milliards de dollars américains d’investissements étrangers selon la banque centrale indienne (Reserve bank of India – RBI). Les régions de Mumbai et Delhi concentrent plus de la moitié du stock d’IDE sur cette période, avec un attrait particulier pour les services y compris financiers. L’année 2010-2011 a marqué un point d’inflexion avec une baisse de 25 % des IDE entrant, mais les premiers chiffres de 2011 montrent une forte accélération (+ 133 % en glissement annuel sur le premier trimestre).
S’agissant des projections de croissance, déjà dans son rapport de 2002 sur la « Vision de l’Inde à 2020 », la Planning Commission projetait une croissance moyenne du PIB de l’ordre de 8,5 – 9 % jusqu’en 2020.
L’étude de Goldman Sachs datée d’octobre 2003 (19) propose une projection de croissance des quatre nations les plus grosses hors G6, que l’étude regroupe sous l’acronyme « BRIC » désormais populaire : le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. Cette projection sur 50 ans fait apparaître une progression considérable de ces quatre pays, qui devraient surpasser les quatre pays européens du G6 (Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie) et le Japon. L’Inde serait, parmi les BRIC, le pays dont le potentiel de croissance est le plus rapide, avec un taux supérieur à 5 % sur les trente prochaines années, la positionnant troisième économie mondiale derrière les Etats-Unis et la Chine, et un taux encore proche de ce niveau en 2050.
Tirant les conséquences de la crise mondiale, en décembre 2009 (20), Goldman Sachs établissait la projection de croissance indienne jusqu’en 2040 autour de 6,5 % par an, contre 4 % pour la Chine et 4,5 % pour le Brésil. Elle en déduisait que l’Inde dépasserait l’Italie en 2017, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne entre 2021 et 2024 et le Japon en 2027. L’étude évaluait à 35 000 milliards de dollars américains le PIB indien en 2050, le situant encore à la troisième place derrière la Chine et les Etats-Unis. L’étude de juillet 2011 (21), relevant que la performance indienne dans le contexte de crise mondiale lui avait permis de se hisser à la neuvième place de l’économie mondiale dès 2009, révise la croissance prévisionnelle de l’Inde à la hausse : 6,5 % par an sur la période 2011-2020, 6,4 % sur la période 2021-2030, 6,6 % sur la période 2031-2040 et 5,8 % sur la période 2041-2050.
Taux moyen de croissance (Projections)
(en %)
2011-20 |
2021-30 |
2031-40 |
2041-50 | |
Brésil |
4,6 |
4,4 |
4,4 |
3,9 |
Russie |
4,4 |
3,1 |
2,4 |
1,5 |
Inde |
6,5 |
6,4 |
6,6 |
5,8 |
Chine |
7,9 |
5,7 |
4,4 |
3,6 |
Source : GS Global ECS Market / Goldman Sachs.
Date à laquelle les BRIC dépasseront les pays du G6
France |
Allemagne |
Italie |
Japon |
Royaume-Uni |
Etats-Unis | |
Brésil 2003 |
2031 |
2036 |
2025 |
– |
2036 |
– |
Brésil 2008 |
2027 |
2029 |
2020 |
2034 |
2038 |
– |
Chine 2003 |
2004 |
2007 |
2000 |
2016 |
2005 |
2041 |
Chine 2008 |
2006 |
2008 |
2004 |
2010 |
2006 |
2027 |
Inde 2003 |
2019 |
2023 |
2016 |
2032 |
2022 |
– |
Inde 2008 |
2021 |
2024 |
2017 |
2027 |
2023 |
– |
Russie 2003 |
2024 |
2023 |
2018 |
– |
2027 |
– |
Russie 2008 |
2024 |
2029 |
2017 |
2037 |
2027 |
– |
Source : GS Global ECS Market / Goldman Sachs.
Cette analyse est concordante avec celle de l’étude The World in 2050 publiée le 10 janvier 2011 par PricewaterhouseCoopers. Selon celle-ci, la crise financière mondiale a accéléré le transfert du pouvoir économique en faveur des pays émergents. Les économies émergentes « E7 » (la Chine, l’Inde, le Brésil, la Russie, le Mexique, l’Indonésie et la Turquie) devraient dépasser les économies du G7 (les États-Unis, le Japon, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France, l’Italie et le Canada) en 2017 selon la mesure de leur PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA) et en 2032 selon la mesure de leur PIB aux taux de change du marché.
C’est donc l’Inde et non la Chine qui devrait enregistrer la hausse la plus significative de sa part dans le PIB mondial. En 2009, la part de l’Inde dans le PIB mondial sur la base des taux de change du marché s’établissait à seulement 2 %. D’ici 2050, cette part pourrait s’élever jusqu’à près de 13 %. L’Inde pourrait dépasser le Japon dès 2011 sur la base du PIB à parité de pouvoir d’achat, et pourrait même dépasser les États-Unis d’ici 2050 selon ce même critère. La progression du PIB de l’Inde sera nettement plus lente sur la base des taux de change du marché, car au plan national ses prix restent nettement inférieurs aux niveaux actuels des prix des pays du G7. Même en considérant le PIB aux taux de change du marché, l’Inde devrait toutefois dépasser le Japon d’ici 2030 et talonner de près les États-Unis d’ici 2050.
Le CEPII (2010) estime quant à lui que l’Inde atteindra en valeur, à l’horizon 2035, ce qu’était l’économie chinoise en 2010. Selon la méthode utilisée, entre 2008 et 2050, la taille des économies chinoise et indienne serait multipliée entre 13 et 20 fois alors que les Etats-Unis connaîtraient un doublement et l’Union européenne une augmentation de 40 %. En 2050, la Chine pèserait alors pour 28 % de l’économie mondiale, les Etats-Unis pour 14 %, l’Inde pour 12 %, l’Union européenne pour 11 % et le Japon pour 2 %. Le dépassement des Etats-Unis par la Chine et du Japon par l’Inde aurait lieu entre 2025 et 2035.
3) Des freins à la croissance qui doivent être levés
Le taux de croissance, quoiqu’en repli, s’est établi à 7,8 % en 2009, ce qui demeure une performance dans le contexte de crise mondiale. Il s’est redressé à 8,9 % en 2010, mais on observe des signes d’essoufflement. Le potentiel de croissance indien s’établit à 8 % par an environ. Ce potentiel est robuste car il repose sur le rythme de croissance démographique, mais, d’une part, il demeure faible au regard de cette même croissance, d’autre part, il est difficile à convertir en taux de croissance effectif.
Dans une étude de juin 2008 (22), Goldman Sachs liste dix conditions majeures pour que l’Inde convertisse pleinement son potentiel de croissance. Parmi ces conditions figurent des modifications d’ordre politique et social déjà évoquées, relatives à la gouvernance, l’éducation de base, l’enseignement supérieur et la fiscalité. Y figurent également des évolutions économiques importantes : la libéralisation des marchés financiers et l’augmentation des échanges commerciaux avec les pays voisins évidemment, mais aussi la maîtrise de l’inflation, l’amélioration de la productivité agricole, des infrastructures modernes et de la qualité environnementale.
Car au-delà des motifs conjoncturels et de la nécessité pour l’Inde de poursuivre son ouverture économique, les perspectives de croissance indiennes sont freinées par deux types de facteurs : les risques inflationnistes qui pèsent sur la politique monétaire et des goulets d’étranglement qui pénalisent l’investissement.
L’Inde connaît une forte inflation, de l’ordre de 9 % par an, qui a aussi été alimentée par la hausse des prix alimentaires. La Banque centrale indienne a opté pour un resserrement très dur de sa politique monétaire, qui pèse sur l’investissement. Son principal taux directeur s’établit à 8 %. Cela explique pour partie, avec le contexte international, l’essoufflement de la croissance indienne depuis le milieu de l’année 2010. Les chiffres du deuxième trimestre 2011 faisaient ainsi état d’une croissance de 7,7 %, l’investissement s’est effondré à 0,4 % au premier trimestre 2011 contre 19,2 % l’année précédente. La croissance n’atteint plus que 6,9 % au troisième trimestre, niveau le plus bas de croissance enregistré depuis le deuxième trimestre 2009. L’investissement recule même (- 0,6 %). La prévision de croissance de 8,6 % sur l’année a été revue à la baisse à 7,3 %.
Or, l’inflation demeure élevée à 9,7 % en octobre, ce qui pèse sur la consommation et le pouvoir d’achat des ménages et ne laisse pas augurer de détente prochaine de la politique monétaire permettant une reprise de l’investissement. En tout état de cause, la marge de manœuvre de la banque centrale sera faible. Celle du gouvernement l’est tout autant avec un déficit public qui s’établirait entre 5 et 5,5 % du PIB cette année, tandis qu’il s’est engagé à ramener le ratio de dette publique sur PIB à 68 % en 2015 contre 75 % actuellement. Il est vrai que l’inflation favorise l’allègement de la dette.
Dans ce contexte, les autorités n’ont d’autre choix que d’accélérer les réformes structurelles pour élever un niveau de croissance aujourd’hui insuffisant pour faire baisser la pauvreté et améliorer la redistribution des richesses.
Le projet récent d’assouplir la réglementation encadrant les investissements directs étrangers dans la distribution multi-marques constituait le signe que le gouvernement s’engageait dans cette voie. Ce projet de réforme précédemment présenté pourrait permettre de drainer 10 milliards de dollars d’investissements étrangers au cours des trois à cinq prochaines années, de créer quelque 10 millions d’emplois directs et indirects, de générer 25 à 30 milliards de recettes budgétaires et de limiter la hausse des prix de manière notable, en développant un modèle de distribution différent du modèle indien, constitué de très nombreux intermédiaires. Il convient toutefois de souligner que la structuration du monde agricole indien – fait d’un grand nombre d’agriculteurs produisant peu – ne permettra pas de supprimer l’intermédiation mais pourrait se traduire en revanche par un pouvoir de négociation des chaînes de supermarchés disproportionné face aux petits exploitants. C’est ce qui explique d’ailleurs largement le retrait du projet.
L’Inde doit ensuite éliminer plusieurs goulets d’étranglement.
Le premier goulet d’étranglement est celui de l’énergie : le pays dispose d’une capacité évaluée à 174 gigawatts en mars 2011 (23), à laquelle il faut ajouter la capacité captive (installée par les industries pour leur fonctionnement), les deux tiers de cette énergie étant produits à partir du charbon. Pour répondre aux besoins liés à la croissance, l’objectif fixé par le gouvernement indien est de le porter à 800 gigawatts à l’horizon 2030, en produisant 55 gigawatts supplémentaires pendant la période 2007–2012, et encore 130 gigawatts pendant la période 2012–2017.
Actuellement, la production électrique indienne provient à 65 % de centrales thermiques (52 % charbon, 10 % gaz, et 0,8 % diesel), à 22 % de centrales hydrauliques, un peu moins de 10 % d’énergies renouvelables et à environ 3 % d’énergie nucléaire. L’utilisation de charbon pour la production d’électricité se justifie par l’abondance de la ressource. Troisième producteur mondial derrière la Chine et les Etats-Unis avec 350 millions de tonnes par an, l’Inde dispose également de 3 % des réserves mondiales grâce à des gisements géants situés dans le centre et l’est du pays. Mais face à une demande énergétique qui croît de 8 % par an, si l’Inde peut répondre aux besoins énergétiques, c’est au prix d’un accroissement des importations d’hydrocarbures. Sa dépendance énergétique devrait s’établir à 85 % en 2010 et 92 % en 2020.
Un nouveau « mix énergétique » est en définition. Il consiste à relever à 20 % la part du nucléaire dans la production, à moderniser les centrales thermiques existantes, à développer la production d’énergie solaire et éolienne (potentiel de 50 gigawatts pour chacune de ces sources) et à construire des barrages hydroélectriques, notamment sur le fleuve Narmada.
Concernant le réseau et la distribution d’électricité, les progrès à faire restent importants. Outre un défaut de distribution évident, la gratuité de l’électricité pour les agriculteurs ne permet pas à la population de bénéficier d’un service convenable. Des améliorations sensibles peuvent cependant être notées, comme dans l’État du Gujarat où la population dispose de compteurs électriques et paie son électricité. Pour contribuer à la paix sociale, l’essence est fortement subventionnée. Mais, l’envolée des cours mondiaux du brut et le poids des subventions dans le budget indien ont rendu une hausse des prix du carburant inévitable.
Concernant la gestion des ressources naturelles, l’Inde reste en grande partie une « monsoon economy » (24), une économie rurale dépendante de la mousson. Dans ces conditions, deux questions conditionneront largement l’évolution économique et sociale globale de l’Inde : la terre et l’eau.
Dans les années 1950, le secteur agricole a connu une embellie importante grâce notamment à la révolution verte et l’apparition de semences à haut rendement, ainsi qu’à la réforme agraire (et l’augmentation de la redistribution). Aujourd’hui, alors que le secteur des services et le secteur industriel connaissent une croissance à deux chiffres (le premier depuis dix ans, le second depuis quelques années), le secteur agricole ne connaît qu’une faible croissance, tombée à 2,5 % en 2010 contre 4 % par an dans les années 1980. 70 % des exploitations agricoles indiennes ne dépassent pas l’hectare, et autour de 15 % ont une superficie comprise entre 1 et 2 hectares. Leur petite taille entraîne des problèmes de sous-productivité. Au-delà, cela pose la question de la soutenabilité, car la production agricole indienne actuelle ne permet plus au pays d’être autosuffisant dans le domaine agroalimentaire. Le secteur agricole constitue ainsi un enjeu de sécurité alimentaire, un défi économique et productif et, enfin, pose un sérieux problème foncier. Il va sans dire que les évolutions des prochaines années auront de fortes conséquences sociales, territoriales et politiques.
L’érosion progressive de l’autosuffisance alimentaire sous l’effet de l’accroissement de sa population et de l’élévation du niveau de vie d’une partie d’entre elle, rend nécessaires une régulation du marché et une augmentation de la surface cultivable irriguée, qui se limite à 40 % aujourd’hui, et de la productivité agricole, qui plafonne aux environs de 3 %, dans un secteur qui emploie 58 % de la population active et contribue à 15 % du PIB. S’ajoute à ces problèmes l’incapacité de l’Inde à stocker ses céréales. Le 31 août 2010, la Cour suprême indienne avait ordonné au gouvernement de distribuer à la population affamée ses réserves de céréales (près de 19 millions de tonnes) qui pourrissaient en plein air, faute de lieux de stockage appropriés. Le gouvernement s’y est refusé. L’État est également le seul en mesure de construire les installations nécessaires à l’irrigation, mais ne le fait pas, laissant la population agricole démunie : un exploitant ne disposant pas des ressources financières nécessaires pour creuser son propre puits ne pourra obtenir un rendement suffisant. On constate par ailleurs que le pays s’en remet au secteur agroalimentaire alors que celui-ci s’intéresse d’abord aux produits qui ont des débouchés rémunérateurs (comme le baby corn, les tomates) et ne se soucie nullement du développement rural, qui n’est plus non plus une priorité pour l’État. Il s’en suit une paupérisation des campagnes qui se répercute sur la vie politique. Les paysans des régions tribales sont de plus en plus nombreux à se tourner vers la guérilla maoïste. L’État indien a mobilisé 70 000 hommes (soldats et paramilitaires) pour lutter contre ce phénomène. Les affrontements entre les deux groupes ont fait plusieurs milliers de morts.
Au-delà du seul secteur agricole, l’eau ou plus précisément la disponibilité d’une eau de qualité est en train de se transformer en un problème majeur. L’Inde abrite 16 % de la population mondiale mais ne dispose que de 4 % des réserves d’eau douce, avec un climat marqué par une très forte saisonnalité : 85 % des pluies interviennent pendant la mousson et entre 70 et 96 % des volumes d’eau transportés annuellement par les rivières s’écoulent pendant cette période. Or, les besoins en eau n’ont cessé d’augmenter sous l’effet de la croissance de la population, de l’industrialisation, de l’intensification de l’agriculture et de l’évolution des modes de vie. La surexploitation des cours d’eau et des nappes phréatiques est avérée, certains sols se sont appauvris et la qualité de l’eau s’est fortement dégradée, soit qu’elle soit chargée de polluants et de rejets industriels, soit que les réseaux de distribution et d’assainissement soient vétustes ou insuffisants. L’accès à l’eau potable en zone rurale a reculé de 95 % en 2005 à 66 % en 2009, alors que l’accès en zone urbaine est élevé (supérieur à 90 %) mais au prix d’un rationnement chronique éventuellement complété par une eau distribuée par camions, très onéreuse et de qualité discutable (25).
Selon les estimations d’une étude d’avril 2010 du McKinsey Global Institute relative à l’urbanisation en Inde, India’s urban awakening, seuls les deux tiers des besoins en Inde sont couverts dans les villes indiennes et seuls 20 % des effluents domestiques sont traités correctement, si bien que 96 milliards de dollars d’investissements seraient nécessaires d’ici 2030 pour assurer l’approvisionnement en eau potable des populations et 53 milliards de dollars pour l’assainissement. L’organisation 2030 Water Resources Group, dans un rapport publié en novembre 2009, estimait quant à elle que, sans réformes, l’Inde ne pourrait subvenir qu’à la moitié de ses besoins en 2030. Il convient enfin de souligner que l’eau est un problème particulièrement sensible dans les relations avec les Etats voisins, notamment le Pakistan et la Chine, mais aussi entre les Etats indiens, comme en atteste le partage difficile des eaux du Cauvery entre le Tamil Nadu et le Karnataka, qui n’a toujours pas trouvé de solution satisfaisante.
Le secteur de l’eau en Inde, qui est une compétence décentralisée, souffre de problèmes d’organisation mais surtout de ressources humaines. Le manque d’expertise technique est patent. Quant à la tarification, elle s’avère largement insuffisante pour assurer les coûts réels d’un service de qualité incluant les investissements et l’entretien. Ce sujet rejoint celui des déchets, mal appréhendé par un pays où les déchets solides devraient pourtant doubler sur la période 2001-2025.
Enfin, la question foncière elle-même devient un enjeu avec des conflits d’usage assez importants. Alors que les terres doivent nourrir une population croissante, les villes s’étendent de plus en plus, et l’industrie, qui pour l’instant n’occupe que 3 à 4 % du territoire, a vocation à prendre une place grandissante, tout comme les infrastructures qui l’accompagnent. La pression sur les terres agricoles se fait donc tous les jours plus forte en Inde.
La loi aujourd’hui en vigueur, qui date de 1894, prévoit qu’une entreprise privée doit obtenir l’accord de 80 % des propriétaires concernés pour pouvoir racheter des terres. Mais les conditions de la transaction ne sont pas encadrées. A partir du moment où le projet est considéré comme étant d’intérêt général, l’Etat a quant à lui la possibilité de s’approprier les terres, moyennant une indemnisation dont les conditions ne sont pas précisées non plus. Les abus sont nombreux et les contentieux fréquents. L’acquisition des terres pour la construction de l’usine Tata à Singur, au Bengale occidental, avait provoqué une levée de bouclier et le projet a été abandonné. La construction d’un vaste complexe sidérurgique par le groupe coréen Posco a récemment provoqué une nouvelle polémique sur les acquisitions foncières et les compensations des agriculteurs. Un projet de loi, rendu public fin juillet, prévoit un barème précis d’indemnisation pour les propriétaires, selon le type de terrain et l’exploitation qui en est prévue. Dans la plupart des cas, des rentes sur vingt ans seront proposées aux familles expropriées, et des emplois réservés offerts à certains membres des familles qui se verraient privées de tout moyen de subsistance par la perte de leurs terres.
Le troisième défi à relever pour l’Inde afin d’assurer son sentier de croissance est la rénovation urbaine et l’amélioration des infrastructures de transports. L’étude de McKinsey Global Institue d’avril 2010 précitée pointe la faiblesse des investissements dans les infrastructures urbaines avec 17 dollars par an par habitant contre 116 en Chine. Le retard de l’Inde par rapport à son voisin est extrêmement visible et nuit naturellement à l’investissement et la distribution. Les besoins d’investissements sont estimés à 1 200 milliards de dollars pour la période 2010-2030, soit 134 dollars par habitant et par an : la moitié pour rattraper le retard pris, l’autre moitié pour faire face aux besoins nouveaux liés à l’urbanisation croissante. Le taux indien de motorisation est encore très bas, avec 11 véhicules pour 1 000 habitants, et concentré dans les grandes villes (51 % des voitures dans les 44 villes de plus d’un million d’habitants et 12 % à Delhi). Or, le réseau routier est déjà engorgé. Il doit donc être amélioré, mais c’est surtout l’offre de transports en commun, en outre moins polluants, qui doit être développée. Toujours d’après la même étude, ces évolutions nécessiteraient, respectivement, 400 et 200 milliards de dollars d’investissements d’ici à 2030.
Le gouvernement central, conscient des enjeux, a inscrit le développement des infrastructures dans le cadre du plan quinquennal en cours et les efforts en matière d’investissement pour ce faire devraient atteindre 1 000 milliards de dollars américains dans le prochain plan, soit un doublement par rapport au plan actuel. Concernant les infrastructures urbaines, un programme de rénovation urbaine a été créé en 2005, ainsi qu’un fonds, le Jawaharlal Nehru National Urban Renewal Mission (JNNURM), destiné à développer les infrastructures urbaines (eau, déchets, transports) dans 63 villes d’ici à 2012, et doté de 20 milliards de dollar. L’activation du fonds est conditionnée à des réformes préalables en matière notamment de gouvernance de la part des villes, comme la création d’un budget dédié aux transports, ou l’élaboration d’un plan de déplacements urbains. 129 projets ont été retenus fin 2010 en matière de transports urbains, dont une majorité pour la construction de routes urbaines et d’autoponts. 150 projets dans le secteur eau et assainissement ont aussi émergé. Le programme devrait être prorogé en 2012 et pourrait inclure les métros. Les projets de métro se développent dans toutes les grandes agglomérations : quinze villes ont un métro en fonctionnement ou en projet. Outre le fonds JNNURM, le gouvernement central a également accordé des cofinancements en partenariats publics-privés au travers de fonds VGF (Viability Gap Funding) couvrant jusqu’à 20 % des principaux investissements ou 50 % pour les projets complexes et moins rentables. C’est le cas du métro de Delhi.
Pour pérenniser sa croissance, l’Inde devra aussi améliorer la desserte du pays. 50 000 kilomètres d’autoroutes seraient ainsi à construire entre 1999 et 2015. Alors que la Chine construit chaque année plus de 7 000 km d’autoroute, l’Inde a construit 3 500 km de route goudronnée en 2010, dont très peu d’autoroutes. Le projet de « quadrilatère d’or » entre Delhi, Mumbai, Chennai et Kolkata, implique de construire 20 000 km de routes par an et seulement 2 000 kilomètres sont réalisés chaque année. Si les routes sont dans un bon état général sur le littoral, on ne peut cependant pas en dire autant de l’intérieur du pays (la vitesse moyenne sur route entre Mumbai et Bhopal est de 10 à 15 km par heure). Des efforts ont été entrepris par le nouveau ministre indien des routes, M. Kamal Nath, qui a pris plusieurs décisions : les marchés publics ne seront plus attribués au moins disant mais au mieux disant, à l’image de ce qui se fait en France ; les entrepreneurs bénéficieront également de subventions gouvernementales de 5 à 40 %.
En matière ferroviaire, l’Inde dispose du premier réseau au monde. Force est de constater que beaucoup de travail reste cependant à faire, notamment quant aux conditions de sécurité quasi inexistantes et à la vitesse très faible des trains. Le gouvernement a souhaité proposer aux usagers des billets à prix bas, mais cela ne permet pas de dégager suffisamment de recettes pour financer les infrastructures. Un projet de construction de trois lignes de fret est à l’étude. Il faudra cependant probablement attendre de nombreuses années avant que l’Inde dispose d’un réseau de chemin de fer de qualité.
Le secteur aérien a en revanche connu un grand changement avec la libéralisation de l’aviation, l’arrivée de nouvelles compagnies privées et le renouvellement des infrastructures avec la création de nouveaux aéroports (comme à Bengaluru, Mumbai, Delhi, Hyderabad). Cependant l’Inde doit faire face à un manque de personnel formé, qu’il s’agisse des pilotes ou des contrôleurs aériens.
Enfin, l’Inde est un pays peu développé sur le plan industriel. L’industrie ne concourt à l’économie qu’à hauteur de 28 % du PIB, contre 47 % par exemple en Chine et l’industrie manufacturière à hauteur de 16 % contre 32 %. Or, la spécialisation de l’économie dans les services est moins créatrice d’emplois et participe moins à la réduction de la pauvreté, véritable défi de l’Inde. L’Inde a annoncé fin octobre sa National Manufacturing Policy (NMP), ou politique industrielle nationale. Les ambitions tiennent en deux chiffres : porter d’ici à 2022 la part de l’industrie manufacturière dans le PIB de 16 à 25 % et créer d’ici là cent millions d’emplois industriels. Ce projet repose sur la création de National Investment and Manufacturing Zones (NIMZ), zones industrielles de 5 000 hectares minimum dotées de nombreux avantages : infrastructures notamment de transport, guichet unique pour les formalités des entreprises, contraintes allégées, en matière sociale et environnementale, et avantages fiscaux. Mais une telle ambition nécessite de renforcer la formation car la filière industrielle emploie aussi du personnel d’encadrement.
C – Un pays majeur dans un monde multipolaire
L’émergence économique de l’Inde s’est accompagnée de nouvelles ambitions diplomatiques. Elle s’est amorcée au lendemain de la fin de la guerre froide, période pendant laquelle l’Inde s’était engagée dans une politique de non-alignement, qui l’avait conduite en fait à une certaine proximité avec l’Union soviétique. Le pays s’est depuis rapproché des Etats-Unis et aspire à être davantage reconnu sur la scène internationale.
1) Un environnement régional qui pousse l’Inde à la vigilance
Comme l’a dit très clairement M. Ranjan Mathai, ancien ambassadeur de l’Inde à Paris actuellement Foreign Secretary, aux membres de la Mission qu’il a reçus à Delhi, la priorité de la politique étrangère de l’Inde est ses relations avec son environnement immédiat, ses relations avec les Etats membres du Conseil de sécurité des Nations unies venant ensuite. Il est en effet parfaitement logique que l’Inde se préoccupe avant tout de ses voisins, et en particulier de deux d’entre eux, avec lesquels elle a été en conflit militaire à plusieurs reprises depuis son indépendance, le Pakistan et la Chine.
Depuis l’indépendance de l’Inde et la création du Pakistan, les deux Etats apparaissent comme des frères ennemis. Le Pakistan dans ses frontières actuelles est en effet issu d’une double sécession, celle de 1947 qui s’est opérée au prix de terribles massacres intercommunautaires et d’un déplacement massif de population, et celle de 1971 qui, en donnant naissance au Bangladesh, a privé le Pakistan de plus de la moitié de sa population et a constitué une humiliante défaite pour son armée, le soulèvement des Bengalis ayant toujours été perçu comme le résultat d’un complot indien. Ce double traumatisme est pour beaucoup dans l’absence de résolution du conflit sur le statut du Cachemire, le Pakistan refusant absolument l’idée de laisser sous souveraineté indienne des territoires majoritairement peuplés de musulmans. L’Inde et le Pakistan se sont combattus à de multiples reprises depuis 1947 – à l’occasion de quatre guerres, en 1947, en 1965, en 1971 et en 1999, la période 1987-2004 ayant été marquée par des accrochages quasi quotidiens le long de la ligne de contrôle tracée en 1949 et par une véritable guérilla menée dans la partie indienne du Cachemire par des mouvements islamistes soutenus par Islamabad –, sans que cela conduise à avancer dans le règlement du problème.
Après l’incident dit de Kargil en 1999, l’Inde et la Pakistan furent sur le point de s’engager dans un nouvel affrontement majeur en 2002, à la suite de trois attentats, dont deux au Cachemire indien et le troisième contre le Parlement à Delhi : l’intervention de la communauté internationale, et en particulier des Etats-Unis, alors en pleine guerre en Afghanistan, permit de faire retomber la tension. En janvier 2004, a été établi un « dialogue composite » portant sur l’ensemble des différends entre les deux Etats, dont celui relatif au Cachemire. En avril 2005, leurs dirigeants ont qualifié conjointement le processus de paix d’« irréversible ». Depuis lors, le pouvoir à Islamabad a changé et la multiplication des attentats terroristes en Inde – le triple attentat de Mumbai de fin novembre 2008 n’étant que le plus meurtrier d’une longue série –, dont les autorités pakistanaises sont tenues par Delhi pour au moins partiellement responsables, n’a pas facilité le dialogue. Néanmoins, comme cela a été souligné par de nombreux interlocuteurs de la Mission, le Premier ministre indien est très attaché à la poursuite des discussions bilatérales.
Depuis quelque temps, celles-ci semblent avancer, même si c’est à petits pas. Alors que la visite à Islamabad du ministre indien des affaires étrangères en juillet 2010 avait été un échec en raison de la position très ferme de l’Inde sur la lutte contre le terrorisme, le gouvernement a depuis fait une concession majeure en acceptant de découpler la conduite du dialogue avec le Pakistan de l’exigence de progrès dans le procès des responsables présumés des attentats de Mumbai. La visite en Inde de la nouvelle ministre pakistanaise des affaires étrangères à la fin juillet 2011 a marqué les Indiens favorablement. La priorité est désormais de réaliser des progrès sur les échanges humains et commerciaux, ces derniers étant limités à 3 milliards de dollars américains par an. Le Pakistan a récemment accepté le principe de l’octroi à l’Inde du statut de la nation la plus favorisée, que celle-ci lui a accordé depuis des années, en application des règles de l’Organisation mondiale du commerce : cette concession était une demande forte de Delhi. En revanche, la question du Cachemire n’a encore été abordée que sous l’angle des mesures de confiance et de la facilitation des échanges, sur lesquelles des engagements ont été pris. Aucune avancée concrète n’a été réalisée sur le contre-terrorisme, le sujet de l’eau (26) ou le projet de démilitarisation d’un glacier contesté, ces deux derniers thèmes ayant seulement donné lieu à un accord sur la nécessité de poursuivre les discussions en vue de trouver une solution pacifique.
La volonté de dialogue est réelle du côté indien, comme du côté du pouvoir civil pakistanais, avec lequel les discussions se poursuivent. Mais celui-ci est très fragile, et rien d’important ne pourra aboutir sans l’accord de l’armée et des services de renseignement pakistanais, dont la « menace indienne » reste le facteur principal de légitimation du pouvoir. Delhi s’inquiète en outre de l’intensification des relations entre le Pakistan et la Chine (27), qui pourrait conduire Islamabad à adopter une position plus dure vis-à-vis de l’Inde. L’autre grande préoccupation indienne, dans la région et d’une manière générale, est en effet la concurrence de la puissance chinoise, qui est en fait plus redoutée que le frère ennemi pakistanais.
Depuis l’Indépendance, la Chine est à la fois source de fascination et de préoccupation pour les dirigeants indiens. Les contentieux frontaliers ont conduit à un conflit ouvert en 1962, qui s’est soldé par une lourde défaite de l’Inde et par l’annexion par la Chine d’une partie du Cachemire indien. La normalisation des relations bilatérales n’a commencé qu’à la fin des années 1980, avec la visite de Rajiv Gandhi à Pékin. Le processus s’est poursuivi depuis et s’est accéléré à partir de 2003, lorsque le Premier ministre indien, qui appartenait au BJP, s’est à son tour rendu en Chine. C’est finalement en avril 2005 qu’une avancée importante est enregistrée avec l’adoption des « paramètres politiques et principes directeurs du règlement de la question des frontières », la reconnaissance par la Chine de l’appartenance du Sikkim à la fédération indienne – dont il est devenu le 22ème Etat en 1975 – et la reconnaissance par l’Inde de la région autonome du Tibet comme partie intégrante de la Chine. Le fait que l’Inde accueille le Dalaï Lama depuis 1960, ainsi qu’environ 100 000 réfugiés tibétains, continue néanmoins de constituer un irritant important dans les relations bilatérales, tandis qu’aucun progrès concret n’a été obtenu depuis 2005 sur la délimitation de la frontière. La Chine n’a pas non plus apporté de soutien à la demande indienne d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Les relations économiques entre les deux pays se sont en revanche beaucoup intensifiées : leurs échanges atteignent déjà 60 milliards de dollars américains par an et pourraient s’élever à 100 milliards de dollars en 2015. En 2009, la Chine a ravi aux Etats-Unis la place de premier partenaire commercial de l’Inde. La communauté d’affaires indienne voit désormais les relations avec la Chine plus comme une opportunité que comme une menace, mais tel n’est pas le cas des responsables politiques indiens, qui observent avec inquiétude le développement de la présence militaire chinoise en Asie, et notamment la stratégie dite du « collier de perles » qui consiste pour Pékin à s’allier à des pays riverains de l’Océan indien (Birmanie, Bangladesh, Pakistan, Sri Lanka, Népal) pour se constituer des points d’appui militaires destinés à garantir sa capacité de mouvement dans la région.
Aussi les autorités de Delhi s’efforcent-elles d’entretenir des relations cordiales avec ces Etats – Pakistan mis à part –, en dépit de désaccords, notamment politiques. Leur volonté de contrer les influences chinoise et pakistanaise se traduit par un certain activisme en Afghanistan. L’aide au développement indienne y a atteint 2 milliards de dollars américains depuis 2002, et les entreprises indiennes commencent à s’y implanter. Delhi est aujourd’hui très préoccupée de l’approche du retrait des forces occidentales, doute de la capacité de l’armée afghane à maintenir une certaine stabilité et n’exclut pas une guerre civile, voire le retour au pouvoir des islamistes.
Si c’est surtout le danger pakistanais qui a conduit l’Inde à se doter de l’arme nucléaire – le Pakistan a d’ailleurs répondu à la campagne indienne d’essais nucléaires du printemps 1998 en effectuant ses propres essais –, ce qu’elle perçoit comme une menace chinoise contribue aussi largement à justifier l’importance des dépenses militaires indiennes : l’Inde dispose d’armements militaires vieillissants, dont des Mirages 2000 achetés à la France en 1982 et jamais modernisés depuis, tandis que la Chine possède une flotte aérienne récente, de nombreux missiles anti-balistiques et une flotte navale très importante, comprenant une soixantaine de sous-marins. Pour tenter de rattraper cet important retard technologique, l’Inde dépense actuellement de l’ordre de 10 milliards d’euros par an à l’achat de matériels militaires, dont 70 % sont importés. Pour l’heure, le secteur de l’armement se limite à des entreprises publiques, dans lesquelles des sociétés étrangères ne peuvent pas prendre de participations. Aussi, c’est par la conduite, depuis 2005, d’une politique de compensations industrielles (28) que les autorités indiennes souhaitent favoriser l’émergence d’une industrie locale de défense plus dynamique.
La diplomatie régionale de l’Inde obéit ainsi d’abord à une logique défensive – dans le but de contenir la puissance chinoise et de réduire les nuisances pakistanaises –, mais elle se décline aussi, de plus en plus, à travers de nouvelles stratégies d’influence qui dépassent le cadre géographique du sous-continent indien pour s’étendre à toute l’Asie du Sud-Est. Cette nouvelle orientation, la Look East Policy, amorcée dans les années 1990, passe par un approfondissement des liens de l’Inde avec les Etats de cette vaste zone et les organisations régionales de coopération et de dialogue, au premier rang desquelles l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) (29). Les échanges commerciaux entre les Etats de l’ASEAN et l’Inde ont augmenté de plus de 35 % entre 2009 et 2010 pour atteindre 53,4 milliards de dollars – ils étaient limités à 13 milliards de dollars en 2004 – et les investissements directs indiens à destination de ces pays ont triplé en un an, ce qui témoigne du dynamisme de leurs relations, au moins économiques.
Les relations entre l’Inde et le Japon restent en revanche très en deçà de leur potentiel. Les deux pays partagent pourtant à la fois les valeurs démocratiques et des intérêts stratégiques communs relatifs notamment à l’émergence chinoise en Asie. Tous les deux aspirant à un siège de membre permanent du Conseil de sécurité dans le cadre du G4, ils ont institué un « partenariat global » en 2000, mais les barrières linguistiques et culturelles constituent des freins puissants. Même les échanges économiques sont modestes – dix fois plus faibles que les échanges nippo-chinois –, les seuls domaines de coopération vraiment dynamiques étant ceux de la science et de l’enseignement supérieur.
2) La redéfinition des alliances stratégiques
Pendant la guerre froide, l’Inde non alignée jouait volontiers de l’opposition entre les deux blocs : le veto soviétique lui avait ainsi épargné à plusieurs reprises l’adoption de résolutions du Conseil de sécurité sur le Cachemire qu’elle jugeait contraires à ses intérêts. L’Inde et l’URSS avaient tissé des liens, notamment dans les domaines sensibles du nucléaire et de l’armement, qui n’ont pas disparu avec la fin de l’Union soviétique. Mais l’Inde a désormais ouvert ces deux secteurs à de nouveaux partenaires et les Etats-Unis y occupent une place privilégiée.
Le rapprochement entre l’Inde et les Etats-Unis a été rapide : au milieu des années 1990, Washington reprochait à Delhi des violations des droits de l’Homme au Cachemire et les risques de prolifération nucléaire, l’Inde s’opposant résolument au traité d’interdiction complète des essais nucléaires, notamment. Les essais nucléaires du printemps 1998 (30) et les sanctions américaines qui les ont suivis ont pourtant paradoxalement ouvert la voie à une meilleure compréhension mutuelle et à un rééquilibrage de la position des Etats-Unis entre Pakistan et Inde, sensible dès la guerre de Kargil, en 1999. L’Inde attendait de ce rapprochement que les Etats-Unis reconnaissent son statut nucléaire et qu’ils fassent pression sur Islamabad afin que cesse son soutien aux mouvements sécessionnistes et terroristes sur le sol indien.
Des progrès notables ont été enregistrés sur ce second point après les attentats du 11 septembre 2001 et l’attaque contre le Parlement indien du 13 décembre de la même année : la pression américaine a joué en faveur de la lutte anti-terroriste et a ouvert la voie au dialogue indo-pakistanais.
Les avancées relatives au dossier nucléaire ont pris plus de temps, mais l’Inde a finalement obtenu ce qu’elle souhaitait lorsqu’a été signé, en octobre 2008, l’accord intergouvernemental de coopération en matière de nucléaire civil. La conclusion de cet accord n’a pas fait l’unanimité en Inde : certains membres de la coalition qui soutenait alors le Premier ministre y étaient très hostiles et le BJP continue de s’inquiéter du renforcement de l’influence américaine sur la diplomatie indienne qui pourrait en résulter, comme l’un de ses parlementaires l’a clairement dit à la Mission.
Depuis a été lancé un partenariat stratégique indo-américain qui couvre, outre la coopération nucléaire civile, la non-prolifération des armes de destruction massive, la lutte contre le terrorisme, les énergies renouvelables et le changement climatique, l’éducation et l’émancipation des femmes, l’agriculture, la sécurité alimentaire, ainsi que les sciences et technologies. Les deux pays souhaitent accroître et diversifier leurs relations bilatérales qui tournaient auparavant surtout autour du dossier nucléaire, alors que la mise en œuvre opérationnelle de l’accord nucléaire constitue encore un défi de taille pour les années à venir. Cela a notamment conduit à l’annonce, en juillet 2011, d’un partenariat de sécurité pour le XXIème siècle.
L’Inde et les Etats-Unis sont aussi devenus, au cours des dernières années, des partenaires de premier plan dans le domaine de la coopération de défense. Les industriels américains sont de plus en plus présents sur le marché indien. En 2007 et 2008, les Indiens ont acheté des avions de transport et des avions de patrouille maritime américains pour un total de 3 milliards de dollars. Aussi les industriels américains étaient-ils très confiants dans leurs chances d’obtenir le marché de renouvellement d’une partie de la flotte d’avions de combat indiens, soit 126 avions susceptibles d’être commandés, pour un montant estimé à une dizaine de milliards de dollars. A la surprise générale, fin avril 2011, les Indiens ont éliminé les Américains Boeing et Lockheed Martin et le russe United Aircraft, ne laissant dans la course que le Rafale français et l’offre du consortium européen Eurofighter. Plusieurs des interlocuteurs de la Mission ont attribué cette décision inattendue – qui a été suivie par la démission de l’ambassadeur des Etats-Unis à Delhi – à l’excès des pressions politiques exercées par Washington pour que le marché soit attribué à un groupe américain, alors que l’Inde est très attachée au respect de son indépendance, et au fait que les entreprises américaines n’acceptent que peu de transferts de technologies quand les Indiens souhaitent pouvoir bénéficier de tels transferts. Cela n’a pas empêché les autorités indiennes de confirmer à Boeing, en juin dernier, la commande de dix avions cargos, pour un montant compris entre 5 et 6 milliards de dollars.
La relation entre les Etats-Unis et l’Inde est particulièrement dense dans des domaines prometteurs pour l’avenir, tels que la coopération en matière spatiale – un accord historique a été conclu avec la NASA en juillet 2008 pour effectuer conjointement des explorations lunaires –, les liens universitaires et humains – près de 100 000 étudiants indiens poursuivent leurs études supérieures aux Etats-Unis, où vivent 2,7 millions de personnes d’origine ou de culture indienne –, et les échanges commerciaux.
Le Royaume-Uni, où vit une diaspora de 1,2 million de personnes d’origine indienne, entretient aussi des liens intenses avec l’Inde en termes d’échanges humains et de coopération universitaire et scientifique. Il a pris des positions très favorables à son ancienne colonie sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies et a apporté son soutien au développement de son programme nucléaire civil. Il est aussi le premier acteur bilatéral dans le domaine du développement, son département pour le développement international ayant prévu de consacrer 925 millions d’euros à l’Inde sur la période 2009-2012 après 1,12 milliard d’euros entre 2003 et 2008. Cette aide est centrée sur le secteur de la santé et celui de l’éducation, notamment primaire. Les investissements directs britanniques en Inde et indiens au Royaume-Uni sont considérables, mais les échanges commerciaux bilatéraux sont en retrait et la relation économique est de plus en plus déséquilibrée au profit de Delhi, nous y reviendrons.
En contrepoint de la relation indo-américaine, la relation entre l’Inde et la Russie repose sur un héritage encore solide mais qui s’écorne sans que se dessinent de nouveaux champs de coopération. La Russie reste un partenaire important dans le domaine de la défense et de la sécurité, même si la mise en œuvre de certains contrats rencontre des difficultés, et l’Inde continue à compter sur elle pour contribuer à élargir son parc de centrales nucléaires – notamment sur le site de Kundankulam – et pour l’approvisionner en combustible à un prix compétitif. Une coopération scientifique commencée dans les années 1970 se poursuit.
3) La volonté indienne de tenir son rang
Si l’Inde s’est nettement rapprochée des Etats-Unis et a noué des relations étroites avec les grands pays occidentaux (cf. infra pour les relations franco-indiennes), elle reste très attachée à la fois à l’indépendance de sa politique étrangère et à la défense de ses intérêts. Elle souhaite très légitimement occuper au niveau international une place à la mesure de l’importance de sa population et de son poids économique. Comme elle a toujours défendu l’idée d’un monde multipolaire, cela se traduit notamment par la volonté de se faire entendre dans les enceintes multilatérales et d’y exercer une influence.
La quête de reconnaissance de l’Inde a pris plusieurs formes depuis la fin de la guerre froide. Dans les années 1990 a été formulée la « doctrine Gujral », du nom du ministre des affaires étrangères (en 1989 et 1990, puis en 1996 et 1997), puis Premier ministre (1997-1998) indien, qui prônait une approche graduelle fondée sur des cercles concentriques. L’Inde aurait exercé une prééminence régionale acceptée par les Etats voisins et eu une présence significative dans le voisinage élargi constituant le deuxième cercle (Asie du Sud-Est, Moyen-Orient, Asie centrale, Océan indien). Cette position lui aurait alors permis de revendiquer une place de choix parmi les grandes puissances. A la fin des années 1990, au lendemain des essais nucléaires et quand elle était sous sanctions économiques, l’Inde a même défendu un temps l’idée d’un monde multipolaire dont elle aurait été l’un des pôles : elle revendiquait alors le droit d’être un centre de pouvoir indépendant contestant la prédominance américaine.
Désormais réconciliée avec la puissance américaine et soucieuse du maintien des conditions de sa croissance économique, l’Inde se montre pragmatique et a des objectifs précis, mais difficiles à atteindre.
Le plus important est certainement l’obtention d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies – mais l’Inde n’exige pas qu’il soit assorti d’un droit de veto. Elle estime que, compte tenu de son importance démographique, de son poids économique et de son expérience démocratique, sa participation en tant que membre permanent au Conseil de sécurité est naturelle et constituerait la correction d’une injustice historique héritée de la colonisation. Elle insiste notamment sur son engagement important dans les opérations de maintien de la paix. Elle fait donc partie, aux côtés de l’Allemagne, du Brésil et du Japon, du G4 qui souhaite une réforme du Conseil de sécurité permettant à ces quatre Etats d’obtenir un siège de membre permanent. A l’été 2005, on semblait tout proche de la création de six nouveaux sièges de membres permanents, un pour chacun des Etats du G4 et deux pour des Etats africains. Le Conseil de sécurité aurait compté vingt-cinq membres au lieu de quinze, dont onze permanents parmi lesquels seuls les cinq actuels auraient eu un droit de veto. Mais l’adoption de cette réforme s’est heurtée au refus du groupe « Union pour le consensus », conduit par l’Italie, le Pakistan, le Mexique et l’Argentine, concurrent du G4, qui n’est favorable qu’à la création de nouveaux sièges non permanents, et de l’Union africaine, qui exige la création de deux sièges permanents avec droit de veto et de deux sièges non permanents supplémentaires pour les pays africains, solution que n’accepteront ni les membres permanents actuels ni les nombreux Etats qui voient dans le droit de veto une anomalie historique qu’il faut corriger.
Début 2009 ont été lancées des négociations intergouvernementales au sein de l’Assemblée générale sur la réforme du Conseil de sécurité, qui n’ont pas donné de résultats. Ce blocage n’a rien de surprenant : comme le résumait l’un des interlocuteurs de la Mission, tout Etat non membre permanent un peu important estime qu’il n’y a pas de raison que l’Etat de sa région membre du G4 devienne membre permanent alors que lui-même pourrait aussi avoir vocation à l’être ; quant à la Chine, elle ne veut pas d’un concurrent asiatique. On peut ajouter que les Etats-Unis et la Russie ont longtemps affiché une neutralité à la limite de l’hostilité à toute réforme, même si les premiers se sont finalement officiellement prononcés, en novembre 2010, en faveur de l’accession de l’Inde à un siège permanent. En somme, seuls le Royaume-Uni et la France soutiennent réellement et avec constance la demande du G4, mais leur proposition pour lever le blocage suscite les réticences de l’Inde, nous y reviendrons. En attendant d’éventuels progrès, l’Inde occupe l’un des sièges non permanents du Conseil de sécurité jusqu’à la fin 2012.
La montée en puissance du G20 depuis que la crise financière a éclaté en 2008 a en revanche permis à l’Inde d’exercer une influence notable au sein d’une enceinte dont le rôle est encore appelé à se développer au cours des prochaines années. Elle fait une priorité de la réforme de la gouvernance mondiale et défend notamment une pleine coopération entre le G20 et les Nations unies.
La voix de Delhi est aussi davantage entendue dans les négociations multilatérales. Signataire du GATT dès 1948 et membre de l’OMC depuis sa création, l’Inde participe activement aux activités de l’organisation. Ses intérêts de pays émergent divergent de ceux des Etats-Unis et de l’Union européenne, mais se rapprochent de ceux de la Chine, du Brésil et de l’Afrique du Sud, ce qui a conduit à la constitution d’un groupe formé de l’Inde et de ces deux derniers Etats, l’IBSA, dont le premier sommet s’est tenu en septembre 2006 à Brasilia. L’Inde a été, en juillet 2008, au cœur de la suspension des négociations du cycle de Doha : l’accord sur les modalités d’accès aux marchés agricoles et industriels n’a pu être obtenu en raison du refus indien du mécanisme de sauvegarde spéciale agricole, que l’Inde – soutenue en coulisse par la Chine – souhaitait plus protecteur pour les pays en développement.
Elle s’est aussi affirmée comme un acteur incontournable des négociations internationales sur le changement climatique lorsque M. Jairam Ramesh était ministre de l’environnement. Alors que l’Inde avait défendu, pendant plusieurs années, une position dure et particulièrement revendicative à l’égard des pays développés, elle est alors apparue soucieuse de trouver des voies de compromis. Elle a joué un rôle de force de proposition pendant la conférence de Cancun, en décembre 2010 : sur deux volets clés de la négociation, c’est l’activisme de son ministre qui a permis de lever le blocage. Mais il semblerait que cette phase d’ouverture se soit refermée avec le départ de M. Ramesh du ministère de l’environnement.
Si l’Inde est d’abord préoccupée de l’équilibre stratégique en Asie, elle témoigne d’un regain d’intérêt pour d’autres continents, en particulier l’Afrique et l’Amérique du Sud, à la fois pour ne pas se laisser distancer par la Chine et pour des raisons économiques.
L’Inde a une diplomatie africaine depuis longtemps : un passé colonial commun, la présence d’une diaspora indienne en Afrique anglophone et la lutte pour la libération l’ont très vite conduite à se rapprocher du continent noir. Elle a été l’un des pays leaders du Plan d’action pour la coopération technique entre pays en développement, issu de la conférence de l’ONU tenue à Buenos Aires en 1978. Elle a dépensé plus de 200 millions de dollars dans le Nouveau partenariat pour le développement africain (Nepad). Depuis les années 2000, l’Inde soutient des secteurs clés comme les nouvelles technologies et la santé. Elle voit aussi dans ce continent un relais pour son développement économique : le secteur privé indien a investi près de 16 milliards de dollars en Afrique depuis 2005 et le commerce entre l’Inde et le continent africain a représenté 31 milliards de dollars pour l’année 2009-2010. Ces échanges sont très déséquilibrés en faveur de l’Inde, qui vend des produits manufacturés et se fournit en hydrocarbures, en matières premières et en terres arables, exploitées de manière intensive par des entreprises indiennes pour le marché indien. Le deuxième sommet Afrique-Inde qui s’est tenu en mai 2011 a été l’occasion pour le Premier ministre indien d’annoncer 5 milliards de dollars de prêts aux pays africains sur trois ans et 700 millions de dollars de dons pour la création de nouvelles institutions et la mise en place de formations dans des domaines variés comme l’agriculture, la santé, la météorologie... Tout récemment, l’Inde a témoigné de ses nouvelles ambitions diplomatiques en s’impliquant dans le dossier somalien : elle a pris part au déploiement opérationnel et aux discussions internationales contre la piraterie dans la région, elle a intensifié ses relations politiques avec le gouvernement fédéral de transition et accru son aide bilatérale à la Somalie.
Les relations entre l’Inde et l’Amérique du Sud sont encore modestes, mais Delhi aspire à les développer aussi. Le continent exporte essentiellement des produits agricoles et miniers, dont l’Inde a besoin. Celle-ci n’est encore qu’un partenaire commercial dix fois moins important que la Chine pour l’Amérique latine, notamment à cause des coûts de transport et des barrières commerciales, mais plusieurs groupes privés indiens ont déjà réalisé de très importantes acquisitions dans la région, principalement dans les secteurs miniers.
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En développant son économie, l’Inde se donne les moyens d’enclencher le cercle vertueux de la croissance, de conforter son modèle politique en résolvant – ou du moins en réduisant – le problème de la pauvreté de sa population, notamment rurale, et de se faire une place sur la scène diplomatique à la hauteur de sa nouvelle puissance. Sauf accident majeur, elle est sur une pente ascendante qui devrait la conduire à devenir, à moyen terme, l’une des grandes puissances du monde.
En comparaison, la France apparaît bien petite, peu peuplée et à faible croissance, en dépit d’un PIB par habitant trente-cinq fois supérieur. En quoi la puissance moyenne qu’elle est désormais peut-elle retenir l’attention de la puissance montante indienne ? Que peuvent-elles s’apporter mutuellement ?
II – FAIRE DU PARTENARIAT FRANCO-INDIEN
UNE PRIORITÉ STRATÉGIQUE
En dépit de leurs différences évidentes, la France et l’Inde partagent de nombreuses valeurs et ont des intérêts en commun. Certes, les deux pays n’ont pas la même histoire partagée que l’Inde et le Royaume-Uni ; leur coopération n’a pas l’ancienneté de celle établie pendant la guerre froide entre Delhi et Moscou ; la France n’est pas pour l’Inde un partenaire aussi incontournable que les Etats-Unis ; mais Paris et Delhi ont beaucoup à gagner à travailler davantage ensemble.
Des résultats substantiels ont déjà été obtenus en matière politique, où les relations, encore peu développées il y a une douzaine d’années, sont désormais étroites. La présence culturelle française en Inde est solidement ancrée, mais il est urgent de la compléter par un véritable partenariat éducatif et scientifique. Enfin, les liens économiques sont encore très inférieurs à leur potentiel de développement, alors que des possibilités de synergies existent et que les deux économies pourraient s’enrichir mutuellement.
A – Conforter une relation politique de haut niveau
Si la compagnie française des Indes orientales s’est implantée en Inde dès la fin du XVIIème siècle, et si notre pays y a possédé des établissements – les fameux comptoirs – jusqu’aux années 1950 (31), il n’a pas gardé aux yeux des Indiens l’image d’une puissance coloniale. La distance de la France gaulliste par rapport à l’opposition entre les deux Grands de la guerre froide relevait d’un souci d’indépendance nationale auquel l’Inde post-coloniale a aussi été très sensible. Les deux pays auraient donc dû être des partenaires naturels, mais, notamment à cause de la reconnaissance par la France de la Chine populaire deux ans après la guerre sino-indienne de 1962, il a fallu attendre les années 1980 pour qu’émerge une volonté politique en ce sens, et la fin des années 1990 pour qu’elle se concrétise.
1) Une relation qui s’est densifiée au cours des dernières années
La visite d’Etat que le Président Chirac a effectuée en Inde fin janvier 1998 est souvent présentée comme un tournant de la relation politique franco-indienne. Elle est en effet la première manifestation d’un changement du positionnement diplomatique de notre pays. Jusque là, la diplomatie française se fondait sur le principe d’une parité entre l’Inde et le Pakistan : comme les deux Etats sont très attentifs à tout ce qui se fait en faveur de l’autre dans les secteurs sensibles de coopération, la France prenait grand soin de ne rien entreprendre qui puisse susciter l’inquiétude. C’était notamment l’importance des ventes d’armes au Pakistan qui justifiait cette prudence. Mais l’incapacité d’Islamabad à enclencher des réformes et sa politique ambiguë vis-à-vis du terrorisme ont fini par lasser la diplomatie française et l’ont conduite à rompre la parité. L’Inde apparaît en outre comme un facteur de paix mondiale, à l’inverse du Pakistan qui est plutôt identifié comme une source de dangers potentiels pour la sécurité régionale, mais aussi mondiale.
Ce changement est intervenu au moment où l’Inde avait besoin de nouveaux soutiens. En effet, quelques mois après la visite du Président Chirac, les essais nucléaires indiens de mai 1998 ont entraîné des sanctions internationales et un isolement de Delhi. Les autorités indiennes ont alors été très sensibles à la compréhension que lui a témoignée la France, qui avait elle-même déclenché de vives réactions internationales en effectuant d’ultimes essais nucléaires en 1995 (32). Le nucléaire militaire a donc joué un rôle important dans le rapprochement des deux pays, qui ont ensuite approfondi leurs relations autour du nucléaire civil. C’est à la suite de cette première visite qu’a été lancé le partenariat stratégique franco-indien, puis, un an après, le dialogue stratégique.
Lors de sa seconde visite d’Etat en Inde, en février 2006, le Président Chirac a soutenu l’idée d’une évolution des règles internationales en matière de transferts de technologies nucléaires, afin de permettre à l’Inde de bénéficier de la coopération internationale bien qu’elle ne soit pas partie au traité de non-prolifération. L’appui de la France à la demande indienne a été précieux pour l’obtention de l’accord du Groupe des fournisseurs nucléaires (33). Prise le 6 septembre 2008, cette décision autorisant la coopération avec l’Inde dans le domaine des usages pacifiques de l’énergie nucléaire a ouvert la voie à la signature d’un accord franco-indien pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, trois semaines plus tard, le 30 septembre 2008, pendant une visite en France du Premier ministre Singh.
Entre temps, le Président Sarkozy avait été l’invité d’honneur de la fête nationale indienne, le 26 janvier 2008. En dépit de sa brièveté, cette visite a été un grand succès, de l’avis des interlocuteurs de la Mission. Les milieux d’affaires indiens ont notamment été très sensibles au style et au discours économique du président français, qui, par ailleurs, n’a pas hésité à qualifier l’Inde de « grand pays » et à marteler son soutien à l’obtention d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. C’est après cette visite que le Président Sarkozy a décidé de transformer le forum d’initiatives franco-indien au large domaine de compétences (culture, économie, coopération scientifique), fondé à l’initiative de son prédécesseur, en un Conseil présidentiel franco-indien des entreprises, centré sur les enjeux économiques.
Le 14 juillet 2009, le Premier ministre indien a assisté en tant qu’invité d’honneur aux cérémonies du 14 juillet, à l’occasion desquelles quatre cents soldats indiens ont défilé sur les Champs Elysées. Le Président Sarkozy a effectué une visite de travail en Inde du 4 au 7 décembre 2010. Les chefs d’Etat et de gouvernement se rencontrent aussi régulièrement en marge de sommets internationaux.
Les déplacements de ministres indiens en France et français en Inde sont de plus en plus fréquents. Notre ministre des affaires étrangères et européennes a lui-même effectué une visite officielle en Inde les 20 et 21 octobre dernier et notre Premier ministre est attendu à Delhi au mois de janvier 2012. Des rencontres entre hauts fonctionnaires sont aussi organisées, à l’exemple des consultations politiques annuelles entre secrétaires généraux des ministères indien et français des affaires étrangères. Surtout, le dialogue stratégique repose sur des rencontres annuelles de haut niveau et des consultations menées à un rythme semestriel par le conseiller diplomatique du président de la République et le conseiller à la sécurité nationale indien.
La relation politique franco-indienne est dynamique et repose sur un lien de confiance solide entre les deux partenaires. Ils partagent un grand nombre de préoccupations et la France soutient le déploiement international de la puissance indienne. Les autorités indiennes sont reconnaissantes de l’aide de la France pour la négociation du régime dérogatoire reconnu à l’Inde pour la coopération dans le domaine du nucléaire civil, comme pour l’obtention d’un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies. Delhi s’oppose en revanche fermement à la proposition franco-britannique d’une réforme intérimaire du Conseil de sécurité : visant à dépasser le blocage actuel, celle-ci permettrait, pour une durée limitée (de dix à quinze ans), la création de sièges dont les titulaires auraient un mandat plus long que ceux des membres actuellement élus, et qui auraient vocation à devenir des sièges permanents. Cette proposition traduit surtout le souci de la France de faire aboutir la réforme et ne remet nullement en cause l’idée que l’Inde a vocation à devenir membre permanent du Conseil. Par ailleurs, le travail de la France en faveur de la réforme de la gouvernance mondiale et du renforcement de l’implication des grands pays émergents est également très apprécié des autorités indiennes. Celles-ci ont aussi jugé très positivement le choix de la présidence française du G20 de faire de la lutte contre la volatilité des prix alimentaires l’une de ses priorités, le pays étant extrêmement sensible à ce problème.
Au plan régional, la France soutient pleinement l’Inde dans la lutte contre le terrorisme et salue les efforts du gouvernement indien pour reprendre le dialogue politique avec le Pakistan. Etant donné l’engagement de l’Inde en Afghanistan et ses préoccupations sur l’évolution du pays, la diplomatie française aurait beaucoup à gagner à approfondir ses échanges avec elle sur ce sujet, comme le font les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
De même, l’intérêt croissant de l’Inde pour des régions éloignées de son territoire, et en particulier pour l’Afrique, avec laquelle notre pays entretient des relations particulières, justifierait que nous envisagions la possibilité d’établir des coopérations trilatérales. Le Foreign Secretary est apparu ouvert à cette idée de partenariats, soulignant la nécessité de regarder précisément la situation de chaque Etat susceptible d’être concerné.
La densification des relations politiques bilatérales s’est accompagnée du renforcement du réseau diplomatique et consulaire français sur le territoire de l’Union indienne et de la montée en puissance de l’aide au développement apportée par la France à l’Inde.
Au cours des dernières années, dans un contexte pourtant marqué par la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques et le principe du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (34), les moyens de la diplomatie française en Inde ont été renforcés : dès 2007, l’Inde faisait partie des Etats classés dans la première des sept catégories définies par la directive nationale d’orientation des ambassades, celle des « partenaires mondiaux » ; elle a ensuite logiquement été placée dans la catégorie des « ambassades de plein exercice » à la suite de la nouvelle classification établie par le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France (2008-2020). Cette reconnaissance de l’importance de l’Inde pour la diplomatie française s’est traduite par une augmentation des moyens humains du poste – ces moyens résultant de redéploiements au sein des réseaux : ses effectifs ont été accrus de 25,5 équivalents temps plein entre 2007 et fin 2010, soit une augmentation globale de 12 %. Cela a notamment permis l’ouverture, en 2008, de consulats généraux à Bengaluru et à Calcutta : le service économique régional avait des bureaux dans chacune de ses villes, mais le consulat général de Calcutta était resté fermé pendant dix ans. Désormais, dans les deux villes, le consul général est aussi le chef de la mission économique. Les nouveaux consulats généraux délivrent des visas depuis les premiers mois de 2011, ce qui a permis d’alléger la charge de travail des consulats généraux de Mumbai et de Pondichéry/Chennai (35) et de la section consulaire de l’ambassade – en 2009 et 2010, environ 65 000 demandes de visas ont été traitées. Le ministère de la défense et le ministère de l’intérieur ont des représentants en Inde au sein du réseau diplomatique, qui sont notamment en charge du volet défense et sécurité du partenariat stratégique. Un attaché agricole est aussi en poste en Inde depuis 2009.
La Mission estime que le renforcement des moyens diplomatiques et consulaires français (36) en Inde était nécessaire, et qu’il doit être consolidé. Il convient de poursuivre le mouvement de redéploiement des moyens de l’Etat à l’étranger vers les pays émergents. Dans un pays aussi « courtisé » que l’Inde, la France doit absolument pouvoir compter sur un réseau diplomatique adapté à la taille de l’Union indienne, à son caractère fédéral et à la géographie de ses pôles les plus dynamiques. Si l’ouverture de nouveaux consulats généraux n’est pas forcément une priorité, il convient de veiller notamment à ce que les représentants de la France disposent des moyens financiers d’effectuer les déplacements nécessaires à l’accomplissement de leurs missions.
L’aide au développement française en Inde a trouvé un nouveau souffle depuis que l’Agence française de développement (AFD) y a développé ses activités. L’AFD ayant été autorisée en 2006 à intervenir dans les pays émergents avec un mandat portant sur la protection des biens publics mondiaux, la première visite du Président Sarkozy a été l’occasion de la signature de l’accord intergouvernemental relatif à la coopération franco-indienne pour le développement mise en œuvre par l’AFD. Un protocole d’accord (memorandum of understanding, MoU) signé en septembre 2008 a ensuite précisé le cadre d’intervention de l’AFD dans ce pays du point de vue des outils financiers et des secteurs d’intervention, mais aussi du point de vue du mode opératoire. L’AFD peut y intervenir sous forme de prêts souverains ou non souverains mais toujours concessionnels (37) (dans le respect des règles du Comité d’aide au développement de l’OCDE) avec un apport ponctuel de subventions ou d’assistance technique en accompagnement de projets financés sur prêts. Arrêtés conjointement par l’AFD et le Department of economic affairs (DEA) du ministère indien des finances, les trois axes de coopération, qui contribuent à la gestion durable des biens publics mondiaux, sont : la lutte contre le réchauffement climatique à travers la promotion de l’efficacité énergétique, le développement des énergies renouvelables et des transports urbains, la préservation de la biodiversité et le développement durable.
Proparco, filiale de l’AFD dédiée au financement du secteur privé, intervient également en Inde sous forme de financements privés non concessionnels d’au moins sept ans de maturité, sur un mandat un peu plus large que le mandat de l’AFD puisqu’il inclut aussi les secteurs de la micro-finance, de l’agro-industrie et de l’éducation.
LES ACTIVITÉS DE L’AGENCE FRANÇAISE DE DÉVELOPPEMENT EN INDE Les cinq projets en cours de mise en œuvre (245,6 millions d’euros de prêts) sont les suivants : – une ligne de crédit auprès de la SIDBI (Small Industries Development Bank of India) pour le financement de projets d’efficacité énergétique auprès de PME indiennes : une convention de financement a été signée le 14 mai 2010 à Delhi pour un concours non souverain d’un montant de 50 millions d’euros ; 0,5 million d’euros de subvention ont aussi été accordés pour soutenir une démarche de promotion de l’efficacité énergétique ; – une ligne de crédit auprès de l’IREDA (Indian Renewable Energy Development Agency) : une convention de 70 millions d’euros de concours direct avec la garantie de l’Etat, a été signée le 9 décembre 2010 ; 0,3 million d’euros de subvention permettront de financer de l’expertise, notamment sur les composantes solaires des projets refinancés ; – le soutien à des ONG et des fondations : l’AFD a accordé un prêt de 0,5 million d’euros à la Fondation Good Planet de Yann Arthus-Bertrand qui travaille en association avec une ONG indienne (SKG Sangha) pour l’installation de bio-digesteurs dans des villages indiens autour de Bengaluru et la génération de crédits carbone sur le marché volontaire ; – la gestion durable de la forêt et la conservation de la biodiversité en Assam : la convention de financement d’un prêt souverain de 54 millions d’euros accordé au gouvernement central qui le rétrocèdera sous une forme mixte don/prêt à l’Etat de l’Assam est sur le point d’être signée ; s’y ajouteront 140 000 euros d’assistance technique ; – l’amélioration de l’alimentation en eau potable de la ville de Jodhpur : la négociation avec l’Etat central et le Rajasthan de la convention de financement de ce prêt souverain de 71,1 millions d’euros est sur le point d’aboutir. Plusieurs projets sont en cours d’instruction ou d’identification : – une ligne de crédit auprès de IDBI Bank Ltd, l’institution publique spécialisée dans le financement de projets d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables : un prêt non souverain de 150 millions d’euros devrait lui être accordé très prochainement ; – le métro de Bengaluru, aux côtés de la Banque asiatique de développement et de la JICA, l’Agence japonaise de coopération internationale : il s’agit d’accorder un prêt non souverain de 100 millions d’euros à la State Bank of India, qui le rétrocèdera à la Bengaluru Metro Rail Corporation en prêt miroir ou via une institution financière spécialisée ; le projet devrait être présenté au conseil d’administration de l’AFD début 2012 ; – deux nouvelles lignes de crédit auprès de la SIDBI et l’IREDA en ouvrant les critères d’éligibilité à d’autres secteurs du mandat de l’AFD que les deux lignes déjà ouvertes ; – une intermédiation financière auprès de REC (Rural Electricity Corporation) pour le financement de projets de HVDS (High Voltage Distribution System, visant l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les réseaux de distribution d’énergie) et de programmes innovants (gestion de la demande énergétique dans le secteur de l’irrigation et projets d’énergie solaire) : les montants pourraient être compris entre 100 et 150 millions d’euros ; – un dialogue est en cours avec la National Housing Bank et la Urban Development Corporation pour des financements dédiés à l’efficacité énergétique dans le secteur de la construction ; – le financement en prêt souverain de projets hydroélectriques en Himachal Pradesh est en début d’étude (phase de pré-identification). En mars 2011, le Department of economic affairs a présenté à l’AFD toute une série de nouveaux projets susceptibles de bénéficier d’un financement au cours des deux prochaines années, pour un volume de prêt de plus d’un milliard d’euros, ce qui témoigne de l’intérêt qu’il porte au dispositif français. L’AFD assure aussi l’assistance technique et le financement des études pour plusieurs projets, parmi lesquels une étude sur la demande énergétique dans la ville de Mumbai. Elle mène aussi des actions de communication et de partenariat. Proparco a déjà signé huit conventions de financement pour un montant total de 186 millions d’euros. Les principaux bénéficiaires sont Petronet LNG, une société qui construit et exploite des terminaux de gaz naturel liquéfié en Inde, dont GDF-Suez est actionnaire, pour 100 millions de dollars de prêt, ICICI Bank, la première banque privée indienne, qui bénéficie d’une ligne de crédit de 36,5 millions d’euros pour des projets environnementaux, et la joint-venture constituée par le groupe français Vicat et un partenaire indien, qui reçoit un prêt de 27,5 millions d’euros pour l’implantation d’une cimenterie disposant de technologies innovantes du point de vue environnemental et social. Source : Agence française de développement, le 1er décembre 2011. |
Après avoir autorisé des prêts à des taux légèrement bonifiés pour un total de 245 millions d’euros à l’Inde, l’AFD a entamé, début 2011, un processus de négociation avec le Department of economic affairs, dont l’objectif initial était de supprimer la bonification des prêts, qui seraient toutefois restés concessionnels et donc conformes au protocole d’accord. Le directeur général de l’AFD a reconnu devant la Mission, au printemps dernier, que les autorités indiennes étaient très réticentes à cette évolution. Il a pourtant estimé que, même sans bonification, les prêts de l’AFD restaient intéressants pour l’Inde, qui manquait de ressources financières de long terme.
M. Jérôme Bonnafont, alors ambassadeur de France en Inde, a fait part à plusieurs reprises de ses inquiétudes quand aux conséquences de l’évolution de l’offre financière faite aux autorités indiennes, guère plus de deux ans après la conclusion du protocole d’accord de septembre 2008. Celles-ci ont réagi à la proposition de l’AFD en indiquant que les conditions financières actuelles se situaient déjà dans la fourchette haute des conditions offertes par les autres bailleurs de fonds, et notamment moins favorables que celles consenties par la banque allemande de développement KfW. Aussi l’ambassadeur estimait-il qu’il convenait que l’AFD continuât à offrir des prêts présentant au moins un certain niveau de bonification, et un niveau équivalent à celui offert par la banque allemande pour certains d’entre eux.
Sans aller jusqu’au bout de l’effort demandé par l’ambassadeur, il semble néanmoins que l’AFD ait accepté l’idée du maintien d’un certain niveau de bonification qui serait « limité au maximum » (38). Les négociations se poursuivent depuis, et l’AFD espère qu’un accord sera prochainement conclu sur sa nouvelle offre financière.
La Mission ne peut que soutenir la position de l’ambassadeur. L’AFD occupe une place incontournable dans le paysage national de l’aide au développement et, désormais, dans notre partenariat stratégique avec l’Inde et il serait très préjudiciable à l’image de la France que les conditions financières qu’elle propose soient nettement moins compétitives que celles offertes par les organismes comparables des autres grands bailleurs de fonds internationaux, alors même que ceux-ci prêtent en général des volumes financiers plus importants à des taux avantageux (de l’ordre de 500 millions d’euros par an pour l’Allemagne, entre 1 et 2 milliards d’euros par an pour le Japon, selon le directeur général de l’AFD).
Notre coopération bilatérale s’est intensifiée dans tous les domaines au cours des dernières années, et, comme la suite du présent rapport le met en évidence, elle ne se résume pas au partenariat stratégique franco-indien ; mais celui-ci est le cadre du dialogue le plus étroit, sur des thèmes particulièrement importants d’un point de vue politique.
Résumé des préconisations : – élargir les discussions franco-indiennes à de nouveaux thèmes d’intérêt communs comme l’Afghanistan et l’Afrique ; – poursuivre le redéploiement des moyens des services diplomatiques et consulaires, entendus au sens large, au profit de l’Inde ; – obtenir de l’AFD qu’elle maintienne des conditions de prêts à l’Inde suffisamment attractives. |
2) Un partenariat stratégique substantiel
Le partenariat stratégique est organisé autour de trois axes de coopération : le nucléaire civil, la défense (et la sécurité) et l’espace.
En ce qui concerne le volet du nucléaire civil, l’accord-cadre signé le 30 septembre 2008 est entré en vigueur le 14 janvier 2010. Il a été complété par la signature, le 6 décembre 2010, d’accords portant sur la protection de la confidentialité des données et des informations techniques et sur la répartition des droits de propriété intellectuelle. Le même jour, le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) pour la France et le department of atomic energy (DAE) pour l’Inde ont conclu un accord de coopération dans le domaine des sciences et technologies nucléaires pour les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, en vue d’instaurer un cadre pour renforcer leur collaboration, et ont signé un accord d’application spécifique dans les domaines de l’enseignement et de la recherche. Des accords d’application de l’accord-cadre sont en négociation ou en voie de reconduction dans les domaines de la recherche, de la sûreté nucléaire, de la gestion des déchets radioactifs et de la formation.
Sur le plan industriel, les perspectives sont très encourageantes, l’Inde souhaitant bénéficier de la force de l’industrie et des technologies nucléaires françaises. Devant l’immensité des besoins énergétiques indiens, le pays souhaite à la fois poursuivre la constitution de son parc de centrales utilisant le modèle canadien « indianisé » du réacteur de type CANDU et importer des réacteurs étrangers. Les industriels français peuvent intervenir à ces deux niveaux.
De nombreuses entreprises indiennes de toute taille, qui ne sont pas forcément déjà actives dans ce secteur, cherchent à s’associer à des entreprises étrangères afin de participer au programme nucléaire. Des partenariats franco-indiens existent dans différents domaines, comme les pompes et valves, la fabrication de forgés, le contrôle et la commande, l’instrumentation. Ubifrance a organisé le 1er octobre 2011 un Indo-french Seminar on nuclear energy pour faciliter les rencontres entre industriels des deux pays. Plusieurs partenariats sont d’ores et déjà lancés, comme celui conclu entre Alstom, BHEL (Bharat Heavy Electricals Ltd) et l’électricien nucléaire indien NPCIL (Nuclear Power Corporation of India Ltd) sous la forme d’une joint-venture créée en mars 2011 pour la fourniture de turbines, ou celui qui associe le groupe français ONET Technologies et l’industriel indien PCI Ltd (Prime Chemfert Industries Pvt Ltd) dans une joint-venture conclue en avril 2011 dans le domaine des services pour l’industrie nucléaire (ingénierie de conception, maintenance et démantèlement).
Mais le projet franco-indien le plus ambitieux concerne la fourniture par Areva à NPCIL de six EPR (pour « réacteurs pressurisés européens ») sur le site de Jaitapur, dans l’Etat du Maharastra, au sud de Mumbai. Les six réacteurs produiraient de l’ordre de 10 000 mégawatts, sur ce qui serait le plus important site de production d’électricité du pays. Un MoU a été signé en ce sens en février 2009. Depuis, les discussions commerciales sont en cours entre les deux entreprises pour la première phase du projet, consistant en la fourniture de deux EPR.
Comme M. Armand Laferrere, directeur des Offres Grands Projets à la direction internationale et marketing d’Areva, l’a expliqué à la Mission en juillet dernier, les négociations avancent, en dépit de certaines difficultés.
L’une de ces difficultés tient à l’adoption par l’Inde, à l’automne 2010, d’une loi sur la responsabilité civile nucléaire – la mise en place d’un tel régime de responsabilité était d’ailleurs prévue par l’accord franco-indien de septembre 2008 – dont le contenu pose problème, aussi bien aux constructeurs indiens qu’aux constructeurs étrangers. En effet, alors que le droit international (39) pose le principe d’une responsabilité exclusive de l’exploitant, même sans faute, et la plafonne, la loi indienne, durcie sous la pression du BJP et des partis de gauche, s’en écarte sur plusieurs points. En particulier, elle déroge au principe selon lequel cette responsabilité repose sur l’exploitant de la centrale en accordant à celui-ci un droit de recours à l’égard du fournisseur. Elle reste par ailleurs silencieuse quant au niveau de responsabilité de ce dernier. Cette responsabilité apparaît ainsi illimitée, et ne serait donc pas susceptible d’être couverte par un contrat d’assurance, ce qui n’est pas acceptable pour les industriels, indiens comme étrangers. Les Etats-Unis insistent pour que la loi soit modifiée.
La France comprend les raisons pour lesquelles cette loi est aussi dure, qui résultent notamment des conséquences de la catastrophe industrielle de Bhopal, et souhaite qu’une solution puisse être trouvée sans changement de la loi indienne. Dans la déclaration conjointe franco-indienne qui a conclu la visite du Président Sarkozy de décembre 2010, il est indiqué que « les deux pays sont prêts à poursuivre leurs échanges de vues sur cette question afin d’établir un cadre propice au développement de leur coopération ». Le responsable d’Areva a indiqué que, d’une part, il convenait d’attendre la publication des décrets d’application de la loi et que, d’autre part, le groupe pensait pouvoir obtenir que la responsabilité civile soit plafonnée dans le contrat, sur le fondement d’un accord entre les parties. Des discussions sur ce sujet sont en cours entre les deux entreprises.
En application depuis le 22 décembre 2011 (40), le décret d’application de la loi encadre, en montant et en durée, le droit de recours de l’exploitant contre un fournisseur qui pourrait être tenu responsable d’un dysfonctionnement : il serait limité aux cinq premières années après le démarrage du réacteur et la compensation financière en cas d’accident serait plafonnée à 15 milliards de roupies (soit 250 millions d’euros). Ces modalités d’application de la loi vont incontestablement dans le sens de la plus grande sécurité juridique souhaitée par les fournisseurs, mais de nombreuses interrogations ou craintes subsistent, notamment à propos de l’article selon lequel le régime de la responsabilité civile nucléaire ne serait pas exclusif, ce qui signifie le maintien d’un droit de recours contre le fournisseur sur la base du régime de responsabilité civile de droit commun.
L’accord-cadre de septembre 2008 ouvre la possibilité de négocier un accord spécifique sur la responsabilité civile nucléaire. Les autorités des deux pays n’ont pas choisi cette option : elle pourra néanmoins être mise en œuvre si un tel instrument apparaît nécessaire au cours des discussions qui sont menées actuellement sur ce sujet. En tout état de cause, les dispositions de la loi indienne prévaudront sur un accord de ce type comme sur les stipulations du contrat que concluront Areva et NPCIL.
Une autre difficulté est apparue à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima. Comme mentionné supra, celle-ci a déclenché des mouvements d’opposition à la construction de nouvelles centrales nucléaires, qui se sont exprimés notamment, mais pas exclusivement, autour du projet de Jaitapur. Le 26 avril 2011, le Premier ministre indien a pourtant réaffirmé la nécessité de développer le nucléaire civil, notamment en recourant aux technologies étrangères, jugées plus efficaces et plus fiables, et annoncé la création d’une organisation indépendante et autonome, l’Autorité de réglementation nucléaire de l’Inde, qui absorberait l’actuelle Commission de réglementation de l’énergie atomique. Les responsables du secteur nucléaire indien, que la Mission a rencontrés à la fin septembre, sont allés dans le même sens : l’Inde a besoin de davantage d’électricité nucléaire dans son « mix énergétique » et les projets seront réalisés une fois obtenues toutes les garanties sur la sécurité des installations, c’est-à-dire lorsque les autorités indiennes auront accordé à l’EPR une certification « post-Fukushima » (l’EPR avait déjà obtenu une certification avant la catastrophe japonaise). Areva doit notamment démontrer que la sécurité de l’EPR est à la hauteur de l’important risque sismique de la zone de Jaitapur.
La contestation populaire ne se limite d’ailleurs pas à une opposition à l’énergie nucléaire, mais porte aussi sur certaines modalités de réalisation du projet, comme le montant des indemnités accordées aux propriétaires des terrains nécessaires à sa réalisation ou le nombre de salariés locaux qui participeront aux travaux.
En dépit de ces obstacles, la négociation entre Areva et NPCIL s’est poursuivie. M. Armand Laferrere a indiqué qu’une étape décisive avait été franchie en juillet dernier lorsque NPCIL a donné son accord sur la nature des produits et sur le prix de la partie des réacteurs qui sera fabriquée en France. Un accord reste à trouver sur l’îlot conventionnel, c’est-à-dire les turbines. Il est prévu que des entreprises indiennes soient chargées de la partie « béton » de la construction : elles ont acquis une grande connaissance et une bonne maîtrise de la physique nucléaire et de ses applications, notamment grâce à une coopération avec la France qui date des années 1950, et elles ont déjà construit des centrales nucléaires ; la qualité du béton indien ne devrait donc pas poser de problème. Ce recours à des entreprises indiennes permet de faire baisser le coût de l’EPR, ce qui est décisif dans la mesure où les autorités indiennes exigent que l’électricité nucléaire soit plus compétitive que celle produite par les centrales à charbon, et présente un prix au kilowatt-heure inférieur. Parmi les déterminants de ce prix figurent la durée de l’amortissement pris en compte dans son calcul – que les Indiens ont finalement accepté de porter de quarante à soixante ans – et les taux de change. Il y a donc matière à négocier.
Areva sera le principal fournisseur pour l’îlot nucléaire hors construction. Le contrôle de commande et les tableaux électriques seront également acquis sous la responsabilité du groupe français, une partie des fournitures étant indienne. Mais EDF prendra également part à ce projet puisqu’elle a été chargée par NPCIL de la formation du personnel et interviendra pour le montage électrique et la mise en marche de la centrale.
Areva fournira aussi le combustible nécessaire au fonctionnement des EPR pendant vingt-cinq ans, la dernière étape de son assemblage devant, à terme, être réalisée en Inde. Le retraitement n’a en revanche pas été inclus dans la négociation : les Indiens assureront le stockage des déchets en attendant de disposer de leur propre technologie de retraitement.
De manière générale, les transferts de technologies nucléaires sont soumis aux règles fixées par le Groupe des fournisseurs nucléaires. Or, le 24 juin dernier, un accord au sein de ce groupe est venu modifier les conditions des transferts de technologies sensibles concernant l’enrichissement et le retraitement de l’uranium. L’Inde s’inquiète depuis des conséquences que cet accord pourrait avoir sur la coopération dans ce domaine. Les responsables du secteur nucléaire indien y ont fait une discrète allusion devant la Mission. Lors de son déplacement en Inde fin octobre, M. Alain Juppé a tenu à rassurer les autorités indiennes sur le fait que la France n’avait pas l’intention de revenir sur les engagements qu’elle a pris dans le cadre de l’accord de 2008, qui reste en vigueur. Elle est néanmoins tenue de respecter l’interdiction de vendre à l’Inde des composants considérés comme des biens à double usage (civil et militaire).
Ainsi, en dépit des obstacles, la coopération franco-indienne dans le domaine du nucléaire civil progresse, en matière de recherche comme sur le plan industriel.
La sécurité et la défense constituent un autre axe central du partenariat stratégique franco-indien, dont le lieu de dialogue est le Haut comité de défense, qui se réunit chaque année.
La France et l’Inde étant particulièrement sensibles aux risques terroristes, elles ont, au cours des dernières années, intensifié leurs consultations et leurs échanges bilatéraux afin de mieux évaluer ces menaces et partager les informations pertinentes. Cette coopération a été érigée en priorité de la relation franco-indienne en matière de sécurité par la déclaration conjointe faite à l’issue de la visite du Président Sarkozy de décembre 2010.
Les deux pays renforcent aussi leur coopération en matière de lutte contre la piraterie et de sécurité maritime, l’accent devant être particulièrement mis sur la situation du Golfe d’Aden.
Les échanges opérationnels entre les armées françaises et indiennes sont très denses : il existe d’ores et déjà depuis quelques années un exercice biannuel pour les armées de l’air, intitulé Garuda, élargi à l’armée de l’air singapourienne en 2010, et un exercice annuel pour la marine, portant le nom de Varuna. Un développement similaire des relations entre armées de terre a été décidé lors du Haut comité de défense de 2009 : le premier exercice Shakti s’est déroulé en octobre 2011. Un exercice bilatéral interarmée pourrait être envisagé dans les toute prochaines années. La France réserve aussi des places à l’Ecole de guerre et à l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) à des militaires indiens. Le plan de coopération franco-indien est l’un des plus denses de tous ceux que la France met en œuvre : il s’est traduit par la réalisation chaque année d’une soixantaine d’activités, menées en France ou en Inde.
Partenaire opérationnel, la France est aussi un partenaire essentiel de l’Inde pour la fourniture d’équipements de défense. Elle figure en effet parmi ses premiers fournisseurs, derrière la Russie, premier fournisseur historique, et Israël, qui s’est imposé sur ce marché depuis une dizaine d’années, mais au coude à coude avec les Etats-Unis, qui ont signé plusieurs contrats importants depuis 2008 (cf. supra).
Comme l’ont souligné plusieurs interlocuteurs de la Mission, parmi lesquels le délégué général à l’armement, les offres françaises, qui incluent souvent des transferts de technologie, sont attractives pour les Indiens dont la politique d’acquisition vise notamment à développer la base industrielle et technologique de défense locale. Cependant, la grande qualité technique des équipements français, généralement reconnue par les forcées armées indiennes, est contrebalancée par des prix élevés, ce qui pénalise les industriels français dans la mesure où la procédure indienne favorise le moins-disant financier.
Le respect par la France de la souveraineté d’utilisation des équipements acquis par l’Inde est également un atout important, alors que les contrôles imposés par la législation américaine constituent une source de difficultés potentielles entre l’Inde et les Etats-Unis pour certaines technologies sensibles.
Après la conclusion, en 2005, d’un contrat concernant la construction à Mumbai de six sous-marins Scorpène – d’un montant initial de 1,5 milliard d’euros, complété en 2010 par l’achat de plusieurs équipements pour environ 500 millions d’euros supplémentaires –, les industriels français ont traversé une période difficile, marquée par l’annulation de deux appels d’offres importants qui avaient été remportés par la société EADS, l’un en janvier 2008 (pour 187 hélicoptères légers qu’aurait fournis Eurocopter) et l’autre fin 2009 (pour 6 avions Airbus de ravitaillement en vol). Ces annulations sont la conséquence de l’extrême attention apportée par le ministère indien de la défense à la lutte contre la corruption : le moindre soupçon, même infondé, conduit à l’annulation de l’appel d’offres concerné. Ce souci, instrumentalisé à l’occasion par des concurrents déçus, joue d’ailleurs généralement en faveur de notre pays dont la crédibilité n’a pas été entachée, contrairement à celle d’autres fournisseurs.
Les perspectives sont aujourd’hui à nouveau très prometteuses.
Le 29 juillet 2011 a été conclu un contrat de 1,47 milliard d’euros portant sur la rénovation de 51 Mirages 2000, opération qui sera conduite par Thalès, avec le soutien technique de Dassault : seuls les premiers appareils seront traités en France ; les autres le seront à Bengaluru , par l’avionneur public indien HAL (Hindustan Aeronautics Ldt), avec une assistance technique des entreprises françaises. En complément, MBDA (41) devrait fournir à l’Inde 493 missiles air-air MICA (missiles d’interception, de combat et d’auto-défense) entièrement fabriqués en France, pour un montant proche de 1 milliard d’euros : ce contrat est en cours de validation côté français.
MBDA négocie aussi le co-développement avec l’Inde d’un nouveau missile sol-air, le SR-SAM (Short Range Surface to Air Missile), destiné à la marine et à l’armée de l’air. Le missile serait fabriqué en Inde, avec des sous-ensembles fournis par MBDA, ce qui suppose un transfert ambitieux de technologies. Le contrat, dont la part revenant au groupe français s’élèverait à 2 milliards d’euros, porterait sur la co-production en Inde de 2 000 missiles de ce type.
Un autre projet de co-développement porte sur le moteur Kaveri, sur lequel les scientifiques indiens travaillent depuis une quinzaine d’années. Comme ils sont confrontés à d’importants défis technologiques, l’Inde a choisi de s’associer à SNECMA pour développer une nouvelle génération de ce moteur, beaucoup plus puissante. Lancé en 2004, ce projet a failli être abandonné avant d’être repris en 2010 : le contrat de développement, de l’ordre de 700 millions d’euros pour la partie française, est près de sa conclusion, un contrat de production de série devant être passé ultérieurement.
Comme cela a été mentionné supra, le Rafale a été présélectionné en avril dernier, avec le Typhoon d’Eurofighter, dans le cadre de l’appel d’offres lancé en 2007 pour l’acquisition de 126 avions de combat multirôles, avec une option de 63 appareils supplémentaires, soit un contrat dont le montant se situera entre 10 et 20 milliards d’euros, missiles inclus. La compensation devra porter sur 50 % de son montant. La décision finale devrait être prise prochainement.
On attend aussi une prochaine décision sur l’appel d’offres lancé en 2009 pour l’achat de 197 hélicoptères légers, après l’annulation de l’appel d’offre pour 187 appareils du même type : le Fennec a de nouveau été retenu, ainsi qu’un appareil russe, pour la dernière phase de la procédure.
Enfin, Nexter pourrait fournir une partie des 3 500 canons d’artillerie dont l’Inde a indiqué avoir besoin (l’armée française n’en possède qu’entre 200 et 300). Elle a déjà répondu à un appel d’offres portant sur 1 580 canons tractés, avec une part de compensation de 30 %, et s’intéresse aussi à un appel d’offres à venir pour 814 canons montés sur camions, destinés à être utilisés en montagne.
Le délégué général à l’armement a estimé à 35 milliards d’euros sur quinze ans le cumul des ventes françaises potentielles à l’Inde ; 20 à 30 % des matériels seraient produits en France, sans compter la fabrication des kits qui seraient assemblés en Inde. Il a souligné que l’intérêt de la France ne réside pas seulement dans la fabrication d’équipements sur le sol français, mais aussi dans la perception de redevances à la suite des transferts de technologies.
L’Inde mène depuis la fin des années 1960 une politique spatiale ambitieuse, fondée sur une coopération internationale active, dont la France a été l’un des tout premiers partenaires – la coopération était particulièrement importante dans le domaine des lanceurs. Notre coopération a toutefois dû être réorientée dans les années 1990 du fait de la non-signature par l’Inde des engagements multilatéraux de lutte contre la prolifération. Depuis 2004, la coopération franco-indienne dans le domaine spatial connaît un renouveau, grâce à des projets centrés sur l’étude des phénomènes liés à l’évolution climatique.
Le dernier succès marquant de l’Inde dans le domaine spatial est le lancement de la mission lunaire Chandrayan, en octobre 2008. Depuis, le pays a connu deux échecs successifs sur son lanceur GSLV (Geosynchronous Satellite Launch Vehicle), ainsi que quelques problèmes sur son lanceur de base PSLV (Polar Satellite Launch Vehicle).
Le sommet franco-indien du 30 septembre 2008 a donné lieu à la signature d’un accord cadre sur l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques entre la France et l’Inde qui a remplacé le précédent accord conclu en 1977. Il a élargi et précisé les domaines de coopération, en mettant notamment l’accent sur l’étude du changement climatique à l’aide de moyens spatiaux d’observation de la Terre, ou le développement de satellites de télécommunications à des fins commerciales. Lors du même sommet a également été signé un mémorandum de coopération ambitieux entre l’Agence spatiale indienne ISRO (Indian Space Research Organisation), d’une part, et le CNRS et l’École Polytechnique, d’autre part.
Les relations inter-agences se sont intensifiées : a notamment été mis en place en 2004 un groupe de travail conjoint CNES/ISRO, qui se réunit annuellement. Les principaux projets de coopération bilatérale sont les suivants :
– le projet Mégha-Tropiques d’étude de la climatologie tropicale, reste le programme emblématique de notre coopération bilatérale. Initié en 1997, ce programme a été relancé en 2004.
Le CNES fournit trois instruments embarqués sur une plate-forme indienne, ceux-ci intégrant des sous-composants américains soumis aux règles américaines ITAR (International Traffic in Arms Regulations) de contrôle des exportations sensibles. Leur transfert en Inde en vue de leur intégration sur le lanceur indien PSLV a été rendu possible par la signature en juillet 2009 d’un accord américano-indien sur les transferts de technologies. Le lancement du satellite franco-indien a été effectué avec succès, depuis la base de Sriharikota dans l’Andhra Pradesh, le 12 octobre 2011.
Un appel international à propositions, diffusé le 15 décembre 2009, devrait permettre, sous certaines conditions, de mettre à la disposition de la communauté scientifique internationale les données recueillies par les laboratoires français et indiens. Celles-ci pourraient, à l’avenir, être mutualisées avec celles de GPM (Global Précipitation Mission), projet américano-japonais de constellation de satellites consacré à l’étude des précipitations ;
– le projet SARAL (Satellite with ARgos and ALtika) prévoit l’embarquement de l’instrument altimétrique français Altika (42), couplé avec le système français d’orbitographie (43) DORIS (Détermination d’orbite et radiopositionnement intégrés par satellite), et d’un instrument Argos (44) sur une plate-forme indienne. Ce projet a vocation à assurer la continuité de la mission altimétrique du satellite européen Envisat, en attendant le satellite « Sentinelle 3 » du programme européen GMES de surveillance mondiale de l’environnement et de sécurité. Le lancement est prévu au cours du premier semestre 2012 ;
– une campagne de mesures conjointes doit permettre de mesurer l’impact des précipitations et des masses nuageuses sur les systèmes de télécommunications. La destruction du satellite indien GSAT 4 (à la suite de l’échec au lancement du lanceur PSLV le 15 avril 2010) a entraîné un retard dans le début de cette campagne, dont l’issue n’est pas fixée ;
– le contenu et le périmètre du projet Icare d’instrument français dédié à l’étude des radiations subies par les composants des satellites en orbite et destiné à être embarqué sur un satellite indien, dont l’idée a été lancée en 2008, restent à préciser : la partie indienne n’a pas encore pris de décision définitive quant au choix du satellite géostationnaire (45) sur lequel Icare sera embarqué.
L’achèvement des projets Megha-Tropiques et SARAL marque la fin d’un cycle. La visite du président de la République de décembre 2010 a été l’occasion de signer un protocole d’accord inter-agences annonçant la poursuite de la coopération dans le domaine de l’observation de la terre, plus particulièrement du changement climatique (climatologie tropicale, cycle de l’eau dans les zones tropicales). Le périmètre et les modalités de cette coopération, qui s’inscrira dans la continuité des missions précédentes, seront définis lors du séminaire scientifique entre les agences qui se tiendra début de 2012.
Dans le domaine spatial également, la coopération dans le domaine de la recherche est complétée par une coopération industrielle.
Astrium (46) a développé depuis une quinzaine d’années une coopération industrielle fructueuse avec Antrix, le bras commercial de l’ISRO. En 2005, les deux entreprises ont signé un protocole d’accord sur le développement en commun et la commercialisation de petits satellites de télécommunications, associant des plates-formes de 2/3 tonnes. L’intégration et les tests des satellites sont réalisés sur le site de l’ISRO à Bengaluru. Ce protocole d’accord a permis à Astrium de consolider ses positions sur un créneau dominé par les Américains. Signé pour une durée de cinq ans, il a été prorogé lors de la dernière visite du président de la République.
Par ailleurs, lors du sommet franco-indien du 30 septembre 2008, Astrium a signé un accord-cadre prévoyant l’utilisation du petit lanceur indien PSLV pour la mise en orbite de satellites d’observation de la terre. Toutefois, la mise en œuvre de cet accord s’est heurtée, pour le lancement des satellites SPOT 6 et 7 par le lanceur PSLV (la société SPOT est détenue à 99 % par Astrium), à des difficultés. Ce lancement a fait l’objet de restrictions ITAR de la part de l’administration américaine entre juin 2010 et janvier 2011. Astrium a finalement pu obtenir une levée de l’interdiction américaine et attend désormais que les autorités indiennes autorisent Antrix à procéder au lancement.
Astrium a aussi conclu un partenariat avec l’ISRO d’utilisation d’imagerie spatiale au profit du ministère de l’agriculture sénégalais pour l’amélioration de la gestion des ressources en eau.
On voit ainsi combien la coopération franco-indienne est substantielle dans les trois secteurs stratégiques que sont la défense, le nucléaire et l’espace. Elle mêle coopération opérationnelle et dans le domaine de la recherche, d’une part, et coopération industrielle entre les entreprises des deux pays, d’autre part. Il est vrai que, dans ces trois secteurs, la France dispose d’une expertise reconnue et de groupes industriels très performants et maîtrisant les technologies les plus avancées, et que l’Inde a des intérêts très forts. Mais, très sollicitée, celle-ci aurait pu choisir d’autres partenaires : elle a tenu à établir un lien étroit avec notre pays, à la fois pour diversifier ses partenaires, et donc conserver son indépendance, et pour nourrir une relation politique de proximité, qui n’est entachée par aucun irritant majeur.
3) Des désaccords qui ne constituent pas des irritants majeurs
L’étroitesse des relations politiques entre deux pays n’implique évidemment pas qu’ils soient d’accord sur tous les sujets : chaque Etat défend très légitimement ce qu’il considère comme ses intérêts nationaux.
Les questions climatiques constituent une pomme de discorde entre les deux pays. La position traditionnelle de l’Inde découle du constat de la faiblesse de ses émissions de CO2 par habitant – elles sont trois fois inférieures à celles de la Chine et dix fois inférieures à celles des Etats-Unis (47). Tant que les pays industrialisés n’ont pas honoré leurs promesses, notamment en matière de financement et de transfert de technologies, elle refuse que des contraintes soient imposées aux Etats en développement. Pendant le sommet de Cancun, le ministre de l’environnement M. Jairam Ramesh avait accepté l’idée que tous les pays devaient prendre « des engagements contraignants sous la forme juridique appropriée », mais, à l’occasion du sommet de Durban de décembre 2011, Mme Jayanti Natarajan, qui lui a succédé, est revenue à la position indienne traditionnelle, que le ministère indien des affaires étrangères a toujours soutenue. Cette position, qui convient parfaitement à la Chine, fait de l’Inde le défenseur des intérêts des pays en développement. La France s’oppose donc clairement à l’Inde sur ce dossier, mais cela ne l’empêche pas de maintenir un dialogue et de développer des actions concrètes. Un groupe de travail sur l’environnement a ainsi été créé : ses travaux ont d’abord été gênés par un fonctionnement très bureaucratique, mais ils sont en train d’être relancés en lien avec des hommes d’affaires. L’AFD a aussi fait des questions énergétiques, et notamment de l’efficacité énergétique, l’un des axes de ses actions en Inde. L’objectif est de créer des convergences, même sur des sujets où il existe des désaccords généraux.
La France et l’Inde défendent également des positions contraires dans les négociations commerciales multilatérales. Dans ce cas également, c’est le gouffre existant entre les situations des deux pays qui explique leurs profondes divergences.
Si la France soutient l’idée de l’accession de l’Inde à un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, les deux pays votent souvent différemment au sein de ce Conseil, dont l’Inde est membre pour la période 2011-2012. Les deux cas récents les plus significatifs concernent les projets de résolution sur la Libye, puis la Syrie. Bien qu’elle ait voté, le 26 février 2011 la résolution n° 1970 qui déférait la situation en Libye à la Cour pénale internationale, l’Inde s’est ensuite abstenue le 17 mars 2011 à l’occasion du vote de la résolution n° 1973 autorisant à prendre toutes les mesures nécessaires afin de protéger les civils libyens contre les attaques des forces de Kadhafi, et à nouveau le 4 octobre 2011 lorsqu’a été présenté le projet de résolution visant à condamner les violences en Syrie, qui s’est en outre heurté aux vetos russe et chinois. Le 22 novembre dernier, l’Inde s’est encore abstenue au moment du vote de la résolution condamnant la Syrie proposée au sein de la commission des droits de l’Homme de l’Assemblée générale des Nations unies. L’Inde justifie cette position par son refus de prendre position sur des résolutions portant sur des pays particuliers. Elle est en cela fidèle à son souci de voir respecter scrupuleusement la souveraineté des Etats.
Lors de sa rencontre avec la Mission, à Delhi, M. Ranjan Mathai a souligné, à propos des cas libyen et syrien, que les droits de l’Homme ne devaient pas être utilisés comme un levier pour intervenir dans les affaires intérieures d’un Etat. Il a estimé que les interventions ne devaient être autorisées que dans des cas très exceptionnels, dans le cadre d’un mandat des Nations unies, et que l’intervention de l’OTAN en Libye, « qui avait causé de nombreuses victimes civiles », ne devait pas constituer un précédent.
Si notre pays regrette de ne pas pouvoir compter sur le soutien indien dans les dossiers de ce type, ce désaccord quasiment philosophique ne nuit pas à la relation bilatérale. En ce qui la concerne, les seuls sujets sur lesquels on sent une véritable préoccupation de la part de l’Inde – et de ses représentants à Paris – sont relatifs à la position de la France à l’égard du Pakistan et, à un degré moindre, de la Chine. L’Inde voudrait en effet que notre pays marque plus nettement sa préférence pour elle et prenne plus de distance vis-à-vis de ses deux adversaires stratégiques.
La fourniture par la France d’armes au Pakistan est une source d’inquiétudes pour les Indiens, qui ont tendance à penser que, si Islamabad justifie ses achats d’armes par le besoin de se défendre contre les menaces venues d’Afghanistan, ces armes finissent en fait positionnées à la frontière avec l’Inde. Il est vrai que la France continue à fournir des armes au Pakistan, avec lequel elle mène depuis longtemps une coopération militaire, surtout navale : elle lui a livré trois sous-marins Agosta entre la fin des années 1990 et 2008. Mais les ventes d’armes françaises au Pakistan ont beaucoup diminué, et sont désormais largement inférieures aux ventes réalisées au profit de l’Inde. Ainsi, en 2009, selon le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, Islamabad a passé des commandes d’armes à notre pays pour 57,3 millions d’euros, dont 47,3 millions d’euros pour des aéronefs et 9,5 millions d’euros dans la catégorie des navires de surface ou sous-marins, quand les commandes de Delhi s’élevaient à 207,6 millions d’euros, principalement pour des aéronefs et du matériel électronique. Sur la période 2005-2009, les commandes indiennes sont aussi presque quatre fois supérieures à celle du Pakistan (2 187,4 millions d’euros pour l’Inde, 591,6 millions d’euros pour le Pakistan). Le rééquilibrage des relations politiques de la France au profit de l’Inde et au détriment du Pakistan s’est donc accompagné d’une évolution comparable des ventes d’armements.
C’est davantage la dimension économique qui est mise en avant en ce qui concerne la Chine : l’Inde a l’impression que la préférence des entreprises françaises pour la Chine se fait à son détriment, ce qui n’est pas totalement infondé. Ainsi, 1 400 entreprises françaises sont installées en Chine, quand elles ne sont que 300 en Inde. Le stock des investissements directs français en Chine était de 10,6 milliards d’euros en 2010, contre 2,27 milliards en Inde. De même, toujours en 2010, les échanges commerciaux franco-chinois approchaient les 48 milliards d’euros, pour des échanges franco-indiens de l’ordre de 7 milliards d’euros. La Mission reviendra sur les causes du retard pris dans les relations économiques franco-indiennes, notamment en comparaison des relations franco-chinoises. Pour le reste, même s’il existe aussi un dialogue stratégique franco-chinois et si les échanges de visites bilatérales sont réguliers, la relation ne repose pas sur le même degré de confiance et les mêmes valeurs communes que la relation franco-indienne, et les brouilles sont fréquentes.
Côté français, un sujet pose problème : il s’agit de celui de la réadmission par l’Inde de ses ressortissants se trouvant en situation irrégulière en France. Pays d’immigration pour des millions de Pakistanais et de Bangladais, l’Inde est aussi un pays d’émigration, notamment vers la France, qui accueille un flux annuel d’Indiens en situation régulière qui a atteint 2 900 personnes en 2009 (contre 1 900 en 2004), mais aussi plusieurs milliers d’Indiens en situation irrégulière – notamment en provenance du Pendjab. Entre 2005 et 2008, le nombre de mesures d’éloignement prononcées contre des ressortissants indiens a doublé, pour atteindre 3 528. En 2009 et 2010, ce nombre a diminué, mais reste élevé (2 581 en 2010). Or, le taux de délivrance par l’Inde des laissez-passer consulaires est très faible : il a chuté de 36 % en 2005 à 5,6 % en 2008, ce qui a conduit à placer l’Inde sur la liste des pays sous surveillance du Comité interministériel de contrôle de l’immigration. Ce taux s’est redressé en 2009 (16,4 %) avant de retomber à 12,6 % en 2010, quand la moyenne tous pays confondus était de 33,75 % ; il pourrait être de l’ordre de 8,5 % seulement en 2011 (mais le nombre de demandes d’identification a aussi diminué, de 515 en 2008 à 212 en 2011). La tentative d’établir un protocole bilatéral de coopération sur ce sujet a échoué en 2007. C’est un accord de partenariat global dans le domaine des migrations qui est désormais en cours de négociation, Delhi souhaitant faciliter la mobilité professionnelle des travailleurs qualifiés indiens. Les autorités françaises entendent obtenir en contrepartie des engagements sur la réadmission des nationaux et des ressortissants de pays tiers ayant transité par le territoire indien. Une première session de négociation s’est tenue à la mi-octobre à Paris ; une deuxième est prévue en Inde début 2012. Il faut d’ailleurs souligner que le problème résulte moins du manque de volonté des autorités indiennes que de la bureaucratie et de l’organisation fédérale du pays, qui complique et allonge le processus d’identification. A terme, la mise en place d’un numéro unique d’identification des ressortissants indiens couplée à l’enregistrement de données biométriques devrait permettre d’améliorer la situation. Il semble donc que ce différend soit en voie de règlement.
Y compris sur les sujets qui les divisent, la France et l’Inde s’efforcent ainsi de maintenir un dialogue et de progresser. Même l’interdiction du port ostensible de signes religieux dans les écoles publiques imposée par la loi du 15 mars 2004 (48), dont les conséquences sur les jeunes sikhs portant le turban ont inquiété les autorités indiennes et que ces dernières évoquent régulièrement, ne constitue pas un irritant majeur. Parmi les interlocuteurs indiens de la Mission, rares sont ceux qui ont mentionné spontanément devant elle un thème de désaccord franco-indien. L’étroitesse et la qualité de la relation politique l’emportent largement sur toute autre considération.
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Si ce sont d’abord des valeurs communes et des objectifs partagés qui fondent la relation politique franco-indienne, celle-ci doit être entretenue régulièrement, ce qui suppose un minimum de moyens. Dans le contexte budgétaire et financier que connaissent actuellement l’Europe en général et notre pays en particulier, il faut savoir faire des choix stratégiques dans l’allocation des moyens publics : la Mission est persuadée que l’Inde doit bénéficier d’un tel choix et que la France doit redéployer en sa faveur une partie des dépenses qu’elle consacre aujourd’hui à d’autres parties du monde qui présentent des potentiels moindres.
B – Compléter une coopération culturelle bien établie par un véritable partenariat éducatif et scientifique
1) Un environnement propice à une coopération fructueuse
Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et dans une moindre mesure l’Australie et le Canada sont des partenaires culturels privilégiés de l’Inde. Cette situation s’explique notamment par l’enracinement de l’anglais en Inde et la présence dans ces pays de communautés d’origine indienne importantes : 2,7 millions de personnes d’origine ou de culture indienne aux Etats-Unis, 1,2 million au Royaume-Uni, 850 000 au Canada et 223 000 en Australie. La force des liens humains est encore accentuée par le nombre d’étudiants indiens dans ces pays ; ils y sont respectivement 110 000, 45 000, 90 000 et 7 300.
La France ne peut disposer de ces relais d’influence. Le passé français des comptoirs en Inde ne subsiste qu’à Pondichéry, que Nehru qualifiait de « fenêtre culturelle de l’Inde vers la France ». Pourtant, notre pays est à même de conforter la place d’une langue qui demeure la première langue étrangère parlée en Inde (49), de nouer de nouvelles coopérations et de créer un réseau universitaire franco-indien. Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens.
Le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France en Inde est devenu, le 1er janvier 2012, le bureau en Inde du nouvel établissement public à caractère industriel et commercial « Institut français ». L’Inde fait partie des douze postes retenus pour l’expérimentation du rattachement du réseau culturel public à l’Institut français. Sa particularité est l’héritage historique du réseau des Alliances françaises, qui explique que le ministère des affaires étrangères et européennes n’ait pas ouvert un centre culturel. Cela limite d’ailleurs les possibilités d’autofinancement de l’Institut français en Inde, car les recettes de cours reviennent aux Alliances qui assurent cette compétence depuis longtemps. Toute baisse des moyens publics se traduit donc inévitablement par une diminution des actions engagées par l’Institut français ou des dotations aux Alliances, c’est-à-dire, dans les deux cas, des choix douloureux sur les programmes. Or, les dotations versées au service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France en Inde ont baissé de 23 % entre 2007 et 2010, passant de 6 millions à 4,6 millions d’euros.
Seize Alliances françaises couvrent le territoire indien, assurant un maillage important. Elles sont implantées dans les villes suivantes : Ahmedabad, Bengaluru, Bhopal, Chandigarh, Chennai, Goa, Hyderabad, Jaipur, Karikal, Kolkata, Mahe, Mumbai, Delhi, Pondichéry, Pune et Trivandrum. Associations de droit local indien, elles bénéficient pour la plupart d’entre elles d’un directeur expatrié rémunéré par le ministère des Affaires étrangères et européennes et, dans certains cas, d’un personnel expatrié. Elles reçoivent en outre une subvention d’équilibre de la part de l’ambassade. Avec l’Alliance française au Népal, elles sont placées sous l’égide de la délégation générale de l’Alliance française en Inde et au Népal (DGAF), qui remplit un rôle de coordination du réseau des Alliances en Inde et est l’interlocuteur privilégié entre celles-ci et le service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade de France en Inde (SCAC). Par ailleurs, le délégué général (50) possède également depuis les années 1980 le statut de conseiller culturel adjoint. La DGAF travaille en lien étroit avec l’ambassade pour diverses programmations montées au profit de l’Alliance française (tournées culturelles, conférences scientifiques, etc.) ainsi que sur l’animation pédagogique, la formation des enseignants et la certification du niveau de français (examens DELF et DALF) au sein du réseau en Inde.
A ce jour, la France bénéficie réellement d’une présence culturelle bien ancrée dans le paysage indien, ce qui n’est pas toujours le cas des grands partenaires économiques de l’Inde. Les Etats-Unis n’en font pas un axe prioritaire de leur coopération, malgré des institutions privées actives et un mécénat très développé. Les Britanniques sont actifs en matière d’art contemporain, mais assez peu dans les autres segments. Les Allemands commencent seulement à développer des initiatives assurant une certaine visibilité à leur pays, notamment l’année de l’Allemagne en Inde de septembre 2011 jusqu’à la fin 2012, qui devrait être suivie d’une année de l’Inde en Allemagne.
L’Inde est, après, la Chine la nouvelle destination du marché de l’art international, avec des grands mécènes qui investissement dans l’art indien, et drainent des collectionneurs occidentaux. Le premier musée indien dédié à l’art contemporain a été inauguré le 30 août 2008 à Delhi et un projet de musée d’art moderne à Calcutta est en cours de réalisation. La scène musicale, la danse et évidemment le cinéma indien sont très dynamiques.
L’Inde, comme les autres pays émergents, a conscience que le potentiel de croissance de son économie dépend de sa capacité à former, au plus haut niveau, les talents et à les mobiliser autour d’objectifs de plus en plus ambitieux de recherche, de développement scientifique et technologique. L’Inde est placée devant le Brésil et la Chine du point de vue de la qualité des instituts de recherche et lance une politique offensive de formation sélective de sa jeunesse. Un effort plus particulier est fait en direction des prestigieux Indian Institutes of Science (IIS) et Indian Institutes of Technology (IIT). Le gouvernement indien a d’ailleurs annoncé la création de huit nouveaux IIT – il en existe sept à l’heure actuelle. Cette politique passe par des budgets de recherche et développement en croissance impressionnante, afin de passer rapidement de 1 % à 3 % du PIB : par exemple, le budget 2010 est en augmentation de 18 % par rapport à celui de 2009. L’Inde est devenue le 13e producteur de connaissances scientifiques dans le monde, certes derrière la Chine. Il existe une demande indienne de diversifier les collaborations, avec l’accueil en France d’étudiants indiens, la construction de partenariats et l’implantation en Inde de laboratoires français.
Dans ces conditions, la politique d’influence française en Inde passe par une diplomatie du savoir et de la culture. La déclaration commune rédigée à l’issue de la visite présidentielle de décembre 2010 énonce que la coopération doit se poursuivre et en particulier que « les échanges humains doivent concerner tous les domaines de la coopération bilatérale, y compris la recherche, l’éducation et les échanges culturels ». Or, si la conscience des enjeux commence à se faire jour, les moyens et les résultats de la politique d’influence française sont inégaux : relativement dynamique en matière culturelle et linguistique, notre partenariat présente encore de larges insuffisances en matière de coopération universitaire et scientifique, qui font parfois douter des ambitions françaises.
2) Une diplomatie culturelle française relativement dynamique
La France peut s’appuyer sur son histoire en Inde pour conduire une politique active d’enseignement du français. Ce dernier existe depuis plus de 250 ans bien que son évolution ait suivi des courbes différentes dans les différents Etats du pays. A Pondichéry, ancien territoire français, c’est la présence française qui est à l’origine de l’enseignement du français. Sous le régime colonial, le français s’est imposé comme langue officielle. Depuis la création des écoles primaires au XIXème siècle, les programmes d’études ont accordé une place primordiale à la langue et la culture françaises. Depuis la fin de l’époque coloniale en 1954, Pondichéry continue à accorder une place importante à l’enseignement du français dans ses écoles et collèges. Au Tamil Nadu, la présence des pères des Missions-Etrangères et de la Compagnie de Jésus soutient son enseignement. Leur influence ne se limite pas à la langue française, elle s’exerce également dans le domaine des sciences. La concurrence est bien évidemment ardue et le passé des comptoirs ne peut suffire à maintenir et à développer la place du français dans les autres parties du pays où son enseignement relève d’un choix et non d’un héritage.
Le français est néanmoins la langue étrangère la plus enseignée en Inde en 2011, devant l’allemand et le sanskrit, qui reste très demandée comme langue des lettrés. Mais il s’agit d’un pays qui compte une population d’environ un milliard d’habitants et où se pratiquent plus de 1 650 langues. L’anglais n’est lui-même parlé que par environ 5 % de la population. En chiffres absolus, le pourcentage de francophones est modeste. En 2011, 900 000 élèves indiens apprennent le français dans les établissements secondaires. Si l’accès à l’école est garanti par la loi, le système public d’enseignement indien connaît de graves difficultés qui ne permettent pas de répondre à la demande de formation en langues étrangères. Les écoles privées se développent et c’est avant tout en leur sein que l’enseignement du français est assuré. Celles-ci font en effet de la pluralité de l’offre d’enseignement un des atouts de leur attractivité.
Les seize Alliances françaises jouent parallèlement au système scolaire un grand rôle dans la vitalité de la langue française en Inde, en assurant des cours pour 25 000 élèves et en organisant les examens de langue reconnus par le ministère de l’éducation nationale. Toutefois, les tarifs de l’Alliance française sont très élevés pour les Indiens : trois mois de cours coûtent dix fois plus cher qu’une année à l’université.
Enfin, trois établissements d’enseignement français relèvent de la compétence de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger : l’Ecole française internationale de Mumbai, le lycée français de Delhi (tous deux conventionnés) et le lycée français de Pondichéry (en gestion directe) (51). Les représentants de Mumbai rencontrés lors du déplacement de la Mission ont exprimé le souhait que la communauté française de cette ville puisse disposer d’un véritable lycée français, alors que la structure existante est limitée à l’enseignement jusqu’au collège et comporte des frais d’écolage élevés. Il existe d’ailleurs un « vrai » lycée allemand à Mumbai. Surtout, si les effectifs de ces établissements sont tout à fait honorables, ils accueillent un très faible nombre d’étudiants indiens : ils sont 2 sur 73 à Mumbai, aucun sur 466 à Delhi (mais 183 étrangers tiers) et 111 sur 842 à Pondichéry. Ils ne participent donc pas d’une politique d’influence.
La politique en faveur du français se traduit également par un effort en direction de la formation initiale des professeurs, qui constitue un axe de mission fort du nouvel Institut français à Paris et de l’intensification des séjours des futurs professeurs en France par l’accueil d’assistants de langue (52 assistants indiens sont ainsi accueillis en France en 2011-2012) et un encouragement à la création d’un diplôme d’enseignement du français dans les universités indiennes. Diverses actions sont également conduites, telles que la distribution de matériel pédagogique, la mise en place d’une méthode de français à distance pour hindiphones et le soutien aux échanges scolaires.
La Mission souhaiterait qu’une réflexion soit engagée pour revivifier les études françaises en Inde au-delà de l’enseignement de la langue. Il apparaît en effet que les centres d’études françaises des grandes universités sont souvent portés par des financements tiers, notamment québécois, au bénéfice des études francophones mais pas spécifiquement françaises. Nul doute qu’une présence accrue d’enseignants-chercheurs français au sein même des universités indiennes éveillerait l’intérêt de certains étudiants pour la civilisation française, les écoles françaises de sciences humaines ou de philosophie et les conduirait à y consacrer des travaux, voire leur thèse. Le service académique allemand à l’étranger (Deutscher akademischer Austausch Dienst) est actif en Inde depuis 1960 et dispose de quatre bureaux dans des universités indiennes. C’est un exemple à suivre.
Hors la langue, la diplomatie culturelle française en Inde trouve un nouveau souffle depuis les visites présidentielles et fait preuve d’un très grand dynamisme, malgré les contraintes budgétaires, tant en direction de la scène artistique, que de la promotion des industries culturelles.
Tout d’abord, l’image de la France a été renouvelée à travers l’organisation de « Bonjour India », série de manifestations culturelles, scientifiques, technologiques, éducatives et économiques organisées entre décembre 2009 et février 2010. Le programme « 300 Bonjours » a été initié à la suite, consistant en des invitations en France de professionnels indiens, et inversement. Il a pour objet d’améliorer la connaissance mutuelle et de développer des collaborations artistiques. Il sera poursuivi en 2012 avec la mise en place de résidences croisées. Les manifestations en France se multiplient également, à l’exemple, ces deux dernières années, du festival « Namaste France », pendant de « Bonjour India », d’avril 2010 à juin 2011, de l’exposition « L’été indien » au musée Guimet, et de l’exposition « Rabindranath Tagore (1881-1941), la dernière moisson » qui se tiendra au Petit Palais du 1er février au 11 mars 2012. La création du nouveau centre culturel indien à Paris, au 3, avenue de Lowendal, devrait intensifier la présence culturelle indienne en France.
L’édition 2012 de « Bonjour India » est également en préparation. Cette reconduction est en réalité la marque d’une pérennisation du festival sur un rythme biannuel, afin d’inscrire notre politique d’influence culturelle dans le long terme. Parallèlement à ce rendez-vous, plusieurs programmes de rencontres, débats, ateliers et spectacles sont initiés dans des disciplines diverses. La visibilité de « Bonjour India » masque à cet égard la réduction du nombre d’actions culturelles et la baisse des montants alloués aux Alliances françaises, alors que ce lien financier est essentiel pour inscrire leur action dans une stratégie diplomatique. En 2011, 94 projets ont tout de même été menés par la France dans tous les domaines : art contemporain, architecture, design, patrimoine et archéologie, musiques classiques et actuelles, danse et théâtre. Deux disciplines principales sont retenues chaque année.
En 2011, d’une part, le festival « DanSe Dialogue » de danse contemporaine s’est tenu à Delhi, Chennai et Bengaluru en novembre. D’autre part, de septembre à décembre 2011, un projet global sur l’architecture et l’expertise française dans ce domaine à travers le monde a été conduit. Il fait suite aux initiatives du réseau dans le domaine de l’architecture en 2008 avec l’exposition Le Corbusier et en 2010 dans le cadre de « Bonjour India » avec l’exposition Architecture durable – Ville de Paris / Pavillon de l’Arsenal. L’objectif de « Architecture Rendez-Vous » était de mettre en œuvre une action de coopération globale pour promouvoir l’architecture française en Inde, de la faire connaître comme un savoir-faire d’excellence, tant sur le plan des réalisations que sur celui de l’enseignement. Sur ce dernier point, le but est de promouvoir les études françaises d’architecture et de présenter leur originalité en matière d’enseignement et de recherche. Le projet devait permettre de mettre en place des accords entre écoles françaises et indiennes qui puissent encadrer des échanges d’enseignants et d’étudiants au cours des prochaines années, et de diffuser l’information sur les bourses d’études offertes par l’ambassade de France aux étudiants d’architecture et d’urbanisme.
Cette valorisation de l’architecture française et de l’urbanisme français peut s’appuyer sur le souvenir de Le Corbusier à Chandigarh et présente l’avantage de mélanger les dimensions socio-culturelle, académique et économique. Le Dr Gautam Sengupta, directeur général de l’Archeological Survey of India (ASI), organisme public sous l’autorité du ministère de la culture chargé de la conservation et de la rénovation du patrimoine bâti (4 000 palais sont sous sa protection), a fait état d’une prise de conscience en Inde de l’importance de son patrimoine et de la nécessité de le sauvegarder. L’ambassade a indiqué que des échanges entre des experts français, en particulier de l’Institut français du patrimoine, et des experts indiens étaient en préparation. Le Dr Sengupta, a rappelé que c’est l’expertise, notamment pour la formation des architectes et la rénovation des musées, qui fait défaut à l’ASI, plus que les moyens financiers et que, parmi les grands pays, la France était le seul qui ait initié des relations d’échange.
En matière audiovisuelle, France 24 est désormais implantée en Inde. Elle a en effet obtenu le 3 décembre 2010 sa licence de diffusion en version anglaise, ce qui pourrait permettre à terme à la « voix de la France » de se faire entendre dans les près de 140 millions de foyers télévisuels, soit un foyer sur cinq dans la zone Asie-Pacifique. A ce jour, elle est disponible par câble auprès de 6 millions de foyers indiens. Une demande de licence de diffusion pour la version française devrait intervenir prochainement. TV5 est également présente sur le câble.
Par ailleurs, l’un des secteurs de coopération les plus actifs en matière culturelle est sans nul doute la production cinématographique et audiovisuelle. Il s’agit en Inde d’un secteur particulièrement dynamique, avec 6 milliards d’euros de chiffre d’affaires et un taux de croissance attendu de 19 % par an pour les années à venir. Il offre donc des opportunités pour les industries françaises et le rayonnement de la France, alors que la place du cinéma étranger en Inde est limitée, la part de marché des grosses productions américaines ne dépassant pas 6 %. La langue constitue évidemment une barrière pour une diffusion auprès du plus grand nombre. Mais la classe moyenne indienne s’ouvre aux films étrangers, notamment non américains. Aucun obstacle juridique n’empêche les films français de pénétrer le marché indien. Si seuls trois ou quatre films français sont diffusés chaque année, il ne faut pas négliger l’augmentation du nombre de films acquis par des distributeurs indiens ces dernières années et qui sont diffusés à la télévision ou commercialisés en vidéo. Surtout, des manifestations récentes ont assuré une forte visibilité à notre cinéma et pourraient porter leurs fruits.
Il en est ainsi du 4ème rendez-vous du cinéma français qui a été intégré au festival international de Mumbai qui s’est tenu du 13 au 20 octobre 2011. Le festival comptait au total 201 films et 342 projections. La sélection française comprenait dix longs métrages, dont l’un, le film The Artist de Michel Hazanavicius, a été présenté en avant-première et en ouverture du festival. Le film My little Princess de Eva Ionesco a remporté trois prix, dont le grand prix du festival. Au-delà de la sélection, 21 films français ont été diffusés. Avec 31 films, le cinéma français était ainsi le mieux représenté après le cinéma indien. La presse, les professionnels et le public indiens ont salué la qualité et la diversité des œuvres. 18 000 des 100 000 spectateurs ont assisté aux 62 projections de films français. Ces derniers bénéficiaient de la plus forte visibilité avec un programme dédié, une page de publicité au dos du catalogue officiel et des grandes affiches dans chaque salle.
Un accord de coproduction cinématographique a également été signé entre les deux gouvernements le 6 décembre 2010 (52), afin de relancer des initiatives qu’un premier accord datant de 1986 n’avait pas suscitées. Des coproductions franco-indiennes seraient en phase de développement. Il faut également mentionner le FondsSud du ministère des affaires étrangères et européennes, qui a permis d’aider une vingtaine de projets indiens depuis vingt ans.
Compte tenu de la taille du pays et des moyens budgétaires, l’ensemble de ces initiatives risque de laisser peu d’empreinte malgré le rendez-vous que devient « Bonjour India », car pour devenir un partenariat, une relation doit s’inscrire dans la durée. C’est pourquoi, il pourrait être intéressant de créer une Académie franco-indienne réunissant des artistes, des intellectuels et responsables culturels afin de professionnaliser les échanges culturels entre les deux pays et de favoriser les projets concrets de coopération ou coproduction. La perspective de la création du centre culturel indien à Paris plaide pour une telle initiative. Il ne faut pas non plus négliger les initiatives privées, à l’image des activités de la Neemrana Music Foundation, créée par le Français et désormais Indien Francis Wacziarg (53), dans la production d’opéras et la formation à la musique classique.
– Offrir les moyens budgétaires adaptés en mettant, a minima, un terme à la baisse des crédits, pour préserver la diversité des actions en matière culturelle
– Relancer les études françaises en Inde
– Créer une Académie franco-indienne
3) Une coopération en matière scientifique éprouvée
La coopération bilatérale en matière scientifique s’appuie sur plusieurs instruments mais essentiellement sur le Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA) qui existe depuis 1987 et permet la conduite de projets de recherche communs dans les sciences fondamentales et appliquées. Le CEFIPRA fonctionne sur la base d’un cofinancement entre le ministère des affaires étrangères et le ministère indien de la science et de la technologie. Son budget s’élevait à 3,1 millions d’euros en 2011, dont 1,55 million d’euros pour la partie française. Avec un taux de sélection de 25 % et près de 63 projets en cours chaque année, bénéficiant en moyenne de 35 000 euros, le centre a soutenu près de 400 projets sur la période 1987-2010. Ont ainsi été développés des programmes en matière de technologie solaire thermique, de technologies de l’information et de la communication dans les laboratoires de santé, de systèmes et de design dans l’industrie automobile et aérospatiale, de robotique et de systèmes de contrôle, d’arts, de culture et de restauration du patrimoine.
Le CEFIPRA s’ouvre à des financeurs extérieurs, comme ceux de l’Agence nationale de la recherche et de l’Institut national de la recherche agronomique. Lors de la 24ème réunion du Conseil d’administration du CEFIPRA qui s’est tenue à Paris le 31 janvier 2011, les membres ont notamment validé :
– la participation du Centre à l’appel à propositions lancé par la Commission européenne « Inco-House » permettant de financer une étude de faisabilité sur l’ouverture à d’autres partenaires européens ;
– le lancement d’un travail de réflexion et de consultations sur les questions de propriété intellectuelle, sujet sensible avec l’Inde ;
– l’organisation de festivités pour le 25ème anniversaire du Centre, fin 2011.
La coopération bilatérale scientifique entre la France et l’Inde est relativement bien ancrée et peut s’appuyer sur le CEFIPRA qui constitue pour les Indiens un cadre apprécié. Ils souhaitent ainsi régulièrement que les initiatives en matière de recherche puissent être portées par le centre. Le CEFIPRA offre une forte visibilité à une coopération, dont le budget français s’établit au total à 3,37 millions d’euros en 2011.
M. Shiva Prasad, actuellement directeur des études de l’IIT Bombay (54) et ancien directeur du CEFIPRA, a souligné l’importance du Centre dans l’appui aux recherches partenariales franco-indiennes, insisté sur la création du comité industriel – qui devrait bientôt devenir le CEFIPRA Innovation et a obtenu des résultats concrets, notamment entre la société Evian et l’IIT d’Hyderabad – mais a regretté le fait que la dotation du Centre n’augmentait pas côté français. Son ouverture à d’autres organismes français permettrait de pallier partiellement ce manque – mais cela pourrait conduire à un changement de régime fiscal, défavorable au Centre. Les Indiens, de leur côté, seraient prêts à augmenter leurs cofinancements à la hauteur de l’effort financier consenti par la France. Compte tenu de l’effet de levier offert par le CEFIPRA, l’abondement de sa dotation budgétaire doit être préféré aux autres projets nécessitant un abondement.
Des centres de recherche français sont également implantés en Inde : il s’agit du Centre des recherches en sciences humaines (CSH) à Delhi et de l’Institut français de Pondichéry (IFP), tous deux constituant une unité de recherche et de service du CNRS et appartenant au réseau des vingt-sept instituts français de recherche à l’étranger (IFRE) du ministère des affaires étrangères et européennes. Ce réseau contribue, dans un cadre universitaire, à la formation de jeunes chercheurs spécialistes des diverses aires géographiques dans l’ensemble des différentes disciplines en sciences humaines et sociales. Il est donc un véritable instrument de coopération : il assure la formation de chercheurs locaux, la diffusion des savoirs et la participation aux grands débats d’idées du monde contemporain ; il est, enfin, un rôle de centre d’expertise et de ressources pour nos chancelleries diplomatiques. Quatre missions prioritaires lui sont assignées :
– produire, diffuser et valoriser des connaissances scientifiques ;
– participer aux programmes de coopération des postes diplomatiques ;
– contribuer au rayonnement de la France à travers l’excellence de sa recherche ;
– contribuer à la compréhension des enjeux globaux et régionaux.
Le CSH, créé en 1990, a pris la suite de la Mission archéologique française en Inde, établie à Delhi en 1983. Il se concentre sur la recherche en sociopolitique, socio-économie, anthropologie et en relations et lois internationales en Inde et en Asie du Sud. Son principal champ de recherche est ainsi de questionner l’Inde comme puissance émergente sur la scène internationale et d’analyser les mutations politiques, économiques et sociales qui affectent l’Asie du Sud face aux défis de la mondialisation. L’IFP a été créé à la faveur du traité de cession des établissements français en Inde et inauguré le 21 mars 1955. Il conduit des activités de recherche en indologie (études sur le sanskrit), en matière d’écologie et sur les aspects sociaux du développement rural.
Il faut souligner que l’Inde est le seul pays à disposer de deux IFRE, témoignant d’une activité de coopération scientifique importante. Ces deux instituts de recherche de haut niveau disposent de financements externes, notamment européens et américains et, au-delà des dotations du ministère et du CNRS, de subventions françaises via l’Agence nationale de la recherche, le CEFIPRA et des fondations privées. Ils ont su tisser des liens avec de nombreux instituts et universités de recherche en Inde et à l’étranger.
Cela devrait leur permettre de faire face à la baisse constante des moyens publics, liée au désengagement du ministère des affaires étrangères et européennes (55). Les activités de recherches sont largement autofinancées. Il convient toutefois de veiller à ce que les Instituts situés dans des pays émergents à fort potentiel en matière de recherche continuent à bénéficier d’un appui suffisant, pour leur permettre de continuer à développer des programmes et à assurer la rémunération de personnels scientifiques. La baisse drastique des moyens publics conduit en effet à ce que les deux Instituts aient de grandes difficultés à engager de nouvelles coopérations et à ce que les scientifiques rémunérés par l’Institut français de Pondichéry le soient à un niveau inférieur à ce à quoi ils pourraient prétendre dans l’université indienne.
Outre le CEFIPRA, le CSH et l’IFP, douze laboratoires franco-indiens ont été créés. Ces laboratoires d’excellence sont co-financés par l’Inde et la France et sont impliqués dans plusieurs projets de recherche financés par les deux pays et par l’Europe. Certains d’entre eux sont de création récente, illustrant la dynamique de la coopération scientifique franco-indienne.
Les principaux laboratoires d’excellence franco-indiens
– le Centre franco-indien de recherche sur les eaux souterraines (CEFIRES), créé en 2000 entre le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) et le National geophysical research institute (NGRI), à Hyberabad ;
– le Centre franco-indien de recherche sur l’environnement et des risques sismiques, avec notamment le Laboratoire de géophysique interne et tectonophysique (LGIT) de Grenoble ;
– la Cellule franco-indienne de recherche en sciences de l’eau, créée en 2001 entre l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et l’Indian institute of sciences (IISc) ;
– le Centre franco-indien de recherche sur les eaux de rejet industriel, dont le pilote en France est l’Institut national de sciences appliquées de Lyon ;
– le Programme franco-indien de recherche en météorologie et climat (ProFIRMeC), initié en 2004 avec le CNRS, qui se consacre au développement de méthodes de prévention des moussons et des événements météorologiques extrêmes ;
– le Centre franco-indien de photonique avancée, créé en 2002 en association avec le CNRS, qui s’intéresse aux processus laser ultrarapides ainsi qu’à leurs applications aux télécommunications ;
– le Centre franco-indien de synthèse organique (CEFISO) associe 17 laboratoires français et 11 laboratoires indiens impliqués dans des thèmes de recherche variés en chimie ;
– le Laboratoire franco-indien de chimie du solide (LAFICS) repose sur un jumelage entre l’Institut de la matière condensée de Bordeaux et l’Institut indien des sciences. Ils coopèrent depuis près de vingt ans et approfondissent leurs recherches sur les bio matériaux et les nouvelles céramiques ;
– l’Institut franco-indien de mathématiques (IFIM), cette structure conjointe avec le CNRS étant coordonnée en France par le laboratoire de mathématiques de l’université de Bordeaux I. L’Institut a été créé après la mise en oeuvre d’un projet commun de cyber-enseignement de mathématiques appliquées (FICUS).
Devraient s’ajouter à cette liste en 2012 un laboratoire pour l’immunologie à Mumbai et un dans le domaine des méthaniques appliquées à Bengaluru.
La coopération scientifique entre nos deux pays est également très forte en matière spatiale, un des piliers du partenariat stratégique précédemment présenté.
La France poursuit par ailleurs, à raison, une politique axée sur la recherche de pointe et l’innovation (l’Allemagne se positionne également sur ce segment, avec la création prévue en 2012 d’une maison allemande de la science et de l’innovation). Notre pays s’est engagé depuis une dizaine d’années dans une politique active en la matière, avec notamment la loi sur l’innovation et la recherche de 1999, approfondie dans le cadre de la loi du 18 avril 2006 sur la recherche. L’Agence nationale de la recherche, l’agence Oséo et les pôles de compétitivité participent désormais de cette dynamique. Au sein de la coopération scientifique, la coopération dans le domaine de l’innovation est suivie de façon spécifique avec chacun des BRIC. Mais contrairement à ce qui existe avec le Brésil et la Russie, il n’existe pas encore de groupe de travail franco-indien sur l’innovation. Un tel groupe de travail doit demeurer un objectif de notre politique bilatérale. L’idée qui sous-tend cette proposition est aussi de faire en sorte que notre coopération scientifique et technologique bilatérale prenne mieux en compte la dimension de la recherche orientée vers la demande économique.
L’effort français ne doit pas se relâcher car d’autres pays investissent massivement le champ des sciences et technologies dans leur relation avec l’Inde, dont ils savent qu’il est porteur de croissance économique à terme. La coopération scientifique et technologique indo-allemande est particulièrement dynamique et a même pris une ampleur significative avec des actions communes comme le « train de la science » (« Science express ») en 2007 et 2008. Ce train s’est arrêté dans 57 villes indiennes en l’espace de huit mois, pour sensibiliser à l’intérêt de l’Allemagne pour innover et aussi pour étudier. Car comme le souligne M. Marc Fontecave (56) : « la collaboration scientifique et la montée en puissance de partenariats impliqueraient de notre part la mise en œuvre d’une politique volontariste et même agressive en ce qui concerne l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, en particulier indiens, dans nos laboratoires. ». Or, cette politique de mobilité est encore balbutiante. C’est pourtant dans une approche globale que l’enjeu de la coopération scientifique et technologique se pose, intégrant également la mobilité étudiante, notamment la présence en France de doctorants, et le renforcement de nos relations économiques avec l’Inde.
– Promouvoir une approche intégrée de la coopération scientifique et technologique, des échanges universitaires et des relations économiques
– Privilégiée le renforcement de la dotation du CEFIPRA, qui offre un fort effet de levier, pour l’utilisation de fonds nouveaux
– Veiller au dynamisme des deux IFRE en leur conférant des moyens décents
– Créer un groupe de travail franco-indien sur l’innovation
4) L’ambition d’un partenariat éducatif à concrétiser
a) L’amorce d’une politique de mobilité étudiante
Mme Mathilde Mallet, responsable des manifestations internationales et M. Claude Torrecilla, délégué à la communication, de CampusFrance ont fait état, dans le domaine de l’enseignement supérieur, d’un déficit d’image de la France. Ce phénomène, imputable notamment à des raisons historiques, aboutit à un désintérêt pour notre pays de la part des étudiants indiens souhaitant vivre une expérience à l’étranger. La gratuité des études constituerait aussi paradoxalement, un désavantage car elle serait perçue comme le corollaire d’un enseignement de moindre qualité.
C’est pour renverser cette tendance qu’a été créée EduFrance en 1998, devenue depuis CampusFrance. Ses créateurs avaient identifié l’Inde parmi les pays où il fallait s’implanter en priorité, alors que la mondialisation poussait l’Inde à se tourner de plus en plus vers l’Europe. EduFrance a ainsi organisé son opération de lancement sous la forme d’un salon dans lequel étaient représentés cinquante établissements français, qui s’est tenu dans plusieurs villes indiennes pour faire la promotion de l’enseignement supérieur français auprès des étudiants indiens. Cette opération a été réitérée par deux fois. Il s’agissait pour ces structures de donner une meilleure image de la France, de rompre avec les idées reçues, mais surtout d’en faire une destination de premier choix, une destination alternative, pour les étudiants indiens désireux de poursuivre leurs études à l’étranger.
CampusFrance compte aujourd’hui neuf antennes en Inde installées au sein des instituts français ou des Alliances françaises et dotées chacune d’un budget limité à 2 000 euros par an. Ces antennes emploient des personnels locaux qui ont pour la plupart étudié en France et enseigné notre langue, et ont donc une très bonne connaissance de l’enseignement supérieur français. Leur fonction est double : ils sont chargés d’accueillir, informer et conseiller les étudiants et font également connaître les établissements français à l’occasion de tournées dans les établissements indiens. Leur recrutement se fait par le biais du réseau culturel de l’ambassade de France. Une hémorragie importante concernant ces personnels, dont les conditions salariales (ils perçoivent moins de 200 euros par mois) ne sont pas en adéquation avec leur parcours et leurs compétences, est à déplorer. 25 lecteurs français sont installés au cours de l’année universitaire 2011/2012 dans les universités, où ils ont une charge de cours de français pour les étudiants de toutes les disciplines. Leur rôle est de présenter la France et le français pour encourager les étudiants dans leur décision de venir en France, et de faciliter leur départ.
De façon complémentaire, la politique de bourses a été réaménagée. Elle donne la priorité à l’excellence académique des étudiants, aux niveaux Master/Doctorat des filières scientifiques et sciences de l’ingénierie, d’économie, de gestion, de management, de droit et des sciences politiques en mettant l’accent sur les co-tutelles de thèse. Le dispositif se compose de deux volets complémentaires : les bourses allouées par les postes diplomatiques (80 %), d’une part, et les programmes de bourses sur crédits parisiens, dans le cadre de la politique d’attractivité de la France en matière de formation des élites (20 %), d’autre part. Dans cette dernière catégorie, figurent les programmes « Eiffel » et « Major », ainsi que le programme « Quai d’Orsay Entreprises ».
Ce dernier propose à des étudiants étrangers d’approfondir leurs compétences dans un domaine précis lié à l’activité d’une multinationale française, à travers une année de formation en France complétée d’un stage rémunéré au siège de l’entreprise, avant de se voir proposer une éventuelle embauche dans la filiale de l’entreprise de leur pays d’origine. Ces étudiants bénéficient de cours de français intensifs pris en charge par le poste au sein des Alliances françaises, d’une bourse de couverture sociale, du statut de boursier du gouvernement français, d’une bourse versée par l’entreprise, de propositions de stage, d’un tutorat et de conseils d’orientation de carrière ou de recherche d’emploi en fin de cursus. Les programmes avec les entreprises suivantes ont été initiés depuis 2006 : Thalès, Orange, Air liquide, Alten et DCNS. S’y ajoute le programme Krisnakriti initié par l’ambassade pour des stages de niveau master dans les instituts des beaux arts.
CampusFrance et l’Institut français en Inde déploient une grande énergie pour inciter à la conclusion de partenariats qui permettent de favoriser les mobilités encadrées. Les dernières rencontres CampusFrance dédiées à l’Inde ont été organisées le 22 septembre 2011 dans les locaux de l’Alliance française de Paris et ont réuni 71 participants appartenant à 58 établissements français, dont 15 écoles d’ingénieurs, 16 écoles de commerce et de gestion, 17 universités et 2 écoles d’hôtellerie. Plus de 140 rendez-vous se sont tenus avec les invités indiens, treize personnalités issues de onze établissements (57). La délégation d’invités indiens a visité plusieurs établissements parisiens et provinciaux au cours de son séjour.
Un Consortium franco-indien des universités (CFIU) a aussi été créé lors de la visite de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Valérie Pécresse. Le CFIU a été officiellement présenté à l’occasion de la visite d’Etat du président de la République française en janvier 2008 et a donné lieu à un accord entre l’Association des universités indiennes (AIU), l’University Grants Commission (UGC) côté indien, la Conférence des présidents d’université et la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), côté français. Sept projets de masters conjoints ont été déposés. La France a mis à disposition de cette structure une quarantaine de bourses. Des mobilités pour les enseignants sont également à l’étude. Le CFIU se heurte néanmoins à la difficulté de mettre en place des diplômes conjoints, d’intégrer au consortium des formations privées et d’aboutir à un accord sur une grille commune de référence pour les grades et les diplômes.
Les memorandums of understanding (MoU) se sont multipliés ces dernières années entre établissements français et indiens. Il en existe désormais près de 300. 110 institutions d’enseignement supérieur françaises ont ainsi signé ou se préparent à signer 292 accords avec 122 institutions indiennes. La présence des établissements français en Inde est récente : les établissements universitaires ne développent des partenariats dans un pays que dans la mesure où des entreprises françaises s’y implantent, phénomène récent en Inde. Cette présence prend trois formes : le recrutement, l’échange d’étudiants et le double diplôme.
Ces coopérations se font avec les Indian Institutes of Management (IIM) et les Indian Institutes of Technology (IIT). L’IIM de Bengaluru par exemple, premier du classement des écoles de management en Inde, selon le sondage business Today-Nielsen, qui propose essentiellement des diplômes post-graduates, a des collaborations avec 17 écoles de management à travers la France, notamment HEC, ESSEC, les ESCs, EDHEC, IESEG, EM Lyon et Grenoble. Autre exemple, ParisTech, regroupement d’établissements conduits par l’IIT de Bombay et Polytechnique, a fait alliance avec plusieurs IIT d’Inde. En 2010, Delhi University a signé avec un consortium d’organismes français regroupant l’Université de Paris-Sud11, ParisTech, l’Ecole centrale de Paris, Supélec et l’Institut national des sciences et techniques nucléaires – INSTN – un MoU de master en ingénierie nucléaire. Dans ce cadre, des étudiants indiens inscrits à Delhi University passent la deuxième de leurs trois années en France, pour six mois de cours théoriques suivis de six mois de stage en entreprise. La promotion 2010/2011 a compté douze étudiants, tout comme celle de 2011/2012.
HEC, qui est membre de ParisTech, est un bon exemple d’établissement ayant engagé des coopérations. Sciences-Po Paris a aussi développé des partenariats avec de grands établissements indiens. Son objectif aujourd’hui est d’approfondir ce partenariat en réalisant un joint degree ainsi qu’une PhD school.
L’exemple d’HEC
Des échanges réguliers d’étudiants sont organisés avec l’IIM d’Ahmedabad. HEC ne compte que peu d’étudiants inscrits, pour une année, dans les établissements indiens. Il y en a seulement une dizaine aujourd’hui, répartis au sein des trois établissements avec lesquels HEC Paris a signé un partenariat, c’est à dire les IIM d’Ahmedabad, d’Hyderabad et de Bengaluru.
C’est pourquoi HEC a mis en place un double diplôme avec l’IIM d’Ahmedabad (le Post Graduated Program), établissement avec lequel le partenariat est le plus étroit. Ce cursus, qui ne nécessite ni place ni budget supplémentaire, offre aux étudiants une double formation, la compréhension et la connaissance de deux cultures, et constitue un atout majeur pour la carrière professionnelle des jeunes diplômés.
HEC a pour objectif que cinq étudiants sortent avec un double diplôme (HEC Paris et IIM Ahmedabad) chaque année. Le partenariat devrait d’ailleurs s’intensifier puisque l’IIM d’Ahmedabad, qui désire s’implanter à l’étranger (30 % de ses étudiants sont étrangers), a proposé à HEC Paris un partenariat à Singapour, ce qui témoigne du respect et de la confiance accordés à l’établissement français. Plus de cent vingt étudiants indiens sont inscrits à HEC Paris chaque année.
Ces étudiants brillants, avec ou sans expérience professionnelle, sont très rigoureusement sélectionnés. Les formations en MBA, qui existent depuis plus de trente ans, attirent un grand nombre d’étudiants indiens, qui représentent 15 à 16 % des effectifs, soit 35 élèves pour une promotion de 220 étudiants. Ils sont moins nombreux en formation « Grande école » (15 des 150 étudiants étrangers sont indiens sur un total de 550).
Afin de limiter la fuite de ses jeunes diplômés, HEC Paris a créé une filière franco-indienne qui permettrait aux entreprises françaises internationales, mais aussi indiennes, de recruter ses étudiants et participer ainsi à l’essor de cette filière. HEC a également conclu des partenariats avec des entreprises françaises (telles que Renault, associée également avec l’IIT d’Ahmedabad).
Il existe par ailleurs une coopération dynamique en matière d’enseignement entre les établissements français, publics et privés, et l’Inde dans certains secteurs bien déterminés. Les accords conclus marquent une évolution des secteurs de coopération, qui ne sont plus majoritairement les sciences sociales ou humaines, mais concernent maintenant les filières du management, de la haute technologie (énergie nucléaire, chimie moléculaire, nanosciences) ou de la mécanique appliquée. Cette orientation est bienvenue, car il convient de privilégier les secteurs d’excellence de l’université, de la recherche et de l’industrie françaises, afin de préparer et d’assurer l’avenir de nos échanges intellectuels et économiques. Concernant l’énergie nucléaire par exemple, l’Inde ne peut à ce jour mettre sur le marché de l’emploi, chaque année, que 500 étudiants formés aux sciences et techniques nucléaires. Il en faudrait trois à quatre fois plus pour satisfaire les besoins d’un pays qui souhaite se doter d’une capacité nucléaire de 20 GWe à l’horizon 2020.
Le secteur agricole donne lieu à des échanges intéressants. Il existe une coopération étroite avec l’université de G.B Pantnagar (Etat de l’Uttarkhand), une des plus grandes universités agronomiques d’Asie, dans les domaines technique et pédagogique, en matière de développement aquacole durable, avec des échanges bilatéraux qui se traduisent par l’envoi de 30 étudiants depuis 2004. Une trentaine d’étudiants sont également envoyés tous les ans en Inde, pour des durées allant de 6 semaines à 3 mois, au sein d’ONG (développement rural, foresterie, gestion de l’eau, biodiversité, agriculture biologique, spiruline, faune sauvage, aménagements paysagers, tourisme rural...) avec un lien particulier avec le centre d’écotourisme du parc national de Corbett qui est le premier parc national de l’Inde (Etat de l’Uttarkhand). Dans le cadre du consortium Toulouse Agricampus (regroupant ENVT, ENSAT, ENFA, EI-Purpan, INRA Toulouse), une coopération se développe avec l’Inde sous forme d’échanges d’étudiants, de professeurs et de projets de recherche, notamment avec le Central Food Technology Research Institute (CFTRI) de Mysore et le Loyola Academy Post Graduate College, à Hyderabad. Le Groupe ISA a lancé en partenariat avec le Loyola Collège de Chennai et la Christ University de Bengaluru un master de management et de transformation des produits agroalimentaires. Une trentaine d’étudiants indiens suivent ce master.
b) La création d’établissements franco-indiens : une possibilité sous-utilisée
Pour compléter et accompagner l’accueil en France d’étudiants indiens, une voie consiste à délocaliser des filières de grandes écoles ou universités françaises en Inde. CampusFrance étudie d’ailleurs cette possibilité.
Il convient de signaler au préalable l’existence du cas particulier de la filière scientifique d’excellence pour anglophones ouverte à la rentrée 2009 au lycée français de Pondichéry, qui participe du développement de la formation des élites nationales dans le cadre d’un projet de coopération structuré. Ce projet a été conçu en partenariat avec le réseau des Ecoles des Mines et a bénéficié du soutien de la direction des relations européennes et internationales, de la coopération du ministère de l’éducation nationale et du concours du lycée Louis Le Grand qui a participé à l’élaboration des tests de sélection et au recrutement des élèves indiens et étrangers anglophones. Cette filière correspond à un cursus scientifique bilingue français / anglais d’excellence, de la troisième à la terminale, débouchant sur un baccalauréat scientifique assorti d’une dimension internationale. Elle sert également à promouvoir l’enseignement supérieur français et à y ménager des prolongements post-bac. Le baccalauréat français étant reconnu en Inde, les élèves indiens pourront poursuivre leurs études en France ou envisager des parcours transnationaux dans les deux systèmes d’enseignement supérieur. Les élèves indiens ou anglophones issus de ces parcours pourront, à l’issue de leurs études universitaires, travailler en France ou dans les entreprises françaises en Inde.
Dans l’enseignement supérieur, l’implantation d’établissements français ou franco-indiens sera facilitée par la loi indienne portant sur l’ouverture de l’enseignement supérieur aux établissements étrangers, qui devrait bientôt entrer en vigueur. En effet, l’Inde, qui a toujours restreint le nombre d’établissements d’enseignement supérieur étrangers sur son territoire, pourrait autoriser les établissements étrangers à établir des campus dans le pays (bien que les établissements étrangers puissent, depuis 2000, investir dans le secteur de l’éducation en Inde, ils n’étaient toujours pas autorisés à proposer leurs diplômes). Les étudiants indiens sont intéressés par l’enseignement français – dont ils apprécient l’aspect holistique et les stages en entreprises proposés par nos établissements. Notre système d’enseignement est donc tout à fait exportable en Inde. La volonté des étudiants indiens de vivre une expérience internationale permet d’y intégrer un volet « mobilité ».
Cependant de tels projets nécessitent de trouver un équilibre financier entre, d’une part, des droits et frais d’inscription relativement bas en Inde, et d’autre part, les salaires des enseignants, dont le niveau correspond à celui pratiqué au plan mondial. Un tel projet n’est viable que si les coûts de fonctionnement de l’établissement sont financés par les droits d’inscription, à l’image de ce que l’Ecole centrale a fait à Pékin. C’est la raison pour laquelle M. Jean-Paul Larçon, responsable du partenariat stratégique de HEC Paris avec l’IIM d’Ahmedabad, a indiqué que son établissement n’était pour le moment pas intéressé par un tel projet.
Il n’existe à ce jour qu’un seul exemple d’établissement supérieur franco-indien : le Loyola-Icam College of Engineering and Technology à Chennai. Commencé à l’été 2008, le projet associe l’Institut catholique d’arts et métiers (Icam) au College of Arts and Sciences du Loyola College à Chennai, l’une des écoles les plus réputées dans l’enseignement académique. La convention de partenariat a été signée en avril 2009 et les premiers étudiants ont commencé leur scolarité en août 2010. L’objectif final de l’Icam est de former des ingénieurs internationaux et transculturels. Les entreprises industrielles françaises regrettent souvent le manque d’expérience opérationnelle des ingénieurs indiens. S’ils ont un excellent niveau de formation, leur manque de capacité à travailler en équipe et leur méconnaissance du monde de l’entreprise est un obstacle à une intégration professionnelle rapide. Beaucoup de grandes entreprises en Inde ont d’ailleurs leur propre école de formation. L’ambition du Loyola-Icam College of Engineering and Technology est au contraire de créer une filière adaptée aux besoins des entreprises.
De nombreux partenariats d’échanges d’étudiants et d’enseignants existaient déjà à l’Icam (une trentaine), mais, comme l’a expliqué son directeur général M. Jean-Michel Viot, créer une nouvelle école en Inde représente un investissement plus exigeant en termes humain et financier. D’abord, au niveau du Loyola-Icam College, l’objectif est d’arriver à former 3 000 étudiants simultanément, soit 600 par promotion (la formation dure cinq ans). Ensuite, l’implantation en Inde traduit l’ambition de générer des flux beaucoup plus importants entre les deux pays : environ 15 % des étudiants français iront étudier un an en Inde et 15 % des étudiants indiens viendront passer deux ans en France. Dans quinze ans, l’Icam aura ainsi formé 1 000 ingénieurs français ou indiens qui auront passé ensemble trois années de leur scolarité. L’Icam envisage à long terme de créer une antenne indépendante en Inde, parallèlement à la coopération dans le cadre du Loyola-Icam College, ce que devrait permettre la nouvelle loi indienne sur les universités.
Mais le projet emblématique d’une ambition française renouvelée en matière de partenariat éducatif et scientifique est celui de la création d’un IIT franco-indien au Rajasthan, qui rencontre bien des difficultés. Cinq IIT en partenariat existent déjà : avec le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Russie et les Etats-Unis. Il existe trois nouveaux projets : un avec la Chine, un avec le Royaume-Uni et le projet d’IIT au Rajasthan avec la France. Pour ce dernier, le gouvernement indien a déjà mis à disposition un terrain de plus de 280 hectares à 25 kilomètres du centre de Jodhpur pour la construction du campus définitif. Les travaux dureront plusieurs années. Par ailleurs, les autorités du Rajasthan souhaitent faire de Jodhpur un pôle pour les technologies de l’information.
L’IIT fonctionne actuellement sur un campus provisoire au MBM Engineering College à Jodhpur et compte 550 étudiants au total : 490 au niveau undergraduate, 46 au niveau master et 15 doctorants. Avec le lancement des enseignements de master en juillet 2011 et la présence d’étudiants inscrits en PhD cette année, l’IIT Jodhpur est désormais à même de proposer des collaborations de recherche. Trois « centres d’excellence » existent déjà : ils concernent l’énergie solaire, les technologies de l’information et de la communication et la science des systèmes. L’ouverture prochaine de trois nouveaux centres est annoncée, consacrés aux systèmes inspirés par la biologie, aux technologies de l’eau et à l’art, la culture et le patrimoine. Enfin, la création de deux centres supplémentaires est envisagée sur le changement climatique et le développement durable et sur la conception d’éco-villages.
Le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) a signé un accord (MoU) pour développer des projets communs sur plusieurs sujets, dont l’énergie solaire et le stockage de l’énergie. L’école d’ingénieur EPITA a initié une opération de tutorat sur les projets précis. Areva renouvelables s’est engagée à contribuer à hauteur de 6,75 millions d’euros en équipements pour les cinq prochaines années (technologie solaire thermique à condensation). ST Micro investira dans la réalisation de tablettes numériques à bas coût pour les écoliers, avec pour objectif la production de 10 millions de tablettes. C’est donc un projet autant universitaire qu’économique qui se met en place.
Un Consortium coordonné par la Conférence des écoles d’ingénieurs (Cedefi) a été constitué à partir de 2008 et sa charte adoptée le 19 novembre 2009. Il a d’abord été présidé par M. Alain Bravo, qui a rédigé avec le directeur de l’IIT un document-cadre (« project overview document »), puis depuis septembre 2010 par M. Christian Lerminiaux, directeur de l’université de technologies de Troyes. En août et septembre 2010, six enseignants-chercheurs de différents établissements du Consortium ont participé aux enseignements du premier semestre 2010-2011.
Cependant, ce projet a pris du retard, ce que déplorent les autorités indiennes. Le nouvel ambassadeur d’Inde en France, M. Rakesh Sood a fait part, comme son prédécesseur, d’une certaine déception. Chaque gouvernement devait initialement injecter trois millions d’euros. Un financement français à hauteur de 10 % des investissements de l’IIT, soit 20 millions d’euros sur 10 ans, est considéré par les Indiens comme un minimum. Ces deux millions d’euros annuels devraient selon eux permettre de financer la création de trois ou quatre centres de recherche conjoints dans les domaines des technologies pour la santé, des technologies pour l’information et des énergies renouvelables et l’envoi de six à huit enseignants-chercheurs seniors par demi-semestre ou plus si possible. Telle était en tous les cas la demande indienne. 50 missions d’enseignements de sept semaines par an étaient aussi attendues.
Le ministère des affaires étrangères et européennes dispose cependant d’une ligne budgétaire pour l’ensemble de ses actions de coopération de par le monde. Cela contraste avec la procédure allemande puisqu’il suffit en Allemagne de s’adresser au ministère compétent au fond, en l’espèce le ministère de l’éducation. Il faut rappeler que l’Allemagne a aidé, dès 1958, à la création de l’IIT de Madras, devenue Chennai. Quant aux établissements universitaires, ils n’ont pas l’assurance de disposer des budgets nécessaires pour financer les missions d’enseignement demandées.
Le plus problématique est sans doute que les Indiens attendent finalement assez peu de moyens financiers de la part de la France, mais sont avides d’excellence : ils recherchent de l’expertise, de la qualité, peut-être des équipements et surtout du transfert de connaissances, tout ce que la France et ses entreprises sont en mesure d’apporter. Les partenaires indiens ont le sentiment d’un certain attentisme : le gouvernement français attendant que les entreprises s’impliquent, ces dernières attendant des engagements du gouvernement français. Les errements français sur le projet suggèrent un manque de cohérence et finalement un défaut d’ambition, qui pourrait affecter durablement la relation franco-indienne, l’IIT devenant une « vitrine à l’envers ».
Pourtant ce projet peut encore aboutir dans de bonnes conditions. Les travaux de mise au point d’un plan de financement se poursuivent sous l’autorité de M. Christian Lerminiaux, qui a été chargé de dégager les grandes lignes d’une lettre d’intention entre les deux pays permettant de jeter, enfin, les bases d’un accord entre le consortium et l’IIT :
– une reconnaissance mutuelle des diplômes serait mise en place progressivement ;
– un groupe de travail entre l’IIT et le consortium français est constitué pour mettre en œuvre les actions décrites dans le document-cadre et se rencontrera à cet effet au moins une fois par an ;
– un comité de coordination (« project coordination committee ») est mis en place afin de coordonner le projet ;
– au cours des cinq prochaines années, au moins cinq unités mixtes internationales franco-indiennes seront mises en place.
Le plan de financement porterait sur 20 millions d’euros, 10 % du coût de l’IIT, conformément à la demande indienne minimale. La charge annuelle du financement serait ainsi répartie :
– 250 000 euros pour le ministère des affaires étrangères. S’y ajoutent un assistant technique, logé dans l’IIT, dont la fonction est de coordonner l’action des différents acteurs, et une tutrice de français déjà sur place. Il serait souhaitable que l’assistant technique puisse être mis à disposition dès à présent, afin notamment d’assurer la communication adéquate, mais la partie indienne souhaite attendre que l’ensemble du plan de financement soit validé ;
– 250 000 euros pour le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ;
– 500 000 euros pour le consortium d’établissements qui financeraient les formateurs sur place et l’accueil des étudiants en France ;
– un million d’euros pour les entreprises participantes.
Il convient toutefois de souligner qu’une partie des sommes mises à disposition par les ministères permettra de prendre en charge la mobilité des étudiants vers la France, comme le souhaite le consortium, ce qui réduit d’autant le financement des formations sur place. Le volume horaire demandé par la partie indienne pourra difficilement être atteint, sauf à ce que la participation des entreprises soit suffisante et contribue au financement des formations.
C’est la participation des entreprises qui est actuellement à l’ordre du jour des réunions organisées en France pour permettre une finalisation du dossier lors de la visite en Inde du Premier ministre, attendue pour février 2012, c’est-à-dire la signature de la lettre d’intentions et le lancement officiel de l’IIT.
c) Des résultats globaux très en deçà d’objectifs pourtant peu ambitieux
Le nombre d’étudiants étrangers en France a crû de 63 % depuis l’année universitaire 2000-2001 et atteint aujourd’hui 284 659, soit 12,3 % de la population étudiante totale, plaçant la France en troisième position mondiale, derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni, mais devant l’Allemagne. Dans ces conditions, la perspective n’est plus seulement quantitative mais aussi qualitative. L’accent doit désormais porter sur le développement de la mobilité guidée par l’excellence et le renforcement de l’attractivité de notre enseignement et de notre pays à l’égard des étudiants qui formeront l’élite mondiale de demain, particulièrement dans les grands pays émergents.
Or, la France n’est aujourd’hui qu’au huitième rang en termes d’accueil d’étudiants indiens, après les Etats-Unis, l’Australie, le Royaume-Uni, la Nouvelle Zélande, l’Allemagne, l’Ukraine et Chypre. Les établissements français accueillent autour de 2 000 étudiants indiens, alors qu’ils sont près de 45 000 au Royaume-Uni, et 110 000 aux Etats-Unis. La forte présence des étudiants indiens dans ces pays s’explique par des liens historiques ou encore le partage d’une même langue, mais un tel raisonnement ne vaut pas avec l’Allemagne. Or ce pays accueille 4 200 étudiants indiens par an.
Lorsque l’on analyse les coopérations existantes avec la France, on ne peut qu’être frappé par le faible nombre d’étudiants concernés chaque année, surtout si on le compare au nombre d’étudiants indiens diplômés chaque année. Les MoU se sont multipliés mais génèrent des flux très modestes. Même l’excellent projet d’établissement conjoint entre l’Icam et le Loyola College ne permettra de disposer dans quinze ans que d’une filière de 1 000 ingénieurs français ou indiens formés par l’Icam. La comparaison avec la Chine est éclairante : 29 122 étudiants chinois ont été accueillis dans des établissements d’enseignement supérieur français en 2010, dont 20 752 dans les universités.
Les difficultés relatives à la mise en place du projet d’IIT au Rajasthan sont symptomatiques de la faiblesse du dispositif français au regard des enjeux. Il convient de changer d’échelle.
Lors de sa visite en Inde de décembre 2010, le président français avait assigné comme objectif un triplement du nombre des étudiants en France, pour passer à 6 000 dès 2013. Cet objectif paraît plus que difficile à atteindre alors même qu’il apparaît peu ambitieux. En outre, les chiffres disponibles, qui sont présentés ci-après, semblent parfois contradictoires et contribuent au sentiment d’une relative opacité. La méthode de comptabilisation des étudiants accueillis, des bourses consenties et l’agrégation de réalités très différentes, notamment en termes de durée et de modalités de séjour, ne permettent pas de disposer d’une vision claire de la tendance.
Selon les informations données par CampusFrance, le nombre d’Indiens étudiant en France serait passé de 50 en 1998 à 1 858 en 2010, dont 785 en universités. CampusFrance espère doubler ce nombre sous peu. L’ambassade de France à Delhi comptabilise pour sa part 1 985 étudiants indiens accueillis en France en 2010 et 2 445 en 2011. L’augmentation serait donc très encourageante, (+23 %). L’Ambassade de France se fonde sur le nombre de visas de court et de long séjour délivrés à des étudiants qui suivent un cursus académique et/ou une formation professionnelle, étant précisé qu’il n’est pas obligatoire de passer par CampusFrance pour ce qui relève des visas de court séjour. Ainsi, en 2011 ce sont 872 visas de court séjour qui ont été délivrés à des étudiants indiens.
Contrairement aux étudiants chinois fréquentant surtout l’université, les étudiants indiens suivant leur cursus en France sont majoritairement inscrits en grandes écoles, grâce notamment à des accords d’échange et de partenariat qui drainent environ 40 % des étudiants. 70 % des étudiants indiens suivent initialement un cursus dans un établissement indien d’enseignement (IIT ou IIM). Conformément aux orientations définies, près de 85 % des étudiants indiens accueillis sont au niveau master, parmi lesquels 30 % se rendent dans une école d’ingénieur et 50 % dans une école de commerce, souvent en complément de leur formation initiale d’ingénieurs. Les étudiants qui choisissent un cursus commercial sont le plus souvent des ingénieurs diplômés des instituts d’élite désireux d’acquérir un savoir-faire en matière de gestion des affaires et ayant un projet de création d’entreprise.
Evolution des effectifs d’étudiants indiens
par niveau dans les universités françaises
Source : CampusFrance.
Evolution du nombre de visas délivrés depuis 2007
à des étudiants indiens
Source : ministère de l’intérieur, d’après CampusFrance.
Nombre de visas délivrés en 2011 à des étudiants indiens
Circonscription consulaire |
Visas de court séjour |
Visas de long séjour |
Visa hors procédure CEF | |||
Délivrés |
Refusés |
Délivrés |
Refusés |
Délivrés |
Refusés | |
Delhi |
472 |
18 |
562 |
60 |
– |
– |
Calcutta |
105 |
0 |
128 |
0 |
0 |
0 |
Bombay |
130 |
0 |
361 |
36 |
15 |
0 |
Bengaluru |
84 |
0 |
220 |
5 |
62 |
0 |
Pondichéry |
81 |
7 |
225 |
6 |
– |
– |
Total |
872 |
25 |
1 496 |
107 |
77 |
0 |
Etudiants procédure CEF |
328 |
1 603 |
0 | |||
Etudiants hors procédure CEF |
569 |
0 |
77 |
Source : ambassade de France en Inde.
En 2010, 348 bourses du gouvernement français ont été accordées à des ressortissants indiens. Les durées de séjour en France se répartissent de façon à peu près égale selon trois périodes : une centaine d’étudiants séjournent une année universitaire (soit deux semestres), une centaine durant deux années universitaires et le troisième tiers pour des séjours de moins de quatre mois. La moitié des étudiants boursiers étudie dans le domaine de l’ingénierie, une centaine dans celui du commerce et de la gestion, une dizaine en sciences théoriques, une dizaine en sciences politique ou droit et, enfin, une dizaine en français. Quelques étudiants ont obtenu des bourses pour suivre des cours spécifiques dans le domaine des arts, du cinéma et de l’architecture.
Evolution du nombre de bourses sur cinq ans
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2010/2005 |
2010/2009 |
326 |
305 |
417 |
347 |
385 |
348 |
+ 7 % |
- 10 % |
Source : ministère des affaires étrangères et européennes.
L’évolution des bourses accordées aux étudiants indiens est globalement marquée par une augmentation (+ 7 % depuis 2005), mais cette évolution est irrégulière. Cela s’explique notamment par la fin des récurrences de bourses qui font chuter le nombre total des bourses une année donnée. Cet effet devrait toutefois être compensé par la part des bourses de courte durée. Cette explication ne peut en tout état de cause pas cacher la faible progression en nombre absolu : il n’y a que 22 bourses de plus en 2010 par rapport à 2005.
Surtout, en 2011, ce sont 333 étudiants indiens seulement qui ont été sélectionnés pour des séjours d’études de courte et longue durée. Issus d’établissements d’enseignement supérieur d’excellence (comme les Indian Institutes of Technology ou les Indian Institutes of Management), ces étudiants ont majoritairement opté pour des cursus de gestion et de sciences de l’ingénieur au sein des grandes écoles de commerce et d’ingénieurs ainsi que dans les universités reconnues dans la filière choisie.
Le projet de loi de finances pour 2012 adopté par l’Assemblée nationale en première lecture prévoit une rallonge budgétaire de 1,3 million d’euros au titre des bourses accordées aux étudiants étrangers, dont 120 000 euros d’enveloppe globale pour certains pays, dont l’Inde et la Chine, considérés comme prioritaires pour le développement de notre influence. Espérons que cela permettra d’augmenter significativement le nombre de boursiers indiens.
Les bourses octroyées en 2011 (58) Concernant les bourses d’excellence de l’ambassade de France, ont été accordées : 28 bourses de stage, 50 bourses d’échange, 66 bourses de long séjour, auxquelles viennent s’ajouter les 107 récurrences permettant une prolongation d’études, soit 251 bourses au total contre 105 en 2010. Leur nombre remonterait donc au niveau de la période 2007-2009. S’y ajoutent les douze bourses dites Alliances françaises de l’ambassade, attribuées à des apprenants de français, et de onze bourses doctorales dans les domaines des mathématiques, des nanotechnologies et des sciences de l’eau. Ces bourses de recherche étaient nettement plus nombreuses il y a cinq ans (environ 50 pendant la période 2006-2088). 18 bourses sont également co-financées par l’ambassade pour les masters du Consortium Franco-Indien des Universités. Depuis la création de la première bourse co-financée Thalès/MAEE en 2006, sept autres programmes ont vu le jour : les bourses Orange/MAEE, DCNS/MAEE, Alten/MAEE pour les études d’ingénieur, fondation Krisnakriti/ ambassade de France en Inde pour les beaux-arts, Air Liquide/MAEE pour les études d’ingénierie et Neemrana/ambassade de France en Inde pour les études musicales. Le dispositif est cependant en reflux. En 2010, la société de conseil en ingénierie Alten a en effet décidé de ne plus offrir de nouvelles bourses. Elle a été suivie par le groupe Thalès et l’expert naval DCNS. Après 29 nouvelles bourses en 2010, seules 11 ont été attribuées en 2011, dont 5 chez Orange, 2 pour Air Liquide, 2 de la part de la Fondation Krishnakriti et 2 encore du côté de la Fondation Neemrana. L’entrée cette année de CGC Veritas (spécialiste de l’exploration des sols) présageait une petite augmentation. Mais les 4 bourses ouvertes à l’Inde, l’Egypte et le Liban, n’ont au final pas profité aux six candidats indiens en lisse. Il est à craindre que le contexte économique international entraîne encore un recul des programmes. Le nombre d’étudiants sélectionnés pour l’Inde dans le cadre du programme « Eiffel » est relativement stable d’une année sur l’autre. Dans sa nouvelle formule, le dispositif permet de financer une formation de niveau Master ainsi qu’une mobilité de dix mois dans le cadre d’une co-tutelle ou co-direction de thèse (de préférence la 2ème ou 3ème année du doctorat). Près de 150 Indiens ont décroché cette bourse depuis 2005, dont 20 en 2011. Il est difficile, à ce stade, de faire une prévision du nombre de lauréats en 2012 car le choix est effectué chaque année, sur dossier, à partir de trois critères de sélection : la qualité académique, la politique à l’internationale de l’établissement d’accueil et la priorité géographique du ministère (sur ce dernier point l’Inde a la note maximum). Cinq étudiants indiens ont bénéficié du programme Excellence « Major » géré par l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger lors de l’année scolaire 2010/2011. Enfin, le programme d’accueil « Master » Ile-de-France est pour l’heure la seule bourse de région à laquelle l’Inde est éligible. Il a pour vocation d’accompagner les Indiens poursuivant un cursus de master dans un établissement d'enseignement supérieur en Île-de-France quel que soit le domaine d’études choisi à l’exception toutefois des cursus en mastères spécialisés, magistères, master of business administration et master of science. Une soixantaine d’étudiants ont pu en profiter depuis 2006, dont dix en 2011. |
Afin de parvenir à un nombre d’étudiants en France cohérent avec les enjeux, qui nous permettra en retour d’améliorer notre place en Inde, plusieurs actions peuvent être conduites pour renforcer l’attractivité de notre pays.
Naturellement, la promotion de nos établissements d’enseignement supérieur est essentielle. Elle doit inclure les actions de promotion proprement dites (salons, présence dans les établissements en différents points du territoire indiens, missions), une politique volontariste de bourses et une diversification des mobilités proposées. Par exemple, comme l’a suggéré M. Christophe Jaffrelot, des partenariats pourraient être développés dans le domaine du droit, puisque l’Inde dispense une formation juridique de très grande qualité. L’université privée de Sonepat, au Pendjab, forme de très bons juristes. L’excellence de la formation est reconnue internationalement comme en atteste le fait que de nombreuses entreprises américaines ont recours aux juristes indiens pour la gestion de leurs dossiers. L’Inde compte cinq Law Schools, dont les trois plus grandes sont situées à Delhi, Hyderabad et Bengaluru. Il serait ainsi intéressant de mettre en place une école professionnelle du droit qui permette aux étudiants français de mieux comprendre la common law, ce qui devient indispensable avec la mondialisation. Ce type de projet pourrait inclure une université et l’École nationale de la magistrature.
Par ailleurs, mieux vaut attirer des étudiants non francophones avec des formations dispensées en anglais et leur dispenser des cours de français, que de se priver, par dogmatisme, de l’accueil de ces étudiants étrangers qui formeront l’élite de demain. Cela est particulièrement évident dans les matières scientifiques pour lesquelles les publications sont de toutes façons essentiellement anglophones. Pour rendre les enseignements français plus attractifs, CampusFrance a travaillé depuis 2007 au développement de formations totalement ou partiellement assurées en anglais, comme cela se fait en Allemagne. Il en existe près de 700 aujourd’hui, principalement dans les secteurs du management, de la gestion ou encore de l’ingénierie. Cette volonté de séduire les étudiants indiens – qui n’ont alors plus à se soucier de l’apprentissage du français que pour les besoins de la vie quotidienne – place cependant CampusFrance dans l’illégalité au regard de la loi nº 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite « loi Toubon ». La langue de l’enseignement ainsi que des thèses est le français selon la loi, sauf exceptions : les établissements dispensant un enseignement « à caractère international » ne sont pas soumis à cette obligation, de même que ceux accueillant un minimum d’étudiants ou professeurs étrangers. L’offre de formations en anglais doit être encore élargie pour attirer les étudiants étrangers et s’accompagner d’un enseignement du français lors du séjour en France et – si possible – dans les mois qui précèdent la venue des étudiants indiens, notamment par le biais des Alliances françaises.
La question des moyens doit aussi être posée. Le marché de la mobilité étudiante est terriblement concurrentiel et il faut avoir conscience que la France est en compétition avec de nombreux autres pays souhaitant accueillir des étudiants indiens. Ces pays disposent souvent de fonds plus importants pour les attirer. Le Royaume-Uni, malgré des liens historiques avec l’Inde et la formation anglaise reçue par de nombreuses personnalités indiennes, va au devant des étudiants indiens et promeut ses universités par le biais notamment de son personnel – près de cinquante personnes – du British Council de Delhi et l’organisation de quatre salons par an (le British Council dispose de neuf bureaux en Inde et de 15,6 millions d’euros de budget en 2008). 700 bourses sont attribuées chaque année. L’Allemagne se dote aussi des moyens d’assurer la promotion de son enseignement supérieur une fois par an et de nommer des enseignants-chercheurs comme assistants dans les universités étrangères, lesquels vont dispenser des enseignements « standards » et promouvoir le mode d’enseignement allemand. Ils sont aussi chargés de repérer les meilleurs étudiants, auxquels ils proposent des bourses pour poursuivre leurs études en Allemagne. Celle-ci accueille 4 200 étudiants indiens, dont 1 000 doctorants, et dispose de 8 millions d’euros pour financer 1 000 bourses par an. Les crédits de l’ambassade de France en Inde pour la coopération universitaire ne s’élevaient en 2011 qu’à près de 700 000 euros pour l’attractivité et l’enseignement supérieur et 450 000 euros pour les bourses (2,2 millions d’euros pour la recherche scientifique). Le budget français pour l’ensemble des bourses attribuées aux étudiants indiens était l’an passé de 1,06 million d’euros.
Les budgets sont contraints, la Mission en a conscience, et la situation de la France n’est actuellement pas celle de l’Allemagne. Sans doute la réorientation de la politique française de mobilité étudiante en direction des pays émergents pourrait être poursuivie, afin de faire bénéficier de bourses plus d’étudiants indiens, qui font en outre l’objet d’une sélection rigoureuse en termes de niveau d’études, ce qui n’est pas le cas pour d’autres pays. Cela ne permettra cependant pas de disposer de moyens équivalents à ceux de l’Allemagne. C’est pourquoi des pistes alternatives doivent être explorées.
Il est d’abord opportun de convaincre le gouvernement indien de l’intérêt de l’Inde à disposer d’étudiants ou de jeunes diplômés formés en France afin qu’il s’engage également à soutenir la démarche de ses étudiants. Le coût de la scolarité en France étant négligeable, l’attribution de bourses par le gouvernement indien pour aider des jeunes à venir se former dans notre pays ne serait pas aberrante. Cette question est évoquée dans le cadre du projet d’IIT au Rajahstan, les établissements français du consortium souhaitant pouvoir former en France une partie des étudiants de l’IIT, pris en charge dans le système actuel par la France. Le gouvernement indien ne semble pas convaincu, d’autres pays fournissant il est vrai cet effort pour attirer les meilleurs étudiants du monde. Cette piste ne doit cependant pas être abandonnée. L’Inde est un pays émergent et non plus un pays en voie de développement. Une telle initiative n’a de chance d’aboutir que si le secteur privé s’y associe.
Concernant la participation du secteur privé, outre les discussions en cours sur l’IIT franco-indien, il faut souligner le fait que le Conseil présidentiel franco-indien des entreprises s’est saisi de cette question. Le secteur de l’éducation a donné lieu à un rapport d’une « task force », dont l’objet était de formuler des recommandations pour accroître les échanges d’étudiants dans l’éducation supérieure entre les deux pays, dans la lignée des objectifs fixés par la déclaration conjointe franco-indienne de décembre 2008. Les propositions résultant de ces travaux consistent à mettre en place des bourses pour les étudiants pour l’accomplissement de stages de trois à six mois dans les domaines scientifique et technologique, à inciter à la venue de doctorants et d’enseignants-chercheurs pour promouvoir les collaborations en matière de recherche sur des périodes plus longues en début de carrière (co-direction de thèse, doctorats conjoints) et à assurer un engagement financier des entreprises. EADS et Wipro ont prévu un engagement financier à hauteur de 200 000 euros au titre du lancement de cette initiative : 70 000 euros pour les stages et 130 000 pour des collaborations dans le secteur de la recherche. Le consortium ParisTech, déjà mentionné, et sept IIT indiens ont salué l’initiative et ont indiqué être prêts à travailler ensemble pour concrétiser les échanges. La prochaine réunion du Conseil prévue pour janvier 2012 devrait permettre de poursuivre ces travaux. La Mission ne peut que soutenir cette approche.
Par ailleurs, l’environnement juridique est un élément déterminant de l’attractivité d’un pays. La politique française en matière de visas pose des difficultés. La politique de développement de l’accueil des étudiants étrangers en France a été accompagnée d’un assouplissement des règles relatives au séjour très précieux pour les étudiants. Ainsi, la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration a prévu la possibilité pour les étudiants étrangers (sauf pour les étudiants algériens qui restent soumis aux dispositions de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié), d’exercer, à titre accessoire, une activité professionnelle salariée dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle.
Elle a également introduit, à l’article L. 311-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la possibilité, pour l’étranger qui a achevé avec succès dans un établissement d’enseignement supérieur habilité au plan national un cycle de formation conduisant à un diplôme au moins équivalent au master, de se voir délivrer une autorisation provisoire de séjour (APS) d’une durée de validité de six mois non renouvelable. Cette possibilité concerne des personnes qui souhaitent, dans la perspective de leur retour dans leur pays, compléter leur formation par une première expérience professionnelle, participant directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont elles ont la nationalité. Pendant la durée de cette autorisation, le titulaire de l’APS est autorisé à chercher et, le cas échéant, à exercer un emploi en relation avec sa formation et assorti d’une rémunération supérieure à 1,5 fois le salaire minimum.
Cependant, les visas les plus facilement obtenus par les jeunes sont des visas de court séjour, d’une durée de trois mois, ce qui est trop bref pour suivre un enseignement de qualité. Certains établissements se sont adaptés et proposent des formations s’étalant sur 80 jours. Mais il est évident que si un étudiant souhaite rester plus longtemps – pour effectuer un stage notamment – il lui faut recommencer les démarches administratives. Par ailleurs, le délai que la loi de 2006 accorde aux jeunes diplômés est souvent insuffisant pour permettre à la fois la recherche d’un stage et son accomplissement. En tout état de cause, il ne concerne que les stages, les étudiants indiens étant, comme les autres, soumis aux difficultés d’obtention d’un titre de séjour, encore récemment accrues, lorsqu’il s’agit d’occuper un emploi durable en France. C’est une des questions qui pourrait être traitée dans le cadre du prochain accord sur les migrations professionnelles évoqué supra.
Enfin, une liste d’anciens étudiants constituerait à n’en pas douter un outil susceptible de mettre à disposition de nos entreprises un réseau d’étudiants passés par le système d’enseignement français et d’offrir à ces mêmes étudiants des opportunités de partenariat avec des Français, y compris pour des projets conjoints d’investissement dans d’autres pays. Un site Internet et une association !FAN (Indo French Alumni Network) ont été créés le 26 janvier 2008, qui comptent 7 000 anciens étudiants, stagiaires et boursiers indiens inscrits. Il se substitue à un annuaire papier en 1998 (1 506 anciens recensés) et aux trois réseaux qui existaient depuis lors (comptabilisant 365 anciens boursiers, 1 071 anciens étudiants, 855 anciens stagiaires). Il améliore la diffusion des informations sur l’offre française d’enseignement supérieur parmi un public des nouveaux étudiants ainsi que dans les entreprises indiennes et françaises implantées en Inde.
Cependant, le site Internet ne recense que 2 074 membres enregistrés, la liste n’est pas mise à jour et l’association a une activité limitée. La France n’a pas cette culture des listes, et nombreux sont les établissements universitaires ne connaissant ni le nombre d’étudiants étrangers inscrits, ni la date de leur départ. C’est pourquoi, il faut mettre en place un dispositif pour faire vivre une telle liste. Le budget dont CampusFrance dispose n’est pas assez important pour employer du personnel chargé de dresser la liste desdits étudiants et de la tenir à jour, ni a fortiori d’animer un tel réseau. L’inexistence d’une telle liste est d’autant plus regrettable que l’agence a pu mettre en place un réseau d’étudiants chinois. Depuis cinq ans, les étudiants souhaitant poursuivre leurs études en France bénéficient d’un service payant d’instruction de leur dossier de visa – auprès du centre pour les études en France. Les recettes ainsi dégagées par les bureaux CampusFrance en Chine sont très importantes et ont permis la création d’un club France-Chine, réseau animé par quinze personnes. L’idéal serait bien évidemment de pouvoir mettre en place ce type de structures partout.
– Fixer un objectif de 20 000 étudiants indiens par an en 2025 en utilisant les moyens suivants :
- poursuivre le rééquilibrage des moyens publics en faveur de l’Inde pour la promotion de l’enseignement français et pour l’octroi des bourses ;
- développer l’offre de cours en anglais, notamment dans les matières scientifiques et le cas échéant en aménageant la loi Toubon ;
- faciliter les formations en français, en Inde et en France, pour les étudiants bénéficiant de bourses ou de programmes d’échanges notamment pour leur permettre de travailler par la suite en France ou avec des réseaux français ;
- assouplir les conditions de visa pour les étudiants ou post-diplômés de certains pays prioritaires en matière d’accueil, dont l’Inde, pour assurer une présence un peu plus longue et « professionnalisante » ;
- engager l’Inde vers la voie d’un partage des coûts en matière de bourses ;
– créer un véritable suivi des étudiants étrangers, utiles autant pour alimenter la dynamique des échanges d’étudiants, que pour crée un vivier à la disposition de nos entreprises et de nos politiques ;
– inciter à la création d’établissements franco-indiens afin de former des étudiants susceptibles d’être embauchés par nos entreprises ; inciter lesdites entreprises à s’associer à ces initiatives ;
– mener à bien le projet d’IIT au Rajasthan pour démontrer l’importance accordée par la France au développement du partenariat éducatif et scientifique avec l’Inde.
C – Créer les conditions de liens économiques profonds et durables
Les relations économiques entre la France et l’Inde se sont développées dès l’arrivée au pouvoir d’Indira Gandhi dans la seconde moitié des années 1960, dans le cadre d’un partenariat économique débouchant notamment sur la signature de plusieurs contrats avec des entreprises françaises, comme Alstom ou Peugeot. Ces bonnes relations économiques se sont cependant rapidement détériorées, les entreprises rencontrant de plus en plus de difficultés dans la bonne exécution de leur contrat (telles que des défauts de paiement).
Ce n’est que depuis dix ans qu’on assiste à un renouveau véritable des relations économiques entre les deux pays. La raison tient principalement à la prise de conscience du poids économique de l’Inde. L’image du pays, jusqu’alors marquée par Gandhi et Mère Terésa, a évolué, notamment grâce à l’exportation des films produits par Bollywood, à l’informatique, à la présence de grands groupes industriels indiens en Europe, ou encore à la popularisation du groupe des BRIC. Le voyage officiel en février 2003 de M. Jean-Pierre Raffarin, alors Premier ministre, le développement des liens entre le MEDEF et des organisations indiennes similaires (la CII – Confederation of Indian Industry – et la FICCI – Federation of Indian Chambers of Commerce and Industry) puis surtout la visite présidentielle de Nicolas Sarkozy en décembre 2008 ont permis de consolider les relations économiques bilatérales et de leur faire prendre de l’ampleur.
Progressivement, les liens économiques entre la France et l’Inde se renforcent, notamment au travers d’une politique active de grands contrats stratégiques. Cependant, le volume des échanges et des investissements demeure modeste par rapport aux potentialités de l’Inde. La tendance est extrêmement positive, mais ce mouvement est mal structuré et ne draine que trop peu d’entreprises petites et moyennes, pour des raisons qui tiennent en partie au marché indien lui-même. C’est la raison pour laquelle, l’amélioration de la place de la France en Inde passe par la poursuite de l’ouverture de l’Inde, par un accompagnement très fin de nos entreprises sur ce marché et par un renforcement des liens entre les communautés d’affaires.
1) Des relations économiques insuffisamment développées qui traduisent une présence récente
La présence française en Inde demeure globalement faible, particulièrement si on la compare à la présence en Chine, malgré une part de marché légèrement supérieure (1,5 % contre 1,23 %). Alors que la Chine et l’Inde étaient dans des situations comparables dans les années 1970, légèrement plus favorables à la seconde, les échanges commerciaux franco-chinois, qui atteignent 48 milliards d’euros, sont aujourd’hui six fois plus élevés que les échanges commerciaux franco-indiens, qui sont compris entre 7 et 8 milliards d’euros. En réalité, en dépit des liens historiques franco-indiens, longtemps matérialisés par les comptoirs français en Inde, la France n’est présente économiquement en Inde que depuis peu de temps : les échanges économiques bilatéraux ne sont notables que depuis une vingtaine d’années, en cohérence avec l’élévation du niveau de développement du pays et le choix de l’ouverture.
Afin de faciliter les investissements, l’Inde et la France ont signé plusieurs accords : un accord bilatéral de promotion et de protection des investissements (BIPA) en 2000 et une convention de non double imposition en 1992. Un protocole d’accord a également été signé en juillet 2006 en matière de droits de propriété intellectuelle. Lors de la visite à Paris du Premier ministre indien en septembre 2008, une convention de sécurité sociale a été conclue avec la France, laquelle est entrée en vigueur le 1er juillet 2011. Un comité mixte de coopération économique et technique a été mis en place en 1976. Bon nombre de groupes de travail mixtes ont vu le jour au plus haut niveau, dans des secteurs tels que le développement urbain, les routes, l’agriculture, l’énergie, le charbon, l’exploration minière, la poste, les télécommunications, le chemin de fer et l’environnement.
La France accuse un retard important en matière d’échanges commerciaux avec l’Inde, mais les investissements français en Inde se sont fortement accrus, de même que le nombre d’entreprises françaises sur place, sans pour autant rattraper encore le niveau atteint avec la Chine. Il ne faut pas oublier que l’attrait pour l’Inde est plus récent, de même que son ouverture aux investissements et produits étrangers, qui reste incomplète.
Quelques chiffres clés
Inde |
Chine | |
Exportations françaises |
2,90 milliards d’euros en 2010 |
11 milliards d’euros en 2010 |
Importations françaises |
4,13 milliards d’euros en 2010 |
36,9 milliards d’euros en 2010 |
Déficit commercial France |
1,23 milliard d’euros en 2010 |
25,9 milliards d’euros en 2010 |
Part de marché de la France |
1,5 % en 2009/10 |
1,23 % en 2010 |
Nombre d’entreprises françaises |
748 en 2009 |
> 1 200 en 2008 |
Investissements français (flux) |
476 millions d’euros en 2009 348 millions d’euros en 2010 |
1 303 millions d’euros en 2009 1 438 millions d’euros en 2010 |
Stock d’investissements directs étrangers |
2 257 millions d’euros en 2009 2 274 millions d’euros en 2010 |
8 350 millions d’euros en 2009 10 617 millions d’euros en 2010 |
Source : direction générale du Trésor d’après les données de la Banque de France 2011.
a) Des échanges commerciaux en progression mais encore modestes
Au cours de la visite en Inde de Nicolas Sarkozy en janvier 2008, a été fixé l’objectif de doubler le commerce bilatéral entre 2008 et 2012 pour passer de 6,14 milliards d’euros à 12 milliards d’euros. Le Premier ministre indien Manmohan Singh et le président français Nicolas Sarkozy ont réaffirmé cette ambition lors de la visite du leader indien en France en septembre 2008 et à nouveau à l’occasion du déplacement du président français en Inde en décembre 2010. Des efforts considérables devront être fournis de part et d’autre afin d’atteindre cet objectif, mis à mal par la crise.
Nos échanges commerciaux demeurent limités, quoiqu’ils aient enregistré un rebond significatif en 2010 (+ 30,7 %) pour s’établir à 7 milliards d’euros. La reprise se confirme au premier semestre 2011, certes à un niveau inférieur (+ 13,5 % en glissement 2010). Les effets de la crise, qui se sont traduits par un effondrement en 2009 (– 21,5%), semblent donc derrière nous. Une telle pente permettrait de s’approcher, avec 11 milliards d’euros d’échanges en 2012, des objectifs fixés dans la déclaration conjointe de janvier 2008. Mais la France demeure encore loin de son voisin allemand qui affiche des échanges commerciaux de 15,4 milliards d’euros avec l’Inde en 2010 et ambitionne d’atteindre les 20 milliards d’euros en 2012. Les exportations allemandes étaient de 9,2 milliards d’euros en 2010 et les importations de 6,2 milliards, traduisant des progressions respectives de 13,6 et 18,2 %.
Nos échanges avec l’Inde sont déséquilibrés. Ce sont d’ailleurs les importations françaises qui ont progressé de 20,8 % au premier semestre 2011, en raison notamment de la mise en fonctionnement en 2010 en Inde de la plus grande raffinerie du monde (appartenant à Reliance industries Ltd), ces achats représentant désormais le quart de nos importations. Nos exportations ne s’accroissent, elles, que faiblement (+ 2,3 %), grâce aux matériels de transport. La balance commerciale a atteint un excédent maximum en 2007 à 540 millions d’euros avant que la forte hausse des importations (4,13 milliards d’euros en 2010) et la dégradation des exportations (2,90 milliards en 2010) n’aboutissent à une balance systématiquement négative pour notre pays. Le déficit commercial était déjà de 1,2 milliard d’euros en 2010. Il devrait se creuser plus encore cette année. La reprise des livraisons aéronautiques attendue à partir de 2012 et les exportations d’équipements nucléaires au-delà de 2014 (cf. supra) devraient toutefois inverser la tendance.
Il convient à ce stade de souligner la part importante de l’aéronautique dans nos échanges, avec une forte accélération des livraisons d’Airbus attendue à compter de 2012 : elles passeront de 15 à 20 appareils par an à 30 à 50 appareils par an jusqu’en 2020. Elles résultent des commandes passées en 2005 et des livraisons liées aux contrats signés en décembre 2010 (Indigo a commandé 180 A320) ainsi que lors du dernier salon du Bourget (Go Airlines a commandé 72 A320 en juin 2011). Malgré l’endettement des compagnies indiennes, la profitabilité de Jet Airways, Indigo, Go Airlines leur permet d’honorer leurs commandes ou d’en envisager de nouvelles (c’est le cas de Jet Airways qui envisage la commande de six A330). Le groupe UB, dont l’activité principale est la production de bière et de spiritueux et qui détient Kingfisher Airlines, envisageait aussi l’acquisition de 5 A320 supplémentaires, mais la compagnie présente un endettement massif et un résultat déficitaire. Au cours des vingt prochaines années, Airbus prévoit le remplacement de 10 000 aéronefs dont le tiers pour les besoins de la Chine et de l’Inde, où la croissance du nombre des passagers transportés est estimée, respectivement, à 7,9 % et 10 % par an.
A ce jour, la structure des exportations françaises vers l’Inde se présente de la façon suivante :
– équipements mécaniques, électriques, électroniques et informatiques : 36 % ;
– matériels de transports : 26,2%, dont automobile : 6,1 % ;
– produits métallurgiques et métalliques : 10,1 % ;
– chimie, parfums, cosmétiques, pharmacie : 13,7 % ;
– agroalimentaire : 1 %.
Bien que le marché indien soit identifié comme un marché prioritaire, tout comme la Chine, la Russie et le Brésil, par le MEDEF et les fédérations industrielles françaises, les exportations s’avèrent donc décevantes. C’est particulièrement le cas dans l’agro-alimentaire. Ce secteur représente 10 % de nos exportations vers l’Asie mais seulement un peu plus de 1 % vers l’Inde en 2010. À titre de comparaison, les exportations françaises en 2010 ont totalisé 6,3 millions d’euros contre 566 millions d’euros vers la Chine la même année. Des actions sont cependant mises en œuvre pour valoriser la place de la France dans ce secteur : Rungis, à travers Semmaris, va mettre en place le premier marché de gros dans l’Etat de l’Haryana ; Axereal va produire du malt pour les brasseries indiennes ; Danone, qui a jadis eu des déboires en Inde avec son partenaire local, revient sur le marché. Le groupe a ainsi développé une activité proche du social business dans la région de Bourgaron en collectant du lait et produisant des produits laitiers destinés aux populations à faible revenu. Carso (deuxième laboratoire français d’analyses et de contrôles alimentaires) sera également présent dans le domaine de l’hygiène et de la qualité agroalimentaire.
La part réduite des échanges avec la France n’est pas un problème spécifiquement français. La part de marché européenne a connu un déclin régulier entre 1999 et 2010, passant de 23 % à 13 %, dont 4,4 % pour l’Allemagne, 2,6 % pour le Royaume-Uni et 1,5 % pour la France, dans un contexte marqué par la croissance ininterrompue de la part de marché de la Chine, passée de 2,6 % à 10,6 % en dix ans. Le maintien d’une protection douanière et règlementaire élevée n’y est évidemment pas étranger.
Exportations et importations entre les deux pays vues de la France en 2010
Exportations FAB |
Importations CAF | |||||
Montants |
Evolution (en %) |
Contri-bution (en points) |
Montants |
Evolution (en %) |
Contri-bution (en points) | |
Ensemble |
2 901 |
17,9 |
17,9 |
4 127 |
41,4 |
41,4 |
Produits agricoles, sylvicoles, de la pêche et de l'aquaculture |
14 |
26,0 |
0,1 |
66 |
10,0 |
0,2 |
Hydrocarbures naturels, autres produits des industries extractives, électricité, déchets |
70 |
41,2 |
0,8 |
19 |
81,5 |
0,3 |
Produits des industries agroalimentaires (IAA) |
28 |
30,1 |
0,3 |
242 |
28,2 |
1,8 |
Produits pétroliers raffinés et coke |
22 |
67,2 |
0,4 |
1025 |
248,1 |
25,0 |
Equipements mécaniques, matériel électrique, électronique et informatique |
1 054 |
19,5 |
7,0 |
458 |
56,3 |
5,6 |
Produits informatiques, électroniques et optiques |
310 |
9,4 |
1,1 |
140 |
61,8 |
1,8 |
Équipements électriques et ménagers |
274 |
39,7 |
3,2 |
138 |
80,0 |
2,1 |
Machines industrielles et agricoles, machines diverses |
470 |
16,7 |
2,7 |
179 |
38,4 |
1,7 |
Matériels de transport |
759 |
36,9 |
8,3 |
204 |
-12,4 |
-1,0 |
Autres produits industriels |
897 |
4,2 |
1,5 |
2 110 |
14,9 |
9,4 |
Textiles, habillement, cuir et chaussures |
39 |
49,4 |
0,5 |
1 336 |
7,3 |
3,1 |
Bois, papier et carton |
35 |
17,8 |
0,2 |
11 |
13,9 |
0,0 |
Produits chimiques, parfums et cosmétiques |
290 |
21,2 |
2,1 |
258 |
24,9 |
1,8 |
Produits pharmaceutiques |
106 |
30,6 |
1,0 |
96 |
42,5 |
1,0 |
Produits en caoutchouc et en plastique, produits minéraux divers |
81 |
14,5 |
0,4 |
94 |
29,1 |
0,7 |
Produits métallurgiques et métalliques |
293 |
-20,8 |
-3,1 |
144 |
19,8 |
0,8 |
Produits manufacturés divers |
53 |
20,6 |
0,4 |
172 |
50,5 |
2,0 |
Produits divers |
55 |
-16,5 |
-0,4 |
4 |
43,5 |
0,0 |
Note de lecture : les exportations de matériels de transports de la France vers l’Inde ont progressé de 36,9 % en 2010 par rapport à 2009. Sur les 17,9 % de progression totale des exportations de la France vers l’Inde, ce secteur contribue pour 8,3 points.
Source : direction générale du Trésor.
Répartition par zone géographique
des exportations et importations indiennes en 2009 / 2010
(en %)
|
Exportations |
Importations |
Afrique du Nord, Proche et Moyen Orient |
22,0 |
28,2 |
Asie |
31,0 |
28,1 |
dont Chine |
10,9 |
12,3 |
dont Japon |
2,0 |
2,3 |
Afrique subsaharienne |
5,8 |
7,2 |
Amérique latine et Caraïbes |
3,6 |
3,7 |
Union européenne |
20,2 |
13,3 |
dont Allemagne |
3,0 |
3,6 |
dont Royaume-Uni |
3,5 |
1,5 |
dont France |
2,1 |
1,5 |
Autres pays européens |
1,4 |
6,0 |
Amérique du Nord |
11,6 |
6,6 |
dont Etats-Unis |
10,9 |
5,9 |
Océanie |
0,9 |
4,5 |
Autres |
3,5 |
2,4 |
Note de lecture : 22 % des exportations totales indiennes sont destinées à l’Afrique du Nord et au Proche et Moyen Orient. 13,3% des importations proviennent de l’UE. La part de marché de la France en 2009/10 en Inde est de 1,5%.
Source : direction générale du Trésor.
Evolution du commerce extérieur franco-indien
(en millions d’euros)
Année |
Exportations indiennes vers la France |
Exportations françaises vers l’Inde |
Total |
Balance commerciale en faveur de l’Inde |
Evolution (en %) |
2000 |
1 441 |
0,938 |
2 379 |
+ 503 |
+ 18,18 |
2001 |
1 497 |
1 018 |
2 515 |
+ 477 |
+ 5,71 |
2002 |
1 471 |
1 000 |
2 471 |
+ 471 |
– 1,74 |
2003 |
1 484 |
1 002 |
2 486 |
+ 480 |
+ 0,60 |
2004 |
1 684 |
1 296 |
2 980 |
+ 388 |
+19,87 |
2005 |
2 109 |
1 838 |
3 947 |
+ 271 |
+ 32,44 |
2006 |
2 499 |
2 635 |
5 134 |
– 136 |
+ 30,07 |
2007 |
2 784 |
3 351 |
6 135 |
– 567 |
+ 19,49 |
2008 |
3 461 |
3 327 |
6 787 |
+ 131 |
+ 10,62 |
2009 |
2 911 |
2 460 |
5 371 |
+ 447 |
– 20,86 |
2010 |
4 127 |
2 900 |
7 027 |
+ 1 227 |
+ 30,83 |
2011 (jan-sept.) |
3 818 |
2 049 |
5 867 |
+ 1 769 |
+ 12,08 |
Source : Le chiffre du commerce extérieur – ministère de l’économie, des finances et de l’industrie.
b) Des investissements qui se multiplient sur un marché toujours difficile
La déclaration conjointe de janvier 2008 avait fixé comme objectif le développement significatif de nos investissements directs. Ils progressent doucement mais sûrement. En 2010, 750 implantations françaises en Inde étaient répertoriées, relevant de 300 maisons mères et employant plus de 180 000 personnes, majoritairement pour des postes qualifiés. Ces chiffres traduisent un quadruplement en seulement cinq ans. Les perspectives d’investissements des entreprises françaises en Inde sur la période 2008-2010 s’élèvent à 10 milliards d’euros. Seuls 5 % des emplois (8 500) sont liés à des exportations vers la France. On ne peut donc pas parler de délocalisation de la production française en Inde mais de conquête de nouveaux marchés. Nos entreprises investissent en outre dans un large panel de secteurs (cf. infra) et couvrent largement le territoire indien, avec une dominante toute logique dans les grandes métropoles : Delhi (23 %), Mumbai (20 %), Bengaluru (17 %) et Chennai (8 %).
En termes de flux d’investissements directs étrangers (IDE), Mumbai a bénéficié de 35 %, Delhi de 19 %, Bengaluru comme Ahmedabad de 6 %, Chennai comme Hyderabad de 5 % (et moins de 5 % pour les autres grandes villes). Le secteur le plus attractif aux yeux des investisseurs étrangers est celui des services, incluant les services financiers. Ils ont attiré 21 % des IDE ; l’informatique est le deuxième bénéficiaire des IDE avec 8 %. L’attrait pour les services a toutefois décliné au cours de ces deux dernières années, probablement pour des raisons conjoncturelles. Ils ont ainsi connu une évolution très défavorable entre les années budgétaires 2008-09 et 2010-11 avec une baisse de 45,5 % et 51,3 % pour le secteur informatique.
Cette forte progression globale ne permet toutefois à la France que de contribuer à hauteur de 3,8 % aux flux entrants d’investissements directs étrangers en Inde. Elle se classe ainsi en huitième position. Si ce classement doit être manié avec précaution car la position de l’Île Maurice (36 %) et Singapour (8,7 %) s’explique d’abord par des motifs fiscaux et règlementaires, il n’en demeure pas moins que la France se classe après le Japon, les Etats-Unis et l’Allemagne. Le stock d’IDE allemands s’élevait ainsi à 4,2 milliards d’euros fin 2008.
A titre d’exemple, les entreprises françaises suivantes, réparties par secteur, sont présentes en Inde : Schneider-Electric, Total, Legrand et Alstom pour l’énergie, la Société générale, BNP-Paribas et le Crédit agricole pour la banque, EADS et ses filiales Thalès et Safran pour l’aéronautique, Sanofi et Pierre Fabre pour la pharmacie, Pernod Ricard, Danone et Bongrain pour l’agroalimentaire, Atos Origin, St Microelectronic, Steria et Capgemini pour les technologies de l’information et Veritas, Accor et Sodexo pour les autres services.
Principaux employeurs français en Inde
Plus de 20 000 salariés |
Sodexo 28 000, Capgemini 23 000 (1) |
Entre 10 000 et 20 000 salariés |
BNP Paribas 11 000, Axa 10 000 |
Entre 5000 et 10 000 |
Schneider Electric 8 000, Sanofi Aventis 6 000, Alcatel Lucent 6 000, Steria 5 670 |
Entre 2000 et 5000 |
Renault Nissan (à fin 2011) 4 000, Alstom 4 000, Areva 4 000, Atos Origin 3 800, St Gobain 3 500, Accor 3 500, Delta Plus 3 000, Société Générale 3 000, Essilor 3 000, Potain 2 434, Lafarge 2 400, ST Micro 2 300, Orange 2 200 |
Entre 1000 et 2000 |
Technip 1 600, Michelin (en 2012) 1 500, Safran 1 400, Bureau Veritas 1 300, Dassault Systèmes 1 250, Veolia 1 200, Air Liquide 1 100, L’Oréal 1 000 |
(1) Le nombre d’employés indiens a fortement progressé depuis l’enquête pour s’établir en 2011, d’après Mme Catherine Perronet, executive program manager in the chief executive officer de Capgemini, à 35 000.
Source : direction générale du Trésor, d’après l’enquête SER Delhi réalisée en février 2010 et juin 2010.
Les entreprises françaises, comme celles d’autres pays investisseurs, ont tendance à créer des sociétés qu’elles détiennent à 100 % ou majoritairement, sauf dans les secteurs pour lesquels la législation ne l’autorise pas. La création d’entreprises conjointes (joint venture) est mal acceptée, à cause du souvenir des échecs passés ou même plus récents de ce mode d’investissements en Inde.
Une majorité des entreprises françaises sont présentes en Inde soit parce qu’elles sont venues prendre des parts de marché, le plus souvent par croissance organique mais aussi par acquisition externe, soit parce que leur produit, leur service ou leur activité ne peuvent être générés qu’en étant installées à proximité du client intermédiaire ou final. A noter les cas particuliers de l’industrie de défense et de l’aéronautique civile liée par l’obligation d’offsets industriels attachée à la conclusion de contrats d’exportation (d’où la création directe ou indirecte d’activités sur place, cf. supra) et des SSII et plateaux d’ingénieurs pour trouver les ressources humaines indisponibles en Europe et répondre à la nécessité de ne pas être distancés par les concurrents mondiaux qui ont fortement recruté en Inde.
Les entreprises peuvent être regroupées sous trois grandes catégories : les entreprises de service, qui s’appuient sur une main-d’œuvre indienne qualifiée et nombreuse, les entreprises de consommation qui cherchent à écouler une production sur le territoire indien et les entreprises participant à la modernisation des infrastructures.
En matière de services, Capgemini est l’exemple le plus emblématique (59). La société s’est implantée en Inde depuis le milieu des années 2000 du fait d’une main-d’œuvre à bas coût (le rapport est de 1 à 4 en terme de coût salarial par rapport à la France). Mais, l’Inde dispose aussi de deux autres atouts majeurs dans le domaine des prestations informatiques destinées au monde occidental : la langue et le réservoir d’informaticiens. Ayant pris conscience du potentiel de croissance exceptionnel qu’offre l’Inde, Capgemini y emploie aujourd’hui 35 000 personnes, dont un seul Français, contre 2 500 au début. Cela représente le tiers de son effectif mondial. Sur le marché indien au sens strict, le groupe réalise un chiffre d’affaires s’élevant à 25 millions d’euros, soit 1 % du marché local, en forte progression. Il a désormais quarante gros clients indiens, actifs dans différents secteurs. Les projets d’électrification des villes, de réforme de l’administration territoriale et de la fiscalité notamment ont conduit Capgemini à augmenter sa présence sur le marché indien alors que telle n’était pas son intention initiale. Il détient désormais quinze implantations dans sept villes indiennes avec une spécialisation des plateformes par secteurs.
Concernant les entreprises de biens de consommation, le secteur automobile, en forte croissance en Inde, constitue un exemple intéressant compte tenu des échecs initiaux. Le gouvernement indien a mis en place l’« Automotive Mission Plan 2016 » qui prévoit la montée en puissance du secteur pour atteindre 10 % du PIB, créer 25 millions de nouveaux emplois et exporter 50 % des composants produits en Inde. L’Inde, où le taux d’équipement n’est que de seize voitures pour 1 000 habitants, est l’un des marchés les plus prometteurs de la planète. La France a progressivement développé sa présence :
– Renault a procédé à un investissement conjoint avec Nissan pour une usine d’assemblage à proximité de Chennai. Le lancement de la Logan s’est soldé par un échec, avec seulement 50 000 exemplaires écoulés entre son lancement en juillet 2007 et l’arrêt de la coopération avec le constructeur indien Mahindra & Mahindra en avril 2010. Cette voiture, déjà trop chère au départ, avait vu son tarif s’envoler en raison d’une taxe gouvernementale. Après l’arrêt de ce véhicule, Renault est reparti de zéro, avec cinq lancements prévus entre mai 2010 et 2013, dont celui du 4 × 4 Duster. Il vise environ 100 000 ventes en 2013 et 5 % de part de marché en 2016. L’entreprise a également lancé la Nissan Micra en 2010 et commercialisé le SUV Koleos et la Berline Fluence en 2011. Le lancement d’un véhicule à très bas coût est en projet. Lancé en 2007 et prévu au départ pour 2011, ce projet, conçu en coopération avec le constructeur de deux-roues et de triporteurs indien Bajaj, s’enlise. Une équipe a été constituée pour développer un petit véhicule à bas coûts mais un peu plus onéreux qu’initialement envisagé, pour les pays émergents en coopération avec son allié Nissan, destiné en particulier à l’Inde, où il sera produit. Le projet pourrait mettre quatre ans à voir le jour ;
– Peugeot a signé le 31 août 2011 un accord de partenariat pour l’implantation d’une usine dans le Gujarat pour un investissement de 800 millions d’euros et la production de deux types de véhicules (haut de gamme et bas de gamme). La première pierre de l’usine a été posée le 3 novembre 2011 ;
– Michelin a investi 600 millions d’euros pour la création d’une usine de pneus pour camions à Chennai ;
– Enfin, de nombreux équipementiers français sont implantés en Inde, parmi lesquels Valeo, Faurecia, Carbone Lorraine, Arrk Sermo, Treves, Ateq, Lohr, Barre-Thomas, Saint Gobain Sekurit, HEF, FCI Connectors et Actia. Les équipementiers indiens cherchent des partenaires pour bénéficier de leur savoir-faire technologique et les projets de Peugeot et Renault pourraient entraîner des besoins accrus de sociétés françaises sur place. Peugeot estime ainsi qu’elle pourrait attirer plus de 80 sous-traitants dont 53 français déjà présents. Les composants indiens ne sont pas aujourd’hui au niveau des standards internationaux.
Concernant les infrastructures, les entreprises françaises occupent une place importante dans la modernisation des transports urbains. Systra a fourni des prestations d’ingénierie pour les lignes du métro de Delhi et le réseau de train de Mumbai et est consultant sur le projet de métro de Bengaluru et pour une ligne du métro de Mumbai. Egis est consultant pour les métros d’Hyderabad et Calcutta, consultant général pour celui de Chennai et a réalisé une étude de préfaisabilité pour le tramway de Delhi. Veolia Transport, associée à RATP Asia, a signé un contrat d’exploitation d’une ligne du métro de Mumbai. Les équipementiers français sont également bien présents. Alstom a remporté les lots du matériel roulant et des voies pour le métro de Chennai. Thales a remporté le lot billetique des métros de Calcutta et Delhi. Les deux sociétés ont été retenues pour le lot signalisation / télécommunications à Delhi et Bengaluru. Il convient de souligner enfin que l’AFD devrait participer au financement de la première phase du métro de Bangalore à hauteur de 100 millions d’euros sur un montant global de besoin de financement d’environ 984 millions d’euros. Bien qu’elle la finance via des prêts concessionnels déliés, c’est bien une intervention française qui participe de l’influence de notre pays.
Le secteur eau et assainissement est également investi par les sociétés françaises et pour cause : les trois grandes entreprises multinationales du secteur de l’eau sont françaises (Veolia, Suez et la Saur). Les partenariats public-privé sont désormais encouragés par le ministère du développement urbain et la Planning Commission. Suez Environnement est en réalité présent en Inde au travers de sa filiale Degrémont depuis 1954. 150 stations de traitement sont à son actif, dont celle de Bombay Bhandup, une des plus grandes au monde. Mais un tournant a été pris en 1997 avec une série de succès dans les grandes villes sous financements internationaux (Delhi, Chennai, Calcutta, Pune etc.). Véolia Water a quant à elle remporté en 2011 le premier contrat de délégation de distribution d’eau en continu à l’échelle d’une ville, à Nagpur dans le Maharashtra pour 1,5 milliard d’euros sur 25 ans, avec un investissement de Véolia et de son partenaire de 85 millions d’euros les cinq premières années pour assurer la remise à niveau. Suez environnement devrait également débuter une opération pilote à Pimpri, dans la banlieue de Pune.
Doit-on déduire du nombre encore modeste d’implantations françaises en Inde que nos entreprises souffrent d’un déficit d’image ou qu’elles ne correspondent pas aux attentes indiennes ? Les différentes personnes rencontrées au cours des auditions de la Mission et lors de son déplacement en Inde font au contraire état d’une perception positive des entreprises françaises. La technologie et le savoir-faire français sont très estimés, des marques prestigieuses y sont reconnues. En réalité, deux phénomènes se combinent. D’une part, les entreprises françaises marquent un intérêt limité pour l’Inde, malgré la bonne rentabilité de celles qui y sont implantées par rapport à la Chine notamment. D’autre part, plusieurs d’entre elles n’ont pas réussi à s’y implanter pour des motifs qui tiennent aux modalités de ces investissements. Une des expériences révélatrices est celle de PSA. L’entreprise avait monté son usine sur place mais rencontrait tellement de difficultés qu’elle a quitté le pays presque du jour au lendemain, ce qui a d’ailleurs laissé une image très négative en Inde.
Comme nous l’avons rappelé, l’Inde est un pays encore partiellement fermé, aux procédures longues et complexes. La bureaucratie indienne et la lenteur ont été évoquées à plusieurs reprises au cours des auditions comme un facteur limitant. M. Bertrand Collomb, président d’honneur de Lafarge et co-président du Conseil présidentiel franco-indien des entreprises, a par exemple évoqué le délai de plusieurs mois pour obtenir des droits miniers relatifs aux carrières pour le rachat d’une cimenterie, qui ne nécessitait qu’un tampon, puis un délai de trois ans pour le rachat d’une seconde usine. Bien souvent, ces lourdeurs administratives font peur aux investisseurs, qui hésitent, voire renoncent, à s’installer en Inde.
La poursuite de la réforme de l’Etat et de l’ouverture des secteurs protégés permettra sans nul doute de lever progressivement les freins à l’établissement des entreprises françaises en Inde. Le système fiscal complexe de l’Inde est par exemple un casse-tête pour les investissements, quoique la France n’ait guère de leçon à donner en la matière. De nombreuses exemptions et mécanismes dérogatoires à l’impôt sur les sociétés existent, tandis que la compétence fiscale partagée avec les Etats fédérés aboutit à de multiples taxes enchevêtrées entre niveaux fédéral et fédéré. Une réforme du code des impôts directs et l’introduction d’un système équivalent à la TVA devraient se concrétiser en 2012. La Cour suprême indienne a rendu 300 jugements portant sur des contentieux fiscaux, ce qui atteste de la complexité de la matière. Elle a par exemple récemment soumis à taxation le stockage de produits de l’entreprise d’ingénierie Hyderabad Engineering industries dans un autre Etat.
L’instabilité de la norme est également problématique et favorise l’apparition de contentieux. Le changement brusque de doctrine concernant l’imposition des plus values en capital résultant de fusions acquisitions en est un exemple. Récemment, les règles relatives aux véhicules assemblés en Inde ont aussi changé, ce qui s’est traduit par un relèvement de taxes substantiel pour les constructeurs automobiles. Pour faire face à ce changement de réglementation, Renault a dû injecter plusieurs dizaines de millions d’euros pour maintenir la commercialisation en Inde. La création récente d’une agence pour les investissements étrangers semble témoigner d’une prise de conscience de la nécessité d’assurer un bon accueil des investissements étrangers, bien que les moyens de ce guichet unique soient limités, faute de subvention de fonctionnement ou d’investissement.
Par ailleurs, les problèmes spécifiques posés par le marché indien peuvent rebuter les investisseurs étrangers et les conduire à préférer la Chine. Outre le déficit d’infrastructures, surmonté en partie par la mise en place de « clusters », les questions foncières et environnementales sont particulièrement problématiques, les contestations pouvant se multiplier. Le cas de l’usine d’extraction de calcaire du groupe Lafarge a déjà été évoqué et a coûté au groupe près d’un million de dollars par mois de fermeture. Mais on pourrait aussi évoquer le blocage de nombreux projets par le ministère de l’environnement, dirigé pendant deux ans d’une main ferme par M. Jairam Ramesh, comme l’accès à la bauxite dans une zone tribale de l’Orissa pour le projet d’une usine d’aluminium de Vedanta ou l’accès au minerai de fer pour le sidérurgiste Posco. La Cour suprême indienne a pour sa part rendu 317 jugements de janvier 2001 à mai 2011 sur des litiges fonciers.
Toutes les entreprises françaises ne sont donc pas à même de pénétrer sur le marché indien, dont l’accès reste difficile. Globalement, ce sont les grands groupes français qui s’intéressent à l’Inde. 80 % des entreprises du CAC 40 sont présentes en Inde, part qui peut atteindre 85 % dans les deux prochaines années, compte tenu des projets en cours. L’arrivée progressive de grands groupes sur un marché qui ne peut plus être ignoré ne s’accompagne pas d’une présence forte de PME. Les seules PME présentes sont soit d’une taille moyenne (à l’image de Plastic Omnium), soit présentes depuis de nombreuses années, ce qui leur a permis de se constituer un réseau important (comme Actia ou Socomec, PME spécialisées dans les composants électriques, présentes en Inde depuis 30 ans).
Les difficultés propres au marché indien et l’implantation récente des entreprises, fonction du degré d’ouverture des secteurs d’activités, expliquent en grande partie la trop modeste place de la France en Inde au plan économique. Cependant, outre le fait qu’il serait évidemment préjudiciable pour les intérêts de notre pays de faire preuve d’attentisme, le marché indien est le même pour tous et certains de nos partenaires obtiennent de bien meilleurs résultats. Sans doute en matière d’échanges et d’investissements, le pays avec lequel la comparaison fait sens est l’Allemagne, car elle n’a historiquement aucun avantage et ne doit sa place qu’à une politique active assumée au plus haut niveau de l’Etat et conduite notamment par la chambre de commerce indo-allemande depuis désormais plus de vingt ans. L’Allemagne facilite ainsi avec un certain succès l’implantation des entreprises allemandes, notamment petites et moyennes. Environ 1 800 sont ainsi implantées en Inde. Notre retard s’explique donc aussi par d’autres raisons, qui tiennent quant à elles à nos entreprises et à notre politique.
– Fixer de nouveaux objectifs chiffrés d’investissements et d’échanges économiques : 13 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2015, 1 000 implantations d’entreprises françaises et 2 % de part du marché indien
2) La nécessité de surmonter la méconnaissance du tissu économique local
a) Des entreprises françaises qui doivent s’adapter au contexte indien
Le manque de préparation des entreprises françaises apparaît aujourd’hui comme le principal obstacle à la réussite de leur implantation. Il résulte d’abord d’une méconnaissance profonde du tissu économique indien et des procédures. La plupart des entreprises ne rencontrent aucun problème une fois établies, mais leur manque de compréhension des règles et du monde des affaires indien peut générer des difficultés importantes à l’occasion de leur établissement. L’Inde n’est pas un pays comme la Chine, où l’investisseur est accueilli « clé en main » : entreprise locale, ouvriers, infrastructures, montage de financement, paix sociale, tout y est négocié au départ avec l’autorité locale. En Inde, pays démocratique, une implantation se prépare, un investissement conjoint (partnership) se réfléchit. Pour rendre l’Inde plus attractive, il est d’abord important de montrer aux entrepreneurs français que de nombreux groupes ont réussi à s’y implanter, qu’il y a un vrai marché à conquérir, et enfin d’insister sur le nombre élevé de partenaires indiens potentiels.
Compte tenu des restrictions aux échanges, sous réserve des secteurs où l’Inde peut être une plateforme de sous-traitance, comme les services informatiques, les entreprises doivent développer un modèle économique reposant avant tout sur l’écoulement de la production en Inde. Il leur faut donc faire le pari de l’Inde et de sa croissance intérieure. Les interlocuteurs rencontrés en Inde lors du déplacement de la Mission ont clairement fait valoir ce point de vue. M. V.K. Mathur, directeur d’Inapex Limited, société en téléphonie mobile et équipements automobiles, a exhorté les Français à avoir une stratégie de long terme plutôt que de court terme en Inde et appelé à une réflexion autour de « business models » adaptés aux besoins indiens. M. Pierre Avanzo, associé chez McKinsey India, a souligné les conditions de la réussite d’une entreprise en Inde :
– engagement dans la durée (quitte à accepter de faire des pertes dans un premier temps),
– adaptation des produits aux besoins locaux (ce qui suppose des stratégies définies localement et non à l’extérieur du pays) comme aux spécificités locales du marché (par exemple, la taille du secteur formel – de l’ordre de 10 % – oblige à repenser les circuits de distribution),
– savoir tirer partie de l’Inde pour réussir ailleurs, notamment en utilisant les talents locaux et en les exportant.
Ce qui est produit en Inde est pour l’essentiel absorbé par le marché indien. En effet, comme l’a souligné M. Jean Brunol, vice-président de Federal Mogul, il n’est pas exact d’affirmer que le coût est moins élevé en Inde pour la production de biens de consommation ; il est parfois au contraire plus élevé pour trois raisons. La première raison est que, sur des technologies pointues, il faut plus de main-d’œuvre en Inde, ce qui compense le coût de cette main-d’œuvre (un facteur trois n’est pas rare). La deuxième raison est qu’il faut additionner les coûts de transport. Ce n’est pas la même chose de produire en Inde à destination du marché indien ou pour exporter vers la France. Enfin, la production indienne ne garantit pas la même qualité. Or le risque de défaut des pièces doit être minimisé pour éviter le nombre de véhicules présentant un défaut. Dès lors, le modèle économique à développer nécessite un équilibre subtil entre accessibilité, rentabilité et adaptation aux besoins des Indiens. Les difficultés de la Tata Nano, la voiture la moins chère du monde, en témoignent. Finalement proposée entre 2 700 et 3 800 dollars, cette voiture s’avère trop chère pour le bas de la classe moyenne et trop basique pour les classes aisées. Il s’est vendu moins de 4 000 Nano en octobre dernier, soit bien moins que les 20 000 exemplaires par mois espérés. Lorsque Renault a lancé la Logan en Inde, le véhicule était mal adapté au marché, avec des problèmes de taille des banquettes arrières, d’aspects extérieurs, d’air conditionné pas assez performant à l’arrière de l’habitacle, et le groupe a été contraint de revoir ses plans. Il a compris qu’il lui faudrait offrir des produits de petite taille mais capables de contenir six à sept personnes, tout en étant à bas coût. L’entreprise Hyundai est un cas intéressant car elle a développé une stratégie, qui s’est avéré une réussite, et qui repose sur deux principes : le développement en Inde doit être assuré par une équipe étoffée et de qualité ; le véhicule fabriqué doit être indien et ne pas reproduire un modèle coréen, proche du modèle européen. De fait, il coûte 250 à 300 000 roupies seulement (soit environ 5 000 euros).
La réussite des entreprises étrangères en Inde n’est possible que dans la mesure où, bien informées et préparées au marché indien, elles s’implantent en acceptant les particularités du marché intérieur et l’idée d’évoluer à son rythme. De fait, les grandes entreprises à vocation mondiale qui réussissent en Inde ont une stratégie d’implantation qui repose sur une présence durable, orientée vers le marché indien pour l’essentiel et de façon marginale vers le marché régional. À l’inverse, les petites et moyennes entreprises, généralement peu habituées à investir sur le développement d’un réseau à l’étranger, demeurent peu nombreuses et n’interviennent souvent que sur une opération unique.
Il est toutefois possible de renforcer l’implantation des PME françaises en assurant une durabilité à ces projets, en facilitant l’arrivée des entreprises de taille au moins intermédiaire, ayant une expérience à l’exportation, qui ont donc les moyens de réussir pour peu qu’elles bénéficient de l’assistance nécessaire et de conseils avisés. Il est vrai que la France ne dispose pas du même tissu économique de moyennes entreprises, solidement dotées de divisions export, que son voisin allemand, mais certains secteurs sont également propices à l’intervention d’entreprises de profils plus diversifiés. En outre, les grandes entreprises françaises, dès lors qu’elles font « le pari » de l’Inde, peuvent avoir intérêt à entraîner dans leur sillage des partenaires français et cela sera de plus en plus vrai à mesure que l’Inde s’ouvrira et permettra d’augmenter les exportations à destination d’autres pays de la région.
Pour parvenir à s’implanter de façon durable et profonde, le marché indien exige d’importants investissements humains, car beaucoup dépend des contacts personnels et des réseaux tissés, ce qui exige des expatriés expérimentés, du temps et de l’argent. La réussite allemande ne s’explique pas seulement par les moyens d’appui aux entreprises, publics ou privés, mais aussi par des motifs « culturels » et structurels, comme le soulignait M. Antoine Chéry, sous-directeur relations bilatérales à la direction générale du Trésor. D’abord, l’Allemagne compte de nombreuses entreprises de taille intermédiaire (le Mittlestand) comprenant un service export développé et présentes dans tous les pays émergents. À la différence de tissu économique et de stratégie, s’ajoute celle de la structuration du capital des entreprises. Les participations dans les entreprises allemandes sont souvent familiales, ce qui facilite les rapports avec les entrepreneurs indiens eux-mêmes très attachés aux relations humaines et pratiquant un capitalisme familial.
La France ne dispose pas de cette culture des relations personnelles et il est donc impératif que des lieux de rencontre et d’échanges soient à la fois susceptibles de mettre en contact les mondes des affaires, de faire partager les expériences acquises et de favoriser les sessions d’information sur le monde des affaires, avec des thèmes tels que la taxation, la politique d’export, la réglementation en matière de licenciement ou encore les pratiques de rapatriement des profits. Les difficultés rencontrées par les entreprises indiennes en France attestent aussi de leur méconnaissance de notre pays. La récente « affaire Wipro », qui a conduit son patron, M. Azim Premji, à effectuer une démarche personnelle auprès de l’ambassadeur de France pour tenter de résoudre le blocage causé par l’interdiction de licenciement de trois représentants syndicaux d’une entreprise du groupe située à Sophia Antipolis, en témoigne : si son groupe avait disposé de davantage d’expatriés indiens sur le site, familiers des procédures françaises, le problème aurait pu être anticipé et résolu en amont. On rappellera à nouveau que la connaissance mutuelle se construit aussi par l’accueil en France de jeunes Indiens et l’accueil en Inde de jeunes Français, volet de la politique française très largement insuffisant, comme explicité précédemment.
Plus généralement, les entreprises indiennes commencent à peine à s’implanter en France. Elles étaient au nombre de 100 fin 2010 (contre 45 en 2005), employant 6 000 personnes. Il s’agit d’entreprises des secteurs pharmaceutique, des technologies de l’information et de la communication ou de la métallurgie. La présence indienne demeure donc très modeste, l’Inde se positionnant au 65ème rang des investisseurs étrangers en France en 2010. Le stock d’investissements directs étrangers réalisés cumulés par les entreprises indiennes de France ne représente que 229 millions d’euros fin 2010, soit 0,05 % des investissements étrangers accueillis par la France. L’existence d’une diaspora importante dans d’autres pays et, sans doute, l’image de notre pays en matière de droit du travail et de relations sociales, expliquent que les entreprises indiennes choisissent peu notre territoire. Il faut aussi signaler les difficultés, relayées par l’ambassade d’Inde en France, qu’éprouvent les très grands groupes indiens à obtenir des visas pour leurs salariés. Cette faible implantation des entreprises indiennes en France a aussi pour conséquence de limiter les contacts entre les deux mondes des affaires et de rendre plus ardue l’arrivée en Inde des entreprises françaises à la recherche de partenaires indiens.
Afin d’accroître la présence française, certains chefs d’entreprise français ont exprimé l’idée de faire connaître davantage la réalité de l’industrie française en Inde (comme le secteur de la pharmacie par exemple), et de ne pas seulement se concentrer sur la promotion des secteurs déjà familiers aux Indiens (le luxe notamment).
Comparaison entre les investissements directs indiens et chinois en France.
(en millions d’euros)
Investissements |
Investissements | |
Investissements en France (flux) |
34 en 2009 13 en 2010 |
68 en 2009 6 en 2010 |
Stock d’investissements en France dont : |
208 en 2009 229 en 2010 |
– 2 en 2009 – 21 en 2010 |
– capitaux propres étrangers en France |
211 en 2009 215 en 2010 |
137 en 2009 152 en 2010 |
– autres opérations étrangères en France |
– 4 en 2009 15 en 2010 |
– 140 en 2009 – 173 en 2010 |
Source : direction générale du Trésor d’après les données de la Banque de France (60).
b) Des réseaux d’appui aux intérêts économiques français à conforter
Notre réseau public d’aide aux entreprises est évidemment aux avant-postes pour développer le nombre d’entreprises françaises en Inde et les secteurs d’investissement. Il dispose des moyens financiers suivants : la mission économique emploie vingt-deux personnes : 17 à Delhi, 3 à Mumbai et 2 à Bengaluru, et Ubifrance quarante-cinq : 24 à Delhi, 14 à Mumbai, 5 à Bengaluru et 2 à Chennai. Il est difficile de comparer les moyens français à ceux de l’Allemagne car ce sont les chambres de commerce qui soutiennent les entreprises allemandes. 16 personnes travaillent dans l’équivalent du service économique de l’ambassade mais 80 personnes travaillent pour la Chambre de commerce et d’industrie allemande : 45 à Mumbai, 15 à Delhi, 6 à Pune et 2 ou 3 personnes à Bengaluru, Chennai et Calcutta. La Chambre assiste les quelque 1 200 entreprises parmi ses 6 700 membres qui se sont installées en Inde. En outre, ce sont les diplomates du ministère allemand des affaires étrangères qui se chargent aussi de la diplomatie économique.
Les entreprises françaises recourent en nombre croissant à Ubifrance qui a ainsi accompagné 150 entreprises en Inde en 2008, 380 en 2010, et ses objectifs pour 2011 sont encore plus ambitieux (410). Ubifrance, partant du constat d’une faible implantation des PME en Inde, a d’ailleurs fait de ce pays sa priorité en 2011 avec une quarantaine d’opérations programmées, dont les Rencontres technologiques franco-indiennes du 22 septembre au 1er octobre 2011 à Delhi, Mumbai et Bengaluru, et l’exposition Art de vivre à la française. On notera que l’information donnée par Ubifrance est très complète y compris par exemple en matière de fiscalité (un analyste fiscal figure dans l’équipe). Enfin, le développement de la procédure du volontariat international en entreprises (VIE) en Inde est bien engagé avec des efforts de promotion en direction des filiales présentes en Inde qui aura permis d’augmenter le nombre de jeunes effectuant une mission professionnelle dans ce pays. Ils étaient 97 en 2010, contre 46 fin 2008.
Il convient également de souligner l’importance du rôle d’intermédiaire du service économique régional avec l’administration indienne. Il intervient en coordination et en lien avec Ubifrance pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés et pour fournir de l’information aux entreprises (notamment sur la réglementation, les paiements et les contestations en matière de marchés publics). A cet égard, le peu de moyens qui lui sont conférés, particulièrement depuis la dévolution à Ubifrance, est un handicap pour nos entreprises. Par exemple, la mise en place d’un service commun de gestion début 2011 s’est traduite semble-t-il par un report d’une partie de la charge de gestion vers le Service économique régional, qui ne dispose plus que d’un agent de droit local à cet effet (contre deux comptables pour Ubifrance). Plus généralement, son budget ne lui permet pas de rayonner en Inde et d’assurer une rémunération intéressante pour les agents locaux. Un agent supplémentaire basé dans une autre grande mégalopole pourrait être utile.
Notre réseau d’appui public aux entreprises présente par ailleurs une faiblesse qu’il conviendrait de corriger : celle de vouloir entraîner les PME partout dans le monde. Lorsque l’Etat offre un service d’appui aux entreprises pour prospecter des marchés, il faudrait conditionner les subventions allouées à l’acceptation, par les PME, de concentrer leur activité dans quelques pays seulement sur une période de deux à trois ans. Sans cela, les PME, qui ne disposent pas des mêmes moyens que les grands groupes, ne pourront bâtir, ni un courant d’affaires, ni un partenariat.
S’agissant des autres relais français, les chambres de commerce et d’industrie françaises, aucune n’a d’implantation en Inde, à l’exception de celle de Paris (CCIP). Les directeurs « export » des CCI françaises qui s’intéressent à l’Inde se réunissent à intervalle régulier dans le cadre d’un groupe de travail « Cap Inde » qui s’efforce de coordonner les actions entre CCI et avec le réseau public (programmation Ubifrance) ; en leur sein la CCIP joue un rôle particulier par son importance, avec une directrice basée à Mumbai qui partage, depuis peu, son temps entre la CCIP et l’IFCCI (Indo-French Chamber of Commerce and Industry) (cf. infra) et par le rôle de portage qu’elle joue pour d’autres CCI françaises.
c) Des lieux de rencontres à relancer
L’aide des réseaux publics et privés français est indispensable mais ne peut suffire à créer un climat des affaires propice au développement de liens étroits entre entrepreneurs indiens et français.
Les acteurs du secteur privé doivent se voir et échanger, apprendre à se connaître et créer des synergies permettant de développer des investissements conjoints ou de disposer de réseaux de distribution et de services par exemple. L’élargissement de la place de la France en Inde suppose également que le rapprochement ne concerne pas uniquement les grandes entreprises françaises mais se diffuse aussi parmi les petites et moyennes entreprises. Dans tous ces domaines, la présence de grands groupes doit s’accompagner de la venue d’entreprises petites et moyennes participant de la mise en place d’un tissu entrepreunarial franco-indien.
Ces rencontres peuvent s’effectuer sous le patronage d’autorités publiques et c’est tout l’intérêt du développement de la coopération décentralisée. En 2011, ont eu lieu : un séminaire franco-indien sur le tourisme durable à Goa, des visites croisées notamment dans le cadre de la conférence biennale du réseau des villes historiques indiennes, des visites d’étude sur les villes nouvelles et un séminaire fondateur du réseau franco-indien sur l’eau, organisé en partenariat avec le National Institute for Advanced Study de Bengaluru. Les initiatives de coopération décentralisée permettent en outre, en ciblant des projets concrets, d’éviter les problèmes d’interministérialité en Inde que rencontrent les ministères français dans la mise en œuvre d’accords bilatéraux.
Ces liens d’affaires peuvent aussi se nouer sous les auspices d’organismes privés dédiés.
Il existe une Chambre franco-indienne de commerce et d’industrie (IFCCI). Organisation privée de droit indien animée par dix personnes et comptant environ 400 membres, elle est chargée d’animer localement la communauté d’affaires des deux pays représentée en son sein, de jouer un rôle de promotion des intérêts de ses membres et enfin d’offrir des services commerciaux à ses membres comme à des PME françaises qui viennent découvrir le marché indien en individuel ou en mission collective. L’IFCCI était encore récemment une structure totalement dédiée aux intérêts indiens (exportateurs) et gouvernée par ces mêmes intérêts ; un long processus de modernisation a été engagé avec l’appui des institutions consulaires françaises et d’un certain nombre de groupes français présents en Inde. Le conseil d’administration est aujourd’hui largement rééquilibré. D’une part, la présidence est confiée depuis trois mandats au dirigeant d’un groupe français en Inde, M. Jacques Michel (BNP Paribas Inde). D’autre part, la secrétaire générale en est depuis cette année Mme Laura Prasad, directrice de l’India Office à la CCIP. Plusieurs grands groupes français s’impliquent fortement dans son fonctionnement.
Cette réorientation positive doit désormais permettre d’avancer sur la voie qui en ferait une référence, comme l’est la chambre indo-allemande. La convention qui liait, avant dévolution des activités commerciales à Ubifrance, la mission économique à l’IFCCI sera remplacée par une nouvelle convention avec Ubifrance. Le bureau Ubifrance Inde et l’IFCCI sont complémentaires : cette dernière va notamment développer une activité d’hébergement et de pépinière de PME françaises, activité originale qui complète la gamme de services Ubifrance.
Il existe aussi à Paris une Chambre de Commerce et d’Industrie franco-indienne. Il s’agit d’une initiative privée ne relevant pas – à la différence de l’IFCCI – du réseau des chambres reconnues par l’Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie. Cette chambre a récemment changé de direction et largement renouvelé ses membres. Outre ses activités propres (magazine, réunions d’informations, quelques missions en Inde), elle pourrait devenir un partenaire de l’IFCCI pour accueillir des entreprises indiennes en France.
Le rôle des grandes entreprises est essentiel pour inciter des PME à s’implanter. M. Paul Hermelin, directeur général de Capgemini, a pris la présidence du Comité France-Inde du MEDEF International en mai 2011 dans cet esprit. Son entreprise utilise en Inde un management local, des réseaux locaux et mène des actions de lobbying sur place. Les petites et moyennes entreprises ne peuvent pas disposer d’un tel accès. Il existe une tradition française à Chennai ou Pondichéry, mais elle n’aide pas beaucoup car les affaires se font surtout dans le nord du pays. Le comité France-Inde du MEDEF peut donc jouer un rôle précieux en complément des réseaux publics pour mieux faire connaître l’Inde, mettre à disposition ses réseaux et apporter une expertise pour l’installation.
Il existe enfin et surtout un comité dont l’objet est précisément d’améliorer la compréhension mutuelle et de permettre la constitution d’un réseau franco-indien des affaires disposant d’une maîtrise des règles et des codes en vigueur dans les deux pays : le conseil présidentiel franco-indien des entreprises (Indo-French CEOs Forum). Sa création a été inscrite dans la déclaration conjointe du président français et du Premier ministre indien de janvier 2008 et il apparaissait comme une enceinte susceptible de dynamiser des relations de proximité entre les milieux d’affaires français et indiens. La Présidence en était partagée par MM. Bertrand Collomb et Narayana Murthy, co-fondateur de la société d’informatique Infosys. Les listes de membres ont été agréées fin 2008 et le groupe a pu se réunir pour la première fois en juin 2009. On relèvera toutefois un certain déséquilibre dès le départ, avec 14 membres indiens pour 26 français.
Une deuxième réunion s’est tenue en novembre 2009 à Delhi. Les thèmes prioritaires de travail étaient les infrastructures et la croissance verte. Les thèmes de l’éducation et de la recherche et des investissements conjoints dans des pays tiers ont également été abordés. Les secteurs de l’énergie et de l’éducation ont donné lieu à la mise en place de groupes de travail, respectivement coprésidés par M. William Ramsay de l’Institut français des relations internationales (IFRI) et MM. S. Bery et M. Devang Khakhar de l’IIT et M. Yves Gnanou de l’Ecole polytechnique. En décembre 2010, leurs conclusions ont été rendues. Ce comité rappelle la commission commune germano-indienne pour la coopération industrielle et économique qui comprend sept groupes de travail : énergie, formation professionnelle, industrie automobile, agriculture, infrastructures, charbon et tourisme.
Trois réunions ont donc d’ores et déjà été organisées, dont deux en Inde. La prochaine réunion devait se tenir à Paris le 24 mai 2011, mais elle a été annulée par la délégation indienne sous le prétexte de vacances scolaires, et a finalement été décalée en janvier 2012. En réalité, personne n’a été trouvé pour remplacer M. Narayana Marthy à la co-présidence indienne du Conseil présidentiel franco-indien des entreprises, après qu’il a quitté ses fonctions. Cela traduit sans doute le manque d’implication des Indiens dans ce « club ». Ils disposent déjà de nombreux réseaux et ne perçoivent pas la France comme un enjeu pour l’avenir de l’Inde. Tout au plus voient-ils notre pays, dont l’image est bonne, comme une parcelle du grand marché européen.
Le constat est assez sévère : nous n’attirons pas les meilleurs dans nos instances. Il n’y a par exemple pas d’entreprise de télécommunications dans les cercles franco-indiens. Il y a un déficit d’investissement sur la relation avec l’Inde et les grands entrepreneurs se détournent des cercles franco-indiens au profit de lieux plus porteurs en termes de marchés. Faudrait-il privilégier la création de cercles économiques multinationaux avec des partenaires européens ? Cette approche est séduisante mais néglige la réelle compétition qui existe entre pays européens pour s’implanter dans les pays émergents.
Par ailleurs, il faut veiller à ce que ces lieux de rencontre facilitent véritablement une meilleure connaissance commune et ne soient pas uniquement composés d’entreprises indiennes dont l’objet est de remporter des marchés au détriment des entreprises françaises de leur secteur. M. Paul Hermelin a fait valoir que les grandes entreprises d’informatique sont présentes dans toutes les plateformes de coopération avec l’Inde et qu’elles les utilisent pour trouver des clients français et se diversifier dans d’autres secteurs. Le Conseil présidentiel franco-indien pourrait être un « cheval de Troie » des informaticiens indiens pour pénétrer le marché français. Ils essaient d’abord d’obtenir des marchés de maintenance et ensuite de faire leur place dans l’intégration de systèmes.
Or, il convient de trouver un juste équilibre entre une politique plus accueillante à l’égard des investisseurs indiens et la prudence que requiert l’arrivée de groupes désireux de remporter des marchés, voire de procéder à des acquisitions. Si de telles opérations d’achat paraissent peu probables dans le secteur informatique, elles sont sans doute beaucoup plus envisageables dans les secteurs industriels. A cet égard, la négociation de l’accord de libre-échange indo-européen est suivie avec une grande prudence par plusieurs grandes entreprises qui craignent les effets sur le marché européen d’une implantation plus facile des entreprises indiennes, par exemple de constructeurs automobiles. L’ACMA, association indienne qui représente 90 % de l’industrie des équipementiers automobiles, a confirmé aux rapporteurs que de nombreuses compagnies automobiles indiennes souhaitent acheter des entreprises sous-traitantes en France pour accéder à leur technologie. En outre, une des demandes indienne est évidemment que les pays européens accordent plus facilement des visas et facilitent la circulation d’ingénieurs indiens sur leur territoire. Si les barrières existant aujourd’hui tombent, il existe un risque non négligeable que les ingénieurs indiens soient recrutés au détriment du personnel qualifié local. Il est très coûteux d’envoyer des Indiens sur le terrain européen et les entreprises cherchent donc à recruter des occidentaux pour la partie sur site client des services qu’ils rendent. Cela concerne plus de 200 000 emplois en France dans le secteur informatique.
Pour résumer, la France a un problème de déficit de visibilité en matière d’accueil des investissements et on constate un manque de position claire sur la question délicate des prises de capital. Un agent principalement chargé du suivi des grands groupes indiens au service économique régional serait sans doute très utile.
– renforcer les réseaux d’appui aux entreprises par la dévolution de moyens permettant de prodiguer une expertise et d’assurer des missions d’appui sur l’ensemble du territoire indien
– valoriser l’image des entreprises françaises et de leurs savoir-faire
– accorder une attention particulière aux PME en sélectionnant celles qui choisiront dans un premier temps cette seule destination parmi les pays émergents et en assurant le caractère durable de leur projet en Inde
– relancer les lieux de partenariats, particulièrement le conseil présidentiel franco-indien des entreprises, en mobilisant des partenaires indiens
– faciliter le développement de la présence indienne en France, en assurant un suivi attentif des grands groupes industriels indiens
3) Des secteurs clés à identifier pour développer une coopération utile, profonde et durable
Les relais de croissance actuels de la présence économique française en Inde sont bien identifiés. Ils correspondent à deux secteurs stratégiques, le nucléaire et la défense, auxquels ont peut ajouter l’aéronautique. Ces relais doivent être confortés.
S’agissant d’Airbus par exemple, les Indiens s’interrogent sur l’exploitation de l’Airbus A380. La majorité (60 %) des passagers effectuant des vols internationaux étant transportés par des compagnies aériennes étrangères, le gouvernement indien a le sentiment que cette situation, déjà défavorable à Air India et Jet Airways, pourrait se dégrader s’il autorisait l’exploitation du très gros porteur, qui, dans un premier temps, ne serait en effet « opéré » que par des compagnies étrangères : Emirates, Lufthansa et Singapore Airlines. D’après M. Ajay Mehra, représentant d’Airbus en Inde – où le groupe détient 70 % du marché aéronautique – cette analyse ne s’applique pas à la compagnie aérienne Air France, car les accords bilatéraux passés entre la France et l’Inde portent sur le nombre de sièges et non pas sur le nombre d’avions effectuant des liaisons entre les deux pays. Il espère qu’en faisant valoir cette spécificité franco-indienne auprès du gouvernement indien, Air France sera en mesure d’être la première compagnie aérienne internationale autorisée à exploiter l’A380 en Inde.
Hors ces secteurs, les relations économiques franco-indiennes sont encore limitées en volume, même si la tendance est à l’intensification des investissements en Inde. Or, comme le soulignait très justement M. Ranjan Mathai lorsqu’il était encore ambassadeur d’Inde à Paris, une impulsion politique, intergouvernementale, relayée par quelques très grands groupes bénéficiant de gros contrats ne suffit pas pour construire une relation économique. On peut se féliciter de la qualité des relations politiques entre nos deux pays, se réjouir des avancées positives pour nos entreprises d’armement et du nucléaire, mais il s’agit de secteurs qui n’impriment pas d’empreinte sur le tissu économique et social local.
La place de la France en Inde se renforcera si les entreprises françaises parviennent, nombreuses et robustes, à s’implanter dans des secteurs d’avenir. C’est la condition pour créer des liens économiques profonds et durables, socle de liens politiques étroits à long terme. La France dispose d’atouts indiscutables, notamment par rapport aux autres pays occidentaux. Le Royaume-Uni est l’ancienne puissance coloniale et les Etats-Unis sont souvent perçus comme intrusifs et rétifs au transfert de technologies. La France bénéfice a contrario d’une bonne image, son expertise est reconnue et elle est en pointe dans des secteurs qui intéressent au premier chef l’Inde. Il apparaît donc opportun de définir une stratégie d’implantation articulée autour de quelques secteurs clés. Une attention particulière devra être accordée à la diversité des entreprises que ces secteurs peuvent intéresser, à commencer par la diversité de taille.
Le Conseil présidentiel franco-indien des entreprises avait commencé un travail d’identification des secteurs de coopération utile, dans lesquels la France dispose d’une connaissance, d’un savoir-faire et d’entreprises parmi les meilleures au monde. Ce travail doit être poursuivi.
Le premier secteur est celui de l’énergie. Le rapport du groupe de travail constitué sur ce sujet mettait en exergue plusieurs domaines dans lesquels l’expertise française peut être exploitée : le développement de la localisation en Inde de composants pour le nucléaire civil, un projet pilote pour l’éclairage solaire en zone rurale, un projet visant à améliorer l’efficacité du réseau de transmission électrique, un projet d’alimentation électrique des relais de téléphonie mobile par combustible hydrogène, une stratégie pour le développement de véhicules électriques, des propositions touchant à la réduction de l’empreinte carbone, à la gestion de la demande et au stockage de gaz naturel. Ces domaines ont l’immense avantage de s’inscrire parfaitement dans la stratégie politique française, tant concernant le développement du nucléaire civil figurant dans le partenariat stratégique, celui des énergies renouvelables pour assurer un développement durable. De grandes entreprises françaises ont commencé à avoir des activités en Inde et pourraient aller plus loin, étant précisé que les entreprises allemandes sont très impliquées sur ce marché. En outre, des PME peuvent également remporter des marchés sur les « niches » écologiques, notamment pour la fourniture de matériels.
En matière de développement durable, des entreprises innovantes, proposant de réelles alternatives sur le marché indien, ont toutes les chances de réussir. Ainsi, si l’Inde a développé certains domaines d’activité tels que la téléphonie mobile, elle n’a pu le faire qu’en utilisant des produits polluants qui nuisent à l’environnement et donnent une image négative des entreprises exploitantes. Des entreprises apportant des technologies respectueuses de l’environnement seraient sans doute bienvenues. L’Inde est un pays très demandeur de nouvelles technologies et les entreprises françaises spécialisées développant le HVDC (high voltage direct current), très compétitif, ou encore du Carbo catcher (capture de carbone) y trouveraient un marché. L’Inde étant l’un des Etats rejetant le plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, cette technique lui serait très utile et il apparaît nécessaire de définir des projets pour lesquels la recherche en France permettrait de disposer d’une avance suffisante pour opérer des transferts de technologies à destination de pays stratégiques comme l’Inde. Cette question rejoint celle du développement de projets de recherche conjoints et de la formation professionnelle des Indiens dans ces filières nouvelles. Encore une fois, il ne peut y avoir d’approche isolant les différents éléments de la politique d’influence.
Le deuxième secteur où la France pourrait occuper une place substantielle est celui des infrastructures, tant comme investisseur que comme opérateur. Dans l’esprit du Conseil, cette coopération prendrait la forme de partenariats publics-privés, particulièrement adaptés et bien accueillis en Inde, en matière d’eau et d’assainissement et de transport routier. Les entreprises françaises sont déjà très présentes et elles pourraient capitaliser sur certains projets à décliner dans les différentes villes du pays. On pourrait ainsi imaginer l’émergence d’un tramway à l’indienne, que développerait un club « Tramway français » réunissant ingénieries et équipementiers. On constate par ailleurs un grand besoin en ingénierie et la France peut faire la différence. Egis – la filiale ingénierie et conseil en infrastructures de la Caisse des dépôts et consignations – a été retenue par Indian Railways, aux côtés d’Arep (une filiale du groupe SNCF), pour rénover la gare de Mumbai, classée au patrimoine mondial de l’Unesco.
Le troisième secteur est celui du développement du monde rural. Il convient de rappeler à cet égard que la déclaration conjointe franco-indienne de décembre 2010 mentionne la coopération dans le domaine de l’agriculture et de l’agroalimentaire ainsi que celle dans le domaine du développement durable. Les deux pays ont alors exprimé leur volonté de doubler et d’équilibrer les échanges de produits agricoles dans le cadre d’une coopération globale incluant la logistique des produits alimentaires, le secteur de la distribution et la recherche agro-alimentaire. Compte tenu des surfaces cultivables limitées, la croissance de la production agricole indispensable en Inde pour garantir un niveau d’autosuffisance alimentaire acceptable, nécessite une augmentation de la productivité, surtout dans les Etats de l’est qui n’ont pas bénéficié de la révolution verte. Par ailleurs, hormis dans le secteur du lait, les coopératives sont peu développées et la chaîne d’approvisionnement est mal organisée. Aujourd’hui, entre 30 % et 40 % de la production de fruits et de légumes pourrissent avant d’arriver sur les étals.
Cette politique agricole nécessite donc un appui technique important, notamment concernant les intrants, c’est-à-dire les engrais et les semences, la recherche agricole, les capacités de stockage, l’amélioration des infrastructures de marché, la législation commerciale et la réglementation foncière. Des investissements lourds devront être déployés, notamment dans les domaines de l’irrigation et de la gestion de l’eau, en matière d’électricité (énergie pour l’eau par exemple) et de transport et stockage.
Un groupe de travail franco-indien agricole a été créé en 2003. Les domaines de coopération identifiés comprennent le renforcement des capacités de gestion après les récoltes, le vin et la viticulture (il est à noter que l’Inde a officiellement demandé son adhésion à l’Organisation internationale de la vigne et de vin, basée à Paris, le 12 janvier 2011), la recherche, la formation, les programmes d’échange, l’identification et la traçabilité des animaux et l’amélioration génétique du cheptel laitier. Le ministère de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire a créé un poste de conseiller pour les affaires agricoles auprès de l’ambassade de France en Inde en septembre 2009. Les visites de M. Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture, en Inde en octobre et décembre 2010 ont donné une nouvelle dynamique aux relations bilatérales et à la coopération entre la France et l’Inde dans les secteurs agricole et agroalimentaire. Ces visites ont en effet conduit à la relance du groupe de travail agricole franco-indien et à la décision de convenir d’un nouvel arrangement administratif dans le domaine de l’agroalimentaire, qui doit être mis en œuvre par un groupe de travail franco-indien spécifique.
Un plan d’action a été rédigé en mai 2011 par le groupe de travail autour de deux orientations principales : un volet appui à la chaîne du froid et un volet coopération, qui doit aborder les questions de normes sanitaires. Deux missions exploratoires ont eu lieu fin 2011 et un séminaire ad hoc doit se tenir en Inde en mai 2012 sur la chaîne du froid. Les travaux conduits par le ministère de l’agriculture sur la chaîne du froid sont très intéressants car il s’agit de répondre à une demande de la partie indienne, celle-ci apportant un financement, et se traduit à la fois par une expertise technique, de la formation et un objectif commercial. Sont mis en contact des fournisseurs français, essentiellement des PME (équipementiers vendant des véhicules frigorifiques des équipements de stockage froid, du matériel frigorifique pour les magasins de détail ou les grandes surfaces etc.) avec des acheteurs indiens.
Cela s’inscrit donc dans une véritable politique d’influence en termes de valorisation de l’expertise française, de normes et de standards français et d’intérêts commerciaux. L’Inde a adhéré à l’Institut international du froid, qui est français, et vient de se mettre à jour de ses cotisations, signe très positif. Les travaux sur les normes sanitaires et phytosanitaires présentent aussi un intérêt en termes d’échanges commerciaux entre les deux pays. Le mouvement enclenché pourrait permettre de développer un réseau français en Inde susceptible ensuite d’être étoffé à la faveur des politiques agricoles et de l’entrée en vigueur de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Inde. L’ouverture du secteur des vins et spiritueux constitue aussi, évidemment, une perspective alléchante. La France fait de ce dossier un préalable à la conclusion de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Inde. M. Montek Singh Alhuwalia, vice-président de la Planning Commission, a reconnu à cet égard que les barrières réglementaires à l’importation de vins français pourraient être levées car ces vins ne concurrenceraient pas les vins indiens et davantage d’importations françaises pourraient au contraire contribuer à l’amélioration de la qualité de ces derniers.
D’autres secteurs où la France serait particulièrement bien positionnée doivent aussi être mentionnés. C’est le cas du tourisme et particulièrement de l’hôtellerie. Le pays peut aujourd’hui offrir seulement un peu plus de 100 000 chambres pour accueillir les touristes et la Planning Commission estimait en 2010 à 150 000 le nombre de chambres supplémentaires nécessaires. En outre, la moyenne gamme est quasiment absente. Le groupe Accor a d’ailleurs pour ambition de devenir d’ici 2015 la première chaîne internationale d’hôtels en Inde. Elle gère à ce jour, dans le cadre de sociétés conjointes, neuf hôtels sous les enseignes Novotel, Mercure et Ibis et deux centres de conférences. Seize hôtels sont en train d’être mis en service et trois nouvelles enseignes sont lancées : Sofitel, Pulmann et Formule 1. Le programme compte au total 63 nouveaux hôtels. En matière d’urbanisme, qui présente en outre le grand intérêt d’apporter à la relation économique une dimension socioculturelle et humaine, la France a aussi une carte à jouer et peut s’appuyer sur les initiatives de coopération décentralisée et les actions développées par l’Institut français de Delhi.
– développer une coopération utile dans des secteurs d’investissements clés dans lesquels la France dispose d’une compétence et qui répondent aux besoins de l’Inde, notamment l’énergie, les secteurs agricole et agro-alimentaire, le développement durable et les infrastructures
CONCLUSION : CRÉER UN FONDS STRATÉGIQUE PUBLIC-PRIVÉ DÉDIÉ À L’INDE
Les récentes visites présidentielles ont enclenché une nouvelle étape dans le renforcement du partenariat franco-indien. La volonté commune d’enrichir les relations entre les deux pays, dans un intérêt mutuel entendu, a permis le renouveau ou la naissance d’initiatives nombreuses.
Il convient que cet élan ne s’essouffle pas. Une certaine stagnation se fait sentir, sans doute aussi à cause de la crise qui atteint nos capacités budgétaires et notre dynamisme économique. C’est au contraire le moment d’opérer des choix décisifs pour assurer à la France la place à laquelle elle aspire dans un monde façonné par de nouveaux rapports de force.
Si l’Inde peut se passer d’un partenariat privilégié avec la France – et d’autre pays s’en accommoderaient fort bien – la France ne peut se permettre de passer à côté de ce grand pays, amené à jouer un rôle majeur dans les années qui viennent dans tous les domaines de la puissance, et qui recèle des opportunités pour nos acteurs économiques. C’est maintenant que l’avenir se joue.
Notre présence économique en Inde doit être impérativement renforcée. Comme le soulignaient MM. Jean-Joseph Boillot et Philippe Humbert, co-fondateurs du Euro-India group (EIEBG), dans un article du Monde en date du 3 décembre 2010 intitulé « Croire dans l’axe Paris-Delhi », il faut « valoriser les cartes françaises qui sont fortes comme dans les grandes industries et les services où l’Inde a des besoins immenses : transport, infrastructures, agroalimentaire, services aux collectivités, nucléaire civil, énergie, technologies de défense, etc. Et pour cela, il faut sortir d’un syndrome très français : la fascination pour la Chine et le misérabilisme pour l’Inde ». Et de poser aussi la question : « Pourquoi laisser à l’Allemagne le monopole des pays émergents ? ».
La Mission est convaincue du bénéfice réciproque que retireraient nos deux pays si nous faisions pleinement le pari de l’Inde. Notre pays dispose d’atouts incontestables, notamment dans des secteurs économiques clés pour l’Inde. Les Indiens observent en outre d’un œil bienveillant la venue de nos forces économiques, notre présence culturelle et notre ouverture scientifique et technologique. Sur la base d’une alliance politique solide, fondée sur des choix stratégiques, complétée de relations culturelles anciennes et renouvelées, notre pays doit désormais réussir à construire une proximité étroite, non seulement au plus haut niveau de l’Etat, mais aussi dans le devenir commun de nos sociétés.
En toute logique, un partenariat stratégique devrait s’accompagner de la création d’un fonds stratégique pays, regroupant les secteurs public et privé, les moyens financiers disponibles sur tous les sujets et affectant ces moyens en fonction des intérêts stratégiques de la France. S’assurer une bonne place en Inde implique ainsi de fédérer des initiatives éparses, d’agréger les crédits disponibles et de drainer des moyens supplémentaires, par redéploiement, mais aussi en captant et orientant des fonds privés. Un fonds stratégique dédié à l’Inde permettrait de mieux structurer la politique d’influence française en définissant et pilotant des projets dotés de moyens adéquats et articulés autour d’objectifs précis et hiérarchisés. Une telle novation pourrait être déclinée avec d’autres pays si elle s’avérait efficace.
En tout état de cause, pour parvenir à tisser des liens étroits, notre présence économique doit s’accompagner d’un véritable partenariat éducatif et scientifique, qui n’est aujourd’hui pas à la hauteur du défi que l’Inde doit relever en matière de formation et des perspectives de coopérations en matière de recherche.
Ce partenariat est la condition de la création de réseaux franco-indiens, dans le monde des affaires et dans les domaines du savoir. Une fois ces liens solidement tissés, le partenariat franco-indien, au contraire du partenariat franco-chinois notamment, pourrait faire émerger des actions et des projets communs dirigés vers des Etats tiers.
La commission examine le présent rapport d’information au cours de sa séance du mercredi 18 janvier 2012.
Après l’exposé des co-rapporteurs, un débat a lieu.
M. Jean-Paul Lecoq. Je tiens à remercier les rapporteurs pour leur excellente et instructive présentation. Je souhaiterais rebondir sur les dernières phrases de M. Eric Woerth. Vous avez suggéré, Monsieur le rapporteur, qu’il faut aller, en Inde, « en meute ». J’estime que lorsqu’un rapport décrit si bien la réalité de la situation et suggère une meilleure coordination, il devrait y avoir des actes politiques forts pour faire de l’Inde un objectif majeur et mettre en œuvre les mesures appropriées. J’espère que ce rapport pourra avoir cet effet. Concernant le rôle de l’Europe, comme le rappellent Les Echos de ce matin, Mme Ashton est actuellement en Inde et doit notamment évoquer les droits de douanes qui atteignent, parfois, 100 ou 150 %. Quel est votre sentiment sur cette question ? Enfin, qu’en est-il de nos universités ? On ne parle pas de la présence indienne dans les universités françaises ? Ne pourrait-on pas faire mieux dans ce domaine ?
M. Eric Woerth, co-rapporteur. En ce qui concerne « la meute », M. Lecoq a raison. Notre rapport comporte toute une série de propositions qui, certes, n’ont pas vocation à faire des miracles mais sont utiles. Nous avons des bases exceptionnelles en Inde et il est indispensable de regrouper nos moyens, d’autant plus que nous avons un vrai partenariat stratégique avec ce pays. Et à un partenariat stratégique devrait correspondre un fond stratégique, miroir de notre fonds stratégique d’investissement. Avoir, par exemple, un partenariat avec l’Institute of Technology de Jaipur, c’est stratégique. La Russie, le Japon et l’Allemagne ont de tels partenariats. Nous devons faire de même. Il est donc nécessaire de mettre en place un fonds stratégique tourné vers l’Inde. Les forces françaises, aujourd’hui, sont trop dispersées et doivent être regroupées.
M. Jean-Michel Boucheron. Ma question porte sur le rayonnement mondial de l’Inde. Lorsque l’on compare la Chine et l’Inde, on se rend compte que ces pays relèvent de la même catégorie. Or, lorsque l’on voyage, où que ce soit, la présence chinoise semble bien plus importante. Est-ce dû à un simple retard de l’Inde ou bien à une approche différente ?
M. Paul Giacobbi, co-rapporteur. Je souhaite tout d’abord répondre à M. Lecoq : aujourd’hui, les universités françaises accueillent près de 2 500 étudiants indiens. Nous devrions aller plus loin et développer les doubles diplômes. Je reprends l’exemple de l’Institut catholique des Arts et Métiers qui, en collaboration avec une école indienne, forme 70 ingénieurs par an dans un cursus commun, ce n’est pas rien ! Les doubles diplômes sont autant d’influence en plus pour notre pays.
S’agissant des propos de M. Boucheron, je tiens à dire que je ne partage pas ses impressions sur la présence indienne dans le monde. Autant la Chine, avec ses « Chinois de l’extérieur », que l’Inde, avec ses « citoyens d’outre-mer» et ses « personnes d’origine indienne», sont très présents à l’extérieur de leurs frontières respectives. Ainsi, il y a par exemple beaucoup d’Indiens en Afrique du Sud, en Afrique Orientale, mais aussi à La Réunion. Les réseaux indiens sont très actifs. On compte notamment beaucoup d’Indiens parmi les dirigeants des entreprises américaines. Quelqu’un comme Lakshmi Mittal est peut-être considéré officiellement comme citoyen britannique, il reste néanmoins indien. Il y a donc un équilibre entre les communautés indienne et chinoise quant à leur présence dans le monde.
M. Lionnel Luca. Je souhaiterais avoir des précisions sur les liens entre l’Inde et l’Islam ainsi que sur la minorité tibétaine de Dharamsala. Quels sont les rapports de l’Inde avec le Dalaï-Lama, notamment au regard des relations avec le voisin chinois ?
M. Paul Giacobbi, co-rapporteur. Il y a environ 10 % de musulmans en Inde. Il y a eu et il y a toujours des tensions, mais les minorités musulmanes ne sont pas les plus agitées en Inde. Le terrorisme fondamentaliste islamiste est importé. S’agissant du Tibet, l’Inde n’est pas restée inactive. Elle reconnaît le Dalaï-Lama comme chef spirituel des Tibétains, elle apporte des financements et des soutiens face à la République populaire de Chine. Il y aussi une minorité tibétaine historique en Inde, en particulier au Ladakh, et sa présence ne pose pas de problèmes.
M. Eric Woerth, co-rapporteur. Plus que le Pakistan, l’Inde est obnubilée par la Chine, par sa politique étrangère et économique et le fait qu’elle est entourée d’un « collier de perles » chinois. Mais en même temps – et paradoxalement – l’Inde a fortement augmenté ses échanges commerciaux avec la Chine au cours des dernières années.
M. Michel Terrot. Comment se passe la collaboration de la France avec l’Inde dans les domaines aéronautique et spatial ? Par ailleurs, que fait l’Agence française de développement, en Inde, au niveau des prêts ? Est-ce que c’est significatif et, si oui, est-ce lisible ?
M. Eric Woerth, co-rapporteur. Nous avons bien évidemment reçu l’AFD qui nous a indiqué que les prêts en cours représentent environ 250 millions d’euros. Il y a un problème, toutefois, qui mérite d’être signalé : l’AFD ne souhaitait plus allouer des prêts bonifiés, considérant que la bonification des taux n’est pas nécessaire et, sur ce point, il y a une vraie divergence avec notre ambassade en Inde. Nous soutenons la position de l’ambassade d’autant plus que d’autres Etats, comme l’Allemagne, accordent, eux, des prêts bien plus intéressants que les prêts français. Il y a, en tout cas, toute une série de projets actuellement menés, en particulier concernant le développement urbain et rural.
S’agissant du secteur spatial, il y a plusieurs collaborations en cours. Le CNES a par exemple fourni des instruments embarqués sur une plateforme indienne pour un projet d’étude de la climatologie tropicale. Enfin, en ce qui concerne le secteur aéronautique, d’importants contrats ont été signés avec des compagnies aériennes indiennes. Ce pays représente un marché exceptionnel et si, depuis 2007, nous sommes en déficit commercial avec lui, on devrait assister à un rééquilibrage vers 2013-2014 du fait de livraisons importantes d’Airbus.
M. Jean-Marc Roubaud. Vous avez évoqué l’ancienneté de la collaboration scientifique. Savez-vous si elle a donné lieu à des transferts de technologies entre l’Inde et la France, notamment en matière de nucléaire civil ?
M. Eric Woerth, co-rapporteur. A ma connaissance, il n’y a pas eu de transferts de technologie notables en provenance d’Inde. Ces transferts posent dans le domaine du nucléaire civil des problèmes de propriété industrielle que nous aborderons avec l’accord examiné à la suite de ce rapport.
Les investissements indiens en France, malgré leur récente progression, demeurent très faibles. Notre pays n’est vraiment pas une cible d’investissement. A ce sujet, je vous livre une anecdote : nous avons rencontré le fondateur de Wipro, qui a créé, à partir de la modeste entreprise de son père, un géant de l’informatique. La réussite exceptionnelle de cette société fait d’elle aujourd’hui un concurrent de Capgemini qui est, avec Sodexo, l’un des premiers investisseurs français en Inde. Sur les 180 000 emplois français en Inde, Capgemini compte 35 000 salariés et Sodexo 28 000. Cet entrepreneur nous a raconté les incroyables déboires qu’il a connus en France. Il avait acheté une entreprise à Sophia Antipolis pour s’implanter en France. Désireux de restructurer l’entreprise, il s’est heurté à l’impossibilité de licencier des délégués du personnel. Malgré les efforts de l’ambassade, à laquelle il a demandé de l’aide en personne, il n’a pas trouvé de solution et a donc choisi d’abandonner ce projet. Il ne reviendra pas avant plusieurs années dans notre pays.
Mme Martine Aurillac. Je remercie les rapporteurs pour leur présentation passionnante. Nous connaissons la position non interventionniste de l’Inde ainsi que ses rapports très difficiles avec le Pakistan. Quelle est aujourd’hui la position de l’Inde sur l’Afghanistan ?
M. Paul Giacobbi, co-rapporteur. L’Inde parle beaucoup du Pakistan sans douter néanmoins de sa capacité, si nécessaire, à régler le problème, y compris militairement, étant donné sa puissance et de sa supériorité technologique. Les Indiens sont préoccupés par le terrorisme pakistanais. Ils reconnaissent néanmoins qu’il n’est pas l’œuvre du Gouvernement et qu’il s’agit d’un problème beaucoup plus complexe. Je vous rappelle les propos de Pervez Musharraf disant « on m’a reproché d’être proche du terrorisme ; je l’ai été trois fois et trois fois ils ont essayé de me tuer ».
Le Pakistan est un écran de fumée pour masquer la vraie inquiétude des Indiens concernant la Chine : la comparaison des performances économiques les préoccupe beaucoup. Par ailleurs, des problèmes frontaliers qu’on évoque rarement se posent, avec plus d’acuité que pour le Cachemire. Les Indiens se soucient d’abord de la Chine.
En Afghanistan, l’Inde souhaite d’abord faire pièce au Pakistan. Ils soutiennent l’Alliance du Nord dans un jeu compliqué. Mais l’Afghanistan n’est certainement pas le cœur de leurs préoccupations.
M. Jacques Myard. Je souhaite revenir sur la présentation quelque peu idéaliste de M. Giacobbi sur plusieurs points. En premier lieu, l’Inde a manifesté une volonté constante de faire prévaloir la loi indienne sur le droit international. J’ai le souvenir de la bataille que nous avions dû mener pour qu’un institut franco-indien, créé dans les années 80, soit soumis au droit international. Je souligne d’ailleurs que ne figure pas, et pour cause, de clause d’arbitrage dans l’accord que nous allons examiner. Il faut donc tempérer l’analyse et avoir à l’esprit la très forte conception que les Indiens ont de leur souveraineté, dont nous pourrions d’ailleurs nous inspirer.
En deuxième lieu, je suis en désaccord avec votre vision des relations entre l’Inde et le Pakistan. Certes, la question nucléaire a calmé le jeu mais j’ai entendu par le passé les Indiens qualifier les Pakistanais de « mad dogs » desquels il fallait se protéger. La montée en puissance de la Chine leur pose certainement problème, d’autant que Chinois et Indiens ont deux approches différentes du monde : les uns sont matérialistes, les autres religieux.
Enfin, vous n’avez pas souligné la dualité constante de l’économie indienne. Lorsque la France a souhaité, il y a plusieurs années, présenter devant le Conseil de sécurité une résolution pour combattre l’extrême pauvreté, les Indiens ont refusé de la co-signer au motif qu’il n’y avait pas d’extrême pauvreté en Inde.
L’Inde sera un très grand partenaire à terme. Vous avez raison de souligner son excellence dans le domaine informatique dans lequel nous devons intensifier les coopérations. Il ne faut cependant pas sous-estimer les difficultés indiennes en matière de développement.
M. Eric Woerth, co-rapporteur. Les Indiens ne nient pas l’extrême pauvreté. Par exemple, seuls 6 % des jeunes en âge de faire des études suivent effectivement des études supérieures et il n’y a pas d’obligation de scolarisation. De nombreux enfants indiens ne sont pas scolarisés ou le sont par intermittence en fonction de la mousson. La qualité de vie moyenne au Bangladesh est meilleure qu’en Inde. Parallèlement, on assiste, comme dans de nombreux autres pays, à l’émergence d’une classe moyenne qui exprime des besoins nouveaux et importants, compte tenu du poids de la population indienne.
L’Inde a environ vingt ans de retard sur la Chine qu’elle ne parviendra pas à rattraper, du moins avant très longtemps. Mais en 2030, les Indiens seront plus nombreux que les Chinois et le PIB indien, sans atteindre celui de la Chine, figurera au quatrième ou cinquième rang mondial.
M. Jean-Claude Guibal. Quelle est la place de l’ancien colonisateur que fut la Grande-Bretagne dans l’économie indienne ? Ce passé commun est-il un point d’appui ou un obstacle pour sa présence ? Quel est le poids des importations indiennes dans notre balance commerciale ? Je souhaiterais illustrer la difficulté des entreprises françaises à s’adapter par une anecdote : un conseiller culturel, ethnologue il est vrai, avait averti des entreprises françaises candidates à un appel d’offres dans le secteur des transports en Indonésie de la nécessité de passer par l’intermédiaire d’une tribu, très influente dans ce secteur, pour remporter le marché. Il s’était vu répondre par ces entreprises qu’elles fabriquaient le meilleur matériel et que cela les dispensait de ce genre de manœuvres…
Tant que les entreprises françaises considéreront qu’il leur suffit de présenter le meilleur produit, elles auront des difficultés à répondre à la demande de sociétés régies par des valeurs différentes. Ce problème de l’adaptation des entreprises françaises à un pays et à sa pratique commerciale tient à la formation de ceux qui seront demain les décideurs dans les entreprises.
M. Eric Woerth, co-rapporteur. Les exportations britanniques s’élèvent à 12 milliards d’euros en 2008-2009, contre 7,7 pour la France et 18,4 pour l’Allemagne. Si la France est donc très en retrait, nous devrions progresser en 2013-2014 grâce aux grands contrats que j’ai déjà évoqués, notamment Airbus.
La France importe de plus en plus de produits indiens. Le déficit de la balance commerciale est de 1,2 milliard d’euros quand il est de 26 milliards d’euros avec la Chine. Le creusement de notre déficit commercial est en partie dû à la hausse des importations de produits raffinés. Les exportations françaises sont principalement constituées de matériels dans les domaines de l’électronique, des transports ou de l’eau. Par ailleurs, la production française sur place progresse, notamment dans le domaine des services. Je pense au secteur de l’eau dans lequel la France excelle. Une société française a ainsi pour la première fois pris en charge la gestion de l’eau d’une grande ville indienne malgré les risques encourus. La France est de plus en plus présente dans les domaines stratégiques. C’est la raison pour laquelle nous avons souligné dans notre rapport ces domaines dans lesquels la France dispose d’une base pour se développer.
Les Indiens font preuve d’une réelle méfiance à l’égard des Britanniques. Ils ne manifestent aucune volonté politique de développer leurs relations avec eux.
M. Paul Giacobbi, co-rapporteur. Sur les aspects juridiques, je répondrai à Jacques Myard, avec l’exemple des difficultés rencontrées par le groupe Lafarge qui a une cimenterie au Bangladesh, alimentée à partir de l’est de l’Indi. Des tribus de la région d’extraction ont intenté des recours devant les tribunaux puis la Cour suprême, sur l’impact environnemental de l’utilisation de tapis roulants pour alimenter la cimenterie. Cette affaire a eu de grosses conséquences pour l’entreprise en première instance, mais quatre mois plus tard, la Cour suprême a rendu un arrêt de 150 pages qui a donné raison à Lafarge sous réserve de certaines conditions, axé sur le principe de proportionnalité et de l’impact sur l’environnement des activités. Cet arrêt a eu une influence sur les Cours suprêmes étrangères, qui montre que l’Inde est en fait, sur le plan juridique, dans le mainstream mondial de la Common Law, tout en ayant ses particularités.
Concernant leur forte conception de la souveraineté, effectivement, les Indiens nous disent clairement : nous représentons un sixième de l’humanité et il n’est donc pas indifférent que notre droit ait une certaine influence. En matière de nucléaire également, ils tiennent un discours similaire : à choisir entre la norme internationale et notre survie ; nous choisissons notre survie.
M. Jean-Paul Bacquet. J’ai beaucoup appris en vous écoutant, notamment sur le fait qu’il n’y avait pas d’actionnariat, surtout des entreprises familiales, avec des capacités formidables d’acquisition, y compris en Europe. Pourquoi ne le font-ils pas plus, notamment à chaque fois qu’on veut essayer de leur prendre des parts de marché ? Dans la lignée de ce que disait Jean-Paul Lecoq, les outils de notre commerce extérieur, Ubifrance, la Coface, sont-ils bien adaptés au marché indien ? Quant à l’exportation, les Chambres de commerce internationales, les régions, ne délaissent-elles pas l’Inde ? Enfin, l’Inde est-elle un objectif pour les investissements directs français et les échanges économiques de la France et, inversement, l’Inde a-t-elle des objectifs commerciaux ou d’investissements dans notre pays ?
M. Paul Giacobbi, co-rapporteur. Il y a effectivement quelques très gros conglomérats, Tata, Birla, Embani, quelques très grands groupes, 6 ou 7, qui pèsent des dizaines de milliards de dollars de valeur, qui appartiennent à 95 ou 98 % aux familles, le reste étant sans doute détenu par les salariés qui ont reçu des actions, et dont les dirigeants vivent sur un pied extrêmement modeste et, pour certains, consacrent la quasi-totalité de leur fortune aux fondations d’entreprises qu’ils ont créées.
Quant à savoir si nous sommes un objectif, je répondrai à la fois oui et non. Le groupe Tata a acheté en Europe des actifs pour 24 milliards de dollars, Jaguar notamment, qu’il a redressé, emploie aujourd’hui 100 000 personnes en Europe. Le groupe n’a pas d’objectifs stratégiques en France pour le moment, mais il ne tardera pas à venir faire son marché chez nous. Je rappelle le cas d’Arcelor, dont on nous disait qu’elle ne serait pas achetée par Mittal, alors même que c’était déjà fait. Ne nous leurrons pas : quand un grand groupe indien nous dit qu’il s’intéresse à une affaire, c’est que l’opération est déjà bouclée. Cela étant, la France n’est pas un de leurs objectifs car elle pose des problèmes spécifiques : M. Azim Premji ne réinvestira pas en France à cause des problèmes de réglementation du droit du travail qu’il a rencontrés lors de l’affaire de Sophia Antipolis mentionnée par Eric Woerth. Il n’a pas supporté de s’entendre dire, pour la première fois, qu’il était un mauvais patron, alors qu’il consacre, comme il nous l’a fait remarquer, la totalité de sa fortune à la fondation de son entreprise et qu’on se précipite pour travailler chez lui en Inde. Ce sont des gens qui sont capables de dépenser 5 milliards sans s’endetter pour une acquisition, mais qui sont en même temps fragiles car ils n’ont pas de capital solide.
M. François Rochebloine. Avec Mme Colot nous avions fait une mission en Inde sur le rayonnement culturel de la France. Nous avions constaté que l’Institut Cervantes développait une forte présence, sans doute supérieure à celle de la France. Cela étant, les Alliances françaises conduisent une action importante au niveau culturel.
M. Eric Woerth, co-rapporteur. Effectivement. De même, Ubifrance joue un rôle important dans le domaine économique. Les équipes présentes en Inde sont, de façon générale, motivées et ça marche bien. Notre problème, c’est que nous sommes dispersés et c’est la raison de notre proposition de création d’un fonds stratégique. Nous avons peu d’argent et il faudrait essayer de concentrer les actions, de choisir ce sur quoi on met l’accent. CampusFrance fait aussi un gros travail, organise des séminaires, encore récemment, pour réunir des représentants indiens et français, mais encore une fois, tout cela reste à petite échelle. Il faut résolument changer de braquet. Pour 2 500 jeunes Indiens qui viennent étudier en France, 4 à 5 000 vont en Allemagne et nous accueillons près de 30 000 Chinois. Il n’y a pas de raison à ce qu’il en soit ainsi. Le français est la première langue enseignée en Inde. Il y a 800 000 étudiants à l’université de Bombay, avec des départements de langue immenses. Il faut faire des choses concrètes, aller au-delà des memorandums of understanding. On peut atteindre sans difficulté 20 000 étudiants indiens si on le veut, sans qu’il soit besoin d’augmenter significativement le nombre de bourses, qu’ils ne recherchent pas nécessairement.
Puis la commission autorise la publication du rapport d’information.
Résumé des préconisations pour plus de France en Inde et plus d’Inde en France
– Mettre en place un fonds stratégique public-privé dédié à l’Inde
Conforter une relation politique de haut niveau
– Elargir les discussions franco-indiennes à de nouveaux thèmes d’intérêt communs comme l’Afghanistan et l’Afrique
– Poursuivre le redéploiement des moyens des services diplomatiques et consulaires, entendus au sens large, au profit de l’Inde
– Obtenir de l’AFD qu’elle maintienne des conditions de prêts à l’Inde suffisamment attractives
Consolider la diplomatie culturelle, scientifique et technique
– Offrir les moyens budgétaires adaptés en mettant, a minima, un terme à la baisse des crédits, pour préserver la diversité des actions en matière culturelle
– Relancer les études françaises en Inde
– Créer une Académie franco-indienne à vocation culturelle
– Promouvoir une approche intégrée de la coopération scientifique et technologique, des échanges universitaires et des relations économiques
– Renforcer la dotation du CEFIPRA qui offre un fort effet de levier
– Veiller au dynamisme des deux IFRE en leur conférant des moyens décents
– Créer un groupe de travail franco-indien sur l’innovation
Créer un véritable partenariat éducatif
– Fixer un objectif de 20 000 étudiants indiens par an en France en 2025 en utilisant les moyens suivants :
- poursuivre le rééquilibrage des moyens publics en faveur de l’Inde pour la promotion de l’enseignement français et pour l’octroi des bourses ;
- développer l’offre de cours en anglais, notamment dans les matières scientifiques et le cas échéant en aménageant la loi Toubon ;
- faciliter les formations en français, en Inde et en France, pour les étudiants bénéficiant de bourses ou de programmes d’échanges notamment pour leur permettre de travailler par la suite en France ou avec des réseaux français ;
- assouplir les conditions de visa pour les étudiants ou post-diplômés de certains pays prioritaires en matière d’accueil, dont l’Inde, pour assurer une présence un peu plus longue et « professionnalisante » ;
- engager l’Inde vers la voie d’un partage des coûts en matière de bourses ;
– Créer un véritable suivi des étudiants étrangers, utiles autant pour alimenter la dynamique des échanges d’étudiants, que pour crée un vivier à la disposition de nos entreprises et de nos politiques
– Inciter à la création d’établissements franco-indiens afin de former des étudiants susceptibles d’être embauchés par nos entreprises ; inciter lesdites entreprises à s’associer à ces initiatives
– Mener à bien le projet d’IIT au Rajasthan pour démontrer l’importance accordée par la France au développement du partenariat éducatif et scientifique avec l’Inde
Renforcer les liens économiques
– Fixer de nouveaux objectifs chiffrés d’investissements et d’échanges économiques : 13 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2015, 1 000 implantations d’entreprises françaises et 2 % de part du marché indien
– Renforcer les réseaux d’appui aux entreprises par la dévolution de moyens permettant de prodiguer une expertise et d’assurer des missions d’appui sur l’ensemble du territoire indien
– Valoriser l’image des entreprises françaises et de leurs savoir-faire
– Accorder une attention particulière aux PME en sélectionnant celles qui choisiront dans un premier temps cette seule destination parmi les pays émergents et en assurant le caractère durable de leur projet en Inde
– Relancer les lieux de partenariats, particulièrement le conseil présidentiel franco-indien des entreprises, en mobilisant des partenaires indiens
– Faciliter le développement de la présence indienne en France, en assurant un suivi attentif des grands groupes industriels indiens
– Développer une coopération utile dans des secteurs d’investissements clés dans lesquels la France dispose d’une compétence et qui répondent aux besoins de l’Inde, notamment l’énergie, les secteurs agricole et agro-alimentaire, le développement durable et les infrastructures
Liste des personnalités rencontrées
(par ordre chronologique)
1) A Paris
– M. Jean Paul-Ortiz, directeur d’Asie et d’Océanie, Mme Jasmine Zerinini, sous-directrice d’Asie méridionale, et M. Tristan Dufes, rédacteur au ministère des affaires étrangères et européennes (15 mars 2011)
– M. Dov Zerah, directeur général de l’Agence française de développement, accompagné de Mme Martha Stein-Sochas, directrice du département Asie, Mme Maréva Bernard-Hervé, responsable géographique, et de M. Hervé Gallèpe, chargé des relations parlementaires (29 mars 2011)
– S. Exc. M. Ranjan Mathai, ambassadeur d’Inde en France (6 avril 2011)
– M. Antoine Chéry, sous-directeur relations bilatérales à la Représentants de la direction générale du Trésor, accompagné de Mme Shanti Bobin, adjointe au chef du bureau Asie et Océanie (12 avril 2011)
– Mme Mathilde Mallet, responsable « manifestations internationales » à CampusFrance, accompagnée de M. Claude Torrecilla, délégué à la communication (12 avril 2011)
– M. Guy de Panafieu, président du comité France-Inde de Medef International, accompagné de M. Thierry Courtaigne, vice-président, directeur général de Medef International, et de M. Vincent Meyet, adjoint chargé de la zone Asie du sud (10 mai 2011)
– M. Bertrand Collomb, président d’honneur de Lafarge, co-président du Conseil présidentiel franco-indien des entreprises (17 mai 2011)
– M. Jean-Michel Viot, directeur général de l’Institut catholique des arts et métiers (ICAM) (24 mai 2011)
– M. Jean-David Lévitte, conseiller diplomatique du Président de la République (31 mai 2011)
– M. Jean-Paul Larçon, responsable du partenariat stratégique de HEC Paris avec l’IMM d’Ahmedabad, accompagné de Mme Geneviève Barré, Head of international Développement Asia-Pacific (7 juin 2011)
– M. Jean Leviol, chef du service économique régional de New Delhi (14 juin 2011)
– Mme Catherine Perronet, secretary to the strategy committee of the board de Capgemini (21 juin 2011)
– M. Ghislain Lescuyer, directeur de la stratégie d’Alstom (21 juin 2011)
– M. Serge Yoccoz, directeur de la stratégie et du plan de Renault, accompagné de Mme Louise d’Harcourt, chargée des relations institutionnelles (21 juin 2011)
– M. Laurent Collet-Billon, délégué général pour l’armement, accompagné de M. Daniel Argenson, ingénieur général de l’armement, sous-directeur Asie Pacifique, en charge de l’Inde, et de M. Florent Bernardin, conseiller international du DGA (28 juin 2011)
– M. Christophe Jaffrelot, directeur de recherche au CNRS (5 juillet 2011)
– M. Armand Laferrere, directeur des Offres Grands Projets à la direction internationale et marketing d’Areva, accompagné de Mme Aurélie Andrieux, directeur des relations institutionnelles (12 juillet 2011)
– M. Jean Brunol, vice-président de Federal Mogul (26 octobre 2011)
– Son Exc. M. Rakesh Sood, nouvel ambassadeur d’Inde en France (8 novembre 2011)
– M. Paul Hermelin, président du Conseil des chefs d’entreprises France-Inde de Medef International (15 novembre 2011)
2) En Inde
a) à Delhi (du 17 au 20 septembre 2011)
– Son Exc. M. Jérôme Bonnafont, ambassadeur de France en Inde, et ses collaborateurs : M. Jean-Marin Schuh, ministre-conseiller, M. Jean-René Cougard, chef du service économique régional, Mme Marianne Barkan-Cowdy, conseiller, ainsi que MM. Abdenor Brahmi, conseiller financier régional, Patrick Manon, directeur d’Ubifrance pour l’Inde, Max Claudet, conseiller de coopération et d’action culturelle, Mme Véronique Briquet-Laugier, conseillère pour la science et la technologie, Colonel Jean-Marie Monot, attaché de défense, MM. Sunil Félix, conseiller nucléaire, Eric Sayettat, conseiller économique, Florent Aydalot, conseiller, Mme Aruna Adiceam, attachée culturelle, MM. Benjamin Gestin, attaché pour la coopération décentralisée, et Arnaud Toupet, attaché aéronautique, et Mme Flore Lafaye de Micheaux, attachée
– M. Yashwant Sinha, parlementaire et président du groupe d’amitié France-Inde de la Lok Sabha (chambre basse)
– M. Ranjan Mathai, Foreign Secretary
– Dr Gautam Sengupta, directeur général de l’Archeological Survey of India, et Mme Juthika Patankar, son adjointe
– M. Karan Singh, parlementaire
– Dîner sur les relations culturelles, en présence de Mme Alka Pande, commissaire d’exposition, spécialiste d’histoire de l’Art, directrice de l’Indian Habitat Center Delhi, M. Francis Wacziarg, président du Comité de l’Alliance française de Delhi et fondateur de la Neemrana Music Foundation, M. Aman Nath, spécialiste de patrimoine, Mme Aruna Vasudev, spécialiste du cinéma, membre du Comité de l’Alliance française de Delhi, Mme Priyanka Malhotra, éditrice, M. Madhav Raina-Tapan, concepteur et éditeur de logiciels, Mme Amal Allana, directrice de la National School of Drama de Delhi, et de M. Nissar Allana, spécialiste de théâtre
– Entretien avec des journalistes : M. Surojit Gupta, rédacteur en chef adjoint du Times of India, M. Subhomoy Bhattacharjee, rédacteur en chef adjoint du Financial Express Editor, M. Gautam Chickermane Hindustan, rédacteur en chef adjoint du Times Editor, et de M. Pierre Prekash, correspondant de Libération et de RFI
– M. Deep Kapuria, président de la Confédération of Indian Industry (CII) pour la région Nord, président de Hi-Tech gears Ltd, Mme Mabel Rebello, membre du Parlement, M. Madhaw Anand, directeur des relations internationales du groupe Essar, M. Vijay Deshwal, directeur régional de l’ICICI Bank, M. V. K. Mathur, managing director d’Inapex Ltd, M. Asghar Ali, président du groupe Punj Lloyd Ltd, et Mme Jasmeet Kaur, du groupe Punj Lloyd Ltd, M. Aamir Jariwala, directeur de la stratégie et des investissements de SPML Infrastructure Ltd, M. Rajdeep Sahrawat, directeur général de Tata Consultancy Services, M. Partha Sarthi Guha Patra, vice-président de Wipro Ltd, M. Sunil Kumar Mishra, directeur des politiques publiques de la CII
– Réunion avec des représentants d’entreprises françaises : M. Patrick Rousseau (Véolia Environnement), président de la section des conseillers du commerce extérieur, M. Jean-Noël Bironneau (Carrefour), M. Jean-Michel Cassé (Accor), M. Eric Soubeiran (Danone), M. Xavier Bertrand (au titre de ses anciennes fonctions chez Chanel), M. François Carpentier (Alstom), et de M. Jean-Charles Vollery (Systra)
– M. Ajay K. Mehra, managing director d’Airbus pour l’Asie du Sud
– Représentants de l’Automotive Component Manufacturer Association of India (ACMA), en présence de M. Vinnie Mehta, directeur exécutif, M. Amit Mukherjee, directeur exécutif adjoint, M. Rattan Kapur, président de l’ACMA pour la région Nord (Mark Exhaust Systems Ltd), M. J. Davar, membre de l’ACMA (Sandhar Technologies Ltd), M. S. Vaidyanathan (MPSA) et M. Brij Uberoi (Michelin)
– Dr Montek Singh Ahluwalia, vice-président de la commission du Plan
– M. Kanwal Sibal, ancien ambassadeur d’Inde en France, spécialiste de la coopération bilatérale en matière de défense
– Pr Dinesh Singh, vice-chancelier de l’université de Delhi (Campus Nord), Pr R. K. Shivapuri et Pr Vinay Gupta
– M. Pierre Avanzo, de McKinsey India
– Pr Sopory, vice-chancelier de Jawaharlal Nehru University, Dr Gurpreet Mahajan, professeur au Centre pour les études politiques et plusieurs de leurs collègues
b) à Bengaluru (le 21 septembre 2011)
– M. Dominique Causse, consul général
– Petit déjeuner de travail autour du Dr Villoo Morawala Patel (Avesthagen), du Capitaine Gopinath (Air Deccan), M. Sanjeev Rao, consultant, conseiller du commerce extérieur, Mme Doina Palici, chief executive officer d’Axa Business Services Pvt Ltd, et de M. Markus Oberle, directeur général de Vicat Inde
– Pr Pankaj Chandra, directeur de l’Institut indien de management (IIM) de Bangalore, et Dr S. Raghumath, responsable de l’administration
– M. Azim Premji, président de Wipro Technologies Ltd
– Visite et rencontres à l’Alliance Française avec des acteurs de notre coopération bilatérale autour de M. Philippe Gasparini, directeur
c) à Mumbai (le 22 septembre 2011)
– M. Jean-Raphaël Peytregnet, consul général, et ses collaborateurs : MM. Marc-Antoine Hureau, consul adjoint, Florent Dauba, attaché économique, Mme Dominique Frin, attachée linguistique, et M. Nicolas Poussielgue, attaché pour la science et la technologie
– M. Bernard Buisson, directeur de DCNS India
– Table ronde sur le partenariat franco-indien dans le domaine du nucléaire civil, en présence du Dr Abhilash Bhardwaj, technical director (NPCIL), M. Anil Parab, vice-président & Head, Nuclear Power Plant Business, Heavy Engineering, Larsen & Toubro, M. S.C. Mittal, general manager, Marketing (Nuclear & Hydro) (BHEL), M. R. Padmanabhan, Addl. General Manager (BHEL), M. Surinder Mehta, CMD, PCI Ltd, M. Rohan Mehta, director, ONET Technologies India, M. Anshuman Bhardwaj, director, ONET Technologies India, M. Arthur de Montalembert, président et managing director d’AREVA India Pvt Ltd, M. Sunand Sharma, Country Président, Alstom, et de M. Raphaël Hernandez, directeur du bureau d’EDF Inde
– Réunion avec des banquiers français, en présence de M. Jacques Michel, directeur du groupe BNP Paribas, M. Alain Pfeiffer, chief executive & Group Country Head-India à la Société générale, et de M. Jean Marion, senior country officer-India au Crédit Agricole
– Dr Rajpal Hande, directeur du Board of college and University Development (BCUD) de l’Université de Mumbai, et Dr Vidya Vencatesan, chef du département de français
– Réunion avec des conseillers du commerce extérieur et des membres de la Chambre de commerce et d’industrie indo-française, en présence de Mme Laura Prasad, directrice, M. Yves Tassaud, CEO & managing director de Total oil India Pvt. Ltd, M. Pierre Behnam, directeur de Pierre Fabre, M. Tacques Challes, directeur de L’Oréal India, M. Ashwini Kakkar, executive vice chairman de Mercury Travels, et de M. Venkat Chary, chairman de MCX
– Visite du chantier du métro de Mumbai, sous la conduite de M. François Demoncourt, directeur technique de Veolia Transport RATP India Pvt Ltd, et M. Chris White, managing director de Metro One Operation
– Pr Shiva Prasad, ancien directeur du Centre franco-indien pour la promotion de la recherche avancée (CEFIPRA)
– Réunion avec des représentants du milieu de la culture, en présence de Mme Anne Dubourg, directrice de l’Alliance française de Bombay, Mme Emmanuel de Decker, programmatrice musicale au Club Blue Frog, Mlle Ophélie Wiel, enseignante à l’Ecole française, journaliste et spécialiste du cinéma indien, M. Ravi Gupta, directeur de Whistling Woods (Ecole de cinéma)
– M. Devang V. Khakhar, directeur de l’Institut indien de technologie (IIT) de Bombay, M. Subhasis Chaudhuri, responsable des affaires internationales, et M. Shiva Prasad, responsable des programmes académiques
Carte du réseau diplomatique et culturel français en Inde
1 () Elle a tenu sa première session en juillet 2010.
2 () cf. liste en annexe 2.
3 () Bengaluru est le nom officiel de Bangalore depuis 2006.
4 () Mumbai est le nom officiel de Bombay depuis 1995.
5 () cf. liste en annexe 2.
6 () cf. carte de l’Inde en annexe 3.
7 () Il s’agit de la part des personnes âgées de 15 à 59 ans.
8 () Les racines démocratiques et laïques de l’Inde ont été remarquablement décrites par l’économiste Amartya Sen dans son livre The Argumentative Indian.
9 () Max-Jean Zins, « La plus grande démocratie du monde ? », Questions internationales, n° 15, septembre-octobre 2005, pp. 42-49.
10 () L’électorat musulman et l’électorat hindou élisaient leurs représentants séparément.
11 () Ibidem.
12 () Il a été expérimenté pour une élection partielle à l’assemblée locale du Kerala dès 1982. Depuis 2004, il existe une liste électorale numérisée et les électeurs disposent d’une carte à « code barre » qui leur permet de voter avec l’une des 700 000 machines électroniques de vote. Le dépouillement est centralisé et entièrement informatisé. Il n’existe pratiquement plus de contentieux électoral.
13 () Les pays classés entre le 1er et le 47ème rangs sont dans la catégorie « développement humain très élevé », ceux entre les rangs 48 et 94 dans la catégorie « développement humain élevé » ; les pays compris entre les rangs 95 et 141 – dont la Chine et l’Inde – relèvent de la catégorie « développement humain moyen », tous les autres étant dans la catégorie « développement humain faible ».
14 () ce qui place l’Inde au quatrième rang mondial, derrière les Etats-Unis, la Chine et la Russie.
15 () Transparency International, India Corruption Study, 2005 : l’étude a été réalisée par le Centre for Media Studies.
16 () 40 % des 50 milliards de dollars annuels destinés à la lutte contre la pauvreté, selon une étude menée par CLSA Asia-Pacific Markets et citée par M. Rajanish Dass, Unique Identity Project in India : A Divine Dream or a Miscalculated Heroism ?, rapport publié par l’IIM d’Ahmedabad en mars 2011.
17 () Achat de titres par des non-résidents dans une optique de placement.
18 () Calcutta s’écrit officiellement Kolkata depuis 2001.
19 () Global Economics Paper N° 99. Dreaming with the BRICs. The path to 2050.
20 () Global Economics Paper n°192, The Long-Term Outlook for the BRICs and N-11 Post Crisis.
21 () The BRICS remain in the fast lane.
22 () Ten Things for India to Achieve its 2050 Potential.
23 () A titre de comparaison, la capacité française est de 116 gigawatts, dont 63 de nucléaire, 25 de thermique, 26 d’hydraulique et 2 d’autres énergies.
24 () Expression empruntée à Bénédicte Manier, « L’eau en Inde, enjeu social et politique », Le monde diplomatique, 1er février 2010.
25 () D’après Bénédicte Manier, ibidem.
26 () en particulier le projet de construction d’un barrage dans le Jammu-et-Cachemire.
27 () La Chine, soutien traditionnel d’Islamabad, construit notamment d’importantes infrastructures routières au Cachemire, côté pakistanais et côté chinois, pour faciliter ses relations routières avec le Pakistan.
28 () Depuis 2005, le code des marchés publics de défense fait obligation aux adjudicataires de marchés d’équipements militaires supérieurs à 30 millions d’euros de compenser, à travers des productions localisées en Inde, l’équivalent d’une partie du montant (30 % au minimum) de leurs contrats d’armement. C’est ce que l’on appelle le régime des offsets.
29 () Ses membres sont les Philippines, l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, Brunei, le Vietnam, le Laos, la Birmanie et le Cambodge.
30 () Trois essais se sont déroulés le 11 mai 1998, deux autres le 13 mai suivant.
31 () La France a officiellement cédé Chandernagor à l’Union indienne dès 1951 ; la souveraineté des quatre autres comptoirs (Karikal, Mahé, Pondichéry et Yanaon) lui a été transférée de facto le 1er novembre 1954, officiellement en mai 1956.
32 () Le dernier a eu lieu le 26 janvier 1996.
33 () Composé de 46 Etats, ce groupe informel a été constitué après le premier essai nucléaire indien. Ses membres définissent une politique commune de contrôle des exportations de biens et technologies nucléaires afin de prévenir leur prolifération incontrôlée. Leurs décisions ne sont pas contraignantes juridiquement mais le sont politiquement.
34 () Le ministère a dû supprimer 700 équivalents temps plein sur la période 2009-2011, dans le cadre du premier volet de la révision générale des politiques publiques.
35 () Chennai est le nom que porte depuis 1996 la grande ville du Tamil Nadu auparavant connue sous celui de Madras.
36 () Cf. carte du réseau diplomatique et culturel français en Inde en annexe 4.
37 () Un prêt est concessionnel quand il inclut une part de don, la valeur actuelle de la dette étant inférieure à sa valeur nominale. Les prêts de l’AFD peuvent être octroyés à un Etat ou à un organisme public bénéficiant d’une garantie d’un Etat (prêt souverain), ou à un acteur (entreprise, organisme privé ou public) ne bénéficiant pas d’une telle garantie (prêt non souverain).
38 () Pour reprendre la formule utilisée dans une note de l’Agence adressée à la Mission en décembre 2011, qui parle d’un processus de négociation « visant à supprimer ou tout au moins limiter au maximum la bonification des prêts souverains (…) ».
39 () Il repose sur la convention sur la responsabilité civile dans le domaine de l'énergie nucléaire du 29 juillet 1960, dite convention de Paris, négociée dans le cadre de l’OCDE, et sur la convention relative à la responsabilité civile en matière de dommages nucléaires, élaborée sous l’égide de l’AIEA et adoptée à Vienne le 21 mai 1963.
40 () Le décret a été soumis au Parlement sous la procédure du silence entre le 21 novembre et le 21 décembre 2011. Des parlementaires indiens ont présenté des amendements au décret allant dans le sens d’un renforcement du dispositif de recours de l’opérateur contre ses fournisseurs. Ces amendements, qui semblent avoir peu de chances d’être adoptés, seront examinés à la session de printemps du Parlement. Dans l’intervalle, le décret est applicable.
41 () Filiale commune d’EADS, BAE Systems et Finmeccanica, MBDA est un leader mondial dans le développement et la fabrication des missiles et systèmes de missiles.
42 () C’est un altimètre océanographique de haute précision.
43 () L’orbitographie est la détermination des éléments orbitaux d’un satellite artificiel.
44 () Il s’agit du célèbre système de localisation et de collecte de données.
45 () Après la destruction du GSAT 4, en avril 2010, il a été question d’embarquer ICARE sur le GSAT 14, qui aurait été lancé en 2012, mais les autorités indiennes ont ensuite annoncé qu’elles cherchaient une autre solution.
46 () Filiale d’EADS à 100 %, Astrium est le leader spatial européen.
47 () Il n’en demeure pas moins que l’Inde est le troisième émetteur mondial de CO2, derrière les Etats-Unis et la Chine.
48 () Loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics.
49 () L’anglais n’y est pas une langue étrangère mais l’une des 23 langues officielles reconnues et, avec l’hindi, la langue officielle au niveau de l’administration centrale.
50 () Actuellement M. Alain Rechner.
51 () Une école, à Karikal, vise l’homologation.
52 () En application depuis le décret n° 2011-652 du 10 juin 2011 publié au JO n°0136 du 12 juin 2011.
53 () Il est également président du comité de l’Alliance française de Delhi.
54 () Le nom de l’IIT de Bombay ayant été fixé dans la loi et celle-ci n’ayant pas été modifiée, l’établissement continue à porter le nom de Bombay.
55 () En 2011, le budget consolidé, intégrant les salaires versés par le MAEE et le CNRS, pour l’ensemble des Instituts de recherche, est de 26,2 millions d’euros (– 3,3 % par rapport à 2010), dont 23,2 millions à la charge du MAEE (63 %) et du CNRS (37 %). Les fonds propres, essentiellement liés aux appels d’offre de recherche français et européens, représentent 31 % des recettes pour la totalité du réseau. En 2011, la dotation globale pour les IFRE s’établit à 6,8 millions d’euros dont, 5,8 millions d’euros du MAEE (– 60 833 euros sur la prévision MAEE du triennum). Par rapport à 2010, cette dotation globale est en baisse de 7,6 %. Outre la diminution de 10 % de la dotation de fonctionnement (989 200 euros en 2011 contre 1,1 million d’euros en 2010), la réduction du nombre de personnels scientifiques est la plus préoccupante : 70 chercheurs et ITA (Ingénieurs, Techniciens, Administratifs) en 2011, pour 80 personnels en 2010 (– 12,5%).
56 () Marc Fontecave, « Pays émergents : l’émergence de la recherche et de la coopération », in La mondialisation de la recherche, Paris, Collège de France (« Conférences »), 2011.
57 () L’Indira Gandhi National Open University, l’University of Delhi, Manipal University, l’IIT de Delhi, l’IIM de Bangalore, Guru Gobind Singh Indaprastha University, le B.K. Birla Institute of Engineering and Technology, l’IIT Indore, l’IIM Tiruchirappalli et la National University of Educational Planning and Administration.
58 () D’après l’ambassade de France en Inde.
59 () Capgemini exerce les quatre métiers classiques des services informatiques. Le conseil en management s’adresse soit aux directions générales pour les aider à traiter les questions stratégiques, soit aux directions informatiques pour aborder des questions plus techniques. Le deuxième métier est l’intégration de systèmes d’information et le développement d’applications. Un tel projet peut porter par exemple sur le renouvellement de l’informatisation d’une salle de marché pour une banque, ou d’un système de réservation électronique pour une compagnie aérienne. L’assistance technique et les services de proximité consistent à envoyer des personnels en régie chez les clients pour les aider à réaliser des prestations informatiques sous leur propre contrôle. Le dernier des quatre métiers est l’outsourcing ou infogérance, qui consiste à gérer le service informatique d’un client pour son compte, y compris matériel et personnel si le client le souhaite (tierce maintenance applicative, gestion externalisée des infrastructures, des réseaux et de la sécurité).
60 () Depuis 2011, la Banque de France a décidé d’axer la communication relative aux investissements directs sur les résultats établis conformément à une nouvelle méthodologie dite « du principe directionnel étendu ». De plus, pour des raisons d’homogénéité des séries statistiques, les données géographiques des années antérieures à 2010 ont été retraitées. L’application de la règle « du principe directionnel étendu » consiste à classer les prêts entre sociétés sœurs d’un même groupe international (c’est-à-dire sans lien direct en capital social entre elles ou avec une participation de l’une au capital de l’autre inférieure à 10 %) en investissements directs français à l’étranger lorsque la tête de groupe est française, et en investissements directs étrangers en France lorsque la tête de groupe est étrangère, et non plus en fonction du pays de résidence du créancier. Cette méthode de classement conduit plus fréquemment que le principe créances / engagements à des stocks négatifs.