Accueil > Documents parlementaires > Rapport d'information
Version PDF
Retour vers le dossier législatif

N° 1847 N° 567

____ ___

ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 2008 - 2009

____________________________________ ___________________________

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Annexe au procès-verbal

le 20 juillet 2009 de la séance du 20 juillet 2009

________________________

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

RAPPORT

sur le dossier médical personnel (DMP) :
quel bilan d’étape pour quelles perspectives ?

(compte rendu de l’audition publique du 30 avril 2009)

Par M. Pierre Lasbordes, Député

__________ __________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Claude BIRRAUX, par M. Jean-Claude ÉTIENNE,

Président de l'Office Premier Vice-Président de l'Office

_________________________________________________________________________

COMPOSITION

de l’Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et technologiques

Président

M. Claude BIRRAUX

Premier Vice-Président

M. Jean-Claude ÉTIENNE

Vice-Présidents

M. Claude GATIGNOL, député Mme Brigitte BOUT, sénatrice

M. Pierre LASBORDES, député M. Christian GAUDIN, sénateur

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député M. Daniel RAOUL, sénateur

DÉputés

SÉnateurs

M. Christian BATAILLE

M. Claude BIRRAUX

M. Jean-Pierre BRARD

M. Alain CLAEYS

M. Pierre COHEN

M. Jean-Pierre DOOR

Mme Geneviève FIORASO

M. Claude GATIGNOL

M. Alain GEST

M. François GOULARD

M. Christian KERT

M. Pierre LASBORDES

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Michel LEJEUNE

M. Claude LETEURTRE

Mme Bérengère POLETTI

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

M. Paul BLANC

Mme Marie-Christine BLANDIN

Mme Brigitte BOUT

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M. Roland COURTEAU

M. Marc DAUNIS

M. Marcel DENEUX

M. Jean-Claude ÉTIENNE

M. Christian GAUDIN

M. Serge LAGAUCHE

M. Jean-Marc PASTOR

M. Xavier PINTAT

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Ivan RENAR

M. Bruno SIDO

M. Alain VASSELLE

SOMMAIRE

___

Pages

Synthèse 7

Communication de M. Pierre LASBORDES, député de l’Essonne, Vice-Président de l’Office 13

Ouverture 19

M. Dominique Coudreau, ancien président du conseil d’administration du GIP-DMP 21

M. Jacques Sauret, ancien directeur du GIP-DMP 22

M. Jean-Yves Robin, directeur du GIP-DMP 26

M. Antoine Perrin, directeur de l’ARH de Bretagne 32

M. Patrice Blémont, directeur de l’ARH de Franche-Comté 35

M. Jean-Pierre Door, député du Loiret, membre de l’OPECST 38

M. Michel Gagneux, président du conseil d’administration et du comité d’orientation du GIP-DMP, auteur du rapport de la mission de relance du projet de dossier médical personnel 40

M. Alain Gillette, Conseiller maître, représentant la Cour des comptes 46

M. Félix Faucon, chef de service du pôle organisation des soins, établissements et financement à la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des soins 50

Mme Marthe Wehrung, directrice du GIP-CPS 53

M. Jean Bardet, député du Val d’Oise 55

M. Jean-Claude Étienne, sénateur de la Marne, Premier Vice-Président de l’OPECST 55

M. André Loth, responsable de la Mission pour l’informatisation des systèmes de santé (MISS) 57

M. Jean Massot, commissaire à la CNIL chargé de la santé et de l’assurance maladie 60

M. Patrick Pailloux, directeur central de la sécurité des systèmes d’information 64

M. Yves de Talhouet, président de HP France 65

M. Pascal Forcioli, directeur de l’ARH de Picardie 67

M. Philippe Pucheral, directeur de recherche et responsable du projet SMIS (systèmes d’informations sécurisés et mobiles) à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique) 71

M. Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins 75

Docteur Gilles Urbejtel, MG-France 79

Mme Nathalie Tellier, chargée de mission assurance maladie de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et représentante du Collectif interassociatif sur la santé (CISS). 83

M. Jérôme Duvernois, président du groupe LESISS, « Les entreprises des Systèmes d’information sanitaires et sociaux » 86

M. Jean-Luc Assouly, directeur associé, Cap Gemini 89

M. Jean-Marc Aubert, directeur délégué à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) 93

Audition de M. Dominique GERBOD, Directeur du pôle santé de Microsoft France 99

Contribution du Professeur Albert-Claude BENHAMOU, Service de chirurgie vasculaire de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière 103

Contribution du Professeur Jean-Louis MISSET, Chef du service d’oncologie médicale de l’hôpital Saint-Louis à Paris 107

Contribution du Professeur Philippe GRENIER, Chef du service de radiologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris 109

SYNTHÈSE

A l’initiative de M. Pierre Lasbordes, député, Vice-Président de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST a décidé d’organiser une audition publique, ouverte à la presse et contradictoire, sur le Dossier médical personnel. Cette audition s’est tenue le 30 avril 2009.

Le cadre du débat

La création du Dossier médical personnel a été décidée par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, dans le prolongement des dispositions introduites par la loi de 2002 relative aux droits des malades.

Afin de le réaliser, un Groupement d’Intérêt Public (GIP) a été constitué en 2005. Le GIP-DMP rassemblait l'État (le ministère de la santé et des sports), l’Assurance maladie (CNAMTS), ainsi que la Caisse des dépôts et consignations. Il était chargé d’assurer la maîtrise d’ouvrage du DMP.

La mise en place du DMP était initialement prévue pour 2007. Toutefois, celui-ci a connu de multiples retards et difficultés, lesquels ont donné lieu à plusieurs rapports d’experts. Le ministère de la santé et des sports, sur la base de ces rapports, s’est saisi à nouveau du dossier et a élaboré un programme de relance du DMP et des systèmes d’information partagés de santé qui a été présenté le 9 avril 2009. La mesure phare du plan de relance consiste en la création d’une structure aux compétences élargies, l’Agence des systèmes d’information de santé partagés (ASIP) qui regroupera le GIP-DMP (Dossier médical personnel), le GIP-CPS (Carte professionnelle de Santé), la partie interopérabilité du GMSIH (Groupement pour la Modernisation du Système d’Information Hospitalier).

L’objectif de l’audition publique était donc de mettre en présence les principaux protagonistes du dossier, afin de déterminer si les conditions de la réussite du projet étaient désormais réunies et si tous les obstacles étaient levés.

Pour cela, il a paru nécessaire de faire un bilan des précédentes étapes du projet et d’analyser les causes des dysfonctionnements constatés. Puis, dans un deuxième temps, de s’assurer que les nouvelles équipes en charge du projet avaient pris la pleine mesure des attentes comme des inquiétudes des futurs utilisateurs du DMP et s’étaient dotées des moyens leur permettant d’apporter des solutions satisfaisantes à celles-ci.

Ainsi, l’audition publique se proposait d’apporter un éclairage aussi complet que possible sur les défis à relever pour que le projet puisse aboutir dans les délais fixés (mi-2010). Lors de l’audition publique, la qualité des interventions et la volonté de dialogue entre les différents participants a permis de nourrir un débat approfondi et contradictoire. Ce débat a fait ressortir la priorité pour les nouvelles équipes en charge du projet de restructurer celui-ci de manière conséquente, en définissant un cadre clair faisant l’objet d’un large consensus, de façon à ce que le DMP puisse constituer l’outil moderne et performant permettant d’améliorer la qualité des soins médicaux dispensés à nos concitoyens.

Définir le DMP

Dès le départ, l’imprécision qui a entouré la définition du DMP a été un frein au développement du projet et à l’adhésion des différents acteurs. Lors de l’annonce du plan de relance par le ministère de la santé et des sports, le 9 avril 2009, il a été indiqué que ce dossier médical électronique avait vocation à être à la fois personnel et partagé. En effet, son objectif est de renforcer le rôle du patient comme acteur de sa santé, en facilitant l’accès de celui-ci à ses données de santé, et d’améliorer la coordination et la qualité des soins prodigués, en favorisant la communication des données entre professionnels de santé.

Les incertitudes quant à la manière d’aborder le DMP proviennent en partie, au-delà des problèmes organisationnels qui ont été soulignés par les différents rapports d’experts, de ce double objectif puisqu’il est conçu comme un outil informatique au service à la fois des patients et des professionnels de santé. Or, si l’on considère que le patient est placé au cœur du système, se pose la question du contrôle par celui-ci du contenu du DMP, avec en particulier le droit au masquage (le patient décidant lui-même des informations qu’il souhaite voir apparaître dans son dossier médical électronique) et le recueil du consentement du patient qu’il s’agisse de l’alimentation ou de la consultation du dossier. En revanche, si le DMP est conçu essentiellement comme un outil de coordination des soins, certes au bénéfice du patient, mais n’ayant pas vocation à être géré par celui-ci, alors les professionnels de santé seront amenés à être les principaux utilisateurs de ce dossier.

Il est donc essentiel de clarifier la nature du DMP et notamment de s’entendre sur la définition du P (Personnel, Partagé, Professionnel?) pour délimiter les champs de compétence respectifs et les usages qui seront assignés au DMP, même si ces derniers sont conçus comme évolutifs.

La conciliation des différents impératifs (droit des patients à la protection de données sensibles et accès des professionnels de santé aux informations qui leur sont vitales pour la prise en charge des patients) constitue un préalable indispensable à la définition du contenu du DMP et des informations appelées à y figurer, ainsi qu’à sa construction qui nécessite de déterminer sa structure interne.

Les enseignements à retenir

Le fonctionnement du GIP-DMP a fait ressortir l’importance du choix des collaborateurs et de leurs qualifications. S’agissant de métiers compliqués, il a été suggéré, lors de l’audition, de faire appel à des cabinets de recrutement spécialisés, afin de s’entourer des compétences indispensables à la poursuite du projet. Une politique de gestion des ressources humaines plus efficace s’avère donc un préalable.

Le fait que la nouvelle structure mise en place, l’ASIP, se dote des équipes adaptées à la conduite du projet, afin d’exercer pleinement sa mission de maître d’ouvrage, permettrait également de limiter l’interventionnisme excessif des conseillers ministériels. Plus qu’un contrôle au quotidien, une gouvernance d’ensemble et une volonté politique clairement affirmée constitueront la garantie du succès du projet.

Le déficit de gouvernance a été souligné dans l’ensemble des rapports consacrés au DMP. Après des décisions législatives qui n’avaient peut-être pas pris la pleine mesure de la complexité du projet, l’absence de soutien politique fort et de suivi de la part du gouvernement n’a pas permis d’insuffler une dynamique à ce projet informatique de grande envergure. Or, la gouvernance joue un rôle d’impulsion essentiel. En effet, la conduite efficace du projet dépend étroitement de la puissance de la gouvernance, de la qualité ses décisions et du respect de celles-ci. Il est donc indispensable d’associer la maîtrise d’œuvre et la maîtrise d’ouvrage de manière permanente tout au long du projet.

Motiver les futurs utilisateurs

Le projet de DMP n’a pas suscité jusqu’à présent une adhésion forte de la part des futurs utilisateurs qu’il s’agisse des professionnels de santé ou bien des patients. On constate même une certaine indifférence, voire des réticences plus ou moins marquées. Il convient donc en priorité de démontrer l’intérêt du DMP aussi bien pour les professionnels de santé, tant libéraux qu’hospitaliers, que pour les patients.

En ce qui concerne les professionnels de santé, le DMP ne doit pas être perçu comme un alourdissement des tâches administratives, alors que celles-ci sont déjà importantes et que le temps médical est compté. C’est pourquoi, il est primordial de mettre l’accent sur le respect du temps médical dédié aux patients, de l’ergonomie du poste de travail des médecins libéraux et de doter les établissements hospitaliers des outils de communication nécessaires, afin que la consultation et l’alimentation du DMP puissent être simples, rapides et fiables. Le DMP représente pour les professionnels de santé un changement de pratique au quotidien, avec un usage plus systématique de l’informatique et du partage des données médicales concernant un même patient.

Les professionnels de santé n’accepteront de modifier leurs pratiques médicales et de développer les usages du DMP qu’à la condition d’en tirer un bénéfice dans l’exercice de leur profession : gain de temps, sécurisation du diagnostic et de la prescription thérapeutique. A cet égard, les professionnels de santé semblent particulièrement intéressés par les échanges entre la médecine de ville et le milieu hospitalier, car le partage des données médicales au travers du DMP renforcerait la coordination des soins, permettant ainsi d’éviter les examens redondants et d’optimiser la stratégie thérapeutique. Les praticiens hospitaliers, y compris ceux des services d’urgence, ont besoin de connaître les antécédents médicaux et l’ « actualité » médicale des patients qu’ils doivent prendre en charge, afin de lutter contre la iatrogénie, certaines erreurs médicales toujours possibles et la répétition d’actes inutiles (la iatrogénie est l’induction de complications dues à l’administration de médicaments comme autant d’effets négatifs). Dans le même esprit de coopération entre les différents intervenants auprès d’un même patient, il est indispensable que le médecin traitant puisse disposer de manière directe des principales données biologiques et hospitalières (résultats d’analyses, comptes rendus d’hospitalisation et d’interventions chirurgicales, examens anatomopathologiques, examens radiologiques…). Le problème de la traçabilité de la responsabilité juridique doit être mieux abordé et une solution claire et équitable doit être proposée en concertation notamment en regard de l’accès toujours plus important des patients à l’information médicale sur internet, information qui mériterait une meilleure qualification à défaut d’une certification, source de différends d’ordre juridique.

Les patients doivent, quant à eux, être convaincus que le DMP permettra de mettre l’accent sur la prévention, d’assurer une meilleure qualité de soins et, par conséquent, d’améliorer leur santé. A cet égard, il pourrait être profitable d’expérimenter le DMP auprès des patients souffrant d’une maladie chronique. En prenant un cas concret, comme, par exemple, le diabète, qui se prête à une implication du patient et nécessite une coordination entre les différents intervenants, en raison des risques de complications, du coût de la prise en charge, l’intérêt du DMP pour les patients se manifesterait de manière plus visible, la surveillance renforcée obtenue grâce au DMP permettant d’améliorer l’efficacité des traitements. Le bénéfice d’une mutualisation des informations médicales pourrait par ailleurs être constaté plus rapidement.

Des impératifs de sécurité et de confidentialité

Le manque d’enthousiasme à l’égard du projet de DMP provient en partie des interrogations et des inquiétudes soulevées par celui-ci, lesquelles n’ont jusqu’à présent pas toutes reçu des réponses satisfaisantes.

Des avancées ont été constatées. Ainsi, un terrain d’entente semble avoir été trouvé en ce qui concerne l’identifiant puisque la CNIL, qui avait pris position en faveur d’un identifiant distinct du NIR (code INSEE d’identification des individus), ne se montre pas opposée à l’utilisation d’un INS (Identifiant national de santé) calculé, en attendant la mise en place d’un INS aléatoire. La question du recueil du consentement du patient qu’il s’agisse de l’ouverture, de la consultation ou de l’alimentation du DMP, doit pouvoir également trouver une solution rapidement, les différentes parties prenantes s’accordant sur le principe d’un consentement explicite, dont les modalités devraient être identiques pour l’ensemble des dossiers de santé présents et à venir (DMP, dossier pharmaceutique, web médecin…).

D’autres points essentiels semblent néanmoins présenter davantage de difficultés, soit du fait de leur complexité, soit en raison de l’absence de consensus. Ils sont tout d’abord relatifs aux infrastructures destinées à permettre le déploiement du DMP. Il s’agit d’une part de la carte CPS qui permet d’authentifier le praticien et donc de veiller à ce que seules les personnes habilitées puissent avoir accès au dossier du patient. Or, le déploiement de la carte CPS est actuellement très insuffisant, notamment en milieu hospitalier (85% des 650 000 cartes en service le sont dans le secteur libéral). De la même manière, le poste de travail des professionnels de santé est au cœur du débat, tant en ce qui concerne son ergonomie (logiciels permettant une utilisation conviviale, interopérabilité de l’ensemble des postes de travail) que sa sécurité (choix de l’hébergeur de données, définition du profil de protection du poste de travail). Enfin, la question récurrente du droit au masquage n’a toujours pas été résolue, les professionnels de santé le considérant comme dangereux, tandis que les patients s’avèrent soucieux de préserver leur vie privée. Entre ces aspirations contradictoires, d’exhaustivité et de sélectivité, seule une réflexion approfondie à laquelle doivent être associés les différents protagonistes, permettra de concevoir des solutions pratiques répondant à cette double exigence. Peut-être cette opposition n’est elle qu’apparente au regard du très respecté secret médical par le corps des soignants.

Ces questions en suspens portent sur des sujets sensibles, relevant de la sécurité et de la confidentialité des données de santé. Y apporter des réponses constitue donc un préalable indispensable à une mobilisation de tous les acteurs autour du projet.

Une stratégie globale

Le DMP est un projet de santé à caractère national hautement stratégique. Or, il s’est décliné jusqu’à présent sous forme d’expérimentations régionales ou de dossiers spécialisés, sans directives précises quant aux modalités techniques et encore moins quant aux finalités. Beaucoup d’acteurs de terrain se sont investis avec conviction et détermination dans ces différents projets. Il convient de rentabiliser ces investissements humains et financiers importants, en faisant la synthèse des difficultés rencontrées et des initiatives performantes, afin d’élaborer un modèle national destiné à devenir une composante majeure des systèmes d’information de santé.

Le projet de DMP doit donc s’inscrire dans une stratégie globale car il est fortement marqué et le sera de plus en plus à l’avenir par son interdépendance avec les autres domaines de l’e-santé. La mise en place de l’ASIP, dont le champ de compétences regroupe le DMP, la carte CPS et l’épineuse question de l’interopérabilité, représente une première prise en compte du contexte global dans lequel s’inscrit le DMP. En effet, celui-ci est appelé à former la clé de voûte d’un vaste ensemble constitutif d’une véritable révolution dans le système de santé, afin de mettre les moyens les plus modernes au service de l’amélioration de la qualité et la sécurité des soins médicaux dispensés à l’ensemble de nos concitoyens, dans le respect des droits des patients.

COMMUNICATION DE M. PIERRE LASBORDES,
DÉPUTÉ DE L’ESSONNE, VICE-PRÉSIDENT DE L’OFFICE

Le 30 avril 2009, dans le cadre des activités de l’OPECST, une audition publique a été organisée sur le dossier médical personnel, dont le compte rendu sera prochainement publié et auquel seront annexées quelques contributions écrites de personnalités du monde médical et industriel n’ayant pu, en raison des contraintes liées à l’organisation de l’audition sur une journée, y participer.

Cette audition a réuni les principales parties prenantes du projet qui sont nombreuses et qui sont représentées par une multitude d’organismes : responsables administratifs, représentants des professionnels de santé, des établissements de soins et des patients, industriels, acteurs des expérimentations réalisées dans plusieurs régions, chercheurs, membres d’institutions, telles que la Cour des comptes et la CNIL.

Intitulée « le DMP : quel bilan pour quelles perspectives ? », cette audition se proposait de recueillir les enseignements tirés de l’expérience menée depuis l’adoption de la loi du 13 août 2004, afin d’identifier les conditions susceptibles d’assurer la réussite du projet de DMP dont la poursuite a été annoncée dans le cadre du programme de relance du DMP et des systèmes d’information partagés, présenté le 9 avril dernier par Mme Roselyne Bachelot, ministre chargée de la santé.

Initialement prévue pour 2007, la mise en place du DMP a rencontré diverses difficultés, dont certaines ont été analysées par des rapports, tels celui de M. Jean-Pierre Door ou ceux émanant de la Cour des comptes et de corps d’inspection.

Comme l’a souligné M. Claude Birraux, Président de l’Office, la semaine dernière, lors de la réunion constitutive du Comité d’évaluation et de contrôle créé au sein de l’Assemblée nationale, au cours de laquelle il a présenté les méthodes de travail de l’OPECST : « il a fallu cette occasion pour que certains acteurs qui travaillent sur le sujet depuis cinq ans et ont déjà dépensé des sommes considérables se rencontrent pour la première fois ».

L’audition publique a fait ressortir la nécessité d’apporter des réponses précises à un certain nombre de questions encore en suspens portant sur quatre thèmes majeurs :

- la finalité du DMP (ou ses finalités),

- la gouvernance du projet,

- sa mise en œuvre,

- son insertion dans l’environnement législatif et réglementaire.

La présente communication a pour objet de présenter des recommandations en vue de lever les diverses interrogations qui subsistent pour le déploiement du DMP. Ces recommandations visent ainsi à recenser ce qui reste à entreprendre, en laissant au Parlement, au gouvernement, aux gestionnaires du projet et aux autres instances impliquées, tels que la CNIL ou les organismes d’assurance maladie, de donner un contenu aux mesures préconisées pour assurer la réussite du projet, dans des conditions techniques, financières et juridiques satisfaisantes.

Conclusions

I - Mieux expliciter la finalité du DMP

Donner un sens précis au « P » du DMP

Il s’agit de répondre aux questions suivantes : La signification du « P » est-elle clairement définie et partagée entre les différents acteurs lorsqu’ils évoquent le DMP ? Si le « P » signifie « Partagé et Personnel », existe-t-il réellement une vision commune entre les professionnels de santé hospitaliers et libéraux, ainsi que les patients, sur le contenu effectif du DMP, notamment sur la question du masquage ? Quel est le niveau de précision des informations contenues dans le DMP ?

A-t-on envisagé les situations particulières (urgences, pathologies dangereuses) pouvant engendrer un risque surajouté (juridique, médical, financier) ?

Mobiliser les professionnels de santé et les patients

Afin de mobiliser l’ensemble des acteurs, qu’il s’agisse des personnels hospitaliers, des professions médicales libérales, ou des patients, a-t-on bien répertorié les atouts que le DMP peut représenter pour eux ? A-t-on tiré les enseignements de l’échec du carnet de santé, pour lequel une réflexion similaire s’était avérée nécessaire ? A-t-on sondé les professionnels de santé ainsi que les patients sur leurs attentes ? Quelles sont les applications prioritaires pour les patients ?

Evaluer les bénéfices attendus pour l’organisation et la gestion du système de santé

Quels sont les bénéfices attendus du déploiement du DMP, en matière d'égal accès aux soins, de qualité des soins, de réduction des risques d’erreurs médicales, de démographie médicale et en termes financiers ?

Identifier les contraintes en termes de sécurité et de confidentialité

A-t-on identifié l’ensemble des contraintes, en ce qui concerne la sécurité des systèmes d’information, les risques de détournement et de piratages des données, la mise en place de l’Identifiant National de Santé (INS), la sécurité des équipements d’accès pour les personnels hospitaliers et médicaux, le choix de technologies pérennes (« super carte vitale », clés USB...) et leur appropriation par les professionnels de santé et les patients? (délais)

Etudier la possibilité d’élaborer une charte liant les différentes parties prenantes

La concertation avec les représentants de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le Comité consultatif national d'éthique et la Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI) est-elle parvenue à son terme ? Les attendus sont-ils précis?

Les différents partenaires sont-ils disposés à s’engager sur une charte comportant des engagements réciproques ?

La CNIL serait-elle prête à s’associer à une telle démarche ? La Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) s’implique-t-elle de manière active dans la nouvelle phase du projet ?

II - Déterminer les responsabilités de chacun au sein de la gouvernance du projet

Clarifier les responsabilités incombant respectivement au pouvoir politique et aux instances de gouvernance

La répartition des responsabilités entre le pouvoir politique et les instances de gouvernance chargées de la gestion du projet a-t-elle été clairement définie ?

Doter les instances de gouvernance des compétences requises pour exercer les missions qui leur sont dévolues

Les instances de gouvernance sont-elles bien identifiées ? Disposent-elles d’un mandat précis et doivent-elles rendre compte régulièrement de l’état d’avancement du projet ? et à qui? Se sont-elles dotées des équipes ayant le niveau de compétences requis pour conduire le projet ?

Formaliser les responsabilités de chacun par un cahier des charges précis reposant sur des options claires au regard des moyens financiers disponibles et des expérimentations régionales entreprises

A-t-on clairement identifié les moyens financiers disponibles ?

Un cahier des charges précis a-t-il été établi et quels sont les recours prévus en cas de manquement aux obligations qu’il définit ?

Une position a-t-elle été arrêtée en ce qui concerne les expérimentations régionales menées précédemment ? Seront-elles intégrées en tout ou partie dans la nouvelle phase du projet et, si tel n’est pas le cas, quelles sont les actions prévues pour mobiliser les équipes qui étaient en charge de ces expérimentations et qui devront participer au déploiement du DMP ?

Quels sont les enseignements tirés des expériences étrangères ?

III - Organiser le processus de mise en œuvre

Donner une meilleure visibilité chronologique, budgétaire et organisationnelle

A-t-on identifié les phases constitutives de l’avant-projet et du projet, avec les livrables pour chacune de ces phases et les délais impartis pour ces derniers ? et les budgets par phase ?

La durée de la phase d’expérimentation a-t-elle été fixée en ce qui concerne chacun des acteurs concernés ?

Le déploiement régional est-il parfaitement défini, tant sur le plan géographique que s'agissant des pathologies qui seront concernées dans un premier temps ?

Le ou les maître (s) d'ouvrage est (sont) il(s) parfaitement identifié(s)?

Qui financera les applications adossées au DMP (logiciel de gestion de cabinet, suivi du diabète...), la CNAMTS, le Ministère de la santé, les patients ?

S’assurer de l’implication des industriels

Les industriels sont-ils déterminés à s’investir dans le projet pour répondre au nouveau cahier des charges et sont-ils en mesure de concevoir des produits permettant de mettre en œuvre le DMP, notamment en ce qui concerne l’adaptation des postes de travail des professionnels de santé ?

S'assurer de la mise en place d'un pôle de sensibilisation et de formation professionnelle des acteurs

IV - Garantir la cohérence du projet avec les dispositions législatives et réglementaires y afférentes

Dresser un état des lieux du dispositif juridique en vigueur, afin d’identifier les mesures qu’il reste à prendre et celles qu’il conviendrait, le cas échéant, de modifier

L’ensemble des textes législatifs et réglementaires (lois, décrets, arrêtés, circulaires…) sont-ils disponibles afin que le DMP puisse être mis en place de manière effective  et puisse avoir un caractère opérationnel?

Quels sont les textes législatifs et réglementaires relatifs au DMP qui nécessiteraient une adaptation ?

Comment assurer une coordination dans ce domaine ? Quels sont les délais nécessaires pour combler les lacunes et opérer les ajustements éventuellement nécessaires ?

OUVERTURE

M. Pierre Lasbordes, président. Mesdames et messieurs, nous entamons ce matin une série d’auditions ouvertes à la presse pour discuter ensemble du dossier médical personnel, le DMP, qui a depuis quelques années fait l’objet de multiples réflexions, d’expérimentations, et dont les principes de mise en œuvre ont été progressivement aménagés.

Je tiens à remercier M. Claude Birraux, député, président de l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques d’avoir soutenu mon initiative et permis que l’Office puisse organiser cette audition publique, ainsi que M. Jean-Claude Étienne, sénateur, Premier vice-président, qui a, dans le cadre de l’Office, réalisé, avec M. Jean Dionis du Séjour, député, un travail de très grande valeur sur les technologies de l’information au service du système de santé, et qui viendra clore la séquence d’auditions de la matinée.

Créé par une loi de 1983, l’Office, qui est un organe composé de 18 députés et de 18 sénateurs, a pour mission d’évaluer les conséquences des choix scientifiques et technologiques. Saisi par les commissions parlementaires ou les Bureaux des deux chambres, les rapports réalisés par l’Office sont destinés à informer le Parlement.

De nombreux travaux de l’Office ont été consacrés à la santé. L’apport de la science et des technologies est en effet essentiel pour prévenir et diagnostiquer la maladie et mettre au point de nouveaux traitements au service des patients. Chacun le reconnaît. Ces progrès ne peuvent se diffuser qu’avec l’appui des professionnels de santé et qu’au prix d’une adaptation du système de soins. Ils nécessitent la mise en œuvre de compétences nouvelles, des exigences fortes en matière de sécurité, l’implantation et la maintenance de nouveaux équipements, et souvent une réflexion éthique préalable. Les pouvoirs publics ont bien entendu un rôle à jouer en donnant l’impulsion nécessaire, en coordonnant les initiatives, en définissant une stratégie claire, capable de mobiliser les différents acteurs et assortie des moyens financiers, juridiques ou humains permettant de l’appliquer.

Les technologies de l’information et de la communication sont, à cet égard, devenues pratiquement incontournables. La recherche médicale, les appareils médicaux, la réalisation d’actes médicaux tels que les actes chirurgicaux, s’appuient sur elles de plus en plus. Mais, lorsqu’il s’agit de la gestion de données personnelles de santé, ces technologies semblent être perçues autrement par l’opinion publique et les acteurs du système de soins, parce qu’il faut protéger les données concernées tout en définissant de nouveaux modes de collaboration. Leur contribution à l’amélioration des soins et au fonctionnement du système de santé est pourtant incontestable.

Cette audition publique n’a cependant pas pour objet premier d’examiner les bénéfices attendus du dossier médical personnel, pour la continuité et la qualité des soins, ainsi que pour l’information des patients, encore que la nature du DMP mériterait d’être clarifiée. De nombreux travaux, souvent de qualité, tels que le rapport d’information de mon collègue Jean-Pierre Door, que je remercie de participer à cette réunion, analysent les enjeux et les défis de ce projet.

Les vicissitudes de la mise en œuvre du DMP, qui se sont succédé, et dont témoignent les différentes dispositions législatives inscrites tantôt dans le code de la santé publique, tantôt dans le code de la sécurité sociale, ont donné lieu à plusieurs rapports émanant du Parlement lui-même, de la Cour des comptes et de corps d’inspection, ainsi qu’à une kyrielle d’articles de presse et de prises de position sur l’internet.

Où en sommes-nous ? Avec l’annonce du plan de relance du DMP par Mme Roselyne Bachelot, la ministre de la santé, allons-nous entrevoir le bout du tunnel ? Comment se forger une idée à ce propos ? C’est à cette préoccupation première que tente de répondre l’organisation de l’audition publique de ce jour, en recueillant auprès de différents acteurs les informations nécessaires à une meilleure compréhension d’un dossier qui initialement semblait simple, mais qui s’est révélé fort embrouillé, et en utilisant un nouveau mode d’intervention mis en œuvre par l’Office, qui lui permet de se montrer réactif vis-à-vis de l’actualité : l’organisation d’auditions ouvertes à la presse et contradictoires.

En ce qui me concerne, le but de cette audition est double.

D’une part, il consiste à examiner les conditions dans lesquelles un projet de cette envergure a été conduit. Quels enseignements peut-on tirer de la conduite de ce projet informatique, sur les plans organisationnel et fonctionnel, qui permettraient d’éviter de reproduire certaines erreurs opérationnelles ? Je citerai quelques questions qui déclinent cette interrogation de fond. Comment, dans la conduite du projet, le retour d’expériences, étrangères et régionales, a-t-il été assuré ? Comment les décisions ont-elles été prises ? Comment ont-elles été appliquées ? Sur la base de quel(s) cahier(s) des charges ? Les délais et moyens mis en œuvre ont-ils été réalistes ? Depuis le lancement du projet, le contexte a-t-il évolué ? Quel est aujourd’hui l’état des réalisations et que reste-t-il à faire ?

D’autre part, il s’agit de réunir les principales parties prenantes, afin de confronter leurs analyses sur ce point et leurs propositions. Pour tenter d’organiser sereinement cette discussion, les différents intervenants, que je tiens à remercier, disposeront au maximum chacun de sept minutes pour présenter leur bilan et leurs recommandations. Cette présentation pourra donner lieu à des questions et à un échange avec la salle. Le programme de cette audition étant relativement chargé, je demande à chacun de respecter son temps de parole. Des contributions écrites peuvent être remises ; elles seront publiées en annexe du compte rendu de l’audition.

Le 9 avril dernier, Mme Roselyne Bachelot, ministre chargé de la santé, a donc annoncé que le DMP serait relancé, défini de nouvelles orientations et fixé certaines échéances. L’audition de ce jour permettra, je l’espère, de mieux comprendre les options retenues par le Gouvernement et d’en apprécier la portée, tout en fournissant au Parlement et au Gouvernement des éléments d’information complémentaires pour mener à bien ce projet, prévu par la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance-maladie, dans le prolongement des dispositions introduites par la loi de 2002 relative aux droits des malades.

Je vous remercie de votre attention. Je précise aux intervenants qu’il n’est pas question ici de mener une enquête. Et qu’ils ne s’inquiètent pas : j’ai tendance à être un peu provocateur. L’objectif est d’obtenir, dans les meilleurs délais possibles, un dossier médical personnalisé qui convienne à tout le monde.

M. Dominique Coudreau, ancien président du conseil d’administration du GIP-DMP. J’ai passé environ quatre ans au GIP-DMP. En quoi ma propre expérience de président peut-elle être utile à la compréhension de ce qui s’est passé ? J’interviendrai sur trois sujets : le choix d’un GIP comme structure juridique ; les difficultés de choisir des responsables ; enfin, la gouvernance proprement dite.

Quand un projet public est mis en place, on s’interroge toujours sur la structure juridique à adopter. J’avais déjà connu cette situation dans ma carrière : quand Claude Évin m’a confié l’Agence française de lutte contre le Sida, et au moment de la création des ARH.

Je trouve que le GIP est une bonne solution, en raison de sa souplesse. Il permet de faire à peu près ce que l’on veut en termes de construction et d’organisation. Et quand on se lance dans quelque chose de complètement neuf, il est utile d’avoir suffisamment de latitude. Il présente néanmoins des inconvénients : il est très dépendant des personnes qui exercent le contrôle financier. Quand elles sont un peu pointilleuses et que le ministre des finances leur demande de l’être également, cela ne facilite pas les choses : les marchés prennent beaucoup de temps et il devient très compliqué de recruter des collaborateurs.

Quand on monte un grand projet, et a fortiori un grand projet public, le choix des responsables est la difficulté majeure. L’administration publique est mal outillée pour cela, surtout lorsqu’il s’agit de trouver des profils ayant des qualités multiples pour remplir des fonctions aussi importantes.

Il faut déjà définir le profil de l’homme à trouver. En l’occurrence, personne n’avait une idée bien arrêtée du type de profil qui était utile pour diriger le groupement. D’où des tâtonnements, avant de trouver Jacques Sauret.

Je recommanderai que, lorsqu’on lance un projet de cette taille, on définisse d’abord le profil des principaux responsables, et que l’administration fasse appel à des chasseurs de têtes puisqu’elle est incapable de choisir toute seule ses hommes.

Dans des métiers compliqués comme ceux-là, personne ne possède toutes les qualités à la fois. La constitution de l’équipe a donc son importance. Il faut que les responsables aient la latitude suffisante pour choisir les personnes dont ils souhaitent s’entourer. Reste que les règles de la fonction publique et du contrôle financier ne permettent pas de choisir totalement librement les statuts des personnes, ni a fortiori d’en déterminer les rémunérations. Tout cela a pesé dans le choix des responsables du GIP.

Enfin, il avait été décidé, et c’était d’ordre politique, que l’État, la Caisse des dépôts, et la Caisse nationale d’assurance maladie seraient représentés au conseil d’administration, à côté du représentant des professions de santé et du représentant des patients, par l’intermédiaire de leurs responsables : les directeurs d’administration centrale, le directeur général de la Caisse des dépôts, le directeur général de la CNAMTS. Très bien. Toutefois, dans la pratique, ces personnes, ayant mille choses à faire, ont délégué des collaborateurs, ce qui a dénaturé les délibérations du conseil d’administration. Comme ce n’était pas les chefs qui représentaient les entités, il a fallu faire des réunions préliminaires, lesquelles se déroulaient en général sous le contrôle et l’animation du conseiller technique du ministre – et ils ont été nombreux à se succéder sur ce chantier. D’où des va et vient permanents, dont tous les rapports ont longuement rendu compte, entre nous-mêmes et le cabinet du ministre. Là encore, si j’avais une recommandation à faire, c’est qu’il soit explicitement précisé qui est responsable de quelle décision au sein du conseil d’administration du GIP.

Certes, il s’agit d’un grand projet public et on ne peut pas imaginer une entité autonome. Néanmoins, nous avons été confrontés à un problème de partage des compétences et des responsabilités. Je ne sais pas s’il a été résolu depuis. J’ai fait toute ma carrière administrative dans la gestion d’organismes dépendant du ministère de la santé : CNAMTS ou ARH de l’Ile-de-France. Cette difficulté est permanente, comme cela ressort des débats qui ont lieu aujourd’hui autour de l’autonomie de l’hôpital et pour savoir qui commande l’hôpital. Or je pense que cette question est fondamentale pour la conduite de grands projets comme celui dont je viens de vous parler.

M. Jacques Sauret, ancien directeur du GIP-DMP. Le projet DMP n’est pas un projet informatique, mais un projet d’organisation, de modification en profondeur des relations entre les acteurs de santé et les patients. Une partie des difficultés du projet, passées et peut-être à venir, provient de ces changements comportementaux, bien évidemment anxiogènes.

Le projet vient d’être relancé. Je suis très content de cette relance et de ses modalités. En effet, sur le plan de la stratégie et des spécifications, la situation est la même qu’il y a deux ans, ce qui fait que cette continuité me semble favorable pour l’avenir du projet.

Nous nous trouvons un peu dans les mêmes conditions qu’à la fin de l’année 2006 et au début de l’année 2007, avant que Xavier Bertrand ne devienne porte-parole de Nicolas Sarkozy. A l’époque, l’Élysée soutenait fortement le projet. Ce changement institutionnel, pour des raisons politiques tout à fait évidentes, a entraîné une évanescence du soutien politique, qui a entraîné toute une série de conséquences.

Si on relit la feuille de route, qui est très bien rédigée, on s’aperçoit que la stratégie est absolument identique, les fonctionnalités aussi, et que l’architecture fonctionnelle et technique n’a pas bougé. Il est donc intéressant de voir ce qui a changé et pourquoi, aujourd’hui, tout va très bien.

Premièrement, le soutien politique, indispensable à un projet de cette nature, est à nouveau là. Encore une fois, de nombreux changements et de nombreuses réticences naturelles créent une inertie que seul un soutien politique massif peut permettre de dépasser.

Deuxièmement, la contrainte calendaire a été levée. Cela dit, je pense qu’elle a été utile au début du projet, dans la mesure où elle a permis de dépasser cette inertie et de dire aux acteurs : cela va venir, et assez vite.

Troisièmement, les esprits s’habituent. De nombreuses critiques, rationnelles ou irrationnelles, liées à des bouleversements rêvés ou craints, se sont apaisées et les acteurs se sont repositionnés. C’est le cas des industriels, qui s’appuyaient sur un modèle économique que j’ai assez largement modifié à mon arrivée. Ce modèle économique reste le même. Nous verrons ce qu’ils diront dans la journée, mais ils ont l’air contents, et je suis ravi de ce changement de position.

Pour autant, des risques sont à venir. Comme dans tout projet d’envergure de ce niveau, le diable se cache dans les détails. Même si on se met d’accord sur de grandes orientations, voire sur des points assez précis, au moment de la mise en œuvre opérationnelle, on peut s’attendre à des difficultés. Certaines sont déjà connues, mais il faudra tester le projet sur le terrain, faire des expérimentations. C’est ce qui se passe pour tous les grands projets, de toutes natures, publics ou privés.

Le pilotage en direct du politique constitue un autre risque. Il faut que le politique définisse au départ les stratégies ; c’est fait. Il faut qu’il soutienne ; c’est évident. Il faut qu’il protège ; c’est également évident. Mais il faut qu’il laisse faire les professionnels du secteur : le GIP maintenant, l’ASIP par la suite, et les autres acteurs. L’interventionnisme systématique, pluriquotidien est absolument contre productif. Il est essentiel de bien faire la séparation entre les sujets politiques et les sujets de conduite de projet.

Le DMP est un projet, mais il procède de la vision d’ensemble sur le système d’information de santé. J’avais lancé, lorsque j’étais chef de la MISS (Mission pour l’informatisation des systèmes de santé), un plan stratégique des systèmes d’information de santé, qui n’a toujours pas abouti. C’est pourtant indispensable. Les établissements de santé ont leur propre système. Or le système d’information hospitalier est le plus complexe, tous secteurs confondus, en raison de la multitude des métiers. On ne le bouge pas facilement ; pourtant, il doit s’intégrer dans une communauté avec la médecine libérale, les établissements de santé privés, qui ont des problématiques encore différentes. Il faut avoir une vision globale et une stratégie pour que chacun des acteurs puisse se déterminer.

Quelques points techniques ont une importance stratégique, comme le poste de travail du professionnel de santé, notamment en milieu libéral. Pendant deux ans, nous avons assisté à des débats, pour ne pas dire à des conflits, entre l’État, le GIP d’un côté, et la CNAMTS de l’autre sur le pilotage du poste de travail. La CNAMTS s’est engagée à refaire ce que fait Microsoft. Mais si l’on n’adopte pas des standards ouverts, si on ne laisse pas faire au monde industriel ce qu’il a à faire, et que l’on ne se contente pas de faire ce qui n’est pas fait par ailleurs, on va se « planter ». L’enjeu est fondamental, et je ne suis pas persuadé que la CNAMTS soit aujourd’hui la plus à même d’apporter les solutions techniques adaptées.

En conclusion, le projet me semble bien reparti, et c’est une excellente nouvelle. De toute façon, il faudra qu’il se fasse ou que quelque chose se fasse. On ne peut pas rester dans la situation actuelle. La création de l’ASIP est une bonne chose. L’équipe en place est excellente. La feuille de route donne du temps. Tout cela est de bon augure, même si, encore une fois, il y aura de petites mines ou de gros graviers sur la route du succès.

M. Pierre Lasbordes, président. Je tiens à saluer le soutien important de l’équipe précédente à la nouvelle équipe. C’est assez rare pour le souligner.

Monsieur Coudreau, vous nous avez parlé des difficultés que vous avez rencontrées s’agissant du recrutement et du fonctionnement du conseil d’administration. Quelles recommandations pourriez-vous nous faire, pour lever ces deux obstacles ?

M. Dominique Coudreau. J’ai déjà répondu en partie à propos du recrutement. Le recrutement est un métier. Les pouvoirs publics définissent le profil, en se faisant éventuellement aider. Ensuite, il faut qu’ils fassent appel à des chasseurs de têtes compétents.

La gouvernance est une question beaucoup plus difficile. La capacité du ministère de la santé notamment, à laisser émerger des entités autonomes pour gérer les missions de service public de santé, n’est pas encore arrivée à maturité. Toutefois, on ne peut pas non plus imaginer un monde totalement privatisé. Je ne pourrai que recommander de faire des choix clairs et de préciser, dans les conventions constitutives ou dans les décrets statutaires, qui s’occupe de quoi. Qu’on s’en tienne là en évitant, comme l’a dit Jacques Sauret, tout interventionnisme au quotidien.

M. Pierre Lasbordes, président. Monsieur Sauret, je vais être provocateur. J’ai le sentiment en vous entendant que si on en est là aujourd’hui, c’est parce que le soutien politique a manqué à un certain moment : quand M. Xavier Bertrand est devenu porte-parole de M. Nicolas Sarkozy. Est-ce crédible ?

M. Jacques Sauret. Oui.

M. Pierre Lasbordes, président. Je ne vois pas très bien en quoi le fait que M. Bertrand a quitté partiellement sa fonction de ministre de la santé pour prendre d’autres responsabilités a pu conduire à la situation dans laquelle nous nous trouvons.

M. Jacques Sauret. Ce type de projet implique un soutien politique fort. Le secrétaire général de l’Élysée avait une volonté farouche d’avancer sur le sujet. Je ne jette pas la pierre à Xavier Bertrand : ce fut un excellent ministre de la santé et il a totalement soutenu le projet, jusqu’à la campagne électorale. Mais quand on est en campagne électorale, on est très prudent sur ce type de sujet plutôt « casse-gueule ». Par la suite, le nouveau gouvernement ne connaissait pas la question. Des critiques ont été formulées ici ou là, et il était normal qu’il s’interroge. Peut-on dire que l’on a perdu deux ans ? Oui. Mais sur un projet d’une telle ampleur, ce n’est pas dramatique dès lors qu’il va jusqu’à son terme.

Prenez le dossier pharmaceutique, qui était un peu similaire. Il a démarré quelques mois après celui du DMP, mais a été protégé sur le plan médiatique et politique : aujourd’hui, nous en sommes à plusieurs millions de dossiers pharmaceutiques. Tout le monde savait que, s’agissant du DMP, l’échéance de juillet 2007 n’était pas réaliste. On aurait pu enregistrer un an ou dix-huit mois de retard. Mais si les circonstances avaient été les mêmes, il y aurait aujourd’hui plusieurs millions de DMP. Disons qu’il fallait donner du temps au temps.

M. Pierre Lasbordes, président. Peut-être que le cahier des charges n’était pas assez précis et que la période électorale a provoqué des perturbations, dans la mesure où ces périodes ont tendance à freiner les initiatives.

M. Jacques Sauret. Le cahier des charges était assez précis. Ce qui est prévu dans le DMP d’aujourd’hui est identique à ce qui était prévu à l’époque. Je ne formule pas de critique vis-à-vis du politique, je constate simplement que la conjonction d’une situation électorale avec l’état d’avancement d’un projet a débouché sur une mise en stand by, laquelle a duré un peu longtemps. Encore une fois, par rapport à la taille du projet, ce n’est pas dramatique, dès lors que le projet repart, et repart bien.

M. Pierre Lasbordes, président. Vous avez dit qu’il fallait que le schéma directeur des systèmes de santé soit opérationnel. Aujourd’hui, je crois qu’il ne l’est pas.

M. Jacques Sauret. Pour qu’il soit opérationnel, il faudrait déjà qu’il soit élaboré. Et c’est indispensable pour donner de la visibilité à tous les acteurs : publics, utilisateurs, industriels.

M. Pierre Lasbordes, président. On pourra demander tout à l’heure à M. Robin comment faire avancer le DMP, alors que schéma directeur n’est pas lancé.

J’ai cru comprendre que les périodes électorales avaient été un frein, que les politiques intervenaient un peu trop souvent. Il faudra s’assurer, par la suite, qu’ils restent à leur place. Nous essaierons de faire passer le message.

M. Dominique Coudreau. C’est davantage le fait de l’administration que des politiques. M. Sauret a dit qu’il fallait un soutien politique, mais pas un appel tous les matins pour savoir si la troisième roue tourne correctement…

M. Pierre Lasbordes, président. Il faudrait un peu plus d’indépendance et de confiance. L’administration a plutôt une culture de défiance que de confiance : c’est un mal français. Mais, en disant cela, je ne formule en rien une critique de l’administration, laquelle est composée de gens très dévoués et travailleurs. Merci en tout cas de votre franchise et de l’espoir que vous mettez dans la poursuite du projet.

M. Jean-Yves Robin, directeur du GIP-DMP. Avant d’entrer dans mon propos, je ferai une remarque sur les interventions précédentes. Je souscris tout à fait à ce que Jacques Sauret a pu dire sur les difficultés rencontrées. J’en ajouterai une, qui semble malgré tout en voie de résolution : le DMP n’est pas un objet autonome, que l’on va construire et insérer au sein d’un système existant, mais un ensemble de fonctionnalités de services, qui s’édifie en adhérence forte avec un existant – systèmes d’information hospitaliers, postes de travail. La mise en œuvre du DMP implique de résoudre un certain nombre de problèmes qui ne lui sont pas propres et qui sont partagés avec les autres systèmes.

On a envisagé de construire une structure dédiée en charge de ce DMP et de considérer que cette structure allait pouvoir mener à bien un projet, alors même que le périmètre de celui-ci imposait des modifications et des décisions n’appartenant pas à son champ de responsabilités. D’où certaines chausse-trappes : je pense tout particulièrement à l’identifiant national de santé, véritable serpent de mer. Comment faire un DMP sans INS ? Or l’INS n’était pas intégré d’emblée dans les travaux du GIP-DMP. Dès lors que le GIP-DMP n’a pas la maîtrise des composants structurants, essentiels et stratégiques, nécessaires à sa réalisation, on se heurte à des difficultés.

En conclusion, il était difficile de concevoir un DMP en dehors d’une approche globale des systèmes d’information. Et ce que j’ai dit de l’identifiant vaut pour les systèmes d’information régionaux, pour les plates-formes régionales, pour tous les systèmes impactés par le DMP.

Je souscris au diagnostic qui a été posé, mais j’ajouterai quelques éléments supplémentaires moins connus.

Je pense que les délais ont été longs et qu’il y a eu une pause dont ont aurait pu faire l’économie, au moins de quelques mois. Toutefois, je ne considère pas que l’on ait perdu deux ans. Quand j’ai pris mes fonctions, le 5 décembre, le GIP-DMP était dans une situation certes complexe depuis un an, un an et demi, mais j’ai néanmoins été agréablement surpris par le travail qui avait été réalisé, y compris dans les mois précédant mon arrivée, et par la richesse du patrimoine documentaire. Dire que telles ou telles sommes ont été dilapidées ou dépensées en vain me semble donc une condamnation un peu rapide.

Un bilan de situation a été dressé en décembre. Puis, nous avons élaboré un plan de relance, assorti de quelques ajustements, en nous appuyant sur les leçons du passé et sur les travaux effectués. La continuité est donc assurée.

Il s’agit d’un plan de relance des systèmes d’information partagés et non du DMP. Nous accordons une place importante aux messageries sécurisées, à la problématique du système d’information régional. Nous publierons dans deux ou trois jours un document sur les plates formes régionales de services qui seront soumises à concertation. Nous sommes déjà dans une approche globale, et il y a des éléments nouveaux.

Sur le DMP lui-même, nous avons éliminé tous les éléments structurants, notamment les éléments d’infrastructure, qui nécessitaient au préalable la réalisation d’un schéma directeur global. Je prends un exemple très clair : celui du portail et des systèmes de confiance. On ne peut pas concevoir de tels systèmes si on ne le fait pas en cohérence et en concertation avec l’assurance-maladie. Avant de construire un portail, il faut savoir dans quel ensemble global il s’insère, avoir une approche globale d’un schéma directeur du système de santé, sinon on risque des déperditions d’investissements. Ce n’est que lorsque nous disposerons de ce schéma directeur global, que nous construirons le portail et nous nous pencherons sur les systèmes de confiance. Nous avons donc inversé l’ordre des choses, dans le sens de ce qui me semble permettre une meilleure sécurisation du projet.

Un gros travail a été mené ces derniers mois sur l’évaluation des projets car il est nécessaire de donner de la visibilité à l’ensemble des acteurs. C’est d’ailleurs pourquoi nous avons publié une feuille de route jusqu’en juin. Après avoir réuni les prérequis, nous pourrons lancer des consultations industrielles.

Globalement, il n’y a pas eu de réorganisation du GIP-DMP : les équipes sont là et elles possèdent la qualité qui convient pour la tâche qu’elles ont à mener. Bien sûr, une remise en route doit être effectuée. En tout cas, on peut rendre hommage aux équipes qui se sont remises au travail, à un rythme soutenu depuis le début de l’année. Cela témoigne de leur agilité et de leur conscience professionnelles.

Ce projet demande un très gros travail de planification, qui est la clé de l’anticipation. Cette planification est en cours. Je suis d’accord avec ceux qui disent qu’il y a encore beaucoup de risques : nombreux ont été identifiés, même si nous n’avons pas encore trouvé le moyen de les éviter. La gestion du risque, s’agissant d’un tel projet, est une question majeure, et nous y mettons toute notre énergie. Nous prévoyons même un recrutement pour traiter ce sujet spécifique : ce ne sont pas des dépenses vaines que de faire de la prévention dans ce domaine.

En conclusion, je n’ai pas eu, avant de prendre mes responsabilités, à subir de pressions et de demandes concernant le planning. Mme Bachelot m’a interrogé sur le sujet, et comme vous vous en doutez, je lui ai fait une réponse très prudente. Mais il n’y a pas eu d’exigences ni de commandes politiques dans un sens ou dans un autre. La pression qui est mise sur ce dossier et le calendrier relativement ambitieux s’agissant du DMP sont dus aux acteurs qui se sont mobilisés sur le terrain. Nous avons mené des expérimentations qui, pour toutes sortes de raisons, ont fait du stop and go et ont quelque peu « chahuté » les acteurs régionaux. Nous devons à ces acteurs de leur donner de la visibilité et de respecter les échéances, et ce pour éviter que les énergies ne retombent.

Aujourd’hui, l’exigence de calendrier est liée au respect que l’on doit avoir pour ceux qui se sont mobilisés jusqu’à présent sur ce dossier, à notre souhait de ne pas soumettre à nouveau ce projet à un effet tunnel de deux ou trois ans, et non à une commande politique inconsidérée. Cela méritait d’être signalé clairement.

M. Pierre Lasbordes, président. J’espère que vous avez chiffré réellement le coût du passé. Des chiffres ont circulé, mais nous avons du mal à savoir si ce sont les bons. Vous dites que les équipes se sont remises au travail ; je suppose que ce sont les équipes du GIP, et pas les équipes régionales, lesquelles continuaient à travailler.

Nous avons le sentiment qu’au départ, certains sujets n’avaient pas été très bien analysés, qu’il s’agisse de l’INS ou de la sécurité. Ce sont pourtant des sujets préoccupants. Je suis très à l’aise pour en parler parce que je connais bien la problématique de la sécurité et que je sais qu’elle ne rentrait pas jusqu’à présent dans les réflexes de l’administration française.

On va prochainement annoncer, par décret, la création de l’Agence de la sécurité des systèmes d’information, que j’avais appelée de mes vœux. Cette dimension est fondamentale, surtout lorsque l’on traite de données confidentielles, comme celles de la santé. Nous avions eu l’occasion d’échanger avec M. Sauret sur cette question. On avance, et c’est une bonne chose. Faisons en sorte d’aboutir.

Pensez-vous que la maîtrise d’ouvrage soit suffisamment compétente et expérimentée pour affronter un tel projet ? Êtes-vous prêt à vous engager aujourd’hui, en nous disant que vous avez les bonnes équipes, que toutes les difficultés identifiées vont être dépassées ? Ce qui nous intéresse, en tant que politiques, c’est le respect de l’engagement pris. Nous ne voulons pas que les projets dérapent, que l’on ne sache plus financièrement où l’on va. Savez-vous aujourd’hui combien cela coûtera ? Savez-vous si les délais que vous annoncez seront respectés ? Et si le pouvoir politique prévoyait des pénalités en cas de dépassement de délais, seriez-vous prêt à l’accepter ?

M. Jean-Yves Robin. Je ne sais pas si vous seriez prêt à accepter mes conditions !

M. Pierre Lasbordes, président. C’est le pouvoir politique qui risque de perdre son crédit, pas l’administration. Mais peut-être n’avons-nous pas appréhendé toutes les difficultés, que nos commandes étaient délirantes et qu’il n’était pas possible de faire le DMP en deux ans.

M. Jean-Yves Robin. Cette question des coûts est fondamentale et j’aurais dû l’aborder. Il en est des systèmes d’information dans le secteur de la santé comme du football : tout le monde donne son avis, quitte à dire de très grosses bêtises.

L’évaluation du coût d’un projet comme celui du DMP rejoint mon propos liminaire sur les adhérences. Vous ne pouvez pas isoler le DMP du reste du monde et de la grande « réforme » – qu’il faut faire – du système d’information hospitalier et du système de santé en général. Il va falloir travailler sur les interopérabilités, sur les interfaces, sur la production des comptes rendus.

Il faut d’abord définir le périmètre. Le DMP n’est pas un problème d’hébergement, mais d’urbanisation, d’intégration des services de partage dans les applications métiers, etc. Le GIP-DMP, en tant que personne morale, va assumer son budget d’exploitation, sur le périmètre de responsabilité qui est le sien, mais une approche économique globale est indispensable. Je me félicite d’ailleurs du travail que nous faisons avec la DHOS : entre « Hôpital 2012 » et les investissements de GIP-DMP – et demain de l’ASIP –, nous tentons de faire converger les financements publics et de les rendre plus efficaces.

Il faudra donc engager une approche économique globale pour apprécier : le chiffre d’affaires du DMP, le poids de son activité économique…Le DMP ne fonctionnera que lorsque l’on prendra en compte l’ensemble de ce périmètre.

Le budget du DMP ne représente que la part de l’activité qu’il assume en tant que personne morale. Le coût global du projet est aujourd’hui très difficile à apprécier. Si l’on regarde ce qui se passe à l’étranger, on est surpris de l’ampleur des sommes annoncées, par exemple en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Mais il y a des écarts de périmètres, et il faut bien se garder de faire des comparaisons avec le budget de l’ASIP. Ce n’est pas parce que l’ASIP n’a pas un budget au prorata de ce que prévoit M. Obama dans ce domaine qu’elle va réussir ou échouer.

S’agissant des équipes, nous ne sommes pas armés aujourd’hui pour mener à bien le projet. Des recrutements sont en cours. Je rappelle que, depuis le début de son existence, le GIP-DMP n’a jamais consommé son budget prévisionnel global annuel. Actuellement, nous sommes encore en dessous du plafond d’emplois qui nous est attribué. Sans modifier nos plans prévisionnels tels qu’ils ont été votés par le conseil d’administration, nous avons une capacité d’embauche. Le problème est qu’il est compliqué d’embaucher : c’est long, certaines personnes ont des préavis à respecter.

Le DMP n’est pas seulement un projet informatique ; il implique aussi de renforcer nos compétences métiers.

M. Pierre Lasbordes, président. Il ne faut pas perdre de temps pour recruter. Mais quand pourra-t-on dire que le DMP est « recetté » ?

M. Jean-Yves Robin. Un plan de relance a été publié, assorti d’un calendrier.

Sur le plan informatique, nous sommes en train de rédiger un cahier des charges. Il nous reste un certain nombre d’étapes à franchir, mais ces étapes sont inscrites dans nos budgets. Nous lancerons avant et pendant l’été un appel d’offres sur la partie « hébergement », sachant que nous ne voulons pas faire travailler les industriels entre le 15 juillet et le 15 août. Nous étudierons leurs réponses en fin d’année, pour une notification entre la fin de cette année et le début de l’année prochaine. La mise en production interviendra au milieu de 2010.

Parallèlement à cela, nous aurons intégré, dans les applicatifs métiers, le cadre d’interopérabilité, dont la première version sera rendue publique en juin. Ce cadre sera soumis à concertation, puis affiné et finalisé avec l’opérateur qui sera chargé de la mise en production du premier DMP. En effet, il faut impliquer l’opérateur, sans lui imposer des choix techniques, et faut interagir avec lui pour établir les spécifications. Le cadre d’interopérabilité sera finalisé entre juin et le deuxième semestre 2009. Nous l’intégrerons dans les solutions métiers à partir de septembre/octobre 2009. Nous utiliserons notamment un certain nombre de projets territoriaux régionaux pour tester ce cadre d’interopérabilité et l’implémenter dans des expérimentations qui existent déjà, de manière que nous soyons en production de DMP à l’ASIP à partir de mi 2010.

Il s’agira alors de déployer et d’urbaniser l’ensemble des services, y compris les services spécialisés, dans le cadre d’un calendrier qui s’étendra sur plusieurs années. Les infrastructures et le cadre d’interopérabilité sont des préalables indispensables. Mais à partir de là, il faudra conduire le changement, lever certaines résistances et probablement résoudre certaines difficultés en termes de déploiement.

Ce projet durera encore plusieurs années. Toutefois, dès que l’on pourra donner à voir et à toucher aux acteurs, la problématique changera un peu. Jusqu’à présent, nous avons souffert d’être trop dans l’abstrait. Finalement, le DMP n’était toujours pas bien défini. Le fait de commencer à faire et à utiliser un premier outil, même s’il ne s’agira pas de l’outil définitif, nous permettra de mieux parler de la réalité du DMP et de la faire évoluer. Cette évolution se fera, non sur des fantasmes ou sur des idées préconçues, mais sur des retours d’expériences, ce qui est beaucoup plus riche et constructif.

M. Pierre Schluzel, syndicat des biologistes. Depuis longtemps, les biologistes ont cherché à transmettre aux médecins les comptes rendus des analyses qu’ils leur commandaient. Ce travail a été effectué tant bien que mal jusqu’à présent, puis nous avons vu arriver le DMP avec espoir. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé le moyen de construire un tel outil avec nos éditeurs de logiciels, faute d’un modèle économique permettant de financer son développement.

M. Jean-Yves Robin. Dans le cadre du DMP, les comptes rendus de biologie ont en effet leur importance. Toutefois, le médecin qui a prescrit un tel examen n’est pas condamné à passer par le DMP. Le DMP ne peut pas résumer l’ensemble des échanges entre les professionnels : il s’agit d’un outil de coordination des soins ; or un document retraçant la production de soins n’a pas nécessairement de sens pour la coordination des soins.

Les biologistes, comme tous les autres professionnels de santé, ont besoin d’outils de messagerie sécurisée leur permettant de correspondre entre eux. Les échanges épistolaires entre professionnels de santé existent depuis très longtemps et ils continueront : le DMP ne se substituera pas à tous ces flux.

Je suis un peu étonné de votre propos sur le modèle économique. Les professionnels de santé qui s’équipent en informatique sont, pour une part, sous financement public et, pour une autre part, sous financement privé. Chacun des secteurs a un modèle économique qui lui est propre, et l’État n’a pas l’intention de financer intégralement l’ensemble de l’informatique de santé. Il faut définir des cadres d’interopérabilité pour que les opérateurs, notamment les industriels, intègrent ces données : l’informatique de santé doit devenir « communicante », et ce n’est d’ailleurs pas propre au DMP.

Les solutions informatiques utilisées aujourd’hui possèdent un certain nombre de fonctionnalités ; demain, elles en auront de nouvelles. Les applicatifs de santé qui ne correspondront pas à des référentiels de sécurité ou à des référentiels de communication ne trouveront pas de place sur le marché. Il faut donc tirer la qualité de ces applicatifs vers le haut : pour cela, les industriels devront être aidés par l’État, qui devra accompagner leur démarche en ce sens.

M Pierre Schluzel. Je me suis mal fait comprendre : si nous avons essayé de développer seuls cet outil avec les industriels, c’est parce que nous n’avons pas réussi à obtenir de directives cadrant le dispositif.

M. Jean-Yves Robin. Avant d’investir dans les fonctions de communication ou d’informatique, il convient en effet de connaître les règles du jeu, notamment disposer de cadres d’interopérabilité. Nous avons procédé à un certain nombre d’expérimentations qui nous ont permis de documenter ce cadre et d’évoluer, mais, à un moment donné, il faut passer à un stade industriel et de généralisation. Aujourd’hui, la fourniture des cadres d’interopérabilité est un pré requis aux investissements, et non l’inverse.

M. Antoine Perrin, directeur de l’ARH de Bretagne. C’est avec beaucoup d’humilité que je vais présenter la « Plateforme télésanté Bretagne ». En effet, Dominique Penhouet, qui m’accompagne et qui est chargé de mission pour les systèmes d’information, et moi-même ne sommes en Bretagne que depuis janvier 2008. Par ailleurs, le bilan de cette expérience est mitigé. Et c’est probablement pour cette raison qu’elle est intéressante : elle permet de voir ce qui ne va pas et, donc, ce que nous pouvons améliorer.

(M. Antoine Perrin projette des diapositives pour illustrer son propos.)

Cette plate-forme a été créée en 2004 à l’initiative non seulement de l’ARH-URCAM, mais aussi d’institutions et de professionnels de santé, libéraux ou hospitaliers. L’appui du syndicat inter hospitalier de Bretagne, le SIB – structure de maîtrise d’œuvre très connue dans les systèmes d’information et très utile –, nous a permis de bien démarrer. En 2007, nous avons créé, pour ce qui concerne la maîtrise d’ouvrage opérationnelle, un groupement de coopération sanitaire, porté par les professionnels et les institutions. Toutefois, nous nous sommes heurtés à des difficultés.

Les principales fonctionnalités de cette plate-forme sont les suivantes : les services socles ; des éléments de télécommunication – messagerie et téléimagerie ; des éléments de veille sanitaire ; des éléments de dossiers – dossier général ou dossiers spécialisés (Rivarance sur le diabète et OpenRCP en cancérologie).

La messagerie sécurisée fonctionne très bien chez les libéraux, beaucoup moins bien chez les hospitaliers, parce que les interfaces entre la plate-forme et les systèmes d’information des établissements de santé n’ont pas été construites ou ne sont pas suffisamment avancées. Cette difficulté devrait être levée prochainement, puisque les établissements de santé sont en train de créer un lien entre les interfaces et le syndicat inter hospitalier.

La téléimagerie fonctionne grâce au réseau à haut débit Mégalis. C’est un bon résultat, mais il est limité dans la mesure où seuls les établissements publics sont concernés. La montée en charge du dispositif a été très forte, tout en étant progressive. Toutefois, Mégalis s’arrêtera en juin 2010, le conseil régional de Bretagne, qui était au pilotage, ayant décidé d’y mettre un terme. Pour autant, cela sera pour nous une opportunité, puisque nous allons devoir remplacer Mégalis par un autre système de réseau à haut débit, qui devrait servir non seulement le secteur public, mais aussi le secteur privé.

Le dossier « cancérologie » fonctionne bien, parce qu’il a été pris en charge par les professionnels. La montée en charge du dispositif est satisfaisante, même s’il ne comprend pas encore l’imagerie ni l’anatomopathologie.

Le dossier réseau Rivarance, qui concerne le diabète, a été créé par les professionnels, mais, il reste limité au secteur Dinan - Saint-Malo.

Le dossier partagé ne fonctionne pas par manque d’interfaces avec les établissements qui n’en ont pas pris la maîtrise d’ouvrage. Ceux-ci ont laissé le SIB prendre en main ce dossier, et comme ce n’était pas le leur, ils n’ont pas poussé à l’interopérabilité et à l’intégration.

Notre bilan est donc en demi-teinte : des éléments techniques ou spécifiques, comme la messagerie ou la téléimagerie, fonctionnent bien, mais avec les limites ; les dossiers spécialisés fonctionnent également ; en revanche, les dossiers plus généralistes ne fonctionnent pas. Les professionnels et les institutions reconnaissent que le GCS (groupement de coopération sanitaire) ne s’est pas mis au pilotage : considérant que le dossier des systèmes d’information était complexe et technique, ils se sont reposés sur le syndicat inter hospitalier de Bretagne, qualifié pour la maîtrise d’œuvre, mais pas pour la maîtrise d’ouvrage. Ayant constaté que cette dernière était insuffisante, nous sommes en train de la redynamiser.

Le plan d’action régional, que nous avons mis en œuvre à notre arrivée, Dominique Penhouet et moi-même, nous a permis de redynamiser le GCS, de repositionner la maîtrise d’œuvre à sa bonne place, et de retrouver des professionnels et des institutions capables de s’investir pour faire de ce dossier un dossier managé et non un dossier technique.

Nous avons organisé pour la première fois, en octobre dernier, une journée régionale « systèmes d’information », qui portait sur la sécurité des systèmes d’information et la communication. Toutefois, n’y assistaient que des directeurs des systèmes d’information et des informaticiens ; aucun chef d’établissement, aucun président de CME (commission médicale d’établissement) ne s’était déplacé ! D’où une certaine irritation de ma part. Une autre journée aura lieu en juin, et nous avons insisté pour que les directeurs et les présidents de CME soient présents.

Enfin, il faut noter l’importance de l’échelon régional dans le développement des systèmes d’information, lequel doit se faire, je le répète, à un niveau managérial et non à un niveau technique. La technique doit être au service du management, et non l’inverse : tel est en tout cas le sens de notre démarche.

En définitive, nous attendons beaucoup de la relance du DMP, que ce soit pour le cadrage, les références, l’interopérabilité, ou encore l’évaluation.

M. Pierre Lasbordes, président. Quel est le degré de liberté des ARH dans la mise en place des expérimentations ? Y a-t-il un pilotage très directif depuis Paris ?

M. Antoine Perrin. Nous sommes assez libres, et peut-être même trop libres. Sans un cadrage national, les expérimentations risquent de partir dans toutes les directions. Plus on attend, plus il sera difficile, ensuite, de « raccorder les morceaux » dans le cadre d’une interopérabilité.

M. Pierre Lasbordes, président. C’est aussi mon avis. Monsieur Robin, avez-vous la volonté de procéder à un recadrage ?

M. Jean-Yves Robin. La première phase était celle de la publication du plan de relance. Nous en sommes maintenant à la mise en cohérence – ainsi, par exemple, je me suis rendu avant-hier en Alsace et récemment en Rhône-Alpes.

Faute d’outils en nombre suffisant, nous rencontrons un problème structurel de relations entre le niveau national et le niveau régional. Les appels à projets, bien que constituant une solution assez créative, ne sont pas adaptés, notamment parce qu’ils ne permettent pas d’accompagner et de cadrer les projets. Cela doit changer, et nous y travaillons.

Les projets régionaux sont très hétérogènes. Il faudra avoir le courage d’en arrêter certains. Pourquoi maintenir sous oxygène des projets qui n’ont pas de sens au niveau de la cohérence et de la structuration du système d’information global ? Voilà pourquoi nous nous hâtons de publier le cadrage technique.

Il faut que le niveau national reprenne la main sur le plan technique, car on ne peut pas conduire le processus d’intégration à l’échelon régional : il n’est pas possible de demander aux industriels d’adopter des solutions spécifiques à chaque région de France, alors que la tendance consiste plutôt à adopter des standards internationaux et à tenter d’exporter notre savoir-faire.

Il faut tout remettre dans le bon sens, et c’est ce que nous sommes en train de faire avec les régions. Dans les régions qui ont une forte maturité, comme celles qui sont ici représentées, je ne pressens pas de difficultés particulières, si ce n’est que le champ de convergence sera spécifique pour chaque région. Cela étant, on peut espérer que fin 2010-début 2011, l’ensemble des projets sera « raccroché » aux infrastructures nationales du DMP.

M. Pierre Lasbordes, président. Était-ce un choix délibéré de laisser les régions faire un peu ce qu’elles voulaient, ou était-ce par facilité ?

M. Jacques Sauret. C’était une nécessité. Des expérimentations avaient été lancées par appel d’offres, c’est-à-dire dans un cadre juridique, mais pour une période manifestement trop courte – le GIP-DMP avait volontairement exclu toute prolongation.

Pour relancer une dynamique qui était en train de naître, la seule solution juridiquement acceptable était de faire un appel à projets, qui permet de financer tout projet concourant à tel ou tel objectif, mais qui laisse sa liberté au porteur de projet. En effet, en cas de nouvel appel d’offres, soit on prenait le même prestataire et on était passible d’un délit de favoritisme, soit on en retenait un autre et les acteurs de terrain n’auraient pas compris pourquoi.

M. Antoine Perrin. Heureusement que nous avions une plate-forme régionale. Au départ, l’URML (union régionale des médecins libéraux) était prête à créer sa propre messagerie, indépendante de la messagerie hospitalière. C’est grâce à la dynamique régionale que nous n’avons qu’une seule messagerie.

M. Pierre Lasbordes, président. Si c’était à refaire, referiez-vous la même chose ?

M. Jacques Sauret. Je pense qu’il aurait fallu disposer d’une durée d’expérimentation de deux ans ou deux ans et demi, avec des possibilités de prolongation. Mais quand j’ai pris mes fonctions, cette « guillotine temporelle » existait…

M. Pierre Lasbordes, président. Monsieur Perrin, qu’est-il intéressant de retenir ?

M. Antoine Perrin. Comme les professionnels, les institutions ou les industriels, nous avons vraiment besoin que l’échelon national nous fournisse des éléments précis. À l’heure actuelle, je suis incapable de dire ce qu’est le DMP et ce que l’on met dedans. Il y a autant d’expériences que de régions, et même des définitions différentes au sein d’une même région. Le niveau national doit rapidement nous indiquer de façon claire en quoi consistera le contenu du DMP, pour que toutes les régions partent de la même base.

M. Patrice Blémont, directeur de l’ARH de Franche-Comté. Je confirme la nécessité d’un cadre de convergence national, en y ajoutant néanmoins une nuance : il faut, en général, pour réussir, être suffisamment autonome pour n’éprouver jamais le besoin de devenir indépendant. Il est donc important de laisser un minimum de liberté à ceux qui osent et à ceux qui créent, avant de vouloir à tout prix les insérer dans un cadre.

Je suis venu, avec mon collaborateur et complice, Hervé Barge, pour témoigner d’une expérimentation qui a débuté en Franche-Comté il y a déjà neuf ans. J’ajoute que mon prédécesseur en Franche-Comté, Loïc Geoffroy, mériterait d’être là aujourd’hui, car il est le premier à avoir eu l’intuition, bien avant la loi de 2004, que le cadre stratégique pour « manager » demain la santé passait par la maîtrise des services d’information hospitaliers, et surtout des systèmes d’information en santé. C’est à partir de cette vision de Loïc Geoffroy que la Franche-Comté a construit son expérience, et je tiens à lui rendre hommage ici.

L’anticipation a donc été forte en Franche-Comté. Nous avons pressenti que, stratégiquement, il ne serait pas possible de gouverner la santé si nous ne maîtrisions pas les outils de systèmes d’information en santé. Et très tôt, nous avons estimé qu’il s’agissait non d’un projet technique, mais d’un projet de management de santé. Nous avons alors décidé de mettre sur la table un véritable plan de bataille, articulé autour d’un certain nombre de modules.

Nous avons cherché à recenser les besoins – et donc l’intérêt à agir – et à explorer le champ des possibles techniques. Nous nous sommes très rapidement rendus compte que, si nous transformions les praticiens, libéraux ou hospitaliers, en greffiers de l’information médicale des patients, nous irions à l’échec. La seule façon d’agir était de miser sur les médecins, et plus généralement sur les professionnels de santé, de façon que ce soient eux qui commencent à partager de l’information sur un patient pour maximiser la stratégie thérapeutique qui lui est proposée. Nous avons compris que c’était en stimulant l’intérêt à agir des professionnels de santé, et non en mettant d’emblée à la disposition des patients un certain nombre d’informations, que nous allions progresser. C’est la raison pour laquelle nous avons cherché à associer tout le monde : les médecins libéraux, les hospitaliers et les associations de patients. Et nous avons patiemment expliqué aux patients que la bonne orientation était celle-là : ils l’ont acceptée et nous ont soutenus dans notre démarche.

Nous avons cherché à constituer une maîtrise d’ouvrage forte et à mettre en place une gouvernance. Faute d’acteurs pour s’atteler à cette tâche, l’agence régionale de l’hospitalisation a donc fait son devoir en assurant dans un premier temps la maîtrise d’ouvrage. Ensuite, nous avons cherché à faire travailler les maîtres d’œuvre dans un climat de confiance, en tissant avec eux des relations claires – chacun restant dans son rôle –, mais aussi des relations de partenariat.

Un opérateur capable de concevoir un serveur de rapprochement d’identités a rapidement été sélectionné car, pour établir un dossier médical, partagé ou personnel, il faut s’assurer que le malade dont on parle est bien celui que l’on va soigner.

Puis nous avons engagé une démarche fédérative en lançant l’idée d’une plate-forme régionale de santé vers laquelle convergeraient tous les projets. Nous avons convaincu nos interlocuteurs et nos partenaires de la nécessité de cette plate-forme était nécessaire. Nous l’avons donc mise en place, pour servir de cadre de convergence. Par ailleurs, comme nous savions qu’à un moment où à un autre, il nous faudrait abandonner l’enfant que nous aurions mis au monde, nous avons créé un groupement de coopération sanitaire, qui a rassemblé la totalité des 22 réseaux de soins, des établissements publics et des établissements privés – sauf un – de Franche-Comté. Nous avons travaillé à partir de ce cadre. Et peu nous importait que les acteurs viennent du public ou du privé, ce qui nous importait, c’était l’intérêt du malade et la façon dont celui-ci allait, d’une part, s’intégrer dans le parcours de soins qui lui serait proposé et, d’autre part, accepter celui-ci.

Nous avons utilisé le levier du plan « Hôpital 2007 » pour passer à une phase un peu industrielle. Nous avons mis 15 millions d’euros sur la table pour nous lancer et faire converger tous les dossiers que nous avions déjà fédérés – certains concernent la totalité des patients atteints de telle ou telle pathologie : ainsi, le logiciel « BPC » (bonnes pratiques en chimiothérapie) réunit tous les malades de la région atteints du cancer sur la région et constitue un quasi DCC (dossier communicant en cancérologie).

Nous avons exigé de travailler avec des standards reconnus par tous et fait agréer nos dispositifs par le groupement pour la modernisation du système d’information. Et comme nous savions que la protection de la confidentialité des données posait un problème, nous avons cherché à créer un cadre de confiance, de coopération et de transparence avec la CNIL.

Pour autant, une bonne conduite technique des opérations et beaucoup d’argent ne suffisent pas. Pour mener à bien un projet de management, il faut emporter l’adhésion de tous. Nous avons donc lancé une campagne de réunions, que nous avons baptisée « réunions Tupperware ». Le soir, nous rencontrions des groupes de 10 à 12 personnes – médecins, professionnels de santé, libéraux ou hospitaliers – pour les convaincre de l’utilité de notre projet. Ces réunions ont rencontré un certain succès et ont permis de propager notre point de vue sans que nous ayons à l’imposer le moins du monde.

Au départ, nous n’avons pas suscité que l’adhésion, quelques industriels et certaines tutelles étaient sceptiques. Nous n’étions pas toujours considérés comme des interlocuteurs sérieux : lors du premier appel d’offres du GIP-DMP, en dépit de notre expérience déjà très avancée, nous n’avons même pas, à notre immense surprise, été sélectionnés dans les six premiers projets. Toutefois, nous avons décidé que nous ne reculerions pas. Puis Le Monde de l’informatique nous a décerné en 2006 le prix de l’innovation, ce qui a eu pour conséquence de changer le regard porté sur nous. Le GIP-DMP – sous l’impulsion de Jacques Sauret et de Dominique Coudreau, qui ont adhéré à notre projet – est revenu vers nous et nous nous sommes « rabibochés ».

En conclusion, nous avons une plate-forme avec 980 000 dossiers, pour une population de 1 250 000 habitants. Sur ces 980 000 dossiers, 150 000 ressemblent de très près à ce que pourrait être un DMP – la CNIL nous a donné l’autorisation de diffusion sur une zone.

Il n’en reste pas moins que, pour lancer un projet plus global, il faudrait disposer d’une plate-forme d’appels de 20 ou 25 personnes et de moyens suffisants.

Pourquoi avons-nous « un peu moins échoué » que d’autres ? En partie en raison de l’immense liberté dont nous avons bénéficié.

M Pierre Lasbordes, président. Votre démarche paraît séduisante, mais pensez-vous que ce modèle soit duplicable partout ? Êtes-vous capables de convaincre l’équipe centrale que vous avez trouvé la bonne solution ?

M. Patrice Blémont. Je ne connais pas de modèle universel. Imaginer que notre modèle pourrait être la pierre angulaire du dispositif que la ministre a relancé le 9 avril dernier serait faire preuve de prétention.

Toute expérimentation comporte des éléments à prendre et d’autres à laisser. Je pense que le cadre national pourra tirer un peu de substantifique moelle de ce que nous aurons fait, mais notre dispositif n’est certainement pas parfait. J’attends d’ailleurs du cadre national que nous puissions converger avec lui, et j’espère que nous allons encore progresser.

Par ailleurs, il faut tenir compte de la taille de notre région et des conditions un peu particulières d’adhésion dont nous avons pu bénéficier. À mon avis, ce sera nettement moins simple ailleurs.

M. Pierre Lasbordes, président. C’est moi qui ai retenu les deux régions qui ont été sélectionnées. Toutefois, d’autres régions ont procédé à des expérimentations intéressantes.

L’ARH de Bretagne est sur le bon chemin : elle a bien identifié ses faiblesses et bien vu les leviers qu’elle pouvait utiliser.

En Franche-Comté, M. Blémont a visiblement bien avancé. À lui de convaincre le pouvoir central qu’il a bien défriché le terrain et que sa démarche d’adhésion présente un intérêt.

M. Jean-Pierre Door, député du Loiret, membre de l’OPECST. Monsieur le Président, c’est une excellente idée d’avoir relancé au Parlement le débat sur le DMP, que nous avions mis en place le 13 août 2004, dans le cadre de la grande loi réformant l’assurance maladie.

Avec l’aval du ministre de la santé de l’époque, nous avions dit que le DMP serait opérationnel en 2007. Toutefois, chaque année, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, lors de l’examen du PLFSS ou de la loi de santé publique, nous avons rajouté ou supprimé quelque chose : voilà pourquoi nous avons nous aussi une part de responsabilité.

En 2008, la commission des affaires sociales a demandé un rapport aux parlementaires pour compléter celui fait par l’Inspection générale. Une mission de onze membres s’est donc réunie pendant environ six mois et a procédé à 70 auditions. De celles-ci, nous avons tiré à peu près les mêmes conclusions que celles de l’Inspection générale, à savoir que les objectifs fixés étaient trop ambitieux, que l’informatisation hospitalière était dans un état préoccupant et que les professionnels de santé libéraux n’étaient pas tous informatisés. La conduite du projet s’est faite de manière trop hâtive, comme l’a d’ailleurs reconnu Philippe Douste-Blazy.

Nous avons constaté que, même parmi les politiques, il y avait les « pour » et les « contre » le DMP. D’où la nécessité impérieuse de mettre d’accord les deux camps si l’on voulait gagner le match.

Le rapport de M. Michel Gagneux a conclu que la relance du projet était absolument nécessaire. Nous avons nous-mêmes constaté qu’il y avait, dans l’ensemble du monde médical, une attente importante en ce sens et que, à l’heure du numérique, le partage des données de santé était nécessaire pour améliorer la qualité des soins. Outre que tous les pays voisins avaient mené le même type de réflexion et s’étaient lancés dans des projets équivalents, plusieurs sociétés, comme Microsoft ou Google, avaient la possibilité d’ouvrir aux patients l’accès au dossier médical sur la toile numérique. Il fallait donc que l’État définisse un cadre réglementaire assurant la confidentialité et permettant un partage de données dans le sens de la qualité des soins, hors de toute visée mercantile.

Nous avons conseillé la relance du projet de DMP. Nous en avons précisé les conditions, lesquelles ont été prises en compte et consistent : à renforcer le GIP-DMP, avec un meilleur pilotage ; à faire accepter par les professionnels libéraux la possibilité, d’une part, de faire partager des données de santé et, d’autre part, de créer eux-mêmes des dossiers informatiques – dossier pharmaceutique, dossier « cancérologie », dossier « cardiologie », DM Pro des dossiers généralistes – susceptibles d’intégrer le socle du DMP que construira le nouveau groupement.

Quant à savoir ce que signifiait le « P » de DMP, cela a été un problème : cela voulait-il dire « professionnel », « partagé » ou « personnel » ? Tous les ans, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, nous en avons débattu. Puis nous avons fini par trancher en faveur de « personnel », même si ce choix a pu être critiqué par certains.

La CNIL s’est opposée à ce que l’on utilise le NIR, le numéro INSEE ou numéro de sécurité sociale, comme identifiant permettant à l’usager d’avoir accès, de chez lui, à son dossier. Nous avons donc créé le NIS, le numéro identifiant de santé. Il convient maintenant de mettre en place ce nouveau numéro, avec de nouveaux algorithmes. Un an devrait suffire, mais il faut aller très vite.

Nous sommes responsables des problèmes qui se posent car nous avons voulu être trop perfectionnistes. Il aurait fallu faire preuve de davantage de souplesse et mener des expérimentations plus longues – ainsi, en Alsace, les médecins se sont sentis frustrés lorsque l’expérience qu’ils conduisaient a été stoppée.

Je suis également partisan des supports mobiles de données de santé, comme les clés USB, qui permettraient au patient de disposer de son dossier et favoriseraient les relations entre le médecin et le patient – je crois savoir que la ministre a accepté cette proposition. Nous pensons que, pour assurer la coordination ou la continuité des soins, il faut mener l’expérience, notamment parmi les populations de patients ayant des maladies chroniques ou des maladies de longue durée.

M. Pierre Lasbordes, président. Il revient à ceux qui décident au niveau informatique de proposer une solution. Ensuite, nous l’accepterons ou nous ne l’accepterons pas.

Il est exact que lorsque nous votons une loi, nous ne sommes pas toujours tout à fait conscients de ses impacts. En l’occurrence, nous avons été trop ambitieux parce que nous n’avions pas envisagé les difficultés auxquelles on pouvait être confronté. Il ne faudrait pas que nous nous retrouvions dans la même situation.

M. Michel Gagneux, président du conseil d’administration et du comité d’orientation du GIP-DMP, auteur du rapport de la mission de relance du projet de dossier médical personnel. Je vais vous présenter les analyses que j’ai formulées depuis deux années, d’abord en participant à une revue de projet, puis en animant une mission de relance du dossier médical personnel (DMP), à laquelle participaient aussi M. Jacques Sauret, M. André Loth et des représentants des caisses nationales d’assurance maladie. 

Cinq leçons peuvent être tirées du passé.

La première est que ce projet d’envergure nationale, à caractère multidimensionnel, plus culturel que technologique, a souffert d’une forme d’impréparation. Une décision politique reposant sur une bonne intuition a été mise en œuvre trop vite : les nuances entre un dossier électronique de patient et un dossier médical personnel n’avaient pas forcément été mesurées dans toutes leurs conséquences.

La deuxième leçon est que les bonnes règles de gestion du projet ont été sacrifiées aux exigences d’un agenda politique. Il en est résulté des difficultés en termes d’instabilité des équipes de direction, de visibilité stratégique, d’autonomie laissée aux acteurs.

La troisième leçon est que, pour ces motifs, la dimension technique l’a emporté sur celle des usages et des finalités. Or cette dernière est essentielle ; c’est à elle que nous allons nous consacrer en priorité dans les années qui viennent.

La quatrième leçon est que, dans ces conditions, le consensus – élément indispensable au succès – n’a pas été réuni. Les équipes en charge du projet, sous l’autorité de MM. Dominique Coudreau et Jacques Sauret, se sont trouvées, pendant longtemps, dans une position où elles bénéficiaient certes de l’appui de l’échelon politique, mais où elles devaient convaincre en permanence l’administration centrale, la Caisse nationale d’assurance maladie, les industriels et les professionnels de santé. Les préalables nécessaires à un consensus sociétal n’avaient pas été remplis.

Enfin, la cause fondamentale des difficultés du projet est que le DMP a été lancé dans un univers privé de véritable système de gouvernance : absence d’instance stratégique pour donner des orientations et des priorités à la politique des systèmes d’information de santé ; absence de véritable politique publique cohérente ; absence de schéma national dans lequel le DMP aurait pu s’inscrire. Dès lors la partie était difficile à gagner. Pour cette raison, les vicissitudes qu’a connues le projet sont dues non pas tant aux défaillances des hommes – les rapports d’audit, dont ceux que j’ai élaborés, les ont du reste épargnés – qu’à une difficulté systémique. Bâtir un système de gouvernance cohérent pour l’ensemble de nos systèmes de santé est aujourd’hui une priorité nationale. C’est, pour partie, l’objet d’une troisième mission que Mme Roselyne Bachelot m’a confiée et pour laquelle je vais bientôt lui remettre un rapport.

Cela nous amène à nous projeter vers l’avenir en tirant les leçons du passé. Le nouveau programme de relance, présenté le 9 avril dernier, s’inspire de celles-ci et se fixe des objectifs aussi bien en termes de méthode et de contenu qu’en termes de défis à relever.

En matière de méthode, un projet de ce type doit être engagé progressivement, selon une trajectoire lisible comportant des jalons maîtrisés, et être évalué étape par étape.

Ensuite, un tel projet se conduit non pas avec un esprit technocratique centralisateur, mais dans la concertation avec l’ensemble des parties. Cela ne signifie pas pour autant qu’il faut rechercher l’unanimité. Toutefois, un projet dont la réalisation va dépendre d’une multiplicité d’acteurs – professionnels et établissements de santé, directions d’administrations centrales, industriels, patients – ayant tous leurs priorités, ne peut être mené sans une vision commune et partagée.

Enfin, le DMP ne vaudra que parce qu’il permettra la création de valeurs dans les pratiques professionnelles, les logiciels de métier, les systèmes informatiques hospitaliers.

À partir de ces éléments de méthode, il nous faudra essayer de rendre très vite concrets le DMP et l’ensemble des services qu’il pourra offrir en articulation avec les autres systèmes d’information de santé. Il conviendra, c’est fondamental, de s’appuyer sur l’usage, l’expérimentation, le retour d’expérience et la diffusion. Pour cette raison, le travail en collaboration avec l’ensemble des plates-formes existantes et les expérimentations déjà lancées sera essentiel. Il sera aussi nécessaire qu’un cadre national et un chemin de gouvernance soient respectés – ce sera l’autre élément pour lequel le rôle de l’agence des systèmes d’information partagée de santé sera décisif –, ce qui suppose notamment l’édiction de règles d’interopérabilité, de sécurité, de confidentialité, règles que tous les acteurs devront appliquer.

Les défis sont de taille. Avant d’être techniques, ils relèvent d’abord de la conduite du changement, des pratiques individuelles et de celles des organisations. Les professionnels de santé devront intégrer dans leur pratique professionnelle ces nouveaux outils de la technologie de l’information et de la communication, et ce non seulement pour la télétransmission des informations auprès de l’assurance maladie, mais aussi pour la prise en charge du patient et le développement de pratiques médicales plus coopératives. Pour que le DMP puisse avoir une utilité, le système informatique hospitalier devra se mettre assez vite en état de s’adapter à ces systèmes partagés et de fournir dans les délais utiles et les formats compatibles les comptes rendus et dossiers d’hospitalisation, de consultation, ou d’actes réalisés en établissement de santé.

J’ajouterai un autre défi, la capacité à articuler de manière fluide et intégrée l’ensemble des services dont les professionnels de santé vont devoir s’emparer. Pour cette raison, un partenariat stratégique, notamment avec la Caisse nationale d’assurance maladie, est en cours d’élaboration. Il nous permettra de présenter aux professionnels de santé, dans les meilleures facilités d’usage, à la fois les services dépendant de l’assurance maladie et ceux relevant du DMP.

M. Pierre Lasbordes, président. Vous dites que les bonnes règles de conduite du projet ont été sacrifiées à l’agenda politique. Au travers des auditions que vous avez menées, avez-vous le sentiment que des signalements ont été faits à l’attention du pouvoir politique pour lui indiquer que la pression qu’il exerçait pour une avancée rapide du projet risquait de causer son échec ?

M. Michel Gagneux. Des signalements ont bien été effectués.

Le fonctionnement actuel des structures ministérielles, dans le domaine de la santé, doit être analysé à l’aune de deux constats. Le premier est que notre administration centrale – je ferai prochainement des propositions à Mme Bachelot sur ce point – est en manque de compétences, de culture et de savoir-faire en matière de maîtrise d’ouvrage des systèmes d’information de santé. Construire, aussi bien au niveau national que territorial, une capacité de maîtrise d’ouvrage – ce qui inclut des compétences en matière de savoir-faire, de conduite de projet, de délégation, d’expression des besoins, de suivi des plannings –, est un enjeu décisif pour notre ministère.

Le second constat est qu’aujourd’hui l’effectif des cabinets ministériels prolifère au point que ceux-ci finissent par s’hyperspécialiser, et par répercuter en quelque sorte la structure de l’administration centrale. Ainsi, au lieu d’être un espace de synthèse et d’arbitrage, le cabinet ministériel devient un lieu de répercussion des cloisonnements de l’administration centrale.

Ce double phénomène conduit, en cas de pression politique importante, y compris sur des sujets très positifs, à ce que l’expression des alertes ne se réalise pas.

M. Pierre Lasbordes, président. Ma conviction est que votre jugement sur l’absence de structures adaptées en matière de maîtrise d’ouvrage vaut non seulement pour le ministère de la santé, mais également pour tous les ministères. Objectivement, la conduite des grands projets à base informatique de l’État, CHORUS, ACCORD (Application coordonnée de comptabilisation, d'ordonnancement et de règlement de la dépense de l'État), ou Copernic pour les déclarations fiscales en ligne, par exemple, présente partout les mêmes caractéristiques que le projet DMP, notamment le dépassement des délais et des coûts. Il s’agit donc non pas seulement du fonctionnement du ministère de la santé mais également de la conduite des grands projets fondés sur l’informatique. J’ai aussi la conviction – je ferai sur ce point une recommandation au Gouvernement – qu’il y a beaucoup à faire pour arriver à mener à bien les grands projets, et résister au pouvoir et à la prolifération des cabinets ministériels.

Vous êtes-vous intéressé aux projets conduits à l’étranger ? Avez-vous analysé les expérimentations du même type ? Avez-vous pu échanger, sur la conduite du changement, avec de grandes organisations privées ayant mené des projets de cette ampleur, de façon à profiter de leur expérience ? On voit bien que le projet n’est pas un projet informatique, mais un projet de conduite du changement.

M. Michel Gagneux. Nous avons conduit de nombreuses analyses comparatives avec l’étranger. La plupart des grands pays développés ont lancé des projets analogues. Chacun d’eux comporte cependant beaucoup de particularités : de ce fait, les comparaisons sont extrêmement difficiles. On peut néanmoins retenir de ces nombreuses comparaisons quelques enseignements, qui permettent de relativiser les constats relatifs au projet français.

D’abord, pas un seul projet international, que ce soit aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, ne s’est déroulé, dans ses phases initiales de lancement, en toute tranquillité : chaque projet a été confronté à des difficultés considérables. Les raisons en sont chaque fois très spécifiques et sont dues à la culture, au mode d’organisation dans lequel ces grands projets s’insèrent. Nous avons commis des erreurs, que nous sommes en train de corriger. Mais d’autres erreurs ont été commises à l’étranger. Les Pays-Bas, par exemple, ont dû très récemment annoncer le réexamen d’un projet équivalent du DMP, parce que la confidentialité et le respect des droits du patient n’avaient pas été suffisamment pris en compte en amont. L’espace de confiance est essentiel en matière de systèmes d’information de santé. En France, nous avons consacré beaucoup de temps à traiter de ces aspects. Sans doute avons-nous travaillé de manière trop théorique et insuffisamment fondée sur les usages. Mais le temps que nous avons passé à débattre sur le consentement du patient ou le droit de masquage n’a pas été du temps perdu : nous avons gagné beaucoup en maturité sur ces questions.

Je retiens aussi de ces exemples étrangers que ces projets sont extrêmement complexes. Nous devons accepter avec humilité l’idée qu’il faut du temps pour les mettre en œuvre. Il ne s’agit pas simplement de mettre en place des outils techniques, mais de changer les organisations, les pratiques professionnelles et les comportements des hommes. C’est l’affaire de nombreuses années, il faut l’accepter.

L’expérience des grands groupes privés met en évidence le déficit collectif de notre secteur public en matière de maîtrise d’ouvrage de systèmes d’information de santé. Le ministère de la santé, pour ne parler que de lui, a besoin – et je ferai une proposition en ce sens à Mme Bachelot – d’abord d’une instance stratégique forte, légitime, crédible en matière de systèmes d’information, ensuite d’une structure portant la maîtrise d’ouvrage stratégique, et enfin d’un positionnement à un plus haut niveau hiérarchique de la capacité de maîtrise d’ouvrage des directions techniques et des échelons territoriaux. Les responsables de la maîtrise d’ouvrage stratégique doivent être situés à un haut niveau de responsabilité ; or dans nos ministères, le niveau d’autorité et de crédibilité des services chargés de l’informatique est trop bas pour leur permettre de peser sur les choix stratégiques.

M. Pierre Lasbordes, président. Vous nous dites qu’il faut faire preuve d’humilité, que du temps est nécessaire. Toutefois, dans une entreprise, quand un changement est opéré, il s’effectue très rapidement en raison de la concurrence. Un important chef d’entreprise m’a dit : mieux vaut faire une erreur, – à condition de ne jamais la faire deux fois –, que de tarder à décider. Si nous admettons que vous ayez besoin de temps – on voit bien que des délais peut-être irréalistes vous ont été imposés, et que les impacts d’une idée politique assez séduisante n’ont peut-être pas été mesurés –, nous considérons également qu’il est nécessaire d’avancer. Nous accepterons de vous donner du temps, mais pas trop : que le temps soit de l’argent est un principe également valable pour l’administration. Pouvez-vous nous rassurer sur les délais, sur votre capacité à vous engager, à « mettre la pression » ?

M. Michel Gagneux. Ma fonction de président du GIP-DMP est d’être le garant auprès des actionnaires, des pouvoirs publics et des partenaires du bon ajustement de la pression et de la conduite du projet selon un tempo adéquat. Mais elle consiste aussi à être le garant auprès de la direction de la possibilité pour elle de mener son travail en pleine responsabilité et hors de toute ingérence quotidienne contreproductive.

Le programme de relance que nous avons présenté le 9 avril, sur lequel les équipes du GIP-DMP ont fourni un effort considérable, prévoit et organise des jalons et des cycles précis. Nous allons nous engager sur la base de ces cycles. Le temps que nous demandons à pour objet la mise en œuvre générale d’un projet qui va instituer non seulement le dossier médical personnel mais également une modification considérable de l’ensemble du système d’information de santé français. De jalon en jalon, nous prendrons des engagements sur les composantes que peu à peu nous mettrons en place. A la lecture du plan de relance, ce qui peut inquiéter est moins le temps demandé que le délai déjà contraint que nous nous sommes imposés ; pour ne pas qu’il s’enlise, un tel projet doit être lancé sur un rythme rapide.

M. Pierre Lasbordes, président. Peut-on aujourd’hui connaître la liste exhaustive des informations qui figureront dans le dossier médical personnel ?

M. Michel Gagneux. Oui. Dans son cycle 1, de 2009 à 2013, le DMP offrira divers services génériques permettant l’échange : informations médicales de base, prescriptions de médicaments, résultats d’analyses biologiques, comptes rendus d’hospitalisation. Au cours de ce cycle sera aussi mis en expérimentation un ensemble de services plus complexes : articulation avec le dossier de cancérologie, de suivi du diabète, de cardiologie, volet médical de synthèse. Ces services donneront au DMP un éventail de contenus extrêmement large. Les informations du DMP sur la santé des patients ne seront pas pour autant exhaustives ; n’y seront déposées que celles que les médecins auront jugé utiles à la coordination des soins et à la mise en partage avec leurs autres confrères participant à la prise en charge du patient.

M. Pierre Lasbordes, président. Chaque médecin sera-t-il libre de ses choix, ou des règles de cohérence seront-elles fixées ?

M. Michel Gagneux. Les médecins seront juges des contenus qu’ils estiment nécessaire de mettre en partage avec leurs confrères au profit de la coordination et de la qualité des soins. Nous fixerons en revanche les règles, les formats et les normes permettant l’échange de ces informations.

M. Jean-Pierre Door. La loi du 4 mars 2002 rappelle que le dossier médical, et tous les documents qu’il contient, appartiennent au patient. Il faut donc être en accord avec cette règle.

M. Michel Gagneux. Les informations seront introduites dans le dossier sous le contrôle du patient, avec son accord et son consentement exprès et éclairé.

M. Pierre Lasbordes, président. Comptez-vous mettre en oeuvre en priorité les préconisations de votre rapport ? Avez-vous envisagé d’autres préconisations depuis que vous avez pris vos nouvelles fonctions ?

M. Michel Gagneux. Un rapport est toujours contingent. Le dernier rapport sur la relance du DMP a été remis en avril 2008, il y a un an. En un an, des éléments surviennent, des réflexions s’approfondissent, l’environnement change. Un rapport administratif tel que celui que j’ai remis s’efforce de donner des lignes de tendance structurelles – et en cela, j’espère qu’il conserve de sa valeur. Toutefois, dans le détail de ses préconisations, un tel rapport n’est pas une référence absolue. Le programme de relance préparé par la direction du GIP comporte donc à la fois des éléments en totale concordance avec les préconisations du rapport, et d’autres différents, ou encore originaux par rapport à ces dernières. C’est la preuve qu’une réflexion est en marche ; je soutiens pleinement l’action de la direction.

M. Pierre Lasbordes, président. Merci, monsieur.

M. Alain Gillette, Conseiller maître, représentant la Cour des comptes. La Cour des comptes, dans le cadre de l’article 47-2 de la Constitution, a examiné les comptes et la gestion du GIP-DMP.

Les conclusions de ce contrôle ont été résumées dans ses rapports publics annuels sur la sécurité sociale (septembre 2008), s’agissant du projet de DMP, et de février 2009, s’agissant de la gestion du GIP. Ce travail s’inscrivait dans une série de contrôles incluant les GIE SESAM-Vitale et GIP CPS, la maîtrise d’ouvrage de l’État de cette dernière, et le dossier pharmaceutique.

Le GIP-DMP disposait d’une faible autonomie, du fait de la prééminence de l’État qui prenait des décisions sans en assurer le financement. La Cour des comptes a souligné « l’impéritie » de cette tutelle et le déséquilibre du partenariat avec les deux autres membres : la CNAMTS, dont les financements ont dépassé 70 millions d’euros, et la Caisse des dépôts et consignations qui, maître d’oeuvre du portail, a vu ce dernier écarté du dispositif.

Sur le plan de la gouvernance, le commissaire du Gouvernement qui avait été désigné n’a jamais reçu de lettre de mission. Il lui était difficile, dans ces conditions, de jouer pleinement son rôle, d’autant que la double casquette du précédent directeur du GIP, à la fois chef de sa propre tutelle et directeur du groupement, ne présentait pas que des avantages. Les directions du ministère ont été parfois écartées des décisions. L’État a été mis en garde à plusieurs reprises contre ces défaillances de gouvernance, mais il n’en a tenu aucun compte. Il apparaît un point positif dans cette gouvernance : la revue de projet, confiée tardivement à M. Gagneux, même si l’on peut regretter le délai écoulé entre les conclusions de son équipe et le moment où elles ont été mises en œuvre.

La Cour des comptes a souligné la gestion parfois déficiente des ressources humaines. En quatre ans, le GIP a connu quatre directeurs et trois secrétaires généraux. Ont été relevés l’absence de direction des ressources humaines, la faible croissance des effectifs budgétaires, des recrutements mal ciblés, l’absence de politique cohérente en matière de rémunérations, de politique sociale, et l’adoption tardive d’un règlement intérieur. L’absence d’instance représentative du personnel est regrettable, dans un organe sous tutelle du ministre en charge des affaires sociales. Enfin, le GIP n’avait pas une taille suffisante pour disposer d’une logistique et d’une intendance conformes aux bonnes pratiques. La Cour a donc recommandé d’organiser l’Agence des systèmes d’information de santé partagés sur des bases moins fragiles.

La Cour des comptes a relevé également des faiblesses du GIP en matière de maîtrise d’ouvrage, de planification et d’organisation. La politique de développement technologique, l’organisation de la maîtrise d’ouvrage et la conduite des opérations n’ont atteint une certaine maturité qu’à la fin de l’année 2007. Avant cette date, le GIP, qui n’a pas adopté de schéma directeur informatique interne, n’avait ainsi pas de registre approprié des risques informatiques.

Le contrôle, effectué en 2007, a fait apparaître que les normes de qualité et de sécurité étaient alors insuffisamment prises en compte. S’agissant du constat relatif à l’achat d’une nomenclature médicale (SNOMED) dans des conditions critiquables, la ministre de la santé a diligenté en 2009 une expertise qui permettra peut-être enfin d’utiliser cet investissement.

Un changement était donc indispensable. Toutefois, on peut partager l’inquiétude de Michel Gagneux quant à une certaine dispersion, qui se poursuit, en matière de projets régionaux.

Dans le chapitre sur l’ensemble des systèmes partagés dans son rapport annuel de septembre 2008 sur la sécurité sociale, la Cour a mis l’accent sur la maîtrise d’ouvrage stratégique de l’État, à travers sept recommandations. Elle a préconisé de renforcer le rôle et les moyens de la future Agence, de créer une fonction d’expertise autonome, au niveau national, chargée de normaliser les référentiels en matière d’informatique de santé ; de planifier les ressources humaines et financières en cohérence avec la stratégie nationale et l’offre industrielle, de mieux réglementer la procédure d’agrément des logiciels, notamment d’officine, de manière à éviter la superposition de systèmes incohérents, d’imposer le recours aux fonctions de certifications des cartes Vitale 2 et CPS, d’inciter à l’usage de messageries sécurisées et permettant l’interopérabilité, et enfin de subordonner le financement des expériences régionales à leur conformité au cadre national.

En ce qui concerne le contrôle de la gestion du GIP, la Cour a recommandé de normaliser sa relation avec la Caisse des dépôts, de procéder à l’expertise du dossier SNOMED et de mettre en place des services administratifs du niveau nécessaire à de telles opérations.

Pour conclure, la disparition anticipée du GIP souligne son échec, mais cela ne doit pas faire oublier l’ampleur des travaux qu’il a menés, en peu de temps et dans des conditions difficiles.

L’État et l’ASIP doivent donc élaborer une stratégie, une gouvernance et un pilotage conformes aux bonnes pratiques, mettre en place un environnement juridique et technique cohérent, y compris avec l’offre industrielle.

Enfin, si les contrôles externes sont parfois trop nombreux, celui qu’a effectué la Cour sur le DMP a été coordonné avec les deux missions successives de Michel Gagneux de manière à éviter tout doublon.

M. Pierre Lasbordes, président. Gardons-nous de fustiger le ministère de la santé, même si l’État s’est montré défaillant. Quoi qu’il en soit, il serait intéressant d’établir en la matière une charte de bonne conduite.

Nous espérons que l’ASIP nous permettra de sortir du tunnel. Le pouvoir politique est trop intervenu pour que les choses fonctionnent correctement. Les personnels politiques, en particulier les conseillers des ministres, doivent faire leur travail sans pour autant gêner celui des autres.

M. Didier Alain, représentant la future Agence nationale d’appui à la performance hospitalière. Monsieur Gagneux, avez-vous évalué les gains qui résulteront du DMP, quels en seront les bénéficiaires – les hôpitaux, les médecins libéraux – et à quelle échéance ?

M. Michel Gagneux. Le temps n’est plus à se demander à quelle date le DMP rapportera et combien, car son retour sur investissement repose sur ceux que consentiront l’ensemble des acteurs, privés et publics. Ce qui est certain, c’est qu’il améliorera la sécurité de la prise en charge et permettra de faire l’économie d’actes redondants ou contre-indiqués. Mais il ne sera efficace que lorsque les systèmes d’information partagés seront mis en place dans un grand nombre d’établissements. Le DMP doit être considéré comme un investissement destiné à moderniser notre système de santé et nos systèmes d’information, tant au niveau de la prise en charge individuelle que de la régulation des actes médicaux.

D’ici quatre à cinq ans, nous serons en mesure d’entreprendre des études sérieuses pour évaluer le retour sur investissement du DMP pour l’ensemble des acteurs de notre système de santé.

Nous en sommes convaincus : en améliorant leur accès à la connaissance, en les aidant à prendre des décisions et en sécurisant l’information, le DMP facilitera le travail des médecins.

Pour les établissements de santé, qui devront effectuer les investissements nécessaires pour assurer l’interopérabilité et la sécurité, le DMP sera-t-il un outil suffisamment puissant ? Nous ne pouvons le dire aujourd’hui, mais nous sommes persuadés que le DMP et la politique de développement des systèmes d’information de santé partagés serviront de socle à la modernisation de l’informatique hospitalière. Le DMP représente un chantier considérable, qui nécessitera plusieurs années d’efforts, mais nous ferons en sorte d’inscrire son financement dans des programmes pluriannuels.

Mme Denise Silber, Basil Strategies. La raison pour laquelle quelques-uns des projets entrepris dans les pays voisins n’ont pas abouti tient au fait que les citoyens et les professionnels de santé n’en ont pas compris l’intérêt, considérant que l’informatique est un moyen et ne saurait être un objectif. Sans doute, comme le pensent certains, faut-il revoir la place de l’informatique dans notre société. Pourquoi alors ne pas mettre en place un office de qualité, qui serait chargé de fixer des objectifs passant nécessairement par l’informatique ? Je pense que ceux qui s’interrogent sur le coût du DMP n’en ont pas réellement compris l’intérêt en termes de santé publique.

M. Michel Gagneux. Il s’agit d’une question récurrente, que j’aborderai de façon très pragmatique. Il ne suffit pas d’informatiser un système de santé pour faire changer les pratiques. L’informatisation, pour un professionnel de santé, n’a d’intérêt que si elle lui permet d’améliorer sa pratique, de gagner du temps, de sécuriser son diagnostic et sa prescription thérapeutique. Cela ne doit pas nous empêcher de mettre des outils à sa disposition.

Les nouvelles technologies de l’information et de la communication assurent l’autonomie de gestion, mais également la sécurisation et la fluidité des échanges. Il est évident que le dossier médical et les systèmes d’information partagés de santé ne suffiront pas pour changer les pratiques médicales, mais ils encourageront les pratiques coopératives, la pluridisciplinarité et l’intégration des protocoles de soins. Le développement de solutions informatiques doit donc s’accompagner d’une série d’actions incitatives.

Sans ces outils technologiques, les actions menées par la Haute autorité de santé, les ordres professionnels, les organisations représentatives des professionnels et les industriels ne suffiront pas. La conduite du changement demande du temps, des échanges, des convictions et des expérimentations.

M. Albert-Claude Benhamou, professeur des universités, praticien hospitalier. Les professionnels de santé souhaitent lutter contre la iatrogénie, c’est-à-dire la mauvaise qualité et la répétition d’actes inutiles liées au fait que les médecins ne disposent pas des informations nécessaires. Un certain nombre de patients qui se présentent aux urgences sont incapables de communiquer aux médecins leurs antécédents médicaux. On évalue à plus de 100 000 le nombre annuel d’hospitalisations indues. Les professionnels de santé et le Conseil de l’ordre des médecins sont conscients de la nécessité de partager les informations et attendent avec impatience la mise en place du dossier médical.

Pourquoi ne pas prévoir un dossier médical européen ? Cela engendrerait sans doute des difficultés, mais apporterait une nouvelle dynamique. Nous vivons dans un monde où les personnes se déplacent très librement et transportent leurs pathologies. Nos concitoyens devraient pouvoir communiquer leur dossier médical en dehors de nos frontières.

M. Michel Gagneux. Je partage votre point de vue : dans notre pays, l’absence de communication des informations médicales génère chaque année entre 125 000 et 165 000 hospitalisations indues, et 15 % des actes de radiologie et de biologie sont considérés comme potentiellement redondants.

Il existe des projets européens dans le domaine de l’e-santé, portant notamment sur la mise en place de dossiers électroniques. La France y participe, en particulier par le biais du GIP-DMP. L’extrême complexité du dossier en matière d’opérabilité sémantique et d’évolution des cultures oblige la France à évoluer en amont, car l’adoption de standards et de normes internationales relève de décisions européennes.

M. Félix Faucon, chef de service du pôle organisation des soins, établissements et financement à la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des soins. S’il est vrai que l’administration centrale cultive la prudence, elle se doit avant tout d’être modeste.

L’enjeu des systèmes d’information, c’est le décloisonnement et la garantie qu’il apporte en matière de confidentialité des données personnelles. Les patients ne sont pas en mesure de faire la différence entre soins préventifs, curatifs et palliatifs, et ils se moquent de savoir s’ils se trouvent dans le secteur ambulatoire, hospitalier ou médico-social. Ils veulent simplement bénéficier de soins de qualité, répondant à leurs besoins. Pour eux, le décloisonnement va dans le bon sens.

En termes d’organisation du système de soins, le décloisonnement est devenu un impératif. Outre les progrès de la télémédecine, il est clair que l’évolution de la démographie des professions de santé va redéfinir le rôle de chacun des acteurs du parcours de soins et rendre le partage de l’information encore plus nécessaire qu’il ne l’est aujourd’hui.

Ne nous le cachons pas : le décloisonnement, en ce qu’il s’oppose au fonctionnement traditionnel des administrations centrales, représente un véritable défi. À ce titre, le secrétariat général des ministères sociaux et le Comité national de pilotage des agences régionales de santé, mis en place par la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », auront un rôle important à jouer.

Pour que notre système de santé fonctionne bien, nous devons améliorer la coordination des soins. Je me réjouis d’apprendre que la question « Le DMP, pour quoi faire ? » est sur le point de recevoir une réponse. S’il est vrai qu’un dossier informatisé a vocation à être partagé, cela doit se faire dans le respect des principes éthiques et législatifs qui entourent les droits des patients. La qualité de leur prise en charge dépend de la bonne coordination entre les soignants. Cela dit, la difficulté de piloter un parcours de soins nous invite à rester modestes dans nos approches, nos objectifs et les échéances que nous nous fixons.

Quel sera le niveau d’informatisation des établissements de santé ? Actuellement, si seulement un quart des établissements disposent des outils informatiques relatifs à la production des soins, tous disposent des outils assurant les fonctions de gestion. Dans le même temps, 11 % des hôpitaux américains ont procédé à l’informatisation globale du parcours de soins. En matière de e-santé, notre pays, hélas, est passé, en trois ans, de la première à la dixième place parmi les pays européens. Nous devons donc progresser sur ce point.

Le plan Hôpital 2012 prévoit des investissements à hauteur de 10 milliards d’euros. Nous nous sommes fixé pour objectif de consacrer 1,5 milliard d’euros, soit 15 % de cette somme, à l’amélioration des systèmes d’information destinés en premier lieu à la production des soins et au dossier médical informatisé, puis aux infrastructures techniques et fonctionnelles qui intègrent les référentiels nationaux. Pour rendre ces projets éligibles et garantir leur réussite au sein des établissements hospitaliers, nous avons défini nos exigences en termes de pertinence, de faisabilité et de synergie. Des moyens seront également destinés à constituer des équipes disposant des compétences nécessaires en matière d’ingénierie.

Le projet de DMP, actuellement en phase de reconstruction, est conforté par la constitution de l’ASIP, qui exige que soient clairement définis le management du projet et le partage des rôles. L’administration centrale devrait fonctionner comme un utilisateur qui exprime un besoin et laisser la plus grande souplesse aux professionnels du management. Il faut trouver un équilibre entre le cadre de cohérence global, à l’intérieur duquel s’inscrit le pilotage, et la place laissée à l’initiative locale et à l’expérience des acteurs. Selon une expression bien connue, nous devons garder « la tête dans les étoiles et les pieds dans la glaise » et admettre qu’un projet de cette envergure nécessite une approche progressive et réaliste.

La mise en place du DMP comporte également des objectifs opérationnels, notamment un programme de soutien spécifique pour chaque établissement de santé, public et privé, tenant compte des compétences de tous les acteurs. Les producteurs de logiciels, pour proposer aux utilisateurs les solutions adaptées à leurs besoins, doivent pouvoir disposer de bureaux d’études efficients. Mais, comme vous le savez, « Qui trop embrasse mal étreint » : fixons-nous des objectifs et des échéances à moyen terme.

Quel impact aura le déploiement de ce nouveau système d’information sur les pratiques professionnelles et sur l’organisation des acteurs ?

S’il est indispensable de renforcer la maîtrise d’ouvrage dans le secteur hospitalier, ainsi que les structures de coopération et de mutualisation – beaucoup d’établissements ont du mal à réunir les compétences techniques nécessaires pour assurer le pilotage d’un projet informatique –, il faudra aussi éviter les goulots d’étranglement qui se produiront immanquablement chez les fournisseurs de solutions logicielles si nos besoins ne sont pas clairement définis, ce qui entraînera l’inflation des coûts.

Le DMP repose sur un certain nombre de prérequis, parmi lesquels l’identifiant unique et spécifique de santé, qui traduisaient l’ambition initiale du projet et ses exigences éthiques. Ces prérequis n’ont pu être réunis, ce qui a retardé la mise en œuvre du DMP.

Dans les établissements publics de santé, le projet de DMP se heurte à des enjeux très lourds en termes d’organisation interne. La facturation directe, qui n’est utilisée à l’heure actuelle que dans les cliniques privées, permettra aux établissements de santé de suivre le parcours de soins de leurs patients, mais elle aura un impact important sur leurs systèmes d’information et de gestion. Établir des connexions entre différents systèmes représente un chantier considérable. Celui-ci débutera dans les prochains mois.

La certification des comptes, dont la représentation nationale a fait un impératif, va également mobiliser les ressources trop rares des établissements de santé en les amenant à procéder à des audits de l’ensemble de leurs systèmes de gestion.

Pour assurer le succès de l’opération, nous devons mobiliser les acteurs. Or, les ressources médicales sont rares, et il est plus facile de réunir les financements que les compétences. C’est un véritable défi auquel nous sommes confrontés. Nous allons devoir susciter le désir de l’ensemble des acteurs de santé et faire preuve d’imagination pour leur démontrer les services que leur apportera le DMP.

Nous aurons sans doute à clarifier le rôle de chacun des intervenants – il s’agit de déterminer qui définit le besoin et qui le traduit en termes informatiques – et à prévoir des interfaces entre eux.

Pour conclure, je souligne que la coopération entre la DHOS et l’ASIP se poursuit dans un esprit de coopération et de confiance.

M. Pierre Lasbordes, président. Comment comptez-vous mesurer l’impact du DMP sur les pratiques professionnelles ?

M. Félix Faucon. Il sera sans doute difficile d’en mesurer l’impact. Pour assurer la coordination des soins et éviter la redondance des prescriptions, les médecins doivent s’astreindre à rédiger des comptes rendus d’hospitalisation compréhensibles et exhaustifs, dans un esprit confraternel et dans le respect du code de déontologie médicale.

Mme Marthe Wehrung, directrice du GIP-CPS. La CPS – carte de professionnel de santé – est une carte d’identification professionnelle électronique dont la principale fonction est d’apporter la preuve, dans l’univers électronique, de l’identité et des qualités professionnelles de chaque professionnel de santé. Elle est indispensable au développement de systèmes d’information partagés et au fameux décloisonnement, car en contrôlant l’accès aux informations médicales, elle garantit la protection du secret médical.

La réglementation va dans ce sens, puisque le décret « confidentialité », pris en Conseil d’État après avis de la CNIL et paru le 15 mai 2007, précise le caractère obligatoire de la carte CPS pour tout professionnel de santé accédant à des données informatisées dans le domaine de la santé.

J’en viens à la mise en place de la carte. Au risque de décevoir M. Lasbordes, je dirai que c’est un projet qui s’inscrit dans la durée. La CPS existe, et sa première version date de 1998. Reste à réaliser son déploiement – au niveau des populations et des postes de travail –, son intégration dans les différentes applications métier et son appropriation par les professionnels de santé.

Convaincue que le passé est riche d’enseignements, je reviens sur la première phase de l’histoire de la CPS. Liée au déploiement de SESAM-Vitale et des feuilles de soins électroniques, elle concernait à l’origine essentiellement le secteur libéral. Initiée en 1993 lors de la création du GIP-CPS, sa mise en place a été confirmée en 1996 lors de l’apparition des feuilles de soins électroniques, et en 1998 apparaissait la première carte. Depuis l’année 2000, son utilisation se développe dans le secteur libéral. Elle fut utilisée dans un premier temps par les médecins, lesquels ont été suivis par les pharmaciens et les kinésithérapeutes, les sages-femmes, les infirmières, et enfin les chirurgiens dentistes.

La carte CPS a rencontré de nombreuses difficultés, mais sa réussite reposait sur l’implication opérationnelle des acteurs chargés de sa distribution : l’assurance maladie, l’État – par le biais des DDAS – ainsi que les Ordres. La structure du groupement a constitué une force car nous avons su, au-delà des divergences d’intérêts, réunir ces acteurs, tous décisionnaires, autour d’une table, dans un climat de confiance et de transparence.

La deuxième phase de l’histoire de la CPS est liée au décret « confidentialité » et à son développement au sein de l’hôpital. Actuellement, 85 % des 650 000 cartes en service sont utilisées dans le secteur libéral. Nous avons donc une importante marge de progression, même si des CHU importants comme ceux de Strasbourg, d’Angers et de Saint-Étienne, et quelques hôpitaux psychiatriques, dont le centre hospitalier d’Échirolles, utilisent couramment la carte CPS.

Il nous manquait une vision partagée, mais ce problème sera bientôt résolu car nous avons dès 2006 organisé un groupe de travail, en concertation avec les fédérations hospitalières, qui représentent les futurs utilisateurs de la carte, et les fédérations d’industriels chargées de développer l’offre logicielle. Ces travaux nous ont amenés à faire évoluer l’ergonomie de la CPS. C’est ainsi que la nouvelle carte, qui paraîtra dès le mois d’octobre 2009, pourra être lue sans contact, comme la carte Navigo. Ce n’est pas le cas de la carte actuelle, qui fonctionne comme une carte bleue.

Nous avons bien entendu conscience de l’ampleur et de la difficulté de ce projet. Nous ne pouvons le mener seuls, mais en nous appuyant sur des alliances. Un vaste programme est organisé par la DHOS. Nous y sommes associés, avec le Groupement pour la modernisation du système d’information hospitalier.

Ce programme se décompose en plusieurs étapes. La première consiste à équiper une vingtaine d’établissements, à partir d’un pilotage central ; la deuxième étape concerne 200 établissements, mais son pilotage se fera au niveau régional ; la troisième étape verra la généralisation du dispositif, puisque nous équiperons 2 000 établissements.

Il reste donc un chemin important à parcourir puisque nous prévoyons d’atteindre le chiffre de 1,5 million de cartes en service entre 2010 et 2015.

Le premier facteur de succès de la carte tient à sa synergie avec les projets métiers, en particulier le DMP, à condition toutefois de maintenir notre intransigeance en matière de sécurité. Je rappelle que la CPS n’a jamais été un obstacle au déploiement de la carte SESAM-Vitale. Il faut clarifier le plus rapidement possible les bases réglementaires et, surtout, veiller à la parution de l’arrêté « confidentialité », qui enverra un signal aux industriels. Ceux-ci sont disposés à investir dans l’intégration de services de confiance, mais ils ont besoin d’être assurés de la pérennité de leurs investissements.

Reste la question du financement. La sécurité a un coût, qui est pris en compte dans le programme d’accompagnement de la DHOS. Il y a un prix à payer : nous devons l’assumer et débloquer les financements nécessaires. Lorsqu’il s’agit de sécurité, les banques ne se posent pas la question des investissements qu’il leur faut réaliser : les établissements de soins doivent faire de même. À nous de communiquer sur ce thème.

Pour conclure, je dirai : soyons cohérents et gardons le cap.

M. Pierre Lasbordes, président. Vous comptez donc sur le DMP, madame, pour augmenter le nombre de cartes CPS en service.

Il est évident que nous ne devons pas réviser à la baisse le niveau de sécurité lié à l’authentification des utilisateurs de la carte.

Faisons en sorte que l’arrêté paraisse le plus rapidement possible. Si toutes les personnalités présentes ce matin s’accordent à en reconnaître l’urgence, je pense que Mme la ministre de la santé en tiendra compte.

M. Jean Bardet, député du Val d’Oise. Nous avons tenté, avec Jean-Pierre Door, de relancer le DMP à la fin de l’année dernière, dans le cadre d’une commission parlementaire. Depuis, les choses ne semblent pas avoir beaucoup avancé.

Sur le plan médical, le DMP représente une avancée capitale. S’il permet de faire des économies, tant mieux, mais ce n’est pas là le point essentiel. Comme tous les médecins présents ce matin, je suis amené, du fait du vieillissement de la population, à soigner des patients dont les antécédents médicaux sont de plus en plus chargés et les traitements de plus en plus lourds. Or, la plupart d’entre eux – le plus souvent des hommes – ne connaissent pas leurs traitements.

Le projet initial de DMP, qui prévoyait que chaque malade dispose d’un dossier médical sur Internet, consultable par tous, était tellement ambitieux qu’il n’a pu être mené à bien. Il existe des alternatives, en particulier le dossier médical sur un support mobile, qui a l’avantage de régler le problème de la sécurisation. J’avais déposé, avec M. Door, un amendement en ce sens dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais il a été rejeté par le Conseil constitutionnel au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. Nous l’avons déposé à nouveau sur le projet de loi « Hôpital, santé, patients, territoires », et j’espère qu’il sera adopté.

Mais quel que soit le type de dossier, la question est de savoir qui détiendra le droit de le remplir et celui de cacher certaines informations. Au cours du débat que je viens d’évoquer, l’Assemblée était divisée en deux camps : les médecins et les non-médecins, les premiers considérant qu’un dossier qui ne contient pas l’ensemble des informations est potentiellement plus dangereux que l’absence de dossier.

Le DMP pose également le problème de la responsabilité des examens. Imaginez qu’un malade vienne me consulter avec un examen cardiologique réalisé par un confrère. Bien qu’ayant un doute sur le résultat de cet examen, je décide de m’en contenter. Si mon patient souffre par la suite d’un problème cardiaque, lequel d’entre nous sera responsable : le médecin qui a réalisé l’examen ou celui qui a choisi de ne pas aller au-delà ?

M. Jean-Claude Étienne, sénateur de la Marne, Premier Vice-Président de l’OPECST. Je suis coauteur, avec Jean Dionis du Séjour, d’un rapport sur les technologies au service de la santé. Je confirme ce que vient de dire M. Bardet sur le fait que les hommes ne connaissent pas leurs traitements.

Le dossier médical personnalisé doit cesser d’être l’Arlésienne. Ce dossier pourtant ancien revêt aujourd’hui une brûlante actualité, au moment où nous cherchons à redéfinir la gouvernance des établissements de santé et la territorialité de l’offre de soins, à laquelle le sénateur que je suis attache une importance particulière. Le DMP s’impose, c’est évident ; encore faut-il que tous les acteurs en aient envie.

M. Bardet a évoqué les divergences entre les soignants et les non-soignants en matière d’offre de soins, mais nous avons besoin des uns et des autres pour mettre en place le DMP. Les non-soignants attendent du DMP qu’il mentionne tout ce qui relève de la santé du patient. Pour les soignants – médecins, infirmières et aides-soignantes – son but est de moderniser notre offre de soins. S’il permet de réaliser des économies, tant mieux, mais ce n’est pas sa vocation première.

En matière de pathologies iatrogènes, nul doute que le DMP permettra de réaliser d’importantes économies. Tout le monde en convient, mais personne ne sait comment le mettre en place. Dès lors que le financement existe, il ne manque plus que la volonté politique !

L’un d’entre vous souhaite que l’on réfléchisse à un dossier médical européen. Il a raison, mais il ne faudrait pas ajouter des difficultés à celles qui existent déjà. Avant d’envisager un dossier européen, présentons d’abord un dossier fiable et cohérent aux autres pays. Le DMP que nous allons mettre en place aura sans doute des imperfections : nous savons que le bébé ne sera pas parfait, mais il faut tout de même penser à sa conception !

Tout est prêt. S’il est bon de tirer les conséquences du passé, il faut aussi savoir aller de l’avant. Confucius disait qu’une lampe que l’on porte sur son dos ne sert qu’à éclairer le chemin parcouru ; il se trompait, car ce que nous avons entendu ce matin nous donne des raisons d’espérer.

Je vous en prie, mesdames et messieurs, nous comptons sur vous pour faire avancer ce dossier, que la ministre de la santé vient de réactualiser. Ne laissez pas passer cette occasion, puisque les crédits existent – miracle de la crise !

Je remercie M. Lasbordes, qui a eu le courage de saluer les articles que j’ai rédigés sur la télémédecine.

Si je suis parmi vous ce matin, mesdames et messieurs, je le dois à l’e-medecine. Allez de l’avant, mettez en chantier le DMP. Et exprimez vos convictions : vous obligerez ainsi les décideurs à prendre leurs responsabilités.

M. Larcher souhaite que le compte rendu de cette réunion soit déposé sur le bureau des responsables de nos deux assemblées. Le Parlement doit soutenir la cause du DMP, car la santé de nos concitoyens en dépend. Il faut avancer, même à petits pas. Je vous remercie.

M. Pierre Lasbordes, président. Je vous propose, mesdames et messieurs, de nous retrouver dans cette salle à quatorze heures trente.

***

*

M. Pierre Lasbordes, président. Nous allons poursuivre nos travaux selon les mêmes principes que dans la matinée, chaque intervenant faisant un bref exposé qui sera suivi de quelques questions.

Monsieur André Loth, en tant que responsable de la Mission pour l’informatisation des systèmes de santé (MISS) au ministère de la santé et des sports, pouvez-vous nous dire précisément quelle est votre action dans le cadre de la mise en place du dossier médical personnel (DMP)?

M. André Loth, responsable de la Mission pour l’informatisation des systèmes de santé (MISS). La MISS est aujourd’hui rattachée au secrétaire général des ministères chargés des affaires sociales, mais sa place dans l’organigramme du ministère de la santé avait été délicate à définir. Elle a notamment été dirigée avant votre serviteur par M. Jacques Sauret, que vous avez auditionné ce matin, qui dirigeait en même temps le Groupement d’intérêt public « Dossier médical personnel » (GIP-DMP).

Notre mission consiste à renforcer la maîtrise d’ouvrage public en matière de systèmes d’information de santé. Si, ce matin, d’aucuns ont affirmé que le DMP n’était pas un projet informatique, mais un « grand projet » parmi d’autres dont le ministère de la santé n’avait pas le monopole, je note cependant que ce dernier gère de très grands projets sans avoir pour autant les moyens dont dispose Bercy sur des projets de taille similaire. Par ailleurs, si les difficultés que nous rencontrons existent également dans le secteur privé, comme l’a dit le président de la Fédération Syntec le 9 avril, les projets du secteur public ont la particularité d’être plus médiatisés.

S’agissant du bilan du DMP, l’essentiel a été dit ce matin. Je ferai néanmoins trois remarques.

Tout d’abord, si le DMP a été l’objet de vives polémiques, nous sommes avant tout confrontés à des difficultés systémiques, ainsi que l’a rappelé M. Michel Gagneux, et nul n’est personnellement mis en cause. Il est donc très utile de prendre le temps d’analyser ensemble les problèmes qui se posent.

Ensuite, la France dispose d’importants atouts par rapport à ses voisins grâce, tout d’abord, à une approche pragmatique de cette question que nous devons au professeur Fieschi, auteur du rapport initial sur ce que l’on appelait alors le dossier médical. Il a considéré qu’il n’était pas nécessaire d’avoir dès le départ un dossier totalement structuré. Par ailleurs, notre pays réfléchit depuis longtemps au droit d’accès des malades aux données médicales les concernant – la loi Informatique et libertés date de 1978, le groupement d’intérêt public « Carte de professionnel de santé » (GIP-CPS) de 1993 et la loi Kouchner de 2002.

Enfin, le projet « DMP » a été victime des défauts de son mode de gouvernance, à savoir le manque de continuité – aléas de la vie politique –, le manque de légitimité – par rapport aux directions d’administrations centrales, aux cabinets, à l’assurance maladie, et aussi au Parlement, lequel, sans maîtriser tous les enjeux technologiques, a voté un amendement permettant de disposer du DMP sur une clé USB… –, et enfin, le manque de perspectives d’ensemble – puisque nous n’avons pas de plan stratégique des systèmes d’information de santé malgré la tentative lancée par M. Jacques Sauret, dans laquelle le DMP ne représentait qu’un petit sous-chapitre, que j’avais moi-même essayé de poursuivre avant de devoir renoncer du fait de la polémique sur le DMP.

S’agissant maintenant des perspectives du DMP, là encore bien des choses ont été dites ce matin, notamment sur la relance du GIP-DMP grâce à son insertion dans une agence des systèmes d’information partagés (ASIP) et à son rôle dans la mise en place de l’identifiant national de santé (INS). D’autres questions ne pourront être résolues que par la concertation avec différents acteurs – industriels, professionnels de santé, patients – ; je pense, notamment, à celle du consentement, pour le dépôt ou le retrait d’informations. Il importe, également, de favoriser la confiance et de ne pas mettre en place de trop lourdes procédures d’habilitation des professionnels, tout en prévoyant la possibilité de sanctions a posteriori si les règles d’accès au DMP ne sont pas respectées. Par ailleurs, il n’est pas concevable que le DMP soit mis en place sans contenir un minimum de données hospitalières et biologiques, qui ainsi seront fournies au médecin traitant.

La sécurité des données constitue un enjeu majeur mais, tout en demeurant inflexibles en ce qui concerne les procédures d’authentification pour l’accès au DMP, il faut veiller à ne pas faire obstacle à la continuité des soins – c’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons décidé que le déchiffrement des données ne serait pas effectué par la CPS, de manière à ce qu’en l’absence du professionnel qui en est le titulaire, les informations nécessaires aux soins soient malgré tout disponibles. Cette difficulté explique sans doute l’absence de parution de l’arrêté relatif à la confidentialité – évoquée ce matin par Mme Marthe Wehrung – en application du décret du 15 mai 2007 généralisant l’utilisation de la CPS au 15 mai 2010, date qu’il ne sera donc pas possible de respecter.

Enfin, une bonne gouvernance repose sur la coordination des différents acteurs, comme le souligne d’ailleurs le récent rapport de la mission de relance du DMP et comme l’indiquera sans doute le prochain rapport de M. Michel Gagneux. Nous avons besoin d’une instance de validation des orientations stratégiques en matière de santé ; la création d’un conseil national des systèmes d’informations de santé, dont la MISS assurerait le secrétariat et l’animation, me semblerait de fort bonne politique. Ce conseil aurait la responsabilité d’élaborer le plan stratégique.

M. Pierre Lasbordes, président. La création d’une instance nouvelle entraîne-t-elle la suppression d’une autre ?

M. André Loth. Cela supprimerait le pilotage officieux.

M. Pierre Lasbordes, président. ASIP, MISS, conseil national : on finit par ne plus s’y retrouver ! Qui fait quoi ? Les élus que nous sommes ont besoin de le savoir car c’est la seule manière de savoir qui est responsable. Quand j’ai participé à la commission d’enquête parlementaire sur la canicule, j’ai pu constater qu’on ne parvenait pas à en identifier un seul…

S’agissant du DMP, un cahier des charges va voir le jour mais il me semble qu’il reste des problèmes à traiter préalablement. Etes-vous à même d’en dresser la liste exhaustive ?

M. André Loth. Oui.

M. Pierre Lasbordes, président. Alors il faut le faire car nous n’avons plus droit à l’erreur.

M. André Loth. Une réunion de concertation a été très récemment organisée à l’initiative de M. Jean-Yves Robin, directeur du GIP-DMP. Les questions relatives au consentement, qui demeure le problème majeur, y ont été posées. Compte tenu de tous les débats que nous avons déjà eus, il me paraît vraisemblable que les usagers, les professionnels de santé et la CNIL trouveront rapidement un accord.

M. Pierre Lasbordes, président. Dès lors que tous les freins ont été identifiés, peut-on considérer que mi-2010, l’engagement pris dans le cadre du plan de relance sera respecté ?

M. André Loth. A mon sens, oui, cet engagement portant sur des sites pilotes.

M. Pierre Lasbordes, président. Espérons qu’il n’y aura pas de nouveaux motifs de retard.

M. André Loth. Concernant l’INS, par exemple, le GIP-DMP pourra pour démarrer mettre en place l’identifiant « calculé », qui en est sa forme préparatoire, sans dépendre de qui que ce soit.

M. Pierre Lasbordes, président. Comment la MISS s’intègrera-t-elle dans la gouvernance du DMP ?

M. André Loth. Le ministère de la santé sera bien entendu représenté au sein du futur conseil d’administration de l’ASIP, où l’on peut supposer que le responsable de la MISS siègera, soit en qualité de commissaire du Gouvernement, soit en tant que représentant de l’État.

M. Pierre Lasbordes, président. Lequel conseil d’administration devra avoir une mission bien précise, comme l’ont dit tout à l’heure MM. Gagneux et Coudreau, et avoir une représentativité adéquate.

M. André Loth. Il faudra aussi que la gestion au jour le jour ne soit pas assurée par les membres des cabinets.

M. Pierre Lasbordes, président. Ils n’interviendront pas si on ne leur donne pas l’occasion.

M. André Loth. C’est bien tout l’intérêt de constituer une structure à la fois compétente et légitime.

M. Pierre Lasbordes, président. Merci. Nous allons maintenant entendre M. Jean Massot, commissaire à la CNIL chargé de la santé et de l’assurance maladie.

Selon vous, monsieur Massot, toutes les conditions de mise en place du DMP sont-elles aujourd’hui réunies ?

M. Jean Massot, commissaire à la CNIL chargé de la santé et de l’assurance maladie. Je prie tout d’abord l’auditoire de se montrer indulgent car, même si je suis membre de la CNIL depuis quatre ans, je ne suis en charge du secteur santé et assurance maladie que depuis deux mois.

Les données de santé ne sont bien évidemment pas des données personnelles comme les autres et appellent une protection particulièrement renforcée. La CNIL a ainsi été associée à toutes les étapes de la mise en place de dossiers médicaux partagés. Elle a rendu une délibération importante le 10 juin 2004 à propos de la loi du 13 août de la même année portant création du DMP, dans laquelle elle a notamment relevé que la question du consentement des patients à l’utilisation du DMP par les professionnels de santé pouvait poser problème dès lors que le niveau de remboursement pouvait être fonction de ce consentement. Plus globalement, elle a considéré le DMP comme un outil de coordination novateur par rapport à d’autres projets de dossiers médicaux partagés, notamment parce qu’il a été conçu comme étant le dossier du patient, lequel en maîtrise le contenu et l’accès.

Par ailleurs, la CNIL a été présente dans le comité d’orientation du GIP-DMP et a donné son avis, au-delà de la loi du 13 août 2004, sur plusieurs textes dont le décret du 4 janvier 2006 et celui du 15 mai 2007, relatifs respectivement à l’hébergement et à la confidentialité. Le 21 mars 2006, la CNIL a également participé à la procédure d’agrément des six hébergeurs dans le cadre de l’expérimentation ; le 30 mai de la même année, elle a autorisé l’expérimentation menée de juin à décembre dans 13 régions sur 17 sites pilotes ; enfin, elle a procédé à des contrôles durant le second semestre, regrettant à cette occasion que l’expérimentation soit trop brève pour en tirer des conclusions solides.

Si la CNIL constate que le rapport de la mission d’audit confiée à l’IGAS, à l’Inspection des finances et au conseil stratégique des technologies de l’information (CSTI) confirme en grande partie le constat qu’elle avait pu faire, il lui reste à se prononcer sur deux textes : le décret « DMP » prévu par l’article L 161-36-4 du code de la sécurité sociale et le décret « identifiant de santé » pris en application de l’article L 1111-8-1 du code de la santé publique – puisque, comme vous le savez, la CNIL a pris position en faveur d’un identifiant distinct du NIR, à la suite des réflexions d’un groupe de travail que le président de la CNIL m’avait chargé d’animer. Nous n’avons pas encore été saisis du projet de décret fixant la nature et les conditions d’utilisation de cet identifiant, mais nous sommes associés aux réunions du COR-INS, instance spécialisée du GIP-DMP. Pour la CNIL, l’objectif est bien de parvenir à un INS aléatoire ; mais sous réserve d’un examen par notre service d’expertise, l’utilisation d’un INS calculé devrait permettre une phase transitoire en attendant la mise en place de l’INS aléatoire. J’ajoute que pendant la même période, la CNIL a été associée à l’élaboration d’autres dossiers partagés – qui seront d’ailleurs appelés à alimenter le DMP –, le dossier pharmaceutique (DP) et le web-médecin.

Que reste-t-il à faire pour le déploiement du DMP, au-delà des textes à prendre pour compléter le cadre juridique ?

Tout d’abord, le déploiement de solutions de sécurité effectives et de haut niveau est la condition absolue du succès de l’opération. Il s’agit en premier lieu de la mise en place d’une procédure d’authentification forte des personnes ayant accès au DMP et, donc, de l’utilisation de la CPS ou d’un certificat logiciel équivalent. A cet égard, on se heurte au problème bien connu du retard pris dans la mise en place de la CPS dans les établissements d’hospitalisation. Il paraît également indispensable de prévoir un chiffrement complet des données contenues dans le DMP. A ce sujet, si le décret « confidentialité » a concrétisé les recommandations de la CNIL, un certain nombre de référentiels de sécurité restent encore à définir par arrêté ; la CNIL y travaille avec le GIP-DMP, mais sans avoir encore été officiellement saisie.

Ensuite, le droit des patients doit être effectif, s’agissant notamment du recueil du consentement explicite et exprès. Il nous semble indispensable que l’information soit claire, complète et préalable et qu’elle s’articule correctement avec d’autres systèmes d’information concernant d’autres dossiers de santé. En l’état, nous constatons que les procédures sont différentes pour le dossier pharmaceutique et pour le web-médecin.

Le troisième aspect est la prise en compte des besoins des professionnels de santé et des patients. A ce sujet, la CNIL poursuit depuis longtemps une collaboration avec différents acteurs, notamment avec le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), et se réjouit de savoir qu’il est envisagé de mettre en place, avec l’ASIP, une instance de concertation regroupant les ordres et les représentants des patients et des usagers et au sein de laquelle elle serait elle-même représentée.

Enfin, le développement des offres privées nous semble également devoir être pris en compte. La CNIL, en effet, n’est pas indifférente au développement d’initiatives comme celle de Microsoft Health Vault. Sans doute serait-il opportun de se mettre d’accord sur les procédures à mettre en œuvre au sujet de ces offres concurrentes, ainsi que sur la définition de standards internationaux aussi proches que possible du modèle européen, le système de protection des données des pays européens n’étant pas les mêmes que ceux des pays de common law et, en particulier, des Etats-Unis. La CNIL salue d’ailleurs les initiatives prises par l’Espagne et la Suisse en la matière.

M. Pierre Lasbordes, président. Il semble donc que quelques étapes doivent être encore franchies avant que le DMP ne soit effectivement lancé. Un planning précis a-t-il été fixé ?

Par ailleurs, la question du consentement est-elle désormais correctement circonscrite ?

Enfin, s’agissant des offres privées, faut-il comprendre que des industriels font des offres techniques différentes de celles que nous avons envisagées ? Si tel est le cas, je serais heureux d’avoir l’avis de M. Jean-Yves Robin quant à la possible évolution du cahier des charges.

M. Jean Massot. En effet, un certain nombre d’étapes doivent être encore franchies mais le planning ne dépend pas de la CNIL. En tout cas, nous participons d’ores et déjà à la préparation des textes.

S’agissant du consentement, mon implication dans le dossier est trop récente pour que je puisse cerner rigoureusement ce qui doit être encore précisé. Il me semble en tout cas nécessaire de se mettre d’accord sur une procédure identique pour les différents types de dossiers de santé.

Concernant les offres privées, je laisse à M. Robin le soin de répondre.

M. Pierre Lasbordes, président. Monsieur Robin, avez-vous pris toutes dispositions nécessaires contre les derniers freins qui retardent le lancement officiel du DMP ? Votre conception du consentement est-elle cohérente avec celle de la CNIL ? Enfin, avez-vous examiné les solutions techniques proposées par certaines entreprises ?

M. Jean-Yves Robin, directeur du GIP-DMP. S’agissant du planning, je puis vous assurer que nous travaillons beaucoup, notamment avec la CNIL, en particulier sur l’agrément des hébergeurs de données de santé, dont nous examinons conjointement les dossiers. En ce qui concerne l’INS, un comité de pilotage a été mis en place car une vaste concertation est nécessaire. Certes il reste des choses à faire, mais elles sont bien identifiées, et c’est ensemble que nous devons apporter les solutions, afin d’éviter les désagréments que nous avons connus avec l’INS. Nous avons d’ailleurs associé la Direction centrale de la sécurité des systèmes d’information (DCSSI) à nos travaux. Par ailleurs, la mise en œuvre du DMP commencera par des expérimentations. Le calendrier de la généralisation dépendra de leurs résultats, et par ailleurs du délai de parution des décrets en Conseil d’État. Il reste donc des aléas, mais le projet suit son cours dans des conditions normales.

En ce qui concerne votre deuxième question, je considère comme la CNIL que la très grande hétérogénéité des modalités de recueil de consentement pose un gros problème. J’en ai d’ailleurs été saisi par le Conseil national de l’ordre des médecins avant même ma prise officielle de fonction. Une réunion est prévue à ce sujet fin mai ou début juin avec l’assurance maladie, la CNIL, la MISS, le CNOM, l’ordre national des pharmaciens et les représentants de patients, afin d’élaborer un guide des bonnes pratiques aussi consensuel que possible dès septembre ou octobre.

S’agissant des offres de stockage de données de santé sur Internet par certains opérateurs – à l’exemple des coffres-forts électroniques permettant d’archiver des pièces d’identité -, il conviendra de rappeler au public la nécessaire prudence dont ils devront faire preuve. Mais on n’empêchera pas Google de permettre à des Français de mettre leurs données de santé sur un serveur aux Etats-Unis. Quant à utiliser des applications offertes par Microsoft ou Google pour alimenter le DMP, c’est techniquement possible, mais en l’état actuel leur référentiel de sécurité est loin de correspondre à celui que nous exigerons pour le DMP.

M. Pierre Lasbordes, président. Les industriels ne manqueront sans doute pas d’arguments pour démontrer que leurs propositions sont aussi sûres que les vôtres. Il faut donc se préparer à réagir, afin de ne pas se faire broyer ! Il est ainsi difficile, aujourd’hui, de démontrer que le Blackberry n’est pas sûr…

M. Jean-Yves Robin. Assurément.

M. Pierre Lasbordes, président. Monsieur Pailloux, en tant que directeur central de la sécurité des systèmes d’information, considérez-vous que vous avez été saisi au bon moment dans le dossier du DMP ? A-t-il été, à l’instar des autres grands projets informatiques de l’État, tenu un peu éloigné de votre périmètre? Aujourd’hui, pensez-vous pouvoir donner votre blanc-seing pour finaliser sa mise en place ?

M. Patrick Pailloux, directeur central de la sécurité des systèmes d’information. Votre première question contient ma première réponse. Il n’entre pas dans les prérogatives de la DCSSI, qui d’ailleurs, grâce à vous, deviendra bientôt une agence, de se prononcer systématiquement sur chacun des projets puisque les décisions ultimes, à partir des considérations techniques que nous pouvons éventuellement fournir, appartiennent aux autorités politiques. Sans revenir sur le passé, je puis vous dire qu’aujourd’hui les choses fonctionnent bien. Nous avons signé des conventions de partenariat avec le GIP-DMP et, plus globalement, avec de nombreux acteurs du monde de la santé afin d’élaborer des méthodes de travail et d’échanges. Notre mission consiste essentiellement à apporter un soutien technique à nos partenaires. Nous avons ainsi beaucoup travaillé sur la question de l’identifiant de santé – identifiant aléatoire et identifiant calculé – mais également sur l’analyse des risques de ce système et sur la définition du référentiel d’agrément des hébergeurs. Néanmoins des questions demeurent, notamment la définition d’un profil de protection du poste de travail du professionnel de santé et l’élaboration d’un référentiel général de sécurité intégrant les besoins du secteur de la santé. Quoi qu’il en soit, notre travail avec le GIP-DMP a vocation à s’approfondir.

Quelques mots sur le type de menaces qui existent en matière de sécurité informatique. Nous savons tous que la cybercriminalité augmente aussi vite que l’interconnexion des systèmes d’information. Dans le monde médical, c’est la sécurité du fonctionnement des systèmes médicaux qui est essentielle : il convient donc tout d’abord de s’assurer que l’informatisation en cours des hôpitaux est optimale, et en particulier que les systèmes ne risquent pas de tomber en panne. Il faut, ensuite, protéger les données individuelles, les risques étant, d’une part, la fraude sociale et, d’autre part, l’accès à ces données ; mais sur ce dernier point, le risque majeur, selon nous, réside moins dans l’interception des données que dans la perte d’informations et dans leur mauvaise manipulation. Il s’agit avant tout d’éviter que les données personnelles se trouvent exposées malencontreusement, sans qu’il y ait eu d’intention malveillante.

Notre recommandation essentielle est de replacer le DMP dans le contexte global de la sécurisation des systèmes de santé : les hébergeurs doivent avoir un cahier des charges précis, et les systèmes faire l’objet d’un contrôle permanent, afin de vérifier qu’ils demeurent sécurisés ; concernant les réseaux qui transportent les données de santé, le plus important est de veiller à leur disponibilité de fonctionnement, notamment en cas de crise ; enfin, il faut assurer la sécurité des postes des professionnels de santé, en cas de vol par exemple. Par ailleurs, la sensibilisation de ces professionnels aux questions de sécurité est nécessaire. Le fait que le vocabulaire informatique emprunte au vocabulaire médical peut y aider !

M. Pierre Lasbordes, président. Merci. M. Yves de Talhouet, président de Hewlett Packard France, nous présente maintenant le point de vue de l’une des entreprises soumissionnaires.

M. Yves de Talhouet, président de HP France. Je vous remercie de votre invitation mais pour commencer, je m’exprimerai moins en tant que représentant d’une entreprise soumissionnaire qu’en tant que patient potentiel. Je suis très intéressé à l’idée que tout médecin puisse, en cas de besoin, accéder facilement et rapidement à toutes les données de santé me concernant. En revanche, je veux bien pour ma part avoir un droit de regard sur mon dossier, mais surtout pas le droit de manipuler les données qu’il contient.

En tant que citoyen, ensuite, je suis intéressé par tout ce qui peut améliorer l’efficience de notre système de soins, autrement dit accroître sa qualité tout en diminuant son coût.

En tant qu’industriel, enfin, je m’exprime au bénéfice de l’expérience acquise par HP dans le monde en matière de systèmes d’information de santé, tant en Europe – Espagne, Irlande du Nord, Estonie, Roumanie – qu’aux Etats-Unis – dans les États de Californie, de Géorgie et du Montana, ainsi que, à un niveau global, sur l’ensemble de la population de retraités – et en Asie. Nous participons à leur élaboration, à leur hébergement, à leur exploitation et à leur évolution.

Il existe trois types de systèmes, qu’il convient de ne pas confondre : des systèmes propres à un hôpital, permettant de réunir des données sur une maladie ou un traitement ; des systèmes régionaux ou nationaux, qui ont pour ambition de retracer l’historique de la vie médicale d’un individu ; enfin, des systèmes de « médecine assistée par ordinateur », visant notamment l’automédication. Je ne parlerai ici que du premier et du second.

Ma première observation, c’est qu’aucun des systèmes existants n’est à maturité : d’une part, nous manquons de recul dans le temps ; d’autre part, nous ne disposons pas de logiciels suffisamment performants pour répondre à tous les besoins. Il faut donc, quand on lance un projet de ce type, faire preuve d’humilité et ne pas viser d’emblée l’exhaustivité. Il faut être conscient que, quel que soit le système de départ, il devra évoluer – et il faut donc le concevoir de telle manière qu’il soit susceptible de s’adapter.

Deuxième remarque : tous ces systèmes sont composés de plusieurs éléments, parmi lesquels certains ont des retours sur investissement très forts, tant sur le plan financier que sur celui des bénéfices attendus par les médecins, les patients ou les hôpitaux. Il est donc souhaitable de commencer par les éléments ayant un retour sur investissement rapide, qui ne sont pas nécessairement les plus médiatiques, et de programmer par ailleurs les éléments plus structurels, dont l’impact sera plus lent mais plus profond sur l’efficience générale du système de santé.

Enfin, il faut être convaincu que « small is beautiful » : le temps des grandes cathédrales informatiques pour ce type de systèmes est révolu. Se lancer dans la mise sur pied d’un grand système national tendant à l’exhaustivité serait à la fois extrêmement coûteux et extrêmement dangereux. Il vaut mieux « commencer petit », se mettre d’accord d’abord sur la cible, ensuite sur le chemin, puis procéder ensuite à des ajustements. Au Danemark, petit pays dont la taille est comparable à celle d’une région française, il a fallu vingt ans pour mettre au point un système à peu près complet !

Permettez-moi trois suggestions.

La première, donc, c’est de commencer petit, en choisissant un ou deux éléments ayant un retour sur investissement rapide et en tentant de provoquer un enchaînement vertueux.

La deuxième, c’est de porter une grande attention à l’impératif de convergence : commencer petit ne veut pas dire faire de multiples petits projets sans se soucier de les relier ; il faut avoir en tête la cible et les mécanismes de convergence.

La troisième, c’est de concevoir le DMP de telle façon que l’on puisse en extraire des comparaisons – entre hôpitaux, entre régions… –, afin que l’émulation entre les différents acteurs contribue à améliorer notre système de santé.

Pour terminer, je voudrais évoquer des interrogations qui ont été exprimées.

Lors des précédentes réflexions sur le sujet, il y a eu énormément de discussions sur des montages industriels très compliqués. Or les industriels, me semble-t-il, sont capables de s’entendre entre eux et de s’adapter aux objectifs que vous leur fixez. Ne vous inquiétez donc pas : nous savons être créatifs et prendre des risques, dès lors qu’un chemin clair nous est tracé. Pour notre part, nous nous sentons très à l’aise pour former un consortium ou une équipe afin de répondre au cahier des charges qui sera fixé.

D’autre part, on s’est interrogé sur le fait de savoir s’il fallait des projets régionaux ou des projets nationaux. C’est une vaste question, sur laquelle je ne me prononcerai pas de manière rigide, tout en répétant que small is beautiful. Si le fait de travailler au niveau régional permet d’avoir des projets de plus petite taille, j’y suis favorable ; mais on peut aussi travailler au niveau national sur des projets de petite taille. Une chose est certaine, c’est que, en cas de démarche régionale, il faut faire très attention aux mécanismes de convergence dont j’ai parlé tout à l’heure. L’efficience du dispositif doit pouvoir être observée au niveau national, à travers des comparaisons.

M. Pierre Lasbordes, président. Merci. M. Forcioli va maintenant nous parler d’une expérimentation régionale.

M. Pascal Forcioli, directeur de l’ARH de Picardie. L’expérimentation que je vais présenter est menée dans une région qui compte 3 millions d’habitants, soit 3 % de la population française. Le principe que nous avons retenu pour le « Dossier Santé Picardie », ou DSP – que nous avons dénommé ainsi pour nous approprier le dossier médical personnel – tient dans la formule : « Un patient, un dossier, un clic ». Le dossier d’un patient doit être accessible à l’ensemble des professionnels de santé qui prennent en charge ce patient, et la manipulation pour y avoir accès doit être la plus simple possible. C’est un dossier partagé, et non un dossier personnel : nous avons exclu l’accès direct du patient, en raison des problèmes de confidentialité que cela poserait ; le DSP est un dossier entre professionnels de santé, au bénéfice du patient.

Nous avons également souhaité que ce soit un élément de notre politique de santé, dont la politique des systèmes d’information est un des aspects. Notre schéma régional d’organisation sanitaire – SROS – comporte donc, ce qui n’est pas le cas dans toutes les régions, un volet sur les systèmes d’information de santé – SIS –, dont le DSP, qui associe établissements de santé publics et privés et médecins libéraux, est un élément pivot.

Une gouvernance régionale des SIS est mise en place de manière progressive, avec un conseil régional stratégique des systèmes d’information de santé associant les fédérations de l’hospitalisation, l’union régionale des médecins libéraux, le collectif inter-associatif des associations de patients ainsi que l’assurance maladie, l’État, l’agence régionale de l’hospitalisation et l’URCAM – union régionale des caisses d’assurance maladie.

Un comité de pilotage régional – CoPil SIS – est issu de ce conseil régional stratégique. Il avait été mis en place initialement sous la forme d’un atelier de réflexion et de propositions régional.

Le maître d’ouvrage qui nous accompagne dans le DSP est le Groupement de coopération sanitaire e-santé de Picardie.

Des chantiers multiples s’articulent entre eux de façon cohérente. Le déploiement d’un réseau haut débit a lieu depuis plusieurs années, concourant à la construction de l’autoroute de l’information. Les systèmes d’information sont de plus en plus mutualisés entre les établissements hospitaliers, tant publics que privés. La télémédecine et en particulier la téléradiologie se développent progressivement.

Notre participation s’est déroulée en deux temps. En 2006, a eu lieu l’expérimentation lancée par le GIP-DMP en s’appuyant sur le CHU d’Amiens en tant que plateforme d’échanges, l’URML avec un réseau diabète régional, et un partenaire industriel, Santeos. Nous avons ensuite participé au deuxième appel à projets du GIP-DMP sur la période 2007-2009. Une convention nous lie ainsi jusqu’à fin juin avec le GIP-DMP. Pour des raisons conjoncturelles, l’ARH a repris le financement de la chefferie de projet – qui est une chefferie duale, libérale et hospitalière, depuis 2007 – et, depuis 2008, le financement relais des moyens alloués au GCS e-santé pour accompagner le déploiement du projet régional.

La dynamique d’expérimentation est ininterrompue depuis 2006. L’ARH s’est substituée à un moment donné à l’assurance maladie pour assurer la continuité du financement et permettre aux établissements de santé et aux professionnels de santé libéraux qui s’étaient engagés dans cette expérience de la poursuivre le plus loin possible.

Le GCS e-santé est l’ancien groupement d’intérêt public Télémédecine de Picardie. L’ARH a souhaité sa transformation en groupement de coopération sanitaire afin de permettre une participation plus importante de la médecine libérale dans la gouvernance ainsi que des partenariats industriels. Sa convention constitutive prévoit sa participation au DMP.

Le GCS e-santé est une structure qui regroupe des établissements, publics et privés, des professionnels de santé libéraux, des collectivités territoriales, des réseaux de santé ainsi que des établissements médico-sociaux : nous sommes en avance sur la loi « Hôpital, patients, santé, territoires ».

Pour piloter cette opération, nous respectons une parité hôpital/soins de ville, ce qui est essentiel non seulement en termes de chefferie de projet, mais aussi pour développer la coopération entre la ville et l’hôpital : la gestion de la trajectoire d’un patient nécessite un système d’information communicant entre tous les professionnels qui le prennent en charge.

Le principe « Un patient, un dossier, un clic » se décline sous la forme d’un outil ergonomique et consultable en temps réel. Il est alimenté, avec le consentement du patient – recueilli aujourd’hui uniquement de manière orale – d’éléments de dossiers des médecins libéraux, de comptes rendus d’hospitalisation, d’imageries médicales, de comptes rendus de laboratoire mais n’intègre pas à ce jour la prescription médicale.

Ce système a été bâti en concertation avec tous les acteurs, libéraux et hospitaliers, et a pour vertu d’offrir un service de confiance aussi bien aux personnels de santé qu’aux patients.

M. Pierre Lasbordes, président. Vous avez dit cependant que les patients n’avaient pas accès à leur dossier.

M. Pascal Forcioli. Certes, mais au moment où le patient donne son autorisation, on lui explique en quoi la mutualisation de l’information le concernant entre les professionnels peut améliorer la qualité de sa prise en charge.

Le Dossier Santé Picardie est en lien avec les systèmes d’information des établissements hospitaliers, des cabinets libéraux et des réseaux. De système d’information régional, le DSP peut devenir demain un système d’information national. Pour ma part, la Picardie étant une terre de cathédrales, je ne suis pas opposé à la construction de cathédrales !

Avec 30 000 DSP ouverts et 35 000 documents partagés, environ 1 % de la population est couverte. Neuf établissements de santé participent au système, dont quatre des établissements pivots de territoire et deux cliniques, il y a deux plateaux techniques interfacés. Chez les médecins libéraux, les participants sont 210 et seront bientôt 270, soit 10 %. A ce jour, ce sont surtout les établissements de santé qui ont alimenté le DSP. Les établissements de santé impliqués sont répartis dans nos trois départements et les différentes catégories d’établissements, publics et privés, sont représentées.

Nous prévoyons une extension assez rapide du fait d’un interfaçage entre le DSP et le DCC – dossier communicant de cancérologie – que nous sommes en train de rénover, le logiciel M2C2 – dossier Médical minimum commun de cancérologie – étant en refonte. L’articulation DCC/DSP fera entrer davantage de praticiens et de patients dans le dispositif.

De plus, il existe au CHU d’Amiens un moteur de recherche qui permet au service des urgences d’aller chercher dans le DSP des renseignements – allergies, interactions médicamenteuses – que le patient et son entourage ne sont pas forcément en mesure de donner.

Par ailleurs, nous sommes en train d’élaborer un projet sur la prise en charge précoce des AVC – accidents vasculaires cérébraux. Ce dispositif sera interfacé avec le DSP afin que tous les professionnels puissent savoir qu’un patient a été pris en charge pour ce motif.

En outre, nous sommes pilotes dans l’initialisation du dossier de l’enfant, avec la dématérialisation du premier certificat de santé.

Pour le futur, nos projets sont l’intégration des dossiers de nos réseaux de santé et de l’hospitalisation à domicile, l’extension du DSP à l’ensemble des établissements de santé de la région sur trois ans, la prescription dématérialisée, et bien sûr la convergence avec le DMP – notre objectif n’étant évidemment pas de rester dans un splendide isolement picard !

Le DSP rend tout d’abord un service au patient. Il le suit partout, il permet d’assurer la confidentialité des informations – laquelle serait cependant mieux garantie par une plate-forme nationale avec des hébergeurs dûment référencés, répondant à tous les impératifs de sécurité.

Quant aux établissements de santé, les bénéfices qu’ils tirent du système concernent en premier lieur leur fonctionnement interne : zéro papier, temps réel, modèle d’identification unique des patients – construit à partir de la carte Vitale –, développement d’une culture du partage des informations. Mais le DSP est aussi un outil pour optimiser les échanges entre les établissements de santé et les professionnels de santé au sein des territoires de santé. La loi « Hôpital, patients, santé, territoires » renforcera encore les coopérations entre les différents acteurs, et le DMP fluidifiera le parcours du patient, en permettant une prise en charge sécurisée et de qualité, grâce à la bonne information des professionnels de santé. La nécessité d’avoir un système national tient notamment au fait que certains patients changent de région d’habitation.

Pour les professionnels de santé libéraux, il faut que le système permette un gain de temps, ce qui suppose de travailler sur l’ergonomie. Il faut aussi assurer la sécurisation des données par un hébergement externalisé, et par ailleurs accompagner les professionnels dans la démarche.

Quels enseignements tirons-nous du Dossier Santé Picardie ?

Premièrement, c’est parce que le DSP est avant tout un projet médical qu’il fédère les professionnels de santé.

Deuxièmement, notre approche a été pragmatique. Nous avons été à l’écoute des utilisateurs.

Troisièmement, la synergie entre la ville et l’hôpital est essentielle pour bâtir la stratégie de déploiement.

Quatrièmement, il faut favoriser des usages multiples par la promotion des dossiers de réseaux – de cancérologie, de périnatalité, de diabète, de gériatrie...

Cinquièmement, il faut professionnaliser la maîtrise d’ouvrage. C’est ce que nous avons voulu faire avec le GCS e-santé Picardie, qui sera dédié au futur Espace numérique régional de santé.

Enfin, il faut un plan de communication massive auprès des professionnels de santé et des usagers. Pour le DMP, il doit être national, mais aussi relayé régionalement.

Les difficultés que nous avons rencontrées sont de trois ordres.

Tout d’abord, il est nécessaire d’avoir un cadrage national, législatif et réglementaire, sur divers sujets tels que le consentement du patient et la responsabilité du professionnel de santé.

Il est également nécessaire que les éditeurs se mobilisent. Je suis persuadé, comme M. de Talhouet l’a indiqué, que l’industrie est capable d’être créative.

Enfin, nous avons connu des incertitudes de financements. C’est parce que l’ARH a pris des décisions pour relayer les financements que nous avons assuré la poursuite de l’expérience du DSP, mais cette solution n’est pas tenable à long terme ; une sécurisation des financements est indispensable.

En conclusion, je suis confiant dans l’avenir du dossier médical personnel. Nous confirmons notre volonté de soutenir la démarche engagée par les établissements de santé et par les professionnels de santé libéraux. Nous faisons confiance à la future ASIP pour apporter la régulation et les précisions nécessaires. Enfin, nous souhaitons poursuivre notre expérience picarde en la replaçant dans le cadre national.

M. Pierre Lasbordes, président. Vous avez su mobiliser les professionnels de santé. Avez-vous un secret ?

M. Pascal Forcioli. Nous n’en sommes qu’à 10 % : il reste donc des professionnels à convaincre. Cela dit, tant pour les établissements de santé que pour les professionnels libéraux, la montée en charge est relativement rapide, ce qui signifie qu’il y a un effet de contagion assez grand.

Il me paraît très important que les structures de gouvernance, tant au niveau régional qu’au niveau national, associent fortement la communauté médicale. On ne pourra rien faire sans elle, sur ce sujet comme sur d’autres.

M. Philippe Pucheral, directeur de recherche et responsable du projet SMIS (systèmes d’informations sécurisés et mobiles) à l’INRIA (Institut national de recherche en informatique et automatique). Quels peuvent être les apports des nouvelles technologies pour réaliser des dossiers personnels – et pas seulement dans le domaine de la santé – à la fois portables et sécurisés ?

L’INRIA, l’Institut national de recherche en informatique et automatique, est l’un des plus grands centres de recherche dans le domaine des STIC – sciences et technologies de l’information et de la communication – au niveau européen. Il est organisé en équipes-projets, chacune développant un programme de recherche spécifique.

L’équipe-projet SMIS – systèmes d’informations sécurisés et mobiles –, qui est commune avec l’université de Versailles et le CNRS, s’intéresse essentiellement aux bases de données mobiles et embarquées – en particulier dans des puces – et à la protection de la confidentialité des données. Nous réalisons actuellement une expérimentation de dossier médico-social sécurisé et mobile destiné à faciliter la coordination des soins au domicile des personnes dépendantes.

Il est clair que la protection des données personnelles est devenue un impératif. La centralisation croissante de ces données sur les serveurs est inéluctable, dans la mesure où elle permet d’avoir des données complètes, fraîches, cohérentes et facilement accessibles. Elle n’est cependant pas sans risques : au-delà des négligences, comme l’égarement, dernièrement, de données de 25 millions de contribuables anglais, les serveurs font l’objet d’un nombre croissant d’attaques externes et internes, à tel point qu’aucun site n’est épargné. On doute qu’il existe une parade technique facile et à court terme puisque Oracle, qui est le leader mondial des bases de données, a vu sa version « Oracle Unbreakable » cassée au bout de quelques jours. Sans garantie tangible de sécurité, on peut craindre que beaucoup de personnes refusent d’adhérer aux applications qui leur sont proposées. Michel Gagneux a cité ce matin l’exemple éloquent du dossier médical hollandais.

Quant à nos travaux sur les dossiers portables, ils sont motivés par le fait qu’aujourd’hui il est difficile de garantir une connexion immédiate, sûre, rapide et peu coûteuse en tout point du territoire.

Notre équipe travaille sur une approche que nous avons appelée « Serveur Personnel de Données », dont l’objectif est de permettre à un individu de garder le contrôle total sur ses données les plus sensibles. Le principe de base est simple : il consiste à embarquer un serveur de données dans une nouvelle génération de puce sécurisée à très grande capacité de stockage – de l’ordre de plusieurs gigaoctets. Cela permet de stocker un volume considérable de données personnelles et de pouvoir les interroger et les protéger grâce au serveur de données embarqué.

Ce type d’architecture permet d’atteindre un niveau de sécurité inatteignable sur un serveur central. Grâce à la protection matérielle de la puce – ce qui montre l’intérêt d’avoir du code certifié –, les attaques sont très complexes à réaliser et leur bénéfice est d’autant plus limité qu’il faut casser chaque dossier séparément. Un autre intérêt est que le propriétaire des données peut totalement maîtriser leur mise en ligne.

Si, à ce serveur personnel de données, on rajoute un serveur Web et une application embarquée, on se trouve en mesure d’interagir avec le dossier de façon totalement sécurisée, à partir de n’importe quel terminal, même si ce dernier n’est pas réellement sécurisé, dès lors qu’il possède au moins un port USB et un navigateur Internet – configuration classique aujourd’hui.

Ce qu’il est important de comprendre, c’est qu’on n’embarque pas simplement un dossier personnel : on embarque toute une chaîne logicielle qu’on retrouve traditionnellement sur des serveurs, à savoir le serveur Web, l’application, le serveur de base de données et les données.

Si cette chaîne logicielle est spécifique dans sa réalisation, elle offre une interface externe totalement standard ; elle est conforme aux standards de développement et de communication. Cette conformité permet au serveur personnel d’interagir avec d’autres serveurs et donc d’être utilisé à différents usages. On peut le considérer comme ramification d’un serveur central : chaque serveur personnel peut répliquer une partie des données du serveur central et les rendre accessibles dans un mode déconnecté. Inversement, le serveur central peut lui-même apparaître comme un supplétif des serveurs personnels : il peut sauvegarder les données embarquées dans les serveurs personnels et se mettre en capacité de les restaurer en cas de perte ou de destruction du serveur personnel. Je montrerai ultérieurement que le serveur central peut également servir de support à de nouveaux schémas d’échanges sécurisés.

Après ces indications sur la technologie, je vais maintenant vous présenter une application de ce dispositif : le dossier médico-social partagé et sécurisé, qui porte le nom de DMSP. Le sigle est proche du DMP, le S signifiant « social » et le P « partagé », même si nous sommes aussi très soucieux de l’aspect « personnel ».

Les objectifs de ce dossier sont d’améliorer la coordination des soins et des prestations sociales dans deux coordinations gérontologiques des Yvelines et d’offrir le meilleur support possible respectueux de l’intimité des patients.

Participent à ce projet l’INRIA et l’Université de Versailles Saint-Quentin comme partenaires académiques, Gemalto, le leader mondial des cartes à puce et de la sécurité numérique, Santeos, qui est un hébergeur de données de santé – qui héberge aujourd’hui, par exemple, le dossier pharmaceutique –, et l’ALDS et COGITEY, qui sont les deux coordinations gérontologiques. L’ANR – Agence nationale de la recherche – et le conseil général des Yvelines apportent leur soutien financier. L’expérimentation est prévue à partir de septembre 2009.

La solution comporte trois éléments essentiels : le serveur central, le serveur personnel et ce que nous avons appelé le porte-badge intelligent.

Le premier élément, le serveur central, héberge tout ou partie des dossiers des patients et les rend accessibles via Internet. Il sert également de passerelle vers des systèmes d’information externes. Le deuxième élément, le serveur personnel de données, destiné à chaque patient, embarque la chaîne logicielle dont j’ai parlé précédemment dans une puce électronique au format d’une carte SIM, elle-même enfichée dans un châssis de clé USB. Le troisième élément, le «  porte badge intelligent », a une double fonction : destiné aux professionnels de santé, il agit comme un lecteur de carte CPS pour les authentifier ; intégrant une puce de nouvelle génération, similaire à celle du serveur personnel, il peut également être utilisé à des fins de synchronisation et de partage de données.

Le premier objectif du DMSP est de faciliter la coordination. L’architecture du système comprend, d’un côté, le serveur central qui héberge les données des patients et qui est accessible via Internet – il est partagé par tous les professionnels de santé qui vont interagir auprès du patient – et, de l’autre côté, le serveur personnel qui est utilisé au chevet du patient pour assurer la continuité des accès au dossier, y compris en environnement déconnecté. L’interface graphique qui permet au professionnel d’accéder au dossier est totalement uniforme, qu’il utilise le serveur central ou le serveur personnel. De la même façon, la politique de contrôle d’accès est totalement homogène dans les deux environnements.

Ces deux serveurs ont évidemment besoin de se synchroniser. Considérant qu’il n’y a pas toujours une connexion à Internet au domicile du patient, nous avons introduit un nouveau type de réseau, que nous avons appelé « pédestre » : les porte-badges des professionnels vont être utilisés comme convoyeurs des données de synchronisation. Cette synchronisation deviendra donc effective à chaque fois qu’un professionnel ira de l’environnement connecté au chevet du patient et inversement. Elle permet, d’une part, de rafraîchir le contenu du serveur personnel et, d’autre part, de remonter toutes les données qui ont été saisies au chevet du patient vers le serveur central et, de là, vers les logiciels des coordinations gérontologiques et du conseil général, sans double saisie.

Le deuxième objectif du DMSP est de préserver l’intimité du patient. Pour cela, le serveur personnel de données va mettre en jeu une autre de ses capacités : il va permettre d’implémenter une façon particulière de réaliser du masquage de données. L’idée est d’autoriser le patient à définir, avec l’aide de son référent social ou médical, différentes catégories de données dans son dossier.

La première catégorie de données est celle des « données régulières », que nous avons ainsi appelées parce que c’est en principe la plus grande part du dossier du patient. Elles sont stockées sur le serveur central et ne sont répliquées sur le serveur personnel du patient que si il y a un intérêt à les traiter à son chevet, le choix relevant alors surtout des professionnels de santé.

La deuxième catégorie est celle des « données secrètes », qui sont définies par le patient. Ce sont celles qui présentent, pour lui, un caractère tellement sensible qu’il veut absolument en garder un contrôle physique et qu’il n’acceptera pas de les mettre en ligne sur un serveur. Ces données secrètes restent confinées dans le serveur personnel du patient et ne sont accessibles qu’en sa présence. On peut raisonnablement imaginer que ces données représentent une partie infime du dossier.

La troisième catégorie est celle des « données restreintes », auxquelles le patient associe également une sensibilité très forte mais qu’il va accepter de partager avec quelques professionnels de confiance, dans un objectif d’amélioration de la coordination des soins. Elles sont répliquées sur le serveur central, mais sous un format chiffré, et les clés de chiffrement restent confinées dans le serveur personnel du patient et dans les porte-badges des professionnels de santé appartenant au cercle de confiance du patient. Même en cas d’attaque du serveur, ces données restent totalement inatteignables.

Ce système particulier de masquage permet d’offrir un équilibre assez flexible entre, d’un côté, l’intimité du patient et, de l’autre, l’obligation de coordination des soins, tout en évitant d’éliminer des pièces du dossier du patient.

La technologie que j’ai présentée, donc, répond au moins en partie aux deux objectifs essentiels du projet DMSP, à savoir une meilleure coordination des soins au chevet du patient – puisqu’elle garantit la disponibilité des données en déconnecté et la remontée des informations vers le serveur central sans double saisie – et le respect de l’intimité du patient – puisqu’elle offre la possibilité d’un masquage particulier de l’information sans remise en cause de la coordination. Or ces deux objectifs rejoignent sans doute ceux du DMP.

Autant que nous le sachions, cette technologie n’a pas d’équivalent aujourd’hui sur le marché. Nous sommes néanmoins capables de montrer qu’elle est opérationnelle. Le prototype existe, il va être déployé dans quelques mois ; il est porté par des industriels majeurs dans le domaine, notamment Gemalto, qui est leader mondial des cartes à puce. Enfin, la solution présentée, aussi bien matérielle que logicielle, est générique ; nous pensons donc qu’elle est susceptible de vous intéresser.

M. Pierre Lasbordes, président. Merci beaucoup.

Nous allons maintenant entendre le point de vue des utilisateurs à venir du DMP.

M. Jacques Lucas, vice-président du Conseil national de l’ordre des médecins. Comment se fait-il que, alors qu’il y a manifestement une certaine unanimité sur le sujet, la mise en place du DMP n’avance pas plus vite ?

La première chose est de savoir où l’on va – quel est le but, quel est le chemin, quelles sont les étapes. Or il me semble que nous ne savons pas encore très exactement quel est le projet que l’on relance. S’agit-il d’améliorer le management du système de santé ? S’agit-il de mieux manager le parcours de soins du patient, au sens qu’en donnait l’assurance maladie lors du vote de la loi de 2004 créant le DMP ? S’agit-il d’un management en santé ? S’agit-il du management des soins ? Une clarification serait nécessaire.

Michel Gagneux avait souligné que l’une des causes des difficultés rencontrées était le fait que le dossier avait échappé aux médecins – ce qui est quand même un peu dommage s’agissant d’un dossier médical…Nous considérons que ce dossier médical, constitué par des médecins avec le consentement des patients, étant régi par la loi du 4 mars 2002, doit être communiqué en permanence au patient et être consultable en permanence par lui. Le conseil de l’ordre pense que ce dossier doit être plus sincère qu’exhaustif et, quel que soit l’intérêt du modèle picard, il n’est pas très favorable à la construction de cathédrales en ce domaine.

Il me paraît utile de revenir sur la querelle quasi-théologique du « P ». La loi de 2004 imposait que le dossier médical personnel soit ouvert par le médecin ; si le patient ne le présentait pas, il devait être moins remboursé, en particulier pour des pathologies qu’il considérait comme particulièrement sensibles sur le plan de son intimité. Les patients se sont déclarés favorables à l’ouverture d’un dossier, à condition de pouvoir masquer certaines données lorsqu’ils s’adressent à un professionnel qui n’a aucun besoin de les connaître. Dans le cas où l’ouverture du dossier n’est pas obligatoire, la question du masquage ne se pose pas dans les mêmes termes : les patients peuvent refuser d’en ouvrir un au motif qu’ils ne veulent pas y voir figurer certaines données sensibles. Dans le cas du dossier pharmaceutique, 3 millions de dossiers ont été ouverts, mais 14 % des patients ont exprimé un refus.

Pour un dossier médical, quels peuvent être les facteurs de réussite et les facteurs d’échec ?

Un premier facteur de réussite est, selon nous, d’adhérer aux réalités des pratiques professionnelles. Tout le monde reconnaîtra, je pense, que les professionnels de santé français ont un niveau de compétence et de qualité qu’un certain nombre d’autres pays, y compris européens, peuvent nous envier. Mais pour adhérer aux réalités des pratiques, il faut procéder par étapes.

Ainsi, l’ordre des médecins a prôné l’usage de messageries professionnelles sécurisées, par exemple pour les échanges, très simples, de données biologiques. C’est important car les médecins, par culture, sont plus disposés à échanger entre eux des données pertinentes sur leurs patients qu’à partager un dossier constitué en commun. Mais ce n’est pas parce que les messages échangés par messagerie sont dématérialisés qu’ils ne sont plus des éléments objectifs du dossier médical ; ils doivent, par conséquent, pouvoir être tracés et, en cas de besoin, communiqués aux patients.

Un second facteur de réussite est de construire un dossier socle structuré. Nous préconisons un DMP à deux couches. La première serait, donc, un dossier socle structuré, qui ne serait ni un dossier de synthèse, ni un entrepôt mais qui se bornerait à indiquer les éléments majeurs de l’histoire médicale du patient et des traitements qui lui ont été dispensés – ce qu’il convient de connaître, par exemple, lorsque le patient se présente au service des urgences. La seconde couche serait constituée de ce que nous avons appelé les « dossiers liés » à ce dossier socle – à l’instar des dossiers « cancérologie » et « diabétologie » dans les expériences de Bretagne et de Picardie, ainsi que des dossiers « suivi d’HIV » et « suivi d’insuffisance cardiaque ». Ces dossiers liés concernent des problèmes majeurs de santé publique, qui pèsent très lourd économiquement. Le patient aurait la faculté de n’ouvrir un dossier lié qu’à ceux qui concourent à la prise en charge de cette pathologie.

Le principal facteur d’échec est, selon nous, l’inertie. Dans l’expérience de Picardie, par exemple, on nous a dit que 10 % des médecins étaient mobilisés : cela signifie que 90 % ne le sont pas. Comme M. Blemont l’a souligné à juste titre ce matin, les médecins ne sont ni des greffiers, ni des informaticiens. Il faut, pour que le DMP fonctionne, qu’ils y trouvent un intérêt. Or l’intérêt du médecin – ou d’un autre professionnel de santé – n’est pas, d’abord, d’améliorer l’efficience du système de santé ni de faire faire des économies à l’assurance maladie. Il est de soulager sa pratique professionnelle et de libérer du temps afin d’améliorer la qualité de la prise en charge médicale, qui est à la fois technique et humaine : on ne soigne pas un dossier, fût-il informatisé, et il est bon d’avoir le temps de parler avec le patient, de lui poser des questions… Dans les débats sur le dossier médical personnel, le patient lui-même est transformé en objet virtuel, qui ne parle pas, qui n’exprime pas de sentiments, qui ne sourit pas, qui ne grogne pas : tout est dans le dossier ! Il faut faire attention à cela, et éviter d’écouter seulement l’avis des professionnels de santé technophiles, sans considération pour ceux – et c’est la grande majorité – qui ne sont pas spontanément attirés par les TIC, les technologies de l’information et de la communication.

Small is beautiful, a-t-on dit. C’est également notre avis. Il faut que la technique corresponde à des usages simples et donne envie de l’utiliser.

Jacques Sauret a souligné ce matin l’importance de l’ergonomie du poste de travail. Cette préoccupation est partagée par Jean-Yves Robin et Michel Gagneux. Or c’est actuellement un véritable problème, pour les praticiens libéraux, de faire cohabiter sur leur poste de travail les différentes applications ; et quand vous avez eu plusieurs bogues avec votre ordinateur, vous ne l’ouvrez plus !

Il faut avoir la même préoccupation pour les systèmes d’information hospitaliers, l’un des grands enjeux étant la communication entre les soins de ville et l’hôpital. Il faut absolument travailler à leur décloisonnement. Je regrette que ce point n’ait pas été suffisamment mis en avant ce matin. Les établissements de santé, publics et privés, sont des producteurs d’informations majeures car en général, quand on séjourne à l’hôpital, c’est pour un problème de santé important. Or le temps mis pour transmettre les comptes rendus hospitaliers aux praticiens libéraux est inacceptable ; le ministère et les directeurs des agences régionales ont dénoncé cette situation, sans avoir réellement les moyens de l’améliorer. Ce défaut de communication est à l’origine de dépenses puisqu’il oblige à refaire des investigations qui ont déjà été réalisées.

En conclusion, nous nous associons de façon résolue à la relance du dossier médical personnel et aux objectifs qui ont été tracés dans la feuille de route. Notre position est claire et figure sur notre site. Nous considérons cependant qu’il n’est pas possible de tout faire en même temps mais qu’il faut procéder par étapes, dans le cadre d’une gouvernance nationale forte.

Jacques Sauret a fait remarquer ce matin que, pendant que le dossier médical personnel était en déshérence, le dossier pharmaceutique prospérait. J’y vois deux raisons. D’abord, l’objectif du dossier pharmaceutique est précis, limité et utile : c’est la sécurisation de la délivrance du médicament. C’est plus simple que de faire un dossier médical personnel. Ensuite, le législateur a confié au Conseil national de l’ordre des pharmaciens le soin de porter ce dossier médical. L’implication de cette instance professionnelle qui maille le territoire a suscité la confiance et levé les craintes des professionnels à utiliser ce dossier, notamment sur le plan de la responsabilité juridique.

Le Conseil national de l’ordre des médecins souhaite, de la même manière, être étroitement associé aux travaux que conduira l’ASIP et, donc, figurer dans l’architecture de la gouvernance nationale du projet afin de pouvoir exercer sa vigilance, d’une part, sur l’utilité des moyens d’organisation proposés et, d’autre part, sur les aspects éthiques et déontologiques qui s’y attachent – consentement du patient, possibilité pour celui-ci d’avoir accès en permanence aux documents, traçabilité des accès, y compris dans l’historique des remboursements de l’assurance maladie, assortie de sanctions très lourdes en cas d’accès sans droit. Enfin, la sécurité doit être garantie sur les postes des professionnels de santé. J’attire à cet égard l’attention sur le fait que la protection des données personnelles est probablement beaucoup plus grande dans les pratiques libérales que dans les pratiques hospitalières, où les postes informatiques contenant les données de santé sont malheureusement fort peu protégés.

M. Pierre Lasbordes, président. J’avais prévu de vous demander si le Conseil national de l’Ordre des médecins considérait que le plan de relance du DMP prenait en compte l’ensemble de ses préoccupations et y apportait une réponse satisfaisante. Je ne vous pose pas la question puisque, manifestement, la réponse est non. Même si vous avez la volonté d’adhérer et de travailler en bonne intelligence et en toute confiance avec les responsables de l’ASIP, il reste encore des problèmes à traiter, le principal étant de préciser la finalité du dossier médical.

Pensez-vous que le nombre des points qu’il reste à traiter soit compatible avec le délai annoncé dans le plan de relance ?

Docteur Jacques Lucas. Notre démarche repose sur la confiance. Nous ne posons pas de préalables à notre association au projet.

M. Pierre Lasbordes, président. Il serait néanmoins préférable de traiter 90 % des problèmes identifiés pour ne pas partir dans le flou, à moins de vouloir faire du pilotage à vue.

Docteur Jacques Lucas. M. le sénateur Étienne nous a engagés ce matin à nous associer au projet et à faire du pilotage à vue.

Les exigences que nous avons formulées ne sont pas des cailloux que nous voulons mettre dans la chaussure de l’opérateur de l’État. Elles ont pour objet de permettre au projet d’évoluer dans un sens conforme aux réalités et de ne pas rester au niveau de l’abstraction.

M. Urbejtel va vous donner l’avis d’un médecin généraliste. Je suis également un médecin de terrain, mais je me suis exprimé en tant qu’institutionnel.

M. Pierre Lasbordes, président. En fait, vous souhaitez qu’il y ait plus de 10 % de médecins qui adhèrent au DMP.

Docteur Jacques Lucas. Bien évidemment. Il faut atteindre le même pourcentage que pour le dossier pharmaceutique. Les médicaments qui sont délivrés aux patients par les pharmaciens ont préalablement été prescrits par un médecin. Nous sommes d’ailleurs vivement intéressés par le développement de la prescription électronique. Mais c’est un sujet qui nous éloigne du débat d’aujourd’hui.

Docteur Gilles Urbejtel, MG-France. Je vous remercie de donner la parole aux médecins généralistes de base. La réalité de terrain a l’avantage de permettre un certain recul par rapport aux allégations générales, notamment en termes de bilan.

Je prie ceux qui m’auraient déjà entendu de m’excuser de me répéter. Depuis 2004, MG-France s’est exprimé dix fois sur le sujet – et je me permets, monsieur le président, de vous remettre les communiqués que nous avons produits afin que vous puissiez les étudier – et, depuis 2004, à chaque comité d’orientation, notre participation active mais vigilante nous a conduits à prédire un bilan assez décevant à l’arrivée. Et le bilan est effectivement décevant.

Comme tous mes confrères médecins, je suis en infraction puisque la loi m’oblige à utiliser un DMP qui n’existe pas.

Sans doute est-ce parce que les objectifs étaient très nombreux et quelquefois incohérents. On a longtemps balancé entre un outil professionnel et une bibliothèque patients, entre mettre l’accent sur l’épidémiologie, le contrôle ou l’économie. Cette indécision était un peu rédhibitoire, d’autant qu’on avait mis beaucoup d’enthousiasme dans la mise en place d’un outil alors que l’organisation d’un système ne repose pas seulement sur l’outil mis à disposition, fût-il informatique.

Le terme d’expérimentation est impropre en la matière car on expérimente un modèle. Or, je n’ai pas entendu parler d’un modèle. Ce que l’on nous a présenté, ce sont des expériences locales, certes intéressantes, mais dépourvues de cible identifiée. La seule finalité était de « faire quelque chose » pour 2007.

Il ne faut pas s’étonner, dès lors, que l’investissement des professionnels de santé ait été très variable d’un endroit à l’autre. Sans cadre d’exécution précis, il ne pouvait dépendre que du leader local et de la manière dont les « troupes » sont gérées. À l’arrivée, cela fait des gens désabusés, très déçus du résultat sur le plan de l’ergonomie et de l’interopérabilité alors qu’ils ont investi beaucoup de leur temps. Cela pondère un peu l’opinion que l’on peut avoir du bilan « 30 000 dossiers et 35 000 documents ». Cela signifie que 80 % des dossiers ne contiennent qu’un document, ce qui fait vraiment des petits dossiers.

D’autres acteurs se sont investis de manière un peu plus importante que les professionnels de santé locaux : les industriels. Mais ils se sont souvent un peu précipités, si bien que les solutions retenues sont hétérogènes, pour ne pas dire hétéroclites, ce qui rend difficile, voire impossible, leur convergence. Mesurer le rapport coût/efficacité de l’opération me paraît important au moment où l’on veut relancer le système.

Nous prenons acte de la mise en place d’une nouvelle gouvernance, investie d’une nouvelle feuille de route. Nous avons noté avec satisfaction qu’il était donné des pouvoirs étendus à l’Agence des systèmes d’information de santé partagés (ASIP). C’est primordial car le DMP n’est qu’un élément du système d’information de santé et, avant de bâtir ce système, il faut parler culture de l’échange et politique des échanges. Mais je pense que l’équipe actuelle a bien compris l’importance de procéder ainsi.

Autrement dit, si l’on veut avancer, il faut absolument privilégier le contenu par rapport au contenant et les flux par rapport à la cathédrale ou architecture. Ce n’est qu’après avoir bien défini les flux qu’on pourra les greffer sur un réceptacle.

L’exemple de la biologie est caractéristique en la matière. Nous avons créé notre branche informatique en 1994, l’année de la sortie du navigateur Netscape, disparu depuis. Or, 90 % des résultats de biologie arrivent par la poste chez le médecin. Il est quand même symptomatique que le projet de DMP n’ait pas permis de trouver une solution pour permettre les échanges informatiques en biologie alors que chaque bout de la chaîne est informatisé.

Il est important de définir un identifiant de santé et d’améliorer la structuration et la normalisation des données de santé sur les postes de travail des professionnels, postes qui sont de plus en plus mis à contribution.

Enfin, la place du professionnel de santé reste à définir, non seulement dans le circuit DMP et dans celui du système d’information de santé mais aussi, probablement, dans le système de gouvernance de ce système d’information de santé. Pour la première fois, la loi de 2004 a fait un lien entre le médecin et le patient ou, tout au moins, a créé un DMP pouvant se greffer sur ce couple. Dans le premier décret DMP, le médecin traitant n’était mentionné qu’à la page de l’état civil, au même niveau que le groupe sanguin.

M. Pierre Lasbordes, président. Vos propos ne sont guère optimistes. Nous ne sentons pas d’adhésion au projet. Est-ce parce que vous considérez que vous n’avez pas été suffisamment associés à la réflexion ou parce que vous n’y voyez pas d’intérêt ?

Me hasarderai-je à vous demander si vous croyez que le plan de relance va régler le problème ?

Docteur Gilles Urbejtel. Je crois que, au fur et à mesure, on avance et que l’équipe actuelle a mesuré les difficultés, d’autant que nous ne les avons jamais cachées.

Jusqu’à présent, nous n’avons pas été suffisamment entendus. J’espère que l’équipe actuelle est consciente de l’urgence qu’il y a à prendre des décisions sur le plan, non pas technique, mais politique. Pour reprendre l’exemple de la biologie, en attendant qu’un système conforme se mette en place, des initiatives diverses et variées se développent sur le terrain, qu’il sera ensuite très difficile de faire converger.

M. Pierre Lasbordes, président. Que répondez-vous à cela, monsieur Robin ?

M. Jean-Yves Robin. Il est impossible de répondre aux deux représentants des médecins en quelques minutes. Je me bornerai à quelques remarques.

Premièrement, leurs interventions comportaient deux volets qu’il est impératif de dissocier. Le premier concerne les gens, les pratiques professionnelles, les problématiques d’ergonomie, c’est-à-dire l’exigence métier dont on a un profond besoin de compréhension. Le second regroupe toutes les questions techniques – architecture du système, sécurité – sur lesquelles les deux représentants des médecins me semblent faire la même erreur que les cabinets ministériels et que nous avons dénoncée. Le système d’information n’est qu’un outil, qui doit être au service des pratiques. Ces deux domaines doivent être bien distincts. On ne parviendra pas à trouver des solutions de qualité si on ne les sépare pas.

Concernant les transferts de données en biologie, le problème n’est pas politique. Il fallait un cadrage national afin de régler les problèmes d’interopérabilité et de référentiels. Les pouvoirs publics ont failli à leur mission. Tous les rapports le reconnaissent. J’ose espérer que l’on pourra améliorer la situation. J’œuvre, avec d’autres, en ce sens. On ne peut pas en vouloir aux acteurs locaux d’avoir voulu pallier ces défaillances en se dotant de systèmes qui posent aujourd’hui des problèmes de convergence et d’interopérabilité.

Tout le monde a appelé à un cadrage national. Cette question a fait l’objet d’une concertation et j’ai l’impression que les besoins des différents acteurs en la matière ont été identifiés.

Comme je l’ai souligné ce matin, le développement de messageries sécurisées est indissociable de la démarche DMP. Les échanges entre les professionnels doivent être développés en même temps que le partage d’un dossier médical.

Cela étant, le DMP n’a pas le monopole des difficultés. Cela fait des années qu’on travaille sur les messageries sécurisées et ce travail s’est soldé par un échec puisque des systèmes ne communiquent pas encore les uns avec les autres. Non seulement les solutions nationales ne sont pas interopérables mais des solutions locales ont été construites sans respect d’un standard. La feuille de route a clairement identifié le problème et établi le diagnostic. L’Ordre des médecins reconnaîtra que nous travaillons sur le sujet.

Je ne crois pas que le problème soit politique. Cela m’arrangerait parce qu’il ne ressortirait pas alors de mon champ. Il faut faire des choix d’ordre technique d’interopérabilité et les assumer.

M. André Loth. Je peux confirmer que, pour ce qui concerne les messageries, les pouvoirs publics ont été mauvais. Sur cette affaire, qui est plus technique que politique, je ferai deux remarques.

Premièrement, nous ne sommes pas les seuls à avoir échoué. Aucun pays au monde de taille comparable au nôtre n’a mis en place un système de messagerie sécurisée généralisée. C’est une tâche très difficile.

Deuxièmement, je pense que nous avons été trop ambitieux. Nous avons voulu monter un système très compliqué et très sécurisé. Le directeur de l’ADSSI, la future association pour le développement de la sécurité des systèmes d’information, a reconnu que les exigences en matière de chiffrement avaient été trop fortes. Ce qu’il faut, c’est un système interopérable simple de conception comme d’utilisation. Je crois que nous nous orientons aujourd’hui vers une solution de ce genre.

Cela étant, lorsque le cadre d’interopérabilité aura été tracé par le GIP-DMP devenu ASIP, encore faudra-t-il que les professionnels de santé s’équipent des outils permettant de recevoir et d’envoyer les informations sécurisées. Ce ne sera plus le boulot des pouvoirs publics ni du GIP-DMP ou de l’ASIP. Il faudra que les professionnels de santé acceptent de mettre à jour leurs logiciels.

M. Pierre Chuzel, Syndicat des biologistes. En ma qualité de biologiste, je me dois de rappeler que nous avons déjà travaillé avec les éditeurs de logiciels, dans le cadre du DMP, à la construction d’un cahier des charges et d’un dispositif qui était presque prêt à être mis en place. Le seul élément qui a manqué, c’est le financement.

Maintenant que tout le monde reconnaît la nécessité de développer des messageries sécurisées en même temps que le DMP, j’attends de la relance de ce dernier que tout le monde remonte ses manches afin de faire tourner ce dispositif que l’on attend depuis de nombreuses années.

M. Pierre Lasbordes, président. Si les pouvoirs publics ont été mauvais parce qu’ils ont été trop ambitieux, êtes-vous sûrs, aujourd’hui, que les ambitions du plan de relance du DMP ne sont pas trop grandes par rapport à vos moyens, vos compétences et vos disponibilités ?

M. Jean-Yves Robin. Ce type de projet repose quand même sur un ensemble de pratiques et de bonnes pratiques liées à l’expérience et qui ne sont pas spécifiques au secteur de la santé. Nous sommes dans le cadre de la gestion de grands projets.

Dans tout projet, il faut, effectivement, veiller à l’adéquation des moyens aux objectifs et aux ambitions. Nous avons essayé en toute bonne foi et à partir de la connaissance que nous avons de l’état de l’art, d’élaborer le plan de relance le plus réaliste possible. Nous en assumerons la responsabilité. Il est soumis à concertation pour un mois encore, et nous recevons un flot assez nourri et tout à fait intéressant de suggestions dont nous assumerons les arbitrages. Il ne s’agit pas de rechercher le consensus, ce serait la meilleure façon d’échouer.

Cela fait quatre mois ou quatre mois et demi que les choses sont reparties. J’ai relevé quelques signes de frémissement mais ce n’est pas à moi de les souligner. Il faut donner un peu de temps à ce projet en l’évaluant régulièrement. Le rythme prévu des auditions me paraît approprié dans le cadre démocratique qui est le nôtre. Dans un an, on pourra en dire un peu plus.

Mme Nathalie Tellier, chargée de mission assurance maladie de l’Union nationale des associations familiales (UNAF) et représentante du Collectif interassociatif sur la santé (CISS). Je me propose de partir du plan de relance présenté le 9 avril dernier et des annonces faites par la ministre de la santé pour voir ce qui nous semble avoir changé par rapport au plan précédent, dans quelle perspective on se place et les points qui nous semblent devoir encore être travaillés ensemble. Je souhaite donc être plus positive et ne pas revenir sur les échecs du passé.

Une nouvelle approche a été annoncée, consistant à ne plus s’intéresser uniquement au DMP, mais également au système d’échange partagé qui doit entourer la mise en place de celui-ci. Nous en sommes très contents. Nous pensons, en effet, que la coordination des soins par la mise en place d’un dossier médical informatisé n’est réalisable que s’il y a une véritable stratégie nationale des systèmes d’information partagés en santé. Ce n’est pas le cas actuellement, malgré les tentatives d’élaboration, en 2006-2007, d’un plan de stratégie des systèmes d’information en santé.

Ce qui nous semble important pour l’avenir, c’est de construire une logistique informatique adaptée aux différents acteurs, hôpitaux et libéraux, et qu’ils puissent discuter ensemble pour qu’il y ait une vraie coordination. Pour atteindre ce premier objectif, il nous semblerait judicieux de créer un conseil national stratégique des systèmes d’information de santé. Je ne sais pas quelle forme il prendra mais il devra être indépendant, travailler avec l’ensemble des acteurs et produire des décisions ou des recommandations, selon son statut, qui nous aident à travailler ensemble.

Le plan de relance a, par ailleurs, acté un certain nombre de points qui n’étaient exprimés auparavant que sous forme d’interrogations. J’en citerai quelques-uns.

Premièrement, le DMP n’est plus obligatoire pour le patient. C’est, pour nous, une avancée. Même si, dans la loi, il n’était pas obligatoire, il l’était dans la pratique puisque les remboursements de soins des personnes étaient liés soit à son ouverture, soit à sa présentation.

Deuxièmement, le DMP sera contrôlé par le patient. C’est un point capital pour nous. Le DMP n’est pas, bien entendu, le dossier du patient, puisque c’est un outil de coordination et un support de dialogue mais, dans la mesure où il contient des informations personnelles sur la santé du patient, il nous semble normal qu’il soit contrôlé par lui.

Troisièmement, l’INS – l’identifiant national de santé – est un prérequis. Nous en avons beaucoup parlé. Il devrait être généralisé à la fin de 2009. Je n’y reviens pas.

Quatrièmement, le patient pourra consulter son DMP sur Internet à l’aide d’un mot de passe à usage unique. Il reste encore du travail à faire en ce domaine et une expérimentation du dispositif sera même nécessaire mais c’est une bonne chose pour nous.

Cinquièmement, le patient pourra masquer certaines données et même masquer le masquage. Je sais que cette décision ne contente pas tout le monde et qu’il y a de nombreux points de divergence mais, pour nous, c’est une bonne nouvelle.

Sixièmement, une première version du DMP sera déployée en 2010. Je pense que l’échec du précédent projet est dû au fait qu’on a voulu tout faire très vite et le mieux possible. Il me paraît de bon augure de commencer petit et d’enrichir le dispositif au fur et à mesure

Septièmement, priorité sera donnée à la sécurité et à la confidentialité des données. Nous ne pouvons qu’y souscrire.

Il a été rappelé que la CPS sera la clé d’accès des professionnels de santé au DMP. C’était, pour nous, un prérequis. Nous ne pouvons qu’en être satisfaits.

Nous sommes, également, tout à fait d’accord pour partir d’expérimentations du terrain et définir ensuite un cadre légal. Un certain nombre de points – INS, masquage, mot de passe à usage unique – devront, en effet, à mon avis, être expérimentées sur le terrain avant qu’on légifère et qu’on encadre.

Il reste encore des zones d’ombre. Je citerai les deux principales – le consentement du patient et la traçabilité – car ces deux points sont essentiels.

Chaque recueil de données doit avoir son mode de consentement. À l’inverse, aucun recueil de données ne doit se faire sans consentement. Actuellement, soit il n’est pas demandé de consentement du tout, soit le consentement est considéré tacite, soit il est acquis dans de mauvaises conditions. Nous sommes tout à fait d’accord pour travailler ensemble sur ce sujet. Nous sommes partisans d’un mode de consentement unique pour les différents dossiers informatisés afin d’éviter les abus de position et les difficultés de compréhension pour les patients. S’ils ne peuvent pas donner un consentement pour chaque dossier, on risque d’avoir des problèmes d’incompréhension et ne pas atteindre le but que l’on se fixe.

La traçabilité est également un point essentiel. Il est important pour les patients que chaque flux entrant et sortant soit tracé quelque part de façon à ce qu’il sache à la fois ce qui est dans son dossier et ce qui a été transmis à partir de son dossier.

Ces deux sujets, importants d’un point de vue juridique et éthique, mériteraient d’être traités au sein d’un conseil d’éthique. Celui-ci pourrait se trouver au sein de l’ASIP ou au sein d’un autre conseil indépendant.

Compte tenu de tous les points positifs relevés dans le plan de relance, nous avons toute chance d’adhérer au prochain DMP.

M. Pierre Lasbordes, président. Considérez-vous que votre association est suffisamment associée aux réflexions sur les améliorations à apporter au projet de DMP ?

Mme Nathalie Tellier. Nous avons beaucoup été associés dans le passé. Personnellement, j’ai fait partie de plusieurs groupes de travail.

Je pense que la méthode de travail sera différente de celle adoptée auparavant. Au lieu de réfléchir de manière séparée, comme avant, sur le dossier à hôpital et sur le dossier en ville, il faudra conduire une réflexion commune pour l’ensemble du dossier et des acteurs et se focaliser ensuite sur des points précis, comme l’INS, la traçabilité, le consentement. Il n’est pas normal, par exemple, qu’il y ait des consentements différents pour le DP, l’OM – l’Ordre des médecins – et, demain, le DMP. Ce sont sur ces points importants que nous souhaitons être associés et je pense que nous le serons.

M. Jérôme Duvernois, président du groupe LESISS, « Les entreprises des Systèmes d’information sanitaires et sociaux ». Monsieur le président, mesdames, messieurs, permettez-moi, tout d’abord, de remercier l’OPECST pour l’occasion qu’il nous donne de présenter, par la voix de leur représentant LESISS, le point de vue des industries spécialisées au sujet du DMP.

En fait, sans revenir sur la gestion passée de ce projet qui a fait l’objet de rapports de différents corps de contrôle de l’État, dont certains responsables, passés et présents, sont dans la salle, nous estimons que ce grand projet prévu par le législateur a été dès son origine victime d’une analyse erronée.

En effet, le DMP – qu’il soit professionnel, partagé ou personnel – a été matérialisé dès sa genèse comme un produit que les communautés médicales, industrielle, institutionnelle ont traduit par une séquence classique : « je conçois le DMP », « je construis le DMP », « je livre le DMP ». Or nous avons tous – et quand je dis tous, je n’exonère par les industriels – peu ou prou oublié que l’objectif fonctionnel du DMP, plus que d’être un produit, doit avant tout tendre vers un usage.

Cet objectif fonctionnel, ou cet usage, doit permettre de faciliter et d’améliorer la prise en charge et le suivi du patient dans une logique de coordination des intervenants du parcours de soin. C’est au reste ainsi que la loi du 13 août 2004 définit le DMP.

Par ailleurs, si le citoyen reste naturellement le propriétaire de ses données, auxquelles il doit pouvoir accéder quand il le souhaite – comme la loi l’y autorise –l’objectif fonctionnel du DMP doit être centré sur le médecin afin d’améliorer sa pratique au service du patient.

À ce point de notre analyse et comme nous l’avons, dans le passé, indiqué à maintes reprises, nous ne pensons pas que le DMP puisse constituer une entité isolée, créée ex abrupto et indépendante. Il constituera plutôt, à terme, le réceptacle d’informations de diverses natures – données, images, sons – en provenance de nombreuses sources et capteurs et synthétisées au service de la pratique médicale au bénéfice du patient.

En d’autres termes, le DMP sera, à terme, une composante – ou une résultante – certes importante des autres éléments des TIC de santé – et, au-delà du secteur médico-social – mais il n’en sera bien toutefois que l’une des composantes. Raisonner différemment et ne pas placer le DMP au nombre des outils de partage de l’information généralisée en santé nous conduirait collectivement de nouveau à de dispendieux déboires.

Pour autant et quelle que soit la nature de ce service, son déploiement ne pourra s’envisager que sous réserve d’avoir réglé quatre prérequis : premièrement, la description de l’objectif – nous commençons à arriver à un consensus sur le sujet –, deuxièmement, l’identification univoque du patient – le problème est en cours de traitement et devrait déboucher à court terme ; nous saluons ce travail –, troisièmement, les modalités homogènes de recueil du consentement du patient – cela a été évoqué à maintes reprises cet après-midi – et, quatrièmement, l’hébergement des dossiers de santé – qui est également en voie de concrétisation par voie d’appel d’offres.

Je vous propose maintenant de survoler rapidement ces quatre points fondamentaux.

Le premier prérequis est, évidemment, d’avoir une description juste de l’objectif. Le but du DMP, réceptacle d’informations organisées en provenance de nombreuses sources, est d’insérer, dans la pratique de chaque professionnel de santé, les outils et données nécessaires à la consolidation d’un dossier patient numérique partagé entre les différents acteurs habilités du corps médical – médical et au-delà, si toutefois le législateur l’estime opportun.

Il est important de rendre ce processus d’alimentation du DMP le moins intrusif possible dans la pratique médicale. Cet objectif doit, en conséquence, se combiner avec une adaptation préalable des outils métiers – logiciels de gestion de cabinet, systèmes d’information hospitaliers, de radiologie, de laboratoires d’analyse, etc.

La consultation du dossier des patients doit, par ailleurs, s’insérer dans l’environnement des praticiens de manière fluide et ergonomique, qualités sans lesquelles le rejet légitime de l’outil par les praticiens serait inéluctable.

À ce sujet, le prestataire spécialisé est le mieux placé pour définir les modalités d’intégration des fonctionnalités nécessaires dans le logiciel qu’il a conçu. Il connaît en effet parfaitement la pratique de ses clients et réfléchit en permanence avec eux à leurs attentes.

Ce prestataire a toutefois besoin pour cela d’un cahier des charges qui doit porter sur l’usage, et non sur l’implémentation de l’outil. Élaboré en concertation avec les professionnels de la santé et dans le respect de la réglementation en vigueur, ce document doit décrire les données et les processus à traiter, ainsi que les mécanismes nécessaires à une parfaite interopérabilité.

Le deuxième prérequis est de disposer d’une identification nationale univoque du patient. Le partage généralisé d’informations de santé suppose l’existence préalable d’un identifiant unique du patient. Le sujet est récurrent depuis vingt ans dans les établissements de santé, au sein desquels plusieurs logiciels doivent communiquer.

En l’absence d’identifiant national de santé, les solutions existent, qui nécessitent toutefois une importante et chronophage activité d’identito-vigilance ; si cette pratique temporaire est acceptable, elle ne saurait être généralisée. En effet, sans INS, les risques médicaux liés aux erreurs humaines vont inévitablement s’accroître avec le partage généralisé des données de santé, qui concerne potentiellement des millions de nos concitoyens.

La mise en place de l’INS relève donc d’une absolue et urgente nécessité et l’Agence des systèmes d’information partagés de santé en a judicieusement fait une de ses priorités.

Cette mise en place prendra toutefois quelques années : au mieux trois ans sous réserve d’y affecter les ressources nécessaires. Il est donc indispensable, comme le propose l’ASIP, d’envisager un INS transitoire dans les plus brefs délais.

Le troisième prérequis est de définir un recueil homogène du consentement du patient. La loi donne un droit souverain au patient concernant les autorisations d’accès à ses données de santé dans un espace de confidentialité approprié. Le DMP s’inscrivant dans un schéma national, il n’est pas envisageable qu’un patient ait à confier son consentement pour cet accès de manière différenciée, selon l’endroit du territoire national où il consulte, ou la profession médicale à laquelle il s’adresse.

Il convient donc d’aborder le recueil de ce consentement sous l’angle d’une infrastructure nationale, unique et cohérente, d’autant plus indispensable que d’innombrables projets en cours sont concernés : projets de portée nationale comme le DP, le DCC, le DPIM et le DM Pro, mais également régionale avec les plates-formes santé – Aquitaine, Franche-Comté, Picardie, Rhône-Alpes, etc. La cohérence de ces projets ne saurait être assurée dans des conditions satisfaisantes si les modalités de recueil du consentement devaient demeurer hétérogènes.

De plus, dans un contexte de mobilité des ressortissants de l’Union européenne, la Commission attache une importance particulière à cette contrainte. Sans toutefois envisager à très court terme une gestion européenne de ces aspects, il apparaît indispensable de prévoir, d’ores et déjà, cette mobilité sur le territoire national.

Ce besoin plaide donc pour une gestion centralisée, nationale, de l’identité et du recueil du consentement du citoyen. À cet égard, patients, professionnels de santé et industriels spécialisés peuvent se féliciter du volontarisme de l’ASIP, qui fait émerger ce dossier sensible au nombre de ses chantiers prioritaires.

Le quatrième prérequis est d’assurer un hébergement des données de santé au-dessus de tout reproche. Il ne s’agit pas de nous attarder sur les techniques efficientes en matière d’hébergement de données de santé, aujourd’hui encadrées par une réglementation adaptée. Dans les faits, cette prestation peut être réalisée par tout offreur habilité, sous réserve d’un respect de trois conditions fondamentales : stricte application du référentiel d’agrément récemment publié ; référencement de l’hébergement dans le portail gérant l’identification du patient ; disponibilité des services d’interopérabilité nécessaires aux logiciels métiers.

Concernant ce dernier point, quelles que soient l’organisation et la nature des projets, les hébergeurs de données de santé et les logiciels métiers qui les alimentent doivent être conformes aux standards internationaux largement diffusés dans le monde des TIC Santé : HL7, DICOM, IHE, …

Si leur élaboration doit se poursuivre dans les instances de normalisation existantes, dans lesquelles prestataires et utilisateurs sont impliqués, leur mise en œuvre devra en revanche être coordonnée à l’échelon national par l’instance habilitée, en l’occurrence l’ASIP.

En conclusion, les enjeux liés au succès d’un partage d’information généralisé de santé pour les praticiens au service de leur patient ne sont pas de nature technique, mais relèvent d’une parfaite compréhension des usages définis.

Un cadre fonctionnel national, prenant en compte les contraintes d’interopérabilité mais laissant toute liberté au dynamisme régional, constitue à l’évidence la piste qu’il faut suivre avec opiniâtreté.

Les clés du succès sont incontestablement liées à une direction stratégique nationale soutenue par des maîtrises d’ouvrage régionales fortes, appuyées par des moyens alignés sur les objectifs, avec un accompagnement adapté des acteurs, notamment professionnels de santé.

Au final, en substituant à une précédente gestion autoritaire et incantatoire, une concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, la généralisation du partage des données de santé au service de la collectivité est cette fois à notre portée. Son succès permettra, d’une part, de répondre aux besoins de notre pays et de nos concitoyens, d’autre part, de développer une industrie nationale exportatrice dans le domaine de l’économie numérique.

M. Pierre Lasbordes, président. Vos propos positifs résument bien une bonne partie de la réunion.

M. Jean-Luc Assouly, directeur associé, Cap Gemini. La relance du dossier médical personnel, après plusieurs années d’expérimentation, constitue une opportunité. Je vous présenterai donc dans cet esprit quelques éléments de réflexion, sachant que je fais miens nombre de propos déjà tenus. De façon très pragmatique, je présenterai notre action et les leçons que nous avons pu en tirer, ainsi que les conditions de succès de la relance au regard de notre expérience d’industriel de terrain.

Cap Gemini est présent dans le secteur de la santé, auprès des hôpitaux, des acteurs institutionnels tels que l’assurance maladie et d’autres acteurs du secteur, comme l’établissement français du sang (EFS) pour lequel nous avons lancé le projet ambitieux d’unification de l’informatique transfusionnelle sur l’ensemble du territoire. Cette présence nous a conduits à nous positionner sur le DMP dès le début 2004, dans l’idée d’accompagner son lancement par le groupement d'intérêt public (GIP) chargé de sa mise en œuvre.

Cap Gemini a participé à une expérimentation DMP sur trois régions – Languedoc-Roussillon, Ile-de-France Est et Nord-Pas-de-Calais –, parmi les six qui ont été lancées en 2005 et 2006. Nous étions associés à un opérateur et à un éditeur de solutions.

L’implication d’acteurs institutionnels – caisses primaires d’assurance maladie, Caisse des dépôts et consignations – a eu une importance clé pour la tenue de cette expérimentation, mais la relative brièveté de celle-ci, soit six mois d’ouverture du service – voire un peu moins dans la mesure où le recrutement de patients et de professionnels devait être arrêté quelques semaines avant la fin –, a eu des conséquences en termes d’enseignements à en tirer. Durant cette période, 9 000 DMP ont été ouverts et 66 % des patients concernés s’y sont connectés. Une dynamique, dont nous n’avons pu appréhender toute l’ampleur eu égard à la durée limitée de l’opération, s’est ainsi créée après toutefois un temps de latence.

Un support avait été mis en place pour répondre aux interrogations simples des patients en termes de connexion, de droits, de sécurité. Ce support ayant été plus sollicité dans la phase de lancement que dans la phase d’utilisation, c’est un enseignement à retenir : le passage à une grande échelle supposera un dimensionnement en conséquence des structures nationales et régionales.

L’expérimentation a permis de constater l’implication d’établissements de santé, de professionnels libéraux et de laboratoires, avec des différences selon les régions : professionnels et laboratoires dans le Nord-Pas-de-Calais, établissements en Ile-de-France, établissements et professionnels en Languedoc-Roussillon.

Les difficultés rencontrées ont été dues à la forte hétérogénéité voire à l’absence des systèmes d’information dans les établissements de santé, notamment en fonction de leur taille, et à l’installation dans les délais de solutions de connexion au DMP pour les établissements.

Les expérimentations se poursuivent. Nous sommes parties prenantes dans les projets de dossiers médicaux régionaux.

Quels premiers enseignements tirer ? Comme vous l’avez exposé, monsieur le président, il ne faut se lancer qu’en étant aussi prêt que possible afin que certains éléments ne risquent pas, à l’usage, d’entraîner le blocage du projet. Or la phase de lancement du DMP révèle de nombreux points à éclaircir en matière juridique et dans les domaines du processus d’adhésion, du recrutement, de la gestion des mandats, des autorisations pour l’hébergement.

S’agissant des établissements de santé, nous avons trouvé des situations techniques très hétérogènes. La faiblesse de la force de frappe mobilisable pour résoudre dans les délais les difficultés rencontrées a constitué l’obstacle le plus important. Nous avions mis à disposition dans les établissements de santé des agents du groupement, dont la mission exclusive était d’aider les patients et les professionnels à recueillir les bonnes informations sur le DMP. Pour autant, dans certaines régions, la connexion des établissements au DMP a été rendue impossible en raison des problèmes techniques, de l’hétérogénéité des équipements et du manque de moyens humains.

Par ailleurs, l’expérimentation n’a pas duré suffisamment longtemps pour qu’il soit possible d’en tirer des leçons d’usage généralisables.

La problématique de la sécurité et de l’accès reste entière, notamment au niveau des établissements. Nous avons vu beaucoup de professionnels alimenter à titre privé les DMP, alors que l’établissement lui-même n’y procédait pas en tant qu’acteur institutionnel.

Quant au processus d’inscription, il a fait l’objet de nombreux débats lors de sa mise au point. Il était complexe, et comportait des étapes sur support papier, ou encore des envois recommandés. Se lancer dans le DMP supposait, de la part des patients et surtout des professionnels, beaucoup de volonté et un enthousiasme certain. L’enseignement à tirer est que, s’il ne faut pas céder au compromis en matière de sécurité, le processus d’ouverture doit être le plus simple possible : les patients – chacun de nous – ne souhaitent pas s’insérer dans des processus compliqués, a fortiori si la démarche n’est pas obligatoire.

L’accompagnement est un élément essentiel. Les professionnels ont dû consacrer beaucoup de temps à s’informer auprès des supports pour comprendre les modes opératoires du DMP.

Le support des patients est un élément essentiel de la phase de démarrage. Aussi un centre d’appel avait-il été mis en place. Plus de 70 % des appels ont eu pour objet des difficultés très simples d’inscription, de connexion, en amont des problématiques d’usage du DMP ou d’ordre médical.

La gestion d’identité s’est également révélée l’un des points clés du processus.

L’approche par les usages est un point d’entrée majeur. Alors que le DMP n’était pas initialement conçu pour des approches par spécialités, on a constaté que les professionnels qui l’ont accepté le plus spontanément étaient très concernés par de telles approches. Ce point donne de la valeur à l’offre de services.

Enfin, une gouvernance impliquée et réactive est un élément clé de la phase de lancement, même si elle est moins essentielle ensuite.

Quelles sont les conditions de succès de la relance de 2009 ?

Les leçons qui peuvent être tirées des difficultés rencontrées portent d’abord sur la nécessité d’élaborer en matière de DMP une communication claire et ciblée : la vision des professionnels, des patients, des hôpitaux n’est pas forcément la même.

Ensuite, le processus d’inscription mis en œuvre lors de l’expérimentation ne peut pas être celui qui sera retenu dans le processus de généralisation. Insuffisamment simple, il montre jusqu’où il ne faut pas aller en la matière, même si, à ce niveau d’expérimentation, le dispositif choisi était probablement nécessaire.

Il convient également à mon sens de privilégier une approche par les usages, qu’elle concerne les professionnels ou les patients.

Quant à la sécurité du DMP, je rejoins les propos des spécialistes qui en ont traité. J’ajouterai seulement que la sécurité perçue et la sécurité réelle doivent être toutes deux traitées dans la communication, qu’elle soit à l’intention des patients ou des professionnels. La perception de la sécurité est au moins aussi importante que sa réalité.

L’accompagnement est par ailleurs fondamental. Il doit s’effectuer à plusieurs niveaux, central et local. Les grands déploiements que nous effectuons dans le domaine de la santé ou auprès des ministères nous apprennent qu’il faut un accompagnement et un déploiement tant sur les aspects de pilotage que sur les actions de proximité. Un dispositif doit être prévu pour faire avancer au même pas et en même temps tous les acteurs : patients, professionnels libéraux, établissements.

Ces derniers ont vraiment besoin de soutien car ils ne disposent pas tous des moyens de mettre en œuvre le DMP. Si blocage il y a eu, il a été dû non pas à une volonté insuffisante d’aboutir – cette volonté était grande –, mais à l’insuffisance criante de leurs moyens, en termes de temps comme de ressources humaines et financières.

Les acteurs de référence de l’expérimentation – Caisse des dépôts, caisses primaires d’assurance maladie – ont eu un rôle essentiel en matière d’identification ; il faudra s’appuyer sur eux dans le nouveau processus.

Enfin, la phase de lancement a montré des défaillances dans la gouvernance. Celle-ci doit être mandatée et capable de décider et de jouer pleinement son rôle dans l’ensemble du processus de coordination ou de gestion opérationnelle du déploiement.

M. Pierre Lasbordes, président. Pensez-vous réellement, en tant que dirigeant de société habitué à mener de grands projets, que le secteur de la santé est plus complexe que les autres secteurs ?

M. Jean-Luc Assouly. Il l’est d’abord par sa nature. De la complexité est créée par la multiplicité des acteurs et par la nature du sujet. Ensuite, la gouvernance y est très hétérogène. Les établissements de santé sont très divers de par leur taille ou leur type. L’indépendance de la prise de décision est quasiment totale dans ce secteur. Il en résulte que la mutualisation est très rare, et cela aussi crée de la particularité. Enfin, comparativement à d’autres secteurs, les systèmes d’information sont encore en phase de diffusion. Seule la gestion d’une minorité de lits d’hôpitaux est informatisée.

Pour autant, du bon travail peut être conduit avec les hôpitaux et les professionnels de la santé. Il faut dissocier ce qui relève des systèmes d’information de santé liés au dossier médical, ou encore de la gestion administrative, et ce qui relève de la technologie. De grands projets technologiques, du même niveau de complexité qu’ailleurs, sont mis en œuvre dans les hôpitaux, notamment en matière de gestion financière.

M. Pierre Lasbordes, président. La nécessité d’accompagner le déploiement du DMP par un grand plan de sensibilisation, dont vous avez heureusement parlé, a été cependant peu évoquée au cours de cette journée. Selon moi, ce projet doit s’accompagner d’une démarche généralisée destinée à y faire adhérer tous les utilisateurs, faute de quoi, quels que soient la compétence des gestionnaires, le contenu des arrêtés et le nombre des réunions de concertation, l’échec guette. À mon sens, un budget non négligeable doit être consacré, pendant plusieurs années, à cette fin.

Nous recevons maintenant M. Jean-Marc Aubert, directeur délégué à la gestion et à l’organisation des soins de la caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés. Monsieur le directeur, ma première question sera brutale : considérez-vous comme normal que le ministère de la santé gère le DMP ? Auriez-vous préféré que cette tâche soit confiée à votre caisse ?

M. Jean-Marc Aubert, directeur délégué à la gestion et à l’organisation des soins de la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS). Que le ministère gère le projet de DMP nous paraît assez normal. La CNAMTS n’est qu’un opérateur pour le ministère. Elle est certes de loin le plus important financeur du projet, mais elle ne joue qu’un rôle d’intermédiaire entre nos concitoyens, qui payent des impôts et des cotisations sociales, et l’État. Il paraît donc logique qu’elle ne pilote pas le DMP. En revanche, dans la mesure où elle connaît bien le sujet, elle peut apporter une aide opérationnelle si cela lui est demandé.

La santé est-elle un domaine spécifiquement difficile ? Il n’existe nulle part ailleurs d’équivalent du DMP tel que nous voulons le construire. Le DMP est d’abord un système extrêmement complexe de relations multilatérales. Ensuite, c’est simplement un outil de coordination des soins. Dans certains systèmes, les soins sont beaucoup plus coordonnés que dans le système français, sans que le dispositif ne comporte de DMP.

Les réseaux les plus favorables au projet sont ceux qui ont déjà travaillé sur la nécessité de mettre en place des outils de coordination, mais cette dernière ne dépend pas seulement de celle du DMP. Elle dépend aussi de la façon dont la société travaille avec l’assurance maladie et le ministère de la santé, de la nature des exigences qu’elle formule et des responsabilités qu’elle assume envers les professionnels de la santé, et enfin des services qu’elle veut voir apporter aux patients. Ces points sont au moins aussi importants que la sensibilisation envers l’outil qu’est le DMP.

Dès lors que la demande des patients envers les acteurs de la santé est celle d’un meilleur travail en commun, il faut travailler à l’élaboration d’instruments incitatifs concrets à l’intention des professionnels. La difficulté à résoudre va au-delà du système de santé français du fait que l’outil que nous voulons y créer n’existe nulle part sous cette forme.

M. Pierre Lasbordes, président. N’êtes-vous pas gênés de financer un outil qui, pour certains, est mal défini, et dont le coût n’est pas vraiment connu ?

M. Jean-Marc Aubert. Que les moyens nécessaires au développement et au fonctionnement du DMP à échéance de dix ou quinze ans ne puissent être évalués avec certitude est logique. Le DMP ne va pas se construire en un an.

Nous avons déjà l’expérience de ce type de grands projets. Au début de l’existence du dispositif SESAM-Vitale, peu de professionnels l’utilisaient. Aujourd’hui, plus de 80 % d’entre eux télétransmettent et plus de 85 % des opérations d’assurance maladie sont liées à des flux informatisés. En 2000, l’opinion courante était que le projet était un échec. La montée en charge a été lente. Mais ne retrouve-t-on pas ce phénomène dans d’autres technologies ?

Si le coût final du DMP n’est pas connu en totalité, je crois savoir que l’équipe qui gère le projet réfléchit à son chiffrage. Nous devons savoir quels moyens nous allons devoir mettre en œuvre au cours des prochaines années, et pour quels résultats. Nous savons déjà, par exemple, qu’en 2014 chaque Français n’aura pas ouvert un DMP, et que les DMP ouverts ne seront pas utilisés par l’ensemble des professionnels de santé.

Le dispositif va se développer par étapes. Nous devons définir ces étapes ainsi que les moyens qui seront affectés à chacune d’entre elles. Nous demandons de la visibilité, à travers une sorte de business plan d’entreprise. Aujourd’hui, nul n’est capable de décrire ce que sera le DMP en 2015. En revanche, nous devons disposer d’une vision des outils nécessaires et des moyens indispensables à leur développement.

M. Pierre Lasbordes, président. Le fait de disposer d’un business plan aujourd’hui vous satisfait donc ?

M. Jean-Marc Aubert. Si cet outil est encore en construction, nous sommes, il est vrai, assez optimistes. La clé est l’usage du DMP par les patients et les professionnels. Nous n’allons pas transformer en cinq ou sept ans un usage limité et très parcellaire dans quelques réseaux en un usage généralisé. Aujourd’hui encore, nombre de nos compatriotes ne recourent pas à Internet. Bien que l’assurance maladie ait déjà développé des outils informatiques à l’attention des professionnels de santé, des hôpitaux, des patients, certains d’entre eux préfèrent encore utiliser des outils plus classiques. Une majorité de nos contacts est encore soit physique, soit téléphonique. L’outil ne peut pas tout changer à lui seul. Nous devons déterminer un chemin à la fois ambitieux et raisonnable. Dans cette optique, nous sommes effectivement satisfaits des discussions que nous menons avec l’ensemble des acteurs avec qui nous sommes en relation.

M. Pierre Lasbordes, président. Qu’est-ce qui vous rend optimiste ? Le plan de relance ? La nouvelle équipe ? Le retour d’expérience – qui ne paraît pourtant pas totalement positif ?

M. Jean-Marc Aubert. Ce qui nous fera adopter le projet, à la suite de la discussion en cours au sein du groupement d'intérêt public Dossier médical personnel (GIP-DMP), dont nous sommes membres, ce sera d’avoir l’impression que, pour les quatre ou cinq ans à venir, existent l’ambition et la capacité à atteindre l’objectif fixé, et que les moyens demandés à cet effet seront cohérents avec la valeur ajoutée attendue.

Nous avons retenu plusieurs enseignements des difficultés du premier projet et, avant tout, qu’il convient d’abord d’être plus modestes que nous ne l’avons été alors.

Il faut bien cerner les objectifs d’un projet, plutôt que de considérer a priori qu’il sera fonctionnel par principe. En fixant des objectifs sérieux, en concevant un cheminement fonctionnel, nous devrions aboutir. De même, il convient de conserver à l’esprit l’idée que les changements ne se font pas en un jour. Le fait que, dans le secteur de la santé, des changements ont effectivement été conduits, en matière de comportement des patients ou d’offre de services et de soins me rend cependant optimiste.

Soixante millions de Français sont potentiellement consommateurs de santé et 90 % d’entre eux consomment effectivement des soins chaque année. S’y ajoutent 2 millions de professionnels. Peu de secteurs comportent autant d’acteurs. Si les objectifs que nous fixons sont à la fois raisonnables et ambitieux, pourquoi ne les atteindrions-nous pas ? Nous y avons réussi pour d’autres types de projets. Le temps de réalisation sera certes peut-être plus long que ce que nous envisagions en 2004 ; mais ce qui serait dramatique serait de ne pas avancer.

M. Pierre Lasbordes, président. Je tiens à remercier tous les participants pour leur disponibilité, et les intervenants pour leur franchise et leur courtoisie.

Les différentes présentations ont confirmé la difficulté de mettre en place un tel projet. Le secteur de la santé est un secteur difficile. Le projet était aussi sans doute ardu à conduire : la décision politique à laquelle il répondait était certes forte, mais elle réclamait des délais courts.

Sans doute une étude d’impact associée au projet aurait peut-être mis en évidence les difficultés qui allaient surgir, en termes de méthodes, de délais, de moyens. C’est l’occasion pour nous, politiques, de bien comprendre que s’il est facile de décider, on se trouve confronté à des difficultés lorsque toutes les conséquences de la décision ne sont pas mesurées.

Les équipes en charge du projet n’ont peut-être pas non plus suffisamment réfléchi en amont sur les freins à sa mise en œuvre, ou encore sur les questions d’identité et de sécurité. Elles les ont peut-être négligés au profit de la mise en place de la structure administrative : les difficultés de recrutement les ont beaucoup sollicitées.

Cette journée corrobore le fait que, lorsque l’administration entreprend de mener de grands projets, elle doit conduire un important travail en amont, de façon que ceux qui ont travaillé avec beaucoup de bonne volonté ne soient pas confrontés à ce que certains pourraient considérer comme un échec. En l’occurrence, je ne considère pas qu’il y a eu échec. Les participants au projet ont vécu des expériences intéressantes et ils ne peuvent qu’en tirer une démarche très positive.

Nous attendrons avec beaucoup d’intérêt le nouveau cahier des charges et nous espérons que vous disposerez bientôt des effectifs qualifiés que vous souhaitez. Dans le cas contraire, je vous recommande d’alerter le pouvoir politique.

Le président Nicolas Sarkozy a indiqué hier, en présentant le projet du Grand Paris, bien plus complexe que celui du DMP, qu’il ne pourrait réussir qu’au prix d’une modification des procédures actuelles. De même, nous devons peut-être réfléchir en commun à des démarches plus simples pour vous aider à démarrer dans de bonnes conditions le projet et à disposer de la structure administrative et des personnels adéquats, de façon que vous ne gaspilliez pas votre énergie dans des tâches qui perturbent la conduite du projet.

Un résumé de cette journée d’auditions sera établi. Nous essaierons de le compléter par quelques préconisations pratiques et concrètes. Elles ne seront pas forcément si différentes de celles des rapports de la Cour des comptes ou de celui de M. Gagneux. Nous nous efforcerons cependant d’être un peu plus pratiques dans l’attente de la mise en œuvre rapide du DMP, projet important pour l’avenir du système de santé français.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

AUDITION DE M. DOMINIQUE GERBOD, DIRECTEUR DU PÔLE SANTÉ DE MICROSOFT FRANCE

M. Pierre Lasbordes a invité M. Dominique Gerbod, responsable santé chez Microsoft, à faire le bilan des expérimentations relatives au DMP auxquelles Microsoft a été associé et à présenter des suggestions, afin que ce projet, inscrit dans la loi, puisse aboutir dans de bonnes conditions, en respectant les délais. En outre, se référant à l’offre technique proposée par Microsoft qui s’avère différente de celle retenue par le cahier des charges relatif au DMP, M. Lasbordes a demandé à M. Gerbod de lui faire part de ses réflexions à ce sujet.

M. Dominique Gerbod a précisé que Microsoft avait été associé aux expérimentations relatives au DMP menées en 2005, en partenariat avec deux autres sociétés qui partageaient la même approche que Microsoft et considéraient qu’il était nécessaire de développer les usages pour assurer la réussite du projet. La première société concernée était le Réseau santé social, lequel avait mis en place la feuille de soins électronique en 1997 et avait donc une bonne connaissance du contexte libéral. Le deuxième acteur avec lequel Microsoft s’est associé était Medcost-Doctissimo qui est le premier site européen de santé et a, de ce fait, une grande expérience de l’intérêt que peuvent éprouver les patients pour la santé sur internet. Medcost-Doctissimo a développé une activité de connaissances médicales sur les pathologies et sur les médicaments et également un site de dialogue. L’expérimentation à laquelle ils ont participé a démarré tardivement et a été beaucoup trop courte puisqu’elle n’a duré que sept mois. Elle n’a permis que de créer les dossiers médicaux mais pas d’en assurer l’exploitation. Il aurait fallu poursuivre cette expérimentation pour obtenir des résultats tangibles. Par ailleurs, Microsoft s’était également associé à la région Rhône-Alpes, estimant que la mise en œuvre du DMP nécessitait une adhésion des acteurs locaux.

Ces expérimentations ont abouti à plusieurs constats. D’une part, les patients n’ont pas été attirés par le DMP. Il y a donc aujourd’hui une dynamique patient à créer. En outre, il n’y pas, sur le terrain, d’infrastructure permettant de connecter les médecins libéraux sur une plate-forme pour utiliser le DMP. A cet égard, il convient de signaler qu’il s’est avéré nécessaire de rétribuer les médecins libéraux pour les dédommager par rapport au temps qu’ils ont consacré à l’expérimentation. Les médecins libéraux concernés ont eu besoin d’une motivation financière pour travailler sur le DMP. Au niveau régional, il a été constaté que même lorsque l’infrastructure existe, il n’en est pas fait usage et que les médecins n’utilisent pas les dossiers patients partagés sur les plates-formes régionales.

Une confusion importante entre les dossiers partagés par les professionnels de santé et les dossiers médicaux personnels a également été observée, notamment avec la question du masquage masqué. Cette incertitude sur ce que doit être le DMP ne paraît pas totalement levée à l’heure actuelle. En effet, soit le DMP est un dossier pour le patient et, dans ce cas, il faut décider de ce qu’on y met, soit il convient d’y placer la totalité de l’information patient pouvant servir à la coordination des soins. Les rapports de synthèse sur les expérimentations étaient relativement succincts, en raison du très faible taux d’utilisation des dossiers. La mission Gagneux a conclu à la nécessité de revenir à une logique de dossiers partagés par les professionnels de santé et estimé que le DMP se forgerait au travers des usages, point de vue partagé par Microsoft. En ce qui concerne le plan de relance du DMP, M. Gerbod a considéré qu’il y avait une réelle volonté d’associer l’ensemble des acteurs. En revanche, le cadre d’exécution du plan de relance du DMP n’a pas vraiment changé.

Le DMP concerne en fait trois aspects importants : la coordination des soins qui est essentiellement du domaine des médecins, la connaissance des antécédents dans la prise en charge des patients qui nécessite une synthèse médicale et le dossier médical personnel qu’on pourrait peut-être élargir au dossier santé. Cette approche, propre à Microsoft, est également partagée par Google. Elle intègre le besoin des patients d’un espace où stocker leurs informations de santé, cet espace devant pouvoir éventuellement communiquer avec les dossiers médicaux partagés.

Le plan de relance tel qu’il est lancé, a bien identifié et pris en compte l’aspect coordination des soins, même si tous les problèmes notamment organisationnels ne sont pas résolus. En revanche, la question de la synthèse médicale n’est pas encore traitée, d’une part parce qu’elle n’est pas prévue dans la loi, d’autre part parce qu’elle implique une responsabilité médicale. De même, l’aspect dossier patient n’est pas abordé à l’heure actuelle. Il y a donc un risque que le patient ne se sente pas concerné par le sujet et qu’il n’y ait pas de retour sur investissement important.

En revanche, la CNAMTS paraît appelée à travailler de manière plus étroite avec les équipes de l’ASIP, par exemple en ce qui concerne la prescription électronique ou la gestion du poste de travail du professionnel de santé, les postes de travail existant ayant des configurations hétérogènes. Compte tenu de l’ensemble des services qu’on devra rajouter sur le poste de travail pour permettre l’accès au DMP, il sera indispensable d’améliorer l’infrastructure des postes de travail des médecins libéraux. Trois à quatre années seront probablement nécessaires avant qu’on puisse rendre opérationnel l’ensemble des postes de travail. C’est pourquoi, les responsables du GIP-DMP envisagent de démarrer une première phase du DMP sur la base des infrastructures actuelles et de mettre en œuvre en parallèle un projet sur les postes de travail des professionnels de santé.

Le deuxième sujet qui n’a pas encore reçu de réponse est celui de la motivation des professionnels de santé à utiliser l’informatique et le futur DMP. Pour que cette motivation soit présente, il faut que l’informatique constitue un gain, soit en termes de sécurité de prescription, soit en rapidité d’exécution, et se situe donc dans une logique de productivité. Si le DMP doit entraîner un alourdissement des tâches administratives du médecin sans qu’il en retire un réel bénéfice, le DMP ne sera pas utilisé. Il est donc nécessaire d’avoir une infrastructure et des applications performantes.

Aujourd’hui, le cahier des charges ne concerne que les hébergeurs. L’objectif est de créer un espace unique sur lequel les professionnels de santé vont pouvoir déposer et aller chercher des documents et de faire développer par les éditeurs les connecteurs permettant d’aller chercher les données ou de mettre les données dans ce serveur. Ainsi, conformément à l’obligation légale, chaque médecin mettra à jour le DMP. Ce premier projet permettra de créer un préalable, tout en prévoyant parallèlement une deuxième version et une troisième version du projet. Par rapport aux expérimentations régionales, la première version du projet apporte une rationalisation des efforts en créant un site unique, ce qui simplifiera le travail des éditeurs. Dans la deuxième version du projet, on commencera à préparer les infrastructures, avec des applications d’échanges de données plus sophistiquées.

Le troisième point important est celui de l’implication du citoyen, sur des projets qui l’intéressent personnellement, en particulier s’il s’agit d’un patient atteint d’une affection de longue durée. Pour que le projet fonctionne, il serait nécessaire qu’il soit adossé à un grand projet médical, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. A cet égard, il serait souhaitable de lancer un grand programme sur les affections de longue durée, en commençant par exemple par le diabète qui touche deux millions de Français, ou les maladies cardio-vasculaires. Le diabète paraît particulièrement adapté à une telle expérimentation car il s’agit d’une pathologie qui se prête à l’implication du patient et qui crée une coordination entre les différents acteurs du fait des complications potentielles. Par ailleurs, c’est une pathologie permettant de déboucher sur des traitements améliorés, grâce à une meilleure prise en charge et de dégager ainsi des économies substantielles. Une surveillance du patient entre les consultations, avec des outils qui favorisent son implication, permettrait d’anticiper une dégradation de son état de santé et donc de diminuer le risque de complications. Un tel système permettrait à terme de créer un cercle vertueux entre la prise en charge des patients et la définition des protocoles de soins.

Le projet de DMP n’a pas d’équivalent à l’heure actuelle. Dans les autres pays, il existe des dossiers médicaux partagés mais qui ne sont pas destinés aux patients. Aux Etats-Unis, ces dossiers sont pilotés par les compagnies d’assurances. Le concept de dossier médical personnel n’existe pas.

Par rapport au projet de DMP, les médecins sont en premier lieu intéressés par les résultats de biologie qui sont très importants pour le diagnostic, puis par les prescriptions de médicaments et enfin par l’historique des courriers médicaux qui leur permettent de connaître les antécédents médicaux des patients.

Le projet de DMP, tel qu’il se présente, consiste en un historique des documents médicaux, c'est-à-dire un certain nombre de documents choisis par les professionnels de santé et qui remonteront sur le serveur central. Il ne s’agit donc pas d’assurer l’exhaustivité des documents. Cela permettra d’avoir accès essentiellement aux comptes rendus d’hospitalisation, aux lettres de sortie des hôpitaux, à certains résultats de biologie, éventuellement à une synthèse médicale si elle existe. Il n’est donc pas question d’y faire figurer le compte rendu de l’ensemble des consultations. C’est à chaque médecin de déterminer les documents qu’il souhaite placer sur le serveur central.

En ce qui concerne le financement du poste de travail, il serait logique qu’il ait différentes sources, la partie correspondant à l’amélioration de la productivité personnelle du médecin étant prise en charge par celui-ci, le reste de l’investissement étant partagé entre les différents intervenants concernés (assurance maladie, Etat, industrie pharmaceutique et patient).

En conclusion, M. Dominique Gerbod a estimé que la première version du projet ne présentait pas un grand intérêt et que pour faire aboutir le projet, il était préférable de procéder par étapes, en se préoccupant en priorité de résoudre les problèmes d’infrastructure, de même que celui de l’adhésion des professionnels de santé et des patients. Il faudrait également un grand projet médical qui permette de mesurer l’intérêt du DMP. Ainsi, la condition essentielle du succès paraît être la motivation des acteurs, aussi bien des médecins, que des patients, sans oublier les industriels qui n’accepteront d’investir que s’il s’agit de projets d’envergure.

CONTRIBUTION DU
PROFESSEUR ALBERT-CLAUDE BENHAMOU,
SERVICE DE CHIRURGIE VASCULAIRE
DE L’HÔPITAL DE LA PITIÉ-SALPÊTRIÈRE

Le Professeur Albert-Claude BENHAMOU estime que le DMP doit être à la fois un Dossier Médical Professionnel, Patient et Personnel. Selon lui, il s’agit de trois domaines différents mais qui sont interconnectables. Il considère que le DMP doit prendre en compte ces trois dimensions qui ne lui paraissent pas incompatibles.

En premier lieu, le dossier médical doit avoir une dimension professionnelle. Le DMP doit être avant tout un dossier professionnel destiné à la gestion interprofessionnelle des parcours de soins des patients. Ce dossier médical professionnel doit être complet, non masqué et consultable exclusivement par le corps médical. Son objectif est de réduire les erreurs médicales, d’améliorer la qualité des soins grâce à une meilleure communication et d’éviter la méconnaissance des informations sur les principaux antécédents médicaux ayant une incidence vitale. Le devoir de communication partagée concerne tout le réseau des professionnels de santé.

En second lieu, le dossier médical doit être un dossier destiné au patient, afin de lui permettre de mieux appréhender les soins dont il fait l’objet. Le DMP doit donc également constituer la mémoire médicale du patient.

Enfin, le DMP doit être un dossier géré par le patient, avec un droit de masquage des informations qu’il ne souhaite pas communiquer. Il s’agit d’un dossier médical partageable avec les équipes paramédicales et de soins médico-sociaux. Ce dossier doit permettre d’éviter les risques vitaux et donc contenir une histoire médicale résumée, retenant les principaux risques liés à la vie médicale du patient.

Le DMP permettrait une pratique médicale renouvelée. Il correspond à un impératif éthique. En effet, seul un système d’information performant et sécurisé, assurant un accès permanent aux données de santé de chacun et consultable sur tout le territoire par Internet, peut assurer la sécurité sanitaire de tous les citoyens.

L’adhésion confiante et positive des utilisateurs, tant professionnels de santé que patients, conditionne la généralisation et le succès du DMP. Elle nécessite un effort d’éducation de tous. Le plan national de formation des professionnels de santé qui va accompagner la généralisation du DMP est donc particulièrement important.

Cette formation doit établir les fondements d’un partage nouveau de l’information entre les professionnels de santé et les patients sur la base de la vérité médicale partagée. L’usage du DMP à cet égard ne sera pas neutre. Celui-ci va faire évoluer la relation entre le soignant et le soigné, pour que le partage de l’information soit effectif, malgré les difficultés.

La « génération DMP » sera donc celle de la pédagogie dans l’échange et le partage des savoirs de la médecine et de la santé avec les patients, celle du respect de la dignité et du parcours de vie des patients, quels qu’ils soient, conformément à la morale d’Hippocrate de toujours. Ce sera donc la génération d’une éducation de la responsabilité médicale partagée avec les patients.

Le DMP met en avant plus que jamais et presque de manière paradoxale, l’importance de la relation humaine au cœur d’une pratique médicale qui se trouve être renouvelée par l’usage des technologies de l’information et de la communication, ainsi que par internet.

Souvent, certains patients entretiennent encore l’illusion, voire l’espoir, d’une médecine « magique » qui serait aux mains d’un médecin omniscient. Il s’agit là de l’héritage protohistorique du médecin « sorcier », persistance de nos origines primitives.

Or, les professionnels de santé ont le devoir de faire admettre à tous les patients que la médecine n’est malheureusement pas toujours une science exacte, qu’elle fonctionne en émettant des hypothèses qu’il s’agit de confirmer et de valider, par des études statistiquement significatives qui fondent ensuite la médecine expérimentale et scientifique. Seulement 10 % des pratiques médicales sont basées sur des preuves scientifiques irréfutables. Pour le reste, ce sont des règles consensuelles qui fondent la pratique médicale actuelle.

Faire partager cette démarche hypothétique aux patients, de manière honnête et humble, permet de les responsabiliser pour les prises de décisions et de les inciter à s’impliquer davantage dans la gestion de leur parcours diagnostique ou thérapeutique.

Le DMP qui inscrit cette démarche essentielle dans le lien entre soignant et soigné, favorise ainsi la confiance des patients dans le système de soins. Cela passe par la transmission de données médicales claires et synthétiques, interprétables par les professionnels d’horizons multiples, mais aussi par le patient lui-même, et consultables en toutes circonstances.

Le Professeur Albert-Claude BENHAMOU, estime, en tant que chirurgien, que sa priorité est de retrouver aisément, dans le DMP de son patient, les informations ayant une incidence vitale pour sa prise en charge : allergie aux antibiotiques, prise d’anticoagulants, traitement insulinique, ainsi que tous les antécédents dont la méconnaissance peut avoir des conséquences iatrogènes catastrophiques !

Pour atteindre cet objectif, il lui paraît fondamental de former les étudiants en médecine et en pharmacie aux usages de l’informatique de santé mais surtout à la rédaction de notes de synthèse conçues dans cet esprit.

Contribution du Professeur Jean-Louis MISSET, Chef du service d’oncologie médicale de l’hôpital Saint-Louis à Paris

En ce qui concerne le DMP, le Professeur Jean-Louis MISSET s’interroge sur la définition du P : signifie-t-il Personnel ? Professionnel ? Partagé ? Les trois ?

La difficulté à appréhender le DMP semble provenir du fait que beaucoup de prémisses n’ont pas été définies. Des tentatives ont avorté, oscillé entre l’infraliminal et l’usine à gaz. Le peu d’engagement du corps médical, notamment hospitalier, sur ce projet procède de la mauvaise définition de ces prémisses, de la crainte de perdre un outil local existant certes imparfait mais qui fonctionne, etc.

De même, le contenu et la finalité du DMP ont été insuffisamment précisés. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il doit être au service de la sécurité du patient et permettre d’éviter les erreurs, les retards et les redondances. Toutefois, les informations nécessaires ne seront pas les mêmes selon que l’intervenant sera un urgentiste hospitalier, un spécialiste d’une autre spécialité que celle de la pathologie principale, le médecin traitant, un généraliste autre que le médecin traitant, un pharmacien d’officine, un soignant paramédical intervenant au domicile, la sécurité sociale… Il faut donc que l’accès à l’information soit modulable sur mesure en fonction de l’intervenant. Cela nécessite donc des clés d’accès et une sécurisation modulaires.

S’agissant de la sécurité des patients, le droit au masquage, revendiqué par certains, est contraire au principe de précaution. Aucun médecin n’acceptera jamais d’utiliser, ni d’alimenter un outil, s’il sait que des informations peuvent être occultées pour lui ou pour d’autres médecins pouvant être appelés à intervenir. Ainsi, du point de vue du corps médical, le droit au masquage ferait du DMP un outil mort-né.

La question du support mérite également d’être éclaircie : doit-il se présenter sous une forme matérielle (clé USB, carte, CD) ou immatérielle (réseau avec clés d’accès différentielles) ? Dans les pathologies chroniques ou graves, comme le cancer, de l’information peut être générée de façon quasi continue et dans des sites multiples. La mise à jour en temps réel d’un support matériel risque de poser des problèmes difficiles à résoudre et de prendre beaucoup de temps. L’accès aux données via Internet, avec des clés d’accès différenciées semble devoir être privilégié. Il permet de moduler « sur mesure » les droits d’accès en fonction de l’intervenant. A noter toutefois que la gestion des droits d’accès au niveau d’un réseau, par exemple interne à un seul établissement hospitalier, pose déjà des problèmes délicats…

En ce qui concerne la mise en place du DMP, des maladies comme le diabète ou le cancer, pourraient constituer des modèles d’expérimentation productifs.

En conclusion, il apparaît que le fil rouge devrait être : « Un dossier médical Professionnel, au service et pour la sécurité du Patient ».

CONTRIBUTION DU PROFESSEUR PHILIPPE GRENIER, CHEF DU SERVICE DE RADIOLOGIE DE L’HÔPITAL DE LA PITIÉ-SALPÊTRIÈRE À PARIS

Le Professeur Philippe GRENIER estime que le DMP doit avant tout constituer un outil pour les professionnels de santé, dans l’intérêt du patient.

Il considère qu’il y a deux approches possibles qui correspondent à deux visions différentes du DMP.

La première consiste à créer l'équivalent d'un carnet de santé pour chaque citoyen où tout serait inscrit : vaccinations, allergies, antécédents familiaux, etc. Il s’agit d’un projet politiquement brillant, excitant et générateur de profits pour l'industrie. Toutefois, un tel investissement ne présente pas d’intérêt pour les professionnels de santé, et par conséquent pour les malades.

La deuxième approche conçoit le DMP comme un dossier médical permettant un meilleur suivi des malades, notamment des patients ayant une maladie chronique identifiée telle qu'un diabète, un cancer, une maladie de système, une sclérose en plaques, etc. Ces patients ont, par définition, un suivi médical lourd et complexe. Ils sont pris en charge par une équipe médicale identifiée. Néanmoins, ils peuvent avoir affaire à d'autres équipes médicales, à l'occasion soit d'un déplacement professionnel, soit d'un voyage ou d'un déménagement. Ils peuvent aussi présenter une autre pathologie, ce qui est relativement fréquent, les conduisant à être traités par d'autres équipes médicales, dans un autre établissement, ou bien ils peuvent être vus en urgence pour un accident intercurrent ou une complication. Dans toutes ces situations, l’ensemble des informations médicales, relatives à la maladie pour laquelle le patient est suivi de façon prolongée et traité, sont indispensables pour les médecins amenés à prendre en charge ce patient, afin d’éviter des accidents iatrogènes.

Un tel projet est beaucoup moins brillant, et certainement moins exaltant et profitable pour les industriels, mais il représente un vrai progrès médical.

Si un DMP conforme à cette seconde approche était créé, il faudrait que son contenu soit bien défini, et ne soit pas exhaustif. En effet, trop d'information tue l'information. Son contenu standardisé devrait se limiter aux comptes-rendus d'hospitalisation, aux comptes-rendus des interventions chirurgicales, des examens anatomopathologiques, ainsi qu’aux examens radiologiques essentiels, et à deux ou trois images en format JPEG. Un tel dossier version électronique existe déjà dans certains hôpitaux, comme dans le Groupe Hospitalier Pitié-Salpêtrière, et certains autres hôpitaux de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris. Ce dossier électronique est accessible par tous les professionnels de l'hôpital qui ont à prendre en charge le patient, en particulier les urgentistes. Si le DMP était créé, il serait très facile de récupérer le contenu du dossier hospitalier électronique pour alimenter le DMP.

En conclusion, le Professeur Philippe Grenier se déclare favorable à cette deuxième conception du DMP. Il lui paraît également souhaitable de faire une expérimentation à partir d'une ou deux maladies chroniques (diabète ou cancer) et de définir le contenu standardisé d'un tel dossier.


© Assemblée nationale