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N° 4097 N° 199

____ ___

ASSEMBLÉE NATIONALE SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE SESSION ORDINAIRE DE 2011 - 2012

____________________________________ ___________________________

Enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale Enregistré à la présidence du Sénat

le 15 décembre 2011 le 15 décembre 2011

________________________

OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION

DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

________________________

RAPPORT

de la mission parlementaire sur

la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir

Président de la mission : M. Claude BIRRAUX, député

Rapporteurs : MM. Christian BATAILLE, député et Bruno SIDO, sénateur

RAPPORT FINAL : L’AVENIR DE LA FILIÈRE NUCLÉAIRE EN FRANCE

Tome I

Rapport

__________ __________

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Claude BIRRAUX, par M. Bruno SIDO,

Président de l'Office Premier vice-président

COMPOSITION DE LA MISSION

au 1er décembre 2011

Président de la Mission :

M. Claude BIRRAUX, député, président de l’OPECST

Rapporteurs :

M. Bruno SIDO, sénateur, premier vice-président de l’OPECST

M. Christian BATAILLE, député

Députés

Sénateurs

MM. Christian BATAILLE

Claude BIRRAUX

Alain CLAEYS

Yves COCHET (°)

Jean-Pierre DOOR

Paul DURIEU (°)

Mme Geneviève FIORASO

MM. Jean-Louis GAGNAIRE (*)

Claude GATIGNOL

Alain GEST

François GOULARD

Christian KERT

Pierre LASBORDES

Jean-Yves LE DÉAUT

Michel LEJEUNE

Jacques LE NAY (°)

Claude LETEURTRE

Daniel PAUL

Philippe PLISSON (°)

Mme Bérengère POLETTI

MM. Franck REYNIER (*)

Jean-Louis TOURAINE

Philippe TOURTELIER

Jean-Sébastien VIALATTE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Corinne BOUCHOUX

M. Marcel-Pierre CLÉACH

M Roland COURTEAU

Mme Michelle DEMESSINE

MM. Marcel DENEUX

Didier GUILLAUME (**)

Alain HOUPERT (**)

Mmes Chantal JOUANNO

Fabienne KELLER

Virginie KLÈS

Elisabeth LAMURE (**)

MM. Jean-Pierre LELEUX

Jean-Claude LENOIR (°°)

Jean-Claude MERCERON (**)

Gérard MIQUEL

Christian NAMY

Jean-Marc PASTOR

Ladislas PONIATOWSKI (**)

Mmes Catherine PROCACCIA

Mireille SCHURCH (**)

MM. Bruno SIDO

Michel TESTON (**)

Raymond VALL (**)

   

(*) Membre de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale

(**) Membre de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat

(°) Membre de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l’Assemblée nationale

(°°) M. Jean-Claude LENOIR, élu sénateur le 25 septembre 2011, faisait précédemment partie de la mission en tant que député, membre de la commission des Affaires économiques

MODIFICATION DE LA COMPOSITION DE LA MISSION

Lettre du Président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat, en date du 30 novembre 2011

SOMMAIRE

Pages

SAISINES 9

INTRODUCTION 13

I - UNE FILIÈRE ADAPTÉE AU CONTEXTE NATIONAL 19

A. UNE IMPORTANCE DIFFÉRENTE SELON LES CONTEXTES NATIONAUX 19

1. La prépondérance pérenne des énergies fossiles 19

2. Les conditions industrielles et juridiques de la sûreté 25

B. UNE RÉPONSE FRANÇAISE À QUATRE PRIORITÉS STRATÉGIQUES 27

1. Une offre ajustée en électricité 27

2. L’indépendance énergétique 28

3. La préservation du développement économique 30

4. La neutralité environnementale 31

II - LES CONTRAINTES D’UNE DÉMARCHE DE SUBSTITUTION 33

A. L’OBJECTIF PRIORITAIRE D’UNE CONSOMMATION MAÎTRISÉE 33

1. Les résistances aux économies d’énergie 33

2. Le caractère multiforme des effets « rebond » 40

B. DES SOLUTIONS ALTERNATIVES AUX ATOUTS DIFFÉRENCIÉS 42

1. Les enjeux stratégiques du retour vers les énergies fossiles 42

2. La mise en exploitation du gisement des énergies renouvelables 43

C. LA RÉMANENCE DES CHARGES INHÉRENTES À L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE 48

1. Le besoin d’entretenir durablement une culture de sûreté 48

2. L’impossibilité d’esquiver la gestion des déchets 50

III - UNE VISION D’AVENIR POUR LA FILIÈRE 55

A. LA COMPLÉMENTARITÉ DES PERSPECTIVES TECHNOLOGIQUES 55

1. L’industrialisation du stockage intersaisonnier d’énergie 55

2. L’apport des technologies futures de l’énergie nucléaire 62

B. UNE PROPOSITION DE « TRAJECTOIRE RAISONNÉE » 65

1. La réalité du temps énergétique face aux raccourcis politiques 65

2. La fourniture de l’énergie nécessaire à la production d’énergie 68

ANALYSE DE TROIS SCENARIOS 71

CONCLUSION : SE MEFIER DE L'EFFET DE CISEAU 73

EXAMEN DU RAPPORT – 15 décembre 2011 77

COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS 99

Allemagne – 19 au 22 septembre 2011 99

Japon – 18 au 22 octobre 2011 109

SAISINES




INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Après le rapport d’étape sur la sécurité nucléaire adopté le 30 juin dernier, ce second rapport termine l’étude sur la sécurité nucléaire et l’avenir de la filière nucléaire confiée en mars, à la suite des événements de Fukushima, à la mission parlementaire créée à l’initiative des présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, et constituée de l’ensemble des membres de l’OPECST augmenté de sept députés membres des deux commissions des affaires économiques et du développement durable, et de huit sénateurs membres de la commission de l’économie. Comme le précise le courrier joint de son nouveau président Daniel Raoul, cette dernière commission a modifié la liste de ses huit délégués après le récent renouvellement partiel du Sénat.

Les travaux de la mission se sont principalement attachés, depuis septembre, aux questions relatives à l’avenir de la filière nucléaire, qui ont fait l’objet de quatre auditions publiques, et de deux déplacements de Christian Bataille en Allemagne, puis au Japon. Mais les questions relatives à la sécurité nucléaire sont demeurées au cœur des préoccupations de la mission, comme l’illustrent les deux visites inopinées menées en parallèle respectivement par Claude Birraux et Bruno Sido dans les centrales nucléaires de Paluel et du Blayais, le soir du 30 novembre 2011.

Des initiatives ont été prises pour s’assurer des conditions de mise en œuvre des recommandations formulées par le rapport d’étape du 30 juin : un échange avec les administrations et organismes concernés a eu lieu spécifiquement à cette fin le 27 septembre ; un courrier a été adressé à M. le Premier ministre le 24 novembre pour constater une inertie inacceptable du Gouvernement, s’agissant des recommandations destinées à une mise en œuvre avant la remise définitive du rapport de la mission, notamment celle relative à la réorganisation du budget de l’Autorité de sûreté nucléaire, et celle relative à la transmission d’une étude sur les possibilités juridiques d’encadrer le recours à la sous-traitance, en vue d’empêcher les cascades contractuelles porteuses in fine de risques d’irresponsabilité opérationnelle.

* *

*

En préalable à une analyse sur l’avenir de la filière nucléaire, il nous semble essentiel de rappeler plusieurs éléments de bon sens indispensables au cadrage des réflexions : d’abord, l’énergie nucléaire exploite une ressource naturelle; ensuite, les évolutions du système énergétique doivent assurer la pérennité, et surtout la plus large accessibilité, des services fondamentaux de la société; enfin, toute innovation dans l’approvisionnement en énergie prend immanquablement appui sur les systèmes antérieurs de fourniture d’énergie.

L’énergie nucléaire exploite une force naturelle

L’énergie nucléaire utilise, comme toutes les autres sources d’énergie, des forces qui préexistent dans la nature. La radioactivité n’est pas une invention artificielle des chercheurs en physique atomique ; c’est un phénomène de désintégration naturelle de certains éléments présents dans l’univers, dont on a observé qu’ils libèrent des quantités incommensurables de chaleur : 100 grammes d’uranium délivrent plus d’énergie qu’une tonne de pétrole; un gramme de plutonium suffit pour produire le même résultat. La radioactivité est une donnée de l’environnement, au même titre que les fluctuations du vent ou l’éclairage du soleil; elle explique les neuf dixièmes de l’intense chaleur du noyau terrestre; elle est présente dans le sol, de manière relativement conséquente dans les régions granitiques, ou dans les pierres de construction qui viennent de ces régions; elle inonde, au travers des racines d’abord, puis par le jeu du cycle nutritif, toutes les espèces biologiques, y compris le corps de l’homme, et c’est ainsi qu’est rendue possible la fameuse datation au carbone 14, qui repose sur la mesure de la désintégration d’un isotope radioactif naturellement abondant au sein des tissus. En outre, les rayonnements cosmiques, dont le champ magnétique terrestre ne nous protège que partiellement, baignent la surface terrestre de radiations permanentes, qui témoignent de l’activité nucléaire intense de l’espace sidéral.

Les risques liés à l’énergie nucléaire tiennent donc aux aléas pouvant affecter la mise en œuvre de cette énergie; ils ne résultent pas de l’existence en soi de cette forme d’énergie, dont la présence dans la nature est incontestable. A cet égard, l’effort scientifique et technologique effectué depuis Henri Becquerel et Pierre et Marie Curie pour apprendre à maîtriser cette énergie constitue en soi une garantie de protection pour l’humanité. Car dès lors qu’il est inévitable de vivre en présence des forces qu’elle libère, y compris au travers de ses applications en milieu médical (radiographie) ou industriel (gammagraphie), mieux vaut essayer de connaître et contrôler les mécanismes qui l’animent, plutôt que de prendre le risque de l’ignorer.

Notre rapport d’étape sur la sécurité nucléaire a fait un bilan des conditions de la mise en œuvre de l’énergie nucléaire, aboutissant au constat d’une mobilisation particulièrement importante, en France, pour réduire les risques inhérents à cette forme d’énergie. Évidemment, cet engagement national fort ne garantit en rien un effort de niveau comparable dans d’autres parties du monde. Et c’est une conséquence directe de la portée internationale des pollutions nucléaires que la fermeture d’une centrale nucléaire en France, au motif par exemple qu’elle serait la plus ancienne, indépendamment de toute considération de son réel état de fonctionnement, ne protégerait en rien contre la défaillance d’une centrale nucléaire exploitée à l’extérieur de nos frontières, un peu plus loin sur la surface de la terre.

L’énergie permet la fourniture des services collectifs

La deuxième observation d’importance concerne le fait qu’au delà de l’incontournable obligation première de la sûreté, l’enjeu essentiel d’un système énergétique est d’assurer un approvisionnement suffisant en énergie. Il s’agit de maintenir la continuité des circuits économiques qui sous-tendent les conditions de vie.

A cet égard, il convient de signaler une dérive assez répandue dans les réflexions de prime abord sur le sujet, et qu’on pourrait appeler « le syndrome de l’extrapolation individualiste ». Cela consiste à croire qu’une occasion d’économie, qui paraît de bon sens dans son contexte personnel immédiat, peut fonctionner comme solution à l’échelle de l’ensemble de la société : par exemple, on considère qu’il n’y a plus besoin d’autant de véhicules sur les routes, parce qu’on parvient personnellement à effectuer tous ses déplacements à bicyclette. Certaines œuvres médiatiques contribuent à encourager cette extrapolation abusive, en présentant le tableau idéalisé de communautés minuscules vivant en parfaite harmonie avec la nature sans recours à aucune énergie industrielle, en occultant complètement le fait qu’un tel mode de vie extensif ne permettrait certainement pas d’assurer durablement l’existence d’une population plus nombreuse, surtout dans les concentrations urbaines.

Ce genre de raccourci méthodologique n’est sans doute pas étranger à la montée du relativisme constatée dans nos sociétés, qui encourage un nombre croissant de personnes, indépendamment de toute investigation un peu approfondie, à se sentir « la mesure de toute chose », pour reprendre la formule du sophiste Protagoras. De tels raisonnements négligent, par exemple, que les transports sont essentiels à l'approvisionnement en denrées et en médicaments, que tous les travailleurs n’ont pas la chance d’habiter à proximité de leur lieu d’activité professionnelle, ou que la nature n’est pas toujours spontanément prodigue lorsque trop de bouches à nourrir l’épuise, et qu’il faudra au contraire développer des solutions à fortes économies d’échelle pour assurer l’alimentation et les soins des neuf milliards d’habitants qui vivront sur la planète vers le milieu du siècle.

L’intérêt pour les énergies renouvelables semble également entretenu par ce genre d’extrapolation illusoire. Ainsi la capacité effective de production d’une génératrice éolienne par rapport à une centrale nucléaire, ou la réalité de l’intermittence du vent et du soleil, et les conséquences qui en résultent pour l’approvisionnement en électricité des grandes métropoles, sont assez couramment méconnues, et peu relayées par les médias qui s’attachent surtout à souligner l’aspect « naturel » de ces énergies.

Il faut de l’énergie pour produire de l’énergie

Une troisième considération essentielle, dans le cadre des réflexions sur l’avenir de la filière nucléaire, concerne l’enchaînement historique des générations successives d’énergie qui ont été, l’une après l’autre, mobilisées par l’humanité dans sa marche vers l’amélioration de ses conditions de vie. La mise au point d’une nouvelle forme d’énergie suppose de l’énergie, donc mobilise les formes d’énergies antérieures.

Ainsi, la biomasse, qui est utilisée depuis la préhistoire, a permis la fabrication des premiers outils d’extraction du charbon qui s’est imposé comme énergie dominante au dix-huitième siècle avec la révolution industrielle, et qui demeure aujourd’hui la source majoritaire d’électricité pour la Chine, les Etats-Unis, l’Allemagne. Le pétrole, exploité grâce à des équipements installés dans des usines alimentées au charbon, a pris son essor comme nouvelle source d’énergie stratégique au début du vingtième siècle, tandis que le gaz naturel ne s’est imposé comme forme d’énergie « moderne » qu’après la seconde guerre mondiale.

L’énergie hydraulique et l’énergie éolienne ont été exploitées depuis l’Antiquité, mais avec des moyens de plus en plus puissants au fur et à mesure des progrès de l’industrie, eux-mêmes permis par l’augmentation en capacité des outils de production fonctionnant avec les énergies fossiles.

D’ici la fin du siècle, la fusion nucléaire fournira une illustration évidente de ce que le processus d’exploitation de nouvelles sources d’énergie consomme lui-même de l’énergie, car elle consiste à chauffer un plasma jusqu’à des températures de l’ordre de la centaine de millions de degrés, pour libérer l’énergie résultant de la formation de noyaux atomiques d’hélium par fusion de noyaux atomiques de deutérium et de tritium, et produire ainsi une énergie incommensurablement plus importante que celle mobilisée pour le chauffage du plasma.

Il n’aurait pas été possible d’installer des centrales nucléaires voilà quatre décennies si la solidité des générations antérieures d’énergie n’avait permis de mettre en œuvre les puissances nécessaires à la fabrication de leurs composants. De même, la mise au point des énergies renouvelables profitera de tout l’acquis accumulé jusqu’à nos jours du développement industriel, y compris dans l’approvisionnement énergétique, ce qui fait dépendre, pour partie, leur essor de l’électricité d’origine nucléaire, qui éclaire les laboratoires et fait tourner les ateliers de fabrication.

* *

*

Les énergies « naturelles » sont rendues progressivement de plus en plus exploitables, y compris en termes économiques, grâce aux progrès technologiques, et il ne saurait être question de remettre en cause leur contribution potentielle. Du reste, la loi « Grenelle I » a fixé l’objectif que les énergies renouvelables représentent au moins 23 % de la consommation d’énergie finale à l’horizon 2020. Néanmoins, il s’agit de quantifier leur apport futur sur des bases réalistes, en ne faisant pas l’impasse sur l’inévitable cadencement pluri-décennal de tout déploiement industriel à grande échelle; en l’occurrence, l’enjeu essentiel est la mise au point des dispositifs de stockage d’énergie qui permettront le lissage de leur production, sur des périodes suffisamment longues, voire intersaisonnières.

Notre rapport, parce qu’il émane d’une mission parlementaire ayant en vue l’intérêt général de notre pays à long terme, se positionne par nature sur un plan plus stratégique que d’autres exercices techniques commandés entre-temps par le Gouvernement, notamment l’étude confiée en mai, par le Premier ministre à la Cour des comptes, sur les coûts de la filière nucléaire, ou encore l’analyse d’impact des scénarios énergétiques possibles pour la France à l’horizon 2050, demandée par le ministre de l’industrie à une commission de huit experts, en préparation de la prochaine programmation pluriannuelle des investissements (PPI).

En nous plaçant dans la perspective du siècle, nous nous proposons de justifier l’inscription de l’avenir de la filière nucléaire dans une « trajectoire raisonnée » d’évolution du système énergétique combinant les atouts respectifs de l’énergie nucléaire et des énergies renouvelables, après avoir analysé les raisons de la place de l’énergie nucléaire dans le système énergétique français, puis fait le bilan des contraintes techniques pesant sur les options d’adaptation possibles.

I - UNE FILIÈRE ADAPTÉE AU CONTEXTE NATIONAL

L’avenir de la filière nucléaire au sein du système énergétique français ne saurait s’envisager sans prendre en considération les diverses contraintes qui ont modelé les structures nationales d’approvisionnement en énergie, ni le rôle fondamental joué par l’énergie dans la réponse à certaines priorités économiques, sociales ou environnementales. Ces priorités relèvent d’enjeux relatifs notamment à la couverture du besoin en électricité, à l’indépendance énergétique, au renforcement du tissu économique, et aux émissions de gaz à effet de serre.

A. UNE IMPORTANCE DIFFÉRENTE SELON LES CONTEXTES NATIONAUX

Comme la mission a pu le constater au cours de ses déplacements en Allemagne et au Japon1, et lors de l’audition du 27 octobre 2011 sur les politiques de l’énergie en Europe2, les choix énergétiques dépendent des spécificités nationales et des processus historiques.

En raison des conséquences écologiques et sanitaires possibles de ces choix, susceptibles de dépasser le cadre des frontières étatiques, la coopération internationale est indispensable. Le choix de la filière nucléaire doit être accompagné de garanties, c’est-à-dire d’un contexte scientifique, politique et juridique propice à son développement dans les meilleures conditions de sûreté possibles.

1. LA PRÉPONDÉRANCE PÉRENNE DES ÉNERGIES FOSSILES

Si les choix énergétiques dépendent de spécificités nationales – et ont été peu modifiés à la suite de l’accident de la centrale de Fukushima, à quelques notables exceptions près – ils sont aussi déterminés sous contrainte d’une demande fortement croissante, notamment dans les pays émergents. Pour répondre aux défis de la croissance démographique et du développement économique, l’alternative énergétique principale demeurera, au cours des prochaines années, entre énergies fossiles et énergie nucléaire, et ce malgré le rôle croissant que les énergies renouvelables ont vocation à jouer.

L’absence de « solution miracle » à court et moyen terme

D’après l’Agence internationale de l’énergie (AIE), dont un représentant a été entendu par la mission lors de l’audition du 27 octobre 2011, peu avant la sortie de son panorama annuel de l’énergie, la demande mondiale d’énergie augmentera d’un tiers entre 2010 et 2035, 90 % de cet accroissement provenant des pays hors OCDE, notamment la Chine dont la consommation sera de 70 % supérieure à celle des États-Unis en 2035.

Pour répondre à cette demande toujours croissante, les énergies fossiles (pétrole, gaz naturel, charbon) demeureront le principal recours. Elles fournissent aujourd’hui 81 % de l’énergie primaire et 67 % de la production électrique mondiale (2009). Leur part diminuera toutefois progressivement au cours des prochaines années : elles représenteront 75 % de l’énergie primaire en 2035 si les politiques actuelles sont poursuivies et 62 % si le scénario dit « 450 » , grâce auquel le réchauffement climatique serait limité à 2° C, se réalisait.

La demande d’énergie fossile continuera à croître au cours du prochain quart de siècle, y compris pour le charbon pendant au moins encore une décennie. Le charbon, d’utilisation très ancienne (depuis l’Antiquité), symbole de la révolution industrielle, demeure la seconde source d’énergie primaire (27 %) après le pétrole (33 %). Il connaît aujourd’hui un nouvel essor, en lien avec le développement des pays émergents. La production de charbon a, en effet, été multipliée par plus de cinq en Chine et en Inde en trois décennies (1973-2005). Pour ces deux pays, il représente la grande majorité des ressources énergétiques fossiles disponibles sur leur territoire. Le charbon continue, par ailleurs, à jouer un rôle important aux États-Unis, qui en est le deuxième producteur mondial après la Chine. D’après les projections de l’AIE, le charbon pourrait l’emporter à nouveau sur le pétrole d’ici à 2035, si les politiques actuelles étaient poursuivies. Si les politiques étaient infléchies dans un sens plus favorable au climat, la consommation de charbon se stabiliserait d’ici 2020.

Le gaz naturel est la seule énergie fossile dont la part dans le bouquet énergétique mondial (21 % en 2010) pourrait s’accroître d’ici 2035, tirée par la demande du secteur électrique, avec une part croissante de gaz non conventionnels susceptibles de freiner les prix dans certaines zones (États-Unis). Le gaz est l’énergie fossile la moins génératrice de CO23, mais avec néanmoins un impact de long terme sur le climat, puisque les investissements consentis ont vocation à fonctionner pour de nombreuses années. Le gaz présente d’autres inconvénients à long terme : un coût variable, qui a vocation à augmenter, et une sécurité d’approvisionnement incertaine.

La principale alternative aux énergies fossiles demeurera au cours des prochaines années l’énergie nucléaire. Celle-ci représente 6 % de l’énergie primaire et 13 % de la production électrique de la planète. La France, qui produit annuellement 410 TWh pour une puissance installée de 63 GW, est le pays où la part de l’énergie nucléaire dans la production électrique nationale est la plus grande (76 %), loin devant l’Ukraine (48 %), le Japon (27 %), l’Allemagne (23 %), les États-Unis (20 %), le Royaume-Uni (19 %), la Russie (16 %) ou la Chine (2 %). D’après les projections de l’AIE, la production électronucléaire pourrait croître de 70 % au cours du prochain quart de siècle, tirée par la Chine, la Corée et l’Inde.

La croissance des énergies renouvelables sera rapide : dans le secteur de l’électricité, les énergies renouvelables, hydraulique et éolienne en tête, représenteront la moitié de la nouvelle puissance installée d’ici 2035. Toutefois, cette croissance ne leur permettra d’atteindre le niveau d’aucune des trois énergies fossiles au cours du prochain quart de siècle.

Pour des raisons tant techniques qu’économiques, et aussi en conséquence du fort investissement consenti dans le passé pour le développement des énergies fossiles et nucléaire, l’alternative se situera pour une très large part, pendant encore de nombreuses années, entre ces deux types d’énergie. On ne peut donc pas éluder le débat sur leurs coûts économiques, écologiques et sanitaires respectifs, ce qui ne doit pas empêcher de préparer le long terme par le développement de technologies et de filières plus performantes.

Des choix inscrits dans le temps long

L’accident de Fukushima doit conduire les pays ayant choisi de développer une filière nucléaire à repenser les conditions de la sûreté face à des catastrophes naturelles majeures, ce que font les pays européens. De façon analogue, les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl avaient entraîné d’importantes modifications des centrales existantes et le développement de nouveaux modèles dits de troisième génération (EPR, AP1000 et leurs concurrents), dotés de nouveaux dispositifs de sûreté.

A cette réserve près – et elle est d’importance4 - les pays moteurs du développement de l’énergie nucléaire n’ont que peu modifié leurs choix énergétiques depuis l’accident survenu à la centrale de Fukushima. Le Japon fait évidemment figure d’exception dans ce paysage, comme la mission a pu le constater sur place5.

La plupart des pays inscrivent toutefois leur politique énergétique dans la continuité :

• Les primo-accédants maintiennent leur intérêt pour la mise en place de réacteurs nucléaires (Maroc, Vietnam, Arabie saoudite, Égypte, Jordanie, Tunisie, Chili, Thaïlande), de même que les pays venant d’engager un programme (Émirats Arabes Unis, Turquie) ;

• Les pays disposant déjà d’un parc significatif maintiennent eux aussi les objectifs qu’ils s’étaient assignés (Grande-Bretagne, Afrique du sud, Finlande, République tchèque, Chine, Corée du sud, Russie, Inde). Aux États-Unis, le ralentissement du programme est la conséquence de la progression de l’exploitation des gaz de schiste et de l’absence de réglementation sur le carbone.

Énergie nucléaire : la plupart des pays s’inscrivent dans la continuité

Quelques exemples particulièrement notables ont été examinés plus précisément par la mission :

• La décision prise en Allemagne d’arrêter les centrales nucléaires à l’horizon 2022 fut, certes, une surprise, mais cette option avait été préparée dès 2002 par la coalition des Socio-démocrates et des Verts. Comme la mission a pu le constater lors de son déplacement dans ce pays6, l’objectif ambitieux fixé par la chancelière Angela Merkel est réalisable, moyennant plusieurs contreparties :

- d’une part, l’Allemagne peut compter sur d’importantes ressources en lignite dont les réserves sont garanties pour 350 ans ;

- d’autre part, d’importants efforts seront réalisés non seulement dans le domaine des énergies renouvelables mais aussi dans celui des centrales thermiques à flamme ;

- enfin, la décision allemande implique aussi, au moins à court terme, une augmentation des importations d’électricité (y compris nucléaire) et, à plus long terme, des importations de gaz, notamment en provenance de Russie.

La mise en service récente7 du gazoduc Nord Stream reliant directement la Russie à l’Allemagne par la mer Baltique est une illustration de cette évolution. Elle traduit concrètement une dépendance accrue des pays de l’Union européenne vis-à-vis du gaz russe. Il faut rappeler ce qu’a signifié cette dépendance en 2009 pour un pays comme l’Ukraine, qui a subi une coupure d’approvisionnement en gaz à la suite d’un différend commercial8.

A cet égard, il faut souligner ce que serait la situation de la France si une décision comparable à celle prise en Allemagne y était mise en œuvre : ne disposant pas de ressources analogues dans son sous-sol, elle ne pourrait qu’accroître massivement ses importations de gaz, avec des conséquences lourdes en termes de balance commerciale et d’indépendance énergétique.

• Le Royaume-Uni est confronté au double défi d’accroître son indépendance énergétique, dans un contexte où il devient importateur net d’hydrocarbures, et de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, avec un objectif de diminution de 80 % entre 1990 et 2050. En conséquence, ce pays soutient simultanément le développement des énergies renouvelables et le renouvellement de ses capacités de production nucléaire aujourd’hui vieillissantes – tous les réacteurs devant être arrêtés d’ici 2024 (sauf un).

Cette détermination n’a pas été remise en cause récemment, le gouvernement, comme l’opposition, demeurant favorables au renouveau du potentiel d’énergie nucléaire. Le calendrier a néanmoins été quelque peu modifié, un rapport ayant été demandé à l’autorité de sûreté sur les enseignements à tirer de l’accident de Fukushima. Par ailleurs, la décision prise en Allemagne modifie les équations financières des industriels du continent : ainsi le consortium « Horizon » (RWE et E.ON) pourrait être restructuré en vue de diminuer les parts de ces entreprises, d’origine allemande. Fukushima a, en tout état de cause, accru le risque « politique » dans le contexte d’un secteur où les investissements requis nécessitent l’assurance d’une certaine stabilité.

Les orientations de notre voisin d’outre-manche impliquent aussi d’importants investissements de modernisation d’un réseau vieillissant et peu adapté à l’exploitation du potentiel en énergies renouvelables, principalement situé au nord du pays. Il semble en effet aujourd’hui que le rythme de développement des énergies renouvelables au Royaume-Uni ait excédé la capacité d’intégration de ce supplément d’intermittence sur le réseau, comme c’est d’ailleurs aussi le cas en Allemagne, ce qui a généré des coûts pour le consommateur et retardé la réalisation des objectifs fixés.

• Une délégation s’est rendue au Japon9, afin d’apprécier l’incidence de l’accident de Fukushima sur l’avenir de l’énergie nucléaire dans ce pays.

Il ressort de ce déplacement que le Japon s’est engagé à court terme dans un mouvement d’arrêt accéléré de ses réacteurs nucléaires, qui pourrait conduire, d’ici l’été 2012, à l’extinction complète d’un parc qui fournissait, avant l’accident de Fukushima, 27 % de l’électricité japonaise.

A moyen terme, une redéfinition de la stratégie énergétique est engagée. Elle pourrait déboucher sur une diversification du bouquet énergétique, incluant le maintien d’une composante nucléaire à la sûreté renforcée, mais aussi un recours massif, au moins à court terme, aux importations d’hydrocarbures.

La politique énergétique japonaise se situe donc à un tournant : il y aura bien évidemment un « avant » et un « après » Fukushima. Le redéploiement du bouquet énergétique n’y concerne toutefois qu’une part limitée de la production électrique, soit entre 20 % et 30 %, comme en Allemagne. Loin de refléter une expérience trop particulière pour qu’il en soit tiré de quelconques enseignements généraux, le cas japonais nous montre ce que serait la réalité d’une transition rapide vers les énergies renouvelables, impliquant inéluctablement, au moins à court terme, l’importation massive de combustibles fossiles.

Par ailleurs, l’exemple japonais confirme que le développement d’une filière nucléaire ne peut se satisfaire d’approximations ni de compromis. Comme l’a indiqué le rapport d’étape de la mission, la sous-estimation de l’aléa tsunami par les autorités et industriels japonais fut manifeste, ce que le gouvernement de ce pays a reconnu.

Cela illustre a contrario, la nécessité de mettre en place un processus d’amélioration continue de la sûreté, basé sur des fondations non seulement industrielles mais aussi juridiques, seules garantes de l’acceptabilité de l’énergie nucléaire.

2. LES CONDITIONS INDUSTRIELLES ET JURIDIQUES DE LA SÛRETÉ

L’acceptabilité de l’énergie nucléaire suppose qu’elle se développe dans des conditions de sûreté crédibles, c’est-à-dire au sein d’un cadre juridique et industriel adapté.

Le cadre industriel

Le cadre industriel est essentiel à la crédibilité de l’énergie nucléaire : tout système de sûreté repose en effet sur la responsabilité première de l’exploitant de l’installation nucléaire. A cet égard, une filière cohérente ne doit être ni trop diluée, ni trop intégrée.

La cohérence de la filière française, telle qu’elle s’est développée historiquement, est un atout du point de vue de la sûreté. Elle permet une mise en commun des moyens et retours d’expérience. En cas de crise, par exemple, elle permet d’envisager une solidarité accrue entre des sites fonctionnant de façon similaire. Vos rapporteurs ont toutefois souligné dans leur rapport d’étape l’importance du facteur humain dans la gestion de la sûreté. A ce propos, ils ont regretté l’évolution des pratiques de sous-traitance de la maintenance et de l’exploitation, qui, si elles comportent une part inéluctable, ne doivent toutefois pas conduire à une dilution des responsabilités susceptible de fragiliser les conditions de sûreté.

Par ailleurs, l’organisation d’une offre cohérente, compétitive à l’exportation, ne doit pas conduire à la mise en place d’un système monolithique entièrement intégré, qui présenterait deux inconvénients majeurs, l’un interne et l’autre externe : en France, cela nuirait aux efforts en faveur de la transparence, qu’une pluralité d’acteurs aux intérêts différents facilite; à l’étranger, une offre intégrée pourrait être vécue comme contraignante pour les pays qui souhaitent, à terme, pouvoir faire jouer la concurrence internationale sur les services.

Le maintien de l’autonomie du prestataire Areva par rapport à l’exploitant EDF est le gage d’une pluralité cohérente, préférable à l’intégration monopolistique. Le dialogue avec les partenaires permet, mieux que le monologue, de faire avancer les enjeux de sûreté.

La cohérence de l’offre ne saurait toutefois impliquer une délégation complète de gestion à des prestataires industriels. Le contrôle de sûreté implique une appropriation nationale de la technologie, car il renvoie à la responsabilité de chaque État d’assurer la sécurité sur son territoire. Le choix de l’énergie nucléaire doit aussi être celui d’un « système » complet intégrant aussi des solutions à la question de la gestion des déchets ultimes.

Le cadre juridique

Le développement d’une production électronucléaire n’est acceptable qu’à condition d’être contrôlé par un régulateur spécialisé indépendant, à l’autorité et à la crédibilité incontestées. Les procédures d’autorisation, de poursuite d’exploitation doivent être définies, assorties de modalités de consultation. La gestion des situations d’urgence doit être préparée par des plans préétablis comportant des dispositions propres à la gestion de crise nucléaire. L’acquisition d’une véritable culture de sûreté, incluant son amélioration continue par la prise en compte des « retours d’expérience » nationaux et étrangers, est indispensable.

La transparence est bien évidemment aussi l’un des aspects essentiels de ce cadre juridique. L’acceptabilité sociale de l’énergie nucléaire est par ailleurs améliorée lorsque les décisions sont prises pour des temps limités, donc réversibles, sujettes au débat démocratique.

Pour les primo-accédants, cet apprentissage est un long processus qui ne saurait être envisagé en moins de deux décennies et qui doit s’accompagner d’une coopération internationale accrue au cours des premières années, afin d’optimiser la courbe d’apprentissage.

Le croisement international des regards est plus généralement utile, afin d’élargir la base des retours d’expérience et d’harmoniser les bonnes pratiques. Vos rapporteurs ont déjà souligné dans leur rapport d’étape qu’à leurs yeux la coopération internationale n’a aucunement vocation à supplanter à terme les contrôles nationaux, seuls à même d’être suffisamment efficaces pour garantir la sûreté. L’échelon international a toutefois vocation à vérifier l’existence d’un cadre adapté et à accompagner les évolutions nécessaires dans les pays souhaitant accéder à l’énergie nucléaire ou accroître leur production électronucléaire.

B. UNE RÉPONSE FRANÇAISE À QUATRE PRIORITÉS STRATÉGIQUES

L’industrie nucléaire s’inscrit ainsi dans un contexte national spécifique. La production électrique d’origine nucléaire nous a en effet permis de répondre à quatre priorités stratégiques, dont l’importance est toujours d’actualité et sur lesquels un retour en arrière ne signifierait rien d’autre qu’un affaiblissement du pays.

La première priorité est une production électrique suffisante et adaptée, en énergie et en puissance. La deuxième est l’indépendance énergétique, tant dans l’approvisionnement que dans le savoir faire. La troisième est la préservation du développement de notre tissu économique et industriel par une énergie peu chère et de qualité. La quatrième est la neutralité environnementale de notre outil de production électrique.

1. UNE OFFRE AJUSTÉE EN ÉLECTRICITÉ

Le modèle français de production d’électricité repose, pour un peu plus des trois-quarts, sur l’outil électronucléaire. Complété par un parc hydroélectrique très développé et proche de son niveau maximal, par un parc de centrales thermiques à flamme indispensables pour couvrir les pointes de demande d’électricité, et par un ensemble croissant de moyens de production basés sur les énergies renouvelables, le bouquet électrique français est à la fois atypique et historiquement justifié par l’absence de réserves fossiles sur le territoire.

Le choix de l’énergie nucléaire, confirmé par tous les Présidents et Gouvernements de la Ve République, s’inscrit ainsi dans la durée, sa prépondérance étant le résultat de la croissance exponentielle de la consommation électrique, tirée par une démographie et une économie orientées à la hausse. La montée en puissance de la production nucléaire, d’à peine plus de 10 TWh en 1973 à plus de 400 TWh aujourd’hui, poussée par le quadruplement de la consommation électrique sur la même période, s’est accompagnée d’une réduction de la production thermique classique, l’énergie nucléaire se substituant massivement au fioul pour la production d’électricité.

En effet, au cours des trente dernières années, la consommation intérieure d’électricité s’est accrue deux fois plus vite que la consommation d’énergie, en passant d’un peu plus de 150 TWh au début des années 1970 à près de 500 TWh aujourd’hui.

Vos rapporteurs s’inscrivent dans la continuité de ces choix en insistant sur l’apport essentiel de l’énergie nucléaire en tant qu’outil de production d’électricité en base.

En effet, les besoins en matière électrique se sont multipliés et diversifiés, avec le développement des technologies de soin, l’apparition de nouveaux procédés industriels, l’extension de la chaîne du froid, les outils de signalisation ou la démocratisation des matériels électroniques et de l’informatique.

Dans le secteur résidentiel tertiaire, la consommation d’électricité est ainsi passée de 59 TWh au début des années 1970 à près de 300 TWh aujourd’hui.

L’audition publique du 3 novembre 201110 a confirmé l’impact des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la consommation électrique, pour une part pouvant représenter 13,5 % en 2008. Il est important de prendre conscience de la tendance lourde, à la hausse, de cette composante de consommation électrique tirée par des appareils qu’il n’est parfois même plus possible d’éteindre totalement, sauf à les débrancher du secteur.

Face aux variations saisonnières de la consommation électrique, le recours au parc électronucléaire s’opère pour partie en suivi de charge, ce qui conduit parfois à faire fonctionner des réacteurs en sous régime, voire à les arrêter. Cette utilisation en suivi de charge n’est possible que dans une certaine mesure, mais permet de diminuer le recours aux centrales à flamme, et de réduire d’autant les émissions de CO2.

Le choix de l’électricité nucléaire a donc permis de disposer d’un outil assez puissant pour couvrir en quantité suffisante les besoins d’électricité liés aux évolutions des modes de consommation.

2. L’INDÉPENDANCE ÉNERGÉTIQUE

La France importe la quasi-totalité des hydrocarbures qu’elle consomme, pour un montant supérieur à 45 milliards d’euros.

Pourtant son taux d’indépendance énergétique est proche de 50 %, grâce à la production électronucléaire. Entre 1950 et 1973, ce taux s’était effondré de 60 % à 22 % en raison du déclin de la production charbonnière nationale.

Les approvisionnements français en uranium, environ 8.000 tonnes par an pour un montant de 200 millions d’euros, sont sécurisés par une provenance depuis plusieurs régions du monde : Afrique, Australie, Canada. Le groupe Areva détient ainsi 16 % de la production mondiale d’uranium.

Le retraitement des combustibles usés à l’usine de La Hague permet en outre d’alimenter deux filières de recyclage, jusqu’à concurrence d’environ 17 % du flux annuel d’approvisionnement des réacteurs : l’une basée sur le combustible MOX, qui mélange du plutonium issu du retraitement et de l’uranium appauvri venant des usines d’enrichissement ; l’autre basé sur le ré-enrichissement de l’uranium issu du retraitement, opération longtemps effectuée à l’étranger, et pour laquelle la France va disposer d’une capacité industrielle en propre grâce à la récente mise en service de l’usine d’enrichissement par centrifugation Georges Besse II.

L’indépendance énergétique de la France se trouve donc consolidée par l’autonomie technologique de notre industrie nucléaire, qui maîtrise tous les procédés qu’elle utilise ; elle exporte du savoir et du savoir faire bien plus qu’elle n’en importe.

Enfin, la structure de coût de la production nucléaire rend le prix de l’électricité française très peu dépendant des fluctuations des cours de l’uranium.

D’un point de vue géostratégique, une moindre dépendance vis-à-vis des hydrocarbures importés est essentielle pour préserver nos marges de manœuvre diplomatiques. A cet égard, il est important pour la France et l’Union européenne que les projets de gazoducs connectant directement les réserves de gaz naturel d’Asie centrale au rivage de la Turquie soient menés à bien.

En tout état de cause, toute évolution de notre bouquet électrique ne saurait passer par une diminution de notre taux d’indépendance énergétique.

3. LA PRÉSERVATION DU DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE

Comme l’ont illustré à rebours les chocs pétroliers, la disponibilité en énergie constitue une composante essentielle de la croissance économique. L’énergie nucléaire, avec son coût de production à la fois bas et stable, a fourni une assise de long terme à la croissance en France.

L’avantage de coût de l’électricité nucléaire est illustré par l’étude récente de l’Union française d’électricité « Électricité 2030 : quel choix pour la France ? » qui montre qu’une réduction de 75 % à 20 % du parc nucléaire aboutirait à l’horizon 2030, malgré le développement des énergies renouvelables qui mobiliserait par contrecoup des centrales à flamme, à un quasi doublement du prix de l’électricité : 126 à 211 €/MWh pour les particuliers, 78 à 148 €/MWh pour les entreprises.

La stabilité du coût du kWh d’électricité nucléaire résulte de sa faible sensibilité à l’évolution du prix de l’uranium qui n’entre que pour une part de 15 à 20 % dans sa formation, contre 70 % dans le cas de la production d’électricité à partir du gaz « naturel ». Entre 1974 et 1985, l’électricité d’origine nucléaire a ainsi bénéficié en France d’une confortable marge de compétitivité vis à vis des productions à base d’énergies fossiles; le contre-choc pétrolier a réduit ensuite cet avantage jusqu’en 1998, qui a repris de l’importance depuis cette date.

Le coût relativement bas et stable de l’électricité a représenté un avantage macroéconomique sur longue période. Une manière d’estimer cet avantage consiste à modéliser le scénario rétrospectif d’une économie française sans énergie nucléaire. Une étude de 1991 utilisant le modèle Mélodie a été ainsi construite sur l’hypothèse d’un développement de l’électricité reposant exclusivement, à partir de 1970, sur la construction de centrales au charbon : un effet d’entraînement moindre de l’investissement se combine alors à un niveau plus élevé du prix de l’électricité et au freinage de demande induit par la détérioration du solde extérieur pour réduire le taux de croissance d’environ 1,5 point par rapport à l’évolution constatée du PIB11. C’est un ordre de grandeur, assez comparable à celui d’un choc pétrolier, qui reste d’autant plus d’actualité qu’une substitution par des énergies renouvelables, et non plus par du charbon, aurait un impact à la hausse encore plus fort sur le prix de l’électricité.

A côté de son impact macroéconomique à travers la baisse du coût de l’énergie, la filière nucléaire a aussi un apport sectoriel propre à la valeur ajoutée du pays, à hauteur de 2 % du PIB en 2009, d’après l’étude rendue en mai 2011 par PriceWaterHouse à Areva sur « Le poids socio-économique de l’électro-nucléaire en France ». La même étude met en avant une contribution à hauteur de 2 % à l’emploi total, soit l’équivalent de 410.000 postes, dont 125.000 emplois directs, les emplois induits résultant des commandes des entreprises de la filière, et des dépenses des salariés. C’est une contribution équivalente à celle du secteur de la construction ou de la maintenance aéronautique. Comme cette dernière, la filière électronucléaire génère en outre des activités de recherche et développement qui contribue à la croissance par un effet d’externalité de diffusion du progrès technique.

L’avantage en termes de prix de l’électricité nucléaire permet, à nombre de nos concitoyens en situation difficile, d’éviter de tomber dans la précarité énergétique du simple fait d’une tension sur les marchés mondiaux. Il permet, en outre, d’éviter les risques de délocalisation d’activité et de destruction de PME que pourrait provoquer la délivrance d’une énergie moins fiable et plus chère, à l’image de ce qu’on observe au Japon en réaction à l’arrêt progressif, mais inexorable, de l’ensemble des centrales nucléaires suite à l’accident de Fukushima.

4. LA NEUTRALITÉ ENVIRONNEMENTALE

Dans le contexte international de lutte contre le changement climatique, le recours à l’énergie nucléaire présente l’atout incontestable de délivrer une puissance considérable sans émettre de gaz carbonique, sauf celui résultant de l’utilisation d’énergies fossiles dans certaines phases du cycle du combustible nucléaire (extraction de l’uranium, préparation du combustible, transports).

Les données fournies par l’Agence internationale de l’énergie sur les émissions de CO2 par pays montre que la France, avec 90 grammes par kWh, est globalement mieux placée que le Danemark avec 303 grammes par kWh, et surtout que l’Allemagne, qui émet 430 grammes par kWh. Pour produire une unité de PIB, la France diffuse deux fois moins de CO2 que l’Allemagne.

L’importance prise par la consommation électrique dans notre pays crée en revanche une forte dépendance vis-à-vis des moyens de production à flamme au moment de la pointe d’hiver : un écart d’un degré par rapport aux températures « normales » déclenche un besoin de 2100 MW de puissance supplémentaire, qui doit être appelé par mobilisation de centrales à flamme, ce qui entraîne un pic d’émission « marginale » de gaz carbonique.

Ce phénomène est la conséquence directe de ce que les moyens de stockage de l’électricité ne sont pas encore disponibles en quantité suffisante; il n’a rien de spécifique à l’énergie nucléaire, et serait tout aussi bien déclenché par un parc constitué pour l’essentiel de sources éoliennes ou solaires. Les solutions préconisées par le rapport d’avril 2010 de Serge Poignant, député, et de Bruno Sido, sénateur, sur la maîtrise de la pointe électrique12 ont été mises en œuvre dans le cadre de la loi du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, dite loi « NOME »; elles prévoient notamment des procédures d’effacement volontaire des consommateurs, ainsi qu’une obligation pour chaque fournisseur d’acquérir une capacité de puissance en lien avec sa part de marché.

Le rapport rendu au nom de l’OPECST par MM. Claude Birraux et Christian Bataille en décembre 2009 sur la performance énergétique des bâtiments13 a dénoncé l’erreur méthodologique consistant à imputer à l’énergie nucléaire les émissions « marginales » de la pointe hivernale de demande d’électricité, en démontrant que les comparaisons de performance devaient prendre en compte les émissions « moyennes marginales » de l’électricité française.

II - LES CONTRAINTES D’UNE DÉMARCHE DE SUBSTITUTION

De même que l’importance donnée à la filière nucléaire dépend des conditions géographiques et historiques des pays concernés, de même les évolutions du contexte énergétique et technologique sont appelées à jouer un rôle dans le devenir de cette filière, en rehaussant éventuellement l’intérêt relatif des solutions alternatives. Vos rapporteurs se sont donc efforcés de réaliser, à travers les auditions qu’ils ont organisées, une évaluation réaliste des perspectives offertes par la démarche d’économie d’énergie, ou l’exploitation des énergies renouvelables, ou même un retour aux énergies fossiles. Toute hypothèse de réajustement du bouquet énergétique ne doit cependant pas faire perdre de vue la double obligation de maintenir la sûreté des installations nucléaires existantes, et d’assurer la gestion des déchets radioactifs déjà produits.

A. L’OBJECTIF PRIORITAIRE D’UNE CONSOMMATION MAÎTRISÉE

Les économies d’énergie constituent de loin la solution de substitution la plus avantageuse pour toute source d’énergie, car elles réduisent la dépense courante, tout en permettant à terme une diminution de l’investissement en capital sur les capacités de production concernées. Pour autant, les économies d’énergie ne peuvent pas toujours se concevoir sur le seul mode de l’ajustement volontaire des comportements; elles supposent parfois, comme c’est le cas pour les bâtiments, l’établissement d’un cadre contraignant, et il est essentiel alors que ce cadre soit efficace. En outre, l’expérience montre que la tentation est forte pour le consommateur de réaffecter la part du revenu économisé à d’autres dépenses d’énergie, directes ou indirectes, ce qui alimente autant d’effets « rebond ».

1. LES RÉSISTANCES AUX ÉCONOMIES D’ÉNERGIE

Les économies d’énergie visent des consommations excessives qui peuvent être éliminées, mais il faut distinguer d’emblée deux modalités de consommations excessives : celles qui correspondent à un véritable gaspillage de désinvolture ou de négligence, dont l’élimination est possible sans aucune adaptation technique, comme lorsqu’on veille à ne pas laisser une lampe allumée en plein jour; on parle à ce propos de « sobriété énergétique »; et celles qui résultent de ce que des équipements plus performants permettent de couvrir les mêmes besoins avec moins d’énergie; on parle alors d’« efficacité énergétique ».

Qu’il s’agisse de l’une ou l’autre modalité, il n’existe que deux manières pour obtenir une évolution vers une consommation moindre : le prix ou la normalisation, la normalisation n’étant en fait qu’une manière de faire jouer une forme de contrainte organisée. On peut aussi imaginer un ajustement massif des comportements individuels, complété par une montée générale du degré d’exigence vis à vis de la performance des équipements, et il faut évidemment créer les circonstances les plus favorables pour l’obtenir, en faisant appel aux campagnes médiatiques et à l’exemplarité; mais mieux ne vaut pas céder en la matière au « syndrome de l’extrapolation individualiste » évoqué en introduction.

La régulation de la sobriété et de l’efficacité énergétique par le prix fonctionne spontanément dans le cas où des arbitrages de court terme sont possibles; par exemple, lorsqu’on a été « traumatisé » par sa dernière facture d’électricité ou de gaz, et qu’on décide désormais de « faire attention ». Pour les entreprises, le prix de l’énergie joue comme une contrainte de rentabilité, et conduit même à des arbitrages de long terme : lorsque la concurrence les empêche de simplement répercuter les surcoûts qu’elles subissent, elles sont incitées à investir dans des processus ou des équipements moins gourmands en énergie pour réduire leurs charges.

Cependant un niveau élevé du prix de l’énergie a aussi un effet de freinage de l’économie, et donc une incidence directe en termes de chômage; en outre, il met en difficulté la partie de la population en situation de « précarité énergétique ». Une stratégie délibérée d’énergie chère pour contraindre à une meilleure maîtrise de la consommation et stimuler les technologies de l’efficacité énergétique n’est donc pas concevable dans une démarche au service de l’intérêt général.

La normalisation constitue ainsi un instrument plus adapté lorsqu’il s’agit d’effectuer des choix d’équipement engageant pour longtemps, lorsqu’il existe un risque de découvrir a posteriori une éventuelle défaillance quant à la performance énergétique, et lorsque les clients concernés sont trop nombreux pour pouvoir disposer tous des revenus suffisants pour réagir à leur déconvenue en effectuant un nouvel effort financier lourd. En fait, la normalisation, qui consiste à rendre publiques des vérifications techniques réalisées en amont par des spécialistes, vient en quelque sorte compenser la difficulté à disposer a priori d’une information sur la performance réelle des équipements.

Du reste, même dans le cas où un client qui se considérerait lésé aurait les moyens de revendre et d’effectuer un nouvel achat, il laisserait sur le marché un bien qui ne serait pas optimisé du point de vue énergétique, qui pourrait peut-être trouver preneur à moindre prix, mais qui resterait dans le parc des équipements tout au long de sa durée de vie, continuant à générer des dépenses d’énergie excessives. Par ce biais, la défaillance technique est subie par l’ensemble de la collectivité, et pour longtemps : on estime, par exemple, la durée moyenne de vie des constructions d’habitation à cent ans.

Dans une stratégie de maîtrise énergétique, la normalisation est donc appelée à jouer un rôle essentiel pour tous les biens d’équipements lourds non professionnels, en particulier les automobiles et les bâtiments. Or justement les deux secteurs « Transports » et « Résidentiel-tertiaire » représentent des parts très importantes de la consommation primaire d’énergie : respectivement 31 % et 43 % en 2009 pour la France.

Cependant la normalisation soulève deux questions : Qu’est-ce qu’on normalise ? Et comment on normalise ? La première question renvoie à l’alternative classique entre la fixation de contraintes de moyens et la fixation de contraintes d’objectifs; la seconde question invite à examiner la manière dont les procédures suivies garantissent la transparence de la fixation des normes.

Dans le domaine des transports, ces deux questions sont déjà résolues implicitement par l’évaluation de la performance des véhicules en quantité d’essence consommée par kilomètre. Cette évaluation est non seulement passée dans la culture populaire (le fameux « nombre de litres au cent »), mais elle est de surcroît confrontée à une possibilité de vérification immédiate et facile : n’importe quel automobiliste peut très rapidement comparer le chiffre figurant sur son compteur kilométrique au nombre de « plein(s) » qu’il a faits. Les firmes produisant de « belles américaines » voraces en essence s’en sont rendues compte à leurs dépens au cours des dernières décennies.

De ce point de vue, le système du « bonus-malus » qui vise directement la performance en émission de CO2 des véhicules, et qui semble avoir mis la France en position avantageuse en Europe s’agissant de la consommation unitaire des automobiles, constitue un bonne illustration de la différence entre la sobriété énergétique, c’est à dire l’élimination des gaspillages évidents par simple contrôle des factures, et l’efficacité énergétique, qui progresse plutôt par la normalisation, car elle met en jeu plus finement la performance intrinsèque des équipements.

Dans le domaine des bâtiments, la mesure de la performance énergétique est a priori moins aisée, pour deux raisons essentielles qui brouillent les possibilités de comparaison : d’une part, le parc des bâtiments est beaucoup plus hétérogène que le parc des véhicules, notamment parce que la construction, malgré les progrès de la préfabrication, se prête moins bien aux principes uniformisateurs du « fordisme »; d’autre part, les conditions de fonctionnement des bâtiments sont plus diversifiées puisqu’elles changent selon le climat, le contexte d’urbanisation, l’exposition solaire, l’orientation par rapport aux vents dominants, la taille, la destination privative, professionnelle, industrielle ou commerciale, le nombre d’occupants, sans compter les aléas auxquels se trouve également soumise la consommation de carburants dans les transports, comme les fluctuations saisonnières, ou encore la conscience écologique et l’esprit d’économie des utilisateurs.

Cette complexité a justifié la mise en place à partir de 1974 d’une approche normative de la performance énergétique des bâtiments, conduisant à l’élaboration de réglementations thermiques successives (RT 1988, RT 2000, RT 2005), jusqu’à la RT 2012 actuellement en cours de mise en œuvre. Elle explique aussi la prédominance des objectifs de moyens par rapport aux objectifs de résultats dans l’ensemble des prescriptions formulées, ces prescriptions devenant de plus en plus sophistiquées au fur et à mesure de la différenciation de plus en plus fine des situations considérées.

L’OPECST a publié en décembre 2009, en conclusion d’une étude menée par Claude Birraux et Christian Bataille, à la suite d’une saisine introduite dans la loi « Grenelle I » par un amendement de son rapporteur au Sénat, Bruno Sido, également membre de l’OPECST, un rapport intitulé « La performance énergétique des bâtiments : comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ». Sans revenir sur le détail de leurs analyses, vos rapporteurs, y ont exprimé leur préoccupation que la réglementation soit réorientée autour de deux axes, qui ont servi de fils directeurs à l’audition publique du 3 novembre 201114 :

- d’une part, la priorité n’est plus d’affiner indéfiniment, à force d’études de cabinets spécialisés, les prescriptions relatives à des objectif de moyens, mais d’élaborer des protocoles de mesure du respect d’objectifs de résultats. Le consommateur final s’attend à ce que les progrès de la réglementation thermique lui assurent une diminution effective et sensible de ses factures d’énergie. L’argument généralement opposé de la diversité non maîtrisable des comportements de consommation n’est pas solide. Le projet Homes15 porté par Schneider sur la gestion active de l’énergie montre notamment qu’il est possible de surmonter cette diversité des situations par une insertion pertinente de systèmes de mesure accessibles aux occupants;

- d’autre part, les prescriptions techniques relatives notamment aux matériaux et équipements, doivent être conçues dans des conditions de complète transparence, qui permettent à l’ensemble des technologies disponibles d’apporter leur contribution à la performance des bâtiments, conçue de manière globale et dans la durée, c’est à dire telle que la perçoivent les utilisateurs. En particulier, toutes les solutions techniques des pays européens les plus avancés en matière de performance énergétique des bâtiments, l’Allemagne, la Suisse, devraient pouvoir être rapidement diffusées en France, tout comme les innovations des PME françaises.

L’impression qui ressort des auditions conduites à l’occasion de l’élaboration du rapport de décembre 2009, puis des débats autour des dispositions concernant le bâtiment dans la loi « Grenelle II » au printemps 2010, mais aussi des échanges informels du président Claude Birraux avec des professionnels du bâtiment dans le cadre du suivi de l’étude, laisse planer un doute sur la bonne volonté de l’appareil administratif en charge du secteur (DHUP16, CSTB17 Ademe18) à basculer dans une logique de mesure de performance a posteriori, qui va de pair avec une ouverture aux évolutions technologiques, en laissant aux professionnels du secteur, sous leur pleine responsabilité, assortie au besoin de sanctions comme cela a été évoqué lors de la discussion du « Grenelle II », le choix des combinaisons techniques les plus adaptées aux situations considérées.

Un dispositif organisé autour d’obligations de moyens présente pourtant l’inconvénient évident de déresponsabiliser à la fois les prescripteurs réglementaires et les maîtres d’œuvre, qui peuvent ainsi se « renvoyer la balle » au-dessus du client final, qui n’aura plus qu’à constater que son logement n’a rien à voir avec les annonces répétées, de colloque en colloque, sur les grandes avancées de la RT 2012.

La Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) a encore manifesté son mauvais gré lors de l’audition du 3 novembre 2011 en ne traitant pas directement le sujet sur laquelle elle avait été pourtant très directement sollicitée par courrier du Président de l’OPECST à Madame la ministre de l’écologie19 : il a fallu en passer par un long préalable de cadrage sur la RT 2012 avant d’en arriver succinctement, faute de temps, à la présentation demandée des deux dispositifs clefs dans l’intégration des nouvelles technologies du bâtiment : d’une part, leur prise en compte au niveau du moteur de calcul réglementaire, au terme de la procédure dite du « Titre V » ; d’autre part, la formulation des « avis techniques ». Au passage, la consultation de « groupes d’experts » a été soulignée, implicitement présentée comme un gage de transparence dans l’élaboration des dispositifs mis en place.

Trois prescriptions relatives respectivement au besoin bioclimatique (Bbio), qui rend compte de la performance énergétique intrinsèque du bâti, puis à l’exigence de consommation maximale d’énergie primaire par mètre carré et par an (Cep), enfin à l’exigence de confort d’été (Tic, température atteinte au cours d’une séquence de cinq jours chauds) ont été présentées comme des exigences de résultat alors que ces trois grandeurs seront calculées à partir du fameux « moteur réglementaire », sans qu’aucune obligation de mesure ne soit prévue à la livraison du bâtiment.

Il convient de noter un commentaire contradictoire expliquant d’un côté, que la RT 2012 implique en pratique une limitation à 15 kWh par mètre carré et par an pour le chauffage dans les maisons individuelles, ce qui est une contrainte équivalente à celle imposée aux maisons passives, et de l’autre, qu’une ventilation « simple flux » Hydro B sera bien suffisante dans les nouvelles constructions. Or, une ventilation « simple flux » suppose l’existence d’une aération naturelle pour la sortie de l’air, c’est à dire en pratique des trous d’étanchéité, ce qui laisse subsister un doute sur la similitude avec une maison passive, dont l’étanchéité poussée impose le recours à une ventilation « double flux »20. On retrouve le schéma d’une image prometteuse qui risque de ne pas tenir à l’expérience.

Les interventions suivantes et les discussions ont permis d’évoquer les différentes barrières mises à l’intégration des technologies par le dispositif en place : les biais de performance dans la prise en compte par le moteur de calcul réglementaire ; les différentiels de vitesse d’obtention des « avis techniques » (qui doivent du reste être réitérés une fois la RT 2012 en vigueur); l’obstacle automatique à la délivrance d’assurance en l’absence d’avis technique; la formulation en critères trop spécifiques de la performance requise pour le déclenchement des aides fiscales.

Les jours qui ont suivi l’audition publique ont montré un autre mécanisme d’entrave possible : la publication d’un numéro des « Avis de l’Ademe » sur un produit dont le directeur technique de BM Trada, autorité de certification britannique reconnue au niveau européen, avait confirmé en réunion le niveau de performance équivalent à un produit de référence, sur la base de mesures in situ, alors que cette équivalence lui avait été refusée jusque là en France sur la base de mesures sur banc.

Comme l’a précisé Mme Brigitte Vu, Ingénieur en efficacité énergétique des bâtiments, au cours de l’audition, le seul objectif de résultat assorti d’une mesure obligatoire prévu par la RT 2012 concerne l’étanchéité à l’air du bâti, point certes crucial, mais sans que des tests soient imposés en cours de chantier. Comme l’étude de décembre 2009 l’avait évoqué, cela induit le risque d’une stratégie du « fait accompli » de la part du maître d’œuvre au moment de la livraison, au détriment de la performance réelle du bâtiment.

La prise en compte de la performance en termes d’émissions de CO2, telle qu’elle a été préconisée par cette même étude, dans le but d’équilibrer les contraintes énergétiques et climatiques, et ainsi d’inciter au développement des technologies, se limitera à l’affichage d’une estimation, au motif d’une absence de consensus scientifique sur la possibilité d’une mesure, dont on sait qu’elle renvoie au faux débat sur les émissions « marginales », déjà évoquées21.

Toutes ces observations alimentent le pessimisme de vos rapporteurs quant à la volonté de l’administration compétente (DHUP, CSTB, Ademe) d’orienter l’effort de performance énergétique vers l’obtention de résultats mesurés.

Vos rapporteurs se sentent pleinement en accord avec le « scénario négaWatt 2011 » lorsqu’il présente la rénovation énergétique des bâtiments comme un axe majeur des économies d’énergie possible d’ici 2050; mais ils s’inquiètent des conditions de la mise en œuvre des mesures prises en ce sens.

L’attitude de fermeture de l’appareil administratif concerné est peut-être liée à une insuffisance de ressources face à un nombre de tâches qui s’est accru. Mais cette attitude accrédite l’impression d’une protection jalouse d’un monopole, appelant à des réformes de structure.

La dimension stratégique de l’effort à conduire sur l’efficacité énergétique des bâtiments, qui met en jeu 43 % de la consommation d’énergie primaire de notre pays, justifie qu’il soit piloté par une institution bénéficiant d’un statut lui assurant une compétence et une transparence incontestables.

En l’occurrence, la révolution numérique dans les télécommunications a donné l’exemple historique d’une adaptation nationale réussie grâce à une évolution pertinente de la structure de régulation : la création de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART) en 1996, devenue Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) en 2005, a contribué à faire de la France, en quelques années, un des pays du monde disposant de la meilleure offre en services numériques, du point de vue de la couverture, de la qualité, du prix.

L’ART, puis l’ARCEP, ont su canaliser, en utilisant leur pouvoir de régulation dans des conditions de parfaite transparence, les initiatives des acteurs des communications électroniques de manière à laisser s’épanouir à plein les potentialités technologiques du secteur. Les procédures imposent notamment à cette autorité une consultation publique préalable avant toute décision ; chacune de ses décisions doit être systématiquement justifiée.

Il s’agirait aujourd’hui de transposer ce modèle pour réussir la révolution de la performance énergétique dans les bâtiments, en fusionnant, au cours de la prochaine législature, à budget constant, les structures en charge des missions de régulation du secteur du bâtiment au sein de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et de la construction, du Centre scientifique et technique du bâtiment, et de l’Agence de la maîtrise de l’énergie, en une autorité administrative indépendante, dirigée par un collège d’au moins cinq membres nommés par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat, pour un mandat non renouvelable de six années, sur le modèle de l’ARCEP.

Cette autorité, « l’Agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments », serait soumise à un cadre de procédures garantissant la pleine transparence de son action de régulation ; elle devrait présenter chaque année son rapport d’activité devant l’OPECST.

2. LE CARACTÈRE MULTIFORME DES EFFETS « REBOND »

On constate paradoxalement que l'amélioration de l'intensité énergétique ne permet pas en général pas de réduire autant que prévu la consommation énergétique globale, c’est « l’effet rebond ».

Ce phénomène repose sur un constat simple mis en évidence par l'économiste Jevons au XIXe siècle, dans le cadre d’une réflexion sur le risque d’épuisement des réserves britanniques de charbon : lorsque de nouvelles technologies permettent des gains d'efficacité, ces gains, au lieu de générer une réduction de la consommation d’énergie, peuvent conduire en réalité à son augmentation par divers canaux : une utilisation plus intense, des modes d’utilisation plus variés, et la réaffectation des économies réalisées sur des usages plus intensifs.

Par exemple, une maison mieux isolée incite son occupant à chauffer plus de pièces ou à fixer son chauffage à une température un peu plus élevée. Ainsi, les gains de l’isolation risquent d’être compensés par une modification dans l’usage du chauffage.

Le cas des ampoules basse consommation, maintenant utilisées à grande échelle en France, illustre le mécanisme du déplacement des consommations.

Ces ampoules utilisent, à usage équivalent, 4 à 6 fois moins d’électricité que des ampoules à incandescence. Mais, contrairement aux ampoules à incandescence dont plus 90 % de l’énergie était convertie en chaleur, celles-ci ne participent plus au chauffage des habitations en hiver, ce qui peut potentiellement entraîner une hausse de la consommation en chauffage.

De même, la mise au point de véhicules qui consomment moins d’essence pourra permettre, à budget constant, de parcourir plus de kilomètres. Mais si l’ensemble des conducteurs utilise plus leur véhicule, un déplacement de consommation d’énergie pourra alors s’imposer pour assurer la gestion de l’accroissement induit des nuisances générales (bruit, accidents, usure accrue des équipements).

Comme l’ont souligné les échanges lors de l’audition publique du 3 novembre, les technologies de l’information et de la communication (TIC), en tant qu’objets de consommation, captent une part croissante des économies qu’ils contribuent par ailleurs à réaliser en tant qu’instruments de pilotage des équipements. Ainsi, tous les gains d’efficacité énergétique réalisés sur l’électroménager et l’éclairage depuis 1995 auraient été annulés par l’augmentation de la consommation des TIC ; rien que la consommation électrique de l’audiovisuel a augmenté de plus de 78 % en dix ans. Dans le secteur résidentiel, les TIC occupent aujourd’hui le premier poste hors chauffage, consommant 30 % de l’électricité.

Mme Florence Rodhain, maître de conférence à l’Université de Montpellier a précisé qu’un « avatar » sur « Second life » consomme autant d’électricité qu’un habitant du Brésil ou que deux habitants du Cameroun (5 kWh.an) ; que le téléchargement sur son ordinateur de la version électronique d’un quotidien consomme autant d’électricité qu’une lessive ; qu’une recherche sur le site Google est équivalente à une heure de lumière dispensée par une ampoule à économie d’énergie. Les serveurs contribuent particulièrement à l’explosion de cette consommation masquée, et un chercheur de l’université de Dresde aurait montré que l’Internet pourrait, dans vingt-cinq ans, consommer autant d’énergie que l’humanité tout entière aujourd’hui.

L’amélioration par l’innovation technologique de l’efficacité énergétique doit donc absolument s’accompagner de l’éducation de l’utilisateur, et de sa sensibilisation au prix.

Il serait indispensable d’introduire dans les cursus scolaires un apprentissage sur le rôle de l’énergie et de l’électricité dans notre société, pour donner plus d’impact aux comportements de sobriété énergétique. Car nombre de consommateurs réputés avoir une très grande conscience écologique, qui se déplacent en bicyclette, pratiquent le covoiturage, régulent leur alimentation, consomment « bio », n’ont parfois qu’une conscience très obscure de l’impact des TIC en termes de consommation d’électricité. Certains même tombent dans une addiction aux TIC qui va, sans qu’ils le perçoivent, à l’encontre de leurs idéaux.

Quant à la sensibilisation au prix, elle relève de la mise en place de systèmes de comptage facilement accessibles, qui constitue l’un des fondements de la démarche du projet HOMES, axé sur la gestion active de l’énergie dans les bâtiments, au plus près des besoins, dans chaque espace homogène du point de vue de la destination fonctionnelle (garage d’un côté, salle de bain de l’autre, par exemple). Le coup d’œil au cadran reste en effet le meilleur garant d’une consommation ajustée permettant de tirer le meilleur profit d’une efficacité énergétique accrue.

B. DES SOLUTIONS ALTERNATIVES AUX ATOUTS DIFFÉRENCIÉS

La modération de la consommation électrique, essentielle, n’est pourtant qu’un aspect du sujet. En effet, la France a signé un engagement visant à faire progresser la part d’énergies renouvelables dans son bouquet énergétique à 23 % en 2020, tout en baissant de 20 % ses émissions de CO2 par rapport à leurs niveaux de 1990.

Les solutions de production alternatives à l’énergie nucléaire présentent chacune leurs avantages et leurs inconvénients, qu’il convient d’analyser en toute objectivité, en les replaçant à chaque fois dans notre contexte national propre.

1. LES ENJEUX STRATÉGIQUES DU RETOUR VERS LES ÉNERGIES FOSSILES

Ces dernières années, la presse s’est fait l’écho de nombreuses annonces concernant la présence de fortes quantités de gaz et pétrole de schiste. L’abandon de l’exploration du sous-sol métropolitain, constitue un pas en direction des objectifs du plan énergie-climat.

Toutefois, se priver volontairement de telles ressources ne saurait masquer la réalité : sans ressources naturelles propres, et avec un parc hydroélectrique proche de la saturation, nous n’avons pas à notre disposition d’autres moyens que l’outil nucléaire qui soit pilotable et permette une production suffisante en puissance et énergie.

Par ailleurs, le développement à grande échelle d’énergies renouvelables intermittentes sans percée technologique sur les moyens de stockage impliquerait une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique. L’accroissement de la dépendance de notre pays aux énergies fossiles étrangères qui en résulterait, serait préjudiciable pour trois raisons.

Tout d’abord pour des questions géostratégiques.

En effet, comme nous l’avons vu lorsque nous évoquions la question de l’indépendance énergétique du pays, un accroissement de notre approvisionnement en ressources fossiles étrangères constituerait un élément d’instabilité supplémentaire dans une période déjà particulièrement volatile. Ne disposant ni de gaz ni de charbon, nous serions alors à la merci des soubresauts des marchés énergétiques.

De plus, une telle augmentation de notre dépendance envers les ressources fossiles est, sur le moyen et long terme, un non-sens économique. Les réserves d’énergies fossiles, qu’elles soient de pétrole, de charbon, ou de gaz, sont des réserves finies. Le calcul généralement rapporté au grand public du ratio entre la production actuelle et les réserves totales est dénué de signification, puisqu’il omet deux points importants :

- la croissance exponentielle de la demande mondiale : la Chine construit plus d’une centrale à charbon par semaine ;

- le fait que les réserves les plus facilement accessibles sont les premières à avoir été mises en exploitation, et que, par conséquent, les nouvelles réserves sont généralement plus difficiles à exploiter, donc plus chères, et offrent un retour énergétique de plus en plus faible.

Enfin, le retour à une part plus importante d’énergies fossiles est également peu souhaitable pour des raisons environnementales. La consommation d’énergies fossiles carbonées telles que le gaz ou le charbon sont à l’origine de l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre, les possibilités techniques de capture et de stockage du CO2 n’étant que balbutiantes et à l’impact environnemental incertain.

Vos rapporteurs considèrent donc qu’il est peu raisonnable d’entreprendre de vastes chantiers pour réorienter nos capacités de production électrique vers du thermique à flamme afin de pallier l’intermittence d’un parc renouvelable développé dans la précipitation. Le maintien du parc thermique à son niveau actuel est adéquat pour permettre un développement raisonné des énergies intermittentes, en attendant les solutions industrielles au stockage d’électricité, tout en agissant pour maîtriser la pointe électrique.

2. LA MISE EN EXPLOITATION DU GISEMENT DES ÉNERGIES RENOUVELABLES

La nécessité de limiter les émissions de gaz à effet de serre, et le caractère fini des ressources fossiles, poussent à envisager un développement massif des énergies renouvelables comme l’une des alternatives éventuelles à la production d’électricité d’origine nucléaire. Elles constituent une réelle opportunité environnementale et industrielle, mais elles pourront difficilement, à moyen terme, représenter une part prépondérante du bouquet énergétique français.

Des coûts de réseau incontournables

Les énergies renouvelables apportent la promesse d’une production de l’énergie décentralisée au plus près de son utilisation. Contrairement aux énergies fossiles, elles utilisent des ressources diffuses et largement accessibles : le vent et le soleil, mais aussi, pour la production de chaleur, la biomasse et la géothermie de basse et moyenne énergie.

De fait, la multiplicité des formes d’énergies renouvelables masque le fait que l’exploitation d’une grande partie d’entre elles dépend par nature d’une localisation bien précise : c’est le cas des énergies de la mer, de la géothermie, de la ressource hydroélectrique en régions montagneuses, voire de la biomasse qui n’a de sens qu’attachée à une zone de collecte. Bien qu’elles puissent satisfaire à des besoins d’énergie de proximité, la plupart d’entre elles n’offrent, au cas par cas, que des capacités en puissance et en énergie limitées (du fait notamment du besoin de reconstitution, pour la biomasse), qui n’est pas en rapport avec la couverture de l’ensemble des besoins d’un pays développé comme la France.

En pratique, les énergies renouvelables s’identifient donc essentiellement au vent et au soleil, ressources naturelles géographiquement les plus répandues, et potentiellement les plus abondantes ; l’énergie solaire dispose en particulier, à la faveur des progrès technologiques, de marges de progression considérables. Leur développement passe par la construction de fermes photovoltaïques et de parcs d’éoliennes pouvant atteindre une puissance comparable à celles des centrales électriques traditionnelles de moyenne importance ; mais ces infrastructures d’exploitation restent néanmoins largement déconnectées des lieux de consommation.

De fortes concentrations de moyens de production solaires et éoliens

Source du graphique :
RTE, audition du
24 novembre 2011

Ces moyens de production d’électricité de masse dessinent une nouvelle géographie des réseaux qui devra relier les nouveaux sites de production aux lieux de consommation ou aux lignes de très haute tension (THT) existantes. Or, comme l’a indiqué au cours de l’audition du 24 novembre M. Hervé Mignon, directeur du département « Développement du réseau et Perspectives énergétiques » chez RTE, il faut près de dix ans pour créer de nouvelles lignes alors que les nouvelles capacités de production peuvent arriver à l’étape du raccordement en trois ou quatre années.

Les énergies renouvelables introduisent également une contrainte de gestion de l’intermittence. De simples évolutions météorologiques peuvent, en l’espace de quelques instants, imposer aux réseaux un gradient de production d’électricité très élevé, alors que le gestionnaire du réseau doit assurer un équilibre permanent et instantané entre l’offre et la demande.

Les progrès remarquables des modèles de prévision, tels que le modèle IPES (« insertion de la production éolienne et photovoltaïque sur le système ») de RTE, facilitent certes une gestion fine de l’intermittence au jour le jour et d’heure en heure. Il n’en demeure pas moins nécessaire d’injecter l’électricité sur le réseau au moment où elle est demandée, sauf à recourir à l’effacement, voire aux délestages ou à l’interruption des moyens de production. Ainsi le nombre d’arrêts forcés d’éoliennes en Allemagne22 a-t-il bondi de 285 en 2009 à 1 085 en 2010, soit une perte de production allant jusqu’à 150 GWh, les parcs d’éoliennes étant concentrés dans le nord du pays pour une demande plutôt localisée au sud.

La solution alternative idéale du stockage de masse paraît hors de portée dans un avenir proche, même si des perspectives intéressantes se dessinent à terme. Des stations de pompage pourraient se développer en bord de mer, en particulier dans les zones insulaires où elles permettraient de dépasser la limite couramment admise d’un taux de 30 % d’électricité d’origine renouvelable dans le réseau. M. Alain Bucaille, conseiller du président d’Areva et professeur à l’Imperial College de Londres, a également présenté au cours de l’audition du 24 novembre une vision ambitieuse du stockage de l’énergie électrique sous forme d’hydrogène ou de gaz de synthèse : le réseau de gaz naturel pourrait alors stocker et transporter aussi bien le méthane que, dans des proportions limitées, l’hydrogène. La conversion catalytique d’hydrogène en méthane permettrait de surcroît de recycler de grandes quantités de CO2.

La contrainte de l’approvisionnement en matières premières

Au-delà des coûts de réseau, les énergies renouvelables rencontrent des difficultés d’approvisionnement en matières premières.

L’Office a étudié dans un récent rapport23 les enjeux relatifs aux terres rares : le prix du néodyme, largement présent dans les turbines éoliennes offshore, a été multiplié par quatre en 2010 et certaines technologies photovoltaïques de couches minces dépendent de métaux rares tels que l’indium, le sélénium et le gallium.

Si les experts ont fait part à la mission de leur confiance en la réduction de la consommation et en l’utilisation de produits de substitution, les coûts de production s’en ressentiront nécessairement. Les matières traditionnelles elles-mêmes seront concernées : la transformation de l’industrie photovoltaïque en industrie de masse devrait l’amener, en 2020, à consommer un tiers environ de la production mondiale de verre24.

Le défi technologique et social des énergies renouvelables

Malgré un effort de recherche important au niveau mondial, les énergies renouvelables rencontrent des obstacles technologiques et leur développement nécessite un soutien public important.

Ce soutien passe notamment par des crédits d’impôt et l’instauration d’une obligation d’achat à un tarif réglementé pour la production d’électricité. Le coût du tarif d’achat, évalué pour 2011 à 1,468 milliards d’euros par la Commission de régulation de l’énergie, est beaucoup plus élevé pour le photovoltaïque que pour l’électricité éolienne25.

Le développement de nouveaux moyens de production doit également faire face à une vive résistance locale. Si les panneaux photovoltaïques sont aujourd’hui bien acceptés en France, les éoliennes suscitent encore une réticence certaine en raison principalement de leur bruit et de leur impact sur le paysage.

Ces deux moyens de production occupent enfin des surfaces sans commune mesure avec les centrales nucléaires ou thermiques classiques. Une ferme photovoltaïque peut produire annuellement26 environ 100 GWh par km2 et un parc d’éoliennes terrestre jusqu’à 40 GWh, alors qu’un réacteur nucléaire produit à lui seul 7.000 GWh chaque année27.

Les efforts de limitation de cette superficie passent, pour les éoliennes, par un accroissement de la puissance de chaque machine, synonyme de hauteur accrue : la future éolienne de 6 MW d’Alstom aura un diamètre de 150 mètres. L’énergie éolienne présente toutefois, par rapport aux fermes photovoltaïques, l’avantage décisif d’autoriser une utilisation agricole des terrains sur lesquels sont implantés ses moyens de production.

Une capacité de substitution limitée à l’électricité nucléaire

Les énergies renouvelables constituent un secteur économique dynamique et créateur d’activités aussi bien dans la recherche que, au niveau local, dans le secteur du bâtiment et de l’équipement.

La filière éolienne présente certainement les perspectives les plus favorables. Le coût de production de l’électricité est déjà proche des prix de marché pour les éoliennes terrestres et la France dispose déjà de capacités de production et d’innovation importantes concernant les composantes d’éoliennes. Les appels d’offres relatifs à l’installation d’éoliennes en mer favoriseront le lancement d’une filière créatrice de valeur ajoutée et d’emplois sur le long terme.

Certaines filières pourront occuper une place notable dans des territoires particuliers : c’est le cas de la géothermie profonde dans des territoires ultramarins volcaniques et peut-être dans des zones métropolitaines dotées d’une géologie exceptionnellement favorable (projet de Soultz-sous-Forêts en Alsace).

Toutefois, les énergies renouvelables ne joueront probablement, vers 2020 ou 2030, qu’un rôle d’appoint pour la production d’électricité au niveau national. Même en supposant atteints les objectifs très ambitieux posés par le Grenelle de l’environnement28, la production nouvelle d’électricité d’origine renouvelable ne serait en 2020 que de 7 231 ktep en 2020 (soit 84 TWh), ce qui représente 15 % environ de l’électricité produite en France l’an passé. Compte tenu de son caractère intermittent, elle ne pourrait compenser, à elle seule, une baisse de la capacité du parc nucléaire.

Le développement des énergies renouvelables risque donc, à mesure que celles-ci occupent une part significative de la capacité totale de production d’électricité, de nécessiter le déploiement de nouvelles capacités de production de base comme de pointe. Ces capacités devront être facilement mobilisables, même en dehors des périodes de pointe. Comme le prévoit la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité29, des cycles combinés à gaz, qui présentent un bilan environnemental assez satisfaisant, devront être mise en service dans les années à venir pour compenser l'intermittence des nouvelles capacités de production éolienne et photovoltaïque.

C. LA RÉMANENCE DES CHARGES INHÉRENTES À L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE

L’organisation rigoureuse de la sûreté nucléaire et de la gestion des déchets radioactifs dans notre pays constitue l’aboutissement d’un effort constant d’amélioration, mené sur plusieurs décennies. L’expertise accumulée, en la matière, par la France, est d’ailleurs reconnue, au plan international, au même titre que son avance scientifique et technologique dans le domaine nucléaire. Loin d’apporter une solution immédiate et définitive à ces questions liées à l’activité nucléaire, une décision d’arrêt total ou partiel de celle-ci, risquerait, au contraire, de déstabiliser l’organisation mise en place au fil des années pour en assurer la maîtrise.

1. LE BESOIN D’ENTRETENIR DURABLEMENT UNE CULTURE DE SÛRETÉ

La sûreté nucléaire ne peut s’envisager sans une recherche permanente de perfectionnement, aussi bien sur le plan de la résilience des installations que sur celui des conditions de leur exploitation ou encore de la transparence de cette activité vis-à-vis du public.

Le rôle essentiel de la dynamique de sûreté

Aussi, le législateur, tout comme les gouvernements successifs, n’ont eu de cesse, depuis plus de vingt ans, de renforcer l’organisation de la sûreté nucléaire dans notre pays ainsi que sa transparence. A cet égard, l’installation en 2007 d’une autorité de sûreté nucléaire indépendante (ASN) et le renforcement progressif des moyens de la transparence, au travers de la création des commissions locales d’information (CLI), puis du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire (HCTISN) constituent des étapes importantes de ce processus.

Vos rapporteurs se sont eux aussi inscrits dans cette démarche en formulant, dans leur rapport d’étape sur la sécurité nucléaire, plusieurs recommandations destinées à consolider encore la maîtrise publique du contrôle de sûreté, à renforcer les moyens des CLI et à permettre l'émergence d’une expertise scientifique indépendante30.

Paradoxalement, l’annonce d’une sortie de l’énergie nucléaire contribuerait à accroître les risques qu’une telle mesure serait censée combattre, d’une part, en donnant un coup d’arrêt à cette dynamique de sûreté et, d’autre part, en affectant, au premier chef, ceux sur qui celle-ci repose au quotidien : les personnels chargés de l’exploitation des installations.

L’exemple allemand est, à cet égard, particulièrement révélateur. Dès le premier accord sur une sortie du nucléaire, datant de 2000, entre le gouvernement et les exploitants, ces derniers avaient obtenu des assurances quant à l’absence d’exigences fortes en matière de sûreté de leurs installations31. Les centrales allemandes pouvaient ainsi espérer s'exonérer des mises à niveau de sûreté les plus coûteuses résultant des retours d’expérience internationaux. De tels « arrangements » avec les contraintes de sûreté seraient inenvisageables dans un pays doté d’une véritable autorité de sûreté indépendante. De fait, ces mises à niveau régulières et systématiques des installations nucléaires constituent, en France, l’une des conditions sine qua non de la poursuite de leur exploitation.

La visite de la centrale de Neckarwestheim32, en Allemagne, dont l’un des deux réacteurs venait d’être mis à l’arrêt, a permis de mesurer, sur le terrain, les conséquences humaines et sociales d’une décision de sortie de l’énergie nucléaire et leurs effets potentiels sur la sûreté des installations.

Au delà de la démobilisation résultant de l’incompréhension des personnels confrontés à une décision d’abandon d’un outil de production en parfait état de marche, à l’entretien duquel une majorité d’entre eux avaient consacré la plus grande partie de leur carrière professionnelle, se dessinait l’inquiétude causée par la perspective d’une perte progressive des compétences requises pour maintenir l’exploitation du deuxième réacteur, qui devrait rester en fonction jusqu’en 2022. Certes, l’exploitant EnBW affichait, à l’époque, sa ferme intention de préserver le savoir faire indispensable en garantissant les emplois dans la filière nucléaire, en dépit des fermetures programmées de réacteurs. Toutefois, ces résolutions sont à rapprocher des récentes annonces de l’un de ses principaux concurrents, E.ON, relatives à la suppression, à la suite des arrêts de centrales, de 9.000 à 11.000 postes de travail dans la filière.

L’apport des investissements en capital physique et humain

Les conséquences d’une décision de sortie de l’énergie nucléaire ne seraient pas différentes dans notre pays et même plus sérieuses, compte tenu du nombre d’installations affectées et du temps nécessairement plus long de leur arrêt définitif. En effet, même les antinucléaires les plus déterminés admettent que la fermeture des centrales nucléaires françaises devrait s’étaler sur plusieurs décennies. Or, tant qu’il restera une centrale en activité, le risque résultant de l’exploitation d’un parc dans des conditions dégradées perdurera.

Notre industrie nucléaire ne rencontre pas, à l’heure actuelle, de difficulté particulière pour recruter du personnel compétent et responsable. C’est heureux, car le rythme des départs en retraite au sein de la filière nucléaire, plus de 22.000 entre 2010 et 2015 pour le seul EDF, requiert des recrutements équivalents en nombre et qualité. Qu’en serait-il dans une industrie en voie de disparition? La pérennité d’une industrie est un impératif pour assurer un recrutement de bon niveau, l’incertitude sur l’avenir décourage les éléments de valeur et conduit à attirer des personnels qui ne viennent que par défaut.

Par ailleurs, comment croire que les exploitants consentiraient, dans ces conditions, à poursuivre, sans espoir de les amortir sur le long terme, les investissements lourds nécessaires aux travaux d’entretien et de mise à niveau requis par l’amélioration de la sécurité des centrales nucléaires? De tels investissements auraient-ils encore un sens? Les financements correspondants pourraient-ils encore être trouvés? Ces fonds ne seraient-ils pas, au final, utilisés de façon plus appropriée pour des investissement sûrs et rentables, tels que la construction d’éoliennes produisant de l’électricité dont le prix de rachat sera, sur plusieurs décennies, garanti par l’Etat ou encore l’achat de centrales au gaz allemandes de dernière génération, permettant de pallier de façon optimale l'intermittence des énergies renouvelables?

On le voit, le souci d’une meilleure sûreté qui anime certains partisans d’une sortie précipitée de l’énergie nucléaire, pourrait exposer durablement nos concitoyens à un parc nucléaire vieillissant, mal entretenu, par des personnels démotivés ou recrutés avec difficulté, suivant des critères de moins en moins exigeants. Ne vaudrait-il pas mieux, au contraire, le cas échéant dans le cadre d’une transition très progressive, telle qu’elle sera envisagée plus loin, chercher à contrôler efficacement les risques, en recourant à des réacteurs plus performants et plus sûrs, conduits et contrôlés par des personnels compétents et continuellement renouvelés, que d’assister impuissants au déclin d’une industrie peu à peu abandonnée à elle-même ?

2. L’IMPOSSIBILITÉ D’ESQUIVER LA GESTION DES DÉCHETS

Au cours des vingt dernières années, notre pays s’est progressivement doté d’un système complet de gestion de ses déchets radioactifs, reconnu comme l’un des plus avancés et des plus sûrs au monde. Vos rapporteurs, et le président de notre mission, ne sont pas étrangers à son développement, au travers des lois du 30 décembre 1991, puis du 28 juin 2006, relatives à la gestion de ces déchets et aux recherches associées, mais aussi, s’agissant de leur transport, de celle de 13 juin 2006, sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire.

Un dispositif complexe mis en œuvre progressivement

Si près de deux tiers des déchets radioactifs sont issus de l’industrie nucléaire, le reste provient d’activités diversifiées: la recherche, la défense, la médecine ou encore d’autres types d’industries. A ces déchets, il convient d’ajouter les matières radioactives valorisables, telles l’uranium appauvri ou le plutonium. Toutefois, indépendamment de leur origine, la gestion de l’ensemble des déchets radioactifs est assurée par un seul organisme public spécialisé: l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs (ANDRA).

A cette fin, l’ANDRA s'appuie, d’une part, sur son inventaire national des matières et déchets radioactifs, actualisé tous les trois ans, et, d’autre part, sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs (PNGMDR), élaboré suivant la même périodicité, sous le contrôle du Gouvernement et de l’Autorité de sûreté nucléaire, par une instance pluraliste composée aussi bien d’industriels que d’associations de défense de l’environnement. Ce plan définit des filières regroupant les déchets radioactifs suivant leurs caractéristiques propres, notamment radiologiques, et décrit les mesures nécessaires à la gestion maîtrisée de chaque groupe de déchets.

Conformément aux dispositions des lois de 1991 et 2006, la recherche scientifique tient une place centrale dans ce dispositif. Elle concerne trois axes principaux: la séparation-transmutation, permettant de réduire dans de fortes proportions la durée de vie et la thermicité des éléments radioactifs les plus dangereux, le stockage géologique profond et l’entreposage des déchets. Mais elle permet également d’étudier spécifiquement les solutions les mieux adaptées à une gestion sûre de chaque type de déchet, en fonction de leurs propriétés physiques et chimiques particulières.

Notre pays s’est ainsi progressivement doté de solutions permettant d’assurer, dans des conditions optimales de sûreté à court comme a long terme, la gestion de la totalité des matières et déchets radioactifs. Certains déchets qualifiés d’historiques, tels les résidus miniers, constituent l’exception illustrant les conséquences à long terme de négligences passées qu’il s'avère par la suite difficile de corriger. A cet égard, face aux insuffisance persistances de certains pays, qu’ils soient, ou non, dotés d’une industrie nucléaire, dans la maîtrise de leurs déchets radioactifs, une directive européenne33 impose désormais, à tous les États membres la mise en œuvre d’une véritable politique de gestion des déchets radioactifs, suivant des modalités proches de celles du dispositif français.

En France, à ce jour, deux centres de stockage définitif, situés dans l’Aube, accueillent les déchets à très faible activité ainsi qu’à faible activité et à vie courte, représentant près de 90 % du volume total, supérieur à un million de mètres cubes, des déchets radioactifs. S’agissant des combustibles, dont est issu l’essentiel des déchets de moyenne et haute activité à vie longue de la filière nucléaire, notre pays a choisi la voie du recyclage qui permet, au sein de l’usine de La Hague, d’une part, de récupérer l’uranium et le plutonium, et, d’autre part, de réduire le volume des déchets finaux, incorporés à une pâte de verre puis coulés dans un colis en inox. Les lois de 1991 et 2006 prévoient que ces déchets seront stockés à 500 mètres sous terre, dans un centre dont l’ouverture est prévue en 2025.

Les contraintes imposées par un brusque afflux de déchets

Un arrêt total ou partiel de nos installations nucléaires conduirait à perturber l'équilibre de ces projets de stockage, les capacités des centres existants ne permettant pas de faire face a l’accroissement conséquent du volume des déchets de faible et très faible activité produit par une accélération des démantèlements et les caractéristiques définies pour le futur centre de stockage géologique profond ne répondant plus aux nouvelles contraintes.

S’agissant des déchets de faible ou très faible activité, les capacités d’accueil des deux centres de stockage de l’Aube, de l’ordre du million de mètres cubes, se trouveraient plus rapidement que prévu saturées par les gravats et les ferrailles en provenance des démantèlements de centrales. En effet, comme l’a souligné M. Jean-Marc Miraucourt, directeur de l'ingénierie nucléaire d’EDF, lors de l’audition du 17 novembre 2011, les techniques modernes privilégient un démantèlement rapide des installations, entre autre pour bénéficier d’une meilleure connaissance du site.

Or, l’absence, dans notre pays, de seuil de libération pour les déchets radioactifs interdit de les recycler, comme cela se pratique en Allemagne ou encore en Suède, en tant que matières premières pour d’autres industries. ll faut d’ailleurs remarquer qu’en Allemagne, personne n’a indiqué où et comment seraient entreposées et stockées les quantités considérables de déchets qui résulteront de la fermeture, puis du démantèlement des centrales nucléaires.

La création de nouveaux centres de stockage nécessitant plusieurs années, la tentation d’une remise en cause, au nom d’un prétendu réalisme, de ce principe de sûreté propre à notre pays, pourrait, face à l’afflux des déchets, rapidement devenir irrésistible. Les exploitants ne seraient d’ailleurs pas les derniers à promouvoir cette solution de recyclage dans d’autres industries, compte tenu des économies substantielles qu’elle leur permettrait de dégager sur la gestion de leurs déchets.

S’agissant des combustibles usés, l’abandon de leur retraitement conduirait a stocker directement, après refroidissement, ces éléments dont les caractéristiques physiques et chimiques sont radicalement différentes de celles des verres issus du centre de retraitement de La Hague. Il faudrait donc faire face à une arrivée importante, en nombre et en volume, de déchets radioactifs d’un nouveau type, avec une problématique comparable à celle à laquelle sont confrontés, depuis des décennies, les Américains.

Ceux-ci, pas plus que nos voisins allemands depuis leur décision d’arrêt du retraitement, n’ont, à ce jour, mis au point une solution crédible pour le stockage à long terme de leurs combustibles usés. Dans l’attente d’une hypothétique solution de stockage, il faudrait donc rechercher de nouveaux sites d’entreposage en surface, avec les difficultés afférentes d’acceptation des populations, s’agissant d’installations à la durée d’exploitation indéterminée.

A ces difficultés s’ajouterait celle du déclassement en déchets de quantités élevées, de l’ordre de plusieurs centaines de milliers de tonnes, de matières valorisables, telles que l’uranium appauvri ou le plutonium. Ces dernières, à ce jour considérées, en raison de leur potentiel énergétique considérable, comme des matières premières nobles, sont réutilisables dans le cycle actuel du combustible, sous forme de MOX pour les réacteurs de deuxième et troisième génération, aussi bien que dans celui, futur, des réacteurs de quatrième génération. Des solutions spécifiques devraient également être recherchées pour le stockage de ces matières aux caractéristiques particulières.

Une part significative des efforts réalisés par notre pays, depuis la loi de 1991, pour organiser, en filières cohérentes, la gestion des déchets radioactifs, pour approfondir les recherches menées sur la séparation-transmutation, pour étudier le stockage géologique profond des déchets de haute activité ou encore pour constituer une réserve stratégique de matières hautement énergétiques, se trouveraient donc remise en cause par une décision précipitée de sortie de l’énergie nucléaire. Dans ces conditions, notre pays disposerait-il encore des ressources nécessaires à la relance de nouveaux programmes destinés à assurer une gestion sécurisée des nouveaux déchets radioactifs résultant d’une telle décision, au profit d’une industrie vouée à la disparition, ou bien devrait-il se résoudre à des compromis, pour en minimiser le coût, au prix de quelques concessions à la sûreté, comme cela semble être malheureusement le cas dans d’autres pays, déjà plus conciliants avec les seuils de libération ?

III - UNE VISION D’AVENIR POUR LA FILIÈRE

Le choix fait par notre voisin allemand, dans la foulée de l’accident de Fukushima, de se désengager de l’énergie nucléaire en une douzaine d’années, a suscité en France de nombreuses réflexions, tout à fait légitimes; c’est pourquoi Christian Bataille est allé sur place faire un bilan des conséquences de cette décision.34 A la lumière des enseignements que celle-ci nous inspire, nous nous sommes proposés d’analyser les spécificités de la situation française par rapport à l’Allemagne, afin d’envisager une démarche d’adaptation mieux ajustée à notre contexte.

Cette analyse nous amène à confirmer l’approche en termes de « bouquet énergétique » déjà mise en valeur par la loi du 13 juillet 2005 sur les orientations de la politique énergétique, et qui souligne la complémentarité entre les énergies renouvelables et l’énergie nucléaire. L’équilibre entre ces composantes mérite en revanche d’être revisité, ce qui nous conduit à proposer une « trajectoire raisonnée » pour notre système énergétique, au cours du XXIe siècle.

A. LA COMPLÉMENTARITÉ DES PERSPECTIVES TECHNOLOGIQUES

Du point de vue du quadruple objectif de l’offre ajustée en électricité, de la sécurité énergétique, de la neutralité climatique et du développement économique, la France a un véritable intérêt à développer des solutions industrielles de gestion des énergies renouvelables permettant de les convertir en sources stabilisées. Cela ne doit pas empêcher la filière nucléaire française de conserver sa position de pointe au niveau mondial dans les technologies futures conçues à la fois pour démultiplier l’énergie extraite de l’uranium et pour réduire l’inconvénient des déchets radioactifs.

1. L’INDUSTRIALISATION DU STOCKAGE INTERSAISONNIER D’ÉNERGIE

Comme on l’a vu, une limite technique essentielle des énergies renouvelables est leur intermittence, qui empêche leur utilisation directe pour l’alimentation électrique d’activités devant fonctionner continûment comme la production industrielle, la fourniture des soins thérapeutiques, ou l’entretien de la chaîne du froid.

En effet, on peut certes bénéficier de l’inertie des échanges caloriques pour le maintien de produits alimentaires en dessous d’une certaine température, mais pas au delà de quelques heures. Par ailleurs, on imagine difficilement de faire dépendre la programmation d’une opération chirurgicale de l’alimentation aléatoire en énergie du bloc opératoire. Quant à l’impact pour l’industrie des incertitudes sur la disponibilité et la qualité du courant électrique, on ne peut que constater que, suite aux bouleversements du parc des centrales induits par l’accident de Fukushima, elles ont provoqué assez rapidement, dans des contextes différents, des délocalisations d’activité au Japon35, et des velléités similaires de la part des industriels électro-intensifs allemands36.

L’incontournable gestion de l’intermittence

L’intégration des énergies éolienne et solaire dans le système général de fourniture en électricité suppose impérativement de prévoir la disponibilité d’une source de secours pendant l’arrêt du vent ou la disparition du soleil derrière les nuages ou l’horizon.

Le phénomène dit « de foisonnement » des énergies renouvelables, qui permet de lisser leur production globale par un effet de moyenne, à la faveur d’un décalage des productions aléatoires entre zones géographiques distantes, n’assure qu’une compensation très partielle; en tout état de cause, c’est un mécanisme qui joue lui-même de manière aléatoire, donc ne renforce pas réellement la fiabilité d’approvisionnement, comme illustré par l’exemple ci-dessous.

Productions éoliennes de plusieurs pays européens de septembre 2010 à mars 2011

Source : M. Hubert Flocard, membre du comité d’experts de la mission

Dans la mesure où les centrales à énergies fossiles sont les équipements permettant les arrêts et les redémarrages les plus rapides, ce sont elles qui sont utilisées aujourd’hui par priorité pour compenser des intermittences aléatoires, directement à l’échelle nationale ou bien indirectement, à travers des interconnexions entre pays.

Deux situations peuvent être distinguées aujourd’hui à cet égard :

- soit la production électrique repose essentiellement sur les énergies fossiles (charbon, gaz, pétrole) comme en Allemagne (à 60 %) ou au Danemark (à 70 %); dans ce cas, un apport grandissant d’énergies renouvelables vient en remplacement de la production des centrales thermiques à flamme qu’on peut arrêter le temps de cet apport, ce qui permet d’économiser autant d’émission de CO2, sans inconvénient du point de vue de la continuité de la fourniture d’électricité ;

- soit la production électrique repose essentiellement sur des énergies décarbonées (énergie nucléaire, hydroélectricité, biomasse) comme en France (à 90 %), ou en Suède (à 96 %); dans ce cas, l’introduction à des fins de substitution d’une part grandissante d’énergie intermittente finit par imposer le recours à des capacités supplémentaires en centrales thermiques pour assurer la continuité d’approvisionnement. Ces capacités supplémentaires peuvent alors être, soit construites, soit sollicitées à travers le réseau d’interconnexion via des importations d’électricité.

Mais on voit que, dans un pays tirant l’essentiel de son électricité de l’énergie nucléaire comme la France, la compensation de l’intermittence des énergies renouvelables, dans la configuration technologique actuelle, s’accompagne, paradoxalement, d’un surcroît d’émission de gaz à effet de serre.

La France, dans le but de consolider la diversité de son bouquet énergétique, est donc particulièrement bien placée pour développer des solutions technologiques nouvelles à l’intermittence. L’effort à conduire en ce domaine présente en outre un intérêt industriel, car toute solution nouvelle aura vocation à diffuser commercialement dans le monde entier, notamment dans les pays émergents qui renforcent leur système énergétique au fur et à mesure de leur développement, et qui se tournent pour cela vers toutes les formes d’énergie disponibles, y compris les énergies renouvelables.

Un dispositif de stockage d’énergie se caractérise par trois paramètres fondamentaux au regard d’une utilisation en lissage de la production électrique : sa puissance, sa capacité, sa période. Sa puissance doit être calée sur la puissance du flux électrique dont il prend le relais; sa capacité renvoie à la possibilité de stocker assez d’énergie pour remplir cette fonction de relais sur une durée assez longue; la période mesure la longueur du cycle entre le moment du stockage et celui du déstockage.

Le rapport, au nom de l’OPECST, de Claude Birraux et Christian Bataille, paru en mars 2009, sur la stratégie de recherche en énergie, soulignait les progrès déjà enregistrés au niveau des dispositifs de stockage pour les cycles courts et les puissances et les capacités faibles, notamment grâce au progrès des batteries électrochimiques, mais observait qu’en revanche, les systèmes destinés à permettre un stockage massif d’énergie, notamment intersaisonnier, restaient encore largement à développer37. Presque trois ans plus tard, ce constat demeure largement d’actualité même si des perspectives nouvelles se sont ouvertes depuis lors.

L’audition du 24 novembre 201138 a permis de faire le point sur deux pistes qui paraissent bien adaptées pour répondre à des besoins de stockage massif d’énergie : les stations de pompage, et la conversion du gaz carbonique.

Le stockage d’énergie par retenue d’eau

Les stations de pompage (STEP) sont capables de délivrer des puissances de plusieurs gigawatts grâce à de l’eau retenue dans des réservoirs, déversée au moment voulu sur des turbines. La France dispose déjà d’une capacité d’ajustement cumulée de 5 GW sous cette forme, en particulier grâce au barrage de Grand’Maison dans l’Isère. Comme il sera difficile de trouver de nouveaux sites en montagne, le rapport précité de mars 2009 avait souligné la pertinence de l’idée de l’ingénieur François Lempérière de construire des stations de pompage sur le littoral en utilisant la mer comme bassin bas39.

Dans le cadre d’un appel à manifestations d’intérêt sur les systèmes de stockage d’énergie lancé par l’Ademe et le Commissariat général à l’investissement en avril 2011, EDF a proposé la réalisation en Guadeloupe d’une STEP qui serait construite en haut de falaise. Dans un contexte insulaire où la sûreté d’approvisionnement impose aux énergies intermittentes une limite de capacité, sur la base de la mobilisation des centrales thermiques, à hauteur de 30 % de la puissance totale injectée, l’ouvrage, qui peut délivrer une puissance de 50 MW pendant 20 heures serait configuré pour repousser cette limite à 50 %.

Ce démonstrateur, conçu notamment en liaison avec Alstom et les anciens chantiers navals de Saint-Nazaire (aujourd’hui STX)40, serait l’occasion de tester d’abord des turbines à temps de réponse très rapide, et à vitesse variable, pour ajuster la production au besoin de compensation, ensuite des techniques pour obtenir l’étanchéité du fond de bassin à l’eau de mer, et enfin l’installation par voie maritime d’une usine préfabriquée en pied de falaise de manière à standardiser autant que possible l’architecture.

Ainsi conçu, le projet ouvre la voie à la création d’une filière industrielle en mesure de répondre à la demande internationale considérable qui se dessine avec l’expansion des énergies renouvelables. Actuellement, les capacités de stockage de masse atteignent 140 GW dans le monde, chiffre qui pourrait croître jusqu’à 500 GW voire 2000 GW vers 2040; les STEP marines constitueront une solution particulièrement bien adaptée pour la stabilisation de l’électricité produite par les parcs d’éoliennes offshore.

Le stockage d’énergie dans des hydrocarbures de synthèse

Le stockage d’énergie par conversion du gaz carbonique pour fabriquer du carburant de synthèse a également été évoqué par le rapport de mars 2009 précité41. C’est une piste technologique qui présente le double avantage d’apporter une solution à l’intermittence des énergies renouvelables et de créer un nouveau cycle du carbone ayant pour effet de fixer un temps les gaz à effet de serre, tout comme le cycle naturel basé sur la photosynthèse.

Le « scénario négaWatt 2011 » la mentionne en évoquant la « méthanation », procédé de production de méthane par un mélange d’hydrogène et de gaz carbonique en présence d’un catalyseur, mis au point par Paul Sabatier, prix Nobel de Chimie en 1912. Le « gaz naturel » ainsi obtenu peut ensuite être stocké ou distribué par le réseau existant, ce qui permet d’appuyer le développement des énergies renouvelables sur une filière industrielle disposant d’une incontestable expérience.

M. Alain Bucaille, directeur de la recherche d’Areva, a indiqué, lors de l’audition du 24 novembre, qu’un GIE incluant Areva, Rhodia et GDF Suez s’était constitué pour explorer cette piste technologique, qui l’intéressait personnellement aussi en tant que professeur à l’Imperial College impliqué dans une réflexion sur les enjeux du changement climatique. Il a estimé inéluctable, à terme, l’émergence de filières industrielles de conversion du gaz carbonique.

Aux deux moteurs du stockage d’énergie et de la fixation du carbone, il a ajouté la possibilité qu’un acteur économique disposant des ressources financières abondantes, comme la Chine, découvre que ce moyen sécuriserait ses approvisionnements d’énergie; la conversion du seul gaz carbonique émis par l’ensemble des cimenteries chinoises, qui produisent 60 % du ciment mondial, permettrait de produire environ 10 millions de barils par jour d’hydrocarbures de synthèse, soit l’équivalent de 10 % du marché mondial du pétrole.

Par ce biais, la conversion du gaz carbonique pourrait même fixer une valeur plafond au prix du pétrole, puisqu’elle pourrait s’effectuer, selon les estimations d’Alain Bucaille, à un coût inférieur à 150 dollars le baril.

Quel que soit le procédé utilisé, il passe toujours par une première étape de production d’hydrogène, qui mobilise l’énergie que l’on cherche à stocker; ce peut être de l’énergie renouvelable comme aussi un excédent d’énergie nucléaire en saison de sous-consommation. Ensuite, l’opération de synthèse qui utilise l’hydrogène ainsi produit, et le carbone contenu dans le gaz carbonique, relève de l’industrie chimique traditionnelle, qui est consommatrice d’énergie. L’opération de stockage d’énergie peut aussi s’arrêter au stade de la production d’hydrogène, destiné alors soit à un mélange en faible dose avec le gaz naturel, pour obtenir un combustible moins émetteur de gaz carbonique, soit à l’alimentation d’une pile à combustible.

En Allemagne, toutes ces voies font d’ores et déjà l’objet d’expérimentations42. Elles permettent un stockage d’énergie pouvant délivrer une puissance de plusieurs centaines de mégawatts pour des durées quasiment illimitées, puisqu’elles dépendent d’un approvisionnement par gazoduc. Il est indispensable que l’industrie française, selon des modalités qui restent évidemment à définir, développe des partenariats de recherche avec son homologue allemande pour être en mesure de maîtriser les technologies correspondantes.

L’apport complémentaire des « réseaux intelligents »

Une autre solution pour compenser des fluctuations dans la fourniture d’électricité est l’appel au réseau électrique, à condition que celui-ci soit en mesure de réagir avec des temps de réponse courts pour mettre en relation les offres excédentaires disponibles avec les demandes. C’est précisément la démarche de développement des « réseaux intelligents » (« smart grids »).

Dans ce domaine, vos rapporteurs peuvent mesurer le chemin parcouru en France depuis le rapport précité de l’OPECST de mars 2009, puisque le compteur Linky, qui a été conçu par ERDF pour intégrer au réseau de distribution d’électricité un réseau de transmission d’information, a été testé avec succès à Lyon et à Tours en 2010, puis a reçu l’accord du Gouvernement pour un déploiement sur tout le territoire en septembre 2011. Le dispositif utilise les courants porteurs en ligne le long du réseau, et le GPRS pour les échanges entre les relais de pilotage.

Une fois entièrement équipé, d’ici 2018, le réseau de distribution d’électricité disposera de l’infrastructure de communication indispensable à l’activation des fonctions de « réseaux intelligents ». Celles-ci consistent en une optimisation des flux croisés d’électricité entre les diverses entités actives raccordées : les capacités de production centralisées et les sources décentralisées intermittentes (panneaux photovoltaïques), les clients modulant leurs appels d’électricité en fonction de leur besoin et de la tarification, et les moyens de stockage tour à tour consommateurs ou fournisseurs comme les batteries des voitures électriques.

Toutes ces fonctions font d’ores et déjà l’objet d’expérimentations : l’intégration décentralisée de sources photovoltaïques sur la Cote d’Azur; l’intégration décentralisée de sources éoliennes dans l’Est. En outre, ERDF est chef de file du projet européen Grid4EU qui regroupe vingt-sept partenaires, et met en œuvre six démonstrateurs dans autant de pays européens différents.

Toutes ces expérimentations en cours permettront d’évaluer jusqu’à quel point la capacité de réaction des « réseaux intelligents » absorbera l’intermittence des sources décentralisées d’énergies renouvelables. Mais si la souplesse accrue des réseaux se traduira sans doute par un gain d’optimisation des ressources de compensation de l’intermittence, elle ne permettra pas d’en faire l’économie.

De fait, les futurs « réseaux intelligents » ne se substitueront pas aux dispositifs de stockage massif d’énergie, mais serviront plutôt à les intégrer de manière optimisée au fonctionnement du réseau électrique. Les deux outils sont par nature complémentaires, également indispensables tous les deux pour permettre le développement des énergies renouvelables.

La disponibilité industrielle des dispositifs de stockage d’énergie, à des coûts permettant un déploiement à grande échelle, avant le milieu du siècle, suppose d’engager dès à présent un effort de recherche et développement soutenu.

A cet égard, il est essentiel que l’Alliance pour la recherche en énergie (ANCRE), qui coordonne depuis 2009 les moyens des organismes de recherche dans le domaine de l’énergie, fasse mieux ressortir l’effort qu’elle a déjà engagé pour explorer, expérimenter puis développer toutes les solutions technologiques adaptées pour un stockage d’énergie de masse.

Cet effort doit conduire à créer des collaborations de recherche avec les partenaires européens les plus avancés dans ce domaine, particulièrement avec nos voisins allemands qui s’y sont engagés avec l’atout historique de leur chimie lourde.

2. L’APPORT DES TECHNOLOGIES FUTURES DE L’ÉNERGIE NUCLÉAIRE

C’est au sortir de la deuxième guerre mondiale, très exactement le 18 octobre 1945, que le général de Gaulle a décidé, sous l’impulsion de Frédéric Joliot-Curie, de développer un centre de recherche dédié à l’étude de l’atome et de ses applications, notamment dans les domaines de la production d’énergie et de l’armement43.

Avec la création du Commissariat à l’énergie atomique (CEA)44, notre pays est doté de l’outil scientifique nécessaire au développement de son indépendance énergétique et militaire. Soixante six ans plus tard, la recherche française occupe l’une des premières places, si ce n’est la première au niveau mondial, dans le domaine nucléaire. Mais cette position enviée ne nous est évidemment pas définitivement acquise. Au côté des États-Unis et de la Russie, ce sont désormais les pays émergents, la Chine en tête, qui investissent massivement dans la recherche nucléaire.

Un vecteur de performance industrielle

Si la France doit, dans ce contexte de concurrence renforcée, maintenir ses propres investissements à un niveau suffisant, l’avenir de la recherche nucléaire française ne se résume pas à une question de financement. Il serait vain de continuer à dépenser plus de 700 millions d’euros chaque année, sans une vision claire de la place de l’énergie nucléaire dans le paysage énergétique français du futur. C’est bien la capacité du général de Gaulle et de Frédéric Joliot-Curie à anticiper l’importance des applications de l’atome, à l’époque encore balbutiantes, dans tous les domaines de l’activité humaine, qui a permis les succès passés.

Un manque de stratégie claire amènerait inéluctablement à une démobilisation dans les organismes de recherche et la simple annonce d’une sortie programmée, ou même d’une réduction importante du rôle dévolu à l’énergie nucléaire, conduirait les meilleurs éléments de nos universités et de nos grandes écoles à se détourner de métiers qu’ils jugeraient sans avenir. Quelques années d’atermoiements suffiraient sans doute à nous faire perdre pieds, tout comme cela s’est produit pour la recherche britannique dans les années quatre-vingt-dix, au risque de ne plus jamais pouvoir revenir dans le peloton de tête de la recherche mondiale.

Un tel repli de notre recherche fondamentale entraînerait inexorablement un recul de la position concurrentielle de l’ensemble de l’industrie nucléaire française. Comme toute industrie de pointe, celle-ci nécessite en effet un investissement constant et sans faille dans l’innovation scientifique et technologique. Ainsi, si le réacteur français de troisième génération EPR offre, aujourd’hui, un avantage concurrentiel majeur à notre industrie, de par sa conception garantissant des performances sensiblement améliorées dans le domaine de la sûreté, des réacteurs plus avancés, de quatrième génération, sont d’ores et déjà en cours de développement dans plusieurs pays.

Un domaine de coopération internationale

La recherche de nouveaux types de réacteurs offrant des performances encore améliorées, n’est en effet pas qu’une préoccupation en France, elle fait l’objet d’un ensemble de programmes internationaux, regroupant douze pays et la communauté européenne de l’Energie atomique Euratom, au sein du Forum Génération IV45. De nombreux verrous technologiques restent encore à lever, mais on peut, d’ores et déjà, envisager des réacteurs dont le cœur ne pourrait pas se dégrader, qui toléreraient l’erreur humaine, résisteraient à la prolifération, et, surtout, permettraient l’incinération de leurs déchets.

Comme l’a expliqué M. Sylvain David, chercheur à l’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules du CNRS, à l’occasion de l’audition du 17 novembre 201146, parce qu’ils permettent de produire cent fois plus d’énergie à partir de la même quantité d’uranium, ces nouveau réacteurs pourraient également apporter à l’humanité des réserves d’énergie considérables, équivalentes à 5 ou 6 fois le total des réserves mondiales de charbon, de gaz et de pétrole additionnées. S’agissant de notre pays, les stocks d’uranium appauvri et de plutonium constitués dans le cycle du combustible, pourraient ainsi permettre d’assurer son indépendance énergétique pour trois à cinq mille ans.

Au cours de la même audition, M. Christophe Béhar, directeur de l’énergie nucléaire au CEA, a souligné l’avance concurrentielle très importante prise par la France dans le développement de cette nouvelle génération de réacteurs. Si la France participe à plusieurs projets internationaux, le plus avancé est en effet celui consacré au réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium ASTRID, au sein duquel notre pays tient une place prééminente.

Le développement du projet ASTRID s’inscrit dans le cadre de l’un des trois axes de recherche définis par les lois du 30 décembre 1991 et du 28 juin 2006, celui de la séparation-transmutation, qui vise à réduire la nocivité des déchets les plus actifs et à faciliter leur stockage. La faisabilité scientifique de ces opérations a déjà été démontrée par le CEA, notamment au sein du laboratoire ATALANTE à Marcoule. Leur faisabilité industrielle ne pourrait, toutefois, être confirmée si le projet ASTRID venait à être arrêté.

La France occupe également une position de premier plan au sein d’un autre projet, à plus long terme, dans le domaine nucléaire, le réacteur ITER dont elle a obtenu, après de longues négociations, l’implantation sur le site du centre de recherche du CEA de Cadarache. Ce projet international constitue la première tentative de production, à une échelle significative, d’électricité à partir de l’énergie issue de la fusion de noyaux d’hydrogène.

La fusion nucléaire contrôlée représente un défi scientifique et technique majeur, mais qui permettrait d’alimenter toute l’humanité en une énergie peu polluante et inépuisable. Même si l’on n’est toujours pas assuré de réussir à contenir l’extraordinaire libération d’énergie résultant de la réaction de fusion, la conduite de ce projet générera d’importantes retombées économiques et scientifiques.

Il serait tout à fait paradoxal de considérer que la France pourrait continuer à jouer un rôle majeur dans des programmes nucléaires coûteux, à moyen ou à long terme, en abandonnant dans le même temps des technologies nucléaires éprouvées et particulièrement rentables.

Il faut à cet égard, toujours garder à l’esprit, que si ces recherches et ces développements ne se font plus en France, au CEA, ils seront inévitablement réalisés dans des pays nouvellement industrialisés qui ont la volonté, et même l’obligation, de s’approprier les technologies clés qui conforteront leur indépendance énergétique.

B. UNE PROPOSITION DE « TRAJECTOIRE RAISONNÉE »

Les données technologiques relatives au stockage d’énergie et aux progrès potentiels de l’énergie nucléaires, nous fournissent les éléments d'une vision d'avenir pour le système énergétique en prenant en considération deux contraintes essentielles, qui concernent tout d'abord le délai indispensable pour passer du concept scientifique à la maturité industrielle, et ensuite le besoin de caler l'ensemble du bouquet d'approvisionnement électrique sur un socle énergétique solide.

1. LA RÉALITÉ DU TEMPS ÉNERGÉTIQUE FACE AUX RACCOURCIS POLITIQUES

Il serait peu prudent d'oublier que l'évolution des caractéristiques du système énergétique s'inscrit dans la longue durée : il a fallu un demi-siècle pour que le charbon prenne le relais du bois à l'époque de la révolution industrielle, un autre demi-siècle pour que le pétrole devienne incontournable jusqu'à devenir une donnée stratégique de la seconde guerre mondiale; le gaz naturel n'a véritablement pris son essor que dans l'après-guerre. Quant à l'électrification des territoires, elle a commencé à la fin du XIXe siècle, mais ne s'est achevée dans les pays développés qu'au moment des « Trente Glorieuses ».

De surcroît, l'histoire enseigne que les ressources énergétiques s'additionnent et coexistent, et ne se substituent pas : encore aujourd’hui le bois, qui a chauffé les cavernes, puis les salles des châteaux forts, sert d'appoint énergétique pour le confort des maisons passives, qui symbolisent pourtant le degré le plus avancé de l'efficacité énergétique ; les centrales à charbon qui furent les premières à produire l'électricité distribuée en réseau, continuent à jouer un rôle essentiel dans les pays encore riches en houille et en lignite, comme les États-Unis ou l'Allemagne, ou encore dans les pays en développement rapide comme la Chine et l'Inde.

Dans cette logique, on peut estimer, sans aucune intention de minimiser l'intérêt de leur contribution, que les énergies renouvelables ne pourront prendre une place véritablement conséquente au sein du bouquet énergétique qu'au terme d'un processus de plusieurs dizaines d'années.

On peut prendre une posture plus volontariste, et céder à l’impression qu’une décision politique suffit pour faire bouger rapidement les lignes; mais ce serait faire abstraction des étapes incontournables permettant successivement de transformer un concept scientifique en maquette expérimentale, puis une maquette expérimentale en prototype opérationnel, puis un prototype opérationnel en équipement industriel, puis un équipement industriel en noyau de système industriel, enfin de noyau de système industriel en vecteur d'une véritable filière économique.

A chaque étape, les coûts de fabrication, de mise en service, d'exploitation, et de maintenance diminuent grâce aux économies d'échelle et aux économies de dimension : les économies d'échelle abaissent les prix unitaires du fait des phénomènes d'apprentissage, et de l'application de procédures de plus en plus standardisées à des séries de plus en plus longues; les économies de dimension abaissent les prix du fait des synergies qui apparaissent à la faveur de l'interaction croissante avec les autres secteurs d'activité.

Au fur et à mesure que le système d’interactions économiques se met en place autour de l'activité de production principale, les économies d'échelle et de dimension gagnent progressivement les secteurs d'équipement et de service sollicités en amont, ce qui permet en retour une nouvelle baisse des coûts unitaires pour le bien nouvellement venu dans le tissu industriel.

Le prix de celui-ci, à partir d'une situation où il est fortement subventionné, comme c'est le cas pour l'ensemble des nouvelles technologies de l'énergie aujourd'hui, notamment au travers de l'obligation de rachat financée par la « contribution au service public de l’électricité » (CSPE), finit ainsi par rejoindre, au terme d'un décroissance qui s'étend sur plusieurs dizaines d'années, un niveau compatible avec celui des solutions concurrentes déjà implantées sur le marché. En l'occurrence, le niveau de référence est le prix de l'électricité fournie par les énergies fossiles, l'énergie nucléaire ou les barrages hydroélectriques.

Si l'on examine les quatre grappes de technologies en phase de développement aujourd'hui, à savoir les énergies renouvelables, les réacteurs de troisième génération, les technologies de stockage d'énergie et les réacteurs de quatrième génération, ils se dédoublent en deux groupes sur deux positions différentes le long du processus de maturation (ou « road map ») : le stockage d'énergie et la quatrième génération d'énergie nucléaire en sont au stade préliminaire du concept scientifique, ou au mieux, de l'élaboration de la maquette expérimentale, tandis que les technologies éoliennes et photovoltaïques, mais aussi les énergies marines, tout comme les réacteurs de troisième génération en sont, peu ou prou, au stade de la mise en œuvre d'un équipement industriel qui n'en est pas encore à bénéficier des économies d'échelle et de dimension.

A partir de là, en faisant l'hypothèse qu'un cycle de maturation dure une cinquantaine d'années, il est possible de dessiner à grands traits un calendrier « raisonné » de déploiement de ces grappes technologiques.

La période s'étendant jusqu'au milieu du XXIe siècle devrait voir ainsi se déployer progressivement, et dans des conditions de coûts de plus en plus favorables, à la fois les énergies renouvelables et les réacteurs de troisième génération. Les technologies de stockage d’énergie devraient commencer à se déployer sur la fin de la période; on peut donc imaginer qu’à l’horizon de 2050, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité sera calée sur la capacité du système énergétique à compenser leur intermittence, partie par les moyens classiques à flamme, partie par les moyens émergents.

Le Grenelle de l’environnement a fixé comme objectif un doublement de la production d’énergies renouvelables entre 2005 et 2020, en portant notamment la puissance éolienne installée à 25 GW, et la puissance photovoltaïque à 5 GW. Il paraît raisonnable de considérer que le processus de maturation industrielle pourrait permettre, sans subvention cette fois, un nouveau doublement entre 2020 et 2050. Avec un taux de charge moyen de 20 %, une capacité éolienne de 50 GW s’appuyant sur un système de stockage d’énergie pourra alors se substituer à une production de 10 GW en base, soit à peu près l’équivalent de 10 à 15 % de la production totale d’aujourd’hui.

On peut donc concevoir qu’à l’horizon 2050, pourvu que les technologies de stockage intersaisonnier d’énergie soient effectivement disponibles, la part de production nucléaire dans l’électricité puisse être abaissée vers 50 à 60 % de la production totale actuelle.

Cet abaissement s’obtiendrait par le remplacement en fin de vie des centrales nucléaires au rythme d’un réacteur sur deux, au bénéfice exclusif de la technologie de troisième génération ; on fait l’hypothèse que l’arrivée en fin de vie, qui relève de la décision de l’Autorité de sûreté nucléaire, serait prononcée en moyenne au moment de la cinquième visite décennale.

La quantité d’électricité produite à partir des centrales à énergies fossiles serait réduite grâce à la puissance photovoltaïque installée (environ 10 GW en cas de doublement entre 2020 et 2050), et aux autres formes d’énergies alternatives, comme les énergies marines et la biomasse, cette substitution permettant autant d’économies d’émission de CO2. A terme, lorsque les centrales à énergies fossiles arriveraient en fin de vie, la substitution de leur part de production, grâce à l’arrivée à maturité, entre temps, des technologies de stockage d’énergie, pourrait devenir complète.

2. LA FOURNITURE DE L’ÉNERGIE NÉCESSAIRE À LA PRODUCTION D’ÉNERGIE

Le cheminement industriel décrit précédemment ouvrirait, pour la deuxième partie du XXIe siècle, à la faveur du déclassement progressif, après 60 ans d’exploitation, des centrales nucléaires de troisième génération, à une possibilité équivalente de substitution soit par des centrales de quatrième génération, soit par des équipements exploitant les énergies renouvelables en liaison avec des capacités de stockage d’énergie. A cette échéance, ces deux types de technologie devraient être industriellement viables, c’est à dire en mesure, sans aucune subvention, de tenir le prix en vigueur sur le marché de l’électricité; et elles seraient équivalentes du quadruple point de vue de l’offre ajustée en électricité, de l’indépendance énergétique, de la neutralité climatique, et de « l’empreinte économique », en désignant ainsi l’apport en termes d’emplois localisés sur le territoire national.

S’agissant de l’équivalence des deux solutions en termes de viabilité à long terme, par définition assurée sans limite pour les énergies renouvelables, on peut considérer qu’une possibilité d’utilisation sur plusieurs milliers d’années de la technologie nucléaire de quatrième génération, par recyclage du stock d’uranium appauvri constitué via le retraitement des combustibles usés de deuxième, puis de troisième génération, correspondrait à un horizon extrêmement lointain pour l’humanité ; aussi lointain pour nous que la préhistoire, qui s’est terminée avec l’apparition de la métallurgie, du cuivre, puis du bronze, pour remplacer les outils en pierre, voilà environ cinq mille ans seulement.

Les deux solutions apparaissant équivalentes du point de vue des enjeux nationaux essentiels, on peut s’interroger sur les autres critères qui guideront les efforts d’implantation de l’une ou l’autre technologie sur le territoire.

A cet égard, la visite de Christian Bataille et Catherine Procaccia au Japon a fourni un argument justifiant une réduction de la part de l’énergie nucléaire dans le bouquet électrique47. La vitesse avec laquelle la population, en réaction à l’accident de Fukushima, s’est coalisée, par l’entremise des autorités locales, contre le redémarrage de tout réacteur arrêté, conduisant à une extinction accélérée du parc nucléaire, jusqu’à une interruption complète probable de toute production nucléaire à l’horizon de l’été 2012, montre le risque de s’en remettre pour une part trop importante à cette source d’électricité. Avec une composante du bouquet électrique de l’ordre de 25 à 30 %, le Japon va subir du fait de cette réaction collective compréhensible un préjudice économique grave, avec un recul prévisible de la croissance de 3,6 % en 2012, d’après le Institute of Energy Economics, Japan ; on peut imaginer l’ampleur du choc économique qu’une situation équivalente provoquerait en France, avec sa part d’électricité nucléaire de 75 à 80 %.

L’exemple japonais invite à ne « pas mettre tous ses oeufs dans le même panier ».

A l’inverse, deux éléments justifient qu’une part encore conséquente de la production d’électricité incombe à l’énergie nucléaire de quatrième génération :

- d’abord, la technologie nucléaire de quatrième génération demeure l’instrument de la transmutation pour la gestion des déchets de haute activité. Le rapport publié en janvier 2011, au nom de l’OPECST, par Claude Birraux et Christian Bataille, sur l’évaluation du deuxième PNGMDR, « Se méfier du paradoxe de la tranquillité », a certes souligné que la transmutation ne pourra pas conduire à une élimination totale des déchets radioactifs, mais elle permettra néanmoins d’en réduire substantiellement l’activité et le volume, facilitant ainsi leur stockage géologique. Cette voie de traitement des déchets mérite donc de rester ouverte, afin qu’il soit possible de profiter de tous les progrès scientifiques éventuels ;

- l’autre élément rendant indispensable le maintien d’une part de production d’énergie nucléaire dans le système énergétique tient à l’auto-consommation du secteur énergétique. En particulier, le stockage d’énergie, qui viabilisera les énergies renouvelables en compensant leur intermittence, devra lui-même être alimenté en électricité. Or la sécurité d’un système énergétique suppose que celui-ci prenne appui sur une production en base totalement maîtrisée, sans risque d’aléa sur l’approvisionnement. Un pays charbonnier comme l’Allemagne dispose ainsi, comme assise à sa stratégie de développement des énergies renouvelables, une réserve nationale de 350 ans de lignite. Pour sa part, la France a pour équivalent les milliers d’années d’autonomie énergétique que lui procurera, à la faveur du déploiement industriel de la quatrième génération, les stocks valorisables d’uranium appauvri et de plutonium qui ont pu être accumulés, depuis le début de l’exploitation de la seconde génération, grâce à sa maîtrise du cycle du combustible48.

En considérant que l’énergie hydroélectrique et l’énergie thermique tirée des déchets et de la biomasse contribueront à l’assise du système électrique français pour une part qui pourrait atteindre au total 15 % de la production totale actuelle à partir de 2050, on voit qu’une composante nucléaire du bouquet électrique ramenée à 25 ou 30 % suffira pour donner à cette assise une ampleur suffisante d’au moins 40 % de la production totale actuelle. Cela laisserait une part de plus de la moitié pour les énergies renouvelables les plus productives (énergies éolienne et photovoltaïque), pour autant que leur démultiplication bénéficie de l’assentiment social dans les zones concernées, et que leur implantation soit couplée avec une gestion du stockage de l’énergie compensant complètement leur intermittence.

Dans cette vision du bouquet énergétique à l’horizon 2100, les énergies fossiles, et donc les émissions de CO2 , disparaissent complètement, les filières concernées s’étant entre temps reconverties entièrement dans la gestion du stockage d’énergie, via la méthanation notamment.

La « trajectoire raisonnée » ainsi proposée en prenant en considération le délai « historiquement plausible » de maturation industrielle des solutions technologiques dans le secteur de l’énergie, ramènerait ainsi l’énergie nucléaire à une part de 50 à 60 % de la production totale actuelle vers 2050, et de l’ordre de 30 % vers 2100. Cette décroissance serait obtenue en n’effectuant qu’un remplacement partiel des capacités nucléaires installées lorsqu’elles arrivent en fin de vie : 1 réacteur sur 2, soit en moyenne 4 GW sur 5 lors du passage de la deuxième à la troisième génération, puis 2 GW sur 3, soit probablement à nouveau un ratio voisin de 1 réacteur sur 2, lors du passage de la troisième à la quatrième génération

ANALYSE DE TROIS SCENARIOS

1 - Sortie du Nucléaire

Gérer l’impact d’une perte de 450 TWh de production électrique pour une consommation intérieure totale (y compris l’industrie) de 500 TWh

Compensation :

Trois solutions qui peuvent se combiner :

- Restriction de la consommation : de 0 à 450 TWh, selon le degré d’acceptation sociale

- Importation de gaz (25 euros le MWh) pour un parc équivalent de centrales avec rendement de 60 % : aggravation du déficit commercial de 25 milliards d’euros pour un déficit actuel de 50 milliards d’euros

- Importation d’électricité (50 euros le MWh) : aggravation du déficit commercial de 25 milliards d’euros, beaucoup plus si le marché européen se tend, et pousse le prix de l’électricité à la hausse (supplément de demande de 15 % pour une offre amputée de 15 %)

Perte économique :

- 400 000 emplois directs et indirects de la filière nucléaire

- Faillite et délocalisation des entreprises victimes de l’électricité chère

- Arrêt de la recherche sur la transmutation des déchets

Emission de CO2 :

L’émission du kWh passe de 90 grammes à 210 grammes (234 grammes par kWh de gaz pour 90 % du parc), ce qui correspond à un doublement des émissions du secteur de l’énergie

Coût d’ajustement49 :

- Démantèlement des 59 réacteurs et des installations aval et amont de la filière : des dizaines de milliards d’euros 50.

- Création d’une capacité de 63 GW de production à flamme : 60 milliards d’euros

- Installation d’une capacité en énergies renouvelables de 30 % du parc des centrales à gaz (10 milliards d’euros pour 3 GW51) : 150 milliards d’euros

Gain économique :

- Accélération de l’industrie du démantèlement

- Construction et maintenance des centrales à gaz

- Construction et maintenance des sources d’énergies renouvelables

2 - Maintien Du Parc actuel

La filière nucléaire française reste un atout de l’économie française avec une contribution de 2 % à la valeur ajoutée et à l’emploi, un impact de long terme sur la croissance52 de l’ordre de 1,5 % à travers le maintien d’un prix bas et stable de l’électricité.

La consolidation de la sûreté est assurée par le remplacement progressif des centrales de deuxième génération par des centrales de troisième génération.

La filière de gestion des déchets poursuit les recherches sur la transmutation.

Les réacteurs de quatrième génération sont déployés à partir du milieu du siècle.

Mais : le parc nucléaire est exposé au syndrome japonais : toutes les centrales nucléaires sont arrêtées si un accident survient, ce qui ramène au scénario précédent.

3 - Durée de vie à 50 ans et Renouvellement partiel du parc

Le remplacement d’un réacteur sur deux en fin de vie (50 ans, sous réserve de l’avis de l’ASN) par des EPR ramène la part électronucléaire de la production d’électricité à moins de 2/3 de la production totale actuelle vers 2036 (ce qui suppose la construction à cette date d’une vingtaine d’EPR).

Le remplacement des deux derniers réacteurs de deuxième génération (Civaux) en 2052 ramène cette part à près de la moitié de la production électrique totale actuelle avec un parc d’une trentaine d’EPR.

 Ce scénario, qui organise une transition progressive vers une moindre dépendance à l’énergie nucléaire, laisse un délai pour faire émerger des solutions alternatives :

- Développement de la sobriété énergétique (bâtiments passifs)

- Déploiement à grande échelle des solutions de stockage d’énergie

- Mise en exploitation d’énergies renouvelables « stockées »

- Utilisation à plein du potentiel des « réseaux intelligents »

 Ce scénario permet le maintien de l’atout industriel français dans la filière :

- Renforcement de la sûreté grâce au remplacement par des EPR

- Conservation de la compétence d’ingénierie grâce aux constructions

- Poursuite des recherches intéressant la transmutation des déchets

- Déploiement des premiers réacteurs de quatrième génération vers 2050

CONCLUSION :

SE MÉFIER DE L’EFFET DE CISEAU

Au terme de ce rapport en deux étapes sur la sécurité nucléaire et l’avenir de la filière nucléaire, dont le premier volet a été publié fin juin 2011, nous concluons que le devenir du bouquet électrique français doit se régler sur la vitesse de maturation industrielle des énergies renouvelables, ce qui implique la disponibilité effective de solutions économiquement viables de stockage intersaisonnier d’énergie, indispensables pour compenser l’intermittence et permettre la fourniture d’une électricité en base, avec la puissance nécessaire.

Tout au long de la transition vers cette substitution des moyens actuels de production, l’énergie nucléaire, dans les conditions de sûreté renforcée prenant en compte les enseignements de l’accident de Fukushima, doit conserver son rôle de pilier du bouquet électrique français, les générations technologiques nouvelles se déployant à l’occasion de l’arrivée en fin de vie des réacteurs des générations antérieures.

Nous avons décrit une « trajectoire raisonnée » en fonction des perspectives plausibles d’évolution sur longue durée des différentes grappes technologiques en jeu. Elle conduit à envisager une réduction de la part de l’énergie nucléaire à un niveau de 50 à 60 % de la production totale actuelle vers 2050 et de l’ordre de 30 % vers 2100, toutes choses étant équivalentes par ailleurs du point de vue de la sécurité énergétique, de la neutralité climatique et de « l’empreinte économique » (l’implantation en termes d’emplois).

Cette « trajectoire raisonnée » n’interdit en rien une évolution plus rapide si les processus de maturation industrielle s’accélèrent, ou si des ruptures technologiques permettent de sauter des étapes sur le chemin de l’abaissement des coûts jusqu’à la viabilisation économique.

Mais toute démarche de substitution qui prétendrait être plus volontariste prendrait le risque de l’incohérence climatique et de l’impasse économique :

- l’incohérence climatique, parce que le seul substitut viable à court terme pour la production nucléaire est la production thermique fortement émettrice de CO2, qui s’imposera alors nécessairement, soit directement pour empêcher les délestages, soit, dans le meilleur des cas, pour compenser l’intermittence des énergies renouvelables;

- l’impasse économique en raison de l’effet de ciseau résultant de ce que le déploiement des énergies renouvelables est subventionné grâce au produit de la « contribution du service public de l’électricité » (CSPE), qui est assise sur la facture d’électricité, c’est à dire pour les trois-quarts, sur la production nucléaire.

C’est le prix relativement bas de l’électricité française, héritage de l’investissement historique de notre pays dans l’énergie nucléaire, qui permet d’effectuer depuis 2003 ce prélèvement de manière relativement indolore. Si la base de production nucléaire en vient à être brusquement réduite sans attendre la maturation des solutions de substitution, comme toute autre source d’électricité non hydraulique est plus chère, le prix final de l’électricité s’élèvera mécaniquement, réduisant d’autant la marge de revenu du client final pouvant faire l’objet d’un prélèvement. La ressource pour soutenir le déploiement des énergies renouvelables se tarira donc au moment même où ce déploiement aura au contraire besoin d’être accéléré pour compenser le déficit d’électricité provoqué par l’arrêt a priori des centrales nucléaires.

Un tel arrêt précipité enclencherait donc un cercle vicieux qui contrarierait l’objectif d’accroître la place des énergies renouvelables; il conduirait en outre à une détérioration du bilan en CO2 via un recours contraint à un supplément d’énergies fossiles. C’est là l’illustration d’un « effet de ciseau » : une trajectoire trop directe pour obtenir des bénéfices va activer d’elle-même des facteurs antagonistes accroissant à rebours des charges et des contraintes au point d’annihiler les gains souhaités.

Au mécanisme auto-bloquant très immédiat passant par le canal des subventions, il faut ajouter dans ce cas le jeu plus général du circuit économique, car une interruption de la production nucléaire sans solution véritablement substituable, avec les conséquences qu’elle aurait sur la qualité de l’approvisionnement en électricité, entraînerait des perturbations du système productif qui pèseraient sur la croissance, diminuant d’autant les ressources potentielles de financement public et privé pour l’investissement dans des capacités de production nouvelles.

Dans une logique déjà illustrée par des phases similaires de l’histoire, les énergies renouvelables prendront d’autant plus rapidement leur essor qu’elles s’appuieront sur les apports technologiques et économiques des systèmes énergétiques antérieurs, qu’il serait donc dommageable d’arrêter prématurément.

Au début du XIe siècle, le moine Eilmer de Malmesbury, équipé d’un harnais portant des ailes mécaniques de sa confection, s’est lancé d’une tour de son monastère pour tenter de réaliser le fabuleux rêve d’Icare. Il a progressé de quelques mètres dans le vide avant de chuter brutalement, se brisant les jambes au point de rester estropié à vie. Il n’avait pas tort de croire qu’un homme pourrait un jour s’envoler. Il lui manquait seulement sept siècles de progrès technique pour y parvenir comme les frères Montgolfier, et encore un siècle de progrès industriel pour y parvenir comme Clément Ader, et les frères Wright.

Il ne faudra certainement pas autant de temps pour domestiquer les énergies renouvelables. Mais il serait irresponsable d’estropier notre pays en le lançant dans le vide pour s’éviter d’attendre les deux ou trois décennies indispensables à la mise au point d’innovations suffisamment robustes.

EXAMEN DU RAPPORT

(Jeudi 15 décembre 2011)

M. Claude Birraux, député, président. Je tiens d'abord à saluer les nouveaux membres de la mission qui nous ont rejoints à la suite du renouvellement partiel du Sénat, soit en qualité de membres de l'Office, soit en raison de leur nomination par la Commission de l’économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, désormais présidée par M. Daniel Raoul, qui fut membre de l’Office et que nous regrettons déjà.

M. Daniel Paul devra nous quitter dans quelques instants car il est le seul représentant de son groupe pour l’examen d’un texte ce matin en séance publique. Il a consulté le rapport hier et m'a fait savoir qu'il transmettrait, en début de semaine prochaine, une contribution à celui-ci.

M. Daniel Paul, député. Éventuellement.53

M. Claude Birraux, député, président. Nous voilà donc parvenus à la fin de l'étude sur « la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir », qui a été confiée en mars dernier à notre mission créée à l'initiative des présidents des deux assemblées parlementaires.

La première partie de notre étude, consacrée à la sécurité nucléaire, avait débouché sur la publication, le 30 juin dernier, d’un rapport d'étape comportant de multiples recommandations destinées, par exemple, à mieux encadrer l'appel à la sous-traitance au sein de la filière nucléaire ou encore à consolider les moyens dévolus au contrôle de la sûreté et à la transparence.

Depuis septembre, la deuxième partie de notre étude a été principalement consacrée aux questions relatives à l'avenir de la filière nucléaire. Elle a donné lieu à deux visites de M. Christian Bataille, en Allemagne, avec M. Marcel Deneux, et au Japon, avec Mme Catherine Procaccia, ainsi qu’à quatre auditions ouvertes à la presse. La sécurité nucléaire est toutefois restée au coeur de nos préoccupations comme l'illustrent les contrôles surprise que M. Bruno Sido et moi-même avons menés le 30 novembre dernier dans les centrales de Paluel et du Blayais. Nous entendions faire ainsi savoir à l’exploitant des centrales que nos recommandations méritaient d’être suivies.

De la même façon, nous avons tenu à nous assurer, dès la reprise de nos travaux, de la bonne mise en œuvre des recommandations du rapport d'étape, en organisant, le 27 septembre dernier, une réunion avec les administrations et les organismes concernés. Malgré cette précaution, constatant après un mois leur inertie, nous avons adressé, le 24 novembre dernier, un courrier à M. le Premier ministre afin que les ministères en charge nous communiquent, avant aujourd'hui, un calendrier de mise en œuvre de nos recommandations. À ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse de leur part.

J’ai participé hier à l’assemblée générale de l’association nationale des comités et commissions locales d’information (ANCCLI) au cours de laquelle fut diffusé un message de Mme la ministre chargée de l’environnement indiquant que la dotation au fonctionnement de cette association serait accrue de 400.000 euros, soit une progression de 70 %. Une bonne nouvelle nous parviendra-t-elle en cours de séance ? Je n’y crois guère.

Je regrette notamment que nos recommandations relatives aux conditions de la sous-traitance ne fassent pas l'objet d'une mise en œuvre plus active, car la manière de gérer celle-ci constitue une composante essentielle de la cohésion du personnel autour des objectifs de sûreté. Au cours de nos visites inopinées, nous avons pu vérifier que la motivation des personnels reste forte, ce qui leur permet de surmonter les imperfections des procédures écrites. Il faut tout faire pour entretenir cette flamme, nourrie par la légitime fierté de travailler dans un contexte exceptionnel. En quittant la centrale à deux heures du matin, j’ai ainsi entendu l’équipe d’astreinte, que j’avais privée d’une soirée tranquille, déclarer que le matin même, à partir de huit heures, la fiche de procédure serait réécrite.

Le contenu de notre rapport sur l'avenir de la filière nucléaire a été mis en consultation durant toute la journée d'hier. Il va de soi que la version publiée sera enrichie d'annexes, dont le compte rendu intégral des auditions ouvertes à la presse, d'ores et déjà disponible en ligne, et de quelques documents de référence, tels que les comptes rendus de nos visites en Allemagne et au Japon.

Le rapport souligne que le devenir du bouquet énergétique français doit se régler sur la vitesse de maturation industrielle des énergies renouvelables. Ce constat nous a conduit à décrire une « trajectoire raisonnée », en fonction des perspectives plausibles d'évolution des technologies en jeu. Cette « trajectoire raisonnée » n’interdit en rien une évolution plus rapide, si les ruptures technologiques permettent de sauter des étapes. Mais nous considérons que toute démarche de substitution qui prétendrait être plus volontariste, en faisant fi des limites bien réelles des techniques actuelles, prendrait le double risque de nous conduire à une incohérence climatique et à une impasse économique.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Nos déplacements, que le président Claude Birraux a mentionnés, en Allemagne, avec M. Marcel Deneux, et au Japon, avec Mme Catherine Procaccia, nous ont permis de confirmer que les choix énergétiques ne sont pas universels mais dépendent avant tout de spécificités nationales et de processus historiques.

Ainsi, l'Allemagne n'est pas prête d'abandonner l'atout que représentent ses réserves considérables de lignite, équivalentes à 350 années de production – nous avons visité une exploitation de lignite dans la région de Cologne, que l’on pourrait qualifier de prométhéenne tant elle nous a impressionnés par sa grande technicité, autorisant 99 % de désulfuration. Il en résulte que, même si les Allemands parlent plus volontiers des éoliennes et des autres énergies renouvelables, nous avons mis le doigt sur la réalité de leur équation énergétique pour la production d’électricité : un quart revient au lignite, et, en ajoutant la houille, on arrive à 40 %. C’est pourquoi, si le système énergétique français s’est affranchi du charbon, celui de l’Allemagne peut prétendre s’affranchir du nucléaire, mais non renoncer au charbon. Autrement dit, nos voisins d'outre-Rhin mettent en avant leurs énergies renouvelables, mais ils continuent, parallèlement et avec beaucoup de talent, à perfectionner les techniques nécessaires au développement du thermique à flamme.

Il en va de même du gaz : nous avons visité une centrale gaz à cycle combiné à la pointe du progrès, dégageant un rendement de 60 %. Si venait aux Français la mauvaise idée d’abandonner leurs centrales nucléaires, les Allemands se montreraient aussitôt prêts à répandre leur technique du cycle combiné gaz dans toute l’Europe. Non seulement nous achèterions du gaz russe mais, de plus, nous achèterions aussi des machines allemandes.

De la même façon, le Japon, puissance industrielle insulaire dénuée sur son sol de ressource énergétique, a mis à profit sa maîtrise industrielle pour développer, malgré une situation géologique très défavorable que nous avons pu mesurer, une filière nucléaire propre. À la suite de l'accident de Fukushima, le pays s’est engagé dans un arrêt accéléré de ses moyens de production électronucléaire car les autorités administratives, d’État comme régionales ou locales, ne veulent pas endosser la responsabilité du redémarrage des installations. Si certaines d’entre elles sont destinées à un arrêt définitif, beaucoup peuvent encore fonctionner mais restent à l’arrêt : sur 52 centrales, 42 sont aujourd’hui arrêtées et ce sera le cas de toutes au printemps prochain. La production d’électricité au Japon provenant pour 30 % du nucléaire, l’industrie s’adapte à la nouvelle situation par des économies improvisées : on éclaire moins les bureaux ; on travaille dans la pénombre à la lumière de lampes diffusant un éclairage blafard ; Tokyo n’est plus la ville lumière que l’on a connue et compte désormais d’importantes zones d’ombre. Le pays envisage dorénavant, si le marché le permet, de recourir massivement au gaz liquéfié, car il n’existe pas de gazoduc traversant la mer du Japon. Cette nation présente ainsi au moins une similitude avec l’Allemagne : l’alternative au nucléaire, voulue et programmée outre-Rhin pour 2022, proviendra du charbon et du gaz russe, tout comme au Japon, où elle résulte d’un accident, elle proviendra des hydrocarbures et du gaz liquéfié.

Plus généralement, l'audition du 27 octobre dernier sur les politiques énergétiques a montré que les choix en la matière sont également déterminés par la contrainte d'une augmentation de la demande, notamment dans les pays émergents. Malgré le rôle croissant des énergies renouvelables, l'alternative pour eux se situera, pour une très large part et pendant encore longtemps, entre les énergies fossiles et l'énergie nucléaire. On ne peut donc pas éluder le débat sur les coûts économiques, écologiques et sanitaires respectifs de ces deux formes d'énergie, ce qui ne doit pas empêcher de préparer les perspectives à long terme par le développement de technologies et de filières plus performantes.

En France, le recours à l'industrie nucléaire s'est inscrit dans un contexte national spécifique. S’appuyant sur un savoir-faire et sur des connaissances scientifiques de haut niveau, qui remontent aux travaux menés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe par des physiciens aussi prestigieux que Pierre et Marie Curie, Frédéric Joliot-Curie ou Francis Perrin, la France bénéficie traditionnellement d’une culture nucléaire qui ne résulte pas des hasards économiques mais du talent et du travail de ses scientifiques.

L’industrie nucléaire nous a permis de répondre, malgré l'épuisement des réserves d'énergie fossile de notre sous-sol, à quatre priorités stratégiques.

La première priorité consiste à disposer d'une production électrique suffisante et adaptée, en énergie comme en puissance. En effet, au cours des trente dernières années, notre consommation intérieure d'électricité, tirée par une démographie et une économie orientées à la hausse, s'est accrue deux fois plus vite que la consommation d'énergie, en passant d'un peu plus de 150 TWh au début des années 1970 à près de 500 TWh aujourd'hui. Car les besoins en électricité se sont multipliés: dans le secteur de la santé avec le développement de technologies hospitalières toujours plus performantes ; pour les usages industriels ; en matière de chauffage résidentiel avec les pompes à chaleur ; pour le maintien de la chaîne du froid dans l'agro-alimentaire ; pour les outils de signalisation ; avec la démocratisation des matériels électroniques et de l'informatique – une audition tenue sur ce thème nous a permis de savoir que ces petits appareils, apparemment faibles consommateurs d’électricité, vont cependant représenter 15 % de notre consommation électrique, en dehors même du développement de l’automobile électrique. Le choix de l'électricité nucléaire a permis de disposer d'un outil assez puissant pour couvrir en quantité suffisante les besoins d'électricité liés aux évolutions des modes de consommation tout en favorisant une forte réduction de la production thermique à flamme.

Si l’on sait que Allemagne prépare sa sortie du nucléaire et relance le thermique à flamme, on ne dit pas assez que la France a su, elle, se libérer du charbon, source d’énergie la plus polluante et la plus sale de toutes.

La deuxième priorité réside dans l'indépendance énergétique, tant dans l'approvisionnement que dans le savoir-faire. Rappelons à cet égard que notre pays importe la quasi-totalité des énergies fossiles qu'il consomme, pour un montant supérieur à 45 milliards d'euros – somme à peu près équivalente au déficit de notre balance commerciale en 2010. Pourtant, grâce, principalement, à la production électronucléaire et, à titre complémentaire, à l’hydroélectricité, notre taux d'indépendance énergétique est proche de 50 %. Pour un pays manquant de ressources naturelles, il s’agit là d’une performance de tout premier ordre.

Nos approvisionnements en uranium, limités annuellement à 8.000 tonnes et à un coût de 200 millions d'euros, sont sécurisés du fait de leur provenance depuis plusieurs régions du monde. De plus, le retraitement des combustibles usés à l’usine de La Hague permet d'assurer près du cinquième de l'approvisionnement annuel de nos réacteurs. Notre indépendance énergétique se trouve donc confortée par l'autonomie technologique de notre industrie nucléaire, qui maîtrise tous les procédés qu'elle utilise.

La troisième priorité est la préservation du développement de notre tissu économique et industriel par une énergie peu chère et de qualité. Les chocs pétroliers ont démontré que la disponibilité en énergie constitue une composante essentielle de la croissance économique. L'énergie nucléaire, avec son coût de production à la fois bas et stable, a fourni une assise de long terme à la croissance en France. Cet avantage de coût est illustré par une étude récente de l'union française de l’électricité (UFE), montrant qu'une réduction de 75 % à 20 % du parc nucléaire aboutirait, à l'horizon 2030, à un quasi doublement du prix de l'électricité pour les particuliers comme pour les entreprises. Cet avantage permet aussi d’éviter que nombre de nos concitoyens à faibles revenus ne tombent dans la précarité énergétique. Il existe déjà beaucoup de ménages dans une telle situation : imaginons le ravage social que provoquerait un doublement du prix de l’électricité, qu’accentueraient encore les à-coups des marchés énergétiques mondiaux. L’avantage de coût permet enfin de contenir les risques de délocalisation d'activités et de destructions de PME que pourrait entraîner la délivrance d'une énergie moins fiable et plus chère. C'est exactement ce qu'on observe au Japon, avec des industriels qui, en réaction à l'arrêt progressif des centrales nucléaires, envisagent de s’expatrier. Quand on connaît la force du patriotisme économique dans ce pays, on mesure mieux leur exaspération. Je leur ai ironiquement proposé de venir s’installer en France pour trouver l’énergie qui leur manque dans l’archipel.

La quatrième priorité est la préservation environnementale de notre outil de production électrique. Dans le contexte international de lutte contre le changement climatique, le recours à l'énergie nucléaire présente l'atout incontestable de délivrer une puissance considérable sans émettre de gaz carbonique, sauf celui résultant de l'utilisation d'énergies fossiles dans certaines phases du cycle du combustible nucléaire – extraction de l'uranium, préparation du combustible, transports. Les données fournies par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) sur les émissions de CO2 par pays montrent que la France, avec 90 grammes par kWh, est globalement mieux placée que le Danemark, avec 303 grammes par kWh, et surtout que notre grand modèle actuel, l'Allemagne, qui émet 430 grammes par kWh. Par ailleurs, pour produire une unité de PIB, la France diffuse deux fois moins de CO2 que l'Allemagne.

À cet égard, il faut souligner ce que serait la situation de la France si une décision comparable à celle prise en Allemagne était mise en œuvre : ne disposant pas de ressources analogues dans son sous-sol, notre pays ne pourrait qu'accroître massivement ses importations de gaz, avec de graves conséquences sur sa balance commerciale et sur son indépendance énergétique. Nous serions de plus conduits à importer des centrales allemandes, à moins qu’Alstom ne réalise des progrès accélérés dans ce domaine, et du gaz provenant de plus loin vers l’Est. Le développement à grande échelle d'énergies renouvelables intermittentes sans percée technologique sur les moyens de stockage entraînerait automatiquement une augmentation de la part des sources fossiles dans la production électrique.

Cet accroissement de la dépendance de notre pays aux énergies fossiles étrangères nous serait préjudiciable pour trois raisons.

Tout d'abord pour des questions géostratégiques. En effet, une augmentation de notre approvisionnement en ressources fossiles étrangères, tout spécialement russes, introduirait un facteur d'instabilité supplémentaire dans une période déjà particulièrement volatile. Ne disposant ni de gaz ni de charbon, nous serions alors à la merci des soubresauts des marchés énergétiques, qui plus est tenus par de grands voisins qui aiment bien « jouer du robinet ».

De plus, une telle aggravation de notre dépendance envers les ressources fossiles représente, à moyen et à long terme, un non-sens économique. Les réserves d'énergies fossiles, qu'elles soient de pétrole, de charbon, ou de gaz, constituent des réserves finies alors que la croissance de la demande mondiale est exponentielle et que les réserves les plus facilement accessibles sont les premières à avoir été exploitées.

Enfin, le retour à une part plus importante d'énergies fossiles est peu souhaitable pour des raisons environnementales. La consommation d'énergies fossiles carbonées telles que le gaz ou le charbon sont à l’origine de l’augmentation de la concentration en gaz à effet de serre, les possibilités techniques de capture et de stockage du CO2 n'étant que balbutiantes et à l'impact environnemental incertain. De surcroît faudrait-il que les populations concernées les acceptent, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Nous considérons donc qu’il serait irréfléchi de vouloir réorienter nos capacités de production électrique vers du thermique à flamme afin de pallier l'intermittence d'un parc renouvelable développé dans la précipitation. Le maintien du parc thermique à son niveau actuel est adéquat pour permettre un développement raisonné des énergies intermittentes en attendant des solutions industrielles pour le stockage de l'électricité, tout en agissant de manière déterminée pour maîtriser la pointe électrique.

M. Bruno Sido va justement évoquer maintenant les développements nécessaires dans le domaine du stockage et des réseaux intelligents.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Je vais évoquer les développements nécessaires dans le domaine du stockage et des réseaux intelligents.

Le degré de maturation des technologies d'exploitation des énergies renouvelables ne permet aujourd'hui d'envisager qu'une substitution limitée à l'énergie nucléaire. La substituabilité de ces deux types d'énergie pourrait toutefois s'accroître, à l'avenir, à condition de progresser dans deux directions : d'une part, la mise en place de réseaux intelligents ; d'autre part, le stockage de l'énergie.

On constate que les énergies renouvelables rencontrent plusieurs freins à leur développement. Ainsi, en dépit d’un effort de recherche important, elles se heurtent toujours à des obstacles technologiques et connaissent des degrés de maturité divers. Les filières matures que sont l’hydroélectricité et l’éolien terrestre ont un coût moins élevé que les technologies en développement telles que le solaire photovoltaïque, la géothermie et l'éolien en mer. Même si certaines technologies progressent et si leur coût décroît rapidement, il n'en faudra pas moins quelques décennies pour développer de véritables filières industrielles.

Par ailleurs, l’approvisionnement en matières premières, notamment en métaux rares, peut représenter à terme une contrainte.

Les infrastructures posent aussi des questions d'acceptabilité sociale et de conflits d'usage de la ressource. On le voit par exemple dans le cas des éoliennes marines en raison de la proximité d'activités de pêche et de tourisme. Le déploiement des énergies renouvelables passe donc par une large concertation avec les acteurs locaux.

De plus, la déconnexion entre lieux de production et lieux de consommation peut rendre problématique un développement massif et rapide des infrastructures d'exploitation d'énergies renouvelables. Celles-ci sont en effet implantées en fonction de la géographie et du climat : c’est le cas des énergies de la mer, de la géothermie, de la ressource hydroélectrique, qui satisfont des besoins de proximité. Bien que les systèmes fonctionnant avec le vent ou avec l’énergie solaire soient les plus répandus, les moyens de production de ces systèmes demeurent très concentrés et largement déconnectés des lieux de consommation. Cette situation implique de développer les réseaux afin d’améliorer l'acheminement de l'électricité. La question n'est pas accessoire, car les délais de construction de lignes à très haute tension sont d'environ dix ans, soit une durée très supérieure aux délais de mise en route des infrastructures, qui sont de trois à quatre ans.

Au problème de l'acheminement s'ajoute celui de l'intermittence, qui entraîne une production fluctuante, c'est-à-dire un risque de pénurie, ou, au contraire, de congestion. Certes, une compensation partielle peut être, à l'échelle d'un territoire, assurée par un effet de moyenne permettant de lisser la production globale. Toutefois, ce mécanisme, dit de foisonnement, est insuffisant car il est lui-même aléatoire : la production demeure difficilement prévisible, y compris au niveau agrégé d'un pays. Même si la prévisibilité était accrue, cela ne résoudrait pas complètement le problème du décalage entre la production et la consommation. Le risque est de devoir interrompre l'approvisionnement électrique, ou, au contraire, de devoir arrêter les moyens de production. L'Allemagne et le Royaume-Uni ont ainsi fait l’expérience d’arrêts forcés de leurs éoliennes. Le risque de décalage est encore plus évident dans le cas de l'utilisation d'énergie solaire puisque celle-ci fonctionne mieux l'été et le jour, alors qu'en France, le pic de consommation se situe l'hiver en soirée.

L'intégration des énergies éolienne et solaire dans le système électrique suppose donc l'existence de sources de secours rapidement mobilisables pour compenser les fluctuations de production. Or les centrales à énergies fossiles sont les équipements susceptibles de monter le plus rapidement en charge et sont utilisées en priorité pour compléter l'apport des énergies renouvelables. C'est le cas en Allemagne, où l'on constate un effort d'investissement dans des centrales au gaz à cycle combiné de dernière génération, très performantes, caractérisées par un fort rendement et une grande flexibilité. Paradoxalement, l’essor des énergies renouvelables peut s’accompagner d’un surcroît d'émissions de gaz à effet de serre.

Dans un pays comme la France qui tire l'essentiel de son électricité de l'énergie nucléaire, l'intérêt de développer les technologies de gestion de l'intermittence est grand si l'on veut éviter que le développement des énergies renouvelables ne s’accompagne d'un recours à des capacités supplémentaires de centrales thermiques à flamme.

Quelles sont donc ces technologies de gestion de l'intermittence ?

En premier lieu, grâce aux technologies de l'information et de la communication, les réseaux intelligents – qui le sont déjà selon M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE – peuvent contribuer à compenser les fluctuations de la fourniture d'électricité. De nombreuses expérimentations sont en cours. En France, elles s'appuient sur le compteur Linky, qui dote les réseaux d'une capacité de pilotage très fin, et dont le gouvernement a d'ores et déjà décidé la généralisation.

Les réseaux intelligents visent une optimisation des flux électriques entre clients et producteurs, avec des modulations possibles en fonction des besoins et de la tarification. Les expérimentations en cours permettront d'évaluer jusqu'à quel point ces dispositifs sont susceptibles d'absorber l'intermittence des sources décentralisées d'énergies renouvelables. Il ne faut toutefois pas en attendre de miracle : certes, les réseaux intelligents favoriseront, à production centralisée constante, la capacité d'adaptation à des fluctuations d'approvisionnement d'ampleur limitée, mais ils ne permettront pas de s'affranchir des centrales thermiques à flamme ou des dispositifs de stockage massif en cas de variations plus importantes. C'est pourquoi il faut engager dès à présent un effort de recherche et de développement soutenu dans le domaine des dispositifs de stockage d'énergie. À ce titre, nos auditions ont permis de dégager deux pistes paraissant répondre aux besoins de stockage massif d'énergie.

Il s’agit, en premier lieu, des stations de transfert d'énergie par pompage (STEP), lesquelles retiennent l'eau dans des réservoirs pour, le moment voulu, déverser celle-ci dans des turbines. Elles sont capables de délivrer des puissances de plusieurs gigawatts. Ce type d'infrastructure s’avère particulièrement utile dans des contextes insulaires, non interconnectés et où, malgré un potentiel parfois considérable, le taux d'insertion des énergies renouvelables est volontairement limité afin d'assurer la sécurité d'approvisionnement – ce pourrait être le cas dans des zones comme les Antilles. Ainsi, le dénivelé des falaises favorise le stockage et donc l’insertion d’une part supplémentaire d'énergies renouvelables dans le bouquet électrique des régions considérées. Il n'existe aujourd'hui qu'une seule STEP marine au monde, à Okinawa au Japon, mais un consortium français piloté par EDF étudie un projet de même nature en Guadeloupe, dans le cadre des investissements d'avenir.

En second lieu, le stockage d'énergie dans des hydrocarbures de synthèse constitue une piste qui présenterait le triple avantage de résoudre la question de l'intermittence, de permettre un recyclage du carbone et de sécuriser l'approvisionnement énergétique des pays qui en maîtriseront la technologie. Plusieurs procédés sont à l'étude, notamment celui dit de « méthanation », consistant à produire du méthane par un mélange d'hydrogène et de gaz carbonique en présence d'un catalyseur. Le gaz obtenu peut alors être stocké ou distribué sur le réseau. La France doit s'engager, comme le fait déjà l'Allemagne, dans cette voie d'avenir qui intéressera aussi les pays émergents fortement émetteurs de CO2.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Je vais maintenant vous présenter les différents scénarios évoqués dans le rapport.

En dépit de la difficulté de l'exercice, nous avons étudié trois scénarios possibles pour l'avenir de la production électrique dans notre pays. Le premier envisage le maintien de la part de la production électronucléaire au niveau actuel. Le deuxième prend en compte une sortie totale du nucléaire selon différentes modalités. Le troisième scénario est celui d’une « trajectoire raisonnée » reposant sur un renouvellement partiel du parc en ne remplaçant qu'un réacteur sur deux et ce exclusivement au profit de la troisième génération de réacteurs à eau pressurisée EPR.

Le premier scénario consiste donc à camper sur notre acquis en prolongeant la durée de vie des réacteurs existants puis en les remplaçant progressivement par des modèles de troisième génération. La filière nucléaire resterait alors un atout pour notre économie, avec une contribution de 2 % à la valeur ajoutée et à l'emploi, et un impact à long terme sur la croissance – de l'ordre de 1,5 % – par le maintien d'un prix de l'électricité réduit. Toutefois, cet immobilisme risquerait de nous exposer au syndrome japonais, dont nous avons pu mesurer la fragilité, en nous contraignant à une sortie accélérée du nucléaire, non seulement dans l’hypothèse d’un accident majeur mais aussi dans celle de défauts techniques pouvant se répercuter sur toute une série de réacteurs du même modèle.

Le deuxième scénario, celui d’une sortie totale du nucléaire, que certains préconisent, peut être admis si l’on cède à l'impression que le temps politique est le même que le temps énergétique, faisant donc abstraction des réalités industrielles et économiques. On pourrait l’envisager, sinon en claquant des doigts, du moins dans un délai de cinq ans, durée d’une législature, alors que l’industrie et la science vivent selon des phases beaucoup plus longues, de l’ordre de 50 ans. Nous avons donc cherché à évaluer les conséquences de la posture volontariste d'une sortie précipitée du nucléaire. Cela reviendrait à gérer l’impact d'une perte de 450 TWh de production électrique, au regard d’une consommation nationale de 500 TWh.

À cette fin, plusieurs formules pourraient se combiner : la restriction de la consommation, selon le degré d'acceptation sociale, entre zéro et 450 TWh ; des importations plus ou moins massives de gaz ou encore d'électricité, cette formule pouvant alourdir de 25 milliards d'euros le déficit de notre balance commerciale, sinon davantage si la tension ainsi provoquée sur les marchés pousse les prix d'importation à la hausse. Un tel schéma de sortie du nucléaire induirait des pertes économiques sévères : la suppression de 400.000 emplois directs et indirects dans la filière nucléaire ; des faillites et des délocalisations d’entreprises victimes du surenchérissement et de la dégradation de la qualité de l'électricité, au premier rang desquelles on trouverait les industries électro-intensives; enfin, l'arrêt des recherches sur la transmutation des déchets.

À ces pertes s’ajouteraient des coûts d'ajustement correspondant au démantèlement anticipé de 59 réacteurs, ainsi que des installations en aval et en amont de la filière, à hauteur de dizaines de milliards d'euros. Il convient d’intégrer aussi la nécessité de créer une capacité de 63 GWh de production à flamme, pour un coût de près de 60 milliards d'euros, ainsi qu’une capacité renouvelable représentant 30 % du parc thermique, pour un investissement de l'ordre de 150 milliards d'euros sur 50 ans, en comptant le renouvellement des équipements éoliens et solaires en fin de vie.

Enfin, nos émissions de CO2 passeraient de 90 à 210 grammes par kWh, approchant ainsi le taux du « grand modèle allemand », ce qui correspond à un doublement des émissions du secteur de l'énergie.

Le troisième scénario, celui d'une trajectoire raisonnée, répond aux données exposées par Bruno Sido concernant la maturation des technologies de stockage d'énergie.

En prenant en considération le délai indispensable pour passer du concept scientifique à la maturité industrielle et le besoin de caler le bouquet d'approvisionnement électrique sur un socle énergétique solide, on peut estimer que les énergies renouvelables ne pourront prendre une place véritablement conséquente au sein du mixe énergétique qu'au terme d'un processus de plusieurs dizaines d'années. À partir de là, on estime que la période s'étendant jusqu'au milieu du XXIe siècle devrait voir se déployer progressivement, et dans des conditions de coût de plus en plus favorables, à la fois les énergies renouvelables et les réacteurs de troisième génération, actuellement en phase de mise au point.

Le remplacement en fin de vie des centrales nucléaires actuelles se ferait au rythme d'un réacteur sur deux, au bénéfice exclusif de la technologie des EPR, c’est-à-dire de réacteurs plus sûrs. Nous avons pris pour hypothèse que l'arrivée en fin de vie, qui relève de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire, serait prononcée, en moyenne, au moment de la cinquième visite décennale. On obtiendrait ainsi, en 2036, une production d'électricité nucléaire équivalente aux deux tiers de la production actuelle totale d'électricité avec une vingtaine d'EPR. En poursuivant ce remplacement jusqu'en 2052, année du cinquantième anniversaire des deux derniers réacteurs mis en service en France, ceux de Civaux en 2002, la part de production nucléaire dans l'électricité pourrait, grâce aux progrès parallèles des technologies de stockage inter saisonnier d'énergie, être abaissée à 50 % de la production totale actuelle, avec une trentaine d'EPR. Ce scénario permettrait de préserver tous les atouts du dynamisme de la filière nucléaire : renforcement de la sûreté du parc par le simple jeu de la mise en service des réacteurs de troisième génération ; conservation d'une compétence d'ingénierie grâce aux constructions ; crédibilité à l'exportation par l'entretien d'un parc français conséquent ; poursuite des recherches sur la transmutation des déchets.

Le remplacement des derniers réacteurs de deuxième génération par des EPR, vers 2050, pourrait en outre coïncider, si la recherche le permet, avec les mises en chantier des réacteurs de quatrième génération, appelées à s'intensifier dans la seconde partie du siècle. Les EPR parvenus en fin de vie, peut-être au bout de 60 ans, pourraient être remplacés par ces réacteurs « rapides », également au rythme d'un sur deux. La « trajectoire raisonnée » ainsi proposée, en prenant en considération le délai historiquement plausible de maturation industrielle des solutions technologiques dans le secteur de l'énergie, ramènerait l'énergie nucléaire à 50 % de la production totale actuelle vers 2050, et peut-être à 30 % vers 2100. Mais nous parlons là d’un futur aux contours encore flous, d’où émergeront peut-être la fusion, avec le réacteur ITER, ainsi que la maîtrise de l’hydrogène et du solaire – nous approchons là de la science-fiction.

À la fin du siècle, ce parc réduit serait alors constitué majoritairement de réacteurs rapides qui serviraient de socle à tout le système de production d'électricité, notamment pour alimenter les dispositifs de stockage d'énergie qui permettront l'exploitation sans intermittence des énergies renouvelables. De ce point de vue, nos stocks d'uranium appauvri et de plutonium, constitués grâce à notre maîtrise du cycle du combustible, notamment à travers le retraitement effectué à La Hague, nous procureront une continuité énergétique équivalente à celle de l'Allemagne et ses 350 années de réserve de lignite.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Je vais compléter les scénarios qu’a présentés M. Christian Bataille par quelques remarques concernant l'avenir de la filière nucléaire.

Comme nous l’avons vu, celle-ci doit continuer à jouer son rôle dans un esprit de complémentarité avec des technologies qui ne pourront se substituer à elle qu'au fur et à mesure de leur maturation. Il serait hasardeux de remettre brutalement en cause une filière qui constitue l'un de nos fleurons industriels, qui assure 410.000 emplois directs et indirects, qui contribue à la compétitivité de notre territoire et qui accroît le dynamisme de nos exportations.

Une décision d'arrêt, total ou partiel, de l'activité nucléaire risquerait de déstabiliser l'organisation mise en place en France et de remettre en cause une expertise aujourd'hui reconnue au plan international.

La dynamique de sûreté ne peut s'envisager que dans le cadre d’une recherche permanente de perfectionnement. Paradoxalement, l'annonce d'une sortie de l'énergie nucléaire pourrait contribuer à accroître les risques en donnant un coup d'arrêt à cette dynamique, par son effet tant sur les investissements physiques que sur le savoir-faire acquis et transmis par le personnel. Qui souhaiterait investir ou s'engager dans une filière sans avenir ? Plus généralement, une démobilisation des chercheurs et des industriels entraînerait un recul de la position concurrentielle de la France dans cette industrie de pointe, avec des effets immédiats sur l'attrait de l'EPR, pourtant en cours de développement dans plusieurs pays.

Par ailleurs, l'organisation de la gestion des matières et des déchets radioactifs, mise en place par les lois de 1991 et de 2006, serait mise en cause par une décision d'arrêt des centrales nucléaires. Les capacités des centres existants seraient insuffisantes pour gérer l'accroissement important du volume des déchets qu'entraînerait, d'une part, une accélération des démantèlements de centrales, et, d'autre part, un abandon du retraitement. À ces difficultés s'ajouterait celle du déclassement en déchets de quantités élevées de matières valorisables, telles que l'uranium appauvri ou le plutonium. Ces dernières sont actuellement considérées comme réutilisables, soit sous forme de combustible MOX pour les réacteurs de deuxième ou de troisième génération, soit, à l'avenir, comme combustibles pour les réacteurs de quatrième génération.

S’agissant justement des réacteurs de quatrième génération, la France dispose d'atouts dus à son effort de recherche et parce qu'elle accumule aujourd'hui des stocks de matières valorisables susceptibles de lui assurer plusieurs millénaires d'indépendance énergétique.

Nous disposons d'un avantage concurrentiel en participant à plusieurs programmes internationaux de recherche dans le cadre du Forum « Génération IV ». La France développe son propre projet de réacteur à neutrons rapides refroidi au sodium, le réacteur ASTRID, destiné à prouver la faisabilité industrielle de ce type de réacteur. Il serait très dommageable d'abandonner une voie qui nous permet d'exploiter pleinement nos atouts spécifiques.

Nous ne possédons pas, à l’égal de l'Allemagne, de réserves de lignite pour 350 ans. En revanche nous disposons d'un stock de matières valorisables, c’est-à-dire d’uranium appauvri et de plutonium, d'environ 300 tonnes à ce jour pour ce dernier. Les calculs qui nous ont été présentés montrent que nous aurons juste ce qu'il faut de plutonium, produit par les réacteurs de deuxième et de troisième génération, pour alimenter le premier chargement des réacteurs « rapides », étant entendu que ces réacteurs ne consomment plus ensuite de plutonium puisque celui-ci est régénéré.

Les auditions que nous avons réalisées tendent à montrer qu'ASTRID sera bien un réacteur de type nouveau, y compris en matière de sûreté. Des recherches sont en cours pour configurer son cœur, en sorte d'éviter tout risque de fonte. Il faut souligner que, par comparaison avec un réacteur à eau, le temps d'intervention sur ce type de réacteur est considérable du fait de l'inertie de la capacité thermique du sodium. En outre, son circuit de refroidissement sera conçu pour minimiser le risque de réaction provoquée par le contact de l’eau et du sodium.

Les recherches devraient apporter aux réacteurs de quatrième génération un niveau de sûreté au moins équivalent, sinon supérieur, à celui des réacteurs de troisième génération, ce qui constitue évidemment la condition sine qua non de leur développement.

M. Claude Birraux, député, président. Je remercie les deux rapporteurs de leur engagement au cours des sept mois intenses qu'a duré la mission. L'accident de Fukushima et, dans la foulée, en mars, la saisine des présidents de nos deux assemblées datent presque de neuf mois, mais il faut en retirer les deux mois d'été qui nous privent habituellement d'interlocuteurs et nous permettent de souffler un peu.

D'un commun accord, les rapporteurs ont décidé, compte tenu de la tension actuelle du climat politique, de ne pas formuler explicitement, cette fois, de recommandations. Néanmoins certaines idées fortes se dégagent du rapport, la principale étant qu'on ne peut abaisser arbitrairement la part de la ressource nucléaire dans notre électricité sans disposer de solutions de remplacement véritablement équivalentes du point de vue du coût, de la lutte contre l'effet de serre, de la préservation de l'indépendance nationale et de l'emploi.

En l’absence de recommandations des rapporteurs, je distingue pour ma part quatre axes.

Le premier vise à rappeler nos recommandations figurant dans le rapport d’étape du 30 juin dernier et dont nous entendons bien qu’elles soient mises en application comme nous l’avons rappelé dans notre lettre au Premier ministre.

Le deuxième porte sur les économies d’énergie, élément indispensable car structurant de toute politique en ce domaine. Les rapporteurs n’en ont pas parlé, mais j’estime nécessaire la création d’une agence organisée sur le modèle de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), formée à partir d’un pan de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME), de la direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) ainsi que du centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Il me semble que ces instances pratiquent beaucoup l’auto-allumage, tournent en rond et produisent de la fumée sans feu, comme l’ont montré nos auditions. Ainsi a-t-il fallu un temps infini à la DHUP pour traiter les questions que nous lui avions posées. Sans m’éloigner de l’objet du rapport, je considère qu’il serait utile de créer une agence de régulation de la construction et de la rénovation des bâtiments présentant chaque année son bilan d’activité à l’OPECST.

Le troisième axe est relatif au problème du stockage des énergies renouvelables, sujet que j’ai évoqué lors de l’assemblée générale de l’Alliance nationale de coordination de la recherche pour l’énergie (ANCRE).

Enfin, le quatrième axe concerne l’équilibre de ce qu’on appelle le mix énergétique, ou encore le bouquet énergétique. La stratégie exposée me paraît assez claire quant aux évolutions réalisables.

M. Marcel Deneux, sénateur. La tonalité globale du rapport me convient parfaitement. Toutefois, je voudrais que soit précisée l’architecture de nos travaux : en dehors du document provisoire qu’on nous a remis, ce qui vient d’être exposé ce matin sera-t-il publié en intégralité ? Cela permettrait de répondre rationnellement à des objections souvent formulées de façon passionnelle.

M. Claude Birraux, député, président. Il est de règle de publier tous nos travaux : ils figureront à la fin du rapport définitif, comme tout ce qui aura été dit ce matin.

M. Marcel Deneux, sénateur. Je partage le point de vue des rapporteurs quant à la « trajectoire raisonnée ». Je suis également favorable à la création de l’agence proposée par notre président.

Le rapport ne s’est guère attardé sur la question des coûts réels de l’énergie nucléaire puisque nous attendons à ce sujet un rapport de la Cour des comptes. Mais on ne peut se dispenser de comparer le coût du nucléaire et celui des énergies intermittentes. Il nous faudra donc rouvrir le dossier un peu plus tard.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Le sujet est vaste et nous nous sommes bornés à répondre aux questions posées sur l’avenir de l’énergie nucléaire dans l’Hexagone, en dressant un constat prospectif à partir de l’état actuel des lieux, sans aborder tous les thèmes connexes.

Il faut savoir que le nucléaire ne représente qu’une part dérisoire de la production mondiale d’énergie. Les grands pays industriels, comme les États-Unis, la Chine, le Japon, le Royaume-Uni et l’Allemagne, font plutôt reposer leur approvisionnement énergétique sur le triptyque fossile – gaz-charbon-pétrole –, qui constitue 80 à 90 % de leurs ressources. Cet élément d’appréciation remet les choses à leur place par rapport aux débats de la récente conférence de Durban sur le changement climatique, dont les principaux partenaires étaient aussi les plus gros émetteurs de CO2. La Chine et les États-Unis manient les bonnes intentions mais ne mettent pas en exergue, probablement en raison des récents accidents japonais, la réponse que pourrait fournir l’énergie nucléaire. Le développement mondial de celle-ci se trouve également freiné par les risques que présente la maîtrise de la technologie nucléaire par des pays dangereux.

M. Marcel Deneux, sénateur. Je connais les limites assignées à votre travail. Pour autant, on peut parfois s’inspirer du général de Gaulle qui savait si bien, dans ses conférences de presse, répondre aux questions qu’on ne lui avait pas posées. Cela permet parfois de mieux éclairer les sujets.

En ce qui concerne la gestion de l’intermittence, j’aurais aimé qu’on explore la possibilité de stockage de l’énergie par le développement du parc de voitures électriques dont les batteries peuvent se recharger la nuit, hypothèse au moins aussi crédible que celle relative à la maîtrise de l’hydrogène.

N’aurait-il pas aussi fallu dénoncer la durée excessive exigée pour mettre en place une ligne à haute tension ? En la matière, les formalités administratives nécessitent plus de temps que les travaux d’installation. On ne peut continuer à gérer ainsi notre réseau.

Enfin, je tiens, moi aussi, à féliciter les rapporteurs pour leur travail.

M. Claude Birraux, député, président. Les réseaux intelligents, comme le compteur Linky, peuvent aussi fournir des solutions pour la gestion de l’intermittence. À la suite de la demande de Bruno Sido d’une étude préalable à la nouvelle réglementation thermique (RT 2012), nous avons, avec Christian Bataille, travaillé sur la performance énergétique des bâtiments. Je me suis alors rendu à Grenoble auprès de Schneider Electric, entreprise qui, pilotant le programme européen Homes, essaye d’introduire de l’intelligence dans la gestion des bâtiments, par exemple en installant des capteurs dans une salle comme celle dans laquelle nous nous trouvons. Il s’agit par là de détecter les présences humaines et d’adapter en conséquence le chauffage et l’éclairage des locaux. On pourrait ainsi obtenir jusqu’à 45 % d’économies d’énergie supplémentaires dans les bâtiments, lesquels représentent 43 % du bilan national en énergie primaire.

Des sauts technologiques sont à prévoir et de nouvelles technologies vont émerger.

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. J’ajoute que l’objet de notre rapport n’était pas d’étudier la gestion des énergies intermittentes ou renouvelables, même s’il s’agit, bien sûr, de sujets importants.

Pour répondre à l’observation de M. Marcel Deneux sur les voitures électriques, je précise que, d’après M. Dominique Maillard, président du directoire de RTE, les batteries s’usent comme déjà s’usaient les piles « Wonder », et les affecter au stockage de l’électricité réduirait des deux tiers leur durée de vie. Dans ces conditions, le propriétaire ou le locataire de la voiture électrique acceptera-t-il cette utilisation parallèle de sa batterie ?

M. Claude Birraux, député, président. En janvier dernier, lors d’un voyage au Bengladesh du groupe d’amitié parlementaire, j’avais rétorqué à une députée de l’opposition, qui ne comprenait pas pourquoi ce pays n’avait pas encore lancé la construction d’une centrale nucléaire, que rien ne lui permettait de le faire, manquant pour cela à la fois de bases juridiques et administratives, d’une autorité de sûreté nucléaire, d’un centre de recherche et de personnels formés. Il faut oser affirmer que l’énergie nucléaire reste réservée aux pays disposant d’infrastructures scientifiques suffisantes.

M. Didier Guillaume, sénateur. Permettez-moi de dire que je me retrouve totalement dans les propos des rapporteurs, en particulier dans le scénario privilégié par Christian Bataille, et que j’ai pris beaucoup de plaisir à contribuer à ce travail, même si je n’ai pas pu y participer autant que je l’aurais souhaité. Au moment où l’on critique le Parlement, et la politique en général, il est bon de pouvoir conduire ce genre de réflexion à l’abri de l’agitation médiatique quotidienne. C’est tout l’intérêt de cet Office.

Dans le cadre de la campagne présidentielle, les partis politiques auront à débattre d’une stratégie énergétique d’ensemble, mais notre mission ne portait que sur l’avenir de la filière nucléaire qui nous importe particulièrement, dans le contexte post-Fukushima.

Il y a encore deux ou trois ans, la priorité pour nos concitoyens était à la lutte contre le réchauffement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, et au succès de la conférence de Copenhague ; une grande partie d’entre eux pensaient que l’énergie nucléaire était la solution et, à mon avis, ils avaient raison. Depuis l’accident de Fukushima, nombreux sont les doutes et les interrogations. Il ne faut pas sous-estimer le fait que certains pensent qu’on leur ment ou qu’on leur cache certaines choses, et qu’il existe en réalité un risque important d’incident ou d’accident nucléaire. Je précise que c’est un élu de la Drôme qui parle, département où sont implantées la centrale du Tricastin et l’usine franco-belge de fabrication de combustibles (FBFC), département qui est également voisin de la centrale de Cruas, située au bord du Rhône, dans l’Ardèche. Je connais donc les problèmes d’acceptabilité du nucléaire !

Je pense qu’il faudrait évoquer dans le rapport certains faits d’actualité. L’EPR est ainsi une belle technologie, mais ce qui se passe en Finlande fait question. Serons-nous véritablement à même de construire des EPR ?

En France, il y a dix jours, des militants ont réussi à s’introduire dans plusieurs centrales. Ils ont certes enfreint la loi, mais que se serait-il passé s’il s’était agi de personnes malveillantes ? Cela doit nous conduire à réfléchir.

Envisager l’avenir de la filière nucléaire implique non seulement d’étudier les aspects stratégiques, mais aussi de mettre les industriels en garde : qu’ils ne scient pas la branche sur laquelle ils sont assis. Je préside la plus importante commission locale d’information (CLI) de France, et j’aime à rappeler le triptyque de l’excellence industrielle, de la sécurité maximale et de la transparence totale. Il ne faut pas sous-estimer ces deux derniers volets. Même si tout ne peut être dit, nous devons aller plus loin dans certains domaines et, pour ce faire, il semble que nous ayons besoin d’une seconde loi « TSN », sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire.

La crédibilité de notre démarche passe d’abord par la limitation de la consommation, notamment dans les bâtiments. C’est très important. Les collectivités locales se sont engagées depuis longtemps dans cette voie, et j’estime que le futur gouvernement, quel qu’il soit, devra en faire sa priorité. Si la R&D est cruciale, il faut aussi arrêter de gaspiller quotidiennement de l’énergie ; et si nous voulons associer l’ensemble des Français à cet effort, il faut arrêter la fuite en avant, donner la priorité aux économies d’énergie et refuser tout manichéisme – c’est d’ailleurs pourquoi j’ai tant apprécié l’exposé des rapporteurs. Il ne s’agit pas d’opposer un modèle à un autre, mais de savoir comment la filière nucléaire peut se développer dans le cadre du modèle sociétal que nous souhaitons élaborer, et qui comprend aussi la limitation de la consommation d’énergie, la transition énergétique, le développement des énergies renouvelables et la recherche sur le stockage et l’hydrogène.

N’oublions pas que le sujet est à la fois complexe et passionnel ; une seule phrase prononcée à la télévision peut suffire à tout ruiner. Ce qui honore le Parlement, c’est d’organiser des débats et de produire les rapports les plus objectifs possibles, dans le respect de la sensibilité de chacun. Je fais partie de ceux qui pensent que la sortie du nucléaire est impossible, mais attention à ne pas tomber dans une posture qui nuirait à la crédibilité de notre démarche. L’objectif est de répondre aux besoins à long terme de notre pays, qui continuera à se développer et qui, de ce fait, aura besoin de toujours plus d’énergie, même si on l’économise.

Enfin, un raisonnement en termes de coût est indispensable. Force est de constater que beaucoup de nos concitoyens sont actuellement dans la difficulté, voire dans la misère, et que le prix de l’énergie est un problème. Les plus pauvres d’entre eux sont aussi ceux qui vivent dans les logements les plus mal isolés. Pour eux, c’est la double peine : ils paient davantage, parce qu’ils n’ont pas les moyens de faire autrement. Il faut donc que l’énergie soit la moins chère possible. En France, son prix est certes moins élevé que dans le reste de l’Europe, en moyenne, mais cela ne doit pas être une raison pour augmenter les tarifs : l’objectif n’est pas de rattraper les autres ! Sur ce point aussi, l’excellent rapport de Christian Bataille et Bruno Sido apporte des réponses. Qu’ils en soient félicités.

M. Christian Bataille, député, rapporteur. Personnellement, je regrette que le thème du réchauffement climatique ait été relégué au second plan, car je pense qu’il s’agit du danger le plus grand. Le Grenelle de l’environnement a été un vrai Barnum, on y a affirmé haut et fort de grands principes, mais tout cela est quelque peu oublié aujourd’hui.

Je n’ai pas d’inquiétudes concernant l’EPR. Les industriels – qu’il s’agisse d’Areva en Finlande ou d’EDF à Flamanville – rencontrent des difficultés de mise au point parce qu’il s’agit d’une technologie complexe, mais ils finiront bien par les surmonter. Les plus anciens rappellent que la mise au point des réacteurs à eau pressurisée de deuxième génération n’a pas été non plus facile…

S’agissant de l’intrusion des commandos de Greenpeace, je ne peux que répéter ce que j’ai déjà déclaré sur une radio. Qui forme ces commandos militaires ? Qui paie cette formation ? En outre, je trouve Greenpeace bien intraitable pour l’énergie nucléaire et bien indulgente pour les pétroliers ; on en tirera les conclusions que l’on veut…

M. Jean-Claude Lenoir, sénateur. On en connaît la raison !

M. Christian Bataille, député, rapporteur. C’est assez simple : ces agressions répondent à une volonté de fragiliser une énergie rivale du pétrole !

Pour le reste, on a toujours tendance, sur ce thème, à vouloir traiter aussi des économies d’énergie et des autres sources d’énergie ; selon moi, il est bon de s’en tenir au sujet.

Par ailleurs, je souhaite que ce rapport soit connu autrement que par des allusions lapidaires ou par des informations laconiques. En matière d’énergie nucléaire, on retient plutôt le fait divers, et nous avons la plus grande difficulté à faire passer un message approfondi – à savoir, qu’il faut envisager les choses sur la durée d’un siècle, non à court terme, sous la pression d’un événement anecdotique. Pour faire passer nos idées, on peut utiliser les ressources que nous offre le Parlement : l’OPECST, les commissions, les groupes politiques. Pour ma part, je présenterai le rapport devant mon groupe politique ; pourquoi ne pas faire de même devant les commissions des affaires économiques du Sénat et de l’Assemblée, ce qui permettrait de toucher un nombre plus grand de parlementaires ?

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Le principal problème, c’est le réchauffement climatique.

M. Didier Guillaume, sénateur. Je suis bien d’accord !

M. Bruno Sido, sénateur, rapporteur. Nous n’avons pas voulu le traiter parce que ce n’était pas notre sujet, mais il faudra probablement le faire. Pour commencer, il conviendrait de limiter la consommation d’énergie partout, notamment dans les bâtiments et dans les voitures.

La récente affaire Greenpeace est grave. Certainement y a-t-il des arrière-pensées, mais il reste que des militants ont réussi à pénétrer à l’intérieur d’une centrale. Cela impose de faire une nouvelle loi afin d’améliorer la sécurité nucléaire ; l’exploitant devra peut-être assurer une partie de la sécurité du site, ce qui risque de faire augmenter le prix de l’électricité jusqu’à due concurrence. Mais à quoi bon concevoir des centrales capables de résister à la chute d’un avion si elles peuvent être plastiquées facilement ? Je pense que le Gouvernement en a pris conscience ; en ce sens, on peut dire merci à Greenpeace !

M. Claude Birraux, député, président. En Chine, le chantier de l’EPR n’a pas pris de retard : la centrale devrait même être mise en service avant les EPR européens. Je l’avais dit un peu vertement à l’occasion d’une interview accordée à L’Usine nouvelle, ce qui m’a valu une visite matinale de M. Martin Bouygues ; j’en ai profité pour lui rappeler quelles étaient les exigences du travail dans le nucléaire.

Quant à la performance énergétique, comme nous l’avons vérifié avec Christian Bataille lors de l’élaboration de la réglementation thermique 2012 – la RT 2012 –, il importe de prendre en considération la performance mesurée, et non la seule performance théorique. C’est d’ailleurs ce que font les Suisses, les Allemands et les Anglais. Il faut arrêter avec les histoires de la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), de l’ADEME et du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), qui prétendent que c’est impossible, sous prétexte qu’il faut faire du calcul réglementaire !

M. Claude Gatignol, député. Ce rapport est parfaitement d’actualité. Il répond à une question majeure, celle de l’avenir de la filière nucléaire en France, en étudiant les possibles conséquences de différentes décisions politiques. On note que le choix de chaque pays a été dicté par des considérations liées à son histoire et à ses compétences scientifiques et technologiques : au-delà des effets de mode, il y a les réalités de terrain. Je sais gré aux rapporteurs d’avoir souligné la place essentielle de l’énergie dans nos sociétés, tant pour l’activité industrielle que pour la vie domestique.

En revanche, je ne suis pas d’accord avec eux quand ils déclarent partager les options du scénario « négaWatt » – sauf en ce qui concerne les économies à réaliser en matière de consommation d’énergie dans les bâtiments. Si je suis favorable au non-gaspillage, à la bonne maîtrise et à la bonne gestion, ce scénario s’appuie en effet sur l’hypothèse d’une régression économique et d’une diminution de la consommation, laquelle ne me semble pas acceptable.

Il est certain qu’après l’émotion suscitée par l’accident de Fukushima, nous nous trouvons à un tournant. Je suis satisfait que les rapporteurs aient rappelé que l’accident nucléaire n’avait, à ce jour, provoqué aucun mort – les dizaines de milliers de décès étant dus au séisme. Le problème se résume – comme toujours, hélas ! – à un amalgame de l’affaire médiatique et des désordres technologiques. De ce point de vue, il convient de bien distinguer les différents types de réacteurs. Ceux de Fukushima sont des réacteurs à eau bouillante, de conception General Electric, alors que les 58 réacteurs français font appel à la technologie à eau pressurisée, utilisée à Three Mile Island – centrale qui a résisté à la surpression et où il n’y a pas eu d’émission de produits radioactifs.

Le niveau d’émission de CO2 reste le principal enjeu. Or la comparaison des tonnages de CO2 émis par habitant et par point de PIB place la France largement en tête, à l’exclusion des pays qui utilisent quasi-exclusivement l’hydraulique.

Parmi les possibilités de développer le nucléaire en France, il y a la construction d’EPR. La Normandie bénéficie de la construction de la tête de série. La région produit déjà 20 % de l’électricité nucléaire française, grâce aux réacteurs de Paluel, de Penly et de Flamanville ; le traitement des combustibles usés à La Hague nous permet de développer la notion de tri, de recyclage et de maîtrise des déchets. À Caen a été implanté un pôle radiomédical ô combien important, puisque la première caméra à positons, « Cyceron », y a été créée ; un centre de recherche en hadronthérapie est par ailleurs en projet.

À l’avenir, nous aurons besoin de toujours plus de kilowattheures : toutes les analyses montrent qu’il n’y aura pas une régression, mais, au contraire, un accroissement de la consommation d’électricité. J’ai présenté deux rapports sur l’automobile pour l’OPECST ; à cette occasion, j’ai calculé que, pour assurer le bon fonctionnement d’un parc de plus d’un million de voitures hybrides rechargeables – le véhicule électrique qui a le plus d’avenir –, il faudrait disposer d’une puissance équivalente à celle d’un réacteur nucléaire. Or, si l’on en croit ce qui a été dit hier, dans 20 ou 30 ans, le parc automobile sera composé à 20 % de véhicules de ce type !

De ce fait, il convient de renforcer aussi notre réseau de transport d’électricité, et je rejoins Marcel Deneux quand il dit ne pas comprendre que l’on se heurte à tant d’obstacles administratifs. Je dois pour ma part réaliser 160 kilomètres de ligne à très haute tension, et c’est un véritable parcours du combattant !

À côté de l’énorme centrale qu’est l’EPR – d’une puissance de 1.700 MW, soit une production de 15 milliards de kilowattheures par an, et dont la construction nécessitera 120.000 tonnes d’acier, soit l’équivalent de 20 Tour Eiffel, et 400.000 tonnes de béton ! –, nous devrions disposer de l’ATMEA, réacteur d’une puissance de 1.000 MW plutôt destiné à l’exportation, ainsi que de Flexblue, la centrale sous-marine mise au point par DCNS, qui est dérivée des réacteurs très compacts et dont la puissance sera d’environ 200 ou 300 MW. Cela pourrait être l’occasion de faire bénéficier de la technologie nucléaire des pays qui ne peuvent pas compter sur des compétences comparables à celles du CEA ou de l’IRSN.

M. Claude Birraux, député, président. Cessons de rêver ! Sur ce sujet, je ne serai jamais d’accord avec vous : si l’on veut utiliser une technologie, il faut l’infrastructure scientifique adéquate.

M. Claude Gatignol, député. Ne négligeons cependant pas ce projet, qui peut être très utile, en particulier pour les pays qui ont besoin de désaliniser l’eau de mer.

M. Jean-Claude Lenoir, sénateur. Les précédentes interventions ont rendu inutiles la plupart des remarques que je voulais faire. Je voudrais néanmoins féliciter les auteurs de cet excellent rapport, qui honore le Parlement.

La mission de l’Office parlementaire est d’évaluer les choix scientifiques et technologiques. En la matière, nous sommes un peu corsetés : nous pourrions faire un rapport sur la politique énergétique ; néanmoins, ce n’est pas à nous, mais au Gouvernement, de la déterminer. Il me semble cependant bon d’en étudier un volet important, sans hésiter à aborder des sujets comme l’effacement de consommation électrique ou les économies d’énergie.

Christian Bataille s’est montré sévère pour le Grenelle de l’environnement. Il s’agit d’une œuvre immense : un chantier a été ouvert, des enseignements ont été tirés, des objectifs sont fixés, et des réalisations en découlent, notamment en ce qui concerne la réduction de la consommation dans les bâtiments, où il existe des marges d’action considérables. Le compteur Linky – sur lequel j’ai produit, avec Ladislas Poniatowski, un rapport – devrait aider à maîtriser la consommation, sous réserve que l’on mesure bien toutes les performances. En France, on a tendance à se bercer d’illusions en avançant des chiffres dont on ne vérifie pas forcément l’origine. Par exemple, est-on sûr que les performances mises en avant par les agences immobilières ont bien été mesurées ?

La question du stockage de l’énergie est majeure ; nous l’avons évoquée hier, en commission de l’Economie, lors de l’audition de Dominique Maillard. Le développement des énergies renouvelables suppose d’importants progrès dans ce domaine. Ce sera l’un des enjeux des prochaines années.

Autre question importante : combien coûte, au total, l’énergie électrique ? On ne peut pas faire l’économie de ce débat, même s’il ne s’agit pas de fixer avec précision un prix ; de toute façon, celui-ci augmentera, Christian Bataille ne cesse de le répéter.

Pour conclure, je dirai que, dans le contexte actuel, le rapport de Christian Bataille et de Bruno Sido est particulièrement habile, notamment s’agissant des perspectives ouvertes en termes de calendrier et d’objectifs…

M. Claude Birraux, député, président. Je vais maintenant mettre aux voix le rapport.

À la suite de ces échanges, le rapport est adopté à l’unanimité et sa publication autorisée.

COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS

Déplacement en Allemagne du 19 au 22 septembre 2011

au nom de la mission sur la sécurité nucléaire,
la place de la filière et son avenir

de M. Christian BATAILLE, député, rapporteur

et M. Marcel DENEUX, sénateur

Énergie : l’Allemagne, un cas particulier
par M. Christian BATAILLE, député du Nord

Nos entretiens avec les interlocuteurs rencontrés à l’occasion de notre déplacement en Allemagne du 19 au 22 septembre 2011, conduisent à constater le caractère irrémédiable de la décision d’arrêt des centrales nucléaires à l’horizon 2022, prise à la quasi unanimité de la représentation parlementaire allemande, sur la proposition de la chancelière Angela Merkel. Si la décision gouvernementale est inattendue de la part de la majorité chrétienne-démocrate, cette option n’est pas nouvelle. Elle a été préparée, dès 2002, par la coalition sociaux démocrates-Verts de Gerhard Schröder et la faiblesse relative, par rapport au passé, de l’énergie nucléaire, a rendu cette décision réalisable dans le droit fil de la reconversion énergétique allemande.

De fait, une réduction sur un rythme annuel de l’ordre de 2 %, de la part –à ce jour limitée à 22 % - d’électricité d’origine nucléaire, si elle constitue un objectif ambitieux, n’en apparaît pas moins parfaitement réalisable, au regard des ressources énergétiques dont disposent nos voisins. L’industrie allemande se préparait à cette évolution et la compensation sera assurée par les énergies renouvelables dont l’affichage est souligné mais aussi par les importations et par le thermique à flamme.

*

Énergies renouvelables : une politique volontariste

À Berlin comme à Stuttgart, les représentants du ministère de l’environnement fédéral et de celui du Land de Bade-Wurtemberg, ont avant tout mis l’accent sur l’objectif, annoncé par la chancelière allemande dès septembre 2010, d’une croissance accélérée de la part des énergies renouvelables dans la production électrique: à hauteur de 35 % en 2020 puis de 80 % en 2050.

Cette annonce s’inscrit dans la droite ligne des mesures de promotion de ces énergies mises en œuvre, par les majorités successives, toutes tendances politiques confondues, depuis le vote de la loi du 29 mars 2000 - dite EGG (Erneuerbare Energien Gesetz) - sur les énergies renouvelables, Les investissements considérables consentis, sous forme de subventions à la production, depuis une décennie, ont permis à l’Allemagne de rattraper le retard dont elle souffrait, en ce domaine, par rapport à notre pays. Ainsi, en 2010, 17 % de son électricité provenait des énergies renouvelables, contre 15 % pour la France. Mais alors qu’outre-Rhin l'énergie éolienne et la biomasse fournissent chacune un tiers de cette production, en France l'électricité d’origine hydraulique reste prépondérante.

Toutefois, l’Allemagne ne parviendra aux objectifs assignés aux énergies renouvelables pour 2020 qu’à condition de résoudre au moins deux défis majeurs: d’une part, la capacité à stocker l’électricité produite par les énergies intermittentes afin de pouvoir la réutiliser dans les périodes dépourvues de vent ou de soleil, et d’autre part, la construction des milliers de kilomètres de lignes à très haute tension nécessaires à la liaison entre les champs d'éoliennes du Nord et les centres industriels du Sud du pays. Cette contrainte s’est heurtée, au cours des dernières années, à l'hostilité des populations.

Un projet titanesque de parcs éoliens offshore, représentant, à l’horizon 2030, une capacité supplémentaire installée de 25 GW, nous a été présenté par les représentants du ministère fédéral de l’environnement à Berlin. Ce projet n’est pour l’instant concrétisé que par un premier parc expérimental, mis en service en avril 2010, comportant 12 turbines géantes de 5 MW chacune, et un second parc, en exploitation depuis le 2 mai 2011, avec 21 turbines produisant 48,3 MW à pleine puissance. La construction de ces deux premiers parcs offshore a connu des retards et des surcoûts, liés à la difficulté technique de la construction et de l’entretien d’éoliennes construites à grande distance des côtes (respectivement à 56 et 16 kilomètres) et à grande profondeur (respectivement 28 et 19 mètres).

Nous ne doutons pas que ces défis soient à la mesure de la volonté politique et des capacités scientifiques de nos voisins. Néanmoins, cet objectif novateur comporte des limites, techniques ou sociétales, à son extension.

Nous avons pu le vérifier in situ, en visitant une unité produisant de l’électricité à partir de biogaz, à Schwandorf, en Bavière. En provenance d’une centaine d’exploitations de la région, la biomasse qui l’alimente est cultivée selon les méthodes d’agriculture de masse, puis transportée par camions, déversée dans des silos, avant d’être transvasée par des tractopelles dans de grands digesteurs, et enfin longuement malaxée par des pales motorisées, afin d’accélérer sa méthanisation. Le biogaz ainsi produit est transformé puis brûlé dans une petite centrale électrique. Compte tenu de l'énergie mise en œuvre pour ensemencer, cultiver, transporter et transformer cette biomasse en biogaz, nous nous sommes interrogés sur le bilan environnemental d’un tel processus, sans doute bien moins favorable que celui du biogaz issu de déchets ménagers, pourtant déjà au bilan faiblement positif.

De la même façon, nous avons interrogé nos interlocuteurs sur la rentabilité réelle de cette activité et sur ses perspectives de croissance. Ceux-ci ne nous ont pas caché leur inquiétude face à l'érosion des subventions accordées par le gouvernement, lesquelles demeurent, semble-t-il, après plus de dix ans d’investissements, indispensables au maintien de cette unité de production de biogaz, comme des quelques six mille autres construites en Allemagne. Pour l’instant avec 2 % de la production d’électricité, nous sommes très loin des objectifs ambitieux annoncés pour... 2050.

Le bilan mitigé de la filière nucléaire allemande

Si l’accroissement de la part des énergies renouvelables dans la production électrique constitue une constante de la politique énergétique allemande depuis plus de dix ans, symétriquement, la réduction de celle de l’énergie nucléaire n’a guère connu d’interruption, sauf dans les quelques mois qui ont précédé le drame de Fukushima. Pourtant, l’Allemagne semblait dotée de tous les atouts nécessaires pour occuper, simultanément dans ces deux filières, un rôle de tout premier plan.

Notre visite de la centrale de Neckarwestheim, située à une quarantaine de kilomètres de Stuttgart, capitale du Land de Bade-Wurtemberg, au sud de l'Allemagne, comportant deux réacteurs à eau pressurisée de 840 MW et 1400 MW, n’a pas démenti notre jugement sur l’excellence technologique allemande dans le secteur nucléaire.

Lors de la visite du premier réacteur, mis en service en 1976, à l'arrêt depuis la décision de moratoire sur le nucléaire prise en mars 2011 par la chancelière allemande, nous avons constaté le parfait entretien de cette installation, dotée, à l'égal des centrales françaises, de dispositifs de sécurité avancés, comme les recombineurs d'hydrogènes qui ont fait défaut à la centrale de Fukushima. Non seulement, nous n’avons relevé aucun signe avant-coureur d’un démantèlement, mais ce réacteur semble maintenu en état de redémarrer, en tant que de besoin, sous quelques semaines.

Si nous n’avons pas eu le temps de visiter le second réacteur, construit en 1989, dont l'arrêt n’est prévu qu’à l’horizon 2022, nous avons relevé son taux de disponibilité de 89,8 %, très supérieur à celui de nos centrales (78,5 % en moyenne en 2010), indicatif d’une maintenance rigoureuse. Compte tenu de la fin de son amortissement, ce réacteur devrait présenter pour l’exploitant EnBW (Energie Baden-Württemberg AG) une rentabilité intéressante. Néanmoins, fin 2010, EDF a décidé de céder au Land du Bade-Wurtemberg sa participation de 45 % dans celui-ci.

A contrario, nous avons été intrigués par la présence, sur le site même de la centrale, d’un silo destiné aux combustibles usés. De fait, la présentation des représentants du BMU a Berlin, a révélé les tâtonnements de la politique allemande en ce domaine, laquelle contraste avec la prudence et la constance de la démarche française, fondée, conformément aux principes définis par la loi 30 décembre 1991, sur un investissement de long terme dans la recherche.

Ainsi, en ayant renoncé, à partir de 2005, à retraiter leurs déchets nucléaires en France, nos voisins ne pourront s’exonérer de trouver des solutions adaptées à la fois au stockage des verres issus du retraitement, à leur retour - inévitable malgré les protestations des écologistes allemands - de La Hague, et à celui des déchets non retraités.

Or, l’Allemagne se trouve, à ce jour, privée de toute perspective de long terme pour le stockage de ses combustibles nucléaires usés, sinon, après leur refroidissement, celle d’un entreposage prolongé en surface, sur le modèle américain. Ces déchets seront d’ailleurs autrement plus exposés, en dehors des centrales, aux risques d’incendie, d’attentats ou de chutes accidentelles d’avions. Cette incertitude sur le sort des déchets radioactifs, véritable talon d’Achille de la filière nucléaire allemande, a certainement joué un rôle dans la décision de son abandon.

Néanmoins, le problème de la gestion des déchets radioactifs de haute activité restant entier, le gouvernement allemand a annoncé la poursuite des recherches scientifiques sur la transmutation et le stockage géologique profond des déchets radioactifs.

Le gaz : une illustration de la maîtrise technologique allemande

Si l’abandon de la filière nucléaire constitue indubitablement un échec pour l’industrie allemande, celle-ci peut se prévaloir, dans d’autres domaines, de réussites majeures.

Ainsi, avons-nous pu découvrir, en Bavière, une semaine à peine après son inauguration, la dernière tranche de la centrale d’Irsching, dotée d’une nouvelle génération de turbine gaz à cycle combiné conçue par la société Siemens. Cette turbine, initialement utilisée comme prototype, présente des performances exceptionnelles, par son rendement de 60 %, mais surtout par sa rapidité de montée en charge: en 10 minutes, hors cycle combiné, jusqu’à 350 MW, puis en 30 minutes, en cycle combiné, à sa puissance maximale de 640 MW.

De telles performances, liées pour partie à une température de combustion significativement supérieure à celle des turbines traditionnelles, n’ont pu être atteintes que par l’emploi extensif de matériaux de pointe, telles les céramiques, et la conception d’une architecture radicalement nouvelle, comportant un refroidissement interne des composants les plus exposés à la chaleur. Le développement de ces différentes innovations a mobilisé, sur plusieurs années, une équipe de plusieurs centaines d’ingénieurs et techniciens.

Mais si la société Siemens a consenti un investissement d’un demi milliard d’euros pour la mise au point de cette nouvelle génération de turbines à gaz, c’est que leurs caractéristiques, notamment leur réactivité, en font le complément idéal, voire incontournable, des énergies renouvelables intermittentes, telles l’éolien ou le solaire. Le représentant de Siemens nous a d’ailleurs précisé qu’une vingtaine d’unités étaient d’ores et déjà en cours de construction, en partie pour faire face aux besoins de l’Allemagne après l’arrêt, en mars 2011, des premiers réacteurs nucléaires. Convaincue d’une demande croissante pour ses turbines à gaz, Siemens s’est fixé une feuille de route ambitieuse pour le développement de futurs modèles, aux performances plus abouties encore.

Si nous avons trouvé très impressionnante cette démonstration de la maîtrise technologique allemande, nous nous sommes interrogés sur les conséquences de l’augmentation prévisible de la consommation de gaz en Allemagne, d’une part, en termes d’indépendance énergétique, car la part de la Russie dans l’approvisionnement en gaz de nos voisins allemands est déjà égale à 40 %, et, d’autre part, en termes d’émission de gaz à effet de serre. A notre grand étonnement, notre inquiétude ne semblait partagée ni à Berlin, par les interlocuteurs du ministère fédéral de l’environnement, ni à Stuttgart, par leurs alter ego du Land du Bade Wurtenberg.

Ces derniers ne nous ont d’ailleurs pas caché leur intention de mettre à profit le mécanisme européen des droits d’émission de gaz à effet de serre, pour compenser l’accroissement des émissions de CO2 résultant de la décision d’arrêt des centrales nucléaires. Si les ressources de l’économie allemande, dans le contexte actuel, peuvent sans doute s'accommoder d’une telle dépense, les effets de ces achats massifs de droits d’émission pourraient s’avérer moins anodins pour d’autres pays européens, comme la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie, pour lesquels une industrie lourde fortement émettrice de CO2 constitue encore une part significative du potentiel industriel.

Nos interlocuteurs nous ont présenté le « marché » comme une ressource énergétique. Ils en ont tiré argument pour justifier de leur ignorance sur la provenance de l’électricité achetée par l’Allemagne à la bourse de l’énergie de Leipzig (EEX, European Energy Exchange). Depuis la décision d’arrêt, en mars 2011, de sept réacteurs nucléaires, l’Allemagne, d’exportatrice, est en effet devenue importatrice d’électricité. Pourtant une simple consultation du site de l’ENTSO-E (European Network of Transmission System Operators for Electricity, le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d’électricité), permet de visualiser les flux d’électricité d’origine nucléaire en provenance de République Tchèque et de France.

Le lignite : pilier de la production électrique allemande

Mais si la part du gaz - de 14 % en 2010 - dans la production électrique allemande augmentera inexorablement dans les prochaines années, celle du charbon - de 43 % en 2010, dont 24 % pour le lignite et 19 % pour la houille - demeurera encore longtemps prépondérante. En effet, si l’Allemagne, faute de réserves suffisantes de houille (estimées en fin 2008 à 99 millions de tonnes exploitables), importe les deux tiers de sa consommation annuelle (49 millions de tonnes en 2009), le charbon allemand provient majoritairement (à hauteur de 170 millions de tonnes en 2009) des mines de lignite rhénanes. Nous avons pu constater directement, à quelques kilomètres de Cologne, sur le site d’extraction de Garzweiler et dans la centrale de Niederaussem, les efforts considérables déployés pour assurer une exploitation optimale de cette importante ressource nationale dont les réserves sont garanties pour 350 ans.

Nous avons, dans un premier temps, été impressionnés par le bouleversement des paysages, sur une étendue de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, résultant de l’exploitation de cette mine rhénane à ciel ouvert par la société RWE, l’un des quatre grands producteurs d’électricités allemands. La technique progressivement développée depuis les débuts, voici près d’un siècle et demi, de cette activité, permet l’accès à des veines d’une épaisseur de soixante-dix mètres par endroits, parfois recouvertes de strates d’argile et de gravier plus profondes encore.

Des excavateurs à godets gigantesques, longs de plus de deux cents et haut de près de cent mètres, pesant plus de treize mille tonnes, peuvent chacun déplacer, en une seule journée, deux cent mille tonnes de minerai, acheminé sur des convoyeurs, puis un réseau ferré dédié, jusqu’aux centrales électriques. Rien ne semble devoir s’opposer à l’activité d’excavation de ces titans, pas même les villages ou les routes situés sur leur chemin, déplacés avant leur passage pour être reconstruits, quasi à l’identique, un peu plus loin, alors que le reboisement permanent permet de recréer le paysage en quelques années.

Cette acceptation par nos voisins d’une activité industrielle traditionnelle, dont l’empreinte sur les paysages et sur les vies pourrait pourtant apparaître insupportable de ce côté-ci du Rhin, s’explique pour partie par les quelques 11.600 emplois directs et 100.000 emplois indirects créés dans la région. Elle est aussi confortée par les techniques de réaménagement de l’environnement élaborées au fil des décennies qui permettent de retrouver, à terme, un cadre propice au développement de la flore et de la faune de la région.

Nous avons, dans un deuxième temps, trouvé, dans la dernière chaudière, entrée en fonction en 2003, de la centrale électrique au Lignite de Niederaussem un nouveau témoignage des capacités d’innovation de l’industrie allemande. Fonctionnant à une température (600º C) et une pression (250 bar) élevées, cette chaudière, d’une puissance de 1.000 MW, dotée d’un système filtrant 99 % des rejets soufrés, atteint un rendement de 43 % (contre moins de 40 % pour la génération précédente). L'opérateur RWE expérimente sur le site plusieurs technologies destinées à en réduire encore les rejets: déshydratation préalable du lignite, capture du gaz carbonique en post-combustion, ou encore réutilisation de celui-ci comme accélérateur de croissance d’algues. L'opérateur prévoit d’ores et déjà, pour 2015 et 2020, deux nouvelles générations de chaudières au lignite, toujours plus performantes et moins polluantes.

Les investissements réalisés dans cette technologie et ceux déjà prévus démontrent que l’Allemagne n’est pas prête à renoncer à la sécurité procurée par une réserve de plusieurs siècles, au rythme actuel de production, en lignite, qui peut lui permettre de faire face avec confiance aux imprévus de l’approvisionnement en gaz ou aux retards éventuels dans le développement des énergies renouvelables.

Structure de la production d'électricité en Allemagne pour l'année 2010

(source des données: Arbeitsgemeinschaft Energiebilanzen, AGEB)

Conclusion : la singularité allemande

L’Allemagne ne confiait à la filière nucléaire qu’une part limitée de sa production d’électricité, réduisant même celle-ci dans les dernières années. La stratégie, en ce domaine, du principal industriel national, Siemens, s’est elle-même avérée, au fil des ans, pour le moins fluctuante, celui-ci passant des alliances successives, d’abord avec les français Framatome et Areva, ensuite avec l’américain Westinghouse, avant de se tourner vers Alsthom et, enfin, le russe Rosatom. Alors qu’elle avait, au début des années soixante-dix, tous les atouts en main pour imposer sa maîtrise technologique, l’Allemagne, triomphante dans la plupart des autres secteurs, a connu, dans le domaine nucléaire, l’un de ses rares échecs industriels.

La mise en œuvre de la décision de sortie du nucléaire, bien que très progressive et étalée sur une dizaine d’années, à un rythme de 2 % par an en moyenne, posera, sans conteste, des difficultés d’adaptation substantielles à l’industrie allemande. Néanmoins, les ressources de l’Allemagne dans le domaine énergétique apparaissent impressionnantes, avec ses réserves considérables de lignite, et sa capacité à développer des solutions techniques innovantes, en matière de désulfuration et de capture du CO2, susceptibles de rendre, à terme, ces combustibles plus compatibles avec les préoccupations environnementales actuelles. Il en va de même pour la houille qui va continuer à être utilisé en quantité. Si nos interlocuteurs ont évoqué avec réticence ces atouts, il semble difficile de croire que l’Allemagne négligera des réserves, dans la longue durée, ainsi que le savoir-faire associé en matière de conception des centrales électriques.

L’Allemagne fait preuve, dans le domaine des centrales gaz, de cette même capacité à développer des solutions d’avant garde, aux performances exceptionnelles. Mais le recours croissant, à hauteur de 40 %, au gaz russe, pourrait, à l’avenir, constituer, pour notre grand voisin, un point de fragilité. Aussi, les pays européens doivent-ils redoubler d’efforts et de de diplomatie vis-à-vis de la Turquie pour accélérer la mise en œuvre du projet de gazoduc Nabuco, ouvrant à l’Europe centrale et du sud, via les pays de Transcaucasie et l’Iran, un accès direct aux ressources de l’Asie centrale.

Quant aux énergies renouvelables, si elles focalisent les débats politiques outre-Rhin, leur développement reste, dans les faits, freiné par les obstacles techniques, notamment en terme de stockage et de transport de l’électricité, induits par l’intermittence de l’éolien et du solaire. Le biogaz lui-même reste aujourd’hui une ressource largement expérimentale.

L’Allemagne, grande démocratie et puissance économique majeure, a fait des choix énergétiques qu’il ne nous appartient pas de remettre en cause, tout comme il ne serait pas acceptable que des militants allemands remettent en question les choix énergétiques français. Toutefois, nos voisins peuvent assumer leur projet de sortie du nucléaire en toute quiétude. Ils bénéficient, en effet, de ressources énergétiques considérables, utilisables à tout moment, dont ils justifieront, le moment venu, l’exploitation, le cas échéant en faisant appel à des arguties casuistiques, tels l’achat de droits d’émission de gaz à effet de serre.

La France ne disposant plus de telles réserves dans son sous-sol, n’aurait d’autre choix, si elle décidait de suivre le même chemin, que d’accroître massivement ses importations de gaz. Il s’agirait là, en tout état de cause, d’une décision politique autrement plus lourde de conséquences pour notre pays, en terme de balance commerciale et d’indépendance énergétique.

Déplacement au Japon du 18 au 22 octobre 2011

au nom de la mission sur la sécurité nucléaire,
la place de la filière et son avenir

de M. Christian BATAILLE, député, rapporteur

et Mme Catherine PROCACCIA, sénateur

Le Japon après Fukushima : principaux enseignements
par M. Christian BATAILLE, député du Nord

Notre déplacement au Japon du 18 au 22 octobre avait pour objet d’apprécier l’incidence de l’accident de Fukushima sur l’avenir de l’énergie nucléaire dans ce pays. Au-délà de la situation dramatique créée par le séisme et le tsunami du 11 mars 2011, le devenir énergétique du Japon est plein d’enseignement pour la France, car, à maints égards, ce pays se trouve dans une situation très voisine du nôtre s’agissant de l’énergie nucléaire : il dispose d’un parc de 54 réacteurs contre 58 chez nous, a investi dans une capacité industrielle de recyclage du combustible, participe au développement du réacteur de troisième génération ATMEA, et contribue aux efforts internationaux de recherche sur les énergies nucléaires du futur : la quatrième génération avec son réacteur de Monju, et la fusion au sein d’ITER.

Il ressort principalement de notre visite que le Japon est engagé à court terme dans un irrésistible mouvement d’arrêt accéléré de ses réacteurs nucléaires, l’un après l’autre, qui devrait conduire à l’extinction complète du parc à l’été 2012. Le déficit d’électricité qui en résulte est comblé pour l’essentiel par un recours très intense aux productions à base d’énergies fossiles (gaz, charbon, fuel).

Pour le moyen terme, le gouvernement japonais a officiellement annoncé une redéfinition de sa stratégie énergétique, qui devrait être présentée au début de l’été 2012 ; les réflexions qui nous ont été présentées évoquent une diversification du bouquet énergétique, en conservant une composante nucléaire à la sûreté renforcée, mais font aussi une place essentielle à la stabilisation de l’approvisionnement en pétrole et en gaz.

L’extinction rapide de la production nucléaire japonaise

L’enseignement principal de notre séjour au Japon est la découverte d’un processus accéléré d’arrêt successif des réacteurs nucléaires.

De même que les réacteurs français sont arrêtés tous les 12 à 18 mois afin d’effectuer a minima un changement de combustibles, et éventuellement des opérations de maintenance non critiques du point de vue de la sûreté nucléaire (réparation sur un alternateur par exemple), les réacteurs japonais sont arrêtés en moyenne tous les treize mois pour quelques semaines.

Or, nous avons appris que le contexte psychologique créé par l’accident de Fukushima amenait désormais les autorités locales à s’opposer au redémarrage de tout réacteur à l’arrêt. Cette interdiction de redémarrer réduit progressivement, mais inéluctablement, la production d’électricité d’origine nucléaire. Au moment de notre visite en octobre, dix réacteurs restaient ainsi en service, sur les 54 qui composent le parc nucléaire japonais.

Les arrêts automatiques survenus dans les centrales directement affectées par le séisme du 11 mars 2011, celles de Fukushima Daiichi et Daini, mais aussi celles de Higashi Dori, Onogawa, et Tokay, ont laissé 26 réacteurs en service à la fin mars ; la décision du Premier ministre Naoto Kan d’arrêter la centrale d’Hamaoka en mai, ajoutée à des arrêts techniques sur d’autres sites, ne laissaient plus que 16 réacteurs en fonctionnement en juillet 2011. Au moment de notre visite, ce nombre s’était donc réduit à 10, et nos interlocuteurs nous ont indiqué que, si le mouvement en cours se poursuivait, plus aucun réacteur ne fonctionnerait à l’été 2012.

Le recours massif à un surcroît d’énergies fossiles

Même si l’énergie nucléaire ne fournissait, avant ces événements, que 25 à 30 % de l’électricité japonaise, il n’en reste pas moins que cet arrêt inexorable des réacteurs crée un déficit d’électricité très conséquent. Ce déficit s’est fait particulièrement sentir durant les semaines d’été qui correspondent au pic de la demande au Japon. En particulier dans la région de Tokyo, les autorités ont dû répartir une restriction de la consommation de 15 % entre les différentes catégories d’utilisateurs.

Par ailleurs, les compagnies d’électricité ont mobilisé intensément les moyens de production classiques à flammes, en lançant des installations de secours, en réorganisant les calendriers de maintenance, et en utilisant sous contrat les groupes électrogènes disponibles dans certaines entreprises.

L’hiver prochain devrait donner lieu encore à des tensions moindres, compatibles avec des restrictions uniquement en pleine semaine.

En revanche, les prévisions qui nous ont été présentées par le METI pour l’été 2012, basées sur l’hypothèse d’une disparition complète de la production nucléaire à partir de juin, montrent que la mobilisation de l’ensemble des solutions de secours laissera néanmoins un déficit de 10 % de demande non satisfaite, qui ne pourra être gérée autrement que par délestage. La charge induite pour les opérateurs par l’achat compensatoire de combustibles fossiles, qui devrait représenter une facture de l’ordre de 3000 milliards de yens sur l’année, soit environ 30 milliards d’euros, devrait se traduire par une hausse du prix final de l’électricité de l’ordre de 20 %.

D’après nos interlocuteurs de l’Institute of Energy Economics (IEE), les équipements de transport de gaz liquéfié (GNL) en viendraient à fonctionner à saturation, et le recours massif aux énergies fossiles engendrerait une augmentation des émissions de CO2 de près de 20 %.

Les préoccupations relatives à la disponibilité en électricité paraissent bien ancrées dans la vie quotidienne, puisque nous avons pu constater que les couloirs des bâtiments administratifs sont délibérément sombres, que les bureaux sont éclairés surtout par des lampes individuelles. Dans les rues de Tokyo, les magasins réduisent l’illumination de leur vitrine et de leurs enseignes, au point que certains d’entre eux rappellent par des panneaux qu’ils demeurent bien ouverts.

La remise en chantier d’une planification énergétique

Le Premier ministre Naoto Kan a réagi à l’accident de Fukushima en exigeant une refonte complète de la politique énergétique du Japon, alors que le précédent plan stratégique venait tout juste d’être adopté à l’automne 2010, et que ce plan prévoyait de porter à 50 % la part d’énergie nucléaire dans la production d’électricité, contre 25 à 30 % depuis 2005.

La cellule opérationnelle chargée de cette planification, placée jusqu’alors au sein du METI et alimentée par les travaux de l’Atomic Energy Commission, instance de prospective placée auprès du Premier ministre, a été elle-même rattachée au cabinet du Premier ministre. Ses responsables nous ont indiqué que l’objectif était de finaliser le plan avant juin 2012.

Nos contacts avec le Keidanren et la Fédération des compagnies électriques nous ont permis de constater que les responsables de l’industrie sont étroitement associés aux réflexions en cours, ce qui illustrent un grand souci de réalisme dans ce travail de planification.

Nos interlocuteurs nous ont indiqué que le nouveau plan maintiendra l’objectif d’une diversité des sources d’énergie ; il conservera donc sa place à la composante nucléaire, dans des conditions de sûreté renforcées, mais à un niveau et selon un calendrier d’évolution qui reste encore à définir.

Quant aux autres composantes envisagées, il s’agit d’efforts de sobriété énergétique, de l’expansion des énergies renouvelables, et de l’accélération des développements relatifs aux réseaux intelligents et au stockage d’énergie. Mais les responsables japonais ont souligné le délai nécessaire pour l’émergence, dans des conditions « économiquement efficaces », de ces solutions qu’ils inscrivent en conséquence dans le moyen-long terme (jusqu’en 2050) ; d’autant que les mesures de stimulation seront des réformes structurelles, visant notamment à lever les obstacles actuels à l’implantation de génératrices éoliennes ou de panneaux solaires dans certaines zones protégées.

Un recours massif aux importations d’hydrocarbures restera donc indispensable dans une phase transitoire, ce qui aura un coût pour le consommateur. De là, l’idée complémentaire soutenue par nos interlocuteurs du METI d’introduire des mécanismes pour peser, par une concurrence renforcée, sur le prix final de l’énergie. Il s’agirait notamment d’imposer la séparation de la production et des transports, en référence directe au modèle imposé en Europe par les directives sur l’électricité et le gaz.

La stabilisation de la situation à Fukushima

A côté de ces considérations de long terme, nos échanges à Tokyo commençaient toujours par une évocation de la situation à Fukushima qui paraît désormais maîtrisée, puisque les réacteurs et les piscines sont de nouveau raccordés à des circuits continus de refroidissement par eau douce. Des injections d’azote dans les enceintes de confinement préviennent les risques d’explosions d’hydrogène. Des travaux de confinement du réacteur le plus endommagé (enveloppement dans une toiture en film plastique, coulage d’une enceinte souterraine profonde de 30 m) doivent intervenir dans les prochains mois pour réduire tout risque nouveau de dissémination radioactive.

Le bilan humain direct de l’accident est de quatre employés blessés par le séisme, et deux employés tués par le tsunami ; ceux-ci sont malheureusement partis en inspection dans les trois-quarts d’heure séparant les deux cataclysmes. Les opérations de sauvetage ont exposé, jusque fin septembre, 162 travailleurs de Tepco ou de ses contractants à une dose cumulée supérieure à 100 mSv, dont 6 à une dose cumulée supérieure à 250 mSv. Depuis le mois d’avril, aucune exposition critique nouvelle n’a été constatée. Pour comparaison, rappelons que notre code du travail prévoit une limite d’exposition à 20 mSv par an.

La situation radiologique

Les rejets radioactifs aériens dus aux explosions et aux décompressions volontaires ont contaminé une zone assez large, de plusieurs centaines de kilomètres carrés. Les responsables du MEXT (le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche) nous ont présenté les résultats d’une campagne de mesures effectuées durant l’été, qui a combiné analyse d’échantillons du sol et collecte de données en hélicoptère. Des taux significatifs de contamination au césium 134/137 et au strontium 89/90 ont été enregistrés jusqu’à 60 km au Nord-Ouest de la centrale, bien au-delà de la zone d’exclusion des 20 km, sur une bande de 20 km de large sur 50 km de long vers l’intérieur. Début septembre, toute trace d’iode 131 avait déjà disparu du fait de la période de décroissance brève de ce radioélément (8 jours).

Les eaux du littoral ont été fortement contaminées durant les premières semaines de crise, mais les données du MEXT indiquent que cette pollution n’a pas diffusé au-delà de 30 km. A proximité de la côte, la contamination, bien qu’elle corresponde désormais à une activité diminuée depuis mars d’une centaine de milliers de fois (mais encore dix fois trop grande), reste entretenue par le déversement des eaux qui ruissellent sur les sols de la centrale. Le fond marin proche porte la trace de la pollution, car il accumule des sédiments qui ont fixé au passage des radionucléides.

L’évacuation de la zone d’exclusion des 20 km, étendue en mai à la bande de terre contaminée du Nord-Ouest, a concerné plus de 100.000 personnes. Evidemment, la distribution des produits de l’agriculture et de la pêche en provenance des zones contaminées est interdite, et les contrôles ont été partout renforcés. La découverte, durant l’été, de circuits indirects de contamination de la viande de boeuf, via la livraison de fourrages qui avaient été exposés, a montré la nécessité d’étendre les contrôles en amont des filières.

Les enquêtes épidémiologiques

Les responsables du MEXT nous ont expliqué qu’afin de mesurer objectivement l’impact de l’accident sur longue durée, les populations exposées aux rejets de la centrale de Fukushima vont bénéficier d’un programme de suivi épidémiologique spécifique. Celui-ci distingue quatre groupes de référence. En premier lieu, les 36.000 enfants de la zone évacuée feront l’objet d’un examen médical tous les deux ans, puis tous les cinq ans après leur majorité, en vue notamment d’anticiper des maladies de la thyroïde. Les 20.000 femmes enceintes présentes dans la zone au moment des faits seront suivis médicalement, toute leur vie durant, par recentralisation de l’information de tous les actes médicaux les concernant, même lorsqu’elles changeront de résidence. D’une façon plus générale, les 150.000 réfugiés de la zone d’exclusion54 seront soumis à un contrôle médical poussé. Enfin, plus largement encore, 2.020.000 habitants de la préfecture de Fukushima vont être appelés à remplir quotidiennement un questionnaire renseignant sur leur état de santé.

Déjà, une enquête sur un échantillon de 1.149 enfants évacués de la zone d’exclusion des 20 kilomètres a révelé que 1 % d’entre eux présentait une dosimétrie supérieure à 0,04 µSv/h au niveau de la thyroïde, avec un niveau maximal de 0,1 µSv/h, équivalent à 0,8 mSv/an, à comparer à la valeur limite de 1 mSv/an fixée en France pour le public.

L’enjeu du redémarrage des centrales nucléaires

Les représentants de la fédération des compagnies d’électricité nous ont indiqué que 12 réacteurs, sur les 44 à l’arrêt en octobre, bénéficiaient, au terme des formalités requises, de l’aval des autorités de sûreté pour un redémarrage. De fait, trois types d’arguments ont été avancés par nos divers interlocuteurs en faveur d’un possible redémarrage, à plus ou moins brève échéance, des réacteurs arrêtés.

D’abord, les industriels japonais jugent inconcevable que les efforts de mise en sécurité supplémentaires qui leur sont imposés dans le cadre des « stress tests », et qui correspondent à des efforts d’investissement considérables, puissent déboucher sur une décision d’arrêt définitif. La centrale d’Hamaoka que nous avons visitée est en situation particulièrement critique à cet égard : elle a été arrêté directement par ordre du Premier ministre sur le double motif qu’elle est la plus proche de Tokyo, et la plus exposée à un risque de tsunami ; la mise en sécurité supplémentaire doit y être effectuée en une seule fois, d’ici la fin 2012 ; alors que les autres centrales pourront étaler le même effort dans le temps ; la dépense équivaut à environ 100 milliards de yens, soit un milliard d’euros, ce qui représente 5 % du chiffre d’affaires de pleine activité du groupe Chubu.

De leur côté, les responsables de l’administration considèrent que des réformes institutionnelles permettront de restaurer la confiance des populations. Ainsi le printemps prochain devrait voir la création d’une nouvelle autorité de sûreté nucléaire, rattachée non plus au METI comme aujourd’hui la NISA, mais au ministère de l’environnement. Dans le même ordre d’idée, nous leur avons suggéré que les « stress tests » bénéficient d’une validation internationale.

Enfin, les industriels français sur place soulignent que le Japon est un pays de culture industrielle profonde, dépendant vitalement de ses capacités d’exportation, et qu’il leur paraît donc inimaginable qu’il puisse accepter longtemps une situation de suicide économique par des perspectives prolongées d’approvisionnement en énergie erratique et cher. Déjà certains groupes délocalisent leur production, et les faillites de PME se multiplient.

A l’inverse, on peut concevoir que la situation actuelle, en se prolongeant, pourrait finalement se consolider autour des comportements d’adaptation, et que le Japon pourrait ainsi revenir, malgré les lourdes difficultés qui en résulteraient pour sa population et son économie, vers un système d’approvisionnement énergétique reposant presqu’exclusivement sur les énergies fossiles.

Source : Institute of Energy Economics, Japon

Conclusion

En conclusion, j’observerai d’abord des éléments d’analogie entre la situation du Japon et celle de l’Allemagne : avant l’accident de Fukushima, les deux pays s’étaient plutôt montrés partie prenante, chacun à leur manière, du « renouveau du nucléaire » à l’automne 2010 : les Allemands en négociant un allongement de la durée de vie de leurs réacteurs nucléaires, les Japonais en programmant une extension de leur parc ; aujourd’hui, la réorientation des deux pays ne concerne en tout état de cause qu’une part limitée, 20 à 30 % de leur bouquet énergétique respectif ; enfin, ils disposent tous deux d’un appareil industriel puissant et réactif, au premier rang mondial dans la technologie des centrales à énergies fossiles.

Les circonstances auxquelles est confronté le Japon le placent cependant dans une position différente sous deux angles : d’une part, la « sortie du nucléaire » japonaise n’est pas le résultat d’un choix politique a priori, mais celui d’un processus contraint irrésistible, de surcroît très rapide ; d’autre part, les dirigeants japonais, à la différence de leurs homologues allemands, ne cherchent nullement à masquer la réalité d’un appel massif aux énergies fossiles par des discours sur le basculement aux énergies renouvelables. L’isolement géographique du Japon, qui le prive de la ressource d’une électricité discrètement importée, et la pauvreté de son sous-sol en charbon, lui imposent d’effectuer des achats massifs d’hydrocarbures sur les marchés mondiaux, en pleine transparence sur la réalité de son ajustement énergétique forcé.

La douloureuse expérience japonaise est ainsi pleine d’enseignement sur la réalité très hypothétique d’une transition en quelques années vers les énergies renouvelables : le Japon ne peut pas être considéré comme réticent à des avancées dans ce domaine, puisqu’il est l’un des promoteurs historiques de l’énergie photovoltaïque ; il dispose en outre d’une forte culture industrielle qui le met en situation d’apprécier à sa juste mesure les défis technologiques et les délais nécessaires à une telle transition.

Le sort de ce pays montre que la seule alternative réaliste à l’énergie nucléaire est l’importation massive d’hydrocarbures, avec les surcoûts économiques, les surcroîts d’émission de gaz à effet de serre, et les atteintes à l’indépendance que cela suppose.

1 Comptes rendus des déplacements, p.99 et suivantes.

2 Compte rendu de l’audition du 27 octobre 2011, tome II : annexes, p.29 à 54.

3 A capacité énergétique égale, le charbon émet deux fois plus de CO2 que le gaz naturel.

4 Le processus d’amélioration continue de la sûreté par la prise en compte du retour d’expérience est détaillé dans le rapport d’étape présenté par la mission le 30 juin 2011 (Assemblée nationale n° 3614, Sénat n° 701).

5 Compte-rendu du déplacement au Japon, p.109 à 116.

6 Compte rendu du déplacement en Allemagne, p. 99 à 107.

7 Le 8 novembre 2011.

8 A court terme toutefois, on considère que le gazoduc Nord Stream sécurise l’approvisionnement européen, en permettant justement un contournement des différends russo-ukrainiens.

9 Compte rendu du déplacement au Japon, p.109 à 116.

10 Compte rendu de l’audition du 3 novembre 2011, tome II : annexes, p.55 à 108.

11 « La France sans nucléaire », Alain Charmant, Jean-Guy Devezeaux de Lavergne, Norbert Ladoux et Marc Vielle, Revue de l’énergie, n°434, octobre 1991, cf. p.701 à 715.

12 « La maîtrise de la pointe électrique », rapport de Serge Poignant et Bruno Sido, dans le cadre du groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique, La Documentation française, réf. 104000160, avril 2010.

13 Rapport de l’OPECST du 4 décembre 2009 (Assemblée nationale n° 2141, Sénat n° 135) – « La performance énergétique des bâtiments: comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? », cf. p.77 à 89.

14 Compte rendu de l’audition du 3 novembre 2011, tome II : annexes, cf. p.55 à 108.

15 Rapport de l’OPECST du 4 décembre 2009 (Assemblée nationale n° 2141, Sénat n° 135) – « La performance énergétique des bâtiments: comment moduler la règle pour mieux atteindre les objectifs ? », cf. p.171 à 173.

16 Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages.

17 Centre scientifique et technique du bâtiment.

18 Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.

19 Tome II : annexes, cf. p.7.

20 Lors de l’audition du 3 novembre 2011, M. Etienne Vekemans, président de l'association Maison Passive France, signalait que ces systèmes représentent 50 % du marché hollandais, tome II : annexes, cf. p.65.

21 Cf. p.31.

22  « Abschaltung von Windenergieanlagen um bis zu 69 Prozent gestiegen », communiqué de la Bundesverband WindEnergie, 1er novembre 2011.

23 Rapport du 23 août 2011 de MM. Claude Birraux et Christian Kert (Assemblée nationale n°3716, Sénat n°782), compte rendu de l’audition publique du 8 mars 2011 :  « Les enjeux des métaux stratégiques : le cas des terres rares ».

24 Entre 28 à 37 %; chiffre communiqué par M. Jean-Pierre Joly, président de l’Institut national de l’énergie solaire lors de l’audition du 24 novembre 2011.

25 Délibération de la CRE portant proposition relative aux charges de service public de l’électricité et à la contribution unitaire pour 2011, 7 octobre 2010.

26 Données de l’Association pour la promotion des énergies renouvelables (Apere, Belgique).

27 Production moyenne d’un réacteur nucléaire en France en 2010.

28 Rapport du comité opérationnel n° 10 du Grenelle de l’environnement, p. 9.

29 Arrêté du 15 décembre 2009 relatif à la programmation pluriannuelle des investissements de production d'électricité.

30 Ces propositions tardant à être mises en œuvre par les ministères concernés, nous avons interpellé à ce sujet, avec l’appui du président de la mission, M. le Premier ministre, cf. tome II : annexes, cf. p.9 à 17.

31 « La France, l’Allemagne et l’enjeu nucléaire », Frédéric Turkish, Institut français des relations internationales, novembre 2004.

32 Compte rendu du déplacement en Allemagne, p.99 à 107.

33 La directive 2011/70/Euratom du 19 juillet 2011 « établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs » impose notamment aux États membres l’instauration d’une autorité de contrôle indépendante des producteurs de déchets et d’un cadre législatif et réglementaire visant à mettre en place des programmes nationaux de gestion des déchets radioactifs et du combustible usé.

34 Compte rendu du déplacement en Allemagne, p.99 à 107.

35 Compte rendu du déplacement au Japon ; cf. p.114.

36 « Les industriels électro-intensifs face au tournant énergétique », Edith Chezel, Bulletin Électronique Allemagne, numéro 545, 27 octobre 2011, ambassade de France en Allemagne / ADIT.

37 Rapport de l’OPECST du 3 mars 2009 (Assemblée nationale n° 1493, Sénat n° 238), « Quelle stratégie pour la recherche en énergie ? ».

38 Compte rendu de l’audition du 24 novembre 2011 ; tome II : annexes, p.165 à 208.

39 Rapport de l’OPECST du 3 mars 2009 (Assemblée nationale n° 1493, Sénat n° 238), « Quelle stratégie pour la recherche en énergie », p. 77 à 80.

40 Ce consortium comprend également Etandex, Eurovia, Ingérop et Grenoble INP.

41 Rapport de l’OPECST du 3 mars 2009 (Assemblée nationale n° 1493, Sénat n° 238), « Quelle stratégie pour la recherche en énergie ? », cf. p. 119 et 120.

42 « E=CH4 : l'équation qui permet de stocker l'énergie », Edith Chezel, Bulletin Électronique Allemagne, numéro 529, 10 juin 2011, ambassade de France en Allemagne / ADIT.

43 L'ordonnance du 18 octobre 1945 donnait mission au CEA de « poursuivre les recherches scientifiques et techniques en vue de l'utilisation de l'énergie atomique dans tous les domaines de la science, de l'industrie et de la défense nationale ; d'étudier la protection des personnes et des biens ; d'organiser et contrôler l'exploitation des matières nécessaires ; de réaliser à l'échelle industrielle, la production d'énergie nucléaire ; de conseiller le gouvernement en tout ce qui concerne le nucléaire et ses applications ; d'une manière générale de prendre toutes mesures qui permettent à la France de bénéficier du développement de cette branche de la science ».

44 Le CEA est devenu depuis le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives suivant une disposition de la loi de finances rectificative promulguée le 9 mars 2010.

45 Compte rendu de l’audition du 17 novembre 2011, tome II : annexes, cf. p.142 à 146, intervention de M. Thierry Dujardin, directeur adjoint, science et développement OCDE/AEN.

46 Ibid. cf. p.138 à 142.

47 Compte rendu du déplacement au Japon, p.109 à 116.

48 A ce jour, plus de 250 000 tonnes pour l’uranium appauvri, et environ 300 tonnes pour le plutonium (environ 60 tonnes non irradiées, séparées après retraitement, et 240 tonnes dans les combustibles usés).

49 Hors coûts liés au réseau.

50  Une estimation devrait normalement être formulée par le rapport de la Cour des Comptes évoqué en introduction.

51 En prenant en compte une durée de vie de 20 ans.

52 Cet impact macroéconomique signifie que le taux de croissance du pays aurait été amputé d’autant en l’absence d’énergie nucléaire, cf. p. 59.

53 M. Daniel Paul a fait savoir par la suite au secrétariat de l’OPECST qu’il n’ajouterait pas de contribution au rapport.

54 Aux 100.000 personnes déplacées se sont ajoutées 50.000 personnes en situation d’évacuation volontaire.


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