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N
° 77

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 juillet 2007.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d’Autriche, relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale.

par M. André SCHNEIDER

Député

Voir les numéros  :

Sénat : 150, 231 et T.A. 86 (2006-2007)

Assemblée nationale : 15

INTRODUCTION 5

I – LE TRAITÉ DE PRÜM MARQUE UNE NOUVELLE ETAPE DANS L’APPROFONDISSEMENT DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE EN EUROPE 7

A – UN TRAITÉ « PIONNIER » POUR LUTTER PLUS EFFICACEMENT CONTRE LE TERRORISME, LA CRIMINALITÉ TRANSFRONTALIÈRE ET LA MIGRATIONS ILLÉGALE 7

1) L’amélioration des échanges d’informations 7

a) Les échanges de profils ADN 7

b) Les échanges de données dactyloscopiques 8

c) Les échanges de données relatives à l’immatriculation des véhicules 9

2) La lutte contre le terrorisme 9

3) La lutte contre la migration illégale 9

4) Le renforcement de la coopération transfrontière opérationnelle 10

B – DES AVANCÉES OPÉRATIONNELLES JURIDIQUEMENT ENCADRÉES 11

1) Les garanties liées au droit à la protection des données personnelles 11

2) Le respect de la souveraineté des Etats parties 12

II – L’INTÉGRATION PARTIELLE DE L’ « ACQUIS DE PRÜM » DANS LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE PREFIGURE DU FONCTIONNEMENT FUTUR DE L’EUROPE ÉLARGIE 13

A – L’INTÉGRATION PARTIELLE DE L’ « ACQUIS DE PRÜM » DANS LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE 13

1) La vocation initiale du traité de Prüm à s’étendre à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne 13

2) Les modalités d’intégration définies lors du Conseil « Justice et Affaires intérieures » des 12 et 13 juin 2007 14

B – QUELS ENSEIGNEMENTS POUR LE FONCTIONNEMENT DE L’EUROPE ÉLARGIE ? 15

1) La mise en évidence des difficultés inhérentes au cadre institutionnel actuel de l’Union européenne 15

2) La pertinence d’une démarche pragmatique 16

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

Mesdames, Messieurs,

Vingt ans après Schengen, la signature le 27 mai 2005 entre sept Etats membres de l’Union européenne, du Traité de Prüm – petite ville située en Allemagne dans le Land de Rhénanie–Palatinat et haut lieu de l’Europe carolingienne puisque Lothaire, un des petits-fils de Charlemagne, y est né et enterré –, vise à approfondir la coopération transfrontalière policière dans les domaines de la lutte contre le terrorisme, de la criminalité et de la migration illégale.

Ce traité, également dénommé « Schengen Plus » ou « Schengen III » trouve son origine dans une initiative lancée en 2003 par l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, rapidement rejoints par l’Autriche, les Pays-Bas, la France et l’Espagne. D’autres pays membres de l’Union ont depuis marqué leur intérêt pour cette « coopération avancée », le Traité de Prüm étant ouvert à l’adhésion de tout Etat membre de l’Union européenne.

Ce traité est déjà entré en vigueur en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Finlande et au Luxembourg. En France, le présent projet de loi autorisant sa ratification a été déposé le 10 janvier 2007 et a été adopté en première lecture par le Sénat le 21 février dernier. A l’Assemblée nationale, la Délégation pour l’Union européenne s’était saisie, sous la précédente législature, du projet de décision du Conseil de l’Union européenne visant à intégrer une partie des dispositions du Traité dans le droit de l’Union européenne.

Conclu entre des Etats désireux de jouer un rôle pionnier, le Traité de Prüm marque une nouvelle étape dans l’approfondissement de la coopération policière en Europe. Quant à l’intégration partielle de l’ « acquis de Prüm » dans le droit de l’Union européenne, elle pourrait préfigurer du fonctionnement futur de l’Europe élargie.

I – LE TRAITÉ DE PRÜM MARQUE UNE NOUVELLE ETAPE DANS L’APPROFONDISSEMENT DE LA COOPÉRATION POLICIÈRE EN EUROPE

A – Un traité « pionnier » pour lutter plus efficacement contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migrations illégale

Ce traité vise à lutter plus efficacement contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale sans pour autant introduire d’amalgame entre ces différents champs d’intervention. Il s’agit seulement, en l’espèce, de fixer les priorités de l’approfondissement de la coopération policière en Europe.

1) L’amélioration des échanges d’informations

Le Traité de Prüm comporte des avancées substantielles en ce qui concerne le partage d’informations transfrontières. Les Etats parties disposeront désormais d’un accès réciproque automatique à des bases de données nationales spécifiques qu’il s’agisse de profils ADN, de données dactyloscopiques et de registres d’immatriculation de véhicules (1). Il faut y voir le signe d’une confiance réciproque grandissante entre les pays membres.

a) Les échanges de profils ADN

Le Traité de Prüm introduit deux nouveautés : les échanges de données ADN et l’utilisation d’un index de référence pour éviter une identification directe de la personne recherchée.

Les parties contractantes s’engagent ainsi à créer et à gérer des fichiers nationaux d’analyse d’ADN en vue de la poursuite d’infractions pénales. Les services de police pourront ainsi introduire une demande dans le système de données d’un partenaire pour déterminer s’il contient des données concernant un profil particulier et seront informés automatiquement et quasiment en temps réel du résultat.

La consultation lancée par le pays requérant donnera lieu à une réponse indiquant soit qu’il n’existe pas, soit qu’il existe un ou des profils concordants dans la base de données de l’Etat consulté. A ce stade, les données échangées resteront donc anonymes et c’est seulement en cas de constatation de concordance que pourront être révélées les informations nominatives personnelles auxquelles le profil ADN est rattaché. L’article 5 du traité prévoit qu’une telle demande devra être transmise par les canaux habituels de l’entraide judiciaire.

L’échange automatique d’informations a d’ores et déjà permis des succès notables pour les pays pour lesquels le Traité de Prüm est entré en vigueur. Ainsi, selon des données communiquées en février 2007, les autorités allemandes ont comparé des profils ADN de cas en suspens avec des données détenues par les autorités autrichiennes et ont trouvé des concordances dans plus de 1 500 cas. Plus de 700 traces non identifiées en Allemagne ont pu être attribuées à des personnes connues des autorités répressives autrichiennes. Les cas de concordance, ventilés par type d’infractions, ont été les suivants : 14 homicides ou meurtres, 885 vols et 85 vols qualifiés ou extorsions (2).

En France, l’entrée en vigueur du traité devrait permettre de faciliter l’identification d’auteurs d’infractions jusqu’ici impunies. Actuellement, 150 000 empreintes digitales sur deux millions et 5 000 empreintes génétiques sur 68 000 n’ont en effet pas encore pu être identifiées.

b) Les échanges de données dactyloscopiques

L’empreinte digitale, appelée « donnée dactyloscopique » est disponible selon un index de référence qui évite, de même que pour l’ADN, l’identification directe de la personne concernée. L’article 8 du Traité de Prüm précise en effet que « les données indexées ne doivent contenir aucune donnée permettant l’identification directe de la personne concernée ».

L’établissement d’un lien entre une donnée dactyloscopique et une donnée indexée sera réalisé par le point de contact de la partie réalisant la consultation des données. Pour la France, ce point de contact sera le service chargé de la gestion du fichier automatisé des empreintes digitales (sous-direction de la police technique et scientifique de la direction centrale de la police judiciaire de la direction générale de la police nationale).

La France n’effectuera de telles consultations que dans le cadre d’une enquête de police judiciaire, conformément à sa législation.

c) Les échanges de données relatives à l’immatriculation des véhicules

L’article 12 du traité prévoit la consultation automatisée des données relatives au propriétaire d’un véhicule. Un accès direct est prévu, via les points de contact nationaux, aux données issues des fichiers d’immatriculation des autres Etats membres relatives aux propriétaires et aux véhicules.

Il s’agit ainsi de maintenir l’ordre et la sécurité publique et/ou prévenir ou poursuivre des infractions pénales.

2) La lutte contre le terrorisme

Le chapitre 3 du traité concerne la prévention du terrorisme et prévoit un renforcement des échanges d’information afin de prévenir d’éventuelles infractions terroristes. L’article 16 du traité autorise ainsi la transmission de données à caractère personnel, comme les noms des personnes susceptibles de commettre des actes terroristes, pour autant que certains faits justifient la présomption que les personnes concernées vont commettre des infractions pénales.

Cet échange devra toutefois s’effectuer dans le respect du droit national par le biais de points de contact ; il s’agira pour la France de l’unité de coordination de lutte anti-terroriste.

Par ailleurs, les articles 17 à 19 du traité prévoient que chaque partie contractante peut décider, de façon autonome, en fonction de sa politique nationale de sûreté aérienne, de l’intervention de gardes armés à bord des aéronefs (« sky marshals »). Il s’agit là d’une mesure mise en place aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001. Une coopération pourra être instaurée entre les Etats parties au traité en matière de formation initiale et continue et d’équipement de ces gardes armés.

La présence de gardes armés à bord d’un avion devra être notifiée, au moins trois jours à l’avance, aux autorités de l’autre partie contractante dont le vol concerné est à destination ou en provenance. Ces gardes armés pourront porter une arme de service, des munitions ou des objets d’équipement pendant un vol et dans certaines zones de sécurité de l’aéroport, selon une procédure définie à l’article 18. En revanche, le traité ne précise pas leur champ d’intervention et l’autorité dont ils disposeront à bord.

3) La lutte contre la migration illégale

Le chapitre 4 du Traité de Prüm est consacré à la lutte contre la migration illégale. L’article 20 du traité prévoit ainsi de développer la coopération entre les parties contractantes par l’envoi de conseillers en faux documents dans des pays considérés comme pays d’origine ou de transit pour la migration illégale. Ces conseillers exerceront une mission de conseil et de formation pour les représentations diplomatiques ou consulaires des parties contractantes et pour les sociétés de transport ainsi que pour les autorités du pays hôte compétent pour les contrôles policiers aux frontières.

L’article 23 du traité prévoit également le soutien mutuel des parties contractantes lors de rapatriements d’étrangers en situation illégale, conformément aux dispositions en vigueur du droit de l’Union européenne (3). Il appartient aux parties contractantes de désigner des points de contact nationaux pour la planification et l’exécution des mesures d’éloignement.

4) Le renforcement de la coopération transfrontière opérationnelle

Afin de renforcer l’efficacité de la coopération policière transfrontalière, le Traité de Prüm rend possible la création de patrouilles communes composées de policiers issus de différents Etats membres, qui pourront exercer des opérations communes sur l’ensemble du territoire des Etats parties. Jusqu’à présent, l’existence de patrouilles communes était circonscrite à la zone frontalière.

Il convient de préciser que la France est déjà partie prenante à plusieurs accords de coopération transfrontalière policière et douanière avec la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Suisse, dans lesquels est prévue l’instauration de patrouilles mixtes ou communes (4), visées à l’article 24 du Traité de Prüm.

Le traité de Prüm rend également possible, sous certaines conditions, le franchissement de la frontière par des policiers étrangers, sans autorisation préalable de l’Etat d’accueil, en situation d’urgence (5). Il s’agit d’être en mesure de porter secours le plus rapidement possible à des personnes dont la vie ou l’intégrité sont en danger. Cette intervention de fonctionnaires étrangers étant géographiquement limitée, une zone frontalière devra être définie.

B – Des avancées opérationnelles juridiquement encadrées

1) Les garanties liées au droit à la protection des données personnelles

Une coopération policière et judiciaire plus étroite en matière pénale doit aller de pair avec le respect des droits fondamentaux, en particulier le droit au respect de la vie privée et le droit à la protection des données à caractère personnel.

L’intensification des échanges de données rendue possible par le Traité de Prüm soulève la question de la protection des données personnelles des individus. Dans le cadre des consultations automatisées de données, le système de concordance / non concordance (plus communément appelé « hit – no hit ») crée une structure de comparaison de profils anonymes, dans le cadre de laquelle les données à caractère personnel supplémentaires ne sont échangées qu’après une concordance, leur transmission et leur réception étant régies par la législation nationale, y compris les règles d’assistance juridique. Ce mécanisme garantit un système adéquat de protection des données, étant entendu que la transmission de données à caractère personnel à un autre Etat membre exige un niveau suffisant de protection des données de la part de l’Etat membre destinataire.

En tout état de cause, le présent traité impose aux Etats signataires de garantir un niveau minimal de protection avant de mettre en œuvre les échanges de données. L’article 34 du traité se réfère précisément à la Convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981 (6), à son protocole additionnel du 8 novembre 2001 (7)et à la Recommandation n° R (87) 15 du Comité des ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres relative à l’utilisation de données à caractère personnel dans le domaine policier (8).

Les dispositions du Traité de Prüm rappellent les principes fondamentaux en matière de protection des données, à savoir :

– la finalité du traitement des données ;

– l’exactitude des données ;

– la mise à jour des données ;

– la mise en place de sécurités informatiques ;

– la traçabilité des consultations.

Saisie par le ministère des affaires étrangères du présent projet de loi autorisant la ratification du Traité de Prüm, la CNIL a rendu un avis favorable, tout en demandant que les futurs accords d’exécution du Traité de Prüm prévoient expressément qu’un traitement automatisé de données ne pourra être mis en œuvre que pour « des finalités déterminées et légitimes », les données enregistrées devant être adéquates, pertinentes et non excessives par rapport à ces finalités.

2) Le respect de la souveraineté des Etats parties

Tant la création de patrouilles communes que l’utilisation par des policiers étrangers de leur arme de service a conduit à s’interroger sur la conformité du Traité de Prüm à la Constitution française. Il résulte en effet de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de plusieurs avis du Conseil d’Etat que la possibilité de conférer à des fonctionnaires étrangers des prérogatives de puissance publique sur le territoire national doit être strictement encadrée.

Dans sa décision du 9 mars 2004 relative à la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (9), le Conseil constitutionnel a implicitement autorisé des agents étrangers à exercer des actes, notamment de coercition, sur le territoire français, s’ils sont placés pendant la durée de leur mission sur le territoire national sous l’autorité des services français compétents. Le Conseil d’Etat a également validé ce principe dans deux avis du 25 novembre 2004 concernant le droit d’interpellation et du 20 mai 1997 (10)relatif à l’escorte d’un ressortissant étranger sur le territoire national par des agents appartenant à la police d’un Etat étranger.

A l’occasion de l’examen du projet de loi autorisant la ratification du Traité de Prüm, le Conseil d’Etat a estimé que ce traité ne soulevait pas de difficulté d’ordre constitutionnel. L’exposé des motifs du projet de loi de ratification précise en effet que « d’une manière générale et conformément à la jurisprudence française en la matière, il reste exclu que des policiers étrangers prennent des mesures de type coercitif, lesquelles ne peuvent être exercées que par la seule autorité publique ». L’article 24 du traité indique également que les agents étrangers ne peuvent exercer des compétences de puissance publique que « sous le commandement, et en règle générale, en présence de fonctionnaires de l’Etat d’accueil ». Ces conditions sont conformes aux règles de souveraineté relatives aux pouvoirs susceptibles d’être dévolus aux agents étrangers en vertu de nos principes constitutionnels.

II – L’INTÉGRATION PARTIELLE DE L’ « ACQUIS DE PRÜM » DANS LE DROIT DE L’UNION EUROPEENNE PREFIGURE DU FONCTIONNEMENT FUTUR DE L’EUROPE ÉLARGIE

A – L’intégration partielle de l’ « acquis de Prüm » dans le droit de l’Union européenne

Dans le programme de La Haye de novembre 2004 qui vise à renforcer la liberté, la sécurité et la justice au sein de l’Union européenne, le Conseil européen s’est déclaré convaincu que cet objectif rendait nécessaire une approche innovante de l’échange transfrontière d’informations en matière répressive. Les Chefs d’Etat ou de Gouvernement ont dès lors affirmé que l’échange d’informations devrait obéir aux conditions s’appliquant au principe de disponibilité. Selon ce principe, tout agent des services répressifs d’un Etat membre qui a besoin de certaines informations dans l’exercice de ses fonctions peut les obtenir d’un autre Etat membre, ce dernier les mettant à sa disposition aux fins indiquées, en tenant compte des exigences des enquêtes en cours dans l’Etat demandeur.

Ainsi, l’intégration de la substance du Traité de Prüm dans le droit de l’Union européenne doit pleinement contribuer à remplir les objectifs ambitieux fixés dans le cadre du programme de la Haye.

1) La vocation initiale du traité de Prüm à s’étendre à l’ensemble des pays membres de l’Union européenne

Le Traité de Prüm a été conçu dans la perspective de sa transposition dans le droit de l’Union européenne. En effet, le préambule du Traité énonce que les Partie contractantes sont « désireuses de traduire les dispositions du présent Traité dans le cadre juridique de l’Union européenne afin d’aboutir à une amélioration de l’échange d’informations au sein de l’Union européenne dans son ensemble ».

Puis l’article 1er du Traité précise qu’ « au plus tard trois ans après l’entrée en vigueur du présent Traité, une initiative sera présentée en vue de la transcription des dispositions du présent Traité dans le cadre juridictionnel de l’Union européenne (…) en tenant compte des dispositions du Traité sur l’Union européenne et du Traité instituant la Communauté européenne  ». Ce même article précise que la coopération mise en œuvre « ne porte pas atteinte au droit de l’Union européenne et reste ouverte à l’adhésion de tout Etat membre de l’Union européenne ».

De fait, plusieurs Etats membres de l’Union européenne ont rapidement fait part de leur intention de rejoindre le groupe pionnier des sept pays fondateurs du Traité. C’est le cas de la Slovénie, de l’Italie, de la Finlande, du Portugal, de la Roumanie, de la Suède, de la Bulgarie, de la Grèce et de l’Estonie (11).

Mais surtout, l’Allemagne avait indiqué en prenant la présidence semestrielle de l’Union européenne, qu’elle entendait faire de la reprise de l’acquis de Prüm dans le droit de l’Union européenne, l’une des priorités de sa présidence. Un débat s’est tenu à ce sujet lors du Conseil informel « justice et affaires intérieures » de Dresde, le 10 janvier 2007. L’initiative allemande a reçu un accueil favorable des Etats membres, ce qui a permis une accélération du calendrier.

En effet, une initiative législative a été déposée le 6 février 2007 par plusieurs pays membres de l’Union proposant de reprendre, sous la forme juridique d’un projet de décision du Conseil, les dispositions du Traité de Prüm relevant du troisième pilier – intergouvernemental – de l’Union européenne.

2) Les modalités d’intégration définies lors du Conseil « Justice et Affaires intérieures » des 12 et 13 juin 2007

Ce texte a fait l’objet d’un premier examen lors du Conseil « justice et affaires intérieures » du 15 février 2007 au cours duquel les ministres de l’Intérieur des 27 Etats membres sont parvenus à un accord de principe, à l’exception toutefois de la disposition relative aux interventions de police transfrontière en cas d’urgence sans autorisation préalable (art. 25 du traité). Ce point a en effet fait l’objet d’une opposition résolue de la part du Danemark, de la Grèce, de l’Irlande, de la République tchèque et du Royaume-Uni. On peut s’étonner de l’opposition d’un pays comme la Grèce qui a pourtant signifié sa volonté d’adhérer au traité.

Aussi, l’accord politique qui vient d’intervenir à 27 lors du dernier Conseil « justice et affaires intérieures » des 12 et 13 juin 2007 limite, pour l’essentiel, la reprise de « l’acquis de Prüm » aux dispositions relevant du troisième pilier de l’Union et exclut l’intégration dans le droit de l’Union européenne de la disposition autorisant le franchissement des frontières par des policiers étrangers en cas d’urgence (12). Ceci ne sera donc autorisé que pour les seuls Etats ayant ratifié le Traité de Prüm.

Le projet de décision du Conseil de l’Union européenne (13)qui intègre en partie la substance du Traité de Prüm dans le corpus juridique de l’Union européenne se concentre ainsi pour l’essentiel sur les services répressifs, à savoir les échanges d’ADN, d’empreintes digitales et de numéros de plaques d’immatriculation.

L’accord unanime des vingt-sept sur l’intégration – dans un temps très court puisqu’il s’est écoulé à peine quatre mois entre la présentation d’une initiative législative et un l’obtention d’un accord politique unanime – démontre la capacité d’entraînement d’une « avant–garde » sur l’ensemble des Etats membres. Pourrait-on y voir une préfiguration du fonctionnement futur de l’Europe élargie ?

B – Quels enseignements pour le fonctionnement de l’Europe élargie ?

1) La mise en évidence des difficultés inhérentes au cadre institutionnel actuel de l’Union européenne

Pourquoi sept Etats membres de l’Union européenne ont-ils préféré recourir au droit international classique plutôt qu’au système juridique de l’Union européenne pour approfondir entre eux leur coopération policière ?

Ces pays ont en effet écarté deux options, mettant en évidence les difficultés inhérentes au cadre institutionnel actuel de l’Union européenne (14).

– La première option aurait consisté, pour les pays souhaitant aller de l’avant, à présenter une initiative législative ou à convaincre la Commission européenne de déposer une proposition en ce sens au Conseil. Or le processus décisionnel au sein du Conseil se révèle de plus en plus lent ; plusieurs années sont généralement nécessaires pour obtenir un accord souvent réduit au plus petit dénominateur commun. Ainsi, les pays les plus ambitieux auraient-ils été freinés, voire empêchés, par les plus réticents.

– La seconde option aurait consisté à proposer le déclenchement d’une coopération renforcée. La procédure prévue à cet effet par le Traité de Nice, actuellement en vigueur, fixe à huit le nombre minimum d’Etats pour déclencher une coopération renforcée ; or le Traité de Prüm n’a rassemblé, à l’origine, que sept pays signataires. En outre, une fois surmonté l’obstacle du seuil d’Etats membres, l’article 40 A du Traité de Nice requiert de soumettre une demande à la Commission européenne, de consulter le Parlement européen et d’obtenir l’approbation d’une majorité qualifiée du Conseil, sans pouvoir empêcher un Etat membre d’exiger une saisine préalable du Conseil européen. L’accumulation de ces contraintes risquait ainsi de compromettre sérieusement une telle tentative.

La lenteur inhérente au fonctionnement institutionnel de l’Union européenne élargie a ainsi conduit certains Etats membres à se détourner provisoirement des instruments de l’Union, au risque d’être accusés de nuire à l’européanisation de politiques nationales de sécurité intérieure en Europe. Or c’est le contraire qui s’est produit, soulignant ainsi la pertinence d’une démarche réaliste et pragmatique.

2) La pertinence d’une démarche pragmatique

Les autorités françaises ont salué le pragmatisme de la présidence allemande de l’Union qui a rendu possible en quelques semaines l’intégration dans le droit de l’Union européenne de l’essentiel de la substance du Traité de Prüm. La preuve est ainsi apportée que ce que les Européens ont réussi avec Schengen et, selon des modalités différentes avec l’Euro, peut être transposé à de nouveaux domaines. Le droit international et le droit communautaire révèlent ainsi la force de leur complémentarité.

Poussée à son maximum, une démarche pragmatique aurait même pu conduire à proposer des mécanismes dérogatoires aux quelques pays
– minoritaires – qui se sont opposés à la reprise de la disposition permettant, sans autorisation préalable, les interventions de police transfrontière en cas d’urgence. N’est-ce pas de cette façon que la reconnaissance de la valeur juridique la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne devrait être rendue possible, malgré l’opposition du Royaume-Uni qui s’est vu reconnaître un droit d’opt out ?

On peut toutefois aisément comprendre que la présidence allemande ait privilégié la voie d’un accord unanime à 27. Il convient également, il est vrai, de veiller à ce que la superposition de divers instruments n’engendre pas une confusion juridique. Les administrations nationales risquent en effet de se trouver de plus en plus souvent confrontées à la mise en œuvre d’instruments présentant un champ d’application et une force contraignante variables.

CONCLUSION

L’Allemagne, à l’initiative du Traité de Prüm, avait fait de son intégration dans le droit de l’Union européenne, une priorité de sa présidence de l’Union. Cela sera bientôt chose faite grâce à l’accord politique conclu lors du dernier Conseil « Justice et affaire intérieures » des 12 et 13 juin 2007.

Les dispositions du Traité de Prüm non reprises au niveau de l’Union continueront bien à s’appliquer entre les seuls Etats parties au traité. Le droit international classique, dès lors qu’il n’entre pas en contradiction avec le droit de l’Union européenne, pourrait ainsi s’imposer comme un nouveau levier, plus souple, au service de futures coopérations renforcées entre un nombre restreint d’Etats membres.

La France doit ratifier le Traité de Prüm ; il est essentiel que notre pays soit rapidement en mesure de coopérer pleinement avec ses partenaires. La ratification est d’autant plus urgente que des groupes de travail ont été constitués pour établir les modalités de mise en œuvre technique des dispositions du Traité et que la France doit présider au premier semestre 2008 le groupe de travail chargé de préparer les décisions du Comité des ministres des Parties contractantes.

Un défaut de ratification dans les délais requis serait très donc préjudiciable pour notre pays, à quelques mois de l’ouverture de la présidence française de l’Union européenne.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mardi 17 juillet 2007.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a eu lieu.

Le Président Axel Poniatowski s’est interrogé sur le régime juridique applicable aux policiers étrangers qui pourront franchir la frontière sans autorisation préalable, tout en devant se faire accompagner de policiers de l’état d’accueil. N’y a-t-il pas là une contradiction ?

M. François Rochebloine a demandé des précisions sur les modalités de contrôle de la transmission des données personnelles et sur le droit d’accès des individus aux données échangées.

M. Roland Blum, après avoir salué la qualité de l’exposé du rapporteur, a souhaité savoir si une coopération renforcée qui irait au-delà des dispositions du traité de Prüm serait juridiquement possible.

M. Gilles Cocquempot a interrogé le rapporteur sur le sujet de la migration illégale, illustrant son propos par la situation dans le Pas-de-Calais. Si la migration illégale correspond à l’arrivée sur le territoire de Schengen de toute personne qui n’est pas autorisée à y pénétrer, force est de constater qu’une  fois sur le territoire, ces personnes ne sont plus considérées comme des immigrés illégaux par les autres Etats membres de l’espace Schengen. Le traité prévoit-il de confier à l’Etat d’arrivée du migrant en situation irrégulière la prise en charge de cette migration illégale ?

En réponse à ses collègues, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

– Dans les situations d’urgence, les policiers étrangers auront le droit de franchir la frontière sans autorisation mais ils devront être relayés le plus rapidement possible par des policiers de l’Etat d’accueil. Les policiers étrangers seront en effet tenus d’aviser sans délai l’Etat d’accueil, de sorte de que la durée pendant laquelle ils interviendront seuls soit la plus brève possible.

– Le Traité de Prüm offre un niveau élevé de garanties s’agissant de la protection des données personnelles ; celles-ci restent anonymes et ne deviennent nominatives qu’en cas de constat de concordance. Rappelant l’avis conforme de la CNIL sur le projet de loi de ratification, il a estimé que la lutte contre la criminalité et le terrorisme justifiait pleinement l’intensification de l’échanges de données telle qu’elle est prévue par le Traité de Prüm.

– Une coopération renforcée au sein de l’Union européenne pour aller au-delà des dispositions du traité de Prüm serait juridiquement possible. Les événements qui se produisent ici et là devraient pousser les Etats membres à approfondir davantage encore leur coopération policière.

– S’agissant de la lutte contre la migration illégale, il a estimé que l’objectif poursuivi tendait à renforcer l’efficacité de la coopération entre les Etats membres de l’espace Schengen, ce qui implique de responsabiliser tous les pays concernés. Le Traité de Prüm offre des moyens nouveaux, mais il est vrai que du chemin reste à parcourir.

Conformément aux conclusions du rapporteur, la commission a adopté le projet de loi (n° 15).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du traité figure en annexe au projet de loi (n° 15).

© Assemblée nationale

1 () Toutefois, les échanges d’informations ne seront autorisés que pour autant qu’il y ait eu une décision conforme du comité des ministres des Etats parties au traité, fondée sur des critères techniques et juridiques et conformément aux législations nationales des Etats concernés.

2 () Situation au 4 janvier 2007.

3 () Cf. Décision 2004/573/CE du Conseil de l’Union européenne du 29 avril 2004 relative à l’organisation de vols communs pour l’éloignement, à partir du territoire de deux Etats membres ou plus, de ressortissants de pays tiers faisant l’objet de mesures d’éloignement sur le territoire de deux Etats membres ou plus. Voir aussi la Directive 2003/110/CE du Conseil de l’Union européenne du 25 novembre 2003 concernant l’assistance au transit dans le cadre de mesures d’éloignement par voie aérienne.

4 () Les pouvoirs que les agents étrangers se voient attribuer sur le territoire où ils interviennent varient selon ces accords bilatéraux. En effet, ils n’ont qu’un rôle d’observateurs en ce qui concerne les accords avec la Belgique et l’Italie et ne sont pas compétents, par exemple, pour l’exécution autonome de mesure de police dans le cadre de l’accord avec l’Espagne.

5 () Selon l’article 25 § 3 du traité, il y a situation d’urgence « lorsque le fait d’attendre l’intervention des fonctionnaires de l’Etat d’accueil ou le placement sous commandement risque d’entraîner la réalisation du danger ».

6 () Convention du Conseil de l’Europe du 28 janvier 1981 relative à la protection des données à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel.

7 () Cf. rapport n° 3744 (XIIe législature) de M. Jacques Remiller, député, autorisant l'approbation du protocole additionnel à la convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, concernant les autorités de contrôle et les flux transfrontières de données,

8 () Il faut par ailleurs indiquer qu’une proposition de décision-cadre relative à la protection des données à caractère personnel est actuellement en négociation au sein du Conseil de l’Union européenne. Il convient dès lors de veiller à la bonne articulation de cette proposition avec les dispositions du Traité de Prüm.

9 () Décision n°2004-492 DC du 9 mars 2004

10 () Section de l’Intérieur, avis n°360 661

11 () Il s’agit de la liste des Etats ayant notifié leur souhait d’adhérer au traité de Prüm, telle que mentionnée dans le communiqué officiel à la presse rendu public à l’issue du Conseil « Justice et affaires intérieures » des 12 et 13 juin 2007.

12 () Au cours de la précédente législature, la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne avait adopté des Conclusions par lesquelles elle regrettait l’exclusion de cette disposition et suggérait, en cas de blocage, de déclencher une coopération renforcée à ce sujet. Cf. document E 3454 in rapport d’information n°3785 (XIIe législature) déposé par la Délégation de l’Assemblée nationale pour l’Union européenne sur des textes soumis à l’Assemblée nationale en application de l’article 88-4 de la Constitution, période du 13 février au 19 mars 2007

13 () Projet de décision du Conseil relative à l’approfondissement de la coopération transfrontière, notamment en vue de lutter contre le terrorisme et la criminalité transfrontière. Réf : 11005/07 CRIMORG 112 ENFOPOL 124.

14 () Voir à ce sujet les réflexions pertinentes de MM. Franklin Dehousse et Diane Sifflet dans un article intitulé « Les nouvelles perspectives de la coopération de Schengen : le Traité de Prüm » et disponible sur Internet à l’adresse suivante : http://www.egmontinstitute.be/papers/06/eu/Prum.pdf