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N
° 112

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 31 juillet 2007.

AVIS

fait

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI (n° 57) relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile,

par M. Philippe COCHET

Député

——

Voir le numéro  :

Assemblée nationale : 57

INTRODUCTION 5

I – LA POLITIQUE MENÉE CES DERNIÈRES ANNÉES A CONTRIBUÉ À LA RÉDUCTION IMPORTANTE DU NOMBRE DE DEMANDES D’ASILE EN FRANCE 7

A – LES MODALITÉS D’EXERCICE DU DROIT D’ASILE ONT PROFONDÉMENT CHANGÉ AU COURS DES DERNIÈRES ANNÉES 7

1) La réforme de 2003 7

2) Les autres modifications 10

B – LE NOMBRE DES DEMANDES D’ASILE DÉPOSÉES EN FRANCE A CONSIDÉRABLEMENT DIMINUÉ 12

1) Un phénomène de baisse incontestable 12

2) Des raisons multiples 15

II – LE CHAPITRE II DU PROJET DE LOI VISE PRINCIPALEMENT À RENFORCER LES DROITS DES DEMANDEURS D’ASILE À LA FRONTIÈRE ET À MODIFIER LA TUTELLE DE L’OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS ET APATRIDES 17

A – LES RÈGLES AUXQUELLES SONT SOUMIS LES DEMANDEURS SERONT MODIFIÉES SUR DEUX POINTS 17

1) Le droit au recours suspensif en cas de rejet de la demande d’admission à la frontière au titre de l’asile 17

a) La procédure de l’asile à la frontière 18

b) La nécessité de conférer un caractère suspensif au recours contre le rejet de la demande 20

c) Les dispositions du projet de loi 21

2) Une clarification de la situation des personnes définitivement déboutées du droit d’asile 26

a) Des déboutés très nombreux, qui restent encore souvent en France en situation irrégulière 26

b) Une précision quant à l’effet du rejet définitif de la demande d’asile sur le droit au séjour obtenu à ce titre 28

B – L’OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS ET APATRIDES SERA DÉSORMAIS PLACÉ SOUS LA TUTELLE DU MINISTÈRE CHARGÉ DE L’ASILE 31

1) Le rôle central de l’OFPRA 31

2) Le changement de tutelle 33

CONCLUSION 35

EXAMEN EN COMMISSION 37

Mesdames, Messieurs,

Déjà proclamé au lendemain de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (1), le droit d’asile est réaffirmé avec force, au niveau national comme international, après le choc provoqué par les horreurs de la deuxième guerre mondiale. Le préambule de la Constitution de 1946 déclare que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République », tandis que le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés est créé le 14 décembre 1950 et que le droit d’asile est affirmé dès 1951 par l’adoption de la convention de Genève relative au statut des réfugiés (2), adoptée sous l’égide des Nations unies et de portée universelle.

La situation internationale a beaucoup évolué depuis l’adoption de ces normes fondamentales, mais elles restent en vigueur (3) et n’ont rien perdu de leur importance. Les conflits internes, les prises de pouvoir arbitraires, la persécution de minorités ethniques ou religieuses continuent de mettre en péril la vie ou la liberté de centaines de milliers de personnes, dont la protection de la dignité ne peut être assurée que grâce à l’asile accordé par un Etat avec lequel elles n’ont initialement aucun lien juridique.

Accorder l’asile à une personne et lui reconnaître le statut de réfugié constituent en toute rigueur deux décisions distinctes : la première se limite à permettre à un étranger d’accéder au territoire d’un Etat et d’y séjourner ; la seconde consiste à lui assurer une certaine protection. Mais que l’étranger demande l’asile ou la reconnaissance de sa qualité de réfugié, l’Etat auquel la demande est adressée doit respecter pareillement le principe de non-refoulement, inscrit à l’article 33 de la convention de Genève, jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur sa demande. Aussi, les normes françaises comme communautaires confondent les deux notions, celle de demande d’asile couvrant à la fois la demande d’accès au territoire et au séjour au titre de l’asile et la demande de protection au titre de la reconnaissance de la qualité de réfugié ou de la protection subsidiaire.

L’intérêt de la commission des affaires étrangères pour toutes les questions relatives à l’asile ne saurait surprendre : l’asile « conventionnel » (4) a jusqu’ici toujours été mis en œuvre sous la tutelle du ministre des affaires étrangères, les liens entre afflux de demandeurs et situation internationale étant incontestables. Les conditions dans lesquelles la France accorde l’asile influencent en outre directement son image dans le monde.

Le fait que la politique de l’asile ait été confiée au ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement (5), ne saurait avoir de conséquences sur l’attention que la commission des affaires étrangères lui accorde. Prenant acte de ce changement et de ses conséquences budgétaires, elle a immédiatement nommé l’un de ses membres, en l’occurrence votre Rapporteur, rapporteur pour avis sur la mission « Immigration, asile et intégration » sur laquelle le Gouvernement propose d’inscrire les actions relatives à l’asile à compter du budget pour 2008.

C’est dans la même logique que la Commission a décidé de se saisir pour avis du chapitre consacré à l’asile du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, comme elle avait examiné (6), sous la précédente législature, le projet de loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile, qui devait devenir la loi du 10 décembre 2003.

Les modifications proposées par le présent projet de loi en ce qui concerne l’asile sont sans commune mesure avec celles qu’a réalisées la loi de 2003 : il ne s’agit pas de renouveler une réforme qui a d’ores et déjà fait la preuve de son efficacité. Le projet de loi a principalement pour objectif de conférer un caractère suspensif à la demande de référé contre le refus d’admission sur le territoire au titre de l’asile, conformément à une récente décision de la Cour européenne des droits de l’Homme, et de placer l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sous la tutelle du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement.

I – LA POLITIQUE MENÉE CES DERNIÈRES ANNÉES A CONTRIBUÉ À LA RÉDUCTION IMPORTANTE DU NOMBRE DE DEMANDES D’ASILE EN FRANCE

Le présent projet de loi vise à apporter des modifications marginales à la procédure de demande d’asile telle qu’elle existe depuis la réforme législative de 2003. Celle-ci s’est accompagnée d’un certain nombre de changements réglementaires et de pratiques qui ont permis de renforcer son efficacité.

La politique menée sous la précédente législature a ainsi contribué à stopper la hausse du nombre des demandes d’asile enregistrée au cours des années antérieures, hausse qui n’était pas dépourvue de tout lien avec l’allongement des délais de traitement des demandes et donc du droit au séjour accordé aux demandeurs. S’était mis en place un cercle vicieux que les efforts réalisés depuis quatre ans sont parvenus à briser.

A – Les modalités d’exercice du droit d’asile ont profondément changé au cours des dernières années

Les changements apportés aux modalités d’exercice du droit d’asile ont répondu à la fois à la nécessité interne de limiter le nombre de demandes manifestement infondées déposées dans le seul but d’obtenir un droit au séjour, lesquelles avaient paralysé le fonctionnement normal de la procédure, au détriment des étrangers dont les demandes étaient fondées, et à l’entrée en vigueur de normes communautaires minimales en matière d’accueil des demandeurs d’asile puis de procédure d’accord et de retrait du statut de réfugié.

1) La réforme de 2003

L’asile a été profondément réformé par la loi du 10 décembre 2003 (7) entrée en vigueur le 1er janvier 2004 et complétée par les décrets du 21 juillet et du 14 août 2004. Cette réforme a eu pour principal objet de raccourcir les délais d’instruction des demandes d’asile afin de décourager les demandes manifestement infondées ou relevant d’un détournement de procédure.

Dans ce but, elle a supprimé l’asile territorial, institué par la loi du 11 mai 1998 (8), qui pouvait être accordé de manière discrétionnaire par le ministre de l’intérieur après consultation du ministre des affaires étrangères, et a conféré à l’OFPRA le rôle de guichet unique de l’asile en France. A l’issue d’une procédure elle aussi unique et placée sous le contrôle de la Commission des recours des réfugiés (CRR), l’Office peut accorder, selon les cas, le statut de réfugié, en application de la Convention de Genève de 1951, ou le bénéfice de la protection subsidiaire (9), conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950.

Anticipant l’évolution de la législation communautaire dans le domaine de l’asile (10), la loi du 10 décembre 2003 précitée a introduit dans le droit français la notion de pays d’origine sûr, afin de prévenir le détournement des procédures d’asile par des ressortissants de pays où il n’existe pas de risque sérieux de persécution. Dans la pratique, l’application de cette notion permet de refuser, par exception aux règles communes, l’admission au séjour des étrangers provenant de pays d’origine sûrs (article L. 741-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile –CESEDA–), qui ne bénéficient, en outre, d’aucune allocation financière. Leur demande est examinée dans le cadre d’une procédure prioritaire (article L. 723-1 du CESEDA) et le recours éventuellement introduit contre la décision prononcée par l’OFPRA n’est pas suspensif.

La première liste des pays d’origine sûrs a été adoptée par le conseil d’administration de l’Office le 30 juin 2005 et incluait douze pays : le Bénin, la Bosnie-Herzégovine, le Cap Vert, la Croatie, la Géorgie, le Ghana, l’Inde, le Mali, Maurice, la Mongolie, le Sénégal et l’Ukraine. Elle a été actualisée le 3 mai 2006 par l’adjonction de cinq nouveaux Etats : l’Albanie, l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, Madagascar, le Niger et la Tanzanie.

Enfin, la loi du 10 décembre 2003 a élargi la compétence de la CRR à l’ensemble des décisions prises par l’OFPRA et permet au président de la CRR et aux présidents de section de régler par ordonnance « les affaires dont la nature ne justifie pas l’intervention de la formation collégiale » et, notamment, de « statuer sur les demandes qui ne présentent aucun élément sérieux susceptible de remettre en cause les motifs de la décision du directeur général de l’Office ». Cette possibilité avait pour but d’éviter que des affaires n’ayant aucune chance de conduire à l’annulation de la décision de l’OFPRA n’alourdissent en pure perte la charge de travail de la Commission, laquelle est considérable, et n’allongent les délais d’examen des recours fondés.

Cette réforme s’est accompagnée d’une augmentation importante des moyens financiers et humains mis à la disposition de l’OFPRA et de la CRR, afin de leur permettre d’apurer les stocks de dossiers en attente puis de tenir des délais raisonnables d’examen des demandes et des recours. La subvention versée à l’établissement public a été multipliée par trois entre 2001 et 2005, année où elle a atteint 52 millions d’euros. Il a ainsi pu recruter les personnels nécessaires à la réduction des stocks de dossiers en attente.

Ces efforts ont porté leurs fruits : le délai moyen de traitement d’un dossier par l’OFPRA est passé de près de onze mois en 2002 à 3,6 mois en 2006 et le stock de dossiers en instance a régulièrement baissé : après avoir atteint 34 588 dossiers en 2002, il a été réduit à 8 400 dossiers en 2006 et 7 665 dossiers au 30 avril 2007. Dans le même temps, le taux de convocation des demandeurs est passé de 63 % en 2002 à 90 % aujourd’hui et celui de présentation aux entretiens a progressé de 46 % en 2002 à 78 % en 2006. Dans le respect des dispositions communautaires, la loi prévoit en effet désormais le principe de l’audition du demandeur d’asile, sauf exceptions limitativement énumérées à l’article L. 723-3 du CESEDA.

Après une année 2005 exceptionnelle, l’amélioration est moins évidente à la CRR en 2006. Le grand nombre de décisions prises par la Commission en 2005 (62 262, contre 29 502 en 2003) avait permis une réduction drastique des stocks de dossiers en attente de traitement : leur nombre était passé de 47 746 fin 2004 à 21 301 fin 2005. Mais, 125 emplois temporaires ont alors été supprimés et le contrôle financier a gelé les emplois contractuels en 2006, si bien que le nombre de décisions prises en 2006 est retombé à moins de 30 000. La diminution d’un quart du nombre des recours par rapport à 2005 a néanmoins permis de limiter à 20 300 le nombre de dossiers non traités à la fin de 2006. Le délai de traitement d’un recours par la CRR a ainsi augmenté de plus d’un mois et demi entre 2003 et 2006.

Globalement, le délai cumulé de traitement par les deux instances est de quatorze mois (dont un mois de délai de recours après la décision de rejet par l’OFPRA), ce qui est nettement moins que les vingt mois observés à la veille de la réforme de 2003. Il reste néanmoins encore éloigné des objectifs fixés par le Gouvernement en matière de délai de traitement – deux mois devant l’OFPRA, un mois de délai de recours et trois mois devant la CRR, soit un total de six mois –. Votre Rapporteur estime qu’ils doivent néanmoins continuer à être poursuivis (11) dans la mesure où la réduction de ces délais est dans l’intérêt général. Elle a d’abord eu un effet direct sur le nombre de demandes : plus l’examen des demandes est rapide, moins l’intérêt des demandes infondées est grand, puisque la durée du droit au séjour induit par la demande en est d’autant plus courte. Les progrès réalisés dans ce domaine ont fortement contribué à la diminution globale du nombre des demandes déposées en France ces dernières années. Le raccourcissement des délais d’instruction des demandes est aussi éminemment souhaitable pour les étrangers dont la demande d’asile est fondée et qui doivent pouvoir bénéficier du statut de réfugiés aussi rapidement que possible pour commencer sereinement une nouvelle vie en France.

2) Les autres modifications

La réforme de fond entrée en vigueur le 1er janvier 2004 a été suivie par d’autres mesures moins fondamentales, mais qui ont renforcé son efficacité. Elles ont été prises sous l’impulsion du comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI), institué par le décret du 26 mai 2005 (12: elles concernent principalement la délivrance des autorisations provisoires de séjour, l’hébergement des demandeurs d’asile et la création de l’allocation temporaire d’attente.

Après que de grandes disparités ont été constatées entre préfectures, une circulaire du 19 janvier 2006 leur a imposé de respecter un délai maximal pour la délivrance de l’autorisation provisoire de séjour aux étrangers qui souhaitent demander l’asile : ce délai est de quinze jours pour les préfectures qui ne disposent pas d’une borne Eurodac (13) et de huit jours pour celles qui en sont équipées.

Une seconde étape pourrait consister à régionaliser l’admission au séjour des demandeurs d’asile. Cette formule permettrait d’assurer la cohérence de l’admission au séjour avec la réforme du dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile (voir infra) qui donne un rôle important au préfet de région, de renforcer l’utilisation des bornes Eurodac, dont le coût d’installation ne permet pas d’équiper toutes les préfectures de département, et d’améliorer les procédures de désignation de l’Etat membre responsable du demandeur d’asile grâce à une plus grande spécialisation des personnels qui en sont chargés. La régionalisation est expérimentée dans les régions Bretagne et Haute-Normandie depuis juin 2006 (14) où elle a conduit à une diminution du nombre de demandes d’asile respectivement de 35,4 % et de 41,3 % entre le premier et le second semestre 2006, baisse qui se poursuit à un rythme voisin pour les six premiers mois de 2007 ; cette expérimentation a été étendue en avril dernier aux régions Aquitaine, Basse-Normandie et Champagne-Ardenne.

La réforme du dispositif d’hébergement décidée lors de la réunion du CICI du 27 juillet 2005 porte quant à elle essentiellement sur trois points :

– le pilotage du système d’admission en centres d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) par le préfet de région, afin de permettre, si nécessaire, d’affecter des demandeurs d’asile dans un département de la région autre que celui où ils ont déposé leur demande ; cette mesure a été lancée en 2006 ;

– la mise en place par l’agence nationale de l’accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) d’un système d’information automatisé du suivi et de la gestion des places de CADA ; ce système devrait être déployé sur l’ensemble du territoire à la fin de l’année 2007, à l’issue de la période d’expérimentation actuellement en cours ;

– la création de 2 000 places nouvelles de CADA en 2006 et de 1 000 places en 2007 ; les objectifs pour 2006 ont été tenus, les moyens ont été ouverts pour que ceux fixés pour 2007 le soient aussi.

Ces mesures ont accompagné l’évolution du statut des CADA, qui constituent une catégorie spécifique d’établissements sociaux et médico-sociaux depuis la loi du 24 juillet 2006 (15), et le remplacement de l’allocation d’insertion par l’allocation temporaire d’attente (16), réalisé par la loi de finances pour 2006 (17). L’articulation de ces deux réformes a permis la rénovation en profondeur des conditions d’accueil des demandeurs d’asile, qui sont désormais conformes aux dispositions de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les Etats membres (18). Cette directive prévoit l’adoption de mesures relatives aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile permettant de leur garantir un niveau de vie adéquat pour la santé et d’assurer leur subsistance, tant que ceux-ci sont autorisés à demeurer sur le territoire d’un Etat membre en qualité de demandeurs d’asile.

Le dispositif français de prise en charge sociale des demandeurs d’asile repose désormais, à titre principal, sur l’offre d’un hébergement accompagné en centres d’accueil pour demandeurs d’asile et, à titre subsidiaire, sur le versement d’une prestation financière, l’allocation temporaire d’attente.

L’objectif étant de privilégier l’hébergement des demandeurs d’asile dans un centre adapté à leur situation, l’articulation entre les mesures d’accueil est organisée autour de l’offre de prise en charge qui est systématiquement présentée à tout demandeur d’asile admis au séjour. Cette offre a pour objectif d’une part, d’identifier les demandeurs d’asile dont la subsistance n’est pas assurée, et d’autre part, de les inciter à solliciter un hébergement accompagné (sur les plans social, administratif, médical…) dans un centre spécialisé. Les intéressés sont informés qu’en refusant cette offre de prise en charge ils renoncent non seulement à une place en CADA mais aussi à un éventuel droit à l’allocation temporaire d’attente (19). En revanche, s’ils acceptent cette offre, ils peuvent bénéficier de l’allocation temporaire d’attente jusqu’à ce qu’une place en CADA correspondant à leur situation se libère et leur soit proposée.

Enfin, pour respecter les dispositions de la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 précitée, la loi du 24 juillet 2006 a aussi supprimé la subordination de l’octroi de l’aide juridictionnelle à la condition de l’entrée régulière du demandeur sur le territoire français (20).

B – Le nombre des demandes d’asile déposées en France a considérablement diminué

Il est difficile de savoir globalement dans quelle mesure la diminution du nombre de demandes d’asile déposées en France est la conséquence des différentes réformes adoptées dans ce domaine et dans quelle mesure elle est le résultat d’autres phénomènes. Mais cette diminution est réelle, et on ne peut que s’en féliciter.

1) Un phénomène de baisse incontestable

A l’OFPRA, après le pic de la demande atteint en 2003 et 2004, une première baisse significative de 15 % a été enregistrée en 2005 et s’est accentuée en 2006, le recul atteignant alors 38 %. Le nombre de premières demandes a été divisé par deux entre 2003 (52 204) et 2006 (26 000). La chute est encore plus sensible – elle s’est établie à 52 % entre 2005 et 2006 – pour les ressortissants des dix-sept pays d’origine sûrs, dont les demandes sont désormais traitées en procédure prioritaire. Même le nombre des demandes de réexamen (21), qui était en constante augmentation depuis l’entrée en vigueur de la réforme, a diminué de 9,5 % (il était de 8 584 en 2006).

A la CRR, le nombre de recours s’est contracté de 31 % entre 2003 (plus de 44 000 recours) et 2006 (environ 30 500).

L’ÉVOLUTION DE L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE
DES DEMANDEURS D’ASILE EN 2006

 

Total des premières demandes

(hors mineurs)

Evolution 2006/2005

(en %)

Turquie

2 570

28,8

ex Serbie-Monténégro

2 196

14,5

Sri Lanka

1 993

5,2

République démocratique du Congo

1 958

23,6

Haïti

1 808

63,5

Russie

1 550

21,7

Arménie

1 232

0,7

Chine

1 200

53,5

Algérie

998

43,8

Côte d’Ivoire

835

23,1

Autre pays

9 929

45,9

Total

26 269

38,3

Source : Office français de protection des réfugiés et apatrides.

La diminution de la demande d’asile s’est traduite, en 2006, par la réduction de la quasi-totalité des flux nationaux qui la composent : – 63,5 % pour la demande haïtienne, – 53,5 % pour la chinoise, – 43,8 % pour l’algérienne,
– 28,8 % pour la turque. Seules les demandes sri lankaise et arménienne ont augmenté, dans une faible proportion (respectivement de 5,2 % et de 0,7 %).

Les quatre premiers mois de 2007 sont encore marqués par une baisse de l’ordre de 18 % des premières demandes par rapport à la même période de 2006, et les six premiers mois par un repli de 14 % par rapport au premier semestre de 2006, mais l’OFPRA estime que la décrue devrait être plus modérée, autour de 10 %, pour l’ensemble de l’année. Il considère qu’un palier a été atteint dans la chute de la demande d’asile.

L’ÉVOLUTION DE L’ORIGINE GÉOGRAPHIQUE
DES DEMANDEURS D’ASILE AU COURS DES QUATRE PREMIERS MOIS DE 2007

 

Total des premières demandes (hors mineurs)

Evolution entre début 2007 et début 2006

(en %)

Serbie

877

30,1

Turquie

757

25,9

RD Congo

662

16,3

Sri Lanka

543

18,3

Russie

541

4,6

Chine

481

24,9

Arménie

465

21,8

Algérie

312

22,4

Bangladesh

312

45,8

Congo

292

9,6

Autre pays

3 039

31,1

Total

8 281

17,6

Source : Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Au début de 2007, les demandes arménienne et sri lankaise sont en repli par rapport au début de 2006, tandis que les demandeurs provenant du Bangladesh, de Serbie et de Chine sont en augmentation assez marquée.

En 2006, l’Office a admis sous sa protection 2 929 demandeurs, soit un taux d’accord en première instance de 7,8 %, contre 8,2 % en 2005. Ce taux moyen est le résultat de la conjonction d’un taux d’accord de 10 % pour les premières demandes en procédure normale et d’un taux d’accord de 1,1 % pour les demandes de réexamen. La diminution globale s’explique donc largement par la part croissante des réexamens au sein des décisions prises par l’Office.

En tenant compte des décisions d’annulation de la CRR, le taux global d’admission s’établit à 19,5 % en 2006, contre 26,9 % en 2005. Mais l’année 2005 était exceptionnelle à cause de l’accroissement provisoire de l’activité de la CRR. Le taux de 2006 doit plutôt être rapproché de celui de 2004, qui était de 16,6 %. Au total, 7 354 demandeurs d’asile ont été placés sous la protection de l’Office, en 2006, dont 554 au titre de la protection subsidiaire.

Ce sont les Erythréens qui ont obtenu le taux d’accord de l’OFPRA le plus élevé (71 %), devant les Rwandais (52 %), les Ethiopiens (38,5 %) et les Soudanais (34,1 %). Hors mineurs accompagnants, l’OFPRA assurait, au 31 décembre 2006, la protection de 124 000 personnes, dont 123 253 bénéficiant de l’asile conventionnel et 1 147 placées sous protection subsidiaire ; fin 2003, 100 838 personnes étaient sous la protection de l’OFPRA. Parmi les étrangers protégés en 2006, 15 669 étaient originaires du Sri Lanka, 13 514 du Cambodge, 10 059 de Turquie et 8 924 de République démocratique du Congo, pour ne citer que les origines les plus représentées.

Malgré la baisse significative de la demande d’asile en France, notre pays était encore, en 2006, le premier pays destinataire des demandeurs d’asile en Europe ; il est aussi celui qui a accordé le statut de réfugiés au plus grand nombre de demandeurs. Le nombre de demandeurs d’asile diminue en fait dans la majorité des pays industrialisés, et en particulier en Europe, à l’exception de la Suède et des Pays-Bas, comme le tableau suivant l’illustre. L’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France sont les trois premiers pays d’Europe pour le nombre de personnes protégées au titre de l’asile, cette protection pouvant être accordée pendant de nombreuses années.

L’ASILE EN EUROPE : DEMANDEURS (1) ET BÉNÉFICIAIRES D’UNE PROTECTION (2)

Pays

Demandeurs d’asile

Bénéficiaires d’une protection

2005

2006

Evolution 2006/2005

(en %)

Fin 2005

France

59 221

39 332

33,6

137 316

Allemagne

42 908

30 100

29,8

700 016

Grande-Bretagne

30 459

28 019 (3)

8,0

303 181

Suède

17 530

24 322

38,7

74 915

Pays-Bas

12 347

14 465

17,2

118 189

Autriche

22 471

13 350

40,6

21 230

Belgique

15 957

11 587

27,4

15 282

Suisse

10 061

10 537

4,7

48 030

(1) Demandes globales, mineurs accompagnants compris (sauf Belgique et Allemagne).

(2) Cette protection relève soit du statut de réfugié, soit de la protection subsidiaire, soit d’une autre forme de protection comparable.

(3) Données sur neuf mois projetées sur douze mois.

Source : Rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides pour la demande ; Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies pour les bénéficiaires.

2) Des raisons multiples

L’OFPRA explique la baisse de la demande d’asile par des facteurs multiples, certains étant ponctuels, d’autres structurels.

Au titre des facteurs ponctuels, il évoque une certaine désorganisation des filières d’immigration au lendemain de l’adoption de la réforme de 2003 et le non-report de la demande d’asile territorial, qui était essentiellement algérienne, sur la procédure au guichet unique de l’OFPRA.

D’autres facteurs lui apparaissent plus structurels, et directement liés à la politique menée ces dernières années : réduction des délais d’instruction, adoption de la liste nationale des pays d’origine sûrs, mise en œuvre du fichier Eurodac, lutte accrue contre l’immigration clandestine (démantèlement des filières, lutte contre la fraude à l’identité, développement des procédures d’éloignement à l’égard des déboutés, extension des capacités de rétention administrative...).

S’y ajoute l’évolution de la situation internationale, que l’Office prend en compte sous trois aspects :

– lors de nouveaux conflits, la réactivité de la communauté internationale s’est accélérée : les mesures d’assistance humanitaire, la définition de couloirs humanitaires, la multiplication des opérations de maintien de la paix et les programmes de rapatriement du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés ont contribué à la stabilisation des populations à l’intérieur de leur pays ou de pays voisins ;

– aux cours des dernières années, les guerres civiles ont majoritairement succédé aux guerres conventionnelles ; les populations civiles, principales victimes, trouvent alors refuge sur une autre partie du territoire national, où leur sécurité est mieux assurée. L’asile interne devient donc une alternative de plus en plus fréquente. Ainsi, tandis que le nombre de réfugiés s’est amenuisé au point de se trouver, en 2006, à son niveau le plus bas depuis 25 ans (9,2 millions contre 18 millions en 1992), le nombre de « déplacés internes » n’a cessé d’augmenter et est estimé actuellement à 25 millions de personnes ;

– la baisse de la demande s’explique, par ailleurs, par les processus de stabilisation et de normalisation qui s’opèrent dans certaines régions du monde (République démocratique du Congo, Algérie) et par la démocratisation progressive des systèmes politiques et sociaux de pays partenaires de l’Union européenne. En outre, l’amélioration de la situation économique dans certains pays (comme la Turquie) peut également en partie expliquer la baisse de la demande d’asile.

II – LE CHAPITRE II DU PROJET DE LOI VISE PRINCIPALEMENT À RENFORCER LES DROITS DES DEMANDEURS D’ASILE À LA FRONTIÈRE ET À MODIFIER LA TUTELLE DE L’OFFICE FRANÇAIS DE PROTECTION DES RÉFUGIÉS ET APATRIDES

Le chapitre II du projet de loi ne revient pas sur la réforme réalisée avec succès au cours des dernières années. Il vise, sur un point de procédure, à tenir compte d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme. Par ailleurs, il confirme une jurisprudence constante des tribunaux administratifs et tire les conséquences de la création d’un ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement sur la tutelle de l’OFPRA.

A – Les règles auxquelles sont soumis les demandeurs seront modifiées sur deux points

Les modifications que le projet de loi propose d’apporter aux règles auxquelles sont soumis les étrangers qui demandent à bénéficier du statut de réfugié portent l’une, la plus importante, sur le début de la procédure – la demande d’admission à la frontière au titre de l’asile –, l’autre sur la situation de ces personnes après le rejet définitif de leur demande.

1) Le droit au recours suspensif en cas de rejet de la demande d’admission à la frontière au titre de l’asile

Un étranger qui demande à bénéficier du statut de réfugié en France peut se trouver dans plusieurs situations : il peut être entré sur le territoire français légalement, le cas échéant en étant titulaire d’un visa, toujours valide ou périmé au moment où il formule sa demande ; il peut être entré de manière irrégulière, le plus souvent par voie terrestre ; il peut avoir été admis à la frontière au titre de l’asile.

Les statistiques de l’OFPRA montrent que seuls environ 15 % des demandeurs d’asile sont entrés en France en 2005 munis d’un visa. Par ailleurs, seulement 2 556 demandes d’admission au titre de l’asile ont été enregistrées en 2006, ce qui résulte d’une progression de 12 % par rapport à 2005, mais reste très peu élevé, et très en deçà des chiffres constatés jusqu’en 2003 (22) : elles ne représentent que 8,3 % des 30 748 premières demandes enregistrées par l’OFPRA en 2006. Force est donc de constater que la très grande majorité des demandeurs d’asile entre dans notre pays de manière irrégulière.

a) La procédure de l’asile à la frontière

La procédure d’admission à la frontière au titre de l’asile, dite procédure de l’asile à la frontière ou demande d’asile à la frontière, a pour objet d’autoriser ou non à pénétrer sur le territoire français les étrangers qui se présentent aux frontières aéroportuaires sans visa et demandent à y être admis au titre de l’asile. Elle ne vise pas à accorder ou non le statut de réfugié, dont le bénéfice doit être demandé à l’OFPRA après l’admission sur le territoire. La très grande majorité de ces demandes est enregistrée à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, même si cette part fluctue selon les années (96 % des demandes en 2006, contre 91 % en 2005, 94 % en 2004 et 98 % en 2003). L’aéroport d’Orly n’en a enregistré que 3 % en 2006, après un pic de 8 % en 2005, les ports et aéroports de province (Toulouse, Marseille, Lyon, Nice, Strasbourg, Bordeaux) n’étant concernés que par 0,5 % à 1 % des demandes. Les demandeurs d’asile à la frontière sont principalement colombiens (13 % en 2006), palestiniens (10 %), irakiens (7 %), sri lankais (6 %), congolais (5 %) et turcs (4 %). Leur pays de provenance n’est pas connu dans près du quart des cas.

La procédure d’admission à la frontière au titre de l’asile relève de la compétence du ministère de l’intérieur (23), qui, depuis le décret du 21 juillet 2004, prend la décision d’admettre ou non les intéressés après que l’OFPRA a formulé un avis. Un décret en cours de préparation devrait transférer cette compétence au ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. En application de l’article L. 221-1 du CESEDA, l’examen de la demande d’admission à la frontière au titre de l’asile vise à déterminer si sa demande n’est pas manifestement infondée. Après avoir entendu l’étranger sur les motifs de sa demande, l’OFPRA transmet donc au ministère de l’intérieur un avis écrit sur le caractère manifestement infondé ou non de sa démarche ; en 2006, dans 86 % des cas, cet avis a été communiqué dans les quatre-vingt seize heures suivant le placement de l’étranger en zone d’attente. Le ministère compétent prend ensuite la décision d’admettre ou non l’intéressé sur le territoire national ; il suit presque systématiquement l’avis rendu par l’OFPRA. En 2006, le taux d’avis positif était de 21,8 %, contre 22,3 % en 2005 et 7,8 % en 2004. Le maintien d’un taux d’avis positif relativement élevé s’explique notamment par la très faible part des demandes liées de manière évidente à des motivations à caractère économique. L’essentiel des avis positifs bénéficie à des personnes provenant de zones de conflit (Irak, Colombie, Somalie, Sri Lanka, Tchétchénie).

Pendant la durée de l’examen de la demande, l’étranger est placé en zone d’attente. Si le ministère compétent décide d’admettre la personne sur le territoire national, la police aux frontières lui délivre un sauf-conduit, qui donne huit jours à son bénéficiaire pour formuler une demande d’asile dans le cadre des procédures d’asile de droit commun. Selon les données fournies par la police aux frontières, environ 50 % des personnes ainsi admises sur le territoire national ne déposent pas de demande d’asile et se retrouvent donc rapidement en situation irrégulière.

Une décision de non-admission se traduit en principe par le refoulement immédiat de l’intéressé vers son pays d’origine ou vers le pays d’où il provient. En 2006, plus de 45 % des étrangers dont la demande d’asile à la frontière a été rejetée ont été réacheminés, soit 993 réacheminements (24).

Mais, comme toutes décisions administratives, les décisions de non-admission sont susceptibles d’un recours en annulation devant la juridiction administrative, lequel n’est pas suspensif, pas plus qu’un éventuel recours en excès de pouvoir. Ces deux types de recours sont en outre jugés plusieurs années après leur introduction. Deux autres formes de recours apparaissent plus adaptées au cas d’un refus d’admission à la frontière : le « référé-suspension », en application de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, et le « référé-injonction », aussi appelé« référé-liberté », sur le fondement de l’article L. 521-2 du même code. Si ces deux référés ne présentent pas non plus de caractère suspensif, il est en revanche statué sur ces requêtes dans un temps limité : dans le premier cas, si le juge suspend l’exécution de la décision, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation « dans les meilleurs délais » ; dans le second cas, « le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Le « référé-suspension » peut être obtenu en cas d’urgence et de « doute sérieux quant à la légalité de la décision » ; le « référé-liberté » répond aussi à une situation d’urgence et vise à assurer « la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale ». C’est surtout au référé de ce second type qu’ont recours les étrangers auxquels l’admission à la frontière au titre de l’asile a été refusée.

Il faut néanmoins indiquer que l’utilisation de cette procédure demeure rare : en 2004, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a été saisi de trente-neuf demandes (sur 2 548 demandes d’asile à la frontière) et a donné une suite favorable à dix-neuf d’entre elles ; en 2006, 2 194 refus d’admission au titre de l’asile ont été prononcés, parmi lesquels quatre-vingt douze ont donné lieu à un référé (soixante-deux « référés-liberté » et trente « référés-suspension »), ce dernier ayant conduit à l’annulation ou à la suspension de la décision de l’administration dans quarante-huit cas.

L’article L. 522-1 du code de justice administrative précise que le juge des référés statue en principe au terme d’une procédure contradictoire écrite ou orale et que, lorsqu’il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du même code, de les modifier ou d’y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l’heure de l’audience. L’article L. 522-3 du même code autorise néanmoins le juge des référés à rejeter, par simple ordonnance motivée, sans convoquer les parties ni tenir d’audience contradictoire, une requête qui ne présente pas un caractère d’urgence ou lorsqu’il « apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu’elle est irrecevable ou qu’elle est mal fondée ». L’appel est possible devant le Conseil d’Etat dans les quinze jours suivants la notification ; il se prononce dans un délai de quarante-huit heures (article L. 523-1 du code de justice administrative).

Malgré ces garanties juridiques, à compter de la décision de refus de l’admission, l’étranger est susceptible d’être renvoyé puisque, en application des principes du droit administratif français, l’exercice d’un référé, comme de tout recours juridictionnel, ne suspend pas l’exécution d’une décision administrative. Il apparaît néanmoins que, dans les faits, lorsque l’autorité administrative a connaissance du dépôt d’une demande de référé, elle suspend l’exécution de la mesure de refus d’asile, jusqu’à ce que le juge se soit prononcé.

b) La nécessité de conférer un caractère suspensif au recours contre le rejet de la demande

Cette pratique ne constitue cependant pas une garantie suffisante au regard des exigences de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. Ainsi en a décidé, le 26 avril 2007, la Cour européenne des droits de l’Homme par un arrêt Gebremedhin contre France dans lequel elle juge que l’absence de recours juridictionnel de plein droit suspensif ouvert aux étrangers dont la demande d’asile à la frontière a été rejetée méconnaît les articles 3 et 13 (25) combinés de la Convention.

La Cour relève en effet qu’en droit interne, une décision de refus d’admission sur le territoire, telle celle prise dans le cas du requérant, fait obstacle au dépôt d’une demande d’asile et est en outre exécutoire, de sorte que l’intéressé peut être immédiatement renvoyé dans le pays qu’il dit avoir fui. Or, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours effectif permettant de se prévaloir des droits et libertés qu’elle consacre. Par ailleurs, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le grief d’une personne selon lequel son renvoi vers un pays tiers l’exposerait à des traitements prohibés par l’article 3 (torture, peines ou traitements inhumains ou dégradants) « doit impérativement faire l’objet d’un contrôle attentif par une " instance nationale " » (26). Ce principe a conduit la Cour à juger que la notion de « recours effectif » au sens de l’article 13 combiné avec l’article 3 requiert, d’une part, « un examen indépendant et rigoureux » de tout grief soulevé par une personne se trouvant dans une telle situation, aux termes duquel « il existe des motifs sérieux de croire à l’existence d’un risque réel de traitement contraire à l’article 3 » et, d’autre part, « la possibilité de faire surseoir à l’exécution de la mesure litigieuse ».

Dans un autre arrêt (27) où était visé l’article 4 du Protocole n° 4 interdisant les expulsions collectives d’étrangers, la Cour avait considéré qu’un recours ne répondait pas aux exigences de l’article 13 faute d’avoir un effet suspensif et donc de pouvoir « empêcher l’exécution des mesures contraires à la Convention et dont les conséquences sont potentiellement irréversibles ». Dans l’arrêt Gebremedhin contre France, la Cour souligne que compte tenu de l’importance qu’elle « attache à l’article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, cela vaut évidemment dans le cas où un Etat partie décide de renvoyer un étranger vers un pays où il a un motif sérieux de croire qu’il courrait un risque de cette nature ».

Après avoir rappelé que le comité des ministres du Conseil de l’Europe, son assemblée parlementaire et le commissaire aux droits de l’Homme ont à plusieurs reprises mis en exergue la nécessité pour les personnes exposées à un tel risque d’avoir accès à un recours suspensif contre la mesure d’éloignement, la Cour a observé que l’existence d’une simple pratique conférant un caractère suspensif au référé ne saurait constituer une garantie à la hauteur des exigences de l’article 13 de la Convention (28). En conséquence, le requérant n’ayant pas disposé d’un recours effectif pour faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention, elle a conclu à la violation de l’article 13 combiné avec cette disposition.

c) Les dispositions du projet de loi

L’article 6 du projet de loi vise donc à conférer un caractère suspensif à la demande de « référé-liberté » contre la décision de non-admission sur le territoire au titre de l’asile, dans le strict respect de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Il crée un article L. 213-9 dans le CESEDA. En application de celui-ci, l’étranger auquel a été notifié le refus de sa demande ne pourra pas être l’objet d’une mesure d’éloignement avant l’expiration d’un délai de vingt-quatre heures ; si, pendant ce délai, il introduit une demande de référé sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, c’est-à-dire une demande de « référé-liberté », la mesure d’éloignement devra être différée jusqu’à ce qu’il ait été statué sur cette demande, l’article L. 521-2 précité accordant au juge un délai de quarante-huit heures pour se prononcer. La personne concernée pourra donc exercer son droit à un recours suspensif pendant les vingt-quatre heures qui suivent le refus de sa demande.

Il est particulièrement approprié de donner un caractère suspensif au « référé-liberté » quand il est dirigé contre une décision de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile puisque la jurisprudence du Conseil d’Etat range le droit d’asile parmi les garanties fondamentales reconnues aux étrangers et que, en l’espèce, compte tenu des circonstances, la condition d’urgence apparaît par définition remplie. Le Conseil d’Etat a en effet précisé que la notion de « liberté fondamentale » au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative « englobe, s’agissant des ressortissants étrangers qui sont soumis à des mesures spécifiques réglementant leur entrée et leur séjour en France, et qui ne bénéficient donc pas, à la différence des nationaux, de la liberté d’entrée sur le territoire, le droit constitutionnel d’asile qui a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié, dont l’obtention est déterminante pour l’exercice par les personnes concernées des libertés reconnues de façon générale aux ressortissants étrangers. » (29)

En outre, comme le juge des référés doit se prononcer dans les quarante-huit heures qui suivent la demande, en cas de rejet du référé, la mesure d’éloignement n’aura pas à être repoussée de plus de trois jours au total, ce dont prend acte l’article 7 en allongeant la durée du maintien en zone d’attente (voir infra).

L’article L. 213-9 du CESEDA que propose de créer l’article 6 du projet de loi pose aussi les modalités d’organisation de l’audience au cours de laquelle la demande de référé sera examinée.

L’étranger aura le droit de bénéficier du concours d’un interprète pour les besoins de la procédure juridictionnelle ; il lui appartient simplement d’en faire la demande. L’article L. 111-8 du même code rend obligatoire le concours d’un interprète si l’étranger non-admis en France, maintenu en zone d’attente ou placé en rétention, ne parle pas le français et qu’il ne sait pas lire. Dans les autres cas, il peut être informé par l’intermédiaire de formulaires imprimés dans une langue qu’il comprend. La reconnaissance du droit au concours d’un interprète pour l’audience du « référé-liberté » constitue donc une avancée, certainement indispensable pour que le recours soit effectif.

Sauf dans le cas de l’application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative (voir supra), la procédure est contradictoire et une audience publique doit se tenir. Elle aura lieu normalement dans les locaux du tribunal administratif compétent. Mais, dans un souci de simplicité et pour gagner du temps, il sera possible qu’elle se déroule dans la salle d’audience de la zone d’attente. Dans ce cas, le juge des référés siègera dans les locaux du tribunal et sera relié à la salle d’audience en direct « par un moyen de communication audiovisuelle qui garantit la confidentialité de la transmission », c’est-à-dire par une forme de visio-conférence. Pour assurer la publicité de la procédure, la salle d’audience de la zone d’attente et celle du tribunal administratif seront ouvertes au public. L’étranger qui sera l’objet de la procédure pourra s’opposer à ce que l’audience se tienne par visio-conférence. Il devra être informé de ce droit « dans une langue qu’il comprend ».

La possibilité d’une telle forme d’audience est déjà ouverte par le CESEDA dans trois cas faisant intervenir non le juge administratif, comme dans le cas visé à l’article L. 213-9 proposé par l’article 6 du projet de loi, mais le juge des libertés et de la détention. Il s’agit de l’audience à l’occasion de laquelle le juge prolonge le maintien de l’étranger en zone d’attente (article L. 222-4 du CESEDA), de l’audience faisant suite à un recours contre l’ordonnance relative au maintien en zone d’attente (article L. 222-6 du même code) et des audiences dont l’objet est la prolongation de la rétention de l’étranger (article L. 552-10 du même code).

L’article L. 213-9 du même code renverra d’ailleurs d’une manière générale aux dispositions du titre II (Maintien en zone d’attente) du livre II (L’entrée en France) du CESEDA. En application de celles-ci, cette forme d’audience doit être décidée par le juge sur proposition de l’autorité administrative et est toujours conditionnée au consentement de l’étranger. Il est prévu que soit dressé, dans chacune des salles d’audience ouvertes au public, un procès-verbal des opérations effectuées.

Le Conseil constitutionnel a donné son aval à cette forme d’audience en reconnaissant la légitimité du souci du législateur « de limiter des transferts contraires à la dignité des étrangers concernés, comme à une bonne administration de la justice » et en estimant que les dispositions précitées garantissaient « de façon suffisante la tenue d’un procès juste et équitable » (30).

Indépendamment de l’utilisation éventuelle de moyens de communication audiovisuelle pour la tenue des audiences, votre Rapporteur souhaite évoquer ici le problème posé par la non-utilisation de la salle d’audience installée dans la zone d’attente de l’aéroport de Roissy, seule zone d’attente ainsi équipée. Créée à la suite d’une décision prise en mai 2001, cette salle, qui comporte plusieurs bureaux destinés à accueillir les magistrats et les avocats, n’a jamais servi, les magistrats du tribunal de grande instance de Bobigny refusant d’y siéger. Le projet d’y créer une seconde salle d’audience, comme les magistrats le demandent, a été approuvé par la Chancellerie en mai 2007. D’un coût évalué à 2,4 millions d’euros, sa réalisation devrait être achevée au deuxième trimestre 2008. Votre Rapporteur espère que cet investissement supplémentaire permettra enfin l’utilisation de salles d’audience destinées à faciliter la tenue d’audiences obligatoires, que celles-ci s’y déroulent intégralement ou par le biais de la visio-conférence. Il s’étonne du refus persistant des magistrats d’y siéger alors que les salles d’audience crées au sein de plusieurs centres de rétention administrative sont régulièrement utilisées, à la satisfaction générale.

L’article 8 du projet de loi vise à compléter le chapitre II (Procédure), du titre II (Le juge des référés statuant en urgence) – et non, comme le texte du projet de loi l’indique, le titre IV, qui n’existe pas – du livre V (Le référé) du code de justice administrative. Il crée un article L. 522-4 qui précise que les demandes de « référé-liberté » présentées par les étrangers qui ont fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile sont examinées non seulement en application des règles fixées par les articles L. 522-1 et L. 522-3 du code de justice administrative, mais aussi conformément aux modalités énoncées par l’article L. 213-9 du CESEDA. Il s’agit donc d’une simple mesure de coordination entre les deux codes.

Les dispositions de l’article 7 du projet de loi tirent également les conséquences de la création de l’article L. 213-9 du CESEDA, mais d’une manière plus substantielle puisqu’elles concernent les conditions de maintien du demandeur en zone d’attente.

Le maintien en zone d’attente est en effet encadré de manière très stricte. La décision initiale de placement et de maintien en zone d’attente est d’abord prise pour une durée de quarante-huit heures par la police aux frontières et peut être renouvelée une fois (article L. 221-3 du CESEDA). Cette décision est mentionnée sur un registre mentionnant l’état civil de l’intéressé et la date et l’heure auxquelles la décision de maintien lui a été notifiée ; elle est portée sans délai à la connaissance du procureur de la République.

Au-delà de ces quatre-vingt seize heures, le maintien peut être prolongé uniquement sur décision du juge des libertés et de la détention pour une durée maximale de huit jours, à la requête de l’administration (article L. 222-1 du même code). A l’expiration de ce délai, une prorogation peut être décidée par le même juge pour une nouvelle période qui ne peut être supérieure à huit jours (article L. 222-2 du même code), sous réserve que l’administration justifie de circonstances exceptionnelles ne lui ayant pas permis de procéder au réacheminement de l’étranger. En principe (31), le maintien en zone d’attente ne peut dépasser vingt jours au total. A l’échéance de ce terme, l’étranger est automatiquement admis sur le territoire (article L. 224-1 du même code).

Selon les informations fournies à votre Rapporteur, la durée moyenne des séjours en zone d’attente est de 1,89 jour en 2006 (contre plus de 5 jours en 2003) mais elle atteint 6,17 jours pour les personnes qui demandent leur admission sur le territoire au titre de l’asile. On voit donc que la privation de liberté subie par les étrangers est très brève.

L’article 7 du projet de loi complète l’article L. 222-2 du CESEDA en organisant une prorogation d’office de la période de maintien en zone d’attente de trois jours à compter du jour de la demande, lorsque l’étranger a déposé une demande de référé suspensif dans les trois derniers jours de la période de maintien fixée par la dernière décision du juge. Si la demande a été déposée le dernier jour de la période maximale de vingt jours, la durée du maintien en zone d’attente pourra donc atteindre vingt-trois jours.

Ce nouvel alinéa est inspiré du deuxième alinéa de cet article L. 222-2 qui prévoit la prorogation d’office de la période de maintien en zone d’attente de quatre jours à compter du jour de la demande d’asile, lorsque celle-ci est déposée entre le seizième et le vingtième jour du maintien en zone d’attente de l’étranger. Tout comme dans le nouvel alinéa dont l’article 7 propose la création, cette prorogation est mentionnée sur le registre prévu à l’article L. 221-3 du CESEDA et portée à la connaissance du procureur de la République. En revanche, dans le cas de la prolongation de trois jours à la suite de la demande de « référé-liberté », le juge des libertés et de la détention n’aura pas à être informé – puisque la prolongation est le résultat de la saisine d’un autre juge, à l’initiative de l’étranger lui-même – et la loi ne mentionnera pas la possibilité qu’il mette un terme à cette prorogation, comme cela est prévu dans les dispositions déjà en vigueur relatives la prorogation de quatre jours – puisque le juge saisi a deux jours au plus pour se prononcer – . Mais en fait, l’article R. 552-18 du CESEDA autorise le juge des libertés et de la détention, « à tout moment », à « décider la mise en liberté de l’étranger lorsque les circonstances de droit ou de fait le justifient ». Il n’est donc pas nécessaire que la loi réaffirme cette possibilité.

Votre Rapporteur se félicite de la diligence du Gouvernement qui a ainsi tiré sans attendre les conséquences de la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme, le présent projet de loi ayant été adopté en conseil des ministres le 4 juillet 2007, deux mois seulement après cette décision, et ce malgré les échéances électorales qui ont jalonné cette période. Le jour même de son adoption en conseil des ministres, le Gouvernement a donné instruction à la police aux frontières pour qu’elle fasse d’ores et déjà application du caractère suspensif du recours en « référé-liberté » contre le refus d’admission au territoire au titre de l’asile, décision qui est venue consolider la pratique. Votre Rapporteur approuve cette mesure de précaution et déplore que la décision de la Cour ait conduit un certain nombre de juges des libertés et de la détention à permettre la sortie de la zone d’attente de personnes ayant déposé un tel recours, alors même qu’elles ne risquaient pas véritablement d’être réacheminées avant que le juge des référés ait statué ; la Cour d’appel a d’ailleurs presque systématiquement annulé ces décisions.

2) Une clarification de la situation des personnes définitivement déboutées du droit d’asile

De quelque manière que l’étranger soit entré sur le territoire français, s’il souhaite déposer une demande d’asile, il doit se rendre à la préfecture de son lieu de domiciliation pour y faire une demande d’admission au séjour au titre de l’asile. Dans les conditions normales et sans entrer dans le détail de la procédure, la préfecture lui remet une autorisation provisoire de séjour et un formulaire de demande d’asile à déposer à l’OFPRA dans un délai de vingt-et-un jours. Une fois la demande enregistrée, la préfecture lui délivre un récépissé constatant le dépôt d’une demande d’asile, d’une validité de trois mois, renouvelable jusqu’à l’issue de la procédure. En cas de rejet de la demande par l’OFPRA, l’étranger peut exercer son droit de recours devant la Commission des recours des réfugiés pendant un mois (voire deux en cas de recours en révision pour fraude) à compter de la notification de cette décision. Ce recours est, dans la plupart des cas, suspensif de toute mesure d’éloignement (32). En revanche, si la CRR rejette le recours, le droit au séjour au titre de la demande d’asile s’achève, l’éventuel pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat n’ayant pas pour effet de suspendre l’exécution d’une mesure d’éloignement. Si l’étranger n’a pas quitté notre pays dans le délai d’un mois que lui accorde l’article L. 742-3 du CESEDA et, à moins qu’il n’obtienne un droit au séjour à un autre titre, il se trouve alors en situation irrégulière.

a) Des déboutés très nombreux, qui restent encore souvent en France en situation irrégulière

Est qualifiée de déboutée de l’asile toute personne dont la demande d’asile a été rejetée définitivement pas l’OFPRA et par la CRR et ayant épuisé tous les recours. Il s’agit donc des étrangers dont la demande a été rejetée définitivement par l’OFPRA qui n’ont pas déposé de recours et de ceux dont la demande a été rejetée par l’OFPRA et dont le recours a été rejeté ou jugé irrecevable par la CRR. Les personnes qui font ensuite une demande de réexamen de leur dossier par l’OFPRA ne sont plus considérées comme déboutées pendant la durée du réexamen.

L’OFPRA indique que, entre 2002 et 2006, 181 504 individus ont été définitivement déboutés de leur demande d’asile. Après avoir fortement augmenté de 2003 à 2005, à la suite de la résorption du stock de recours en instance à la CRR, le nombre de déboutés en 2006 est revenu à un niveau similaire à celui de 2002, soit environ 28 000 personnes, en diminution de 46 % par rapport à 2005.

Les déboutés perdent leur droit provisoire au séjour et doivent, en principe, quitter le territoire français s’ils ne peuvent y demeurer à un autre titre que celui de l’asile.

On ne dispose pas d’informations précises sur le nombre des déboutés qui quittent effectivement le territoire français. D’abord, les départs volontaires ne font pas l’objet d’un décompte précis et catégoriel, en dehors des bénéficiaires du dispositif d’aide au retour. Celui-ci a été récemment réformé : la circulaire du 7 décembre 2006 relative à l’aide au retour pour les étrangers en situation irrégulière ou en situation de dénuement a pérennisé l’aide au retour volontaire renforcée expérimentée depuis septembre 2005 et unifié tous les dispositifs d’aide au retour existants. Alors que l’aide au retour n’était plus auparavant accordée qu’à quelques centaines de personnes par an, le nouveau dispositif – alors expérimental –, plus attractif (33), a profité à près de 2 000 personnes entre septembre 2005 et décembre 2006. Les pays d’origine les plus représentés parmi les bénéficiaires sont la Bosnie (331 personnes concernées), la Chine (276 personnes), l’Algérie (180 personnes) et la Moldavie (156 personnes). Le premier semestre 2007 a été marqué par un ralentissement de la mise en œuvre de ce dispositif – qui n’a enregistré que 769 bénéficiaires –, principalement lié aux espoirs de régularisation à la suite de l’élection présidentielle. En mai 2007, le ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement a fixé un objectif ambitieux de 2 500 bénéficiaires pour l’ensemble de l’année 2007, lequel pourra être atteint par une action volontariste auprès des déboutés de l’asile hébergés en CADA.

Pour ce qui est des départs non volontaires, les statistiques du ministère de l’intérieur ne distinguent pas les déboutés du droit d’asile des autres catégories d’étrangers faisant l’objet d’une mesure d’éloignement. Le nombre total des mesures exécutées a néanmoins progressé de 140 % depuis 2002 : il est passé de 11 690 en 2003 à 19 840 en 2005 et 24 000 en 2006. Leur taux d’exécution s’améliore progressivement : à 20,9 % en 2003, il atteignait 27 % en 2005. Selon notre collègue Marie-Hélène des Esgaulx (34), environ 20 % de déboutés feraient l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière.

Malgré ces progrès, le nombre encore limité des mesures d’éloignement est la conséquence d’une série de causes parmi lesquelles la nécessité d’obtenir des laissez-passer consulaires pour les étrangers démunis de documents d’identité ou de voyage, alors que certains des pays de provenance se montrent peu coopératifs (35), l’impossibilité de renvoyer certains déboutés dans leur pays en raison de troubles, de conflits ou d’un climat de violence généralisée, et de l’absence de liaison aérienne qui en résulte, mais aussi les contraintes liées aux moyens humains et logistiques dont la France dispose et à nos propres procédures.

C’est pour simplifier une partie de ces procédures que la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration (36) a créé l’obligation de quitter le territoire français. L’article 10 du présent projet de loi vise à faciliter l’utilisation de ce nouvel instrument dans le cas d’un débouté de l’asile.

b) Une précision quant à l’effet du rejet définitif de la demande d’asile sur le droit au séjour obtenu à ce titre

Par la création de l’obligation de quitter le territoire français (OQTF), la loi relative à l’immigration et à l’intégration précitée a réalisé la fusion entre deux mesures auparavant distinctes et susceptibles de recours distincts : l’invitation à quitter le territoire français (IQTF) à la suite d’un refus de séjour, et l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière (APRF).

Avant cette réforme, dans tous les cas, lorsqu’un étranger avait perdu le droit au séjour, ou lorsqu’il n’en avait jamais bénéficié, il recevait d’abord une invitation à quitter le territoire français qui accompagnait le refus de séjour, ce dernier pouvant être contesté devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois, sans que ce recours soit suspensif de la décision. Une fois un délai d’un mois passé, l’étranger qui n’avait pas quitté volontairement le pays pouvait faire l’objet d’une mesure d’éloignement du territoire, prise par l’autorité administrative sous la forme d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, pris en application de l’article L. 511-1 du CESEDA. Cet arrêté pouvait faire l’objet d’un recours contentieux auprès du tribunal administratif dans un délai de quarante-huit heures s’il était notifié en mains propres, et de sept jours s’il était notifié par voie postale. Enfin, aux termes de l’article L. 513-3 du même code, la décision fixant le pays de renvoi constituant une décision distincte de la mesure d’éloignement elle-même, elle pouvait également être contestée par un recours suspensif dans les mêmes conditions que l’APRF.

La loi relative à l’immigration et à l’intégration n’a pas supprimé les dispositions précitées, mais elle a rendu possible le prononcé d’une décision unique comportant les mêmes éléments que les trois décisions indispensables auparavant. Le I de l’article L. 511-1 du CESEDA issue de cette loi (37) dispose que l’autorité administrative peut assortir sa décision de refus de séjour « d’une obligation de quitter le territoire français, laquelle fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé s’il ne respecte pas le délai de départ volontaire prévu au troisième alinéa [qui est d’un mois à compter de la notification de l’obligation] ». Passé ce délai, l’obligation de quitter le territoire français vaut mesure d’éloignement contraignante et peut être exécutée d’office, sans qu’il soit besoin pour l’administration de prendre une nouvelle décision.

Le refus de la délivrance ou du renouvellement d’un titre de séjour et l’obligation de quitter le territoire mentionnant le pays de renvoi constituent donc les deux volets d’une décision unique qui ne peut faire l’objet que d’un seul recours suspensif de l’exécution de la mesure d’éloignement. Ce recours doit être déposé dans un délai d’un mois devant le tribunal administratif qui doit statuer dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. En cas de placement en rétention de l’étranger, le tribunal administratif statue « sur la légalité de l’obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de renvoi, au plus tard soixante-douze heures à compter de la notification par l’administration au tribunal de ce placement » (article L. 512-1).

L’un des principaux objectifs de la création de cette obligation de quitter le territoire français était de réduire le poids du contentieux relatif au droit des étrangers au sein du contentieux administratif, qui représentait 24 % des affaires enregistrées en 2005, contre 16,4 % en 2000. Le seul contentieux de la reconduite à la frontière était passé de 35 % en 2000 à 46 % du contentieux des étrangers en 2005, le nombre d’affaires ayant plus que doublé entre ces deux dates, sous l’effet du volontarisme de la politique gouvernementale en matière de reconduite à la frontière.

Cette possibilité de fusion des décisions a permis d’alléger la tâche des juridictions administratives sans avoir de conséquence négative ni sur les droits des étrangers, ni sur l’efficacité des procédures d’éloignement, qui est au contraire renforcée. Elle est applicable aux demandeurs d’asile déboutés.

Leur situation est régie par l’article L. 742-3 du CESEDA qui indique seulement que, lorsque sa demande d’asile a été définitivement rejetée, l’étranger dispose d’un délai d’un mois pour quitter le territoire français, ce délai courant à compter de la notification du refus de renouvellement ou du retrait de son autorisation de séjour. Or, le refus de renouvellement ou le retrait de l’autorisation de séjour n’intervient pas toujours très rapidement après la notification de la décision de refus de l’OFPRA ou de rejet du recours de la CRR : par exemple, si l’étranger a obtenu un renouvellement pour trois mois de son titre de séjour peu de temps avant la notification du rejet définitif de sa demande d’asile, il n’a aucune raison de se présenter à la préfecture avant la fin de la validité de ce titre et il est fréquent que la préfecture ne le convoque pas durant cette période.

D’une manière générale, les services des préfectures, souvent submergés, ne tirent pas très rapidement les conséquences du rejet définitif d’une demande d’asile, ce qui rend plus difficile les éventuelles mesures de reconduite à la frontière, les personnes déboutées ayant le temps de changer d’adresse si elles souhaitent s’y soustraire.

Pourtant, la jurisprudence administrative ne laisse aucun doute sur les conséquences du rejet de la demande d’asile sur le titre de séjour détenu au titre de cette demande. Ainsi, un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles du 7 décembre 2006 a considéré que l’invitation à quitter le territoire français adressée à un étranger suite au rejet de sa demande d’asile révélait une décision de refus de titre de séjour susceptible de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Dans le même sens, à l’occasion d’un arrêt du 29 septembre 2006, la cour administrative d’appel de Nantes a rappelé que le refus de séjour opposé à un étranger dont la demande d’asile a été rejetée emportait implicitement mais nécessairement abrogation du récépissé valant autorisation provisoire de séjour dans l’attente de l’examen de sa demande d’admission au bénéfice du statut de réfugié. Cet arrêt s’inscrit dans la ligne du Conseil d’Etat qui considère qu’un refus de séjour a pour effet d’abroger le récépissé de demande de carte de séjour.

L’article 10 du présent projet de loi vise à supprimer de l’article L.742-3 du CESEDA la mention de la notification du refus de renouvellement ou du retrait de l’autorisation de séjour et à lui substituer un renvoi au I de l’article L. 511-1 du même code qui organise la procédure de l’obligation de quitter le territoire français. Le débouté du droit d’asile sera ainsi placé dans la même situation que n’importe quel autre étranger : dès qu’il aura pris connaissance du rejet définitif, le préfet n’aura qu’à refuser de délivrer au débouté un titre de séjour – puisque celui que détient le débouté sera devenu sans fondement du fait du rejet définitif de sa demande – et assortir cette décision d’une obligation de quitter le territoire français, pour que celle-ci puisse être exécutée d’office si la personne concernée n’a pas quitté le territoire dans un délai d’un mois après la notification de la décision.

Pour que cette procédure puisse être mise en œuvre dans de bonnes conditions, le sens des décisions de l’OFPRA et de la CRR sera communiqué immédiatement aux préfectures. Les conséquences du rejet définitif de la demande d’asile pourront ainsi être tirées dans les meilleurs délais.

B – L’Office français de protection des réfugiés et apatrides sera désormais placé sous la tutelle du ministère chargé de l’asile

1) Le rôle central de l’OFPRA

L’OFPRA est un établissement public doté de la personnalité civile et de l’autonomie financière et administrative, chargé d’assurer l’application des conventions, accords ou arrangements internationaux concernant la protection des réfugiés. Il a été créé par la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile (38).

Placé dès l’origine sous la tutelle du ministre des affaires étrangères et opérant en liaison avec les divers départements ministériels, il a pour mission d’octroyer :

– la qualité de réfugié à toute personne qui répond aux définitions de l’article 1er de la convention de Genève relative au statut des réfugiés, qui a été persécutée en raison de son action en faveur en faveur de la liberté, ou relève du mandat dit restreint du Haut-commissariat aux réfugiés (39) ;

– le bénéfice de la protection subsidiaire à toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi de la qualité de réfugié et qui établit qu’elle est exposée dans son pays à l’une des menaces graves suivantes : la peine de mort, la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants, et s’agissant d’un civil, une menace grave, directe et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence généralisée résultant d’une situation de conflit armé ou international.

L’OFPRA a aussi pour mission d’assurer la protection juridique et administrative des réfugiés et de certains bénéficiaires de la protection subsidiaire, c’est-à-dire de faire appliquer les règles du droit international et de surveiller l’application des règles du droit national à des étrangers réfugiés dont l’Etat est défaillant.

L’établissement public OFPRA comporte en fait deux entités, créées par la même loi : l’OFPRA proprement dit, qui remplit les missions précitées, et la Commission des recours des réfugiés. La Commission, qui est une juridiction administrative (40) placée sous l’autorité d’un président, membre du Conseil d’Etat et désigné par le vice-président de celui-ci, statue sur toutes les décisions de l’OFPRA accordant ou refusant le bénéfice de l’asile. Il peut s’agir de décisions de rejet de la totalité de la demande d’asile, de décisions de rejet de la qualité de réfugié mais d’octroi de la protection subsidiaire, ou encore de décisions de rejet des demandes de réexamen présentées à l’Office. La CRR se prononce aussi sur les recours formés contre ses propres décisions qui auraient résulté d’une fraude (recours en révision). Enfin, elle exerce une compétence consultative en matière d’éloignement du territoire de réfugiés.

Bien que, depuis octobre 2004, la CRR soit installée à Montreuil, tandis que l’OFPRA continue d’occuper ses locaux de Fontenay-sous-Bois (41), les deux entités constituant un seul établissement public, elles partagent le même budget. Cette situation est critiquable car elle maintien un lien fort entre un organe et la juridiction d’appel des décisions de celui-ci. Ce lien n’est d’ailleurs pas uniquement statutaire et budgétaire, mais aussi administratif, les rapporteurs de la CRR appartenant au même corps que les officiers de protection de l’OFPRA et étant recrutés et rémunérés par ce dernier. Même si l’usage veut que le président de la CRR assiste aux séances du conseil d’administration de l’Office, il n’en est pas membre. Cette situation n’est pas conforme au principe d’indépendance d’une juridiction administrative par rapport à l’administration et pourrait conduire à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme.

Selon les informations fournies à votre Rapporteur, la Cour des comptes a tout récemment transmis au Premier ministre un référé sur le statut de la CRR qui considère comme hautement souhaitable que celle-ci se voit reconnaître un statut conforme à sa nature de juridiction administrative, même si le maintien de liens fonctionnels entre la CRR et l’OFPRA est jugé nécessaire à leur bon fonctionnement respectif.

Conformément à cette analyse, le Gouvernement a ainsi l’intention de consacrer l’autonomie de fonctionnement de la CRR dans le cadre de la prochaine loi de finances. Son budget ne serait plus fondu dans celui de l’OFPRA mais isolé et alimenté par une subvention spécifique qui serait inscrite sur le programme « Conseil d’Etat et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l’Etat ». Votre Rapporteur est très favorable à une telle mesure, qui conforterait l’autonomie de cette juridiction. Il considère qu’une étape supplémentaire pourrait ensuite être franchie dans le processus de normalisation de la Commission par une plus grande professionnalisation de ses présidents de chambre, qui sont actuellement des vacataires.

2) Le changement de tutelle

Il existe au sein du ministère des affaires étrangères une direction des Français de l’étranger et des étrangers en France, qui comporte un service des étrangers en France, lui-même composé d’une sous-direction de la circulation des étrangers, située à Nantes, et d’une sous-direction des réfugiés et apatrides, localisée à Paris, boulevard Saint-Germain. Cette dernière sous-direction assure la liaison entre le ministère et l’OFPRA.

L’article 1er du décret relatif aux attributions du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement (42) dispose qu’il « est compétent, dans le respect des attributions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Commission des recours des réfugiés, en matière d’exercice du droit d’asile et de protection subsidiaire (...) ». En conséquence, l’article 3 du même décret lui donne autorité « conjointement avec le ministre des affaires étrangères et européennes, sur la direction des Français à l’étranger et des étrangers en France ».

Selon les informations qui ont été fournies à votre Rapporteur, le fonctionnement du service des étrangers en France devrait, à compter de la loi de finances initiale pour 2008, être financé sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », qui relève du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement. La subvention de fonctionnement destinée à l’OFPRA, qui atteignait 45,5 millions d’euros en loi de finances initiale pour 2007 et figurait alors dans la mission « Action extérieure de l’Etat », devrait également être inscrite sur cette nouvelle mission (43).

La compétence du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement en matière d’exercice du droit d’asile et de protection subsidiaire doit logiquement conduire à lui confier la tutelle de l’OFPRA, ce qui est l’objet de l’article 9 du présent projet de loi.

L’OFPRA ne sera donc plus placé auprès du ministre des affaires étrangères, mais du ministre chargé de l’asile (article L. 721-1 du CESEDA) ; de même, le président de son conseil d’administration ne sera plus nommé (44) par décret sur proposition du ministre des affaires étrangères, mais sur proposition du ministre chargé de l’asile (article L. 722-1 du même code). Le conseil d’administration est actuellement présidé, depuis octobre 2004, par un membre du Conseil d’Etat.

Quant à son directeur général, actuellement nommé par décret sur proposition conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre de l’intérieur, il le sera dans l’avenir sur proposition conjointe du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l’asile (article L. 722-2 du même code). Ce poste, dont l’existence ne figure dans la loi que depuis la réforme de décembre 2003 (45), était occupé jusqu’ici par un diplomate, qui est resté en fonction trois ans (46) avant de quitter l’OFPRA en juillet 2007. Son successeur, nommé le 18 juillet dernier, est un préfet, qui a d’ailleurs passé quelques années de sa carrière au ministère des affaires étrangères.

On peut signaler à cet égard que les autorités chargées de l’attribution du statut de réfugiés chez nos voisins européens sont dirigées par des fonctionnaires émanant des corps les plus variés, voire, comme en Allemagne, par une personne n’appartenant pas à la fonction publique.

Enfin, la garde des archives de l’OFPRA sera confiée aux services du ministre chargé de l’asile, en lieu et place des services du ministre des affaires étrangères (article L. 722-4 du même code).

Votre Rapporteur tient à souligner que ce changement de tutelle est une conséquence logique de la création du ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement, ce ministère ayant des compétences et des préoccupations spécifiques, différentes de celles du ministère de l’intérieur. Il est en outre, conjointement avec le ministère des affaires étrangères, chargé de la politique d’attribution des visas, ce qui lui assure des relations suivies avec les services des visas situés à l’étranger et donc une bonne connaissance de la situation dans les pays de provenance des demandeurs d’asile. L’exercice d’une tutelle n’est au demeurant pas un rapport d’autorité et le changement de tutelle n’entraînera aucune immixtion du ministère dans le travail de l’OFPRA, lequel est réalisé sous le contrôle d’une juridiction dont l’indépendance sera même confortée par sa prochaine autonomie budgétaire.

CONCLUSION

Les modifications apportées par le présent projet de loi aux modalités d’exercice du droit d’asile sont donc d’une portée relativement limitée, mais elles n’en sont pas moins nécessaires.

Elles visent à mettre la France en conformité avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’Homme en garantissant un « recours effectif », donc suspensif, aux étrangers auxquels a été refusé l’accès au territoire français au titre de l’asile ; elles permettront aussi d’accélérer la délivrance d’une obligation de quitter le territoire français aux personnes définitivement déboutées du droit d’asile. Enfin, elles parachèvent la nomination d’un ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement en lui accordant des compétences légales cohérentes avec ses attributions en matière d’asile.

Ces nouvelles mesures législatives vont incontestablement dans le bon sens. Elles améliorent une procédure profondément réformée par la loi du 10 décembre 2003 et rendue depuis plus efficace par une série de changements de moindre ampleur, mais aux effets positifs avérés.

Ces réformes n’ont en rien remis en cause le respect par la France de la Convention de Genève, ce dont témoigne sa première place parmi les pays européens pour le nombre des demandes d’asile qui lui sont soumises et pour le nombre de personnes auxquelles elle reconnaît le statut de réfugié. Cette position donne un poids particulier au souhait du Président de la République de voir adopter prochainement un « pacte européen sur l’immigration », mais aussi réaliser à terme la fusion des politiques nationales d’asile et la création d’un office européen de l’asile, conformément au programme de La Haye adopté par le Conseil européen en novembre 2004 (47).

EXAMEN EN COMMISSION

Après avoir entendu le ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement sur le projet de loi au cours d’une audition commune avec la commission des lois, le 25 juillet 2007 (48), la Commission a examiné pour avis le chapitre II du présent projet de loi au cours de sa réunion du 31 juillet 2007.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a eu lieu.

M. François Rochebloine a soulevé le problème posé par la situation actuelle des demandeurs d’asile, qui pendant la durée de traitement de leur demande, ne peuvent recevoir des préfectures qu’une autorisation de séjour, qui ne vaut pas autorisation de travailler sur le territoire français. Dans ces conditions, de quels moyens peuvent-ils disposer pour vivre ? Par ailleurs, il apparaît que les contrôles effectués par les directions départementales du travail sont d’une sévérité inégale suivant la nationalité des travailleurs concernés et les jours d’activité de l’entreprise qui les emploie : est-il envisagé d’améliorer les moyens de lutte contre le travail des étrangers en situation illégale, souvent exploités par leur employeur ?

Le Rapporteur pour avis a rappelé les objectifs affirmés par le ministre de l’immigration lors de sa récente audition devant la Commission des affaires étrangères : faire passer l’immigration liée au travail de 7 % aujourd’hui à 50 % à moyen terme.

Pour ce qui est des demandeurs d’asile, le dispositif français de prise en charge sociale repose, à titre principal, sur l’offre d’un hébergement accompagné en centres d’accueil pour demandeurs d’asile et, à titre subsidiaire, sur le versement d’une prestation financière, l’allocation temporaire d’attente, créée par la loi de finances pour 2006.

Les filières empruntées par ces travailleurs sont connues. La décision de conférer au ministre chargé de l’immigration une autorité sur les inspecteurs du travail vise justement à renforcer les contrôles. La réaction de certains inspecteurs du travail est paradoxale car ils stigmatisent la situation des travailleurs présents illégalement sur le territoire tout en refusant de mettre les moyens en adéquation avec la fin qu’ils affirment poursuivre. Afin de rompre avec ce système autoalimenté, un renforcement des sanctions prononcées à l’encontre des employeurs doit également être envisagé.

M. Pascal Clément a rappelé que le corps des inspecteurs du travail, de même que l’ensemble de la fonction publique, était au service de la loi et devait se contenter d’en assurer l’application, le droit de ses membres de faire connaître leur appréciation de celle-ci ne devant s’exprimer que par le vote. Evoquant le cas du rapatriement d’un enfant reconnu par son père de nationalité française, il a regretté que les autorités consulaires bloquent parfois un dossier sans justification apparente.

Le Rapporteur pour avis a indiqué que ces situations dépassaient le cadre du seul chapitre II du projet de loi mais a assuré que le rapporteur du texte au fond ne manquerait pas de les aborder.

M. Jean-Yves Lecoq a fait part de deux remarques. Dans l’article 6 du projet de loi, le délai fixé pour déposer un référé contre le refus d’admission au titre de l’asile est de 24 heures, ce qui est irréaliste. Il faut, dans ce laps de temps, trouver des interprètes, réunir certains documents, etc. Le droit français offrait le même nombre d’heures avant l’intervention du projet de loi, le problème n’est donc en rien résolu. Pour ce qui est de renforcer la mobilisation des inspecteurs du travail dans la lutte contre le travail clandestin, il conviendrait peut-être de conférer des droits aux travailleurs se retrouvant en situation illégale sur le territoire. S’ils étaient sollicités pour défendre ces droits, les inspecteurs du travail pourraient être plus enclins à consacrer du temps à ces questions.

Le Rapporteur pour avis a souligné que l’existence d’un délai strict était nécessaire : les règles du jeu doivent être claires. Un délai bref permet de réduire la période d’incertitude pour l’étranger. Une cohérence accrue est obtenue en confiant à un seul ministère la gestion de ces questions. Un système trop complexe et victime de failles trop nombreuses risque d’allonger la période de latence durant laquelle l’étranger se trouve dans une situation très inconfortable, car incertaine.

M. François Loncle a affirmé que le dessaisissement du ministère des affaires étrangères sur les questions d’asile n’était pas un gage d’efficacité. Il a également indiqué que son groupe voterait contre le projet de loi.

Conformément aux conclusions du Rapporteur pour avis, la Commission a émis un avis favorable à l’adoption du chapitre II du projet de loi (no 57), sans modification.

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© Assemblée nationale

1 () Le droit d’asile est reconnu dans une constitution française pour la première fois en 1793.

2 () Cette convention est entrée en vigueur le 22 avril 1954 ; elle compte aujourd’hui cent trente-sept Etats parties.

3 () Le Conseil constitutionnel a reconnu aux principes énoncés par le préambule de la constitution de 1946, visé par le préambule de la constitution de 1958, la valeur de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

4 () Cette expression désigne l’asile accordé au titre de la convention de Genève pour le distinguer de l’asile « territorial » mis en place par la loi du 12 mai 1998 et remplacé depuis par la notion de « protection subsidiaire ». L’asile « territorial » était accordé par le ministère de l’intérieur.

5 () Par le décret n° 2007-999 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement.

6 () Voir le rapport pour avis de notre collègue Eric Raoult, Assemblée nationale, XIIème législature, n° 872, 21 mai 2003.

7 () Loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003 modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.

8 () Loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile.

9 () Conformément à l’article L. 712-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la protection subsidiaire est accordée, pour un an renouvelable, à toute personne qui ne remplit pas les conditions d’octroi du statut de réfugié mais qui est menacée dans son pays de la peine de mort, de torture ou autre traitement inhumain ou d’une menace grave en raison d’une violence généralisée résultant d’un conflit armé national ou international. Elle remplace l’asile territorial.

10 () Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres ; elle est entrée en vigueur le 2 janvier 2006 ; les Etats ont jusqu’au 1er décembre 2007 pour transcrire ses stipulations dans leur droit.

11 () Plusieurs voies sont envisageables, parmi lesquelles l’amélioration du fonctionnement de la CRR et la réduction d’un mois à quinze jours du délai de recours devant elle. La numérisation des dossiers de demande d’asile, actuellement à l’étude à l’OFPRA, pourrait aussi contribuer à raccourcir le délai de transmission entre l’Office et la CRR, qui apparaît aujourd’hui incompressible.

12 () Décret n° 2005-544 du 26 mai 2005 instituant un comité interministériel de contrôle de l’immigration.

13 () Une borne Eurodac permet de vérifier très rapidement si un autre Etat n’est pas responsable de l’examen de la demande d’asile, en application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003, dit « Dublin II ». Avant la fin de l’année 2007, trente-six préfectures parmi celles qui reçoivent le plus de demandeurs d’asile devraient être équipées.

14 () Initialement d’une durée de six mois, cette première expérimentation a été reconduite pour six mois supplémentaires ; son extension à trois autres régions est prévue pour un an.

15 () Article 95 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration.

16 () L’allocation temporaire d’attente est du même montant que l’allocation d’insertion (soit 10,22 euros par jour depuis le 1er janvier 2007), mais elle est versée jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise sur la demande d’asile, alors que l’allocation d’insertion n’était accordée que pendant douze mois. L’allocation temporaire d’attente peut en outre être versée, pendant douze mois, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire.

17 () Article 154 de la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006.

18 () Cette directive est entrée en vigueur le 6 février 2003 et devait être transposée par les Etats membres avant le 6 février 2005.

19 () En application des dispositions prévues par l’article L. 351-9-1 du code du travail.

20 () Cette condition figurait à l’article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

21 () Après le rejet de la demande d’asile par la CRR, le requérant peut demander à l’OFPRA un réexamen de sa demande s’il dispose d’un « élément nouveau », c’est-à-dire qui soit de nature à justifier ses craintes de persécution en cas de retour et qui soit postérieur à la date du rejet de la CRR ou antérieur à ce rejet mais dont le demandeur n’a eu connaissance qu’après celui-ci. L’augmentation des réexamens au cours des dernières années est liée à la création de la « protection subsidiaire » et au grand nombre de décisions de la CRR.

22 () Environ 5 000 demandes enregistrées en 1999, 10 000 en 2001 et 6 000 en 2003.

23 () En application de l’article R. 213-3 du CESEDA.

24 () Pour l’ensemble des étrangers non admis à la frontière, le taux de réacheminement est de 84 %, soit 11 559 réacheminements sur 13 755 décisions de non-admission en 2006.

25 () « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants », en application de l’article 3 ; « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles », en application de l’article 13.

26 () Arrêt Chamaïev et autres contre Géorgie et Russie du 14 avril 2004.

27 () Arrêt Conka contre Belgique du 5 février 2002.

28 () Ibidem.

29 () Ordonnance du juge des référés du 12 janvier 2001, Hyacinthe.

30 () Décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 sur la loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, considérants n° 81 à 83.

31 () Sauf en cas de mise en œuvre des dispositions du second alinéa de l’article L. 222-2 du CESEDA, voir infra.

32 () Le recours n’est pas suspensif pour les demandeurs d’asile placés en procédure prioritaire, voir supra.

33 () Les étrangers invités à quitter le territoire français recevaient auparavant 153 euros par adulte et 46 euros par enfant mineur ; la nouvelle aide financière représente 2 000 euros par adulte (3 500 euros pour un couple marié), 1 000 euros par enfant mineur jusqu’au troisième et 500 euros par enfant au-delà du troisième.

34 () Mme Marie-Hélène des Esgaulx, Rapport d’information déposé par la commission des finances, de l’économie générale et du plan en conclusion des travaux d’une mission d’évaluation et de contrôle sur l’évolution des coûts budgétaires des demandes d’asile (hébergement, contentieux, contrôle aux frontières), Assemblée nationale, XIIeme législature, n° 2448, 6 juillet 2005, p. 50.

35 () Lors de sa réunion du 27 juillet 2005, le comité interministériel de contrôle de l’immigration (CICI) a décidé de placer sous surveillance douze pays jugés les moins coopératifs en matière de délivrance de laissez-passer consulaires : la Biélorussie, le Cameroun, l’Egypte, la Géorgie, la Guinée, l’Inde, le Maroc, la Mauritanie, le Pakistan, la Serbie, le Soudan et la Tunisie. Le 5 décembre 2006, le CICI a demandé la mise en œuvre de mesures restrictives à l’encontre de l’Egypte, du Maroc et de la Tunisie, auprès desquels aucun progrès n’avait été observé. Mais, en 2005, seules 15 % des mesures d’éloignement non exécutées résultaient de l’absence de délivrance de ce laissez-passer.

36 () Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration.

37 () En vigueur depuis la publication du décret n° 2006-1708 du 23 décembre 2006 modifiant la partie réglementaire du code de justice administrative.

38 () Loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile ; son titre initial était « portant création d’un office français de protection des réfugiés apatrides ». Cette loi a été abrogée au moment de l’entrée en vigueur, le 1er mai 2005, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui reprend les dispositions de la loi.

39 () C’est-à-dire aux personnes sur lesquelles le Haut-commissariat exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut adopté le 14 décembre 1950 par l’Assemblée générale des Nations unies.

40 () Il s’agit même de la plus importante juridiction de France pour le volume d’affaires traitées en 2005.

41 () Depuis le 1er janvier 2006, une antenne de l’OFPRA est installée à Basse-Terre, en Guadeloupe, pour assurer sur place le traitement des dossiers des demandeurs d’asile originaires d’Haïti dont le nombre avait augmenté de 121 % entre 2004 et 2005 dans les départements français d’Amérique.

42 () Décret n° 2007-999 du 31 mai 2007 relatif aux attributions du ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du codéveloppement.

43 () A l’exception de la partie destinée à la CRR, voir supra.

44 () En application de l’article R. 722-1 du CESEDA, le président du conseil d’administration de l’OFPRA est nommé pour une durée de trois ans, renouvelable.

45 () Article 2 de la loi du 10 décembre 2003 précitée.

46 () En application de l’article R. 722-4 du CESEDA, le directeur général de l’OFPRA est également nommé pour une durée de trois ans, renouvelable.

47 () Le programme de La Haye pour renforcer la liberté, la sécurité et la justice dans l’Union européenne fixe des objectifs pour la période 2005-2010 ; un livre vert sur le futur régime d’asile européen commun a été présenté par la commission européenne le 6 juin 2007 dans le but de déterminer les différentes options envisageables dans le cadre juridique communautaire actuel en vue d’entamer la seconde phase de création du régime d’ asile européen.

48 () Compte rendu de la commission des affaires étrangères du 25 juillet 2007, n° 9 de la session extraordinaire 2006-2007.