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N
° 273

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2007.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LES PROPOSITIONS DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête :

– n° 150 DE M. JEAN-MARC AYRAULT ET PLUSIEURS DE SES COLLÈGUES sur les conditions de la libération des infirmières bulgares en Libye et sur les accords franco-libyens ;

– n° 152 DE M. ALAIN BOCQUET sur le rôle joué par la France dans la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus en Libye, sur le véritable contenu des accords ayant accompagné cette issue, et sur les conséquences susceptibles d’en résulter.

par M. Roland BLUM,

Député

INTRODUCTION 5

I – LA LIBÉRATION DES INFIRMIÈRES ET DU MÉDECIN DÉTENUS EN LIBYE PENDANT HUIT ANNÉES A MIS UN TERME À UNE TERRIBLE INJUSTICE 7

A – UNE DÉTENTION LONGUE, DURE ET INJUSTIFIÉE 7

B – UNE LIBÉRATION OBTENUE APRÈS UNE FORTE MOBILISATION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE 8

II – JURIDIQUEMENT POSSIBLE, LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE PERMETTRAIT DE PRÉCISER LES CONDITIONS DE CETTE LIBÉRATION 9

A – LES CONTREPARTIES DE CETTE LIBÉRATION ONT ÉTÉ L’OBJET DE SUSPICIONS 9

B – LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS DE LIBÉRATION DES INFIRMIÈRES ET DU MÉDECIN EST JURIDIQUEMENT POSSIBLE 10

CONCLUSION 13

EXAMEN EN COMMISSION 15

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 19

Mesdames, Messieurs,

Le pays des droits de l’Homme ne peut que s’émouvoir lorsque des innocents sont détenus injustement et dans des conditions très difficiles par la Justice d’un pays dont ils étaient venus aider les citoyens malades, alors même que l’un des fils du chef de l’Etat reconnaît qu’ils n’ont été que des boucs émissaires. L’engagement personnel du Président de la République pour obtenir leur libération, et son succès, doivent être salués.

Votre Rapporteur rappelle que la commission des affaires étrangères avait témoigné de sa solidarité avec les infirmières et le médecin détenus, à l’occasion de l’examen, le 6 février dernier, du projet de loi autorisant l’approbation d’une convention fiscale franco-libyenne (1) : tout en adoptant le projet de loi, la commission avait demandé au Gouvernement de ne pas l’inscrire à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée tant que la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien n’aurait pas été obtenue. D’une manière générale, cette affaire a lourdement pesé sur les relations de la Libye avec les pays occidentaux. Ce pays avait pourtant réalisé des progrès dans la voie de la normalisation de ces relations depuis quelques années.

En particulier, les relations franco-libyennes sont entrées dans une phase de relance depuis la conclusion, le 9 janvier 2004, d’un accord privé entre les familles des victimes de l’attentat contre le DC10 d’UTA et la Fondation Kadhafi. Le Premier ministre libyen est venu en France en avril 2004, avant que le Président de la République d’alors se rende en Libye en voyage officiel les 24 et 25 novembre de la même année. Mais ce que l’on a appelé « l’affaire des infirmières bulgares » empêchait d’aller plus loin dans ce processus. La levée cet obstacle devait donc permettre naturellement d’approfondir nos relations bilatérales et les relations entre la Libye et l’Union européenne.

C’est justement la conclusion de deux mémorendums d’accord entre la France et la Libye au lendemain de la libération des soignants bulgares qui est à l’origine du dépôt des deux propositions de résolution qui sont l’objet de présent rapport.

Votre Rapporteur rappellera rapidement comment les cinq infirmières et le médecin ont été arrêtés, détenus pendant huit ans, jugés et condamnés à mort, puis les événements qui ont conduit à leur libération et l’ont immédiatement suivie. Il évoquera ensuite les doutes qu’ils ont suscités, avant d’examiner dans quelle mesure sont recevables les deux propositions de résolution visant à créer une commission d’enquête sur les éventuelles contreparties françaises à leur libération.

I – LA LIBÉRATION DES INFIRMIÈRES ET DU MÉDECIN DÉTENUS EN LIBYE PENDANT HUIT ANNÉES A MIS UN TERME À UNE TERRIBLE INJUSTICE

A – Une détention longue, dure et injustifiée

L’affaire dite des infirmières bulgares a commencé au début de 1999, à la suite de la découverte, quelques mois plus tôt, de dizaines d’enfants contaminés par le virus du sida à l’hôpital de Benghazi, la deuxième ville de Libye. Le 25 janvier 1999, le médecin palestinien (2) Ashraf al-Hadjudj est arrêté ; le 9 février, une vingtaine de coopérants travaillant à l’hôpital est violemment interpellée. La plupart est libérée, à l’exception du médecin et de cinq infirmières bulgares, parmi lesquelles plusieurs subissent sévices et humiliations.

Tous les six sont accusés d’avoir sciemment transmis le virus du sida à 426 enfants, ainsi que d’avoir commis une série d’autres délits (consommation d’alcool, trafic de devises, relations sexuelles illicites). Leur procès s’ouvre en février 2000 ; la peine de mort est requise contre eux, alors qu’ils plaident non-coupables. En février 2002, face à l’absence de preuve sur l’accusation d’assassinat avec préméditation, le tribunal du peuple de Tripoli renvoie le dossier au Parquet, qui maintient les accusations et lance une nouvelle procédure en juin. Fin août, l’affaire est renvoyée devant le tribunal pénal de Benghazi.

Le procès reprend en juillet 2003. En septembre de la même année, les professeurs Luc Montagnier et Vittorio Cilizzi font leur déposition devant le tribunal : à la suite d’une enquête sur place, ils concluent, comme d’autres scientifiques consultés, que la contamination résulte de mauvaises conditions sanitaires et qu’elle a commencé entre 1994 et 1997, bien avant l’arrivée du médecin et des infirmières, qui n’ont d’ailleurs jamais soigné une partie des enfants contaminés. Le 6 mai 2004, ils sont tous les six condamnés à mort. Un recours contre cette condamnation est introduit devant la Cour suprême de Libye.

En décembre 2005, la Cour suprême accepte le recours des six accusés et ordonne un nouveau procès, qui s’ouvre à Tripoli en mai 2006. La condamnation à mort est à nouveau prononcée en décembre, et confirmée par la Cour suprême le 11 juillet 2007.

Pendant leur détention, le médecin et les infirmières ont subi des pressions physiques et psychologiques, leurs aveux ont été obtenus par la torture et les droits de la défense ont été violés, ce qui a naturellement suscité l’émotion de l’opinion publique et de la Communauté internationale.

B – Une libération obtenue après une forte mobilisation de la Communauté internationale

De nombreux mouvements de soutien aux six soignants injustement détenus se sont créés.

Ce sont d’abord les autorités bulgares qui se sont mobilisées. Après la première condamnation à mort, les autorités de Tripoli affirment qu’un compromis peut être obtenu si Sofia trouve un accord financier avec les familles des enfants contaminés ; un montant de 10 millions de dollars par victime est avancé. Il correspond à la somme versée par la Libye pour chacune des victimes décédées en 1998 dans l’attentat de Lockerbie. Sofia refuse de s’engager sur cette voie.

En mai 2005, Mme Benita Ferrero-Waldner, la commissaire européenne aux relations extérieures, puis le président bulgare, se rendent à Tripoli. Le 23 décembre, les autorités bulgares et libyennes se mettent d’accord pour la création d’un fonds de compensation international au bénéfice des enfants libyens atteints du sida. Le recours des accusés devant la Cour suprême est accepté deux jours plus tard.

Alors que le second procès s’est ouvert et que les familles des enfants ont demandé 15 millions de dollars par enfant contaminé, cent quatorze lauréats du prix Nobel adressent une lettre ouverte au colonel Khadafi, publiée dans le magazine Nature, en faveur de la libération des six soignants.

Les 10 et 11 juin 2007, plusieurs émissaires européens, parmi lesquels Mme Ferrero-Waldner et M. Steinmeier, le ministre des affaires étrangères de la république fédérale d’Allemagne, qui exerce alors la présidence de l’Union européenne, se rendent en Libye pour tenter de trouver une solution.

Il faut encore attendre la confirmation de la seconde condamnation à mort par la Cour suprême, le 11 juillet, pour que le processus s’accélère. Le lendemain, Mme Cécilia Sarkozy effectue une visite en Libye, à l’occasion de laquelle elle rencontre les six condamnés, les familles des enfants contaminés et le colonel Kadhafi. Trois jours plus tard, les familles acceptent un dédommagement d’un million de dollars par enfant contaminé, ce qui représente 400 millions de dollars au total. Le 17 juillet, l’argent est versé aux familles, qui renoncent à l’application de la peine de mort contre les accusés, dont la peine est commuée en prison à vie par le Conseil supérieur des instances judiciaires libyennes.

Le Parquet général de Bulgarie entame alors une procédure de demande d’extradition des cinq infirmières et du médecin, qui sont finalement transférés en Bulgarie le 24 juillet, dans l’avion de la présidence française, par lequel Mme Ferrero-Waldner et Mme Sarkozy, accompagnées par le secrétaire général de l’Elysée, M. Claude Guéant, se sont rendus en Libye, deux jours plus tôt. Les six condamnés sont graciés et libérés dès leur arrivée à Sofia.

Le dénouement heureux est ainsi apparu aussi rapide et soudain que la procédure judiciaire libyenne avait été longue et pénible.

II – JURIDIQUEMENT POSSIBLE, LA CRÉATION D’UNE COMMISSION D’ENQUÊTE PERMETTRAIT DE PRÉCISER LES CONDITIONS DE CETTE LIBÉRATION

A – Les contreparties de cette libération ont été l’objet de suspicions

Si la Communauté internationale s’est réjouie dans son ensemble de la libération des infirmières et du médecin, malgré les vives critiques suscitées en Libye par la grâce qui leur a été accordée, les conditions dans lesquelles elle a été obtenue ont rapidement fait l’objet d’interrogations. Dans un premier temps, l’attention de tous s’est focalisée sur l’intervention de Mme Sarkozy et sur le rôle joué par le Qatar, qui aurait versé les 400 millions de dollars destinés aux familles des enfants contaminés.

La presse s’est ensuite intéressée à la conclusion d’un mémorandum sur les relations entre la Libye et l’Union européenne et aux contreparties que la France aurait accordées à la Libye. Le lendemain du retour en Bulgarie des six condamnés, le président Sarkozy s’est en effet rendu à Tripoli, où il a signé un mémorandum d’accord sur le nucléaire civil qui porte sur la fourniture d’un réacteur nucléaire permettant de dessaler de l’eau de mer.

La France s’est aussi engagée à contribuer à l’amélioration du système de santé libyen, en particulier à l’hôpital de Benghazi. Elle a d’ores et déjà accueilli cent cinquante des quatre cent vingt-six enfants malades et commencé à leur administrer un traitement.

Surtout, le 1er août, l’un des fils du colonel Kadhafi, Seïf el-Islam Kadhafi, a affirmé qu’un contrat d’armement a été conclu avec la France, qui prévoit notamment des exercices conjoints, l’achat à la France de missiles anti-char Milan pour un montant de 100 millions d’euros et un projet de manufacture d’armes. Le groupe européen d’aéronautique et de défense EADS a déclaré deux jours plus tard être sur le point de signer avec la Libye un contrat de missile anti-char et en train de discuter d’un autre contrat relatif à un système de communication radio sécurisé. Mais Seïf el-Islam Kadhafi a alors précisé que le contrat signé n’était pas une contrepartie à la libération des infirmières et du médecin, ce qui a été confirmé par le président Sarkozy, qui a ajouté que le contrat était la conclusion de dix-huit mois de négociations entre EADS et Tripoli.

Les propositions de résolutions tendant à la création d’une commission d’enquête qui sont l’objet du présent rapport portent précisément sur les conditions de la libération des six Bulgares et les éventuelles contreparties accordées à la Libye par la France.

Selon l’exposé des motifs, la commission d’enquête demandée par la proposition de résolution du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés (n° 150) porterait « sur les conditions exactes de la libération des otages de Libye et sur les protocoles d’accord (mémorandum) entre la France et la Libye qu’a conclus le président de la République à Tripoli au lendemain de cette libération. La coïncidence entre les deux évènements, le flou et les déclarations contradictoires qui ont entouré le contenu de ces accords, mais aussi et peut être surtout la nature de la réconciliation de la France avec un régime qui fait bon marché des droits de l’homme et des règles internationales, méritent une information complète et impartiale des Français. »

La proposition de résolution de M. Alain Bocquet (n° 152) vise à « savoir à quoi s’est en fait engagé notre pays », alors que règne « le flou autour de cette affaire ». L’objet de la commission d’enquête serait un peu plus large que celui proposé par la résolution n° 150, dans la mesure où l’article unique de la résolution n° 152 inclut « les conséquences susceptibles de résulter » des accords conclus, quand celui de la résolution n° 150 se limite au contenu, à la portée et aux termes de la négociation des protocoles d’accord conclus.

Le ministre des affaires étrangères s’est expliqué sur cette affaire devant la commission des affaires étrangères (3) ; le Président de la République, son épouse et le secrétaire général de l’Elysée ont fait de même par voie de presse. Il n’y a pas de raisons objectives de mettre en question la véracité de leurs explications, mais le doute entretenu sur cette affaire n’est pas sain et il est important que l’Assemblée nationale utilise ses pouvoirs pour achever de le lever.

B – La création d’une commission d’enquête sur les conditions de libération des infirmières et du médecin est juridiquement possible

Selon les dispositions de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1110 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et les articles 140 et 141 du Règlement de notre Assemblée, la recevabilité d’une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête est soumise à deux conditions :

– la proposition doit déterminer avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission doit examiner la gestion ;

– les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution ne doivent pas faire l’objet de poursuites judiciaires.

Par ailleurs, l’article 144 du Règlement dispose qu’est irrecevable « toute proposition de résolution tendant à la constitution d’une commission d’enquête ayant le même objet qu’une mission effectuée dans les conditions prévues à l’article 145-1 ou qu’une commission d’enquête antérieure, avant l’expiration d’un délai de douze mois à compter du terme des travaux de l’une ou de l’autre ». Sur les faits visés par les deux propositions de résolution, l’Assemblée n’a effectué ni commission d’enquête ni mission pour l’exercice de laquelle le bénéfice des prérogatives attribuées aux commissions d’enquête a été demandé (4).

Pour ce qui est de la précision des faits qui donneraient lieu à enquête, les dispositifs des propositions de résolution ne posent pas de problèmes particuliers : il s’agit de faire toute la lumière sur les contreparties que la France aurait concédées à la Libye pour obtenir la libération des infirmières et du médecin, en particulier sur le contenu et la portée des protocoles d’accord signés peu de temps après celle-ci. La dimension « prospective » de la proposition de résolution n° 152 est plus gênante, car une commission d’enquête vise à examiner des faits passés – ce qui peut la conduire à élaborer des propositions destinées à éviter qu’ils se reproduisent – et non à spéculer sur l’avenir. Il conviendrait donc de gommer cette dimension pour que la proposition soit recevable au regard du critère de précision des faits.

L’article unique de la proposition de résolution n° 150 mentionne les « otages de Libye », expression impropre qui ne peut être conservée. Comme l’a expliqué M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes, lors de son audition sur ce sujet par notre commission, « le cas des infirmières n’était pas celui d’une prise d’otages, puisqu’il résultait du prononcé d’une décision judiciaire de condamnation à mort » (5). L’expression utilisée dans l’article de la proposition de résolution n° 152 (« des infirmières bulgares et du médecin palestinien détenus en Libye ») apparaît plus exacte, même s’il faudrait corriger la nationalité palestinienne attribuée au médecin, qui a obtenu la nationalité bulgare en juin dernier.

Le titre de la proposition de résolution –qui sera celui de la commission d’enquête si la proposition est adoptée– devrait aussi être précisé : celui de la proposition n° 150 mentionne les seules infirmières bulgares, et pas le médecin, et renvoie aux « accords franco-libyens » en général, quand le dispositif de la résolution proposée se limite aux accords récemment conclus entre les deux pays, les accords anciens n’ayant d’évidence aucun lien avec la libération des soignants bulgares.

L’absence de poursuites judiciaires sur les faits faisant l’objet des propositions de résolution a été confirmée au Président de l’Assemblée nationale par la garde des sceaux, ministre de la justice, le 29 août 2007 en ce qui concerne la proposition de résolution n° 150 et le 10 septembre 2007 pour ce qui est de la proposition de résolution n° 152.

Les deux propositions de résolution sont donc juridiquement recevables. Dans la mesure une seule proposition doit être adoptée, afin qu’une seule commission d’enquête soit constituée, votre Rapporteur estime que, sous réserve de quelques modifications de forme, la proposition n° 150 doit être préférée à la proposition n° 152, qui sera du même coup satisfaite.

CONCLUSION

Etant donné l’émotion qu’a suscitée la longue et injuste détention des infirmières et du médecin bulgares dans les prisons libyennes et les interrogations qui ont suivies leur libération, votre Rapporteur est favorable à la constitution d’une commission d’enquête parlementaire chargée de lever tous les doutes exprimés après leur libération.

Pour ce faire, il recommande l’adoption de la proposition de résolution n° 150, modifiée quant à sa forme sur trois points.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné les propositions de résolution n° 150 et n° 152 au cours de sa réunion du mercredi 10 octobre 2007.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a eu lieu.

Le Président Axel Poniatowski a remercié le rapporteur et a introduit la discussion générale en se prononçant en faveur de la création de la commission d’enquête, les autorités gouvernementales et le Président de la République s’y étant déclarés favorables.

M. Pierre Moscovici a souligné la qualité du rapport, clair, objectif et équilibré, ainsi que de la présentation qui en a été faite par le rapporteur. Il a déclaré que la démarche du groupe socialiste, radical de gauche et citoyen ne pouvait être qualifiée de procès d’intention. Souhaitant dissiper tout malentendu, il a affirmé très clairement que les membres du groupe se réjouissent de la libération des infirmières, de même qu’ils se réjouissent du rôle joué par la France. Il convient par ailleurs de conserver à l’esprit que face au régime libyen qui s’est rendu coupable d’une véritable prise d’otages, il convient de ne pas engager un revirement trop brusque de notre attitude.

Le champ de la commission d’enquête doit couvrir à la fois les conditions de la libération des infirmières et les contreparties, financières, militaires et politiques, qui ont été accordées. L’esprit dans lequel cette commission d’enquête travaillera doit être marqué par la sérénité. La commission cherchera à comprendre. Elle devra recevoir toutes les personnes susceptibles de l’éclairer et ses travaux devront recevoir une publicité suffisante.

Le Président Axel Poniatowski a indiqué que la plupart de ces points seraient discutés lors de la réunion constitutive de la commission d’enquête.

M. Jean-Marc Roubaud a exprimé les inquiétudes que lui inspirait l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui fait référence d’une part au manque « d’explications claires du Président de la République », sur ce dossier, d’autre part à la possibilité pour la commission d’enquête de s’interroger sur le champ de la coopération entre la France et la Libye. Ces éléments dépassent le cadre d’une commission d’enquête et devraient être supprimés.

M. Roland Blum, rapporteur, a insisté sur le fait qu’une commission d’enquête permettra de valoriser le pouvoir du Parlement, et que son champ devra s’étendre à la coopération franco-libyenne puisque l’évolution de cette dernière est en partie liée à la libération des infirmières et du médecin bulgares.

Par ailleurs, il a rappelé que le vote de la Commission ne porte que sur le dispositif de la proposition et pas sur l’exposé des motifs.

M. Jean-Marc Nesme a souligné que le Parlement n’avait pas à interférer dans le domaine de l’exécutif et a estimé que le Président de la République avait apporté les clarifications nécessaires. Plus fondamentalement, il est étonnant que le Parlement décide d’enquêter sur des actes ayant eu une issue favorable. Une telle démarche peut légitimement être considérée comme un procès d’intention. Par ailleurs, la publicité demandée pourrait ne pas convenir à certains des aspects d’une telle affaire. Il a conclu en considérant que la création de cette commission d’enquête n’était pas souhaitable.

Le Président Axel Poniatowski a indiqué que de nombreux commissaires partageaient ces interrogations, et se sont longtemps montrés réticents vis-à-vis de la création d’une commission d’enquête. Toutefois, les membres du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale se doivent de favoriser la plus totale transparence des activités du gouvernement.

M. Roland Blum, rapporteur, a également affirmé qu’il n’entrait pas dans les attributions du Parlement de contrôler l’action du Président de la République, dont le rôle positif et courageux dans la libération des infirmières et du médecin bulgares a été largement salué. Mais, opposer un refus à la demande de création d’une commission d’enquête serait faire montre, de la part du groupe majoritaire à l’Assemblée nationale, d’un esprit contraire au dialogue et à la transparence. La publicité des travaux de la commission d’enquête sera une preuve de transparence des actions menées dans cette affaire, et viendra conforter le rôle du Parlement.

M. François Rochebloine a rappelé que le plus important restait la libération des infirmières et du médecin. Le climat entourant ces débats, plus serein qu’il y a quelques semaines, permettra à une commission d’enquête d’obtenir des informations plus complètes. Le fait que le Président de la République ait approuvé, et même appelé de ses vœux, la création d’une telle commission d’enquête plaide fortement en faveur de l’adoption de la proposition de résolution.

M. Jean-Jacques Guillet a déclaré prendre la mesure des avantages et des inconvénients de la création d’une commission d’enquête. Il a demandé au rapporteur si, comme l’a suggéré à la radio M. Pierre Moscovici, il serait juridiquement possible pour les membres de la commission d’enquête de se rendre en Libye pour y auditionner les dirigeants de ce pays.

M. Roland Blum, rapporteur, a répondu que rien ne l’empêchait même si rien ne garantit que les autorités libyennes apporteront des éclaircissements sur les interrogations de la commission d’enquête.

M. Renaud Muselier a déclaré qu’il voterait en faveur de la création de la commission d’enquête, car il n’y a pas d’autre choix sur le plan politique. Pour autant, il a déploré que l’exposé des motifs de la proposition de résolution déposée par le groupe SRC s’apparente davantage à un procès en inquisition qu’à une commission d’enquête. Rappelant les nombreuses déclarations de responsables socialistes stigmatisant une libération suspicieuse, il s’est félicité des propos que venait de tenir M. Pierre Moscovici espérant qu’ils engagent également tous ses collègues socialistes sur l’état d’esprit objectif et impartial qui doit régner sur les travaux de la commission. M. Renaud Muselier a alors souhaité que la création de cette commission d’enquête soit l’occasion de promouvoir une approche positive en transformant un succès diplomatique exceptionnel pour relancer nos relations avec la Libye. Au-delà, il s’agit également de replacer les travaux de cette commission d’enquête dans le cadre de la réflexion sur la création d’une Union méditerranéenne. Il a alors demandé des précisions sur le calendrier d’installation de la commission et sur sa composition.

En réponse à M. Renaud Muselier, le Président Axel Poniatowski a indiqué qu’après le vote en commission des affaires étrangères, l’examen en séance publique aurait lieu ce jeudi 11 octobre après-midi. Si la commission d’enquête est créée, il appartiendra alors aux groupes politiques d’y désigner leurs représentants. La commission d’enquête sera composée de 30 membres, elle élira son bureau et désignera son rapporteur lors de sa réunion constitutive.

Mme Martine Aurillac, favorable à la création de la commission d’enquête, a néanmoins déclaré partager un certain nombre de réticences exprimées par ses collègues de la majorité. Il ne faudrait pas qu’à chaque fois qu’éclate une polémique, l’Assemblée nationale réponde par la création d’une commission d’enquête. Il est certes important de promouvoir la transparence, mais il est aussi des situations particulières qui peuvent justifier de déroger à ce principe.

M. Jean-Marc Roubaud a réitéré sa demande de modification de l’exposé des motifs de la proposition de résolution du groupe SRC pour y supprimer la référence au défaut d’explications claires du Président de la République. Car même si l’exposé des motifs est dépourvu de valeur juridique, sa publication officielle lui confère un écho certain. A défaut de modification, il a indiqué qu’il s’abstiendrait, bien qu’il soit pourtant favorable à la création de la commission d’enquête.

M. Roland Blum, rapporteur, s’est déclaré en accord avec M. Renaud Muselier pour que la commission d’enquête soit l’occasion de privilégier une approche positive, tant sur l’avenir des relations franco-libyennes qu’en ce qui concerne le projet d’Union méditerranéenne. Puis il a souhaité rassurer Mme Martine Aurillac en précisant qu’en l’espèce, c’est la nature très sensible du sujet qui justifie la création d’une commission d’enquête. En réponse à la demande de M. Jean-Marc Roubaud, il a indiqué qu’il n’était juridiquement pas possible de modifier l’exposé des motifs de la proposition de résolution qui, en tout état de cause, est dépourvu de toute valeur juridique.

Réagissant aux interventions de ses collègues, M. Pierre Moscovici a précisé qu’il ne s’agissait pas de faire du passé table rase. Au lendemain de la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien, l’opposition a posé des questions, parfois de façon dure, mais sans esprit de polémique. Il s’agit aujourd’hui d’éviter que ne s’installe un climat de suspicion qui conduirait inévitablement à l’échec. Il faut au contraire, comme l’ont souligné le rapporteur et le Président Axel Poniatowski, définir un état d’esprit constructif. Le meilleur moyen d’y parvenir est de prôner la transparence et la publicité des débats de la commission d’enquête.

*

La commission est ensuite passée à l’examen des amendements sur la proposition de résolution n° 150.

Article unique

M. Roland Blum, rapporteur, a présenté un premier amendement visant à remplacer le terme d’« otages » par l’expression « des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne détenus en Libye ». L’expression d’otages lui semble en effet impropre, comme M. Bernard Kouchner l’a indiqué au cours de son audition par la commission en juillet dernier, dans la mesure où les infirmières et le médecin étaient emprisonnés dans le cadre d’une procédure judiciaire et non détenus par des criminels. Par ailleurs, le médecin ayant obtenu la nationalité bulgare en juin 2007, il ne peut pas être qualifié de médecin palestinien, comme le fait la proposition de résolution de M. Bocquet, mais son origine palestinienne peut être mentionnée.

M. François Loncle a fait observer le M. Kouchner avait lui-même qualifié d’otages les six détenus au début de son audition par la commission, avant de se corriger.

Le rapporteur a indiqué que l’amendement opérait en quelque sorte la même correction.

La commission a adopté cet amendement.

Le rapporteur a ensuite présenté un deuxième amendement visant à clarifier la rédaction de la fin de l’article unique, sans modifier aucunement son sens.

La commission a adopté cet amendement.

Titre

Enfin, le rapporteur a proposé de modifier le titre de la proposition de résolution, qui deviendra celui de la commission d’enquête. Le titre proposé ne mentionne que les infirmières, et pas le médecin, et vise « les accords franco-libyens » en général. Il a estimé qu’il reflèterait mieux le contenu de la résolution s’il évoquait aussi le médecin –que l’on peut qualifier de bulgare, comme les infirmières, pour ne pas avoir un titre trop long– et s’il visait seulement les « récents » accords franco-libyens, puisqu’il ne s’agit évidemment pas d’étudier tous les accords conclus entre les deux pays depuis qu’ils ont des relations diplomatiques.

M. Pierre Moscovici a observé que, par souci de cohérence entre le texte de l’article unique et le titre de la proposition de résolution, il serait préférable de mentionner l’origine palestinienne du médecin.

Le rapporteur ayant insisté sur la nécessaire concision d’un titre et sur le fait que le médecin était à la fois bulgare et d’origine palestinienne et pouvait donc être qualifié à juste titre par sa nationalité ou par son origine, la Commission a adopté l’amendement.

Puis la commission a adopté la proposition de résolution n° 150 ainsi rédigée. En conséquence la proposition de résolution n° 152 est devenue sans objet.

*

La commission vous demande donc d’adopter la proposition de résolution dont le texte suit.

TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION
ADOPTÉE PAR LA COMMISSION

Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête
sur les conditions de libération des infirmières et du médecin bulgares
détenus en Libye et sur les récents accords franco-libyens

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres afin de connaître les conditions exactes de la libération des infirmières bulgares et du médecin d’origine palestinienne détenus en Libye, ainsi que le contenu et la portée des protocoles d’accord conclus par la France avec la Libye, et les termes de leur négociation.

© Assemblée nationale

1 () Rapport fait par M. François Loncle, au nom de la commission des affaires étrangères, sur le projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et de prévenir l’évasion fiscale, XIIème législature, n° 3665 du 6 février 2007.

2 () Celui-ci a obtenu la nationalité bulgare le 19 juin 2007.

3 () Compte-rendu de la réunion du 31 juillet 2007 de la commission des affaires étrangères, session extraordinaire de 2006-2007, n° 10.

4 () Article 145-1 du règlement de l’Assemblée nationale.

5 () Compte-rendu de la réunion du 31 juillet 2007 de la commission des affaires étrangères, session extraordinaire de 2006-2007, n° 10.