N° 892
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mai 2008.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 820) de modernisation des institutions de la Ve République,
PAR M. Jean-Luc WARSMANN,
Député.
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Voir les numéros : 881, 883, 890.
A. UNE RÉPUBLIQUE QUI N’EST PAS RESTÉE MONOLITHIQUE 11
1. La nécessaire préservation des acquis de la Ve République 11
2. Le suffrage populaire, l’État de droit, l’Europe et la décentralisation 15
B. UNE RÉPUBLIQUE QUI MÉRITE D’ÊTRE MODERNISÉE 20
1. Un Parlement, pour quoi faire ? 21
2. Une meilleure participation des citoyens, comment faire ? 33
a) La désaffection persistante des Français pour la vie publique 33
b) La recherche inaboutie d’une meilleure implication des citoyens 34
II. — LA RÉVISION DE 2008 : NÉCESSAIRE, COHÉRENTE, AMBITIEUSE 36
A. LA PRÉSERVATION DES FONDEMENTS DU RÉGIME 37
1. Les risques inutiles de l’aventure constitutionnelle 37
2. Le maintien de l’alliance du pouvoir incarné et du pouvoir représentatif 39
B. LES MOYENS DE LA MODERNISATION 43
1. Un Parlement pour restaurer la force de la loi et équilibrer le pouvoir exécutif 43
a) Un pouvoir exécutif tempéré et un pouvoir législatif revalorisé 44
b) Une procédure législative réformée en profondeur 47
c) Une fonction de contrôle reconnue dans sa plénitude 51
d) Une place garantie à l’opposition 54
2. Un État de droit pour renforcer la place du citoyen 59
a) Un accès des citoyens à la justice constitutionnelle assuré 59
b) Une autorité judiciaire raffermie 63
c) Un Conseil économique et social modernisé 65
d) Un Défenseur des droits des citoyens institué 66
AUDITION DE MME RACHIDA DATI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE
DE LA JUSTICE, ET DE M. ROGER KAROUTCHI, SECRÉTAIRE D’ÉTAT CHARGÉ DES RELATIONS AVEC LE PARLEMENT 69
AUDITION DE M. ÉDOUARD BALLADUR, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE RÉFLEXION ET DE PROPOSITION SUR LA MODERNISATION ET LE RÉÉQUILIBRAGE DES INSTITUTIONS DE LA Ve RÉPUBLIQUE 87
EXAMEN DES ARTICLES DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE 93
Avant l’article 1er 93
Article 1er (art. 4 de la Constitution) : Statut de l’opposition 105
Article 2 (art. 6 de la Constitution) : Limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs 122
Après l’article 2 126
Article 3 (art. 8 de la Constitution) : Composition du Gouvernement 126
Après l’article 3 133
Article 4 (art. 13 de la Constitution) : Consultation d’une commission composée
de parlementaires sur les nominations 136
Article 5 (art. 16 de la Constitution) : Contrôle du Conseil constitutionnel sur les conditions de mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels 148
Article 6 (art. 17 de la Constitution) : Droit de grâce 154
Article 7 (art. 18 de la Constitution) : Déclaration du Président de la République
au Parlement 160
Article 8 (art. 21 de la Constitution) : Clarification du rôle du Premier ministre en matière de défense nationale 169
Article additionnel après l’article 8 (art. 23 de la Constitution) : Incompatibilité entre fonction ministérielle et fonction exécutive locale 177
Article 9 (art. 24 de la Constitution) : Missions et composition du Parlement 178
Après l’article 9 208
Article 10 (art. 25 de la Constitution) : Retour des ministres au Parlement et délimitation des circonscriptions électorales 209
Après l’article 10 230
Article additionnel après l’article 10 (art. 33 de la Constitution) : Publicité des auditions réalisées par les commissions parlementaires 230
Article 11 (art. 34 de la Constitution) : Domaine de la loi 235
Article 12 (art. 34-1 [nouveau] de la Constitution) : Vote de résolutions par les assemblées parlementaires 241
Article 13 (art. 35 de la Constitution) : Information et contrôle du Parlement sur l’intervention des forces armées à l’étranger 253
Après l’article 13 266
Article 14 (art. 39 de la Constitution) : Avis du Conseil d’État sur les propositions de loi 268
Après l’article 14 276
Article 15 (art. 41 de la Constitution) : Protection du domaine législatif 277
Article 16 (art. 42 de la Constitution) : Engagement de la discussion législative sur le texte de la Commission 294
Article 17 (art. 43 de la Constitution) : Nombre de commissions permanentes 315
Article 18 (art. 44 de la Constitution) : Exercice du droit d’amendement 323
Article 19 (art. 45 de la Constitution) : Conditions de mise en œuvre de la procédure d’urgence 351
Article 20 (art. 46 de la Constitution) : Délai d’examen des projets et propositions de loi organique 356
Après l’article 20 359
Article 21 (art. 47, 47-1 et 47-2 [nouveau] de la Constitution) : Missions de la Cour des comptes 360
Article 22 (art. 48 de la Constitution) : Fixation de l’ordre du jour 368
Après l’article 22 389
Article 23 (art. 49 de la Constitution) : Engagement de la responsabilité du Gouvernement 390
Article additionnel après l’article 23 (art. 50-1 [nouveau] de la Constitution) : Déclaration du Gouvernement à caractère thématique 398
Article 24 (art. 51-1 [nouveau] de la Constitution) : Droits des groupes parlementaires 398
Article 25 (art. 56 de la Constitution) : Composition du Conseil constitutionnel 418
Après l’article 25 423
Article 26 (art. 61-1 [nouveau] de la Constitution) : Question préjudicielle de constitutionnalité 423
Article 27 (art. 62 de la Constitution) : Conséquence d’une inconstitutionnalité prononcée en réponse à une question préjudicielle 443
Après l’article 27 444
Article 28 (art. 65 de la Constitution) : Conseil supérieur de la magistrature 445
Article additionnel après l’article 28 (titre XI de la Constitution) : Intitulé du titre relatif au Conseil économique et social 460
Article 29 (art. 69 de la Constitution) : Saisine du Conseil économique et social par voie de pétition 460
Article 30 (art. 70 de la Constitution) : Compétence du Conseil économique et social en matière environnementale 463
Article additionnel après l’article 30 (art. 71 de la Constitution) : Coordination 466
Article additionnel après l’article 30 (art. 71 de la Constitution) : Nombre maximal
de membres du Conseil économique, social et environnemental 466
Article 31 (titre XI bis [nouveau] et art. 71-1 [nouveau] de la Constitution) : Défenseur des droits des citoyens 467
Après l’article 31 474
Article 32 (art. 88-4 de la Constitution) : Suivi parlementaire des activités de l’Union européenne 476
Article 33 (art. 88-5 de la Constitution) : Procédure d’autorisation de ratification
des traités portant élargissement de l’Union européenne 504
Après l’article 33 510
Article 34 : Entrée en vigueur 510
Article 35 (art. 88-4 et 88-5 de la Constitution ; art. 4 de la loi constitutionnelle n° 2005-204 du 1er mars 2005 modifiant le titre XV de la Constitution et art. 2 de la loi constitutionnelle n° 2008-103 du 4 février 2008 modifiant le titre XV de la Constitution) : Prise en compte de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne 514
TABLEAU COMPARATIF 519
ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF 545
AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 547
ANNEXES 579
La Constitution du 4 octobre 1958, approuvée par près de 83 % des suffrages exprimés lors du référendum organisé le 28 septembre, aura bientôt un demi-siècle d’existence. Elle a fait entrer la France dans une période de stabilité sans précédent dans son histoire institutionnelle si riche en soubresauts, en surprises et, parfois, en revers. Truisme que de constater que cette stabilité est d’autant plus remarquable que les évolutions culturelles, sociales, économiques, internationales ne laissent de donner l’impression de s’accélérer.
Cette accélération n’est cependant pas sans conséquence sur nos institutions, qui méritent d’être modernisées.
Fort de ce constat et répondant aux engagements pris devant les Français durant la campagne pour l’élection présidentielle des 22 avril et 6 mai 2007, le Président de la République, le 12 juillet 2007, dans son discours fondateur d’Épinal (1), a prôné l’avènement d’une démocratie irréprochable et annoncé, dans un même mouvement, la mise en place d’un « comité qui associera des hommes politiques, des juristes, des intellectuels, auxquels je demanderai de réfléchir ensemble et me faire des propositions d’ici au 1er novembre pour que notre République devienne irréprochable. Pour que nos institutions soient adaptées aux exigences de la démocratie du XXIe siècle, qui ne sont pas celles du XIXe, ni celles d’il y a cent ans, ni celles d’il y a cinquante ans. »
Ainsi, a été créé par un décret du 18 juillet 2007 ((2), sous la présidence de M. Édouard Balladur, le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, composé de treize membres, issus de tous les courants de pensée, d’horizons différents et complémentaires (3). Sur le fondement d’une lettre de mission du Président de la République en date du même jour, ayant procédé à un travail approfondi d’analyse complété par de très nombreuses auditions, le Comité remit son rapport le 29 octobre 2007, après trois mois et demi d’analyses, d’auditions et de rédaction (4).
Dans une lettre du 12 novembre adressée au Premier ministre, le Président de la République a fait connaître les suites qu’il entendait donner aux soixante-dix-sept propositions formulées par ce comité. Dans le même temps, il l’a chargé de conduire auprès des différentes forces politiques les consultations nécessaires pour recueillir le plus large accord possible sur un projet de révision de la Constitution.
À l’Assemblée nationale, lors de la séance des questions d’actualité qui a immédiatement suivi la remise du rapport du « comité Balladur », le Premier ministre a ainsi fort opportunément rappelé que « les institutions serviront à plusieurs majorités » (5). Il a communiqué au Président de la République le résultat de ces consultations le 15 décembre 2007. Après de nouvelles discussions, un avant-projet de loi a été transmis au Conseil d’État le 20 mars dernier. Le présent projet de loi constitutionnelle a été adopté en Conseil des ministres le 23 avril et déposé immédiatement sur le bureau de notre Assemblée.
Certes, le temps qui nous est imparti peut sembler relativement court, compte tenu des enjeux. Mais qui nierait que les questions sont posées depuis des années, voire des décennies ? Qui ne reconnaîtrait pas que toutes les solutions ont été proposées depuis des mois, en particulier au cours de la campagne de l’élection présidentielle et de la campagne des élections législatives, et ce, par tous les candidats ? Qui oublierait les travaux du comité présidé par M. Édouard Balladur, qui se sont déroulés en toute transparence, comité dont la composition même et le large consensus que ses conclusions ont recueilli parmi ses membres empêchent de qualifier de partial et de partisan ? Enfin, le rapporteur a pu procéder à de très nombreuses auditions ouvertes à tous les députés (6), au-delà des seuls membres de la commission des Lois, ainsi qu’à la presse. Le temps est venu pour le constituant de décider, de choisir parmi les différentes options.
Comme le soulignait M. Maurice Duverger en 1961, « si l’on néglige les plans mirifiques ou naïfs qui correspondent à la science politique-fiction ou aux inventions du concours Lépine, pour s’en tenir aux seules solutions sérieuses, il faut bien constater que celles-ci sont rares » (7). Rappelons qu’en 1958, entre la loi du 3 juin (8) qui lançait le processus et la promulgation de la Constitution elle-même, le 4 octobre, quatre mois seulement – trois si l’on considère le seul temps d’élaboration – se sont écoulés et l’ampleur de la tâche était sans nul doute incomparable. Le président du Groupe socialiste au Sénat lui-même, M. Jean-Pierre Bel, dans ses propositions de réforme institutionnelle adressées à la candidate socialiste à la dernière élection présidentielle, préconisait l’organisation, « dans le cadre du régime parlementaire majoritaire dont le chef de l’État demeure la clef de voûte », d’un référendum dès le mois de septembre 2007 (9).
Sur le fond, le « comité Balladur » a fait trois constatations. En premier lieu, il a déduit de la présidentialisation du régime et du « parlementarisme rationalisé » (10), que « le rééquilibrage des institutions passe d’abord, dans le cadre du régime tel qu’il fonctionne aujourd’hui, par un accroissement des attributions et du rôle du Parlement ». En deuxième lieu, il a relevé « la nécessité, apparue du fait de la survenance des expériences dites de " cohabitation ", de clarifier les attributions respectives du Président de la République et du Premier ministre ». Enfin, il a estimé que « les institutions de la Ve République ne reconnaissent pas aux citoyens des droits suffisants ni suffisamment garantis ».
À partir de ce triple constat, pour moderniser et rééquilibrer les institutions de la Ve République, le comité constitutionnel a proposé à la fois de mieux contrôler l’exécutif, de renforcer le Parlement et d’accorder aux citoyens des droits nouveaux. Ce triptyque rejoint largement celui dessiné avant lui par le comité présidé par le doyen Vedel (11) − un exécutif mieux défini, un Parlement plus actif, un citoyen plus présent −, montrant ainsi la permanence des difficultés que rencontrent nos institutions. Mais, quinze ans après le « comité Vedel », le consensus parmi les membres du comité constitutionnel présidé par M. Édouard Balladur a sans doute été encore plus fort.
La stabilité nécessaire pour dépasser les limites du « Parlement gouvernant » de la IVe République a été obtenue au prix de contraintes très fortes sur le pouvoir législatif, incarné par un « parlementarisme rationalisé » devenu progressivement un « parlementarisme corseté ». Analysant les fondements de la Constitution de 1958, l’historien peut relever que « jamais sans doute, au cours de deux siècles d’histoire du parlementarisme pourtant riche d’innovations constitutionnelles, on n’a vu une telle débauche de moyens mis au service de la suprématie du pouvoir " exécutif ", une telle combinaison d’instruments de discipline parlementaire » (12). Analysant la pratique, il constate qu’en tendance l’arbitrage ministériel a remplacé la délibération parlementaire (13).
Or, compte tenu de l’évolution de notre société et des démocraties qui nous entourent, certaines de ces contraintes ne peuvent plus être acceptées. C’est l’objectif du présent projet de loi constitutionnelle que d’y remédier. Réviser sans bouleverser, moderniser sans nier, adapter sans détruire, tels sont les principes qui doivent gouverner notre assemblée dans son œuvre constituante.
En matière de réforme institutionnelle, il paraît sans doute plus facile de brandir l’étendard de la révolution, idée bien française selon laquelle la solution de tous les problèmes politiques, économiques et sociaux se trouve dans le changement de Constitution. Certains utilisent ainsi le discours de la réforme constitutionnelle comme une force symbolique, manifestation suprême de la volonté politique, capable de fonder tous les changements. Une telle croyance justifierait mille fois de changer le numéro de la République. Mais il s’agit là seulement d’une croyance.
La réalité est toute autre. Notre République éprouve certains dysfonctionnements. Chacun les connaît et les reconnaît. Si la République a changé depuis cinquante ans – il suffit de rappeler le chapelet des révisions pour s’en convaincre –, elle n’a pas connu de « mise à jour » globale qui suspende, pour un temps, le cours des choses et permette de faire le point et de présenter des remèdes efficaces aux difficultés que peut subir le jeu de nos institutions. C’est cet exercice qu’il nous est proposé aujourd’hui de faire.
La présente révision n’est ni une fin en soi ni un moyen suffisant. Elle doit se lire non seulement dans un contexte général de réforme profonde de l’État (14), mais surtout comme le point de départ de modifications qui nécessiteront d’adapter, parfois de manière substantielle, la loi organique, la loi et les règlements des assemblées, et qui permettront de prendre la mesure exacte de ce qu’impliquent les changements constitutionnels proposés. Pour reprendre la formule de Royer-Collard, « les Constitutions ne sont pas des tentes faites pour le sommeil » (15). Cela implique également un changement dans les pratiques. Selon la formule du Général de Gaulle, utilisée lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, « une Constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique ». L’esprit qui était alors évoqué doit rester le même : il « procède de la nécessité d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité ». Les institutions doivent être adaptées. La pratique, telle qu’elle s’est construite, gouvernement après gouvernement, décennie après décennie, devra être changée.
Née dans la crise, la Ve République, en perdurant, a acquis sa force et sa légitimité, donnant à tous les acteurs politiques les moyens d’exercer leurs responsabilités. Si sa Constitution a été régulièrement aménagée, ces modifications n’ont pas permis de palier certains manques ou de corriger certains déséquilibres.
La Constitution du 4 octobre 1958 est classée de manière traditionnelle parmi les Constitutions rigides. En effet, sa procédure de révision, fixée dans son article 89, impose l’addition d’un accord entre les deux assemblées et d’un référendum, lorsqu’il s’agit d’une proposition de révision, du même accord entre les deux assemblées et soit d’un Congrès qui se prononce à la majorité qualifiée, soit d’un référendum, lorsqu’il s’agit d’un projet de révision.
Paradoxalement, cette rigidité n’a empêché ni une grande souplesse dans la pratique, ni un nombre de révisions – vingt-trois – important depuis 1958 (16). Nonobstant, les principes fondateurs de la Ve République ont été préservés.
Il n’est pas inutile de le rappeler, cinquante ans après. La Ve République est née d’abord de l’échec de la IVe République. Cette dernière, qui n’a pas résisté à l’élargissement de l’espace public, ne parvenait pas non plus à assurer la stabilité du Gouvernement. Un observateur patenté pouvait ainsi en constater le décès : « la IVe République n’a été en réalité ni renversée ni abattue. L’anémie pernicieuse, l’espèce de leucémie dont elle souffrait depuis longtemps, ne lui laissait plus la force de réagir. Le char de l’État n’était pas seulement embourbé. À l’instant critique sa lourde masse demeurait immobile, paralysée, les commandes ne répondant plus, les engrenages tournant dans le vide. » (17)
À l’instabilité des gouvernements s’ajoutait l’instabilité de leur chef. De sa naissance à sa mort, en douze ans, la IVe République aura connu vingt-cinq gouvernements, soit environ un tous les six mois, pour dix-huit présidents du Conseil différents, quand la Ve République en a connu trente-quatre en cinquante ans, soit un tous les dix-huit mois environ, pour dix-neuf Premiers ministres différents (18).Sous la IIIe République, l’instabilité était déjà décriée. Quarante-six gouvernements se succédèrent de janvier 1920 à juin 1940, avec une durée moyenne inférieure à six mois.
Le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, lors du discours d’Épinal du 12 juillet 2007, a fait la même analyse : « Le régime des partis revint avec le régime d’assemblée. La IVe République ressuscita ce qu’il y avait de pire dans la IIIe. On sait comment cela se termina. Derrière l’énergie française qui accomplit en un temps record le miracle de la reconstruction, derrière la mise en place de ce nouveau contrat social que les hommes du Conseil National de la Résistance avaient imaginé, derrière tant d’ardeur, tant de courage, tant de travail français, le régime armait la machine infernale qui pouvait une fois de plus placer le pays au bord du gouffre.
« 1958, ce fut une fois encore moins la défaillance des hommes que l’aboutissement de la longue crise institutionnelle qui n’avait pratiquement pas cessé depuis que la IVe République avait commencé. (…) Il faut avoir la mémoire bien courte ou la haine viscérale de l’État et de la République pour éprouver de la nostalgie pour ce régime d’impuissance où les gouvernements se trouvaient renversés aussitôt qu’ils étaient formés. »
L’éclipse à la fois régulière et impromptue du pouvoir exécutif, particulièrement dommageable lorsque la République a dû faire face à des questions aussi graves que les crises indochinoise et algérienne (19), a ainsi précédé, sans interruption constitutionnelle – fait quasi inédit dans l’histoire institutionnelle française (20) – une période marquée par la stabilité, seule susceptible d’assurer la continuité de la vie républicaine, face à des événements tout aussi graves. Le fondateur de la Ve République en a fait une description à la fois juste et haute en couleurs.
LES ERREMENTS DE LA IVe RÉPUBLIQUE Pendant douze ans, leur système fit donc, une fois de plus, ses preuves. Tandis que se nouait et se dénouait sans relâche dans l’enceinte du Palais-Bourbon et dans celle du Luxembourg l’écheveau des combinaisons, intrigues et défections parlementaires, alimentées par les motions des congrès et des comités, sous les sommations des journaux, des colloques, des groupes de pression, dix-sept présidents du Conseil, constituant vingt-quatre ministères, campèrent tour à tour à Matignon. (…) tous hommes de valeur et, à coup sûr, qualifiés pour les affaires publiques – six d’entre ces dix-sept (1) avaient été ministres, quatre le seraient plus tard – mais successivement privés, par l’absurdité du régime, de toute réelle emprise sur les événements. Combien de fois, les voyant se débattre loin de moi dans l’impossible, me suis-je attristé de ce gaspillage ! Quoi que chacun d’eux pût tenter, le pays et l’étranger assistaient donc au spectacle scandaleux de « gouvernements » formés à force de compromis, battus en brèche de toutes parts à peine étaient-ils réunis, ébranlés dans leur propre sein par les discordes et les dissidences bientôt renversés par un vote qui n’exprimait, le plus
Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir. Le renouveau 1958-1962, in Mémoires, Paris, Gallimard, 2000 (1970 pour l’édition originale), pages 885 et 886. |
(1) Le Général refuse d’être classé parmi les « anciens présidents du Conseil », mais intègre à sa liste Félix Gouin, Georges Bidault et Léon Blum qui furent après lui, en 1946-1947, présidents du Gouvernement provisoire et, comme lui, à la fois chefs d’État et de gouvernement. |
A contrario la qualité de stabilité des institutions de la Ve République est d’abord incarnée par le Président de la République, qui, en application du premier alinéa de l’article 5 de la Constitution, « assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État ». Dans le droit et dans les faits, le Président de la République occupe ainsi une place originale, qui distingue notre régime. Ainsi que le soulignait M. Maurice Duverger, dès 1961, avant même que le Président ne soit élu au suffrage universel direct, « la situation du chef de l’État de la Constitution de 1958 repose sur une contradiction fondamentale. S’il a réellement du prestige et de l’autorité, il ne se confinera point dans ce rôle de Père éternel, regardant de très loin le cours normal des actions humaines, descendant du Ciel à des moments exceptionnels pour donner la chiquenaude qui remet les choses en place, puis reprenant ensuite sa position confortable de Dieu fainéant. Il voudra s’occuper effectivement des affaires, c’est-à-dire gouverner. » (21)
C’est précisément cette contradiction fondamentale, mais non dirimante, qui a été assumée par tous les Présidents de la République depuis 1958, que légitime l’élection directe du chef de l’État par le peuple et qui permet au pays d’être conduit et dirigé, à travers les aléas de la vie nationale et les crises internationales. Cité par Alain Peyrefitte, le Général de Gaulle soulignait dès le 12 septembre 1962 que les institutions « ont fait leurs preuves. Avec elles, nous avons traversé des drames qui auraient emporté dix fois les précédentes Républiques » (22). Durant toutes ces épreuves, les Premiers ministres ont pu demeurer en place jusqu’à la résolution de la crise.
Le pari d’un équilibre entre régime d’assemblée et régime présidentiel lancé par Michel Debré, dans son discours du 27 août 1958 de présentation du projet de nouvelle Constitution au Conseil d’État, a réussi : « À la confusion des pouvoirs dans une seule assemblée, à la stricte séparation des pouvoirs avec priorité au chef de l’État, il convient de préférer la collaboration des pouvoirs – un chef de l’État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second ». Cette originalité est bien apparue au fil du temps. Elle mérite d’être conservée. Dès 1963, la question constitutionnelle a été posée par le dépôt d’une série de propositions de loi, dont l’examen a révélé cette double nature du régime, alors mal acceptée, les uns voulant tirer la Constitution vers le régime présidentiel, les autres souhaitant l’avènement d’un régime parlementaire plus net (23).
Le régime a survécu au départ de son fondateur, les alternances politiques ont pu intervenir sans bouleversement institutionnel. Cette continuité institutionnelle a été scellée lors de l’élection de François Mitterrand à la Présidence de la République en 1981, alors même que celui-ci avait résolument fait campagne contre l’adoption de la Constitution et fut l’auteur, en 1964, d’un essai intitulé Le coup d’État permanent. Mais il est vrai aussi qu’il avait été candidat à la première élection du Président de la République au suffrage universel direct et qu’il avait affirmé, lors d’un entretien donné à la revue Pouvoirs, qu’il n’était pas opposé à l’utilisation de l’article 11 de la Constitution pour une révision constitutionnelle, utilisation à laquelle le Général de Gaulle recourut en 1962 et en 1969 (24).
La Constitution, interprétée dans sa lettre, a également résisté à trois périodes dites « de cohabitation », caractérisées par un Président de la République et une Assemblée nationale issus de majorités différentes, entre mars 1986 et mai 1988, entre mars 1993 et mai 1995 et entre juin 1997 et mai 2002 (25).
Faisant preuve de sa solidité et de sa plasticité, résistant à tous les carcans, ne se laissant enfermer dans aucune définition sclérosante, la Constitution de 1958, loin de devenir une « vache sacrée » – expression utilisée par Maurice Duverger pour désigner le régime présidentiel ou le régime d’assemblée et dire la rigidité de ces modèles auxquels la réalité devrait, selon certains, se conformer en toutes circonstances (26) –, a su répondre aux deux exigences de la légitimité et de l’efficacité.
L’expérience française reposait sur trois principes : seule la première chambre du Parlement était élue au suffrage universel direct ; le Président de la République était élu par le Parlement et le président du Conseil, désigné par le chef de l’État, était investi par l’assemblée élue au suffrage universel ; le système de partis était impuissant à répercuter clairement le choix des électeurs effectué à l’occasion des élections législatives sur la composition et la direction du Gouvernement. Ce dernier inconvénient a aussi été surmonté par la Constitution de 1958.
Si l’esprit qui anime la Ve République est resté le même et mérite d’être conservé – il a apporté la stabilité et autorisé l’alternance –, les pratiques ont pu être adaptées et de nombreuses modifications du texte constitutionnel lui-même, sans qu’il soit nécessaire d’évoquer son enrichissement par la lecture qui en a été faite par le Conseil constitutionnel, ont permis de prendre acte de plusieurs évolutions majeures.
Avec vingt-trois révisions, la Constitution du 4 octobre 1958 est la Constitution française qui a été le plus fréquemment modifiée. Avant elle, les dix Constitutions qui l’ont précédée n’ont été « amendées » que quinze fois. Ainsi la Constitution de 1799 dite de « l’an VIII » a été révisée à deux reprises, celle du 14 janvier 1852 sept fois (27), les textes de 1875 quatre fois et la Constitution du 27 octobre 1946 à deux reprises (28). Encore faut-il tenir compte du fait que deux révisions, celles des 18 mai 1804 et 7 novembre 1852, avaient transformé la République en Empire, et que deux autres, celles du 10 juillet 1940 et du 3 juin 1958, avaient pris la forme de lois de délégation du pouvoir constituant ayant mis fin à la République en place.
Le constituant de la Ve République n’est pas resté insensible, pendant cinquante ans, aux nécessités de son temps et a pu adapter, régulièrement et par touches successives, le texte constitutionnel. Aussi a-t-il pris en compte le besoin d’asseoir et de renouveler plus fréquemment la légitimité du Président de la République en adéquation avec les pouvoirs que lui conférait la Constitution. Il a également assimilé les progrès qu’appelait l’approfondissement de l’État de droit ou encore les modifications que réclamait le processus d’intégration européenne ou la mise en œuvre d’un pouvoir décentralisé.
En 1958, le Président de la République était élu pour sept ans par un collège électoral restreint. Aujourd’hui, il est élu pour cinq ans directement par le peuple. La loi du 6 novembre 1962 (29), adoptée par référendum organisé sur le fondement de l’article 11 de la Constitution, a, en effet, substitué au système initial d’élection du chef de l’État par un collège de « grands électeurs » (30) le suffrage universel direct, tandis que la loi constitutionnelle du 2 octobre 2000 (31), elle aussi adoptée par référendum, le 24 septembre 2000, mais sur le fondement de l’article 89 de la Constitution, a remplacé le septennat par le quinquennat. Ainsi, la première loi réalise l’esprit de la Constitution, autour d’un pouvoir exécutif fort et d’un chef de l’État restauré, pour reprendre les termes du discours de Bayeux du 16 juin 1946, tandis que la seconde, accompagnée d’une inversion du calendrier électoral (32), tire les conséquences des aléas de la cohabitation entre deux majorités, présidentielle et à l’Assemblée nationale, distinctes.
L’institution parlementaire elle-même a vu ses conditions de travail modifiées. En 1958, le Parlement siégeait six mois par an en deux sessions séparées. En 2008, il siège neuf mois en session continue à laquelle il n’est pas rare que s’ajoutent des sessions extraordinaires. Il faut se souvenir qu’avant 1958, les assemblées étaient, sur la base d’une durée minimale des sessions inscrite dans la Constitution, libres de fixer leurs sessions et que même le Président de la République ne pouvait les convoquer en session extraordinaire (33). Par ailleurs, la loi constitutionnelle du 4 août 1995 (34) a réservé une séance par mois à un ordre du jour fixé par chaque assemblée et modifié le régime de l’inviolabilité parlementaire pour permettre que des poursuites soient engagées contre un parlementaire, pendant la durée des sessions sans autorisation préalable de l’assemblée concernée, l’arrestation ou le placement sous contrôle judiciaire devant être autorisé par son Bureau. Auparavant, une réforme importante du Règlement de l’Assemblée nationale lui avait permis, en janvier 1994, de rééquilibrer le travail législatif au profit des commissions permanentes, de rationaliser l’emploi du temps des députés grâce à la suppression de la séance du vendredi, mais aussi de modifier la procédure des questions au Gouvernement avec la suppression du dépôt préalable du thème des questions et l’instauration du principe de brièveté des questions et des réponses, d’adapter les conditions de recevabilité des amendements en séance et de renforcer le rôle de la délégation pour les Communautés européennes.
En 1958, le référendum était circonscrit à des sujets limités à la vie de l’État. Aujourd’hui, il peut être utilisé, par l’effet de la loi constitutionnelle du 4 août 1995 précitée, sur des questions de politique économique et sociale et les services publics qui y concourent (35).
En 1958, le Parlement n’avait pas compétence sur le budget de la sécurité sociale. En 2008, grâce à la loi constitutionnelle du 22 février 1996 (36) qui a révisé les articles 34 et 39 et introduit un article 47-1 dans la Constitution, il vote les lois de financement de la sécurité sociale. Grâce à la loi organique du 2 août 2005 (37), il discute des prélèvements sociaux, ce débat pouvant être concomitant du débat prévu à l’article 48 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF) (38).
En 1958, le Conseil constitutionnel ne pouvait être saisi que par un nombre très limité d’autorités – le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’une ou l’autre assemblée – et sa compétence était essentiellement envisagée dans le cadre de l’examen du respect des domaines normatifs respectifs du Parlement et du Gouvernement. Désormais, il peut être saisi par la minorité parlementaire et la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ainsi que le préambule de la Constitution de 1946 font partie des normes de référence.
En effet, d’une part, la loi constitutionnelle du 29 octobre 1974 a permis à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article 61 (39), afin qu’il se prononce sur la conformité à la Constitution d’un projet ou d’une proposition de loi. La loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a ouvert la même possibilité sur le fondement de l’article 54, afin de vérifier la conformité à la Constitution d’un engagement international (40).
En 1971, dans sa décision fondatrice Liberté d’association, le Conseil constitutionnel a contrôlé la conformité d’une loi aux dispositions du préambule de 1946 et en a utilisé expressément le contenu en faisant référence aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », au nombre desquels il a rangé la liberté d’association (41). En 1973, il a déclaré contraire à la Constitution une disposition d’une loi de finances qui portait atteinte au principe de l’égalité devant la loi contenu dans la Déclaration des droits de l’homme et des citoyens de 1789 (42).
Au registre des progrès de l’État de droit, il faut aussi mentionner le fait qu’en 1958, la France appliquait la peine capitale et qu’en 2008, l’interdiction de celle-ci figure au rang des principes protégés par notre Constitution (43).
En 1958, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) était une institution dont tous les membres étaient nommés par le Président de la République et qui n’avait qu’un pouvoir consultatif. En 2008, le Président ne nomme plus qu’un membre sur seize et le Conseil possède un pouvoir de décision sur la nomination de tous les magistrats du siège (44). La loi constitutionnelle du 27 juillet 1993 a ainsi révisé les articles 65 et 68 de la Constitution et introduit les articles 68-1, 68-2 et 93 dans la Constitution, son objet principal étant de modifier la composition et les pouvoirs du CSM et d’instituer une Cour de justice de la République devant laquelle peuvent être poursuivis les ministres pour les crimes ou délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions.
En 1958, l’Europe était absente de la Constitution. En 2008, un titre entier, le titre XV, lui est consacré. Cette prise en compte du phénomène européen s’est faite progressivement.
La loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a pris en considération le traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992 (45). Elle a autorisé, notamment, les transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’Union économique et monétaire européenne ainsi qu’à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures des États membres de la Communauté européenne. Elle a prévu que le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux citoyens de l’Union résidant en France. Elle a mis en place une procédure qui permet aux assemblées de voter des résolutions sur les propositions d’actes communautaires de nature législative qui doivent leur être soumises par le Gouvernement dès leur transmission au Conseil des Communautés.
La mise en œuvre des accords de Schengen a également nécessité une révision préalable de la Constitution, opérée par la loi du 25 novembre 1993 (46). En effet, saisi en application de l’article 61 de la Constitution de la loi relative à la maîtrise de l’immigration, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 13 août 1993 (47), par la réserve d’interprétation qu’il a faite d’une disposition de ladite loi relative à l’examen de la situation des demandeurs d’asile, a révélé l’existence d’un hiatus entre les obligations constitutionnelles et l’application desdits accords.
Selon la même logique, la loi constitutionnelle du 25 janvier 1999 (48) a introduit les modifications préalables nécessaires à la ratification du traité d’Amsterdam, signé le 2 octobre 1997, qui permet des transferts de compétences dans le domaine de la libre circulation des personnes. Motivée, après un avis du Conseil d’État en date du 26 septembre 2002, par la transposition de la décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen du 13 juin 2002, la révision du 25 mars 2003 a permis de constitutionnaliser la participation française au mécanisme du mandat d’arrêt européen (49).
La loi constitutionnelle du 1er mars 2005 (50) a introduit une nouvelle rédaction du titre XV de la Constitution relatif à l’Union européenne pour tenir compte de l’entrée en vigueur du traité établissant une Constitution pour l’Europe, qui fut refusée par le peuple français, tout en ajoutant un article 88-5 imposant l’organisation d’un référendum lors des élargissements susceptibles de suivre l’adhésion à l’Union européenne de la Croatie. Récemment, le Congrès a adopté, le 4 février 2008, un projet de loi de loi constitutionnelle permettant d’ouvrir la voie à la ratification, intervenue quelques jours plus tard, du traité modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 (51).
Enfin, en 1958, la République était jacobine. Aujourd’hui, elle est décentralisée. En effet, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 (52) a ajouté à l’article 1er la Constitution un alinéa qui dispose que l’« organisation » de la République est « décentralisée », elle affirme le principe de subsidiarité en vertu duquel « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon » et ouvre un droit à l’expérimentation normative, tout en prévoyant un accroissement de l’autonomie financière des collectivités territoriales tel que « les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ».
Date |
Objet |
Modalités |
4 juin 1960 |
Modification des dispositions relatives à la Communauté |
Article 89 – Congrès |
6 novembre 1962 |
Élection du Président de la République au suffrage universel |
Article 11 |
30 décembre 1963 |
Dates des sessions parlementaires |
Article 89 – Congrès |
29 octobre 1974 |
Possibilité pour soixante députés ou soixante sénateurs de déférer une loi au Conseil constitutionnel |
Article 89 – Congrès |
18 juin 1976 |
Intérim de la Présidence de la République |
Article 89 – Congrès |
LES RÉVISIONS DE LA CONSTITUTION DEPUIS 1958 (suite) | ||
Date |
Objet |
Modalités |
25 juin 1992 |
Traité de Maastricht (Union économique et monétaire, vote des ressortissants européens aux élections municipales, politique commune des visas), langue française, lois organiques relatives aux territoires d’outre-mer, résolutions parlementaires sur les actes communautaires |
Article 89 – Congrès |
27 juillet 1993 |
Responsabilité pénale des ministres, création de la Cour de justice de la République |
Article 89 – Congrès |
25 novembre 1993 |
Droit d’asile |
Article 89 – Congrès |
4 août 1995 |
Session parlementaire unique (du premier jour ouvrable d’octobre au dernier jour ouvrable de juin), aménagement des « immunités » parlementaires et élargissement des possibilités de recours au référendum |
Article 89 – Congrès |
22 février 1996 |
Loi de financement de la sécurité sociale |
Article 89 – Congrès |
20 juillet 1998 |
Avenir de la Nouvelle-Calédonie |
Article 89 – Congrès |
25 janvier 1999 |
Traité d’Amsterdam |
Article 89 – Congrès |
8 juillet 1999 |
Cour pénale Internationale |
Article 89 – Congrès |
8 juillet 1999 |
Égalité entre les femmes et les hommes |
Article 89 – Congrès |
2 octobre 2000 |
Durée du mandat du Président de la République |
Article 89 – référendum |
25 mars 2003 |
Mandat d’arrêt européen |
Article 89 – Congrès |
28 mars 2003 |
Organisation décentralisée de la République |
Article 89 – Congrès |
1er mars 2005 |
Traité établissant une Constitution pour l’Europe |
Article 89 – Congrès |
1er mars 2005 |
Charte de l’environnement |
Article 89 – Congrès |
23 février 2007 |
Corps électoral de la Nouvelle-Calédonie |
Article 89 – Congrès |
23 février 2007 |
Responsabilité du Président de la République |
Article 89 – Congrès |
23 février 2007 |
Interdiction de la peine de mort |
Article 89 – Congrès |
4 février 2008 |
Traité modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne (traité de Lisbonne) |
Article 89 – Congrès |
Les effets de la conjonction des outils du parlementarisme rationalisé, forgés en 1958 et destinés à lutter contre l’absence de fait majoritaire, et le surgissement de ce dernier, depuis la réforme de 1962, n’ont cessé de se faire sentir pour cantonner le Parlement dans un rôle considéré par beaucoup comme trop mineur. La stabilité que devaient apporter ceux-là est devenue abusive quand le fait majoritaire s’y est ajouté au lieu de s’y substituer.
Et chaque fois que l’on a cru donner des capacités nouvelles au pouvoir législatif, c’est bien souvent celles du pouvoir exécutif qu’on a augmentées, à l’exemple de la session unique qui a permis à ce dernier de présenter plus de projets de loi. Aujourd’hui, il est temps de rééquilibrer ce système.
Il faut se méfier de l’idée d’un retour à l’âge d’or du parlementarisme. Nombre d’acteurs évaluent encore le Parlement de la Ve République sans réussir à se départir d’une vision mythique et d’une certaine fiction historique. Or, comme l’a montré récemment M. Marcel Gauchet, à peine celui-ci était-il mis en place que son affaiblissement était constaté et son déclin annoncé (53). Dans ces conditions, chercher à revenir à une hypothétique époque idéale revient à se fourvoyer et à entretenir une illusion qui ne crée que frustrations et attire sur le Parlement de vaines acrimonies.
Ce décalage n’est d’ailleurs pas propre à la France. L’idée de réviser la Constitution pourrait même être découragée par l’analyse comparative qui montre que tous les gouvernements des régimes parlementaires modernes disposent des moyens d’imposer leurs vues au Parlement. Partout, l’initiative des lois leur appartient au premier chef. Partout, ils imposent leur marque à l’ordre du jour, soit qu’ils aient les moyens d’en fixer directement le contenu, soit qu’ils le fassent par l’entremise de leur majorité. Partout, ils possèdent les moyens de faire adopter un texte. La différence entre les régimes réside surtout dans la manière dont ils usent de ces différents moyens. Dans ces conditions, changer les règles de droit du jeu institutionnel pourrait apparaître vain dans le pire des cas, sans grande portée dans le meilleur.
Les questions de la domination excessive du Parlement par le Gouvernement se posent, en effet, dans tous les pays comparables. Un observateur du système allemand pouvait ainsi poser la question suivante et y répondre : « Que peut faire un député dans le système parlementaire allemand ? (…) Rien de constructif, mais il peut certainement ralentir sensiblement le processus législatif. » (54) Selon la même logique, un observateur reconnu du système britannique, forçant quelque peu le trait, relevait que « si certains auteurs continuent de considérer l’élaboration de la loi comme l’une des fonctions de la Chambre des Communes, c’est une fonction, en tout cas, qu’elle n’a pas exercée au XXe siècle » (55).
Toutefois, cela ne doit pas nous interdire de construire un parlementarisme plus moderne et d’utiliser, pour ce faire, le secours de la règle constitutionnelle. Deux raisons doivent y inciter.
En premier lieu, la place de la règle constitutionnelle dans la définition de la culture parlementaire, sans pouvoir être évaluée avec précision, ne saurait être pour autant négligée, soit qu’elle est à l’origine d’un changement des comportements, soit qu’elle les fixe dans un état donné. Il n’est donc pas inutile d’y avoir recours.
En second lieu, le système français possède des règles bien particulières ou présente des lacunes spécifiques, à l’exemple du mécanisme de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution (56), de la place de l’opposition ou encore de la faiblesse de la culture de contrôle – que l’on songe que cette fonction du Parlement n’est inscrite nulle part dans notre Constitution, si ce n’est de manière indirecte par la description des procédures de mise en jeu de la responsabilité gouvernementale.
Le parlementarisme rationalisé est une idée qui a trop bien réussi. Ses manifestations sont connues : détermination constitutionnelle du régime des sessions, soumission du règlement des assemblées au contrôle du Conseil constitutionnel, fixation de l’ordre du jour et organisation des débats par le Gouvernement, réduction du nombre des commissions, délimitation du domaine de la loi, encadrement financier des initiatives parlementaires, définition de procédures contraignantes d’engagement de la responsabilité gouvernementale.
Jadis sans doute nécessaire pour réagir aux errements passés, cette rationalisation des pouvoirs des assemblées, amplifiée par la pratique majoritaire s’est progressivement transformée en cantonnement, puis, bientôt, en rationnement. Ce qui se concevait bien dans un système de foisonnement des partis, d’alliances sans cesse changeantes, s’est traduit, dans un système majoritaire, par un déséquilibre préjudiciable au bon fonctionnement de notre démocratie. Ce fait s’est imposé très rapidement après la promulgation de la nouvelle Constitution.
La question posée il y a exactement quarante ans par M. André Chandernagor « un Parlement pour quoi faire ? » (57), fondée sur le constat d’une crise de l’institution parlementaire, constat continuellement et régulièrement renouvelé, n’a pas depuis lors quitté l’actualité. En 1991, un de nos collègues pouvait plaisamment intituler son rapport Les miettes parlementaires ou un Parlement à refaire (58). Mais, fait nouveau, l’antienne du renforcement des pouvoirs du Parlement, chantée ainsi depuis plusieurs décennies sur tous les tons et par tous, a trouvé dans le rapport du « comité Balladur » une réponse à la fois réaliste et audacieuse.
« Plus de deux siècles après sa naissance, le parlementarisme à la française semble à un tournant de son histoire. La rénovation sera la condition de sa survie. » (59) Cette entreprise est d’autant plus nécessaire que le quinquennat a changé quelque peu les données du régime. Comme l’a souligné le « comité Vedel », « le quinquennat conduit nécessairement à un régime présidentiel marqué par l’effacement du Premier ministre réduit à un rôle de chef d’état-major. Un chef d’État dont la durée de mandat serait la même que celle de l’Assemblée nationale et qui disposerait dans cette assemblée d’une majorité fidèle risquerait de rencontrer des limites bien réduites à son pouvoir. »
Comme l’observe M. Pierre Avril, le Parlement pourrait sembler s’être transformé en une espèce de machine à fabriquer les lois tellement sollicitée qu’elle atteint aujourd’hui ses limites (60). L’encombrement de l’ordre du jour justifie que le Gouvernement légifère par voie d’ordonnances, au point qu’elles sont devenues « le principal mode de législation ». Le Parlement porte aussi sa part de responsabilité. Le Gouvernement ne maîtrise pas la durée de débats qui s’éternisent, le nombre d’amendements déposés explose.
Entre discussions sans fin, avalanches d’amendements et obstruction, le Parlement n’est pas loin de se noyer. Il apparaît nécessaire de simplifier nos débats, d’en fluidifier le déroulement et, parfois, de pouvoir les raccourcir. Ainsi que le constatait le Président Pierre Mazeaud en présentant les vœux du Conseil constitutionnel au Président de la République, le 3 janvier 2005, « d’autres phénomènes que la session unique concourent, pour des raisons plus profondes, à un allongement de la durée des débats. Il s’agit d’abord, de façon spectaculaire, de l’augmentation du nombre d’amendements déposés au cours du débat parlementaire. » La forte augmentation du nombre des amendements déposés, qui s’accompagne au demeurant de la baisse de leur taux d’adoption, est en effet l’une des évolutions les plus marquantes des trois dernières décennies.
Du nombre croissant, exponentiel serait-on tenté d’écrire, d’amendements enregistrés depuis les débuts de la Ve République, il est difficile de savoir s’il constitue un symptôme du mal ou le mal lui-même. Il est probable qu’il s’agisse d’un phénomène autoentretenu. En tout état de cause, une réponse doit être trouvée, sans que le principe d’une direction du travail parlementaire efficacement assumée par un Gouvernement dont l’autorité et la stabilité sont protégées ne soit atteint. Rien ne justifie que notre République renoue avec l’instabilité ministérielle chronique et les délégations législatives permanentes.
Pour ne prendre que le cas de l’Assemblée nationale – le Sénat a d’ailleurs connu une évolution semblable en tendance –, moins de 5 000 amendements avaient été déposés sous la Ière législature (1959-1962). Le double a été enregistré sous la IVe (1968-1972). La XIe législature (1997-2002) a dépassé le cap des 50 000 amendements, tandis que la XIIe législature a connu un record de 244 000 amendements (61). Parallèlement, le temps passé en séance n’a pas considérablement varié sur moyenne période. Si l’Assemblée nationale a passé 592 heures en séance publique en 1962, elle en a passé 1 177 heures en 1982, 959 heures en 2000, 1 044 heures en 2006, le passage à la session unique n’ayant pas modifié radicalement la situation (62). Il résulte du rapprochement de ces tendances deux hypothèses : soit le temps réservé aux motions, aux discussions générales et aux questions a fortement été réduit, soit le temps d’examen de chaque amendement a été considérablement diminué. Il est possible de conclure, sans s’éloigner par trop de la réalité vécue par chacun, que, nonobstant la diminution réglementaire du temps consacré, notamment, aux motions de procédure (63), la seconde hypothèse est la bonne.
En première analyse, l’examen d’un nombre croissant d’amendements peut révéler une crise institutionnelle. Le droit d’amendement joue alors un rôle de substitut à l’initiative législative en assurant à ses titulaires la garantie d’intervenir oralement en séance publique. De nombreux amendements, trop précis, trop techniques, proposent des mesures de nature réglementaire ou non normative, tandis que d’autres portent sur des sujets sans véritable rapport avec l’objet du projet ou de la proposition de loi, voire sont fantaisistes (64). « Exutoire de parlementaires soumis aux pressions de leurs électeurs ou de groupes de pression, économiques, syndicaux ou idéologiques, moyen permettant l’adoption, plus rapidement et facilement que par la voie réglementaire, de dispositions voulues par le Gouvernement, l’amendement est devenu l’instrument idéal de fabrication de la norme. La difformité, l’enflure et l’inintelligibilité de la norme ainsi créée justifient bien une rationalisation de l’usage du droit d’amendement. » (65)
Cependant, la principale explication de cette évolution réside sans doute dans l’utilisation du droit d’amendement à des fins d’obstruction, comme en témoigne la proportion croissante des amendements issus de l’opposition. Il suffit pour s’en convaincre de citer, pour la seule Assemblée nationale, les 12 805 amendements au projet de loi relatif à l’élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu’à l’aide publique aux partis politiques, les 11 153 amendements au projet de loi portant réforme des retraites (66), les 14 888 amendements au projet de loi relatif à la régulation des activités postales et bien sûr les 137 665 amendements déposés lors de l’examen par l’Assemblée nationale du projet de loi relatif au secteur de l’énergie. Le dépôt massif d’amendements permet, d’une part, d’allonger considérablement les débats afin de retarder l’adoption du projet et, d’autre part, d’attirer l’attention de l’opinion publique sur les problèmes posés par le texte. Ainsi, les débats sur le projet de loi portant réforme des retraites, en juillet 2003, et sur le projet de loi relatif à l’assurance maladie, en juillet 2004, ont nécessité respectivement 157 et 142 heures de débat. On s’est trouvé là bien au-delà des excès tant dénoncés de la IVe République.
Bien sûr, l’obstruction fait partie de la vie parlementaire. Le filibustering, permettant à l’orateur de parler tant qu’il parvient à rester debout ou de se faire succéder les votes par appel nominal dont on demande la validité par constatation du quorum grâce à… un vote par appel nominal, fait ainsi partie de la légende du Congrès américain. L’obstruction a pu correspondre, dans une certaine mesure, au droit sacré d’insurrection inscrit dans l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Mais à mesure que notre démocratie se perfectionne − et elle n’a cessé de se perfectionner depuis un demi-siècle, mouvement largement masqué par une exigence justifiée mais de plus en plus grande −, la voie de l’obstruction, qui peut être légitime lorsqu’une majorité ne respecte pas le jeu parlementaire et entend imposer sa loi sans égard pour les droits de la minorité, devient le signe extérieur de l’impuissance parlementaire et de la vanité des échanges. En résumé, elle devient incongrue.
Certes, le temps est révolu où l’on pouvait, à la tribune, infliger aux auditeurs la lecture successive de la liste des augmentations de capital de toutes les sociétés françaises, des prix comparés des denrées entre 1939 et 1949 avec les pourcentages d’augmentation, et, en version française, du texte intégral pris en Union Soviétique tendant à faire baisser les prix, sans omettre l’énumération des produits et les prix comparés (67).
Si l’obstruction est, dans une certaine mesure, légitime, il ne faut pas qu’elle soit organisée par le Règlement − recours à des systèmes de vote « chronophages », demandes de quorum à répétition, suspensions nombreuses de séance, multiplication des rappels au règlement, provocation d’incidents personnels − et a fortiori par la Constitution.
Ainsi, il faut s’interroger sur le principe constitutionnel réservant au parlementaire le droit personnel de déposer des amendements et de les défendre. En effet, le Conseil constitutionnel a pu développer une jurisprudence particulièrement protectrice du droit d’amendement, en y voyant le corollaire de l’initiative parlementaire qui peut, sous réserve des limitations prévues à l’article 45 de la Constitution, s’exercer à chaque stade de la procédure législative. Le Conseil s’est ainsi attaché à vérifier que de nouvelles dispositions réglementaires ne risquaient pas de porter atteinte à l’exercice effectif du droit d’amendement. Par exemple, en examinant la conformité à la Constitution de la procédure de vote sans débat, il a rappelé l’exigence du « respect des droits des membres de l’assemblée concernée et, notamment, l’exercice effectif du droit d’amendement garanti par l’article 44 de la Constitution » (68).
C’est ainsi qu’il a censuré comme portant « atteinte au droit d’amendement, reconnu à chaque parlementaire par le premier alinéa de l’article 44 de la Constitution, l’interdiction faite à tout membre de l’assemblée saisie du texte de reprendre en séance plénière un amendement relatif à celui-ci au motif que cet amendement aurait été écarté par la commission saisie au fond ». La disposition censurée avait certes pour caractéristique d’interdire non seulement la discussion mais aussi le dépôt et le vote d’un amendement antérieurement rejeté par la commission. On peut légitimement se demander si la protection de l’exercice effectif du droit d’amendement ne s’étend pas également à sa présentation.
Au-delà de ces principes, des progrès ont été régulièrement apportés pour limiter les risques d’obstruction. Sans évoquer le cas ancien où le Règlement fut changé en cours de discussion d’un projet de loi pour permettre à celle-ci de sortir de l’enlisement (69), on peut rappeler l’encadrement progressif des motions de procédure, dont l’objet n’est cependant pas toujours en rapport direct avec le projet ou la proposition auquel elles sont censées s’appliquer.
Dans le même souci de lutter contre l’obstruction, le Règlement de l’Assemblée nationale a été modifié en 1994 pour prévoir qu’en cas de demande de suspension formulée « personnellement et pour une réunion de groupe, par le président d’un groupe ou son délégué dont il a préalablement notifié le nom au Président », « toute nouvelle délégation annule la précédente » (70).
Si l’on devait proposer une synthèse de la situation actuelle, on constaterait que le temps passé aujourd’hui à la discussion des motions et la succession parfois répétitive des orateurs dans la discussion générale (71), l’accumulation des amendements facilitée par les moyens techniques et encouragée par la surenchère médiatique, dont la discussion allonge démesurément les premiers jours de débat, et, par contraste, l’accélération impromptue en fin de débat de l’examen des amendements se conjuguent pour introduire un biais négatif entre délibération et qualité de la loi.
Pour simplifier et décrire une procédure type, sur une semaine parlementaire de débats – c’est-à-dire en général les mardi, mercredi et jeudi – consacrés à l’examen d’un projet de loi, l’après-midi et la soirée du mardi voire la séance du mercredi après-midi peuvent être occupés par la défense des motions et la discussion générale, la séance suivante par l’examen des amendements avant l’article 1er qui n’ont souvent qu’un lointain rapport avec le projet et qui prolongent parfois la discussion générale, les séances restantes par la discussion à rythme plus ou moins lent des autres articles et amendements, avant que soudainement, dans la soirée ou la nuit du jeudi, le débat s’accélère et que soient alors « examinés » plusieurs dizaines d’amendements, sans pratiquement aucune discussion, alors que rien ne permet de préjuger que les derniers articles du projet seront moins intéressants ou substantiels que les premiers (72).
La conclusion n’est pas difficile à tirer. Pour prendre un exemple emblématique des résultats d’un tel processus, la loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux comportait, lors de son examen en Conseil des ministres, soixante-seize articles, mais deux cent quarante in fine. Selon un processus qui ne laisse d’impressionner, le nombre des articles de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL) a été multiplié par plus de dix, passant de onze à cent douze.
L’enjeu n’est pas mince. Il est celui d’une loi claire, à la fois précise et intelligible. Cet objectif est largement partagé par toutes les démocraties. Dès 1972, la Cour suprême des États-Unis estimait que « les lois floues portent atteinte à plusieurs valeurs importantes. Premièrement, parce que nous tenons pour acquis que l’homme est libre d’agir légalement ou illégalement, nous tenons à ce que les lois permettent à la personne d’intelligence moyenne d’avoir une possibilité raisonnable de savoir ce qui est interdit afin d’agir en conséquence (…). Deuxièmement, si l’on veut prévenir l’application arbitraire et discriminatoire des lois, celles-ci doivent prévoir des normes explicites à l’intention de ceux qui les appliquent. Une loi floue délègue de façon inadmissible des questions de principe fondamentales aux policiers, aux juges et aux jurys qui y répondent de façon ponctuelle et subjective avec les risques que comporte l’application arbitraire et discriminatoire de la loi. » (73)
La présente révision permettra ainsi de répondre de nouveau à la conclusion de M. André Chandernagor dans Un Parlement pour quoi faire ? : « Il n’y a qu’une tradition parlementaire : l’adaptation ». Et ceci vaut également pour les activités de contrôle que le Parlement est amené à conduire.
• Une activité de contrôle ancienne
En France, le contrôle parlementaire s’ancre historiquement, d’une part, dans la tradition du contrôle budgétaire, d’autre part, dans celle de la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale.
Le contrôle budgétaire trouve son origine dans l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel « tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs Représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ». Le dernier alinéa de l’article 47 de la Constitution du 4 octobre 1958, qui dispose que « la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans le contrôle de l’exécution des lois de finances » permet au Parlement de disposer de moyens de contrôle significatifs en matière de finances publiques. En outre, les principes guidant le contrôle des finances publiques par le Parlement ont servi de base à la mise en place d’un contrôle des finances sociales, dans le cadre de l’examen annuel et du vote par le Parlement d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale, prévu par l’article 47-1 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle du 22 février 1996 (74).
La Constitution du 4 octobre 1958 a apporté un terme aux excès de la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale, tout en lui donnant toute sa place dans l’équilibre des pouvoirs. Le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale dans le cadre d’un débat avec vote sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (premier alinéa de l’article 49 de la Constitution). La pratique des gouvernements successifs a consisté à mettre en jeu leur responsabilité sur un programme ou sur une déclaration de politique générale dans les mois qui suivent leur constitution (75). L’Assemblée nationale peut, d’autre part, discuter et adopter à la majorité de ses membres une motion de censure du Gouvernement en application du deuxième alinéa de l’article 49 de la Constitution. L’adoption éventuelle d’une motion de censure a pour effet, conformément à l’article 50 de la Constitution, de contraindre le Gouvernement à démissionner. Si une motion de censure fut adoptée par l’Assemblée nationale en 1962 (76), la pratique des motions de censure s’est depuis lors infléchie vers un exercice de nature plus symbolique, l’opposition utilisant cette procédure pour marquer sa désapprobation et son opposition virulente à telle ou telle politique gouvernementale mais sans espoir d’aboutir à une adoption de la motion par l’Assemblée nationale.
Si ces deux formes pour ainsi dire primordiales du contrôle parlementaire bénéficient d’une reconnaissance dans le texte constitutionnel, le Parlement dispose également de nombreux autres instruments de contrôle : questions au Gouvernement (écrites, orales, d’actualité) ; débats en séance publique ; commissions d’enquête ; missions d’information ; pouvoirs des président, rapporteur général et rapporteurs spéciaux des commissions des Finances en matière de finances publiques ainsi que des président et rapporteurs des commissions des Affaires sociales en matière de finances sociales ; rapports sur l’application des lois.
À l’exception des questions au Gouvernement, explicitement mentionnées au deuxième alinéa de l’article 48 de la Constitution (77), les autres modalités de contrôle sont précisées soit par des dispositions de nature organique (78), soit par des dispositions législatives simples (79), soit par des dispositions du règlement des assemblées parlementaires (80).
• Les tendances récentes du contrôle parlementaire
Le contrôle parlementaire s’est enrichi de nouveaux instruments ces vingt dernières années, que ce soit par le biais des offices (81) et des délégations parlementaires (82), par l’émergence d’un contrôle spécifique des actes communautaires (83) ou par le développement de la mission de contrôle de l’application des lois (84).
Les principales transformations concernent toutefois la nature du contrôle parlementaire, plus encore que ses instruments.
Alors que le contrôle était traditionnellement exercé individuellement, par les questions des parlementaires, par le travail des rapporteurs budgétaires, et de manière discontinue, dans le cadre de la discussion du budget, lors du vote d’une motion de censure ou d’une déclaration de politique générale, il tend à acquérir un caractère collectif et continu, par exemple en matière budgétaire par la création de la mission d’évaluation et de contrôle (MEC) (85), puis sur le même modèle en matière de finances sociales par la création d’une mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) (86).
À l’Assemblée nationale, ce contrôle collectif est aussi pluraliste, qui accorde une place grandissante à l’opposition, par le « droit de tirage » permettant à celle-ci d’obtenir l’inscription à l’ordre du jour de propositions de résolution visant à la création de commissions d’enquête (introduit en 1988), par la coprésidence des MEC, par l’octroi systématique, depuis 2003, soit de la fonction de président soit de celle de rapporteur des commissions d’enquête créées par l’Assemblée nationale, par le recours à la même pratique pour de nombreuses missions d’information créées par la Conférence des Présidents et pour certaines missions créées par les commissions permanentes, par la nomination de co-rapporteurs pour les rapports d’application des lois. Comme le résume le professeur Guy Carcassonne : « c’est la place faite à la minorité dans leur mise en œuvre qui qualifie les instruments de contrôle » (87).
Au contrôle principalement concentré sur la mise en cause ou la vérification est désormais associée une dimension évaluative. Les rapports sur la mise en application des lois s’efforcent d’évaluer leurs effets et non seulement de contrôler que les décrets ont été publiés à temps. Le travail des offices parlementaires, qui sont pour certains d’entre eux assistés par un conseil scientifique et qui peuvent recourir à des experts extérieurs, est dans une grande mesure un travail d’évaluation objective et scientifique. Les instruments d’évaluation des lois de finances ont enfin été perfectionnés par la LOLF du 1er août 2001. Les programmes budgétaires doivent désormais être accompagnés d’indicateurs, qui permettent d’évaluer la performance de l’action publique. Le bilan annuel des objectifs de performance que renseignent les indicateurs de performance est communiqué au Parlement à la fin du deuxième trimestre de l’année sous la forme de rapports annuels de performances et permet donc d’aborder la discussion du prochain projet de loi de finances en bénéficiant d’une évaluation.
Le contrôle, classiquement associé au secret, a au contraire désormais vocation à être rendu public, que ce soit par la publicité des auditions des commissions d’enquête ou des missions d’information, par la retransmission audiovisuelle de certaines de ces auditions ou par la publicité donnée aux rapports demandés par le Parlement à la Cour des comptes. Cette publicité n’est pas seulement la manifestation d’une démocratie moderne mais également un moyen pour renforcer les effets du contrôle, par l’incitation à prendre en temps et en heure les décrets d’application ou à corriger les dysfonctionnements administratifs constatés.
Enfin, le contrôle s’articule de manière de plus en plus immédiate et directe avec le travail de proposition et d’élaboration de nouveaux textes législatifs. Par exemple, la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite « d’Outreau » et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, dont les conclusions furent présentées le 6 juin 2006, a directement inspiré le projet de loi organique relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats et le projet de loi tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale, examinés par la commission des Lois de l’Assemblée nationale dès le 6 décembre 2006.
• Un développement qui demeure insuffisant
En dépit de ces nombreuses adaptations et évolutions, le développement du contrôle parlementaire est insuffisant.
À la source de tout contrôle, il est nécessaire de disposer d’une information à la fois la plus exacte et la plus complète possible. Les moyens juridiques dont disposent les rapporteurs budgétaires ainsi que les commissions d’enquête pour obtenir une telle information sont de ce point de vue pleinement justifiés. Mais ces outils, très efficaces et contraignants, d’une part ne sont réservés qu’à une partie de l’activité de contrôle parlementaire et d’autre part ne gomment pas un effet de structure : le pouvoir exécutif demeure le principal pourvoyeur d’informations du Parlement.
La dépendance à l’égard de l’exécutif est d’ailleurs reconnue par les parlementaires eux-mêmes, qui proposent très fréquemment des amendements ayant pour objet de prévoir la remise par le Gouvernement au Parlement de rapports, soit ponctuels soit périodiques. De plus, ces rapports, alors même qu’ils sont exigés par un texte législatif, sont parfois remis avec retard, voire ne sont jamais remis (88). Un autre exemple de la dépendance concerne les expérimentations législatives. En effet, à chaque fois que le législateur en prévoit une, il doit préciser son objet, sa durée, ainsi que les conditions selon lesquelles elle sera à terme reconduite, généralisée ou abandonnée. Or, toutes les dispositions expérimentales adoptées par le Parlement prévoient que l’évaluation de ces expérimentations sera effectuée par le Gouvernement.
Les commissions des Finances et les commissions chargées d’examiner les lois de financement de la sécurité sociale peuvent bénéficier de l’assistance de la Cour des comptes dans leurs tâches de contrôle et d’évaluation, dans des conditions qui ont été précisées et améliorées par le législateur ces dernières années. En dépit de cela, cette assistance trouve sa limite dans le fait que la Cour se situe à égale distance du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif. Elle dispose ainsi d’une certaine latitude pour interpréter le concours qu’elle doit apporter au Parlement.
• Quelle participation à l’évaluation des politiques publiques ?
Comme le faisait remarquer il y a de cela une douzaine d’années le professeur Jacques Chevallier, « tout se passe comme si s’était dessiné un partage des rôles tacite entre l’exécutif et le législatif : à l’exécutif, la mission de mettre sur pied des dispositifs d’évaluation des politiques publiques ; au législatif, le soin de recourir à des procédures de contrôle sur l’application des lois » (89). Le Parlement ne pourrait-il pas plus efficacement contribuer au travail d’évaluation des politiques publiques ?
Il est peu satisfaisant de confiner le Parlement dans un simple rôle de contrôle, sans l’associer au travail d’évaluation. L’évaluation à laquelle il doit concourir peut être un enrichissement direct de ses deux missions principales : légiférer et contrôler. En somme, il s’agit d’évaluer pour mieux légiférer et pour mieux contrôler.
L’évaluation peut avoir des effets sur la nature même de l’activité du législateur : « La promotion de la démarche évaluative contribue au demeurant à priver la loi de certains des attributs dont elle était dotée, et notamment de la stabilité. La loi n’est plus posée une fois pour toutes, mais soumise à une véritable " clause d’adaptation ", au vu des résultats enregistrés. Par là, l’évaluation confirme le passage du droit classique, à effet durable, à un " droit transitoire ", à espérance de vie limitée, et qu’on n’hésitera pas à modifier au gré des circonstances. » (90) Un tel constat ne signifie pas que le Parlement doit renoncer à l’évaluation, mais au contraire qu’il doit s’efforcer de se l’approprier le plus possible afin de maîtriser la transitivité du droit, au lieu de laisser cette maîtrise au seul pouvoir exécutif.
Une évaluation pratiquée par le Parlement de manière indépendante de l’exécutif peut donc sembler nécessaire. Mais cette évaluation exige du temps ainsi que des structures spécifiques. Aux États-Unis, au sein du General Accounting Office (GAO), la division de l’évaluation et de la méthodologie compte près de cent chercheurs. À l’inverse, on rencontre dans certains cas une structure d’évaluation parlementaire légère qui est assistée par des experts extérieurs. Ainsi, en Suisse, le Contrôle parlementaire de l’administration (CPA), service spécialisé qui est spécifiquement en charge des évaluations et rattaché administrativement au secrétariat des commissions de gestion de l’Assemblée fédérale, compte moins d’une dizaine de fonctionnaires.
L’exemple suisse est tout aussi intéressant en ce qui concerne la question de l’inscription dans la Constitution du rôle du Parlement en matière d’évaluation des politiques publiques. Alors que l’article 169 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse charge l’Assemblée fédérale d’exercer « la haute surveillance sur le Conseil fédéral et l’administration fédérale, les tribunaux fédéraux et les autres organes ou personnes auxquels sont confiées des tâches de la Confédération », l’article 170 prévoit, pour sa part, que « l’Assemblée fédérale veille à ce que l’efficacité des mesures prises par la Confédération fasse l’objet d’une évaluation ». C’est sur le fondement de ces dispositions constitutionnelles que des dispositions législatives attribuent au CPA des droits à l’information très étendus, afin de lui donner les moyens d’assurer au mieux sa mission et lui permettent de recourir à des experts extérieurs à l’administration et de leur transmettre les droits nécessaires à la tâche d’évaluation.
Comme l’a souligné le comité présidé par M. Édouard Balladur, « l’œuvre de modernisation et de rééquilibrage des institutions de la République ne saurait se limiter à la clarification et à l’encadrement des prérogatives des gouvernants, non plus qu’au renforcement du Parlement. Elle implique que des droits nouveaux soient reconnus aux citoyens eux-mêmes, détenteurs de la souveraineté et, d’une manière plus générale, à tous les individus. »
La désaffection des Français pour la vie publique, que l’on peut constater sur moyenne période et nonobstant les chiffres encourageants de participation à la dernière élection présidentielle notamment, se manifeste de plusieurs manières.
La première pourrait être trouvée dans un phénomène qui, s’il peut être interprété comme le signe tangible de la vitalité démocratique, peut se lire aussi comme la manifestation d’une insatisfaction permanente du citoyen. En effet, l’alternance, pendant trente ans, a été quasi systématique : 1981, 1986, 1988, 1993, 1997 et 2002. Cette évolution est d’autant plus singulière lorsqu’on compare la situation française à la longévité des gouvernements anglais, allemands ou espagnols.
Par ailleurs, si l’on fait précisément abstraction de la dernière élection présidentielle (91), le taux d’abstention a nettement progressé depuis les années 1970. Il est ainsi passé de 12,7 % en 1974 à 28 % en 2002 pour le premier tour de l’élection présidentielle, de 18,7 % en 1973 à 39,5 % en 2007 pour le premier tour des élections législatives, de 21,1 % à 33,5 % en 2008 pour le premier tour des élections municipales et de 39,3 % en 1979 à 57,7 % en 2004 pour les élections européennes. Les sources de ce phénomène ont été maintes fois recherchées (92). D’une part, l’abstention peut révéler un désengagement passif de la sphère politique, soit pour des raisons d’exclusion sociale, soit pour des raisons d’âge. D’autre part, elle peut constituer la manifestation d’une attitude réfléchie de protestation.
Mais, la désaffection pour la vie publique peut se traduire également par la proportion des votes blancs et nuls (93). Ils représentaient 0,9 % des inscrits en 1974, mais 3,5 % pour le second tour de l’élection présidentielle de 2007, ce qui représente environ 1,6 million de bulletins.
Si le regain d’intérêt que les dernières campagnes électorales ont suscité est indéniable, la progression, là aussi sur moyenne période, des votes que l’on pourrait qualifier par souci de simplification de « votes hors système » participe de la crise de la représentation politique, nombre d’électeurs préférant apporter leur suffrage à des formations non conventionnelles plutôt qu’aux partis politiques classiques.
Au total, sans tenir compte des citoyens qui ne se sont pas inscrits sur les listes électorales, la somme de l’abstention, du vote blanc et nul et du vote « hors système », qui englobait 30 % des électeurs lors de l’élection présidentielle de 1981, en rassemblait entre 55 % et 58 %, soit 28 millions de personnes, selon la classification de certains partis dans ou hors du système en 2002. Si ce chiffre est descendu aux alentours de 35 % au premier tour de l’élection présidentielle de 2007 grâce à la baisse de l’abstention, il représente encore plus de 15 millions de personnes. Nonobstant ce regain de participation, le souvenir du 21 avril 2002 mérite d’être conservé à l’esprit.
Des avancées importantes ont été faites depuis 1958 pour améliorer la participation du citoyen et la prise en compte de ses droits.
Il suffit de rappeler à ce titre les progrès considérables apportés par le développement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et par la mise en place d’un système européen de garantie des droits fondamentaux dans le cadre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La création du Médiateur de la République en 1973 (94), comme celle du Défenseur des enfants en 2000 (95) ou encore de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) en 2004 (96) participe de ce mouvement.
En outre, comme on l’a vu, le champ du référendum a été élargi, tandis que la décentralisation, dans son principe mais aussi dans ses derniers développements, a favorisé la participation des citoyens à la vie publique locale.
Dans son rapport remis au Président de la République, le « comité Balladur » a néanmoins relevé, dans nos institutions, une série de défauts, dont la correction permettrait de garantir une meilleure place aux citoyens.
Le premier défaut réside dans l’impossibilité de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée. Est ainsi ouverte la question de l’introduction de l’« exception d’inconstitutionnalité » qui permettrait à chaque citoyen d’invoquer, au cours d’un procès, le respect de la Constitution et demander, en cas de non-conformité d’une disposition normative constatée par le Conseil constitutionnel dûment saisi de cette question, que soit écartée l’application de cette disposition.
Le deuxième défaut relevé par le comité constitutionnel se trouve dans la difficulté à saisir le Médiateur de la République des différends qui opposent les citoyens aux administrations publiques. En effet, saisir le Médiateur exige… une « médiation », celle d’un parlementaire. Or, cette institution, qui n’est pas reconnue par la Constitution, permet de traiter de différends nombreux qui opposent les citoyens aux administrations. À la difficulté de saisine, s’ajoute une lisibilité générale toute relative du système de recours extra-juridictionnels marqué par une multiplicité d’autorités administratives indépendantes (AAI) compétentes, défaut relevé en 2006 par un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation (97).
La prolifération et l’instabilité des normes législatives et réglementaires, parfois rétroactives, constituent un autre défaut de nos institutions. Un seul chiffre suffirait à l’illustrer : le recueil des lois qui faisait 380 pages en 1964 en faisait 1 600 en 2002, qui était pourtant une année interrompue par une élection présidentielle et des élections législatives. Le phénomène a pris une telle ampleur, il a été tant de fois dénoncé qu’un auteur de la doctrine pouvait récemment intituler son article : « À propos de l’inflation des chiffres mesurant l’inflation des lois » (98). Les premières mesures ne se sont pas fait attendre.
Déjà, à l’occasion de l’examen de la première loi dite « de simplification » (99), notre collègue Étienne Blanc pouvait en souligner les conséquences : « la complexité des réglementations qui s’accumulent entraîne inégalité et insécurité pour les citoyens. Le coût d’entrée dans certains dispositifs interdit aux personnes les moins favorisées de faire valoir leurs droits. Ensuite, la norme, dans sa complexité, ne reçoit pas toujours une application pleine et entière et risque de perdre de sa crédibilité. (…) Complexité, délais trop longs, empilement, voire contradiction des normes mettent en cause les autorités qui les édictent. » (100) En 2007, dans son rapport sur la proposition de loi de simplification déposée à l’initiative de la commission des Lois et adoptée définitivement le 11 décembre dernier, il pouvait de nouveau relever l’urgence d’agir dans ce domaine, non seulement pour réaménager l’état du droit, mais aussi pour éviter la complexité à l’avenir (101).
Si tous les remèdes ne doivent pas être recherchés dans une modification de la Constitution, celle-ci pourrait contribuer à maîtriser le phénomène.
Au chapitre des difficultés auxquelles se heurte une meilleure implication des citoyens dans la vie publique, le comité constitutionnel a également rangé la question de la place de la justice dans le fonctionnement des institutions. Renouer un lien de confiance entre les citoyens et la justice implique de réformer cette dernière et de corriger les dysfonctionnements constatés.
Enfin, se pose la question des modalités de représentation des citoyens et donc celle des modes de scrutin. S’il n’est pas dans la tradition française d’inscrire les modes de scrutin parlementaires dans la Constitution, nul ne peut nier que, dans le débat plus général sur les institutions, ce problème a été soulevé à maintes reprises et constitue un point important de fixation des discussions. C’est pourquoi, si le présent projet de loi constitutionnelle ne saurait être le véhicule idoine pour répondre à ces interrogations, il devra être prolongé par un débat sur celles-ci.
L’ensemble de ces constats appelle des modifications substantielles, bien que non essentielles, de la Constitution du 4 octobre 1958, dans une mesure sans précédent, mais qui se justifie après un demi-siècle de fonctionnement.
II. — LA RÉVISION DE 2008 : NÉCESSAIRE, COHÉRENTE, AMBITIEUSE
Il convient de ne pas rompre la synthèse qu’a opérée la Constitution de la Ve République, mais en retrouver l’inspiration parlementaire, condition sine qua non d’une rénovation des institutions. Cette voie avait déjà été ouverte, en 1993, par le comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel. Elle a été approfondie par le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République présidé par M. Édouard Balladur. Elle sera inscrite dans notre texte fondamental grâce au présent projet de loi constitutionnelle.
Rien ne justifie aujourd’hui d’instituer une Constitution nouvelle.
La France s’est épuisée, par le passé, dans la recherche de chimères constitutionnelles. Elle a basculé au gré des crises politiques d’un modèle à l’autre, ne décourageant jamais les projets les plus audacieux, allant toujours chercher « le » modèle qui sauverait le pays de la ruine, idéalisant souvent ce qui se passait à l’étranger ou glorifiant à l’excès l’originalité du fonctionnement de ses institutions.
La tentation de renouer avec l’utopie constitutionnelle qui résoudrait tous les problèmes de la société française, qui permet, à bon compte, d’apparaître dans une position de rupture, n’est jamais très loin lorsque les élections approchent. De nouveau, alors, ressurgissent les exemples inspirés par les modèles étrangers, présentés comme idéaux, mais souvent idéalisés.
Le modèle américain apparaît souvent le premier, auréolé de la puissance du pays qui le pratique − cette tentation constitue un classique de la pensée institutionnelle française depuis au moins Tocqueville −, faisant passer la séparation stricte des pouvoirs incarnée par le régime présidentiel comme l’alpha et l’oméga de la démocratie.
Or, l’épisode de la présidence de William J. Clinton ou plus récemment de la présidence de George W. Bush, avec leur cortège de négociations interminables engagées avec un Congrès qui n’appartient pas à la même majorité, au point souvent de bloquer la machine pendant plusieurs années, devrait suffire à effrayer tout observateur qui reconnaît les difficultés créées par la « cohabitation » à la française dans le fonctionnement de nos institutions. Comme l’a souligné Raymond Aron, « un système présidentiel, par lui-même, ne donne pas une grande capacité d’action à l’exécutif ; l’exécutif est stable, non efficace. Le Président des États-Unis est assuré d’un règne de quatre années (on ne s’en félicite pas toujours), mais il a besoin de l’assentiment des représentants et des sénateurs élus d’une autre façon. Aux États-Unis, et dans tout système présidentiel, la majorité dans les assemblées n’est pas toujours celle qui a fait élire le Président de la République. La coopération est nécessaire entre un exécutif d’une certaine couleur politique et un législatif d’une autre couleur (…). Tout député ou sénateur vote sans tenir grand compte des ordres de son parti. (…) L’indiscipline des partis est la condition d’existence du système américain, comme la discipline des partis est la condition de fonctionnement du système britannique. Avec des partis comme les nôtres, les uns disciplinés, les autres indisciplinés, que se passerait-il ? L’exécutif serait stable à coup sûr, mais un président choisi par les partis parce qu’il ne porterait ombrage à personne, comme nombre de nos présidents du Conseil, serait faible. Un Président de la République énergique, en conflit avec les assemblées législatives, provoquerait une crise constitutionnelle, phénomène fréquent dans les pays qui pratiquent le système présidentiel. » (102)
En outre, il ne faudrait pas oublier que le système fédéral permet de faire fonctionner le pays, nonobstant l’existence des frictions paralysantes à Washington. S’y ajoute, de manière décisive, la différence des histoires et des pratiques politiques (103).
Le Général de Gaulle lui-même, lors de sa conférence de presse du 31 janvier 1964, releva le caractère spécifique du régime présidentiel américain et rappela le contexte du fédéralisme « où le Gouvernement n’assume que les tâches générales : défense, diplomatie, finances ». Il profita de cette occasion pour mettre en valeur la possibilité pour le chef de l’État français de solliciter l’arbitrage des électeurs par le référendum ou par la dissolution : « si nous adoptions le système américain, il n’y en aurait aucune. (…) Il en résulterait, ou bien la paralysie générale, ou bien des situations qui ne seraient tranchées que par des pronunciamientos, ou bien enfin la résignation d’un Président mal assuré qui, sous prétexte d’éviter le pire, choisirait de s’y abandonner, en se pliant comme autrefois aux volontés des partisans. »
Certains, plus nuancés, concèdent la spécificité du régime américain et proposent un régime présidentiel accommodé aux spécificités françaises et visant d’abord à supprimer la dyarchie au sommet. Dans ce système, seul le Président de la République serait responsable devant le Parlement. Dans ce cas, peu importerait qu’il y ait un Premier ministre ou non. Le Président de la République pourrait avoir le droit de dissolution, mais ne pourrait l’exercer qu’une seule fois au cours de son mandat, ce qui permettrait de dépasser les blocages qui surviennent dans le système américain, dans lequel, s’il y a désaccord entre le Président et le Parlement, le projet en discussion est bloqué, aucune dissolution n’étant possible. En réalité, le système présidentiel ainsi accommodé forme un système essentiellement parlementaire. Dans ce cas, il faut se demander quel est l’intérêt d’une telle réforme par rapport aux modes d’application actuels de la Constitution de 1958.
Le modèle primo-ministériel prôné par d’autres, qui invoquent les nombreux exemples qui nous entourent, constitue l’autre pôle d’attraction du réformisme constitutionnel. S’il a pour lui les atours du classicisme parlementaire, il paraît difficile de nier l’attachement des Français à l’élection directe du Président de la République dont l’adoption d’un tel modèle rendrait la suppression nécessaire, à moins qu’on ne retire au Président tous ses pouvoirs. Dans ce cas, à quoi bon le faire élire par le peuple souverain ? Par ailleurs, il serait difficile de ne pas entendre les critiques qui s’élèvent dans presque tous les pays qu’on présente comme des modèles contre la personnalisation du pouvoir, incarné par le chef du Gouvernement, tendance qui semble, en définitive, être plus le mal du siècle, peut-être nécessaire dans une démocratie de communication, qu’une particularité française.
Changer de modèle paraît séduisant, a certes l’attrait de la nouveauté, mais c’est inutile. Il serait plus utile, en revanche, pour notre pays, d’assurer un rééquilibrage entre les deux pôles agissants du pouvoir constitutionnel.
Les fondements institutionnels, dessinés lors du discours d’Épinal, prononcé par le Général de Gaulle le 29 septembre 1946, transposés dans la Constitution de la Ve République, doivent être conservés :
« Il nous paraît être nécessaire que le chef de l’État en soit un, c’est-à-dire qu’il soit élu et choisi pour représenter réellement la France (…), qu’il lui appartienne, dans notre pays si divisé, si affaibli, et si menacé, d’assurer au-dessus des partis le fonctionnement régulier des institutions et de faire valoir au milieu des contingences politiques les intérêts permanents de la Nation. Pour que le Président de la République puisse remplir de tels devoirs, il faut qu’il ait l’attribution d’investir les gouvernements successifs, d’en présider les conseils et d’en signer les décrets, qu’il ait la possibilité de dissoudre l’Assemblée élue au suffrage direct au cas où nulle majorité cohérente ne permettrait à celle-ci de jouer normalement son rôle législatif ou de soutenir aucun Gouvernement, enfin qu’il ait la charge d’être, quoi qu’il arrive, le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et des traités signés par la France.
« Il nous paraît nécessaire que le gouvernement de la France en soit un, c’est-à-dire une équipe d’hommes unis par des idées et des convictions semblables, rassemblés pour l’action commune autour d’un chef et sous sa direction, collectivement responsables de leurs actes devant l’Assemblée nationale, mais réellement et obligatoirement solidaires dans tous leurs actes, dans tous leurs mérites et dans toutes leurs erreurs, faute de quoi il peut y avoir une figuration exécutive mais non pas de gouvernement.
« Il nous paraît nécessaire que le Parlement en soit un, c’est-à-dire qu’il fasse les lois et contrôle le Gouvernement sans gouverner lui-même, ni directement, ni par personnes interposées. Ceci est un point essentiel et qui implique, évidemment, que le pouvoir exécutif ne procède pas du législatif, même par une voie détournée qui serait inévitablement celle des empiétements et des marchandages. Le Parlement doit comporter deux chambres : l’une prépondérante, l’Assemblée nationale, élue au suffrage direct, la seconde, le Conseil de la République, élue par les conseils généraux et municipaux. »
Les deux piliers de la Constitution du 4 octobre 1958, ceux qui lui ont apporté stabilité et efficacité, sont préservés par le présent projet de loi constitutionnelle : l’élection directe du Président de la République par le peuple, la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale. La première assure la légitimité du « leadership » qui lui-même garantit l’efficacité du régime, la seconde assoit le caractère parlementaire du régime qui assure un contrôle de l’exécutif.
L’originalité du régime mais aussi son équilibre reposent sur un double circuit de légitimation que certains qualifient d’« incarnatif » et de « représentatif » (104).
Dans son premier aspect, le pouvoir est incarné par le chef de l’État, issu directement de la volonté populaire, relation à propos de laquelle le Général de Gaulle parlera à la fois de perception intime et d’accord fondamental. Dans toutes les démocraties modernes, cette évolution peut être constatée. Il suffit de citer, à cet égard, l’évolution du rôle des Premiers ministres tant au Royaume-Uni qu’en Allemagne, en Italie qu’en Espagne. Nul n’échappe à ce besoin d’incarnation. Dans le cas spécifique de la Ve République, l’élection du Président permet de passer un contrat avec le peuple − l’engagement de choisir la voie parlementaire pour autoriser la ratification du traité de Lisbonne (105) annoncé pendant la campagne électorale et aujourd’hui tenu est là pour le montrer. Au-delà de l’élection, le recours au référendum permet la circulation de la volonté et des soutiens dans ce corps unique que composent la France et son Président. Participent de cette même incarnation la possibilité de recourir aux dispositions de l’article 16 de la Constitution et, plus généralement, le pouvoir de prendre des décisions sans contreseing ministériel en application de l’article 19 de la Constitution.
Avec le quinquennat, la mise en jeu de la responsabilité politique du Président de la République est devenue plus fréquente. Comme l’a analysé M. Nicolas Tenzer, à propos de la réforme du 2 octobre 2000, « on aurait pu aussi bien conserver un septennat si l’on restait attaché à un président irresponsable et qui, selon la formule que La Rochefoucauld appliquait au cardinal de Retz, " s’éloigne du monde qui s’éloigne de lui " » (106). Et cette responsabilité répond à un Président qui est plus acteur qu’arbitre. Qui peut nier, par ailleurs, que le Président de la République sous le régime de la Constitution de 1958 est resté cantonné dans cette dernière fonction ? De nombreux auteurs ont montré que, à partir de la réforme constitutionnelle de 1962, par construction, l’institution présidentielle entre dans le cycle majoritaire – composé plus ou moins largement il est vrai – et le Président, s’il incarne l’unité, ne peut plus se prévaloir de l’unanimité.
Dans son second aspect, représentatif, le pouvoir tel qu’établi par la Constitution de 1958 revêt l’aspect classique du pouvoir parlementaire, mettant en jeu une majorité et une opposition, permettant de relayer et de structurer les débats qui animent la société, selon des procédures préétablies, régulièrement légitimées aux sources du suffrage universel direct − pour l’Assemblée nationale − ou indirect − pour le Sénat. Notre démocratie permet d’ouvrir la discussion à l’éventail des opinions et de la clore sur un compromis raisonnable. Le pari lancé en 1958 par les promoteurs de la nouvelle Constitution est réussi. Michel Debré relevait ainsi que « parce qu’en France la stabilité gouvernementale ne peut résulter d’abord de la loi électorale, il faut qu’elle résulte au moins en partie de la réglementation constitutionnelle, et voilà qui donne au projet son explication décisive et sa justification historique. Si nous voulons que le futur régime parlementaire de la démocratie française ne connaisse qu’un Gouvernement par législature, il n’est pas possible d’agir autrement. » (107)
Il faut reconnaître, en outre, que cette situation est très comparable à celle de nos voisins. Chez chacun, l’initiative de la loi appartient essentiellement au pouvoir exécutif et traduit la mise en œuvre du programme gouvernemental, la discussion des projets de loi se présente formellement comme une prérogative parlementaire, mais tend plus à rendre publiques les prises de position de l’opposition qu’à déterminer le contenu des décisions et le vote de la loi, enfin, est, en règle générale, acquis au Gouvernement par le jeu majoritaire et grâce à l’exercice de la discipline partisane.
Mais, en France, la prééminence du chef de l’État sur le Parlement, c’est la « substantifique moelle » du dessein gaullien, formant un « parlementarisme à correctif présidentiel » selon l’expression de M. Jean-Claude Colliard. Abordant son projet de faire élire le Président de la République au suffrage universel direct, le Général de Gaulle estime qu’en 1958, « dès lors que je demandais au pays d’arracher l’État à la discrétion des partis en décidant que le Président, et non plus le Parlement, serait la source du pouvoir et de la politique, mieux valait prendre quelque délai avant d’achever cette immense mutation » (108). Il estime nécessaire de « remédier aux abus que l’omnipotence impuissante du Parlement étalait naguère à tous les yeux » (109) et, évoquant le rôle du chef de l’État, estime que « le bon sens commande de n’y point confondre en une seule personne le rôle suprême de chef de l’État, à qui incombe le destin, c’est-à-dire le lointain et le continu, et la charge seconde de Premier ministre, qui, au milieu des saccades de toutes les sortes et de tous les jours, mène l’action du moment et dirige les exécutants » (110).
Auparavant, dans la première partie de ses Mémoires d’espoir, il rappelait : « En prenant mes fonctions, je fais connaître au Parlement par un message qu’il faut qu’il en soit ainsi : " Le caractère de notre époque et le péril couru par l’État faute de l’avoir discerné ont conduit le peuple français à réformer profondément l’institution parlementaire. Cela est fait dans les textes. Il reste à mettre en pratique les grands changements apportés au fonctionnement des assemblées et aux rapports entre les pouvoirs. En le faisant, l’Assemblée nationale assurera, pour ce qui la concerne, à l’État républicain l’efficacité, la stabilité et la continuité exigées par le redressement de la France… Là sera l’épreuve décisive du Parlement. " Par la suite, je vais m’employer à ce que ne soit pas altérée peu à peu et en détail la réforme capitale du système représentatif, suivant laquelle le Parlement, s’il délibère et vote les lois et contrôle le ministère, a cessé d’être la source d’où procèdent la politique et le Gouvernement. » (111)
La Ve République a permis la fin de certains errements parlementaires, un renforcement de l’exécutif, la mise en place d’un contrôle de constitutionnalité des lois et la stabilité des coalitions.
Ce qu’il manque, ainsi que M. Édouard Balladur l’a souligné à maintes reprises à l’occasion et à l’issue des travaux du comité qu’il a présidé, ce sont des contre-pouvoirs. La solution n’est pas dans l’affaiblissement du Président de la République, élu par le peuple, mais dans l’émergence de pôles susceptibles d’apporter plus d’équilibre dans l’ensemble du système institutionnel.
La notion de contre-pouvoir ne doit pas elle-même faire l’objet d’une mauvaise interprétation. Il ne s’agit pas de réaliser un équilibre si parfait que rien ne bouge plus, jamais, et d’attendre l’avènement du royaume de l’inertie. Il s’agit de créer un débat duquel puisse naître la bonne politique, celle qui est légitimée par la majorité des citoyens, celle est qui est efficace pour tous. C’est précisément dans la création de ce débat que réside la modernisation de notre République.
Gage d’efficacité par rapport à la dilution des responsabilités caractéristique des Républiques précédentes, le pouvoir incarné est devenu, par l’élection au suffrage universel direct, représentatif. En revanche, le pouvoir représentatif classique, celui incarné par l’Assemblée nationale en particulier et par le Parlement en général, a vu son efficacité continuer d’être contestée, justifiant par là même « l’abaissement du Parlement ». La place du peuple souverain lui-même souffre encore d’incertitudes. Donner à l’un les moyens d’accroître son efficacité, donner à l’autre une place mieux adaptée aux exigences de notre temps constitue le double enjeu de la modernisation de nos institutions.
L’Académie des sciences morales et politiques, dans son avis sur le projet de révision constitutionnelle en date du 14 avril 2008, rendu sur le rapport de M. Jean Foyer, a pu constater que « la Constitution ne serait pas modifiée au point de remettre en cause sa " double lecture " parlementaire et présidentielle. Il convient à cet effet de veiller à ce que rien ne vienne porter atteinte à l’équilibre et à la souplesse dont le régime a fait la preuve notamment grâce à la " double lecture " qui a garanti depuis cinquante ans la stabilité institutionnelle, en même temps que la stabilité gouvernementale. »
B. LES MOYENS DE LA MODERNISATION
La place du Parlement dans la réalisation du principe démocratique est bien établie. En effet, cette dernière suppose « que la " volonté " exprimée dans l’ordre juridique (...) est identique à la volonté des sujets » (112). La démocratie repose ainsi sur l’identification des auteurs et des destinataires des normes, identification fondée sur la fiction de la représentation. Rendre du pouvoir aux uns et aux autres, sans pour autant affaiblir un pouvoir exécutif qui a permis de conduire notre pays à travers alternances, cohabitations et crises pendant près de cinquante ans, tel est le pari de la présente révision constitutionnelle.
À lire tous ceux qui ont écrit sur le Parlement depuis 1959, il serait « l’homme malade » des institutions de la Ve République. Il suffit pour s’en convaincre de citer quelques titres : Un Parlement pour quoi faire ? de M. André Chandernagor en 1967 (113) ; Réinventer le Parlement de MM. Pierre Birnbaum, Francis Hamon et Michel Troper en 1977 (114) ; « Réhabiliter le Parlement » de M. Guy Carcassonne en 1989 (115) ; Les miettes parlementaires ou un Parlement à refaire de M. Jean-Michel Belorgey en 1991 ; « La crise identitaire du Parlement français » de M. Joël Boudant en 1992 (116) ; « La crise des assemblées parlementaires françaises » de M. Jean-Pierre Duprat également en 1992 (117) ; « Le dévoiement » de M. Pierre Avril en 1993 (118) ; Les 577, des députés pour quoi faire ? de MM. Paul Quilès et Ivan Levaï en 2001 (119) ; « La rénovation du Parlement : mythes et réalités », également de M. Pierre Avril, en 2007 (120), sans compter le célèbre « Quand le dormeur s’éveillera » publié par Edgar Faure dans Le Monde en 1971.
Face à ces multiples appels en forme tout à la fois d’angoisse, d’avertissement, de programme et de regrets, deux attitudes, qui ne s’excluent d’ailleurs pas l’une l’autre, sont possibles.
La première consiste à relativiser, comme le faisait M. Guy Carcassonne en 1989 dans son article précité : « Implicitement mais nécessairement, ce thème de la dévalorisation renvoie à des modèles de référence contestables : au mieux celui du Parlement traditionnel, qui décide souverainement de lois dont il prend l’initiative et contrôle effectivement le Gouvernement, modèle dont on sait qu’il n’a existé sous cette forme que durant quelques décennies du XIXe siècle et dans la seule Grande-Bretagne ; au pire, celui du Parlement de la IVe République dont nul ne songerait à nier qu’il avait plus de facultés qu’aujourd’hui mais dont il serait audacieux de prétendre qu’il en usait de manière satisfaisante. En réalité la comparaison internationale fait bien vite apparaître que les pouvoirs du Parlement français sont, à très peu de chose près, identiques à ceux de tous ses homologues et que les données statistiques sur l’initiative législative ou le contrôle du Gouvernement, sont très voisines. »
La seconde attitude implique l’action. Mais force est de reconnaître que, si le même diagnostic est donné à chaque fois, aucune des très nombreuses réformes qui sont intervenues depuis cinquante ans n’a constitué un remède pleinement efficace. Le Parlement a sans doute épuisé les ressources réglementaires de sa réforme. Une modification substantielle de la Constitution apparaît nécessaire pour que le discours du Président Edgar Faure, prononcé le 30 juin 1973, lors de son allocution de prise de fonction, de prophétie devienne réalité : « Il était inévitable, sans doute, que, dans un premier temps, la réhabilitation du pouvoir exécutif, son installation dans la durée et dans l’efficacité aient eu comme contrepartie un certain effacement de la fonction parlementaire. Cette période est maintenant terminée, la transition est accomplie, la pénitence doit prendre fin. »
C’est pourquoi il est proposé de modifier la Constitution sur des points importants, susceptibles de rééquilibrer le fonctionnement de nos institutions en faveur du Parlement, sans pour autant affaiblir le pouvoir exécutif. « Organiser mieux, légiférer moins, négocier plus », tel pourrait être le mot d’ordre de cette révision (121).
La mécanique des institutions n’est pas un jeu à somme nulle dans lequel tout renforcement des pouvoirs de l’un se traduirait nécessairement par l’affaiblissement du pouvoir de l’autre et dans lequel toute prérogative supplémentaire attribuée à l’un se ferait au prix de l’amputation des prérogatives de l’autre. Limiter sa réflexion dans le cadre d’un système de vases communicants entre régime présidentialisé et régime parlementarisé empêcherait de progresser. La somme finale doit, et peut, être positive.
Dans ces conditions et dans le contexte de la Ve République, il convient de trouver les moyens de donner de l’oxygène à un Parlement par trop enserré dans le carcan dessiné en 1958, tout en tempérant le pouvoir exécutif sans pour autant l’amoindrir.
Au-delà de la clarification par l’adaptation du droit au fait des missions confiées respectivement au Président de la République et au Premier ministre en matière de défense nationale dans l’article 21 de la Constitution modifié par l’article 8 du présent projet de loi constitutionnelle (122) – disposition que votre commission des Lois a estimée inutile et supprimée en conséquence –, ce dernier permettra :
― de favoriser le renouvellement de la vie politique en limitant à deux le nombre de mandats consécutifs qu’un même Président de la République pourra effectuer, dans la suite logique et démocratique de l’instauration, en 2000, du quinquennat (article 2) (123) ; votre commission des Lois a adopté cet article sans modification ;
― d’encadrer, comme l’a recommandé le « comité Balladur », le pouvoir de nomination du Président de la République pour les emplois qui ne sont pas pourvus en Conseil des ministres par un avis qui sera donné par une commission composée de parlementaires (article 4) (124), cette réforme s’appliquant également aux membres du Conseil constitutionnel (article 25) (125), aux personnalités nommées au CSM (article 28) (126) et au Défenseur des droits des citoyens, dont la fonction est créée par la présente révision (article 31) (127) ; votre commission des Lois a retenu un mécanisme de réunion conjointe des commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, afin de ne pas alourdir excessivement le dispositif ; elle a également retenu le principe d’un veto qui s’imposerait au Président de la République dès lors que sa proposition recueillerait l’avis défavorable de trois cinquièmes des membres des deux commissions réunies ;
― d’encadrer également son pouvoir de grâce (article 6) (128), qu’il ne pourra plus exercer qu’à titre individuel et après avis d’une commission compétente pour examiner les recours en grâce, tandis qu’il ne présidera plus le CSM (article 28) (129) ;
― d’instaurer un contrôle renforcé de l’utilisation des pouvoirs exceptionnels du Président de la République dans le cadre de l’article 16 de la Constitution, modifié par l’article 5 du présent projet de loi constitutionnelle (130) ;
― de stabiliser les structures gouvernementales par la limitation par la loi organique du nombre non seulement des ministres, mais également des autres membres du Gouvernement (article 3) (131) ; votre commission des Lois n’a pas jugé indispensable d’inscrire dans la Constitution un tel renvoi à une loi organique et a, en conséquence, supprimé cet article. En revanche, à l’initiative de M. René Dosière et des membres du groupe SRC, elle a modifié l’article 23 de la Constitution pour rendre incompatible l’exercice d’une fonction ministérielle avec celui d’une fonction de maire d’une commune de plus de 20 000 habitants, de président de conseil régional ou de conseil général (article additionnel après l’article 8).
En outre, en application des préconisations du « comité Balladur », la possibilité ouverte par l’article 7 au Président de la République de pouvoir s’adresser directement au Parlement (132), loin de pouvoir s’analyser seulement comme la marque d’une nouvelle prérogative présidentielle, outre qu’elle met fin à une interdiction archaïque, tend à éviter le risque d’enfermement de la fonction présidentielle et doit contribuer à revaloriser le Parlement en conduisant le chef de l’État à venir devant lui pour dresser les perspectives, faire le bilan de son action ou si une crise le commande. Votre commission des Lois a modifié les modalités d’application de ce mécanisme, en réservant la déclaration du Président de la République au Congrès du Parlement, tandis qu’un débat, hors sa présence et sans qu’un vote puisse être organisé, pourrait avoir lieu. Ainsi, seraient respectés les grands équilibres de la Ve République.
Cette mesure ainsi que la faculté offerte par l’article 10 aux ministres, qui étaient parlementaires lorsqu’ils ont accepté des fonctions gouvernementales, de retrouver leur siège lorsqu’ils quittent celles-ci (133), sans pour autant que la règle fondamentale de l’incompatibilité entre les fonctions ministérielles et parlementaires ne soit enfreinte, permettront de participer au renforcement de l’identité du Parlement dans le paysage constitutionnel français.
Doivent participer de cette revalorisation du Parlement, sur le fondement de l’article 9 du présent projet de loi constitutionnelle (134), tant l’inscription claire de ses missions dans la Constitution – qui sont le vote de la loi et le contrôle de l’action gouvernementale, missions auxquelles votre commission des Lois a ajouté l’évaluation des politiques publiques –, que la plus grande légitimité offerte au Sénat grâce au renforcement de son caractère représentatif ou encore la représentation à l’Assemblée nationale des Français établis hors de France. Votre commission des Lois a également souhaité limiter le nombre maximum de députés et de sénateurs à cinq cent soixante-dix-sept pour les premiers, soit l’effectif actuel, et à trois cent quarante-huit pour les seconds, soit l’effectif qui sera atteint lorsque la réforme de 2003 sera complètement entrée en vigueur.
L’amélioration du caractère représentatif du Parlement dans son ensemble implique également que la délimitation des circonscriptions dans lesquelles se déroule l’élection de ses membres obéisse à un processus impartial. Pour garantir ce caractère aux opérations de « découpage » électoral, il est proposé, dans l’article 10 du présent projet de loi constitutionnelle (135), de soumettre tous les projets de délimitation des circonscriptions et de répartition des sièges entre elles à une commission indépendante dont il reviendra à la loi ordinaire de fixer les règles d’organisation et de fonctionnement. Votre commission des Lois a jugé utile de préciser que la composition de la commission sera également fixée par cette loi.
Le projet de loi constitutionnelle permettra, en outre, de mieux associer le Parlement à la définition des objectifs de l’action du Gouvernement, en autorisant le vote de lois de programmation dans tous les domaines de l’action de l’État, au-delà du domaine économique et social qui est aujourd’hui le seul visé (article 11) (136).
Enfin, l’augmentation de six à huit du nombre des commissions permanentes dans chaque assemblée permise par l’article 17 du présent projet de révision (137), permettra au Parlement de mieux organiser son travail, de concentrer son attention sur des secteurs mieux circonscrits et d’augmenter sa capacité d’examen des textes et de contrôle de l’action du Gouvernement. Dans la détermination du nombre de commissions, il convient de trouver un juste milieu entre la spécialisation – il ne s’agit pas d’aller jusqu’aux trente-neuf commissions établies par le Bundestag lors de sa Ière législature, soit le double du nombre qui existait sous la République de Weimar – et la dilution « à la française » – avec des commissions de cent quarante-cinq membres à l’Assemblée nationale, soit le nombre le plus important atteint dans les parlements européens comparables et si l’on fait exception de la particularité britannique de la « Commission de la Chambre entière ».
Mais le rééquilibrage des institutions au profit du Parlement passe aussi par la réforme de ses fonctions principales, ce qui implique à la fois de réformer en profondeur la procédure législative, de trouver les voies d’un meilleur exercice du contrôle de l’action du Gouvernement et d’attribuer un véritable statut à l’opposition.
Revaloriser le Parlement, c’est permettre de revaloriser sa « production » c’est-à-dire améliorer la qualité de la norme. Une meilleure délibération produit une meilleure loi. Pour ce faire, il est proposé de modifier de manière importante les règles présidant à la procédure législative.
Le « comité Vedel » constatait déjà dans son rapport du 15 février 1993 que « l’amélioration de la procédure législative est un volet essentiel de la rénovation de la fonction parlementaire (…). La révision de la Constitution doit ainsi être l’occasion de prendre en compte les souhaits très convergents de tous ceux qui ont eu l’occasion de se pencher sur la réalité du travail parlementaire. »
La tradition parlementaire française repose sur le primat de la séance plénière : les commissions n’ont en droit qu’un rôle d’instruction et de préparation en amont de la séance plénière et la Constitution du 4 octobre 1958 a renforcé la primauté de celle-ci en même temps que les prérogatives du Gouvernement par l’effet de deux dispositions, les articles 42 et 44. Or, compte tenu des évolutions du travail parlementaire rendues nécessaires par le rééquilibrage des institutions, il convient de revoir l’articulation entre la commission et la séance plénière.
L’enjeu est de ne pas refaire dans l’une ce qui a déjà été fait dans l’autre. Le travail de maturation doit être préservé, d’où l’importance de fixer des délais. L’encombrement de la séance publique résulte souvent du fait que les discussions traînent en longueur parce que les questions n’ont pas pu être traitées en commission faute de temps. Tous les acteurs ont d’ailleurs fini par intégrer cet état de fait dans leurs comportements. Ainsi, combien de fois l’examen des amendements est renvoyé à la réunion qui se tient le jour même de la séance, quelques minutes avant le début de celle-ci ? Or, le temps dans les réunions de ce type est encore plus compté.
Tout converge ainsi pour justifier de donner une place plus grande aux commissions dans l’élaboration de la loi. Ceci résulte tant des déclarations des acteurs que des exemples étrangers. Notre collègue Laurent Fabius, alors Président de l’Assemblée nationale, pouvait ainsi écrire que « s’il fallait retenir un critère pour estimer le poids réel du Parlement vis-à-vis de l’exécutif, quel que soit le caractère du régime, ce serait justement la place donnée aux commissions » (138). Dans le même esprit, deux auteurs qui se sont livrés à une grande étude de droit comparé relèvent que « l’existence de commissions fortes constitue au moins une condition nécessaire à une influence parlementaire réelle dans la procédure d’élaboration de la loi » (139). Partout, s’est fait sentir la nécessité de renforcer leurs prérogatives. Dans leur étude comparative, MM. Lawrence Longley et Roger Davidson observent que le renouveau parlementaire reposerait sur des innovations structurelles, au premier rang desquelles se trouve le renforcement des commissions (140).
Nous nous acheminons ainsi vers une plus grande concentration et une plus grande spécialisation du travail législatif, en faveur des commissions, dont le nombre augmenterait et dont le rôle serait accru. Accorder plus de pouvoirs à des commissions plus nombreuses constitue une des voies privilégiées de la revalorisation du Parlement. « Le nombre de commissions est corrélé de manière positive avec la puissance des commissions (…). Il y a une relation inverse entre le nombre de commissions et le pouvoir de l’exécutif. La logique qui sous-tend cette conclusion est claire : plus grand est le nombre de groupes restreints de parlementaires, moins facile est le contrôle du Gouvernement sur eux que s’il avait à s’exercer sur une seule et grande commission. » (141)
Le présent projet de loi constitutionnelle enregistre et amplifie ce mouvement :
― en organisant la discussion en séance publique dans l’assemblée saisie, non plus sur la base du projet de loi déposé par le Gouvernement ou du texte transmis par l’autre l’assemblée, mais, comme pour les propositions de loi en première lecture, sur celle du texte adopté par la commission saisie au fond (article 16) (142) ; il sera plus difficile au Gouvernement de modifier cet état consolidé des positions de la commission que de repousser ses amendements ; cette « révolution » dans la méthode sera étendue aux projets et propositions de loi organique (article 20) (143) ;
― en fixant un délai minimum pour la première lecture, d’un mois entre le dépôt d’un texte et son examen en séance et de quinze jours entre la première assemblée saisie et la seconde (article 16) ; votre commission des Lois, pour donner à la réforme toutes ses chances de réussir, a souhaité porter ces délais respectivement à six et trois semaines ;
― en permettant au Parlement, par le biais d’une position commune de la Conférence des Présidents de chaque assemblée, de s’opposer à la procédure d’urgence (article 19) (144) ;
― en autorisant les règlements des assemblées, dans le cadre d’une loi organique, à opérer des distinctions entre le régime des amendements en commission et celui des amendements en séance, que ce soit pour ceux des parlementaires ou pour ceux du Gouvernement (article 18) (145) ; cette mesure permettra, d’une part, de faciliter le recours à des procédures simplifiées pour des textes à caractère essentiellement technique, et, d’autre part, d’autoriser la Conférence des Présidents de chaque assemblée à fixer une durée programmée d’examen des textes en réponse aux actions d’obstruction, mais surtout, pour les textes les plus complexes, à en organiser la délibération dans les meilleures conditions de prévisibilité pour tous les acteurs du débat législatif ; en contrepartie, votre commission des Lois a prévu que le champ des amendements, en première lecture, soit élargi au-delà du cadre rigide défini par la jurisprudence constitutionnelle relative aux « cavaliers législatifs » (146) (article 19) ;
― en confiant à la Conférence des Présidents de chaque assemblée, et non plus au Gouvernement, la mission constitutionnelle de fixer l’ordre du jour (article 22) (147) ; cette modification des règles de fixation de l’ordre du jour dans chaque assemblée constitue l’un des points essentiels de la réforme de la procédure législative. La possibilité pour le Gouvernement d’obtenir l’inscription par priorité de textes, dans la limite de deux semaines de séance sur quatre, permet de déroger au principe de la fixation de l’ordre du jour par la Conférence des Présidents sans rétablir pour autant un monopole gouvernemental. Le Gouvernement pourra également obtenir l’inscription par priorité, en dehors des semaines qui lui sont réservées, des textes financiers (projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale), des textes en navette et des textes et demandes d’autorisation liés à des situations exceptionnelles. Par ailleurs, la séance mensuelle d’initiative parlementaire, introduite par la révision constitutionnelle du 4 août 1995, deviendra un jour de séance par mois, réservé à un ordre du jour fixé par les groupes d’opposition. Enfin, la nouvelle rédaction de l’article 48 permettra une extension aux sessions extraordinaires des séances réservées aux questions au Gouvernement ;
― en limitant l’usage de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution aux seuls projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale et, par « mesure de précaution », à un autre texte par session (article 23) (148).
Par ailleurs, deux autres dispositions pourront très directement favoriser l’amélioration de la qualité de la norme : l’article 14 autorisera le Président de l’assemblée saisie d’une proposition de loi à la soumettre pour avis au Conseil d’État dans des conditions fixées par une loi ordinaire (149) ; l’article 15 favorisera la protection du domaine de la loi des empiétements de mesures réglementaires en autorisant, à l’instar de ce qui est déjà prévu au profit du Gouvernement, le Président de chaque assemblée à opposer l’irrecevabilité à un amendement qui aurait un caractère réglementaire, qu’il s’agisse d’un amendement parlementaire ou d’un amendement du Gouvernement (150). Votre commission des Lois a ajouté une troisième disposition faisant droit aux recommandations du « comité Balladur » et consistant à prévoir une loi organique qui permettra d’améliorer la qualité de la préparation des projets de loi grâce à la réalisation d’études d’impact obligatoires (article 14).
La possibilité ouverte, sous certaines conditions, par l’article 12 du présent projet de loi constitutionnelle (151), au Parlement de voter des résolutions, est présentée comme devant participer à l’amélioration de la qualité du travail législatif, dès lors qu’elle pourrait donner aux parlementaires les moyens d’exprimer leurs positions sans pour autant éprouver le besoin de leur donner une traduction législative souvent artificielle.
Mais votre commission des Lois a considéré que cette disposition, loin de revaloriser le Parlement, soit le conduirait sur la voie des bavardages inutiles, soit l’entraînerait sur des chemins détournés de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement et elle l’a supprimée. Mieux vaut, pour assurer cet objectif de revalorisation, donner aux assemblées parlementaires les moyens de renforcer leur capacité de contrôler l’action gouvernementale.
En insérant un nouvel article 50-1 dans la Constitution, votre commission des Lois a préféré donner la possibilité aux assemblées parlementaires de débattre et de voter sur une déclaration du Gouvernement, qui, par contraste avec une déclaration de politique générale, pourrait porter sur un thème spécifique ou une politique sectorielle – l’éducation ou une entreprise diplomatique particulière par exemple – et qui, là aussi par contraste avec une déclaration de politique générale, n’emporterait pas la responsabilité gouvernementale. En revanche, ce mécanisme permettrait à chaque assemblée de dire son opinion, de présenter formellement sa position (article additionnel après l’article 23) (152).
La nouvelle rédaction de l’article 24 de la Constitution (article 9) permet de faire figurer au premier alinéa de cet article une définition des missions du Parlement et de mentionner ainsi la fonction de contrôle de l’action du Gouvernement qui incombe au Parlement (153). Comme on l’a vu, votre commission des Lois y a ajouté la mission d’évaluation des politiques publiques.
L’article 13 remédie à une anomalie dénoncée de longue date, qui voyait le Parlement privé de la possibilité de s’exprimer sur les interventions des forces armées françaises à l’étranger autrement que par le biais de débats généraux organisés à la discrétion du Gouvernement ou de la discussion budgétaire. Il sera désormais informé dans les plus brefs délais de ces interventions, dont la prolongation au-delà de six mois sera soumise à son autorisation (154). À l’initiative de M. Arnaud Montebourg, votre commission des Lois a précisé que cette information devait être fournie dans les trois jours et qu’elle devait préciser les objectifs poursuivis ainsi que les effectifs engagés.
Dans l’exercice de cette mission de contrôle de l’action du Gouvernement, le Parlement pourra également s’appuyer sur les dispositions du nouvel article 47-2 qui est introduit dans le titre relatif aux relations entre le Parlement et le Gouvernement (article 21) (155). Cet article 47-2 énumère les missions d’assistance de la Cour des comptes. Il affirme sa mission d’assistance au Parlement pour le contrôle de l’action du Gouvernement. Il regroupe les dispositions figurant aujourd’hui aux articles 47 et 47-1 de la Constitution, relatives à l’assistance de la Cour des comptes au Parlement et au Gouvernement pour le contrôle de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale. Il consacre enfin la contribution de la Cour à l’évaluation des politiques publiques.
Sur le fondement de ce nouvel article, les différents organismes internes à chacune des deux assemblées pourront requérir l’assistance de la Cour des comptes. Il est ainsi mis un terme à la relation exclusive de la Cour des comptes avec les commissions des Finances et avec les commissions chargées de l’examen des lois de financement de la sécurité sociale des deux assemblées. La disposition de l’article 21 du projet de loi permettra par conséquent d’apporter au Parlement un soutien décisif dans sa mission de contrôle et d’évaluation.
Les articles 9 et 21 du projet de loi n’en suscitent pas moins une interrogation, qui tient à l’absence de toute mention relative à l’évaluation des politiques publiques par le Parlement et à l’assistance de la Cour des comptes dans le cadre de ce travail d’évaluation. Cette absence est d’autant plus surprenante que le « comité Balladur » avait au contraire proposé de faire figurer dans la Constitution tant la mission d’évaluation des politiques publiques que la mission de contrôle de l’action du Gouvernement (156).
Il pourrait être soutenu que le terme de contrôle permet de désigner à la fois des tâches de contrôle et des tâches d’évaluation. Il est vrai que les deux activités semblent souvent indissociables. Toutefois, le contrôle est cantonné à « l’action du Gouvernement », tandis que l’évaluation concerne l’ensemble des « politiques publiques ». Ces deux domaines ne sont pas strictement équivalents. Certaines actions du Gouvernement ne sont pas à proprement parler des politiques publiques. En sens inverse, d’autres personnes publiques que le Gouvernement, au premier chef les collectivités territoriales, conduisent des politiques publiques qui leur sont propres.
Le principal argument à l’encontre de la mention dans la Constitution du rôle du Parlement dans l’évaluation des politiques publiques est celui selon lequel il conviendrait de mentionner dans la Constitution uniquement les missions qui sont l’apanage exclusif du Parlement. Il serait dès lors peu satisfaisant d’y faire figurer une mission qui peut également être assurée par le Gouvernement lui-même. Cependant, on peut observer que si le Parlement vote la loi, la Constitution permet également au peuple français, consulté par la voie du référendum, d’adopter certaines lois (article 11 de la Constitution), sans qu’aucune délibération du Parlement n’intervienne. Ainsi, la mention du rôle du Parlement en matière d’évaluation des politiques publiques pourrait très bien être compatible avec le fait que cette évaluation n’est pas une mission exclusive du Parlement et que le Gouvernement et la Cour des comptes peuvent également, et de manière distincte, procéder à des évaluations.
Votre commission des Lois vous propose pour cette raison de prévoir, au nouvel article 47-2 de la Constitution, que la Cour des comptes assiste le Parlement et le Gouvernement dans leur mission d’évaluation des politiques publiques. Enfin, pour donner au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques toute leur place dans le cadre des travaux parlementaires, votre commission des Lois propose également de réserver par priorité une semaine de séance sur quatre à un ordre du jour consacré au contrôle et à l’évaluation (article 22).
En outre, comme on l’a vu, le projet de loi permettra au Président de l’Assemblée nationale, à celui du Sénat, mais aussi à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels du Président de la République exercés sur le fondement de l’article 16 de la Constitution (157).
De manière spécifique, le contrôle du Parlement est renforcé en matière européenne. En application de l’article 32 (158), les projets et propositions d’actes européens seront transmis sans limitation au Parlement, tout en prenant compte de l’existence d’une base conventionnelle de transmission directe par les institutions européennes de documents aux parlements nationaux dans le cadre du contrôle de subsidiarité organisé par les traités. De la même façon, le Parlement pourra adopter des résolutions sur l’ensemble de ces documents européens, y compris lorsque les assemblées ne sont pas en session, ce qui constitue une différence notable avec le régime général des résolutions créé par l’article 12, insérant un article 34-1 de la Constitution. Est constitutionnalisé, sous l’appellation de « comité des affaires européennes », l’organe qui, dans chaque assemblée, est chargé de suivre les affaires européennes.
Par ailleurs, le Parlement retrouverait, sur le fondement de l’article 33, qui modifie l’article 88-5 de la Constitution (159), la possibilité de participer au contrôle du processus qui conduirait à la ratification du traité d’adhésion d’un nouvel État membre à l’Union européenne (160). Le cas de la Croatie continuant d’être réservé (161), le présent projet de loi constitutionnelle prévoit d’appliquer aux autres futures adhésions éventuelles la procédure qui s’applique aujourd’hui à la révision de la Constitution en vertu de son article 89 : le projet de loi autorisant la ratification devra être adopté par les deux assemblées en termes identiques et pourra, dès lors, être soumis par le Président de la République soit au peuple par référendum, soit au Parlement réuni en Congrès, auquel cas une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés serait requise.
Cette modification, inutilement compliquée, qui accorderait à chaque assemblée, de manière strictement égalitaire, le pouvoir de bloquer le processus d’adhésion, a été remplacée par votre commission des Lois par un dispositif qui maintient la voie référendaire dès lors qu’une nouvelle adhésion aurait pour conséquence d’accroître la population de l’Union européenne de plus de 5 %. Cette disposition permettra ainsi de distinguer celles des entrées dans l’Union européenne qui auraient nécessairement, compte tenu du poids démographique des candidats, des conséquences importantes sur les institutions.
Reconnaître à l’opposition une place particulière, c’est répondre aux exigences d’une démocratie moderne et responsable. C’est aussi un moyen efficace de revaloriser le Parlement, comme lieu privilégié de l’expression démocratique.
En effet, la modernité démocratique se définit par le principe majoritaire, mais aussi par la place accordée à la minorité et à l’opposition dans la compétition électorale et, une fois l’élection acquise, dans les assemblées délibérantes. Aussi la promotion d’un statut de l’opposition marque-t-elle l’avènement d’une démocratie parvenue au terme de son développement, ayant atteint l’âge de raison.
Dans le cours de la vie démocratique, un tel statut ne saurait se concevoir uniquement comme un carcan de règles écrites rigides qui, loin de la libérer, cantonnerait l’opposition dans les limites d’une expression véhémente mais vaine, garantissant à la majorité l’assurance de pouvoir passer outre tout débat, en toutes circonstances. Ce statut doit donc recouvrir certes une série de lois écrites mais également prendre en compte – l’exemple britannique est là pour le montrer – les us et coutumes.
Ainsi défini, un statut de l’opposition doit conférer à un parti ou à un groupement de partis, celui qui n’est pas au pouvoir, des droits spécifiques, qui vont plus loin que le seul poids de ce parti ou groupement de partis.
En conséquence, pour acquérir une réalité au-delà des seuls discours, un authentique statut de l’opposition nécessite la réunion de trois éléments indissociables :
― un élément structurel : c’est l’appartenance individuelle à un collectif, local ou national, qu’il s’agisse d’un parti, d’un groupement politique ou d’un groupe parlementaire, qui confère des droits particuliers ;
― un élément politique : l’opposition est une façon d’agir, qui se traduit par des actes répétés à l’encontre du pouvoir – refus de voter un budget, exercice d’un contrôle, contestation des politiques menées ;
― un élément juridique : le statut confère un droit collectif et privilégié, qui dépasse la seule représentativité du groupe qui en bénéficie.
La justification d’une telle dérogation au principe d’égalité est bien établie. De manière générale, pour Hans Kelsen, « la démocratie estime la volonté politique de tous égale, de même qu’elle respecte également toutes les croyances, toutes les opinions politiques, dont la volonté politique est simplement l’expression. (...) La domination de la majorité, si caractéristique de la démocratie, se distingue de toute autre domination parce qu’en son essence la plus profonde, non seulement elle suppose par définition même, mais encore reconnaît politiquement et, par les droits et libertés fondamentaux, par le principe proportionnaliste, protège une opposition – la minorité. » (162) Il ajoute : « Une dictature de la majorité sur la minorité n’est à la longue pas possible du seul fait qu’une minorité condamnée à n’exercer absolument aucune influence renoncera finalement à une participation purement formelle » (163).
La notion d’opposition s’apparente cependant à une « réalité insaisissable, quelque part entre droit et politique, entre le jeu des institutions et celui des rapports de forces » (164). Selon M. Pascal Jan, « l’opposition se présente comme une position reconnue d’un groupe au sein d’un régime politique en compétition pour l’accession légale au pouvoir et son exercice pacifique » (165).
C’est presque devenu un lieu commun que d’expliquer que la réelle séparation des pouvoirs n’est pas à chercher entre le Parlement et le Gouvernement, mais entre la majorité et l’opposition. Ainsi, Louis Favoreu estime que « la confrontation traditionnelle entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif s’efface de plus en plus désormais devant celle entre majorité et opposition. En France comme au Royaume-Uni ou dans d’autres systèmes parlementaires européens, le régime constitutionnel se caractérise en effet par une division bien marquée entre deux camps antagonistes : celui de l’exécutif soutenu par une majorité à l’Assemblée nationale ou à la Chambre des Communes et celui de la minorité représentée au Parlement, c’est-à-dire l’opposition. » (166) Comme l’exprime clairement M. Wilhelm Hennis, en évoquant l’Allemagne, « depuis le jour de sa première constitution, il n’y a jamais eu de Bundestag en tant que tel qui, dans sa totalité au sens de la doctrine constitutionnelle, aurait fait face aux autres pouvoirs. Depuis le début, il n’existait qu’en tant que majorité et opposition. » (167)
Si elle est partout présente dans les régimes démocratiques, cette reconnaissance s’inscrit dans un cadre plus ou moins formel en rapport avec les marques historiques de la naissance du parlementarisme propres à chaque pays (168).
La notion est née avec le régime parlementaire au Royaume-Uni. M. Jean-Louis Quermonne remarque qu’aujourd’hui encore « le parlementarisme se manifeste au Royaume-Uni à travers le dialogue permanent qu’entretient l’activité parlementaire entre la majorité et l’opposition » (169). Ces rapports sont consacrés, notamment, par le recours aux usual channels, instance de consultation informelle réunissant représentants du Gouvernement et de l’opposition et chargée de rechercher un terrain d’accord sur nombre de questions parlementaires, telles que l’ordre du jour ou le temps de parole.
Dans tous les pays, une meilleure place garantie à l’opposition est un signe de maturité démocratique du débat politique. Pour M. Roger-Gérard Schwartzenberg, le régime parlementaire, par nature, « valorise l’opposition. Il suppose une opposition cohérente, prête à prendre la relève de la majorité au pouvoir. Il tend à mettre sur le même plan le Gouvernement et l’opposition. » (170)
Si l’opposition trouve ainsi son expression la mieux admise au sein du Parlement, elle devrait également pouvoir être reconnue au niveau local. Si elle se laisse le plus facilement approcher dans le cadre des assemblées élues, elle doit aussi pouvoir être prise en compte durant la période électorale. L’avènement d’un authentique statut de l’opposition exigerait donc de couvrir l’ensemble du spectre du local au national, des élections à la vie des assemblées délibérantes.
Reconnaître l’opposition constitue aussi un levier fort de revalorisation du Parlement. Ce postulat est d’autant plus prégnant que la fonction de contrôle prend de l’importance dans l’activité des assemblées. S’il n’est pas question de revenir sur la logique majoritaire qui a apporté au régime stabilité et clarté des choix politiques – au rebours des expériences des Républiques précédentes –, en particulier dans le domaine législatif, la modernisation de notre démocratie impose d’accorder une véritable place à l’opposition au-delà des seuls discours bienveillants, mais impuissants.
La France, en 1958, avait pour principale préoccupation institutionnelle de se doter d’un Gouvernement stable, capable d’affronter les crises qui ont assombri les dernières années de la République précédente. Dès lors, le silence des textes sur la notion de minorité autant que sur celle de l’opposition peut s’expliquer aisément. Encore convient-il de rappeler que Michel Debré, lors de son discours devant le Conseil d’État, le 27 août 1958, avait déclaré : « un jour par semaine est réservé aux questions des parlementaires. La voix de l’opposition est ainsi assurée de se faire entendre. » Il ajoutait : « cette disposition est la marque décisive du régime parlementaire et des droits reconnus, dans le régime, à l’opposition. (…) L’intervention des assemblées est un contrôle et une garantie. Il ne faut pas, cependant, qu’un Gouvernement accapare les travaux des assemblées au point que l’opposition ne puisse plus manifester sa présence. Si elle ne doit pas pouvoir faire obstruction, elle doit pouvoir interroger. » Commentant, le 10 septembre 1946, le deuxième projet de l’Assemblée constituante, il avait déjà souligné la nécessité d’instituer « une opposition respectée, maintenant le pouvoir en éveil » (171).
La stabilité du Gouvernement ayant été assurée, la procédure des questions, si elle est nécessaire, se révèle à l’usage insuffisante et le silence de la Constitution sonne comme un manque. L’opposition doit accepter que la majorité est fondée à mettre sa politique en œuvre par la loi. En revanche, la majorité doit admettre que le contrôle est la vocation de l’opposition. La minorité doit être privilégiée, voire participer à égalité dans la responsabilité des activités de contrôle. Reconnaître à l’opposition sa juste place implique donc une sorte de « discrimination positive » à son égard, difficile à formaliser.
La recherche de ce que sont la majorité et l’opposition n’est pas nouvelle et a préoccupé nombre d’acteurs depuis les débuts de la Ve République avec l’apparition, puis, bientôt, la domination du fait majoritaire. Au cours de la Ière législature, notre ancien collègue, Robert Triboulet, député du Calvados, était ainsi allé jusqu’à proposer de séparer la majorité de l’opposition par un couloir divisant en deux parties l’hémicycle, afin de marquer physiquement l’appartenance de chacun à l’une ou à l’autre, selon un modèle tout britannique. Le passage d’un côté à l’autre n’aurait été admis que lors des « scrutins où le sort du ministère serait en jeu ». En vue des élections législatives de 1967, une nouvelle réglementation de la propagande radiotélévisée est mise en place avec la substitution au principe d’égalité entre toutes les formations présentant un minimum de candidats du principe de l’égalité entre la majorité, d’une part, et l’opposition, d’autre part.
Aujourd’hui, de manière relativement paradoxale, si l’opposition existe d’un point de vue politique, elle ne dispose de droits, dans une mesure d’ailleurs non négligeable, que dans le cadre des droits reconnus aux groupes parlementaires et de ceux dont bénéficie chacun des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, sans que soit distinguée l’appartenance à la majorité ou à l’opposition.
Comme l’a fait valoir le rapporteur devant le comité présidé par M. Édouard Balladur, « tout le monde parle de la majorité et de l’opposition, chacun sait ce que c’est. Mais personne ne l’a défini. Or, pour accorder des droits spécifiques à l’opposition, au-delà de son " poids démographique ", une définition juridique apparaît nécessaire. Le plus simple paraît de désigner membres de l’opposition ceux qui se déclarent tels ; un tel système déclaratif lié à l’octroi de droits spécifiques ne lèse personne, puisque lesdits droits sont des droits supplémentaires. Dans ce contexte, celui qui souhaite n’appartenir ni à la majorité, ni à l’opposition peut choisir de ne rien déclarer. Il ne perdra aucun droit, puisque, dans le système actuel, il n’en a aucun, l’essentiel des postes étant réparti au mieux à la représentation proportionnelle. »
Sur le modèle de ce qui a été fait en faveur de l’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions et mandats électifs, il pourrait être envisagé de donner un ancrage constitutionnel à l’octroi à l’opposition parlementaire de droits spécifiques, notamment en matière de contrôle de l’application des lois.
Il convient de créer un modèle original. L’exemple britannique reste avant tout une référence historique. En effet, s’ils forment un des éléments forts du parlementarisme, les droits de l’opposition nés au Royaume-Uni n’y connaissent pas le développement qu’on imagine parfois. Ainsi Eric Forth, qui a été Shadow Leader of The House, considère, dans cet esprit, que « la convention » de l’alternance est « une des rares protections accordées aux membres de l’opposition ». Cependant, si les droits de parole de l’opposition ne sont pas matériellement institutionnalisés, ils orientent traditionnellement les choix opérés par le Speaker.
Pour répondre à l’ensemble de ces exigences, le présent projet de loi constitutionnelle prévoit, au premier chef, dans son article 1er, d’accorder, dans un cadre national et sur le fondement de la loi, des droits particuliers aux partis et groupements qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement, ce qui permettra notamment de faciliter l’accès au financement public des partis qui ne composent pas la majorité qui soutient celui-ci (172). Votre commission des Lois a souhaité préciser et enrichir cette déclaration de principe, d’une part, en l’étendant au niveau local et, d’autre part, en adoptant la notion de « participation » ou de « non-participation » à la majorité des assemblées délibérantes de préférence à celle de déclaration ou d’absence de déclaration de soutien au Gouvernement.
Ce principe trouvera son prolongement au niveau parlementaire dans l’article 24 qui insère un article 51-1 nouveau dans la Constitution et qui renvoie aux règlements des assemblées le soin de déterminer les droits respectifs des groupes parlementaires – dont l’existence est ainsi consacrée dans la Constitution – qui ont déclaré soutenir le Gouvernement et de ceux qui n’ont pas déclaré le soutenir (173). Pour se conformer au choix fait dans l’article 1er et pour permettre de prendre en compte la possibilité d’avoir deux assemblées parlementaires qui n’ont pas la même majorité, votre commission des Lois a modifié la rédaction de l’article 24 pour substituer à la notion de déclaration de soutien au Gouvernement celle de participation à la majorité de chaque assemblée.
Toujours dans le cadre parlementaire, l’article 22 consacré à l’ordre du jour réserve de droit un jour de séance mensuelle à l’initiative des groupes qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement (174), tandis que l’opposition trouvera naturellement sa place dans la commission qui sera chargée, en application de l’article 4 du présent projet de loi constitutionnelle, de donner un avis sur certaines des propositions de nomination aux emplois publics faites par le Président de la République (175). En outre, la minorité parlementaire aura la possibilité de contester devant le Conseil constitutionnel la poursuite au-delà de trente jours de la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels du Président de la République, prérogative qu’il détient en vertu de l’article 16 de la Constitution. Cette saisine sera, en effet, comme on l’a vu, ouverte à soixante députés ou soixante sénateurs (article 5) (176).
Un tel statut implique évidemment, en premier lieu, la reconnaissance des droits de l’opposition mais également, en contrepartie, de ses devoirs, qui sont d’accepter la loi majoritaire, ce qui pose notamment la question de l’obstruction, et surtout de demeurer dans le cadre démocratique, dont le renforcement implique aussi d’améliorer la place accordée au citoyen.
La question à résoudre est bien celle de la réconciliation entre l’esprit public et les institutions, entre la société et les pouvoirs publics (177). La réponse passe certainement par la possibilité pour chacun de faire valoir ses droits et ses aspirations, ce que ne peuvent que faciliter l’organisation de l’accès des citoyens au Conseil constitutionnel, le raffermissement de l’autorité judiciaire dans son indépendance, la modernisation du Conseil économique et social, qui accueille les forces vives de la société française, ou encore la création d’une nouvelle institution, le Défenseur des droits des citoyens, appelé à intervenir dans les interstices de notre État de droit.
Près de cinquante années après son entrée en vigueur, la Constitution du 4 octobre 1958 a connu, comme on l’a vu, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel direct et l’extension progressive du contrôle de constitutionnalité de la loi deux modifications importantes contenues en germe dans le texte originel. Or, les deux institutions bénéficiaires de ces évolutions sont celles qui paraissaient les plus étrangères à notre tradition juridique.
Une nouvelle étape est franchie avec le présent projet de révision (articles 26 et 27) (178). L’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel aux questions de constitutionnalité soulevées à l’occasion d’une instance devant les juridictions judiciaires ou administratives vient parfaire le processus engagé en 1958 et complété en 1974.
Aussi cette disposition peut-elle être présentée, selon un paradoxe apparent, comme constituant à la fois une continuité et une rupture.
La continuité est évidente avec la réforme de 1974 et l’importance prise par le Conseil constitutionnel dans notre vie institutionnelle. L’auteur du rapport sur la révision de 1974 pouvait commencer son propos par les mots suivants : « Dans notre droit public, le Conseil constitutionnel constitue une greffe qui a réussi » (179).
La rupture est à rechercher dans l’apparente atteinte que cette réforme porterait à la conception française de la suprématie de la loi, expression de la souveraineté nationale. Mais il faut bien constater que la véritable rupture a réellement eu lieu dès 1958. En effet, si l’on peut trouver dans le droit public français antérieur quelques discrètes prémices ou ébauches à peine esquissées d’un contrôle de constitutionnalité de la loi (180), si la Constitution du 27 octobre 1946, dans ses articles 91 à 93, institue un Comité constitutionnel présidé par le Président de la République (181), c’est bien la Ve République qui lui a donné une réalité tangible.
Ainsi, depuis lors, le Conseil constitutionnel contrôle ou peut contrôler les normes juridiques émanant des assemblées parlementaires. En effet, aux termes de l’article 61 de la Constitution, ce contrôle se subdivise entre un examen obligatoire pour les lois auxquelles la Constitution confère un caractère organique et pour les règlements des assemblées et une saisine facultative pour les lois ordinaires.
Dans le texte initial de la Constitution, ce contrôle facultatif ne pouvait être mis en œuvre que par quatre autorités, le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale ou celui du Sénat. Comme on l’a vu, la loi constitutionnelle n° 74-904 du 29 octobre 1974, en étendant cette possibilité de saisine à soixante députés ou à soixante sénateurs, a provoqué un changement d’échelle dans le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel (182). Si entre 1959 et l’entrée en vigueur de la réforme de 1974, il a rendu neuf décisions portant sur des lois ordinaires, soit moins d’une décision par an, ce sont plus de trois cent cinquante-six décisions qui auront été rendues entre 1974 et 2007, soit plus de dix décisions par an en moyenne.
Une logique identique sera d’ailleurs suivie pour le contrôle de conformité à la Constitution des engagements internationaux signés par la France. Comme à l’article 61, le texte initial de la Constitution réservait la saisine aux quatre autorités que sont le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale et celui du Sénat. La loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992, dans son article 2, a élargi cette saisine à soixante députés ou soixante sénateurs (183).
Le système mis en place en 1958, renforcé en 1974, étendu en 1992, a montré son efficacité. Sans qu’il soit besoin d’en faire une démonstration détaillée, en bientôt cinquante années d’activité et notamment pendant les deux dernières décennies, le Conseil constitutionnel a pu élaborer une jurisprudence à la trame serrée et dont il n’est pas contestable, en particulier dans le domaine de la protection des droits fondamentaux des individus, qu’elle a contribué à parfaire l’État de droit dans notre pays.
La France, contrairement à d’autres pays, a choisi un contrôle à la fois spécialisé, qui n’est pas exercé par les juridictions ordinaires, préventif, puisqu’il intervient avant qu’un texte, loi ou traité, n’entre en vigueur, et abstrait, parce qu’il s’apprécie en dehors de toutes espèces particulières. Son effet vaut erga omnes. Mais, s’il garantit une grande sécurité juridique, c’est un contrôle limité car la saisine n’est ni systématique, ni ouverte à tout justiciable. Le système français est le seul en Europe à ne pas donner le droit à un citoyen de soulever, dans un procès, le moyen de l’inconstitutionnalité de la loi, tandis que tout juge, en revanche, peut exercer un contrôle de conventionalité de celle-ci et peut, sur ce fondement, en écarter l’application.
C’est pourquoi, en complément du contrôle direct de constitutionnalité et dans la perspective du parachèvement de notre système de contrôle des droits fondamentaux, plusieurs tentatives ont été menées depuis près de vingt ans pour permettre aux citoyens d’avoir accès, par l’entremise des juridictions ordinaires, à la justice constitutionnelle en les autorisant à invoquer la non-conformité à la Constitution de la loi dont il leur est fait application au cours d’un procès.
Un projet de loi constitutionnelle fut débattu en 1990. Après deux lectures dans chacune des deux assemblées, les positions de celles-ci paraissant inconciliables, la procédure s’arrêta à ce stade. Après la remise du rapport du « comité Vedel » qui se prononça dans ce sens, un nouvel essai fut entrepris en 1993 avec le dépôt d’un projet de loi constitutionnelle portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et modifiant ses titres VII, VIII, IX et X, sur le bureau du Sénat qui décida de supprimer l’ensemble de ses dispositions relatives au Conseil constitutionnel. Le projet poursuivit son cours amputé de ces dispositions pour aboutir à la loi constitutionnelle n° 93-952 du 27 juillet 1993 précitée.
Saisi de cette question, le « comité Balladur », dans sa proposition n° 74, proposa de nouveau d’instituer un contrôle, « qui aurait pour objet de permettre à tout justiciable d’invoquer, par la voie dite " de l’exception ", devant le juge qu’il a saisi, la non-conformité à la Constitution de la disposition législative qui lui est appliquée, à charge pour ce juge d’en saisir le Conseil constitutionnel dans des conditions à définir. Ne seraient naturellement invocables que les normes constitutionnelles de fond, le justiciable n’ayant pas vocation à s’ériger en gardien de la procédure législative ou du respect des compétences respectives du législateur et du pouvoir réglementaire. » (184)
Reprise dans le présent projet de loi constitutionnelle qui insère un article 61-1 nouveau dans la Constitution, cette proposition permettra au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi du Conseil d’État ou de la Cour de cassation, de répondre à la question, soulevée au cours d’une instance, de la conformité à la Constitution d’une disposition législative postérieure à 1958 (185). Aux fins de garantir un fonctionnement optimal de ce mécanisme, votre commission des Lois l’a complété par la possibilité, pour les justiciables, de demander au Conseil constitutionnel de se prononcer lorsque le Conseil d’État ou de la Cour de cassation n’auront pas répondu dans un délai qui serait fixé par la loi organique.
En outre, pour assurer l’efficacité du système, il est prévu, dans l’article 62 de la Constitution, que la disposition déclarée non conforme par le Conseil constitutionnel sera abrogée, soit à compter de la publication de sa décision, soit à compter d’une date fixée par lui (186).
b) Une autorité judiciaire raffermie
La commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite « d’Outreau » et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement a montré la nécessité de rétablir la confiance des Français dans leur justice. Pour cela, elle a formulé un certain nombre de propositions (187). Tirant les conséquences des conclusions de cette commission d’enquête, le garde des Sceaux, M. Pascal Clément, avait présenté, à la fin de la XIIe législature, une première réforme, modifiant l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature (188) ainsi que le code de procédure pénale.
La loi organique n° 2007-287 du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats a rétabli une obligation de formation continue des magistrats et procédé à de nombreuses modifications dans la formation initiale des magistrats : stage obligatoire en cabinet d’avocat ou auprès d’un barreau, généralisation de la formation probatoire des candidats admis à l’intégration directe au corps judiciaire ainsi que des juges de proximité, prise en compte des réserves du jury pour la nomination à un premier poste. En matière de discipline, le CSM est chargé d’élaborer un recueil des obligations déontologiques des magistrats et l’autorité disciplinaire peut interdire à un magistrat d’être nommé dans des fonctions de juge unique.
La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a, pour sa part, permis de mettre en œuvre plusieurs recommandations du rapport de la commission d’enquête en matière de procédure pénale : instauration, à un horizon de trois ans, de pôles de l’instruction, renforcement du contradictoire pour la mise en examen et le recours à l’expertise, enregistrement audiovisuel des interrogatoires lors des gardes à vue et des mises en examen.
La présente révision constitutionnelle est l’occasion de poursuivre la réforme de la justice, dans le sens des propositions formulées par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Cette dernière proposait de modifier la composition du CSM, afin d’établir la parité entre magistrats et non-magistrats et de faire élire directement les magistrats par leurs pairs sans critère de représentativité syndicale et sans seuil (189). Elle suggérait également de confier la vice-présidence du CSM alternativement à un membre du collège des magistrats et à un membre du collège des non-magistrats, pour une durée de deux ans chacun (190).
De la même manière, le « comité Balladur » a proposé de rénover le CSM, en supprimant la présidence de droit par le Président de la République, en assurant une composition plus ouverte sur la société (comprenant un avocat, un professeur d’université) et en élargissant les attributions du CSM à l’égard des magistrats du parquet (191).
La confiance des citoyens dans la justice passe en effet par un CSM plus autonome et moins « corporatiste ». Pour cette raison, la modification proposée de l’article 65 de la Constitution (article 28) (192) a pour objet :
— de supprimer la présidence du CSM par le Président de la République et la vice-présidence par le garde des Sceaux ;
— de confier la présidence de la formation « siège » au Premier président de la Cour de cassation et la présidence de la formation « parquet » au Procureur général près la Cour de cassation, sans faire de distinction entre les réunions relatives aux nominations et celles relatives aux questions disciplinaires ;
— d’élargir la composition du CSM, en prévoyant la nomination d’un représentant de la profession d’avocat et en faisant passer de trois à six le nombre de personnalités n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire désignées par le Président de la République, le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat ;
— de soumettre les nominations de personnalités qualifiées à l’avis de la commission parlementaire chargée de donner son avis sur les nominations à certains emplois ;
— de maintenir une possibilité pour le garde des Sceaux d’assister aux réunions relatives aux nominations, afin de lui permettre ainsi de défendre son point de vue et d’expliquer ses propositions de nominations.
Ainsi, alors que chacune des deux formations du CSM compte à l’heure actuelle dix membres (non compris le Président de la République et le garde des Sceaux), dont une majorité de magistrats, les formations renouvelées compteront chacune quinze membres, dont une minorité de magistrats (sept magistrats, dont le président, et huit personnalités extérieures communes aux deux formations).
S’il est apparu que la nouvelle composition du CSM permettrait de lever tout soupçon de corporatisme, votre commission des Lois a également souhaité éviter tout risque de politisation de l’institution et vous propose, pour cette raison, de diversifier les modes de nomination des non-magistrats. Elle vous propose, par ailleurs, d’établir la parité entre magistrats et non-magistrats lorsque les formations du CSM se réunissent en matière disciplinaire.
Dans le même temps, ce CSM rénové voit son champ de compétence élargi, puisqu’il sera désormais compétent pour donner son avis sur l’ensemble des nominations de magistrats du parquet. Certains n’en considèrent pas moins cette réforme comme trop timide. Ainsi le professeur Dominique Rousseau regrette qu’aucun pouvoir ne soit confié au CSM en matière de formation des magistrats, en matière de fonctionnement du service public de la justice, et que les pouvoirs du CSM en matière disciplinaire ainsi que pour la nomination des magistrats du parquet ne soient pas accrus. « Premier pays à avoir inventé l’institution " CSM ", la France n’est plus aujourd’hui un modèle pour les pays européens qui, après l’avoir copié, ont accordé à leur CSM un vaste domaine de compétences. » (193)
Il convient toutefois de faire observer que, d’après l’exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle, une loi organique devrait dans un second temps modifier l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature afin de « permettre la saisine disciplinaire du Conseil supérieur de la magistrature par les justiciables eux-mêmes, avec des filtres appropriés, et non plus seulement par le garde des Sceaux et les Premiers présidents de cours d’appel ». Dans son rapport annuel d’activité pour 2006, le CSM a également recommandé cette modification de l’ordonnance du 22 décembre 1958, qui permettrait de renforcer le lien de confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire. Dans le prolongement de ces propositions, votre commission des Lois souhaite inscrire dans la Constitution le principe d’une saisine du CSM par tout justiciable, tout en renvoyant à une loi organique le soin de préciser les conditions de cette saisine.
Au moment où la France est engagée dans un vaste mouvement de réformes, le renforcement de la démocratie sociale apparaît comme un impératif pour surmonter les blocages de la société. Le Conseil économique et social, qui incarne la diversité nationale, avec ses contradictions, mais aussi avec sa volonté de dégager des synthèses originales, doit devenir le lieu privilégié de la rénovation du dialogue social, une assemblée dont les travaux préparent des réformes mieux conçues et mieux comprises.
Le présent projet de loi constitutionnelle engage une profonde réforme de cette institution, qui se poursuivra par le vote d’une loi organique réactualisant sa composition, afin qu’elle représente plus finement la France d’aujourd’hui et les idées de notre temps. La réforme centrale de la représentativité syndicale, qui renforcera l’influence et la responsabilité des organisations syndicales, est par ailleurs en cours ; elle contribuera également à une meilleure représentation des forces vives de la société au sein du Conseil.
René Rémond (194) considérait que le développement de la mission consultative pouvait être une réponse à l’interrogation qui travaille notre société sur la façon de moderniser la démocratie à une double condition :
— que ces organes consultatifs inspirent confiance et que le citoyen se sente effectivement représenté. La loi organique annoncée visera cet objectif ;
— qu’il y ait un dialogue entre le citoyen et les instances consultatives, que le courant passe dans l’un et l’autre sens. L’instauration d’une saisine du Conseil économique et social par voie de pétition citoyenne (article 29) favorisera ce dialogue en facilitant l’intervention directe de la « société civile » dans l’assemblée qui la représente (195).
Tenant compte de l’importance grandissante prise par les problématiques environnementales, l’article 30 étend les compétences de ce Conseil économique et social rénové en prévoyant qu’il puisse être consulté par le Gouvernement sur toute question relative à l’environnement (196). Votre commission des Lois, à l’initiative de MM. Bertrand Pancher et Christophe Caresche, a estimé opportun de modifier en conséquence le nom du Conseil économique et social, en lui adjoignant le qualificatif d’« environnemental » (article additionnel après l’article 28) (197). Elle a par ailleurs souhaité limiter le nombre de membres dudit Conseil à deux cent trente-trois, soit l’effectif actuel (article additionnel après l’article 30) (198).
La question de la constitutionnalisation du Médiateur de la République a été posée à plusieurs reprises au cours de ces dernières années. Dès 1992, Jacques Pelletier, alors lui-même Médiateur de la République, appelait de ses vœux cette constitutionnalisation. Envisagée par le « comité Vedel » puis par le projet de révision constitutionnelle déposé au Sénat le 10 mars 1993, elle n’aurait alors consisté qu’à mentionner cet emploi au titre de ceux nommés par le Président de la République en Conseil des ministres (troisième alinéa de l’article 13 de la Constitution).
Le « comité Balladur » a formulé une proposition plus audacieuse : consacrer un titre spécifique de la Constitution à un Défenseur des droits fondamentaux, qui s’inspirerait de l’exemple espagnol du Défenseur du Peuple. Ce Défenseur des droits fondamentaux, désigné à la majorité des trois cinquièmes par l’Assemblée nationale, se substituerait à l’ensemble des AAI œuvrant dans le champ de la protection des libertés. Le rapport du comité expliquait que « la création d’une telle autorité, seule élue par l’Assemblée nationale et dont la mission serait incompatible avec l’exercice d’un mandat parlementaire, non seulement répondrait à un besoin réel, mais encore améliorerait le fonctionnement global de nos institutions » (199).
Le nouveau titre XI bis et le nouvel article 71-1 qui sont introduits dans la Constitution répondent à cette proposition (article 31) (200).
Le Défenseur des droits des citoyens, nommé par le Président de la République après consultation de la commission des nominations, pourra être saisi par toute personne s’estimant lésée par le fonctionnement d’un service public. Il aura donc vocation non seulement à se substituer à l’actuel Médiateur de la République mais également à remplacer d’autres AAI dont les missions correspondent au domaine d’action du Défenseur, à l’instar du Contrôleur général des lieux de privation des libertés ou de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
Cette constitutionnalisation donnerait un poids plus grand au Défenseur face aux administrations, lui assurerait une reconnaissance plus explicite et permettrait un recours plus aisé de chacun à cette institution.
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La Commission a procédé, le mercredi 30 avril 2008, à l’audition de Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, et de M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, sur le projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République (n° 820).
Le président Jean-Luc Warsmann, rapporteur, après avoir souhaité la bienvenue à Mme Rachida Dati, garde des Sceaux et à M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, a souligné que si, en cinquante ans de fonctionnement, la Constitution de la Ve République a démontré sa solidité et son adaptabilité et a fait l’objet d’une très forte adhésion des citoyens, des aspirations nouvelles se sont fait jour. Aussitôt élu, le Président de la République a souhaité que des propositions de modernisation de nos institutions lui soient soumises. Il en a chargé un comité pluraliste, présidé par l’ancien Premier ministre M. Édouard Balladur, qui sera entendu immédiatement après les ministres.
Au mois d’octobre dernier, après trois mois et demi de travaux, ce comité a remis son rapport, à partir duquel un avant-projet de loi a été élaboré. Celui-ci a été soumis à une large consultation et le projet de loi définitif a été déposé mercredi dernier sur le bureau de l’Assemblée. Il vise tout à la fois à mieux contrôler le pouvoir exécutif, à renforcer les droits du Parlement et à en accorder de nouveaux aux citoyens.
Mme Rachida Dati, garde des Sceaux, ministre de la justice, a d’abord rappelé que les institutions étant au cœur de la vie politique et constituant le socle de l’action de l’État, elles ne peuvent rester à l’écart de l’effort de modernisation souhaité par les Français.
Si la vie démocratique du pays a déjà connu, depuis 1958, plusieurs inflexions, jamais l’équilibre général des institutions n’a été repensé dans une réflexion d’ensemble. C’est dire l’ambition du projet de loi constitutionnelle.
Il convient à cet égard de rendre hommage au comité de réflexion, présidé par M. Édouard Balladur, qui a été chargé par le Président de la République de lui soumettre des propositions sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République. Ce comité, dans sa diversité, a formulé, après trois mois et demi de travaux et de consultations, soixante-dix-sept recommandations qui, pour la plupart, ont été soumises à la consultation des différentes forces politiques du pays, l’objectif étant d’élaborer un texte susceptible de recueillir un accord large.
Le projet de loi constitutionnelle, fruit de toutes ces réflexions et consultations, rassemble les mesures qui relèvent du niveau constitutionnel. Les autres seront reprises, le moment venu, dans les textes du niveau adéquat, sur la base de la Constitution révisée.
Le texte s’articule autour de trois orientations qui se confortent mutuellement : des droits nouveaux pour les citoyens, un pouvoir exécutif mieux contrôlé et un Parlement profondément renforcé, point qui est le principal apport de la réforme.
La réforme des institutions ne doit pas se limiter à améliorer les rapports entre les pouvoirs constitués, car les Français veulent être davantage écoutés et voir leurs droits garantis de manière plus efficace. Aussi, le projet de loi constitutionnelle crée de nouveaux droits à leur profit en apportant cinq avancées majeures.
D’abord, l’article 1er reconnaît des droits au profit de l’opposition en termes, par exemple, de règles de financement ou de création de commissions d’enquête ou de missions d’information.
Ensuite, le projet ouvre la voie à un renforcement du Conseil économique et social, qui pourra être saisi par une pétition citoyenne et qui sera consulté sur les questions environnementales, sachant que, parallèlement, une vaste réforme de sa composition devra être entreprise.
Le projet propose, en outre, de franchir une étape fondamentale dans le respect de la Constitution en permettant aux justiciables d’évoquer, devant le juge administratif ou judiciaire, l’inconstitutionnalité d’une loi postérieure à 1958. La disposition déclarée inconstitutionnelle en dernier ressort par le Conseil constitutionnel ne sera alors pas appliquée au justiciable. De plus, elle sera automatiquement abrogée par la seule décision du Conseil.
Par ailleurs, si la création du Médiateur de la République a constitué un progrès notable, la fonction, qui reste très encadrée, n’est pas celle de l’Ombudsman des pays nordiques. Aussi le texte instaure-t-il, en remplacement, un Défenseur des droits des citoyens doté d’un véritable pouvoir de contrôle. Une loi organique précisera ses modalités d’intervention. À terme, il pourrait notamment reprendre les attributions du Contrôleur général des lieux de privation et de liberté, lequel sera d’ailleurs désigné prochainement.
Enfin, le projet reconsidère la composition du CSM, réforme qui a été portée par Élisabeth Guigou en 1998, souhaitée par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau en 2006 et expressément demandée par le « comité Balladur ».
Le Gouvernement propose que le Président de la République et le garde des Sceaux ne président plus le CSM et que ses deux formations – celle du siège et celle du parquet – soient respectivement présidées par le Premier président de la Cour de cassation et par le Procureur général près la Cour de cassation. Le CSM émettra désormais un avis sur toutes les nominations du parquet, y compris aux postes de Procureur général près la Cour de cassation et de procureurs généraux de cours d’appel.
Pour éviter toutes les critiques de corporatisme, les magistrats de l’ordre judiciaire, au nombre de sept sur quinze membres, président compris, ne seront plus majoritaires. Par ailleurs, les six personnalités désignées par les autorités politiques – Présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée – verront leur nomination soumise à l’avis d’une commission parlementaire et ne seront pas non plus majoritaires à elles seules. Enfin, deux personnalités indépendantes siégeront aussi au CSM : un conseiller d’État et un avocat.
Le deuxième objectif du projet est de rénover les modalités d’exercice du pouvoir exécutif.
Le Président de la République ne pourra exercer plus de deux mandats présidentiels consécutifs – le titulaire de la charge mettra ainsi son énergie à agir plutôt qu’à durer –, le nombre de membres du Gouvernement sera plafonné et tant les désignations au sein des AAI, du CSM et du Conseil constitutionnel, que les nominations des présidents des établissements publics effectuées par le Président de la République seront soumises à l’avis d’une commission parlementaire.
Par ailleurs, sans remettre en cause les pleins pouvoirs que l’article 16 de la Constitution donne au Président de la République en cas de crise exceptionnelle, il faut renforcer les garanties qui entourent son application. Le Conseil constitutionnel contrôlera la nécessité de maintenir en vigueur l’article 16.
Le projet de loi modernise également le régime du droit de grâce reconnu au Président de la République. Il ne s’exercera qu’à titre individuel et après qu’une commission de sages aura émis un avis sur la demande.
Aujourd’hui, les députés doivent écouter un message du Président de la République, ce qui est une pratique désuète : il peut s’exprimer dans tous les parlements étrangers de même qu’il peut parler directement aux Français par l’intermédiaire de la télévision, mais il ne peut s’adresser à leurs représentants. Aussi est-il proposé qu’il puisse prendre la parole devant le Parlement réuni en Congrès, ou devant l’une ou l’autre des assemblées, non pas à sa guise, mais dans des moments particulièrement solennels de la vie de la Nation. Son allocution pourra être suivie d’un débat hors de sa présence, mais non d’un vote : il ne s’agit pas de remettre en cause la nature même du régime.
Par ailleurs, si le Premier ministre est, selon la Constitution, responsable de la défense nationale, le Président de la République est le chef des armées et le Gouvernement est collégialement responsable de l’ensemble de la politique de la Nation devant le Parlement. Afin de clarifier les responsabilités en la matière, le texte prévoit que le Premier ministre mettra en œuvre les décisions prises par le comité de défense nationale.
Dans le même temps, la décision d’engager l’armée dans des opérations extérieures donnera lieu à une information du Parlement qui pourra déboucher sur un débat sans vote. Au bout de six mois, la prolongation de l’intervention devra être autorisée par la Représentation nationale.
Enfin, le troisième objectif du projet de loi est de renforcer le Parlement car, si nos institutions fonctionnent bien, elles sont déséquilibrées au détriment du pouvoir législatif.
Les contraintes du parlementarisme rationalisé doivent donc correspondre aux exigences d’une démocratie irréprochable, sans pour autant diminuer l’efficacité qui caractérise le fonctionnement actuel de nos institutions.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, après avoir également rendu hommage au « comité Balladur », a estimé que le système de relations entre l’exécutif et le législatif a atteint ses limites. Aussi convient-il d’évoluer vers un système de coresponsabilité qui permette à chacun, Gouvernement, majorité, mais aussi opposition, de jouer son rôle et d’assumer ses responsabilités au profit de tous les Français.
Le Parlement sera donc renforcé, d’abord en le rendant encore plus représentatif. C’est ainsi que le texte prévoit que le Sénat assurera la représentation des collectivités territoriales « en tenant compte de leur population », que les Français établis hors de France seront aussi représentés à l’Assemblée nationale, que le redécoupage des circonscriptions sera effectué de manière régulière – pour éviter toute polémique, une commission indépendante rendra un avis public sur ce redécoupage périodique – enfin, que les membres du Gouvernement pourront retrouver leur siège au Parlement lorsqu’ils cesseront d’exercer leurs fonctions ministérielles.
Renforcer le Parlement, c’est également accentuer ses prérogatives, que ce soit en matière législative ou de contrôle.
Outre que la Constitution indiquera clairement en son article 24 que le Parlement vote la loi et contrôle l’action du Gouvernement, assisté en cela par la Cour des comptes, toutes les propositions d’actes européens, sans plus aucune restriction, seront transmises aux assemblées et pourront faire l’objet de résolutions.
Concernant les élargissements de l’Union, le Parlement, réuni en Congrès, pourra adopter, selon une procédure renforcée, à la majorité des trois cinquièmes, les lois autorisant les nouvelles adhésions, sachant, ainsi que le Président de la République l’a rappelé solennellement, que le référendum sera toujours la voie naturelle pour les adhésions les plus importantes, comme celle de la Turquie.
Renforcer le Parlement, c’est aussi le rendre plus efficace et plus maître de ses travaux.
Les assemblées parlementaires auront ainsi la liberté d’instituer en leur sein jusqu’à huit commissions permanentes. Les Conférences des Présidents fixeront l’ordre du jour des assemblées qui auront désormais la maîtrise de la moitié de leur ordre du jour. Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale resteront prioritaires, de même que les lois autorisant la prolongation des états de crise.
Plus fondamentalement, le texte discuté en séance plénière ne sera plus le projet du Gouvernement, mais le texte issu des travaux de la commission, gage, pour le travail parlementaire, d’une efficacité et d’un intérêt accrus.
Outre les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, l’article 49, alinéa 3, ne pourra être utilisé que pour un seul texte par session. Quant au droit d’amendement, il pourra être mieux organisé. Pour l’examen des textes techniques, une simple ratification dans l’hémicycle du travail fait en commission pourra être prévue par les règlements des assemblées. De même, la pratique de l’encadrement du dépôt des amendements pourrait trouver une base certaine : tous les amendements seront examinés à un moment ou à un autre, mais la séance plénière devra gagner en solennité et en clarté pour les citoyens.
Le Parlement disposera également de plus de temps pour examiner les textes, avec un minimum d’un mois en première lecture, et la procédure d’urgence sera plus encadrée. Il pourra aussi, sur des questions juridiques ponctuelles et délicates, saisir le Conseil d’État pour examiner une proposition de loi en vue de son passage en commission.
Enfin, renforcer le Parlement c’est redonner toute sa place à la loi, qui doit demeurer la norme essentielle.
Les assemblées pourront adopter des résolutions dans tous les domaines et dans les conditions fixées par les règlements des assemblées. Elles pourront ainsi marquer une volonté politique sans forcément adopter une loi sans aucune portée normative. Le Président de chaque assemblée pourra opposer l’irrecevabilité à un amendement intervenant dans une matière non législative, et le champ des lois de programmation sera étendu en dehors du champ économique et social, ce qui concernera, notamment, la loi de programmation militaire.
Le président Jean-Luc Warsmann, a tout d’abord demandé pourquoi, en matière de droit de grâce, était prévu l’avis préalable d’une commission ad hoc plutôt que celui du CSM.
Dans le domaine de la défense nationale, comment le Parlement pourra-t-il exercer son contrôle sur l’exécutif si le Gouvernement, responsable devant la Représentation nationale, ne fait plus que mettre en œuvre les décisions prises par le Président de la République ?
Quant aux Français établis hors de France, quels seront le nombre de leurs députés qu’ils désigneront et le mode d’élection de ces derniers ?
Enfin, en matière d’intervention des forces armées, pourquoi l’absence de vote du Parlement est-elle systématiquement prévue, alors qu’un vote en la matière permettrait de renforcer le poids de la décision du Président de la République ? Par ailleurs, sous quelle forme l’information du Parlement en la matière est-elle prévue ? De même, alors que le « comité Balladur » proposait un vote du Parlement pour les interventions excédant trois mois, pourquoi le Gouvernement a-t-il choisi de porter ce délai à six mois ? Enfin, si ces dispositions sont adoptées, vaudront-elles pour les interventions en cours, ce qui impliquerait à l’automne prochain un vote sur les interventions commencées depuis plus de six mois ?
La garde des Sceaux a rappelé, concernant le droit de grâce, qui ne serait d’ailleurs plus que d’ordre individuel, que la mission première du CSM concerne les nominations, l’avancement et la discipline des magistrats. L’objet du CSM n’est pas d’apprécier de nouveau une décision de justice au regard d’une situation individuelle.
S’agissant de la défense, l’objectif est simplement de lever une ambiguïté puisque la Constitution précise que si le Président de la République est le chef des armées, le Premier ministre est responsable de la défense nationale. La réforme a pour objet de préciser que le Premier ministre a pour tâche de mettre à exécution les décisions prises dans le cadre du comité de défense nationale par le Président de la République. Le Gouvernement reste donc responsable devant le Parlement de la politique suivie en matière de défense nationale.
Concernant les engagements extérieurs, si le Parlement en débattra sans vote, son autorisation sera nécessaire pour leur prolongation au-delà de six mois. Il pourra en outre contrôler l’intervention en refusant, par le biais budgétaire, de la financer.
Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a précisé à cet égard que le Gouvernement s’engageait à ce que les nouvelles dispositions constitutionnelles s’appliquent aux opérations militaires extérieures en cours.
S’agissant de la représentation du 1,4 million de Français de l’étranger, il est envisagé, au stade actuel de la réflexion, un nombre de dix à douze députés élus au scrutin de liste, soit majoritaire soit proportionnel, au sein de très grandes circonscriptions délimitées au niveau mondial – sans que le découpage en soit encore arrêté.
M. Bernard Roman ayant demandé si, dans ces conditions, le nombre de députés actuel resterait inchangé, le secrétaire d’État a précisé que, là non plus, rien n’était décidé.
M. Arnaud Montebourg a rappelé que, face à la crise démocratique profonde que connaît le pays, les socialistes proposent depuis de nombreuses années une réforme d’ampleur du système politique national. Leur candidate, Mme Ségolène Royal, lors de la dernière élection présidentielle a d’ailleurs défendu avec eux un grand projet de VIe République affectant plus de cinquante articles de l’actuelle Constitution.
La Ve République est naturellement portée vers l’autoritarisme ou vers la dérive du pouvoir personnel et se révèle impuissante à établir des compromis politiques durables permettant au pays de résoudre ses problèmes. Le livre de Pierre Mendès France, Pour une République moderne, n’a pas pris une seule ride.
La discussion de ce texte ne saurait donc être raccourcie si l’on veut que ce dernier ne soit pas seulement celui d’une majorité, mais également celui d’une minorité, d’autant qu’un chantier portant sur le préambule de la Constitution a également été ouvert, dont les conclusions ne seront rendues publiques qu’au mois de septembre par Mme Simone Veil. On comprend d’autant mieux dans ces conditions les réticences exprimées par le président du groupe Socialiste quant au calendrier de l’examen du présent texte.
Conscients que celui-ci recèle, à côté d’éléments inacceptables, des éléments positifs, les socialistes tenteront cependant de rechercher un compromis, à la condition que, de chaque côté, un pas vers l’autre soit accompli.
Ce ne sont pourtant pas les doutes qui manquent, s’agissant des propositions qui sont avancées, du fait des pratiques du pouvoir actuel. S’agissant du Parlement, alors que sont proposées la fin de l’urgence et l’augmentation des délais, la pratique n’est guère encourageante, comme l’illustre l’exemple du projet de loi sur le pouvoir d’achat. Les seuls incidents concernant le procureur général d’Agen et le procureur de Nancy – celui-ci ayant même été convoqué par la garde des Sceaux – ne peuvent en effet que faire craindre une repolitisation du CSM. D’ailleurs, la proposition du Gouvernement relative à la composition du CSM constitue un recul par rapport au statu quo et est donc inacceptable en l’état.
Il en va de même s’agissant du pouvoir de nomination du Président de la République, que la réforme tend à soumettre à l’avis simple d’une commission paritaire. Aussi les socialistes proposeront-ils que, pour les emplois dont l’indépendance doit être garantie, cette commission statue à la majorité des trois cinquièmes, avec avis conforme. La codécision appliquée aux désignations au CSM, au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et au Conseil constitutionnel constituerait en effet un progrès significatif, plutôt que d’aboutir à la création d’un « comité Théodule » supplémentaire.
Plus généralement, les propositions des socialistes tendent à combattre tout ce qui augmente les pouvoirs de l’exécutif et à encourager tout ce qui améliore la séparation et l’équilibre des pouvoirs. Ainsi n’est-il pas acceptable que le Premier ministre perde des pouvoirs en matière de défense nationale au profit du Président de la République. Le « comité Balladur » lui-même y a renoncé au motif qu’en cas de cohabitation une telle réforme aboutirait à une crise de régime.
Quant à l’intervention du Président de la République devant le Parlement, tous les parlementaires socialistes s’y opposeront. C’est en effet le Premier ministre que le Parlement contrôle. Si le Président, qui dispose du pouvoir de dissolution, venait à y parler sans qu’aucun vote ne puisse le sanctionner, comme dans le cas de l’impeachment, cela constituerait un déplacement sensible du centre de gravité du pouvoir vers la Présidence de la République.
Le dernier élément inacceptable du texte tient à l’actuel article 49, alinéa 3. Si les socialistes sont d’accord pour que ce dernier soit applicable en matière de lois de finances et de lois de financement de la sécurité sociale, envisager son application sur un autre texte une fois par session reviendrait selon eux à ne pas faire de réforme en la matière.
Pour ce qui est de leurs revendications, la première porte sur l’élection du Sénat. Les socialistes estiment en effet inacceptable que le Sénat n’ait pas connu l’alternance depuis cinquante ans. Certes, le texte modifie, de façon homéopathique, les conditions d’élection des sénateurs, mais que signifie vraiment la disposition selon laquelle le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population » ?
La seconde revendication a trait au pluralisme audiovisuel. Du fait de l’absence de prise en compte du temps de parole du Président de la République et de ses collaborateurs, le gain pour l’exécutif, en termes de temps de parole, sur France 2 et TF1 est respectivement de 99 % et de 256 %. L’opposition est en voie d’élimination audiovisuelle.
Aussi le groupe Socialiste proposera-t-il à la discussion les 20 et 22 mai, dans le cadre de l’ordre du jour qui lui est réservé, deux propositions de loi relatives, l’une au pluralisme dans l’audiovisuel, l’autre aux conditions d’élection des sénateurs. Elles s’expliquent par le désir des socialistes de participer à la construction d’un système politique plus équilibré.
M. Manuel Valls a souligné que la réforme constitutionnelle était l’occasion pour les socialistes de rappeler leur attachement au principe de l’équilibre des pouvoirs et de proposer, dans un état d’esprit constructif, des solutions à la crise de confiance actuelle des citoyens dans leurs institutions en donnant plus de pouvoir d’initiative et de contrôle au Parlement.
À cet égard, il convient d’abord d’encadrer le pouvoir présidentiel, tant son exercice, notamment récent, a montré les excès dangereux auxquels les règles actuelles pouvaient conduire. Aussi convient-il d’approuver les propos de M. Montebourg concernant le rôle du Premier ministre en matière de défense, le droit du Président de la République à venir s’exprimer devant le Parlement, ou encore le délai accordé pour débattre du texte.
Quant à la prise en compte du temps de parole du Président de la République dans celui de la majorité et du Gouvernement, la préservation des règles existantes ne pourrait s’expliquer que si le Président de la République redevenait un simple arbitre. En revanche, si l’on estime qu’il est le principal acteur du pouvoir exécutif, son absence de neutralité implique que son temps de parole soit compris dans celui du Gouvernement.
Afin d’assurer, ensuite, une meilleure représentativité de la population, il convient, premièrement, que le collège électoral du Sénat soit reconsidéré si l’on ne veut pas que la Haute Assemblée devienne toujours plus une anomalie démocratique ; deuxièmement, que le mode de scrutin aux élections législatives intègre une part de proportionnelle – à cet égard qu’en est-il des informations qui circulent sur un possible changement du mode de scrutin pour les élections régionales ? – et que le découpage, dans la transparence, des circonscriptions électorales garantisse mieux l’égalité entre les citoyens ; troisièmement, enfin, que le droit de vote des étrangers aux élections locales soit proposé, car les députés de l’opposition sont prêts à fournir au Président de la République la majorité qu’il craint de ne pas trouver sur ce point dans son propre camp.
Enfin, il convient de garantir l’indépendance de la justice afin qu’elle devienne un pouvoir à part entière, tout soupçon de collusion entre les responsables politiques et l’appareil judiciaire faisant le lit du populisme. À cet égard, le mode de désignation prévu des membres du CSM rend celui-ci beaucoup trop tributaire du pouvoir politique. C’est une commission des nominations, désignée en début de législature et composée à la proportionnelle des groupes, qui, dans ce domaine, doit prendre des décisions à la majorité des trois cinquièmes.
M. Michel Hunault, après avoir à son tour salué les travaux du « comité Balladur » et souligné que si un point faisait consensus, c’était bien celui du renforcement du rôle du Parlement, a souhaité, au nom du Nouveau Centre, que la réforme soit l’occasion d’une meilleure représentation des Français grâce à l’élection de quelques députés à la proportionnelle.
M. Guy Geoffroy, soulignant que quatre nouvelles lois organiques au moins seront nécessaires pour décliner des dispositions envisagées au niveau constitutionnel – en matière, par exemple, de droit d’amendement –, a demandé que le Parlement dispose rapidement de l’architecture la plus précise possible de ces textes afin de pouvoir valablement analyser et soutenir la réforme.
La garde des Sceaux a d’abord répondu à M. Arnaud Montebourg qu’il y a loin entre la pratique actuelle et la politisation ou la « caporalisation » des magistrats : l’expression de certains d’entre eux ne va-t-elle pas bien au-delà de leur devoir de réserve ? En tout état de cause, si les mots ont un sens, dès lors qu’un pouvoir politique s’exprime, cette expression est politique, tout comme celle d’une commission parlementaire donnant un avis sur une nomination.
Au sein du CSM aujourd’hui, qui comprend dix membres votants, les six magistrats sont majoritaires. Si la réforme tend à leur donner encore plus d’importance avec l’augmentation du nombre des membres du Conseil, ils n’y seront plus cependant majoritaires, conformément d’ailleurs au projet de loi constitutionnelle de Mme Guigou en 1998. Quant aux six personnalités désignées par les autorités politiques, elles ne seront nommées qu’après avis d’une commission parlementaire. La confiance envers les magistrats est d’autant plus accrue que les deux formations du CSM seront présidées, celle du siège par le Premier président de la Cour de cassation, et celle du parquet par le Procureur général près la Cour de cassation.
S’agissant du procureur général d’Agen – qui était en poste depuis plus de quatorze ans et qui souhaitait bénéficier d’avantages supérieurs à ceux de ses collègues – le Conseil d’État lui-même a estimé que la mutation avait été effectuée dans l’intérêt du service. Quant au procureur de la République de Nancy, si les magistrats n’aiment pas, dans le cadre de la séparation des pouvoirs, que les décisions de justice soient commentées, il est normal que, dans leurs réquisitions, ils ne commentent pas une décision du pouvoir législatif. Ce magistrat ayant cependant affirmé que tel n’avait pas été le cas, la garde des Sceaux a tenu à l’assurer de sa confiance.
On peut d’autant moins parler de reprise en main des magistrats du parquet que le code de procédure pénale prévoit lui-même que le garde des Sceaux peut leur adresser des instructions écrites. En outre, ces magistrats sont des procureurs « de la République » et non des procureurs indépendants. Ils sont donc là pour appliquer la loi votée par le Parlement et portée par le Gouvernement. De plus, les nominations en Conseil des ministres des procureurs généraux seront dorénavant soumises à l’avis du CSM, sachant que 99 % des avis de ce dernier sont déjà suivis par la Chancellerie.
Si les nominations en Conseil des ministres aux emplois d’exécution
– directeurs d’administration centrale, préfets, ambassadeurs, recteurs – ne soulèvent pas de difficultés, toute autre nomination, notamment à des postes en matière économique et sociale ou en rapport avec des libertés, sera soumise à l’avis d’une commission parlementaire. Le pouvoir de nomination est donc très encadré puisqu’un tel avis n’est pas exigé aujourd’hui.
Le secrétaire d’État a rappelé qu’il s’agissait avant tout d’une réforme constitutionnelle et qu’il convenait d’être prudent à propos d’une supposée crise démocratique ou d’un prétendu isolement des dirigeants. Il y a trente-sept ans, une motion de protestation émanant des six présidents de commission de l’Assemblée nationale ne dénonçait-elle pas déjà le manque de respect du Parlement, l’insuffisance des délais d’examen, le recours systématique à l’urgence, le défaut d’écoute de la voix du Parlement et l’absence de tout contrôle sur les nominations ? Le Premier ministre de l’époque était pourtant Jacques Chaban-Delmas, qui avait été lui-même Président de l’Assemblée nationale de 1958 à 1969.
Pour un « gaulliste absolu », l’architecture du régime a fait, depuis cinquante ans, la preuve de sa durabilité. Pour autant, le Parlement ne dispose pas, collectivement ou individuellement, de pouvoirs suffisants pour exercer sa vraie mission de représentant de la nation. En effet, avec l’élection du Président de la République au suffrage universel, l’instauration du quinquennat ou encore l’inversion du calendrier, on a pu assister sinon à un abaissement du législatif, du moins à l’apparition d’un pôle dominant. Or la réforme tend précisément à renforcer les pouvoirs du Parlement. Ce n’est pas en effet le système institutionnel qui est à bout de souffle, mais le système relationnel entre l’exécutif et le législatif.
Quant à vouloir reporter la réforme, outre que le sujet des institutions a été évoqué par Mme Royal et M. Sarkozy dès le début de la campagne de la présidentielle en 2007, voire avant, la mise en place du « comité Balladur » a suivi immédiatement l’élection du Président de la République, l’avant-projet de loi constitutionnelle issu de ses travaux ayant alors été soumis aux responsables de toutes les formations politiques.
De même, alors qu’il était prévu que le texte adopté lors du Conseil des ministres du 23 avril soit discuté le 13 mai, cette discussion a été reportée au 20 mai à la demande du Président Accoyer. Aussi faut-il raison garder. Le temps de la réforme est maintenant venu, même si celle du préambule de la Constitution doit intervenir plus tard, car celle-ci n’implique en rien les pouvoirs du Parlement.
Enfin, si la présente réforme est adoptée au printemps puis en juillet par le Congrès, tous les tenants du renforcement des pouvoirs du Parlement doivent comprendre qu’elle ne sera applicable qu’au 1er janvier 2009 du fait de la modification nécessaire, à l’automne, des règlements des deux assemblées.
Concernant les inquiétudes de M. Montebourg à propos des pratiques actuelles, issues d’ailleurs directement de la Constitution elle-même, la réforme tend justement à les réviser. L’utilisation de l’article 49, alinéa 3, est ainsi considérablement réduite.
Quant à l’expression du Président de la République sur des sujets de nature exceptionnelle devant le Parlement, elle n’est en rien attentatoire à celle du Premier ministre et du Gouvernement devant les assemblées. Au contraire, elle permettrait au Parlement d’être au cœur du débat public plutôt que de s’en remettre au journal télévisé.
S’agissant des modes d’élection, les lois organiques n’ont été prises en ce domaine en 1958 que treize mois après l’adoption de la Constitution. Si le Gouvernement s’engage à les soumettre plus rapidement, il n’en reste pas moins que, comme en 1958, ces lois organiques ne peuvent être présentées avant que le changement constitutionnel ne soit adopté.
Si le mode d’élection au Sénat représente pour les socialistes un point de discussion important, de même, pour le Nouveau Centre, que l’instillation d’une dose de proportionnelle pour les élections législatives, ces points ne relèvent pas de la révision constitutionnelle elle-même. Le Parlement est cependant libre d’avancer des propositions en la matière.
Pour ce qui est du pluralisme audiovisuel, le groupe Socialiste a souhaité, dès le début de la discussion de la réforme constitutionnelle, qu’il ne soit pas touché aux articles 20 et 21, c’est-à-dire à l’architecture des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre, cela afin d’éviter tout problème en cas de cohabitation. Or, si une telle cohabitation advenait, le temps de parole du Président de la République, selon le vœu même du groupe Socialiste, serait alors associé à celui de la majorité...
D’une manière générale, la responsabilité du Gouvernement devant le Parlement n’est en rien modifiée. Rien n’empêchera ce dernier d’évoquer les problèmes de défense dans sa fonction de contrôle du Gouvernement. La contradiction entre le Premier ministre, responsable de la défense nationale, et le Président de la République, chef des armées, avait d’ailleurs déjà été soulignée à l’époque par le « comité Vedel ». La nouvelle rédaction tend simplement à clarifier et à simplifier ces rapports, non à retirer un quelconque pouvoir du Parlement en la matière.
M. André Vallini a d’abord rappelé que la « commission Outreau » avait, s’agissant de la composition du CSM, préconisé la parité entre magistrats et non-magistrats.
Quant à l’expression du Président de la République devant les assemblées, les socialistes y restent unanimement opposés, car ce n’est pas revaloriser le Parlement que de l’obliger à écouter sans pouvoir débattre, sinon une fois le « père de la Nation » reparti.
Enfin, si le comité présidé par Mme Simone Veil ne rend ses conclusions qu’à l’automne, cela signifie que le Parlement devra alors se rendre deux fois à Versailles alors que la réunion du Congrès coûte très cher aux contribuables et que la révision de la Constitution, qui demande du temps – ne serait-ce que pour examiner les nombreuses propositions des socialistes –, pourrait très bien attendre l’automne pour se dérouler alors de manière sinon consensuelle, du moins républicaine.
M. Claude Goasguen a estimé que le débat portait en fait sur deux propositions, soutenues, l’une par le Gouvernement et sa majorité, l’autre par l’opposition. L’objectif étant d’aboutir à un texte rassembleur, cela implique de la part du législateur une grande liberté, mais en même temps une grande mesure.
S’agissant du renforcement des pouvoirs du Parlement, le texte est assez décevant. En effet, qu’il s’agisse du contrôle de l’application de la loi, de celui effectué par la Cour des comptes ou encore de l’évaluation des lois, ce qui est proposé est très en retrait de ce qu’on peut attendre d’un pouvoir législatif moderne.
Cela étant, l’attitude de l’opposition est paradoxale, car elle ne tire pas les conséquences de ce qu’elle a imposé. Avec le quinquennat, réforme qui est restée inachevée, elle devrait en effet être considérée comme le véritable initiateur de la révision constitutionnelle proposée.
De même, la mémoire de l’opposition est courte s’agissant de ses relations avec les magistrats. N’a-t-elle pas en effet largement usé, pendant deux septennats, de pouvoirs discrétionnaires en matière de nomination des procureurs ? Il ne sert à rien de donner des leçons de vertu, d’autant que le projet de réforme du CSM de 1998 était très en retrait par rapport au projet actuel.
Pour autant, il faut éviter que le débat constitutionnel ne tourne qu’autour de l’indépendance de la magistrature, alors que le texte traite de la revalorisation du Parlement. Aussi conviendrait-il de faire droit à la demande de la « commission Outreau » s’agissant de la parité au sein du CSM.
De même, c’est à tort que les Français de l’étranger sont concernés par le texte, car cela aboutit à ouvrir le débat sur les modes de scrutin, qui ne relèvent pas de la Constitution.
Enfin, concernant l’importance accordée par l’opposition à la venue ou non du Président de la République devant les assemblées, il convient de rappeler que l’interdiction faite au Président de la République – en l’occurrence M. Thiers – de s’y rendre, tenait essentiellement au fait que ce dernier était trop bon orateur. Il est amusant de constater que ce qui était à l’époque un coup bas porté contre Thiers, soit devenu, pour l’opposition, une pierre angulaire de l’édifice constitutionnel.
Mme Élisabeth Guigou a rappelé, pour avoir défendu à l’époque le quinquennat devant le Parlement, que c’est M. Chirac qui avait voulu le quinquennat sec, sans augmentation concomitante des pouvoirs du Parlement. C’est le même d’ailleurs qui avait bloqué la réforme de la justice, pourtant votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, en ajournant à la dernière minute la convocation du Congrès. Il s’agissait pourtant d’inscrire dans les textes l’indépendance de la magistrature en supprimant la nomination des procureurs généraux en Conseil des ministres et en garantissant l’indépendance des magistrats du parquet, avec interdiction de toute instruction dans les dossiers individuels – contrairement aux périodes précédentes.
La réforme actuelle est en tout cas abordée par les socialistes dans un état d’esprit constructif. Encore faut-il que le Gouvernement accède à certaines de leurs demandes, voire de leurs exigences.
En aucun cas les pouvoirs du Président de la République ne doivent être accrus, que ce soit vis-à-vis du Premier ministre ou du Parlement. À cet égard, si l’on veut que le Président de la République vienne devant les assemblées, il faut passer à un véritable régime présidentiel, avec absence du droit de dissolution.
Si l’on ne peut que saluer les progrès en matière de droit de regard du Parlement sur son ordre du jour et sur les nominations, encore faut-il que la parité entre majorité et opposition soit prévue au sein des grands organes institutionnels. Or le prochain renouvellement du Conseil constitutionnel, par exemple, aboutira à la nomination de personnalités, certes estimables, mais qui toutes seront proches de la majorité actuelle.
Concernant le droit de vote des étrangers – adopté sous la XIe législature à l’Assemblée nationale pour les élections locales à l’initiative du groupe Socialiste –, le pays est mûr. Si le Président de la République estime qu’il n’a pas de majorité à cet effet, un référendum peut toujours être organisé sur le sujet, d’autant que si l’on s’en donne les moyens, il peut être gagné.
On ne peut, par ailleurs, que regretter l’absence de dispositions concernant le cumul des mandats, car ce serait là la meilleure façon de revaloriser le rôle du Parlement.
Certes, le CSM reste garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, et conserve ses prérogatives en matière disciplinaire, puisque le garde des Sceaux n’assiste pas à ses séances consacrées à ce sujet. Cependant, le fait que le Conseil soit présidé par des magistrats et non plus par le Président de la République et le garde des Sceaux, ne change pas la nature de ses relations avec le pouvoir exécutif. Seule en effet une nomination de ses membres par une commission paritaire, où le Parlement aurait son mot à dire, changerait tout.
S’agissant, plus généralement, de la nomination des magistrats, le fait de laisser désigner les procureurs généraux par le Conseil des ministres, sans prévoir un avis conforme du CSM et une interdiction des instructions individuelles, ne peut que jeter un doute profond quant à l’indépendance des magistrats du parquet.
Enfin, la saisine du CSM devrait être rendue possible pour les citoyens s’agissant du fonctionnement matériel de la justice – notamment en matière de délais –, et non, bien entendu, en appel de décisions de justice.
Encore une fois, les socialistes sont prêts à s’associer, dans un esprit constructif, à une réforme d’ensemble. Il conviendrait cependant, par respect du Parlement, d’organiser une présentation à la fois de la réforme constitutionnelle, des lois organiques et ordinaires associées et, éventuellement, de la réforme du préambule de la Constitution. Un délai supplémentaire de quelques mois permettrait à cet égard d’effectuer un bien meilleur travail.
M. Jean-Christophe Lagarde s’est réjoui, au nom du Nouveau Centre, que le projet ait pour objet principal de redonner des pouvoirs au Parlement. Cependant, le fait que le Congrès ait été appelé à se réunir tous les six à huit mois ces dernières années, ne peut que conduire à s’interroger sur la façon dont la question de la réforme des institutions est abordée.
Par ailleurs, si le texte marque certaines avancées, il en manque suffisamment d’autres pour être adoptable en l’état. Si le mode de scrutin ne relève pas de la Constitution, il n’en reste pas moins que la question de la proportionnelle pourrait empêcher le Gouvernement de trouver une majorité au Congrès. De même, il serait étonnant que les représentants des Français de l’étranger soient élus à la proportionnelle alors que le reste de la Représentation nationale ne le serait pas. Faudra-t-il, pour un parti minoritaire, faire élire ses députés à l’étranger afin de disposer d’une représentation au Parlement ? Par ailleurs, peut-on donner plus de pouvoirs à ce dernier tout en refusant que, grâce à la proportionnelle, il représente mieux la population française, sachant qu’aujourd’hui plus de 40 % des votants ne sont déjà pas représentés ?
S’il est très satisfaisant de limiter l’application de l’article 49, alinéa 3, aux projets de loi de finances et aux projets de loi de financement de la sécurité sociale, il est en revanche inutile d’en prévoir l’utilisation pour un texte par session, puisque cela reviendrait à maintenir la pratique actuelle. Plutôt que d’imposer au Parlement – le plus souvent d’ailleurs à la majorité – une loi dont il ne veut pas, mieux vaut pour le Gouvernement laisser du temps à la négociation.
Concernant l’intervention du Président de la République devant le Parlement, elle ne présente pas d’inconvénient majeur, à condition toutefois que la périodicité de sa venue soit encadrée, et qu’un caractère solennel lui soit conféré. Aussi conviendrait-il de donner seulement au chef de l’État la possibilité de s’exprimer devant le Congrès, puisqu’il ne peut le dissoudre. En tout cas, si le Président de la République doit venir s’exprimer devant les assemblées, un débat doit être organisé en sa présence, même si sa responsabilité ne peut être mise en cause par le Parlement au moyen d’un vote. Le Président de la République risquerait sinon de s’exposer à ce que des parlementaires, en désaccord avec lui, quittent l’hémicycle, ce qui ne pourrait qu’abaisser la fonction présidentielle.
Par ailleurs, l’article 1er relatif à des droits nouveaux attribués à la majorité et à l’opposition est inacceptable. Si des droits nouveaux doivent être attribués, c’est aux groupes parlementaires eux-mêmes, sauf à créer des difficultés de fonctionnement accrues pour certains d’entre eux.
Quant aux interventions militaires, leur prolongation doit faire l’objet d’un vote au bout de trois mois comme le prévoyait le « comité Balladur », surtout s’il s’agit d’intervenir au sein d’une coalition.
Les nominations doivent, elles, n’être prononcées qu’après avis de la commission ad hoc statuant à la majorité qualifiée, afin de s’assurer de la compétence des personnes concernées.
Enfin, le justiciable doit pouvoir mieux accéder à la justice constitutionnelle. En effet, si le Parlement venait à adopter une loi non constitutionnelle, personne ne pourrait aujourd’hui la déférer. S’il faut prévoir des filtres s’agissant de la saisine du Conseil constitutionnel, tout citoyen doit pouvoir faire valoir son droit au respect des dispositions constitutionnelles le concernant. La décision que le Conseil sera amené à rendre s’imposera-t-elle à toutes les instances en cours ?
M. Bernard Derosier a tenu à rappeler que les députés socialistes souhaitent participer à la modernisation des institutions. Or, sans préjuger du débat dans l’hémicycle, le Gouvernement semble, dans ses réponses aux observations tant de l’opposition que de sa majorité, camper sur ses positions.
S’agissant de l’intervention du Président de la République devant les assemblées, si le seul art oratoire de M. Thiers a pu à l’époque expliquer certaines oppositions, une raison plus fondamentale existe aujourd’hui, liée au type de régime souhaité, présidentiel ou parlementaire.
Quant aux nominations, faut-il rappeler l’intervention de M. Sarkozy au congrès de l’UMP le 14 janvier 2007 dans laquelle ce dernier soulignait que « la démocratie irréprochable, ce n’est pas une démocratie où les nominations se décident en fonction des connivences et des amitiés, mais en fonction des compétences » ?
Concernant les lois organiques ou ordinaires auxquelles le texte renvoie, il est souhaitable d’en savoir plus, car si l’on se réfère à l’exemple de l’article 1er du projet, qui fixe les droits de l’opposition, les nombreux changements intervenus depuis le texte du « comité Balladur » conduisent à ne pouvoir se satisfaire de simples déclarations du Gouvernement en la matière.
M. Hervé Mariton a estimé que le problème du calendrier ne constituait pas une difficulté particulière, car il est certainement possible, d’ici au 20 mai, de clarifier plusieurs points. En tout état de cause, la question qui est posée plus généralement par les citoyens n’est pas d’ordre technique. Elle est plutôt de savoir pourquoi l’on veut réformer les institutions. Aussi le Gouvernement ferait-il bien d’expliquer en quoi son projet est de nature à améliorer la vie du pays, par exemple en ce qui concerne le contrôle de la dépense publique, l’exécution des lois de finances ou encore les moyens d’éviter les dérapages budgétaires qui ne figurent pas dans le projet, ce qu’on peut regretter.
S’agissant de la réforme elle-même, le Gouvernement met en avant le rôle du Parlement alors que le problème vient de la présidentialisation de fait du régime – laquelle n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise chose. Or, faute d’assumer cette présidentialisation, le texte aboutit à un réel déséquilibre. À cet égard, la solution consistant à faire venir le Président de la République non pas devant les assemblées, mais devant le Congrès, tend à oublier que ce dernier est un constituant, et qu’à ce titre il doit être le plus libre possible vis-à-vis de l’exécutif.
Quant aux nominations, les commissions permanentes des assemblées auraient pu être le lieu adéquat de consultation. Certes, la Nation ne souhaite pas que l’avis en la matière soit l’affaire des partis, mais elle aurait pu tout à fait comprendre, s’agissant des grandes nominations, qu’une commission parlementaire qui a, par exemple, l’habitude de traiter d’affaires culturelles, puisse être consultée sur une nomination au CSA. Au contraire, une commission des nominations ad hoc ne pourrait aboutir qu’à un fonctionnement politique et partisan, étant entendu que les nominations seraient réparties à l’avance entre les groupes.
Il aurait donc été plus clair d’assumer l’évolution institutionnelle constatée aujourd’hui et d’en tirer les pleines conséquences dans la définition à la fois du rôle du Président de la République et de celui du Parlement.
Tel n’étant pas le cas, le Parlement ferait mieux, plutôt que de chercher en vain un renforcement de son rôle dans une réforme constitutionnelle, de se saisir déjà des pouvoirs qu’il n’exerce pas, notamment en matière de contrôle de l’exécutif. Si le Parlement n’est pas plus fort aujourd’hui, c’est en effet essentiellement de sa faute, et il ne faudrait donc pas que le texte proposé le détourne de l’effort qu’il doit accomplir sur lui-même.
La garde des Sceaux a précisé, s’agissant des personnalités, hors les magistrats, qui composent le CSM, qu’elles seront toujours nommées par les mêmes autorités politiques, mais après avis d’une commission, ce qui permettra de renforcer leur indépendance.
Quant à la parité entre magistrats et non-magistrats préconisée par la « commission Outreau », il faut rappeler que cette commission avait regretté à l’époque le corporatisme de la magistrature et le manque d’oxygène en matière de nomination et de promotion, n’excluant donc pas d’aller au-delà de la stricte parité. En outre, le projet de réforme du CSM de 1998 prévoyait, ainsi que Mme Guigou l’a confirmé, dix magistrats sur vingt et un membres, soit une minorité.
Si le choix a également été fait aujourd’hui de disposer d’une minorité de sept magistrats sur quinze membres, c’est tout simplement pour éviter tout risque de blocage, notamment en matière de désignation, sachant que le CSM émettra désormais un avis non seulement sur les nominations, mais également sur les conditions d’avancement des magistrats ainsi qu’en matière disciplinaire.
S’agissant des instructions individuelles écrites et versées au dossier, domaine dans lequel le Parlement est intervenu en 2004, elles ont pour effet de renforcer la transparence dans les rapports entre le pouvoir exécutif et les parquets. L’indépendance de ces derniers compromettrait, à l’inverse, la mise en œuvre, en application de la loi, d’une politique pénale claire sur tout le territoire.
Mme Élisabeth Guigou a précisé que rien n’a jamais empêché le garde des Sceaux, dans le cadre de la politique pénale, d’adresser des instructions générales aux procureurs généraux. Ce sont les instructions individuelles qui posent un problème.
La garde des Sceaux a rappelé que celles-ci s’inscrivent dans le cadre des dispositions adoptées par le Parlement en 2004 et ne sont pas verbales, mais écrites.
Quant au rôle du Président de la République, le fait de prévoir qu’il ne présidera plus le CSM constitue une réelle avancée. Rien ne lui interdirait en effet aujourd’hui de prendre part au vote en matière de nomination des magistrats. Le Président de la République a choisi de ne plus présider le CSM et donc de s’interdire de prendre part aux décisions. Ce choix, dont la cohérence doit être soulignée, se traduit par une confiance accrue accordée aux deux plus hauts magistrats de France, d’autant que la nomination des procureurs généraux fera désormais l’objet d’un avis du CSM.
S’agissant de l’exception d’inconstitutionnalité, il faut rappeler que le contrôle du Conseil constitutionnel s’exerce aujourd’hui avant promulgation, sur la saisine, notamment, de soixante députés ou sénateurs. Il s’agit aujourd’hui d’aller plus loin afin de donner plus de pouvoirs en la matière aux justiciables qui pourront invoquer devant le juge administratif ou judiciaire l’inconstitutionnalité d’une loi. Si le Conseil constitutionnel, statuant en dernier ressort, déclare une disposition inconstitutionnelle, celle-ci ne sera alors pas appliquée au justiciable concerné et sera automatiquement abrogée.
En réponse à M. Jean-Christophe Lagarde, la garde des Sceaux a confirmé que la disposition en question sera bien abrogée erga omnes et non pour le seul justiciable concerné.
L’engagement pris en matière de nomination par le Président de la République lorsqu’il était candidat est tenu, puisque le pouvoir de nomination est encadré. C’est ainsi que les nominations aux plus hautes responsabilités tant en matière économique et sociale que de libertés seront soumises à un avis avant décision du Président de la République.
Enfin, les droits des citoyens sont renforcés puisqu’il sera créé dans la Constitution – ce qui n’était pas le cas pour le Médiateur de la République – un Défenseur des droits des citoyens, que tout citoyen pourra saisir.
Le secrétaire d’État a rappelé, s’agissant du calendrier, que la Constitution de 1958, à laquelle il est fait souvent référence, a été élaborée en moins de deux mois après la mise en place du comité consultatif constitutionnel au mois de juin précédent, et qu’elle a été soumise à référendum dès le 28 septembre 1958. Le fait d’avoir aujourd’hui disposé d’un an pour préparer la révision de la Constitution paraît donc suffisant.
Pour autant, l’application du seul règlement des assemblées ne saurait suffire à renforcer leur rôle, car ce dernier ne peut être modifié, s’agissant du partage de l’ordre du jour, de l’examen en séance plénière du texte issu des travaux de la commission ou de la limitation de l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, qu’après réforme de la Constitution.
Il convient également de rappeler que si, en 1873, M. Thiers s’est vu refuser la possibilité de venir s’exprimer devant le Parlement, c’est parce que ce dernier était monarchiste et qu’il ne voulait pas qu’un républicain entre à l’Assemblée.
S’agissant enfin des droits de l’opposition, ils sont considérablement renforcés tant en ce qui concerne les partis que les groupes, étant rappelé qu’une disposition constitutionnelle est nécessaire en la matière afin de plus se heurter au principe d’égalité. C’est donc bien une avancée en faveur des partis d’opposition que le Gouvernement, qui est ouvert à des modifications par voie d’amendement, souhaite établir dans la Constitution.
Puis, le même jour, la Commission a procédé à l’audition de M. Édouard Balladur, président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République.
Le président Jean-Luc Warsmann a rappelé que la commission avait souhaité entendre M. Édouard Balladur juste après que Mme la garde des Sceaux et M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement ont présenté le projet de révision constitutionnelle, grandement inspiré des travaux du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République qu’il a présidé. Il a demandé à M. Balladur s’il reconnaissait ses propositions dans le projet de révision et s’il regrettait de ne pas en voir figurer certaines.
M. Édouard Balladur, président du comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Ve République, a précisé que le Gouvernement a retenu 80 % environ des propositions formulées. Ce ne fut hélas pas le cas de celles concernant la clarification de la répartition des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre, au motif qu’une trop grande précision dans les textes compliquerait une éventuelle cohabitation. C’est d’autant plus regrettable que, précisément, les institutions ne sont pas toujours d’une extrême clarté et génèrent des conflits entre les deux têtes de l’exécutif. Mais les esprits n’étaient pas prêts à une mutation d’envergure. Dès lors, la question du choix entre un régime présidentiel, dont les partisans, incluant le président du Comité, étaient substantiellement minoritaires, et un régime parlementaire n’a pas été tranchée.
Le président Jean-Luc Warsmann a demandé à M. Édouard Balladur quelle était sa position quant à l’inscription des modes de scrutin dans la Constitution. Faut-il par ailleurs modifier ou non l’article 88-5 de la loi fondamentale disposant que l’entrée d’un nouvel État au sein de l’Union européenne doit être soumise au référendum ?
M. Édouard Balladur a rappelé que le Comité avait proposé que « le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République en fonction de leur population ». Le Gouvernement a préféré la formulation « compte tenu de leur population », ce qui n’est guère différent. La rédaction la plus claire aurait probablement été « proportionnellement à leur population » mais il n’a pas paru utile, pour un certain nombre de raisons, d’aller dans ce sens. D’une manière générale, il n’est pas souhaitable d’inscrire les modes de scrutin dans la Constitution. Il convient également de préciser que le Comité n’avait pas non plus retenu la possibilité d’une représentation spécifique des Français de l’étranger en tant que tels.
S’agissant de l’article 88-5, lors de son audition, M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, s’était interrogé sur la nécessité d’organiser des référendums à chaque ratification de traités d’élargissement de l’Union européenne. Le Comité a estimé qu’il était opportun d’aligner la procédure applicable en la matière sur celle qui régit les révisions de la Constitution à l’article 89 : le Président de la République étant libre, en l’occurrence, de choisir entre le Congrès et le référendum. Étant observé qu’un référendum sur l’entrée de quelque pays que ce soit risque aujourd’hui d’être négatif, il est en effet préférable d’opter pour une formule plus souple que le référendum.
M. René Dosière, ayant rappelé la jurisprudence du Conseil constitutionnel concernant la représentation du territoire et de la population, a demandé si, compte tenu de ses propos, M. Édouard Balladur était favorable à l’élection proportionnelle des sénateurs par rapport à la population.
M. Édouard Balladur a répété que la rédaction la plus précise serait « proportionnellement à leur population », « en fonction » étant toutefois un peu plus précis que « en tenant compte ». Quoi qu’il en soit, la Constitution n’a pas à régler ce type de problèmes.
M. René Dosière a demandé pourquoi, selon le Comité, il faudrait inscrire dans la Constitution le non-cumul des mandats concernant les ministres et dans la loi organique celui concernant les parlementaires.
Il a par ailleurs fait part de sa satisfaction s’agissant du budget de la Présidence de la République, les propositions retenues constituant une avancée sensible.
M. Édouard Balladur a répondu que les dernières élections municipales ont suffi à illustrer la manière dont il est tenu compte des propositions du Comité concernant le non-cumul des mandats.
M. Christophe Caresche a rappelé qu’il aurait préféré la mise en place d’une commission parlementaire pour réfléchir à ces questions institutionnelles mais il a néanmoins salué la grande qualité du travail accompli par le Comité, les propositions qui en sont issues étant particulièrement équilibrées.
Le « traité simplifié » a introduit le contrôle de subsidiarité, lequel s’exerce de deux manières : le « carton jaune » – qui permet aux parlements nationaux de saisir la Commission européenne en cas d’entorse au principe de subsidiarité – et le « carton rouge » – qui permet aux États, sur proposition des parlements, de saisir la Cour de justice européenne en cas d’atteinte forte à ce principe. Le Bundestag est en train d’adopter une disposition qui permettrait à un tiers des parlementaires d’exercer ce « carton rouge », processus assez voisin, mutatis mutandis, de la possibilité de saisine du Conseil constitutionnel par soixante parlementaires en France. Quel est, sur ce point, l’avis de M. Balladur ?
M. Édouard Balladur a répondu qu’il ne serait pas favorable à une telle proposition, qui affaiblirait la défense de l’intérêt national plus qu’elle ne la conforterait.
Il a ajouté qu’il ne fallait pas sous-estimer l’ampleur des propositions du Comité, qui conduisent à une rénovation profonde des institutions à travers l’extension des droits du Parlement, certes, mais aussi la limitation des pouvoirs du Président de la République. Une pareille réforme, si elle était repoussée, risquerait de ne pas être présentée au Parlement avant longtemps. L’opinion publique, d’ailleurs, ne comprendrait pas un tel rejet car restaurer les droits du Parlement, c’est développer la participation des citoyens à la chose publique et permettre aux parlementaires de mieux jouer leur rôle. En outre, les institutions politiques ne se résument pas aux rapports entre les gouvernants et les techniciens du pouvoir que sont les parlementaires : elles visent aussi à permettre aux citoyens eux-mêmes de défendre leurs droits. D’où l’extrême importance de l’exception d’inconstitutionnalité permettant aux Français d’invoquer devant un juge l’éventuelle inconstitutionnalité de la loi.
M. Arnaud Montebourg a également considéré que nombre des propositions du Comité, à condition d’être réunies avec cohérence dans le projet de loi constitutionnelle, favoriseraient en effet des avancées significatives. L’opposition souhaite parvenir à un compromis qui ébranlera l’histoire institutionnelle de la France en donnant un cours nouveau à la Ve République.
Une dizaine de propositions majeures du Comité n’ayant pas néanmoins été retenues, l’opposition en reprendra certaines à travers des amendements : assouplissement des règles de recevabilité financière des amendements ; limitation de la faculté, pour le Gouvernement, de déposer des amendements portant articles additionnels à ses propres projets ; exigence d’études d’impact préalables au dépôt des projets de loi avec procédure spéciale de contrôle par le Conseil constitutionnel ; institution du référendum d’initiative populaire à la demande d’un cinquième des membres du Parlement et d’un dixième des électeurs inscrits ; réforme de la limitation du cumul des mandats ; suppression du droit de veto du Sénat en matière de révision constitutionnelle ; interdiction des lois rétroactives sauf motif déterminant ; création d’un conseil du pluralisme ; privation de la possibilité, pour le Président de la République, de ne pas donner suite à un projet ou une proposition de révision constitutionnelle votés en termes identiques par les deux assemblées.
Le Comité prévoyait par ailleurs qu’une semaine de séance sur quatre devait être réservée au contrôle de l’action du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques ; or, le texte est très en deçà de ses préconisations s’agissant des garanties offertes à l’opposition, des facultés d’expression et d’organisation du contrôle. Comment expliquer cette évolution ?
M. Édouard Balladur a indiqué qu’il ne se plaindra pas de la liberté prise par le Gouvernement à l’endroit des propositions du Comité tant celui-ci a lui-même pris des libertés par rapport à ce que celui-là pouvait considérer comme souhaitable. Telle est la règle du jeu. Une critique systématique des préconisations gouvernementales serait ainsi malvenue.
Les thèmes non retenus sont d’inégale importance. Mettre fin au droit de veto implicite qu’exerce le Président de la République sur une révision constitutionnelle en ne donnant pas suite à la procédure fait partie des propositions essentielles qui n’ont pas été retenues ; or, une telle possibilité, par exemple, aurait permis l’instauration du quinquennat trente ans plus tôt. De même le référendum d’initiative populaire aurait constitué une mutation majeure. Ce n’est pas nécessairement le cas avec le conseil du pluralisme, qu’il aurait été par ailleurs difficile d’installer.
M. Sébastien Huyghe a rappelé que le Comité préconisait que le Parlement soit informé de toutes opérations militaires hors du territoire national et qu’il fallait soumettre à autorisation législative la prolongation de ces interventions au-delà d’une durée de trois mois. Pourquoi un tel délai ? Le passage à six mois proposé par le Gouvernement change-t-il fondamentalement la donne ?
M. Édouard Balladur a estimé que cela ne constituait pas un changement fondamental mais que cette disposition constituait en soi une grande avancée puisque des milliers de soldats français sont par exemple déployés en Côte d’Ivoire depuis plusieurs années sans qu’aucune délibération parlementaire n’ait été organisée.
M. Jean-Christophe Lagarde s’est interrogé sur le maintien, hors le cas des projets de loi finances et de financement de la sécurité sociale, de l’article 49, alinéa 3, une fois par session, qui n’apparaît ni utile, ni légitime car le Parlement doit pouvoir refuser un texte sans pour autant remettre en cause l’existence du Gouvernement. Fallait-il par exemple utiliser cet article lors de la discussion d’un texte relatif aux téléchargements sur Internet ?
Par ailleurs, l’intervention du Président de la République devant le Parlement ne devrait-elle pas être solennisée et encadrée ? La fonction présidentielle ne risque-t-elle pas d’être affaiblie en cas de chahut ? Un débat parlementaire est-il en outre envisageable après le départ du Président ?
Enfin, s’il faut se réjouir de l’institution de l’exception d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel ne peut être aujourd’hui saisi que par le Président de la République, le Premier ministre, les Présidents des assemblées ou soixante parlementaires réunis. Un groupe parlementaire ne pourrait-il pas également en avoir la possibilité ? Vingt personnes représentent tout de même deux millions d’électeurs !
M. Édouard Balladur a considéré que l’on « en fait vraiment trop » s’agissant de l’intervention du Président de la République devant le Parlement. Il est tout autant possible d’estimer qu’il s’agit là d’un moyen, pour le Président, de faire pression sur le Parlement que, pour le Parlement, de contrôler le Président. Un encadrement est par ailleurs tout à fait envisageable selon des modalités à définir.
S’agissant de l’article 49, alinéa 3, c’est au Gouvernement de juger ce qu’il considère comme étant essentiel ou non à sa politique et donc, ce sur quoi il estime devoir engager sa responsabilité hors le projet de loi finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Enfin, il est assez facile de réunir soixante parlementaires afin de saisir le Conseil constitutionnel – pour peu qu’ils le souhaitent, ce qui n’est pas toujours le cas. L’exception d’inconstitutionnalité n’en a, à ce propos, que plus d’importance.
M. Michel Hunault a rendu hommage à M. Édouard Balladur et aux travaux du Comité.
Il a par ailleurs considéré que le Parlement avait pleinement joué son rôle à l’occasion des périodes de cohabitation. Or, si la révision constitutionnelle est une occasion unique pour limiter le pouvoir du Président de la République, la fonction de ce dernier ne serait-elle pas trop affaiblie en cas de nouvelle cohabitation ?
M. Édouard Balladur a répondu que la révision constitutionnelle est une occasion unique pour renforcer les prérogatives du Parlement, ce qui n’est pas exactement la même chose… Quant à la cohabitation, elle prive structurellement le Président de la République de la plupart de ses pouvoirs en les conférant au Premier ministre, lequel est issu de la majorité parlementaire. La modification de la Constitution ne changerait donc pas grand-chose de ce point de vue.
M. Manuel Valls a confirmé que cette révision était sans doute une occasion unique pour mieux affirmer les droits d’initiative et de contrôle du Parlement et que cette occasion invitait les uns et les autres à faire les pas nécessaires afin de rapprocher leurs points de vue.
M. René Dosière a noté que le Comité avait proposé de substituer au système actuel de parrainage pour l’élection présidentielle une présélection des candidats par un collège de 100 000 élus. Cela a-t-il suscité d’importants débats au sein du Comité ?
M. Édouard Balladur a répondu qu’il était d’autant plus attaché à cette préconisation qu’il en était l’auteur. Il avait même envisagé que ne puissent se présenter à l’élection présidentielle que les quatre ou cinq premiers candidats retenus au lieu des quinze. Non seulement il n’aurait pas été possible d’invoquer un déni de démocratie parce qu’un candidat ayant recueilli 1 % des voix n’aurait pu se présenter, mais la démocratie y aurait gagné en évitant l’éparpillement des votes. Les questions de fond sont de savoir s’il faut ou non se diriger vers un régime plus bipartisan et si l’exactitude de la représentation doit l’emporter sur l’efficacité. M. Édouard Balladur considère quant à lui que cette dernière doit primer.
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La Commission a examiné le projet de loi constitutionnelle au cours de ses deux séances du mercredi 14 mai 2008. Elle est directement passée à l’examen des articles.
EXAMEN DES ARTICLES
DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE
La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Braouezec tendant à inscrire dans le préambule de la Constitution le principe de l’indivisibilité et de l’opposabilité des droits fondamentaux.
Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Noël Mamère visant à compléter l’article 1er de la Constitution pour y inscrire le principe selon lequel la République se reconnaît comme « plurielle et garante de la diversité qui la compose ». Après que son auteur eut indiqué que cet amendement annonçait une série d’amendements « déclinant » ce principe dans l’ensemble du texte constitutionnel, M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur, a donné un avis défavorable et la Commission a rejeté l’amendement.
M. Manuel Valls a jugé que l’importance des débats en cours justifiait que s’instaure dans la sérénité un réel dialogue républicain, que le rapporteur réponde avec précision aux arguments défendus par les différents orateurs et que le Président donne le décompte exact des voix lorsque cela lui serait demandé.
La Commission a été saisie d’un amendement de M. Noël Mamère visant à réécrire la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution pour préciser explicitement que la République assure l’égalité des citoyens devant la loi et rejette toutes les formes de discrimination. Son auteur a précisé qu’il s’agissait de consacrer dans la Loi fondamentale ce principe, certes déjà reconnu par la jurisprudence constitutionnelle, et d’assurer ainsi une réelle protection des citoyens, dans le respect des textes européens. Le rapporteur, ayant indiqué que le principe d’égalité est d’ores et déjà garanti par la Constitution et par la jurisprudence du Conseil constitutionnel, a jugé que l’inscription dans notre Loi fondamentale de l’exception d’inconstitutionnalité, qui permettra à tout citoyen de soulever, le cas échéant, le non-respect du principe d’égalité par une loi déjà promulguée, est de nature à assurer un réel renforcement de la protection de l’égalité des citoyens devant la loi, d’autant qu’un amendement viendra étendre son champ d’application aux lois promulguées avant 1958. Il a donc invité la Commission à rejeter l’amendement.
La Commission a rejeté cet amendement.
Elle a été saisie d’un amendement de M. Arnaud Montebourg visant à supprimer le mot « race » de la deuxième phrase de l’article 1er de la Constitution. Son auteur a rappelé que, depuis des décennies, il est arrivé que les conceptions originelles des constituants de 1958 soient contestées, voire jugées dangereuses. Tel est le cas de l’usage du mot « race » dans l’article 1er de la Constitution : même s’il s’agissait bien, depuis l’origine, de lui dénier toute implication, la seule présence dans notre Constitution d’un terme scientifiquement rejeté et politiquement dangereux est contestable. L’objet de cet amendement est donc de mettre un terme à cette anomalie sémantique et politique.
Le rapporteur s’est déclaré défavorable à l’adoption de cet amendement dont il a cependant déclaré comprendre les motivations. Il a tout d’abord indiqué que cette question avait fait l’objet de plusieurs débats qui se sont toujours soldés par un vote de rejet par notre assemblée, qu’il se soit agi d’un amendement de M. Victorin Lurel en novembre 2002 ou de la proposition de loi de M. Michel Vaxès, repoussée en mars 2003. De fait, la présence du mot « race » dans notre législation est nécessaire pour combattre toutes les infractions racistes. Le professeur Guy Carcassonne ne dit pas autre chose dans son ouvrage La Constitution de 1958 commentée, cité par l’exposé sommaire de l’amendement. Le rapporteur a ensuite rappelé que la suppression du mot « race » de la Constitution ne le ferait pas pour autant disparaître de notre droit positif, citant notamment l’article 1er de la Charte des Nations unies, l’article 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, l’article 3 de la Convention de Genève ou bien encore l’article 10 du traité sur l’Union européenne dans sa rédaction issue du traité de Lisbonne. Suivant l’avis du rapporteur, la Commission a alors rejeté l’amendement.
Puis, elle a été saisie d’un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde visant à compléter l’article 1er de la Constitution pour prévoir que la « France a vocation à faire devenir citoyen français, si elle le désire, toute personne qu’elle accueille régulièrement sur son territoire et qui souhaite s’y installer ». Le rapporteur a jugé que cet amendement semble donner l’impression, par nature illusoire, que la naturalisation est un droit alors qu’à ses yeux elle doit demeurer le fruit d’une démarche volontaire de la personne concernée de rejoindre la communauté nationale. La Commission a alors rejeté cet amendement.
La Commission a rejeté un amendement de M. Patrick Braouezec visant à inscrire à l’article 1er de la Constitution le principe de la « démocratie participative », le rapporteur ayant jugé inutile d’inscrire ce principe dans la Constitution, estimant qu’une telle démarche pouvait prospérer en dehors de tout cadre constitutionnel et qu’il était par ailleurs curieux de prévoir qu’il revenait aux seules collectivités territoriales le soin de l’organiser.
La Commission a été saisie de trois amendements pouvant être soumis à une discussion commune, tendant à la reconnaissance des langues régionales au sein de l’article 2 de la Constitution, respectivement défendus par MM. Noël Mamère, Jean-Jacques Urvoas et François Bayrou.
M. Noël Mamère a indiqué que son amendement tendait à prévoir que, si le français demeure la langue officielle de la République, cette dernière reconnaît également les langues régionales de France. Il a estimé que le principe de l’indivisibilité de la République ne devait pas conduire au refus de la reconnaissance des langues régionales, situation qui prévaut pourtant de fait dans notre pays. Il a ainsi rappelé que l’État espagnol consacrait soixante fois plus de crédits à la promotion des langues régionales que ne le fait notre pays et s’est déclaré favorable à une politique volontariste en la matière, les langues régionales étant le reflet de la diversité de notre pays.
M. Jean-Jacques Urvoas a expliqué que son amendement, précisant que la langue de la République est le français « dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine », visait à desserrer la contrainte pesant sur celles-ci depuis la révision constitutionnelle de 1992 qui a introduit le principe selon lequel la langue de la République est le français. Il a rappelé qu’il s’agissait alors à l’époque, à la veille de la ratification du traité de Maastricht, de défendre notre langue face à la langue anglaise très largement majoritairement parlée dans le monde et en aucun cas d’interdire la promotion des langues régionales et minoritaires. C’est pourtant ainsi que l’a interprété le Conseil constitutionnel en 1999. À l’heure où on célèbre Aimé Césaire, il s’agit par cet amendement de résoudre cette difficulté et de permettre une réelle reconnaissance de la diversité linguistique dans notre pays.
M. François Bayrou a déclaré souscrire aux arguments développés par M. Urvoas sur le dévoiement de la volonté des constituants de 1992 par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Il a estimé que des trois amendements le sien était celui qui allait le plus loin puisqu’il prévoit que la République « protège » les langues régionales qui appartiennent au patrimoine de la Nation, ce qui va au-delà de leur simple reconnaissance car cela implique la mise en place de politiques volontaristes de promotion de ces langues. Il a donc invité ses collègues à se rallier à son amendement.
Rappelant que dès 1995, le Président Chirac s’était engagé à mettre en place des mesures de protection des langues régionales dans un discours prononcé à Quimper, M. Claude Goasguen a indiqué qu’il voterait l’amendement de M. Bayrou car il était important de sortir de la situation juridique actuelle qui empêche la mise en œuvre de politiques volontaristes en la matière.
M. Michel Hunault a rappelé que le 7 mai dernier s’était tenu à l’Assemblée un débat sur les langues régionales et a souhaité citer les propos tenus à cette occasion par Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication, qui a déclaré : « En donnant une forme institutionnelle à la notion de patrimoine linguistique, en inscrivant dans la loi la diversité linguistique interne, nous conforterons la bataille que nous menons en Europe et dans le monde pour favoriser le multilinguisme et la diversité culturelle ». Il a jugé que ces propos témoignaient de l’accord du Gouvernement en faveur de la reconnaissance des langues régionales.
Le rapporteur a rappelé que le débat s’était concentré depuis plusieurs années sur la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, dont la ratification pose des problèmes institutionnels, mais aussi des difficultés de principe et de pratique. Elle impliquerait en effet que les langues régionales puissent être utilisées dans la vie publique, ce qui poserait des problèmes pratiques de traduction mais aussi la question de principe de l’usage par des agents publics de langues autres que le français. Une autre difficulté est liée à l’assise territoriale de ces langues régionales qui suppose la reconnaissance de bassins géographiques, en méconnaissance du principe d’unicité de notre territoire. Il a rappelé que le débat qui s’est tenu dernièrement à l’Assemblée avait pour but d’évaluer la possibilité d’avancer sur le plan de la promotion des langues régionales en dehors de la ratification, problématique, de la Charte – que la France n’est d’ailleurs pas le seul pays à ne pas avoir ratifiée. Après avoir rappelé que la ministre de la culture et de la communication avait annoncé au cours de ce débat le dépôt prochain d’un projet de loi relatif à la promotion et la défense des langues régionales, le rapporteur a estimé que de telles avancées législatives, accompagnées de moyens financiers et humains supplémentaires, qu’il appelle par ailleurs de ses vœux, étaient possibles sans que soit modifiée la Constitution et a donc émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. Claude Goasguen a estimé à l’inverse qu’en l’absence de révision constitutionnelle, la future loi encourrait la censure du Conseil constitutionnel.
M. Jean-Jacques Urvoas a déclaré ne pas partager la lecture faite par le rapporteur de la Charte européenne. Il a rappelé que cette dernière peut être ratifiée par un État à partir du moment où il accepte au moins 35 des 98 articles qui la composent. Missionné par le Premier ministre de l’époque, M. Guy Carcassonne avait estimé que la France pouvait signer 52 articles sans que cela ne pose de difficultés juridiques. M. Lionel Jospin avait alors accepté de signer 39 articles, relevant de la partie III de la Charte, aucun de ces points ne soulevant de problème constitutionnel, ainsi que l’a confirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1999. Il en va certes différemment de la partie II de la Charte, qui a une portée normative propre, mais qui impliquerait, en cas de ratification par la France, l’adoption d’une déclaration interprétative.
Le rapporteur a estimé que l’exemple alsacien illustre bien qu’une politique de promotion d’une langue régionale est possible sans que le cadre constitutionnel ne soit modifié. Il a ensuite cité le Conseil constitutionnel, qui a considéré, dans sa décision du 15 juin 1999 sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires (201), « qu’en vertu (des dispositions de la Charte), l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public ; que les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d’un droit à l’usage d’une langue autre que le français, ni être contraints à un tel usage » et que, par ailleurs, « la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des " groupes " de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de " territoires " dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ». Le rapporteur a alors estimé que deux séries de difficultés se posaient : d’une part, s’agissant de l’usage de langues autres que le français dans la vie publique et, d’autre part, s’agissant de la reconnaissance de groupes de locuteurs et de territoires, en méconnaissance des principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. Il a jugé que dans le cadre constitutionnel actuel pouvaient être envisagées des politiques volontaristes de promotion des langues régionales, dont il a d’ailleurs regretté qu’elles n’aient pas été mises en place plus tôt, dans le respect de la liberté de choix de chacun ; en revanche, à n’en pas douter, le Conseil constitutionnel censurerait une démarche obligatoire.
Après que M. Claude Goasguen eut estimé que le débat actuel n’était pas celui relatif à la Charte, M. Noël Mamère a réitéré les craintes déjà exprimées qu’en l’absence de révision constitutionnelle la future loi ne soit censurée par le Conseil constitutionnel. Il a estimé crucial que soit inscrit dans la Constitution le principe de la diversité culturelle, reconnu notamment par le traité de Lisbonne et a jugé les arguments développés par le rapporteur plus politiques que juridiques. À ses yeux, les amendements déposés ne remettent nullement en cause l’usage du français et n’impliquent pas l’évolution redoutée vers un modèle communautariste.
M. François Bayrou a estimé que la discussion était en train de s’égarer, la Charte européenne n’étant pas le sujet du débat. Il a rappelé que la question posée par ces amendements était celle de la difficulté posée par la rédaction actuelle du premier aliéna de l’article 2 de la Constitution qui interdit, en l’état, au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, toute mise en œuvre de politiques actives de promotion des langues régionales. Ces amendements ne visent pas à affaiblir l’usage du français mais bien au contraire à enrichir la Constitution de la référence aux langues régionales.
M. Claude Goasguen a estimé que le rapporteur avait déplacé le débat sur un plan international alors que ce n’est pas le cœur du sujet : il s’est d’ailleurs lui-même déclaré défavorable à une ratification par la France de la Charte car certaines de ses dispositions contreviennent aux principes de notre République. Il a estimé en revanche qu’il était nécessaire de réviser aujourd’hui la Constitution pour éviter que la future loi promouvant une politique volontariste de développement des langues régionales ne soit censurée par le Conseil constitutionnel.
M. Jean-Christophe Lagarde a estimé nécessaire de reconnaître le fait que les langues régionales doivent être protégées par la République. Se fondant sur les exemples ultramarins, notamment celui de Mayotte, il a estimé que l’existence de langues locales à côté du français ne posait aucune difficulté. Dans le contexte actuel de mondialisation qui induit une crainte de perte d’identité, il a estimé urgent et nécessaire de soutenir ces amendements.
M. Jean-Jacques Urvoas ayant estimé que le problème dont il est débattu avait des implications concrètes importantes, en rappelant que les locuteurs de langue bretonne sont passés de plus de un million en 1950 à moins de 250 000 aujourd’hui, le rapporteur a maintenu son avis défavorable sur les trois amendements. Il a estimé que M. Mamère lui avait livré le meilleur argument en faveur de sa position en citant le traité de Lisbonne qui a fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel sans que celui-ci n’ait jugé sa reconnaissance de la diversité culturelle et linguistique contraire à la Constitution. Il y a vu la preuve qu’il n’était donc nullement nécessaire de réviser la Constitution pour mettre en œuvre des politiques de promotion de cette diversité. Après que le rapporteur eut estimé que l’amendement de M. Mamère posait en outre une difficulté en ce qu’il autorisait l’usage des langues régionales dans la vie publique, la Commission a successivement rejeté les trois amendements.
MM. François Bayrou, Bruno Le Roux et Bernard Roman s’étant étonnés du résultat de ces scrutins et ayant réclamé qu’il soit procédé à un nouveau vote, M. Jacques-Alain Bénisti, président, a refusé de faire droit à cette demande, en précisant que le dernier amendement avait été rejeté par vingt voix contre dix-neuf et en rappelant que seuls les membres de la Commission avaient droit de vote.
M. Manuel Valls ayant fait part de ses craintes que les débats ne se déroulent pas dans l’atmosphère de sérénité nécessaire, a solennellement demandé qu’il soit procédé à un nouveau vote, et déclaré qu’à défaut il demanderait une suspension de séance.
M. Jacques-Alain Bénisti, président, a rappelé que, dans le respect des règles de fonctionnement de la Commission, il ne comptait que les votes exprimés clairement en faveur ou en défaveur d’un amendement et a indiqué avoir clairement relevé vingt votes contre et dix-neuf votes pour l’amendement de M. Bayrou, sur les quarante et un députés présents en Commission.
Devant le refus du président de procéder à un nouveau vote, M. Manuel Valls a réitéré sa demande de suspension de séance.
La séance a alors été suspendue durant cinq minutes.
À la reprise de la séance, M. Jacques-Alain Bénisti, président, a donné lecture de la composition de la Commission et a précisé que M. Jérôme Lambert et Mme Élisabeth Guigou, qui assistaient à la réunion mais ne sont pas membres de la Commission, n’avaient pas pu voter valablement.
La Commission a ensuite été saisie d’un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde tendant à prévoir que les modes de scrutin assurent la représentation pluraliste des opinions et des territoires. Après avoir indiqué que l’objectif de l’amendement était de favoriser une meilleure représentation des opinions et des territoires dans les assemblées élues, M. Jean-Christophe Lagarde a précisé qu’une dose de proportionnelle était nécessaire pour atteindre cet objectif, mais qu’elle ne remettrait pas en cause la stabilité des exécutifs. Il a ainsi jugé paradoxal que les modes de scrutin des élections municipales et régionales se déroulent au scrutin proportionnel, sans que cela empêche la constitution d’exécutifs locaux stables, tandis qu’à l’échelon du département et de la représentation à l’Assemblée nationale la proportionnelle n’existe pas. Il a estimé que cette situation était malsaine, les débats qui ne peuvent avoir lieu au Parlement ayant lieu dans la rue ou par des actions non démocratiques, avec pour conséquence de favoriser la montée des extrémismes. L’objectif de permettre aux citoyens de mieux se reconnaître dans la représentation nationale doit donc être un objectif constitutionnel.
La Commission a également été saisie d’un amendement de M. François Bayrou ayant un objet similaire. Après avoir indiqué qu’il compléterait son amendement en vue de son examen en séance publique pour préciser que la loi prévoit la représentation pluraliste « et équitable » des opinions et des territoires, M. François Bayrou a souligné qu’il avait relevé avec une certaine ironie que l’exposé des motifs du projet de loi comportait un intitulé affirmant qu’« un Parlement renforcé est un Parlement plus représentatif ». Il a rappelé que tous les pays d’Europe occidentale, à l’exception de la France, avaient adopté une loi électorale garantissant la représentation de tous les courants d’opinion dès lors qu’ils regroupent un nombre significatif de suffrages, en général fixé à 5 %. Il a considéré comme anormal que des millions de voix exprimées dans les scrutins en France, par exemple les voix de gauche à Neuilly ou les voix de droite dans de nombreuses communes de Seine-Saint-Denis, soient perdues et ne soient jamais représentées. Il a estimé, comme le préconisait Léon Blum, que les modes de scrutin devaient garantir le pluralisme et que leur détermination devait relever du niveau constitutionnel.
Le rapporteur a émis un avis défavorable sur les deux amendements, indiquant que la tradition française voulait que les modes de scrutin ne soient pas régis par une norme de niveau constitutionnel, afin de conserver une certaine souplesse dans leur détermination.
M. Arnaud Montebourg a rappelé que le problème soulevé par les deux amendements était celui de la représentation de millions de nos concitoyens, qui n’ont de porte-parole ni au Sénat ni à l’Assemblée. Il a considéré qu’il était inexact de dire que la Constitution ne se mêlait pas des modes de scrutin, celle-ci fixant déjà des règles générales, en prévoyant notamment que le scrutin peut être direct ou indirect et que la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux. Après avoir estimé que la Constitution peut prévoir le droit pour chaque citoyen à être représenté, il a jugé nécessaire que la volonté du Gouvernement de permettre la représentation des Français établis hors de France soit étendue aux Français vivant sur le territoire national.
Après avoir indiqué que cette question ferait l’objet d’une attention particulière des députés de son groupe lors de l’examen du projet de loi en séance, M. Bruno Le Roux s’est interrogé sur la question de savoir si la souplesse dans la fixation des modes de scrutin consistait à apprendre par la presse qu’une réforme du scrutin régional était envisagée, à apprendre par un préfet qu’un projet de redécoupage de circonscriptions était étudié, ou encore à découvrir qu’un projet de scrutin à un tour était envisagé pour éliminer les plus petites formations politiques. Il a estimé que l’adoption de la révision constitutionnelle supposait que l’Assemblée dispose de précisions sur les modes de scrutin.
M. Noël Mamère a indiqué que les amendements présentés allaient dans le sens du projet de loi, qui prévoit de renforcer la représentativité du Parlement. Après avoir rappelé qu’il était aujourd’hui impossible de dire que le Parlement était représentatif de la diversité sociale de la France, il a regretté que la démocratie soit entrée dans une spirale du bipartisme qui empêche la représentation de certaines idées. Il a souhaité que la réforme de la Constitution soit l’occasion de rénover les institutions dans le sens d’une représentation de tous les habitants du pays, y compris des étrangers, qui sont comptabilisés dans les populations des communes dans lesquelles ils vivent sans y disposer du droit de vote pour les élections locales.
M. Jean-Christophe Lagarde a considéré qu’il était paradoxal de refuser à l’échelon de l’Assemblée nationale et du département une représentation proportionnelle qui avait pourtant été acceptée sans difficulté pour le Parlement européen. Après avoir estimé que la Constitution pouvait fixer des règles concernant les modes de scrutin, il a indiqué que le projet de loi créerait une inéquité entre les Français de l’étranger, dont les représentants seront élus à la proportionnelle, et les Français vivant en métropole, dont plusieurs millions continueront de ne pas avoir de représentant.
M. Christian Vanneste a rappelé qu’il était nécessaire de réfléchir aux conséquences des choix qui seront faits en matière de modes de scrutin : les députés représentent-ils des opinions ou des citoyens ? Participent-ils à des débats d’opinion ou ont-ils pour mission de voter la loi ? Après avoir indiqué qu’il estimait, comme Max Weber, que la politique ne relevait pas seulement d’une éthique de conviction mais exigeait également une éthique de responsabilité, il a rappelé que le scrutin proportionnel avait permis en Allemagne l’accession au pouvoir des nazis et en France la représentation d’un parti extrémiste à l’Assemblée nationale et au Parlement européen.
Après avoir indiqué que le débat sur le renforcement du rôle du Parlement supposait au préalable un débat sur le renforcement de sa représentativité, M. Michel Hunault a déclaré qu’il s’inquiétait de la tournure prise par le débat et qu’il s’étonnait de la contradiction entre l’esprit d’ouverture du Gouvernement qui, tant sur le sujet des langues régionales que sur la question des modes de scrutin, a fait savoir qu’il était prêt à accepter des propositions des parlementaires, et l’esprit de fermeture manifesté par le rapporteur depuis le début de l’examen des amendements. Il a rappelé que si certains candidats aux élections législatives s’étaient ralliés à la majorité présidentielle, ils l’avaient fait sur les bases d’un programme qui prévoyait une réflexion sur les modes de scrutin.
M. Nicolas Dupont-Aignan a rappelé que les amendements présentés n’avaient pas pour objet de mettre en place une représentation proportionnelle intégrale, mais de rendre possible l’introduction d’une dose de proportionnelle, qui permettrait de rééquilibrer les effets du quinquennat et du bipartisme. Tout en se déclarant très attaché à la stabilité de l’exécutif, il a regretté la dérive récente qui tend à laisser à l’écart des courants d’opinion dont on ne peut occulter l’existence. En conséquence, il a apporté son soutien à l’amendement de M. Jean-Christophe Lagarde, qui permet de concilier la diversité et la stabilité.
M. Noël Mamère a estimé que M. Christian Vanneste commettait un contresens en présentant le scrutin proportionnel comme la cause de la montée des extrémismes, et a rappelé que l’existence du scrutin proportionnel n’avait pas empêché la disparition récente d’un parti d’extrême droite allemand et qu’a contrario en France l’absence de scrutin proportionnel avait malgré tout permis la présence de M. Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002.
M. Jean-Jacques Urvoas a considéré qu’il était nécessaire que le débat soit recentré sur l’essentiel, à savoir ce que pense le Président de la République, et a rappelé que dans la lettre d’orientation que ce dernier avait adressée au Premier ministre, il écrivait qu’un renforcement du Parlement supposait un renforcement de sa représentativité.
Le rapporteur a estimé qu’il n’y avait pas de contradiction entre la volonté du Gouvernement de renforcer la représentativité du Parlement et le fait de ne pas vouloir inscrire la question des modes de scrutin dans la Constitution. En outre, il a indiqué que la mention de la représentation des opinions et des territoires dans le texte constitutionnel pourrait avoir des conséquences inconnues à ce jour. Il a appelé les parlementaires à entrer dans le cœur de la révision constitutionnelle, indiquant que, s’il ne lui paraît pas possible d’accepter les amendements portant article additionnel avant l’article 1er et exprimant des convictions diverses, des avancées pourront être accomplies lorsque sera abordé le texte du projet de loi lui-même.
Les deux amendements, mis aux voix, ont été rejetés.
M. Noël Mamère a présenté un amendement tendant à généraliser le mode de scrutin proportionnel pour assurer l’égalité du suffrage universel. Il a rappelé que le renforcement du recours au mode de scrutin proportionnel avait été souhaité tant par le comité de réflexion présidé par M. Édouard Balladur que lors de multiples débats parlementaires. Il a estimé que ce mode de scrutin constituait le meilleur outil pour améliorer la représentativité politique des deux assemblées et permettrait, par ce biais, de renforcer l’influence du Parlement.
M. Arnaud Montebourg a indiqué que, si les députés du groupe Socialiste, Radical, Citoyen et divers gauche (SRC) jugeaient effectivement nécessaire de renforcer le pluralisme politique au sein du Parlement, ils n’étaient pas, en revanche, favorables à la généralisation du mode de scrutin proportionnel proposée dans cet amendement. En effet, l’introduction d’une simple dose de proportionnelle dans les modes de scrutin permettrait d’accroître la représentativité démocratique du Parlement, tout en préservant la stabilité des institutions de la Ve République.
Le rapporteur ayant indiqué qu’il était défavorable à la généralisation du mode de scrutin proportionnel pour les raisons déjà exposées, la Commission a rejeté cet amendement.
Elle a également rejeté deux amendements de M. Patrick Braouezec tendant respectivement à étendre le mode de scrutin proportionnel à l’ensemble des élections et à donner la qualité d’électeur à toute personne résidant sur le territoire national.
La Commission a ensuite été saisie d’un amendement présenté par M. Noël Mamère, visant à étendre la qualité d’électeur aux personnes résidant légalement et continuellement sur le territoire français depuis au moins cinq ans.
Son auteur a fait valoir que l’octroi du droit de vote aux étrangers avait été promis par François Mitterrand en 1981, mais n’avait jamais été mis en œuvre par la suite, si ce n’est, du fait des engagements européens de la France en 1992, pour la participation des ressortissants communautaires aux élections municipales et européennes. Il est d’ailleurs regrettable que des considérations liées à l’exercice de la souveraineté nationale conduisent à interdire aux ressortissants communautaires d’accéder à des fonctions d’adjoint au maire, qui leur permettraient de participer à l’élection des sénateurs.
Il a jugé paradoxal de ne pas accorder la citoyenneté à des personnes qui, indépendamment de leur nationalité étrangère, sont venues travailler sur le territoire français, payer des impôts, participer à la vie économique et à l’identité collective du pays.
Il a rappelé que, pour mettre fin à cette situation absurde, il avait défendu en 2000 une proposition de loi, adoptée à l’unanimité des députés de gauche, mais qui n’avait jamais été inscrite à l’ordre du jour du Sénat.
M. Arnaud Montebourg s’est déclaré favorable à cet amendement, tout en indiquant que les députés du groupe SRC avaient déposé un amendement de même nature modifiant l’article 72 de la Constitution.
M. Guénhaël Huet a considéré que le droit de vote était l’un des attributs essentiels de la nationalité et a donc jugé incohérent de prévoir que ce droit puisse être exercé par des personnes qui n’ont pas la nationalité française.
M. Christian Vanneste a jugé choquant de faire dépendre la citoyenneté de l’appartenance à un système économique, alors qu’elle doit résulter de l’adhésion volontaire à un contrat social.
M. Jean-Christophe Lagarde a rejoint cette analyse, en remarquant que l’inscription sur les listes électorales n’était pas obligatoire. Il a par ailleurs jugé absurde la position adoptée par la France à l’égard des ressortissants communautaires, qui revient à « saucissonner » un citoyen selon que le scrutin concerné a un caractère national ou local. Il paraît, en particulier, incohérent d’autoriser ces ressortissants à élire les représentants français au Parlement européen, tout en leur interdisant de voter pour l’élection du Président de la République, pourtant appelé à présider le Conseil européen.
M. Philippe Gosselin a rappelé que la tradition juridique française lie la citoyenneté et la nationalité.
M. René Dosière a estimé qu’il est injuste de vouloir renforcer la représentation parlementaire des Français ayant choisi de quitter leur pays et n’y payant plus d’impôts et, à l’inverse, de refuser le droit de vote aux étrangers venus travailler en France en acquittant diverses contributions.
M. Bernard Roman a souhaité que, sur un tel sujet, le vote des parlementaires soit entièrement libre et non déterminé par des consignes partisanes, d’autant plus que le Président de la République a, avec courage, indiqué qu’il était personnellement favorable à l’octroi aux étrangers du droit de vote pour les élections locales. Il a par ailleurs rappelé qu’au-delà de la citoyenneté proprement dite, les étrangers disposent déjà du droit de vote dans les conseils de prud’homme, les conseils d’école, ou encore les comités d’entreprises.
M. Noël Mamère a rappelé que, dans l’entourage du Président de la République lui-même, des considérations fiscales avaient amené certains Français à s’expatrier, par exemple en Suisse. Ces personnes, bien que françaises, ont-elles une plus grande légitimité à exercer le droit de vote que les étrangers ayant choisi de vivre en France et d’y payer leurs impôts ? La discrimination établie, pour l’accès à la citoyenneté, entre Français et étrangers reposerait-elle en réalité sur des préjugés religieux ou ethniques ? Compte tenu de la position personnelle du Président de la République, on ne peut que regretter les réticences des députés du groupe UMP, qui espèrent sans doute flatter un électorat conservateur en liant citoyenneté et nationalité, alors même qu’une majorité de Français fait désormais preuve d’ouverture sur ce sujet.
M. Christophe Caresche a fait valoir que le fait d’accorder aux étrangers le droit de voter lors des élections locales n’aurait aucune influence sur les conditions d’exercice de la souveraineté nationale et ne remettrait nullement en cause le lien entre citoyenneté et nationalité. Cette participation à la démocratie locale pourrait constituer un facteur d’intégration fondamental pour la population étrangère de certains quartiers, pour laquelle l’accès à la nationalité française par naturalisation demeure très difficile. Une telle question ne doit donc pas être abordée selon une logique partisane.
M. Yves Nicolin a rappelé que les députés ne votaient pas en fonction d’instructions partisanes mais d’opinions individuelles qui, lorsqu’elles sont différentes, doivent être respectées par leurs collègues. Il a donc jugé inacceptable que les propos excessifs de M. Noël Mamère l’aient conduit à mettre en cause l’attitude personnelle des députés du groupe UMP.
M. Christian Vanneste a estimé que la célèbre formule de Talleyrand selon laquelle « tout ce qui est excessif est insignifiant » s’appliquait parfaitement à l’intervention outrancière de M. Noël Mamère.
La Commission a alors rejeté cet amendement.
Elle a également rejeté un amendement de M. Noël Mamère tendant à accorder aux étrangers le droit de voter aux élections locales dans des conditions déterminées par une loi organique, ainsi qu’un amendement de M. Patrick Braouezec renvoyant à la loi le soin de limiter ou d’interdire le cumul des mandats électifs.
Puis, M. Noël Mamère a présenté un amendement précisant que la loi « assure » l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Son auteur a souligné que, pour assurer réellement la représentativité du Parlement, il était insuffisant de prévoir dans la Constitution que la loi « favorise » cet égal accès.
M. Arnaud Montebourg a estimé que des progrès avaient été effectués sur cette question depuis une dizaine d’années, même si des efforts nouveaux doivent encore être engagés. En tout état de cause, les actions qu’il convient de mener dans ce domaine relèvent de la loi et non de la Constitution.
La Commission a alors rejeté cet amendement, ainsi qu’un amendement identique de M. Patrick Braouezec.
Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde, imposant au fonctionnaire détaché, lorsqu’il est réélu parlementaire, de démissionner de la fonction publique dans un délai de trente jours ou de renoncer à ce mandat électif. Son auteur a indiqué que l’amendement visait à ouvrir plus également l’accès aux fonctions parlementaires pour l’ensemble des citoyens, quelle que soit leur activité professionnelle, alors que les fonctionnaires demeurent surreprésentés au sein du Parlement – environ 40 % des députés bénéficiant d’un statut de fonctionnaire. Il a également estimé que l’amendement permettrait d’éviter qu’un parlementaire ne soit soumis à des pressions dans l’hypothèse de sa future réintégration dans la fonction publique, et qu’il convenait de régler ce problème sans attendre la mise en place, toujours différée, d’un « statut de l’élu ».
M. Arnaud Montebourg a considéré que la question de la composition sociologique des assemblées parlementaires pourrait être abordée lors de la mise en place de ce statut de l’élu, lequel relève de la loi et non de la Constitution. Il a ajouté que les fonctionnaires n’étaient pas la seule catégorie socioprofessionnelle bénéficiant actuellement d’une surreprésentation au sein du Parlement, celui-ci comptant également de nombreux élus exerçant une profession libérale ou dirigeant une entreprise.
M. Jean Tiberi a estimé que cette question ne relevait pas de la Constitution mais de la loi organique.
Le rapporteur s’y étant déclaré défavorable, la Commission a rejeté cet amendement.
Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde limitant à trois le nombre de mandats pouvant être accomplis consécutivement. Son auteur a jugé qu’une durée de quinze et dix-huit années consécutives pour l’exercice des fonctions de député et de sénateur semblait suffisante, l’instauration de la limite proposée pouvant s’accompagner d’une adaptation du système de retraite des députés.
M. Bruno Le Roux a noté qu’il serait inévitable de mener une réflexion en ce sens, dès lors que le nombre de mandats aura été limité pour la Présidence de la République. Ces débats ne peuvent être dissociés et, dans les deux cas, la rédaction proposée, en ne soumettant à limitation que les mandats « consécutifs », offre des garanties insuffisantes.
La Commission a alors rejeté cet amendement, ainsi qu’un amendement du même auteur interdisant de cumuler plus de deux fonctions publiques électives, exception faite des « responsabilités intercommunales ».
Article 1er
(art. 4 de la Constitution)
Statut de l’opposition
Le présent article, qui recèle de grandes potentialités, complète l’article 4 de la Constitution pour offrir un ancrage constitutionnel aux notions de majorité, définie comme l’ensemble des partis et groupements politiques qui ont déclaré soutenir le Gouvernement, et a contrario de minorité, de telle sorte que des droits spécifiques puissent être attribués par la loi à cette dernière.
Les conceptions de la démocratie issues de la tradition du Contrat social de Rousseau n’offrent pas de réel espace à la minorité et a fortiori à l’opposition. En effet, dans une démocratie conçue comme identité des gouvernants et des gouvernés, il n’y a guère de place par la reconnaissance d’un droit d’opposition, celui-ci se limitant au droit de se préparer à l’alternance. Dans ce contexte, la minorité ne conteste que l’opportunité de la loi, non sa légitimité, et se montre ainsi prête à s’incliner devant la volonté de la majorité, à admettre celle-ci comme la volonté générale, jusqu’à ce que, grâce à l’alternance, elle soit en mesure elle-même d’en donner une autre interprétation.
À l’origine de la reconnaissance du droit de la minorité, assimilable en régime parlementaire à l’opposition, se trouve le constat dressé par Madison, dans sa lettre n° 10 du Federalist, après une décennie de fonctionnement du régime républicain dans les jeunes États du Nouveau Monde : « les questions sont trop souvent décidées, non pas d’après les règles de la justice et les droits de la minorité, mais par la force supérieure d’une majorité intéressée et dominatrice » (202). La démocratie s’identifie avec le gouvernement du peuple par la majorité, ainsi que le relevait Tocqueville : « Je regarde comme impie et détestable cette maxime qu’en matière de gouvernement la majorité d’un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l’origine de tous les pouvoirs » (203).
Mais la démocratie, dans une conception moderne, s’identifie également avec le respect de la minorité, constituée en opposition, par la majorité. C’est l’équilibre des deux qui définit la démocratie même comme « le gouvernement du peuple exercé par la majorité librement exprimée de celui-ci, dans le respect pour la minorité de manifester son opposition, garanti par l’État de droit » (204). Kelsen a abordé cette question de manière pragmatique. Le pouvoir de la majorité, qui est l’expression fonctionnelle du principe démocratique, suppose, par définition même, une opposition qui doit être reconnue politiquement et juridiquement protégée. L’opposition est un caractère essentiel, un critère du régime démocratique, corollaire nécessaire de la libre concurrence politique et de la relativité des opinions dans les matières régies par l’ordre politique.
Lorsque le principe majoritaire gouverne les institutions, comme c’est le cas dans la très grande majorité des régimes européens (205), et lorsque le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif procèdent de la même majorité, la conception classique de la séparation des pouvoirs, telle qu’exprimée, à l’origine, dans l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, tend à devenir plus souple, voire à s’estomper (206). Prévaut alors une conception moderne de la séparation des pouvoirs, celle-ci se matérialisant dans les rapports entre la majorité et l’opposition. Garantir à l’une les moyens de décider et à l’autre les moyens de s’exprimer, leur donner à chacune le soutien nécessaire à l’exercice de leurs responsabilités respectives, constituent donc un impératif démocratique.
La place de chacun étant mieux définie, mieux garantie, dans les fonctions législatives, la majorité se gardera de recourir à l’urgence et aux voies les plus abruptes du parlementarisme rationalisé – aucun Gouvernement n’a échappé à cette tentation sous la Ve République –, tandis que la minorité n’aura garde, pour se faire entendre, de verser dans les délices de l’obstruction – aucune opposition n’a omis de le faire depuis 1958. Que le Parlement soit brusqué ou que les débats s’y enlisent, dans tous les cas, sa crédibilité et son efficacité s’en trouvent affectées.
Dans les fonctions de contrôle, la majorité s’attachera plus encore à s’assurer que le Gouvernement qu’elle soutient respecte ses engagements, tandis que la minorité aura les moyens d’évaluer les politiques engagées et de les critiquer de manière plus assurée. Là encore que le Parlement soit le lieu d’un perpétuel soutien muet ou d’une critique automatique et aveugle ne peut que nuire à sa position institutionnelle.
Dans un régime démocratique, l’opposition, par la contradiction qu’elle apporte, renforce la qualité des délibérations : « les moyens par lesquels une majorité parvient à être la majorité, voilà la chose la plus importante, autrement dit les débats antérieurs, la modification des conceptions en fonction des opinions défendues par les minorités » (207). Pour reprendre les termes de Georges Burdeau : « La majorité ne fait pas la valeur d’une décision, elle la prouve. C’est parce qu’elle clôt un débat que la majorité est respectable ; c’est la discussion qui la valorise. L’artifice qui lui permet de prévaloir n’est tolérable que dans la mesure où la minorité peut s’incliner sans déchoir, se soumettre sans ratifier pour autant son asservissement. » (208)
Par le contrôle qu’elle exerce sur le Gouvernement, l’opposition incite ainsi la majorité parlementaire à jouer pleinement son rôle. Elle forme avec la majorité un « couple » dont procède l’énergie politique qui meut les mécanismes institutionnels. Plus encore, la situation qui est faite à l’opposition donne la mesure du caractère libéral d’un régime démocratique et in fine de sa force, de son degré de légitimité ainsi objectivement mesurable. Dès lors qu’il se trouve en face d’une opposition responsable, le pouvoir en place est conduit à aller au-delà d’une attitude de simple tolérance. L’opposition peut être entendue et, dans une mesure variable, associée à l’exercice de certaines fonctions. Les objectifs légitimes de l’opposition sont la limitation du pouvoir, mais aussi la collaboration à l’exercice du pouvoir, ce qui lui permet, le cas échéant, d’obtenir l’infléchissement de la politique gouvernementale, à travers le rôle des commissions parlementaires. Le fonctionnement d’un régime démocratique est conditionné par l’état de l’opposition.
Les enceintes internationales se font régulièrement l’écho de cette nécessité. Ces principes ont ainsi été pris en compte par le Conseil de l’Europe, devant l’Assemblée parlementaire, au cours de la première partie de sa session ordinaire de 2008, dans un récent projet de résolution sur les lignes directrices procédurales sur les droits et devoirs de l’opposition dans un Parlement démocratique. Selon ces dernières, trois principes fondamentaux doivent gouverner le statut de l’opposition : le contrôle de l’action du Gouvernement, la participation sur un pied d’égalité aux travaux législatifs et la possibilité de vérifier la constitutionnalité des textes adoptés. Selon le rapporteur du projet de résolution, la mise en œuvre de ces principes participerait de l’amélioration de l’efficacité du Parlement (209). Elles ne peuvent, en effet, que concourir à la mise en place d’une opposition responsable et effective (210). L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dans sa Résolution 1154 (1998) sur le fonctionnement démocratique des parlements nationaux, appelait déjà ces derniers à « créer un statut de l’opposition qui permette à cette dernière de jouer son rôle de manière responsable et constructive (…) » (211).
Selon les termes de Ronald Dworkin, les droits « sont la promesse de la majorité aux minorités que leur dignité et leur égalité seront respectées » et la décision majoritaire tire une grande partie de sa force et de son autorité du respect qu’elle inspire à l’opinion minoritaire.
• Le modèle britannique et sa diffusion
Le modèle de référence en la matière est bien sûr le « modèle de Westminster », qui constitue la consécration la plus institutionnalisée et la plus formalisée – et l’une des plus anciennes –, de l’opposition sous sa forme parlementaire (212). L’opposition y fait partie du système constitutionnel même. Son organisation est favorisée par le bipartisme qui met face au parti gouvernemental un autre parti à vocation majoritaire et très structuré.
L’opposition a son leader et une structure permanente d’action constituée par le Shadow Cabinet qui assume une tâche de contrôle spécialisé de l’activité gouvernementale et représente en même temps l’ébauche d’un Gouvernement prêt à la relève. Cette institution, « décalque de la formation gouvernementale » (213), forme en effet un Gouvernement de réserve, prétendant conduire la politique du pays. Pour ce faire, chaque titulaire d’un « portefeuille fantôme » pourrait être appelé à prendre la tête du ministère correspondant en cas d’alternance. Cette structure bénéficie d’un financement spécifique, tandis que ses membres siègent dans les premiers rangs à la Chambre des Communes.
Certaines règles ont été fixées par écrit. Le Leader de l’Opposition est rémunéré comme un organe de l’État (214). La loi sur les ministres de la Couronne de 1975 précise que qu’il est « le leader du parti de la Chambre des Communes qui s’oppose au Gouvernement de Sa Majesté et qui a le plus grand nombre de membres dans la Chambre ». C’est in fine le Speaker de la Chambre des Communes qui décide qui est le Leader de l’Opposition. La loi sur les services de renseignement de 1994 dispose que le Premier ministre doit consulter ce dernier avant de nommer les membres de la commission du Renseignement et de la sécurité. Le Règlement de la Chambre des Communes réserve vingt jours de l’ordre du jour à la libre disposition des partis de l’opposition (215), dont dix-sept pour le Leader de l’Opposition et trois pour le parti minoritaire de l’opposition ; cet ordre du jour est prioritaire ; le Gouvernement décide du jour (216).
Mais la plupart des droits dont dispose l’opposition parlementaire britannique repose surtout sur des coutumes. Il en est ainsi de la participation du Leader de l’Opposition à toutes les questions d’ordre du jour. Une source coutumière de financement est réservée aux partis de l’opposition depuis une décision du Speaker de 1975. Par convention, un accord informel entre les partis permet d’attribuer la présidence de certaines des commissions de contrôle ministériel (Departmental Select Committees) à un membre de l’opposition. Par convention également, la commission de l’Évaluation des finances publiques (Public Accounts Committee) et la Commission commune des actes réglementaires, chargée d’examiner les mesures d’application des lois (Joint Committee on Statutory Instruments) sont présidées par un membre de l’opposition. Les présidents des commissions législatives peuvent être choisis par le Speaker parmi les membres de l’opposition au sein du Chairman’s Panel, constitué de vingt backbenchers expérimentés. Lors de la séance des questions au Premier ministre (217), trois ou quatre questions peuvent être posées par le Leader de l’Opposition, deux par le leader du parti d’opposition minoritaire.
Le Speaker assume un rôle général de défense des droits de l’opposition. Il est traditionnellement réélu à son poste, même si la majorité parlementaire a changé, mais cette tradition illustre sans doute plus le caractère parfaitement neutre de la fonction de présidence de la Chambre des Communes que la volonté déterminée de confier un poste d’influence politique à l’opposition en tant que telle.
L’expression d’« Opposition officielle » ou d’« Opposition de Sa Majesté », utilisée pour la première fois en 1826 à la Chambre des Communes du Royaume-Uni, a, depuis lors, été diffusée dans de nombreux pays du Commonwealth, que ce soit, par exemple, l’Australie, le Canada, l’Inde ou encore la Nouvelle-Zélande. Cette opposition y est incarnée par le principal parti non majoritaire au Parlement, ce qui, par exemple, exclut du statut de l’opposition le Parti libéral-démocrate, troisième composante de la Chambre des Communes en Grande-Bretagne, qui ne peut actuellement prétendre au statut de l’opposition (218).
Minoritaire par définition, l’opposition se voit reconnaître chez nombre de nos voisins des prérogatives auxquelles elle ne pourrait arithmétiquement prétendre et qui sont cependant indispensables au regard des exigences démocratiques.
Mais, aujourd’hui, seuls quelques États mentionnent expressément le statut de l’opposition dans leur Constitution. Par exemple, l’article 114 de la Constitution du Portugal dispose que « les partis politiques participent aux organes fondés sur le suffrage universel et direct en fonction de leur représentativité électorale », que « le droit d’opposition démocratique est reconnu aux minorités, conformément à la Constitution et à la loi » et que « les partis politiques représentés à l’Assemblée de la République et qui ne font pas partie du Gouvernement jouissent notamment du droit d’être informés régulièrement et directement par le Gouvernement de l’évolution des principaux sujets d’intérêt public ». Cette disposition constitutionnelle a été complétée par une loi sur le statut de l’opposition promulguée en 1998 (219). La Constitution de la Croatie, dans son article 91, dispose expressément que le président des commissions d’enquête parlementaire doit être choisi parmi les membres de l’opposition.
Le modèle binaire britannique majorité-opposition ne peut être totalement et intégralement transposé en France, même si une nette tendance à la bipolarisation peut y être constatée sur moyenne période. Moins monolithique, caractérisée par l’existence de tiers partis, la relative plus grande complexité du paysage politique français ne doit cependant pas interdire, compte tenu des enjeux démocratiques que représente, comme on l’a vu supra, la reconnaissance de droits spécifiques à l’opposition, d’imaginer un dispositif juridique autorisant des avancées en la matière tout en autorisant le maintien d’une pluralité de partis ou groupements.
• La question de la reconnaissance de l’opposition dans le système institutionnel français
En 1981, M. Jean-Luc Parodi présentait ainsi la situation française : « La majorité, telle est bien la seconde découverte du Parlement de la Ve République, majorité cohérente, disciplinée, délimitée à l’occasion d’une consultation électorale et stable jusqu’à l’élection suivante », mais « l’existence même d’une majorité appelle celle d’une opposition et pose le problème de son éventuel statut. On a assisté ainsi au cours des deux dernières décennies à une évolution, au demeurant très lente, vers une reconnaissance de droit ou de fait de l’opposition, marquée par l’épisode du " contre-gouvernement " de la FGDS ou le regroupement sous un sigle unique, pour la campagne législative radiotélévisée, des " formations n’appartenant pas à la majorité ". » (220)
Il faudrait y ajouter la révision constitutionnelle de 1974, qui, en permettant à soixante députés ou sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel, a bénéficié, au premier chef, à la minorité, à l’opposition, même si le Conseil constitutionnel n’est pas devenu « une chambre d’appel au secours de l’opposition du moment » (221).
Dans son message au Parlement du 30 mai 1974, le nouveau Président de la République avait cependant présenté cette réforme comme un élément du « statut de l’opposition » qu’il voulait mettre en place pour « décrisper » la vie politique. Lorsqu’on analyse les réactions de l’époque – M. Maurice Duverger estimera, à tort, que la réforme n’apporte qu’un « gramme de démocratie » –, il faut bien constater que l’opposition, guère enthousiaste, ne votera pas la réforme, craignant une forme de piège politique. Quant à la majorité d’alors, dans ses rangs, certains, assez nombreux, considérèrent qu’elle ne constituait qu’un « cadeau » peu judicieux fait à l’opposition (222). Georges Vedel estimera que la saisine du Conseil est passée « des mains des quatre Grands (Président de la République, Premier ministre, Présidents des assemblées) aux mains de l’opposition quelle qu’en soit la couleur » (223).
La même logique se vérifie en Allemagne, où le Tribunal constitutionnel fédéral de Karlsruhe apparaît aux yeux de la doctrine comme un instrument de lutte de l’opposition (224).
Mais, au-delà, en France, aujourd’hui, nulle part dans notre droit, il n’est fait allusion à la notion d’opposition, à l’exception d’une mention dans le code électoral qui a, de surcroît, le mérite de concerner expressément les groupes parlementaires de l’Assemblée nationale. Ainsi, dans le cadre de la campagne pour les élections législatives, le II de l’article L. 167-1 dudit code (225) dispose :
« Pour le premier tour de scrutin, une durée d’émission de trois heures est mise à la disposition des partis et groupements représentés par des groupes parlementaires de l’Assemblée nationale. Cette durée est divisée en deux séries égales, l’une étant affectée aux groupes qui appartiennent à la majorité, l’autre à ceux qui ne lui appartiennent pas.
« Le temps attribué à chaque groupement ou parti dans le cadre de chacune de ces séries d’émissions est déterminé par accord entre les présidents des groupes intéressés. À défaut d’accord amiable, la répartition est fixée par les membres composant le bureau de l’Assemblée nationale sortante, en tenant compte notamment de l’importance respective de ces groupes ; pour cette délibération, le bureau est complété par les présidents de groupe. Les émissions précédant le deuxième tour de scrutin ont une durée d’une heure trente : elles sont réparties entre les mêmes partis et groupements et selon les mêmes proportions. »
En outre, dans le cadre du respect général du pluralisme à la télévision et à la radio, le CSA utilise les concepts d’opposition et de majorité. Pour fonder sa décision, le CSA utilise un faisceau d’indices : vote négatif d’une formation politique lors de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le fondement de l’un des trois premiers alinéas de l’article 49 de la Constitution, rejet de la loi de finances de l’année, absence de ministre appartenant à cette formation au Gouvernement. Selon le CSA, seul le premier indice constitue un « acte de rupture manifeste et irrévocable » à l’encontre du Gouvernement et place la formation politique considérée dans l’opposition.
Ce « vide juridique » n’a pas empêché certaines initiatives de se développer. Ainsi en est-il des « questions au Gouvernement » proposées en 1974 par M. Valéry Giscard d’Estaing. Non seulement, cette procédure est intervenue en dérogation à l’article 48 de la Constitution qui ne prévoyait à l’époque qu’une seule séance de questions, mais elle instituait aussi une parité entre la majorité et la minorité, laquelle pouvait alors s’identifier à l’opposition.
Mais ce qui peut être considéré comme une souplesse – s’en référer à des conventions susceptibles d’être adaptées à chaque circonstance nouvelle – peut également être considéré comme trop fragile pour assurer une authentique « séparation moderne des pouvoirs » entre la majorité qui gouverne et l’opposition qui la contrôle.
Enfin, on ne saurait négliger un fait : le caractère traditionnellement conflictuel des relations en France entre majorité et opposition – il suffit de se référer au système allemand ou aux systèmes nordiques pour, par contraste, s’en convaincre. Cette donnée rend d’autant plus pertinent pour notre pays de doter l’opposition d’un véritable statut.
Pour faire écho à Norbert Elias, il est possible de considérer que la Constitution doit pouvoir participer du processus de civilisation des mœurs politiques. Attribuer des droits à l’opposition, définie comme l’ensemble des partis et groupements qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement, nécessite, dès lors que cela conduit à une forme de « discrimination positive » à son profit, de modifier la Constitution. Cette réforme majeure, en s’appuyant sur l’article 4 de la Constitution qui reconnaît les partis et groupements politiques, devra avoir pour corollaire un approfondissement de la réflexion sur le statut de ces derniers.
Comme l’a souligné, M. Jean-Louis Debré, alors Président de l’Assemblée nationale lors de la présentation, en janvier 2006, de ses propositions de résolution de réforme du Règlement de l’Assemblée nationale, une réforme permettrait de franchir un palier significatif dans l’amélioration à la fois de la fonction délibérative et de la fonction de contrôle de l’Assemblée nationale : l’attribution de droits garantis pour l’opposition.
Mais, en censurant la réforme du Règlement de l’Assemblée nationale qui reconnaissait les notions de majorité et d’opposition et faisait bénéficier cette dernière de droits particuliers sur la base d’un système de déclaration contrôlé par le Bureau, la décision n° 2006-537 DC du 22 juin 2006 du Conseil constitutionnel a pu laisser penser qu’il n’était pas possible de créer un statut juridique de l’opposition digne de ce nom, hors des seules conventions librement établies par les acteurs politiques et simples expérimentations, toutes soumises aux aléas des alternances.
Le Conseil constitutionnel a, effet, estimé qu’« en requérant des groupes une déclaration d’appartenance à la majorité ou à l’opposition et en conférant, en cas de contestation, un pouvoir de décision au bureau de l’Assemblée nationale, les modalités retenues par la résolution conduisent à méconnaître le premier alinéa de l’article 4 de la Constitution et (…) ont pour effet d’instaurer entre les groupes une différence de traitement injustifiée » (226).
Le premier alinéa de l’article 4 de la Constitution avait déjà été invoqué par le Conseil constitutionnel lors de sa première décision sur le Règlement de l’Assemblée nationale, en 1959, pour rejeter la disposition qui laissait à l’Assemblée le soin d’apprécier la conformité de la déclaration politique d’un groupe, requise par le Règlement, aux prescriptions de la dernière phrase de l’article 4, qui imposent que les partis et groupements « doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie » (227). La disposition censurée, méconnaissant, selon le Conseil, le principe de liberté de formation des partis politiques, aurait pu conduire à empêcher certains députés de se constituer en groupe. Par là même, le Conseil procédait à l’assimilation des groupes parlementaires aux partis politiques et admettait dans le même temps, en ne les censurant pas, les dispositions qui attribuent aux groupes parlementaires des droits spécifiques et qui conduisent à reconnaître à leurs membres des droits différents de ceux qui sont non inscrits (228).
Ainsi que l’a relevé M. Pierre Avril, « partant de la constatation assez évidente que le fonctionnement de l’Assemblée actuelle ne repose pas seulement sur l’organisation traditionnelle des groupes, mais dépend avant tout d’une majorité organique et disciplinée, les dispositions censurées le 22 juin relèvent de la même logique que celle qui fonde les prérogatives reconnues aux groupes, mais en transposant cette logique du terrain des droits individuels des députés sur le plan des droits respectifs des groupes » (229).
Il était également possible de lire, dans le considérant précité tout en sobriété du Conseil constitutionnel, non pas la censure a priori de la possibilité d’accorder des droits particuliers à l’opposition parlementaire, mais seulement celle des modalités retenues pour le faire.
En tout état de cause, il est fréquent que le droit parlementaire progresse grâce à des conventions, plus ou moins formalisées, entre les acteurs. La récente attribution d’une présidence de commission de l’Assemblée nationale à l’opposition est là pour en témoigner. La consolidation des pratiques favorables à l’opposition (230), que la réforme du Règlement de l’Assemblée en juin 2006 souhaitait conduire, appelle en opportunité, sinon en droit, un ancrage constitutionnel, qui pourrait profiter à l’ensemble de la vie démocratique de notre pays en reconnaissant, dans toutes les assemblées politiques, l’existence d’une majorité et d’une opposition définies comme soutenant ou non le Gouvernement et auxquelles pourront être attribués des droits particuliers.
Il est une vérité que les circonstances historiques propres à la France ont parfois masquée ou reniée, mais qu’il convient de réaffirmer, comme nous y invite d’ailleurs l’article 4 de la Constitution, qui incarne, dans sa sécheresse, ce compromis entre vérité et circonstances : la démocratie moderne repose sur les partis politiques. Parmi les premiers dans l’entre-deux-guerres, Hans Kelsen en reconnaît l’évidence : « c’est en effet illusion ou hypocrisie que soutenir que la démocratie est possible sans partis politiques... La démocratie est nécessairement et inévitablement un État de partis (Parteienstaat) » (231). M. Pierre Avril reprendra ce thème : les partis « sont indispensables à la démocratie, mais, en même temps, les démocrates les plus exigeants ne laissent pas de s’en méfier » (232), synthétisant ainsi le long cheminement qui conduit l’attitude à l’égard des partis à passer successivement de l’hostilité à l’ignorance, puis à la reconnaissance et à l’incorporation.
En France, en rupture avec une pratique ancienne fortement teintée de méfiance à l’encontre des regroupements à objet politique, la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association avait créé un cadre juridique susceptible de convenir à certains d’entre eux, sans déclaration préalable ni autorisation. Toutefois, seules les associations déclarées et ayant déposé leurs statuts auprès de l’administration peuvent bénéficier de la capacité juridique qui les autorise à ester en justice, recevoir dons et cotisations, acquérir à titre onéreux, posséder et administrer. Les groupements qui ne se sont pas conformés à cette procédure mais ayant une activité politique de fait se sont néanmoins vus reconnaître des droits et obligations.
En 1946, un projet de statut complet – idée apparue pendant l’entre-deux-guerres (233) – avait été envisagé lors des débats préparatoires (234). Ainsi, au sein de la commission de la Constitution réunie sous la première Assemblée constituante au sortir de la guerre, André Philip déclara qu’« un parti politique ne doit plus être considéré comme une association quelconque. Nous sommes arrivés à un moment où le parti devient un organe du suffrage universel, un intermédiaire entre le législateur et le peuple » (235).
Mais les partis n’entrèrent dans la Constitution qu’en 1958. Un projet plus ambitieux avait été rédigé par Michel Debré. Ainsi, dans l’avant-projet de Constitution du 10 juillet 1958, le garde des Sceaux proposa l’article suivant : « Les groupes ou formations politiques qui présentent des candidats aux élections ou qui ont une activité politique peuvent se constituer librement. Ils doivent cependant se déclarer et déposer leurs statuts. Leur organisation doit s’inspirer des principes démocratiques. Ils doivent rendre compte annuellement de leurs ressources et de leurs dépenses au Conseil constitutionnel qui est habilité à vérifier la sincérité des déclarations produites. Les observations du Conseil constitutionnel sont publiées au Journal officiel. La constatation par le Conseil constitutionnel d’une violation des dispositions du présent article autorise le Gouvernement à demander devant la Haute Cour de justice la dissolution du groupement incriminé. » Ce projet fut abandonné par crainte de l’opposition des partis politiques à la nouvelle Constitution, tandis que le Conseil d’État craignit qu’un tel texte ne servît à interdire des partis.
Certains pays ne reconnaissent pas les partis en tant que tels dans leur Constitution, même si, comme en Belgique (article 27), est proclamée la liberté d’association.
Mais, de nombreux autres pays reconnaissent, comme la France, l’existence des partis dans leur Constitution, à l’instar de l’Espagne (article 6) (236), de l’Italie (article 49) (237) et du Portugal (article 10, alinéa 2) (238). Certains la reconnaissent à travers la liberté accordée aux citoyens de s’associer, comme en Suède (chapitre II, article 2) (239), ou par le biais des règles électorales comme en Suède (chapitre III, article 7) (240) ou en Norvège (article 59). En Autriche, l’article 1er de la loi sur les partis politiques a été qualifié de loi constitutionnelle (241).
D’autres pays encore, comme l’Allemagne, la Grèce ou le Portugal, font figurer dans leur Constitution non seulement une reconnaissance explicite des partis, mais également un énoncé de leurs droits et obligations.
L’article 21 de la Loi fondamentale de la République fédérale dispose : « 1. Les partis politiques concourent à la formation de la volonté politique du peuple. Leur fondation est libre. Leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques. Ils doivent rendre compte publiquement de la provenance et de l’emploi de leurs ressources ainsi que de leurs biens. 2. Les partis qui d’après leurs buts ou d’après le comportement de leurs adhérents, tentent de porter atteinte à l’ordre constitutionnel et démocratique, ou à le renverser, ou à mettre en péril l’existence de la République fédérale d’Allemagne, sont inconstitutionnels. La Cour constitutionnelle fédérale statue sur la question de l’inconstitutionnalité. 3. Les modalités seront réglées par des lois fédérales. »
L’article 29 de la Constitution de la Grèce dispose, d’une part, que « les citoyens hellènes ayant droit de vote peuvent librement créer des partis politiques ou y adhérer ; l’organisation et l’activité de ces partis doivent servir le fonctionnement libre du régime démocratique » et, d’autre part, que « les partis ont droit au soutien financier de l’État pour leurs dépenses électorales et de fonctionnement, ainsi qu’il est prévu par la loi. La loi précise les garanties de transparence en matière de dépenses électorales et définit, d’une manière générale, la gestion financière des partis, des députés, des candidats à la députation et des candidats aux sièges de la décentralisation locale de tout niveau. La loi impose un plafond pour les dépenses électorales, peut interdire certaines formes de promotion électorale et définit les conditions dans lesquelles la violation des dispositions relatives constitue un motif de déchéance de la dignité de député, sur l’initiative de l’organe spécial de la phrase suivante. Le contrôle des dépenses électorales des partis et des candidats à la députation est effectué par un organe spécial incluant la participation de magistrats de rang supérieur, ainsi qu’il est prévu par la loi. La loi peut étendre ces réglementations aux candidats à d’autres postes électifs. »
Dans son article 40, la Constitution du Portugal définit les droits d’accès à l’antenne, de réponse et de réplique politique et accorde une place particulière aux partis politiques. Ainsi, « les partis politiques (…) ont droit, en fonction de leur importance et de leur représentativité et selon des critères objectifs que la loi définira, à des temps d’antenne au sein du service public de la radio et de la télévision », tandis que « les partis politiques représentés à l’Assemblée de la République et qui ne participent pas au Gouvernement ont droit, conformément à la loi, à des temps d’antenne à la radio et à la télévision du service public proportionnels à leur représentativité, ainsi qu’un droit de réponse et de réplique politique aux déclarations politiques du Gouvernement, de durée et d’importance égales aux temps d’antenne et aux déclarations du Gouvernement. »
En France, la question du statut des partis et groupements politiques, qui se résume actuellement à des lois éparses exclusivement consacrées à leur financement (242), peut ainsi de nouveau être posée. En trouvant à cette question une réponse moins elliptique que celle proposée par l’état du droit, la consécration explicite du principe majoritaire et de la protection des droits de la minorité pourrait utilement trouver appui sur la mention de leur existence dans la Constitution, de la même façon que le constituant, en 1999, a assigné pour mission aux partis et groupements de contribuer à la mise en œuvre de l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives (243).
Selon un modèle proche de celui que le constituant a prévu à l’article 3 de la Constitution pour permettre l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions électives, le présent article renvoie au législateur « ordinaire » la responsabilité de déterminer les conditions dans lesquelles des droits particuliers peuvent être reconnus aux partis et groupements politiques qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement.
Dans sa rédaction, il ne distingue pas à proprement parler l’opposition. Il définit celle-ci « en creux » en évoquant les partis et groupements qui n’ont pas déclaré appartenir à la majorité qui soutient le Gouvernement.
Ainsi, peuvent être inclus dans les partis qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement ceux qui s’opposent à lui mais aussi ceux qui le soutiennent de manière continue ou épisodique sans pour autant souhaiter le déclarer de manière formelle. Mais, si la « minorité » qui n’a pas déclaré soutenir le Gouvernement ne se limite pas à l’opposition stricto sensu, elle l’inclut nécessairement et accorder des droits à la « minorité » revient in fine à accorder des droits à l’opposition.
Comme l’a souligné le « comité Balladur », il y a « plus d’avantages que d’inconvénients pour le fonctionnement des institutions, sinon à jeter les bases d’un statut de l’opposition, du moins à reconnaître aux partis qui ne font pas partie de la majorité des garanties spécifiques » (244). C’est pourquoi, dans sa proposition n° 60, il a recommandé de « modifier l’article 4 de la Constitution afin d’y écrire que la loi détermine les conditions dans lesquelles sont garantis les droits des partis et groupements qui ont ou n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement » (245).
Une fois ancré dans la Constitution, le statut de l’opposition, définie largement comme l’ensemble des partis et des groupements qui n’ont pas déclaré soutenir le Gouvernement, pourra être enrichi au fur et à mesure des évolutions politiques.
Il est évident que cette novation trouvera son plus grand effet au niveau parlementaire. Ainsi la notion de déclaration de soutien au Gouvernement trouve sa première traduction dans les assemblées, dès lors que le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale. Mais il est possible de trouver d’autres applications du nouveau principe énoncé dans l’article 4, à l’occasion des campagnes électorales par exemple ou encore dans la répartition des temps de parole à la télévision.
Cela peut concerner aussi, comme le relève l’exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle, à la fois les règles de financement ou les règles protocolaires. Cette piste de réflexion rejoint les positions du « comité Balladur », qui, dans sa proposition n° 59, a souhaité que l’opposition soit mieux représentée dans les manifestations officielles (246).
Ce nouvel alinéa de l’article 4 se décline, au niveau parlementaire, avec l’article 51-1 de la Constitution inséré par l’article 24 du présent projet de loi constitutionnelle qui précise que le Règlement de chaque assemblée détermine les droits respectifs des groupes parlementaires qui ont déclaré soutenir le Gouvernement et de ceux qui ne l’ont pas déclaré (247).
Ainsi, sont distingués deux types de déclaration, selon qu’il est question de partis et de groupements politiques (article 4) ou bien de groupes parlementaires (article 51-1).
L’importance croissante prise par les collectivités territoriales et la consécration constitutionnelle de l’organisation décentralisée de la République en 2003 (248) incitent également à poser la question de la place de l’opposition dans les enceintes locales, ce que devrait permettre de faire également le présent article.
L’existence de la loi de 1998 sur le statut de l’opposition complétant la Constitution du Portugal permet d’illustrer ce que le dispositif ici proposé pourrait avoir comme prolongement, sans qu’une reprise de l’intégralité des dispositions portugaises ne s’avère toutefois nécessaire.
LA LOI SUR LE STATUT DE L’OPPOSITION AU PORTUGAL La loi portugaise proclame un droit d’opposition en vertu duquel « les minorités ont le droit de constituer et d’exercer une opposition démocratique au Gouvernement et aux organes exécutifs des régions autonomes et des collectivités locales élues, conformément à la Constitution et à la loi ». L’opposition, exercée par les partis représentés au Parlement et qui ne font pas partie du Gouvernement ainsi que les partis et groupements représentés dans les assemblées locales mais qui ne participent pas à leurs organes exécutifs, est alors définie comme « l’activité de suivi, de contrôle et de critique des orientations politiques du Gouvernement ou des organes exécutifs des régions autonomes et des collectivités locales élues », tandis qu’il est précisé que « les partis politiques représentés à l’Assemblée de la République, aux assemblées législatives des régions autonomes ou à toutes autres assemblées élues au suffrage direct exercent également leur droit d’opposition aux exécutifs dont ils ne font pas partie, en vertu des droits, pouvoirs et prérogatives accordés à leurs députés et à leurs représentations par la Constitution, par la loi et par les règlements ». Un droit d’information spécifique par le Gouvernement est ouvert aux membres de l’opposition. Ces informations doivent être transmises directement et dans un délai raisonnable. Le Gouvernement est tenu, par ailleurs, de consulter préalablement l’opposition pour certains de ses actes, tels que la fixation de la date des élections locales, l’orientation générale de la politique étrangère et des politiques de défense nationale et de sécurité intérieure ou encore les projets de loi de programmation et de finances. La loi peut prévoir d’autres cas. Ces droits et ces obligations sont déclinés au plan local. Un droit de présence et de participation à tous les actes et activités officiels qui, par leur nature, le justifient est attribué à l’opposition, ainsi qu’un droit de contrôle, qui va jusqu’à la participation aux travaux préparatoires d’initiatives du Gouvernement, lorsque ces initiatives concernent soit les élections, soit la réglementation des groupements et partis politiques. La participation des partis politiques d’opposition est également prévue devant toutes les commissions constituées pour la réalisation de livres blancs, rapports, enquêtes, inspections ou autres procédures d’établissement des faits sur des questions dites « de grand intérêt national, régional ou local ». S’ajoute à ces dispositions la possibilité pour les partis représentés au Parlement d’interroger le Gouvernement et d’obtenir de ce dernier, dans un délai raisonnable, une information complète sur les mesures prises pour sauvegarder les garanties constitutionnelles de liberté et d’indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir politique et du pouvoir économique, d’imposition des principes de la spécificité et de la non-concentration des entreprises propriétaires d’organes d’information générale, de non-discrimination et de divulgation des propriétaires et des moyens de financement de tels organes. Ils ont aussi le droit d’interroger le Gouvernement sur les mesures prises afin d’assurer une structure et un fonctionnement des médias du service public qui sauvegardent leur indépendance vis-à-vis du Gouvernement, de l’administration publique et des autres pouvoirs publics, ainsi que sur la garantie constitutionnelle de la possibilité d’expression et de confrontation des différents courants d’opinion. Ces droits sont également déclinés à l’échelon local. Un rapport annuel d’évaluation de la mise en œuvre de toutes ces mesures doit être remis par le Gouvernement et les exécutifs locaux. L’opposition peut demander à ce qu’un débat soit ouvert sur ce rapport, tandis qu’il est fait obligation aux concessionnaires des services publics de radiotélévision et de radiodiffusion de remettre à l’Assemblée de la République des rapports périodiques sur la manière dont ont été mis en œuvre les droits et les garanties d’objectivité, de rigueur, d’indépendance et de pluralisme de l’information. |
Dans un premier temps, le rapporteur a présenté un amendement de suppression de l’article 1er estimant que cet article était destiné à donner à l’opposition au niveau national des droits supérieurs à ceux qu’elle pouvait revendiquer compte tenu de son effectif, ce que la décision du Conseil constitutionnel du 22 juin 2006 précitée pouvait conduire à interdire. Or, dans la mesure où cette dernière difficulté pouvait être résolue par l’article 24 du présent projet de révision pour les assemblées parlementaires, la rédaction du présent article pouvait faire douter de son utilité. En faisant référence aux partis qui ne soutiennent pas le Gouvernement, notion adaptée pour l’Assemblée nationale mais non pour le Sénat, où elle pourrait avoir pour conséquence de donner des droits particuliers à la majorité sénatoriale, lorsque celle-ci ne soutient pas le Gouvernement, en plus de ceux qu’elle détient en tant que majorité au sein de cette assemblée. Dans les collectivités territoriales, la référence au soutien au Gouvernement n’a pas non plus de sens. L’article 1er n’apportant rien par rapport à l’article 24, il est préférable de se concentrer sur des améliorations à apporter à ce dernier.
M. Arnaud Montebourg a estimé que l’article 1er était un point très sensible puisqu’il ébauchait l’amorce d’un statut de l’opposition en appliquant à cette dernière une forme de discrimination positive. Cependant, si les objections du rapporteur sont en partie fondées, il faut néanmoins préciser que seul l’article 1er offre des droits particuliers à l’opposition, l’article 24 se contentant de renvoyer aux règlements des assemblées la définition des droits respectifs des groupes parlementaires. En l’état, il n’est donc pas possible d’accepter une suppression pure et simple de l’article 1er, même si cette position est susceptible d’évoluer en fonction des propositions qui pourront être formulées.
Le rapporteur, déclarant comprendre les interrogations de M. Montebourg, a précisé que son intention était bien d’établir un véritable ancrage constitutionnel du statut de l’opposition.
M. Bernard Roman a également insisté sur la nécessité d’inscrire explicitement dans la Constitution l’existence d’un statut de l’opposition, sans cesse revendiquée comme une avancée considérable apportée par ce texte par le Président de la République. L’article 1er le permet alors que l’article 24 se contente d’un simple renvoi aux règlements des assemblées.
M. Claude Goasguen a alors proposé que la discussion de l’article 1er soit réservée et renvoyée après l’article 24.
Le rapporteur a rappelé qu’il avait été rapporteur, en 2006, de la proposition de résolution de modification du Règlement de l’Assemblée nationale qui avait pour objet de donner des droits particuliers à l’opposition et qui avait entraîné la censure partielle du Conseil constitutionnel. Il s’est donc déclaré totalement convaincu de la nécessité de donner un statut à l’opposition lui accordant une place supérieure à sa seule représentation proportionnelle.
M. Manuel Valls ayant également proposé que la discussion de cet article soit liée à celle de l’article 24, le rapporteur a indiqué qu’il n’était pas hostile à une réserve de son examen.
M. Bernard Roman a reconnu que le rapporteur avait souvent montré son attachement à l’existence d’un statut de l’opposition. Pour autant, l’article 1er est une base nécessaire qui peut ensuite être déclinée, s’agissant des assemblées parlementaires, dans l’article 24. Le statut de l’opposition ne se pose en effet pas seulement au Parlement mais également dans les collectivités territoriales, où l’opposition a commencé à se voir reconnaître certains droits, notamment par la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité (249).
Le rapporteur a indiqué que les initiatives mises en œuvre pour donner des droits à l’opposition avaient pu être acceptées uniquement parce qu’elles ne donnaient pas à l’opposition des droits supérieurs à sa place proportionnelle et la rédaction actuelle de l’article 1er, qui fait référence au soutien donné ou non au Gouvernement, ne permettrait pas de donner des droits supplémentaires à l’opposition dans les assemblées locales. Ainsi, l’article 1er ne pourrait être utile que s’il était profondément réécrit, en généralisant l’existence de droits particuliers à l’opposition dans toutes les assemblées, y compris locales. Si l’ensemble des membres de la Commission souhaite aller dans ce sens, il est possible de réfléchir à des rédactions permettant d’atteindre ce but ambitieux, étant précisé que le Gouvernement s’est montré quelque peu réticent à cet égard.
La Commission a alors décidé de réserver après l’article 24 l’examen de l’article 1er et des cinq amendements portant sur cet article.
Reprenant l’examen de cet article après avoir adopté l’article 24 modifié, le rapporteur a indiqué qu’il retirait son amendement de suppression de l’article 1er, la Commission a rejeté l’amendement déposé par M. François Bayrou tendant aux mêmes fins.
Le rapporteur a présenté un amendement tendant à affirmer un principe général de reconnaissance par la loi de droits spécifiques pour la minorité politique. Le rapporteur a indiqué que la rédaction proposée présente l’avantage d’échapper à la définition restrictive et incertaine de soutien au Gouvernement et de couvrir le champ national comme le champ local, le champ de l’élection comme le champ des assemblées délibérantes. Après que M. Arnaud Montebourg eut apporté son soutien à cet amendement, ce dernier a été adopté par la Commission (amendement n° 42).
La Commission a ensuite rejeté deux amendements de M. Jean-Christophe Lagarde, le premier visant à limiter aux assemblées parlementaires le champ de l’article et à préciser les modalités de déclaration de soutien des parlementaires au Gouvernement, le second précisant que la loi détermine les conditions dans lesquelles est garantie l’égalité des droits des partis et groupements politiques dans les assemblées parlementaires et les assemblées locales.
Elle a été saisie d’un amendement de M. François Bayrou défendu par M. Arnaud Montebourg visant à compléter l’article 4 de la Constitution pour préciser que la loi garantit l’indépendance des médias qui concourent, par leur pluralisme, à la libre information des citoyens. Le rapporteur a émis un avis défavorable sur cet amendement, d’une part car l’article XI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen garantit déjà le principe du pluralisme des médias et d’autre part parce qu’il ne revient pas au constituant de déterminer le contenu d’une loi, mais au législateur, le constituant devant se limiter à préciser le champ de la matière législative, ce que fait d’ores et déjà l’article 34 de la Constitution. Suivant l’avis du rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement.
La Commission a adopté l’article 1er ainsi modifié.
Article 2
(art. 6 de la Constitution)
Limitation du nombre de mandats présidentiels consécutifs
« Afin de garantir une respiration démocratique dans l’exercice des fonctions suprêmes et d’inviter leur titulaire à agir plutôt qu’à chercher à se maintenir au pouvoir » (250), le présent article insère, dans l’article 6 de la Constitution, un alinéa qui dispose qu’un même Président de la République ne pourra accomplir plus de deux mandats consécutifs.
Cette disposition, d’équilibre, viendrait utilement contrebalancer les conséquences qui ont résulté du passage du septennat au quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral, ce dernier assurant – hors hypothèse de décès, de démission ou de destitution du chef de l’État et de dissolution – que l’élection du Président précède celle de l’Assemblée nationale.
La question de la durée du mandat présidentiel a ressurgi régulièrement pendant près de trente ans avant de trouver une réponse en 2000. En effet, si en 1958, la durée du mandat n’avait pas été discutée, la tradition du septennat inaugurée en 1873 restant la référence en la matière, dès les années 1960, certaines forces politiques proposèrent de raccourcir le mandat à cinq ans. En alignant la durée du mandat présidentiel sur celui de l’Assemblée nationale, les pouvoirs de celle-ci pouvaient sembler être renforcés, au moins symboliquement.
Dans cette logique, en avril 1973, le Président Georges Pompidou annonça une réforme constitutionnelle, la justifiant par un rééquilibrage rendu nécessaire par le relief particulier pris par l’institution présidentielle. L’accroissement des responsabilités implique un renforcement de la responsabilité et, en conséquence, un renouvellement plus fréquent de la légitimité populaire. Le projet fut adopté par les deux assemblées dans des termes identiques, mais le Congrès ne fut jamais convoqué, faute d’une majorité suffisante, l’article 89 de la Constitution imposant une majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Les candidats successifs à l’élection présidentielle – ainsi François Mitterrand en 1981 se prononçant pour un mandat de cinq ans renouvelable une fois ou pour un mandat de sept ans non renouvelable (251) ou M. Jacques Chirac en 1995 faisant observer qu’il n’était pas opposé à un mandat de cinq ans et qu’il avait soutenu la réforme en 1973 (252) – se déclarèrent souvent en faveur de la reprise d’une telle révision. Le « comité Vedel », en 1993, se prononça, en revanche, contre le quinquennat par neuf voix contre six. Plusieurs propositions de loi constitutionnelle continuèrent à alimenter le débat en suggérant des aménagements divers, tels que l’instauration d’un mandat de sept ans non renouvelable (253), la limitation à deux mandats consécutifs de cinq ans (254) ou, plus généralement, la substitution du quinquennat au septennat, sans limitation du nombre de mandats.
Cette discussion fut rouverte en 2000 à l’approche des échéances de 2002 qui voyaient se dérouler la même année les élections présidentielle et législatives, occasion de réduire les risques de nouvelle cohabitation institutionnelle, dont on mesurait alors les inconvénients. Le projet de loi constitutionnelle prévoyait l’instauration d’un quinquennat « sec », c’est-à-dire un raccourcissement de la durée du mandat sans autre modification. Il fut adopté par les deux assemblées à une très large majorité (255) puis soumis à référendum, le 24 septembre 2000 (256). La réforme sera adoptée par 73,2 % des suffrages exprimés (257).
Il convient d’aller jusqu’au bout de la réforme. Dans son discours d’Épinal du 12 juillet 2007, le Président de la République a mis en avant cette problématique en souhaitant « que soit examinée la question de la limitation du nombre de mandats présidentiels : faut-il les limiter à deux mandats successifs ou faut-il laisser les électeurs décider ? »
Cette disposition, qui était envisagée dans la lettre de mission adressée par le Président de la République au « comité Balladur », n’avait pas été retenue par ce dernier qui avait estimé, à la majorité de ses membres, « qu’il était inutile, voire inopportun, au vu de la rédaction de l’article 6 de la Constitution issue de la révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 qui a instauré le quinquennat, de prévoir que le Président de la République ne puisse être élu plus de deux fois », dès lors qu’une telle modification était susceptible de « porter atteinte à la souveraineté du suffrage » (258).
Déjà, en son temps, selon une analyse très similaire, la majorité des membres du « comité Vedel » avait rejeté l’interdiction du renouvellement qu’elle a regardée comme très choquante dans son principe. Elle analysait cette réforme comme d’abord une atteinte au principe démocratique lui-même dans la mesure où elle privait le peuple souverain du droit de choisir de renouveler le chef de l’État dans son mandat. Elle estimait, par ailleurs, qu’il était difficile de justifier le fait que le titulaire du mandat soit en toute hypothèse dispensé de rendre compte à la fin de l’exercice de celui-ci. Retournant aux sources de l’histoire, elle relevait, enfin, que le principe de la non-rééligibilité, adopté par la Constituante puis par la IIe République, avait, au demeurant, eu des résultats pour le moins négatifs. En revanche, sans que les fonctions soient comparables à celles attribuées au chef de l’État sous la Ve République, le Président de la République, sous la IVe République, n’était rééligible qu’une seule fois (259).
Si les comparaisons internationales doivent être prises avec beaucoup de précaution, le statut et les fonctions du chef de l’État pouvant varier à l’infini comme le montre le tableau infra, on peut noter qu’aux États-Unis, après que la limitation à deux mandats présidentiels a résulté de la coutume, la rupture de celle-ci par Franklin D. Roosevelt (260) conduisit à adopter le vingt-deuxième amendement, qui, en 1951, limita à deux le nombre de mandats, qu’ils soient successifs ou non.
LE MANDAT DU CHEF DE L’ÉTAT À L’ÉTRANGER | ||
État |
Régime |
Mandat |
Allemagne |
Parlementaire |
Mandat de cinq ans renouvelable une fois |
Autriche |
Parlementaire |
Mandat de six ans renouvelable une fois |
Croatie |
Parlementaire |
Mandat de cinq ans renouvelable une fois |
États-Unis |
Présidentiel |
Deux mandats, successifs ou non, de quatre ans (si intérim, durée maximum des mandats de dix ans) |
Finlande |
Parlementaire |
Mandat de six ans renouvelable une fois |
Grèce |
Parlementaire |
Mandat de cinq ans renouvelable une fois |
Hongrie |
Parlementaire |
Mandat de cinq ans sans limitation de renouvellement |
Irlande |
Parlementaire |
Mandat de sept ans non renouvelable |
Islande |
Parlementaire |
Mandat de quatre ans sans limitation de renouvellement |
Israël |
Parlementaire |
Mandat de sept ans non renouvelable |
Italie |
Parlementaire |
Mandat de sept ans sans limitation de renouvellement |
Pologne |
Semi-présidentiel |
Mandat de cinq ans renouvelable une fois |
Portugal |
Semi-présidentiel |
Mandat de cinq ans renouvelable une fois (il ne peut être ni réélu pour un troisième mandat consécutif, ni pendant les cinq années suivant le terme du deuxième mandat consécutif) |
Suisse |
Parlementaire |
Mandat d’un an non renouvelable. En outre, le Président sortant ne peut pas être élu à la vice-présidence |
Ces remarques ne suffisent cependant pas à rejeter l’hypothèse d’une limitation dans le temps du nombre de mandats présidentiels susceptibles d’être effectués par la même personne. En effet, dès lors que le constituant estime que les avantages qui résulteraient pour les grands équilibres du régime justifient pleinement une limitation, somme toute limitée au regard de l’expérience, de la souveraineté du suffrage. Si ces exemples historiques ne peuvent être niés, il convient, toutefois, de relever une différence de contexte qui rend toute comparaison avec l’évolution de la Ve République pour le moins audacieuse, inopérante en tout état de cause.
Mais l’impératif de renouvellement régulier est consubstantiel à nos démocraties contemporaines. Il s’impose a fortiori depuis 2002 où la réduction du mandat présidentiel à cinq ans et l’inversion du calendrier électoral ont conduit à déséquilibrer les institutions au détriment du Parlement.
Comme le reconnaît lui-même le « comité Balladur », dix ans constitue un horizon admis comme assez long dans nombre de démocraties. Ce temps est suffisamment long pour permettre de conduire un programme politique très ambitieux. En outre, il convient de ne pas négliger l’inéluctable usure du pouvoir qui peut affecter à terme la capacité d’action du pouvoir exécutif. Ainsi, en limitant à deux le nombre de mandats successifs, le constituant répondrait à la fois à un impératif d’efficacité et de rééquilibrage des institutions.
En application de la rédaction proposée, juridiquement, un même citoyen pourra effectuer deux mandats consécutifs, puis redevenir Président de la République après une interruption.
M. Jean-Claude Sandrier a présenté un amendement supprimant l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, y substituant une élection par le Parlement réuni en Congrès afin d’affirmer la prééminence du pouvoir législatif.
Le rapporteur s’étant déclaré défavorable à cet amendement, la Commission l’a rejeté.
La Commission a adopté l’article 2 sans modification.
Suivant l’avis de son rapporteur, la Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Claude Sandrier permettant l’accès au second tour de l’élection présidentielle de tous les candidats ayant recueilli plus de 10 % des suffrages exprimés.
Article 3
(art. 8 de la Constitution)
Composition du Gouvernement
Cet article, qui modifie le second alinéa de l’article 8 de la Constitution vise à limiter le nombre maximum de membres du Gouvernement pour garantir l’efficacité de ce dernier. Pour déterminer ce nombre, il est fait renvoi à la loi organique.
Chaque gouvernement cherche à s’adapter à l’évolution des besoins, à se mettre en état d’exprimer et de pratiquer le mieux possible la politique à suivre, ce qui implique de fixer l’effectif gouvernemental, d’en définir la hiérarchie interne et de répartir les attributions de chaque membre.
Dans ce contexte, le nombre élevé de membres d’un gouvernement ne garantit pas nécessairement son efficacité. S’il permet, par exemple, de représenter toutes les sensibilités d’une majorité parlementaire – chaque nouveau gouvernement emportant une vague de commentaires sur la représentation des différentes composantes, les origines professionnelles ou même géographiques de chacun de ses membres –, il peut a contrario être source de chevauchements de compétences et de difficultés de coordination, d’autant plus fortes que certaines questions apparaissent comme requérant de plus en plus un traitement transversal – à l’exemple de l’environnement ou des nouvelles technologies. Comme le soulignait déjà, en 1994, le « Rapport Picq », « l’augmentation du nombre des dossiers qui concernent plusieurs ministères tient pour une part à la complexité des problèmes. Elle résulte surtout de la complication de l’État lui-même. Le nombre des ministres (et des directions) détermine directement le nombre des arbitrages. » (261) C’était déjà le sens de l’étude du Conseil d’État de 1985 consacrée aux structures gouvernementales et à l’organisation administrative.
Des efforts constants ont été réalisés ces dernières années pour réduire le nombre de ministres en se rapprochant de la moyenne des effectifs gouvernementaux qui se situent aux alentours de trente-sept membres depuis 1958.
En effet, après la nomination de gouvernements relativement restreints dans les débuts de la Ve République – avec environ une trentaine de membres (262) –, à partir des années 1970, on a pu assister au gonflement sensible du nombre de membres du Gouvernement, un nombre de quarante étant fréquent – le gouvernement nommé en mai 1988 ayant atteint un maximum de quarante-neuf membres, dont vingt-deux ministres. Un premier resserrement sensible a été opéré avec le gouvernement conduit à partir du 29 mars 1993 par M. Édouard Balladur, qui comptait trente membres.
Mais les variations restent sensibles. Si le gouvernement de M. François Fillon, nommé le 19 juin 2007, complété le 22 octobre 2007 et le 18 mars 2008, composé de quinze ministres et de vingt-deux secrétaires d’État, soit un total de trente-huit membres, se situe dans la moyenne des gouvernements de la Ve République, le nombre de ministres au sens strict a été limité. À titre de comparaison, le gouvernement de M. Dominique de Villepin comptait seize ministres et quinze ministres délégués, soit trente-deux membres, Premier ministre inclus, tandis que le dernier gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin comportait dix-sept ministres, treize ministres délégués et treize secrétaires d’État, soit quarante-quatre membres au total.
Notre histoire constitutionnelle reste muette sur la taille des gouvernements et les attributions ministérielles, à l’exception de quelques fonctions qui, à l’instar de la justice ou des affaires étrangères, sont mentionnées expressément dans les textes constitutionnels. Seule, la Constitution de 1848, dans son article 66, disposait que le nombre des ministres et leurs attributions étaient fixés par le pouvoir législatif. Auparavant, dans son article 150, la Constitution de l’An III (1795) prévoyait que le Corps législatif déterminait les attributions et le nombre des ministres et le fixait entre six et huit.
Les comparaisons internationales fournissent des données très hétérogènes. Le cabinet de M. Gordon Brown, Premier ministre du Royaume-Uni, tel que composé le 25 janvier 2008, compte vingt-trois membres. Mais, il conviendrait d’y ajouter soixante-treize autres ministers et vingt-cinq whips, tous membres du Gouvernement. En Italie, le deuxième gouvernement dirigé par M. Romano Prodi comptait vingt-neuf ministres, neuf vice-ministres et plus d’une soixantaine de sous-secrétaires d’État. Le gouvernement de M. Silvio Berlusconi, investi le 8 mai 2008, comporte pour sa part vingt et un ministres et trente-cinq sous-secrétaires d’État.
Selon un autre modèle, en Allemagne, le gouvernement fédéral de Mme Angela Merkel compte seize membres, Chancelière comprise. Le gouvernement espagnol de M. José Luis Zapatero compte dix-sept ministres, président du Gouvernement exclu.
Dans la majorité des cas, le nombre de ministres relève d’une décision d’espèce. Toutefois, dans d’autres, un texte fixe ou prévoit que soit fixé un maximum.
Ainsi, la Constitution du Royaume de Belgique, dans son article 99, dispose que « le Conseil des ministres compte quinze membres au plus ». Mais, si cette limite peut se justifier par la nécessité de disposer d’un gouvernement efficace, elle peut également s’expliquer par la nécessité de concilier un nombre raisonnable de ministres avec l’autre contrainte fixée par l’article 99, selon laquelle « le Premier ministre éventuellement excepté, le Conseil des ministres compte autant de ministres d’expression française que d’expression néerlandaise ». En revanche, le nombre des secrétaires d’État, également membres du Gouvernement, mais ne siégeant pas au Conseil des ministres, n’est pas précisé. Ainsi, le gouvernement de M. Yves Leterme, nommé en mars dernier, comprend un Premier ministre et quatorze ministres, mais également sept secrétaires d’État. Postulant le principe d’efficacité, l’article 60 de la Constitution de la Finlande dispose, sans le déterminer a priori, que le nombre de ministres doit être strictement nécessaire. Le cabinet finlandais compte aujourd’hui vingt ministres.
En Autriche, la Constitution, dans son article 77, renvoie à la loi ordinaire le soin de fixer le nombre de ministères fédéraux et prévoit, d’une part, que chaque ministère fédéral est dirigé par un ministre fédéral et, d’autre part, que des ministres fédéraux sans portefeuille peuvent être nommés. Selon un mécanisme similaire, la Constitution italienne, dans son article 95, confie au législateur le soin de fixer le nombre, les attributions et l’organisation des ministères. L’article 68 de la Constitution de la Finlande précise que « chaque ministère est dirigé par un ministre » et que « le nombre maximum de ministères et les principes généraux relatifs à leur constitution sont fixés dans une loi ».
La richesse et la diversité des exemples étrangers montrent le caractère spécifique de chaque structure gouvernementale. Il est d’autant plus difficile d’établir une comparaison avec le cas français, que notre situation est marquée par une particularité, celle de l’incompatibilité posée par l’article 23 de la Constitution entre les fonctions ministérielles et l’exercice d’un mandat parlementaire.
L’idée de limiter le nombre de ministres est ancienne. Le projet de loi de révision des lois constitutionnelles de 1875, déposé par Gaston Doumergue, président du Conseil, le 4 novembre 1934 (263), prévoyait déjà de limiter le nombre des ministres à vingt. Plus récemment, des sénateurs proposèrent de limiter le nombre de membres du Gouvernement à trente (264).
Si le « comité Balladur » a jugé que la limitation du nombre maximal de ministres par la loi organique présentait plus d’avantages que d’inconvénients sans plus de précision (265), il reste que le recours à la contrainte juridique permettrait de faciliter l’avènement d’une certaine stabilité de la structure gouvernementale et constituer ainsi un socle plus solide et pérenne pour une réforme des structures ministérielles. La continuité de la composition gouvernementale consoliderait une structure administrative qui doit s’adapter aux changements continuels de l’organisation de l’exécutif. En effet, il existe un contraste marqué entre la rapidité avec laquelle peuvent être effectuées les recompositions gouvernementales et les délais nécessaires à l’adaptation rationnelle des modifications correspondantes dans les administrations. Michel Debré lui-même, lors des travaux préparatoires des institutions de la Ve République, avait émis le souhait que la Constitution, ou tout au moins une loi organique, détermine le nombre de ministères pour que ce nombre ne soit pas modifié à chaque changement de gouvernement.
Réduire le nombre de ministres et stabiliser la structure gouvernementale constituaient aussi deux des objectifs définis par le « Rapport Picq » pour donner au Gouvernement les moyens de diriger l’État : « réduire le nombre des ministres permettrait de recentrer le Gouvernement sur les missions essentielles de l’État, de réduire l’influence des groupes de pression, de faciliter le travail en équipe. La modernisation de l’administration en serait plus aisée : les regroupements de services aux métiers voisins et les redéploiements de moyens (effectifs ou dotations budgétaires) se feraient à l’intérieur d’ensembles plus vastes. Enfin, la réduction des dépenses publiques serait facilitée, beaucoup de doubles emplois ayant pour origine le souci des administrations de défendre leur " fonds de commerce ". » (266)
Pour parvenir à ce résultat et marquer ainsi la volonté du constituant de peser sur les mouvements erratiques de la composition du Gouvernement, il est proposé, dans le présent article, de renvoyer au législateur organique le soin de déterminer le nombre maximum de ses membres, ministres, ministres délégués et secrétaires d’État compris.
Plusieurs solutions étaient alors envisageables. Selon une option rigide, littérale, serait fixé un chiffre global qui concerne tous les membres du Gouvernement, y compris les secrétaires d’État, dont on sait qu’ils n’assistent au Conseil des ministres que dans la mesure où les dossiers dont ils ont la charge y sont abordés. Seraient bien sûr également inclus a fortiori les ministres délégués.
Selon une option plus souple, qui rapprocherait le dispositif français d’un modèle répandu défini par un nombre restreint de ministres assistés de « vice-ministres » ou de « sous-secrétaires d’État » comme en Italie ou au Royaume-Uni, la loi organique se contenterait de déterminer le nombre des ministres de plein exercice – quinze par exemple –, laissant au Premier ministre le soin d’y adjoindre, sans limitation, des secrétaires d’État, permettant de tenir compte de la taille des secteurs ou de prendre en charge un dossier qui requiert un investissement particulier. Cette solution permet de « sélectionner » de futurs ministres et de faire prendre en charge par un responsable politique une partie des administrations au sein d’un ministère. Elle commande également l’institution de cabinets largement communs et facilite ainsi la coordination des services.
Mais ni la formule des secrétaires d’État autonomes, qui sont dans les faits des ministres auxquels l’accès permanent au Conseil des ministres est refusé, ni celle des ministres délégués auprès, non du Premier ministre, mais de l’un des ministres, qui entretient l’ambiguïté entre délégation et attributions, ne devrait être retenue. La première s’avère sans doute contraire à l’esprit de la Constitution, dès lors qu’elle est susceptible de placer un secteur de l’administration sans représentation au Conseil des ministres, que ce soit de manière directe ou par l’intermédiaire d’un secrétaire d’État dépendant d’un des ministres de plein exercice.
Si la fixation d’un nombre maximum de membres peut être déterminée a priori par le législateur organique soucieux de restreindre le collège gouvernemental pour une plus grande lisibilité et efficacité, la question de la structure administrative du Gouvernement doit continuer de relever de son pouvoir de décision. Les expériences étrangères montrent, en effet, que, sans limite maximale du nombre de membres du Gouvernement fixée a priori, le recours à la loi pour fixer les attributions de chacun et l’organisation des ministères se traduit par une perte d’efficacité au début de chaque période de gouvernement, voire perturbe inutilement le cours de la vie institutionnelle. L’article 34 de la Constitution n’inclut d’ailleurs pas l’organisation gouvernementale au rang des matières qui constituent le domaine de la loi. Le « comité Balladur » a ainsi jugé « ni utile ni opportun de prévoir qu’une loi organique fixerait la structure du Gouvernement, le Président de la République et le Premier ministre devant conserver la possibilité d’adapter celle-ci aux nécessités du moment et les impératifs mêmes de la " réforme de l’État " exigeant parfois de la souplesse dans la définition du périmètre de chaque département ministériel » (267).
La voie ici choisie – la Constitution fixe le principe d’une limitation de la structure gouvernementale, la loi organique en précise l’ampleur maximale, le Gouvernement décide lui-même de son organisation dans cette limite – correspondrait mieux à l’équilibre institutionnel déterminé par la Constitution de la Ve République. Ainsi pourrait être instituée une juste mesure entre la nécessaire limitation des aléas liés aux variations de l’amplitude du nombre de ministres et l’indispensable souplesse que requiert une action gouvernementale adaptée aux évolutions constantes des questions à traiter.
Elle éviterait à la fois toute tentation de gonflement des effectifs, source d’incompréhension, voire de suspicion sur les motivations de certaines nominations ministérielles et la saisine systématique du législateur pour déterminer l’organisation administrative de l’exécutif. Elle formerait un premier rempart contre les superpositions ministérielles ou le risque d’instituer des ministères sans moyens suffisants et bien déterminés et accompagnerait le mouvement de réforme des structures engagé ces dernières années dans le sillage de la mise en œuvre de la loi organique relative aux lois de finances (268) et de la révision générale des politiques publiques lancée en juillet 2007.
M. Bernard Derosier a présenté un amendement de suppression de l’article. Il a jugé anormal de fixer dans la Constitution des modalités relatives au nombre de membres du Gouvernement. Il a précisé qu’il appartenait au Président de la République de composer le Gouvernement en fonction des priorités d’action qu’il entend mener et qu’en outre, la fixation définitive du nombre des ministres n’existe que dans des régimes de type présidentiel.
M. Arnaud Montebourg a également estimé que la structuration gouvernementale devait relever de l’appréciation de l’exécutif et que la constitutionnaliser ne pourrait que poser des problèmes pour l’avenir. L’important n’est pas le nombre des ministres mais que ceux-ci rendent effectivement compte de leur action devant le Parlement.
M. Jean-Christophe Lagarde a indiqué qu’il voterait en faveur de l’amendement car il serait imprudent de ne pas laisser au Président de la République toute latitude dans la formation du Gouvernement. Si le nombre retenu est faible, cette contrainte ne manquera pas de poser des problèmes. À l’inverse, retenir un nombre trop élevé n’aurait aucun sens. Enfin, il faut se souvenir des problèmes liés à la limitation constitutionnelle du nombre des commissions permanentes.
M. Guénhaël Huet a considéré que la limitation du nombre des membres du Gouvernement serait un signe apprécié par nos concitoyens au moment où il leur est demandé de faire des efforts de rigueur et où il est envisagé de ne remplacer qu’un fonctionnaire sur deux partant en retraite.
Le rapporteur a rappelé que le projet de révision se contente de renvoyer la question du nombre de ministres à une loi organique. Considérant qu’il ne faut pas multiplier les renvois à des lois organiques, il a indiqué qu’il proposerait un amendement fixant dans la Constitution le nombre maximum de ministres, à quinze et de membres du Gouvernement, à quarante. Ce dernier nombre est cohérent avec l’effectif moyen des gouvernements sous la Ve République – trente-sept – qui constitue également le nombre de membres de l’actuel gouvernement. Fixer un plafond dans la Constitution est important car l’opinion n’accepte plus des gouvernements pléthoriques. D’ailleurs, s’agissant des commissions permanentes, il est clair que la limitation constitutionnelle de leur nombre a eu un impact vertueux, en l’absence de laquelle on aurait probablement assisté à une multiplication de celles-ci. L’existence d’un plafond prédéterminé n’est pas une entrave à l’action d’un exécutif, comme le montre la fixation par la loi du nombre des adjoints au maire, fixé à un tiers des membres du conseil municipal.
M. Claude Goasguen a considéré que l’article 3, dans sa rédaction actuelle, est sans intérêt. Quant à la proposition du rapporteur, si la limitation à quinze du nombre des ministres peut être acceptée, le nombre de quarante retenu pour les membres du Gouvernement, peut être regardé comme excessif.
M. Jean-Jacques Urvoas a estimé que la volonté d’autodiscipline du Gouvernement était louable, notamment face à la multiplication de secrétariats d’État aux intitulés parfois étonnants. Pour autant, cette disposition est d’ordre cosmétique.
M. Jean-Christophe Lagarde a indiqué que l’amendement proposé par le rapporteur lui semblait encore plus nocif que le texte du projet de loi constitutionnelle puisque les plafonds, fixés au sein même de la Constitution, seraient encore plus difficiles à modifier. On ne peut accepter qu’un Président de la République élu au suffrage universel direct ne se voie pas reconnaître le droit d’organiser son Gouvernement comme il l’entend.
M. Sébastien Huyghe a également estimé que les modalités de composition du Gouvernement relevaient de la responsabilité du Président de la République et non de la Constitution. Il faut éviter de créer un précédent au risque de devoir introduire d’autres limitations dans le pouvoir de désignation des membres du Gouvernement, relatives à une obligation de parité en son sein par exemple.
M. Bertrand Pancher a indiqué qu’il avait déposé un amendement allant dans le sens de celui du rapporteur, comme cela existe dans de nombreuses démocraties. L’opinion publique est en effet très critique à l’égard de l’existence de gouvernements pléthoriques.
M. Daniel Vaillant s’est prononcé en faveur de la suppression de cet article qui est le signe d’une présidentialisation du régime. L’amendement du rapporteur illustre la difficulté posée l’existence d’un plafond : afin d’en limiter les inconvénients, il est fixé à un niveau élevé, quarante, mais la disposition perd alors de son intérêt.
M. Bruno Le Roux a relevé que les citoyens critiquaient souvent l’absentéisme parlementaire ou la multiplication des structures de décision, notamment dans le domaine de l’intercommunalité, mais rarement le format du Gouvernement. Par ailleurs, le nombre de quinze ministres envisagé reprend celui de l’actuel Gouvernement, dont la composition repose sur la mise en place de nouveaux départements ministériels. Avant de pérenniser une telle organisation qui ne date que d’une année, il sera nécessaire de procéder à son évaluation.
Le rapporteur a admis que cette question pouvait sembler étrangère au domaine constitutionnel mais que l’inscription dans la Constitution était souvent la seule manière d’arriver à un résultat. L’exemple des études d’impact le montre bien : leur création, sans base constitutionnelle, a en effet été un échec. Certes, la limitation du format du Gouvernement encadre la marge de manœuvre de l’exécutif, mais n’est-ce pas l’un des objectifs principaux du projet de révision constitutionnelle ?
La Commission a alors adopté l’amendement de suppression de l’article (amendement n° 43).
En conséquence, sont devenus sans objet un amendement de M. Noël Mamère et un amendement de M. Patrick Braouezec soumettant la nomination du Premier ministre à l’approbation de l’Assemblée nationale, ainsi qu’un amendement du rapporteur limitant le nombre de ministres à quinze et le nombre de membres du Gouvernement à quarante et un amendement de M. Bertrand Pancher limitant le nombre de ministres à quinze et le nombre de ministres délégués ou secrétaires d’État à dix.
L’article 3 est ainsi supprimé.
La Commission a été saisie de deux amendements de M. Bertrand Pancher et de quatre amendements de M. Jean-Christophe Lagarde, M. Noël Mamère, M. Jean-Claude Sandrier et M. Arnaud Montebourg tendant à créer une procédure de référendum d’initiative populaire.
M. Bertrand Pancher a expliqué que cette proposition, inspirée des préconisations du « comité Balladur », tendait à accroître la démocratie directe et à responsabiliser les citoyens.
M. Jean-Christophe Lagarde a souhaité que le rééquilibrage des pouvoirs opéré par la révision constitutionnelle n’omette pas les citoyens, en rappelant que la création de ce nouveau droit avait été recommandée par le « comité Balladur ». Il a indiqué que cette possibilité est encadrée par l’exigence de signature d’une pétition par un cinquième des membres du Parlement et par 10 % des électeurs inscrits, soit environ 4,5 millions de personnes, et a ajouté qu’elle permettrait de régler le problème posé par la suppression de l’obligation de référendum en cas d’adhésion de nouveaux États à l’Union européenne.
Après avoir rappelé que le « comité Balladur » avait formulé cette proposition, M. Jean-Claude Sandrier a estimé que cette procédure permettrait de conférer plus de pouvoirs à la fois au Parlement et aux citoyens.
Le rapporteur s’est déclaré réservé, en soulignant que la procédure prévue aboutirait le plus souvent à un débat au Parlement, plutôt qu’à un référendum. Il a exprimé la crainte que les campagnes de signature de pétitions génèrent une frustration des citoyens dont les attentes ne pourraient être satisfaites compte tenu des conditions strictes prévues pour organiser un référendum.
Intervenant conformément aux dispositions de l’article 38, alinéa 1er, du Règlement de l’Assemblée nationale, M. Benoist Apparu a estimé qu’une telle procédure risquait d’être utilisée à des fins politiciennes sur tous les sujets médiatisés, tels que l’instauration de franchises médicales, et que tout désaccord entre la majorité et l’opposition sera suivi d’une campagne tendant à une nouvelle saisine du Parlement ou à l’organisation d’un référendum.
Après avoir rappelé qu’un système comparable existe dans la plupart des pays européens, M. Arnaud Montebourg a considéré que la procédure ne peut aboutir qu’en cas de mobilisation massive des citoyens, compte tenu du nombre requis de signataires. Tout en se déclarant ouvert à une redéfinition des conditions encadrant le recours à cette procédure, il a souhaité l’instauration d’un droit de pétition tendant à l’inscription d’un sujet à l’ordre du jour parlementaire afin de réconcilier les Français avec le système représentatif, sans défiance envers le rôle du peuple.
Après avoir rappelé que le droit de pétition n’a existé en France que sous la Constitution de 1793, M. Claude Goasguen a jugé que cette procédure était surtout adaptée aux petits pays, conformément aux préceptes de Jean-Jacques Rousseau, et aux questions locales ou de proximité. Il a considéré que les parlementaires seraient tentés de déposer un très grand nombre de pétitions afin de bénéficier d’une attention médiatique et que ces abus risqueraient de paralyser la procédure.
M. Jean-Claude Sandrier a estimé que cette procédure accorde aux citoyens une possibilité de recours lorsqu’une majorité ne respecte pas les engagements qu’elle a pris et qu’il était souhaitable d’innover en ayant recours au verdict populaire dès lors que le dispositif est suffisamment encadré.
Après avoir indiqué qu’un référendum organisé au niveau d’une collectivité territoriale ne porte pas nécessairement sur une question de proximité, notamment dans une région, M. Jean-Christophe Lagarde a jugé que le système actuel, dans lequel les citoyens ne sont plus consultés pendant les cinq ans qui suivent les élections législatives, crée plus de risques de frustration des citoyens que la procédure proposée et conduit ceux-ci à s’exprimer en marge des institutions. Il a considéré que le risque d’abus était faible, aucun parti ne disposant des effectifs nécessaires pour assurer à lui seul le succès d’une pétition. Il a souhaité que les citoyens se voient accorder la possibilité de s’opposer à un texte voté par le Parlement, tout en proposant de mieux encadrer la possibilité de dépôt d’une pétition, par exemple en fixant une limite de deux pétitions par session.
M. Bertrand Pancher a déclaré que le modèle actuel de démocratie représentative, hérité de Benjamin Constant, est remis en cause depuis plusieurs années par l’accroissement de l’information fournie aux citoyens, par les interrogations croissantes sur les questions de santé et d’environnement et par l’élévation générale du niveau de culture des citoyens, ce qui impose de redéfinir la manière de gouverner. Il a souhaité que, sans pour autant s’orienter vers un régime de démocratie directe, les citoyens puissent être associés aux débats nationaux par un mécanisme institutionnel encadré.
Le rapporteur a réitéré ses réserves, en expliquant que la procédure proposée pourrait concerner un grand nombre de textes législatifs et que son intitulé est trompeur puisqu’elle aboutirait le plus souvent à un débat au Parlement plutôt qu’à un référendum. La Commission a alors rejeté les amendements de M. Bertrand Pancher, M. Jean-Christophe Lagarde, M. Noël Mamère, M. Jean-Claude Sandrier et M. Arnaud Montebourg, ainsi qu’un amendement de coordination de M. Noël Mamère. Puis elle a rejeté un amendement de M. Noël Mamère et un amendement de M. Jean-Claude Sandrier ayant tout deux pour objet de prévoir que tout projet de loi comportant des dispositions analogues à celles d’un projet de loi rejeté par voie de référendum doit être soumis à référendum.
Puis la Commission a rejeté un amendement de M. Noël Mamère tendant à supprimer le droit de dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République.
Article 4
(art. 13 de la Constitution)
Consultation d’une commission composée de parlementaires
sur les nominations
Le système actuel de nomination aux emplois par le Président de la République, à la fois complexe et opaque, est à l’origine des propositions de réforme souhaitées par le Président de la République et précisées par le « comité Balladur ». Le présent article prévoit d’instaurer une procédure de consultation d’une commission de parlementaires préalablement à la nomination à certains emplois par le Président de la République. Cette procédure introduira ainsi une dimension démocratique dans le processus de nomination.
L’article 13 de la Constitution reconnaît au Président de la République une compétence générale pour nommer « aux emplois civils et militaires de l’État ». Il énumère d’autre part, au troisième alinéa, un certain nombre d’emplois pour lesquels la nomination intervient en Conseil des ministres : conseillers d’État, grand chancelier de la Légion d’honneur, ambassadeurs et envoyés extraordinaires, conseillers maîtres à la Cour des comptes, préfets, représentants de l’État dans les collectivités d’outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, officiers généraux, recteurs d’académie, directeurs des administrations centrales. Il renvoie enfin à une loi organique la détermination des autres emplois auxquels il est pourvu en Conseil des ministres. La Constitution prévoit dans le même temps, en son article 21, que le Premier ministre nomme aux emplois civils et militaires sous réserve des dispositions de l’article 13.
L’ordonnance du 28 novembre 1958 (269) portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État, intervenant sur la base de l’article 13 de la Constitution, énumère ainsi un certain nombre d’emplois pour lesquels la nomination intervient par décret du Président de la République en Conseil des ministres. Il s’agit des emplois de Procureur général près la Cour de cassation, de Procureur général près la Cour des comptes, de procureur général près une cour d’appel, des emplois de direction dans les établissements publics, les entreprises publiques et les sociétés nationales quand leur importance justifie l’inscription sur une liste dressée par décret en Conseil des ministres (270), et des emplois pour lesquels une disposition législative ou réglementaire particulière le prévoit.
Cette ordonnance prévoit par ailleurs qu’un certain nombre d’emplois sont pourvus par décret simple du Président de la République : membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes, magistrats de l’ordre judiciaire, professeurs de l’enseignement supérieur, officiers des armées de terre, de mer et de l’air, et enfin, à leur entrée dans leurs corps respectifs, membres des corps dont le recrutement est normalement assuré par l’École nationale d’administration (ENA), membres du corps préfectoral, ingénieurs des corps techniques dont le recrutement est en partie assuré par le tableau de classement de sortie de l’École polytechnique. Ces décrets du Président de la République, s’ils ne sont pas examinés en Conseil des ministres, sont toutefois contresignés par le ou les ministres compétents.
L’ordonnance du 28 novembre 1958 prévoit d’autre part que le Président de la République peut déléguer par décret l’exercice de son pouvoir de nomination pour les emplois autres que ceux énumérés par l’article 13 de la Constitution ou par ladite ordonnance.
Par conséquent, les emplois non explicitement mentionnés par la Constitution mais qui entrent dans le champ de la nomination par le Président de la République sont tantôt visés par une disposition organique, tantôt visés par des dispositions réglementaires.
La répartition, quelque peu byzantine, du pouvoir de nomination entre le Premier ministre et le Président de la République est le résultat de la volonté du constituant de 1958, qui souhaitait dans le même temps augmenter la liste des hauts emplois auxquels nomme le Président de la République sans pour autant procéder à des énumérations fastidieuses dans la Constitution (271).
Cette répartition a présenté un avantage non négligeable pour les Présidents de la République, qui ont pu allonger progressivement la liste des emplois auxquels ils nomment. Les reproches qui peuvent dès lors être faits sont ceux de l’emprise du pouvoir politique sur les nominations dans la haute administration, sans qu’aucune forme de contrôle ou de transparence permette de garantir un niveau de compétence des personnes ainsi nommées.
Le « comité Vedel » avait déjà relevé que la compétence générale reconnue en matière de nomination au Président de la République avait « le double défaut d’être largement nominale et de s’exercer en outre dans une certaine confusion ». Il proposait, par conséquent, « de réserver à la loi organique la définition des emplois autres que ceux figurant dans la Constitution et auxquels il est pourvu en Conseil des ministres, et à la loi ordinaire la définition des emplois auxquels nomme le Président de la République sans cette formalité » (272).
La volonté de soumettre certaines nominations effectuées par le Président de la République à l’avis préalable des parlementaires a été affirmée par M. Nicolas Sarkozy lors de la campagne présidentielle précédant son élection. Dans son discours prononcé à Épinal le 12 juillet 2007, le Président de la République a souhaité « que le pouvoir de nomination du Président de la République soit encadré, pour que, pour les postes à haute responsabilité, la décision soit partagée avec le Parlement ».
Le « comité Balladur » a proposé d’encadrer le pouvoir de nomination du Président de la République de deux manières :
— en précisant, dans le sens déjà souhaité par le « comité Vedel », par un texte de nature législative les emplois qui sont pourvus par une nomination délibérée en Conseil des ministres, afin d’éviter que la liste puisse en être modifiée par le simple jeu de la fixation de l’ordre du jour de ce Conseil (273) ;
— en encadrant certaines nominations par une procédure d’audition parlementaire, sans que le Président de la République perde pour autant son entier pouvoir de nomination (274).
Les auditions parlementaires présenteraient plusieurs avantages, par rapport au système actuel de nomination :
— les nominations interviendraient à l’issue d’un processus plus transparent ;
–– les personnes pressenties devraient exposer leur conception de leur rôle futur, la manière dont elles envisagent de remplir leurs fonctions ;
— le Parlement exercerait une certaine forme de contrôle.
Le « comité Balladur » a considéré qu’il serait souhaitable de soumettre à cette procédure des emplois qui revêtent une importance particulière au regard de la protection des libertés, de la régulation des activités économiques ou du fonctionnement des services publics.
En ce qui concerne la procédure elle-même, le « comité Balladur » a proposé la constitution d’une commission mixte ad hoc, dont les auditions seraient publiques et qui rendrait un avis public à la majorité simple.
Le nouvel alinéa qu’il est proposé d’insérer dans l’article 13 de la Constitution, largement inspiré des propositions du « comité Balladur », prévoit qu’une commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement donnera un avis préalable à la nomination par le Président de la République à certains emplois, dont la liste sera fixée par une loi organique. La loi organique devra également prévoir la composition de la commission et les modalités selon lesquelles elle rendra son avis.
Cette disposition pose des questions ayant trait aux emplois qui seront soumis à cette nouvelle procédure, à la nature, à la composition et aux modalités de fonctionnement de la commission chargée de donner son avis sur certaines nominations, et enfin au caractère et aux conséquences des avis rendus par cette commission.
Le nouvel alinéa précise que les emplois concernés devront se distinguer par « leur importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la Nation ». En outre, les emplois visés au troisième alinéa de l’article 13 de la Constitution ne pourront faire l’objet de cette procédure de consultation. Cette exclusion, qui était proposée par le « comité Balladur » (275), est pleinement justifiée par le fait que le constituant a souhaité maintenir ces emplois (conseillers d’État, ambassadeurs, préfets, officiers généraux, directeurs d’administration centrale, recteurs d’académie, conseillers maîtres à la Cour des comptes), dont le caractère est souvent éminemment politique, à la discrétion du pouvoir exécutif.
En revanche, il n’est pas prévu de mentionner dans le dernier alinéa de l’article 13 une exclusion du même ordre pour les magistrats de l’ordre judiciaire. Il serait même possible de considérer que les nominations de magistrats revêtent une importance particulière pour la garantie des droits et libertés et appellent le recours à cette nouvelle procédure. Le rapporteur s’interroge sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à prévoir explicitement dans la Constitution l’interdiction de la consultation de la commission avant de procéder aux nominations dans l’ordre judiciaire. L’argument selon lequel le principe constitutionnel de l’indépendance de la magistrature s’opposerait à ce que la commission soit consultée ne semble pas suffisant, dès lors que la consultation de la commission est sans effet contraignant sur la nomination.
À défaut de pouvoir déjà disposer du projet de loi organique, il est possible de dessiner une ébauche des emplois qui feront sans doute l’objet d’une procédure de consultation, grâce aux propositions du « comité Balladur ». Ce comité a en effet suggéré que soient compris dans la liste fixée par la loi organique :
— les membres des AAI jouant un rôle en matière de pluralisme, de libertés publiques ou de régulation des activités économiques (276) ;
— les présidents de grandes entreprises et établissements qui « par l’importance des services publics dont ils assurent la gestion, exercent une influence déterminante sur les équilibres économiques, sociaux, d’aménagement du territoire et de développement durable de notre pays » (277).
Il conviendra sans doute dans certains cas d’envisager la consultation pour la nomination du seul président de l’AAI, et dans d’autres cas pour celle de l’ensemble des membres de l’AAI nommés par le Président de la République (278). La consultation pour la nomination de l’ensemble des membres nommés par le Président de la République sera notamment justifiée lorsque le président de l’AAI est élu par le collège des membres, comme pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
Par ailleurs, d’autres articles du présent projet de loi prévoient de mentionner dans la Constitution le recours à l’avis de la commission pour :
— la nomination des neuf membres du Conseil constitutionnel par le Président de la République, par le Président de l’Assemblée nationale et par le Président du Sénat (article 56 de la Constitution tel que modifié par l’article 25 du présent projet) ;
— la nomination des six personnalités qualifiées au CSM par le Président de la République, par le Président de l’Assemblée nationale et par le Président du Sénat (article 65 de la Constitution tel que modifié par l’article 28 du présent projet) ;
— la nomination du Défenseur des droits des citoyens par le Président de la République (article 71-1 nouveau de la Constitution créé par l’article 31 du présent projet).
Par conséquent, la commission chargée de donner son avis sur certaines nominations ne se bornera pas à donner son avis sur des nominations effectuées par le Président de la République mais exprimera également son avis sur des nominations effectuées par les présidents des assemblées parlementaires.
b) Nature, composition et modalités de fonctionnement de la commission
La commission qui est créée, composée de parlementaires des deux assemblées, n’est pas pour autant qualifiée de « commission parlementaire ». En ce sens, il ne s’agirait pas nécessairement d’un organe interne au Parlement. La rédaction de l’article 13 n’implique pas que les députés et sénateurs composant cette commission soient obligatoirement désignés par leurs assemblées respectives, ni que cette commission puisse disposer des services des assemblées.
Ce choix peut sembler quelque peu insatisfaisant. En effet, la nature parlementaire de la commission renforcerait son caractère indépendant de l’exécutif et garantirait la sérénité de ses travaux. Elle simplifierait la mise en place de la commission et la mise à disposition de celle-ci de moyens ainsi que de locaux. Elle permettrait également de s’assurer que les députés et les sénateurs seraient désignés par leurs assemblées respectives. Le rapport du « comité Balladur » proposait d’ailleurs la création d’une commission parlementaire. Le rapporteur vous propose par conséquent de consacrer dans la Constitution la nature parlementaire de la commission chargée de donner son avis sur certaines nominations.
Le renvoi à une loi organique du soin de préciser la composition de la commission mixte et les modalités selon lesquelles les avis seront rendus laisse ouvertes plusieurs possibilités, de nature sensiblement différente, tant sur la composition que sur les modalités de fonctionnement de la commission.
Sa composition est une question importante, dans la mesure où il convient d’assurer une représentation équilibrée à la fois des deux chambres et des différents groupes politiques de chaque chambre.
À l’inverse des commissions chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion après une ou deux lectures, qui sont explicitement désignées par le constituant du terme de « commission mixte paritaire » (CMP) dans l’article 45 de la Constitution, la commission chargée de donner son avis sur les nominations à certains emplois n’est pas qualifiée de paritaire par le présent projet de loi. Le législateur organique ne sera donc a priori pas tenu d’établir une parité stricte entre les membres de la commission désignés par l’Assemblée nationale et ceux désignés par le Sénat. Il lui sera loisible de prévoir une représentation différente de chacune des deux assemblées. Toutefois, la loi organique pourra être considérée comme une loi relative à l’organisation du Sénat, qui devra donc être adoptée en des termes conformes par les deux assemblées, et cet aspect ne devrait pas être sans influence sur l’équilibre qui pourrait être instauré au sein de la commission.
Le législateur organique devra préciser la représentation respective des différents groupes politiques des assemblées au sein de cette commission. Il serait possible de prévoir une représentation proportionnelle des différents groupes politiques, comme le propose le rapport du « comité Balladur » (279). Une autre solution pourrait toutefois consister à assurer une représentation équivalente des groupes appartenant à la majorité et des groupes appartenant à l’opposition.
Outre la question des équilibres politiques, se pose également celle du nombre de parlementaires devant composer la commission. En raison du caractère très diversifié des nominations au sujet desquelles la commission sera conduite à se prononcer, il serait préférable que les candidats soient auditionnés par des parlementaires suivant plus particulièrement le domaine d’activité concerné.
Afin de permettre à des parlementaires plus particulièrement compétents dans chacun des principaux domaines concernés (justice et libertés publiques, vie économique et financière, vie sociale) d’être présents au sein de la commission des nominations, trois solutions semblent pouvoir s’offrir :
— prévoir une commission composée d’une soixantaine de membres, de telle sorte que des parlementaires experts dans tous les domaines où doivent être rendus des avis sur des nominations puissent être membres de la commission ;
— prévoir une commission à effectif restreint, mais pouvant siéger dans différentes formations, composées différemment, selon les nominations pour lesquelles son avis serait sollicité (280) ;
— prévoir une réunion des commissions permanentes compétentes des deux assemblées.
Seules la première et la troisième solutions offriraient l’avantage de permettre plus aisément à l’ensemble des groupes politiques de chacune des deux assemblées d’être représentés au sein de la commission. En outre, de nombreux arguments plaident en faveur de la troisième solution.
Depuis quelque temps, le législateur français a adopté des dispositions prévoyant la consultation des commissions permanentes de chaque assemblée compétentes sur le fond avant la nomination de certains membres d’AAI :
— celle du président de la Commission de régulation de l’énergie, nommé après avis des commissions des Affaires économiques des deux assemblées (article 5 de la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l’énergie) ;
— celle du président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, nommé après avis des commissions des Affaires économiques des deux assemblées (article 17 de la loi n° 2007-309 du 5 mars 2007 relative à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur) ;
— celle du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, nommé après avis des commissions des Lois des deux assemblées (article 2 de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté).
Les exemples étrangers en matière de consultation préalable à certaines nominations par l’exécutif plaident également en ce sens. Aux États-Unis où le Sénat est amené à se prononcer sur de nombreuses nominations effectuées par le Président des États-Unis, les auditions sont effectuées par les commissions permanentes compétentes. Au Royaume-Uni, où une procédure d’audition préalable à la nomination est en train d’être mise en place, il est envisagé de confier cette tâche aux commissions permanentes (281).
Dans un récent rapport du sénateur Patrice Gélard au nom de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation, il était recommandé que les AAI publient chaque année un rapport adressé aux présidents des deux assemblées et aux présidents des commissions parlementaires compétentes et que ces commissions procèdent à l’audition de chaque AAI après publication de leur rapport annuel (282). Ces recommandations invitent à prévoir que les commissions compétentes auditionnent la ou les personnes pressenties pour être désignées à la présidence des AAI.
Lors des auditions menées par le rapporteur, le professeur Jean-Claude Colliard a également recommandé de confier aux commissions permanentes le soin de se prononcer sur les nominations.
Le rapporteur vous propose par conséquent de prévoir dans la Constitution que l’avis sera rendu par la réunion des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée. La réunion comprendra par conséquent les députés et les sénateurs compétents et intéressés par la nomination envisagée, et le caractère bicaméral de cette réunion permettra d’obtenir un avis unique sur les nominations, et non deux avis pouvant être divergents (283).
Les pouvoirs dont disposera la commission devront être définis par le législateur organique. Il importe que cette commission bénéficie de tous les moyens nécessaires pour évaluer au mieux les projets de nomination qui lui seront soumis. De ce point de vue, il pourrait sembler satisfaisant d’accorder à cette commission, ou au membre de la commission chargé de rapporter la proposition de nomination, des pouvoirs équivalents à ceux d’une commission d’enquête (investigations sur pièces et sur place, communication de tous documents d’ordre financier et administratif, possibilité de convoquer en audition contraignante, prestation de serment des personnes auditionnées).
En effet, ces moyens permettraient à la commission de disposer de toutes les informations relatives aux candidats qui lui seront présentés et de se forger ainsi une opinion pertinente et avertie en toute connaissance de cause. Toutefois, ces pouvoirs ne pourraient lui être confiés que dans l’hypothèse où elle aurait la nature d’une commission parlementaire. C’est une raison supplémentaire qui plaide en faveur de la reconnaissance de la nature parlementaire de cette commission dans la Constitution.
La loi organique devrait d’autre part préciser, d’après l’exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle, que les avis de la commission parlementaire devront être précédés d’une audition. La question de la publicité de ces auditions ne manquera pas de se poser. Cette publicité s’inscrirait dans la démarche actuelle, qui consiste à développer, dans toute la mesure du possible, la publicité des auditions des commissions instituées au sein de chaque assemblée. Mais, si l’on se réfère à l’exemple américain, la consultation des commissions du Sénat avant la nomination à certains emplois publics par le Président des États-Unis n’a pas toujours pris la forme de « public hearings ». Par exemple, le Senate Judiciary Committee n’a procédé à des auditions publiques pour la nomination des juges à la Cour suprême qu’à compter de 1916 (pour la nomination de Louis Brandeis).
Même si la loi organique affirmait le principe de la publicité des auditions, il conviendrait de permettre à la commission de travailler dans certains cas à huis clos, notamment lorsque les informations pouvant être échangées lors de l’audition pourraient concerner des domaines protégés par le secret professionnel ou par le secret défense.
La commission devra rendre un avis sur chacune des propositions de nomination qui lui sera soumise.
Dans la mesure où la modification constitutionnelle qui est proposée a pour objet de renforcer la transparence et le caractère démocratique des nominations à certains emplois, il pourrait sembler préférable que l’avis soit systématiquement rendu public, même dans l’hypothèse d’une réunion et d’un travail à huis clos de la commission. Le rapporteur vous propose par conséquent de mentionner explicitement dans la Constitution le caractère public de l’avis rendu par la commission.
Les conditions de majorité applicables aux délibérations de la commission devront être fixées par la loi organique. Le choix d’une majorité qualifiée permettrait de donner à l’avis adopté par la commission une plus grande portée. Toutefois, comme l’a fait observer le professeur Guy Carcassonne lors de son audition par le rapporteur, l’exigence d’une majorité qualifiée pourrait créer une hyper-politisation des nominations. Aussi recommandait-il de ne prévoir une majorité qualifiée que dans l’hypothèse où cette majorité serait exigée pour émettre un veto à l’encontre d’une nomination.
La question de la présentation formelle de l’avis est également importante. Cet avis pourrait en effet être un avis circonstancié, prenant la forme d’un rapport plus ou moins développé, auquel serait annexé le compte rendu de l’audition. Ainsi, au Royaume-Uni où, depuis 1998, la commission du Trésor de la Chambre des communes, de sa propre initiative, auditionne les personnalités nommées au comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre (284), le rapport relatif à chaque audition résume les sujets qui ont été abordés lors de l’audition et comprend en annexe le curriculum vitae de la personne auditionnée ainsi que les réponses au questionnaire qui lui a été adressé par la commission (285). L’avis pourrait au contraire prendre la forme beaucoup plus brève d’une simple décision, qui ne serait accompagnée d’aucun commentaire.
Il conviendra enfin de préciser les conséquences de l’avis de la commission. Le fait que le texte proposé pour le nouvel alinéa de l’article 13 ne mentionne que le terme d’« avis », et non celui d’« avis conforme », implique qu’en aucun cas cet avis ne pourra lier l’autorité procédant à la nomination (286).
À défaut du caractère contraignant de l’avis rendu par la commission parlementaire, sa publicité systématique devrait permettre de rendre malaisée, voire en pratique impossible, une nomination allant à l’encontre de cet avis (287). Comme le reconnaît le professeur Dominique Rousseau : « il sera toujours difficile de confirmer la nomination d’un candidat qui, après une audition publique " compliquée ", aura reçu un avis négatif. Ce pouvoir de contrôle parlementaire est donc réel et redoutable s’il se développe sur le modèle des auditions publiques du Congrès américain devant lesquelles nombre de propositions présidentielles échouent. » (288)
Se pose toutefois la question de la possibilité de prévoir un avis plus contraignant. Le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, avait d’ailleurs envisagé une telle hypothèse lors de la campagne présidentielle précédant son élection : « Je veux que les nominations aux fonctions les plus importantes de l’État se fassent sur des critères de compétences et de hauteur de vue, et non pas sur des critères de proximité avec le pouvoir politique en place. Les candidats à ces nominations seront auditionnés publiquement par le Parlement et celui-ci pourra mettre son veto à leur nomination. » (289)
Si, dans plusieurs pays, la nomination à certains emplois par le pouvoir exécutif est soumise à un avis préalable du Parlement, cet avis est parfois un avis contraignant. Aux États-Unis, le Sénat est chargé d’examiner les propositions de nominations qui lui sont soumises par le Président et son avis lie le pouvoir exécutif. Le caractère contraignant de ces avis, qui sont émis par le Sénat à la majorité simple (y compris pour la nomination des juges à la Cour suprême), est prévu par le texte constitutionnel (290). En Espagne, le Conseil de sécurité nucléaire est composé d’un président et de quatre conseillers, qui sont nommés par le Gouvernement après consultation de la commission de l’Industrie, du tourisme et du commerce du Congrès des Députés. La commission parlementaire a le pouvoir de rejeter les candidats à une majorité des trois cinquièmes de ses membres.
Le rapporteur vous propose pour cette raison de prévoir, dans la Constitution, que la commission pourra émettre un avis défavorable, à une majorité qualifiée correspondant aux trois cinquièmes des suffrages exprimés, à l’encontre d’une nomination. Cet avis défavorable lierait le Président de la République, qui ne pourrait procéder à la nomination envisagée. L’exigence d’une majorité qualifiée des trois cinquièmes pour émettre un avis défavorable permettra de s’assurer que cet avis fait l’objet d’un consensus qui dépasse l’appartenance politique des membres de la commission et justifie par conséquent ses effets contraignants sur la nomination envisagée par le Président de la République. Il s’agirait en somme d’empêcher ce que l’on pourrait qualifier d’erreur manifeste de nomination.
Dans la mesure où l’avis que devra rendre la commission sera une formalité substantielle dont l’absence de respect pourrait entacher de nullité l’acte de nomination, il conviendra sans doute d’imposer à la commission un délai au-delà duquel l’absence d’avis sera réputée être un avis positif tacite. Ce délai devra assurer l’équilibre nécessaire entre l’impératif de continuité du service public, qui peut dans certains cas exiger une nomination dans des délais brefs, et le besoin d’un temps d’examen approfondi des propositions soumises à l’avis de la commission.
Enfin, l’article 34 du projet de loi prévoit une entrée en vigueur de la nouvelle procédure dans les conditions qui seront fixées par la loi organique nécessaire à son application (291). Cette adaptation qui s’impose permettra également au législateur de prendre en compte le fait que certaines nominations interviennent à l’heure actuelle après l’avis de la commission permanente compétente dans chacune des deux assemblées et de prévoir une transition entre le mode actuel de désignation et la nouvelle procédure.
La Commission a rejeté un amendement de M. Noël Mamère précisant que la commission parlementaire chargée de donner un avis sur les nominations est composée à la proportionnelle des groupes politiques du Parlement et peut organiser des auditions publiques des candidats à ces emplois.
Après que M. Jean-Christophe Lagarde a retiré un amendement subordonnant les nominations à un avis favorable des membres des commissions permanentes compétentes des deux assemblées, à la majorité des trois cinquièmes, la Commission a été saisie d’un amendement du même auteur requérant un avis conforme rendu à la majorité des membres des commissions permanentes. Son auteur a souhaité que le Parlement ne soit pas simplement consulté sur les nominations, mais puisse s’opposer à une nomination jugée illégitime et que ce pouvoir soit confié aux commissions permanentes plutôt qu’à une commission ad hoc. Il a ajouté que la formation rassemblant les membres des commissions permanentes des deux assemblées ne devait pas être paritaire, compte tenu de la différence de représentativité entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Il s’est enfin étonné que l’avis du Parlement soit requis pour les emplois civils et militaires de l’État. Le rapporteur ayant précisé que seuls seraient concernés les membres des autorités administratives indépendantes et la présidence d’entreprises publiques et ayant émis un avis défavorable, la Commission a rejeté cet amendement.
La Commission a ensuite adopté un amendement du rapporteur prévoyant que la nomination à certaines fonctions, et non seulement à certains emplois, est soumise à l’avis du Parlement (amendement n° 44).
La Commission a été saisie d’un amendement de M. Arnaud Montebourg soumettant à l’avis du Parlement les nominations à des emplois de direction des autorités de régulation, son auteur ayant estimé que les nominations de membres d’autorités indépendantes du Gouvernement doivent être soumises à cette procédure, à la différence des emplois d’exécution de la politique du Gouvernement tels ceux de préfet ou de recteur. Le rapporteur ayant indiqué que l’amendement précédemment adopté inclut les membres des autorités administratives indépendantes, dont la liste sera établie par une loi organique, M. Arnaud Montebourg a retiré cet amendement.
Puis la Commission a été saisie d’un amendement du rapporteur prévoyant que l’avis de la commission parlementaire est rendu public. En réponse à M. Arnaud Montebourg, qui a souhaité connaître la composition de la commission et la portée de son avis, le rapporteur a indiqué qu’il proposerait un amendement prévoyant que l’avis est rendu par les deux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat, sous réserve des précisions qui seront apportées par la loi, et un amendement interdisant de procéder à une nomination lorsque la commission a rendu un avis défavorable à la majorité des trois cinquièmes. La Commission a adopté cet amendement (amendement n° 45).
La Commission a ensuite adopté un amendement du rapporteur prévoyant que l’avis est rendu par la réunion des deux commissions permanentes compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat (amendement n° 46). En conséquence, un amendement de M. Arnaud Montebourg définissant la composition de la commission et un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde exigeant un avis conforme de celle-ci sont devenus sans objet.
La Commission a adopté un amendement du rapporteur précisant que le Président de la République ne pourra pas procéder à une nomination lorsque la réunion des commissions permanentes compétentes aura émis un avis négatif à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (amendement n° 47).
Elle a ensuite adopté un amendement du même auteur prévoyant que la loi détermine les commissions permanentes compétentes selon les emplois ou fonctions concernés ainsi que les modalités selon lesquelles les avis sont rendus (amendement n° 48). En conséquence, la Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde supprimant le recours à une loi organique pour déterminer la composition de la commission constituée de membres des deux assemblées du Parlement.
La commission a adopté l’article 4 ainsi modifié.
Article 5
(art. 16 de la Constitution)
Contrôle du Conseil constitutionnel sur les conditions
de mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels
Cet article reprend une proposition émise par le « comité Balladur » visant à renforcer les mécanismes de contrôle en cas de mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution. Il prévoit la possibilité pour les parlementaires, au-delà d’une durée de trente jours d’application des pouvoirs exceptionnels, de saisir le Conseil constitutionnel aux fins de vérifier que les conditions de mise en œuvre de ces pouvoirs sont toujours réunies. Au-delà de soixante jours, le Conseil constitutionnel pourrait se prononcer à tout moment de sa propre initiative.
L’article 16 de la Constitution de 1958, dont on a pu dire qu’il constituait « une sorte de " Constitution de réserve " » (292), permet au Président de la République, « lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu », de prendre « les mesures exigées par les circonstances ». Pour la doctrine, cet article serait le corollaire ou le prolongement pour le temps de crise de l’article 5, qui prévoit que le Président de la République assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État.
Sa mise en œuvre obéit à des conditions de fond et de forme. Les conditions de fond sont au nombre de deux et sont cumulatives : d’une part, une menace grave et immédiate sur les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux ; d’autre part, une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. À ces conditions s’ajoutent des conditions de forme, le Président de la République devant consulter officiellement le Premier ministre, le Président de l’Assemblée nationale, celui du Sénat ainsi que le Conseil constitutionnel. Il doit ensuite informer la Nation de sa décision par un message.
Seule la consultation du Conseil constitutionnel donne lieu à un avis motivé et publié, comme le prévoit l’article 53 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 (293). Le Président de la République n’est aucunement lié par le résultat des consultations auxquelles il est tenu de procéder, mais le désaccord public du juge constitutionnel ou de l’une des autorités consultées le mettrait dans une position très difficile.
La décision finale de recourir à l’article 16 ne dépend que de lui. Elle est dispensée de tout contreseing. Elle n’est susceptible d’aucun recours, le Conseil d’État ayant jugé que « cette décision présente le caractère d’un acte de gouvernement dont il n’appartient au Conseil d’État ni d’apprécier la légalité, ni de contrôler la durée d’application » (294).
Le Conseil constitutionnel doit également être consulté sur chacune des mesures prises dans le cadre de l’article 16, mais son avis n’est pas publié. La mise en application de l’article 16 a pour effet d’habiliter le Président de la République à intervenir dans les domaines législatifs et réglementaires. Ces mesures peuvent être soumises au juge administratif ; celui-ci n’exerce toutefois de contrôle que sur celles de leurs dispositions qui ont, en période normale, un caractère réglementaire. Celles qui sont de nature législative bénéficient d’une sorte d’immunité juridictionnelle, que seul tempère l’avis préalable du Conseil constitutionnel. Si les décisions prises par le Président de la République en vertu de l’article 16 échappent le plus souvent au contrôle du juge, les mesures individuelles d’application de ces décisions, en revanche, sont de simples actes administratifs contre lesquels le recours pour excès de pouvoir est recevable (295).
Pendant toute la durée d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Parlement se réunit de plein droit et l’Assemblée nationale ne peut être dissoute. Les assemblées ne peuvent cependant pas exercer la plénitude de leurs prérogatives, les décisions du Président de la République pouvant intervenir dans le domaine législatif.
Si le Président de la République outrepassait ses droits, soit en ayant recours à l’article 16 alors que les circonstances ne le justifient pas, soit par le contenu des décisions prises en application de cet article, le seul contrôle serait un contrôle politique :
— par le Parlement, l’article 68 de la Constitution permettant la destitution du Président « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Une solution moins radicale pourrait être la censure du Gouvernement lorsque prend fin la mise en œuvre de l’article 16 ;
— par le peuple, contraignant le chef de l’État à la démission, soit par un désaveu indirect lors de consultations électorales, soit par des manifestations de rue.
Comme le souligne M. Guy Carcassonne, « on objectera que cette garantie est théorique. Certes, mais dans l’exacte mesure où elle répond elle-même à une hypothèse d’école. » (296)
Le « comité Balladur » a estimé qu’il n’existait pas de raisons suffisantes pour revenir sur l’existence même de ces dispositions, « la diversité des menaces potentielles qui pèsent sur la sécurité nationale à l’ère du terrorisme mondialisé justifiant le maintien de dispositions d’exceptions ». Il rejoint en cela l’analyse faite par le Conseil d’État en 1993, lorsqu’il jugeait que « son abrogation pure et simple priverait le Président de la République, dans des circonstances exceptionnelles dont on ne peut exclure l’éventualité, des moyens appropriés de remplir les obligations qui lui incombent, en vertu de l’article 5, d’assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’État. » Le « comité Vedel », institué par François Mitterrand en 1992, n’avait pas non plus jugé opportun de modifier les conditions d’application de l’article 16, ni les pouvoirs que cet article reconnaît au Président de la République.
Les pouvoirs exceptionnels prévus par l’article 16 n’ont été mis en œuvre qu’une seule fois, du 23 avril au 29 septembre 1961, pour faire face à une rébellion militaire qui venait d’éclater en Algérie.
Au cours de cette période, le Président de la République a pris dix-huit décisions sur le fondement de l’article 16, le plus souvent dans des matières relevant du domaine législatif. Ces décisions ont notamment eu pour objet de proroger l’état d’urgence, révoquer des fonctionnaires ayant participé au putsch, prolonger le délai des gardes à vue, mettre en congé spécial et radier des cadres des personnels militaires et des fonctionnaires de police, interdire certains écrits et publications, instituer un Haut Tribunal militaire (qui a prononcé vingt-trois condamnations dont plusieurs à la peine capitale par contumace) et un tribunal militaire.
Le quatrième alinéa de l’article 16 dispose que le Parlement se réunit de plein droit mais ne donne aucune indication sur les pouvoirs dont il dispose pendant cette période. En 1961, le Président de la République et le Président de l’Assemblée nationale ont tenté de combler cette lacune en interprétant la Constitution, dans un sens extrêmement restrictif. Les règles qu’ils ont édictées conduisent à distinguer selon que le Parlement est en session ordinaire ou non :
— en session ordinaire, il résulte du message du Président de la République au Parlement du 25 avril 1961 que « la mise en œuvre de l’article 16 ne saurait modifier les activités du Parlement : exercice du pouvoir législatif et de contrôle », mais avec une réserve importante : « pour autant qu’il ne s’agisse pas de mesures prises ou à prendre en vertu de l’article 16 » ;
— en session « spéciale », le Parlement ne peut ni légiférer, ni adopter une motion de censure contre le Gouvernement, en application d’une lettre du Président de la République au Premier ministre du 31 avril 1961 et d’une décision du Président de l’Assemblée nationale du 19 septembre 1961.
Si le Parlement se réunit de plein droit, ses capacités d’action sont ainsi réduites. On notera toutefois que, dans l’hypothèse où l’article 16 serait à nouveau mis en œuvre, ce qu’une interprétation a imposé hier, une autre interprétation pourrait le changer demain. De plus, l’instauration de la session unique en 1995 atténuerait les effets de la distinction entre session ordinaire et session « spéciale ».
Le principal reproche formulé lors de cette période a porté sur la durée pendant laquelle les pouvoirs exceptionnels ont été appliqués, puisque ce n’est que le 29 septembre que le Président a décidé de mettre fin à leur application, alors que le putsch s’est terminé dès le soir du 25 avril, avec la reddition de la plupart de ses auteurs. Le maintien en vigueur des pouvoirs exceptionnels a été jugé par la majorité des hommes politiques et de la doctrine comme discutable. Léon Noël, Président du Conseil constitutionnel de 1959 à 1965, a ainsi considéré que « de toute évidence, les conditions avaient, très rapidement, cessé d’être réunies puisque nul n’aurait pu prétendre que " le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels " était " interrompu " » (297), avant d’ajouter : « L’expérience faite a prouvé que l’article 16 comporte une lacune grave et essentielle et qu’il serait sage de combler lors d’une remise sur le chantier de la Constitution : si ce texte précise clairement dans quels cas il peut être utilisé, rien n’est prévu quant à la cessation de son application. »
Le précédent de 1961 a donc mis en évidence la nécessité de mieux encadrer la durée d’application des pouvoirs exceptionnels, suscitant dans les années qui ont suivi le dépôt de plusieurs propositions de loi. Elles visaient à encadrer le pouvoir d’appréciation du Président de la République :
— soit en limitant la durée des pouvoirs exceptionnels à quatre-vingt dix jours (298) ou à quatre-vingt dix jours au cas où le Parlement peut siéger régulièrement (299) ;
— soit en accordant au Conseil constitutionnel ou à une « Cour suprême » le pouvoir de mettre fin à l’application de l’article 16 passé un délai de trente jours (300) ou si les circonstances qui ont justifié sa mise en œuvre ne sont plus réunies (301).
Le « comité Vedel » avait également proposé que le Conseil constitutionnel puisse « constater, soit à l’initiative du Président de la République, soit à la demande conjointe du Président du Sénat et du Président de l’Assemblée nationale, que les conditions exigées (…) ne sont plus réunies » et préciser « à partir de quelle date chacune des mesures prises (…) ne pourra plus être mise en œuvre ».
C’est la même volonté de tempérer les pouvoirs exceptionnels du Président de la République qui a poussé le « comité Balladur » à proposer un contrôle en trois temps, qui associe les parlementaires et le Conseil constitutionnel. C’est ce dispositif qui est repris par le présent projet de loi constitutionnelle.
Après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, ce délai courant à compter du message du Président de la République prévu au deuxième alinéa de l’article 16, le Conseil constitutionnel pourrait être saisi par le Président de l’Assemblée nationale, le Président du Sénat, soixante députés ou soixante sénateurs pour apprécier si les conditions de mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels demeurent réunies.
Il lui appartiendrait de vérifier si, d’une part, les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont toujours menacées d’une manière grave et immédiate et si, d’autre part, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels n’a pas été rétabli. Rien ne semble s’opposer à la possibilité pour les parlementaires de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel s’ils estiment que les circonstances ont évolué depuis une précédente décision.
Le Conseil se prononcerait dans les délais les plus brefs par un avis public, comme c’est le cas dans le cadre des consultations préalables au déclenchement des pouvoirs exceptionnels. Le « comité Vedel » avait proposé que le Conseil constitutionnel, saisi conjointement par le Président de l’Assemblée nationale et le Président du Sénat, puisse constater que les conditions exigées pour la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels ne sont plus réunies et préciser à partir de quelle date chacune des mesures prises ne pourra plus être appliquée. Cette solution conduisait à conférer au Conseil constitutionnel un pouvoir excessif et ne correspondait pas à l’esprit de l’article 16. Comme le soulignait Raymond Janot, commissaire du gouvernement, devant le comité consultatif constitutionnel, le 31 juillet 1958 : « L’appréciation de la menace qui pèse sur les institutions, sur l’indépendance de la Nation, etc., c’est une appréciation qui n’a pas uniquement un caractère juridique. Il est essentiel que l’aspect juridique soit envisagé, mais le droit, à lui seul, est impuissant pour porter un jugement de cette nature. »
La menace ne peut pas être constatée objectivement sur la base de conditions mentionnées dans un texte. Les raisons qui avaient conduit le constituant de 1958 à refuser que la mise en œuvre des pouvoirs exceptionnels du Président de la République soit soumise à l’avis conforme du Conseil constitutionnel conduisent aujourd’hui à préférer la solution d’un avis, qui ne lie pas le Président de la République. La publicité expresse de cet avis lui donne cependant un effet dissuasif certain.
Après soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel rendrait un nouvel avis ou procéderait à cet examen pour la première fois s’il n’avait pas été saisi par des parlementaires avant l’expiration de ce délai.
Enfin, au-delà du délai de soixante jours, le Conseil constitutionnel pourrait se prononcer de sa propre initiative, à tout moment, s’il estimait que les conditions n’étaient plus réunies. Cette solution avait, d’une certaine manière, été envisagée par le Conseil constitutionnel en 1961 : Léon Noël aurait attiré l’attention du Premier ministre, Georges Pompidou, sur le risque de voir le Conseil constitutionnel se prononcer contre l’application prolongée de l’article 16 « dans quelque avis dont le sens ne manquerait pas d’être connu au dehors ».
La Commission a examiné trois amendements tendant à supprimer l’article 16 de la Constitution le premier de M. Noël Mamère, le deuxième de M. Jean-Claude Sandrier et le troisième de M. Arnaud Montebourg, qui a précisé que cet article portait atteinte au principe de séparation des pouvoirs. Après avoir rappelé que la IIIe République avait pu conduire la Première guerre mondiale avec un débat parlementaire permanent, il a estimé que l’article 16 de la Constitution n’était que le remède à certains problèmes de la IVe République, devenu aujourd’hui sans objet. Il a ajouté que les législations relatives à l’état d’urgence et à l’état de siège permettaient de répondre aux situations de crise sans qu’il soit besoin de concentrer tous les pouvoirs dans les mains d’une seule personne, situation qu’il a jugée inutile et dangereuse.
M. Guénhaël Huet a souligné que la Constitution devait prévoir toutes les situations possibles. Il a jugé que l’argument selon lequel ce dispositif n’avait été mis en œuvre qu’une fois ne suffisait pas à démontrer son inutilité. Il a indiqué que si ce dispositif était effectivement une entorse au principe de séparation des pouvoirs, il a observé que celle-ci était très encadrée et que son caractère très exceptionnel renforçait le principe même de séparation des pouvoirs.
M. Claude Goasguen a rappelé que la France avait connu, dans le passé, des mutations constitutionnelles violentes. Il a donc jugé que l’article 16 de la Constitution demeurait pertinent, d’autant plus qu’il sera désormais mieux encadré.
Le rapporteur ayant émis un avis défavorable à ces trois amendements, notamment parce que l’encadrement de la mise en œuvre de l’article 16 de la Constitution était renforcé, la Commission les a rejetés.
Elle a ensuite rejeté un amendement de M. Noël Mamère soumettant le recours à l’article 16 de la Constitution à un contrôle plus strict du Parlement et un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde étendant la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel aux groupes parlementaires après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels.
La Commission a ensuite adopté l’article 5 sans modification.
Article 6
(art. 17 de la Constitution)
Droit de grâce
Droit d’origine régalienne, le droit de grâce du Président de la République fait l’objet de critiques, tenant principalement à l’usage excessif qui a pu être fait des grâces collectives. Le présent article propose de limiter ce droit aux seules grâces individuelles et de l’encadrer par l’avis d’une commission spécialisée.
Le droit de grâce permet au chef de l’État de dispenser un condamné d’exécuter une peine, de quelque nature qu’elle soit, prononcée par une juridiction judiciaire. Ce droit était à l’origine une prérogative royale et la traduction des liens historiques entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Il fut, pour cette raison, supprimé par le code pénal de 1791, avant que la Constitution du 16 thermidor an X ne le rétablisse. Depuis lors, toutes les Constitutions ont mentionné le droit de grâce du chef de l’État, le subordonnant parfois à une consultation préalable (302), mentionnant dans le même temps le droit d’amnistie confié au pouvoir législatif.
L’article 17 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoyait dans un premier temps que l’exercice du droit de grâce par le Président de la République était précédé d’un avis du CSM. L’ordonnance du 22 décembre 1958 relative au CSM (303) atténuait toutefois la portée de cette consultation préalable du CSM, en n’imposant au Président de la République de ne solliciter cet avis que dans le cas où la personne graciée avait été condamnée à mort (304). En outre, l’avis émis par le CSM n’avait en tout état de cause qu’un caractère consultatif, non susceptible de lier la décision présidentielle.
Les Présidents de la Ve République, lorsqu’ils usèrent du droit de grâce pour des condamnations à mort furent donc conduits à consulter le CSM. La combinaison de la suppression de la peine de mort et de l’absence de consultation effective du CSM avant d’accorder les autres types de grâces conduisit, lors de la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993 (305), à supprimer la mention de l’avis du CSM dans l’article 17 de la Constitution (306).
Les questions que pose le droit de grâce sont d’une part celle de sa compatibilité avec le principe de la séparation des pouvoirs, et d’autre part celle de l’usage excessif qui peut en être fait par un recours trop fréquent aux décrets de grâce collective.
Le chef de l’État avait gracié, le 15 septembre 1988, deux élus de La Réunion condamnés à l’interdiction d’exercer toute fonction élective, après que le Conseil constitutionnel avait censuré une disposition de la loi d’amnistie spécialement votée à leur intention (307). Cet usage politique du droit de grâce suscita des critiques et conduisit le garde des Sceaux de l’époque à préciser, en réponse à une question parlementaire, qu’« aucun texte ne limite le droit de grâce du Président de la République, qui apprécie souverainement l’opportunité d’accorder ou de ne pas accorder une grâce. Nul ne peut lui demander compte de l’usage qu’il fait de cette prérogative qu’il tient de la Constitution. » (308) Cette réponse affirme clairement le caractère discrétionnaire du droit de grâce. En outre, les décrets de grâce du Président de la République ne sont jamais publiés au Journal officiel (309) et ne peuvent faire l’objet d’aucun recours contentieux (310). Le bénéfice de la grâce est irrévocable et ne peut être refusé par la personne graciée. Le droit de grâce, discrétionnaire, confidentiel, incontestable, pourrait dès lors apparaître comme une sorte de remise en cause des décisions de justice et une entorse au principe de la séparation des pouvoirs.
Néanmoins, si le chef de l’État peut intervenir dans le cours de la justice, par l’usage du droit de grâce, le législateur peut faire de même, par le vote de lois d’amnistie. Par la grâce qu’il accorde, le chef de l’État libère le condamné de tout ou partie de la peine prononcée. Mais, à l’inverse de l’amnistie, la grâce n’efface pas la condamnation qui subsiste et continue de produire tous ses effets, quant au casier judiciaire, à la condamnation en cas de récidive et aux incapacités juridiques attachées à la peine. Comme l’énonce l’article 133-7 du code pénal : « la grâce emporte seulement dispense d’exécuter la peine ». En ce sens, le droit de grâce est moins une remise en cause des décisions de justice qu’une manifestation de la magnanimité du chef de l’État.
Les recours en grâce, qui sont présentés par les personnes condamnées, sont centralisés et instruits à la Chancellerie par le bureau des grâces. Cette instruction permet de recueillir des renseignements complémentaires auprès du ministère public et de sélectionner les recours méritant de retenir l’attention du chef de l’État (311). En ce sens, une modulation est apportée au caractère exclusif de cette prérogative du chef de l’État.
Le débat principal concernant l’usage du droit de grâce porte toutefois sur les grâces collectives, qui ont pu apparaître récemment comme une forme dévoyée et excessive du droit de grâce. Les grâces collectives bénéficient à toute une catégorie de personnes condamnées auxquels il est accordé une remise d’un quantum de peine. À l’inverse des grâces individuelles, qui concernent tous types de peine, les grâces collectives ne concernent que les peines privatives de liberté (312). La pratique des grâces collectives, abandonnée durant les premières décennies de la Ve République, s’est développée à nouveau à compter de 1974 (313), pour atteindre une périodicité annuelle à compter de 1988 (314). Or, ce développement a suscité un certain nombre de critiques et créé un certain nombre de problèmes.
LES GRÂCES COLLECTIVES ACCORDÉES DEPUIS 1980 | ||||
Décret de grâce |
Quantum de la remise de peine |
Plafond de la remise de peine |
Plafond de la remise de peine pour les condamnés non incarcérés |
Nombre de personnes libérées par anticipation dans le premier mois |
14 juillet 1980 |
15 jours + 15 jours sur décision du juge de l’application des peines (JAP) |
– |
– |
Non renseigné |
9 juillet 1981 |
De 3 à 6 mois, selon la durée de la peine |
– |
– |
5 000 |
13 juillet 1985 |
1 mois + 1 mois sur décision du JAP |
– |
– |
2 763 |
17 juin 1988 |
7 jours par mois |
4 mois |
1 mois |
2 863 |
13 juin 1989 |
10 jours par mois |
9 mois |
4 mois |
3 091 |
4 juillet 1991 |
10 jours par mois |
9 mois |
– |
5 000 |
2 juillet 1992 |
10 jours par mois |
6 mois |
3 mois |
6 362 |
13 juillet 1993 |
5 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
3 571 |
13 juillet 1994 |
5 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
4 112 |
10 juillet 1995 |
7 jours par mois |
4 mois |
– |
4 898 |
4 juillet 1996 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
4 450 |
11 juillet 1997 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
4 163 |
10 juillet 1998 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
3 637 |
9 juillet 1999 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
3 570 |
16 décembre 1999 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
Non renseigné |
11 juillet 2000 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
3 194 |
10 juillet 2001 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
3 473 |
10 juillet 2002 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
3 502 |
9 juillet 2003 |
7 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
4 160 |
9 juillet 2004 |
15 jours par mois |
4 mois |
2 mois |
7 911 |
12 juillet 2005 |
15 jours par mois |
4 mois |
1 mois |
5 030 |
11 juillet 2006 |
15 jours par mois |
4 mois |
– |
4 015 |
Sources : Mme Marie-Hélène Renaut, « Le droit de grâce doit-il disparaître ? », in Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1996, n° 3 ; M. Jean Dante, Mme Sylvie Grunvald, Mme Martine Herzog-Evans et M. Yvon Le Gall, Prescription, amnistie et grâce en France, Paris, Dalloz, 2008 ; direction de l’administration pénitentiaire. |
La grâce collective entre en contradiction avec l’objectif d’individualisation des peines : elle profite indifféremment à tous les condamnés (315), la seule limite étant les exceptions au bénéfice de la grâce qui sont énumérées par le décret de grâce. Ce dernier peut dès lors apparaître comme un simple outil de gestion de la population carcérale. L’Académie des sciences morales et politiques, qui, dans son avis du 14 avril 2008 sur l’avant-projet de révision, désapprouvait la suppression des grâces collectives, a d’ailleurs considéré « qu’il paraît nécessaire de maintenir (les grâces collectives) malgré leurs inconvénients, en raison de la surpopulation des établissements pénitentiaires ».
Traitant en apparence de la même manière l’ensemble des condamnés à une même peine, le décret de grâce collective engendre en fait des inégalités, selon la date de la condamnation ainsi que selon la date d’inscription d’une peine à l’écrou (316).
Enfin, les décrets de grâce collective ont soulevé un nombre croissant de difficultés juridiques, tenant à l’interprétation des exclusions de leur bénéfice et aux contestations de l’interprétation des circulaires d’application de ces décrets.
Aussi, Mme Marie-Hélène Renaut concluait en 1996 un article retraçant l’évolution de l’usage du droit de grâce en France par cette préconisation : « Le plus sage serait de revenir à une pratique modérée et exceptionnelle du droit de grâce en octroyant des grâces individuelles quand les motifs sont sérieux et abandonnant les grâces collectives » (317).
Par conséquent, la modification de l’article 17 de la Constitution s’impose. Il est nécessaire, afin de remédier aux dérives constatées ces dernières années, de conférer à nouveau au droit de grâce présidentiel un caractère d’exception, d’acte de clémence particulier.
Le présent article prévoit de manière très explicite que la grâce, qui répond à une demande individuelle du condamné, doit être accordée individuellement. Il empêchera par conséquent tout retour à la pratique des grâces collectives. Il devrait avoir pour conséquence une augmentation sensible du nombre de demandes de grâce individuelle.
Il est donc nécessaire que le Président de la République puisse bénéficier de l’avis éclairé d’une commission, afin de pouvoir ainsi traiter au mieux ces demandes de grâce individuelle (318). La nouvelle rédaction de l’article 17 de la Constitution prévoit la création d’une commission, dont la composition doit être déterminée par la loi, chargée d’émettre un avis sur chaque demande de grâce. La vertu de la consultation d’une « commission des grâces », qui consiste à ne pas faire apparaître la grâce comme le simple « fait du prince » et permet de mettre la décision présidentielle à l’abri de la critique et des soupçons de partialité, dépendra dans une large mesure des caractéristiques de cette commission. Il conviendra donc que le législateur veille attentivement à garantir l’indépendance de ses membres et le caractère impartial de ses travaux. La loi relative à cette commission devra par ailleurs préciser les conditions d’entrée en vigueur de l’article 17 de la Constitution dans sa nouvelle rédaction (319).
Le « comité Balladur » préconisait le rétablissement de l’avis du CSM sur la demande de grâce (320). Il pourrait en effet sembler que la consultation du CSM garantirait, plus efficacement que celle d’une commission créée ad hoc, l’association de l’autorité judiciaire à une décision émanant du pouvoir exécutif mais ayant des conséquences sur une chose jugée. Toutefois, dès lors que la composition de la « commission des grâces » assurera la présence de magistrats, il peut sembler préférable de ne pas confier au CSM une tâche supplémentaire qui alourdirait son fonctionnement et qui poserait le problème de la formation pertinente pour examiner les dossiers de demande de grâce.
Le maintien de la seule possibilité d’octroyer des grâces individuelles, combiné au rétablissement de l’avis d’une commission, permettra de donner à la grâce présidentielle à la fois tout son sens et sa juste mesure, sans que ce droit puisse être ainsi confondu avec le droit d’amnistie, qui appartient au législateur, ou avec les mesures de réductions de peine, décidées par les commissions d’application des peines, et sans qu’il puisse être détourné de sa fonction pour devenir un simple outil de gestion de la détention.
Après avoir rejeté un amendement de suppression de cet article de M. François Bayrou, la Commission a rejeté deux amendements de M. Jean-Christophe Lagarde et de M. Noël Mamère tendant à supprimer l’article 17 de la Constitution. Elle a ensuite rejeté deux amendements de M. Noël Mamère et de M. Jean-Christophe Lagarde conditionnant l’exercice du droit de grâce du Président de la République à un avis du Conseil supérieur de la magistrature.
La Commission a adopté l’article 6 sans modification.
Article 7
(art. 18 de la Constitution)
Déclaration du Président de la République au Parlement
Cet article modifie l’article 18 de la Constitution pour compléter la faculté offerte aujourd’hui au Président de la République de s’adresser par voie de message aux assemblées parlementaires par la possibilité pour lui de prendre directement la parole devant le Parlement réuni en Congrès ou bien devant une des deux assemblées, son allocution pouvant donner lieu à un débat sans vote.
Conçu comme un moyen de faciliter la collaboration entre les pouvoirs, institué en France dès 1791 (321), les modalités du droit de message du chef de l’État au Parlement ont varié en fonction du rôle assigné au chef de l’État. Dans la Constitution de 1848 apparaît la notion proprement dite de « message présidentiel ». Elle oblige le Président de la République à présenter « chaque année, par un message à l’Assemblée nationale, l’exposé de l’état général des affaires de la République », procédure dans laquelle il faut reconnaître l’influence des constituants américains de 1787.
L’interdiction de l’accès du Président de la République aux assemblées résulte d’un accident de l’histoire (322). La situation pouvait sembler d’autant plus paradoxale que le Président était, sous la IIIe République comme sous la IVe République, désigné par les assemblées elles-mêmes (323).
Avec la chute de l’Empire, les messages directement prononcés par le responsable de l’exécutif reprirent toute leur importance. Adolphe Thiers, alors chef du Pouvoir Exécutif, adressa lui-même plusieurs messages d’une grande portée.
Une première limitation fut ainsi timidement instituée par la loi du 31 août 1871, dite « Constitution Rivet ». Thiers, devenu Président de la République française, pouvait se faire entendre « toutes les fois qu’il le croit nécessaire », mais seulement « après avoir informé de son intention le Président de l’Assemblée ». Dans un de ses messages, celui du 13 novembre 1872, il se prononça en faveur de la République.
Ce message qui mécontenta la majorité conservatrice entraîna le vote de la loi du 13 mars 1873 qui réglementa restrictivement le droit de message. Désormais, en vertu de l’article 1er : « Le Président de la République communique avec l’Assemblée par des messages qui, à l’exception de ceux par lesquels s’ouvrent les sessions, sont lus à la tribune par un ministre ». Thiers n’est pas dupe, il tempête contre les « chinoiseries » imposées et regrette qu’on veuille faire de lui « un porc à l’engrais dans la Préfecture de Versailles » ou encore un « eunuque politique » ! Dès le 24 mars 1873, il était renversé et remplacé par Mac-Mahon. Ainsi, c’est parce que Thiers était devenu républicain que la majorité monarchiste l’écarta de la salle des séances.
Les lois constitutionnelles de 1875, tout en reconnaissant le droit de message du Président de la République, l’assortirent de formalités destinées à le restreindre. L’article 6 de la loi du 16 juillet 1875 sur les rapports des pouvoirs publics précisait ainsi que « le Président de la République communique avec les chambres par des messages qui sont lus à la tribune par un ministre ». Tous les Présidents de la IIIe République usèrent de ce droit, six d’entre eux une fois, sept d’entre eux plusieurs fois. Lebrun fut le dernier Président à adresser un message le 2 septembre 1939, lors de l’entrée en guerre de la France.
Sous la IVe République, l’article 37 de la Constitution disposait que « le Président de la République communique avec le Parlement par des messages adressés à l’Assemblée nationale », chacun de ces messages étant alors, comme tous les actes du chef de l’État, contresigné par le président du Conseil des ministres et par un ministre (324). Dans le projet de Constitution du 19 octobre 1946, beaucoup plus favorable à la suprématie de l’Assemblée nationale, la réglementation était encore plus sévère. En effet, l’article 108 de ce projet disposait que « les messages sont lus à l’Assemblée par son Président sous le double assentiment de celui-ci et du président du Conseil des ministres ». Les circonstances imposèrent que le message fût lu dans chacune des assemblées par leur président respectif (325).
L’article 18 de la Constitution du 4 octobre 1958 a repris cette disposition en l’élargissant aux deux assemblées et en interdisant tout débat à l’issue de la lecture des messages. Pour certains, cette interdiction rompait avec ce qui avait cours sous les IIIe et IVe Républiques. En réalité, cette prescription correspond très largement à l’usage antérieurement suivi, même si, à différentes reprises, les parlementaires ont été tentés de répondre au Président et de ressusciter ainsi les « Adresses » des Chambres en réponse aux discours du Trône (326).
La Constitution de 1958 apporte une autre innovation : le Parlement peut être réuni hors session pour prendre connaissance d’un message. Dans son allocution devant le Conseil d’État du 27 août 1958, le garde des Sceaux avait estimé que cela pouvait nécessiter une « courte session extraordinaire ». En définitive la seule limitation réelle du droit de message réside dans l’impossibilité pour le Président de monter à la tribune des assemblées.
Comme l’a souligné M. Guy Carcassonne, « le Président de la République, curieusement, est l’unique personne dont la tradition prohibe la présence dans l’hémicycle des assemblées, fût-ce dans les tribunes. Ce que des causes circonstancielles ont produit (la volonté, traduite par la loi de Broglie du 13 mars 1873, d’affranchir le Parlement de l’influence de Thiers), les Républiques l’ont pérennisé ; le chef de l’État n’a de contact officiel avec les chambres que par la voie du message. » (327)
Si la Constitution de 1958 a supprimé l’obligation paralysante du contreseing, qui imposait au Président le contrôle ministériel sur le contenu de sa déclaration, le droit de message n’a pas joué le rôle qui lui fut assigné par le constituant en facilitant sa mise en œuvre, compte tenu, en particulier, du recours accru à l’audiovisuel.
Néanmoins, le droit de message fut utilisé par le Président de la République à dix-huit reprises depuis 1958, comme le montre le tableau suivant.
MESSAGES DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SOUS LA Ve RÉPUBLIQUE | ||
Général de Gaulle |
15 janvier 1959 |
Prise de fonctions |
25 avril 1961 |
Mise en œuvre de l’article 16 | |
20 mars 1962 |
Annonce des accords d’Évian et référendum sur l’autodétermination de l’Algérie | |
2 octobre 1962 |
Référendum sur l’élection du Président de la République | |
11 décembre 1962 |
Message à l’Assemblée nouvellement élue | |
Georges Pompidou |
25 juin 1969 |
Début du septennat |
5 avril 1972 |
Referendum sur l’élargissement de la Communauté économique européenne | |
3 avril 1973 |
Message à l’Assemblée nouvellement élue | |
M. Valéry Giscard d’Estaing |
30 mai 1974 |
Prise de fonctions |
François Mitterrand |
8 juillet 1981 |
Prise de fonctions |
8 avril 1986 |
Message à l’Assemblée nouvellement élue | |
25 juin 19886 |
Hommage pour le centenaire de la naissance de Robert Schuman | |
26 octobre 1988 |
Référendum du 6 novembre 1988 sur la Nouvelle-Calédonie | |
27 août 1990 |
Message au Parlement sur la situation au Moyen Orient | |
16 janvier 1991 |
Politique au Moyen-Orient | |
M. Jacques Chirac |
19 mai 1995 |
Prise de fonctions |
2 mars 1999 |
Message au Parlement sur l’Europe | |
2 juillet 2002 |
Message à l’Assemblée nouvellement élue |
Il s’agit pour le Président, soit de présenter son programme ou ses conceptions institutionnelles (message du 8 avril 1986 sur la « cohabitation »), soit d’annoncer le recours à certaines prérogatives présidentielles (article 16, référendum), soit d’intervenir en période de crise internationale (situation au Proche-Orient, le 27 août 1990).
Comme l’a rappelé le « comité Balladur », les relations existant actuellement entre le Président de la République et le Parlement « sont placées sous le signe de l’interdit ». « Le Comité a estimé que c’était aller dans le sens d’une meilleure transparence de la vie publique et d’un renforcement du rôle du Parlement que de permettre au Président de la République de s’exprimer directement devant celui-ci pour l’informer de son action et de ses intentions. » (328) Il a, en conséquence, dans sa proposition n° 5, souhaité une modification de l’article 18 de la Constitution dans ce sens.
Une proposition très proche avait déjà été portée, en 1974, par Charles Bignon, qui soulignait alors qu’« il est inutile d’entamer un large débat de droit constitutionnel comparé car la Constitution française est spécifique. Il convient plutôt de souligner qu’il ne s’agit pas, par la présente proposition, d’aller vers le régime présidentiel en renforçant les pouvoirs du Président de la République ou en lui donnant une responsabilité quelconque vis-à-vis du pouvoir législatif. (…) En réalité, ce débat théorique est sans limite et il ne faut jamais perdre de vue les avantages du système français, à mi-chemin entre le régime présidentiel et le régime parlementaire. » (329)
Il serait quelque peu archaïque de penser que la séparation des pouvoirs est réellement assurée par l’impossibilité physique pour le Président de la République de se rendre dans les enceintes parlementaires. Comme le soulignait M. Pierre Avril, « le Président devrait pouvoir venir lui-même exposer les grandes orientations d’une politique que le Gouvernement met en œuvre ainsi que le Général de Gaulle en avait eu l’intention dans les premières années de la Ve République » (330).
La Constitution de la Ve République a ainsi renforcé le droit de message sans aller jusqu’au bout : il manque la présence physique du Président.
Le droit de message tel que pratiqué apparaît, effectivement, comme archaïque. Certains soutiennent que l’interdit qui frappe les relations entre le Parlement et le Président de la République matérialise dans sa plus pure expression la séparation des pouvoirs.
D’une part, cette conception rigide de la séparation des pouvoirs ne peut être revendiquée que dans un régime présidentiel pur – l’exemple type étant les États-Unis où pourtant le Président peut s’exprimer dans l’enceinte parlementaire.
D’autre part, par rapport à une situation où le dialogue direct n’existe qu’entre la majorité et le Président qui l’a conviée à venir le rencontrer, il est préférable que le Parlement dans son ensemble, opposition comprise, puisse être directement informé par le Président de ses orientations.
Dès l’instant où l’on admet que le chef de l’État a le droit de diffuser une opinion personnelle, y compris directement à l’attention des citoyens grâce à la télévision (331), il n’apparaît pas très rationnel de le priver de la possibilité de l’exprimer en personne devant leurs représentants. La présence d’un Président de la République à la tribune d’une assemblée n’est pas réellement de nature à affecter la liberté de jugement et de décision des parlementaires. Ce serait même leur faire injure que de prétendre le contraire.
Si dans certains États, tels l’Italie, le Président de la République ne peut venir lire ses messages à la Chambre, il s’agit de régimes où le Président a des pouvoirs secondaires et où la réalité du pouvoir exécutif est exercée par le Gouvernement responsable. Mais dans la mesure où le Président, élu au suffrage universel, a des responsabilités politiques, sa venue exceptionnelle au Parlement ne paraît devoir soulever aucune objection de principe.
Comme le souligne l’Académie des sciences morales et politiques, dans son avis du 14 avril 2008, « aucune raison décisive ne commande de conserver les restrictions à la liberté de communication du chef de l’État. Le droit comparé et l’histoire montrent que l’intervention orale du chef de l’État serait compatible avec l’une et l’autre lectures de la Constitution », à savoir la lecture parlementaire et la lecture présidentielle.
L’idée de permettre au Président de la République de venir en personne s’adresser aux assemblées parlementaires n’est pas nouvelle. Dans différents projets de Constitution, rédigés en particulier au moment de la rédaction de celle de 1958, certains prévoyaient de l’autoriser « en cas de péril grave » à « venir lui-même lire un message devant le Parlement » (332). Le 21 mai 1963 déjà, le Général de Gaulle, qui recevait le bureau de l’Assemblée nationale, exprima le vœu de pouvoir lire lui-même ses messages au Parlement et il laissa entendre qu’il serait favorable à ce qu’une initiative parlementaire fût prise dans ce sens.
La modification proposée dans le présent article reprend la proposition n° 5 du « comité Balladur » (333). Elle permettrait à la fois de créer un contact direct entre le Président de la République et les assemblées parlementaires, mais aussi d’autoriser un débat à l’issue, sans pour autant que sa présence, durant celui-ci, ne soit ni imposée ni requise. L’allocution présidentielle pourrait avoir lieu, selon les circonstances, devant le Parlement réuni en Congrès, ou bien devant l’une ou l’autre des assemblées.
Il est bien précisé que le Congrès du Parlement serait réuni à cet effet (334) et ne pourrait, dès lors, être utilisé à d’autres fins. Cela signifie également qu’il pourrait être réuni hors session pour ce faire. En revanche, si la déclaration a lieu devant l’une ou l’autre des assemblées, le dernier alinéa de l’article 18, qui dispose que « hors session, le Parlement est réuni spécialement à cet effet », serait pleinement applicable. Prévu dans l’état du droit pour préciser les conditions d’application du premier alinéa – le traditionnel droit de message –, il continuerait de s’appliquer à lui et l’« effet » visé autoriserait la réunion spéciale des assemblées hors session aussi bien pour l’application du droit de message que pour la déclaration du Président de la République lorsque celle-ci n’interviendrait pas devant le Congrès.
Dès lors, pour lever toute ambiguïté en distinguant le cas de la réunion du Congrès prévu au deuxième alinéa et le cas des assemblées prévu au premier et au deuxième alinéa et marquer ainsi la nécessité, lorsque le Parlement n’est pas en session, de réunir spécialement les deux chambres dans le cas d’un message comme dans celui d’une déclaration, il pourrait être utile de modifier le dernier alinéa de l’article 18 pour garantir qu’il couvre les deux alinéas précédents.
Par ces dispositions, le Président pourra s’adresser à la Nation au travers de ses représentants et s’adresser directement à ceux qui devront délibérer de la politique dont il aura fixé et présenté les grandes orientations que le Gouvernement sera amené à « mettre en musique », à déterminer et à conduire, selon les termes mêmes de l’article 20 de la Constitution.
Il serait paradoxal que le Parlement à la fois refuse d’accueillir la parole présidentielle et milite pour faire de son enceinte le haut lieu de la parole politique, signe de sa revalorisation. Comment confondre dans un même opprobre la critique classique de l’isolement du Président de la République et celle de la volonté exprimée par ce dernier de s’adresser directement aux parlementaires, ailleurs que dans le cadre des salons du Palais de l’Élysée ?
Invoquer l’exemple du Président des États-Unis dans son message sur l’état de l’Union pour soutenir que le présent article conduirait à présidentialiser les institutions françaises relèverait soit de l’artifice, soit de la méconnaissance de ce qu’est le régime présidentiel américain.
En effet, cette prérogative du Président américain doit se comprendre comme le pendant du monopole de l’initiative des lois attribué au Congrès (335). C’est précisément parce qu’il ne peut déposer de projet de loi que le Président américain dispose du droit de s’adresser directement à la Chambre des Représentants et au Sénat, réunis ou séparés, pour leur présenter ses orientations politiques. Il assortit ainsi son message annuel d’annexes qui contiennent le programme législatif qu’il souhaite voir adopté, celles-ci allant jusqu’à contenir des projets rédigés, article par article, destinés à inspirer les travaux des commissions parlementaires.
La faculté ouverte au Président de la République dans le présent article de s’adresser directement aux assemblées parlementaires « dans des moments particulièrement solennels de la vie de la Nation », comme le souligne l’exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle, ne saurait donc s’interpréter comme un pouvoir supplémentaire accordé à un chef de l’État qui ne disposerait pas, par ailleurs, du pouvoir d’initier les lois.
En outre, il pourrait apparaître paradoxal que les assemblées puissent inviter des chefs d’État étrangers à venir s’exprimer devant elles, comme cela s’est pratiqué régulièrement depuis 1993, sans que le Président de la République française ne puisse le faire. À l’inverse, comme le faisaient observer, dès 1976, les auteurs d’une proposition de loi constitutionnelle, il peut sembler « pour le moins discourtois à l’égard du Parlement français que le Président de la République qui, ces derniers temps a pris la parole devant le Congrès américain, la Chambre des Lords et celle des Communes à Londres, ne puisse paraître en France ni devant l’Assemblée nationale, ni devant le Sénat » (336).
Le « comité Balladur » a insisté sur le fait qu’« une fois posé le principe, reste à en fixer les modalités, qui revêtent une importance particulière dans la mesure où seul le Premier ministre demeure responsable devant le Parlement " dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50 " de la Constitution – c’est-à-dire devant l’Assemblée nationale – ainsi qu’en dispose le dernier alinéa de l’article 20 ». D’autres, à l’instar de M. Laurent Fabius (337), estiment que, sur le modèle des États-Unis, le Président de la République pourrait venir devant le Congrès du Parlement, son allocution pouvant donner lieu, hors de sa présence, à un débat qui ne serait suivi d’aucun vote.
C’est pourquoi, pour tirer tous les avantages de cette nouvelle disposition sans pour autant en tirer des conséquences qui mettraient en péril les équilibres institutionnels définis en 1958 et qui reviendraient à transférer la responsabilité devant le Parlement du Premier ministre au Président de la République, un débat pourrait être organisé sans pour autant que celui-ci ne donne lieu à un quelconque vote. De surcroît et selon la même logique, ce débat, s’il peut se tenir, devrait se faire hors de la présence du Président.
Cette double restriction, indispensable, ne devra, en aucune façon être contournée. Il n’est pas question, par exemple, sous peine de dénaturer l’intention du constituant, de détourner le nouveau droit qui serait attribué au Parlement par le présent projet de loi, dans son article 12, de voter des résolutions, en prévoyant, le lendemain de l’allocution présidentielle, de transformer la discussion d’un tel acte en réponse au discours du Président. Un tel détournement de procédure s’apparenterait à un retour au droit d’adresse, qui, dans le cadre de la Constitution du 4 octobre 1958, n’a plus aucune raison d’être.
En revanche, comme le souligne le « comité Balladur », « s’il advenait, à l’usage, que les groupes de l’opposition parlementaire souhaitent tirer des conclusions politiques de l’allocution du chef de l’État, ils auraient tout loisir de le faire ensuite dans l’une ou l’autre des deux assemblées, selon les procédures existantes, lesquelles peuvent permettre, devant l’Assemblée nationale, la mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement si les conditions en sont réunies ».
Par ailleurs, le premier alinéa de l’article 18 serait conservé en l’état et serait donc maintenue la possibilité pour le chef de l’État de faire lire devant chaque assemblée un message écrit.
La Commission a examiné trois amendements de suppression, le premier de M. Noël Mamère, le deuxième de M. Jean-Claude Sandrier et le troisième de M. Arnaud Montebourg, qui a exprimé son opposition à la venue du Président de la République devant le Parlement. Il a souligné que cet article aurait pour effet d’accroître les pouvoirs du chef de l’État, qui dispose du droit de dissoudre l’Assemblée nationale. Il a estimé que le dispositif actuel de lecture de message du Président de la République devant les assemblées parlementaires fonctionnait parfaitement. Il a souligné que seul le Gouvernement, qui est responsable politiquement devant l’Assemblée nationale, pouvait s’exprimer devant elle. Rappelant que le Président de la République était à la fois un responsable politique et aussi l’incarnation spirituelle de la République elle-même, à l’image des deux corps du roi définis par Ernst Kantorowicz, il a exprimé la crainte que sa venue devant le Parlement ne conduise à abaisser sa fonction.
Le rapporteur a rappelé que l’interdiction faite au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement résultait d’un vote de la majorité monarchiste visant à empêcher Adolphe Thiers d’exprimer ses convictions républicaines devant les parlementaires. Le Gouvernement étant responsable devant l’Assemblée nationale, il a indiqué qu’un de ses amendements visait à ne permettre au Président de la République de ne s’exprimer que devant le Parlement réuni en Congrès et de débattre, hors sa présence, sans que les parlementaires ne puissent procéder à un vote. Il a précisé qu’en pratique le Président de la République ne mettrait en œuvre cette procédure que pour des discours de grande importance.
Après avoir approuvé la proposition du rapporteur, M. Claude Goasguen a rappelé que l’interdiction faite au Président de la République de s’exprimer devant le Parlement n’était pas gravée dans le marbre. Il a précisé que le Président ne pourrait évoquer devant le Congrès que les sujets relevant des compétences qu’il tire de l’article 5 de la Constitution. Il a donc souligné que le dispositif proposé était équilibré.
M. René Dosière a rappelé que le Président était à la fois le « père de la Nation », à l’égard duquel le respect républicain s’impose, et un responsable politique que l’on peut contester. Il a donc exprimé la crainte que le mécontentement des parlementaires à l’égard du responsable politique ne vienne dégrader la fonction de Président de la République.
M. Sébastien Huyghe a indiqué que le dispositif proposé ne conduirait pas à abaisser la fonction présidentielle mais au contraire à renforcer le rôle du Parlement, qui découvre aujourd’hui les grandes orientations définies par le Président de la République dans les médias. Il a en revanche émis une réserve sur la formulation retenue par le rapporteur, estimant que le discours du Président de la République ne devrait pas être suivi d’un débat.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec a souligné qu’il existait un risque de confrontation entre le Parlement et le Président de la République. Il a rappelé que les parlementaires pourraient montrer leur défiance à l’égard du Président de la République, par exemple par leur absence dans l’hémicycle, comme cela a pu être observé récemment lors de la visite d’un chef d’État étranger. Il a donc estimé que ce dispositif risquait de porter atteinte à la fonction présidentielle.
Le rapporteur a estimé, au contraire, que le recours au Congrès permettait de garantir la solennité du discours du Président de la République. Il a jugé que la question soulevée par M. Sébastien Huyghe méritait d’être approfondie.
La Commission a alors rejeté les trois amendements de suppression de cet article.
Elle a ensuite rejeté un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde prévoyant que la lecture d’un message du Président de la République devant les deux assemblées est une faculté.
La Commission a adopté un amendement du rapporteur prévoyant que le Président de la République peut prendre la parole devant le Parlement réunit en Congrès et que sa déclaration peut donner lieu, hors sa présence, à un débat sans vote, le groupe SRC ayant indiqué qu’il s’opposait à cet amendement (amendement n° 49). En conséquence, quatre amendements de M. Jean-Christophe Lagarde sont devenus sans objet, le premier précisant qu’hormis le cas des interventions militaires extérieures, le discours ne peut intervenir qu’une fois par an, le deuxième prévoyant que ce discours ne peut avoir lieu que devant le Congrès, le troisième et le quatrième précisant que le débat a lieu en présence du Président de la République.
La Commission a ensuite rejeté un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde empêchant le Président de la République de s’exprimer devant le Parlement lorsqu’une révision constitutionnelle est engagée.
Elle a adopté l’article 7 ainsi modifié.
Article 8
(art. 21 de la Constitution)
Clarification du rôle du Premier ministre en matière de défense nationale
Cet article vise à clarifier la répartition des attributions entre le Président de la République et le Premier ministre en matière de défense nationale. La Constitution leur confère en effet à tous deux des prérogatives importantes en ce domaine ; l’imbrication des responsabilités, inhérente au « bicéphalisme » de l’exécutif, se retrouve dans les textes législatifs et réglementaires organisant la défense nationale. L’article L. 1111-2 du code de la défense témoigne de cette situation, en confiant globalement au « pouvoir exécutif, dans l’exercice de ses attributions constitutionnelles », le soin de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population.
L’article 21 de la Constitution dispose que le Premier ministre est « responsable de la défense nationale » et son article 20 que le Gouvernement « dispose de l’administration et de la force armée ». Cette rédaction diffère substantiellement de celle retenue par l’article 47 de la Constitution de 1946 pour les pouvoirs du président du Conseil : « Le Président du conseil assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la défense nationale ».
Les travaux du comité consultatif constitutionnel apportent un éclairage utile sur la volonté des constituants d’insister sur l’importance du rôle du Premier ministre pour l’efficacité de la défense nationale. Le comité consultatif avait deux préoccupations : insister sur le caractère interministériel et les dimensions civiles et économiques de la défense, d’une part, et, en réaction à la pratique de la IVe République, éviter que le Premier ministre ne délègue de manière systématique ses attributions au ministre des forces armées. Raymond Janot, commissaire du gouvernement, soulignait cette nécessité devant le comité consultatif le 6 août 1958 : « Il est apparu que les décisions à intervenir en matière de défense nationale exigeaient un arbitrage entre les différents ministères qui ne sont pas seulement des ministères militaires, mais des ministères civils et militaires, notamment pour les problèmes économiques, la protection civile, etc., etc. Or, il est certain que, pratiquement, il est extrêmement difficile que soit opéré un arbitrage concernant la défense nationale, si les attributions de défense nationale sont déléguées au ministre des forces armées. Ceci est une expérience à peu près constante, qui a été faite sous la IVe République, et qui a été éprouvée d’une façon particulièrement pénible par un certain nombre d’organismes administratifs qui ont été mis, en raison de cette répartition des compétences gouvernementales, dans la quasi-impossibilité de remplir leurs fonctions. » (338)
Les attributions du Premier ministre sont déclinées dans les textes législatifs et réglementaires, regroupés depuis une ordonnance du 20 décembre 2004 (339) dans le code de la défense. L’article L. 1131-1 du code de la défense, issu d’une ordonnance du 7 janvier 1959 (340) dont une partie de la doctrine a pu conclure qu’elle révélait une « prééminence juridique du Premier ministre en matière militaire » (341), définit les responsabilités du Premier ministre de manière très extensive : en tant que responsable de la défense nationale, il « exerce la direction générale et la direction militaire de la défense. À ce titre, il formule les directives générales pour les négociations concernant la défense et suit le développement de ces négociations. Il décide de la préparation et de la conduite supérieure des opérations et assure la coordination de l’activité en matière de défense de l’ensemble des départements ministériels. » L’article 11 de la même ordonnance, ultérieurement remis en cause par un décret (342) du Général de Gaulle, disposait également que le comité de défense restreint, où sont prises les décisions en matière de direction militaire de la défense, était réuni « à la diligence du Premier ministre, qui en fixe la composition pour chaque réunion ».
Pour exercer ces responsabilités et coordonner l’action gouvernementale, le Premier ministre exerce la tutelle de nombreux organismes, dont le Secrétariat général de la défense nationale (article R. 1132-1 du code de la défense), l’Institut des hautes études de la défense nationale (article R. 1132-12), le comité d’action scientifique de la défense (article D. 1132-34), le comité interministériel du renseignement (article D. 1132-39), la commission interministérielle de coordination des instances de contrôle des transferts intéressant la défense et la sécurité (article D. 1132-43), la commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (article D. 1132-53), le comité interministériel aux crises nucléaires ou radiologiques et la commission interministérielle pour la sécurité des systèmes d’information.
Le Premier ministre est également l’autorité de décision dans le domaine des exportations d’armement, conformément à un arrêté du 2 octobre 1992 (343).
Enfin, en plus des attributions spécifiques qu’il tient des articles 20 et 21 de la Constitution, il contresigne les actes pris par le Président de la République en application des articles 13 et 15, dispose du pouvoir réglementaire prévu par l’article 21 et de l’initiative des lois prévue par l’article 39. Outre le budget, l’article 34 de la Constitution place notamment dans le domaine législatif les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens, les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État et les principes fondamentaux de l’organisation générale de la défense nationale.
L’article 16 de la Constitution pourrait trouver à s’appliquer en cas d’agression armée contre la France ou d’actions de déstabilisation (344). C’est d’ailleurs en réaction à l’invasion des troupes allemandes en 1940, au cours de laquelle le Président de la République, Albert Lebrun, s’était révélé impuissant à prendre les décisions nécessaires, que le Général de Gaulle a souhaité l’inscription de dispositions spécifiques dans la Constitution ; et c’est une action de déstabilisation menée par quatre généraux qui a donné lieu à la seule application de l’article 16, en 1961.
En dehors de ces circonstances d’une extrême gravité, les attributions militaires du Président de la République sont fixées par l’article 15 : il « est le chef des armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la défense nationale. »
L’article 33 de la Constitution de 1946 disposait : « Le Président de la République préside (…) le Conseil supérieur et le comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées ». Il ne s’agit plus, avec la Ve République, de marquer, dans la continuité de la tradition républicaine ancienne, la primauté du pouvoir civil sur le militaire, mais de donner une réelle substance à une attribution jusqu’alors essentiellement nominale (345). Il s’agit bien de confier au chef de l’État la direction effective, et pas seulement symbolique, de la défense nationale.
Les pouvoirs prévus à l’article 15 doivent en effet être articulés avec ceux de l’article 52 en vertu duquel le Président de la République négocie et ratifie les traités, de l’article 13 en application duquel il nomme aux emplois civils et militaires de l’État (346), et, surtout, avec la mission, que l’article 5 lui assigne, d’être le garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités. L’article 15 lui donne ainsi le titre et les moyens nécessaires à l’accomplissement de cette mission.
Les conseils mentionnés à l’article 15 sont prévus par l’article L. 1111-3 du code de la défense. Il s’agit du conseil de défense, où sont arrêtées les décisions en matière de direction générale de la défense, et du conseil de défense restreint, où sont arrêtées les décisions en matière de direction militaire de la défense. La politique de la défense est quant à elle définie en Conseil des ministres.
L’ordonnance de 1959 pouvait laisser penser que la présidence de ces conseils était purement formelle, le pouvoir de décision revenant en fait au Premier ministre, qui avait en particulier le pouvoir de convoquer et de fixer la composition du comité de défense restreint et de suppléer le Président de la République dans la présidence de ces conseils. Le décret du 18 juillet 1962 précité, pris par le Général de Gaulle en application de cette ordonnance, affirme au contraire le rôle prééminent du Président de la République dans ces conseils, qui sont « réunis et présidés par le Président de la République » (article 1er), alors que « le Premier ministre assure la mise en œuvre de ces décisions par le Gouvernement » (article 2). L’actuel article L. 1321-2 du code de la défense confirme le rôle décisionnel du Président de la République dans les conseils de défense puisqu’il mentionne, à propos des secteurs de sécurité délimités autour des installations prioritaires de défense, une décision prise « par le Président de la République en conseil de défense » et non par le conseil de défense.
En matière nucléaire, enfin, la responsabilité du Président de la République n’est plus contestée. C’est à lui qu’il revient, en application de l’article R. 1411-5 du code précité, de donner l’ordre d’engagement des forces nucléaires ; l’inspection des armements nucléaires est également placée sous son autorité directe. Le décret pris par le Général de Gaulle le 14 janvier 1964 (347), qui confie au ministre des armées l’organisation, la gestion et la mise en condition d’emploi de la « force de frappe » dont la France vient de se doter et réserve au Président de la République le pouvoir de l’engager, avait été très vivement contesté par l’opposition à l’époque, notamment lors d’une séance de questions à l’Assemblée nationale le 24 avril 1964. François Mitterrand et Paul Coste-Floret fondaient leurs critiques sur deux articles de la Constitution : l’article 34 qui réserve à la loi les principes fondamentaux de l’organisation de la défense et l’article 21 qui fait du Premier ministre le responsable de la défense nationale. Mais la réponse que leur fit le Premier ministre Georges Pompidou s’est imposée : la dissuasion reposant sur la crédibilité de la menace, seul l’élu direct du suffrage universel a une autorité suffisante pour formuler valablement celle-ci. Personne n’a depuis remis en cause la responsabilité exclusive du Président de la République dans l’utilisation de la dissuasion nucléaire. Devenu Président de la République, François Mitterrand revendiquera cet héritage : « la pièce maîtresse de la stratégie de dissuasion en France, c’est le chef de l’État, c’est moi » (348).
Si les interprétations de la répartition des responsabilités opérée par les articles 15 et 21 de la Constitution divergent, la pratique a consacré la prééminence du Président de la République, tout en maintenant au Premier ministre des prérogatives importantes, particulièrement en période de cohabitation. La pratique de la Ve République ne correspond plus que de manière lointaine aux textes applicables.
Alors que le texte de la Constitution et, surtout, l’ordonnance du 7 janvier 1959 prise quelques mois plus tard pouvaient justifier une lecture primo-ministérielle du partage des pouvoirs en matière de défense, un glissement des prérogatives du Premier ministre vers le Président de la République s’est opéré sous l’influence du Général de Gaulle et a été confirmé par ses successeurs.
Plusieurs facteurs ont permis cette évolution. Tout d’abord, la carrière militaire du Général de Gaulle, sa personnalité et sa conception des institutions, connue depuis le discours de Bayeux, semblaient difficilement compatibles avec l’ordonnance de 1959 et l’étendue des pouvoirs qu’elle attribuait au Premier ministre. Certains auteurs ont expliqué cette contradiction par la volonté, exprimée par l’ordonnance, de rassurer une opinion qui s’en tenait encore à une lecture parlementaire de la Constitution. Toujours est-il que cette ordonnance n’apparaissait en harmonie ni avec les circonstances de l’époque, ni avec la personnalité des acteurs politiques, ni même avec plusieurs dispositions que le Général de Gaulle avait fait insérer dans la Constitution, comme les articles 5 et 16.
L’engagement personnel du Général de Gaulle dans la résolution de la crise algérienne et ses désaccords avec son Premier ministre Michel Debré sur cette question ont ensuite conduit à un recentrage du processus de décision autour d’une institution rattachée directement au Président de la République, le Comité des affaires algériennes, créé le 13 février 1960. Ce comité, qui regroupait autour du chef de l’État le Premier ministre, les ministres concernés et les responsables civils et militaires en Algérie, avait notamment pour but de permettre au Président de transmettre directement ses instructions à tous ceux qui avaient la charge de conduire la politique sur le terrain.
La « présidentialisation » de la défense nationale découle également de deux évolutions majeures apparues au début des années 1960. La première, qui n’est pas spécifique aux questions de défense, est l’élection du Président de la République au suffrage universel en 1962 ; la seconde est l’acquisition par la France de capacités de dissuasion nucléaire. Comme on l’a vu, seul l’élu du suffrage universel direct a la légitimité et l’autorité nécessaires pour prendre la décision d’engagement des forces nucléaires, dans des délais qui s’accommodent mal de la collégialité.
Si l’existence d’un « domaine réservé » a toujours été niée, y compris par Jacques Chaban-Delmas, l’inventeur de la formule, la logique politique – celle de la primauté présidentielle – et la logique stratégique – celle de la primauté nucléaire – l’ont emporté sur l’ambiguïté du texte constitutionnel, se conjuguant pour donner au Président un rôle fondamental. Tous les Présidents de la Ve République ont attaché une importance particulière aux questions de défense et plus précisément aux questions militaires. Ils se sont toujours réservé le soin de prendre les décisions essentielles dans ce domaine, même en période de cohabitation.
Lorsque le Président de la République et le Premier ministre sont issus de la même tendance politique, la prééminence du chef de l’État découle de la logique politique, encore renforcée par le quinquennat et la succession des élections présidentielle et législatives. Le texte actuel de la Constitution n’empêche pas le Président de fixer lui-même les orientations de la politique de la Nation, qu’il revient au Premier ministre de mettre en œuvre. C’est particulièrement le cas dans le domaine de la défense, où la Constitution lui reconnaît des responsabilités particulières. En matière militaire, le Président de la République a toujours décidé de l’engagement des troupes. Le Président Mitterrand avait expliqué ainsi le processus de prise de décision pendant la guerre du Golfe : « Pour ce qui touche aux décisions d’ordre militaire, elles relèvent de moi. Mais, bien entendu, je n’agis pas comme cela de mon propre mouvement, sans consulter, sans avoir l’avis du Gouvernement. » (349)
Pendant les trois périodes de cohabitation que la France a connues, la défense nationale est devenue, à des degrés divers, un « domaine partagé », un Premier ministre issu d’une majorité nouvellement élue ne pouvant s’effacer totalement devant un Président de la République désavoué par les électeurs. Compte tenu des pouvoirs que le Premier ministre et le Gouvernement détiennent en matière budgétaire, réglementaire, de contreseing ou d’initiative des lois, leur accord est indispensable. Les prérogatives du chef de l’État en tant que chef des armées ont cependant toujours été respectées, lui permettant d’exercer une influence dont il était privé dans les autres champs d’action du Gouvernement et de conserver un pouvoir de décision.
Il est, en particulier, acquis qu’aucun soldat français ne peut être envoyé à l’étranger sans que le chef de l’État en décide. Les exemples de l’autorité conservée par le chef de l’État sont nombreux, de l’influence du Président François Mitterrand sur la loi de programmation militaire de 1987 à la suppression du service national décidée par le Président de la République, M. Jacques Chirac, et mise en œuvre par le gouvernement de M. Lionel Jospin. Plusieurs opérations d’envergure ont de plus été décidées en période de cohabitation, par exemple au Rwanda en 1994, au Kosovo en 1999 et en Afghanistan en 2001.
Les ambiguïtés du texte constitutionnel ont déjà été soulignées à de nombreuses reprises par la doctrine et des propositions pour y remédier ont été émises.
Le Président François Mitterrand avait chargé le « comité Vedel » de réfléchir, entre autres améliorations possibles de la Constitution, aux moyens de remédier aux imprécisions du texte constitutionnel concernant les « rôles respectifs du Président et du Gouvernement dans la politique de la Nation et dans la conduite de la défense ». Sa lettre de mission précisait « qu’il n’y a pas, qu’il ne doit pas y avoir de domaine réservé ».
Après avoir constaté la prééminence de fait du Président de la République et souligné le rôle nécessairement plus marqué du Premier ministre pour la défense que pour les relations internationales, le comité avait proposé de préciser que ce dernier était responsable de « l’organisation de la défense nationale », et non « de la défense nationale ». L’articulation des pouvoirs du Président de la République et du Premier ministre conduirait ainsi à l’affirmation d’une primauté du Président, traduite dans la conception et la définition des objectifs, cependant que le Gouvernement serait responsable, devant le Parlement, de la mise en œuvre des choix de stratégie, d’équipement et de répartition des moyens.
Cette proposition n’a finalement pas été retenue dans le projet de loi constitutionnelle (350) déposé sur le bureau du Sénat, l’exposé des motifs précisant que, parmi les propositions du comité tendant à clarifier les prérogatives des responsables de l’exécutif, certaines avaient été écartées parce que peu opportunes ou parce qu’elles n’apportaient pas un réel progrès ou de véritables solutions aux problèmes évoqués.
Dans sa lettre de mission au « comité Balladur », le Président de la République demandait audit comité d’examiner dans quelle mesure les articles de la Constitution qui précisent l’articulation des pouvoirs du Président de la République et du Premier ministre devraient être clarifiés pour prendre acte de l’évolution qui a fait du Président de la République le chef de l’exécutif.
Non sans avoir relevé qu’il convenait de ne pas priver nos institutions de la souplesse nécessaire en cas de cohabitation, le comité a proposé de modifier les articles 5 et 20 de la Constitution, afin de confier au Président de la République le soin de définir la politique de la Nation et au Gouvernement celui de la conduire. En conséquence, il a proposé que le rôle du Premier ministre en matière de défense nationale, défini à l’article 21, soit de mettre en œuvre les décisions prises dans les conditions prévues à l’article 15, qui dispose que le Président de la République est le chef des armées et qu’il préside les conseils de défense.
La modification des articles 5 et 20 proposée par le comité n’a pas été retenue dans le projet de loi constitutionnelle, au motif que la clarification des rôles entre le Président de la République et le Premier ministre posait plus de problèmes qu’elle n’en résolvait, en l’absence de basculement vers un système totalement présidentiel ou totalement parlementaire. En revanche, a été retenue la modification proposée à l’article 21 pour clarifier les responsabilités en matière de défense nationale, le Premier ministre étant chargé de la mise en œuvre des décisions prises en conseil de défense par le Président de la République. Comme l’a souligné le professeur Olivier Gohin lors de son audition par le rapporteur, le code de la défense, qui a été construit autour de la responsabilité du Premier ministre, devrait le cas échéant être modifié en conséquence.
La clarification proposée pourrait paraître correspondre à l’esprit de la Ve République et à la pratique institutionnelle – qui reconnaît le rôle prééminent du Président de la République en matière de défense nationale – et mettre fin au décalage constaté de longue date entre la rédaction ambiguë de la Constitution et la réalité d’une primauté présidentielle largement reconnue.
Elle suscite cependant plusieurs réserves. Tout d’abord, l’équilibre actuel est issu de cinquante années de pratique ; les institutions se sont adaptées aux ambiguïtés de la rédaction de la Constitution de 1958 et l’efficacité de la défense nationale n’en a semble-t-il pas souffert jusqu’ici. La Constitution a fait la preuve de son adaptabilité en permettant à la défense de fonctionner de manière satisfaisante dans toutes les configurations, que ce soit avec un Président et un Gouvernement de même tendance ou de tendances opposées, que le Président soit issu de la gauche ou de la droite. Il n’est pas certain que dans l’hypothèse d’une nouvelle cohabitation, rendue certes plus improbable par la concordance actuelle des élections présidentielle et législatives, mais pas impossible, le système proposé par le Gouvernement aurait la même souplesse. L’apparente ambiguïté du texte ne fait-elle pas que refléter le « bicéphalisme » de l’exécutif, consubstantiel à la Ve République ? L’unité de commandement en matière militaire est certes indispensable, mais elle n’a jamais été remise en cause.
La défense nationale n’a en outre pas qu’une composante militaire ; elle a également des dimensions civiles et économiques qui relèvent de la conduite de la politique de la Nation, dont la responsabilité incombe au Gouvernement. S’il appartient effectivement au Premier ministre de veiller à la mise en œuvre par le Gouvernement des décisions prises en conseil de défense, comme le précise déjà l’article D. 1131-1 du code de la défense, cette tâche nécessaire ne saurait faire la somme de ses responsabilités.
Enfin, la rédaction proposée pose le problème de la responsabilité de l’exécutif devant le Parlement. Le Gouvernement est certes toujours collectivement responsable devant le Parlement en application de l’article 49 de la Constitution. On peut toutefois s’interroger sur la signification réelle de cette responsabilité dès lors qu’il ne fait que mettre en œuvre les décisions du Président de la République et que la mention expresse de la responsabilité du Premier ministre en matière de défense nationale, qui figure dans la Constitution depuis cinquante ans, est retirée.
La Commission a adopté quatre amendements identiques de suppression du rapporteur, de M. Noël Mamère, de M. Jean-Claude Sandrier et de M. Arnaud Montebourg (amendement n° 50). Le rapporteur a indiqué que la suppression de cet article correspondait à l’opinion majoritairement exprimée lors des auditions. En conséquence, un amendement de M. François Bayrou tendant à ne pas retirer au Premier ministre la responsabilité de la défense nationale est devenu sans objet.
L’article 8 est ainsi supprimé.
Article additionnel après l’article 8
(art. 23 de la Constitution)
Incompatibilité entre fonction ministérielle et fonction exécutive locale
La Commission a rejeté deux amendements identiques de M. Noël Mamère et de M. René Dosière prévoyant que les fonctions de membre du Gouvernement sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat électif. M. René Dosière a estimé que les fonctions ministérielles devaient être exercées à plein temps, tandis que le rapporteur jugeait l’amendement excessif. La Commission a rejeté un amendement de M. René Dosière étendant aux ministres les incompatibilités applicables aux parlementaires.
Elle a ensuite été saisie d’un amendement de M. Arnaud Montebourg prévoyant que les membres du Gouvernement ne pouvaient être ni maire d’une commune de plus de 20 000 habitants, ni président de conseil général, ni président de conseil régional. Après avoir souligné la portée plus limitée de cet amendement, le rapporteur a toutefois relevé son manque de cohérence puisqu’il ne prévoit pas d’incompatibilité avec les fonctions de président d’un établissement public de coopération intercommunale mais il a déclaré ne pas élever d’objection dirimante à son adoption. La Commission a alors adopté cet amendement (amendement n° 51).
Article 9
(art. 24 de la Constitution)
Missions et composition du Parlement
La question de la place du Parlement dans la nouvelle Constitution en 1958 n’allait pas de soi : « Le fait que le régime ait précédé le Parlement, que les institutions aient été élaborées en dehors des assemblées après simple consultation d’un comité consultatif constitutionnel composé en majorité de parlementaires n’est pas le moindre des facteurs qui ont influencé et déterminé le nouveau Parlement. » (351)
Depuis lors, le Parlement, toujours décrié parce que dévalorisé – mais l’on sait que ce thème est né avec le Parlement lui-même –, a su trouver sa place dans nos institutions et développer de nouvelles compétences, tandis que la composition de la seconde chambre a fait constamment l’objet de critiques.
Le présent article permet de prendre en considération le champ exact des compétences du Parlement et donne un ancrage constitutionnel à la possibilité de mieux prendre en compte les différences démographiques entre collectivités territoriales dans la composition du collège électoral désignant les sénateurs. Il permet, enfin, d’assurer une meilleure représentation des Français établis hors de France en prévoyant qu’ils puissent désigner également des députés en sus des sénateurs qu’ils élisent déjà de manière indirecte.
Le présent article a pour objet d’introduire dans l’article 24 de la Constitution une définition des missions du Parlement.
La Constitution ne mentionne à l’heure actuelle que de manière éparse les différentes missions qui incombent à celui-ci. L’article 34 précise que « la loi est votée par le Parlement ». L’article 47 confie au Parlement le soin de voter les lois de finances et d’en contrôler l’exécution, tandis que l’article 47-1 prévoit qu’il vote et contrôle l’application des lois de financement de la sécurité sociale. L’article 49 dispose que la responsabilité du Gouvernement est engagée devant l’Assemblée nationale. L’article 68 confie au Parlement constitué en Haute Cour le soin de prononcer la destitution du Président de la République. L’article 24, qui est le premier article du titre de la Constitution consacré au Parlement, n’apporte qu’une définition matérielle du Parlement (composition bicamérale, modes d’élection de ses membres).
Dans le cadre d’une revalorisation du rôle du Parlement, une définition constitutionnelle explicite et unifiée de ses missions semble donc nécessaire.
Le rapport du « comité Vedel » reconnaissait déjà en 1993 : « il ne paraît pas inutile de préciser dans le texte constitutionnel ce qu’est la mission du Parlement. D’une part, les articles 5 et 20 de la Constitution respectivement consacrés au Président de la République et au Gouvernement donnent une définition d’ensemble de la mission dévolue à chacune de ces autorités : il est bon qu’il en soit usé de même avec le Parlement. D’autre part et surtout, l’évolution même des assemblées dans les démocraties contemporaines tend, à côté du vote de la loi qui reste la fonction première du Parlement, mais s’exerce dans des conditions très différentes de celles qui prévalaient dans le passé, à l’apparition et au renforcement de la fonction de contrôle de l’activité gouvernementale assortie d’une meilleure implication dans le suivi de l’application des lois. » (352)
Sous la précédente législature, la proposition de loi constitutionnelle de notre ancien collègue Paul Quilès (353), rapportée devant notre commission des Lois (354) puis adoptée par l’Assemblée nationale le 18 mai 2006 (355) avait pour objet d’inscrire dans la Constitution la mission du Parlement en matière de contrôle de l’application et de l’exécution des lois.
Le « comité Balladur », constatant les limites du système actuel de contrôle parlementaire, a souhaité « définir les voies et moyens d’un contrôle parlementaire digne d’une démocratie moderne ». Il a, pour cette raison, proposé de préciser le texte même de la Constitution « de telle sorte que cette mission de contrôle soit expressément dévolue au Parlement » (356). Par conséquent, ce contrôle ne doit pas se limiter au contrôle de la mise en application des lois, mais s’étendre au contrôle des politiques publiques et de l’ensemble de l’action gouvernementale.
C’est la raison pour laquelle le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution, définissant les missions du Parlement, prévoit de mentionner, d’une part, sa mission législative et, d’autre part, sa mission de contrôle.
La fonction législative du Parlement est actuellement mentionnée à l’article 34 de la Constitution, dont le premier alinéa dispose : « La loi est votée par le Parlement ».
Il est proposé d’introduire au premier alinéa de l’article 24 de la Constitution la définition de cette fonction législative : « le Parlement vote la loi ».
Comme le résumait déjà Raymond Carré de Malberg : « Suivant l’analyse communément présentée par la doctrine courante, les diverses étapes par lesquelles doit passer toute loi pour prendre naissance et pour entrer en vigueur, sont au nombre de cinq : l’initiative, la délibération, l’adoption, la promulgation, la publication » (357).
L’initiative législative est partagée par le Premier ministre et par les parlementaires à titre individuel, conformément au premier alinéa de l’article 39 de la Constitution. Cette initiative permet tant le dépôt de projets ou propositions de loi que le dépôt d’amendements sur ces textes (qui sont en quelque sorte une initiative au sein de l’initiative).
La délibération est la procédure originale et propre aux assemblées par lesquelles celles-ci, éclairées par le Gouvernement (358), discutent et adoptent les initiatives qui leur sont présentées. Dans certaines hypothèses, le travail législatif peut trouver un terme avant l’adoption définitive d’un texte de loi, soit qu’une assemblée adoptant une motion de procédure renonce à poursuivre l’examen d’un projet ou d’une proposition de loi, soit qu’elle vote un rejet du texte, soit que le texte adopté par une assemblée ne soit pas inscrit à l’ordre du jour de l’autre assemblée.
L’adoption (ou vote) de la loi est la troisième étape de la procédure législative (et la dernière étape parlementaire). L’adoption confère à la loi sa qualité de loi. Si la promulgation, qui doit être assurée par le Président de la République dans les quinze jours qui suivent la transmission de la loi, conditionne l’entrée en vigueur de la loi, elle ne fait que prolonger et certifier l’acte du législateur. Le droit dont dispose le Président de la République de demander au Parlement une « nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles » (article 10 de la Constitution) confirme le fait que le Parlement est seul compétent pour délibérer et voter la loi.
NOMBRE DE LOIS ADOPTÉES PAR LE PARLEMENT | |
Législature |
Lois adoptées |
IXe (1988-1993) |
304 |
Xe (1993-1997) |
232 |
XIe (1997-2002) |
228 |
XIIe (2002-2007) |
233 |
Raymond Carré de Malberg considérait que l’adoption résumait à elle seule l’acte du législateur : « cette adoption est (de sa part) un acte de complète puissance législative » (359). En se fondant sur une analyse similaire, il est possible de résumer la fonction législative du Parlement par les mots : « le Parlement vote la loi ».
Il convient de mentionner une exception à l’exercice du pouvoir législatif par le Parlement, prévue par l’article 11 de la Constitution : « le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées publiées au Journal officiel, peut soumettre tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la Nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ». Le résultat positif du référendum a pour conséquence la promulgation de la loi (appelée pour cette raison loi référendaire) dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats. Dans un tel cas, le Parlement n’est pas associé à la confection de la loi autrement que par une déclaration du Gouvernement suivie d’un débat.
La procédure d’adoption d’une loi par voie référendaire, qui est donc une exception significative au pouvoir de voter la loi accordé au Parlement, a été utilisée, comme on l’a vu, à huit reprises depuis 1958 (360). L’exigence que la proposition formulée par le Gouvernement intervienne pendant la durée des sessions parlementaires et qu’elle soit accompagnée d’une déclaration suivie d’un débat doit permettre à l’Assemblée nationale, en cas de désaccord, de manifester son opposition par le dépôt et le vote d’une motion de censure. Le fait que l’adoption de cette motion de censure ne mette pas un terme à la procédure d’adoption d’une loi référendaire (361) manifeste néanmoins le fait que le Parlement est entièrement dessaisi du pouvoir législatif dans ce cas.
S’il est pertinent de résumer la fonction législative par le vote, un certain nombre d’arguments pourraient toutefois plaider en faveur de la mention de la mission délibérative du Parlement dans le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution.
La Constitution du 4 octobre 1958 consacre déjà le fait que la délibération est une fonction qui caractérise l’action législative du Parlement. Le second alinéa de l’article 10 de la Constitution prévoit en effet que le Président de la République peut « demander au Parlement une nouvelle délibération de la loi ou de certains de ses articles ».
Le terme de délibération permettrait également de faire référence au pouvoir conféré au Parlement par l’article 68 de la Constitution pour destituer le Président de la République. Maurice Hauriou, qui préférait aux termes de « pouvoir législatif » ceux de « pouvoir délibérant », « parce que la délibération est le mode d’opération des organes de ce pouvoir » (362), considérait que les différentes fonctions exercées par le Parlement (faire les lois, voter des subsides et impôts pour les besoins de l’État, contrôler le pouvoir exécutif par le jeu de la responsabilité ministérielle, exercer une fonction juridictionnelle) trouvaient leur unité dans cette « opération de la volonté qui, ici, est la délibération » (363).
Enfin, le présent projet de loi constitutionnelle, en introduisant dans la Constitution le droit pour le Parlement de voter des résolutions (364), conférerait à ce dernier une faculté qui ne correspondrait ni au vote de la loi ni au contrôle de l’action du Gouvernement. Cette faculté ne pourrait être mieux qualifiée que par le terme de délibération.
Le rôle du Parlement de contrôle de l’action du Gouvernement n’est mentionné par la Constitution que de manière sectorielle, dans le cadre des articles relatifs aux lois de finances (article 47) et aux lois de financement de la sécurité sociale (article 47-1) et de l’article relatif à la fixation de l’ordre du jour prévoyant des séances réservées aux questions au Gouvernement (article 48), et de manière implicite, dans le cadre des articles prévoyant que la responsabilité du Gouvernement peut être mise en jeu devant le Parlement (articles 49 et 50).
Si l’absence de mention générale de la fonction de contrôle du Parlement n’a pas empêché chacune des deux assemblées de la développer et de mettre en place des procédures de plus en plus nombreuses et adaptées à l’exigence nouvelle d’évaluation des législations et des politiques publiques, elle n’en a pas moins pour conséquence de limiter l’étendue de ce contrôle.
• Les commissions d’enquête parlementaires
Dans l’histoire parlementaire française, l’une des formes les plus abouties du contrôle est celle des commissions d’enquête parlementaires.
Les propos du député Martin (du Nord), rapporteur de la première commission parlementaire créée pour procéder à des investigations, tenus en 1832, sont toujours d’actualité : « Il faut qu’on se pénètre bien de cette vérité que les droits et les devoirs de la Chambre ne se bornent pas à étudier les vœux et les besoins de la France, à lui donner des lois ou à fixer ses impôts, il faut qu’on sache aussi qu’un désordre grave ne peut pas signaler un vice dans l’administration sans que la Représentation nationale s’en inquiète, porte un regard scrutateur sur les causes du mal, et révèle le résultat de ses investigations quelles que puissent être les conséquences. » (365) Depuis lors, la constitution d’une commission d’enquête est décidée par l’adoption d’une résolution en séance publique.
Le rôle, les conditions de création et les pouvoirs des commissions d’enquête sont définis par l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires. Ces commissions « sont formées pour recueillir des éléments d’information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l’assemblée qui les a créées ». Elles ne peuvent toutefois être créées lorsque des poursuites judiciaires sont en cours pour les faits que la commission se propose d’étudier. À la précision de leur objet s’ajoute la durée limitée à six mois de leur mission (366). Elles sont composées à la proportionnelle des groupes politiques. Le pluralisme politique de leur composition a été renforcé à l’Assemblée nationale par l’adoption d’une résolution du 26 mars 2003 prévoyant que la fonction de président ou celle de rapporteur revient de plein droit à un membre du groupe auquel appartient le premier signataire de la proposition de résolution à l’origine de la création de la commission d’enquête.
Les pouvoirs d’investigation des commissions d’enquête sont très larges. Ils comprennent la possibilité de procéder à des investigations sur pièces et sur place, d’exiger la communication de tous documents d’ordre financier et administratif, de convoquer en audition contraignante.
Les travaux menés par une commission d’enquête bénéficient d’une publicité qui valorise cette activité de contrôle. Dans un premier temps, la publicité se limitait au rapport remis par la commission d’enquête au Président de l’assemblée. Le principe de publicité des auditions a été généralisé par une loi du 20 juillet 1991 (367). Cette forme de publicité fait connaître la mission de contrôle du Parlement et le montre à l’œuvre, de la même manière que la publicité des séances publiques le montre à l’œuvre en tant qu’il légifère. Les niveaux d’audience télévisuelle très élevés atteints par certaines auditions auxquelles a procédé, dans les premiers mois de l’année 2006, la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite « d’Outreau » et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement, confirment l’utilité et le sens démocratique d’une publicité la plus grande possible donnée aux travaux des commissions d’enquête.
Une résolution du 12 février 2004 modifiant le Règlement de l’Assemblée nationale a prévu qu’à l’issue d’un délai de six mois suivant la publication du rapport d’une commission d’enquête, un membre de la commission permanente compétente, désigné par celle-ci à cet effet, lui présente un « rapport sur la mise en œuvre des recommandations de ladite commission d’enquête », selon les termes du quatrième alinéa de l’article 143 du Règlement. Le Conseil constitutionnel a toutefois émis une réserve sur ces nouvelles modalités de contrôle, en considérant que « les missions de suivi ainsi définies revêtent un caractère temporaire et se limitent à un simple rôle d’information contribuant à permettre à l’Assemblée nationale d’exercer son contrôle sur la politique du Gouvernement dans les conditions prévues par la Constitution ; qu’en particulier s’agissant des commissions d’enquête, dont les conclusions sont dépourvues de tout caractère obligatoire, le rapport présenté ne saurait en aucun cas adresser une injonction au Gouvernement » (368).
• Le contrôle budgétaire
En matière budgétaire, la tâche de contrôle est confiée aux présidents, rapporteurs généraux et rapporteurs spéciaux des commissions chargées des finances dans chaque assemblée. Ils disposent à cet effet de pouvoirs d’investigation assez semblables à ceux d’une commission d’enquête. Ces différents pouvoirs, qui ont été élevés au niveau organique par la LOLF du 1er août 2001, ont été complétés par la possibilité pour le président de la Commission de recourir à une procédure de référé pour faire cesser l’entrave à la communication des renseignements demandés dans le cadre d’une mission d’évaluation et de contrôle.
En outre, la LOLF prévoit que le Gouvernement doit communiquer un grand nombre d’informations aux commissions des Finances, que ce soit sous la forme de réponses aux questionnaires budgétaires adressés chaque année par les rapporteurs spéciaux, sous la forme de rapports (369), d’annexes à la loi de finances de l’année, dont la liste non exhaustive figure à l’article 51 de la LOLF. Son article 60, qui impartit un délai de deux mois au Gouvernement pour répondre par écrit aux observations notifiées à la suite d’une mission de contrôle et d’évaluation, renforce les conditions d’un contrôle efficace, pouvant se poursuivre de manière constructive. Enfin, les commissions des Finances bénéficient de l’assistance de la Cour des comptes dans leur travail de contrôle et d’évaluation (370).
Afin d’institutionnaliser la fonction de contrôle budgétaire du Parlement, la commission des Finances de l’Assemblée nationale a décidé en février 1999, sur la proposition de notre collègue Didier Migaud, de créer une MEC. Cette mission, dont le programme de travail est annuel, s’inscrit dans une démarche globale et continue qui a pour objet d’analyser des politiques publiques de manière transversale, afin de compléter le travail par définition spécialisé et sectorisé des rapporteurs spéciaux. Elle est composée de dix-huit députés membres de la commission des Finances, dont le président et le rapporteur général de cette commission. La coprésidence d’un député de la majorité et d’un député de l’opposition reflète le souci d’associer l’opposition aux travaux de contrôle. La MEC a présenté vingt-deux rapports entre 1999 et 2007, qui parfois donnent lieu à un suivi, afin d’apprécier la manière dont il a été tenu compte des préconisations de la mission.
Le contrôle budgétaire exercé à l’occasion de l’examen des projets de loi de règlement a également été réformé dans le sens d’un approfondissement. Depuis l’examen du projet de loi de règlement du budget pour 2005, certains budgets font, en effet, l’objet de rapports détaillés des rapporteurs spéciaux, examinés par la commission des Finances et donnant lieu à des débats thématiques lors de l’examen du projet en séance.
• Le contrôle des finances sociales
Les principes guidant le contrôle des finances publiques par le Parlement ont servi de base à la mise en place d’un contrôle des finances sociales, dans le cadre de l’examen annuel et du vote par le Parlement d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale, sur le fondement de l’article 47-1 de la Constitution, introduit par la révision constitutionnelle du 22 février 1996 (371).
Le président et les rapporteurs de la commission saisie au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale disposent des mêmes pouvoirs d’investigation que ceux accordés au président, au rapporteur général et aux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances (article L.O. 111-9 du code de la sécurité sociale). En outre, de la même manière qu’en matière de lois de finances, le Gouvernement est chargé de fournir aux parlementaires une information très abondante : réponses aux questionnaires des rapporteurs ; rapports (rapport sur les orientations des finances sociales au cours du dernier trimestre de la session ordinaire) ; annexes aux projets de loi de financement de la sécurité sociale (article L.O. 111-4) ; information avant tout relèvement des plafonds d’avances de trésorerie des régimes de sécurité sociale (article L.O. 111-9-2) ; envoi chaque semestre d’un état des créances et des dettes réciproques de l’État et des régimes de sécurité sociale (article L.O. 111-10-1) ; consultation pour la déclinaison des objectifs de dépense en sous-objectifs (article L.O. 111-10-2). Sur le modèle de la MEC, la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie a prévu, en son article 38, qu’il « peut être créé au sein de la commission de chaque assemblée saisie au fond des projets de loi de financement de la sécurité sociale une mission d’évaluation et de contrôle chargée de l’évaluation permanente de ces lois » (372) (actuel article L.O. 111-10).
Les commissions compétentes en matière de lois de financement de la sécurité sociale ont créé, respectivement en 2004 à l’Assemblée nationale et en 2006 au Sénat, une MECSS, dont le programme de travail annuel prévoit le dépôt de rapports d’information. En outre, le Gouvernement et les organismes de sécurité sociale sont tenus de répondre dans un délai de deux mois aux observations notifiées dans le cadre d’une mission d’évaluation et de contrôle. Les commissions et les MECSS bénéficient également de l’assistance de la Cour des comptes (373).
• Les missions d’information
Les règlements de l’Assemblée nationale et du Sénat permettent par ailleurs de créer des missions d’information, soit au sein d’une commission permanente, soit communes à plusieurs commissions, missions qui contribuent également à l’exercice par le Parlement de sa fonction de contrôle. Lors du contrôle initial de constitutionnalité du Règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel avait émis une importante réserve d’interprétation sur les dispositions permettant aux commissions permanentes d’exercer un contrôle sur l’activité du Gouvernement. Il les avait en effet déclarées conformes à la Constitution « pour autant que ces dispositions n’attribuent aux commissions permanentes qu’un rôle d’information pour permettre à l’Assemblée d’exercer, pendant les sessions ordinaires et extraordinaires, son contrôle sur la politique du Gouvernement dans les conditions prévues par la Constitution » (374). Cette restriction, pénalisante en termes de continuité du contrôle, a toutefois été singulièrement atténuée par la suite, du fait de l’institution de la session unique par la révision constitutionnelle du 4 août 1995 (375).
Une résolution du 26 mars 2003 a introduit dans l’article 145 du Règlement de l’Assemblée nationale un alinéa prévoyant que des missions d’information peuvent être créées par la Conférence des Présidents sur proposition du Président de l’Assemblée nationale. À la différence des rapports des missions d’information créées par une ou plusieurs commissions, les rapports de ces missions créées par la Conférence peuvent donner lieu à un débat sans vote en séance publique. Sur ce point, ces missions se rapprochent des commissions d’enquête, dont le rapport peut également donner lieu à un débat sans vote en séance publique. Si aucun rapport d’une mission d’information créée par la Conférence des Présidents n’a pour l’heure donné lieu à un tel débat, en revanche, il convient de signaler que, sur les dix missions créées au cours de XIIe législature par la Conférence des Présidents, trois ont conduit, en aval, à la discussion puis à l’adoption d’une proposition de loi ou d’un projet de loi directement inspiré par les conclusions de la mission d’information (376).
• Le contrôle de l’application des lois
Le thème du contrôle de l’application des textes de loi est devenu de plus en plus pressant au fur et à mesure que l’inflation législative a fait apparaître avec plus d’ampleur les retards en matière d’adoption des textes réglementaires d’application des dispositions législatives votées par le Parlement.
À ce premier aspect s’est ajouté le souhait de disposer d’évaluations des conséquences de la législation adoptée par le Parlement.
La résolution du 12 février 2004 modifiant le Règlement de l’Assemblée nationale a pris acte de la nécessité de suivre l’application des lois avec plus d’intensité. Elle a introduit dans le Règlement une disposition prévoyant qu’à l’issue d’un délai de six mois suivant l’entrée en vigueur d’une loi dont la mise en œuvre nécessite la publication de textes réglementaires, le député qui en a été le rapporteur ou, à défaut, un autre député nommé par la commission compétente, présente à la commission un rapport sur la mise en application de cette loi (377).
Cette possibilité a été mise en œuvre progressivement par les différentes commissions au cours de la XIIe législature. Depuis le début de la XIIIe législature, à la commission des Lois ainsi qu’à la commission des Affaires économiques, les rapports sur la mise en application des lois sont confiés conjointement à un rapporteur de la majorité et à un co-rapporteur de l’opposition.
Pour autant, le stock de lois en attente de publication de mesures réglementaires d’application, certes globalement stabilisé, s’élevait en septembre 2007 à 237. L’amélioration la plus sensible concerne cependant non le stock mais le flux.
L’APPLICATION DES LOIS : ÉVOLUTION DE 1999-2000 À 2006-2007 | ||||||||
Type de loi |
1999-2000 |
2000-2001 |
2001-2002 |
2002-2003 |
2003-2004 |
2004-2005 |
2005-2006 |
2006-2007 |
Lois non applicables |
Près de 60 % |
Près de 60 % |
33 % |
Près de 60 % |
Près de 50 % |
Plus de 50 % |
Près de 40 % |
Plus de 30 % |
Lois partiellement applicables |
Près de 30 % |
Plus de 30 % |
Près de 60 % |
Près de 25 % |
Plus de 40 % |
Près de 40 % |
Plus de 50 % |
Près de 60 % |
Lois applicables |
Plus de 12 % |
Plus de 7 % |
Plus de 10 % |
Près de 20 % |
Près de 10 % |
Près de 10 % |
Près de 10 % |
10 % |
Si les activités de contrôle tendent de plus en plus vers une évaluation et un suivi des textes législatifs adoptés par le Parlement, le support constitutionnel de cette mission de contrôle fait encore défaut.
• Le contrôle en séance publique
Le contrôle parlementaire peut également être exercé en séance publique. Ce contrôle prend aujourd’hui la forme :
— de questions au Gouvernement ;
— de questions orales sans débat et, au Sénat, de questions orales avec débat (378) ;
— de débats d’orientation financiers et sociaux (379) ;
— de débats sans vote sur les déclarations du Gouvernement ;
— de débats avec vote sur le programme ou sur une déclaration de politique générale du Gouvernement ;
— de motions de censure, à l’Assemblée nationale uniquement ;
— de l’examen des propositions de résolution visant à la création d’une commission d’enquête ;
— de la discussion des propositions de résolution portant sur des propositions d’actes communautaires ;
— de débats sans vote sur le rapport d’une commission d’enquête ou sur le rapport d’une mission d’information créée par la Conférence des Présidents
En dépit de la diversité des moyens de contrôle en séance publique, seuls les questions au Gouvernement, les débats et les discussions de motions de censure sont fréquemment utilisés. Ainsi, le temps consacré au contrôle dans le cadre des séances publiques à l’Assemblée nationale oscille, suivant les sessions, entre 10 % et 15 % de la durée cumulée de toutes les séances publiques.
LE TEMPS CONSACRÉ AU CONTRÔLE EN SÉANCE PUBLIQUE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE | |||||
Sessions (1) |
2002-2003 |
2003-2004 |
2004-2005 |
2005-2006 |
2006-2007 |
Questions |
115 heures 15 |
109 heures 20 |
101 heures 50 |
109 heures 35 |
60 heures 10 |
Déclarations et censures |
49 heures 20 |
59 heures 30 |
30 heures 30 |
33 heures 20 |
1 heure 15 |
Résolutions (2) |
8 heures 05 |
11 heures 50 |
15 heures 15 |
14 heures 20 |
– |
Durée cumulée |
172 heures 40 |
180 heures 40 |
147 heures 35 |
157 heures 15 |
61 heures 25 |
Durée totale des séances publiques |
1 197 heures 10 |
1 245 heures 35 |
953 heures 55 |
1 090 heures 10 |
560 heures 20 |
(1) Y compris les sessions extraordinaires de juillet 2003, juillet 2004, juillet 2005, septembre 2006. (2) Les résolutions examinées en séance publique comprennent à la fois des résolutions visant à la création de commissions d’enquête, des résolutions portant sur des propositions d’actes communautaires et des résolutions modifiant le Règlement de l’Assemblée nationale. L’examen de ces dernières résolutions ne constitue pas à proprement parler du temps de contrôle. |
• L’inscription dans la Constitution de la mission de contrôle de l’action du Gouvernement
Le présent article prévoit d’introduire dans l’article 24 de la Constitution une disposition selon laquelle le Parlement « contrôle l’action du Gouvernement ». La mention explicite de la mission de contrôle permettra de conforter les dispositions relatives au contrôle des finances publiques et des finances sociales, celles relatives aux commissions d’enquête, mais également les dispositions ne figurant que dans les règlements des assemblées et permettant l’organisation de missions d’information ainsi que le suivi de l’application des lois. Aucune limite temporelle ne s’imposera désormais à l’action de contrôle du Parlement sur le Gouvernement.
Le Conseil constitutionnel porte une attention toute particulière aux procédures de contrôle instituées par le Parlement. Il a ainsi émis à plusieurs reprises des réserves d’interprétation sur les dispositions confiant des pouvoirs de contrôle aux commissions permanentes (380), s’attachant à vérifier que ces dispositions n’excèdent pas la volonté du constituant.
La proposition de nouvelle rédaction de l’article 24 de la Constitution, qui définit dans un premier alinéa les fonctions du Parlement, est de ce point de vue importante, car elle permettra au Parlement de se doter de nouveaux moyens de contrôle, sans craindre d’encourir une éventuelle censure du Conseil constitutionnel.
Toutefois, le rapporteur considère qu’il serait restrictif de mentionner dans la Constitution le rôle de contrôle de l’action du Gouvernement qui incombe au Parlement sans prévoir dans le même temps qu’il évalue les politiques publiques. Ces deux missions sont, en effet, complémentaires et ne peuvent souvent pas être dissociées.
En outre, l’évaluation des politiques publiques permet de couvrir un champ plus large que le contrôle de l’action du Gouvernement, car cette évaluation inclut non seulement les établissements publics et les entreprises publiques mais également les organismes de sécurité sociale, les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Si la mission du Parlement était cantonnée au seul domaine du contrôle de l’action du Gouvernement, toute une partie des politiques publiques, et notamment les politiques publiques locales, pourrait échapper à son attention.
Dans la mesure où il ne saurait être question de confier au Parlement un monopole de l’évaluation des politiques publiques, il est souhaitable de mentionner le « concours » du Parlement à l’évaluation des politiques publiques. Cette rédaction permettrait ainsi, tout en consacrant le rôle du Parlement, de préserver la possibilité pour le Gouvernement ou pour la Cour des comptes d’effectuer des évaluations des politiques publiques de manière distincte et indépendamment du Parlement.
Le Général de Gaulle, dans son discours de Bayeux du 16 juin 1946, avait relevé la nécessité de maintenir le bicamérisme, la seconde chambre étant chargée de faire contrepoids à la première, l’existence d’un double regard permettant de donner une stabilité plus grande à la législation : « Il faut donc attribuer à une deuxième assemblée et composée d’une autre manière la fonction d’examiner publiquement ce que la première a pris en considération, de formuler des amendements, de proposer des projets (…). Tout nous conduit donc à instituer une deuxième chambre dont pour l’essentiel nos conseils généraux et municipaux éliront les membres. »
Ainsi, l’article 24 de la Constitution dispose que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Si la mission du Sénat est précisée, le mode de scrutin qui lui applicable ne l’est pas. Comme l’a souligné Michel Debré, dans son discours devant le Conseil d’État, le 27 août 1958, « en ce qui concerne les assemblées, nous sommes demeurés dans la tradition républicaine : la loi électorale de l’une et de l’autre est extérieure à la Constitution. Il est simplement entendu que les députés sont élus au suffrage universel direct, et que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Les règles fondamentales de la démocratie française sont donc maintenues. »
• L’évolution des règles encadrant l’élection des sénateurs
À l’origine de la Ve République, les sénateurs étaient élus pour neuf ans, au suffrage universel indirect, par un collège électoral composé des députés, des conseillers généraux et des délégués des conseils municipaux. L’âge d’éligibilité était fixé à trente-cinq ans. Le Sénat se renouvelait par tiers tous les trois ans.
Dans les départements qui avaient droit à quatre sièges de sénateurs ou moins, l’élection se déroulait au scrutin majoritaire à deux tours. Pour être élu au premier tour, il fallait obtenir la majorité absolue des suffrages exprimés et le quart des électeurs inscrits. Au second tour, la majorité relative suffisait. Dans les départements représentés par cinq sénateurs ou plus, la représentation proportionnelle s’appliquait selon la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel.
Jusqu’en 2003, le régime électoral du Sénat avait connu très peu de modifications. Seules avaient été réalisées les adaptations rendues nécessaires par l’évolution des structures administratives françaises, au diapason de la création de nouveaux départements et des modifications statutaires dans l’outre-mer. Intervenue après le recensement général de la population de 1975, la dernière actualisation du nombre des sièges de sénateurs, qui datait de 1976, s’était traduite par la création de trente-trois sièges supplémentaires.
La loi n° 2000-641 du 10 juillet 2000 a étendu l’application du scrutin de listes proportionnel en y introduisant les règles nouvelles de parité entre candidats et candidates. La représentation proportionnelle a ainsi été appliquée dans les départements ayant plus de deux sièges à pourvoir, soit pour l’élection de deux cent douze sénateurs dans cinquante départements et pour l’élection des douze sénateurs représentant les Français établis hors de France. La loi de juillet 2000 a également prévu que l’élection des délégués sénatoriaux se fait au scrutin majoritaire à deux tours dans les communes dont la population est inférieure à 3 500 habitants et à la représentation proportionnelle dans les autres.
Ce régime des élections sénatoriales a été fortement renouvelé par trois lois, la loi organique n° 2003-696 du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l’âge d’éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat, la loi n° 2003-697 du 30 juillet 2003 portant réforme de l’élection des sénateurs et la loi n° 2004-404 du 10 mai 2004 actualisant le tableau de répartition des sièges et certaines modalités de l’organisation de l’élection des sénateurs.
Afin de tenir compte des nombreuses élections qui devaient se tenir en 2007, le législateur a, par ailleurs, modifié le calendrier électoral des élections municipales et cantonales (381). Afin que les sénateurs soient élus désormais et dans les années à venir par des « grands électeurs » en début de mandat, les élections qui devaient initialement se tenir en 2007, 2010 et 2013 ont été repoussées d’une année et se dérouleront donc en septembre 2008, 2011 et 2014.
Par ailleurs, en 2007, la loi n° 2007-224 du 21 février a créé deux nouvelles collectivités d’outre-mer, les îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin. Pour tenir compte de ces modifications, la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 a créé deux sièges de sénateurs supplémentaires.
Les lois de 2003 ont assuré :
― la réduction de la durée du mandat sénatorial de neuf à six ans ;
― la répartition des sièges à pourvoir en fonction du recensement de 1999, conduisant à la création de vingt-deux nouveaux sièges dans les départements (de trois cent quatre à trois cent vingt-six sénateurs) et de trois nouveaux sièges en Nouvelle-Calédonie et dans les collectivités d’outre-mer (de cinq à huit sénateurs) (382) ;
― la distribution des départements en deux séries (1 et 2) au lieu de trois (A, B et C) (383), selon le schéma transitoire suivant :
DISPOSITIONS TRANSITOIRES APPLICABLES À L’ÉLECTION DES SÉNATEURS | ||||
Année |
Première série |
Deuxième série | ||
Série B |
Moitié C |
Moitié C |
Série A | |
2004 |
– |
Élection (7 ans) |
Élection (10 ans) |
– |
2008 |
– |
– |
– |
Élection (6 ans) |
2011 |
Renouvellement total (6 ans) |
– |
– | |
2014 |
– |
– |
Renouvellement total (6 ans) |
― une nouvelle répartition entre les différents modes de scrutin, avec l’application du scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans les départements ayant d’un à trois sièges (soit soixante-dix départements et cinq collectivités outre-mer) (384) et l’application du scrutin de liste avec élection à la représentation proportionnelle dans les départements comptant quatre sièges ou plus (trente départements) ;
― une augmentation progressive du nombre de sièges de sénateurs conduisant à la création de vingt-quatre sièges supplémentaires en 2011 (vingt-six avec la prise en compte de Saint-Barthélemy et Saint-Martin) ;
― ainsi que l’abaissement de l’âge d’éligibilité des sénateurs de trente-cinq à trente ans.
Dans chaque série, en application de l’article L.O. 277 du code électoral, le mandat des sénateurs commence à l’ouverture de la session ordinaire qui suit leur élection, date à laquelle expire le mandat des sénateurs antérieurement en fonction, c’est-à-dire au premier jour ouvrable d’octobre en application de l’article 28 de la Constitution. En vertu de l’article L.O. 278 du même code, l’élection au suffrage indirect des sénateurs doit se tenir dans les soixante jours qui précèdent la date du début de leur mandat.
Le prochain renouvellement doit donc intervenir dans les soixante jours précédant le lundi 1er octobre 2008, soit entre le dimanche 5 août et le dimanche 30 septembre. Le mois d’août étant peu propice aux consultations électorales, les élections sénatoriales ont traditionnellement lieu en septembre.
Seront ainsi concernés par le prochain renouvellement de septembre 2008 les sénateurs de la série A, c’est-à-dire les sénateurs élus la dernière fois en septembre 1998 et représentant les départements de l’Ain à l’Indre (cent trois sénateurs), le département de Guyane (deux sénateurs), la Polynésie française (deux sénateurs), les îles Wallis et Futuna (un sénateur), ceux représentant une part des Français établis hors de France (quatre sénateurs) ainsi que ceux qui représenteront, pour la première fois, Saint-Barthélemy et Saint-Martin (deux sénateurs).
En 2011, seront élus les cent soixante-dix sénateurs de la série 1, et en 2014, les cent soixante-dix-huit sénateurs de la série 2, les deux séries étant composées selon le tableau suivant :
RÉPARTITION DES SÉNATEURS À PARTIR DU RENOUVELLEMENT DE 2011 | |||
SÉRIE 1 |
SÉRIE 2 | ||
Représentation des départements | |||
Indre-et-Loire à Pyrénées-Orientales |
97 |
Ain à Indre |
103 |
Seine-et-Marne |
6 |
Bas-Rhin à Yonne (à l’exception de la Seine-et-Marne) |
62 |
Essonne à Yvelines |
47 | ||
Guadeloupe, Martinique, La Réunion |
9 |
Guyane |
2 |
Total des sénateurs des départements |
159 |
Total des sénateurs des départements |
167 |
Représentation de la Nouvelle-Calédonie, des collectivités d’outre-mer | |||
Mayotte |
2 |
Polynésie française |
2 |
Saint-Pierre-et-Miquelon |
1 |
Îles Wallis et Futuna |
1 |
Nouvelle-Calédonie |
2 |
Saint-Barthélemy et Saint-Martin |
2 |
Français établis hors de France |
6 |
Français établis hors de France |
6 |
Total de la série |
170 |
Total de la série |
178 |
Total des sénateurs |
348 |
• Le déséquilibre du collège électoral
La loi constitutionnelle du 24 février 1875 relative à l’organisation du Sénat attribuait à chaque commune, quelle que soit sa population, un seul électeur sénatorial. Puis se fit rapidement sentir le besoin de prendre en considération la diversité des communes, notamment en fonction de leur taille. C’est pourquoi, sans remettre en cause la représentation de chaque commune au sein du collège, la loi du 9 décembre 1884 a fait dépendre la représentation des communes au sein du collège des « grands électeurs » sénatoriaux de l’effectif du conseil municipal, lui-même fonction de la population.
Suspendue par la loi organique du 27 octobre 1946 (385), qui avait prévu l’élection des membres du collège électoral au suffrage universel direct dans le cadre cantonal, la désignation des délégués des communes par le conseil municipal lui-même sera de nouveau instituée par la loi organique du 23 septembre 1948 (386). Afin de mieux prendre en compte l’importance relative de la population, cette loi avait prévu, pour la première fois, la désignation de « délégués supplémentaires », qui bénéficiaient alors aux villes de plus de 45 000 habitants, à raison d’un délégué pour 5 000 habitants ou fraction de ce nombre en sus de 45 000. Les conseillers municipaux des villes de 9 000 habitants et plus étaient tous délégués de droit.
L’ordonnance du 15 novembre 1958 (387) est venue encore atténuer la rigueur de ce système en augmentant le nombre de délégués des communes urbaines pour tenir compte de leur poids démographique. Si le déséquilibre dans la composition du collège électoral a été réduit au fil des réformes, il demeure suffisamment important pour justifier une réforme. Le collège électoral de 150 000 « grands électeurs » comprend 577 députés et environ 1 900 conseillers régionaux, 4 000 conseillers généraux et 142 000 délégués des conseils municipaux.
En 1959, les délégués sénatoriaux des communes de moins de 9 000 habitants étaient désignés au scrutin majoritaire à trois tours, les autres étaient élus à la représentation proportionnelle.
Les critiques faites au système de désignation du Conseil de la République, qui avaient eu un certain retentissement, avaient donc conduit à accroître un peu la représentation des villes. Pour les communes de moins de 9 000 habitants, rien n’avait été changé aux dispositions de la loi de 1948 : un membre du conseil municipal était délégué sénatorial pour les conseils municipaux de neuf à onze membres, deux pour les conseils de treize membres, cinq pour les conseils de dix-sept membres, sept pour les conseils de vingt et un membres, quinze pour les conseils de vingt-trois membres. Dans les communes de plus de 9 000 habitants, et dans toutes les communes de l’ancien département de la Seine, tous les membres du conseil municipal étaient délégués sénatoriaux. De plus, dans les communes de plus de 30 000 habitants, il y avait un délégué supplémentaire pour mille habitants au-delà de 30 000 : là résidait la seule différence avec le recrutement antérieur du Conseil de la République, où les délégués supplémentaires n’existaient que pour les communes de plus de 45 000 habitants, à raison d’un pour 5 000 habitants.
Comme sous la IVe République, la majorité absolue des délégués sénatoriaux était issue des communes de moins de 1 500 habitants, même si cette majorité absolue est passée de 56 % à 53 %. Mais, la part de ces communes dans la population globale étant elle-même passée de 35,5 % à 33 %, la surreprésentation est restée à peu près identique. Les « victimes » de la réforme ont été les petites villes, comprises entre 1 500 à 10 000 habitants, qui n’étaient plus surreprésentées. Leur représentation est devenue équitable.
En revanche, les villes de plus de 10 000 habitants, représentant 41,5 % de la population, ne désignent que 21,5 % de délégués sénatoriaux. Comme sous la IVe République, le fait que l’élection se déroule à la représentation proportionnelle dans les départements les plus peuplés (plus de quatre sénateurs en 1959) et selon le scrutin majoritaire dans les autres aggrave la sous-représentation des villes. Dans les départements très peuplés, à prédominance urbaine, les minorités rurales peuvent tout de même être représentées grâce à la proportionnelle ; dans les départements moins peuplés, généralement à prépondérance rurale, le système majoritaire réduit la place des minorités urbaines.
Pour expliquer cette continuité avec la IVe République, dans son discours devant le Conseil d’État du 27 août 1958, Michel Debré déclarait, à propos du corps électoral du Président de la République, mais l’analyse vaut pour celui du Sénat d’alors : « La seule difficulté de ce collège est constituée par le grand nombre de petites communes et la représentation relativement faible des grandes villes. Ce problème est un problème politique, mais il faut bien voir qu’il est posé par une caractéristique nationale que nous devons admettre à moins de sombrer dans l’idéologie. La France est composée de milliers et de milliers de communes : ce fait est un fait français, un des aspects fondamentaux de notre sociologie. Les inconvénients de cette force considérable des petites communes doivent, il est vrai, être corrigés. Le projet qui vous est soumis accorde aux grandes villes une représentation équitable en donnant à leurs conseils municipaux la possibilité d’élire des électeurs supplémentaires proportionnellement à la population. »
De manière pragmatique, Marcel Prélot, constitutionnaliste et sénateur, pouvait justifier, pour sa part, qu’une péréquation rigoureuse, en privant de représentation les parties de territoires les moins peuplés, leur ferait « perdre de la sorte toute possibilité de redressement », et qu’elles « deviendraient des zones mortes dans le corps de la Nation, rompant ainsi son équilibre et menaçant sa vie ».
De manière plus doctrinale, selon Georges Burdeau, la différence entre le suffrage direct de l’Assemblée nationale et le suffrage présidentiel et sénatorial correspondrait à la dualité de conceptions du peuple en régime démocratique moderne. Le peuple, ce serait d’une part, un ensemble de gens « situés », diversifiés ; ce serait, d’autre part, une collectivité homogène de citoyens abstraits. Le peuple concret s’exprimerait dans les élections à l’Assemblée nationale, où le suffrage direct traduirait la diversité des partis politiques et des familles spirituelles ; la Nation abstraite serait exprimée par le suffrage sénatorial « retenant les volontés citoyennes qu’à tort ou à raison on a cru mieux perceptibles dans les horizons de la vie locale ».
Dans l’état du droit, conformément à l’article L. 280 du code électoral, les sénateurs sont élus, dans chaque département, au suffrage universel indirect par un collège électoral constitué des députés du département, des conseillers régionaux de la section départementale correspondante, des conseillers généraux du département et des délégués des conseils municipaux ou des suppléants de ces délégués.
Les règles de désignation des délégués des conseils municipaux, catégorie de loi la plus nombreuse, sont prévues aux articles L. 283 à L. 293 du même code. Leur nombre dépend de l’effectif du conseil municipal, lui-même fonction de la population de la commune.
Trois « strates » sont distinguées, dont les bornes se situent à 9 000 et à 30 000 habitants :
— dans les communes de moins de 9 000 habitants, le nombre des délégués est inférieur à l’effectif des conseils municipaux et s’échelonne entre un (communes de moins de 500 habitants) et quinze délégués (communes de 3 500 à moins de 9 000 habitants) ;
— dans les communes de 9 000 à 30 000 habitants, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit de leur conseil municipal au collège électoral sénatorial, soit vingt-neuf à trente-neuf délégués par commune ;
— dans les communes de plus de 30 000 habitants, les conseillers sont délégués de droit, et les conseils municipaux élisent en outre des délégués supplémentaires, à raison d’un pour 1 000 habitants en sus de 30 000.
Jusqu’à la loi du 10 juillet 2000 précitée, les délégués sénatoriaux de communes de moins de 9 000 habitants étaient désignés au scrutin majoritaire à trois tours, les autres étaient élus à la représentation proportionnelle. Aujourd’hui, l’élection des délégués sénatoriaux se fait au scrutin majoritaire à deux tours dans les communes dont la population est inférieure à 3 500 habitants et à la représentation proportionnelle dans les autres (388).
Les délégués municipaux représentent 95 % des 150 000 « grands électeurs ». Les conseils municipaux des communes de moins de 500 habitants, regroupant 7 % de la population, désignent 16 % des « grands électeurs ». Ceux des communes de 500 à 1 500 habitants, regroupant 15 % de la population, en désignent 25 %. Les villes de plus de 15 000 habitants, où vit plus de la moitié de la population, désignent 30 % des délégués. En leur sein, les quelque 250 communes de plus de 30 000 habitants, fortes de 32 % de la population, désignent environ 17 % des délégués des communes. Seul le rapport entre la population des communes comprises entre 1 500 et 15 000 habitants et la proportion de délégués qu’elles élisent est proche de un.
Dans le but d’établir un rapport entre population et nombre de « grands électeurs », sous la XIe législature, un projet de loi relatif à l’élection des sénateurs, adopté en lecture définitive par l’Assemblée nationale, avait prévu que les délégués municipaux, choisis nécessairement en dehors du conseil municipal, soient désignés, à raison d’un délégué supplémentaire pour trois cents habitants
– cinq cents dans le projet de loi initial – ou fraction de ce nombre, lorsque le nombre de délégués était supérieur à l’effectif du conseil municipal. C’était au-dessus de 8 700 habitants, et non plus de 30 000 comme aujourd’hui, qu’il y aurait eu lieu à élection de délégués supplémentaires.
Cette disposition a été déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000 sur la loi relative à l’élection des sénateurs, saisi par soixante sénateurs, il a donné une valeur constitutionnelle au principe selon lequel le corps électoral du Sénat « doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ». Or, dans la mesure où la loi déférée conduisait à désigner, en dehors des conseils municipaux, des délégués qui pouvaient être majoritaires dans certains départements (389), étaient méconnus les principes en vertu desquels « le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l’émanation de ces collectivités », « toutes les catégories de collectivités territoriales doivent y être représentées » et « la représentation des communes doit refléter leur diversité ». Ce faisant, cette jurisprudence a posé un verrou qui rend difficile toute réinstauration de la règle d’un délégué pour trois cents ou même cinq cents habitants et qui limite la possibilité d’améliorer le rapport entre composition du collège électoral sénatorial et population.
• Le dispositif proposé
Afin de dépasser cet obstacle, dans sa proposition n° 63, le « comité Balladur » a estimé utile de préciser que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en fonction de leur population » (390). En effet, il a jugé que, si le mode de scrutin ne paraissait pas devoir être modifié, en revanche, « l’adaptation du collège des " grands électeurs " aux évolutions démographiques » a retenu son attention : « il n’est pas douteux que le régime électoral applicable au fonctionnement de ce collège favorise à l’excès la représentation de zones faiblement peuplées, au détriment des zones urbaines ».
Dans un objectif d’équité, il a alors « estimé qu’il était possible d’améliorer la représentativité du corps électoral du Sénat en recommandant que soit affecté à chacune des collectivités territoriales dont les représentants concourent à la désignation un nombre de délégués déterminé de telle manière que soit garantie une représentation équilibrée de chacune d’elles en fonction de sa population. Ainsi serait assuré un meilleur équilibre dans la représentation des populations. Quelle que soit la mission de représentation des collectivités territoriales assignée au Sénat par la Constitution, les zones peu peuplées ne peuvent être représentées au détriment de celles qui le sont davantage. »
Sur les mêmes fondements, le présent article prévoit que le Sénat assure « une représentation des collectivités territoriales de la République en tenant compte de leur population ».
Le passage d’une représentation « en fonction de » la population, proposée par ledit comité à une représentation « tenant compte » de la population dans le présent projet de révision, tout en garantissant que le lien entre la population et les sénateurs devra être renforcé, permettra de conserver la vocation du Sénat à représenter les collectivités territoriales. Ainsi sera mieux assurée la conciliation entre l’essence du bicamérisme qui réside dans la fonction particulière attribuée au Sénat et la nécessaire qualité de sa représentativité qui forme la condition de l’accomplissement de cette fonction (391).
La prise en compte expresse de la population pour la désignation des sénateurs prévue dans le présent article nécessitera de réfléchir aux conséquences de cette disposition sur la manière dont sont élus les sénateurs représentant les Français établis hors de France, aujourd’hui désignés par les seuls cent cinquante-cinq membres de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) alors que 1,33 million de Français sont immatriculés dans nos ambassades et consulats.
Parmi les nouvelles missions attribuées au Parlement tout entier, Assemblée nationale et Sénat compris, se trouve la représentation des Français établis hors de France, jusqu’à aujourd’hui assurée uniquement par le Sénat.
Le nombre de nos compatriotes établis hors de France a constamment augmenté depuis cinquante ans. En 1975, avant que ne soit adoptée la première loi qui créait des listes électorales à l’étranger, la population française totale vivant à l’étranger était estimée à environ à 1,8 million. Aujourd’hui, elle atteindrait, selon les estimations, entre 1,9 et 2,2 millions de personnes. Ainsi, les Français établis hors de France représentent l’équivalent d’une population comprise entre celle d’un département comme les Bouches-du-Rhône et celle de Paris.
Si l’on ne prend en considération que ceux des Français vivant à l’étranger qui sont inscrits sur le registre des Français établis hors de France tenu par les consulats, la croissance est également significative. Ainsi, la seule population française inscrite est passée de 1 million de Français au 31 décembre 1974 à 1,33 million de personnes au 31 décembre 2007. Si l’on choisit une période de référence plus courte, en dix ans, de 1997 à 2007, la population française établie hors de France inscrite a augmenté d’environ 40 %, soit un taux moyen de croissance supérieur à 3 % par an.
La répartition de cette population s’avère très inégale. Près de 50 % de la population établie hors de France résident en Europe occidentale, 13 % en Amérique du Nord, 13 % au Moyen-Orient et en Afrique francophone. L’Afrique, qui représentait un quart de la population française vivant à l’étranger jusqu’au début des années 1990, n’en représente plus que 15 %. En outre, vingt pays représentent 75 % de la population française établie hors de France. Les quatre premiers, à savoir la Belgique, la Suisse, l’Allemagne et le Royaume-Uni, enregistrent plus de 100 000 Français chacun. La moitié de la population résidant hors de France possède une double nationalité.
• Du Conseil supérieur des Français de l’étranger à l’Assemblée
des Français de l’étranger
Pour prendre en compte l’ensemble de cette population, l’article 24 de la Constitution de 1958 dispose que « les Français établis hors de France sont représentés au Sénat ». Sur ce fondement, ils élisent au scrutin indirect des sénateurs, au nombre de douze depuis 1983. Le collège électoral de ces sénateurs est constitué des membres élus de l’Assemblée des Français de l’étranger (AFE) qui a succédé le 9 août 2004 au Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE) (392).
La question de la représentation politique des Français établis hors de France se pose de manière institutionnelle avec la Constitution du 27 octobre 1946 et la création du Conseil de la République. Dans une résolution en date du 13 décembre 1946, l’Assemblée nationale décida que trois sièges de « conseillers de la République » sur trois cent vingt seraient confiés à des personnalités représentant les Français résidant respectivement en Europe, en Amérique et en Asie-Océanie.
Les associations qui s’étaient constituées au fil du temps pour structurer la voix de ces « Français de l’extérieur », à savoir la fédération des anciens combattants français résidant hors de France, la fédération des professeurs français à l’étranger, l’union des chambres de commerce françaises à l’étranger et l’union des Français de l’étranger, d’une part, demandèrent la possibilité de présenter leurs candidats à l’Assemblée nationale à l’occasion de la désignation des trois conseillers de la République chargés de représenter les Français de l’étranger, et, d’autre part, émirent le souhait que soit créé auprès du ministère des affaires étrangères un « conseil supérieur », composé en majorité d’élus.
Le décret du 7 juillet 1948 institua ainsi un Conseil supérieur des Français de l’étranger (CSFE), composé de cinquante-cinq membres, dont huit membres de droit rassemblant les trois conseillers de la République et les responsables des organismes susmentionnés, quarante-deux membres élus et cinq personnalités qualifiées. Parallèlement à la création du CSFE, une représentation spécifique des Français résidant à l’étranger fut institutionnalisée au Conseil de la République par la loi n° 48-1471 du 23 septembre 1948 (393).
Les premières élections au CSFE se tinrent en 1950 dans soixante-dix pays, selon les modalités définies par un arrêté ministériel du 10 décembre 1949 qui imposait, pour avoir la qualité d’électeur, l’immatriculation dans les consulats et l’appartenance à une association ou un « organisme » français. Dans un premier temps, ces organismes reconnus désignaient un nombre de délégués en fonction du nombre de leurs membres, délégués qui eux-mêmes élisaient le ou les représentants au CSFE dans les mêmes conditions que les collèges sénatoriaux en France, c’est-à-dire selon un scrutin majoritaire à deux tours.
S’inspirant de la loi précitée du 23 septembre 1948 pour l’institution d’une représentation spécifique des Français de l’étranger, les prescriptions de l’article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 susmentionnées, qui s’inscrivent comme une exception au principe fixé au même article et selon lequel le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République », ont été déclinées par deux ordonnances en date du 15 novembre 1958 et du 4 février 1959 (394). Celles-ci ont organisé cette représentation et donné de nouveaux statuts au CSFE qui, tout en conservant son rôle consultatif, est institué en collège électoral unique pour l’élection des sénateurs de l’étranger, dont le nombre est augmenté de trois à six, deux représentant l’Europe et l’Amérique, un l’Asie-Océanie et trois l’Afrique.
Lors des premières élections sénatoriales du 23 avril 1959, le CSFE comptait quatre-vingt-quatre membres. Puis, il est apparu que nos compatriotes qui résidaient en Europe et en Amérique étaient sous-représentés par rapport à l’Afrique. Le nombre des sénateurs fut donc porté à neuf pour les élections de 1962.
La loi n° 82-471 du 7 juin 1982 a instauré l’élection au suffrage universel des cent trente-sept délégués au CSFE ainsi que l’élection des sénateurs par ces seuls membres élus du conseil supérieur, à l’exclusion des vingt membres désignés. La loi n° 90-384 du 10 mai 1990 modifiant la loi du 7 juin 1982 a augmenté le nombre de ses membres élus à cent cinquante et la durée de leur mandat, modifié les modalités de leur renouvellement et prévu la désignation d’un représentant des Français établis dans la principauté d’Andorre.
La loi du 9 août 2004 précitée a créé l’Assemblée des Français de l’étranger, qui s’est substituée au CSFE, et réduit de vingt et un à douze le nombre des personnalités désignées, qui n’auront plus que voix consultative. Parallèlement, le nombre de conseillers élus est augmenté progressivement : il est passé de cent cinquante à cent cinquante-trois à l’occasion du renouvellement triennal de juin 2006 et passera à cent cinquante-cinq lors du renouvellement de juin 2009. Les douze sénateurs représentant les Français établis hors de France sont membres de droit de l’AFE.
Présidée par le ministre des affaires étrangères, l’AFE est aussi chargée, à l’instar du CSFE, d’une part, « de donner au Gouvernement des avis sur les questions et projets intéressant les Français établis hors de France et le développement de la présence française à l’étranger », et, d’autre part, d’élire les sénateurs représentant les Français établis hors de France.
• La désignation des sénateurs représentant les Français établis hors de France
Contrairement aux autres sénateurs, les sénateurs représentant les Français établis hors de France ne sont pas élus dans une circonscription particulière. Leur circonscription est le monde entier moins la France. Ainsi, ils ne représentent pas les Français de tel ou tel pays en particulier, même si, dans les faits, chaque sénateur a une ou plusieurs zones privilégiées.
Jusqu’en 1983, ils étaient désignés par le Sénat sur proposition du CSFE. Depuis la loi n° 83-390 du 18 mai 1983 relative à l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France et la loi du 9 août 2004 précitée, ils sont élus par un collège formé des membres élus de l’AFE. La loi n° 92-547 du 22 juin 1992 relative aux circonscriptions électorales pour l’élection des membres du CSFE a défini une nouvelle répartition des circonscriptions consulaires dans les États dont les structures ont connu des bouleversements, à l’instar de l’Allemagne, de l’ex-Union soviétique ou de l’ex-Yougoslavie. La loi de 2004 a également révisé la carte électorale, en prenant notamment en compte l’augmentation du nombre d’élus et les évolutions démographiques des différentes communautés françaises résidant à l’étranger, et a prévu de porter le nombre des circonscriptions de quarante-huit à cinquante-deux.
Renouvelable désormais par moitié tous les trois ans, le collège électoral est donc composé de cent cinquante-cinq membres (395), élus pour six ans, au suffrage universel direct, par les Français de l’étranger inscrits sur une liste électorale créée à cet effet à l’étranger et dressée dans le ressort de chaque consulat ou, en cas de nécessité, dans un département limitrophe d’un État frontalier.
Le mode d’élection, à la représentation proportionnelle intégrale, prévu initialement par la loi du 7 juin 1982, a été modifié par la loi n° 86-1115 du 15 octobre 1986, pour se rapprocher du système retenu pour les sénateurs. Depuis la loi du 10 mai 1990 précitée, l’élection au scrutin majoritaire à un tour a lieu désormais dans les circonscriptions où le nombre de sièges à pourvoir est de un ou deux (quatre ou moins en 1986), tandis que la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne est applicable dans les circonscriptions où le nombre de sièges à pourvoir est de trois ou plus (cinq ou plus en 1986).
Porté, comme on l’a vu, de six à neuf en 1962, le nombre de sénateurs élus par les membres de l’AFE a été augmenté de six à douze par la loi du 17 juin 1983 précitée afin de tenir compte du nombre accru des Français établis à l’étranger. Ladite loi a également aligné sur le droit commun des élections sénatoriales les conditions d’éligibilité, les incompatibilités et les règles applicables au contentieux de ces élections à l’étranger.
Comme les autres sénateurs, les sénateurs représentant les Français établis hors de France sont, depuis la réforme de 2003, élus pour un mandat de six ans (au lieu de neuf ans auparavant) et sont renouvelables par moitié (au lieu du tiers) tous les trois ans à la représentation proportionnelle. En pratique, le collège électoral composé des élus de l’AFE se réunit au ministère des affaires étrangères le jour du renouvellement de la série concernée.
Pendant la période transitoire courant de 2003 à 2011 (396), la durée du mandat de deux des quatre sénateurs représentant les Français résidant à l’étranger qui ont été élus en septembre 2004 a été fixée à dix ans, leur désignation ayant été faite par tirage au sort par le bureau du Sénat dans le mois suivant leur élection (397). En 2011, les sièges des deux sénateurs qui ont été élus en 2004 pour six ans seront renouvelés au sein de la nouvelle série 1 et les sièges des deux autres seront soumis à renouvellement en 2014 au sein de la nouvelle série 2.
Dans sa lettre de mission au « comité Balladur » en date du 18 juillet 2007, le Président de la République lui a demandé « d’étudier dans quelle mesure les Français de l’étranger, qui sont de plus en plus nombreux et qui contribuent au rayonnement de notre pays dans la mondialisation, pourraient être représentés à l’Assemblée nationale en plus du Sénat ».
• Les exemples étrangers
La manière dont les parlements étrangers prennent en compte la représentation de leurs compatriotes établis à l’étranger est marquée par une très grande diversité, qui n’est pas seulement le reflet de l’importance numérique de ces derniers.
Des comparaisons avec les pays européens (398) montrent que le Portugal et l’Italie sont les deux seuls États où, comme en France, les citoyens établis hors de leur pays sont représentés de manière spécifique au Parlement.
L’Assemblée de la République portugaise compte deux cent trente membres, dont quatre représentent les Portugais établis hors du Portugal. Deux sont élus dans la circonscription formée du continent européen, les deux autres étant élus dans la circonscription formée par le reste du monde.
Les Italiens résidant hors d’Italie sont représentés par douze députés et six sénateurs. La Constitution italienne, modifiée à deux reprises en 2000, prévoit, dans son article 48, alinéa 3, que « la loi établit les conditions et les modalités d’exercice du droit de vote des citoyens résidant à l’étranger et en assure l’exercice effectif. Dans ce but, une circonscription " Étranger " pour l’élection des Chambres est créée, à laquelle est attribué un nombre de sièges établi par une norme constitutionnelle et selon des critères définis par la loi. » (399)
Dans les autres États, les citoyens expatriés disposent du droit de vote aux élections législatives, mais dans des conditions parfois limitées. Parmi eux, le Danemark et l’Irlande se révèlent les plus rigoureux.
Le premier, dans sa Constitution, réserve le droit de vote aux élections législatives aux citoyens qui résident dans le pays (400), même si la loi électorale a créé récemment quelques exceptions au profit de certaines catégories d’expatriés (401). La seconde lie droit de vote et résidence dans le pays.
Seuls les Irlandais qui partent vivre à l’étranger avec l’intention de revenir dans les dix-huit mois sont considérés comme remplissant la condition de résidence. La question de la représentation des Irlandais expatriés se pose avec une certaine acuité depuis une dizaine d’années. Leur nombre est estimé 1,3 million, dont les deux tiers résident au Royaume-Uni.
D’autres États, tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la Suède, subordonnent le droit de vote de leurs ressortissants résidant à l’étranger à une durée de séjour à l’étranger limitée.
L’Allemagne a ainsi déterminé un délai inférieur à vingt-cinq ans au bénéfice de ses ressortissants qui vivent dans un État qui n’est pas membre du Conseil de l’Europe. Ils exercent alors leur droit de vote par correspondance.
Le Royaume-Uni limite cette durée à quinze ans sans faire de distinction selon l’État de résidence. Les ressortissants britanniques qui souhaitent bénéficier de ce droit l’exercent par correspondance ou par procuration après s’être fait inscrire sur les listes électorales de la circonscription où ils votaient avant leur départ à l’étranger. L’inscription est annuelle.
La Suède prévoit quant à elle une période limitée à dix ans, mais renouvelable sur demande.
L’Autriche, la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas accordent sans restriction le droit de vote à leurs citoyens expatriés.
Les Autrichiens résidant à l’étranger peuvent voter par correspondance.
Les Belges expatriés peuvent voter aux élections législatives et sénatoriales en personne ou par procuration dans le bureau de vote de la commune belge où ils sont inscrits, en personne ou par procuration dans le poste diplomatique ou consulaire où ils sont inscrits, voire par correspondance.
En application de l’article 68, alinéa 5, de la Constitution espagnole, « la loi reconnaît et l’État facilite l’exercice du droit de suffrage aux Espagnols qui se trouvent hors du territoire de l’Espagne ». En conséquence, les Espagnols établis hors d’Espagne peuvent exercent leur droit de vote au consulat ou par correspondance.
Les ressortissants des Pays-Bas qui vivent à l’étranger peuvent demander à être inscrits dans le bureau de vote de leur choix ou, à défaut, sur les listes électorales de la capitale du royaume, et voter en personne, par correspondance ou par procuration.
En Espagne, en Italie et au Portugal, il existe un organisme susceptible d’être comparé à l’AFE. Il s’agit du Conseil général de l’émigration en Espagne, du Conseil général des Italiens de l’étranger et du Conseil des communautés portugaises. Ce dernier n’est composé que de membres élus au suffrage universel direct par les citoyens recensés par les postes consulaires, tandis que les deux autres comportent aussi en leur sein des membres nommés, quinze sur cinquante-huit membres en Espagne et vingt-neuf sur quatre-vingt-quatorze membres en Italie.
Dans son rapport (402), le « comité Balladur » « a pris acte de la grande diversité, dans les pays comparables au nôtre, des modes de représentation des nationaux résidant à l’étranger », mais a relevé que « s’il fallait assurer l’élection de députés des Français de l’étranger à l’Assemblée nationale, cela ne pourrait se concevoir que par le biais d’un scrutin de liste, appliqué à de vastes circonscriptions regroupant plusieurs régions du monde. Cela supposerait, par ailleurs, l’élection d’une vingtaine de députés au moins. » Relevant les « difficultés inhérentes aux opérations de découpage des circonscriptions », il a estimé « inopportun de modifier le mode de représentation des Français de l’étranger » et a recommandé, en conséquence, que « le système actuel de représentation des Français de l’étranger par le Sénat ne soit pas modifié ».
Toutefois fidèle à ses engagements pris pendant la campagne électorale, le Président de la République dans le projet de loi constitutionnelle présenté par le Premier ministre propose de mettre fin à la « singularité » actuelle de nos institutions qui excluent les Français établis hors de France en tant que tels de toute représentation à l’Assemblée nationale.
Le présent article propose donc d’inscrire dans l’article 24 de la Constitution que les Français établis hors de France sont représentés non seulement au Sénat, mais également à l’Assemblée nationale.
C’est sur la base de la représentation des Français de l’étranger dans le seul Sénat que la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 a modifié l’article 39 de la Constitution pour prévoir que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales et les projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France sont soumis en premier lieu au Sénat ». Cette disposition a été ainsi appliquée, par exemple, pour l’examen de la loi du 9 août 2004 précitée ou encore pour celui des lois du 20 juillet 2005 relatives au vote des Français établis hors de France pour l’élection présidentielle et à l’Assemblée des Français de l’étranger (403).
En conséquence des modifications introduites par le présent article, il conviendrait donc de modifier cet article pour supprimer la priorité du dépôt au Sénat des projets de loi relatifs aux instances représentatives des Français établis hors de France.
La détermination du nombre et du mode de scrutin applicable aux députés qui seraient élus sur le fondement des modifications proposées par le présent article nécessitera de recourir à la loi organique, conformément aux dispositions de l’article 25 de la Constitution. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a souligné, de son audition par la Commission, que « s’agissant de la représentation du 1,4 million de Français de l’étranger, il est envisagé, au stade actuel de la réflexion, un nombre de dix à douze députés élus au scrutin de liste, soit majoritaire soit proportionnel, au sein de très grandes circonscriptions délimitées au niveau mondial – sans que le découpage soit encore arrêté ».
Il conviendra également de réfléchir aux conséquences de l’adoption de telles dispositions sur la composition de l’AFE. Par exemple, en cohérence avec les dispositions en vigueur qui font participer les députés au collège électoral des sénateurs des départements et de l’outre-mer, il ne serait pas illogique que soient intégrés au corps électoral composé des élus de l’AFE les députés qui seraient éventuellement élus dans le cadre de la représentation des Français établis hors de France.
En tout état de cause, le présent projet de loi constitutionnelle ne prévoit aucun dispositif d’entrée en vigueur particulier des dispositions relatives à la représentation des Français établis hors de France à l’Assemblée nationale.
La réforme de l’État exige une stabilité du format des organes constitutionnels, dont les effectifs ne doivent pas être remis en cause en fonction des aléas politiques. Nos concitoyens l’exigent. Ainsi, il est proposé de fixer dans la Constitution le nombre maximal des membres de l’Assemblée nationale et du Sénat, de la même façon que pourrait y être fixé le nombre maximal de membres du Conseil économique et social.
À titre de comparaison, en Espagne, la Constitution, dans son article 68, dispose que « le Congrès des Députés se compose au minimum de trois cents et au maximum de quatre cents députés ». La Constitution belge précise que la Chambre des Représentants compte cent cinquante membres (article 63) et le Sénat soixante et onze membres (article 67). La Constitution italienne fixe le nombre des membres de la Chambre des députés à six cent trente, dont douze élus dans la circonscription « Étranger » (article 56), et celui des membres du Sénat à trois cent quinze, dont six élus par les Italiens établis hors d’Italie (article 57). La Constitution des Pays-Bas fixe le nombre de députés à cent cinquante et le nombre de sénateurs à soixante-quinze (article 51).
La Constitution hellène, dans son article 51, prévoit que le nombre de députés doit être compris entre deux cents et trois cents. La Constitution portugaise enferme le nombre de membres de l’Assemblée de la République entre cent quatre-vingts et deux cent trente (article 148). La Constitution du Danemark plafonne le nombre de membres du Folketing à cent soixante-dix-neuf (article 28).
Le même souci a motivé les nouvelles démocraties d’Europe centrale et orientale. Ainsi la Constitution polonaise, dans son article 96, détermine précisément le nombre des députés (quatre cent soixante) et, dans son article 97, celui des sénateurs (cent).
Rappelons, enfin, que la Constitution républicaine de 1848 limitait le nombre de représentants du peuple à sept cent cinquante (article 21). Avant elle, la Constitution de 1791 avait fixé le nombre de représentants au corps législatif à sept cent quarante-cinq (article 1er de la section Ière du chapitre Ier du titre III).
La Commission a adopté deux amendements identiques, l’un du rapporteur (amendement n° 52), l’autre de M. Jean-François Copé (amendement n° 2), précisant que le Parlement concourait à l’évaluation des politiques publiques. Le rapporteur a indiqué que ces amendements poursuivaient le même objectif que l’amendement n° 5 de M. Didier Migaud et un amendement de M. Arnaud Montebourg, que la Commission a rejeté par cohérence. Elle a également rejeté un amendement de M. Bertrand Pancher ayant la même finalité.
La Commission a rejeté deux amendements de M. Jean-Claude Sandrier l’un précisant les missions du Parlement, l’autre prévoyant que le Parlement conduit la politique économique et sociale du pays.
Elle a ensuite été saisie de deux amendements du rapporteur le premier fixant le nombre maximal des députés à cinq cent soixante-dix-sept et le second celui des sénateurs à trois cent quarante-huit. Leur auteur a indiqué que la création de sièges de députés représentant les Français établis hors de France ne devait pas accroître le nombre total de sièges. Il a ajouté que le premier amendement aurait également pour effet de revenir sur la décision de créer deux sièges de députés pour les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Il a également précisé que le second amendement ne remettait en cause ni la réforme en cours du Sénat ni la création de deux sièges de sénateurs pour les deux collectivités précitées.
Après s’être déclaré favorable à ces amendements, M. René Dosière a estimé qu’il convenait de revenir également sur la création de ces deux sièges de sénateurs. Il a rappelé que le sénateur de Saint-Barthélemy serait élu avec dix voix et celui de Saint-Martin avec douze voix.
Mme George Pau-Langevin s’est étonnée du manque de cohérence de la majorité qui a créé deux nouvelles collectivités territoriales et qui souhaite aujourd’hui ne pas les doter de représentants.
Le rapporteur a estimé que le maintien du statu quo au Sénat était suffisamment satisfaisant.
M. Dominique Perben a estimé que la limitation du nombre des députés à cinq cent soixante-dix-sept impliquait nécessairement une refonte des circonscriptions électorales, compte tenu de la création de postes de députés représentant les Français établis à l’étranger.
M. Arnaud Montebourg a exprimé sa préoccupation que le rapport entre le nombre de sièges de chaque assemblée soit effectivement figé, compte tenu notamment des compétences dévolues à la réunion des commissions permanentes compétentes des deux assemblées.
La Commission a alors adopté ces deux amendements (amendements nos 53 et 54).
Puis elle a rejeté un amendement de M. Noël Mamère prévoyant l’élection d’au moins deux dixièmes des députés au scrutin proportionnel et un amendement de M. Arnaud Montebourg prévoyant l’élection d’un dixième des députés au scrutin proportionnel.
La Commission a été saisie d’un amendement de M. Arnaud Montebourg précisant que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales « en fonction » de leur population et non en « tenant compte » de celle-ci. Son auteur a indiqué que cette formulation était celle retenue dans l’avant-projet de loi. Il a également rappelé que le collège électoral du Sénat était composé à 96 % de représentants des communes, au sein desquelles les plus petites d’entre elles étaient, en outre, surreprésentées.
Après avoir rappelé que M. Édouard Balladur avait estimé lors de son audition que les deux formulations étaient équivalentes, M. Jean-Jacques Urvoas s’est interrogé sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à modifier le projet de loi.
Le rapporteur a indiqué que l’expression figurant dans le projet de loi était celle retenue par le Conseil constitutionnel en 2000. Il a observé que la proposition de loi déposée par le groupe SRC (404) sur le mode d’élection des sénateurs n’instaurait pas une formule mathématique rigide pour la désignation des délégués, ce qu’impliquerait pourtant le retour à l’expression « en fonction ». Il a rappelé qu’aujourd’hui les conseils généraux et les conseils régionaux n’étaient représentés que par leurs seuls conseillers et que le texte retenu par le projet de loi constitutionnelle conduirait nécessairement à une adaptation. Il a cependant estimé qu’il ne convenait pas pour autant d’instaurer un système de représentation des collectivités territoriales strictement proportionnel à la population.
La Commission a alors rejeté l’amendement.
La Commission a rejeté un amendement de M. Jean-Christophe Lagarde prévoyant que les modes de scrutin pour l’élection du Parlement respectent la diversité politique de la Nation et un amendement de M. Noël Mamère prévoyant l’incompatibilité du mandat parlementaire avec tout autre mandat électif.
La Commission a adopté l’article 9 ainsi modifié.
La Commission a rejeté un amendement de M. Noël Mamère tendant à prévoir que nul ne peut exercer plus de trois mandats parlementaires consécutifs, après que cet amendement eut reçu un avis défavorable du rapporteur.
Article 10
(art. 25 de la Constitution)
Retour des ministres au Parlement
et délimitation des circonscriptions électorales
Le présent article modifie l’article 25 de la Constitution dans deux directions :
― d’une part, il autorise, dans des conditions qui restent à définir dans la loi organique, le retour des ministres au Parlement après la cessation de leurs fonctions si ceux-ci avaient été élus député ou sénateur (1°), mesure qui sera applicable aux ministres en poste au moment de l’entrée en vigueur de cette loi organique en application du IV de l’article 34 (405) ;
― d’autre part, il prévoit, dans les conditions fixées par une loi, la mise en place d’une commission indépendante chargée de donner un avis sur les projets délimitant les circonscriptions pour l’élection des députés ou des sénateurs ou répartissant les sièges entre ces dernières (2°).
La Constitution, dans son article 23, prescrit l’incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement avec l’exercice d’un mandat parlementaire. Cette incompatibilité est de règle dans les régimes qui se réclament de la séparation des pouvoirs et constitue l’un des aspects les plus caractéristiques des régimes présidentiels (406).
Cette règle fait ainsi partie des dispositions constitutionnelles instituées en 1958 pour assurer la séparation des pouvoirs, l’histoire des deux Républiques précédentes ayant montré combien la confusion entre les deux fonctions pouvait nuire au respect de ce principe proclamé à l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (407).
L’instauration d’une telle incompatibilité a donc constitué une innovation au regard de la tradition parlementaire et l’on sait que, sur ce point seulement, l’hostilité du comité consultatif constitutionnel a été très ferme. Mais, le même contraste entre incompatibilité des fonctions parlementaire et ministérielle et régime parlementaire peut être constaté en Norvège (408) ou aux Pays-Bas (409). Par ailleurs, la France elle-même a connu, dans son histoire constitutionnelle, avec les Constitutions de 1791 (410), de l’An III (411) ou de 1852 (412), une telle incompatibilité.
Lorsqu’elle fut instaurée en 1958, elle légitimait, de manière implicite, le recours à des ministres « techniciens », qui n’étaient pas issus des rangs parlementaires (413). Elle matérialisait la rupture du cordon ombilical entre le Parlement et le Gouvernement et figurait en bonne place parmi les mesures destinées à stabiliser l’exécutif. Le ministre issu du Parlement ne retrouvant pas son siège si le Gouvernement « tombait », il serait peu enclin à jouer contre la stabilité de celui-ci.
Le Général de Gaulle tenait beaucoup à cette mesure. Dès 1958, il fera adopter deux textes qui consacrent, selon ses vues, la séparation des pouvoirs. La loi constitutionnelle du 3 juin 1958, qui proclame que « le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif doivent être effectivement séparés de façon que le Gouvernement et le Parlement assument chacun pour sa part et sous sa responsabilité la plénitude de leurs attributions », et qui prévoit à cette fin que « c’est du suffrage universel ou des instances élues par lui que dérivent le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif ». L’article 23 de la Constitution du 4 octobre 1958 établit le principe du non-cumul entre les fonctions de membre du Gouvernement et l’exercice de tout mandat parlementaire.
Michel Debré, dans son discours de présentation de l’avant-projet de Constitution au Conseil d’État prononcé le 27 août 1958, rangeait cette mesure parmi celles qui, au même titre que l’obligation du vote personnel et « la procédure minutieuse de la motion de censure », « n’auraient pas leur place dans un texte de cette qualité si nous ne savions qu’ils sont nécessaires pour changer les mœurs ». Il ajoutait : « Quand on veut briser de mauvaises habitudes, il faut de rigoureux impératifs ». « La pratique française qui ne connaît quasiment aucune incompatibilité a favorisé l’instabilité d’une manière telle qu’il serait coupable de ne pas réagir. La fonction ministérielle est devenue un galon, une étoile ou plutôt une brisque comme les militaires en connaissent, et qui rappelle une campagne. On reconnaît les politiciens chevronnés au nombre de brisques qu’ils portent sur la manche. Le pouvoir n’est plus exercé pour le pouvoir : il est ambitionné pour le titre qu’il donne et les facilités de carrière ou d’influence qu’il procure à ceux qui l’ont approché ou qui sont susceptibles de l’approcher encore. Au début de la IIIe République, les mœurs étaient différentes. C’était le temps où le vote personnel était encore de rigueur et les parlementaires qui devenaient ministres ne votaient plus, ne siégeaient plus. Jules Ferry, à la veille du débat sur l’affaire de Langson, dont il devinait qu’il pouvait lui être fatal, rappela cependant cette règle à ses ministres. Quelle chute dans nos mœurs depuis cette époque ! La règle de l’incompatibilité est devenue une sorte de nécessité pour briser ce qu’il était convenu d’appeler la " course aux portefeuilles ", jeu mortel pour l’État. Le projet l’étend de telle sorte qu’il est bien entendu pour tous que l’on ne pourra désormais accéder à une fonction ministérielle qu’à condition de s’y consacrer entièrement. »
À la recherche d’une plus grande stabilité dans les institutions, le constituant de 1958 souhaitait donc instituer un mécanisme de remplacement rigide susceptible d’éviter les remous dans les activités du Parlement et dans ses rapports avec l’exécutif. Dans un régime démocratique, tous les citoyens ont droit à être représentés en permanence dans l’organe délibérant. Il en résulte que le Parlement doit toujours être à même de siéger au complet.
Fut donc institué le mécanisme du remplaçant, suppléant à l’Assemblée nationale, suppléant ou suivant de liste au Sénat. Pour permettre d’articuler cette incompatibilité avec la nécessité d’assurer la continuité de la vie parlementaire, la loi organique, prévue à l’article 25 de la Constitution, relative à la durée des pouvoirs de chaque assemblée, au nombre de ses membres, à leur indemnité, aux conditions d’éligibilité et au régime des incompatibilités, devait donc également fixer les conditions « dans lesquelles sont élues les personnes appelées à assurer en cas de vacance du siège, le remplacement des députés ou des sénateurs jusqu’au renouvellement général ou partiel de l’assemblée à laquelle ils appartenaient ».
L’article L.O. 176-1 du code électoral dispose ainsi que « les députés élus au scrutin uninominal dont le siège devient vacant pour cause de décès, d’acceptation de fonctions gouvernementales ou de membre du Conseil constitutionnel ou de prolongation au-delà du délai de six mois d’une mission temporaire confiée par le Gouvernement sont remplacés jusqu’au renouvellement de l’Assemblée nationale par les personnes élues en même temps qu’eux à cet effet. » Symétriquement, l’article L.O. 319 du même code reprend le même dispositif pour « les sénateurs élus au scrutin majoritaire », tandis que l’article L.O. 320 précise qu’« en cas d’élections à la représentation proportionnelle, les candidats venant sur une liste immédiatement après le dernier candidat élu sont appelés à remplacer les sénateurs élus sur cette liste dont le siège deviendrait vacant pour quelque cause que ce soit ».
Conformément à l’article L.O. 177 du code précité, qui reprend le dispositif prévu au deuxième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, les mesures nécessaires pour remplacer un membre du Gouvernement dans son mandat de député sont prises dans le mois qui suit l’expiration du délai prévu à l’article L.O. 153 (414). Un parlementaire qui entre au Gouvernement et choisit d’y rester cède sa place à son remplaçant de manière définitive, jusqu’à la fin de la législature s’il était député ou jusqu’au prochain renouvellement s’il était sénateur, sauf à ce que le remplaçant démissionne lorsque l’ancien titulaire quitte le Gouvernement, de telle sorte qu’une élection partielle soit organisée dans le cas de désignation au scrutin uninominal.
Ce mécanisme a donc deux vertus stabilisatrices essentielles : combler la vacance ouverte par l’accès d’un parlementaire à un poste ministériel et éviter le recours trop fréquent aux élections partielles.
La pratique a montré que ce dispositif présente des inconvénients. Elle prive les assemblées parlementaires du concours de certains de leurs membres, désignés en première ligne par le suffrage universel, alors même qu’ils ont cessé d’accomplir une fonction incompatible avec l’exercice de leur mandat. Elle place les membres du Gouvernement issus du Parlement, lorsque leurs fonctions ministérielles prennent fin, dans une situation différente de celle des membres du Gouvernement d’origine non parlementaire, à qui la Constitution n’interdit pas de reprendre leurs activités antérieures et d’exercer leurs responsabilités.
Il arrive également qu’elle conduise, comme nous en avons émis l’hypothèse ci-dessus, des remplaçants à démissionner, au seul motif de provoquer une élection partielle et de fournir aux anciens membres du Gouvernement l’occasion de revenir au Parlement.
Très rapidement après les débuts de la nouvelle République, la plupart des ministres ont été pris dans les assemblées et les ministres non parlementaires ont été priés de plus en plus de se mettre dans la course pour obtenir un mandat au Parlement et ainsi puiser une légitimité supplémentaire à la source de l’élection. Le gouvernement du Général de Gaulle investi le 1er juin 1958 comportait sept non-parlementaires sur un total de vingt-quatre ministres. Le gouvernement de Michel Debré, formé en janvier 1959, comptait dix non-parlementaires sur vingt-sept ministres. Dans celui de Georges Pompidou institué le 7 avril 1967, sur vingt-neuf ministres et secrétaires d’État, il ne reste plus que quatre ministres non parlementaires. L’équipe formée par Maurice Couve de Murville, le 14 juillet 1968, ne comprenait plus qu’un seul non-parlementaire, André Malraux. Si certains gouvernements, tels que celui formé par M. Michel Rocard, ont pu comprendre une part importante de non-parlementaires, cette proportion est toujours restée minoritaire et le Parlement a continué de fournir l’essentiel de l’équipe gouvernementale.
Le fonctionnement de nos institutions, tel qu’il résulte de la novation introduite par l’élection du Président de la République au suffrage universel, ainsi que de la pratique parlementaire de la Ve République, conduit à constater que la stabilité gouvernementale, d’une part, la claire séparation des pouvoirs, d’autre part, sont désormais choses acquises. Dès lors, peut être sereinement envisagé un aménagement des conséquences de la mise en œuvre du principe d’incompatibilité, qui demeurerait intangible et inchangé. Il faut aller jusqu’au bout de la logique inachevée de la suppléance et éviter les élections partielles. C’est un élément de revalorisation du Parlement, vivier pour la composition des gouvernements.
Conçue à une époque où le constituant avait fort présent à l’esprit l’agitation qui secouait, sous les Républiques précédentes, le Parlement à chaque changement de Gouvernement, l’incompatibilité rigide, qui continuait à produire ses effets même après la cessation des fonctions gouvernementales, ne saurait perdurer dans des institutions désormais marquées par la stabilité et où les coalitions ne changent pas du jour au lendemain, en fonction de la défection de tel ou tel.
Plusieurs pays européens ont aménagé le régime d’incompatibilité pour le rendre moins rigide en permettant au membre du Gouvernement qui cesse de l’être de retrouver son siège de parlementaire s’il avait été élu avant sa nomination. Ainsi, la Constitution du Royaume de Belgique, dans son article 50, tel que révisé en 1994, dispose que « le membre de l’une des deux Chambres, nommé par le Roi en qualité de ministre et qui l’accepte, cesse de siéger et reprend son mandat lorsqu’il a été mis fin par le Roi à ses fonctions de ministre ». Cette disposition trouve à s’appliquer depuis les élections législatives de 1995. Un mécanisme similaire est organisé en Suède.
Après plus de quinze ans de fonctionnement de la Constitution de 1958, il était déjà apparu que la règle de l’incompatibilité entre les fonctions ministérielles et parlementaires ne devait pas emporter nécessairement le remplacement définitif par son suppléant du parlementaire qui devenait ministre et qu’un remplacement temporaire pouvait suffire à faire respecter la séparation des pouvoirs, entrée désormais dans les mœurs. Dès 1973, Achille Peretti déposa une proposition de loi constitutionnelle en ce sens (415).
L’année suivante, cette question fit l’objet d’une tentative de révision. Il était alors proposé, en maintenant le principe d’incompatibilité, de permettre aux députés et aux sénateurs qui ont cessé d’appartenir au Gouvernement d’exercer à nouveau leur mandat parlementaire. Le second alinéa de l’article 25 de la Constitution était complété par la mention « ou leur remplacement temporaire en cas d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales ». Une loi organique devait en fixer les conditions d’application et préciser notamment le délai au terme duquel les députés ou les sénateurs reprennent place à leur siège, après qu’il a été mis fin à leurs fonctions au sein du Gouvernement.
Annoncée dans un message au Parlement le 30 mai 1974, puis délibérée en Conseil des ministres le 10 juin 1974 et le 21 août 1974, la réforme tendant à instituer le remplacement temporaire des parlementaires entrés au Gouvernement, fut adoptée en troisième lecture à l’Assemblée nationale, le 17 octobre 1974, et au Sénat, le même jour (416). Le projet, adopté en des termes identiques, ne fut cependant pas soumis au Congrès, faute de recueillir a priori les trois cinquièmes des suffrages exprimés. Trois anciens Premiers ministres, Michel Debré, Maurice Couve de Murville et Pierre Messmer s’étaient alors fermement opposés à une telle révision.
Après le dépôt d’une proposition de loi constitutionnelle à laquelle il ne fut pas donné suite (417), la question fut de nouveau posée en 1977 sur le fondement d’une proposition de loi organique (418), qui prévoyait que le parlementaire ayant quitté le Gouvernement puisse retrouver directement son siège en cas de décès ou de démission de son suppléant. Le Conseil constitutionnel estima alors que cette disposition était incompatible avec la lettre de l’article 25 de la Constitution : « considérant qu’en précisant que le parlementaire dont le siège est devenu vacant est remplacé jusqu’au renouvellement général ou partiel de l’assemblée à laquelle il appartenait, l’article 25 a entendu donner au remplacement un caractère définitif ; qu’ainsi un député ou sénateur qui est remplacé pour cause d’acceptation d’une fonction ou mission incompatible avec son mandat perd définitivement sa qualité de membre du Parlement et ne saurait la retrouver qu’à la suite d’une nouvelle élection ; qu’en prévoyant que ce député ou sénateur, lorsqu’a cessé la cause de l’incompatibilité, a la faculté de succéder à son remplaçant décédé ou démissionnaire, sans qu’il soit recouru à l’élection, les deux lois organiques soumises à l’examen du Conseil constitutionnel méconnaissent les dispositions de l’article 25 ; qu’elles doivent, dès lors, être déclarées contraires à la Constitution. » (419)
Les questions posées en 1974 et en 1977 sont restées les mêmes. Elles furent de nouveau évoquées par des propositions de loi constitutionnelles dans les années qui suivirent (420). Les constats n’ont pas varié. Tant l’incompatibilité entre les deux types de fonctions que le principe de la séparation des pouvoirs sont pleinement intégrés à notre fonctionnement institutionnel.
En 1993, le « comité Vedel », dans son rapport au Président de la République, avait considéré qu’« il est certainement souhaitable qu’un bon nombre de ministres soient issus du Parlement et il paraît tout aussi souhaitable de conserver la règle d’incompatibilité pour qu’ils puissent se consacrer entièrement à leurs fonctions gouvernementales ; mais il semble utile de prévoir, comme cela avait été fait par le projet de révision de 1974, qu’un ministre puisse retrouver son siège de parlementaire lorsqu’il cesse d’exercer ses fonctions, ce après un délai de six mois. » (421) Le projet de loi constitutionnelle portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et relatif à l’organisation des pouvoirs publics du 11 mars 1993 proposait de revenir sur cette stricte interdiction, estimant que celle-ci « qui avait été retenue en 1958 avait pour objet d’éviter les excès ayant marqué les Républiques précédentes. La pratique a toutefois montré qu’un tel système était excessivement rigide ».
Le « comité Balladur », dans sa proposition n° 17, a estimé que, s’il n’y avait pas lieu de revenir sur le principe de l’incompatibilité, « en revanche, le recours à des élections partielles provoquées, après qu’un ministre a quitté ses fonctions gouvernementales, par la démission " forcée " du parlementaire élu en même temps que lui en qualité de suppléant revêt un caractère artificiel. La participation électorale est d’ailleurs particulièrement faible en pareille occurrence. Enfin, il y a quelque inconséquence à prévoir que les anciens ministres d’origine non parlementaire peuvent retrouver sans délai leurs activités professionnelles antérieures et à interdire qu’il en aille de même pour ceux qui, avant leur entrée au Gouvernement, exerçaient un mandat parlementaire. »
Il a souligné également que l’adoption du projet de 1974 « permettrait en outre, sans mettre à mal la solidarité gouvernementale, de renforcer l’autorité des ministres et de favoriser un renouvellement plus apaisé des membres du Gouvernement » (422).
À l’instar du projet de loi constitutionnelle de septembre 1974, il est proposé dans le présent article d’inscrire dans le deuxième alinéa de l’article 25 de la Constitution le caractère temporaire du remplacement du parlementaire devenu ministre et de renvoyer à la loi organique le soin de déterminer dans quelles conditions s’effectue son éventuel retour au Parlement.
Le système proposé présente ainsi un triple avantage :
― il permet de conserver la stabilité de la vie parlementaire, en réduisant le nombre d’élections partielles ;
― il maintient un lien entre le pouvoir exécutif et le Parlement ;
― il continue d’assurer l’indépendance des fonctions.
Si la mesure inscrite en 1958 dans la Constitution permettait que « les ministres puissent s’abstenir des soucis d’ordre électoral en se laissant guider par la seule considération des intérêts généraux de la Nation » (423), la mesure proposée présente a fortiori l’avantage de respecter le principe de séparation des pouvoirs tout en dégageant l’intéressé des préoccupations électorales.
Dans le cas où, à l’Assemblée nationale, le suppléant d’un ministre viendrait à décéder comme cela a pu arriver dans le passé (424), le recours à des élections partielles s’avérerait de nouveau nécessaire.
2. La création d’une commission indépendante chargée d’examiner les projets de « découpage électoral »
Le présent article, afin de mieux garantir l’égalité du suffrage, tend à imposer, pour toutes les élections parlementaires, législatives comme sénatoriales, que les projets ou propositions qui permettent le redécoupage des circonscriptions ou une modification de la répartition des sièges entre ces dernières soient soumis à l’avis public d’une commission indépendante dont la loi fixera les règles d’organisation et de fonctionnement.
Dans la question de la « carte électorale », trois opérations doivent être distinguées : la fixation des effectifs de l’Assemblé considérée, la répartition des sièges par circonscription et la délimitation des circonscriptions, c’est-à-dire la carte électorale proprement dite.
Pour effectuer ces différentes opérations, deux méthodes ont été suivies dans le passé :
― soit à partir de circonscriptions données – les arrondissements administratifs ou les départements –, une méthode de calcul est appliquée à chacune, sur une base géographique, ce qui détermine in fine les effectifs de l’assemblée. La carte est donc fixe et les effectifs varient en fonction des variations de la population. C’est cette méthode qui sera retenue sous la IIIe République et la IVe République ;
― soit à partir d’un effectif déterminé a priori, une première méthode de calcul est fixée pour répartir les sièges entre un premier niveau d’unités territoriales – le département –, puis au sein de chacune de ces unités, un « découpage » est effectué en fonction du nombre de parlementaires attribué à chacune. Les effectifs sont fixes, mais la carte varie en fonction de la population. C’est cette méthode qui sera utilisée sous la Ve République.
• Les précédents sous la Ve République
En 1958, la fixation du nombre de sièges et la répartition par département, ainsi que la carte des circonscriptions pour l’élection des députés, a obéi à un processus purement « administratif », sans intervention du Parlement ni contrôle du Conseil d’État, ni publicité, réalisé par les collaborateurs du Général de Gaulle, aidés par le cabinet et les services du ministère de l’intérieur. La rupture avec la République précédente fut double. D’une part, l’arrondissement ne servait plus de base à l’élection. D’autre part, l’effectif des députés était fixé a priori. La carte se déduisait désormais de l’effectif.
Le calendrier de mise en place du nouveau « découpage » fut très serré : le 7 octobre 1958, le Général de Gaulle arbitre en Conseil des ministres en faveur du scrutin uninominal ; le « découpage » paraissait au Journal officiel dès le 14 octobre (425), pour des élections qui se dérouleront les 23 et 30 novembre 1958. Dans un premier temps, les effectifs sont ramenés de cinq cent quarante-quatre à quatre cent soixante sièges. Ils furent distribués sur la base d’un député pour 93 000 habitants, le reliquat étant réparti entre les départements au plus fort reste de la population. Puis, fut décidé le maintien d’une représentation minimale de deux députés pour les départements les moins peuplés, ce qui a eu pour conséquence de créer cinq sièges supplémentaires au profit des Basses-Alpes (Alpes-de-Haute-Provence depuis 1970), des Hautes-Alpes, de l’Ariège, de la Lozère et du Territoire de Belfort, d’où l’effectif de quatre cent soixante-cinq députés métropolitains fixé par l’ordonnance n° 58-1065 du 7 novembre 1958 (426). Aucune procédure de révision de l’attribution des sièges en fonction de l’évolution démographique ne fut alors prévue.
Les modifications intervenant avant l’établissement du scrutin de liste en 1985 ont eu une origine administrative impérieuse, sans lien direct avec la loi électorale.
Ainsi, la réorganisation administrative de la région parisienne en 1964 provoque le remodelage des vingt-quatre circonscriptions de Seine-Banlieue et des dix-huit de Seine-et-Oise, réparties entre les six nouveaux départements (427). Cinq sièges supplémentaires sont destinés à tenir compte de l’évolution démographique (428).
L’agrandissement du département du Rhône aux dépens de l’Ain et plus encore de l’Isère en décembre 1967 conduit à créer trois circonscriptions supplémentaires dans le Rhône et à modifier une circonscription de l’Ain et trois en Isère (429). Les effectifs de députés métropolitains sont portés à quatre cent soixante-treize (430).
La division de la Corse en deux départements, intervenue en 1975, accompagnée du respect d’une représentation minimale de deux députés par département conduit à diviser l’île en quatre circonscriptions (431) et à porter les effectifs des députés métropolitains de quatre cent soixante-treize à quatre cent soixante-quatorze (432).
À titre de comparaison, on peut souligner que, de 1958 à 1985, seulement vingt-six circonscriptions ont été modifiées, contre cent quatre-vingt dix-huit de 1889 à 1914 (trente-six en 1893, vingt-cinq en 1898, cinquante-neuf en 1902, trente-cinq en 1910 et quarante-trois en 1914).
La loi n° 85-692 du 10 juillet 1985 relative à l’élection des députés établit un scrutin de liste dans le cadre départemental. Le « département forme une circonscription ». La répartition des sièges par circonscriptions était décrite dans un tableau annexé à cette loi.
La loi organique n° 85-688 du 10 juillet 1985 porta à cinq cent soixante-dix le nombre de députés élus dans les départements (cinq cent cinquante-cinq en métropole, soit quatre-vingt-un de plus) (433). S’il est précisé que la « révision de la répartition des sièges a lieu au cours de la première session ordinaire du Parlement qui suit la publication des résultats de recensement général de la population », la loi est, comme en 1958, muette sur les mécanismes aboutissant à l’effectif de cinq cent cinquante-cinq députés métropolitains. Mais, les travaux parlementaires montrent que le Gouvernement avait retenu le principe de l’attribution d’un siège par tranche de 108 000 habitants, sur la base du recensement de 1982 ; chaque département avait été doté d’au moins deux sièges (434).
L’augmentation des effectifs a été justifiée par la nécessité de répondre à la croissance de la population depuis 1958, selon la logique de la représentation proportionnelle, et par le désir de favoriser les plus petits départements pour leur assurer une représentation minimale. La hausse substantielle du nombre global des députés permettait d’assurer une répartition équitable des sièges entre les départements en ne diminuant le contingent que d’un seul, Paris (de trente et un à vingt et un sièges).
Le retour au scrutin uninominal à deux tours constituait le deuxième engagement de la « Plate-forme pour gouverner ensemble » signée par l’Union pour la démocratie française et le Rassemblement pour la République le 16 janvier 1986. Cet engagement fut tenu dès le 6 avril 1986 par l’adoption d’un projet de loi qui, d’une part, modifiait le mode de scrutin et, d’autre part, habilitait le Gouvernement à fixer par ordonnance les délimitations de chaque circonscription.
Le maintien de l’effectif global et de la répartition des sièges déterminés en 1985 permettait d’éviter le recours à une loi organique, nécessaire pour fixer le nombre de députés (cinq cent soixante-dix pour les départements de métropole et d’outre-mer). Il permettait, en outre, de ne pas ouvrir le débat sur la répartition des sièges entre départements et de concentrer les discussions éventuelles sur le « découpage » de chaque département en circonscriptions.
La loi du 11 juillet 1986 (435), qui inscrit également dans le code électoral qu’il est procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l’évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation, sera adoptée après engagement de la responsabilité du Gouvernement et rejet d’une motion de censure votée par 284 voix.
Elle a fixé les limites de l’ordonnance :
― celle-ci devait être prise dans les six mois ;
― sauf en ce qui concerne les départements dont le territoire comporte des parties insulaires ou enclaves, les circonscriptions devaient être constituées par un territoire continu ;
― à l’exception des circonscriptions à Paris, Lyon et Marseille, la délimitation devait respecter les limites cantonales. Mais la division des cantons était possible « dans les départements comprenant un ou des cantons non constitués par un territoire continu, ou dont la population, au recensement général de la population de 1982, est supérieure à 40 000 habitants » ;
― la population d’une circonscription ne pouvait s’écarter de plus de 20 % de la population moyenne des circonscriptions du département (436) ;
― innovation essentielle destinée à contrebalancer l’absence de débat parlementaire, était prévue l’intervention d’une commission indépendante du Gouvernement, composée de deux conseillers d’État, deux conseillers à la Cour de cassation et deux conseillers maîtres à la Cour des comptes, désignés par leurs pairs. Ses avis devaient être publics (437).
Saisi par les députés socialistes, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion d’émettre des réserves (438). La faculté de ne pas respecter les limites cantonales devait bien être réservée aux seuls départements comprenant un ou des cantons non constitués par un territoire continu, ou dont la population était supérieure à 40 000 habitants. La mise en œuvre de l’écart maximal de 20 % devait être réservée à des cas exceptionnels et dûment justifiés. La délimitation devait se faire sur une base essentiellement démographique sans aucun arbitraire.
S’est alors engagé le processus itératif d’élaboration de l’ordonnance de « découpage ». Début août 1986, la « commission indépendante » rendait un avis sur l’avant-projet présenté par le Gouvernement : trente-cinq départements étaient validés, soixante et un faisaient l’objet d’observations (environ cent quatre-vingt dix circonscriptions sur cinq cinquante-cinq). Le Gouvernement corrigea une première fois son « découpage », suivant l’avis de la commission sur trente-sept départements, présentant un nouveau projet pour treize, conservant son « découpage » sur onze départements contestés par la commission. Celle-ci approuva neuf des treize nouveaux projets. Le Gouvernement proposa deux modifications. Au total, le « découpage » suivit l’avis de la commission pour quatre-vingt-trois départements et ne le rejeta que dans treize cas. L’assemblée générale du Conseil d’État rejeta pour sa part vingt-cinq départements le 20 septembre 1986. Le Gouvernement corrigea alors le « découpage » de quatorze départements, approuvé par le Conseil d’État, à l’exception d’un seul. Le Conseil d’État aura cautionné le « découpage » de quatre-vingt-quatre départements sur quatre-vingt-seize.
Le 2 octobre 1986, par communiqué du secrétariat général de l’Élysée, le Président de la République indiqua qu’il refusait de signer l’ordonnance. Par voie de communiqué, le Gouvernement répondit que lui avait été donné, « par une loi d’habilitation, le mandat d’établir, par ordonnance, le tableau portant délimitation des circonscriptions électorales. Le Gouvernement s’est acquitté de cette obligation au terme de longues consultations, après s’être entouré de toutes les garanties d’objectivité et de justice nécessaires. »
Le 8 octobre 1986, le projet d’ordonnance fut transformé en projet de loi. Les socialistes, par voie d’amendement, demandèrent la modification du « découpage » de cinquante et une circonscriptions dans quatorze départements, les communistes de soixante-treize circonscriptions dans dix-sept départements. L’engagement de la responsabilité du Gouvernement permit l’adoption du projet de loi par l’Assemblée, la motion de censure ne recueillant que 281 voix. Le Sénat adopta une question préalable. La CMP retint le texte de l’Assemblée qui fut adopté par celle-ci après un nouvel engagement de responsabilité mais sans motion de censure, puis par le Sénat.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 18 novembre 1986, valida et la procédure et la loi (439). Il a estimé, d’une part, que la procédure utilisée par la majorité du Sénat était intervenue « dans des conditions qui n’affectent pas, au cas présent, sa régularité », et que, d’autre part, la « Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement » ; « quelle que puisse être la pertinence de certaines critiques adressées par les députés (…) il n’apparaît pas, en l’état du dossier, et compte tenu de la variété de la complexité des situations locales pouvant donner lieu à des solutions différentes dans le respect de la même règle démographique, que les choix effectués par le législateur aient manifestement méconnu les exigences constitutionnelles ». Le « découpage » sera fixé par la loi du 24 novembre 1986 (440).
• Les observations du Conseil constitutionnel
La carte actuelle des circonscriptions législatives, dessinée en 1986 et fondée sur un recensement vieux de vingt-cinq ans, est marquée par de fortes disparités démographiques. D’un département à l’autre, les députés sont loin de « peser » le même poids en termes de population. Ainsi, sur la base du recensement de 1999, un député en moyenne représente environ 130 000 habitants en Seine-et-Marne, en Haute-Garonne, dans le Var, dans l’Ain ou l’Hérault, alors qu’il en représente moins de 90 000 dans plus d’une vingtaine de départements.
Le Conseil constitutionnel veille, depuis sa décision des 1er et 2 juillet 1986 (441), au respect du principe d’égalité démographique entre les circonscriptions. En effet, il avait alors relevé que l’ordonnance qui procéderait au « découpage » devait « déterminer les circonscriptions à l’intérieur des territoires en cause sur des bases essentiellement démographiques » et que « si le Gouvernement a néanmoins la faculté de tenir compte d’impératifs d’intérêt général liés aux caractères spécifiques des territoires considérés, ce ne peut être que dans une mesure limitée ».
De manière récente, en prenant acte du fait que la création des nouveaux sièges de parlementaires à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin résultant de l’adoption de la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer n’entrera en vigueur qu’à compter du prochain renouvellement général, il a redit son attachement à ce principe (442) et a donc soumis la constitutionnalité de cette création à la correction ultérieure « des disparités démographiques affectant actuellement l’ensemble des circonscriptions législatives au plan national, y compris celles de Guadeloupe » concernées par la loi organique précitée.
Il a rappelé, plus récemment encore, à l’occasion de l’examen d’une demande demandant l’annulation du décret convoquant les électeurs pour les dernières élections législatives qu’il « incombait au législateur, en vertu des dispositions de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution, de modifier le tableau des circonscriptions législatives auquel renvoie l’article L. 125 du code électoral, afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis leur dernière délimitation » (443).
Cette réserve et cette remarque s’inscrivent pleinement dans la suite des observations faites, le 7 juillet 2005, par le Conseil sur les échéances électorales de 2007. Il relevait ainsi à propos du « redécoupage » que « la recherche de l’égalité rendait ce remodelage nécessaire.
« En effet, le découpage actuel résulte de la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l’élection des députés. Il repose sur les données du recensement général de 1982. Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l’article VI de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution.
« Ces disparités ne peuvent que s’accroître avec le temps. Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage.
« Si cela n’est pas fait avant les prochaines élections législatives, ce qui serait regrettable, cela devra être entrepris au lendemain de celles-ci. »
Le Président du Conseil constitutionnel, en janvier 2006, l’a réaffirmé avec force : « C’est (…) là où l’égalité est à protéger le plus vigoureusement que la " quantité d’intérêt général " à mobiliser pour justifier une différence de traitement devra être la plus importante. C’est le cas en matière de découpage des circonscriptions électorales. Les écarts démographiques entre circonscriptions sont par nature suspects, car non conformes à l’égalité devant le suffrage, dimension fondamentale de l’égalité des droits politiques, de l’indivisibilité de la République et de la souveraineté nationale. Aussi les motifs d’intérêt général susceptibles de justifier des fluctuations du nombre d’habitants par élu entre circonscriptions sont-ils examinés avec rigueur par le Conseil et, en tout état cause, seulement admis à jouer dans des proportions limitées. » (444)
Par ailleurs, le code électoral, dans son article L. 125, dispose, comme on l’a déjà vu, qu’il est « procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l’évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation ».
Cet impératif nécessite de poser des règles préalables, sur lesquelles chacun puisse s’accorder, qui apportent les garanties nécessaires non seulement au prochain découpage mais également à tous les suivants. De manière générale, les règles qui régissent la délimitation des circonscriptions, mais aussi la manière dont sont répartis les sièges, que ce soit les sièges de députés ou ceux de sénateurs, ne doivent pas faire l’objet du moindre soupçon.
La méthode employée en 1986 a permis des progrès certains. En effet, pour la première fois dans l’histoire de la France, la délimitation des circonscriptions législatives a été réalisée selon des critères annoncés à l’avance. La France pourrait également avec avantage s’inspirer de la pratique britannique par exemple qui a institué une commission indépendante qui, sous le contrôle du Speaker de la Chambre des Communes, procède à un remembrement périodique des circonscriptions électorales.
• Les enjeux d’un encadrement rigoureux du découpage électoral
Déterminer les limites des circonscriptions est une étape capitale dans le processus électoral, car des inégalités de représentation « structurelles » fortes en découlent (445).
L’évolution démographique différenciée des territoires rend nécessaire un redécoupage régulier des circonscriptions. L’absence de redécoupage défavorise les circonscriptions les plus dynamiques démographiquement, en général les milieux urbains, par rapport à celles où la population augmente peu, en général les milieux ruraux.
Le « gerrymandering » et ses avatars plus ou moins volontaires peuvent constituer une autre source de déséquilibre. Il consiste dans un habile découpage s’appuyant sur les résultats électoraux précédents et visant à favoriser la représentation du parti au pouvoir. Deux cas de figures peuvent alors se présenter : soit la minorité est volontairement regroupée dans quelques circonscriptions où elle est fortement majoritaire tandis que la majorité ne la devance que très légèrement dans un nombre plus élevé de circonscriptions, soit le découpage est réalisé de telle sorte que la minorité ne puisse obtenir la majorité dans aucune circonscription.
La commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe, a régulièrement souligné la nécessité, pour opérer un découpage « loyal », de prendre l’avis d’une commission indépendante « comprenant en majorité des membres indépendants, et de préférence un géographe, un sociologue, une représentation équilibrée des partis » (446).
La Cour suprême des États-Unis a elle-même bien posé le problème depuis longtemps. En février 1964, dans le cas Wesberry v. Sanders, des électeurs de l’État de Géorgie déclarèrent avoir été privés de l’utilité intégrale de leur voix dans les élections des représentants fédéraux, aucun nouveau découpage n’ayant été entrepris depuis trente ans. Dans sa décision, la Cour souligna : « Nous statuons que, interprétée dans son contexte historique, la disposition (de l’article 1er de la Constitution) selon laquelle " les Représentants doivent être choisis par le peuple des divers États ", signifie que la voix d’un homme dans une élection d’un membre du Congrès doit valoir celle d’un autre autant que possible. (…) Quoiqu’il puisse être impossible de dessiner des circonscriptions avec une précision mathématique, ce n’est pas une excuse pour ignorer l’objectif évident de notre Constitution de faire de la représentation égale pour des nombres égaux de personnes l’objectif fondamental pour la Chambre des Représentants. » (447)
• Le dispositif proposé
Venant compléter les dispositions du premier alinéa de l’article 25 de la Constitution qui dispose notamment qu’une « loi organique fixe la durée des pouvoirs de chaque assemblée, le nombre de ses membres, leur indemnité, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités », le présent article, dans son alinéa 2, prévoit la création d’une commission indépendante chargée de donner un avis public sur les projets qui permettent de définir les limites des circonscriptions servant de cadre à l’élection des députés et des sénateurs et de répartir les sièges entre ces circonscriptions. Les conditions et les délais dans lesquels la commission devra rendre son avis seront déterminés par la même loi organique.
Déjà, en 1993, la commission de réforme du mode de scrutin, présidée par Georges Vedel (448), avait proposé de créer, en s’inspirant d’exemples étrangers, en particulier ceux du Royaume-Uni et de l’Allemagne, une commission indépendante, qui interviendrait en amont de l’élaboration du projet de loi. Elle devait être chargée d’émettre des propositions sur la répartition des sièges à l’intérieur du territoire national, sur la révision des limites de circonscriptions, ainsi que sur la modification de toute autre donnée susceptible d’être affectée par l’évolution démographique, en fonction de critères inscrits dans la loi spéciale précédemment évoquée.
Le « rapport Vedel » prévoyait également que cette commission soit composée, pour une part, de membres des juridictions administratives et judiciaires, et, pour l’autre, d’experts dans les disciplines de la démographie, de la géographie et des sciences politiques, tandis que certains proposaient d’y adjoindre des représentants des formations représentées à l’Assemblée nationale. Elle devait être systématiquement saisie l’année qui suit un recensement général de la population. Les propositions qu’elle émettait devaient faire l’objet d’un rapport public.
La création de cette commission ne devait pas entraîner de modification sur la procédure en aval. Le projet de loi de révision de la carte, qui devait continuer d’être préparé par le Gouvernement au vu des propositions formulées par la commission, devait être adopté en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État, puis soumis au vote du Parlement.
Ces suggestions ont été reprises peu ou prou par le « comité Balladur », dans sa proposition n° 64 (449). Estimant que sa réflexion « ne pouvait faire l’économie de la question du redécoupage des circonscriptions législatives », il s’est associé aux recommandations faites à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel tout en rappelant « son attachement à ce que le nombre des députés ne soit pas augmenté et à ce que soit mis à l’étude le sort réservé à la représentation de celles des collectivités d’outre-mer à statut spécial qui ne comptent souvent qu’une très faible population ». « Surtout, il demande que ces opérations soient conduites selon des règles strictes d’impartialité et dans la plus grande transparence. À cet effet, il forme le vœu que l’article 25 de la Constitution prévoie une révision régulière des circonscriptions, par exemple tous les dix ans, et renvoie à une loi organique le soin de préciser les garanties procédurales particulières qui conviennent. Il souhaite notamment que soit instaurée une commission indépendante chargée de veiller au respect du principe d’impartialité dans la préparation de cette opération. »
Ces propositions ont été largement reprises dans le présent article qui prévoit qu’une commission indépendante se prononce par un avis public sur les projets et propositions qui tendent à délimiter les circonscriptions pour l’élection des députés ou des sénateurs ou à assurer la répartition des sièges entre ces circonscriptions.
Ainsi, deux questions se posent aujourd’hui de nouveau, celle de la procédure permettant de garantir la plus grande objectivité possible de l’adaptation de la carte des circonscriptions électorales et celle du rythme auquel il est procédé à cette adaptation, compte tenu des variations de l’importance et de la répartition géographique de la population.
Quant au rythme d’examen de la carte électorale, le présent projet de loi constitutionnelle écarte, avec raison, la fixation d’un délai maximal de dix ans de validité des lois opérant le remodelage des circonscriptions. Tout en relevant la nécessité d’un redécoupage régulier, susceptible de suivre les modifications démographiques, le rapporteur estime qu’imposer un délai aussi strict dans la Constitution risquerait de se heurter au principe de réalité de la vie institutionnelle et poserait inutilement la question de son non-respect. En effet, si l’on devait retenir un tel délai de dix ans, qu’adviendrait-il d’un scrutin qui serait organisé la onzième année – soit après deux législatures complètes pour l’Assemblée nationale –, alors qu’aucune modification de la loi opérant la délimitation des circonscriptions ne serait intervenue au cours des dix années précédentes ? Faudrait-il le reporter dans l’attente de cette modification et annuler toutes les opérations préparatoires éventuellement engagées ?
L’inscription d’une disposition explicite relative au remodelage des circonscriptions dit suffisamment le caractère nécessaire d’un examen régulier de cette question, et ce d’autant plus que, comme le relève le Conseil constitutionnel, les dispositions combinées de l’article VI de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution rendent déjà nécessaire, même sans disposition expresse, une adaptation des limites des circonscriptions électorales aux évolutions de la population.
La loi à laquelle il est fait renvoi pourrait fixer, outre la composition de la commission indépendante, la périodicité avec laquelle celle-ci doit être saisie de projets de modification. Par exemple, les variations, au-delà d’une certaine ampleur qui reste à déterminer, des données fournies par le recensement réalisé par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pourraient ainsi déclencher un processus de réexamen des limites des circonscriptions électorales, conduisant à l’élaboration d’un projet de « remodelage » qui serait alors automatiquement soumis à la commission indépendante pour un avis rendu public.
Un tel mécanisme garantirait un examen régulier de la question sans pour autant fixer une périodicité par trop rigide. Sa mise en œuvre serait facilitée par la réforme des méthodes de recensement intervenues récemment. En effet, en application du titre V de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, depuis janvier 2004, le recensement de la population résidant en France est annuel. Une nouvelle méthode a remplacé le comptage traditionnel organisé tous les huit ou neuf ans. Le recensement général de la population de 1999 aura ainsi été le dernier recensement concernant toute la population en même temps. Désormais, les communes de moins de 10 000 habitants réalisent une enquête de recensement exhaustive tous les cinq ans, à raison d’un cinquième des communes chaque année, tandis que les communes de 10 000 habitants ou plus réalisent tous les ans une enquête par sondage auprès d’un échantillon de 8 % environ de leur population (450). Ainsi, les premiers résultats de cette nouvelle méthode de recensement devraient être publiés en janvier 2009 et donner les chiffres de la population officielle au 1er janvier 2006. Par la suite, les chiffres pourront être actualisés chaque année, permettant ainsi de disposer en permanence de données récentes.
En tout état de cause, si un rythme plus régulier devait être retenu, il ne saurait figurer dans le texte de la Constitution et justifie un renvoi à la loi.
En ce qui concerne les garanties de procédure applicables à la délimitation des circonscriptions électorales, la création d’une commission indépendante est un gage important.
La loi pourrait également préciser les principes susceptibles de gouverner toute délimitation des circonscriptions électorales ainsi que les exceptions à ces principes justifiées, comme l’observe le Conseil constitutionnel, par des « impératifs d’intérêt général liés aux caractères spécifiques des territoires considérés ».
M. Jean-Jacques Urvoas a présenté un amendement instituant le principe du « mandat parlementaire unique », selon lequel le mandat de député est incompatible avec l’exercice de tout autre mandat ou fonction électif. Il a indiqué qu’une telle proposition, qui avait été faite tant par le « comité Balladur » que par le « comité Vedel » en son temps, répond à une attente de l’opinion publique. Il a remarqué que, si notre système juridique est souvent imité à l’étranger, tel n’est pas le cas du mode de fonctionnement de notre démocratie, rarement pris en exemple. Il a indiqué avoir évalué à environ la moitié des actuels députés ceux qui devront renoncer à un mandat, qui de maire, qui de président de conseil général, qui de président de conseil régional.