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N
° 924

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 juin 2008.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 878, autorisant la ratification de la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées,

par Mme Geveviève COLOT,

Députée

INTRODUCTION 5

I – LA PRÉSENTE CONVENTION EST LE PREMIER TRAITÉ UNIVERSEL INTERDISANT LES DISPARITIONS FORCÉES EN TOUTES CIRCONSTANCES 7

A.- EN ÉTABLISSANT LA SPÉCIFICITÉ DU CRIME DE DISPARITION FORCÉE, LA PRÉSENTE CONVENTION CONTRIBUE À COMBLER UN VIDE JURIDIQUE 7

1) Les caractéristiques du crime de disparition forcée 7

2) Un vide juridique autour des disparitions forcées 9

B.- SON ADOPTION EST LE FRUIT DE 25 ANNÉES D’EFFORTS DÉPLOYÉS PAR LES FAMILLES DES DISPARUS 10

II – LA PORTÉE DE LA CONVENTION POUR LA PROTECTION DE TOUTES LES PERSONNES CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES 13

A.- DES OBLIGATIONS SPÉCIFIQUES IMPOSÉES AUX ETATS POUR PRÉVENIR LES DISPARITIONS FORCÉES ET LUTTER CONTRE L’IMPUNITÉ 13

1) Combattre l’impunité 13

2) Prévenir la pratique des disparitions forcées 14

B.- DE NOUVEAUX DROITS POUR LES VICTIMES ET LEURS PROCHES 15

C.- UN MÉCANISME DE SUIVI ORIGINAL : LE COMITÉ DES DISPARITIONS FORCÉES 16

1) Une fonction classique de contrôle de l’application des dispositions de la Convention 17

2) Une fonction originale de prévention des disparitions forcées 17

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXE : ETATS SIGNATAIRES DE LA CONVENTION CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES 23

Mesdames, Messieurs,

Le 20 décembre 2006, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Ce texte important est le fruit de 25 années d’efforts continus en faveur des victimes de disparition forcée, déployés par leurs familles et les organisations non gouvernementales mais aussi des Etats, en particulier la France qui a apporté une contribution décisive au succès de ce long processus. Il représente une avancée considérable pour la promotion et la protection des droits de l’homme en prohibant explicitement les disparitions forcées en toutes circonstances. La disparition forcée nie, en effet, « l’existence même d’une personne et lui refuse la protection juridique fondamentale à laquelle ont droit tout homme et toute femme, qu’ils soient coupables ou innocents. C’est aussi une violation des droits des proches du disparu » (1).

Or, cette pratique, caractéristique des dictatures latino-américaines des années 70 et 80, est aujourd’hui largement répandue sur tous les continents. En 2005, on recensait ainsi 535 nouveaux cas de disparitions forcées dans 22 pays, 41.000 cas restant non élucidés. Sans même évoquer le sort des personnes disparues qui n’a jamais été signalé …

La Convention, dont la ratification est proposée à l’Assemblée nationale, fait donc progresser le droit international en prohibant les détentions secrètes, en exigeant l’information des familles sur le sort des détenus et en instituant un mécanisme de surveillance, le Comité des disparitions forcées, doté de pouvoirs d’enquête.

Il permet ainsi de combattre l’impunité tout en contribuant à prévenir les disparitions forcées.

I – LA PRÉSENTE CONVENTION EST LE PREMIER TRAITÉ UNIVERSEL INTERDISANT LES DISPARITIONS FORCÉES EN TOUTES CIRCONSTANCES

La Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées occupe une place centrale dans le dispositif de protection internationale des droits de l’homme dans la mesure où il s’agit du premier traité à vocation universelle qui prohibe explicitement les pratiques menant à une disparition forcée en toutes circonstances.

A.- En établissant la spécificité du crime de disparition forcée, la présente convention contribue à combler un vide juridique

Bien qu’il soit très difficile d’estimer précisément l’ampleur du phénomène, la pratique des disparitions forcées est, malheureusement, aujourd’hui largement répandue dans le monde. Pour lutter contre cette pratique, il est apparu indispensable de caractériser le crime de disparition forcée afin de permettre l’élaboration d’un nouvel instrument international, juridiquement contraignant pour les Etats.

1) Les caractéristiques du crime de disparition forcée

La pratique des disparitions forcée recouvre une réalité où des hommes, généralement en civil et armés, arrivent chez une personne – en général un opposant ou un défenseur des droits de l’homme – et l’emmènent de force, sans explication, vers un endroit inconnu. Lorsque ses proches demandent aux autorités si elle a été arrêtée et où elle se trouve, celles-ci ne répondent pas à leurs sollicitations, ou bien elles ouvrent formellement une enquête qui n’aboutit jamais ou qui aboutit au blanchiment des suspects (2). A partir de cette description, la disparition forcée peut être définie comme « l’enlèvement ou la détention d’une personne, commis par des agents de l’Etat, suivi de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve » (3).

En dépit de la spécificité de ce crime, la disparition forcée n’a jusqu’à présent été traitée juridiquement que sous la forme d’une combinaison de violations de plusieurs droits, tels que l’interdiction de la torture, le droit à la vie ou le droit à la liberté et à la sécurité de sa personne, par exemple. Or, la disparition forcée est un crime qui va au-delà de cette « combinaison ». La notion de déni – dénier aux familles des informations sur leurs proches – est, en effet, au cœur de ce crime qui constitue, de ce fait, une violation spécifique des droits de l’homme.

Le drame des personnes portées disparues et de leurs familles

Les personnes disparues ont toutes leur propre histoire, souvent tragique : que ce soit des personnes civiles capturées, enlevées ou arrêtées ; des prisonniers qui meurent en prison ou qui sont détenus dans des lieux secrets ; des victimes d’exécutions massives enterrées en toute hâte dans des tombes anonymes ; des hommes, des femmes et des enfants fuyant le conflit dans de grands déplacements de population et qui sont séparés de leurs proches pendant des années ; des soldats tués dont les restes ne sont pas traités avec dignité ou dont les dépouilles sont abandonnées sur le champ de bataille sans être identifiées.

Source : communiqué du CICR à l’occasion de la Journée internationale des disparus

La présente Convention représente une avancée décisive dans la mesure où elle définit explicitement le crime de disparition forcée comme « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’Etat ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’Etat, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi » (article 2).

Cette définition énumère précisément les éléments constitutifs de l’infraction, à savoir :

− une privation de liberté ;

− son imputabilité à des agents de l’Etat ou à des personnes agissant à son instigation ;

− l’existence d’un refus de reconnaître cette privation de liberté et la dissimulation du sort réservé à la personne disparue.

Grâce à cette définition, le crime de disparition forcée constitue désormais, en soi, une violation des droits de l’homme. Cette avancée est destinée à permettre un traitement efficace des disparitions forcées par les mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme et les juridictions nationales. La Convention contre les disparitions forcées contribue ainsi à combler un vide juridique.

2) Un vide juridique autour des disparitions forcées

Le dispositif international de protection des droits de l’homme s’est, en effet, jusqu’à présent, caractérisé par l’absence d’instruments universels prohibant, en toutes circonstances, la pratique des disparitions forcées.

Avant l’élaboration de la présente Convention, seules des interdictions de disparitions forcées dans des circonstances précises étaient inscrites dans certains textes internationaux à portée régionale, comme la Convention interaméricaine sur les disparitions par exemple, ou de droit international humanitaire (DIH). Le droit international humanitaire – en particulier les conventions de Genève de 1949 pour la protection des victimes de la guerre et leurs protocoles additionnels – contient des règles précises qui visent à limiter les effets des conflits armés et à prévenir les disparitions. Ces règles (4) prévoient notamment que :

− les familles ont le droit d’être informées du sort de leurs proches disparus ;

− les parties à un conflit doivent rechercher les personnes portées disparues et faciliter les démarches entreprises par des membres de leurs familles ;

− des listes indiquant l’emplacement exact et le marquage des tombes et fournissant des renseignements sur les personnes qui y sont enterrées doivent être échangées ;

− les parties à un conflit armé international doivent donner des informations sur les prisonniers de guerre blessés, malades ou naufragés, sur d’autres personnes protégées privées de liberté, et sur les personnes décédées, le plus rapidement possible ;

− les combattants capturés et les civils au pouvoir d’une partie adverse ont droit au respect de leur vie, de leur dignité, de leurs convictions et de leurs droits personnels. Ils doivent être protégés contre tout acte de violence et de représailles. Ils ont le droit de correspondre avec leur famille et de recevoir des secours.

En application du mandat qui lui a été reconnu par la communauté internationale, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) (5) œuvre, dans les situations de conflit armé ou de violences internes, afin notamment de prévenir les disparitions et déterminer le sort des disparus.

Si ces dispositions sont, en soi, essentielles pour la protection des personnes contre les disparitions, elles ne couvrent cependant pas les situations de paix et n’interdisent pas les disparitions en tant que telles. De même, le Statut de Rome (6) qui institue la Cour pénale internationale (CPI) dispose que les disparitions forcées constituent un crime contre l’humanité dans des conditions particulières, à savoir lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre une population. Là encore, le crime de disparition forcée n’est sanctionné que s’il se produit dans des circonstances précises (7).

Par ailleurs, dans la majorité des cas, le droit interne se révèle insuffisant pour poursuivre les auteurs de disparitions forcées. Le crime de disparition forcée se distingue, en effet, de l’enlèvement par les motifs (politiques et non crapuleux), l’absence de revendication (silence organisé) et la circonstance particulière très grave que les auteurs de disparitions forcées agissent pour le compte de l’Etat ou avec son aval. Il se distingue également de la détention arbitraire dans la mesure où cette forme de détention n’est pas nécessairement accompagnée de la négation, par l’Etat, de la privation de liberté. Or, une particularité du crime de disparition forcée est précisément qu’il s’agit d’un crime d’Etat.

Dans ce contexte, le principal apport de la présente Convention est, non seulement, de définir le crime de disparition forcée, mais également de le prohiber, dans sa forme ordinaire, en temps de paix comme en temps de guerre. Son premier article, alinéa 2, dispose à cette fin que : « aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieur ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la disparition forcée ».

B.- Son adoption est le fruit de 25 années d’efforts déployés par les familles des disparus

Au départ, l’élaboration et l’adoption d’un traité international interdisant les disparitions forcées a été demandé par des associations sud-américaines de familles de victimes. Cette exigence des familles a ensuite été relayée par des organisations non gouvernementales, certains Etats comme la France, et les Nations unies. Tout au long du processus de rédaction de la présente Convention, des associations de familles, venant non seulement d’Amérique latine mais également d’autres continents, ont été associées aux travaux.

Genèse de la Convention sur les disparitions forcées

Les Nations unies se sont penchées depuis 1979, sous l’impulsion de la France, sur le phénomène des disparitions forcées, à l’origine en réaction aux agissements de la dictature argentine. Les principales initiatives prises en ce sens ont été les suivantes :

 1979 : La France présente la première résolution (33/173) sur les disparitions forcées à l’Assemblée générale des Nations unies.

 1980 : Création du Groupe de travail sur les disparitions forcées, premier mécanisme d’enquête thématique de la Commission des droits de l’homme (résolution 20 (XXXVI).

 1992 : L’Assemblée générale adopte la Déclaration pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées (résolution 47/133).

 1998 : L’expert français, M. Louis Joinet, rédige pour la Sous-commission des droits de l’homme un projet d’instrument contraignant sur les disparitions forcées.

 2002 : M. Manfred Nowak, expert indépendant chargé d’examiner les éventuelles lacunes du droit international en matière de protection contre les disparitions forcées, rend son rapport à la Commission des droits de l’homme.

 2003 : Première réunion, sous présidence française, du groupe de travail de la Commission des droits de l’homme (CDH), chargé de la rédaction d’un projet d’instrument contraignant, créé par la résolution CDH 2001/46.

 23 sept. 2005 : Adoption par consensus par le Groupe de travail du projet de texte.

 29 juin 2006 : Adoption du projet de convention par le nouveau Conseil des droits de l’homme lors de sa première session.

 27 oct. 2006 : Adoption par la 3ème commission de l’Assemblée générale des Nations unies.

 20 déc. 2006 : Adoption définitive, par consensus et avec 103 co-parrainages, par l’Assemblée générale des Nations unies réunie en session plénière.

 6 février 2007 : Ouverture à la signature de la Convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

Source : ministère des Affaires étrangères et européennes

Votre Rapporteure tient à souligner le rôle moteur joué par notre pays dans l’élaboration puis l’adoption de la présente Convention visant à interdire les disparitions forcées.

La France a, en effet, été à l’origine, en 1979, de la première résolution présentée à l’Assemblée générale des Nations unies sur le thème des disparitions forcées. Elle n’a eu de cesse de soumettre, chaque année, une résolution de cette portée à la Commission des droits de l’homme et à l’Assemblée générale des Nations unies. Comme le souligne l’exposé des motifs du projet de loi autorisant la ratification de la Convention, notre pays a également présidé le groupe de travail qui est à l’origine de l’élaboration du texte. Compte tenu de cette implication, notre pays a eu l’honneur d’accueillir, le 6 février 2007, la cérémonie de signature de la présente Convention. Cette cérémonie officielle, placée sous le haut patronage du Président de la République et la présidence du Ministre des affaires étrangères, a permis de recueillir, dès le premier jour, la signature de 57 Etats, dont naturellement la France.

A ce jour, 73 pays ont signé la Convention internationale contre les disparitions forcées et 4 l’ont ratifiée (se reporter à l’annexe). Il est aujourd’hui indispensable que la France, dont l’engagement tenace a grandement contribué au succès du processus, ratifie dans les meilleurs délais cette Convention. Il est tout aussi nécessaire que notre pays se mobilise pour parvenir aux 20 ratifications nécessaires à l’entrée en vigueur effective de ce traité essentiel au dispositif international de protection des droits de l’homme.

II – LA PORTÉE DE LA CONVENTION POUR LA PROTECTION DE TOUTES LES PERSONNES CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES

La présente convention pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées a été adoptée par consensus, le 20 décembre 2006, par l’Assemblée générale des Nations unies. Cette convention créé un nouveau crime en droit international en temps de paix, comme en temps de guerre. Son principal objet est d’interdire la détention secrète et d’exiger l’information des familles.

A.- Des obligations spécifiques imposées aux Etats pour prévenir les disparitions forcées et lutter contre l’impunité 

La Convention des Nations unies contre les disparitions forcées constitue un nouvel instrument juridiquement contraignant qui permet de protéger les droits des victimes et de leurs proches en imposant des obligations spécifiques aux Etats.

1) Combattre l’impunité

Le dispositif institué par la présente Convention définit les mesures que doivent prendre les Etats parties, notamment pour enquêter sur les disparitions forcées et les constituer en infraction au regard du droit pénal, et même en crime contre l’humanité quand la pratique est généralisée ou systématique.

En ratifiant la Convention, les Etats s’obligent à faire de la disparition forcée une infraction au regard de leur droit pénal national (article 4). Les parties s’obligent également à traduire en justice les auteurs de disparitions forcées (article 3). Elles s’engagent à poursuivre aussi bien les auteurs que les commanditaires et les complices des disparitions forcées (article 6, alinéa 1er). La Convention précise à cet égard qu’« aucun ordre ou instruction émanant d’une autorité publique, civile, militaire ou autre ne peut être invoqué pour justifier un crime de disparition forcée » (article 6, alinéa 2).

Il ne s’agit pas seulement des personnes ayant commis ce crime sur leur propre territoire, mais également des cas où l’infraction alléguée relève d’une autre juridiction (article 9). Dans ce dernier cas, les Etats doivent prendre les mesures nécessaires pour s’assurer de la présence de la personne soupçonnée lors des procédures pénales, de remise ou d’extradition (article 10) ou poursuivre le présumé coupable (article 11). La Convention précise que, pour les besoins de l’extradition, une disparition forcée ne saurait être considérée comme une infraction de nature politique et ne peut donc être refusée pour ce seul motif (article 13) (8). L’objectif du régime de compétence quasi-universelle ainsi institué est qu’aucun responsable d’un crime de disparition forcée ne puisse échapper à la justice. Un tel régime de responsabilité individuelle et de sanction est essentiel pour garantir l’efficacité de la Convention.

La présente Convention impose, par ailleurs, aux Etats de prescrire des peines proportionnées à la gravité de l’infraction (article 7). Des circonstances aggravantes peuvent notamment être prévues en cas de décès de la personne disparue ou envers les auteurs de la disparition de personnes vulnérables (femmes enceintes, personnes handicapées, etc.).

Elle prévoit, en outre, un droit de dénonciation d’un crime de disparition forcée devant les autorités compétentes d’un Etat partie (article 12). Ces dernières doivent examiner rapidement et impartialement l’allégation et, le cas échéant, procéder sans délai à une enquête approfondie et impartiale. Afin de permettre cette enquête, l’Etat concerné s’engage à ce que ces autorités disposent des pouvoirs et ressources nécessaires pour la mener à bien et « aient accès, si nécessaire avec l’autorisation préalable d’une juridiction qui statue le plus rapidement possible, à tout lieu de détention et à tout autre lieu où il y a des motifs raisonnables de croire que la personne disparue est présente ».

Au-delà de ces obligations, la présente Convention pose le principe d’une coopération renforcée entre les Etats parties. Cette coopération repose sur une entraide judiciaire la plus large possible (article 14). Plus largement, elle vise à porter assistance aux victimes de disparition forcée ainsi qu’à rechercher, localiser et libérer des personnes disparues (article 15).

2) Prévenir la pratique des disparitions forcées

La présente Convention vise également à satisfaire aux exigences de prévention, en interdisant notamment les lieux de détention secrets (article 17, alinéa 1er). Dans cette perspective, elle édicte toute une série de règles pratiques et de garanties procédurales.

La Convention sur les disparitions forcées exige ainsi des Etats parties qu’ils gardent toutes les personnes privées de liberté dans des lieux de détention « officiellement reconnus et contrôlés », qu’ils tiennent des registres officiels actualisés et disposent de dossiers détaillés sur tous les détenus et qu’ils autorisent ces derniers à communiquer avec leur famille et un avocat (article 17, alinéas 2 et 3). Elle prévoit également un droit de recours devant un tribunal pour toute personne privée de liberté.

En outre, la présente Convention garantit un accès aux informations relatives aux personnes privées de liberté en faveur de leurs proches ou leurs avocats ainsi que des mesures de protection de ces derniers contre toute forme d’intimidation ou de sanction en raison de la recherche de ces informations (article 18). Cet accès aux informations est encadré dans les conditions prévues par l’article 20 de la Convention.

Le non respect de ces obligations de tenue de registres ou d’accès aux informations sur une privation de liberté doit être empêché et sanctionné par les Etats parties à la Convention (article 22).

Ces dispositions, essentielles pour prévenir les disparitions forcées, sont complétées par l’article 23 de la Convention qui prescrit des actions de formation et de sensibilisation en direction des forces de l’ordre et autres personnels administratifs impliqués dans la détention de personnes.

En définitive, les règles et procédures édictées par la présente Convention constituent autant de garde-fous destinés à empêcher les disparitions forcées.

B.- De nouveaux droits pour les victimes et leurs proches

La Convention contre les disparitions forcées répond également à une exigence de justice, en reconnaissant aux victimes et à leurs proches un droit à réparation ainsi qu’à la vérité.

Il s’agit du premier traité international à reconnaître que les victimes de la disparition forcée ne sont pas seulement les personnes disparues mais aussi leurs proches qui sont laissés dans l’incertitude et la détresse. Outre un deuil impossible, les familles des victimes s’exposent, en effet, à des représailles lors de leurs démarches vis-à-vis des autorités pour faire la lumière sur une disparition. Elles subissent, en outre, des difficultés matérielles engendrées par la disparition (perte de revenus et de droits, notamment en matière civile). Les familles des personnes portées disparues sont donc elles-mêmes des victimes. Cette réalité est pleinement prise en compte par le texte de la Convention contre les disparitions forcées qui retient une définition large de la notion de victime, en incluant « toute personne physique ayant subi un préjudice direct du fait d’une disparition forcée » (article 24, alinéa 1er).

Afin de mettre fin à la situation de déni dans laquelle étaient tenues les familles des personnes disparues, la présente Convention consacre de nouveaux droits en leur faveur. En premier lieu, elle énonce un droit des victimes à connaître la vérité sur les circonstances de la disparition forcée et le sort de la personne disparue, reconnaissant ainsi la légitimité du « droit de savoir » (article 24, alinéa 2). Afin de faire respecter ce droit, la Convention impose aux Etats parties de prendre toutes les mesures appropriées pour la recherche, la localisation et la libération des personnes disparues.

En second lieu, elle proclame un droit des victimes à réparation du préjudice moral et physique subi (article 24, alinéas 4 et 5). Ce droit d’obtenir réparation peut prendre différentes formes, notamment une indemnisation et / ou la réhabilitation, c’est-à-dire le rétablissement de la dignité et de la réputation. La Convention impose, par ailleurs, aux Etats parties de garantir le droit de former des associations ayant pour objet de contribuer à l’établissement des circonstances des disparitions forcées et du sort des personnes disparues ainsi qu’à l’assistance aux victimes de disparition forcée (article 24, alinéa 7).

En troisième lieu, la présente Convention oblige les Etats parties à reconnaître un régime de prescription plus favorable aux victimes (article 8). Le délai de prescription de l’action pénale est de longue durée, proportionné à l’extrême gravité du crime de disparition forcée et commence à courir dès que cesse ce crime. Il s’agit d’une avancée importante, l’application des règles de droit commun en matière de prescription rendant jusqu’alors la sanction de la pratique des disparitions forcées difficile.

Enfin, la Convention comprend des dispositions spécifiques concernant les cas de soustraction d’enfants soumis à une disparition forcée et celui de la falsification, la dissimulation ou la destruction de documents attestant de la véritable identité des enfants disparus (article 25). Elle impose aux Etats parties de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et réprimer pénalement l’adoption et le placement d’enfants nés en captivité ou dont les parents sont victimes d’une disparition forcée. Elle prévoit notamment la possibilité d’annulation d’une adoption d’enfant trouvant son origine dans une disparition forcée (article 25, alinéa 4). Dans tous les cas, « l’intérêt supérieur de l’enfant » doit être pris en compte. Enfin, le principe d’assistance mutuelle entre les Etats parties est affirmé afin de faciliter la recherche et l’identification des enfants concernés ainsi que la détermination du lieu où ils se trouvent (article 25, alinéa 3).

C.- Un mécanisme de suivi original : le Comité des disparitions forcées

Afin de veiller à la mise en œuvre de ses dispositions, la présente Convention institue un « Comité des disparitions forcées », composé de dix experts indépendants, siégeant à titre personnel et agissant en toute impartialité (article 26). Ce Comité est créé pour une période expérimentale de quatre ans à l’issue desquels une conférence des Etats parties évaluera son fonctionnement et décidera s’il convient de confier le suivi de la Convention à une autre instance (article 27). L’article 26 de la Convention précise les modalités d’élection des experts appelés à siéger au Comité, leur mandat étant prévu pour quatre ans, renouvelable une fois.

1) Une fonction classique de contrôle de l’application des dispositions de la Convention

Le Comité des disparitions forcées assure les fonctions classiques d’un organe de traité, chargé de veiller à l’application de ses dispositions. Il examine les rapports présentés par les Etats parties sur les mesures qu’ils ont prises pour donner effet à leurs obligations au titre de la Convention (article 29). Le cas échéant, le Comité peut émettre des commentaires, observations ou recommandations sur ces rapports.

Le Comité peut également examiner des communications individuelles, si l’Etat concerné reconnaît expressément sa compétence, en présentant une déclaration en ce sens (article 31). Dans les mêmes conditions, le Comité peut également être amené à examiner des communications interétatiques, c’est-à-dire des communications par lesquelles un Etat partie prétend qu’un autre Etat partie ne s’acquitte pas de ses obligations au titre de la Convention (article 32).

Enfin, de manière classique, le Comité doit soumettre, chaque année, aux Etats parties et à l’Assemblée générale des Nations unies, un rapport sur les activités qu’il aura entreprises en application de la Convention contre les disparitions forcées (article 36).

La présente Convention précise, en outre, que le Comité est chargé de coordonner étroitement son action avec les différentes instances spécialisées des Nations unies et les comités conventionnels institués par d’autres instruments internationaux, en particulier le Comité des droits de l’homme institué par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (article 28)

2) Une fonction originale de prévention des disparitions forcées

La présente Convention prévoit, de façon tout à fait originale, que le Comité jouera également un rôle préventif important afin d’empêcher la survenance de disparitions forcées. A cette fin, il est doté de pouvoirs d’investigation tandis que lui est reconnue une capacité d’interpellation.

En premier lieu, la Convention dispose que le Comité peut être saisi, en urgence, par les proches d’une personne disparue ou toute personne mandatée par ces derniers, d’une demande visant à chercher et retrouver une personne disparue (article 30). Si leur plainte est fondée, le Comité demande à l’Etat concerné de lui fournir des renseignements sur la situation de la personne recherchée. Sur le fondement des informations obtenues, il peut lui transmettre une requête lui demandant de prendre « toutes les mesures, y compris conservatoires, pour localiser et protéger la personne recherchée conformément à la présente Convention ». Votre Rapporteure considère que cette procédure d’habeas corpus représente une avancée majeure de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

En second lieu, le Comité exerce une fonction préventive en effectuant des visites sur place, en cas de grave atteinte à la Convention (article 33). La Convention dispose que le Comité informe par écrit l’Etat concerné de son intention de procéder à une visite. Si ce dernier donne son accord, le Comité effectue la visite projetée, à la suite de laquelle il communique à l’Etat concerné ses observations et recommandations.

Enfin, le Comité des disparitions forcées peut émettre des appels urgents auprès de l’Assemblée générale des Nations unies, s’il reçoit des informations selon lesquelles la disparition forcée est pratiquée de manière généralisée ou systématique sur le territoire d’un des Etats parties à la Convention (article 34).

CONCLUSION

Comme l’a souligné le Président du Comité international de la Croix-Rouge, M. Jakob Kellenberger, lors de la cérémonie d’ouverture à la signature de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées : « la nécessité d’éradiquer le phénomène des disparitions forcées s’impose comme une œuvre urgente d’humanité et de justice ».

Au-delà de cette exigence morale, la présente Convention représente, en termes d’efficacité potentielle, « l’un des instruments relatifs aux droits humains les plus vigoureux jamais adoptés par les Nations unies » d’après l’organisation de défense des droits de l’homme, Amnesty International.

Votre Rapporteure considère que ces arguments plaident en faveur de l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du 4 juin 2008.

Après l’exposé de la rapporteure, un débat a eu lieu.

Le Président Axel Poniatowski s’est interrogé sur la composition du Comité des disparitions forcées, prévu par la Convention, ainsi que sur ses modalités de constitution.

La rapporteure a précisé que le Comité des disparitions forcées serait constitué de dix experts indépendants, possédant une compétence reconnu dans le domaine des droits de l’homme, qui seront désignés au moment de l’entrée en vigueur de la Convention.

M. François Rochebloine a souhaité savoir si la Convention prévoyait la participation de grandes associations internationales à ce Comité.

La rapporteure a tout d’abord souligné le rôle important de ces organisations dans l’élaboration de la Convention contre les disparitions forcées, notamment celle du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Parmi ces organisations, Amnesty International a considéré que la Convention représentait, en termes d’efficacité potentielle, « l’un des instruments relatifs aux droits humains les plus vigoureux jamais adoptés par les Nations unies ». Une telle déclaration témoigne du soutien apporté par les organisations non gouvernementales au dispositif institué par la présente Convention. En ce qui concerne le Comité des disparitions forcées, la Convention prévoit que ses membres seront élus par les Etats parties, selon une répartition géographique.

M. Jacques Remiller a demandé quelles étaient les modalités précises de désignation des membres du Comité.

La rapporteure a précisé que ses membres seraient élus pour une durée de quatre ans, rééligibles une fois.

Mme Martine Aurillac a souhaité connaître la liste des pays ayant déjà ratifié la Convention.

La rapporteure a indiqué que l’Albanie, l’Argentine, le Honduras et le Mexique avait déjà procédé à la ratification.

M. André Schneider a demandé quels pays étaient véritablement concernés par l’objet de cette convention.

La rapporteure a rappelé qu’initialement la pratique des disparitions forcées était apparue dans les dictatures latino-américaines des années 70 et 80. A l’heure actuelle, cette pratique s’est malheureusement largement répandue puisqu’on recense des cas de disparitions forcées dans vingt-deux pays. Un nombre important d’Etats est donc concerné, en particulier dans des zones de conflits ou soumises à de fortes tensions, comme cela a pu être le cas dans les Balkans, notamment.

Suivant les conclusions de la rapporteure, la commission a adopté le projet de loi (no 878).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de figure en annexe au projet de loi (n° 878).

ANNEXE : ETATS SIGNATAIRES DE LA CONVENTION CONTRE LES DISPARITIONS FORCÉES

(mai 2008)

Pays

Date de signature

Ratification

Albanie

6 février 2007

8 novembre 2007

Algérie

6 février 2007

 

Argentine

6 février 2007

14 décembre 2007

Arménie

10 avril 2007

 

Autriche

6 février 2007

 

Azerbaïdjan

6 février 2007

 

Belgique

6 février 2007

 

Bosnie - Herzégovine

6 février 2007

 

Brésil

6 février 2007

 

Burkina Faso

6 février 2007

 

Burundi

6 février 2007

 

Cameroun

6 février 2007

 

Cap Vert

6 février 2007

 

Tchad

6 février 2007

 

Chili

6 février 2007

 

Colombie

27 septembre 2007

 

Comores

6 février 2007

 

Congo

6 février 2007

 

Costa Rica

6 février 2007

 

Croatie

6 février 2007

 

Cuba

6 février 2007

 

Chypre

6 février 2007

 

Danemark

25 septembre 2007

 

Equateur

24 mai 2007

 

Finlande

6 février 2007

 

France

6 février 2007

 

Gabon

25 septembre 2007

 

Allemagne

26 septembre 2007

 

Ghana

6 février 2007

 

Grenade

6 février 2007

 

Guatemala

6 février 2007

 

Haïti

6 février 2007

 

Honduras

6 février 2007

1er avril 2008

Inde

6 février 2007

 

Irlande

29 mars 2007

 

Italie

3 juillet 2007

 

Japon

6 février 2007

 

Kenya

6 février 2007

 

Liban

6 février 2007

 

Liechtenstein

1er octobre 2007

 

Lituanie

6 février 2007

 

Luxembourg

6 février 2007

 

Madagascar

6 février 2007

 

Maldives

6 février 2007

 

Mali

6 février 2007

 

Malte

6 février 2007

 

Mexique

6 février 2007

18 mars 2008

Moldavie

6 février 2007

 

Monaco

6 février 2007

 

Mongolie

6 février 2007

 

Monténégro

6 février 2007

 

Maroc

6 février 2007

 

Pays-Bas

29 avril 2008

 

Niger

6 février 2007

 

Norvège

21 décembre 2007

 

Panama

25 septembre 2007

 

Paraguay

6 février 2007

 

Portugal

6 février 2007

 

Samoa

6 février 2007

 

Sénégal

6 février 2007

 

Serbie

6 février 2007

 

Sierra Leone

6 février 2007

 

Slovaquie

26 septembre 2007

 

Slovénie

26 septembre 2007

 

Espagne

27 septembre 2007

 

Swaziland

25 septembre 2007

 

Suisse

6 février 2007

 

Macédoine

6 février 2007

 

Tunisie

6 février 2007

 

Ouganda

6 février 2007

 

Uruguay

6 février 2007

 

Vanatu

6 février 2007

 

Source : Haut Commissariat aux droits de l’homme, Nations unies.

© Assemblée nationale

1 () M. Jakob Kellenberger, président du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), 6 février 2007.

2 () Dossier de presse distribué par le Ministère des affaires étrangères lors de la cérémonie d’ouverture à la signature de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, 6 février 2007.

3 () Mme Cordula Droege, Conseillère juridique au CICR, entretien du 20 décembre 2006.

4 () Personnes portées disparues : une tragédie oubliée, CICR, août 2007.

5 () Compte tenu de son expérience, le CICR a élaboré des « Recommandations pour l’élaboration d’une législation nationale » concernant les personnes portées disparues et leurs familles (octobre 2003).

6 () Adopté en juillet 1998, le Statut de Rome est entré en vigueur le 1er juillet 2002. Ce statut créé la première cour pénale internationale permanente, compétente à l’égard des crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale.

7 () L’article 5 de la présente Convention confirme que la pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité.

8 () A l’inverse, aucun Etat partie ne peut refouler ou extrader une personne dont il y a des motifs sérieux de penser qu’elle peut faire l’objet d’une disparition forcée (article 16).