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N
° 1472

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 février 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord-cadre relatif à la gestion concertée des migrations et au développement solidaire, du protocole relatif à la gestion concertée des migrations et du protocole en matière de développement solidaire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tunisienne,

par M. Jean-Claude GUIBAL,

Député

Voir les numéros :

Sénat : 69, 129 et T.A. 27 (2008-2009).

Assemblée nationale : 1329

INTRODUCTION 5

I – MIGRATIONS ET DÉVELOPPEMENT : UN DÉBAT DES PLUS ACTUELS 7

A – TENDANCES MIGRATOIRES MONDIALES 7

B – LA PROBLÉMATIQUE MIGRATION - DÉVELOPPEMENT 8

C – DE NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS POLITIQUES 10

II – LA CONSTRUCTION DE LA POLITIQUE MIGRATOIRE EUROPÉENNE 13

A – UNE DÉMARCHE QUI S’INSCRIT DANS LE FIL DES DÉBATS MONDIAUX 13

B – LE DIALOGUE ENTRE L’UNION EUROPÉENNE ET LE MONDE MÉDITERRANÉEN 15

III – LA POLITIQUE MIGRATOIRE DE LA FRANCE 19

A – APERÇU DE 30 ANS DE POLITIQUE MIGRATOIRE 19

B – L’ÉVOLUTION RÉCENTE DE LA LÉGISLATION ORGANISE L’ARTICULATION ENTRE MIGRATION ET CODÉVELOPPEMENT 20

C – LA POLITIQUE D’ACCORDS DE GESTION CONCERTÉE 22

IV – L’ACCORD SIGNÉ AVEC LA TUNISIE 25

A – ELÉMENTS DE CONTEXTE 25

1) Le profil migratoire de la Tunisie 25

2) La règlementation actuellement en vigueur 26

3) L’architecture général de l’accord du 28 avril 2008 26

B – LA GESTION CONCERTÉE DES MIGRATIONS 27

1) L’approche 27

2) La circulation des personnes 27

3) L’admission au séjour 28

4) La réadmission des personnes en situation irrégulière 29

C – L’AIDE AU DÉVELOPPEMENT DANS L’ACCORD 29

1) Le développement solidaire et l’aide au développement 29

2) Réinsertion sociale et formation professionnelle 30

3) D’autres projets de coopération 30

4) Logique de l’articulation migration – développement 31

CONCLUSION 33

EXAMEN EN COMMISSION 35

Mesdames, Messieurs,

Le gouvernement a conclu le 28 avril 2008 avec le gouvernement de la république tunisienne un accord cadre relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire et deux protocoles, l’un relatif à la gestion concertée des migrations, l’autre au développement solidaire.

Les accords de ce type ne concernaient jusqu’à présent que des pays d’Afrique subsaharienne, qu’ils soient déjà conclus avec le Gabon, le Bénin, le Congo ou le Sénégal, ou en cours de négociation, avec l’Île Maurice, le Cap-vert, le Burkina Faso, le Cameroun ou le Mali.

L’importance du fait migratoire depuis le Maghreb vers la France justifie à l’évidence, pour la cohérence et le succès de la politique gouvernementale, que les pays de cette région en soient également partenaires comme le sont ceux d’Afrique subsaharienne et en ce sens, ce premier accord signé avec la Tunisie mérite d’être salué. Il en appelle d’autres, à signer avec le Maroc et l’Algérie, voire avec le reste des pays de la zone.

Ces accords reflètent l’orientation de la politique migratoire française. Celle-ci s’inscrit dans un courant international et régional fort, qui lie très directement migrations et politique de développement. Cette articulation s’est imposée avec force ces dernières années au point de devenir le fil conducteur de la réflexion et des politiques régionales ou nationales en la matière.

Il paraît donc utile de resituer la politique migratoire française dans cette perspective.

I – MIGRATIONS ET DÉVELOPPEMENT : UN DÉBAT DES PLUS ACTUELS

A – Tendances migratoires mondiales

Le phénomène migratoire est aujourd’hui d’une ampleur sans précédent : l’Office international des migrations, OIM (1), estime à plus de 200 millions de personnes le nombre total des migrants, soit le double d’il y a 20 ans. 3 % de la population mondiale sont donc concernés qui, réunis, formeraient le 5ème pays le plus peuplé de la planète.

Parmi les nombreuses motivations qui incitent à immigrer, l’écart socio-économique croissant entre pays développés et pays en développement est le plus déterminant et explique l’ampleur du phénomène migratoire, dans la mesure où, sur une population active mondiale de 2,9 milliards de personnes, près de 1,4 milliard sont considérés par l’Organisation internationale du travail, OIT, comme travailleurs pauvres, vivant avec moins de 2 dollars par jour (2). Comme le rappelait notre collègue Patrick Balkany dans son rapport sur l’accord de gestion des flux migratoires signé avec le Gabon, 60 % des migrants qu’accueillent les pays de l’OCDE sont originaires d’un pays en développement. Les données de l’OCDE indiquent aussi que l’Europe est destinataire de 85 % des mouvements migratoires en provenance d’Afrique du nord, mais que près de 60 % des flux en provenance d’Afrique subsaharienne s’orientent toutefois vers des pays non européens de l’OCDE (3).

Les migrants sont aujourd’hui essentiellement originaires d’Asie, tout particulièrement de Chine et d’Inde. Néanmoins, si elle augmente en valeur absolue (4), la part des Asiatiques diminue régulièrement : ils ne représentent plus qu’un quart des migrants contre plus du tiers en 1970. C’est également le cas des Africains, dont la proportion est passée de 12 % des migrants en 1970 à 9 % en 2000. Parmi les autres tendances mondiales fortes constatées sur une longue durée, l’OIM souligne que les migrations, loin de se traduire uniquement par des flux du sud vers le nord, se font entre pays du sud, dont nombre sont devenus pays d’accueil ou de transit. L’émigration africaine, notamment, se fait majoritairement à l’intérieur de l’Afrique, de façon intra-régionale (5), et touche plus de 16 millions de personnes. Certains pays africains, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire et l’Afrique du sud (6), apparaissent ainsi parmi les 20 premiers pays accueillants.

Non seulement les migrations changent, mais le regard qui est porté sur elles évolue de telle manière l’OCDE a récemment pu souligner dans ses « Perspectives des migrations internationales » (7), qu’elles sont désormais un élément clef des relations internationales, au sein desquelles migration et développement apparaissent comme « des processus inséparables et interdépendants qui s’inscrivent dans un contexte mondialisé. (8) »

B – La problématique migration - développement

Longtemps analysée comme une cause de tensions économiques et sociales dans les pays développés, justifiant le renforcement de leurs politiques de sécurité et de contrôle aux frontières et la maîtrise des flux migratoires, l’immigration est devenue ces dernières années facteur de développement. En d’autres termes, la perception du fait migratoire a considérablement changé au point que ses aspects positifs, notamment son potentiel bénéfique tant envers les pays accueillants que d’origine, sont désormais unanimement mis en avant par la communauté internationale.

Les débats les plus fructueux ont été lancés sous l’égide des Nations Unies en 2006 à l’invitation du Secrétaire général Kofi Annan dans son rapport « Migrations internationales et développement » (9). Il y reprenait les conclusions de la Commission mondiale sur les migrations internationales (10), qui mettait notamment en évidence la question de l’optimisation des transferts de fonds des migrants, mentionnait les travaux du « Groupe spécial d’États sur les migrations » et de l’Organisation internationale du Travail (OIT). Quelques mois plus tard, en septembre 2006, le « Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement » rappelait les initiatives gouvernementales de plus en plus nombreuses autour de cette relation et peu à peu, un consensus commençait à se réaliser autour de l’idée que des synergies entre migrations et développement pouvaient être concrétisées par la coopération des pays, pour rendre la situation profitable tant aux migrants qu’à leurs pays d’origine et d’accueil.

Face aux 104 milliards de dollars annuels d’aide publique au développement en 2007, les transferts des migrants vers leur pays d’origine ont représenté plus de 337 milliards de dollars, dont plus de 250 en direction des pays en développement. En d’autres termes, la prise de conscience des flux financiers en jeu et de leur potentiel en matière de développement a permis un changement radical de perspective en vue d’une meilleure utilisation de ces sommes en faveur d’opérations de développement.

Répondant à l’invitation de Kofi Annan, 132 pays ont participé au « Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement » et ont confirmé le lancement de la réflexion autour des axes suivants :

– l’importance croissante des migrations internationales ;

– leur contribution possible au développement des pays d’origine et d’accueil moyennant des politiques d’accompagnement appropriées ;

– le caractère essentiel du respect des droits et libertés fondamentaux des migrants ;

– l’importance de l’intensification de la coopération internationale dans ce domaine.

Ce sont sur ces mêmes questions que les réunions ultérieures ont continué de se tenir. Votre rapporteur veut notamment mentionner le « Forum mondial sur la migration et le développement » (11)qui traduit l’existence d’un processus de dialogue et de coopération institutionnalisé au niveau mondial, associant gouvernements et représentants de la société civile des pays en développement et des pays développés. Y sont débattues des questions qui permettent d’avancer vers la promotion de politiques cohérentes et la coordination des positions sur les différents aspects qui lient migrations internationales et développement et qui sont désormais à l’agenda de l’Assemblée générale des Nations Unies (12). En parallèle, l’ONU, ses organisations associées et quelques programmes et fonds spécialisés y contribuent (13) également.

Cette réflexion au niveau mondial se retrouve également au niveau régional : le dernier rapport du secrétaire général de l’ONU faisait ainsi état de 13 processus de consultation régionale, voire sous-régionale, actuellement en cours qui associent la plupart des pays du monde (14) sur tous les continents. Le « Dialogue 5 + 5 » entre l’Europe et l’Afrique du nord est l’un d’eux.

C – De nouveaux développements politiques

Ces débats débouchent notamment sur l’élaboration de cadres de coopération intergouvernementaux en matière de migrations internationales.

Entre autres, comme le souhaitait Kofi Annan, un consensus s’est aujourd’hui fait sur la nécessaire intégration des questions migratoires aux politiques de développement, qui a ouvert la perspective d’actions concrètes et coordonnées en faveur de la promotion des bienfaits des migrations internationales.

Au-delà des thématiques déjà anciennes de la fuite des cerveaux ou de l’émigration excessive, qui apparaissent toujours essentielles du point de vue des pays en développement, par exemple dans le secteur de la santé en Afrique notamment (15), c’est la question des transferts de fonds des migrants qui apparaît comme l’une des plus débattues. Elle est porteuse des plus fortes espérances, compte tenu des effets de leviers déterminants que leur montant peut permettre si leur orientation en faveur de l’investissement productif, garant du développement économique, peut être assurée.

C’est dans cette optique que des partenariats effectifs de coopération entre pays d’origine et de destination se mettent en place, visant à la définition de politiques de développement globales, cohérentes et coordonnées, tant au niveau multilatéral que bilatéral, et prenant en compte les divers aspects de ces questions.

Votre rapporteur souhaite vous présenter la manière dont les pays de l’Union européenne les abordent, tant au niveau global qu’en ce qui concerne le monde méditerranéen.

II – LA CONSTRUCTION DE LA POLITIQUE MIGRATOIRE EUROPÉENNE

A - Une démarche qui s’inscrit dans le fil des débats mondiaux

Depuis le Conseil européen de Tampere d’octobre 1999, la question d’une politique de l’immigration commune aux Etats membres est en débat. Notre collègue Thierry Mariani (16) a pu souligner que, depuis son évocation dans le traité de Maastricht comme étant d’intérêt commun, elle avait considérablement évolué jusqu’à devenir prioritaire.

En effet, en dix ans, la Commission européenne a progressivement étoffé ses propositions. A une approche « classique » initiale, articulée autour de la lutte contre l’immigration clandestine, de l’élaboration d’une politique commune en matière d’asile et du traitement équitable des ressortissants des pays tiers en situation régulière, d’autres volets se sont ajoutés, cherchant à favoriser l’entrée des travailleurs qualifiés et à améliorer la politique européenne d’aide au retour.

C’est « l’Approche globale sur la question des migrations », adoptée par le Conseil européen de Bruxelles en décembre 2005, qui a mis en cohérence les actions à mener dans les domaines connexes de l’immigration légale et clandestine ; développement ; protection des réfugiés ; traite des êtres humains, grâce la coopération avec les pays et les organisations régionales tiers et à la coordination de leurs politiques en matière de relations extérieures, de développement, d’emploi, de justice et d’affaires intérieures.

Cette nouvelle orientation appelait tout à la fois à un renforcement de la coopération entre les pays membres et à un dialogue de l'Union avec l'Afrique et les pays du bassin méditerranéen qui se sont concrétisés dès le sommet de Lisbonne de décembre 2007. Les 27 pays de l’Union européenne et les 53 pays africains y approuvèrent le « Partenariat Afrique – UE », proposant un certain nombre de programmes d’actions prioritaires sur des thèmes d’intérêt communs. L'Afrique et l'Union européenne se sont engagées à poursuivre la mise en oeuvre de politiques et de programmes « qui tiennent compte de toutes les dimensions pertinentes des migrations », pour « mieux gérer les migrations et la mobilité légales, en vue de soutenir le développement socio-économique des pays d'origine et des pays de destination ». En complément, les liens entre migration et développement seront promus, et la participation des migrants au développement de leur pays d’origine sera optimisée, notamment à travers l’amélioration des mécanismes d’envoi de fonds et la participation des diasporas. Enfin, la coopération entre l'Afrique et l'Union européenne sera renforcée dans le cadre de la lutte contre l'immigration illégale, ou l’attention portée à la fuite des cerveaux dans des secteurs sensibles, comme la santé et l'éducation.

En d’autres termes, migrations, mobilité et emploi apparaissent liés tant dans l’approche qui en est faite que dans les réponses apportées et la problématique de la gestion des flux migratoires s’articule avec les stratégies nationales de développement et de codéveloppement des pays africains (17). Le programme d’action 2008-2010, défini en marge du Partenariat, a mis parallèlement en œuvre la Déclaration de la Conférence ministérielle de Tripoli sur les migrations et le développement, qui prolongeait le plan d’action défini lors de la première conférence, tenue à Rabat l’année précédente (18), pour renforcer les synergies potentielles entre migrations et développement, améliorer la coopération en matière de lutte contre l’immigration illégale et de gestion des migrations. L’accent était notamment mis sur l’adéquation des profils migratoires aux besoins des marchés, sur le risque de fuite des cerveaux, ou encore sur la nécessité de « promouvoir des programmes régionaux pour intensifier la coopération entre les pays d’origine, de transit et de destination concernant les migrations et le développement le long des routes migratoires (19) ».

Le Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté en octobre 2008 n’a par conséquent pas innové : maîtrise et organisation des flux migratoires sont depuis quelques années déjà des objectifs partagés par l’ensemble des Etats membres. Votre rapporteur y voit surtout une nouvelle impulsion politique donnée par la Présidence française de l’Union européenne à un processus déjà en marche et objet d’un large consensus des deux côtés de la Méditerranée.

Il est intéressant de préciser toutefois que le ministère de l’immigration, de l’identité nationale, de l’intégration et du développement solidaire, MIIIDS, a mis en avant cinq principes dans les négociations avec ses partenaires : organisation de l’immigration légale et de l’immigration professionnelle ; meilleure protection des frontières extérieures de l’Union ; meilleure effectivité de l’éloignement des étrangers en situation irrégulière ; mise en œuvre d’un régime européen d’asile ; renforcement du co-développement et de l’aide au développement (20).

Le Pacte a réaffirmé la nécessité d’une approche globale dans la mesure où les différents aspects de la problématique sont étroitement liés, tout particulièrement concernant la question spécifique de la gestion concertée des flux migratoires et du codéveloppement. Cette approche conduit les questions migratoires à « devenir une composante importante des relations extérieures des Etats membres et de l’Union », et invite à traduire en partenariats entre l’Union et les pays concernés les synergies potentielles entre migrations et développement. Le Conseil s’engage ainsi, en matière migratoire, à « conclure au niveau communautaire ou à titre bilatéral, des accords avec les pays d’origine et de transit, comportant, de façon appropriée, des dispositions relatives aux possibilités de migration légale, adaptées à l’état du marché du travail des Etats membres, à la lutte contre l’immigration irrégulière et à la réadmission ainsi qu’au développement des pays d’origine et de transit », et à encourager une immigration légale « adaptée à l’état du marché du travail des Etats membres ». en ce qui concerne le développement, l’immigration légale doit tout d’abord permettre aux migrants d’acquérir une formation ou une expérience professionnelle et de se constituer une épargne qu’ils pourront mettre au service de leur pays. « Dans le cadre des priorités sectorielles identifiées avec les pays partenaires », les Etats membres et la Commission sont incités à privilégier des projets de développement solidaire et à promouvoir des actions de codéveloppement associant les migrants au développement de leur pays. Dans le même esprit, les formes de migration temporaire ou circulaire qui ne n’accentuent pas la fuite des cerveaux devraient être privilégiées, comme le transfert de l’épargne des migrants.

Dans cet ordre d’idées, il importe aussi de souligner que la deuxième conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement s'est réunie à Paris le 25 novembre 2008. Soixante pays et vingt organisations internationales ont approuvé un programme, axé sur les trois volets de l'approche globale des migrations : la migration légale, la lutte contre la migration irrégulière et les synergies entre migrations et développement, incluant des mesures concrètes et opérationnelles pour renforcer encore la coopération entre pays d'Europe et d'Afrique concernant la problématique.

B – Le dialogue entre l’Union européenne et le monde méditerranéen

Votre rapporteur a brièvement évoqué le Dialogue 5 + 5 et souhaite mettre un accent particulier sur l’approche que l’Union européenne et le monde méditerranéen ont ensemble depuis quelques années sur la question des migrations.

Chacun sait que la relation entre l’Europe et l’Afrique du nord est marquée du sceau de la géographie : à peine 15 kilomètres les séparent et cette proximité n’est évidemment pas sans conséquences, en termes d’intérêt réciproque et d’enjeux. Elle l’est d’autant plus que, comme votre rapporteur a rappelé au début de son propos, les conditions économiques constituent le premier facteur incitant à la migration. A cet égard, le fait que « la mer Méditerranée marque aujourd’hui le plus grand différentiel de niveaux de vie au monde entre deux régions contiguës, deux fois supérieur à celui entre les Etats-Unis et le Mexique »  (21)est évidemment une donnée cardinale.

C’est la raison pour laquelle, très tôt, dès les prémices du Processus de Barcelone, les différentes questions concourrant au cheminement vers une convergence économique entre rives nord et sud de la Méditerranée ont été abordées de manière globale dont la question des migrations et du développement ne pouvait être absente. Le Partenariat euro-méditerranéen a cherché à créer une zone de stabilité grâce à l’effet positif de coopérations économiques et sociales, au dialogue et à une compréhension améliorés entre l’ensemble des partenaires impliqués. Outre les considérations politiques et de sécurité, les questions économiques et financières apparaissaient importantes dans une perspective de développement, dont le traitement des problèmes liés à l’émigration ne pouvait être longtemps absent.

Sans s’attarder sur les dernières années au cours desquelles ce dialogue a connu certains aléas et déceptions, ni sur un bilan longtemps modeste malgré les moyens mis en œuvre et le nombre de forums qui se sont tenus parallèlement sur des bases géographiques ou thématiques ponctuelles, il importe de se tourner vers l’avenir et l’Union pour la Méditerranée, relancée par l’action du président de la république durant la présidence de l’Union européenne.

En effet, votre rapporteur avait eu l’occasion de souligner il y a quelques années (22) que, au-delà de ses difficultés, le Processus de Barcelone, s’il abordait les problématiques dans leur complexité, n’avait pas pour autant fait de l’immigration une question centrale. Il voyait nécessaire de renforcer cet aspect et de l’articuler dans une perspective commune avec le développement, considérant que « plutôt que des sanctions à l’encontre des pays contrôlant mal leur population, la meilleure solution demeure un développement économique et social de la région. (…) Dans le cadre du Processus euro-méditerranéen, ce sont des migrations du nord vers le sud qui devraient plutôt être conçues, avec transfert de compétences. Dans l’autre sens, il ne doit s’agir que de migrations provisoires, permettant de se former et de repartir avec des transferts de compétences et de technologies. » Il ajoutait qu’à son sentiment « un contrôle de l’immigration s’imposera d’une façon ou d’une autre et ceci d’autant que le danger que les personnes les plus qualifiées émigrent, privant leur pays des compétences utiles à son développement, est réel. »  (23)

C’est lors de la deuxième conférence de Barcelone en 2005 que l’immigration est devenu le quatrième domaine prioritaire du partenariat euro-méditerranéen, et s’est joint aux domaines politique, économique et financier, social et culturel qui en constituaient les piliers originels. La question de l’immigration a dès lors figuré parmi les points centraux du programme quinquennal de travail défini dans le cadre de l’approche globale et intégrale et a été traitée sous l’angle déjà retenu dans les autres enceintes internationales de la promotion de l’immigration légale et de la reconnaissance de l’intérêt des migrations tant pour le pays d’origine qu’accueillants.

Cette approche a été clairement confirmée en juillet dernier lors du sommet de Paris pour la Méditerranée lors duquel « Ils (les chefs d’Etat et de gouvernement) insistent sur le fait que promouvoir des migrations légales correctement gérées dans l'intérêt de toutes les parties concernées, lutter contre les migrations clandestines et favoriser les liens entre les migrations et le développement sont des sujets d'intérêt commun qu'il convient de traiter selon une approche globale, équilibrée et intégrée. »  (24)

* * * * *

En d’autres termes, la politique de gestion des flux migratoires que la France conduit depuis ces dernières années, s’inscrit dans une démarche et une réflexion internationales et européennes de longue haleine. Les réponses qu’elle apporte à ces problèmes ne diffèrent pas fondamentalement des solutions débattues et promues par l’ensemble des partenaires de notre pays, qu’ils soient du nord ou du sud.

Il importe maintenant, avant d’analyser le détail le dispositif de l’accord de gestion des flux migratoires et de développement solidaire signé avec le gouvernement tunisien, de s’attarder sur quelques-uns des aspects essentiels de la politique migratoire française.

III – LA POLITIQUE MIGRATOIRE DE LA FRANCE

A – Aperçu de 30 ans de politique migratoire

La France est concernée depuis de nombreuses années par l’ensemble des questions débattues au niveau mondial, en témoignent ses propres politiques.

Les premiers programmes d’aide au retour et de réinsertion des immigrés furent lancés en Allemagne et aux Pays-Bas, entre 1972 et 1975 (25), et la France leur emboîta le pas en 1977, avec un premier programme de réinsertion volontaire proposé par le secrétaire d’Etat à l’immigration et au travail manuel, Lionel Stoleru, aux termes duquel les migrants porteurs d’un projet économique et désireux de retourner dans leur pays d’origine se voyaient gratifiés d’un pécule.

Un rapport du Sénat (26) conclura au peu de succès de cette politique, poursuivie au début des années 80 et à la fin des années 90 (27) : faible nombre de postulants, de projets concrétisés, utilisation des sommes à d’autres fins que celles prévues, programmes de formation peu adaptés aux besoins (28), etc.

Quoi qu’il en soit, il y a au minimum au long de cette période, une continuité politique, et l’on peut souligner que l’ambition est la même quelles que soient les mesures adoptées par les gouvernements successifs. Ainsi, le délégué interministériel au codéveloppement et aux migrations internationales institué en 1998 aura pour fonctions « de proposer des orientations et des mesures visant au renforcement de la coopération de la France avec les pays d'émigration en vue de convenir avec eux, dans une perspective de codéveloppement, d'une meilleure maîtrise des flux migratoires. » (29)

Les orientations qu’il proposera de mettre en œuvre rappelle singulièrement les accords de gestion concertée des flux migratoires créés depuis, dans la mesure où il préconisait la conclusion de conventions de codéveloppement entre la France et les pays partenaires, pour « soutenir les projets de développement impliquant des migrants », « faire des étudiants un vecteur du codéveloppement », « favoriser l’investissement productif de l’épargne des migrants ».

B – L’évolution récente de la législation organise l’articulation entre migration et codéveloppement

Notre collègue Thierry Mariani avait souligné (30) le danger pour notre pays de ne pas avoir de véritable politique migratoire. Il renchérissait en dénonçant l’inefficacité, voire « la faillite du système », notamment en regard de la question de l’immigration professionnelle : à l’encontre du discours officiel, la France délivrait chaque année 160 000 premiers titres de séjour, et cette immigration non gérée pesait sur la compétitivité de notre économie et avait des effets pour le moins contreproductifs (31). La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité est venue combler cette lacune.

La loi du 24 juillet 2006, relative à l'immigration et à l'intégration (32), a marqué un changement d’approche pour fonder une politique reposant sur trois principes - l'immigration choisie, l’affirmation d’un lien entre immigration et intégration, et enfin le co-développement, dont l’articulation devait permettre d’atteindre les objectifs complémentaires suivants :

– la maîtrise quantitative de l’immigration en distinguant les grandes catégories de titres de séjour, par motifs : travail, études, séjour familial ;

– la redéfinition de l’immigration familiale en réformant tout d’abord les règles du rapprochement familial ;

– un meilleur accueil des étudiants, des talents, des actifs qui désirent venir en France ;

– l'intégration réussie des immigrés en définissant un vrai parcours d'intégration, de l'arrivée en France jusqu'à l'installation durable ;

– la maîtrise de l'immigration outre-mer.

Votre rapporteur veut souligner que la logique de cette réorientation de la législation est similaire à celle qui traverse les débats en cours et sa proximité avec le Pacte européen. Cela est particulièrement notable s’agissant des dispositifs prévus concernant le contrôle des flux migratoires ou le codéveloppement.

Les différents types de cartes de séjour qu’institue la loi de 2006, « compétences et talents », saisonniers, salariés, etc., reposent sur le principe de l’organisation de la circulation des compétences et sont au cœur de la thématique de la gestion des flux migratoires, abordée dans la perspective du respect des intérêts communs de la France et des pays d’origine. Les changements introduits dans l’immigration étudiante suivent cette orientation, en témoignent les possibilités offertes d’une première expérience professionnelle de quelques mois en France après l’obtention d’un diplôme du niveau d’un master, pour mieux préparer le retour ultérieur au pays.

Il en est de même du volet du codéveloppement avec l’introduction du « compte épargne codéveloppement ». En cela, la France est apparue comme pionnière dans la mise en œuvre des recommandations exprimées dans les forums internationaux, tel que le Dialogue organisé sous l’égide de l’ONU en 2006 (33) : ses conclusions avaient mis l’accent sur les contributions au développement que pouvaient représenter les transferts de fonds des migrants (34). A ce jour la France est toujours le seul pays de l’Union européenne à avoir institué de tels dispositifs d’épargne (35).

Le compte épargne codéveloppement, créé par la loi du 24 juillet 2006, a été complété par le livret d’épargne pour le codéveloppement, introduit par la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’inciter les migrants à orienter une partie de leurs transferts de fonds vers l’investissement dans leur pays d’origine. Ces dispositifs, qui reprennent des suggestions exprimées dans nombre de rapports publiés ces dernières années, méritent d’être salués et d’autant plus encouragés qu’ils sont pour l’heure restés lettre morte : ni le compte épargne codéveloppement ni le livret d’épargne n’ont en effet encore été commercialisés.

Votre rapporteur vous renvoie sur ce sujet à l’analyse détaillée qu’en fait notre collègue Henriette Martinez dans son avis budgétaire (36) et notamment à sa réflexion sur les divers aménagements qu’il conviendrait d’y apporter pour introduire les correctifs nécessaires pour que ces modes de financement du codéveloppement soient enfin commercialisés avec quelque chance de succès et deviennent au plus tôt les instruments effectifs du codéveloppement qu’ils prétendent et pourraient effectivement être.

La loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile a cherché à prolonger les effets de la loi de 2006, notamment quant au rééquilibrage entre immigration professionnelle et familiale. Le dispositif de 2006 avait ouvert la porte à une immigration « choisie » ; celui de 2007 vise à la promotion d’une immigration qui réponde mieux aux besoins de notre pays, notamment en ce qui concerne les migrants hautement qualifiés, destinataires de la carte de séjour « compétences et talents » et bénéficiaires de conditions plus favorables, notamment quant aux conditions de regroupement familial,. Comme indiqué, le volet au codéveloppement y figure sous la forme de l’introduction du livret d’épargne pour le codéveloppement.

C – La politique d’accords de gestion concertée

Enfin, les accords de gestion concertée en matière de flux migratoires et de développement solidaire complètent le dispositif institutionnel mis en place ces dernières années et consacrent l’articulation des deux pans de la problématique migratoire contemporaine.

Ce type de convention suit très fidèlement les recommandations de l’ONU : le rapport de Kofi Annan en 2006 avait invité pays d’origine et d’accueil à mieux se coordonner, à renforcer la cohésion de leurs politiques de migration et de codéveloppement, via notamment une coopération entre les institutions en charge des stratégies de développement et celles en charge des questions migratoires, pour une meilleure synergie au service du développement.

Si ce type de partenariats est encore rare au niveau international ou régional (37), il devient en revanche un axe prioritaire de la politique du gouvernement français mise en œuvre par le MIIIDS.

*****

Au terme de cette étude, avant d’examiner en détail le contenu de l’accord qui est soumis à l’Assemblée nationale, il convient de souligner ainsi que notre pays apparaît comme particulièrement réformateur en matière de codéveloppement et prompt à expérimenter les pistes ouvertes au sein des forums internationaux et tout particulièrement celles ouvertes au sein de l’ONU depuis 2006 par Kofi Annan. Que ce soit au niveau national, bilatéral ou régional, elle a commencé d’explorer les différentes voies concordantes qui permettent de redessiner les contours de l’immigration internationale dans un sens qui conviennent aux différentes parties impliquées.

L’accord de gestion concertée des flux migratoires signé avec le gouvernement tunisien est un exemple particulièrement significatif de cette politique ambitieuse.

IV – L’ACCORD SIGNÉ AVEC LA TUNISIE

A – Eléments de contexte

1) Le profil migratoire de la Tunisie

La Tunisie se situe au 5ème rang des pays d’origine de migrants résidant en France. La communauté tunisienne s’élève à près de 175000 personnes en 2007, en légère augmentation (+ 5 % entre 2002 et 2007).

Le flux annuel la situe au 4ème rang, avec près de 10000 premiers titres délivrés. Il est en baisse progressive depuis 2003, la plus forte s’étant produite en 2004 : - 10 %.

L’immigration familiale reste la première cause d’immigration avec plus de 2/3 de l’ensemble des flux d’entrées, – soit très précisément : 6 436 personnes sur un total de 10 187 en 2002 et 6 764 personnes sur un total de 9 814 en 2007 –, ce qui la place au 3ème rang et montre que, proportionnellement, elle est en progression.

La deuxième cause d’immigration, qui représente le quart de l’ensemble des flux d’entrée, concerne les études et stages, stables depuis 2002 : plus de 2200 titres en 2007 contre 2 300 en 2002), ce qui place la Tunisie au 4ème rang.

Par contre, elle n’occupe que la 15ème place en matière d'immigration pour motifs professionnels avec un flux d’entrées d’un peu plus de 300 personnes en 2007 et la 45ème pour la catégorie des réfugiés, apatrides et demandeurs d'asile.

Enfin, pour mémoire, le nombre de ressortissants tunisiens inscrits au titre d'étrangers malades a diminué depuis 2002 et ne concerne que quelques dizaines de personnes.

En d’autres termes, le profil migratoire de la Tunisie montre globalement que l’immigration familiale est nettement dominante et que l’immigration professionnelle est faible, si ce n’est, par comparaison infime. Ces données confirment la logique de l’ambition de réorienter la politique migratoire de la France affirmée ces dernières années qui, précisément, prétend renverser la tendance au profit des migrations professionnelles pour arriver à un rééquilibrage entre les deux catégories d’immigration.

On doit rappeler à cet égard que la loi de 2006, pour ce qui concerne les pays de la zone de solidarité prioritaire, ZSP, n’entre que très progressivement en vigueur, à mesure que se négocient les accords de gestion concertée des flux migratoires, dont seul, aujourd’hui, celui avec le Gabon a été ratifié. Cela explique ces données qui devraient logiquement évoluer, une fois le rythme de croisière atteint et se traduire par conséquent par le rééquilibrage souhaité en faveur de cette immigration, tandis que devrait diminuer d’autant l’immigration familiale.

2) La règlementation actuellement en vigueur

A l’instar de nombre d’accords conclus à cette époque, tels ceux étudiés par notre collègue Michel Terrot dans son rapport sur les accords avec le Bénin, le Congo et le Sénégal, la réglementation en matière de migration actuellement en vigueur entre la France et la Tunisie ne porte que sur les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de chacune des parties signataires dans l’autre et, consécutivement, sur les catégories de requérants, sur les visas qui peuvent être délivrés selon les durées de séjour envisagées et les motifs de l’immigration.

Aucune mention de quelque nature que ce soit ne fait référence à une conception de l’immigration en relation avec le développement.

Ainsi, l’accord initial, sous forme d’échange de lettres en date du 31 août 1983 ne vise-t-il que la délivrance de visas, dans un souci commun de contrôle plus efficace des flux migratoires entre les deux pays. Les avenants du 17 mars 1998 et du 19 décembre 1991 tendent à améliorer, « d’une manière favorable et durable » la situation des ressortissants et de leurs familles des deux pays résidant dans l’autre et portent, entre autres, sur les titres de séjour de longue durée.

Enfin, un dernier avenant, du 8 septembre 2000, met cet ensemble à jour pour tenir compte des évolutions législatives intervenues, sans bouleverser ni l’architecture ni l’esprit de l’accord.

3) L’architecture général de l’accord du 28 avril 2008

L’architecture de l’accord est très proche de celle que l’on rencontre dans les accords similaires, sans qu’il y ait non plus de grandes différences quant au fond, dans la mesure où sont déclinés chacun des trois aspects complémentaires de ce type de convention : le volet de l’organisation de l’immigration légale ; celui de la lutte contre l’immigration irrégulière et enfin celui du codéveloppement ou développement solidaire, ainsi que la question de la gestion et du suivi bilatéral de l’application du dispositif.

Formellement, la différence la plus importante réside dans le fait que, dans le cas présent, ont été signés trois documents, un accord cadre et deux protocoles, portant chacun sur un des thèmes.

B – La gestion concertée des migrations

1) L’approche

A la différence de certains des accords de flux migratoires négociés par la France avec des pays d’Afrique subsaharienne qui tendent à mettre fortement l’accent sur la lutte contre l’immigration clandestine (38), les considérants de l’accord cadre avec la Tunisie proposent avant tout une vision positive du phénomène migratoire, axée autour du rapprochement entre les peuples, du développement et de la croissance. La migration est ainsi présentée comme « un vecteur de progrès » dont la « gestion concertée contribue au rapprochement entre les peuples et au développement économique, social et culturel ». Elle doit se concevoir dans « une perspective intégrée de développement », bénéfique pour le pays d’origine. « Un partenariat stratégique mutuellement avantageux pour le développement et la promotion des intérêts réciproques » combiné à un « un soutien multidimensionnel de la part du pays d’accueil » sont les voies prévues pour y arriver.

L’accord cadre annonce ensuite les deux protocoles additionnels portant l’un, sur la gestion concertée de la migration et la coopération des parties en matière de circulation des personnes, et l’autre, « sur un partenariat privilégié en matière de développement solidaire », et détaille les modalités de gestion de l’ensemble.

2) La circulation des personnes

En matière de circulation, le protocole relatif à la gestion concertée des migrations ne diffère pas fondamentalement des autres accords signés sur ce sujet sauf en ce qu’il apparaît plus généreux. La liste des ressortissants tunisiens pour lesquels la France s’engage à faciliter la délivrance de visas de circulation permettant des séjours de trois mois au maximum par semestre pour une durée de un à cinq ans, n’est en effet pas restreinte aux catégories de bénéficiaires habituels (hommes d’affaires, universitaires, sportifs, etc., membres des familles de ressortissants résidant sur le territoire et personnes nécessitant des soins médicaux en France), mais inclut aussi les fonctionnaires en activité ou retraités ainsi que les divorcés de conjoints français afin qu’ils puissent exercer leur droit de visite d’un enfant.

De même d’autres motifs sont prévus, inexistants dans les précédents accords, qui concernent les visites dans des cas spécifiques : à des familiers hospitalisés ; dans le cadre de la coopération décentralisée ; dans le cadre d’actions auprès des tribunaux, de liquidation de succession, etc.

3) L’admission au séjour

Le protocole actualise en premier lieu l’accord antérieur de 1988 pour l’harmoniser avec les législations françaises plus récentes, notamment en ce qui concerne le contrat d’accueil et d’intégration républicaine dans la société française. Les deux parties s’engagent également « à réserver un traitement bienveillant et diligent aux demandes de regroupement familial. »

Pour le reste, à l’instar des autres accords du même type, le protocole traite essentiellement de la question des étudiants et de la migration pour motifs professionnels.

Les étudiants titulaires d’un diplôme de niveau master se voient offrir la possibilité d’une première expérience professionnelle en France, moyennant une autorisation provisoire de séjour de six mois, au terme de laquelle, s’ils sont titulaires d’un emploi ou d’une promesse d’embauche, ils seront autorisés à séjourner en France sans que la situation de l’emploi soit opposable.

La seconde catégorie concernée par les visas de longue durée est celle des migrants pour motifs professionnels. Le protocole met en œuvre les dispositions de la loi de 2006 renvoyant expressément à la signature d’accords bilatéraux, en ce qui concerne l’octroi des cartes de séjour « compétences et talents » aux ressortissants de pays appartenant à la zone de solidarité prioritaire, et prévoit dans le cas de cet accord un nombre maximal de 1500 cartes par an, bien supérieur à ce qui a été prévu jusqu’ici dans les accords négociés avec des pays d’Afrique subsaharienne. Un comité de concertation est prévu quant au réexamen régulier de cette catégorie de bénéficiaires.

Les autres catégories de migrants pour motifs professionnels n’appellent pas de commentaire particulier de la part de votre rapporteur, si ce n’est pour signaler que les quotas sont également plus élevés que dans les autres accords : 3500 salariés exerçant l’un des métiers énumérés en annexe du protocole (39) ou 2500 travailleurs saisonniers.

4) La réadmission des personnes en situation irrégulière

Le traitement de l’immigration irrégulière est organisé sur le principe d’une responsabilité partagée des deux parties de telle manière qu’il respecte la dignité et les droits fondamentaux des personnes, et le dispositif mis en place est proche de ceux en vigueur dans d’autres conventions.

Des mécanismes de coopération et de collaboration sont prévus, notamment en matière de réadmission des nationaux et de modalités d’identification de nationalité des personnes en situation irrégulière pour leur future réadmission.

Dans le même esprit, une coopération spécifique, est aussi prévue en matière technique et financière dans le domaine de la lutte contre la migration clandestine. Elle portera sur les questions de surveillance des frontières, de renforcement des capacités et des services de l’administration tunisienne compétente, et fera l’objet d’un échange de lettres complémentaires au protocole.

C – L’aide au développement dans l’accord

1) Le développement solidaire et l’aide au développement

Le second protocole de l’accord porte sur le développement solidaire, que votre rapporteur aurait préféré voir continuer à être dénommé codéveloppement. Plusieurs aspects complémentaires sont considérés.

Il faut tout d’abord souligner l’aspect global de la perspective choisie et son articulation affirmée avec la question des migrations : les deux parties agissent dans le cadre d’une solidarité agissante qui intègre les impératifs du développement durable, de l’emploi et de la sécurité de tous, pour contribuer à assurer une maîtrise efficace des migrations.

Il ne s’agit donc pas seulement de se limiter à des actions touchant aux transferts de l’épargne des migrants dont les initiatives de développement seront soutenues, mais de mettre en œuvre une solidarité d’une tout autre ambition. Pour cela, c’est la mise en place d’un « modèle de développement solidaire » qui est envisagée, dont les aspects porteront sur la promotion de l’emploi et la création de richesses, ou encore l’encouragement des investissements structurants. Dans le même esprit, des actions en matière d’emploi et de formation professionnelle et universitaire sont prévues, de même que l’identification de projets de coopération décentralisée comportant des volets de développement solidaire ou encore la mise à contribution de régions françaises engagées dans des programmes européens de coopération transfrontalières.

Ces différents aspects, dont votre rapporteur souligne l’importance et la cohérence, sont déclinés dans les articles suivants du protocole. L’appui de la France au renforcement des capacités institutionnelles de la Tunisie en matière d’organisation des projets de mobilité internationale de ses ressortissants est notamment mis en exergue. Il en est de même de l’accent mis sur la question de l’épargne des migrants, sujet sur lequel les dispositions des lois de 2006 et 2007 portant sur les compte et livret d’épargne codéveloppement sont reprises dans le corps du protocole.

2) Réinsertion sociale et formation professionnelle

Deux titres du protocole détaillent les mécanismes prévus en matière de réinsertion sociale et économique et de formation professionnelle des ressortissants tunisiens.

Les différentes possibilités d’aide offertes dans le cadre des dispositifs français en vigueur sont ouvertes aux ressortissants tunisiens, réguliers ou non, qui souhaitent rentrer en Tunisie pour y créer une entreprise.

En outre, une attention particulière est portée aux besoins à court et moyen termes de la Tunisie en matière d’emploi. La France s’engage à apporter une première aide particulière (40) de 30 millions d’euros à la mise en place ou à niveau des centres et programmes de formation professionnelle tunisiens, tenant compte notamment des spécificités des pôles régionaux.

La liste en est détaillée en annexe du protocole et votre rapporteur souhaite tout particulièrement mentionner le projet de création d’un centre de formation aux métiers du bâtiment d’un montant de 7,2 millions d’euros, celui d’un centre de formation aux métiers de la soudure et de la construction métallique, pour un montant de 4,7 millions d’euros.

Douze autres projets sont également identifiés dans le protocole, qui représentent des investissements de 100 000 à 2,5 millions d’euros.

3) D’autres projets de coopération

Le protocole énumère enfin un certain nombre de projets de coopération particuliers qui devront recevoir un soutien de la part de la France dans le cadre de cette convention, et seront financés sur les crédits du le ministère de l’immigration, de l’identité nationale, de l’intégration et du développement solidaire, MIIIDS.

La liste en est précisée en annexe du protocole et porte sur des aspects touchant à la pêche côtière artisanale, à l’accompagnement des projets des jeunes entrepreneurs ainsi qu’au développement de la région de Médénine. Ces deux derniers projets sont financés pour des coûts estimatifs de 3 et 5 millions d’euros respectivement. D’autres actions, plus modestes, intéressent les secteurs santé et le micro-crédit.

4) Logique de l’articulation migration – développement

La création du MIIIDS a représenté une étape clef en permettant que l’unité indispensable de la gestion politique et administrative de l’immigration soit atteinte et en garantisse l’efficacité. Elle a permis aussi que la notion de codéveloppement prenne sa véritable dimension, grâce aux accords de gestion concertée et l’on ne peut que se féliciter de voir l’ensemble des points de convergence trouvés sur ces questions, qui répondent aux préoccupations des pays d’origine.

Pour autant, l’analyse de l’accord appelle deux remarques de la part de votre rapporteur, l’une particulière, l’autre d’ordre plus général.

En premier lieu, la mise en œuvre des divers projets prévus dans le cadre du volet codéveloppement de l’accord ne concerne que le MIIIDS, et ne mentionne aucunement le secrétariat d’Etat à la coopération. Dans la mesure où la Tunisie, bénéficiaire de ces projets, est un pays appartenant à la Zone de Solidarité prioritaire, un mécanisme d’articulation avec le secrétariat d’Etat à la coopération aurait été bienvenu, pour des raisons de coordination interinstitutionnelle bien comprise, et ce, bien qu’il soit précisé que les enveloppes consacrées à ces projets seront financées sur crédits du MIIIDS.

En d’autres termes, une coordination entre les différentes administrations en charge de l’aide au développement aurait pu être prévue, afin de garantir l’harmonisation des politiques mise en œuvre sous des autorités, des responsabilités, voire des stratégies différentes. Cette mention aurait été d’autant plus utile que l’accord prévoit des interventions dans des domaines qui, aux termes des décisions du CICID de juillet 2004, sont soit transversaux, soit de la compétence du MAE et, partant, du secrétariat d’Etat à la coopération.

D’une manière plus générale, enfin, votre rapporteur ne peut manquer de remarquer que l’articulation voulue entre gestion migratoire et codéveloppement implique de fortement privilégier les financements bilatéraux d’aide publique au développement. Or, dans la mesure où la part des financements multilatéraux croît dans la structure de l'APD de notre pays par rapport aux crédits consacrés à la coopération bilatérale, qui sont en baisse régulière depuis maintenant plusieurs années, tant au niveau global qu’en ce qui concerne la Tunisie, votre rapporteur craint que le succès de la politique migratoire de la France ne risque d’être compromis et que le dispositif institué dans cet accord ne puisse être garanti à moyen terme.

Il attire donc l’attention du gouvernement sur la question de la cohérence indispensable entre ses politiques migratoire et d’aide développement et l’invite à un rééquilibrage au profit de l’aide bilatérale, pour garantir de l’efficacité de l’accord de gestion concertée et du succès, sur la durée, de la maîtrise de l’immigration tunisienne.

CONCLUSION

Sous réserve des dernières remarques finales, votre rapporteur vous invite à approuver ce projet de loi important.

Il traduit la réorientation de la politique migratoire de la France, dans un sens plus équilibré, qui répond tant aux intérêts de notre pays que de la Tunisie. Après quatre accords signés avec des pays d’Afrique subsaharienne, ce premier accord avec un pays du Maghreb doit être salué.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 18 février 2009.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Jacques Remiller. Des accords similaires sont-ils envisagés avec le Maroc et l’Algérie ?

M. Jean-Claude Guibal, rapporteur. Non car le cas de la Tunisie est singulier : la communauté tunisienne en France, avec 175 000 membres, est assez réduite, les flux d’immigration sont modestes – 10 000 demandes de visa par an, toutes catégories confondues – et la proportion d’immigration familiale est très importante : elle représente les deux tiers du total.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (no 1329).

*

* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte de l’accord-cadre figure en annexe au projet de loi (n° 1329).

© Assemblée nationale

1 () http://www.iom.int

2 () « Tendances mondiales en matière d’emploi en 2007 », cité dans « Migrations économiques, cohésion sociale et développement : vers une approche intégrée. », Rapport de la 8ème Conférence du Conseil de l’Europe des ministres responsables des questions de migrations, Kiev, 4-5 septembre 2008, p. 59.

3 () OCDE, International Migration Outlook, SOPEMI, 2008, résumé en français, p. 2.

4 () De 28 millions à quelque 45 millions de nos jours.

5 () « Tendances récentes des migrations internationales », SOPEMI, OCDE, 2007, p. 47.

6 () « Les migrations sud-sud : exemple de l’Afrique subsaharienne”, Parlement européen, Direction générale pour les politiques externes de l’Union. Auteurs: Véronique Lassailly-Jacob (Université de Poitiers), Florence Boyer, Centre Population Développement (CEPED) et Julien Brachet (Université de Paris I). Réf.: EP-ExPol-B-2006-02, PE 371.978, 31/03/2006.

7 () Perspectives des migrations internationales, OCDE, 2007, p. 125.

8 () http://www.iom.int

9 () « Migrations internationales et développement », Rapport du Secrétaire général, Nations Unies, A/60/871, 2006.

10 () « Les migrations dans un monde interconnecté : nouvelles perspectives d’action », Rapport de la Commission mondiale sur les migrations internationales, octobre 2005.

11 () Réuni pour la première fois à Bruxelles en 2007, il a rassemblé les délégués de 156 pays. L’édition suivante s’est tenue aux Philippines en octobre 2008. La prochaine aura lieu en Grèce en 2009 et en Argentine en 2010.

12 () )« Migrations internationales et développement », Rapport du Secrétaire général, Nations Unies, A/63/265, août 2008.

13 () (CNUCED, PNUD, UNICEF, HCR, Fonds des Nations Unis pour l’enfance, pour la population, UNESCO, OIM, Banque mondiale, Groupe mondial sur la migration, etc.)

14 () « Migrations internationales et développement », Rapport du Secrétaire général, Nations Unies, A/63/265, août 2008, pages 16 à 19.

15 () Seul un quart des médecins formés en Afrique pratiquent en Afrique. Catherine Wihtol de Wenden, CNRS, (CERI-Science-Po), « Co-development policies inEurope : Objectives, Experiences and Limits. » novembre 2008, p. 8 ; (article disponible sur http://www.ifri.org, rédigé dans le cadre de la seconde réunion du Dialogue franco-anglais sur les régularisations et le codéveloppement : « Codéveloppement : quels objectifs ? Quels principes ? »). De même l’Afrique ne compte-t-elle aujourd’hui que 20 000 scientifiques et ingénieurs sur une population totale de quelque 600 millions d’habitants.

16 () « Vers un pacte européen sur l’immigration et l’asile », Thierry Mariani, député, rapport d’information n° 921, rédigé au nom de la délégation pour l’Union européenne, juin 2008.

17 () Le partenariat stratégique Afrique - UE, une stratégie commune Afrique - UE ; Partenariat Afrique – UE sur les migrations, la mobilité et l’emploi, p. 66.

18 () Première conférence ministérielle euro-africaine sur la migration et le développement, 10 et 11 juillet 2006.

19 () Ibid., p. 68.

20 () Pour les développements sur ces questions, cf. rapport de Thierry Mariani, p. 11s.

21 () « L’Union Méditerranéenne », Contribution de l’Agence Française de Développement.

22 () « Rapport d'information sur l’avenir du processus euroméditerranéen », Rapport de la Mission d’information constituée au sein de la commission des affaires étrangères, 23 octobre 2002, (MM. Roland Blum, président, Jean-Claude Guibal, rapporteur).

23 () Ibid, p. 34.

24 () Déclaration commune du sommet de Paris pou r la Méditerranée Paris, 13 juillet 2008, point 12.

25 () « Co-development Policies in Europe : Objectives, Experiences and Limits. » Catherine Wihtol de Wenden, CNRS, (CERI-Science-Po), novembre 2008 ; article disponible sur http://www.ifri.org, rédigé dans le cadre de la seconde réunion du Dialogue franco-anglais sur les régularisations et le codéveloppement : « Codéveloppement : quels objectifs ? Quels principes ? »

26 () Commission d'enquête chargée de recueillir des informations sur les régularisations d'étrangers en situation irrégulière opérées depuis le 1er juillet 1997 ; rapport n° 470 de MM. Paul Masson et José Balarello, sénateurs. (Deuxième partie, II, A, 1) : « Les résultats incertains des précédents dispositifs d'aide au retour ».

27 () Mission interministérielle « Migration et codéveloppement » en 1998, conduite par M. Sami Naïr, délégué interministériel.

28 () Catherine Wihtol de Wenden, ibid.

29 () Décret n°98-314 du 24 avril 1998 portant création d'un délégué interministériel au codéveloppement et aux migrations internationales, article 2.

30 () Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république sur le projet de loi (n° 2986), relatif à l’immigration et à l’intégration, 26 avril 2006.

31 () Ibid, pages 22 à 24.

32 () Loi n°2006-911 du 24 juillet 2006.

33 () Résumé du Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement ; note de la Présidente de l’Assemblée générale, A/61/515, 13 octobre 2006, p. 3 et 4.

34 () « Les projections indiquent que les immigrés installés sur notre territoire envoient, principalement vers l’Afrique du Nord ou sub-saharienne, environ 8000 M€ par an, soit l’équivalent de l’APD française. » Mme Henriette Martinez, députée, avis budgétaire sur l’aide publique au développement, commission des affaires étrangères, novembre 2008.

35 () L’Allemagne, le Royaume Uni ou l’Espagne se sont pour l’instant limités à explorer le thème de la réduction des coûts de transferts.

36 () Rapport précité, pages55 à 60.

37 () L’Union européenne a seulement signé en juin 2008 un premier « Partenariat pour la mobilité en Afrique » avec le Cap-vert ; elle a aussi lancé un « Centre d’information de gestion des migrations » (CIGEM) au Mali, pour l’aider à mieux gérer les questions migratoires dans le cadre d’un partenariat avec les pays voisins ainsi qu’avec l’Europe.

38 () Notamment l’accord signé avec le Sénégal.

39 () Près de 80 métiers sont concernés, appartenant aux filières suivantes : bâtiment et travaux publics ; hôtellerie, restauration et alimentation ; mécanique, travaux des métaux ; électricité, électronique ; maintenance ; ingénieurs, cadres de l’industrie ; transports, logistique et tourisme ; industrie de process ; matériaux souples, bois, industries graphiques (industries légères) ; gestion, administration des entreprises ; informatique ; études et recherche ; banque et assurances ; commerce ; enseignements, formation ; télécommunications ; agriculture.

40 () Pour la période 2008-2011, au terme de laquelle elle sera révisée.