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N° 1730

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 juin 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1575) de Mme Valérie ROSSO-DEBORD, et MM. Christophe CARESCHE, Pierre FORGUES, Robert LECOU, rapporteurs de la Commission chargée des affaires européennes, sur les services sociaux d’intérêt général, et SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION (n° 1698) de MM. Jean-Marc AYRAULT, François BROTTES, Christophe CARESCHE, Pierre FORGUES, Régis JUANICO, Jérôme LAMBERT, Pierre MOSCOVICI et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG) et la transposition de la directive services,

PAR Mme Valérie Rosso-Debord,

Députée.

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INTRODUCTION 5

I.- LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE PAR LA COMMISSION CHARGÉE DES AFFAIRES EUROPÉENNES 7

A. LE CONSTAT 7

1. Les services sociaux d’intérêt général se situent au cœur du modèle social européen 7

2. Leur régime apparaît complexe et inapproprié 8

3. Cette situation suscite une forte demande de clarification face à des annonces restées à ce jour sans suite 11

B. LES PROPOSITIONS 13

1. Le droit doit être adapté et clarifié, y compris, au besoin, par une intervention du législateur communautaire 13

2. La pérennisation des équilibres actuels appelle par ailleurs des actions politiques 17

II.- LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE PAR M. JEAN-MARC AYRAULT 21

TRAVAUX DE LA COMMISSION 23

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 35

INTRODUCTION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est saisie de la proposition de résolution adoptée le 1er avril 2009 par la commission chargée des affaires européennes de l’Assemblée nationale sur les services sociaux d’intérêt général (n° 1575). Cette proposition de résolution ne se fonde pas sur un projet ou une proposition des Communautés européennes ou de l’Union européenne, au sens du premier alinéa de l’article 88-4 de la Constitution, mais sur la faculté que le deuxième alinéa de cet article ouvre désormais aux Assemblées d’adopter des résolutions européennes sur « tout document émanant d’une institution de l’Union européenne ».

Outre divers textes à caractère normatif (traités, directives, décision), la proposition de résolution vise ainsi deux communications de la Commission européenne relatives aux services sociaux d’intérêt général (SSIG), respectivement en date des 26 avril 2006 (COM [2006] 177 final) et 20 novembre 2007 (COM [2007] 725). L’un des enjeux du débat européen sur les SSIG consistant précisément à déterminer s’il est opportun qu’intervienne une proposition de directive dans ce domaine, l’absence, pour l’heure, de proposition d’acte aurait autrefois eu pour conséquence de priver les Assemblées de la faculté de s’exprimer par la voie d’une résolution : il est heureux que tel ne soit plus le cas, car le sujet le mérite amplement.

M. Marc Dolez a d’ailleurs également déposé le 9 avril 2009 une proposition de résolution (n° 1617) sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne et sur la communication de la Commission européenne de 2006 susvisée. Cette proposition de résolution a été examinée par la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire le 13 mai, puis en séance publique les 28 mai et 2 juin, l’Assemblée nationale se prononçant contre son adoption, par une majorité de 291 voix contre 177.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales est saisie d’une autre proposition de résolution (n° 1698), déposée le 27 mai, à la veille de cette discussion en séance publique, par MM. Jean-Marc Ayrault, François Brottes, Christophe Caresche, Pierre Forgues, Régis Juanico, Jérôme Lambert, Pierre Moscovici et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et apparentés, sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG) et la transposition de la directive « services ».

La commission chargée des affaires européennes, quant à elle, avait adopté sa proposition de résolution après avoir examiné un rapport d’information de Mme Valérie Rosso-Debord et MM. Christophe Caresche, Pierre Forgues et M. Robert Lecou intitulé « Les services sociaux d’intérêt général : pour un cadre européen clarifié et respectueux de nos équilibres républicains » (n° 1574). Le caractère pluripartite de ce groupe de travail, qui a associé à parité majorité et opposition, illustre de façon tout à fait positive l’existence, dans notre pays, d’un consensus sur ces questions en même temps que la volonté de défendre le modèle français avec la plus grande détermination.

Corapporteure au nom de la commission chargée des affaires européennes, la rapporteure renverra tout naturellement, pour l’essentiel, au document qu’elle a rédigé en avril dernier avec ses trois collègues. Au demeurant, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales étant saisie de deux propositions de résolution, c’est fort logiquement ces textes qu’il convient désormais de présenter et d’examiner, ce à quoi s’attachera donc le présent rapport.

I.- LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE
PAR LA COMMISSION CHARGÉE DES AFFAIRES EUROPÉENNES

La proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes ne déroge pas à la règle, effectuant une série de constats qui l’amènent ensuite à formuler plusieurs propositions.

A. LE CONSTAT

Le constat tient en trois points, que rappelle successivement la proposition de résolution : alors même que les services sociaux d’intérêt général se situent au cœur du modèle social européen, leur régime apparaît à la fois complexe et inapproprié, ce qui explique que de nombreuses voix aient plaidé pour une clarification alors même que les annonces d’initiative législative restaient sans suite.

1. Les services sociaux d’intérêt général se situent au cœur du modèle social européen

Au-delà de la diversité des systèmes nationaux, tout particulièrement sensible en matière sociale, il existe une spécificité européenne, un modèle social, qui s’affirme par comparaison avec l’Amérique du Nord et, a fortiori, avec les pays en voie de développement. Ainsi que le souligne l’alinéa 9 de la proposition de résolution, au sein de ce modèle, les services sociaux d’intérêt général tiennent une place centrale. Leur rôle est d’ailleurs encore plus essentiel dans le contexte actuel de crise, où ils sont davantage sollicités pour l’insertion professionnelle et la lutte contre l’exclusion, tout en constituant, par leur nature de services de proximité, un secteur relativement épargné par les difficultés économiques.

Cette importance est d’abord de nature quantitative. Si l’on considère à la fois les services sociaux et de santé, ils emploient près de 10 % de la population de l’Union européenne. Il est en outre important de relever que ces emplois participent aux objectifs du volet social de la « stratégie de Lisbonne », d’une part en ce qu’ils augmentent le taux d’emploi par le développement de l’emploi féminin et des seniors, d’autre part en ce qu’ils contribuent à relever le niveau global de qualification.

Les différences entre systèmes nationaux, selon le degré d’intervention respectif des collectivités publiques (État, collectivités territoriales), du tiers secteur (associations et organismes sans but lucratif), du secteur privé à but lucratif mais aussi du cadre familial et du secteur informel, ou bien selon la conception plus ou moins large de l’accessibilité au service, sont considérables et sont appelées à le demeurer, en vertu du respect du principe de subsidiarité. Selon la Cour de justice, le traité reconnaît en effet aux États membres la liberté de définir des missions d’intérêt général et d’établir les principes d’organisation des services qui les accomplissent, pour peu qu’ils ne commettent pas d’abus quant à la notion même d’intérêt général et qu’ils respectent les grands principes du droit communautaire.

Dans ce cadre, la France est tout à fait fondée à adopter une conception plus extensive des SSIG que celle retenue par la Commission européenne : protection sociale obligatoire et complémentaire ; secteur social et médico-social ; services à la personne ainsi que d’aide et d’accompagnement à domicile des publics fragiles ; insertion par l’activité économique ; emploi et formation ; logement social ; petite enfance ; protection de l’enfance en danger et prise en charge de l’enfance délinquante ; jeunesse, sport et éducation populaire ; tourisme social.

De même, le droit communautaire est indifférent à la manière dont les services concernés sont gérés. Les relations entre collectivités publiques et SSIG peuvent ainsi prendre plusieurs formes : gestion directe en régie, gestion par un tiers que l’autorité contrôle comme ses propres services (« in house ») ou gestion par un tiers proprement dite. Cette dernière modalité peut elle-même être mise en œuvre de différentes façons : marché public de services, délégation complète ou partielle de l’exercice d’une mission sociale (concession de services), partenariat public-privé et, bien sûr, compensation financière publique, y compris par l’octroi à l’exploitant de droits exclusifs ou spéciaux.

2. Leur régime apparaît complexe et inapproprié

Les alinéas 10 et 11 de la proposition de résolution relèvent la complexité et l’incertitude qui s’attachent actuellement aux règles applicables aux SSIG. Cette situation résulte de la prise en compte tardive par le droit communautaire de la spécificité des services d’intérêt économique général (SIEG). Équivalant en partie à la notion française de « services publics », ils recouvrent à la fois les activités de service non économiques, qui incluent des activités régaliennes (justice, police, …), et les activités de services de nature économique (électricité, services postaux, eau, transports, télécommunications, …).

Mais les SIEG n’ont longtemps été considérés, en vertu du traité de Rome, que sous l’angle du droit de la concurrence. Ce n’est qu’en 1997, avec le traité d’Amsterdam, qu’il a été admis qu’ils figuraient parmi « les valeurs communes de l’Union » et qu’ils jouaient un rôle dans « la promotion de la cohésion sociale et territoriale ». La possibilité était ainsi offerte d’écarter, le cas échéant, les règles du marché intérieur afin que ces services puissent accomplir leur mission : pour peu que celle-ci soit d’intérêt général, que l’atteinte à la concurrence soit nécessaire et proportionnée et qu’il ne soit pas ainsi porté atteinte au développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de la Communauté, ils se voyaient reconnaître la légitimité du bénéfice d’une compensation, notamment sous forme de subvention, en contrepartie des obligations de service public qui leur incombent.

La première mention des SSIG, comme simple sous-ensemble des SIEG, ne date que d’une communication de la Commission du 12 avril 2004. Et ce n’est que deux ans plus tard, dans une autre de ses communications, visée par la présente proposition de résolution, que la Commission a abordé en tant que telle la question des SSIG : en date du 26 avril 2006, elle est intitulée « Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne : les services sociaux d’intérêt général dans l’Union européenne » et établit une distinction entre services relevant d’une activité économique et services non marchands, rattachés respectivement aux SIEG et aux services non économiques d’intérêt général (SNEIG).

La Commission a adopté le 20 novembre 2007 une troisième communication, également visée par la proposition de résolution : accompagnant une communication relative au marché unique, elle porte sur « Les services d’intérêt général, y compris les services sociaux d’intérêt général : un nouvel engagement européen ». La Commission y fait le point sur ses conceptions en la matière, faisant apparaître la spécificité des objectifs poursuivis par les SSIG et, partant, de leurs modalités d’organisation.

Entre-temps, la directive « services » du 12 décembre 2006 a expressément exclu de son champ certains des SSIG, en matière de logement social, d’aide à l’enfance, d’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin, qu’ils soient assurés par l’État, par des prestataires qu’il mandate ou par des associations caritatives qu’il reconnaît comme telles. À ce jour, cette exclusion constitue d’ailleurs la seule mention des SSIG par une directive communautaire.

Enfin, la Commission présente désormais tous les deux ans un rapport sur les SSIG, dont la première édition a été publiée en juillet 2008.

Du fait notamment de cette reconnaissance tardive, les SSIG, contrairement à d’autres SIEG tels que le gaz, l’électricité ou les télécommunications, ne font pas l’objet d’un texte législatif communautaire spécifique. La jurisprudence définit les services non économiques de façon limitative (activités de puissance publique ou purement sociales). En revanche, compte tenu de la définition extensive que la Cour de justice donne tant du concept d’entreprise que de ceux d’activités économiques ou de prestations de services, les SSIG se voient appliquer, pour l’essentiel, les règles du droit de la concurrence et des aides d’État. Dans ces conditions, la compensation des contreparties de service public, si elle n’est certes pas exclue, ne peut intervenir que si elle est conforme à ces règles : la Commission, à laquelle les aides doivent être notifiées, dispose de pouvoirs propres pour assurer le respect de ces règles, et la Cour de justice donne une définition large de la notion d’aide d’État, tant du point de vue de la personne accordant l’aide, qui peut être une collectivité locale, un organisme public ou même un organisme privé gérant cette aide, que du point de vue de la nature de l’aide, qui peut prendre la forme d’une subvention, d’une aide fiscale ou d’une aide financière.

Après des hésitations jurisprudentielles, le régime des compensations de service public a été précisé par l’arrêt Altmark du 24 juillet 2003, qui fixe les quatre conditions requises pour qu’une compensation ne soit pas considérée comme une aide d’État : une définition claire des obligations de service public à la charge de l’exploitant ; une définition ex ante, objective et transparente, des modalités de calcul de la compensation ; une adéquation entre le montant de la compensation et les coûts inhérents aux obligations de service public, compte tenu d’un bénéfice raisonnable ; un niveau de compensation fondé sur l’analyse des coûts d’une entreprise moyenne.

S’ils semblaient théoriquement inattaquables, les principes dégagés par cet arrêt paraissaient toutefois très difficiles à appliquer et à apprécier dans la pratique. En outre, l’arrêt risquait également d’avoir pour conséquence que la Commission soit confrontée à un nombre très élevé de notification obligatoire d’aides d’État. Face à cet ensemble de difficultés, la Commission, sous l’impulsion de ses deux commissaires successivement chargés de la concurrence, M. Mario Monti et Mme Neelie Kroes, a mis en œuvre un ensemble de mesures désigné sous le nom de « paquet Monti-Kroes » et adopté le 28 novembre 2005.

Il consiste en trois textes dont la portée se révèle finalement assez voisine de celle de l’arrêt Altmark :

– une décision concernant l’application des dispositions du traité aux compensations de service public. Les aides d’État sont désormais considérées comme compatibles avec le traité et exemptées de l’obligation de notification à la Commission si quatre conditions sont respectées : l’opérateur doit être mandaté par la puissance publique ; le mode de calcul de la compensation doit être fixé à l’avance et de manière transparente ; la compensation doit seulement couvrir les coûts consécutifs aux charges de service public ; la surcompensation est interdite et doit faire l’objet de contrôles effectifs par les États membres ;

– un « encadrement communautaire » (autrement dit, la notification préalable) des compensations de service public non couvertes par cette décision, c’est-à-dire supérieures à 30 millions d’euros par an ou bénéficiant à des opérateurs dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros hors taxe, qui doivent respecter les règles de compatibilité sus-énoncées ;

– une directive modifiant la directive de 1980 relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques.

Le dispositif demeure cependant d’une lourdeur disproportionnée pour les opérateurs et collectivités de petite taille, dans des situations où le risque d’atteinte à la concurrence est très faible, au point qu’on peut considérer que les éventuels avantages induits par un meilleur respect de la concurrence sont hors de proportion avec les coûts administratifs qu’il engendre, ainsi que le fait apparaître le rapport établi par la mission relative à la prise en compte des spécificités des services d’intérêt général dans la transposition de la directive « services » et l’application du droit communautaire des aides d’État.

En outre, si l’obligation de notification préalable a certes été supprimée, demeure toutefois pour les opérateurs une incertitude quant à la nature des compensations dont ils bénéficient, qui peut être contrôlée à tout moment par la Commission ou par le juge. Or le guide pratique « Les services sociaux d’intérêt général » réalisé par le Collectif SSIG avec le soutien du Comité des régions et de la Caisse des dépôts et consignations témoigne de la complexité, pour les collectivités concernées, des vérifications à effectuer pour chaque opérateur : une check-list en dix points dont le moins qu’on puisse dire est qu’elle n’est pas aisément maniable.

Au demeurant, la confusion quant au droit en vigueur en matière de services d’intérêt général, et plus particulièrement de SSIG, a semblé telle que la Commission elle-même a pris l’initiative de mettre en place une assistance aux opérateurs et collectivités concernés, sous la forme d’un service d’information interactif « chargé de répondre aux questions relatives à l’application du droit communautaire aux services d’intérêt général ». Et encore, de l’aveu même de la Commission, la réponse donnée dans ce cadre « ne peut constituer un avis juridique engageant la Commission » et n’a donc valeur que de simple consultation.

Enfin, l’information des élus et agents publics français sur cet ensemble de règles demeure insuffisante. Alors que la première circulaire sur la question n’est intervenue qu’en juillet 2008, et encore, pour demander aux collectivités territoriales de transmettre des éléments de bilan de la mise en œuvre du « paquet Monti-Kroes », il est impératif que l’État diffuse le plus largement possible des documents explicatifs ainsi que des décisions et schémas de conventionnement-type et que la formation des intéressés soit convenablement assurée.

3. Cette situation suscite une forte demande de clarification face à des annonces restées à ce jour sans suite

L’alinéa 12 de la proposition de résolution constate que la Commission européenne a insuffisamment répondu aux demandes politiques de clarification qui lui ont été adressées.

Pourtant, dès le 14 septembre 2006, le rapport du Parlement européen sur le Livre blanc de la Commission européenne sur les services d’intérêt général invitait celle-ci à « soumettre une proposition concernant une directive sectorielle » dans le domaine des services sociaux et des services de santé d’intérêt général. De même, le 6 mars 2007, son rapport sur les SSIG demandait à la Commission « d’élaborer une décision précisant les modalités de suivi [du] processus [de consultation en vue de clarifier les conditions de mise en œuvre de certaines règles communautaires applicables aux services sociaux] et d’identifier la meilleure approche à mettre en œuvre en tenant notamment compte du besoin et de la légitimité d’une proposition législative sectorielle ».

Il convient également de relever que la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement européen, dans un rapport du 31 mars dernier sur l’inclusion active des personnes exclues du marché de l’emploi, a souhaité que soit défini un plan d’action pour une directive-cadre sur les services d’intérêt général assurant les droits d’accès à un service universel.

Le Comité des régions, quant à lui, a adopté le 6 décembre 2006 un avis demandant que la Commission européenne prenne des initiatives législatives sur les services d’intérêt général et les SSIG.

Enfin, le Comité économique et social européen a lui aussi adopté le 15 mars 2007 un avis se prononçant en faveur d’une directive-cadre sur l’ensemble des services d’intérêt général comprenant notamment des éléments relatifs aux services de santé ainsi qu’aux SSIG et adaptés à leur spécificité.

Pour ce qui concerne la France, le Conseil économique et social s’est également exprimé, dans un avis adopté le 9 avril 2008, pour que soit fixé un cadre législatif communautaire clair.

Or, face aux nombreuses sollicitations qui lui ont ainsi été adressées, et au moment même où le traité de Lisbonne marquait un tournant politique significatif dans la manière d’aborder le statut des SIEG, la Commission européenne n’a pas réalisé d’avancées concrètes, y compris d’ailleurs sur la directive-cadre que le Conseil européen de Barcelone (15 et 16 mars 2002) l’avait incitée à proposer afin de préciser les principes relatifs aux SIEG. S’agissant plus spécifiquement des SSIG, les communications se succèdent depuis lors au rythme d’environ une par an (Livre vert, Livre blanc, …), mais l’hypothèse d’une proposition législative n’a été évoquée que dans la communication du 26 avril 2006 visée par la présente proposition de résolution, puis par le commissaire européen aux affaires sociales, à l’emploi et à l’égalité des chances lors d’une allocution prononcée le 17 septembre 2007.

Mais dans sa communication du 20 novembre 2007, également citée par les visas de la présente proposition de résolution, la Commission confirme sa réticence à intervenir et à élaborer une proposition de directive, préférant parler de « stratégie a minima », à base de coordination, d’échanges de bonnes pratiques, de normes de qualité non contraignantes et de soutien à la formation.

Au second semestre de 2008, la présidence française s’est efforcée d’infléchir la réflexion sur les SSIG, notamment en réunissant à Paris un deuxième forum sur les SSIG, faisant suite à celui organisé un an plus tôt à Lisbonne. Surtout, le Conseil Emploi, Politique sociale, Santé, Consommateurs (EPSCO) des 16 et 17 décembre dernier a autorisé la transmission à la Commission européenne d’une feuille de route sur les SSIG, visant à développer la construction progressive d’un cadre de qualité et d’un cadre juridique, assortie d’un dispositif d’évaluation à échéances régulières.

La perspective d’une intervention législative n’émerge donc qu’avec lenteur. Il est vrai qu’il est difficile de trouver, tant au sein de la Commission que du Conseil, une majorité sur ces questions : il serait inutile de nier l’importance des débats de fond entre les États membres, leurs représentants et les commissaires sur l’importance à accorder à la dimension sociale de l’Union européenne. La difficulté de ces débats est accrue par la crainte que le principe de subsidiarité ne soit remis en cause dans un domaine où les États membres disposent d’une très large faculté d’appréciation et par la très grande diversité des traditions et pratiques nationales : de fait, les pays qui ne pratiquent pas la compensation de service public peuvent mieux s’accommoder de la situation actuelle. Dès lors, il n’est pas surprenant que les États membres se soient avérés incapables d’adopter une position majoritaire sur la question d’une législation européenne dans le domaine des SSIG.

De fait, ainsi qu’on l’a vu, seule une directive mentionne, à ce jour, les SSIG, pour les en exclure, puisqu’il s’agit de la directive « services ». En France, où le nombre d’associations fournissant des SSIG et bénéficiant de concours publics est particulièrement élevé, l’absence de cadre juridique spécifique, c’est-à-dire l’application à ce secteur du droit commun, en quelque sorte, à titre résiduel, outre qu’elle est vécue comme une absence de reconnaissance à son égard, a pour principale conséquence d’entériner une situation dans laquelle les procédures autres que la compensation de service public ou l’octroi de droits exclusifs ou spéciaux semblent juridiquement plus sûres, favorisant ainsi une régulation par le marché.

Cette logique entre également en contradiction avec notre tradition d’ouverture aux initiatives de la société civile, que la puissance publique vient ensuite relayer, tandis qu’à l’inverse, le schéma du mandat consiste simplement, pour une collectivité publique, à aider financièrement une association. Au-delà, la primauté de la commande publique et de l’appel au marché peut être ressentie comme privilégiant des SSIG s’adressant à un public étroit, alors qu’ils s’inscrivent en France dans une démarche de solidarité et de mixité sociale.

B. LES PROPOSITIONS

Afin de remédier à ces diverses difficultés, la proposition de résolution suggère des pistes d’action de nature à la fois juridique et politique.

1. Le droit doit être adapté et clarifié, y compris, au besoin, par une intervention du législateur communautaire

Parmi les solutions juridiques, certaines peuvent être trouvées dans l’adaptation de notre propre droit, mais la clarification du droit communautaire est également indispensable, au besoin par la voie d’une intervention législative à cet échelon.

a) Adapter le droit national

L’alinéa 14 de la proposition de résolution fait référence aux « nécessaires adaptations à apporter au droit national pour le mettre en conformité avec les règles européennes, notamment à l’occasion de la transposition par la loi de la directive "services" ».

D’une part, la future transposition de la directive « services » constitue l’occasion pour la loi de qualifier les SIEG en tenant compte de la diversité du secteur. Il faudra également s’interroger sur l’appréciation de la notion de mandat. De ce point de vue, le droit français comprend déjà plusieurs dispositifs généraux permettant de présumer de la notion de mandat telle qu’elle est exigée par le droit communautaire pour bénéficier de compensations de service public : c’est le cas, s’agissant des SSIG, dans les secteurs du logement social, de l’action sociale et médico-sociale, de la petite enfance, de l’animation sociale et socio-éducative ainsi que du service de l’emploi. Pour les régimes spécifiques qui ne se rapprocheraient pas encore de cette notion, il conviendra de choisir une approche pragmatique et large, l’attention devant principalement se porter sur l’obligation de faire, c’est-à-dire de fournir une prestation, qui est exigée par la Commission européenne.

D’autre part, il conviendra de réfléchir à une manière cohérente et juridiquement sûre d’exclure les services sociaux conformément aux dispositions de cette directive. Telle qu’elle est définie au j du 2 de son article 2, l’exclusion s’applique aux « services sociaux relatifs au logement social, à l’aide à l’enfance et à l’aide aux familles et aux personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin qui sont assurés par l’État, par des prestataires mandatés par l’État ou par des associations caritatives reconnues comme telles par l’État ».

Trois critères sont ainsi combinés : l’activité exercée, le statut du prestataire et le public visé. Différentes approches peuvent être envisagées pour mettre en œuvre cette exclusion : une approche par blocs, fondée sur la seule exclusion des secteurs ou ensembles de services délivrés soit par l’État ou des organismes publics, soit par des opérateurs ou organismes mandatés, ou bien une approche plus large des personnes visées.

Si l’exclusion a seulement pour effet de dispenser les États de justifier des dispositifs d’encadrement particuliers existants et est donc sans incidence sur le régime des aides d’État, au demeurant plus exigeant, l’enjeu n’en est pas négligeable pour autant, car il porte notamment sur l’aide aux personnes âgées.

En outre, la directive introduit une nouvelle catégorie (« association caritative reconnue ») que notre droit ne connaît pas encore. Il serait donc souhaitable que certaines associations françaises puissent être qualifiées de la sorte, sans pour autant créer un régime distinct qui serait susceptible de remettre en cause le cadre de la loi de 1901.

En conclusion, il est essentiel de conférer un ancrage solide au fait que le champ des services sociaux dans notre pays est large et que ceux-ci exercent un rôle important de défense de la mixité sociale. Dès lors, il faut s’assurer que les secteurs qui demeureraient inclus dans le champ de la directive « services » n’en soient pas moins définis comme des SIEG. Il faut éviter en même temps qu’ils soient exclus de toute notion de mandatement : en effet, si tel était le cas, le bénéfice du « paquet Monti-Kroes » pourrait leur être dénié et, partant, leurs financements publics remis en cause.

Au-delà, le droit interne doit également pouvoir contribuer à rétablir l’équilibre, dans le cadre du recours à des organismes tiers, entre le régime d’octroi de compensation ou de droits spéciaux, d’une part, et les autres modes de gestion des services concernés, d’autre part. À cette fin, un nouvel instrument pourrait être créé pour le tiers secteur : plus complet que le cadre actuellement prévu pour les conventions d’objectifs, il prendrait la forme, ainsi que le préconise le Conseil économique et social, d’une convention de SSIG ou même de SIEG définissant l’obligation de fournir une prestation en contrepartie d’engagements réciproques, notamment l’objet précis du service concerné, ses obligations de service public, l’individualisation des coûts y afférant ainsi que les règles de compensation.

De même, le régime du cofinancement d’un SSIG (ou d’un SIEG) par plusieurs collectivités pourrait être précisé en droit français, sachant que les règles communautaires n’abordent pas cette question. L’identification d’une collectivité pilote en matière de contrôle serait l’une des pistes à explorer dans ce domaine.

Enfin, le droit interne doit être amélioré pour ce qui relève des règles et pratiques du contrôle budgétaire et financier dans le cadre du suivi des compensations de service public. Actuellement, le seuil de tenue de comptes séparés pour les organismes recevant une compensation de service public ou bénéficiant de droits exclusifs ou spéciaux est fixé à 40 millions d’euros de chiffre d’affaires. Ce seuil apparaît élevé et il serait donc opportun de retenir une approche plus adaptée à l’objectif du contrôle du montant de la surcompensation, en définissant les outils financiers appropriés.

b) Clarifier le droit communautaire

L’alinéa 14 de la proposition de résolution « estime que les nécessaires adaptations à apporter au droit national […] doivent cependant être complétées au niveau européen pour établir un cadre parfaitement clair et juridiquement sécurisé pour leurs activités, particulièrement pour les associations du tiers secteur bénéficiant de compensations de service public ». L’alinéa 15 plaide donc pour une « clarification du droit applicable aux SSIG et aux SIEG, dans le cadre de la poursuite des travaux et réflexions en cours, notamment dans le cadre du "groupe Spiegel", constitué au sein du comité de la protection sociale ».

Dans le cadre des travaux du Conseil EPSCO, un comité de la protection sociale (CPS) associe, depuis 2000, des hauts fonctionnaires. Sa mission est de faciliter les échanges et la coopération entre la Commission européenne et les États membres en matière de modernisation et d’amélioration des systèmes de protection sociale. Au sein de ce comité, M. Bernhard Spiegel (Autriche) préside un groupe de travail sur les SSIG, qui devrait aboutir au second semestre de 2009.

Adoptées par le Conseil EPSCO des 16 et 17 décembre dernier, les « conclusions opérationnelles » du CPS ont mis en évidence trois thèmes devant « faire l’objet d’une attention particulière » et dont il souhaite qu’ils « soient traités plus en profondeur par la Commission au stade de la révision des questions fréquemment posées » :

– la coopération entre établissements publics, dont il n’est pas toujours aisé de savoir si elle est soumise aux règles de passation des marchés publics et dans quelles conditions elles le sont ;

– le rôle des fournisseurs poursuivant un but non lucratif qui, à raison de leurs compétences et leur expérience, est déjà juridiquement reconnu dans plusieurs États membres, reconnaissance qui pourrait avoir des conséquences pour ce qui est de l’application de règles communautaires ;

– les procédures simplifiées ou spécifiques de passation de marchés publics de services sociaux (licences, appels à propositions, dotations pour des projets lancés et réalisés par un prestataire, de services de sa propre initiative).

« S’il ressort de cette analyse que le cadre juridique en place doit être adapté, par exemple en ce qui concerne la coopération entre autorités publiques », le CPS suggère que « la Commission adopte les mesures appropriées dans le cadre de son engagement à "continuer à consolider le cadre de l’UE applicable aux services d’intérêt général, y compris les services sociaux et de santé, en proposant des solutions concrètes aux problèmes concrets existants" ».

Par ailleurs, la Commission doit présenter en décembre prochain un rapport de synthèse sur l’application du « paquet Monti-Kroes » précédemment évoqué. Mais point n’est besoin d’attendre ses conclusions pour estimer que les modalités de contrôle des surcompensations doivent être améliorées : en effet, aujourd’hui, non seulement le contrôle est obligatoire, mais c’est l’absence de surcompensation qui doit être établie. Afin que la procédure ne soit déclenchée qu’en cas de risque d’atteinte dommageable à la concurrence et de lever ainsi les incertitudes pesant sur les petits opérateurs, il faudrait passer à un contrôle a posteriori, au cas par cas, s’accompagnant d’une inversion de la charge de la preuve. En outre, il conviendra de préciser la notion d’atteinte à la concurrence et aux règles du marché intérieur. Enfin, si les aides de minimis, c’est-à-dire inférieures à un certain montant (200 000 euros, porté à titre provisoire, pour 2009 et 2010, à 500 000 euros en raison de la crise économique) ne sont pas soumises aux règles et contrôles, il serait opportun de réfléchir à la fixation d’un plafond spécifique aux SSIG qui libérerait davantage d’opérateurs des contraintes inhérentes au suivi des compensations.

c) Envisager l’intervention du législateur communautaire

L’alinéa 17 de la proposition de résolution « estime légitime d’envisager, à terme, sur la base notamment des dispositions prévues par le traité de Lisbonne sur les SIEG, une intervention du législateur communautaire de reconnaissance, de clarification, ainsi que de sécurisation juridique et financière ».

En effet, indépendamment des futures conclusions du « groupe Spiegel », il apparaît que l’intervention du législateur communautaire en matière de SSIG, dont on a vu qu’elle était demandée depuis plusieurs années, notamment par le Parlement européen, permettrait d’accorder aux services concernés la reconnaissance du rôle essentiel qui est le leur. Il s’agirait en même temps d’arbitrer ainsi à l’issue d’un débat politique la façon de placer le curseur entre les objectifs du traité et la libre concurrence, que le traité de Lisbonne ne considère d’ailleurs plus comme une fin mais comme un simple moyen.

La perspective d’une telle intervention doit cependant s’accompagner dès aujourd’hui d’une vigilance toute particulière quant au respect du principe de subsidiarité, compte tenu de la sensibilité des États membres à ces questions. Dans cet esprit, le respect de la compétence nationale en matière de SIEG figure explicitement dans le traité de Lisbonne. Suggérant une garantie supplémentaire du respect du principe de subsidiarité, l’alinéa 18 de la proposition de résolution « propose de prévoir d’ores et déjà un test concerté de subsidiarité par les Parlements nationaux, organisé dans le cadre de la COSAC, pour s’assurer que cet éventuel instrument législatif respectera bien les compétences des États membres telles qu’elles sont prévues par les traités ».

2. La pérennisation des équilibres actuels appelle par ailleurs des actions politiques

Bien évidemment, tout particulièrement sur de tels sujets, l’approche ne saurait être exclusivement juridique et doit donc également revêtir une forte dimension politique.

a) Pérenniser les équilibres actuels

L’alinéa 13 de la proposition de résolution « constate qu’il convient de préserver et pérenniser les actuels équilibres qui permettent aux opérateurs de SSIG d’exercer leur mission ». De même, l’alinéa 17 estime que l’un des bénéfices de l’intervention future de législateur communautaire consisterait à « préserver et pérenniser les principes et équilibres actuels, issus de la tradition républicaine ».

De fait, à l’heure actuelle, les dispositions communautaires ne respectent pas les équilibres qui sont le résultat d’une longue et riche histoire, celle des associations et de la mutualité dans notre pays, du tiers secteur en général, et de ses relations avec l’État. On touche ici au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler le « modèle social français » : ces principes et traditions sont partagés par l’ensemble de la communauté nationale, ainsi qu’en témoigne le travail collectif des rapporteurs de notre commission chargée des affaires européennes. Il y a donc tout lieu de penser qu’ils pourraient aussi être largement partagés dans l’Europe des Vingt-Sept.

b) Créer un contexte politique favorable

L’alinéa 16 de la proposition de résolution « considère opportun de créer un contexte politique favorable, en prévoyant que les commissions du prochain Parlement européen interrogent, lorsqu’elles procèderont à leurs auditions préalables au renouvellement de la Commission européenne, les personnalités proposées pour être commissaires européens, sur leurs points de vue sur les SSIG, ainsi que plus généralement sur les SIEG ».

Autrement dit, il s’agira de créer dès le début de la nouvelle législature du Parlement européen une dynamique politique : puisqu’au cours de la législature qui s’achève, ses demandes sur la question des SSIG n’ont pas été suffisamment prises en compte par la Commission, il serait utile que les personnalités proposées pour un poste de commissaire européen soient systématiquement invitées à exprimer leurs conceptions dans ce domaine à l’occasion de leur audition par les commissions du Parlement européen, dont on sait qu’elles ne présentent nullement un caractère formel. Bien entendu, tous les futurs commissaires, et non pas seulement ceux en charge des affaires sociales ou de la concurrence, devront être interrogés sur ce point, dans la mesure où la Commission européenne fonctionne selon un principe collégial.

Au-delà, le traité de Lisbonne, dont l’entrée en vigueur demeure pour l’heure subordonnée à sa ratification par l’Irlande et la République tchèque, introduit explicitement l’intervention du législateur européen dans un domaine jusqu’alors essentiellement tributaire de la Commission européenne. Le futur article 14 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit en effet que le Parlement européen et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, pourront établir les principes relatifs aux SIEG et fixer les conditions d’accomplissement de leur mission, sans préjudice de la compétence des États membres, dans le respect des traités, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services.

En outre, le protocole additionnel de nature interprétative annexé au traité confirme les compétences des États membres tant sur les SNEIG que sur les SIEG, consacrant ainsi la distinction déjà opérée par la Cour de justice. Cette distinction emporte des conséquences de fond, puisque les premiers constituent clairement un secteur exclu, tandis que les règles applicables aux seconds en vertu du futur traité doivent s’apprécier au regard de trois principes : le pouvoir discrétionnaire des États membres ainsi que des autorités nationales, régionales et locales, pour fournir, faire exécuter et organiser ces services ; la reconnaissance de leur diversité et, dès lors, des disparités susceptibles d’exister s’agissant des besoins et préférences des utilisateurs ; les objectifs d’un niveau élevé de qualité comme de sécurité, de même que le caractère abordable du service, auxquels s’ajoutent l’égalité de traitement et la promotion de l’accès universel ainsi que des droits des utilisateurs.

Ce nouvel équilibre institutionnel créera les conditions nouvelles d’un dialogue avec la Commission, même s’il faut avoir à l’esprit qu’elle conservera ses pouvoirs propres en matière de contrôle des aides d’État ainsi que son monopole d’initiative, et si l’on peut supposer que l’accord sur un règlement, d’application directe dans les États membres, sera plus difficile à trouver que sur une directive.

II.- LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION PRÉSENTÉE
PAR M. JEAN-MARC AYRAULT

La proposition de résolution du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche porte sur les services sociaux d’intérêt général mais aussi, plus généralement, sur la transposition de la directive « services ». A cette fin, elle vise non seulement les communications de la Commission européenne de 2006 et 2007, la directive « services » et le « paquet Monti-Kroes », comme le fait la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes, mais aussi l’avis du Conseil économique et social, les travaux du Parlement européen (rapport de septembre 2006 et résolution du 6 avril 2009 sur l’agenda social renouvelé) et sept décisions de la Cour de justice.

Son constat est très similaire de celui effectué par la commission chargée des affaires européennes. La proposition de résolution rappelle en effet que les États membres disposent d’une large latitude en matière de définition et d’organisation des services sociaux d’intérêt général (alinéa 14) et manifeste son attachement à l’une des spécificités de notre pays, à savoir une conception large des bénéficiaires des services sociaux ainsi que du tiers secteur, incluant non seulement les associations mais aussi l’économie sociale et solidaire (alinéas 15 et 16).

La proposition de résolution partage également certains des souhaits formulés par la commission chargée des affaires européennes :

– respecter la diversité des modèles sociaux (alinéa 17) ;

– tirer parti au maximum, lors de la transposition de la directive « services », des dispositions communautaires favorables au développement des services sociaux (alinéa 12) ;

– garantir, toujours dans le cadre de cette transposition, une exclusion large et claire des SSIG du champ d’application de la directive (alinéa 19) ;

– inverser la charge de la preuve en matière de surcompensation (alinéa 22) ;

– reconnaître et préserver l’utilité et les missions du tiers secteur (alinéa 23) ;

– mettre en œuvre une directive-cadre sur les SIEG et les SSIG (alinéas 25), dans le respect de l’article 86 du traité (alinéa 27).

Une grande partie des préoccupations exprimées par la proposition de résolution est donc satisfaite par celle de la commission chargée des affaires européennes.

Sans nécessairement désapprouver les autre solutions recommandées par la proposition de résolution du groupe socialiste, la rapporteure remarque cependant qu’elles se concentrent sur la transposition de la directive « services », ce que le titre de cette proposition de résolution revendique d’ailleurs explicitement : privilégier une approche dite par « blocs législatifs » ; qualifier en droit interne de SIEG les services sociaux remplissant des missions d’intérêt général ; définir de manière large la notion de mandatement et autoriser le mandatement collectif (alinéa 20) ; donner une définition législative de la subvention, des conventions pluriannuelles sur objectifs, des agréments et autres reconnaissances officielles (alinéa 24). Elles portent également sur le processus d’évaluation des différents régimes d’autorisation et agréments (alinéa 21).

Or, non seulement la problématique générale des services ne relève pas principalement de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, mais il paraît préférable d’attendre la prochaine conclusion des travaux que la commission chargée des affaires européennes a entrepris sur ce thème, lesquelles donneront sans doute également lieu au dépôt d’une proposition de résolution.

Enfin, les considérations sur la préservation des services publics et la valeur constitutionnelle des principes (continuité, durabilité, qualité, …) qui s’y attachent s’éloignent excessivement de la question traitée (alinéa 26).

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales examine, sur le rapport de Mme Valérie Rosso-Debord, la proposition de résolution, adoptée par la commission chargée des affaires européennes, sur les services sociaux d’intérêt général (n° 1575) et la proposition de résolution sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG) et la transposition de la directive services (n° 1698).

Un débat suit l’exposé de la rapporteure.

M. Bernard Perrut. Je voudrais tout d’abord saluer la qualité du rapport de Mme Valérie Rosso-Debord, qui a su souligner le caractère à la fois juridique et politique de la question des services sociaux d’intérêt général. Nous devons impérativement d’une part adapter notre droit aux règles communautaires et de l’autre engager une réflexion approfondie sur la place accordée aux services sociaux au sein de l’Union européenne. Il en va de l’avenir de notre modèle social et des milliers de structures qui prennent aujourd’hui en charge la politique de la petite enfance ou encore le soutien aux familles en difficulté. Nos concitoyens ont besoin de garanties sur ces sujets, j’en veux pour preuve les résultats des dernières élections européennes. Le sujet dont nous débattons aujourd’hui peut certes sembler aride à première vue, il n’en est pas moins crucial.

M. le président Pierre Méhaignerie. J’aimerais vous faire part d’une interrogation très concrète. En effet, lors d’un contrôle effectué par la chambre régionale des comptes dans ma circonscription, nous avons appris qu’il était impossible de confier la gestion des services de la petite enfance aux centres sociaux sans passer par une délégation de service public. Or la concurrence privée offre les mêmes services pour un coût inférieur de 15 à 20 %. Ce cas de figure est de plus en plus fréquent. Quelle doit-être dans ce cas la réaction des élus locaux ? Ne faut-il pas poser la question de l’efficience de nos services publics ?

M. Marc Dolez. Nous avons largement débattu de ces sujets lors de la discussion en séance publique de la proposition de résolution déposée par le groupe GDR sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne et la communication de la Commission européenne d’avril 2006. Je n’y reviendrai donc pas dans le détail et me bornerai à formuler deux remarques, sur un sujet dont Mme Valérie Rosso-Debord a eu raison de souligner le caractère à la fois politique et juridique. Nous nous opposons fermement à la proposition de résolution, cosignée par les membres des groupes UMP et SRC, qui a été déposée au nom de la commission chargée des affaires européennes. En effet, nous considérons que le traité de Lisbonne, d’ailleurs explicitement visé par les considérants de la proposition de résolution alors même qu’il n’est qu’en cours de ratification, fait du principe de concurrence le fil conducteur de la construction européenne, ce à quoi nous ne pouvons consentir.

Il est vrai, comme vous l’avez rappelé, qu’en l’absence de cadre juridique spécifique, le sort des services sociaux dépend de l’interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes et de la Commission européenne, qui tranche la plupart du temps en faveur d’une application stricte des règles de la concurrence. Mais il faut admettre que le principal obstacle à la clarification du cadre juridique applicable aux services sociaux demeure le président de la Commission européenne lui-même, M. José Manuel Barroso. Il l’a montré une première fois, dans la communication de la Commission européenne d’avril 2006, qui a suivi l’examen en première lecture de la directive « services » par le Parlement européen et l’exclusion, à son initiative, des services sociaux d’intérêt général du champ de ladite directive. Il l’a confirmé depuis, par la communication de la Commission européenne de novembre 2007. M. Barroso s’est publiquement déclaré opposé à toute initiative visant à clarifier le droit en vigueur, compte tenu de la diversité des traditions juridiques de pays membres de l’Union européenne.

Dans ce contexte, et compte tenu du fait que la Commission européenne dispose du monopole de l’initiative au niveau communautaire, votre proposition de résolution ne doit-elle pas préciser que l’adoption d’un texte portant spécifiquement sur les services sociaux d’intérêt général passe impérativement par la non-reconduction de M. Barroso à la tête de la Commission européenne ?

M. Régis Juanico. Je suis heureux d’examiner ce texte aujourd’hui en commission des affaires culturelles, familiales et sociales car le temps presse. Les représentants de la France doivent dès maintenant s’emparer du sujet avec d’avantage de conviction. En effet, je rappelle que la transposition de la directive « services » doit s’achever au plus tard le 28 décembre 2009. Nous devons faire de la proposition de résolution qui est aujourd’hui soumise à notre examen un texte volontariste. L’enjeu n’est rien moins que la sauvegarde du modèle français. Il concerne tous les services sociaux, que ce soit l’économie sociale, l’éducation populaire, le soutien aux familles, la politique de la petite enfance ou encore le sport. Ce sont deux millions de salariés, 10 % des emplois, 36 000 communes et 60 000 opérateurs qui se trouvent impliqués. L’ampleur du problème ne peut nous échapper.

Certes, comme vous l’avez noté, les services sociaux d’intérêt général sont exclus de la directive « services » de 2006, mais ils le sont de manière incomplète. En effet, l’article 2 de la directive vise uniquement les « personnes se trouvant de manière permanente ou temporaire dans une situation de besoin ». Doit-on en conclure que les services sociaux ne s’appliqueraient qu’aux plus démunis ? De même, l’article 2 vise les « associations caritatives » chargées d’assurer la mise en œuvre des services sociaux. Or cette notion d’origine anglo-saxonne est difficile à transposer en droit français. Il faut donc absolument signifier que nous voulons une exclusion large et suffisamment claire des services sociaux d’intérêt général de la directive « services ». De plus, cette prise de position inviterait le gouvernement à expliciter ses intentions quant à la transposition de la directive, qui sont pour le moins floues à ce jour.

Enfin, vous avez évoqué la présidence française de l’Union européenne. Je cherche encore pour ma part les acquis de cette présidence sur le sujet qui nous occupe aujourd’hui. Certes la crise économique a balayé un certain nombre de sujets. Il n’en demeure pas moins que M. Nicolas Sarkozy n’a jamais fait de la question des services sociaux d’intérêt général une priorité de sa présidence de l’Union.

J’espère qu’à la demande conjointe des groupes GDR et SRC, cette proposition de résolution sera bientôt inscrite en séance publique. Dans cette perspective, nous proposons un certain nombre d’amendements visant à garantir un égal accès aux services sociaux à l’ensemble de la population, à préserver la spécificité du modèle social français, à préciser le cadre juridique des relations contractuelles entre collectivités et opérateurs de services publics ou encore à sécuriser le statut de nos bénévoles.

M. Francis Vercamer. Je remercie la rapporteure d’avoir contribué à clarifier un sujet particulièrement complexe. Cette complexité explique, d’ailleurs, sans doute, en partie, la perplexité des électeurs sur la construction européenne. Notre pays est riche d’une tradition forte de services publics et sociaux qu’il faut préserver. De nombreux acteurs publics et privés participent à la mise en œuvre de cette solidarité, l’Éducation nationale mais aussi de nombreuses associations. Le principe de concurrence doit donc être concilié avec le besoin de solidarité.

Mais il faut aussi être vigilant à ce que soit préservé le droit pour tous nos concitoyens d’accéder aux services sociaux et d’intérêt général proposés, en particulier, par les communes ou les associations. En conséquence, il est souhaitable de clarifier et préciser les nouvelles règles qui pourraient être fixées au niveau européen concernant les services sociaux d’intérêt général. Elles doivent permettre de garantir la sécurité juridique et financière des acteurs locaux qui participent à la solidarité. Par ailleurs, il convient de veiller à ce que le nécessaire contrôle de la bonne utilisation de l’argent public n’empêche pas la pérennité des structures associatives. Avant de prendre position sur le texte qui nous est proposé, je serai donc attentif aux précisions qui pourraient être apportées dans la suite de la discussion sur ces différents points.

M. Dominique Dord. Je remercie Mme la rapporteure et MM. Caresche, Forgues et Lecou pour leur proposition de résolution. En pleine période de crise et deux jours après les élections européennes, ce sujet d’apparence technocratique cache, en fait, un beau sujet politique qui pourrait avoir un retentissement symbolique assez fort. La question qu’il faut poser est la suivante : la Commission européenne va-t-elle continuer d’imposer ses décisions ? Dans le contexte de crise actuelle, la réponse est non ; cela ne peut plus continuer ainsi. Il est souhaitable que la politique européenne s’inspire davantage des principes du modèle français.

Sur le sujet important des services sociaux d’intérêt général, il faut rechercher une position consensuelle. L’intérêt de la proposition de résolution présentée par la commission chargée des affaires européennes est justement de rechercher à dégager un consensus. Au contraire, la proposition présentée par le groupe SRC est polémique, jusque dans l’exposé des motifs, et c’est la raison pour laquelle il faut la rejeter. Mais il faut insister sur la nécessité de simplifier les textes pour en améliorer la lisibilité. Il faudra notamment traiter dans les textes à venir de la question de la difficulté à concilier les actions conduites par les différents acteurs locaux. La multiplicité des acteurs peut poser parfois des problèmes de concurrence entre les communes et les associations, par exemple en matière de petite enfance ou d’actions en faveur des personnes âgées. Les travaux qui ont été engagés au niveau européen doivent nous inciter à réviser notre propre organisation et la réglementation qui régit le secteur. Certaines modalités d’action peuvent être remises en cause, abandonnées, réformées ou modernisées. Il faut aussi profiter de cette occasion pour simplifier et clarifier les textes. C’est ainsi qu’on pourra faire progresser l’idée européenne.

M. le Président Pierre Méhaignerie. Le discours que la France peut tenir en Europe serait mieux entendu si nous pouvions prouver l’efficacité de notre modèle social. Il faut en effet entendre les critiques qui sont formulées par nos voisins. Lorsque l’on compare les pays européens, on s’aperçoit que la France est le pays qui consacre la part du PIB la plus importante de tous les pays européens aux politiques sociales. M. Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de France, a fait apparaître que notre pays consacre 1 point de plus de PIB aux dépenses sociales que la Suède avec des performances moins bonnes. En effet, la France est placée en cinquième position en Europe pour la réduction de la pauvreté des enfants et en dixième position pour les aides en faveur de l’insertion des jeunes. Nous devrions donc nous intéresser davantage à la performance sociale des aides attribuées.

M. Dominique Dord. Il faut progresser vers une meilleure répartition des rôles entre les différents acteurs locaux. La bonne application du principe de subsidiarité au niveau local devrait permettre de conforter le rôle des associations sur certains sujets et aux communes de concentrer leur action sur d’autres actions, actuellement non solvables.

Mme Marisol Touraine. Je suis étonnée que la discussion des propositions de résolution soit l’occasion de faire ressurgir le débat centenaire sur les modes de l’action publique locale, en régie ou par délégation de service public. Ces propositions de résolution, au-delà de leur apparence technocratique et juridique, ouvrent un vrai débat politique qu’il ne faut pas caricaturer. L’attachement aux services publics sociaux ne doit pas empêcher de réfléchir à leur nécessaire évolution et à l’amélioration de leur efficacité.

Cependant, les comparaisons internationales sur l’efficacité des politiques sociales ne peuvent se limiter à la comparaison des seules dépenses publiques. Dans d’autres pays, qui ont fait un autre choix que la France, comme les États-Unis, une grande partie des dépenses d’assurance sociale est reportée sur les individus et l’on voit que le coût global de la protection sociale est finalement plus élevé qu’en France. Il y a différentes manières d’organiser la solidarité et la couverture des besoins sociaux. La discussion sur ce point doit être ouverte.

Le groupe SRC demandera à ce que cette discussion puisse avoir lieu en séance publique, car il veut montrer que nous disposons de marges de manœuvre pour défendre la grandeur de notre modèle de service public social, fondé sur le libre accès aux services sans condition de précarité sociale. Cela renvoie d’ailleurs à la discussion que nous aurons prochainement sur l’éventuelle instauration d’un bouclier sanitaire. La question qui est posée est de savoir si l’on peut imposer une condition sociale pour bénéficier d’un service de santé.

Ce sont ces questions aux implications très concrètes pour nos concitoyens qui sont en fait abordées dans les propositions de résolution. Par ailleurs, le tiers secteur, dont les opérateurs sont de nature privée mais qui obéissent à des règles de fonctionnement de droit public, peut aussi être porteur d’une forte capacité d’innovation, qui ne doit pas être emportée par une volonté d’homogénéisation des dispositifs au niveau européen, problématique dans le domaine de la petite enfance et plus encore pour la prise en charge des personnes âgées, relevant aujourd’hui de structures médico-sociales qui sont directement compromises par la réflexion européenne.

M. Jacques Grosperrin. La question des services sociaux d’intérêt général est très importante et pour bien fonctionner ceux-ci doivent être dotés d’un cadre clarifié et sécurisé dans le cadre du traité de Lisbonne. Il est surtout souhaitable de demander à la Commission européenne de s’engager à présenter une proposition de directive sur les SSIG, même si ceux-ci sont exclus du champ de la directive « services ». La décision récente relative au secteur du logement social aux Pays-Bas montre en effet tout l’intérêt d’obtenir des garanties en ce sens.

M. Christian Eckert. Il faut d’abord rendre hommage au courage politique consistant à examiner ces propositions de résolution trois jours après les élections européennes… Plus sérieusement, la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes est un texte mou, qui demande une clarification sans en énoncer les principes et se limite à préconiser de « créer un contexte politique favorable ». Mais ce texte évoque lui-même la question plus large des SIEG, point sur lequel la proposition de résolution du groupe SRC, dans la perspective de la transposition de la directive « services » d’ici le 28 décembre prochain, est plus détaillée, prévoyant explicitement le principe du renversement de la charge de la preuve en cas de surcompensation, l’exigence d’une directive-cadre sur ce sujet ainsi que l’affirmation de la valeur constitutionnelle s’attachant aux principes inhérents aux services publics.

M. Hervé Gaymard. Il faut féliciter la rapporteure pour la qualité de son travail. Comme Dominique Dord, je pense que nous adopter une attitude hardiment politique sur les SSIG. Dans cet esprit, la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes est dense et va dans le bon sens. Par ailleurs, de même que le président Pierre Méhaignerie, je m’interroge sur les contrôles opérés par les chambres régionales des comptes sur la question des délégations de service public.

M. Michel Herbillon. La rapporteure a eu le mérite de clarifier les choses sur un sujet pourtant complexe. C’est ainsi qu’il faut parler de l’Europe, et non en utilisant son jargon, pour que le citoyen puisse retrouver son chemin dans un épais maquis technique et terminologique. De plus en plus, notre commission et les autres commissions permanentes tirent parti des facultés qu’accorde l’article 88-4 de la Constitution, en particulier celle de se saisir de tout document émanant d’une institution européenne, même s’il ne s’agit pas d’une proposition d’acte. Il faut s’en réjouir d’autant plus que ce fut déjà le cas voici quelques semaines sur un autre thème important dans le domaine social, celui du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation.

L’Europe apparaît à tort lointaine, alors que notre législation en est en grande partie originaire. Il ne faut pas se laisser enkyster dans les aspects technocratiques, mais défendre le modèle social français qui doit trouver sa place au sein du modèle européen. La clarification du droit communautaire est importante, mais on se trouve également ici face à une illustration concrète d’une Europe sociale proche des citoyens, ce qui sera d’ailleurs aussi prochainement le cas de la proposition de directive sur le congé de maternité sur laquelle la commission chargée des affaires européennes travaille en ce moment.

M. Elie Aboud. La rapporteure doit être remerciée pour son travail de synthèse. Il est effectivement utile de clarifier le droit communautaire, tout en insistant sur le volet politique de la question, car il faut reconnaître le rôle du militantisme associatif dans la cohésion sociale, non seulement à l’échelon de l’État mais aussi à celui des collectivités locales.

Mme la rapporteure. Je remercie l’ensemble des intervenants pour le caractère constructif de leurs contributions, à l’exception de celle de M. Eckert, qui a malheureusement préféré l’outrance verbale ; pour demeurer dans le même registre, je lui recommanderai donc de lire au préalable les textes sur lesquels il s’exprime et d’expliquer à MM. Caresche et Forgues qu’ils sont « mous ». M. Perrut a eu raison d’insister sur le contexte politique : comme en 2004, il faudra en effet tirer parti de l’audition des futurs commissaires par le Parlement européen pour faire passer notre message sur les SSIG. M. Dolez a le mérite d’être cohérent avec son opposition au traité de Lisbonne, mais les acquis de ce traité constituent pourtant la meilleure manière de répondre à son souci de contourner l’opposition de M. Barroso à une initiative législative. MM. Juanico et Herbillon ont fort justement rappelé que la commission chargée des affaires européennes s’était saisie de l’importante question des SSIG en l’absence même de toute proposition communautaire, ce que permet désormais l’article 88-4 de la Constitution. Il faut bien entendu exclure entièrement les SSIG du champ de la directive « services », afin de protéger notre modèle social, dont peu d’autres États membres partagent la philosophie.

Sur la transposition de la directive « services », la commission chargée des affaires européennes remettra prochainement ses conclusions, qu’il convient donc d’attendre. M. Dord a raison de déplorer le jargon européen, mais même si j’ai essayé de mettre autant d’humanité que possible dans ce sujet, nous ne parviendrions pas à nous faire comprendre de nos partenaires si nous refusions d’employer les expressions consacrées, à commencer par celle de « SSIG ». Tout ce que demande Mme Touraine figure déjà dans la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes, qu’il s’agisse de la définition large des SSIG ou de la sécurisation du tiers secteur ; elle pourra donc voter contre la proposition de résolution du groupe SRC. Comme M. Grosperrin, on peut souhaiter que la Commission européenne présente une proposition de directive sur les SSIG, mais davantage encore qu’une définition des SSIG, l’essentiel est qu’ils soient exclus du champ concurrentiel. M. Gaymard craint à juste titre les conséquences du contrôle de l’application des textes communautaires par les chambres régionales des comptes, mais quand le droit aura été clarifié, nous pourrons nous prévaloir d’un modèle fondé sur le mieux-disant et non sur le moindre coût. M. Herbillon a tout à fait raison de plaider en faveur d’un recours croissant aux facultés ouvertes par l’article 88-4 de la Constitution sur des sujets politiquement sensibles. Au demeurant, sur les SSIG, le désaccord au sein de notre commission porte davantage sur la temporalité que sur le fond du problème.

Le président Pierre Méhaignerie. De nombreux orateurs ont eu raison de mettre en lumière l’aspect politique de la question, mais il n’en faut pas moins conserver à l’esprit les arguments invoqués par nos partenaires.

M. Régis Juanico. Le travail au sein de la commission chargée des affaires européennes ne se fait pas dans les mêmes conditions que dans une commission permanente. Il est ainsi de tradition, à la commission chargée des affaires européennes, que les rapports et propositions de résolution soient rédigés « à plusieurs mains » : le fruit de ses travaux sur les SSIG ne pouvait donc satisfaire pleinement ni les uns ni les autres et doit donc s’apprécier a minima. C’est pourquoi le groupe SRC a ensuite déposé des amendements et une proposition de résolution plus volontaristes et ne votera donc pas en l’état la proposition de résolution présentée par la commission chargée des affaires européennes.

M. Michel Herbillon. L’embarras de M. Juanico traduit une contradiction avec le vote intervenu en commission chargée des affaires européennes. Les raisons d’un tel revirement sont certes respectables et compréhensibles, même si, au vu du résultat des élections européennes, le groupe SRC aurait pu faire preuve de davantage de cohérence au lieu d’adopter cette position à laquelle personne ne comprend rien.

M. Michel Liebgott. Précisément, les enseignements du récent scrutin peuvent nous conduire à adopter une position différente de celle prise en commission chargée des affaires européennes.

Mme la rapporteure. Ce n’est certes pas un moment très facile pour M. Juanico, même si l’on peut comprendre le fait politique qui conditionne son attitude, mais le compte rendu de la réunion de la commission chargée des affaires européennes montre qu’à aucun moment les commissaires du groupe SRC ne se sont opposés à la proposition de résolution.

M. Dominique Dord. Il serait vraiment regrettable qu’il n’y ait pas de vote consensuel sur la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes, au simple prétexte qu’elle ne serait pas assez ambitieuse. La logique serait que le groupe SRC l’adopte, comme il le ferait d’un amendement de repli, au regard du rejet probable de sa propre proposition de résolution.

M. Pierre Morange. La mission d’information sur la gouvernance et le financement des associations a souhaité que le champ associatif soit sécurisé et la sagesse commande donc d’adopter la proposition de résolution de la commission chargée des affaires européennes, qui traduit une volonté commune entièrement partagée. Il faudra ensuite veiller à ce que le cadre législatif national offre des espaces conventionnels aux associations.

Mme la rapporteure. Le groupe SRC pourrait au moins accomplir un geste positif en s’abstenant sur la proposition de résolution de la Commission chargée des affaires européennes.

M. Bernard Debré. Le vote n’est pas encore acquis. Le groupe SRC pourrait choisir de s’abstenir.

M. Régis Juanico. Nous ne sommes nullement dans l’embarras, car il s’agit simplement de comprendre que la Commission chargée des affaires européennes et les commissions permanentes ont des méthodes de travail différentes. Au demeurant, MM. Caresche et Forgues ont cosigné la proposition de résolution du groupe SRC. Si les amendements que nous proposons sont adoptés, nous voterons alors la proposition de résolution présentée par la Commission chargée des affaires européennes.

La Commission passe ensuite à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution relative aux services sociaux d’intérêt général (n° 1575).

Article unique

Sur avis défavorable de la rapporteure, la Commission rejette l’amendement AC 1 de M. Régis Juanico.

Elle examine ensuite l’amendement AC 6 de M. Régis Juanico.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. L’amendement s’inscrit tout à fait dans l’esprit des conclusions adoptées par la Commission chargée des affaires européennes, au point d’en paraître redondant, puisque l’alinéa 14 de la proposition de résolution plaide déjà pour une définition large des SSIG.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC 7 de M. Régis Juanico.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement ne changerait rien au fait que c’est bien le Parlement européen, et non tout ou partie de ses groupes politiques, qui a demandé à la Commission européenne de faire preuve de davantage d’initiative sur la question des SSIG.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC 2 de M. Régis Juanico.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Cet amendement est en contradiction avec la philosophie de la proposition de résolution. En effet, il revient à dire qu’il n’est pas nécessaire d’adapter le droit communautaire, alors que c’est précisément ce que demande l’alinéa 15. Adopter cet amendement rendrait donc confus le message clair que nous souhaitons adresser.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC 3 de M. Régis Juanico.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. Personne ne songe à limiter le tiers secteur aux associations caritatives. En outre, seule une partie du secteur de l’économie sociale et solidaire se rattache aux SSIG. Au demeurant, en vertu du principe de subsidiarité, il appartient à chaque État membre de définir lui-même le champ des SSIG. De ce point de vue, on sait d’ailleurs que la France retient une définition très large.

La Commission rejette l’amendement, ainsi que, sur avis défavorable de la rapporteure, les amendements AC 8 et AC 9 de M. Régis Juanico.

La Commission examine l’amendement AC 4 de M. Régis Juanico.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. La question du bénévolat et des pratiques amateurs va bien au-delà de celle des SSIG. En outre, elle n’a pas de lien avec la qualification de SSIG. En effet, si une activité est qualifiée de SSIG, elle est exclue de ce fait du champ de la directive « services », quelle que soit la forme sous laquelle elle est exercée.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine l’amendement AC 5 de M. Régis Juanico.

M. Régis Juanico. Cet amendement est important, car il apparaît nécessaire de spécifier dès aujourd’hui de manière plus précise des pistes concrètes de sécurisation des services sociaux en allant au-delà du texte de la proposition de résolution de la Commission chargée des affaires européennes.

Mme la rapporteure. Avis défavorable. La proposition de résolution de la Commission chargée des affaires européennes aborde la question des adaptations à apporter au droit national. Elle plaide ainsi pour « une exclusion claire et large des SSIG » et « une reconnaissance de leur statut ». Sans que les idées défendues par cet amendement soient nécessairement mauvaises, il serait difficile d’aller plus loin que le texte actuel de la proposition de résolution sans préjuger des prochaines conclusions de la Commission chargée des affaires européennes sur la transposition de la directive « services ». Il paraît en effet préférable d’attendre la remise de ses travaux avant d’engager l’Assemblée nationale sur ce point.

La Commission rejette l’amendement.

M. Dominique Dord. J’insiste sur le fait qu’un consensus me semble indispensable sur ce texte. Un vote défavorable du groupe SRC pourrait en effet être interprété comme un refus de l’exclusion des SSIG de la directive « services », auquel cas il faudrait demander au président Pierre Méhaignerie de se rendre à Bruxelles pour présenter solennellement ses excuses au nom de la France… !

M. Bernard Debré. Je suis atterré par les amendements de M. Juanico : c’est comme s’il cherchait des excuses pour pouvoir afficher un vote défavorable à cette proposition de résolution. Or ce serait très dangereux pour la solidarité indispensable à l’influence de notre pays en Europe.

M. Régis Juanico. Deux propositions de résolution sont en discussion, de telle sorte que chacun peut voter en faveur de la sienne. Les amendements du groupe SRC visent simplement à préciser et à rendre plus volontariste le texte de la Commission chargée des affaires européennes face à l’absence de réponses du Gouvernement sur le calendrier et le contenu la transposition de la directive « services ».

Le président Pierre Méhaignerie. L’abstention du groupe SRC serait plus claire à comprendre, lui permettant de faire apparaître ensuite qu’il préfère sa propre proposition de résolution et de ne pas donner le sentiment d’une ambiguïté franco-française.

M. Michel Herbillon. La position du groupe SRC est incohérente avec celle qu’il a adoptée en Commission chargée des affaires européennes.

Mme la rapporteure. Majorité et opposition doivent continuer à travailler ensemble au sein de la Commission chargée des affaires européennes sur la transposition de la directive « services ».

M. Régis Juanico. Le groupe SRC s’abstiendra sur la proposition de résolution de la Commission chargée des affaires européennes (Applaudissements des commissaires du groupe UMP) et se prononcera bien évidemment en faveur de sa propre proposition de résolution.

M. Christian Hutin. Par cohérence avec l’opposition du Mouvement républicain et citoyen (MRC) au traité de Lisbonne, je ne pourrai pas m’abstenir sur la proposition de résolution de la Commission chargée des affaires européennes.

Conformément aux conclusions de la rapporteure, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales adopte l’article unique de la proposition de résolution sur les services sociaux d’intérêt général (n° 1575) sans modification. En conséquence, conformément aux conclusions de la rapporteure, la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales rejette l’article unique de la proposition de résolution sur les services sociaux d’intérêt général (SSIG) et la transposition de la directive services (n° 1698).

*

En conséquence, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales demande à l’Assemblée nationale d’adopter la proposition de résolution dont le texte suit.

TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

PROPOSITION DE RÉSOLUTION SUR LES SERVICES SOCIAUX D’INTÉRÊT GÉNÉRAL

Article unique


L’Assemblée nationale,


Vu l’article 88-4 de la Constitution,


Vu les articles 16 et 86 du traité instituant la Communauté européenne,


Vu le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, et le protocole annexé qu’il prévoit sur les services d’intérêt général (SIG),


Vu la communication de la Commission européenne intitulée « Mettre en
œuvre le programme communautaire de Lisbonne : les services sociaux d'intérêt général dans l'Union européenne » (COM [2006] 177 final),


Vu la communication de la Commission européenne au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, accompagnant la communication intitulée « Un marché unique pour l'Europe du 21ème siècle », et elle-même intitulée « Les services d'intérêt général, y compris les services sociaux d'intérêt général : un nouvel engagement européen » (COM [2007] 725 final),


Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, ci-après dénommée directive « services »,


Vu la décision 2005/842/CE de la Commission, du 28 novembre 2005, concernant l’application des dispositions de l’article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion d’un service d’intérêt économique général (SIEG), l’encadrement communautaire 2005/C 297/04 du 28 novembre 2005 des aides d’État sous forme de compensations de service public et la directive 2005/81/CE de la Commission, du 28 novembre 2005, modifiant la directive 80/723/CEE relative à la transparence des relations financières entre les États membres et les entreprises publiques ainsi qu’à la transparence financière dans certaines entreprises, constituant le « paquet Monti-Kroes »,


Considérant que les services sociaux d’intérêt général (SSIG) constituent un élément-clef du modèle social européen, qu’ils sont un élément du progrès économique et social et qu’ils permettent notamment l’expression de la diversité de ce modèle, dans le respect des traditions des différents États membres et des souhaits de leurs populations ;


Considérant que les règles qui leur sont actuellement applicables, qui leur sont d’ailleurs communes avec d’autres services d’intérêt général, d’origine largement jurisprudentielle et directement issues des contentieux sur les atteintes à la concurrence, méritent d’être améliorées, car elles sont axées sur ce même thème, compliquées et incertaines ;


Constatant particulièrement que celles relatives aux compensations de service public ou aux droits exclusifs ou spéciaux impliquent notamment pour les petits opérateurs des contraintes disproportionnées, eu égard aux risques très réduits d’éventuelles atteintes aux règles de la concurrence ;


Constatant également que la Commission européenne n’a pas suffisamment répondu aux demandes politiques de clarification et d’une initiative législative, qui lui ont notamment été adressées par le Parlement européen, le Comité économique et social européen ainsi que le Comité des régions ;


Constatant qu’il convient de préserver et pérenniser les actuels équilibres qui permettent aux opérateurs de SSIG d’exercer leur mission dans un cadre d’autant plus consensuel et apaisé qu’il repose sur le partenariat avec l’État et les collectivités territoriales, et n’exclut pas les contrôles ;


1. Estime que les nécessaires adaptations à apporter au droit national pour le mettre en conformité avec les règles européennes, notamment à l’occasion de la transposition par la loi de la directive « services », qui devra prévoir une exclusion claire et large des SSIG ainsi qu’une reconnaissance de leur statut, doivent cependant être complétées au niveau européen pour établir un cadre parfaitement clair et juridiquement sécurisé pour leurs activités, particulièrement pour les associations du tiers secteur bénéficiant de compensations de service public ;


2. Juge par conséquent indispensable de prévoir, dans le cadre d’une démarche politique, une clarification du droit européen applicable aux SSIG, et au-delà aux SIEG, dans la poursuite des travaux et réflexions en cours, notamment dans le cadre du « groupe Spiegel », constitué au sein du Comité de la protection sociale ;


3. Considère opportun de créer un contexte politique favorable, en prévoyant que les commissions du prochain Parlement européen interrogent, lorsqu’elle procèderont à leurs auditions préalables au renouvellement de la Commission européenne, les personnalités proposées pour être commissaires européens, sur leurs points de vue sur les SSIG, ainsi que plus généralement sur les SIEG ;


4. Estime légitime d’envisager, à terme, sur la base notamment des dispositions prévues par le traité de Lisbonne sur les SIEG, une intervention du législateur communautaire de reconnaissance, de clarification, ainsi que de sécurisation juridique et financière, permettant notamment de préserver et pérenniser les principes et équilibres actuels, issus de la tradition républicaine ;


5. Propose de prévoir d’ores et déjà un test concerté de subsidiarité par les Parlements nationaux, organisé dans le cadre de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l’Union européenne (COSAC), pour s’assurer que cet éventuel instrument législatif respectera bien les compétences des États membres telles qu’elles sont prévues par les traités, et plus précisément, dès lors que sa ratification sera intervenue, par le traité de Lisbonne et le protocole qui lui est annexé sur les services d’intérêt général.

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