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N
° 1791

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er juillet 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 1550, autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde sur le transfèrement des personnes condamnées,

par M. Christian BATAILLE

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – BIEN QUE L’INDE SOIT UN ETAT DE DROIT, LA FRANCE COOPÈRE PEU AVEC ELLE DANS LE DOMAINE DE LA JUSTICE 7

A – LA JUSTICE ET LES DROITS DE L’HOMME DANS LA « PLUS GRANDE DÉMOCRATIE DU MONDE » 7

1) Un système juridictionnel sui generis 7

2) Un incontestable souci des droits de l’Homme 9

B – DES COOPÉRATIONS BILATÉRALES DENSES DANS CERTAINS DOMAINES, MAIS PEU ACTIVES EN MATIÈRE DE JUSTICE 10

1) Les domaines de coopération au cœur de notre partenariat stratégique 10

2) Des échanges encore limités en matière de justice 11

II – LA CONVENTION, INSPIRÉE DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DU 21 MARS 1983, PRÉSENTE QUELQUES SINGULARITÉS 13

A – LES CONDITIONS ET LE CADRE PROCÉDURAL DU TRANSFÈREMENT 14

B – LES MODALITÉS D’EXÉCUTION DES PEINES APRÈS LE TRANSFÈREMENT 16

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

_____

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 23

Mesdames, Messieurs,

Si les visites d’Etat apparaissent souvent comme des spectacles soigneusement organisés, au cours desquels les chefs d’Etats mettent en scène leur proximité supposée et l’étroitesse affichée des relations entre leurs deux pays, elles sont aussi souvent l’occasion de signer des accords bilatéraux dans des matières ardues mais dont l’existence peut considérablement faciliter la vie de certaines personnes.

C’est ainsi à l’occasion de la visite d’Etat du Président Sarkozy en Inde que la Garde des Sceaux a signé une convention bilatérale sur le transfèrement des personnes condamnées, dont la négociation avait commencé une dizaine d’années plus tôt. Cette convention vise à fixer le cadre dans lequel des ressortissants d’un Etat, condamnés dans l’autre, pourront purger leur peine dans leur pays. La situation, récemment médiatisée, d’une jeune Française condamnée au Mexique montre à quel point l’obtention d’un transfèrement peut apparaître indispensable, sinon vital, dans certaines circonstances. Même si la convention laisse à chaque Etat le droit de refuser une telle demande, elle précise les conditions à remplir, les procédures à suivre et les règles applicables en cas d’acceptation de la demande.

Votre Rapporteur va d’abord présenter le système juridictionnel et la situation des droits de l’Homme en Inde, desquels il ressort que, malgré ses imperfections, l’Inde est un Etat de droit. La coopération franco-indienne en matière de justice reste néanmoins très peu développée au regard des réalisations et des objectifs dans d’autres champs de coopération. Votre Rapporteur présentera ensuite les stipulations de la convention sur le transfèrement des personnes condamnées, en insistant sur les points qui les distinguent du modèle que constitue la convention du Conseil de l’Europe dans ce domaine.

I – BIEN QUE L’INDE SOIT UN ETAT DE DROIT, LA FRANCE COOPÈRE PEU AVEC ELLE DANS LE DOMAINE DE LA JUSTICE

L’Inde a une fois encore montré qu’elle méritait d’être qualifiée de plus grande démocratie du monde à l’occasion des élections générales qui s’y sont déroulées entre le 15 avril et le 13 mai dernier, auxquelles près de 60 % des 714 millions d’électeurs ont participé. La taille du pays, le volume de sa population, la pauvreté d’une grande partie des Indiens compliquent considérablement le fonctionnement de la démocratie, qui demeure néanmoins, sinon parfaite – mais quelle démocratie pourrait se targuer de l’être –, du moins remarquablement dynamique.

A – La justice et les droits de l’Homme dans la « plus grande démocratie du monde »

Le système juridictionnel de l’Inde, s’il est encore touché par un phénomène de corruption qui n’épargne aucun secteur de la vie publique, est plus respectueux des droits de l’Homme que la plupart des systèmes juridictionnels des autres grands pays en développement.

1) Un système juridictionnel sui generis

La constitution indienne, promulguée le 26 janvier 1950, met en place un système fédéral et garantit la séparation entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Malgré le caractère fédéral de l’Etat, l’Inde ne possède pas un double système de juridictions (les unes fédérales, les autres fédérées) comme dans le cas américain par exemple. La constitution a opté pour un système unifié et intégré de juridictions qui applique à la fois le droit des Etats fédérés et le droit fédéral.

Le système juridictionnel indien est largement inspiré du modèle anglo-saxon, en particulier britannique. Ainsi, il n’existe pas plusieurs ordres de juridictions comme dans les pays de droit romano-germanique. Au moins au niveau supérieur (cour suprême, hautes cours), les juridictions disposent d’une compétence très large embrassant le droit civil, pénal et administratif. Par ailleurs, elles jouissent de pouvoirs d’injonction.

Du sommet à la base, on trouve la cour suprême indienne (« supreme court of India »), les hautes cours (« high courts »), le plus souvent une par Etat fédéré, et un ensemble hiérarchisé de tribunaux désignés dans la constitution sous le terme de « cours subordonnées » (« subordinate courts »), dont l’organisation et l’appellation varient d’un Etat à l’autre.

Il faut néanmoins mentionner l’existence d’une fonction atypique dans le système judiciaire indien, celle d’ « attorney general », dont le titulaire est désigné par le président de la République indienne. Il a le devoir de conseiller le gouvernement sur toute question juridique, de s’acquitter des tâches de nature juridique qui peuvent lui être confiées occasionnellement par le président ou sous l’égide de la constitution ou d’une loi en vigueur. C’est l’autorité judiciaire la plus élevée du pays. Il a un droit d’audience dans n’importe quel tribunal indien et peut prendre la parole devant les deux chambres du parlement indien.

Le système juridique indien est un système sui generis. Il ne se rattache certainement pas en l’état actuel à un système de droit romano-germanique. Pour autant, si du fait de la proximité des élites indiennes avec ce système, sa philosophie est clairement influencée par la common law (la procédure est accusatoire en matière de procédure pénale ; les magistrats sont d’anciens professionnels du barreau ; le principe de la « rule of law » est important ; le statut du juge est très prestigieux ; l’ordre juridique est unique ; les cours supérieures ont un pouvoir d’injonction…), la codification est loin d’être absente du système juridique indien et préexistait à la colonisation britannique, parfois de manière plurimillénaire.

Un des grands débats contemporains est d’ailleurs la mise au point d’un code civil unifié auquel s’opposent pour le moment les minorités religieuses et tout particulièrement la minorité musulmane. A ce jour, le droit de la famille demeure éclaté avec une base commune applicable à l’ensemble des citoyens indiens et des règles spécifiques (en matière de mariage, divorce, polygamie, héritage, etc…) pour chaque communauté religieuse indienne (hindous, musulmans, chrétiens…).

De la même manière, toutes les évolutions en débat concernant la réforme du système judiciaire indien auraient pour conséquence d’éloigner ce dernier du modèle des pays de common law pour le rapprocher de celui des pays de tradition romano-germanique : introduction d’éléments inquisitoires dans la procédure pénale, professionnalisation des magistrats, mise en place d’une structure du type de notre Conseil supérieur de la magistrature pour les questions de nomination et les problèmes disciplinaires, etc… Ces évolutions, qui demeurent aujourd’hui à l’état de projets, mais sont régulièrement débattues dans les rapports, colloques et articles de presse, montrent que le système indien, encore très marqué par la common law, a toutes les chances d’évoluer dans les années à venir. Il possède de plus un héritage pré-colonial riche et spécifique. Dans ce domaine comme dans d’autres, l’Inde a intégré les apports extérieurs du colonisateur britannique plus qu’elle ne s’est convertie totalement à son système.

2) Un incontestable souci des droits de l’Homme

Actuel membre du Conseil des droits de l’Homme, l’Inde est partie à la plupart des grandes conventions des Nations unies de protection des droits de l’Homme (1).

L’Inde n’a par contre pas ratifié la convention contre la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et n’a signé ni les protocoles facultatifs au Pacte international sur les droits civils et politiques, ni la Convention contre les disparitions forcées, ni la Convention des Nations unies de 1951 sur les réfugiés. Elle ne reconnaît pas la compétence de la Cour pénale internationale.

Les principales critiques relatives à la situation des droits de l’Homme en Inde portent sur la situation des réfugiés – l’Inde compte plusieurs camps de réfugiés, originaires pour la plupart du Tibet et du Sri Lanka –, la pratique des avortements sélectifs – bien qu'il soit interdit depuis 1993 de déterminer avant l’accouchement le sexe de l'enfant à naître – et le travail des enfants.

En matière de liberté religieuse, certains Etats indiens soumettent à conditions les conversions religieuses. Certains heurts se sont produits en août 2008 à l’encontre de communautés chrétiennes dans l’Etat d’Orissa. Le gouvernement indien a condamné sans équivoque ces violences, le Premier ministre qualifiant ces incidents de « honte pour la Nation » et les autorités fédérales indiennes s’étant mobilisées pour prendre rapidement les mesures nécessaires à l’arrêt des violences.

Bien que la Constitution indienne autorise toujours la peine de mort, aucune exécution n’a eu lieu depuis 2004.

La situation carcérale est marquée par le surpeuplement, des formes d’insécurité et des conditions de vie difficiles, ainsi que par des délais excessifs dans l’attente d’un jugement et par une corruption latente.

Les délais d’attente sont dus en partie au nombre insuffisant de juges ainsi qu’au nombre excessif de personnes arrêtées pour des délits mineurs, tels que vol, agression, petit trafic... qui l’emportent en nombre sur les personnes accusées de crimes plus sérieux. Ces personnes se retrouvent incarcérées, en attente de jugement, pendant parfois des années. La pauvreté importante dans certaines régions de l’Inde entraîne par ailleurs un pourcentage significatif de récidivistes.

Globalement, la situation est néanmoins jugée suffisamment bonne par les autorités françaises pour que, en termes d’instruction des demandes d’asile en France, l’Inde soit considérée comme un pays d’origine sûr, ce qui signifie, en application de la loi du 10 décembre 2003 relative au droit d’asile, « qu’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

B – Des coopérations bilatérales denses dans certains domaines, mais peu actives en matière de justice

La France a lancé, en 1998, un partenariat stratégique avec l’Inde, qui a été d’autant plus apprécié par les autorités indiennes que de nombreux pays avaient alors choisi de mettre New Delhi à l’écart après ses essais nucléaires. La visite d’Etat du Président de la République en Inde, en janvier 2008, visait à célébrer les dix ans de ce partenariat. Plusieurs domaines de coopération jugés essentiels pour l’avenir ont été identifiés, parmi lesquels la justice ne figure pas.

1) Les domaines de coopération au cœur de notre partenariat stratégique

Les domaines de coopération considérés comme prioritaires sont :

– le nucléaire civil : ce dossier a connu des avancées à suite de la conclusion par l’Inde d’un accord de garanties avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et de l’adoption, le 6 septembre 2008, par le groupe des fournisseurs nucléaires (NSG) d’une décision permettant de développer avec l’Inde les coopérations nucléaires civiles internationales. La France a signé avec elle, le 30 septembre 2008, un accord bilatéral de coopération, qui constituera la base d’une coopération bilatérale élargie dans ce domaine. Le projet de loi visant à autoriser l’approbation de cet accord (2) a été déposé sur le bureau du Sénat le 8 avril 2009 ; notre Assemblée sera prochainement amenée à l’examiner à son tour ;

– la défense et l’armement : la coopération franco-indienne dans ces domaines est ambitieuse et plusieurs projets sont actuellement en cours ;

– l’espace : la France a conclu la négociation d’un accord-cadre de coopération spatiale. Cet accord, qui sera mis en oeuvre sous l’égide de l’Indian Space Research Organisation (ISRO) et du Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), permettra notamment de développer notre partenariat dans le domaine des applications liées à l’espace (communications, observation de la Terre, météorologie), du développement des mini-satellites d’application scientifique et de la formation ;

– l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique : ce nouveau champ de coopération a déjà donné lieu à la création d’un groupe de travail franco-indien et à l’installation en Inde, en 2008, de l’Agence française de développement ;

– les échanges humains : l’objectif est de porter le nombre d’étudiants indiens en France – actuellement d’environ un millier – à quatre mille dans les prochaines années, en faisant porter l’effort sur deux volets : le soutien aux programmes de bourses (augmentation en 2007 de 50 % du nombre de bourses) et le soutien aux partenariats entre établissements indiens et français pour développer les accords inter-universitaires. Un accord pour mettre en œuvre un projet d’université franco-indienne a été signé en janvier 2008. La France et l’Inde prévoient également de lancer un partenariat public-privé particulièrement ambitieux pour la mise en œuvre du nouvel Institut indien de technologie du Rajasthan. Pour favoriser les relations d’affaires et la mobilité professionnelle entre les deux pays, un accord bilatéral de sécurité sociale a aussi été signé en septembre dernier.

2) Des échanges encore limités en matière de justice

La coopération franco-indienne dans le domaine de la justice reste modeste au regard des ambitions affichées et des résultats obtenus dans les autres domaines, même si la conclusion de plusieurs conventions devrait faciliter son développement dans l’avenir.

La dernière action de coopération juridique franco-indienne date de mai 2004, lorsque l’attorney general indien a effectué une visite de travail en France.

L’entraide en matière civile et commerciale est limitée. Les demandes de notification d’actes judiciaires et extrajudiciaires, qui ont longtemps emprunté la voie diplomatique, peuvent suivre un circuit simplifié depuis que la Convention de La Haye du 15 novembre 1965 est entrée en vigueur pour l’Inde, le 1er août 2007 (3). En matière de pensions alimentaires, d’aide juridictionnelle, de déplacement d’enfants et de droit de visite, domaines dans lesquels aucun traité n’est applicable entre nos deux pays, une très faible coopération a été constatée au cours des dernières années. La situation en matière d’obtention de preuves pourrait connaître une évolution avec la récente adhésion de l’Inde à la Convention de La Haye du 18 mars 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile et commerciale.

Pour ce qui est de la coopération judiciaire en matière pénale, elle s’effectuait sur la seule base du principe de réciprocité et demeurait très limitée du fait des disparités entre les systèmes juridiques et judiciaires des deux pays. Des négociations ont été engagées en vue de conclure des conventions dans les trois domaines de coopération judiciaire en matière pénale (entraide, extradition, transfèrement des personnes condamnées). Les conventions portant sur les deux premiers volets sont d’ores et déjà en vigueur :

– la convention d’entraide judiciaire en matière pénale, signée à New Delhi le 25 janvier 1998, et modifiée par un avenant sous forme d’échange de lettres signées le 20 novembre 2002 et le 14 janvier 2003 destiné à corriger une erreur matérielle, est en vigueur depuis le 25 mai 2006 ;

– la convention bilatérale en matière d’extradition, signée à Paris le 24 janvier 2003, est applicable depuis le 4 novembre 2005.

Pour autant, l’entraide pénale et l’extradition entre les deux pays demeurent de faible intensité et le volume de demandes échangées est peu significatif au regard de l’importance des relations qu’ils entretiennent dans les autres secteurs de la coopération internationale.

Seul le transfèrement des personnes détenues reste, à ce jour, régi par le principe de réciprocité. En effet, malgré le paraphe du projet en janvier 1998, les autorités indiennes avaient subordonné la signature de la convention à la mise en conformité préalable de leur droit interne, qui nécessitait l’adoption d’une loi autorisant le transfèrement des étrangers détenus en Inde. L’évolution du projet de loi au parlement indien a d’ailleurs nécessité la renégociation de certaines dispositions du texte paraphé en 1998, devenues incompatibles. Pour autant, l’absence de convention n’avait pas empêché la France d’inaugurer avec l’Inde, en 1993 et 1994, les premiers transfèrements d’un ressortissant français, puis d’une ressortissante indienne, en dehors de tout traité bilatéral, mais ces relations sont restées très limitées.

C’est une nouvelle version de la convention qui a finalement été signée à New Delhi le 25 janvier 2008, dont le présent projet de loi vise à autoriser l’approbation.

II – LA CONVENTION, INSPIRÉE DE LA CONVENTION EUROPÉENNE DU 21 MARS 1983, PRÉSENTE QUELQUES SINGULARITÉS

La convention du Conseil de l’Europe sur le transfèrement des personnes condamnées, signée le 21 mars 1983 et entrée en vigueur le 1er juillet 1985, fixe les règles applicables aux transfèrements des prisonniers condamnés entre les soixante-quatre Etats qui y sont parties, c’est-à-dire tous les Etats membres du Conseil de l’Europe, à l’exception de Monaco, ainsi que dix-huit Etats non membres. Mais l’Inde ne figure parmi eux.

Les stipulations de la convention qui est l’objet du présent projet de loi sont néanmoins directement inspirées de celles de la convention du Conseil de l’Europe, dont elles se distinguent sur quelques points. Elles visent à organiser la possibilité, pour une personne condamnée à une peine privative de liberté à la suite d’une infraction pénale, de purger sa peine dans son pays d’origine. Cette possibilité répond au souci de favoriser la réinsertion sociale des personnes condamnées et à des considérations humanitaires, dans la mesure où des difficultés de communication, les barrières linguistiques et l’absence de contact avec la famille peuvent avoir des effets néfastes sur le comportement des détenus étrangers.

Selon les informations fournies à votre Rapporteur, au 1er avril 2009, il y avait quarante-trois détenus de nationalité indienne incarcérés dans les prisons françaises, dont dix-sept condamnés, vingt-trois prévenus et trois condamnés en appel. Trente-sept de ces personnes étaient incarcérées dans le cadre de procédures correctionnelles, cinq dans le cadre de procédures criminelles et une en application de peine.

Les motifs de leur incarcération font apparaître principalement les infractions suivantes : aide à l’entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d’étrangers, pour vingt d’entre eux ; soustraction à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, dans six cas ; violences volontaires, pour neuf personnes ; viol et agression sexuelle, dans quatre cas. Les infractions aux règles de l’entrée et du séjour des étrangers sont donc très largement majoritaires.

A la même date, il y avait six détenus de nationalité française incarcérés dans les prisons indiennes, dont quatre pour des affaires liées à des produits stupéfiants.

Toutes ces personnes pourront, sous réserve de remplir les autres conditions (voir infra), bénéficier des stipulations de la convention, son article 17 les rendant applicables aux condamnations prononcées avant comme après son entrée en vigueur.

A – Les conditions et le cadre procédural du transfèrement

En application de l’article 2 de la convention, il revient à la personne condamnée d’exprimer sa volonté d’être transférée auprès des autorités de la Partie sur le territoire de laquelle elle est détenue (c’est-à-dire de la Partie de transfèrement) ou auprès de celle de la Partie où elle souhaite poursuivre l’exécution de sa peine (c’est-à-dire la Partie d’accueil). La demande est ensuite formulée officiellement par la Partie à laquelle la personne condamnée s’est adressée.

Les conditions à remplir pour pouvoir bénéficier des stipulations de la convention sont énumérées à l’article 3. Elles sont au nombre de huit :

– la personne doit avoir la nationalité française si elle demande à être transférée en France, la nationalité indienne si elle souhaite finir de purger sa peine en Inde ;

– au moment de la demande, la personne doit encore avoir à purger au moins six mois d’emprisonnement, sauf cas exceptionnel permettant de déroger à cette durée minimale – il peut s’agir, par exemple, de mineurs, de détenus âgés ou atteints d’une affection grave nécessitant une prise en charge médicale immédiate ou très spécifique qui ne pourrait être assurée dans l’Etat de condamnation ;

– la condamnation fait suite à une infraction pénale au regard du droit de la Partie d’accueil ;

– la personne condamnée ou, le cas échéant, la personne légalement habilitée à la représenter (les parents d’un mineur, par exemple), accepte le transfèrement ; l’article 6 charge la Partie de transfèrement de vérifier la réalité de ce consentement et le fait qu’il est exprimé en toute connaissance de cause, mais la Partie d’accueil a aussi la possibilité de s’assurer que ces conditions sont remplies ;

– les deux Parties concernées sont d’accord ;

– le jugement doit être définitif et il ne doit y avoir aucune procédure pénale en cours dans l’Etat de condamnation à l’encontre de la personne condamnée ;

– la peine à exécuter est une peine privative de liberté et non la peine de mort, mais, en application de l’article 1er, la convention est applicable à l’exécution des peines privatives de liberté résultant de la commutation d’une condamnation à la peine capitale ;

– le transfèrement ne porte atteinte ni à la souveraineté, ni à la sécurité, ni à aucun autre intérêt de l’Etat de transfèrement.

Les cinq premières conditions énumérées sont identiques à celles qui figurent dans l’article 3 de la convention du Conseil de l’Europe. Les trois autres s’en distinguent, mais figurent dans certaines conventions bilatérales conclues par la France ; elles ont été ajoutées à la demande de la partie indienne.

Ainsi, l’absence de procédure pénale en cours est une condition qui est mentionnée dans la convention franco-paraguayenne du 16 mars 1997 et dans la convention franco-thaïlandaise du 26 mars 1983. La mention de l’inclusion des peines de prison résultant de la commutation d’une condamnation à la peine capitale connaît un seul précédent dans les conventions auxquelles la France est partie : elle se trouve à l’identique dans la convention franco-russe du 11 février 2003. Elle vise à écarter une lecture restrictive de la définition habituelle du terme « condamnation », qui conduirait à exclure ces peines du champ d’application de la convention, dans la mesure où il ne s’agit pas, stricto sensu, d’une peine ou mesure privative de liberté « prononcée par une cour ou un tribunal dans l’exercice de ses compétences en matière pénales ». Enfin, la dernière condition est d’une portée limitée, dans la mesure où cette convention de transfèrement, comme toutes les conventions ayant le même objet, repose sur le principe selon lequel chacune des parties est libre d’accepter ou non une demande, et peut donc la rejeter pour des considérations d’opportunité. Quelques-unes des conventions bilatérales conclues par la France mentionnent néanmoins la prise en compte du risque d’atteinte à la souveraineté nationale, la sécurité ou l’ordre public de l’Etat de transfèrement comme constituant soit une condition au transfèrement, soit un motif de refus dont l’appréciation est laissée à la discrétion de cet Etat.

Afin de faciliter la prise de décision des deux Parties, l’article 4 prévoit l’obligation pour chacune d’elles de transmettre à l’autre une série d’informations relatives notamment à la personne condamnée, à la condamnation et aux effets du transfèrement.

Les stipulations de l’article 5 sont inhabituelles dans la mesure où elles exigent la transmission des demandes par la voie diplomatique, alors que, en règle générale, les conventions bilatérales conclues par la France privilégient la transmission directe entre autorités centrales – qui sont, ici, le ministère français de la justice et le ministère de l’intérieur indien. Toutefois, la convention franco-cubaine du 21 janvier 2000 comporte une disposition comparable à celle de la convention franco-indienne, imposant la transmission par voie diplomatique. La décision de la Partie d’accueil doit être transmise – par écrit – à l’autre Partie dans les plus brefs délais.

L’article 15 de la convention met les frais occasionnés par le transfèrement à la charge de la Partie d’accueil (à l’exception de ceux engagés exclusivement sur le territoire de l’autre Partie), mais lui permet d’en demander le paiement à la personne condamnée ou à des tiers.

La coopération entre les deux Parties à la convention doit les conduire à faciliter le transit à travers leur territoire d’une personne transférée en application d’une convention conclue entre l’autre Partie et un Etat tiers. Une Partie ne peut refuser ce transit que si la personne concernée est l’un de ses ressortissants ou si l’infraction qui a donné lieu à la condamnation n’en constitue pas une au regard de sa législation (article 14).

B – Les modalités d’exécution des peines après le transfèrement

Comme le précise l’article 2 de la convention, la personne transférée purge dans le pays d’accueil la condamnation qui lui a été infligée. Mais, selon l’article 7, l’exécution de la peine est poursuivie conformément à la législation de la Partie d’accueil, ce qui peut avoir une incidence sur les modalités d’exécution de cette peine.

En effet, en application de l’article 8, si cette Partie « est liée par la nature juridique et la durée de la condamnation telles que déterminées dans la partie de transfèrement », elle peut adapter cette condamnation afin de la rendre compatible avec sa législation dans le cas où elle ne le serait pas. Cette mesure d’adaptation ne doit néanmoins pas avoir pour conséquence d’aggraver la condamnation prononcée par la Partie de transfèrement.

Cette possibilité d’adaptation, présente dans toutes les conventions bilatérales conclues par la France, répond à des contraintes constitutionnelles : elle permet d’adapter les peines dont la nature n’est pas compatible avec notre ordre public (par exemple, les peines de travaux forcés) ou dont la durée excède la peine maximale encourue dans notre droit pour l’infraction correspondante.

Ce régime dit de « poursuite de l’exécution de la peine » est également celui que notre pays met en œuvre dans le cadre de la convention européenne de 1983. Il s’oppose au régime de « conversion de la peine », dans lequel les autorités judiciaires de l’Etat d’accueil substituent leur propre appréciation de la « juste peine » à celle infligée par les juridictions de l’Etat de condamnation.

La définition des modalités d’exécution de la peine – y compris les possibilités d’aménagement – relève de l’Etat d’accueil (article 7), le droit de statuer sur une demande de révision du jugement est réservé à l’Etat de transfèrement (article 10), mais les deux Etats peuvent accorder la grâce, l’amnistie ou la commutation de la peine, chacun selon ses propres règles juridiques, en application de l’article 11. Pour la France, ces stipulations très classiques répondent également à des contraintes constitutionnelles, dans la mesure où les exigences liées aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale » s’opposent à ce que des limitations puissent être apportées aux droits de grâce et d’amnistie, constitutionnellement garantis.

L’article 9 précise que, la peine étant exécutée dans l’Etat d’accueil, la condamnation perd son caractère exécutoire dans l’Etat de transfèrement.

L’article 13 prévoit des échanges d’informations sur l’exécution de la peine, et en particulier sur les conditions de son achèvement (fin de l’exécution ou évasion avant la fin : dans ce dernier cas, l’Etat d’accueil doit faire le nécessaire pour rattraper le prisonnier évadé). La Partie de transfèrement peut demander un rapport sur l’exécution de la condamnation.

CONCLUSION

Cette convention bilatérale sur le transfèrement des personnes condamnées vient compléter les conventions d’entraide judiciaire en matière pénale et en matière d’extradition déjà en vigueur entre les deux pays. Si elle n’est pas absolument indispensable, puisque quelques transfèrements ont déjà été effectués en application du principe de la réciprocité, elle facilitera, dans l’avenir, le règlement de situations qui peuvent s’avérer très difficiles à vivre pour les personnes concernées. Le développement des échanges humains entre les deux pays, qu’ils soient le résultat de l’intensification des flux touristiques, de la coopération universitaire et scientifique ou des relations économiques, justifie pleinement la mise en œuvre de cette convention.

Votre Rapporteur est donc favorable à l’adoption du présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 30 juin 2009.

Après l’exposé du Rapporteur et suivant ses conclusions, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 1550).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde sur le transfèrement des personnes condamnées, signée à New Delhi le 25 janvier 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de la convention figure en annexe au projet de loi (n° 1550).

© Assemblée nationale

1 () L’Inde est ainsi partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Convention internationale sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes, à la Convention relative aux droits de l’enfant, à son Protocole facultatif relatif à l’utilisation des enfants dans les conflits armés et à son Protocole facultatif concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, ainsi qu’à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales.

2 () Projet de loi n° 335 (2008-2009) autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire.

3 () Il s’agit de la Convention de la Haye du 15 novembre 1965 relative à la signification et la notification à l'étranger des actes judiciaires et extrajudiciaires en matière civile ou commerciale. L’Inde n’y a adhéré que le 23 novembre 2006.