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N
° 2128 (rectifié)

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 décembre 2009.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de la République d’Albanie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure,

par M. Dominique SOUCHET

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 315, 494, 495 et T.A. 118 (2008-2009).

Assemblée nationale : 1855.

INTRODUCTION 5

I – UNE TERRE DE TRANSIT CRIMINEL 7

II – LE DÉVELOPPEMENT DE LA MAFIA ALBANOPHONE 9

A – UNE MAFIA MODERNE ET PRAGMATIQUE 9

B – ACTIVITÉS DE LA MAFIA ALBANAISE 10

1) La prostitution 10

2) Les stupéfiants 11

3) Le trafic de clandestins 12

4) Racket et vols divers 12

III – UN ACCORD QUI RENFORCE LA SÉCURITÉ EN EUROPE 13

1) L’attaché de sécurité intérieure 13

2) Les principales dispositions de l’accord 14

EXAMEN EN COMMISSION 17

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ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 21

Mesdames, Messieurs,

L’Assemblée nationale est saisie d’un projet de loi, adopté par le Sénat, portant accord entre le gouvernement de la République française et le conseil des ministres de la République d’Albanie, relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, signé à Paris le 15 mai 2008.

Cet accord vient s’ajouter à d’autres coopérations engagées avec ce pays dans de multiples domaines – administratif, scientifique et universitaire, audiovisuel, éducatif, linguistique et culturel – qui complètent le traité d’entente, d’amitié et de coopération conclu en 1994 entre la France et l’Albanie.

L’Albanie, avec laquelle nos échanges économiques demeurent très modestes, a entrepris de s’engager dans la voie des réformes sur le plan économique. Le pays a bénéficié des facilités du FMI afin de réduire la pauvreté et de relancer la croissance.

Sur le plan politique, l’Albanie qui a mis en place un processus de démocratisation connaît une situation intérieure stabilisée. Elle s’est par ailleurs engagée dans un processus d’intégration euro-atlantique marqué par la signature en juin 2006 d’un accord de stabilisation et d’association avec l’Union européenne (ASA) et son entrée dans l’OTAN en 2009.

L’accord qui nous est soumis a été négocié à la demande de l’Albanie à partir de 1995 afin d’établir une coopération portant sur les aspects techniques des activités de police. Il est crucial dans la perspective de l’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne, afin qu’elle dispose d’une police efficace pour lui éviter d’être une terre de transit d’activités criminelles.

La France a déjà conclu une quarantaine d’accords de ce type, dont une vingtaine avec des pays européens.

I – UNE TERRE DE TRANSIT CRIMINEL

En quelques années, l’Albanie est devenue une terre de transit criminel et la mafia albanaise ou plus exactement albanophone n’a cessé de proliférer en dehors du territoire national pour étendre ses réseaux dans les Balkans.

Il existe 3 types de réseaux criminels organisés dans les Balkans. Les réseaux turcophones, qui ont des relais en Bosnie, en Albanie et en Grèce et sont spécialisés notamment dans l’immigration clandestine ; les réseaux russophones, avec des relais en Serbie et au Montenegro, et les réseaux albanophones, venus principalement du Kosovo, les réseaux turcophones et albanophones étant souvent associés, avec une répartition entre eux des différents segments géographiques des routes de la drogue.

Le coeur des réseaux albanophones est situé au Kosovo et ces réseaux kosovars restent mal connus des services de police, notamment en raison de l'absence de structures étatiques solides dans ce territoire. Ils procèdent selon une logique territoriale de contrôle de zones ou de portions de routes et organisent ainsi des ruptures de charge dans les flux de trafic, sur lesquels ils prélèvent leur dîme.

Le principal problème pour l’Etat albanais est de voir son territoire servir de plateforme de transit pour des activités criminelles, notamment vers l’Italie (armes) et l’Allemagne. De nouvelles routes de la drogue semblent également transiter par l’Albanie, notamment une ligne de trafic pour la cocaïne qui partant d’Amérique du Sud, passe par l’Afrique de l’Est, puis se répartit entre les Balkans et le Golfe persique. Arrivées dans les Balkans, les cargaisons franchissent l’Albanie pour gagner l’Europe occidentale. Cette route est plus longue qu’une classique traversée de l’Atlantique Nord ou une entrée en Europe à partir de l'Afrique occidentale, mais elle est plus sûre pour les trafiquants.

Le territoire albanais est en lui-même assez peu sujet à la criminalité. L’Etat y est relativement bien organisé, même si la corruption reste importante, et le contrôle social est assez strict. C’est leur capacité à s’exporter qui rend les mafias albanaises dangereuses, et une adhésion prématurée, non sécurisée, à l'Union européenne leur permettrait d'exporter leurs pratiques et d'y investir très largement.

On rappellera que l’Union européenne n’a pas été assez vigilante à l’égard de la Bulgarie et de la Roumanie lors du processus d'adhésion de ces deux pays et que les réseaux criminels ont largement profité de cette adhésion pour conforter leur emprise sur les centres de décision nationaux (en particulier en Bulgarie) et s’étendre à travers le continent. Cette erreur ne doit pas être réitérée. Les spécialistes de la sécurité considèrent que l’adhésion de l’Albanie à l’UE, comme celle de la Serbie et de la Croatie, devra impérativement passer par l’éradication préalable des mafias grâce à la mise en place de services nationaux de sécurité bien formés et fiables.

II – LE DÉVELOPPEMENT DE LA MAFIA ALBANOPHONE

L’Albanie est un pays pauvre, montagneux, qui a souvent fait l’objet d’agressions étrangères. Le développement d’une mafia s’y est effectué selon un processus constaté en Sicile ou en Calabre, où des communautés soudées par des valeurs identiques préféraient obéir à un chef pour échapper au pouvoir central. Les mafieux Albanais sont soumis à un « code d'honneur », le Canon du 15ème siècle écrit par Leke Dukagjini. En plus du mariage, de la famille et de la propriété, il y est question d'honneur : il est impossible de revenir sur une parole donnée. Ce Canon a régi la vie quotidienne des clans du Nord et de l'Est du pays jusqu'au XXème siècle et a codifié la pratique de la vendetta.

Lorsque l’on parle de mafia albanaise, il faut entendre mafia albanophone. Si des clans proviennent bien d’Albanie, une partie croissante est issue des Albanais du Kosovo qui ont constitué des mafias dont l’UCK s’est servie pour récolter des fonds.

A – Une mafia moderne et pragmatique

Lors de la chute du communisme en 1990, les criminels dont la vie et les pratiques avaient peu changé depuis la guerre froide se sont convertis aux méthodes modernes. Ils ont traversé les frontières au début des années 90 et le mouvement migratoire s'est poursuivi même après la guerre du Kosovo. Ils ont commencé à travailler comme assistants dans des réseaux de trafic de drogue déjà existants dirigés par des Turcs et des Kurdes.

D'après les services de police, ils sont rapidement parvenus à se tailler une place et faire valoir leurs « droits ». Les clans du crime albanais sont organisés selon les anciennes règles de la vie rurale. Le chef de chaque clan reçoit l'allégeance d'un groupe de vassaux qui ont souvent des liens de sang avec lui. Ils se réunissent en comité, nommé « Bajrak », où l'on discute de nouvelles entreprises. Par exemple, la somme nécessaire à l'ouverture d'une maison close sera fournie par les membres du comité et une partie des profits sera expédiée aux proches restés au pays.

La loi du silence est inviolable sous peine de mort.

Les mafieux albanais ont quatre caractéristiques : comme toute mafia, ils bénéficient d'un lieu sûr dans leur patrie et d'une large diaspora; leur pays se situe au carrefour des plus importantes voies du trafic de drogue; leurs contacts avec l'Armée de Libération du Kosovo leur ont permis de se fournir en armes, enfin, ils sont résolus à employer une violence extrême.

Les premiers groupes albanais sont arrivés en Europe occidentale, notamment en Belgique, après la chute du régime d’Enver Hoxha. Dans les années 90, un milieu criminel albanais s’est ainsi discrètement développé dans les grandes villes belges (Bruxelles, Anvers) comme dans les grandes villes européennes d’Italie, de Suisse et d’Allemagne notamment.

Avec la guerre en ex-Yougoslavie et la chute du système financier pyramidal en Albanie, le flux migratoire des Albanais, (d’Albanie, du Kosovo et de Macédoine) s’est accentué, pour atteindre son maximum en 1998-1999 lors de la guerre au Kosovo. Profitant de la situation, la criminalité organisée albanaise s’est infiltrée alors en Europe et en Belgique de façon plus sensible. Relatées dans la presse nationale et spécialisée, ses activités principales étaient et sont toujours la traite des êtres humains, la prostitution et le trafic de drogue vers l’Europe occidentale, notamment vers la Grande-Bretagne.

En France, en Suisse, en Belgique, en Allemagne et en Pologne ont été observées les mêmes caractéristiques d’implantation de cette mafia : mariage avec des femmes locales, refus de constituer des ghettos, volonté d’obtenir des papiers en règle, voire la naturalisation (cas suisse), achats de petits commerces (notamment bars) puis prises de contrôle d’autres commerces par l’intimidation, accords avec d’autres bandes étrangères (notamment roumaines, bulgares et nord africaines) et locales (mafias italiennes, Hells Angels en Belgique, triades et yardies en Grande-Bretagne), forte mobilité, réseaux sur des bases familiales et claniques, omerta (par l’usage de la violence ou de menaces, notamment sur les familles restées au pays), enfin investissements des bénéfices en Albanie.

B – Activités de la mafia albanaise

La mafia albanaise contrôle plus de 70 % du marché de l'héroïne en Suisse, en Autriche, en Allemagne et dans les pays scandinaves, des milliers de prostituées "travaillant" dans des conditions horribles, de l'Italie à la Suède, des dizaines de commandos de cambrioleurs ultra professionnels, formés d'anciens militaires ou policiers. En Angleterre, des Albanais, qu'ils soient originaires d'Albanie ou du Kosovo, sont soupçonnés par Scotland Yard de chantage, de possession d'armes et de vols qualifiés. La mafia albanaise sévit dans quatre principaux secteurs d'activités :

1) La prostitution

Les Albanais dirigent la traite des femmes pour toute la Grande-Bretagne à destination du marché de la prostitution. Scotland Yard estime que les gangs albanais contrôlent près de 75 % de la prostitution à Soho, à Londres. Les personnes impliquées dans ces réseaux sont pour la plupart des femmes et des enfants victimes de formes modernes d'esclavage, enlevées et manipulées par leurs patrons. Rien que dans Soho, le produit de l'exploitation de près de mille prostituées s’élève à 18 millions d’euros, réinvestis en Albanie.

Depuis les années 90, l'arrivée de prostituées de la République tchèque, de Bulgarie ou d'Albanie n'a cessé d'augmenter. Selon l'Organisation internationale pour les migrations, 300 000 femmes venues d'Europe orientale se prostituent en Europe occidentale. En France, où il y aurait entre 15 000 et 18 000 prostituées, les femmes venues des pays d'Europe orientale en représentent environ un quart. Ces réseaux de prostitution, notamment ceux contrôlés par la mafia albanaise, sont d'une violence extrême. Les rares prostituées qui osent parler décrivent une nouvelle forme d'esclavage, en plein coeur de l'Europe.

A Bruxelles, la moitié des prostituées seraient de nationalité albanaise. Pour la justice belge les « centres de formation » sont situés en Albanie : les jeunes femmes y sont vendues pour aller « travailler » à Londres, Hambourg ou Paris. A Milan, il existe un véritable « marché aux femmes », où les différents réseaux passent commande. Au Kosovo les maisons closes se sont développées avec l'afflux des 50 000 soldats de la KFOR, des employés de la Mission des Nations unies au Kosovo (MINUK) et des personnels des organisations non gouvernementales. Originaires surtout de Moldavie, d'Ukraine, de Roumanie et de Bulgarie, les femmes sont vendues aux enchères entre 1 000 et 2 500 dollars (de 1 084 à 2 709 euros) aux proxénètes kosovars, proches des Albanais.

2) Les stupéfiants

Si l'argent de la drogue a permis à la mafia albanaise de s’implanter dans la prostitution, elle a réinvesti ses gains dans le trafic de drogue. La guerre du Kosovo semble avoir favorisé cette criminalité. En se servant de leur proximité géographique avec l’Italie, les clans albanais auraient noué des alliances avec Cosa Nostra. S’agissant des drogues dures, les clans albano-kosovars semblent avoir acquis une position dominante dans le trafic international d'héroïne et commencent à jouer un rôle significatif dans celui de la cocaïne qui reste partagé entre les leaders mondiaux que sont les cartels mexicains et colombiens.

Depuis le début des années 90, en effet, le système criminel en vigueur en Italie et en Europe de l'Ouest a considérablement évolué. Les Turcs ont conservé le monopole du marché en gros de l'héroïne, mais ont cédé aux Albanais, principalement Kosovars, le contrôle de l'acheminement vers l'Ouest. Cette nouvelle configuration nécessite des centres de stockage, situés principalement en Hongrie, mais également en République tchèque et en Bulgarie, principales plaques tournantes de la mafia albanaise à l'Est.

En avril 1999, les brigades anti-mafia de Bulgarie signalaient une véritable explosion du trafic d'héroïne depuis le début de la guerre du Kosovo. Les policiers des brigades des stupéfiants et les experts d'Interpol sont toujours impressionnés des quantités considérables de drogue saisies auprès des réseaux albanais. La Suisse, qui accueille environ 200 000 réfugiés albanais (deuxième communauté immigrée du pays) est l'une des principales plaques tournantes du trafic de drogues et d'armes vers l'Allemagne, l'Autriche, la Hongrie et la République tchèque, où la police soupçonne les nombreux vendeurs et fabricants albanais de bijoux en or de procéder au blanchiment de l'argent du trafic.

3) Le trafic de clandestins

Moins risqué que les stupéfiants mais presque aussi lucratif, le trafic de clandestins se développe à grande vitesse. « Il présente actuellement un très bon rapport gain risque pour les trafiquants », affirme un responsable de la police aux frontières. Le revenu des passeurs atteindrait actuellement de 3 à 4 milliards de dollars, selon Interpol. L' IOM (International Organization for Migration) estime que 3 millions de clandestins sont actuellement installés dans les quinze pays d'Europe occidentale membres de l'Union, surtout dans le Sud (Italie, Grèce, Espagne, Portugal) et en Allemagne (800 000 personnes). Les flux incessants d'immigrants clandestins albanais traversant le canal d'Otrante pour rejoindre les côtes italiennes et l'Europe de l'Ouest ont considérablement renforcé les structures internationales de la criminalité albanaise.

4) Racket et vols divers

Pour ce qui est du racket et de l'exploitation des diasporas albanaises, la mafia recourt à des méthodes dites persuasives, telles que la mobilisation des compatriotes en faveur des organisations humanitaires. Depuis 1997, la collecte de fonds était confiée à l'association Vendlindja Therret (« la Patrie t'appelle »), qui centralisait les dons du monde entier sur un compte de l'Alternativ Bank, à Olten, en Suisse. Depuis que celui-ci a été gelé par les autorités suisses, l'argent est acheminé en coupures dans des valises.

La mafia albanaise est active dans tous les pays d'Europe occidentale. Elle dispose de rentrées provenant d'opérations d'escroqueries. C'est ainsi qu'en décembre 1997, la police parisienne a démantelé, lors d'un coup de filet dans le Sentier, une cellule mafieuse spécialisée dans les fausses factures, en étroites relations avec des Albanais d'Allemagne et d'Italie. La mafia albanaise est également très présente dans le trafic de voitures de luxe volées ainsi que le cambriolage à grande échelle. Des Albanais, qu'ils soient originaires d'Albanie ou du Kosovo, sont également soupçonnés de chantage, de possession d'armes et de vols qualifiés. Ils sont également spécialistes d’escroqueries via internet.

III – UN ACCORD QUI RENFORCE LA SÉCURITÉ EN EUROPE

Le présent accord a essentiellement pour objet de donner une base légale à notre coopération policière bilatérale. L’Albanie bénéficie ainsi d’une nouvelle capacité d’expertise, qui s’ajoute à celle qui lui est apportée dans le cadre de la coopération avec 14 autres pays européens avec lesquels elle a signé des accords similaires.

Plusieurs pays européens, dont la France, ont désormais un poste d’attaché de sécurité intérieure à Tirana. Les Etats-Unis ont fait de même.

COOPÉRATION POLICIÈRE EN FAVEUR DE L’ALBANIE

Pays

Champ d’action

Italie

Douane, criminalité financière

Royaume-Uni

Stupéfiants

Autriche

Ecoles de police

Etats-Unis

Méthodes d’enquêtes contre les mafias

Allemagne

Matériels pour les forces spéciales d’intervention

Commission européenne

Coopération entre police et justice

1) L’attaché de sécurité intérieure

Huit pays européens, dont la France, ont désormais un poste d’attaché de sécurité intérieure à Tirana. Les Etats-Unis en ont fait de même.

L’attaché de sécurité intérieure, présent à l’ambassade de France, représente les services du ministère de l’intérieur, il dirige localement la délégation du service de coopération technique international de police (SCTIP) et entretient des contacts réguliers avec ses homologues des pays de l’Union européenne.

En Albanie, l’attaché de sécurité est l’interlocuteur de la police d’Etat avec laquelle il coopère sur les plans opérationnels et techniques.

Il a notamment pour mission de favoriser les échanges d’informations opérationnelles et de mener à bien les actions de coopération technique à caractère bilatéral ou multilatéral et d’en assurer le suivi.

2) Les principales dispositions de l’accord

Le présent accord renforce la place de la France dans le dispositif de soutien à l’Albanie. Notre pays est présent en matière policière depuis 1998 avec la création du poste précité d’attaché de sécurité intérieure. Plus d’une trentaine de missions de coopération ont été entreprises dans ce cadre (fraude documentaire police scientifique, traite d’êtres humains, gestion de crise, circulation routière…) mais il fallait formaliser cette coopération. La France s’engagera principalement à assister la police albanaise dans la lutte contre les mafias et à développer la police scientifique.

L’article premier définit le champ d’application matériel de l’accord. Celui-ci vise de très nombreux domaines allant de la lutte contre la criminalité organisée à la lutte contre l’immigration illégale en passant par la lutte contre les trafics de drogue, des êtres humains ou des organes ou la lutte contre le trafic d’armes, le blanchiment des capitaux ou la contrefaçon de documents.

L’article premier pose également le principe d’une coopération sous la forme d’action de formation des personnels ou d’assistance en matière de police technique et scientifique.

L’article 2 précise les cas classiques dans lesquels une démarche de coopération ou de communication d’information pourrait être rejetée à savoir en cas d’atteinte aux droits fondamentaux de la personne ou d’atteindre à la souveraineté, à la sécurité ou à l’ordre public.

L’article 3 précise les formes de coopération destinées à prévenir et à recherche les faits punissables en matière de criminalité internationale tandis que l’article 4 traite des échanges d’informations dans le cadre de la lutte contre le trafic des stupéfiants et l’article 5 de la lutte contre le terrorisme.

Une disposition de l’accord, l’article 9 relatif à l’échange de données à caractère personnel, a suscité des réserve de la part du Conseil d'Etat, qui a considéré que la protection des données transférées n'est pas aujourd'hui convenablement garantie du côté albanais. Ce transfert ne pourra donc intervenir, au cas par cas, que sur la base d'un décret en Conseil d'Etat.

Cet accord bilatéral franco-albanais en matière de sécurité intérieure constitue indéniablement un moyen supplémentaire pour lutter le plus efficacement possible contre la criminalité dans les Balkans et au sein de l'Union européenne.

Il est considéré par la partie albanaise, dans la perspective d'une préadhésion à l'Union européenne, comme la manifestation d'un engagement déterminé à disposer de services de sécurité intérieure efficaces permettant l'éradication des réseaux mafieux dont l'Albanie est aujourd'hui encore le support ou le lieu de transit.

Dans la perspective, à plus long terme, de l’adhésion à l’Union européenne de l’Albanie, il est crucial que cette dernière dispose d’une police efficace. Terre de transit d’activités criminelles menées par les mafias albanophones, l’Albanie doit combattre et éradiquer ce fléau. Elle n’y parviendra pas seule. La politique de coopération engagée par ses voisins avec l’Albanie doit contribuer à cet objectif.

Il convient donc que l'Assemblée nationale, comme l'a fait le Sénat, adopte le projet de loi autorisant l’approbation de cet accord.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 2 décembre 2009.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Michel Terrot. Le rapport met en évidence le fait qu’il y a encore beaucoup à faire pour combattre les mafias internationalisées. Je souhaiterais poser une question marginale par rapport à l’objet du projet de loi relatif à l’adhésion de l’Albanie à l’OTAN. Au moment de son adhésion, l’Albanie s’est engagée à consacrer 2 % de son produit intérieur brut à la défense et à détruire son stock d’armes chimiques. Ces engagements ont-ils été respectés ?

M. Dominique Souchet, rapporteur. La destruction des stocks d’armes chimiques a été effectuée par l’armée américaine. En revanche, l’engagement de consacrer 2 % du PIB à la défense n’est pas tenu.

Le Président Axel Poniatowski. Il faut reconnaître que seuls quatre pays de l’Union européenne ont des dépenses consacrées à la défense supérieures à ce niveau !

Mme Nicole Ameline. Le caractère international des réseaux albanophones rend indispensable une réponse internationale. La coopération bilatérale ne saurait suffire ; il faut au moins qu’elle soit conduite au niveau européen. Parmi tous les trafics transnationaux, celui des êtres humains est incontestablement le plus grave. Même si les autorités albanaises ont la volonté politique de le combattre, elles ne semblent pas disposer des moyens nécessaires. Le rapporteur dispose-t-il d’une évaluation des progrès accomplis en Albanie en matière de législation et d’organisation juridictionnelle pour renforcer l’efficacité de cette lutte ?

M. Dominique Souchet, rapporteur. Il reste incontestablement beaucoup à faire pour renforcer ces moyens mais des progrès ont été réalisés et la volonté politique existe. Il me semble que des progrès décisifs dans ce domaine pourraient être obtenus dans le cadre de la mise en œuvre de l’accord de pré-adhésion à l’Union européenne qui est en cours de négociation.

M. Patrick Labaune. Le chemin est encore long pour mettre un terme à la diffusion de la criminalité albanaise dans l’Union européenne. L’accord franco-albanais ne saurait suffire. Avec quels Etats de la région l’Albanie a-t-elle conclu des accords du même type ? Quel rôle l’Union européenne joue-t-elle dans ce domaine ?

M. Dominique Souchet, rapporteur. Huit pays européens ainsi que les Etats-Unis disposent d’un attaché de sécurité intérieure à Tirana et des accords du même type que celui dont nous débattons aujourd’hui ont été conclus entre une quinzaine d’Etats et l’Albanie. Interpol ne pouvant pas encore intervenir en Albanie, tout repose sur les coopérations bilatérales. Au total, les nombreux accords, les actions de coopération bilatérale et la présence d’un nombre important d’attachés de sécurité intérieure contribuent à l’efficacité opérationnelle de la volonté politique des autorités albanaises.

Les progrès ne sont certes pas rapides dans tous les domaines mais ils sont réels. Il est vrai qu’ils sont particulièrement faibles en matière de lutte contre la prostitution. Il faut souligner que les efforts menés en Albanie se heurtent à la situation du Kosovo qui se trouve à la source des réseaux albanophones et où la capacité d’action contre eux est faible.

M. Christian Bataille. Il conviendra d’interroger M. Bernard Kouchner sur ce qu’il pense du Kosovo indépendant, à l’occasion de sa prochaine audition. Les moyens qui y sont mis en œuvre pour lutter contre les mafias sont-ils adaptés ? Le corpus juridique est-il satisfaisant ? Dans quel délai peut-on espérer une amélioration notable de la situation ? La tutelle internationale ne risque-t-elle pas de durer éternellement ?

On assiste actuellement sur le continent européen à la multiplication de micro-Etats qui constituent autant de zones de non-droit issus du démembrement d’autres Etats. L’Union européenne a certes vocation à s’intéresser en priorité à ceux qui sont nés de la dislocation de la Yougoslavie mais un phénomène identique s’observe dans le Caucase.

M. Dominique Souchet, rapporteur. Pour ce qui concerne l’Albanie elle-même, la clé de l’amélioration de la situation est dans l’effort de formation. Il a déjà été entrepris mais doit se poursuivre car les défis sont de grande ampleur. Mais il faut aussi s’attaquer à la situation au Kosovo qui doit occuper une place centrale dans la lutte contre les mafias et dans lequel les moyens d’intervention sont limités malgré la tutelle de l’OSCE et des Nations unies. Le problème c’est que parmi les recettes financières dont dispose le pays, les produits de l’économie criminelle dépassent de beaucoup le volume de l’aide internationale et l’arrivée de devises envoyées de l’étranger par la diaspora. Les progrès réalisés sur le territoire albanais n’ont jusqu’ici eu aucun effet sur la situation kosovare.

Mme Martine Aurillac. Pouvez-vous nous préciser la date d’entrée en vigueur et la durée de l’accord ?

M. Jean-Marc Nesme. Votre exposé confirme que l’Albanie constitue une plaque tournante pour tous les trafics. A l’occasion de la révision des lois bioéthique, ont été évoqués de nouvelles formes de trafics et notamment celui des tests génétiques dont la validité scientifique pose problème. Ce trafic, qui se développe principalement par le biais d’Internet, doit être mieux pris en compte. L’Albanie accueille t-elle ce genre de trafic ? D’autres pays ont-ils signé des accords de même nature que celui que nous examinons avec l’Albanie ?

M. Dominique Souchet, rapporteur. L’Albanie a signé 14 accords proches de celui qui nous est soumis, majoritairement avec des pays européens mais aussi avec les Etats-Unis. Sur la question très pointue des tests génétiques, je vous ferai parvenir une réponse écrite après avoir obtenu des informations précises.

M. Serge Janquin. Si les accords de cette nature me semblent souhaitables, ils posent néanmoins une difficulté : ils opèrent un transfert de responsabilité en matière de sécurité et de justice de l’Etat vers la communauté internationale. Il conviendrait donc que ces accords soient assortis d’une procédure permettant d’apprécier l’implication de l’Etat au bénéfice duquel il a été signé afin que celui-ci ne se considère pas comme exonéré de ses responsabilités en ces matières. Il serait souhaitable que le respect des obligations qui lui incombent en vertu de la convention fasse l’objet d’une évaluation.

M. Jean-Claude Mignon. L’Albanie est soumise au « monitoring » du Conseil de l’Europe dont elle est membre. Le travail remarquable d’évaluation politique réalisé dans ce cadre mériterait d’être porté à la connaissance de la Commission.

Le Président Axel Poniatowski. Vous avez tout à fait raison, ce document serait très utile à notre commission.

M. Jean-Pierre Dufau. Quels sont les pays européens signataires de l’accord ? Sur la durée de l’accord, une clause de rendez-vous est-elle prévue ?

M. Dominique Souchet, rapporteur. Le risque de transfert de responsabilité me semble écarté. La volonté des autorités albanaises d’assumer leurs responsabilités est réelle, ce sont les capacités à les exercer qui posent problème. C’est pourquoi la coopération en matière de formation est décisive.

L’Albanie a signé des accords de même nature avec les pays voisins ainsi que la Grèce, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique.

La durée de l’accord n’est pas précisée. Il appartient aux services ministériels compétents, et éventuellement à la Commission, de contrôler son application.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 1855).

*

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des Ministres de la République d'Albanie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure, signé à Paris le 15 mai 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

__________________________________

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 1855).

© Assemblée nationale