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N
° 2569

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 juin 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR :

– LE PROJET DE LOI n° 2324, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Turques et Caïques relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale,

– LE PROJET DE LOI n° 2325, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Bermudes relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale,

– LE PROJET DE LOI n° 2326, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Caïmans relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale,

– LE PROJET DE LOI n° 2337, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Vierges britanniques relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale,

par M. Jean-Pierre KUCHEIDA

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – DES TERRITOIRES EN TOUS POINTS COMPARABLES 7

A – QUATRE TERRITOIRES BRITANNIQUES D’OUTRE-MER 7

1) Une brève présentation générale 7

2) Le statut politique 8

B – DES ÉCONOMIES FORTEMENT TOURNÉES VERS LES ACTIVITÉS FINANCIÈRES 9

1) Des économies peu diversifiées, mais néanmoins florissantes 9

2) Le poids des activités financières 10

3) Des territoires longtemps peu coopératifs 11

II – L’ARCHITECTURE DES ACCORDS 13

A – LA FRANCE ET LES TERRITOIRE BRITANNIQUES DES CARAÏBES 13

B – L’ÉQUILIBRE GÉNÉRAL DES ACCORDS 13

C – LES PERSPECTIVES QUANT À L’APPLICATION D’ACCORDS CONTRAIGNANTS. 15

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

_____

TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES  21

Mesdames, Messieurs,

Chacun sait que la lutte contre les paradis fiscaux est devenue ces dernières années une priorité des pays membres de l’OCDE. La crise financière de 2008 a accéléré la prise de conscience de la gravité des problèmes posés par ces entités et a permis de donner une nouvelle impulsion aux initiatives jusqu’alors relativement modestes prises par les territoires pour se conformer aux règles internationales.

C’est dans ce contexte que le G20 s’est résolument saisi de la question et que l’OCDE a été amenée à modéliser des accords permettant notamment l’échange de renseignements fiscaux avec les pays considérés comme à risque. Sur cette base, qui a permis de redonner une impulsion à des négociations entamées depuis parfois longtemps sans grand succès, le gouvernement a conclu en 2009 une douzaine de conventions bilatérales, dont les projets de loi autorisant leur ratification viennent d’être soumis à la commission des affaires étrangères.

Dans cet ensemble de textes, quatre projets, qui feront l’objet de ce rapport commun, concernent des accords conclus entre juin et octobre 2009 avec les gouvernements des îles britanniques des Caraïbes : les Îles Vierges britanniques, les Îles Caïmans, les Îles Turques et Caïques et les Bermudes. Ces ensembles d’îles se trouvant dans une situation économique semblable reposant essentiellement sur des activités financières ainsi que sur le tourisme, et disposant de systèmes juridiques similaires, il n’était pas justifié qu’une analyse séparée leur soit consacrée.

Votre rapporteur vous renvoie également au récent rapport de notre collègue Jacques Remiller qui, en étudiant la convention signée entre la France et le Liechtenstein, a présenté les éléments de contexte généraux, tant en ce qui concerne les positions du G20 que sur le rôle déterminant de la France dans cette lutte. Il insistera par conséquent surtout ici sur les particularités que peuvent présenter les îles britanniques des Caraïbes au regard de cette problématique.

I – DES TERRITOIRES EN TOUS POINTS COMPARABLES

A – Quatre territoires britanniques d’outre-mer

Les Îles Vierges britanniques, les Îles Caïmans, les Îles Turques et Caïques et les Bermudes sont quatre territoires britanniques d’outre-mer en tous points comparables. Votre rapporteur vous en présente ici les principaux traits.

1) Une brève présentation générale

Les territoires britanniques avec lesquels le gouvernement a signé les conventions soumises à notre examen sont tout d’abord des archipels de faible, voire très faible superficie.

Les Îles Vierges britanniques sont un territoire de 47 îles dont seulement 16 sont habitées par une population totale inférieure à 25 000 personnes. La capitale du territoire est Road Town, sur l’île de Tortola.

Le territoire qui constitue les Îles Caïmans, dont la capitale est George Town, sur l’île de Grand Caïman, est plus resserré puisqu’il ne comporte que deux autres îles : Petit Caïman et Caïman Brac. La population totale est en revanche plus importante et se chiffre à quelque 52 000 habitants.

Les Îles Turques et Caïques regroupent quant à elles une quarantaine d’îles et récifs dont cinq seulement, Grand Turk, Salt Cay, South Caicos, Middle Caicos, North Caicos et Providenciales, sont habitées en permanence par une population totale d’environ 32 000 habitants. La capitale, Cockburn Town, est située sur Grand Turk.

Enfin, nettement plus au nord que les précédentes qui appartiennent aux Antilles et sont situées dans les Caraïbes, les Bermudes regroupent, au large de l’Atlantique ouest, environ 125 îles sur seulement 53 km2, dont huit principales. Parmi celles-ci, Grande Bermude, où se trouve Hamilton, la capitale, Saint George’s, Saint David’s et Somerset sont les plus importantes. Il faut relever que la population des Bermudes est aussi plus importante que celles des territoires britanniques d’outre-mer précités : plus de 65 000 personnes y résident.

Comme chacun sait, la position géographique de ces territoires conditionne aussi en partie, si ce n’est fortement, leur tissu économique : il s’agit en effet d’îles dont les plages et le climat attirent de nombreux touristes du monde entier, principalement des États-Unis. C’est le cas des Bermudes ou encore des Îles Vierges britanniques dont l’économie repose fortement sur plus de 800 000 touristes qui génèrent près de 45 % du revenu national.

Il en est de même des Îles Caïmans, dont le secteur touristique constitue d’ailleurs le premier des piliers de l’économie, avec des recettes représentant quelque 70 % du PNB et 75 % des entrées de devises étrangères. Dans ces îles, la clientèle touristique est également originaire d’Amérique du Nord et le secteur est orienté vers le marché de luxe. Le nombre total de touristes est supérieur à 2 millions par an, pour la moitié en provenance des Etats-Unis.

DONNÉES DE BASE SUR LES QUATRE TERRITOIRES

 

Bermudes

Turques et Caïques

Caïmans

Îles Vierges britanniques

Superficie (en km2)

53

497

260

153

Population (en ordre de grandeur)

65 000

32 000

46 600

23 600

Densité (hab./km2)

1 234

60

139

260

PIB (en MUS$)

4 500

231

2 170

980

PIB/hab. (en US$)

69 200

9 600

46 500

41 700

Monnaie

Dollar des Bermudes

Dollar US

Dollar des Îles Caïmans

Dollar US

Langues utilisées

anglais, portugais

anglais

anglais

anglais

2) Le statut politique

Constitutionnellement, les territoires britanniques d’outre-mer jouissent tous d’une grande autonomie interne.

Le Royaume-Uni exerce néanmoins dans chaque territoire les fonctions régaliennes. Un gouverneur, nommé par le gouvernement de Sa Majesté, chef de l’Etat, y est chargé des affaires étrangères, de la défense, de la sécurité intérieure et des services publics.

La responsabilité des affaires intérieures est confiée à un exécutif insulaire, le cabinet, collectivement responsable devant le parlement et dirigé par un Premier ministre, chef de file du parti majoritaire au parlement, que le gouverneur invite après les élections générales à constituer un gouvernement, selon les règles traditionnelles de la démocratie parlementaire britannique.

Le cabinet a la responsabilité de la formulation et de l’exécution des politiques, à l’exception de celles que les constitutions attribuent expressément au gouverneur qui maintient néanmoins le Premier ministre dûment informé de sa gestion. Il est à noter que le gouverneur britannique a la faculté de déléguer l’exercice de certaines de ses attributions au Premier ministre ou à un ministre du cabinet, notamment en matière de relations extérieures au sein de la communauté caribéenne, de même qu’en ce qui concerne les relations avec les Etats-Unis, en matière de tourisme voire de taxation et de régulation financière et de services financiers.

Ainsi en dispose par exemple la constitution des Îles Vierges britanniques dans son article 60. Cela explique que ce soit le Premier ministre des Îles Vierges britanniques qui ait signé l’accord avec le gouvernement français, tandis que celui conclu avec les Îles Turques et Caïques, par exemple, l’a été par le gouverneur.

B – Des économies fortement tournées vers les activités financières

1) Des économies peu diversifiées, mais néanmoins florissantes

Indépendamment du tourisme que votre rapporteur a évoqué et des activités financières qu’il présentera plus loin, force est de constater que le tissu économique des archipels britanniques d’outre-mer est relativement peu développé sur d’autres secteurs.

Le secteur industriel des Bermudes, par exemple, ne représente que 1 % du PIB de l’archipel. Le secteur agricole ne peut qu’y être également réduit, dès lors que seules 6 % des terres sont cultivables. En revanche, l’ensemble du secteur tertiaire représentait en 2002 près de 90 % du PIB, qui s'élevait à 3 580 millions de dollars US en 2003. Les exportations depuis les Bermudes sont modestes, surtout à destination des Etats-Unis et de l’Union européenne. Les importations, en provenance notamment de l'UE, des États-Unis et de la Russie, sont inférieures à 800 millions de dollars et intéressent essentiellement les secteurs des machines et équipements de transport, matériaux de construction, produits chimiques, ou denrées alimentaires.

Ce profil se retrouve globalement aux Îles Turques et Caïques où, indépendamment du tourisme et de la finance internationale, se distinguent encore surtout pour l’instant le bâtiment, l’immobilier et la pêche, alors que le gouvernement des îles entreprend une politique de diversification économique.

Aux Îles Vierges britanniques, l’élevage est l’activité agricole la plus importante. La pauvreté des sols limite la capacité du territoire en terme de satisfaction des besoins alimentaires et pèse par conséquent sur sa balance commerciale : à l’instar des Bermudes, les denrées alimentaires constituent un poste important des importations. Il en est de même pour les Îles Caïmans, qui importent près de 90 % des denrées alimentaires et des biens consommés.

Malgré ces caractéristiques et la nature insulaire de ces territoires, les économies des Bermudes, des Îles Vierges britanniques, des Îles Caïmans et des Îles Turques et Caïques sont parmi les plus florissantes, non seulement de la région caraïbe mais aussi du monde, et le niveau de vie par habitant y est extrêmement élevé, grâce au secteur tertiaire et aux activités financières.

Enfin, il faut souligner que, pour être sous statut britannique, ces îles n’en sont pas moins très proches des Etats-Unis, non seulement par la géographie, mais aussi du fait de la « dollarisation » de leurs économies. C’est le cas des Îles Vierges britanniques dont la monnaie est le dollar américain depuis 1959, ainsi que des Îles Turques et Caïques, ou encore des Bermudes, dont le dollar, « des Bermudes », est à parité avec le dollar des Etats-Unis.

2) Le poids des activités financières

Quelques données chiffrées simples, tirées des études d’impact fournies par le MAEE ou des renseignements que votre rapporteur a pu réunir, permettent de mesurer l’ampleur du phénomène.

Les Îles Vierges Britanniques en premier lieu apparaissent comme l’un des plus importants territoires de domiciliation financière au monde : quelque 500 000 sociétés s’y sont en effet domiciliées, notamment depuis l’adoption en 2004 d’une législation particulièrement favorable. C’est au cours des années 1980 que le gouvernement a offert l’enregistrement extraterritorial aux entreprises souhaitant se constituer en société dans les îles. Ultérieurement, l’adoption d’autres dispositions législatives, notamment en 1994 d’une loi globale sur les assurances, prévoyant une couverture de confidentialité avec un accès légal réglementé pour les enquêtes concernant les délits, a rendu le territoire encore plus attrayant. On ne s’étonnera donc pas du fait que les frais d’inscription au registre extraterritorial aient peu à peu commencé à générer des revenus qui représentent aujourd’hui 25 % du PIB du territoire. En 2000, un rapport estimait déjà que 41 % des compagnies mondiales étaient enregistrées aux Îles Vierges britanniques. 254 banques, 2 922 fonds mutuels, 364 compagnies d’assurances dont 319 captives y ont aujourd’hui leur siège, aux côtés de nombreux cabinets comptables et cabinets d’avocats.

Avec des actifs estimés à plus de 55 milliards de dollars, ce territoire est donc devenu un lieu réputé et particulièrement profitable pour la finance internationale, ainsi que pour ce petit territoire de 20 000 habitants, qui héberge également 10 % des « hedge funds » (1) mondiaux. En d’autres termes, l’économie des Îles Vierges britanniques est étroitement liée à son statut de pays off-shore parmi les plus prospères des Caraïbes.

La situation est très comparable aux Bermudes où plus de 13 000 sociétés internationales se sont officiellement installées. Outre le tourisme, l’essentiel de l’activité économique consiste également dans les services financiers. Près de 3 300 sociétés locales et plus de 15 600 sociétés internationales, en quasi-totalité exonérées d’impôts, y sont établies. Selon les données de l’étude d’impact, le secteur d’activité de l’entremise financière représentait en 2008 plus de 15 % du PIB et celui des activités des affaires internationales 25,3 % du PIB. Les Bermudes comportaient quatre banques et une société de dépôt fin 2007, qui détiennent 15 succursales aux Bermudes, dont les deux plus importantes ont 33 succursales situées à l’étranger. Les dépôts bancaires représentent à eux seuls près de 23 milliards de dollars pour un PIB de 4,1 milliards de dollars en 2008. Déjà en 2006, près de 8 % des « hedge funds » mondiaux étaient domiciliés aux Bermudes, soit 1 302 fonds recensés pour un actif net de 211 milliards de dollars. Enfin, 1 433 compagnies d’assurances et captives d’assurances y étaient recensées fin 2007. Les Bermudes constituent même le plus important lieu de domiciliation pour les compagnies d'assurance captives au monde (2). Les sociétés installées dans le pays représentent le tiers de la capacité mondiale de réassurance des risques catastrophiques.

Plus de la moitié de l’activité économique et du tiers de l’emploi aux Îles Caïmans relèvent des services financiers qui représentent 1,2 milliard de dollars. L’économie des îles repose sur 250 banques dont des filiales de 40 des 50 plus grandes banques mondiales. 85 000 sociétés sont domiciliées aux Îles Caïmans et 9 500 fonds y sont gérés, soit le tiers des fonds mondiaux. Les Îles Caïmans sont ainsi le second territoire de localisation des sociétés captives d’assurance avec près de 700 sociétés représentant plus de 37 milliards de dollars d’actifs.

En ce qui concerne les Îles Turques et Caïques, selon les éléments fournis par le ministère des affaires étrangères, les informations sont plus parcellaires et datées : en 2005, 11 % du PIB reposait sur l’activité financière offshore et représentait quelque 45 millions de dollars. Le nombre de sociétés domiciliées dépassait les 16 000 en 2003, date à laquelle les dépôts bancaires s’élevaient à près de 540 millions de dollars.

3) Des territoires longtemps peu coopératifs

Longtemps, les îles britanniques des Caraïbes ne sont pas apparues parmi les plus coopératives en matière de transparence de leurs activités financières. C’est le cas notamment des Îles Vierges Britanniques ou des Îles Turques et Caïques qui avaient été identifiées en 2000 comme « non coopératives ». L’un comme l’autre territoire s’était cependant engagé en 2002 à mettre en oeuvre les standards internationaux de transparence et d’échange d’informations. Il fallut néanmoins attendre le printemps 2009 pour que cette annonce soit suivie d’effet, plus sous la pression internationale que par une manifestation soudaine de bonne volonté.

Pour leur part, les Îles Caïmans et les Bermudes avaient échappé in extremis à la qualification de « non coopératives » car elles s’étaient les unes et les autres engagées à rejoindre les standards internationaux en matière de transparence juste avant l’établissement des listes en 2000. Elles n’en ont pas moins attendu fort longtemps, à l’instar des Îles Vierges britanniques et des Îles Turques et Caïques, pour mettre en pratique les standards dans le courant de 2009 seulement. En d’autres termes, c’est bien la pression politique forte de la communauté internationale et spécialement des membres du G20 qui a contraint un ensemble de territoires qui s’y refusaient jusqu’alors à reconnaître effectivement les standards internationaux en matière de transparence et d’échange d’informations.

Au total, selon les informations qui ont été communiquées à votre rapporteur, entre novembre 2005 et février 2010, les Bermudes ont signé des accords d’échange de renseignements avec 17 Etats, en plus de la France : l’Australie, le Royaume-Uni, les Pays nordiques (3), la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Irlande, les Antilles Néerlandaises, le Mexique, Aruba et le Japon. Mis à part les accords conclus avec l’Australie et le Royaume-Uni, qui ont été signés en 2005 et 2007, tous les autres l’ont été à partir du mois d’avril 2009, ce qui confirme si besoin était le rôle de la pression internationale qui a contraint les Bermudes à se soumettre à ces règles.

Il en est de même des Îles Vierges britanniques qui à ce jour ont signé des accords d’échange de renseignements avec 15 autres Etats que la France : les Etats-Unis, en 2002, l’Australie et le Royaume-Uni, en 2008, puis les Pays nordiques, la Nouvelle-Zélande, Aruba, les Antilles néerlandaises, les Pays-Bas et l’Irlande, tous en 2009.

Les Îles Turques et Caïques ont signé des accords d’échange de renseignements avec 12 autres Etats, également à partir de l’été 2009 : l’Irlande, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, les Pays nordiques, la Nouvelle-Zélande et finalement l’Australie, à la fin mars 2010.

Les négociations avec les Îles Caïmans ont permis la signature d’accords d’échange de renseignements avec 13 autres Etats : mis à part les Etats-Unis, qui ont signé dès novembre 2001, toutes les autres conventions ont été conclues à partir d’avril 2009 : les Pays nordiques, l’Irlande, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, les Antilles néerlandaises et l’Australie, finalement, en mars 2010.

Ces signatures ont permis aux Bermudes, aux Îles Turques et Caïques, aux Îles Caïmans et aux Îles Vierges britanniques de quitter la liste grise de l’OCDE et d’intégrer la liste blanche des Etats coopératifs. Depuis le 2 avril 2009, vingt-cinq juridictions, au total, ont fait de même, la liste grise des Etats n’ayant pas signé au moins douze accords permettant l’échange de renseignements fiscaux conformément aux standards internationaux reconnus en la matière ne comportant plus désormais que dix-sept juridictions.

II – L’ARCHITECTURE DES ACCORDS

A – La France et les territoire britanniques des Caraïbes

Dans le cadre de la pression internationale qui a été exercée à partir de l’an dernier par les pays membres du G20, la France a joué un rôle particulier que de précédents rapports ont déjà exposé et sur lequel votre rapporteur ne juge pas utile de revenir, si ce n’est en rappelant que c’est sous l’impulsion de la conférence internationale convoquée à Paris par les ministres des Finances français et allemand à la fin du mois d’octobre 2008 que la situation a commencé de s’améliorer.

En parallèle, la France a relancé ses négociations bilatérales, parfois engagées depuis longtemps sans succès. C’est ainsi que les discussions avec les Îles Caïmans piétinaient depuis 2005 et 2007. Celles avec les Îles Vierges britanniques avaient été lancées en 2004.

Elle a ainsi proposé à l’ensemble des Etats et territoires qui figuraient sur la « liste grise » établie par le Secrétariat général de l’OCDE en avril 2009 de signer des accords d’échange d’informations ou des avenants aux conventions fiscales existantes. A la fin décembre 2009, une douzaine avaient ainsi été conclues, dont celles avec les quatre territoires britanniques d’outre-mer, ainsi que six conventions ou avenants à des conventions fiscales existantes.

Comme le fait remarquer l’étude d’impact des projets de loi qui nous sont soumis, ces accords, signés avec les Bermudes, les Îles Turques et Caïques, les Îles Vierges britanniques et les Îles Caïmans complètent le réseau français de traités internationaux permettant l’échange d’informations fiscales, lequel couvre désormais l’essentiel des Etats et territoires significatifs parmi ceux listés à l’occasion du sommet du G20 du mois d’avril 2009 et quasiment l’ensemble des Etats et territoires concernés sur la zone européenne.

Le premier de ces accords a été conclu avec le gouvernement des Îles Vierges britanniques le 17 juin 2009. Les autres ont été signés dans les semaines qui ont suivi : avec les Îles Caïmans le 16 septembre 2009, avec le gouvernement des Îles Turques et Caïques, le 18 septembre 2009. Celui avec les Bermudes a été signé le 2 octobre 2009.

B – L’équilibre général des accords

Ainsi que votre rapporteur a eu l’occasion de le mentionner, les accords qui sont l’objet des présents projets de loi, ont été négociés sur la base du modèle défini par l’OCDE. Ils répondent en conséquence aux standards internationaux reconnus en matière de transparence et d’échange d’informations fiscales. Ils comportent toutefois des améliorations par rapport au modèle de l’OCDE, s’agissant notamment des impôts couverts par les accords, ou de l’obligation pour les parties de prendre les mesures de nature à garantir la disponibilité des informations et leur propre capacité à y accéder.

Hormis quelques différences de rédaction, les quatre accords dont il s’agit respectent rigoureusement le même schéma et apparaissent en tous points identiques, dans le but, réaffirmé dans les différents préambules, de faciliter l’échange de renseignements fiscaux entre les parties.

Pour ce faire, une assistance en matière fiscale par échange de renseignements est prévue, objet de l’article 1er de chaque accord, de manière à aider les Parties contractantes à appliquer leur législation en ce qui concerne les impôts visés par l’accord. Par renseignements, les Parties conviennent, dans chacun des accords, qu’il s’agit de ceux qui sont « pertinents pour la détermination, l’établissement, le contrôle et la perception de ces impôts, pour le recouvrement et l’exécution des créances fiscales, ou pour les enquêtes ou les poursuites en matière fiscale » (article 1er des accords), étant entendu que seuls les renseignements détenus par les autorités compétentes sont concernés (article 2).

Les impôts visés par les accords sont, dans chaque cas, l’ensemble des impôts existants prévus par les dispositions législatives et réglementaires des parties. Les futurs impôts, qui viendraient à être créés après la signature des accords sont également concernés. De même est-il prévu que les accords s’appliquent à tous les autres impôts dont peuvent convenir les Parties contractantes. Ces dispositions sont l’objet des articles 3 des différents accords.

Les modalités de mise en œuvre des accords sont détaillées aux articles 5. Il est précisé, comme règle de base, que « l’autorité compétente de la partie requise est tenue de fournir les renseignements sur demande par écrit aux fins visées à l’article 1er », tant en matière fiscale pénale que non pénale. Le paragraphe 2 des articles 5 précise au demeurant que, dans l’hypothèse où elle ne dispose pas des renseignements qui lui sont demandés, la Partie requise est tenue de prendre toutes les mesures adéquates de collecte des renseignements nécessaires pour fournir à la Partie requérante les renseignements demandés, même si elle n’en a elle-même pas besoin pour ses propres fins fiscales. En d’autres termes, une obligation de résultat incombe aux parties contractantes.

Dans le même esprit, votre rapporteur relève notamment que le fait que des personnes bénéficient de certains privilèges en droit interne, ne peut justifier le rejet d’une demande dans des conditions autres que celles expressément prévues par les accords.

Les accords prévoient dans leurs articles 6 une forme d’examen sur pièce et sur place au bénéfice de représentants de la Partie requérante qui peuvent être autorisés « à entrer sur le territoire de la partie requise pour interroger des personnes physiques et pour examiner des documents, avec le consentement écrit préalable des personnes concernées. »

Pour des raisons de non respect des formes prévues aux accords, ou lorsque « la divulgation des renseignements demandés serait contraire à l’ordre public », la Partie requise peut refuser l’assistance qui lui est demandée. L’article 7 des accords précise en outre que peuvent être rejetées les demandes discriminatoires, soit à l’encontre des ressortissants de la partie requise, soit de la partie requérante. Il indique enfin logiquement qu’une Partie n’est pas obligée de fournir des renseignements qui divulgueraient un secret commercial, industriel ou professionnel ou un procédé commercial.

La question de la confidentialité des renseignements demandés fait l’objet des articles 8 des accords. Il est précisé en premier lieu que les renseignements doivent être utilisés conformément à l’objet de l’accord, mais qu’ils peuvent aussi être « peuvent être utilisés à des fins autres que celles visées à l’article 1er avec l’autorisation préalable, écrite et expresse de la Partie requise. » Ils ne peuvent être divulgués qu’aux personnes ou autorités - y compris juridictionnelles et administratives - concernées par l’accord.

Enfin, parmi les dispositions à relever, votre rapporteur note qu’il incombe aux parties signataires d’adapter leur législation interne afin de rendre effectif l’échange d’informations prévu dans l’accord et permettre notamment « la disponibilité des renseignements, l’accès à ces renseignements, l’échange de ces renseignements. » (Article 10).

C – Les perspectives quant à l’application d’accords contraignants.

La présentation de ces quatre accords appelle de la part de votre rapporteur quelques rapides commentaires.

En premier lieu, il apparaît que leur champ d’application est le plus large possible, puisqu’il porte sur l’ensemble des impôts existants ou à venir, sans restriction. En cela, comme sur d’autres aspects que votre rapporteur a relevés, les accords dont il s’agit sont plus extensifs que ceux conclus selon le modèle de l’OCDE qui énumère les impôts couverts par le champ des dispositifs, et il convient de saluer cet aspect à sa juste mesure.

Les accords sont de plus relativement contraignants, dans la mesure où les parties requises ont des obligations précises, notamment celles de satisfaire aux demandes ou d’adapter leurs législations internes. La possibilité d’enquêtes ou de contrôles fiscaux à l’étranger, exercés par des représentants de l’Etat requérant, semble également de nature à conférer à ces dispositifs une garantie d’effectivité importante.

De même, le fait que les accords s’appliquent non seulement aux personnes physiques, mais aussi aux personnes morales, trusts ou fondations par exemple ou encore que le secret bancaire ne pourra être opposé au requérant, leur confère-t-il une certaine ambition qu’il convient de souligner, sachant quelle était, naguère encore, la politique des territoires concernés.

Selon les informations que votre rapporteur a pu obtenir, les législations internes des Bermudes et des Îles Caïmans ont commencé à être examinées depuis mars 2010 de façon à s’assurer que leur législation interne ne fait pas obstacle à l’échange de renseignements ; celles des Îles Turques et Caïques et des Îles Vierges britanniques le seront au cours du premier semestre 2011. Il est prévu que la mise en œuvre effective de l’échange d’informations ferait quant à elle l’objet d’un examen au cours du second semestre 2012 pour les Bermudes, les Îles Caïmans et les Îles Vierges britanniques et enfin au cours du premier semestre 2013 pour les Îles Turques et Caïques. En d’autres termes, il semble à votre rapporteur que l’on se hâte lentement en matière d’échange de renseignements fiscaux. Il est à espérer que l’effectivité des accords en sortira renforcée.

Ces délais peuvent en effet être considérés comme relativement longs, même s’ils le sont moins que dans le cadre d’autres accords. Malgré tout, votre rapporteur considère que l’on peut sans doute se montrer optimiste quant à l’application de ces accords : ils permettront en effet aux territoires concernés de retrouver une certaine respectabilité au niveau international. Considérés comme peu coopératifs il y a peu encore, la pression internationale les a incités à finalement signer en un temps très bref plusieurs textes pour lesquels les discussions achoppaient depuis des années. Le souci de quitter la liste grise de l’OCDE a de toute évidence produit son effet.

Au demeurant, si les accords signés ne devaient finalement pas permettre un échange effectif de renseignements, les conséquences en seraient tirées à deux niveaux. La revue par les pairs réalisée par le Forum mondial, en premier lieu, entraînerait une dégradation de l’appréciation des juridictions en cause. Ensuite, au plan bilatéral, la France pourrait ajouter à sa liste d’Etats et de territoires non coopératifs tout Etat ou territoire ayant conclu une convention d’assistance administrative dont les stipulations ou la mise en œuvre n’ont pas permis d’obtenir les renseignements fiscaux demandés. Elle pourrait aller jusqu’à dénoncer les accords si ceux-ci ne pouvaient pas être mis en œuvre, ce qui aurait pour effet de dégrader la notation des juridictions concernées en termes de transparence fiscale.

L’impact de ces accords sera évalué par rapport à leur mise en œuvre. Ainsi, il importe que la France veille à la bonne coopération administrative avec ces quatre juridictions, au regard notamment de la qualité des renseignements qui lui seront transmis et des conséquences que l’administration fiscale française en tirera par la suite en termes de contrôle fiscal.

CONCLUSION

Si les conséquences économiques de la mise en œuvre des accords, en regard de la fraude fiscale, que la France peut en retirer sont pour le moment, de l’aveu même des études d’impact annexées aux projets de loi, impossibles à estimer « même en termes d’ordre de grandeur », il n’en reste pas moins que le fait qu’ils aient été signés est en soi un signe fort : il marque l’attention résolue que la communauté internationale porte désormais à ces questions et tout particulièrement aux pays et territoires signataires dont on imagine mal qu’ils montrent aujourd’hui quelque velléité de revenir à la situation antérieure.

Quand bien même en serait-il ainsi, un processus international a été lancé, qui s’est renforcé au fil des sommets du G20 où cette question figure à l’agenda parmi les priorités. Pour sa part, la France joue un rôle majeur dans cette lutte contre les paradis fiscaux. Les signataires seraient-ils tentés de ne pas modifier en profondeur leurs comportements, de ne pas réellement jouer le jeu, que les uns et les autres sauraient leur rappeler les obligations qu’ils ont contractées en signant ces accords.

Au terme de son analyse, votre rapporteur vous recommande en conséquence d’approuver les projets de loi qui sont soumis à notre commission. L’approbation de ces accords marque une étape importante dans la cohérence des dispositifs internationaux en la matière.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine les présents projets de loi au cours de sa réunion du 2 juin 2010.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. Lionnel Luca. Sans reprendre ce qui a été dit précédemment, la multiplication des accords de cette nature témoigne d’une évolution incontestable en matière de lutte contre les paradis fiscaux. Je m’interroge néanmoins sur l’attitude de la Grande-Bretagne sur ces questions. Il serait utile que nous ayons des éléments plus précis sur ce point ainsi que sur la capacité de l’Union européenne à infléchir la position britannique.

M. le président Axel Poniatowski. Cette question devra en effet être abordée lors de l’évaluation de ces accords. Il conviendrait de s’assurer que la Grande-Bretagne figure toujours parmi les signataires de douze conventions exigées par l’OCDE.

M. Rudy Salles. Je tiens à rendre hommage au rapporteur et à le remercier pour son cours de géographie. Je me permets de réitérer le souhait que j’ai formulé dans mon intervention précédente quant à la nécessité d’un suivi de ces accords.

Mme Chantal Bourragué. Je m’associe aux remarques précédentes de mes collègues. Il me semble que les établissements bancaires français ont reçu du ministère des finances des recommandations particulières concernant leurs établissements dans ces îles. Qu’en est-il ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Il est vrai que la France est présente au travers de ses établissements bancaires dans ces îles et que ceux-ci en tirent probablement quelques facilités.

M. Jean-Claude Guibal. Je souhaite poser une question connexe : avons-nous des informations sur l’origine des fonds, notamment le blanchiment, qui transitent par ces pays ?

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Nous ne disposons pas d’informations précises sur cette question.

M. François Loncle. J’indique que le groupe socialiste s’abstient sur ces projets de loi, non pour désavouer l’excellent rapport de M. Kucheida mais pour regretter que les efforts en matière de lutte contre les paradis fiscaux n’aillent pas plus loin, faisant écho à l’intervention de Mme Guigou.

M. Jean-Pierre Kucheida, rapporteur. Je vous rappelle qu’un seul des quatre Etats a procédé à la notification nécessaire à l’entrée en vigueur des accords.

La commission adopte sans modification les projets de loi (n°s 2324, 2325, 2326, 2337).

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* *

La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, les présents projets de loi dans les textes figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTES DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (4)

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Turques et Caïques relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris le 18 septembre 2009 et à Waterloo le 5 octobre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

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Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Bermudes relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris le 2 octobre 2009 et à Hamilton le 8 octobre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

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Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Caïmans relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale (ensemble une annexe), signées à Paris le 16 septembre 2009 et à George Town le 30 septembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

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Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des Îles Vierges britanniques relatif à l’échange de renseignements en matière fiscale, signé à Paris le 17 juin 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte des accords figure en annexe aux projets de loi (n°2324, 2325, 2326 et 2337).

© Assemblée nationale

1 () « Hedge funds : littéralement, fonds de couverture. Appellation désignant communément les fonds d’investissement utilisant l’endettement ou les produits dérivés pour améliorer leur performance. À l’origine, la « couverture » permettait de limiter le « risque ». Source : Autorité des marchés financiers, « La gestion alternative », Collection : « Les clefs pour comprendre », décembre 2006.

2 () Une captive est une compagnie d’assurance appartenant à une société ou un groupe dont l’activité principale n’est pas l’assurance et qui assure les risques de sa maison mère

3 () Les pays nordiques mènent une stratégie de négociations multilatérales. Ce groupe est habituellement constitué de 7 pays : le Danemark, la Finlande, le Groenland, les Îles Féroé, l’Islande, la Norvège et la Suède

4 () pour les projets de loi n°s 2324, 2325, 2326 et 2337.