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N
° 2993

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 1er décembre 2010.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI, adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise,

par M. Jean-Marc NESME

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Voir les numéros  :

Sénat : 583 (2008-2009), 459, 460 et T.A. 117 (2009-2010).

Assemblée nationale : 2561.

INTRODUCTION 5

I – L’OBJECTIF POLITIQUE DE L’ACCORD DE COOPERATION 7

A – LE CONTEXTE : RENFORCER L’ETAT LIBANAIS 7

B – UN CADRE JURIDIQUE POUR UNE AMBITION POLITIQUE 8

1) L’objectif politique de l’accord 8

2) Un accord nécessaire pour l’armée libanaise 9

3) La coopération militaire avec d’autres pays 13

II – LES LIBANAIS SOUHAITENT-ILS TOUS LE RENFORCEMENT DES FORCES MILITAIRES DE LEUR PAYS ? 15

A – ENTRE UNITÉ ET COMMUNAUTARISME 15

1) L’armée, reflet du fragile équilibre confessionnel du Liban 15

2) Le hezbollah, principale force rivale de l’armée 16

3) Les autres milices 17

B – UNE COOPÉRATION FRANÇAISE AXÉE SUR LE LONG TERME 18

CONCLUSION 19

EXAMEN EN COMMISSION 21

ANNEXE – TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 25

Mesdames, Messieurs,

L’analyse du projet de loi (n° 2561), adopté par le Sénat, autorisant l’approbation de l’accord de coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise peut être résumée en une affirmation et une question : la France a la volonté de renforcer l’armée libanaise pour restaurer l’autorité de l’Etat libanais. Mais les Libanais souhaitent-ils tous renforcer leur armée ?

Le contexte dans lequel s’inscrit cet accord de coopération est en effet particulier. L’autorité de l’Etat libanais sur son territoire et sa population n’est pas pleine et entière. L’armée, dont la valeur professionnelle des personnels a été maintes fois constatée, est sous-équipée pour assumer ses missions en raison de budgets d’investissement très faibles et ne peut espérer en cas de conflit réduire les milices, notamment celle du Hezbollah. Des troupes françaises sont enfin présentes sous le mandat de la FINUL au Sud Liban, dont l’espace aérien est quotidiennement violé par l’armée de l’air israélienne.

Il importe en conséquence d’analyser l’objectif que poursuit la diplomatie française avec la signature de cet accord, l’intérêt qu’elle espère en retirer et les risques éventuels qu’il peut faire courir pour nos forces au Sud Liban

I – L’OBJECTIF POLITIQUE DE L’ACCORD DE COOPERATION

L’accord signé à Beyrouth le 20 novembre 2008 par M. Hervé Morin, alors ministre de la Défense, lors d’une visite conduite par M. François Fillon, Premier ministre, contient les dispositions classiques de ce type de document, en fixant notamment le cadre général de la coopération militaire entre la France et le Liban. D’emblée, votre Rapporteur souligne qu’il ne s’agit pas d’un accord de défense qui contiendrait des clauses d’engagement de nos forces au Liban, mais que ce texte se limite à organiser une coopération dont l’objet est de renforcer les capacités humaines et techniques de l’armée de ce pays, en tant que de besoin, à la demande de la partie libanaise. Cette nuance est importante car elle limite le risque lié à toute assistance à un pays où la tension entre partis politiques, représentatifs des différentes communautés religieuses, est largement palpable.

Le contenu de l’accord, très général –il s’agit d’un accord cadre, pour reprendre une terminologie en usage dans les milieux diplomatiques – présente moins d’importance que le principe même de sa signature. Il témoigne de la volonté de la France de rester aux côtés d’un pays où elle entretient une présence séculaire. Le volet politique de l’accord prime, avec comme objectif central le renforcement de l’Etat libanais.

A – Le contexte : renforcer l’Etat libanais

L’accord de défense signé en novembre 2008 constitue un élément supplémentaire de l’appui que la France apporte au Liban pour sa reconstruction. Outre les très nombreuses visites au plus haut niveau entre responsables des deux pays (notamment la visite du Président Nicolas Sarkozy le 7 juin 2008 à Beyrouth, suivie des visites du Président Michel Sleimane en juillet 2008, puis en mars 2009 à Paris), la France assiste en permanence l’Etat libanais et ses institutions pour que le Liban retrouve son unité, sa stabilité et qu’il restaure sa souveraineté, conformément aux résolutions n° 1559 et n° 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Fidèle à son engagement envers ce pays, la France a ainsi accueilli en janvier 2007 la conférence de Paris pour la reconstruction du Liban, puis en juillet 2007 la rencontre interlibanaise qui devait apaiser les tensions confessionnelles. Elle décline toute une palette d’actions pour restaurer l’Etat libanais et la sécurité de ses frontières. Elle travaille à la normalisation des relations entre Beyrouth et Damas et demeure engagée au Sud Liban, au sein de la FINUL dont elle forme le deuxième contingent. La consolidation de l’Etat de droit et la modernisation de l’administration sont des axes majeurs de la coopération française, au travers de partenariats avec l’école nationale de la magistrature, la réforme de l’institut d’études judiciaires pour la formation des magistrats et celle de l’institut des finances, qui perfectionne les cadres du ministère du budget.

Le partenariat financier demeure important : la France est un des principaux bailleurs du Liban auquel elle a accordé à deux reprises des prêts de 500 millions d’euros. Leur décaissement est lié aux réformes de structures accomplies par Beyrouth dans des secteurs comme l’administration, l’électricité et les télécommunications.

Dans le domaine militaire, c’est à la suite du conflit de l’été 2006 au Sud Liban que les deux parties ont souhaité rénover le cadre juridique de leur coopération, qui était régie par un accord de juillet 1975 relatif aux coopérants techniques militaires. Le ministère de la Défense, en France, a considéré qu’il fallait rédiger un nouveau texte dans la mesure où d’une part le conflit avait révélé les lacunes de l’armée libanaise et où d’autre part des troupes françaises allaient être présentes sur le sol libanais, sous l’égide des Nations Unies. Le renforcement de l’armée libanaise, condition de la restauration de l’autorité de l’Etat, est en effet la condition d’un désengagement futur de la France au Sud Liban, notre pays ne souhaitant pas y pérenniser sa présence.

Engagée en janvier 2007, la négociation s’est achevée en juillet 2008 et n’a pas présenté de difficulté majeure, les seuls points délicats étant d’ordre fiscal et douanier. A ce jour, le Parlement libanais n’a pas encore autorisé la ratification de cet accord mais il devrait y procéder prochainement.

B – Un cadre juridique pour une ambition politique

1) L’objectif politique de l’accord

L’objectif politique de l’accord est de renforcer l’armée libanaise, outil essentiel de l’Etat pour assurer la sécurité des frontières et la protection des citoyens. Cette armée n’est pas en mesure d’accomplir actuellement ces deux missions. L’objectif est donc de long terme.

L’accord se divise en trois parties. Les articles 1er à 5 précisent le cadre général de la coopération entre les deux pays ; les articles 6 à 13 prévoient le statut des forces françaises présentes au Liban dans le cadre de cet accord ; enfin, les articles 14 à 17 contiennent les dispositions finales de l’accord.

Dans la première partie, l’article 2 prévoit le champ de la coopération militaire. Les dispositions en sont classiques, avec des échanges de vues sur les questions de défense et de sécurité ou des échanges d’informations et d’expériences. Les alinéas d à g constituent les points essentiels de cet article, avec l’organisation des armées, leur équipement, leur entraînement et le partenariat dans des sociétés de défense. En d’autres termes, ils permettent à la France, sur demande de Beyrouth, d’instruire des unités de l’armée libanaise et de vendre des équipements militaires.

Les articles 3 et 4 organisent les échanges institutionnels entre les deux pays dans le domaine militaire. Il est notamment constitué une commission militaire mixte franco-libanaise, chargée de définir la conception générale de la coopération bilatérale dans le domaine de la défense.

La deuxième partie de l’accord est relative au statut des forces françaises qui seraient présentes dans le cadre de la coopération militaire entre les deux pays. Elle ne concerne pas les forces présentes au sein de la FINUL, régies par un autre statut. L’article 6 comprend les dispositions relatives à la renonciation mutuelle à un recours en cas de dommages humains et matériels. L’article 7 précise les règles de partage de juridiction entre les deux parties et prévoit, à de rares exceptions (cas de trahison, sabotage, espionnage, négligence dans le service, etc…) que les tribunaux libanais sont compétents en cas d’infraction commise par un membre du personnel français. Les articles 8 à 10 portent sur les conditions d’entrée et de séjour des personnels français, de conduite de véhicules et de détention d’armes.

La troisième partie de l’accord contient les dispositions relatives à sa bonne application. L’article 14 prévoit que des accords dérivés peuvent être signés conformément à l’accord cadre, pour sa mise en œuvre. L’article 15 interdit les échanges d’informations classifiées tant qu’un accord de sécurité sur ce type d’information n’est pas signé.

Ainsi rédigé, l’accord constitue un outil d’une grande souplesse, permettant à la France d’assister le Liban dans le domaine militaire et d’aider l’Etat libanais à exercer sa pleine souveraineté

2) Un accord nécessaire pour l’armée libanaise

La plupart des experts militaires jugent que l’armée libanaise est d’un bon niveau professionnel. Ses personnels sont des militaires aguerris, connaissant leur métier. Mais elle est insuffisamment équipée, démunie d’avions de combat et d’une marine de haute mer, mal financée et souffre de sous-effectifs. Malgré cette situation, elle est paradoxalement le seul garant de la stabilité et de l’unité fragile du pays, en raison de son caractère multiconfessionnel.

Sous le commandant en chef du général Jean Kahwagi et du chef d’état-major : Shawki El Masri, l’armée libanaise comprend environ 75 000 hommes, sous statut professionnel, la conscription ayant été définitivement supprimée le 10 février 2007.

Le budget annuel est d’environ 412 millions d’euros, à raison de 80% en dépenses de fonctionnement. La part consacrée à l’investissement en équipements nouveaux est résiduelle, à hauteur de 5% seulement, soit 21 millions d’euros.

Les forces terrestres compteraient entre 45 000 et 60 000 hommes ainsi répartis : 5 commandements de régions, 11 brigades mécanisées, la brigade de la garde républicaine, la gendarmerie, 1 régiment de commandos, 1 régiment de commandos de marine, 5 régiments d’intervention, 1 régiment aéromobile et 2 régiments d’artillerie, auxquels s’ajoutent les unités de support : services médicaux, brigade de support, brigade logistique, police militaire et régiment autonome des travaux.

Equipement des forces terrestres libanaises

Chars

T-54/T-55, M-48 A1/A5, Léopard 1 , Char M60

200 + 110 + 43 + 10

Véhicules de transport de troupes (en service avant la avant la guerre du Liban)

M59, Panhard M-3, Chaimite, AMX-VCI, AMX-13 VTT, FV-603 Saracen, M125A2 (avec 81 mm mortar), Universal Carrier, Cadillac Gage V-100 Commando

 

Véhicules de transport de troupes

M113A1/A2, VAB VCI

1112 + 80

Chars légers déclassés (en service avant et/ou durant la guerre du Liban)

AMX-13

 

Chars légers

YPR-765, M-109 de 155mm, AIFV (tourelle canon de 25mm)

16 + 20 + 16

Véhicules légers de reconnaissance

AML 90, AIFV

60 + 16

L'armée de terre possède également une variété d'équipement d'artillerie et de systèmes de missiles sol-sol, mais ils sont souvent anciens.

Artillerie et missiles des forces terrestres libanaises

Artillerie remorquée

M101 howitzer(105 mm), D-30 (122 mm), 122-mm howitzer M1938 (M-30)(122 mm), M-46 (130 mm), M114 155 mm howitzer

A1 (155 mm), M-198(155mm), Model 50 (155 mm)

147

Défenses antiaériennes

M42 Duster, ZU-23 (23 mm), SA-7A/SA-7B Grail

30

Missiles antichar guidés

ENTAC, MILAN, BGM-71 TOW, RPG-7, M72 LAW, M65 Rocketlauncher

70

Systèmes d'artillerie lance-roquettes

BM-21, BM-11

30

Véhicules

Land Rover Defender, M151 MUTT jeep, CUCV, HMMWV 'Humvee', AIL M-325 Commandcar, M35A3

3100

Armes standards d'infanterie (avant la guerre du Liban)

fusils semi-automatiques MAS 1949-1956, Sertling Mk 4 PM MAT 49, BREN, FN CAL, M16A1, MG34, Browning GP, Walther P38 .

 

Arme standards d'infanterie (guerre du Liban/année 2010)

M16, CAR-15, AKMS, FN P90, FN FAL, , Colt M4, AK-74, AKS-74U, AKM/ AKMS, AK-47, MP5, HK G3, , HK 33, SVD, RPK, FN MAG, PKM, Browning M2

 

Armes lourdes d'infanterie

M40 recoilless rifle, divers mortiers

 

Les forces navales, responsables de la protection des eaux territoriales du Liban, de la protection des ports et de la répression de la contrebande, sont basées à Beyrouth et Jounieh. Elles disposent essentiellement d’unités légères.

Bâtiments des forces navales

Bateaux de support de combat

Construction britannique

27

EDIC

EDIC (Engins de Débarquement d'Infanterie et de Chars) Damour et Tyr, offerts par la France

2

Patrouilleurs

TRACKER-Class, ATTACKER-Class

5+2

Craft Boats

patrouilleur de 36m avec quelques capacités de navigation en haute mer

2

Enfin, l'armée de l’air libanaise possède approximativement 23 hélicoptères Bell UH-1H (qui appartenaient auparavant à l'armée américaine). Ils sont utilisés dans tout le pays pour différentes missions. Elle n’a pas d’avions de chasse ni de bombardiers, ce qui la rend inapte à protéger son espace aérien face aux incursions d’Israël.

Hélicoptères de l'armée de l'air

UH-1H Huey

Transport de troupes / Forces spéciales / Surveillance des frontières / Recherche et secourisme

23

R44 Raven II

Formation des pilotes / Surveillance / Transport VIP

4

Bell 212

Transport de troupes / Recherche et secourisme

4

Gazelles

Hélicoptères d'attaque / Appui de troupes

8

Puma

 

4 (6 en attente)

Sikorsky S-61

Recherche et secourisme

3

Agusta Westland AW139

Transport VIP

1

Elle a récemment acquis 4 nouveaux hélicoptères Robinson R44 Raven II, pour la formation des nouveaux pilotes et pour la surveillance du territoire. Ce nouvel escadron est situé à la base aérienne de Rayak, dans la partie Est du pays. En 2007, 4 hélicoptères AB212 ont été remis en service à la suite de la réception de pièces de rechange dans le cadre d'un programme d'aide américain, et 9 hélicoptères Gazelles ont été reçus des Émirats arabes unis. En décembre 2008, la Russie avait annoncé que dix MIG 29 seraient délivrés à l'armée libanaise en 2009, mais la livraison n’a jamais été effectuée. Ils devraient être remplacés par une série d’hélicoptères MI-24, plus en adéquation avec les moyens d’entretien de l’armée libanaise.

Hélicoptères de l'armée de l'air

UH-1H Huey

Transport de troupes / Forces spéciales / Surveillance des frontières / Recherche et secourisme

23

R44 Raven II

Formation des pilotes / Surveillance / Transport VIP

4

Bell 212

Transport de troupes / Recherche et secourisme

4

Gazelles

Hélicoptères d'attaque / Appui de troupes

8

Puma

 

4 (6 en attente)

Sikorsky S-61

Recherche et secourisme

3

Agusta Westland AW139

Transport VIP

1

Compte tenu d’un tel état des lieux, l’armée libanaise a un besoin vital d’intensifier sa coopération avec la France, qui a vocation à s’exercer dans tous les domaines. Elle poursuit une phase de professionnalisation que notre pays se doit d’accompagner. L’attaché militaire français à Beyrouth a pour rôle de déterminer au mieux les besoins que les militaires libanais ont du mal à exprimer. Là réside le principal problème. La faiblesse du budget d’investissement empêche en effet toute planification cohérente de long terme, obligeant l’armée à des achats disparates auprès de fournisseurs variés, au coup par coup en fonction de ses disponibilités financières. Une telle politique ne favorise pas l’efficacité opérationnelle en raison de la diversité des matériels ainsi acquis.

A l’heure actuelle, la coopération de défense franco-libanaise repose essentiellement sur des transferts de compétence et de savoir-faire, les transferts d’équipements étant plus rares. Chaque année, des militaires libanais sont formés dans des écoles des armées et de la gendarmerie françaises (40 officiers et 8 sous-officiers en 2010). Des stages sont également dispensés au Liban dans des domaines aussi variés que le déminage, ou le tir d’élite.

L’on relèvera que d’autres pays entretiennent des relations militaires avec le Liban, en raison de sa situation géographique aux frontières d’Israël et de la Syrie et que l’Iran vient de lui faire récemment une offre d’assistance.

3) La coopération militaire avec d’autres pays

Les Etats-Unis et le Liban entretiennent une coopération militaire en vertu d’un plan quinquennal (2009-2013), à hauteur de 150 millions de dollars par an versés par Washington. Les Etats-Unis sont de loin le premier partenaire militaire du Liban. Les deux pays ont institué un comité militaire mixte qui se réunit deux fois par an. Le Congrès a bloqué cette aide en août 2010 à la suite des incidents de l’été dernier à la frontière libano-israélienne, l’armée libanaise ayant déclenché le feu la première. Les financements devraient toutefois reprendre prochainement à la demande du Président des Etats-Unis, soucieux de maintenir la présence américaine face à une influence iranienne grandissante.

L’Italie a également signé un accord de coopération avec le Liban en 2004, qui contient des dispositions similaires avec l’accord signé avec la France, donnant ainsi accès au marché libanais aux exportateurs d’armes italiens.

Les Emirats arabes unis ont cédé au Liban des hélicoptères Gazelle que la France doit remettre en état, mais ce contrat, de 20 millions d’euros, représente la quasi totalité du budget d’investissement militaire libanais.

La France, dans ce contexte, se doit de demeurer présente au Liban si elle veut y conserver son influence et préserver des parts de marché pour les équipements militaires, même s’il s’agit d’un marché très étroit.

L’offre d’assistance militaire que vient de proposer l’Iran, à l’occasion de la visite du Président Ahmadinejad au Liban le 13 octobre dernier, présente à l’évidence un caractère politique. Une coopération militaire institutionnalisée entre Téhéran et Beyrouth donnerait accès à l’Iran aux frontières d’Israël et aux rives de la Méditerranée. Elle doit être prise au sérieux, dans un pays où l’influence de Téhéran, via la communauté chiite, est importante et où elle pourrait être à des conditions financières avantageuses. Bien que de nombreux Libanais se défient de l’Iran, Beyrouth pourrait ne pas avoir d’autre alternative que d’étudier les propositions de Téhéran, n’ayant officiellement que peu de moyens financiers pour équiper son armée.

II – LES LIBANAIS SOUHAITENT-ILS TOUS LE RENFORCEMENT DES FORCES MILITAIRES DE LEUR PAYS ?

L’armée libanaise est le reflet des équilibres fragiles et des contradictions du Liban. Unitaire et multiconfessionnelle dans son principe, elle a du mal à s’imposer face à des milices, notamment à celle du hezbollah, et il semble que le communautarisme y prenne une part croissante. Elle est néanmoins le symbole de l’unité à laquelle aspirent de nombreux Libanais, à défaut d’en être la garante.

A – Entre unité et communautarisme

1) L’armée, reflet du fragile équilibre confessionnel du Liban

L’armée libanaise est incontestablement multiconfessionnelle, y compris dans la composition de ses unités. Elle s’efforce de reproduire en son sein le fragile équilibre confessionnel du pays. Les communautés religieuses opèrent ensemble au sein de l’armée. Mais comme l’ont montré plusieurs évènements, l’unité rencontre des limites s’il s’agit pour elle d’affronter une communauté.

Cette situation induit un double comportement. L’armée agit avec le soutien de la population si elle est attaquée par des éléments étrangers, mais elle est dans l’incapacité d’imposer la loi de l’Etat sur l’ensemble de son territoire.

Le soutien de la population a été démontré chaque fois que l’armée a été confrontée à des attaques d’origine étrangère. Ce fut le cas lorsque des membres du camp de palestiniens de Nahr El Bared, au Nord du pays, se sont attaqués à des soldats en faction. Il y eu alors une réaction d’unité nationale et des particuliers ont même prêté leurs armes à l’armée afin qu’elle puissent répondre aux agissements des insurgés palestiniens. Lorsque des soldats israéliens ont abattu le 3 août 2010 un arbre au niveau de la ligne de séparation entre les deux pays et que l’armée libanaise a ouvert le feu (quatre morts, dont deux militaires libanais et un officier israélien), l’image de l’armée s’est affermie dans l’opinion publique.

Lors de son audition par votre Rapporteur, le 17 novembre dernier, M. Pierre Bouassi, représentant des forces libanaises (FL) en France, a souligné le soutien dont jouissait l’armée au sein de l’opinion publique et indiqué que ce soutien dictait l’attitude des FL, favorables à la souveraineté du Liban et à la restauration des pouvoirs de l’Etat.

L’armée libanaise est cependant fragilisée par un communautarisme croissant. Celui-ci trouve son origine dans les carences du recrutement, lié à la suspension du service militaire en 2007, qui a abouti à la diminution des candidats chrétiens. Ces derniers semblent se méfier d’une armée qui, avec l’abandon de la conscription, pourrait perdre son caractère national. En outre, la sous-représentation des chiites au sein du corps des officiers laisse à penser que ces derniers se sentent mieux protégés par leur milice. Quelques unités feraient sans doute allégeance à une quelconque communauté en cas de reprise d’une guerre interconfessionnelle sans qu’il soit possible d’analyser la profondeur du phénomène.

A titre d’exemple, les troupes libanaises se gardent bien de gêner l’activité du hezbollah au Sud Liban. Cette attitude, dictée par un rapport de force qui leur est défavorable, illustre la perte de souveraineté de l’Etat libanais au Sud du pays, due aux limites opérationnelles de l’armée.

Dans ce contexte, l’aide occidentale vise à renforcer la capacité et la cohésion des forces militaires. En les renforçant techniquement, en leur donnant les moyens d’agir, les alliés du Liban envoient un signal clair indiquant qu’ils soutiennent l’Etat et la souveraineté du pays. A contrario, toute suspension de l’aide est exploitée par les milices. Ainsi, le hezbollah a argué de la suspension de l’aide américaine pour affirmer que sa résistance militaire contre Israël était indispensable pour compenser l’incapacité de l’armée libanaise à faire face à une attaque extérieure. Ce type d’argument a été repris par le général Michel Aoun, allié du hezbollah depuis quelques années, lors de son audition par la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, le 17 novembre 2010.

Il existe donc un double discours au Liban. Officiellement, le Gouvernement comme les milices souhaitent le renforcement de l’armée. Mais certains hommes politiques et certaines milices n’y ont pas forcément intérêt, dès lors qu’ils ne jouent pas le jeu de l’unité nationale. Quand le chef du hezbollah, Hassan Nasrallah, affirme ainsi que le Liban n’est qu’une fiction, il est difficile de penser qu’il est un partisan d’une armée libanaise apte à assumer ses missions.

2) Le hezbollah, principale force rivale de l’armée

Le hezbollah (« parti de Dieu ») fondé en juin 1982 est un mouvement politique chiite libanais couplé à une branche armée (Al-Muqawama al-Islamiyya fi lubnan, résistance islamique au Liban). Cette dernière fut créée en réaction à l'invasion israélienne au Liban en 1982, en s'appuyant sur un financement iranien. A l’issu de la guerre civile libanaise (1975 à 1990), le hezbollah est demeuré la plus importante milice au Liban. Son armement constitue le principal obstacle à la restauration complète de l’autorité de l’Etat. Mais comme il se présente comme le principal vecteur de la résistance contre Israël, il reçoit, notamment depuis l’invasion de 2006, un fort soutien de la population.

Le hezbollah détiendrait 40 000 roquettes environ et rassemblerait plus de dix milles combattants. Il s’agirait en réalité de 1000 miliciens actifs et de 6 000 à 9 000 volontaires, moins aguerris. Toutefois, Hassan Nasrallah affirme lui-même que dans la communication des effectifs et des équipements, se joue une guerre psychologique avec Israël.

Il disposerait de trois structures logistiques. La première, appelée unité 108, est chargée d'assurer le transport des armes et des munitions entre ses sites de stockage implantés en Syrie et d'autres infrastructures situées à la frontière syro-libanaise, où la milice chiite a renforcé ses bases. Elle détient à cette fin des entrepôts à proximité de l’aéroport de Damas (les livraisons iraniennes d’armes se feraient par voie aérienne) et dans les environs d’Alep, au Nord du pays. L'unité 112 serait pour sa part chargée de l'approvisionnement des dépôts du hezbollah situés au Liban et de la distribution des armes fournies par l'unité 108 auprès des bases du parti chiite, dans la plaine de la Bekaa, notamment. Les convoyages se font par camions, sans doute avec l’appui des autorités syriennes. Enfin deux «sections spécialisées » de l'unité 100 transportent les membres et les combattants du hezbollah, ainsi que les experts iraniens, qui se déplacent entre le Liban, la Syrie et l'Iran, via l'aéroport de Damas.

Roquettes et missiles détenus par le hezbollah

(estimation)

Nom

Calibre

Portée

(en km)

Poids

Katyusha

BM-21

122

20

21

BM-27

220

40

100

Fajr-3

230

45

45

Shahin I (Ra'ad 1)

333

13

190

Shahin 2

333

29

190

Fajr-5 (Khaibar-1)

333

75

90

Fateh-110

170

200

500

Arash (roquette)

122

20

18

Oghab (roquette)

230

45

70

Zelzal-2

610

100

600

3) Les autres milices

La fin de la guerre civile n’a pas conduit à un désarmement des autres milices, en raison de la méfiance que leur inspire le hezbollah. Malgré les propos d’Hassan Nasrallah qui indique périodiquement que les armes du Hezbollah ne seraient jamais tournées vers des Libanais, les tensions confessionnelles ne sont pas encore apaisées. Face au risque d'embrasement, les autres factions libanaises n’auraient pas complètement désarmé. Ainsi en est-il des forces libanaises (FL), l'ex-milice du camp chrétien, dont l'arsenal n'a jamais vraiment été détruit, et des partisans sunnites de l'actuel Premier ministre Saad Hariri, qui commande en outre les forces de sécurité intérieure (FSI), dont les effectifs ont considérablement augmenté. Ces dernières ne peuvent être considérées comme une milice, mais il ne fait nul doute qu’elles feraient allégeance au Premier ministre en cas de reprise d’un conflit interconfessionnel. Les FL et les FSI sont aidées par l'Arabie saoudite, qui ne veut pas laisser le champ libre à l'Iran et au hezbollah, mais elles ne peuvent se comparer à la milice chiite, en effectifs comme en équipements.

La milice druze, très présente dans l’histoire libanaise, paraît en phase de déclin. Malgré la détention d’artillerie et d’équipements divers par la principale famille de la communauté, le clan Joumblatt, la milice a quelque difficulté à recruter. Les druzes semblent aspirer à la paix, tant que leurs intérêts ne sont pas directement menacés.

B – Une coopération française axée sur le long terme

Dans un contexte où l’Etat libanais n’a pas complètement affermi son autorité et où les tensions communautaires, bien qu’en voie d’apaisement, demeurent, la coopération militaire française ne peut qu’être axée sur le long terme. Cette coopération ne peut qu’être progressive. Il s’agit de former préalablement le maximum de cadres libanais afin qu’ils soient ensuite capables de dégager une doctrine de défense et d’établir un plan cohérent d’équipements.

A court terme, la France doit poursuivre la remise à niveau des véhicules de l’avant blindés (VAB) qu’elle a commencée il y a deux ans. 95% de ces véhicules sont opérationnels mais l’achèvement du programme interviendra avec du retard, à la fin de 2010 ou en 2011, à la demande du ministère de la défense libanais. Elle va également continuer à céder gratuitement des matériels, comme elle le fait depuis 2006 (matériels d’une valeur de 16 millions d’euros, dont un navire des douanes pour la surveillance côtière).

Le problème principal continue de résider dans les incertitudes d’ordre budgétaire, issues des crises gouvernementales que traverse périodiquement le Liban. Sans budget d’équipement militaire de 2006 à 2009, puis disposant d’un budget réduit en 2010 qui n’a pas été complètement ordonnancé, l’Etat ne donne pas l’impression de vouloir faire de la défense une priorité alors qu’une armée forte est l’outil de la restauration de sa souveraineté. Le Liban risque de rester longtemps dépendant de ses bailleurs extérieurs (Etats-Unis, France, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Allemagne, peut-être l’Iran dans l’avenir) pour financer les équipements de son armée.

L’accord de coopération militaire signé par la France doit être apprécié à sa juste valeur. Il ne donnera pas d’impulsion décisive à notre coopération avec le Liban. Trop d’obstacles politiques et budgétaires empêchent la modernisation de l’armée libanaise. Mais il est suffisamment général dans ses dispositions pour que notre pays continue à appuyer sur le long terme la restauration d’un Etat encore fragile. Il s’agit avant tout d’un objectif politique qu’il convient de soutenir.

CONCLUSION

L’accord de coopération militaire entre la France et le Liban n’emporte pas de risque pour notre pays. Il n’a pas pour objet de régir l’emploi de nos forces présentes au sein de la FINUL, au Sud Liban, qui relèvent d’une autre problématique.

Il ne constitue pas non plus un accord de défense avec des clauses d’engagement. De telles clauses auraient été très dangereuses dans une région du monde aussi instable.

Il est en revanche un outil très utile pour affirmer notre présence aux côtés de l’Etat libanais. La coopération militaire ne revêt qu’un aspect technique au service d’un objectif politique plus large. Restaurer l’Etat libanais permet de satisfaire les aspirations à la paix et à la sécurité de l’écrasante majorité des Libanais tout en apaisant (ou en cherchant à apaiser) les tensions au Proche-Orient. Cet objectif de long terme nécessite des outils – cette convention en est un – ainsi qu’une volonté politique qui, jusqu’à présent, a été une constante de la diplomatie française.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du 1er décembre 2010.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

M. le président Axel Poniatowski. Cette convention est avant tout un acte politique affirmant le soutien français à l’Etat du Liban et à la pérennité de ce pays.

M. Jean-Paul Dupré. Vous avez fait mention de conventions de coopération militaire liant le Liban aux Etats-Unis et à l’Italie. Y a-t-il d’autres pays européens qui ont signé des accords de ce type ? Avons-nous une idée de l’impact de ces conventions sur les pays de la région ?

M. Jean-Marc Nesme, rapporteur. La Russie a proposé de vendre des avions au Liban, mais cette proposition n’a pas eu de traduction concrète pour le moment. Le Royaume-Uni, pour sa part, entretient quelques navires.

La réaction syrienne à ces conventions, qui est évidemment la plus attendue, n’a pas été négative. Chacun réalise que le meilleur moyen d’aider l’Etat libanais est de le doter d’une armée à même d’accomplir les prérogatives régaliennes qui sont les siennes.

M. Robert Lecou. Quel est l’état des relations entre la France et le Liban ? Quels sont les sentiments des Libanais vis-à-vis de notre pays ?

M. le président Axel Poniatowski. N’ouvrons pas un débat trop large, sans rapport avec l’objet du texte.

M. Jean-Marc Nesme, rapporteur. Dans l’ensemble des communautés, qu’elles soient chrétienne, sunnite ou chiite, la France conserve un rayonnement politique et culturel incomparable au Liban. Sur le plan économique, il en va un peu différemment.

M. Hervé de Charette. Il est difficile de voir l’impact concret qu’aura une telle convention, il est donc difficile de s’opposer à sa ratification !

Le Liban doit faire face à deux menaces militaires : l’une, extérieure, en provenance d’Israël, l’autre, intérieure, du fait de l’activité du Hezbollah. L’armée libanaise n’est prête à affronter aucune de ces deux menaces.

La situation de la FINUL est très préoccupante, car son format actuel ne correspond plus à la mission qui lui était attribuée à l’origine. Prévue pour être une mission lourde visant à faire respecter la frontière israélo-libanaise, elle ne paraît plus à même de remplir ses objectifs. Déjà, l’aviation israélienne feint d’ignorer la présence de la FINUL, et le Hezbollah occupe le terrain. Ce bilan est très inquiétant pour la force et les soldats qui la composent. La France n’aurait pas dû accepter de participer à cette mission dans ces conditions.

Je soutiens l’idée avancée par le rapporteur de la nécessité de renforcer l’armée libanaise pour construire un Etat stable. Mais la situation actuelle en est très éloignée, le communautarisme reprenant progressivement une place prépondérante. Dans ce contexte, la division de la communauté chrétienne doit nous alerter.

M. François Rochebloine. Je constate et déplore la réduction de la présence française au Liban, et l’affaiblissement du rôle joué par notre langue.

Concernant la convention, une coopération est-elle explicitement prévue en matière d’aide au déminage du territoire libanais ?

M. Jean-Marc Nesme, rapporteur. Malheureusement, l’affaiblissement de notre langue ne touche pas que le Liban.

S’agissant de l’assistance au déminage, il n’existe pas de clause spécifique dans l’accord, mais celui-ci peut constituer le cadre d’une telle opération. Des experts français ont participé aux opérations de déminage à la suite du conflit de 2006.

M. Patrick Labaune. Cet accord est plutôt un acte politique qu’une convention de coopération militaire, avec, pour objectif, de renforcer l’Etat libanais. Vous avez indiqué que le texte ne prévoyait pas d’intervention française dans les affaires intérieures du Liban, ni dans d’éventuelles crises internationales impliquant le pays. Pourtant, l’article 3 de la convention prévoit la possibilité de mettre en place des opérations préventives et curatives.

M. Jean-Marc Nesme, rapporteur. Cela concerne seulement la formation des soldats. L’accord ne prévoit pas l’envoi de forces françaises pour combattre.

M. Serge Janquin. Cet accord est bien de caractère politique, sans portée militaire, ce qui est logique au vu du faible niveau de développement de l’outil de défense libanais. Ce que l’on souhaite avec cette convention, c’est acheter un ticket d’entrée à la table de négociations sur la défense des intérêts du Liban.

M. Jean-Marc Nesme, rapporteur. L’accord porte sur des éléments de coopération militaire très importants, la formation et surtout l’équipement des forces libanaises, ce qui peut avoir des conséquences commerciales importantes.

Suivant les conclusions du rapporteur, la commission adopte sans modification le projet de loi (no 2561).

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La commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord relatif à la coopération dans le domaine de la défense entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République libanaise, signé à Beyrouth le 20 novembre 2008, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 2561).

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