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N
° 3157

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 9 février 2011

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI relative à la neutralité de l’Internet (n° 3061 rect.),

PAR M. Christian PAUL,

Député.

——

Voir le numéro :

Assemblée nationale : 1ère  lecture : 3061 rect.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

TRAVAUX DE LA COMMISSION 11

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE 11

II.— EXAMEN DES ARTICLES 23

Article 1er : Principe de neutralité 23

Après l’article 1er 26

Article 2 : Modalités techniques d’accès à internet 28

Article 3 : Accès à internet par l’intermédiaire de plusieurs équipements 29

Article 4 : Restrictions de l’accès à internet 29

Article 5 : Modalités techniques d’interconnexion 31

Article 6 : Priorisation de trafic 32

Article 7 : Procédure de sanction 33

Article 8 : Gage 36

TABLEAU COMPARATIF 37

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 43

MESDAMES, MESSIEURS

Internet est l'agrégation d'une multitude d'acteurs tant publics que privés unissant leurs réseaux, afin de bâtir un nouveau type de bien commun informationnel.

Dans cette architecture, chacun s'engage à traiter « au mieux » toutes les communications électroniques (principe du « best effort »). Dans cette philosophie, le réseau n'a qu'une intelligence réduite au nécessaire, et le contrôle est partagé. Le principe de neutralité est avant tout un principe d’architecture de réseau, suivant lequel l’intelligence ne doit pas être dans le cœur du réseau mais à ses extrémités. C’est le principe « end-to-end ».

Il faut rappeler ce qu’en dit le grand juriste américain Lawrence Lessig : « la neutralité de l’internet signifie simplement que tous les contenus internet doivent être traités de la même manière et être acheminés à la même vitesse sur les réseaux. Les propriétaires des réseaux qui composent internet ne doivent pas faire de discrimination. »

C’est grâce à cette architecture que s’est développé internet, à la fois comme espace de liberté d’expression, de communications, de collaboration, d’échanges et de contenus, marchands et non marchands.

Suivant ce principe, la tache des opérateurs de réseau doit uniquement être de prendre les données qu’on leur livre à un endroit du réseau et de les acheminer correctement, sans traiter différemment les flux de données, à un autre point du réseau. Autrement dit, pour qu’internet soit bien une plate-forme, les réseaux des fournisseurs d’accès à internet (FAI) doivent se contenter d’être des « tuyaux » à travers lesquelles passent toutes les informations.

Le principe de neutralité revient à exiger de chacun qu'il se concentre sur son métier. Les FAI, en particulier, doivent offrir l’accès à internet. Internet est un bien public mondial. Les FAI en tirent profit en s’y connectant et en revendant l’accès à ce bien public aux internautes. Il n’est pas normal qu’ils puissent faire n’importe quoi et n’offrir qu’un accès partiel, filtré ou biaisé à leurs abonnés. C’est pour cela que le principe de neutralité doit être protégé.

Mais il n'est pas normal non plus que les ayants-droits abusent de leurs droits exclusifs pour entraver l'innovation ou créer une suspicion a priori sur les échanges.

Les conditions d'utilisation des principaux services appelleront également de plus en plus notre attention. Le courrier électronique est neutre, bâti sur des protocoles ouverts et mis en œuvre de manière répartie et ouverte par tous. Pourquoi devrait-il forcément en être autrement pour les réseaux sociaux, mais aussi la vidéo, etc. ?

La neutralité de l’internet est aujourd’hui remise en cause pour trois raisons : donner priorité à des contenus, pour des raisons économiques ; administrer le trafic face au risque de congestion ; filtrer l’accès à certains contenus.

Plusieurs types d’intérêts vont contre la neutralité :

– les fournisseurs de services, qui souhaitent disposer d'un accès privilégié au public, allant parfois jusqu'à un blocage des services concurrents ;

– les fournisseurs des services de cache, proposés selon des conditions discriminatoires à leur clientèle ;

– les FAI, qui arguent d'une congestion souvent annoncée et à démontrer , pour remettre en cause les modèles techniques et économiques qui ont été suivis jusqu’ici sur internet et accroître leurs profits. Ils veulent instituer des péages sur le réseau, faire payer un prix plus élevé pour l’acheminement des contenus avec une bonne qualité, et segmenter les offres à destination des consommateurs afin que chacun paie « ce qu’il consomme ».

Si la hausse du trafic est manifeste, en particulier sur le mobile (iPhone), il faut noter que ni la congestion sur les réseaux, ni le coût de l’accroissement du trafic ne peuvent conduire sans encadrement précis à des restrictions, qui sont autant d’entorses à la neutralité.

Si la puissance publique laisse faire, tous les acteurs commerciaux seront perdants à moyen ou long terme, mais aussi toutes les initiatives communautaires et citoyennes qui constituent une part essentielle de l'internet (Wikipedia, Wikileaks, etc.). Une régulation a posteriori est insuffisante dans ce monde en évolution rapide.

Nous devons poser des principes.

Nous devons le faire dans une double perspective :

– ne pas limiter l'ouverture de l'internet à l'existant, et poursuivre l'édification de ce bien commun informationnel ;

– permettre une saine émulation entre tous les acteurs, commerciaux ou non, ayant des positions établies ou nouveaux entrants.

Quelles sont les menaces ?

L'internet nous permet à ce jour de redistribuer la fonction d’éditeur. Du fait de notre lente adaptation collective à ses nouvelles possibilités, nous avons cependant permis l'émergence, sous la forme de services, de nouveaux points de passage obligés. Diffuser de la vidéo à l'échelle mondiale est par exemple aujourd'hui difficile pour un simple particulier sans recourir aux services d'un service « à la DailyMotion ». Bénéficier des facilités des systèmes sociaux, comme Facebook, impose le passage par un service propriétaire et centralisé, disposant d'un contrôle étendu sur nos données personnelles.

La concentration de cette diffusion soulève tout d'abord un enjeu démocratique. Qu'un tel pouvoir soit concentré entre les mains de si peu d'acteurs privés est, en soi, problématique.

L'enjeu est également économique, avec la tentation de rendre plus difficile l'entrée de nouveaux acteurs, en rendant l'accès à leurs services plus coûteux ou moins performant, voire impossible. Les pratiques contraires à la neutralité se développent de plus en plus, comme en témoigne l’épisode récent de dégradation de la qualité de l’accès à Megaupload sur le réseau d’Orange.

La téléphonie est un premier exemple de discrimination. Alors que les réseaux des opérateurs fonctionnent depuis longtemps par commutation de paquets, les services concurrents, comme Skype ou les systèmes libres utilisant le protocole SIP sont trop souvent injustement discriminés, pour des raisons uniquement commerciales.

La vidéo est un second exemple intéressant. Sa diffusion est assurée aujourd'hui de deux grandes manières : via les plateformes propriétaires, typiquement « sur ADSL » des opérateurs, et via le streaming de point à point, depuis une plateforme comme DailyMotion.

Le prétendu encombrement généré par cette seconde modalité, en concurrence frontale avec les systèmes spécifiques aux opérateurs ne doit pas nous leurrer.

Le blocage, le filtrage, la facturation spécifique et le profilage ne sont qu'un type de réponse technologique. Nous en appelons d'autres de nos vœux. Une première d'entre elles est le déploiement effectif du protocole IPv6, qui permet d'optimiser la diffusion.

Des systèmes de cache peuvent également être mis en place, peut-être même jusqu'à la box des abonnés. L'internet fonctionne, pour d'autres usages, avec de tels caches depuis ses origines, afin de répartir la charge et d'améliorer la qualité de service. Des systèmes propriétaires existent, accessibles selon des conditions discriminatoires, comme Akamaï, ou spécifique à un site, comme celui de YouTube. Le contrôle de ces caches, qui permettent une diffusion performante à grande échelle, est l'un des grands enjeux économiques du débat sur la neutralité du net. La fermeture de ces systèmes n'est pas une fatalité. L'interopérabilité peut, là aussi, devenir la règle et la puissance publique devrait aiguillonner son développement, plutôt que d'édifier des « lignes Maginot » numérique.

La protection de la neutralité ne semble pas une priorité en France, et nous avons des motifs d’inquiétude.

Les lois Hadopi et Loppsi II sont venues le démontrer.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les orientations rendues publiques par la secrétaire d’État à l’économie numérique l’été dernier sur la neutralité aient consisté pour l’essentiel à dire qu’il était urgent de ne rien faire. Selon ce rapport, « l’objectif de préserver un internet ouvert doit être concilié avec le nécessaire respect de la liberté d’entreprendre et de la liberté commerciale » et « l’objectif de non-discrimination n’interdit pas aux opérateurs de proposer des offres commerciales différenciées », ce qui conduit à se demander ce qu’il reste de la neutralité dans ce cadre…

La transposition du troisième paquet télécoms sera l’occasion, il faut le souligner, d’adopter plusieurs dispositions utiles comme l’amélioration de la transparence sur la gestion de trafic, la possibilité pour l’ARCEP de fixer des exigences minimales en termes de qualité de service, l’objectif de favoriser l’accès des utilisateurs à tous les contenus et applications, et l’extension du pouvoir de règlement des différends de l’ARCEP aux litiges portants sur les conditions techniques et tarifaires de l’interconnexion.

Mais rien de tout cela n’interdit aux opérateurs d’opérer des discriminations entre les différents flux de données selon leur bon vouloir : au total, rien ne garantit la neutralité d’internet.

La timidité française et européenne en matière de neutralité est inquiétante lorsqu’on la compare avec le volontarisme américain.

Le président Obama s’est clairement engagé au cours de sa campagne et depuis le début de son mandat, en faveur de la neutralité de l’internet, en réservant notamment les financements publics aux réseaux de communication électronique respectant ce principe.

La FCC (Federal communications commission, équivalent américaine de l’ARCEP) a par ailleurs édicté en décembre 2010 des règles ambitieuses pour protéger la neutralité. Elle a bien expliqué à cette occasion que des « arrangements commerciaux entre un FAI et une tierce partie pour favoriser l’acheminement d’un certain trafic […] seraient une cause d’inquiétude » car de telles pratiques pourraient « constituer un dommage pour l’innovation et l’investissement dans l’internet et sur l’internet » et des « barrières à l’entrée ». Elle a clairement affirmé que de telles pratiques iraient à l’encontre de la règle d’interdiction des discriminations déraisonnables qu’elle a édictée.

En somme, si l’Europe paraissait jusqu’ici en avance en matière de réseau, il semble bien que le risque existe aujourd’hui qu’elle se fasse dépasser par les États-Unis.

Pourquoi est-il nécessaire de légiférer dès maintenant ?

Les risques sont identifiés. Le principe de neutralité doit être établi par la loi.

Cette démarche est préventive. Après, il sera trop tard. L’internet se réorganise plus vite que la régulation.

Cette proposition de loi contient des mesures permettant de protéger réellement la neutralité de l’internet.

La neutralité est définie à l’article 1er comme la non-discrimination en fonction des contenus, destinataires et émetteurs, que devront respecter toutes les actions ou décisions ayant un impact sur le réseau. Les articles 2 et 3 ont pour objet de rendre effectif le droit des internautes à connecter les équipements de leur choix au réseau. L’article 4 encadre strictement le bridage d’internet et l’article 6 l’acheminement de certains flux de données. L’article 5 impose des mesures de transparence sur l’interconnexion. Enfin, l’article 7 institue une sanction financière en cas de manquements aux règles précédentes, sans laquelle les dispositions ne seraient pas effectives.

Votre rapporteur vous propose d’effectuer plusieurs modifications pour améliorer le texte sur un plan technique et apporter des compléments. Il faut insister sur deux de ces mesures complémentaires, qui paraissent indispensables pour protéger une vraie neutralité :

– la première a pour objet de garantir l’accès de tous à un débit fixe d’au moins 1 Mbits, instituant ainsi un vrai droit à la connexion ;

– la seconde a pour objet d’empêcher que les FAI ne contrôlent l’accès à internet de leurs abonnés via les box.

Le travail intéressant et très complet qu’accomplit la mission d’information de la Commission des affaires économiques sur la neutralité de l’internet et des réseaux viendra enrichir notre compréhension collective des enjeux.

Votre rapporteur souhaite que ses conclusions définitives viennent appuyer ce texte. Mais d’ores et déjà, il met en garde contre les risques qu’il y aurait à comprendre l’exigence de non-discrimination, comme simple possibilité d’accéder de manière non discriminatoire à différents niveaux de qualité de service, plutôt que comme traitement homogène des flux de données,

La première version est clairement incompatible avec la neutralité. Elle conduirait en effet à laisser se multiplier les services gérés, au détriment de la croissance d’internet (il resterait alors un web public résiduel), ou à l’apparition d’un internet à plusieurs vitesses. C’est très exactement ce que le principe de neutralité permet d’empêcher.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

I.— DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission a examiné, sur le rapport de M. Christian Paul, la proposition de loi relative à la neutralité de l’internet (n° 3061).

M. le président Serge Poignant. Avant de passer la parole à notre collègue Christian Paul, auquel je souhaite la bienvenue dans notre Commission qu’il a rejointe pour y rapporter cette proposition de loi du groupe SRC, je rappelle que notre Commission a constitué en septembre dernier une mission d’information sur la neutralité de l’Internet et des réseaux, présidée par Mme Corinne Erhel, Mme Laure de La Raudière en étant rapporteure. Cette mission, qui a déjà effectué un important travail, qu’elle poursuit à ce jour en bonne intelligence entre majorité et opposition, aborde ce sujet sous l’angle des infrastructures de réseaux alors que la mission d’information commune relative aux droits de l’individu dans la révolution numérique, créée par la Commission des lois et par la Commission des affaires culturelles, l’aborde, elle, plutôt sous l’angle des contenus. C’est d’ailleurs pourquoi la présente proposition de loi a été renvoyée à notre Commission. L’opposition est bien entendu libre de choisir les textes qu’elle souhaite faire inscrire à l’ordre du jour mais sans doute eût-il été plus logique que celui-ci fût examiné après la publication des conclusions définitives de la mission d’information.

M. Christian Paul, rapporteur. Comme tout texte relatif à Internet, cette proposition de loi, qui sera débattue en séance publique la semaine prochaine, revêt sous une apparence technique un caractère éminemment politique mais aussi une grande importance économique, l’économie numérique constituant aujourd’hui un continent entier de l’économie réelle.

Le débat sur la neutralité de l’Internet ne se limite pas à nos frontières. Il est européen, et même mondial puisqu’aux États-Unis, cette question fait depuis quelques années l’objet d’intenses discussions entre les acteurs économiques, l’autorité régulatrice et l’État – le président Obama s’est d’ailleurs clairement prononcé sur le sujet.

Qu’est-ce donc qu’Internet ? Un bien commun d’un nouveau type, informationnel, créé au fil des ans par l’agrégation des réseaux d’une multitude d’acteurs publics et privés. Avec une telle architecture, personne n’a véritablement le contrôle de ce réseau, dont l’une des caractéristiques est qu’il recèle beaucoup plus d’intelligence à ses extrémités, au niveau des utilisateurs, qu’en son cœur.

S’agissant précisément du sujet de cette proposition de loi, la réflexion des juristes américains étant en avance en la matière sur celle de leurs collègues européens, je reprendrai la définition de Lawrence Lessig, que nous avons eu l’occasion d’entendre à l’Assemblée il y a une dizaine d’années : la neutralité de l’Internet signifie que tous les contenus doivent être traités de la même façon et acheminés à la même vitesse sur les réseaux qui le composent, dont les propriétaires ne doivent opérer aucune discrimination. C’est cette vision, aujourd’hui largement reprise en Europe, qui inspire nos travaux.

Cette architecture de réseau, neutre, ouverte, la plus libre possible, a permis qu’Internet se développe comme espace de liberté d’expression, de communication, d’innovation et d’échanges, marchands et non marchands. Dans cette logique, les fournisseurs d’accès doivent faire preuve de modestie, car ils ne font que transporter les informations, tout en garantissant la meilleure qualité de service possible, à la fois aux internautes et aux éditeurs de contenus.

Assurer la neutralité de l’Internet, c’est veiller à ce que l’accès n’en soit pas biaisé – à réseau identique s’entend : nous ne traitons pas ici de la fracture numérique. Il s’agit de savoir si, dans le futur, Internet sera une autoroute fluide, où l’on pourra circuler librement, ou au contraire un ensemble de voies cloisonnées où l’internaute devra se contenter de la bande d’arrêt d’urgence que constituera le web public résiduel, toutes les autres voies ayant été privatisées ou confisquées.

S’il importe de légiférer dès aujourd’hui, c’est que cette neutralité est d’ores et déjà mise à mal et qu’il faut contrer cette évolution inquiétante.

Le premier risque est qu’on ne donne la priorité à certains contenus au détriment d’autres, pour des raisons économiques. Le deuxième est que le réseau ne soit géré de façon discrétionnaire en cas de congestion du trafic. Nul ne nie que des mesures de décongestion puissent être nécessaires, mais celles-ci doivent demeurer exceptionnelles et être encadrées. Et surtout, il convient d’inverser la charge de la preuve en demandant aux opérateurs, avant toute mesure de la sorte, de démontrer qu’il y a bien congestion du trafic et que leurs efforts d’investissement ne permettent pas d’y faire face – étant entendu que le régulateur doit avoir son mot à dire. Le dernier risque est que certains contenus ne soient filtrés, en l’absence de tout contrôle d’une autorité judiciaire. Ne voulant pas relancer ici le débat que nous avons eu lors de l’examen de la LOPPSI 2 et auparavant, de la loi HADOPI, je rappellerai seulement que le Conseil constitutionnel a censuré la disposition qui aurait permis que l’accès à Internet puisse être coupé sans contrôle du juge.

Tous les acteurs ont leurs intérêts, qui peuvent aller à l’encontre de ce principe de neutralité : les fournisseurs de services qui souhaitent disposer d’un accès privilégié au public, quitte à bloquer les services concurrents ; les fournisseurs de services intermédiaires, notamment les services de cache, qui peuvent être tentés de les proposer de façon discriminatoire à leur clientèle ; les fournisseurs d’accès qui ont intérêt à instaurer des dispositifs de contrôle et de péage ; enfin, les ayants droit qui souhaitent filtrer les échanges de contenus sous droit d’auteur.

C’est en raison de toutes ces menaces que nous avons mis en chantier la présente proposition de loi cet été, à un moment où nous étions d’autant plus inquiets que les réactions à cette situation nous apparaissaient bien tièdes, certains soutenant, y compris au sein du Gouvernement, qu’il était urgent de ne rien faire.

Le troisième paquet « Télécom », qui va être prochainement transposé, comporte certes des dispositions intéressantes comme l’amélioration de la transparence sur la gestion du trafic ou encore la possibilité nouvelle donnée à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, de fixer des exigences en matière de qualité de service. Mais il semble, hélas, qu’on s’oriente vers des exigences minimales, jugées suffisantes, comme si on avait d’une certaine façon d’ores et déjà abdiqué.

Il importe d’affirmer le principe de neutralité de l’Internet, quitte à autoriser ensuite des exceptions pour des raisons techniques ou même économiques. La timidité de la France est inquiétante, comparée au volontarisme des États-Unis. L’autorité régulatrice américaine, homologue de l’ARCEP, a clairement dit que les entorses à la neutralité pourraient pénaliser l’innovation et l’investissement dans le secteur de l’Internet et constituer des « barrières à l’entrée », dommageables pour beaucoup d’acteurs, notamment pour les start-up.

C’est pourquoi l’article 1er de notre texte pose ce principe de neutralité, entendu comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données. Les articles 2 et 3 ont pour objet de rendre effectif le droit des internautes à connecter les équipements de leur choix au réseau. L’article 4 encadre le filtrage ou le bridage d’Internet et l’article 6 l’acheminement de certains flux de données. L’article 5 impose des mesures de transparence sur l’interconnexion. L’article 7, enfin, institue une sanction financière en cas de manquement à ces règles.

Je proposerai en outre par voie d’amendement que soit instauré pour les internautes un véritable droit à la connexion et pour les fournisseurs d’accès un devoir de proposer à chacun une offre raisonnable.

Il ne me viendrait pas à l’esprit de comparer la France à la Tunisie ni à l’Égypte où l’accès à Internet a été récemment coupé pour exercer une censure politique. Mais on a vu au moment de l’affaire Wikileaks comment cette tentation, en dehors de toute procédure judiciaire, pouvait aussi exister dans notre pays. L’expérience ayant montré, s’agissant d’Internet, que mieux valait prévenir que guérir, nous souhaitons dès aujourd’hui prendre date. Une régulation a posteriori est insuffisante dans un univers en évolution aussi rapide.

La mission d’information sur le sujet poursuivra ses travaux qui enrichiront notre compréhension collective des enjeux. Mais agissons dès aujourd’hui. Je mets surtout en garde sur la façon dont serait comprise l’exigence de non-discrimination si elle se limitait à l’obligation d’assurer un accès non discriminatoire à différents niveaux de qualité de service, au lieu de garantir un traitement homogène des flux de données. La première conception conduirait à un Internet à deux vitesses, avec un web public résiduel. C’est précisément ce dont nous ne voulons pas et que l’affirmation du principe de neutralité doit empêcher.

Mme Laure de La Raudière. Je balance entre deux sentiments. D’un côté, je regrette que l’examen de cette proposition de loi ait lieu avant que la mission d’information dont je suis rapporteure ait achevé ses travaux et que la Commission européenne n’ait rendu son livre blanc sur le sujet. De l’autre, je suis heureuse que le groupe SRC nous donne une occasion complémentaire d’évoquer les enjeux cruciaux d’Internet pour notre société, pour notre démocratie et pour notre économie.

Cette proposition de loi comporte des éléments très positifs. Internet constitue en effet un bien collectif, d’ailleurs reconnu comme tel par le Conseil constitutionnel, et qu’il est essentiel de préserver. On dénombre d’ores et déjà 35 millions de personnes reliées à Internet par le « fixe » et on sait que demain, tous les téléphones mobiles, au nombre déjà de 75 millions, permettront de s’y connecter.

C’est le groupe UMP qui, lors de l’examen de la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique, en décembre dernier, a demandé un rapport sur la neutralité de l’Internet. Et c’est à ma demande que notre Commission a créé une mission d’information sur le sujet, d’autant plus utile que le troisième paquet « Télécom » sera transposé par voie d’ordonnance.

S’il faut inscrire dans la loi le principe de neutralité et si sa définition comme exigence de non-discrimination fait consensus, nous préférerions à l’article 1er la rédaction figurant dans le pré-rapport de la mission d’information. Je fais par ailleurs observer qu’un amendement adopté au Sénat à l’initiative du sénateur Retailleau sur le projet de loi de ratification par ordonnance du paquet « Télécom » a précisément pour objet d’inscrire dans la loi ce principe de non-discrimination.

Nous sommes d’accord sur la nécessité d’encadrer le filtrage. Sauf décision contraire d’un juge, l’accès à Internet doit être total et un filtrage ne doit être possible qu’à l’initiative de l’internaute, par des dispositifs de type contrôle parental.

Au-delà de ces points, cette proposition de loi pose problème. Si elle protège l’Internet d’aujourd’hui, c’est-à-dire d’hier tant les évolutions sont rapides, elle entrave le développement de celui de demain, notamment des services « managés » comme il en existe déjà avec la téléphonie ou la télévision sur IP (Internet Protocol). Elle est trop centrée sur les fournisseurs d’accès (FAI). Aujourd’hui, Internet dépend aussi d’une multitude d’intermédiaires techniques – opérateurs de transit, CDN (content delivery network)… – qui vendent notamment de la qualité de service et précisément la différenciation que vous semblez souhaiter interdire. Imposer ces obligations nouvelles aux seuls FAI les défavoriserait.

Votre proposition n’est pas non plus assez protectrice. D’une part, elle ne couvre pas tous les acteurs ; d’autre part, elle n’impose pas de qualité de service suffisante, alors qu’il s’agit d’un point crucial. Il faut, tout en garantissant un Internet public de qualité, permettre sur le reste de la bande passante disponible les innovations relatives aux services « managés ». La qualité de service peut certes varier selon les usages : elle doit être définie par l’ARCEP et actualisée pour permettre le développement harmonieux des deux types d’innovations, pour l’Internet public mais aussi pour les services managés. Il est vrai que, jusqu’à présent, elles ont surtout eu lieu sur l’Internet public mais pourquoi exclure qu’il y en ait d’aussi fondamentales venant de ces services ? Je pense en particulier aux réseaux mobiles où il faudra résoudre la quadrature du cercle en répondant à l’augmentation des trafics avec des ressources, par nature, beaucoup plus restreintes que pour le fixe.

Le groupe UMP est très attaché à la neutralité de l’Internet. Sa vision en est néanmoins quelque peu différente de la vôtre. La mission d’information a encore beaucoup d’interrogations. C’est d’ailleurs pourquoi elle a adressé son pré-rapport aux quatre-vingts acteurs qu’elle a consultés – PME, FAI de toutes tailles, CDN… Nous souhaitons en effet recueillir leur avis sur le dispositif législatif qui leur paraît le mieux à même de protéger cette neutralité.

Mme Corinne Erhel. Il faut se féliciter qu’on s’intéresse autant aujourd’hui à la neutralité d’Internet, des réseaux ou encore des moteurs de recherche.

Je ne reviens pas sur le calendrier : cette proposition de loi a été élaborée l’été dernier, à l’initiative de Christian Paul, avant que ne soit installée la mission d’information. J’observe simplement que la plupart de ses dispositions – absence de bridage pour garantir la liberté de choix de l’internaute, gestion non discriminatoire du trafic pour assurer l’égalité de traitement entre tous les utilisateurs d’Internet, clarification des modalités de l’interconnexion – concordent avec les objectifs définis par la mission dans son pré-rapport.

Il est indispensable de protéger l’espace public que constitue Internet et de poser, comme le fait l’article 1er, le principe de sa neutralité. Il est proposé de rendre ce principe contraignant pour les pouvoirs publics, mais aussi pour les intermédiaires techniques et pas seulement pour les FAI, et d’encadrer strictement le filtrage. Cela fait également partie de nos propositions.

Toutes ces dispositions, de la proposition de loi comme de notre rapport d’étape, sont en rupture totale avec celles de l’article 4 de la LOPPSI et avec celles de la loi HADOPI.

Protéger la neutralité de l’Internet, c’est aussi protéger la liberté de communication qu’il permet, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision concernant la loi HADOPI. Comment ne pas évoquer le rôle majeur qu’il a joué récemment en Tunisie et en Égypte ? C’est un outil puissant au service de la démocratie et nul ne peut nier sa dimension sociétale.

Sur le plan économique, nous avons le devoir de permettre à tous les acteurs d’innover. Les innovations doivent pouvoir continuer de se développer sur Internet comme cela a été le cas ces dernières années mais, dans la mesure où nul ne sait où auront lieu celles de demain, il ne faut pas interdire que ce puisse être aussi sur les réseaux.

Des questions demeurent en suspens, comme la notion de qualité suffisante. Il existe aussi plusieurs conceptions de la non-discrimination. Celle-ci peut s’entendre comme un acheminement différencié en fonction des besoins de qualité de service des différents types de flux – mails, search, vidéo… – mais aussi comme l’acheminement homogène de tous les flux ou encore comme un accès non discriminatoire aux offres d’acheminement avec différents niveaux de qualité de service.

En tout état de cause, la neutralité de l’Internet est un sujet complexe, éminemment politique, qui concerne l’ensemble des acteurs de l’univers numérique mais aussi les citoyens. Il est important que cette proposition de loi en affirme de manière forte le principe. La mission d’information, quant à elle, poursuivra ses travaux sur de nombreux autres sujets, comme le partage de la valeur ajoutée dans l’ensemble du secteur.

M. Jean Dionis du Séjour. Oui, il existe un problème de neutralité de l’Internet. Le temps est révolu où celui-ci avait une capacité très supérieure aux usages qui en étaient faits. L’équilibre entre l’offre et la demande est aujourd’hui beaucoup plus tendu et va sans doute se rapprocher de ce qui existe dans le secteur de l’énergie. La saturation n’interviendra pas sur le fixe, mais sur le mobile. L’une des critiques que j’adresse à cette proposition de loi est précisément d’être trop générale et pas assez ciblée sur l’Internet mobile. On estime que, dans les cinq ans à venir, les usages de celui-ci, avec les tablettes et les smartphones, seront multipliés par trente quand les capacités ne pourront l’être au maximum que par douze. Il faudra donc établir des priorités. Cette gestion passera par une différenciation dans les offres commerciales. Il faut à la fois consacrer Internet comme utilité essentielle – il a été reconnu comme tel à la fois par le Conseil constitutionnel et par les instances européennes – et ne pas entraver le développement des services gérés, qui seront indispensables et d’ailleurs existent déjà.

Si l’article 1er du texte, de portée générale, ne soulève pas de problèmes, l’article 3 en revanche manque de clarté. Il faudrait poser plus clairement l’obligation d’une qualité suffisante d’Internet en tant qu’utilité essentielle tout en reconnaissant l’intérêt des services gérés.

L’article 4 définit très précisément les conditions dans lesquelles peut être opéré un filtrage, notamment sur décision d’une autorité judiciaire. C’est nécessaire, mais il faudrait veiller à la cohérence de ces dispositions avec celles de la loi sur la confiance en l’économie numérique. Celle-ci dispose en effet que lorsqu’un internaute signale à un opérateur technique un contenu contestable, cet opérateur a le devoir de bloquer l’accès.

Enfin, cette proposition de loi est trop exclusivement tournée vers les fournisseurs d’accès. Les fournisseurs de contenus sont également concernés : le trafic n’est-il pas aujourd’hui constitué pour 51 % par de la vidéo, en provenance majoritairement d’opérateurs comme YouTube et Google ?

En conclusion, cette proposition de loi ouvre le débat. Mais le fait-elle au moment opportun, alors qu’étaient organisées hier seulement les deuxièmes rencontres parlementaires sur l’économie numérique et que la mission d’information poursuit toujours ses travaux ? Les députés du Nouveau Centre souhaitent prendre un peu de temps avant de se déterminer.

M. Daniel Paul. Les réseaux sont aujourd’hui au centre d’un conflit. D’un côté, certains acteurs veulent en préserver autant que possible la gratuité ainsi que la liberté d’organisation et d’utilisation, en même temps qu’y garantir la liberté d’expression. De l’autre, certains souhaitent en faire un espace toujours plus marchand, contrôlé par de grands groupes ou par des instances politiques.

C’est pourquoi il était important que le législateur se saisisse de la question cruciale de leur neutralité, soulevée à la fois par les internautes, par les acteurs de l’Internet, par les instances européennes, par le Parlement et par le Gouvernement.

Une mission d’information interne à notre Commission va prochainement rendre ses conclusions sur le sujet. La présente proposition de loi est pleinement en phase avec ce travail effectué sous la direction de nos collègues Corinne Erhel et Laure de la Raudière.

Nous sommes, pour notre part, très attachés à la neutralité des réseaux, qui garantit aux usagers du bien commun que constitue Internet un égal accès aux contenus, alors que certaines firmes souhaiteraient le restreindre pour en retirer un profit. Les exemples sont innombrables. Citons seulement la « gestion de priorité », pratique par laquelle un opérateur bride volontairement la qualité de la navigation pour rendre payant l’accès à la qualité normale : en 2008, Orange bridait ainsi le débit de son réseau 3 G +, afin de ne pas avoir à supporter d’éventuels surcoûts liés à un mauvais dimensionnement.

Il faut impérativement contrer les stratégies de certains acteurs privés qui, pour accroître leurs profits, mettent ainsi progressivement à mal l’universalité des réseaux. La recherche de la rentabilité à tout prix nuit à la qualité de l’accès des utilisateurs aux réseaux de communication en ligne. Inscrire dans notre droit le principe de la neutralité des réseaux, c’est permettre aux usagers de ne pas pâtir de ces stratégies, contraires à l’intérêt général. La privatisation totale du secteur des télécommunications n’est pas étrangère à la situation. La disparition de tout acteur public et l’absence de réelle régulation du marché par l’État ont conduit à une entente entre les grandes entreprises qui se partagent un marché oligopolistique, à des distorsions de concurrence et à de multiples atteintes à la neutralité des réseaux.

Pour autant, le contrôle des réseaux par les acteurs publics ne serait pas souhaitable – l’exemple de la récente révolution en Égypte nous le rappelle si besoin était. En difficulté face à la révolte du peuple, le régime de Moubarak a tout simplement coupé la quasi-totalité des accès à Internet dans le pays. Cette pratique totalitaire a été rendue possible par le caractère fortement oligopolistique du marché de l’Internet égyptien, concentré, comme en France, entre les mains d’un très petit nombre d’acteurs.

Face au risque de contrôle et de filtrage indu des réseaux par les autorités, invoquant l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 selon lequel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi », le Conseil constitutionnel déclarait dans sa décision du 10 juin 2009 « qu’en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services. » C’est dans cet esprit que nous devons légiférer. Les députés communistes, républicains et du parti de gauche, ainsi que, je le pense, les députés Verts, voteront donc cette proposition de loi.

M. Philippe Armand Martin. L’article 7 de la proposition dispose que la personne qui continuerait après deux avertissements de porter atteinte à cette neutralité sera passible d’une amende pouvant aller d’un euro à dix millions d’euros selon ses ressources. Est-ce à dire en effet qu’une personne sans ressources pourrait réitérer ses manquements sans jamais risquer davantage qu’une amende d’un euro ?

M. François Brottes. Si le groupe socialiste n’a pas attendu la fin des travaux de la mission d’information, c’est qu’il fallait parer à plusieurs menaces pesant sur la neutralité de l’Internet. Tout d’abord, il y a eu l’adoption de la loi HADOPI, sur laquelle nous reviendrons si la majorité nous échoit. Ensuite, il y a de cela quelques mois, nous avons entendu le ministre compétent, M. Éric Besson, dire sa volonté de réguler le secteur en permettant au Gouvernement d’interdire tel accès à tel service sur le territoire national. Enfin, on assiste entre les fournisseurs d’accès et les fournisseurs de services à une vive concurrence qui pourrait conduire à la création d’un monopole privé.

Si une régulation technologique est nécessaire, dans la mesure où l’on ne peut toujours transmettre au même moment de grandes quantités de données avec la même qualité de service, elle ne doit pas porter atteinte à la neutralité du contenu. En revanche, il ne saurait y avoir de régulation pour des raisons politiques ou économiques. Abstraction faite de la question posée par la fracture numérique entre territoires, que cette proposition de loi n’aborde pas, la neutralité de l’Internet doit être assurée partout où l’accès à celui-ci est possible. Il y avait indéniablement urgence à la protéger et je ne doute pas que nos collègues de la majorité, s’ils souhaitent effectivement la garantir, voteront en faveur de ce texte.

M. le président Serge Poignant. La Commission européenne devant bientôt rendre publiques ses orientations et, surtout, la mission d’information en cours – qui a, je le répète, fait un travail considérable – devant remettre ses conclusions en mars, je considère, en tant que président de la Commission, qu’il eût été plus sage d’attendre cette échéance pour débattre de cette proposition de loi.

Mme Anne Grommerch. Le service universel d’accès à Internet à haut débit est une bonne chose, mais sa mise en œuvre posera beaucoup de problèmes techniques : une étude d’impact a-t-elle été réalisée à ce sujet ?

Mme Frédérique Massat. Si l’on peut à la rigueur discuter de l’urgence d’adopter une loi sur le sujet, la neutralité du Net fait indéniablement débat aujourd’hui, d’autant que le ministre Éric Besson explique qu’elle signifierait la fin de services tels que la téléphonie ou la télévision sur IP et qu’il prône une gestion modulée du trafic par les FAI, qui pourraient faire payer les plus gros utilisateurs. Ces propos font craindre un Internet contrôlé par l’État et par les industries des télécommunications, au détriment des libertés fondamentales et du potentiel démocratique que recèle ce média. Cela dit, je remercie Laure de La Raudière et Corinne Erhel pour leur pré-rapport.

Monsieur le rapporteur, le texte maintient-il les services gérés actuels ?

M. le rapporteur. À vous écouter tous, j’ai deux motifs de satisfaction. En premier lieu, notre réunion montre l’importance de cette question pour la liberté d’expression et pour la démocratie – deux valeurs qui ont inspiré cette proposition de loi – car l’Internet n’est pas seulement un outil de création de richesses !

En second lieu, je constate que plus personne aujourd’hui ne met en doute la nécessité d’inscrire dans une loi le principe de neutralité du Net, ce qui constitue une avancée importante par rapport à la situation qui prévalait il y a seulement six mois. Quitte à ne pas s’accorder sur l’intensité des menaces que j’évoquais précédemment, tous ont compris que nous étions confrontés à un risque, qu’il convient d’endiguer.

Concernant la définition de la neutralité évoquée par Laure de La Raudière, je constate que celle qui figure au point 2, dans l’introduction du pré-rapport – et qui repose sur le principe de non-discrimination – est identique à celle de la proposition de loi, mais que celle qu’on trouve au point 23 du document laisse le champ ouvert à la discrimination dans la mesure où elle limite l’exigence de non-discrimination à l’accès « aux différents niveaux de qualité de service ». Cela peut conduire à un Internet à plusieurs vitesses ou de plusieurs qualités et je crains que la notion de qualité suffisante à laquelle on finit ainsi par aboutir ne se réduise à une qualité minimale. Pour autant, je ne sais si ce désaccord recouvre une vision différente de l’avenir du Net.

Il me semble cependant que c’est le cas s’agissant des services gérés, notion très floue et peu opératoire, que la mission d’information pourrait nous aider à mieux définir. Le développement de ces services, s’il était massif et invasif, risquerait de nuire à l’innovation dans les contenus et dans les services – ce que vous avez implicitement reconnu, puisque c’est au cœur du réseau que vous situez l’intérêt pour certains opérateurs de développer des applications permettant de « manager » les services. Si l’on met en place des voies d’acheminement privilégiées, les petites entreprises, notamment les start-up, et les particuliers n’auront pas forcément les capacités d’accès, faute de moyens financiers.

Se pose aussi la question de l’utilité de certains de ces services gérés. À ce sujet, je tiens à dire que la promesse de l’Internet n’est pas épuisée : nous ne défendons pas l’Internet d’hier, mais une vision, différente de la vôtre, de l’Internet de demain. De plus en plus, l’accès à la téléphonie se fait par Internet, mais cela peut donner lieu à des services gérés – relativement coûteux – ou à l’innovation mondiale qu’a par exemple constitué Skype, qui a permis à des millions de Français de réduire considérablement leur facture téléphonique. L’innovation, qui est une nécessité évidente, n’est donc ni bonne ni mauvaise en elle-même : tout dépend de son objet – à quoi elle sert, quels intérêts elle sert et ce qu’elle permet de réaliser.

Quant aux serveurs de stockage, ou CDN, ils doivent être encadrés de manière à offrir de la qualité de service sans mettre en cause l’architecture du réseau, ni la pervertir.

En réponse à Corinne Erhel, je dirai qu’il importe en effet d’approfondir la réflexion sur l’idée de qualité de service suffisante : on peut prévoir la nécessité d’une qualité de service – que nous pouvons reconnaître au travers du droit à la connexion, objet d’un des amendements que je vous proposerai tout à l’heure. Pour le reste, je suis d’accord avec ce qu’elle a dit.

Monsieur Dionis du Séjour, je vous invite à vous reporter au débat qui a lieu aux États-Unis, même si l’économie des télécommunications et d’Internet dans ce pays n’est pas la même qu’en France. Le régulateur américain a choisi, à la fin de l’an dernier, de fixer des règles différentes pour les réseaux fixes et pour les mobiles, chacun ayant son économie propre. Les opérateurs français ont semblé vouloir agir vite s’agissant des seconds, en mettant en cause la neutralité de l’Internet, alors que la Federal Communications Commission (FCC) et le gouvernement américain témoignent d’une volonté de défendre fermement ce principe.

La proposition de loi se concentre en effet sur les FAI, parce que c’est là que se pose le problème le plus urgent, mais elle porte aussi sur la totalité de l’économie de l’Internet. Le ministre de l’industrie a indiqué hier qu’il fallait que Google finance les réseaux. Or, les éditeurs, tels DailyMotion ou YouTube, le font déjà et de nombreux petits éditeurs nous disent qu’ils ont beaucoup de difficultés à mettre en place des services innovants parce que le coût d’accès est trop élevé. De fait, ils sont confrontés à une triple contrainte : respect du droit d’auteur, tarifs rédhibitoires pour l’accès au catalogue et coût de l’accès à la bande passante. Nous devons donc prendre en compte l’écosystème complet de l’économie numérique.

Quant aux sanctions, elles sont nécessaires. La question principale n’est pas celle du montant minimal de l’amende, monsieur Philippe Armand Martin, elle est bien plutôt de savoir comment avoir prise sur les grands acteurs qui réorganisent le réseau – ce à quoi le Parlement n’est d’ailleurs pas suffisamment attentif, d’où notre signal d’alerte. Je vous proposerai un amendement à l’article 7 pour améliorer le dispositif prévu.

S’agissant de l’intégration du haut débit au service universel, aucune étude d’impact spécifique n’a été réalisée, mais nous menons depuis plusieurs années des études dans différentes instances sur le développement du haut débit – j’anime, par exemple, ce travail au sein de l’Association des régions de France. Nous avons le sentiment que le déploiement du haut et du très haut débit en France n’est pas sérieusement piloté et que l’investissement national est notoirement insuffisant. Les annonces des opérateurs la semaine dernière n’ont vraiment pas suffi à nous rassurer sur ce point.

La proposition de loi est restrictive à l’égard des services gérés, non pas qu’elle les interdise, mais en ce qu’elle tend à les encadrer, ne serait-ce que parce que certains d’entre eux seront très vite dépassés par les innovations. La loi n’a pas pour objet de sanctuariser les innovations d’aujourd’hui au détriment de celles de demain. Il n’y a pas de raison d’autoriser la « priorisation » du trafic sur un simple fondement commercial, ce qui reviendrait à privatiser le réseau.

On peut, pour rendre compte de ce débat sur la neutralité d’Internet, recourir à la métaphore de la ville : dans la ville comme sur Internet existent des petits commerces et des grandes surfaces. Mais ni l’une ni l’autre ne doivent devenir une immense galerie marchande, par privatisation progressive de l’espace public. De même que le groupe socialiste, je ne suis pas hostile à la liberté du commerce et de l’industrie mais Internet doit être une ville neutre, ouverte à tous, où l’innovation peut se développer et où la démocratie a sa chance.

La Commission en vient à l’examen des articles.

II.— EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Principe de neutralité

L’article 1er définit le principe de neutralité comme non-discrimination et impose son respect à toute décision ayant un impact sur les réseaux.

« Le principe de neutralité doit être respecté par toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage d’un réseau ouvert au public. Ce principe s’entend comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données. »

► Formulées en termes généraux, les définitions du principe de neutralité retenue par la proposition de loi paraissent converger: le Gouvernement (1), l’ARCEP (2), la mission d’information de la Commission des affaires économiques (3) ou encore Wikipedia (4) s’accordent pour le définir, comme dans cet article, comme non-discrimination.

Les divergences proviennent des exceptions admises au principe (ce qui renvoie à la question du filtrage, traitée à l’article 4) et à l’interprétation précise de la non-discrimination (ce qui renvoie à la question de la priorisation de trafic, traitée à l’article 6).

► Le fonctionnement d’internet repose sur l’intervention d’une multitude d’intermédiaires techniques et évolue rapidement. Il est de ce fait indispensable que le principe de neutralité soit imposé à tous ceux dont les décisions ont un impact sur le réseau : aux autorités publiques, qui devront le promouvoir, aux fournisseurs d’accès à internet, mais aussi aux Content Delivery Networks, aux fournisseurs de transit, etc.

La disposition obligeant « toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage d’un réseau ouvert au public » à respecter le principe de neutralité est donc très protectrice puisqu’elle permet de couvrir tous les acteurs dont l’activité affecte ou pourrait affecter le réseau. Il est utile de rappeler à ce propos que le code des postes et des communications électroniques définit un réseau ouvert au public comme un « réseau de communications électroniques établi ou utilisé pour la fourniture au public de services de communications électroniques ou de services de communication au public par voie électronique. » (5)

► Votre rapporteur propose un amendement à cet article afin de s’assurer que le principe de neutralité s’applique à tous les types de communications électroniques, quelles que soient leurs modalités de transmission sur les réseaux et notamment à tous les services gérés.

L’article L. 32 du code des postes et des communications électroniques définit de manière extensive les communications électroniques, comme « émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique ». Cette définition couvre notamment « l’acheminement de la correspondance privée qui repose sur l'échange et postule par conséquent une émission et une réception dans les deux sens et […] la communication audiovisuelle (radio et télévision) qui n'est qu'émission puisqu'elle utilise la technique de la diffusion. » (6) La notion d’échanges numériques de données apparaît donc plus restreinte que celle de communication électronique, puisqu’elle n’inclut pas la diffusion.

Or l’acheminement de certains services gérés, comme la télévision sur ADSL, s’assimile plus à une diffusion qu’à un échange. Le développement de ces services ne doit ni se faire au détriment de l’internet, ni être discriminatoire : il doit être soumis au principe de neutralité. C’est pourquoi votre rapporteur vous propose de substituer au terme d’échanges numériques de données le terme de communications électroniques.

Il faut signaler que l’article 6 de la proposition de loi apporte des précisions sur l’exigence de non-discrimination qui s’applique en vertu de l’article 1er à toutes les « communications électroniques », en disposant qu’elle doit notamment s’entendre comme acheminement de tous les flux de données supports du même type d’usage avec la même priorité.

► Votre rapporteur propose par ailleurs d’adopter des articles additionnels après l’article 1er afin de compléter cette définition du principe de neutralité en instituant une véritable liberté d’utilisation de l’accès à internet et en prévoyant un droit à la connexion.

Le premier complément concerne le droit des internautes d’utiliser internet comme ils l’entendent. La Federal Communications Commission a établi ce principe dans sa recommandation du 23 septembre 2005 en le déclinant en libre choix des contenus, des applications et services, et des matériels connectés au réseau et l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes française a formulé une proposition similaire dans ses lignes directrices de septembre 2010. Les articles 2 à 4 de la proposition de loi ont pour objet d’établir des conditions rendant ce droit effectif. Mais il paraît aussi nécessaire de consacrer explicitement le droit d’utiliser internet librement : à cette fin, votre rapporteur vous propose d’adopter un amendement disposant que les fournisseurs d’accès à internet doivent laisser les utilisateurs finals choisir les informations qu’ils souhaitent échanger et les matériels à l’aide desquels ils se connectent au réseau. Les exceptions à ce principe doivent être strictement encadrées. C’est pourquoi il paraît utile de préciser que les seuls cas légaux de « bridage » de l’accès à internet sont les mesures de gestion de trafic mises en œuvre afin d’assurer la sécurité du réseau et les mesures de blocage ordonnées par un juge. Il faut signaler que l’article 4 institue une procédure spécifique permettant de contrôler le respect de ces règles.

Le second amendement proposé vise à créer un véritable droit à la connexion. Il étend pour cela le champ du service universel des communications électroniques pour y inclure, à partir de 2015, l’accès internet à haut débit (plus de 1 Mbits). Le service universel des communications électroniques garantit à tous les individus l’accès à des services de communications électroniques. Selon le droit en vigueur, il est formé de trois composantes : service téléphonique, service de renseignements et cabines téléphoniques (art. L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques). Le service téléphonique doit assurer, à un prix abordable, « l'acheminement des communications téléphoniques, des communications par télécopie et des communications de données à des débits suffisants pour permettre l'accès à Internet » (1° de l’art. précité). L’amendement proposé complète cette disposition en fixant un débit minimal de 1 Mbits, afin d’être plus en phase avec les usages actuels d’internet. Aujourd’hui, une fraction importante de la population n’a pas accès à internet avec un débit suffisant : 1,7 % des foyers ne peuvent pas accéder à internet avec un débit d’au moins 512 Kbits, et 11 % avec un débit d’au moins 2 Mbits. Cette situation n’est évidemment pas acceptable, alors qu’il existe des moyens techniques pour assurer la « montée en débit ». Il faut cependant reconnaître que cette « montée en débit » ne peut se faire du jour au lendemain ; c’est pourquoi il est proposé de fixer au 1er janvier 2015 l’accès de tous au haut débit. Il faut signaler que cette modification est compatible avec le cadre juridique européen : le considérant 5 de la directive 2009/136/CE précise en effet que si la directive n’exige pas « un débit de données ou un débit binaire spécifique au niveau communautaire », c’est parce qu’une « certaine flexibilité est nécessaire, pour que les États membres puissent prendre, en cas de besoin, les mesures nécessaires pour qu’une connexion soit capable de supporter un débit de données suffisant pour permettre un accès fonctionnel à l’internet, tel que le définissent les États membres » et que « lorsque ces mesures se traduisent par une charge indue sur une entreprise désignée, en tenant dûment compte des coûts et des recettes ainsi que des avantages immatériels découlant de la fourniture des services concernés, cette incidence peut être prise en compte dans le calcul du coût net des obligations de service universel. » L’amendement proposé interdit ensuite la restriction du débit d’accès à internet, sauf décision de justice. Cette disposition permettra de garantir l’effectivité de la «  liberté d’accéder à des services de communication au public en ligne », reconnue comme un élément essentiel de la liberté d’expression et de communication par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 10 juin 2009.

*

La Commission est saisie de l’amendement CE 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement précise que le principe de neutralité s’applique à toutes les communications électroniques, y compris donc la diffusion de programmes audiovisuels, et non aux seuls échanges numériques de données.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 1er.

Après l’article 1er

La Commission est saisie de plusieurs amendements portant articles additionnels après l’article 1er.

Elle examine d’abord l’amendement CE 2 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement a pour objet de consacrer explicitement le droit d’utiliser Internet librement : à cette fin, il dispose que les fournisseurs d’accès à Internet doivent laisser les utilisateurs finals choisir les informations qu’ils souhaitent échanger et les matériels à l’aide desquels ils se connectent au réseau. Il s’agit d’encadrer de façon stricte les exceptions à ce principe, en précisant que les seuls cas légaux de « bridage » de l’accès à Internet sont les mesures de gestion de trafic exigées par la sécurité du réseau et les mesures de blocage ordonnées par un juge.

La Commission rejette l’amendement.

Elle examine ensuite l’amendement CE 4, également du rapporteur.

M. le rapporteur. L’amendement tend à empêcher les fournisseurs d’accès à Internet d’utiliser les box qu’ils mettent à la disposition de leurs abonnés pour contrôler l’usage que ceux-ci font de leur connexion. Il permet à l’ARCEP d’établir précisément les caractéristiques des box et exige que les équipements de connexion ne présentent que des fonctionnalités strictement nécessaires à l’accès au réseau.

Mme Laure de La Raudière. Votre amendement exclut la possibilité pour les opérateurs d’offrir des services concernant les éléments de réseau qu’ils fournissent à leurs clients : il empêche en particulier la VoIP (« Voice over IP » ou téléphonie IP) et la ToIP (« Telephony over Internet Protocol » ou téléphonie par Internet) sur les box. J’y suis donc défavorable.

La Commission rejette l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CE 3 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement est très important : il tend à créer un véritable droit à la connexion. Celui-ci matérialise le droit d’accès à Internet, qui permet l’exercice des libertés fondamentales – liberté d’expression, de communication et de formation –, conformément à la décision du Conseil constitutionnel sur la loi HADOPI. Son caractère effectif permettrait d’éviter la censure politique mais aussi de poursuivre les progrès en matière de haut débit dans les zones urbaines et rurales qui en sont dépourvues ou disposent d’une qualité insuffisante, inférieure à 1 mégabit. Par ailleurs, il empêcherait de couper dans n’importe quelle condition la connexion des internautes. Je pense que chaque groupe politique devrait retenir au moins un de ces trois motifs pour adopter l’amendement – qui devrait satisfaire les démocrates et les ruraux comme les défenseurs de la création culturelle.

M. Jean Dionis du Séjour. Je suis réservé sur l’interdiction faite aux fournisseurs d’accès de restreindre le débit d’accès à Internet de leurs abonnés sauf « décision d’une autorité judiciaire indépendante. ». L’Internet mobile va bientôt être saturé ; pour y remédier, il faudra continuer à investir, mais cela ne suffira pas : il faudra aussi, inévitablement, gérer le trafic. Or, on ne pourra chaque fois qu’il y aura lieu de le faire demander une autorisation au juge.

M. le rapporteur. Il ne faut pas créer de faux débat : cet amendement ne prévoit pas de demander au juge l’autorisation de prendre des mesures de gestion du trafic ; il empêche de déconnecter un usager.

M. Jean Dionis du Séjour. Il dit : « restreindre le débit d’accès » !

M. le rapporteur. Mais cela ne concerne pas la gestion du trafic.

La Commission rejette l’amendement.

Article 2

Modalités techniques d’accès à internet

L’article 2 a pour objet d’assurer la transparence sur les modalités techniques de l’accès à internet offert par les fournisseurs d’accès à internet.

« On entend par modalités techniques de l’utilisation d’un accès à des services de communication au public en ligne l’ensemble des normes et spécifications qu’un équipement doit respecter pour se connecter à un accès à des services de communication en ligne.

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne mettent gratuitement à la disposition du public, en standard ouvert, les modalités techniques d’utilisation de leur service. »

► Il est utile de commencer par un point de vocabulaire. Les articles 2 à 6 de la proposition de loi imposent des obligations spéciales aux « personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication en ligne. » Cette notion a été introduite par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui a distingué la responsabilité des hébergeurs de celle des fournisseurs d’accès à internet, désignés par l’expression précitée (art. 6).

► Les internautes accédaient autrefois à internet grâce à des modems, qui convertissaient le signal numérique issu de l’ordinateur en signal analogique afin qu’il puisse passer par les lignes de téléphone classique. L’avènement de l’ADSL et des offres couplées internet-téléphone-télévision dites triple play a conduit à substituer à ces modems des box qui contiennent des fonctionnalités permettant d’accéder à internet mais aussi des fonctionnalités complémentaires – comme la télévision, le téléphone, l’enregistrement de programmes audiovisuels, etc.

Pour que la neutralité soit effective, il faut non seulement qu’elle soit assurée sur le réseau, mais aussi que les internautes ne soient pas captifs de la box de leur FAI et aient la possibilité de se connecter au réseau par l’intermédiaire de l’équipement de leur choix.

C’est pourquoi l’article 2 définit les modalités techniques de l’accès au réseau comme « l’ensemble des normes et spécifications qu’un équipement doit respecter pour se connecter à un accès à des services de communication en ligne » et impose aux FAI de les mettre « gratuitement à la disposition du public, en standard ouvert. » Cette disposition assure la transparence nécessaire pour que se développe une concurrence au niveau des box.

► Il faut signaler que l’article 3 de la proposition concerne aussi les modalités techniques d’accès au réseau, en interdisant aux FAI d’empêcher leurs abonnés de connecter plusieurs équipements au réseau.

Il est apparu utile à votre rapporteur de proposer l’adoption d’une mesure complémentaire sur cette question, concernant les fonctionnalités des box et afin d’empêcher que les FAI ne les utilisent pour contrôler l’usage que les internautes font de leur connexion. Il est proposé de n’autoriser la mise à disposition des abonnés d’équipements permettant de se connecter au réseau – à l’exclusion des équipements vendus ou offerts aux abonnés qui peuvent être commercialisés librement – qu’à condition que ces équipements ne présentent que des fonctionnalités strictement nécessaires à l’accès au réseau. L’ARCEP serait chargé d’établir précisément les caractéristiques des box et d’autoriser leur mise à disposition.

*

La Commission rejette l’article 2.

Article 3

Accès à internet par l’intermédiaire de plusieurs équipements

L’article 3 a pour objet de permettre aux internautes de se connecter à internet avec plusieurs équipements.

« Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent interdire ou appliquer des conditions tarifaires spécifiques à leurs abonnés qui connectent simultanément ou successivement différents équipements à un même accès à des services de communication au public en ligne. »

La portée juridique de ces dispositions est transparente et les mesures complémentaires que votre rapporteur vous propose d’adopter ont déjà été présentées à l’article précédent.

*

La Commission rejette l’article 3.

Article 4

Restrictions de l’accès à internet

L’article 4 a pour objet d’encadrer les restrictions de l’accès à internet en prévoyant l’intervention systématique soit de l’ARCEP, soit d’un juge.

« Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent restreindre les capacités d’envoi et de réception de données de leurs abonnés que :

– avec l’accord explicite de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dans un délai de 90 jours suivant leur demande ;

– en cas d’urgence, en minimisant l’atteinte au principe de neutralité, et en informant l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dans un délai de 48 heures. L’autorité émet dans un délai de 7 jours un avis sur l’adéquation des mesures prises ;

– sur décision d’une autorité judiciaire indépendante. Une restriction ou interdiction d’accès ne peut être ordonnée que si elle n’a aucune incidence sur des échanges numériques de données autres que ceux directement visés. »

► Les manquements les plus évidents et les plus graves au principe de neutralité sont constitués de toutes les pratiques de « bridage », qui empêchent à l’internaute d’échanger certaines informations. Ces problèmes de bridage, traités dans cet article 4, se distinguent notamment des problèmes de priorisation de trafic, qui sont traités à l’article 6 de la proposition de loi.

Aujourd’hui, plusieurs types de restrictions sont mis en œuvre par les FAI : restriction des équipements qu’il est possible de connecter au réseau, comme avec l’interdiction dans la plupart des contrats de téléphonie mobile avec accès à internet d’utiliser son téléphone comme modem ; blocage de port, entraînant l’impossibilité d’utiliser certains services en ligne standardisé comme le serveur de messagerie ; filtrage de sites internet, comme dans l’affaire « AAARGH » avec l’ordonnance rendue en référé par le TGI de Paris le 13 juin 2005 ; etc.

► S’il existe des circonstances dans lesquelles ces restrictions peuvent être légitimes, il est nécessaire du fait de l’importance que revêt aujourd’hui internet pour la liberté d’expression et de communication, d’apporter des garanties en terme de procédure. Les FAI ne doivent pas pouvoir restreindre l’accès à internet suivant leur bon vouloir, et notamment pour des motifs économiques.

À cette fin, l’article 4 de la proposition de loi prévoit que la restriction des capacités d’envoi ou de réception de l’internaute ne pourra se faire que suite à une décision judiciaire ou avec l’accord de l’ARCEP. En cas d’urgence, les FAI pourront prendre des mesures de restriction sans attendre l’accord ex ante de l’ARCEP ; mais dans ce cas, le contrôle interviendra ex post et les FAI devront minimiser la violation du principe de neutralité.

► Il faut rappeler la proposition de votre rapporteur d’adopter un amendement portant article additionnel après l’article 1er, qui a déjà été commenté, visant à prévoir que les internautes doivent pouvoir accéder aux informations et programmes de leur choix, sauf restriction « nécessitée par un motif de sécurité ou décision d’une autorité judiciaire indépendante. » Cet amendement complétera les garanties procédurales posées à cet article en déterminant les conditions dans lesquelles l’ARCEP pourra autoriser les FAI à restreindre l’accès à internet, en l’occurrence uniquement pour des motifs de sécurité.

Par ailleurs, par cohérence avec la modification proposée à l’article 1er, il est proposé de substituer au terme d’« échanges numériques de données » le terme de « communications électroniques. »

*

La Commission rejette l’amendement de coordination CE 5 du rapporteur.

Elle rejette ensuite l’article 4.

Article 5

Modalités techniques d’interconnexion

L’article 5 propose d’obliger les FAI à être transparents sur la manière dont ils sont interconnectés aux autres opérateurs.

« Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne mettent gratuitement à la disposition du public, en un standard ouvert, les modalités techniques d’interconnexion de leur réseau de communication électronique. Les modalités techniques d’interconnexion incluent notamment les débits, priorités et tout autre élément de nature à affecter les transmissions de données réalisées via cette interconnexion. »

Comme rappelé dans l’introduction générale, le réseau internet repose sur l’interconnexion d’une multitude d’acteurs publics et privés. Cette interconnexion permet d’échanger le trafic et peut se faire suivant plusieurs modalités : accord d’échange de trafic gratuit ou payant, échange de toutes les adresses de l’internet (transit) ou seulement des adresses propres (peering), etc. L’interconnexion peut avoir un impact important sur le fonctionnement de l’internet : la priorisation de certains flux au niveau de l’interconnexion paraît contraire à la neutralité et le sous-dimensionnement des points d’échange peut conduire à une dégradation de la qualité.

L’obligation de transparence imposée ici aux FAI est une mesure indispensable qui a vocation à être complétée, lorsque le législateur disposera d’une meilleure connaissance du marché de gros de l’internet. L’ARCEP travaille d’ailleurs actuellement sur cette question.

*

La Commission rejette l’article 5.

Article 6

Priorisation de trafic

L’article 6 encadre strictement les cas dans lesquels l’acheminement prioritaire de certains contenus est acceptable.

« Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent transmettre prioritairement un flux de données que :

– dès lors que tous les flux de données supports du même type d’usage, quel que soit le protocole et autres modalités de transmission utilisées, bénéficient de la même priorité ;

– sur décision d’une autorité judiciaire indépendante. Une restriction ou interdiction d’accès ne peut être ordonnée que si elle n’a aucune incidence sur des échanges numériques de données autres que ceux directement visés. »

► Comme signalé précédemment, les divergences qui existent en matière de neutralité proviennent pour l’essentiel de différences d’interprétation de la notion de non-discrimination.

Celle-ci peut notamment être conçue :

- comme transmission homogène des informations quels que soient les acteurs et les contenus, comme le propose la proposition de loi dans les articles suivants ;

- comme « accès non discriminatoire aux différents niveaux de qualité de service. » (7)

Définir la non-discrimination de cette seconde manière pose des difficultés. D’une part, elle conduit à s’éloigner de l’architecture historique de l’internet end-to-end, sans intelligence dans le réseau, et qui a porté ses fruits. D’autre part, elle risque de laisser la porte ouverte à des pratiques illégitimes de la part des opérateurs : comme le notait Tim Wu dans son article fondateur, « il est beaucoup plus facile d’identifier des exemples de discrimination illégitime que d’élaborer des standards qui permettent de séparer les pratiques légitimes de celles qui sont suspectes. » (8)

C’est la raison pour laquelle l’article 6 de la proposition de loi propose d’interdire que des flux soit acheminés prioritairement sur un fondement commercial et impose qu’une même vitesse d’acheminement s’applique à tous les flux support du même type d’usage afin d’éviter toute discrimination.

► Votre rapporteur vous propose d’adopter deux modifications.

La première modification proposée a pour objet de préciser que s’il existe différentes « classes de service » sur les réseaux des FAI, le choix d’utiliser une classe de service déterminée doit revenir à l’abonné. Afin de prévenir les abus, il paraît utile de prévoir que les FAI pourront saisir l’ARCEP pour être autorisés à ne pas transmettre prioritairement certains types de flux n’ayant pas besoin de priorité – ces flux seront alors transmis sans priorité.

La seconde modification a pour objet de rectifier une erreur. L’alinéa 3 de l’article 6 prévoit que certains flux pourraient être transmis prioritairement sur décision d’une autorité judiciaire indépendante ; or il n’existe pas aujourd’hui de base légale permettant à un juge de prendre une telle décision et il est difficile de voir quelle serait son utilité. C’est pourquoi il est proposé de supprimer cette mention. L’intervention d’un juge restera requise dans le cas des restrictions ou des interdictions d’accès, en application du dernier alinéa de l’article 4.

*

La Commission est saisie de l’amendement CE 6 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement précise que le choix d’utiliser une classe de service doit revenir à l’abonné mais que les FAI pourront saisir l’ARCEP pour être autorisés à ne pas transmettre prioritairement des types de flux qui ne le requièrent pas.

La Commission rejette l’amendement.

La Commission examine l’amendement CE 7 du rapporteur.

M. le rapporteur. L’alinéa 3 de l’article disposait que certains flux pourraient être transmis prioritairement « sur décision d’une autorité judiciaire indépendante » ; or, il n’existe pas aujourd’hui de base légale permettant à un juge de prendre une telle décision. Il est donc proposé de supprimer cet alinéa.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette ensuite l’article 6.

Article 7

Procédure de sanction

L’article 7 institue une procédure de sanction des manquements aux règles posées dans les articles précédents.

« Lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations définies aux articles 1er à 6, ou après examen des modalités visées à l’alinéa 2 de l’article 2, ou après examen des modalités visées au premier alinéa de l’article 5, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes adresse à l’auteur de ces faits une recommandation lui rappelant les dispositions des articles 1er à 6 et lui enjoignant de respecter les obligations qu’elles définissent.

Cette recommandation contient également une information sur l’impact négatif attendu de ce manquement.

En cas de renouvellement, dans un délai d’un mois à compter de l’envoi de la recommandation visée au premier alinéa, de faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations définies aux articles 1er à 6, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut adresser une nouvelle recommandation comportant les mêmes informations que la précédente. Elle peut assortir cette recommandation d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de réception de cette recommandation.

Est puni d’une amende de 1 euro à 10 000 000 d’euros par infraction constatée le renouvellement de faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations définies aux articles 1er à 6 après un délai d’un mois après réception de la recommandation visée au second alinéa. Le montant de l’amende prend notamment en compte l’impact économique et social du manquement ; le chiffre d’affaires du contrevenant dans le cas d’une personne morale ou ses ressources dans le cas d’une personne physique ; les avis éventuels de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de l’Autorité de la concurrence.

Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes saisit l’autorité de la concurrence des manquements aux obligations définies aux articles 1er à 6 susceptibles d’être constitutives de pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il a connaissance.

Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également saisir la commission nationale de l’informatique et des libertés des manquements aux obligations définies aux articles 1er à 6.

Les recommandations adressées sur le fondement du présent article mentionnent les dates et l’heure auxquelles les faits susceptibles de constituer un manquement à une des obligations définies aux articles 1er et 2 ont été constatés, ainsi que toutes les informations techniques pertinentes. Elles indiquent les coordonnées téléphoniques, postales et électroniques où leur destinataire peut adresser, s’il le souhaite, des observations à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut conserver les données techniques mises à sa disposition pendant la durée nécessaire à l’exercice des compétences qui lui sont confiées au présent article.

Les décisions de l’autorité prévues par le présent article sont rendues publiques. Elles sont notifiées aux parties qui peuvent introduire un recours devant la cour d’appel de Paris. Le recours a un effet suspensif. »

► Inscrire le principe de neutralité dans la loi n’a de sens que s’il existe un mécanisme permettant de sanctionner les personnes qui ne le respectent pas.

C’est pourquoi cet article institue une procédure inspirée du mécanisme de « riposte graduée » dans le cadre de la loi Hadopi, comportant une première étape de mise en garde de la personne commettant un manquement et une seconde phase de sanction si la personne continue de contrevenir au principe de neutralité.

La première étape est placée sous le pilotage de l’ARCEP. La seconde étape débouche sur une amende dont le montant peut s’élever jusqu’à dix millions d’euros et devra être proportionné à la gravité du manquement commis ainsi qu’aux capacités financières du contrevenant.

► Pour des motifs techniques, votre rapporteur vous propose d’adopter un amendement substituant une sanction administrative à la sanction pénale prévue dans la rédaction initiale du projet de loi.

Des incertitudes entourent en effet le fonctionnement d’un dispositif inspiré du mécanisme de « riposte graduée » dans le cas de la neutralité : une procédure pénale serait lourde à mettre en œuvre, et la phase « pédagogique » devrait être juridiquement découplée de la procédure pénale.

À l’inverse, le pouvoir de sanction administratif confié à l’ARCEP par l’article L. 36-11 du code des postes et des communications électroniques a fait la preuve de son efficacité et permet de lier une mise en demeure de se conformer aux obligations à la sanction du manquement à ces obligations. C’est pourquoi il est proposé de s’aligner sur cette procédure.

*

La Commission examine l’amendement CE 8 du rapporteur.

M. le rapporteur. Cet amendement vise à substituer – essentiellement pour des raisons techniques – une sanction administrative à la sanction pénale initialement alignée sur le dispositif de « riposte graduée » institué par la loi HADOPI. Celui-ci étant difficile à appliquer dans le cas de la neutralité, une procédure de sanction administrative confiée à l’ARCEP nous a semblé préférable, étant entendu que l’amende prévue serait proportionnée à la gravité du manquement et à la situation financière des opérateurs.

La Commission rejette l’amendement.

Elle rejette également l’article 7.

Article 8

Gage

L’article 8 gage la proposition de loi.

« Les charges qui pourraient résulter pour l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »

*

La Commission rejette l’article 8.

M. Jean Dionis du Séjour. En définitive, faute d’y retrouver clairement l’architecture à laquelle il est attaché – Internet utilité essentielle, d’une part, et services gérés, d’autre part –, le groupe Nouveau Centre votera contre cette proposition de loi, quitte à revoir cette position en séance publique si le rapporteur levait alors nos doutes.

*

La Commission rejette l’ensemble de la proposition de loi n° 1897. En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

TABLEAU COMPARATIF

___

Dispositions en vigueur

___

Texte de la proposition de loi

___

Texte adopté par la Commission

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Proposition de loi relative à la neutralité de l’Internet

 
 

Article 1er

Article 1er

 

Le principe de neutralité doit être respecté par toute action ou décision ayant un impact sur l’organisation, la mise à disposition, l’usage d’un réseau ouvert au public. Ce principe s’entend comme l’interdiction de discriminations liées aux contenus, aux émetteurs ou aux destinataires des échanges numériques de données.

(Rejeté)

 

Article 2

Article 2

 

On entend par modalités techniques de l’utilisation d’un accès à des services de communication au public en ligne l’ensemble des normes et spécifications qu’un équipement doit respecter pour se connecter à un accès à des services de communication en ligne.

(Rejeté)

 

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne mettent gratuitement à la disposition du public, en standard ouvert, les modalités techniques d’utilisation de leur service.

 
 

Article 3

Article 3

 

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent interdire ou appliquer des conditions tarifaires spécifiques à leurs abonnés qui connectent simultanément ou successivement différents équipements à un même accès à des services de communication au public en ligne.

(Rejeté)

 

Article 4

Article 4

 

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent restreindre les capacités d’envoi et de réception de données de leurs abonnés que :

(Rejeté)

 

– avec l’accord explicite de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dans un délai de 90 jours suivant leur demande ;

 
 

– en cas d’urgence, en minimisant l’atteinte au principe de neutralité, et en informant l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes dans un délai de 48 heures. L’autorité émet dans un délai de 7 jours un avis sur l’adéquation des mesures prises ;

 
 

– sur décision d’une autorité judiciaire indépendante. Une restriction ou interdiction d’accès ne peut être ordonnée que si elle n’a aucune incidence sur des échanges numériques de données autres que ceux directement visés.

 
 

Article 5

Article 5

 

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne mettent gratuitement à la disposition du public, en un standard ouvert, les modalités techniques d’interconnexion de leur réseau de communication électronique. Les modalités techniques d’interconnexion incluent notamment les débits, priorités et tout autre élément de nature à affecter les transmissions de données réalisées via cette interconnexion.

(Rejeté)

 

Article 6

Article 6

 

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne ne peuvent transmettre prioritairement un flux de données que :

(Rejeté)

 

– dès lors que tous les flux de données supports du même type d’usage, quels que soient le protocole et autres modalités de transmission utilisées, bénéficient de la même priorité ;

 
 

– sur décision d’une autorité judiciaire indépendante. Une restriction ou interdiction d’accès ne peut être ordonnée que si elle n’a aucune incidence sur des échanges numériques de données autres que ceux directement visés.

 
 

Article 7

Article 7

 

Lorsqu’elle est saisie de faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations définies aux articles 1er à 6, ou après examen des modalités visées à l’alinéa 2 de l’article 2, ou après examen des modalités visées au premier alinéa de l’article 5, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes adresse à l’auteur de ces faits une recommandation lui rappelant les dispositions des articles 1er à 6 et lui enjoignant de respecter les obligations qu’elles définissent.

(Rejeté)

 

Cette recommandation contient également une information sur l’impact négatif attendu de ce manquement.

 
 

En cas de renouvellement, dans un délai d’un mois à compter de l’envoi de la recommandation visée au premier alinéa, de faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations définies aux articles 1er à 6, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut adresser une nouvelle recommandation comportant les mêmes informations que la précédente. Elle peut assortir cette recommandation d’une lettre remise contre signature ou de tout autre moyen propre à établir la preuve de la date de réception de cette recommandation.

 
 

Est puni d’une amende de 1 euro à 10 000 000 d’euros par infraction constatée le renouvellement de faits susceptibles de constituer un manquement aux obligations définies aux articles 1er à 6 après un délai d’un mois après réception de la recommandation visée au second alinéa. Le montant de l’amende prend notamment en compte l’impact économique et social du manquement ; le chiffre d’affaires du contrevenant dans le cas d’une personne morale ou ses ressources dans le cas d’une personne physique ; les avis éventuels de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de l’Autorité de la concurrence.

 
 

Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes saisit l’autorité de la concurrence des manquements aux obligations définies aux articles 1er à 6 susceptibles d’être constitutives de pratiques entravant le libre exercice de la concurrence dont il a connaissance.

 
 

Le président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut également saisir la commission nationale de l’informatique et des libertés des manquements aux obligations définies aux articles 1er à 6.

 
 

Les recommandations adressées sur le fondement du présent article mentionnent les dates et l’heure auxquelles les faits susceptibles de constituer un manquement à une des obligations définies aux articles 1er et 2 ont été constatés, ainsi que toutes les informations techniques pertinentes. Elles indiquent les coordonnées téléphoniques, postales et électroniques où leur destinataire peut adresser, s’il le souhaite, des observations à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

 
 

L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut conserver les données techniques mises à sa disposition pendant la durée nécessaire à l’exercice des compétences qui lui sont confiées au présent article.

 
 

Les décisions de l’autorité prévues par le présent article sont rendues publiques. Elles sont notifiées aux parties qui peuvent introduire un recours devant la cour d’appel de Paris. Le recours a un effet suspensif.

 
 

Article 8

Article 8

 

Les charges qui pourraient résulter pour l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

(Rejeté)

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement CE 1 présenté par M. Christian Paul :

Article 1er

À la seconde phrase de l’article 1er, substituer aux mots : « échanges numériques de données », les mots : « communications électroniques ».

Amendement CE 2 présenté par M. Christian Paul, rapporteur :

Article additionnel après l’article 1er

Les personnes dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne sont tenues de donner aux utilisateurs finals :

– la possibilité d’envoyer et de recevoir les contenus de leur choix, ainsi que de diffuser et d’utiliser les applications et les services de leur choix, sauf restriction nécessitée par des motifs de sécurité ou ordonnée par une autorité judiciaire indépendante ;

– la possibilité de connecter le matériel et d’utiliser les programmes de leur choix.

Amendement CE 3 présenté par M. Christian Paul :

Article additionnel après l’article 1er

À compter du 1er janvier 2015, la composante du service universel des communications électroniques visée au 1° de l’article L. 35-1 du code des postes et des communications électroniques fournit à tous un accès à internet à un débit d’au moins 1 Mbits. Le financement des coûts liés à ce service est pris en charge suivant les modalités prévues à l’article L. 35-3 du même code.

Les personnes dont l’activité est d’offrir un service de communication au public en ligne ne peuvent restreindre le débit d’accès à internet de leurs abonnés que sur décision d’une autorité judiciaire indépendante.

Amendement CE 4 présenté par M. Christian Paul :

Article additionnel après l’article 1er

Les personnes dont l’activité est d’offrir des services de communication au public en ligne ne peuvent mettre à la disposition de leurs abonnés des équipements de connexion au réseau restant leur propriété que si ces équipements ont été agréés par l’Autorité des communications électroniques et des postes.

L’autorité détermine les spécifications fonctionnelles permettant à ces équipements de fournir les services strictement nécessaires à l’accès au réseau de communication électronique, à l’exclusion de tout autre service. Elle rend publiques ces spécifications. L’agrément est délivré par l’autorité à la demande des personnes dont l’activité est d’offrir des services de communication au public en ligne pour les équipements présentant les seules spécifications fonctionnelles précitées.

Amendement CE 5 présenté par M. Christian Paul :

Article 4

À l’alinéa 4, substituer aux mots : « échanges numériques de données », les mots : « communications électroniques ».

Amendement CE 6 présenté par M. Christian Paul :

Article 6

1° Après le mot : « données », rédiger ainsi la fin de l’alinéa 1 :

«  qu’à condition de laisser leurs abonnés choisir les flux de données transmis prioritairement. Ils ne peuvent empêcher la transmission prioritaire de certains flux qu’à condition que les usages que ces flux supportent ne requièrent manifestement pas cette priorité et après l’accord explicite de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, dans un délai de 90 jours suivant leur demande. »

2° En conséquence, supprimer l’alinéa 2.

Amendement CE 7 présenté par M. Christian Paul :

Article 6

Supprimer l’alinéa 3.

Amendement CE 8 présenté par M. Christian Paul :

Article 7

Rédiger ainsi cet article :

« L'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut, soit d'office, soit à la demande du ministre chargé des communications électroniques, d'une organisation professionnelle, d'une association agréée d'utilisateurs ou d'une personne physique ou morale concernée, sanctionner les manquements qu'elle constate, de la part de toute personne physique ou morale, aux obligations définies dans la présente loi, dans les conditions définies ci-après :

1° En cas de manquement d’une personne physique ou morale aux obligations définies dans la présente loi, celle-ci est mise en demeure par le directeur des services de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes de s'y conformer dans un délai d’un mois. L'autorité motive et rend publique cette mise en demeure ;

2° Lorsque la personne ayant commis le manquement ne se conforme pas à la mise en demeure prévue au 1°, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut prononcer à son encontre une sanction pécuniaire dont le montant est proportionné à la gravité du manquement, sans qu’il puisse excéder 10 000 000 d’euros. Le montant de la sanction prend notamment en compte l’impact économique et social du manquement ; le chiffre d’affaires du contrevenant dans le cas d’une personne morale ou ses ressources dans le cas d’une personne physique ; les avis éventuels de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de l’Autorité de la concurrence, que le président de l’Autorité de régulation des postes et des communications électroniques peut saisir à cette fin. La sanction est prononcée après que l’intéressé a reçu notification des griefs et a été mis à même de consulter le dossier et, le cas échéant, les résultats des enquêtes ou expertises conduites par l'autorité et de présenter ses observations écrites et verbales. Elle est recouvrée comme les créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine. Elle est motivée, notifiée à l'intéressé et publiée au Journal officiel. Elle peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction et d'une demande de suspension présentée conformément à l'article L. 521-1 du code de justice administrative, devant le Conseil d'État. »

© Assemblée nationale

1 () Rapport du Gouvernement, La neutralité de l’internet : un atout pour le développement de l’économie numérique, p. 5 : « Tim Wu, universitaire américain considéré comme le « père » de cette terminologie, la définit comme suit : « Pour qu'un réseau public d'information soit le plus utile possible, il doit tendre à traiter tous les contenus, sites et plateformes de la même manière. [...] Internet n'est pas parfait mais son architecture d'origine tend vers ce but. Sa nature décentralisée et essentiellement neutre est la raison de son succès à la fois économique et social. » [Extrait d'un article intitulé « Network Neutrality, Broadband Discrimination » dans « Open architecture as communications policy », Center for Internet an Society, Stanford Law school, 2004.]

2 () Premières orientations de la mission d’information de la commission des affaires économiques sur la neutralité de l’internet et des réseaux, §2 : « La neutralité des réseaux peut être définie comme le principe selon lequel est exclue toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de (l'information transmise sur les réseaux. »

3 () Rapport de l’ARCEP, Neutralité de l’internet et des réseaux : proposition et recommandation, p. 7 : « Tim Wu, considéré comme le « père » de l’expression « net neutrality », la définit comme le principe « selon lequel un réseau public d’utilité maximale aspire à traiter tous les contenus, sites et plateformes de la même manière, ce qui lui permet de transporter toute forme d’information et d’accepter toutes les applications. »

4 () Wikipedia, La neutralité des réseaux : « La neutralité du réseau est un principe fondateur d'Internet qui exclut toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau. »

5 () Cf. art. L. 32, 3°, code des postes et des communications électroniques.

6 () Cf. « Lamy » Droit de l’informatique et des réseaux, 2010, § 1520.

7 () Cf. Premières orientations de la mission d’information de la commission des affaires économiques sur la neutralité de l’internet et des réseaux, §23.

8 () Cf. « Network Neutrality, Broadband Discrimination » dans « Open architecture as communications policy », Center for Internet an Society, Stanford Law school, 2004, p.175