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N
° 4191

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 janvier 2012.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI n° 4021, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire,

par M.  Eric WOERTH

Député

___

ET

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

INTRODUCTION 5

I – LE NUCLÉAIRE CIVIL : UN DOMAINE DE COOPÉRATION FRANCO-INDIENNE TRÈS PROMETTEUR 7

A – L’INDE EST TRÈS DÉSIREUSE DE DÉVELOPPER DES PARTENARIATS DANS LE DOMAINE DU NUCLÉAIRE CIVIL 7

1) Le choix du nucléaire pour satisfaire une partie de ses besoins énergétiques 7

2) Un cadre juridique international aménagé en sa faveur 8

B – LA FRANCE EST EN MESURE DE DEVENIR L’UN DES PRINCIPAUX PARTENAIRES DE L’INDE 10

1) L’établissement d’un cadre de coopération 10

2) D’excellentes perspectives de coopérations scientifiques et industrielles 12

a) Les coopérations scientifiques 12

b) Les coopérations industrielles 14

II – UN ACCORD NÉCESSAIRE À LA PRÉSERVATION DES INTÉRÊTS DES DEUX PARTIES 15

A – L’INDE A UNE CONCEPTION PARTICULIÈRE DE LA PROTECTION DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE 15

B – L’ACCORD PERMET DE LIMITER LES CONSÉQUENCES DE CETTE POSITION SUR LES INTÉRÊTS FRANÇAIS 17

CONCLUSION 21

EXAMEN EN COMMISSION 23

––––––

ANNEXE : TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 27

Mesdames, Messieurs,

Les relations entre la France et l’Inde se sont considérablement densifiées depuis la visite d’Etat du Président Chirac à New Delhi, début 1998. Un partenariat stratégique a alors été lancé, qui repose sur trois piliers : la défense (désormais élargie à la sécurité), l’espace et le nucléaire civil, qui sont les trois domaines où la coopération entre les deux pays est la plus développée.

Aussi, lorsque l’Inde a exprimé le souhait d’obtenir une dérogation aux règles de l’Agence internationale de l’énergie atomique afin de pouvoir bénéficier de transferts de technologies dans le domaine du nucléaire civil bien qu’elle ne soit pas partie au traité de non-prolifération, elle a immédiatement reçu le soutien de la France.

L’expérience de nos entreprises et de nos instituts de recherches dans ce domaine en fait un partenaire naturel de l’Inde, qui a développé sa propre filière nucléaire mais compte sur l’aide d’autres Etats pour améliorer ses connaissances et accélérer la croissance de sa capacité de production d’énergie nucléaire afin de faire face à l’explosion de ses besoins en électricité.

L’accord-cadre franco-indien signé en septembre 2008, quelques jours après que l’Inde a obtenu le statut dérogatoire auquel elle aspirait, prévoyait la conclusion d’accords particuliers pour régler certaines questions. L’accord, signé le 6 décembre 2010, qui est l’objet du présent projet de loi est l’un d’eux : il pose les règles de répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, ces accords devant être conclus par les organismes de recherches des deux Etats amenés à faire des travaux en commun.

Votre Rapporteur va d’abord rappeler combien la coopération franco-indienne dans le domaine du nucléaire civil est prometteuse, avant d’exposer les raisons pour lesquelles un accord particulier sur la propriété intellectuelle est nécessaire, puis d’en présenter les stipulations.

I – LE NUCLÉAIRE CIVIL : UN DOMAINE DE COOPÉRATION
FRANCO-INDIENNE TRÈS PROMETTEUR

Si le projet de vente à l’Inde de plusieurs EPR par Areva semble aujourd’hui dominer les relations franco-indiennes dans le domaine du nucléaire, celles-ci sont très loin de s’y résumer. La coopération scientifique entre les deux pays existe depuis longtemps, et a vocation à se renforcer. En outre, les entreprises françaises du secteur du nucléaire ont déjà commencé à conquérir des parts du très vaste marché indien en fournissant des services ou des éléments de réacteurs. Les perspectives sont très prometteuses.

A – L’Inde est très désireuse de développer des partenariats dans le domaine du nucléaire civil

Pour maintenir son rythme de croissance actuel – qui s’établit autour de 9 % par an au cours de la dernière décennie –, l’Inde doit considérablement augmenter le niveau de sa production énergétique. Alors que sa capacité énergétique installée était 174 gigawatts (GW) en mars 2011, l’objectif fixé par le gouvernement indien est de la porter à 800 GW à l’horizon 2030. 55 GW supplémentaires (contre 63 initialement prévus) devraient être produits pendant la période 2007-2012, et 130 GW pendant la période 2012-2017.

1) Le choix du nucléaire pour satisfaire une partie de ses besoins énergétiques

Actuellement, la production électrique provient de centrales thermiques à hauteur de 65 % (52 % charbon, 10 % gaz, et 0,8 % diesel), de centrales hydrauliques pour 22 %, d’énergies renouvelables pour un peu moins de 10 % et d’énergie nucléaire à hauteur d’environ 3 %. Face à une demande énergétique qui croît de 8 % par an, l’Inde risque de devoir accroître ses importations d’hydrocarbures, ce qui augmenterait sa dépendance énergétique. Pour éviter cela, le pays a besoin d’un nouveau « mix énergétique ». Le Gouvernement privilégie les orientations suivantes : moderniser les centrales thermiques existantes, développer la production d’énergie solaire et éolienne (avec un potentiel de 50 GW pour chacune de ces sources), construire des barrages hydroélectriques, notamment sur le fleuve Narmada, et relever à 20 % la part du nucléaire dans la production énergétique.

L’intérêt de l’Inde pour le nucléaire remonte aux années 1960. Le pays a d’abord acheté à l’Américain General Electric deux réacteurs bouillants (Tarapur 1 et 2) avant de choisir d’engager avec le Canada une coopération sur la filière des réacteurs à eau lourde.

La première phase du développement du programme nucléaire indien a ainsi reposé sur des réacteurs à eau lourde pressurisée utilisant l’uranium naturel : elle est aujourd’hui arrivée à maturité avec la construction en série de réacteurs de petite à moyenne puissance.

La seconde phase vise à doter le pays d’un parc de réacteurs surgénérateurs. Un réacteur prototype de 500 MWe (1) est en cours de construction à Kalpakkam, près de Chennai. Son démarrage est prévu en 2012. Il sera suivi de quatre autres unités de même puissance, d’ici 2020.

La troisième phase repose sur le cycle du thorium, dont le sous-sol indien, pauvre en uranium, abonde. Les ingénieurs indiens ont achevé la conception d’un réacteur avancé à eau lourde de 300 MWe.

Actuellement, vingt réacteurs nucléaires sont exploités dans le pays, pour une puissance installée de 4,78 GWe. Ils sont quasiment tous issus du modèle canadien CANDU. Les autorités indiennes voudraient que la capacité nucléaire installée atteigne au moins 20 GWe en 2020 et 63 GWe en 2032. Plus de la moitié de la capacité visée en 2020 pourrait être fournie par des réacteurs à eau légère de technologie russe, américaine ou française.

Si le Gouvernement indien mène ainsi une politique volontariste de long terme et cherche à assurer l’autonomie de son programme – ce qui passe par la maîtrise technologique des différentes filières et l’autosuffisance en combustible nucléaire –, c’est que le pays a été victime d’un isolement international qui s’est progressivement approfondi à partir de son essai nucléaire de 1974 et son refus de devenir partie au traité de non-prolifération (TNP), et dont il n’est sorti que récemment.

2) Un cadre juridique international aménagé en sa faveur

Après ce premier essai nucléaire, pourtant qualifié de « pacifique », toutes les coopérations technologiques engagées avec l’Inde ont dû être interrompues. Seul a perduré, jusqu’à aujourd’hui, l’approvisionnement en uranium enrichi par différents pays (Etats-Unis, France, Chine, Russie) des réacteurs à eau légère de Tarapur, placés sous le contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

La réalisation de nouveaux essais nucléaires au printemps 1998 aurait dû accentuer cet isolement. Dix ans plus tard, l’Inde avait pourtant obtenu que soit autorisée la reprise des coopérations internationales. Ce paradoxe est en grande partie le résultat de l’évolution des relations entre l’Inde et les Etats-Unis pendant cette période : après avoir sanctionné New Delhi aux lendemains de ses nouveaux essais nucléaires, Washington s’en est progressivement rapproché dans le contexte de lutte contre le terrorisme et de rééquilibrage de la position américaine entre le Pakistan et l’Inde. Sans le soutien américain, appuyé notamment par la France et le Royaume-Uni, l’Inde n’aurait jamais obtenu la décision prise le 10 septembre 2008 par le groupe des fournisseurs nucléaires (GFN), laquelle a ouvert la voie à des coopérations nucléaires avec l’Inde.

Cette décision constitue une dérogation aux principes fondateurs du groupe, selon lesquels est interdite l’exportation de biens et technologies nucléaires à des Etats, tels que l’Inde, n’ayant pas conclu d’accord autorisant l’AIEA à inspecter toutes leurs installations nucléaires, c’est-à-dire d’accord dit de garanties généralisées. Pour obtenir cette importante concession, l’Inde a dû prendre des engagements en matière de non-prolifération.

D’abord, le pays a procédé à une séparation des installations nucléaires utilisées à des fins civiles de celles ayant un usage militaire. Le dépôt à l’AIEA d’une liste des installations purement civiles permet à l’agence de remplir son rôle d’inspection dans toutes les structures nucléaires civiles indiennes. Suite à l’approbation du plan de séparation par le Parlement indien, un accord a ainsi pu être passé le 1er août 2008 entre l’Inde et l’AIEA. Ce nouveau cadre de coopération entre les deux parties a permis d’aboutir à la signature, le 15 mai 2009, d’un protocole additionnel, modèle de texte proposé depuis 1993 par l’AIEA qui offre des pouvoirs plus importants à ses inspecteurs.

Ainsi, alors que seulement quatre des dix-sept réacteurs en service étaient auparavant susceptibles d’inspection, ce sont désormais dix installations, ainsi que tous les nouveaux réacteurs qui pourraient être construits, et certaines installations impliquées dans le cycle du combustible (enrichissement ou retraitement de l’uranium), qui pourront être l’objet des contrôles de l’AIEA.

En deuxième lieu, l’Inde s’est engagée à renforcer son système de contrôle des exportations nucléaires, afin de le rapprocher des normes en vigueur au sein du groupe des fournisseurs nucléaires.

Enfin, le pays a accepté de maintenir son moratoire unilatéral de novembre 1998 sur les essais nucléaires, décidé après sa dernière campagne d’essais.

Ces engagements contribuent à rapprocher l’Inde du système actuel de non-prolifération, sans pour autant contraindre ce pays à ratifier le TNP, ce qui nécessiterait l’abandon de tout programme nucléaire militaire. Depuis, plusieurs Etats ont conclu des accords de coopération nucléaire avec l’Inde : tel est notamment le cas des Etats-Unis, en octobre 2008, du Royaume-Uni, en janvier 2010, de la Russie, en mars 2010 et du Canada, en juin 2010. Mais le premier Etat à signer un tel accord a été la France, dès le 30 septembre 2008.

B – La France est en mesure de devenir l’un des principaux partenaires de l’Inde

Le nucléaire est un thème de rapprochement franco-indien depuis plus d’une douzaine d’années : une nouvelle phase des relations bilatérales s’est ouverte à partir de 1998, notamment permise par l’absence de condamnation française à la suite des essais nucléaires militaires indiens du printemps. Après avoir été l’objet de vives critiques en 1995 et début 1996 pour avoir elle-même effectué des essais nucléaires avant d’adhérer au traité les interdisant, la France s’était montrée compréhensive vis-à-vis de l’Inde. Elle a ensuite soutenu la demande indienne d’un aménagement des règles internationales pour permettre à New Delhi de bénéficier de transferts de technologies en matière de nucléaire civil.

Reconnaissante pour ces prises de position diplomatiques en sa faveur, et consciente de l’excellence technologique française dans ce domaine, l’Inde a logiquement choisi de faire de la France l’un de ses principaux partenaires.

1) L’établissement d’un cadre de coopération

La première étape a donc consisté en la signature de l’accord bilatéral de coopération pour le développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, le 30 septembre 2008 (2).

Cet accord-cadre, entré en vigueur le 14 janvier 2010, stipule que les parties coopèrent dans le domaine de l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques et non explosives et que la coopération :

– peut prendre notamment les formes suivantes (article Ier) : transfert de technologies à l’échelle industrielle ou commerciale, échange et formation de personnel scientifique et technique, échange d’informations scientifiques et techniques, participation de personnel scientifique et technique de l’une des parties à des activités de recherche et de développement menées par l’autre partie, conduite en commun d’activités de recherche et ingénierie, etc. ;

– est mise en œuvre soit par des accords spécifiques pour préciser les programmes scientifiques et techniques et les modalités des échanges scientifiques et techniques, soit par des protocoles d’accords ou contrats pour les réalisations industrielles, la fourniture de matières, matières nucléaires, services, équipements, la mise en place d’installations et les questions de localisation et de transferts de technologies (article II).

L’accord-cadre prévoit la signature de protocoles d’accords sur la responsabilité civile (article VIII), les informations confidentielles (article XII) et la propriété intellectuelle (article VII).

Un accord bilatéral sur la protection du caractère confidentiel des données techniques et des informations relatives à la coopération en matière d’utilisations pacifiques de l’énergie a été signé à New Delhi le 6 décembre 2010. Dans la mesure où il ne remplit aucune des conditions fixées à l’article 53 de la Constitution, son approbation par le Gouvernement n’est pas soumise à l’autorisation du Parlement. Il est entré en vigueur dès le jour de sa signature.

L’accord sur la répartition des droits de propriété intellectuelle a été signé le même jour et l’autorisation de son approbation par le Gouvernement est l’objet du présent projet de loi.

En revanche, il ne devrait pas y avoir d’accord franco-indien sur la responsabilité civile nucléaire. En effet, les stipulations de l’article VIII de l’accord sont les suivantes :

« 1. Les Parties ou les personnes chargées par elles de la mise en oeuvre du présent Accord traitent dans des accords spécifiques les questions relatives à la responsabilité, y compris la responsabilité civile nucléaire.

« 2. Les Parties conviennent qu’aux fins de l’indemnisation des dommages causés par un incident nucléaire mettant en jeu des matières, matières nucléaires, équipements, installations et technologies visés à l’article IX, chaque Partie crée un régime de responsabilité civile nucléaire reposant sur les principes internationaux établis. »

L’Inde a récemment voté une loi sur la responsabilité civile nucléaire et la France dispose d’une législation en la matière, conforme aux normes internationales auxquelles elle est partie. Les acteurs inter-gouvernementaux de la coopération, tels que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et Areva côté français, pourront, en complément, conclure des accords avec leurs partenaires indiens en application du premier alinéa.

Dans la mesure où c’est un élément très important pour la coopération franco-indienne, il n’est pas inutile de signaler les problèmes que pose la loi indienne en matière de responsabilité civile nucléaire, entrée en vigueur en septembre 2011. S’écartant sur certains points des conventions internationales, elle déroge notamment au principe de canalisation de la responsabilité sur l’exploitant, du fait du droit de recours dont dispose ce dernier à l’égard du fournisseur. Elle reste par ailleurs silencieuse quant au niveau de responsabilité de ce dernier.

Un décret d’application de cette loi est très récemment venu encadrer, en montant et en durée, ce droit de recours. Il s’agit là d’un pas vers une plus grande sécurité juridique souhaitée par les fournisseurs, mais de nombreuses craintes subsistent, notamment à propos de l’article 46 de la loi, relatif au caractère non exclusif du régime de responsabilité civile nucléaire : il maintient une possibilité de recours contre le fournisseur sur la base du régime de responsabilité civile de droit commun.

2) D’excellentes perspectives de coopérations scientifiques et industrielles

Si des actions de coopération scientifique sur des sujets précis étaient conduites avant même l’accord du GFN, l’accord-cadre bilatéral leur permet de se développer. Il ouvre aussi la voie à des coopérations industrielles, qui devraient permettre à l’Inde d’atteindre plus rapidement ses objectifs de production d’énergie d’origine nucléaire.

Pour la mise en œuvre de ces deux volets de coopération, il est important de disposer d’un cadre permettant de ne pas porter atteinte aux activités de l’une ou de l’autre partie, dont les droits de propriété intellectuelle ne seraient pas protégés.

a) Les coopérations scientifiques

Durant la visite d’Etat en Inde du président de la République, le CEA et le Département à l’énergie atomique indien (DAE) ont signé le 25 janvier 2008, un accord sur la participation de l’Inde au projet de réacteur de recherche Jules Horowitz, en construction à Cadarache. Le Bhabha Atomic Research Centre (BARC) et le Tata Institute for Fundamental Research (TIFR) ont signé le même jour avec le GANIL (laboratoire commun CEA/CNRS) un accord de participation au projet SPIRAL2, à Caen (il s’agit d’accélérateur d’ions lourds).

Outre les deux accords intergouvernementaux sur la protection de la propriété intellectuelle et sur la protection du caractère confidentiel des données techniques et informations relatives à la coopération nucléaire civile, plusieurs accords ont été signés durant la visite de travail en Inde du président de la République, du 4 au 7 décembre 2010, dont la liste figure dans l’encadré suivant.

Ces accords récents complètent ou prorogent ceux qui avaient été conclus avant même l’accord-cadre franco-indien de septembre 2008.

LISTE DES ACCORDS RELATIFS À LA COOPÉRATION SCIENTIFIQUE
DANS LE DOMAINE DU NUCLÉAIRE SIGNÉS EN DÉCEMBRE 2010.

– Accord de coopération entre le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Département à l’énergie atomique (département ministériel indien, directement placé sous l’autorité du Premier ministre) qui couvre l’ensemble des coopérations de recherche et développement dans le domaine nucléaire.

– Lettre d’intention entre le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Département à l’énergie atomique sur le projet de « Centre Global de Partenariat en matière d’Energie Nucléaire » (programme de coopération multilatérale en matière de sécurité nucléaire).

– Arrangement entre l’Autorité de sûreté nucléaire française (ASN) et l’Atomic Energy Regulatory Board (AERB) portant sur les échanges d’informations techniques et la coopération en matière de règlementation liée à la sûreté nucléaire et à la radioprotection.

– Accord de coopération entre l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’Atomic Energy Regulatory Board (AERB) en matière de sûreté des réacteurs nucléaires (aspects techniques par opposition aux aspects règlementaires couverts par l’accord ci-dessus entre l’ASN et l’AERB).

– Accord d’application entre le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et le Homi Bhabha National Institute du Département à l’énergie atomique, sur les thèses en cotutelle (organisation d’échanges croisés d’étudiants doctorants).

– Protocole d’accord entre l’Agence française nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) et le Bhabha Atomic Research Center (BARC) en matière de gestion des déchets radioactifs (échange de retours d’expériences).

Un premier bilan de la mise en œuvre des accords en vigueur met en évidence l’intensité des échanges entre le BARC et l’Agence française nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), et le développement des liens entre les deux autorités de sûreté nucléaire, surtout depuis l’accident de Fukushima.

Pour ce qui est de la coopération entre le CEA et le DAE, l’entrée en vigueur de l’accord-cadre de décembre 2010 est liée à celui de l’accord sur la propriété intellectuelle qui est l’objet du présent rapport. Dans l’attente de la finalisation des dispositions indiennes en matière de responsabilité civile nucléaire, les accords sectoriels conclus par le CEA sur la recherche de base et la modélisation et sur la sûreté des réacteurs rapides qui ont expiré en 2009 et 2010 n’ont pas été renouvelés. La coopération se développe donc au travers d’accords spécifiques de mise en œuvre qui sont conclus sur chacune des thématiques identifiées. A ce jour quatorze de ces accords sont en vigueur, les six derniers ayant été signés lors du dernier comité conjoint CEA-DAE qui s’est tenu en France en septembre 2011. La coopération entre le CEA et le DAE fait l’objet d’une revue annuelle par un comité conjoint co-présidé par l’administrateur général du CEA et le secrétaire d’Etat indien en charge du DAE. Cette coopération se déroule à la plus grande satisfaction des deux parties.

b) Les coopérations industrielles

Sur le plan industriel aussi, les perspectives sont très encourageantes, l’Inde souhaitant bénéficier de la force de l’industrie et des technologies nucléaires françaises, notamment. Devant l’immensité de ses besoins énergétiques indiens, le pays souhaite à la fois poursuivre la constitution de son parc de centrales utilisant le concept canadien « indianisé » du réacteur de type CANDU et importer des réacteurs étrangers. Les industriels français peuvent intervenir à ces deux niveaux.

De nombreuses entreprises indiennes de toute taille, qui ne sont pas forcément déjà actives dans ce secteur, cherchent à s’associer à des entreprises étrangères afin de participer au programme nucléaire. Des partenariats franco-indiens existent dans différents domaines, comme les pompes et valves, la fabrication de forgés, le contrôle et la commande, l’instrumentation. Ubifrance a organisé le 1er octobre 2011 un séminaire franco-indien sur l’énergie atomique pour faciliter les rencontres entre industriels des deux pays. Plusieurs partenariats sont d’ores et déjà lancés, comme celui conclu entre Alstom, BHEL (Bharat Heavy Electricals Ltd) et l’électricien nucléaire indien NPCIL (Nuclear Power Corporation of India Ltd) sous la forme d’une joint-venture créée en mars 2011 pour la fourniture de turbines, ou celui qui associe le groupe français ONET Technologies et l’industriel indien PCI Ltd (Prime Chemfert Industries Pvt Ltd) dans une joint-venture conclue en avril 2011 dans le domaine des services pour l’industrie nucléaire (ingénierie de conception, maintenance et démantèlement).

Mais le projet franco-indien le plus ambitieux concerne la fourniture par Areva à NPCIL de six EPR (pour « réacteurs pressurisés européens ») sur le site de Jaitapur, dans l’Etat du Maharastra, au sud de Bombay ; les six réacteurs produiraient de l’ordre de 10 000 MW, sur ce qui serait le plus important site de production d’électricité du pays. Un MoU pour la fourniture de deux premiers EPR et du combustible nécessaire à leur exploitation a été signé en ce sens en février 2009, ainsi qu’un accord commercial entre AREVA et NPCIL pour les travaux préparatoires à la construction de ces réacteurs. Depuis, les discussions commerciales sont en cours entre les deux entreprises pour la première phase du projet, consistant en la fourniture de deux EPR.

Plusieurs difficultés doivent encore être résolues, qui ont trait à la nouvelle loi indienne sur la responsabilité civile nucléaire (cf. supra), aux inquiétudes relatives à la sécurité du futur site, situé en zone sismique, qui ont été accentuées par la catastrophe de Fukushima, et à l’existence de mouvements de contestation contre certains éléments du projet (sur le montant des indemnités accordées aux propriétaires des terrains nécessaires à sa réalisation ou le nombre de salariés locaux qui participeront aux travaux). Il n’a pas non plus encore été trouvé d’accord sur tous les éléments de prix.

En dépit de ces obstacles, les autorités indiennes comme les responsables d’Areva apparaissent confiants quant aux perspectives de réalisation du projet.

II – UN ACCORD NÉCESSAIRE À LA PRÉSERVATION
DES INTÉRÊTS DES DEUX PARTIES

L’accord-cadre de septembre 2008 contient d’ores et déjà des stipulations relatives à la question de la propriété intellectuelle dans son article VII, qui est ainsi rédigé :

« 1. Les Parties ou les personnes chargées par elles de la mise en œuvre du présent Accord protègent de manière adéquate et effective la propriété intellectuelle créée et la technologie transférée dans le cadre de la coopération conduite conformément au présent Accord et aux accords spécifiques, protocoles d’accord et contrats visés à l’article II.

« 2. Les Parties s’efforcent de trouver un accord sur les droits de propriété intellectuelle afin de fournir le cadre nécessaire à la mise en œuvre des dispositions du présent article.

« 3. Le présent Accord n’affecte pas le droit d’utiliser les droits de propriété intellectuelle acquis par les personnes préalablement au présent Accord. Les conditions d’usage, d’attribution et de transfert des droits de propriété intellectuelle sont précisées au cas par cas dans les accords spécifiques et contrats visés à l’article II du présent Accord. »

Dans la plupart des accords de coopération dans le domaine du nucléaire civil conclus par la France, le contenu du premier et du troisième alinéa de cet article suffit à régler la question de la propriété intellectuelle. C’est parce que l’Inde à une conception de la propriété intellectuelle différente de la quasi-totalité des autres Etats que la France a estimé nécessaire de consacrer un accord particulier à cette question.

A – L’Inde a une conception particulière de la protection de la propriété intellectuelle

L’Inde, comme la France, est partie aux accords multilatéraux relatifs à la protection de la propriété intellectuelle, conclus dans le cadre de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) (3) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) (4). Mais elle a une interprétation particulière des règles internationales qui la conduit à exclure les inventions du nucléaire civil du champ de la brevetabilité.

Un des sujets les plus débattus par les négociateurs de l’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce a été l’étendue des exceptions à la règle selon laquelle les inventions répondant aux conditions prévues à l’article 27-1 de cet accord (5) doivent être brevetables. Le même accord admet trois exceptions explicites aux règles de base de la brevetabilité : les inventions contraires à l’ordre public ou la moralité (y compris atteinte à la santé et à l’environnement) ; les méthodes diagnostiques, thérapeutiques et chirurgicales pour le traitement des hommes et des animaux ; les végétaux et animaux autres que les micro-organismes.

Toutefois, certaines exceptions n’ont pas été mentionnées expressément car elles résultaient d’autres dispositions de l’accord. Tel est le cas de l’exclusion des « théories scientifiques, méthodes mathématiques, découvertes et matières [existant déjà] trouvées sous la même forme dans la nature », dont il était jugé qu’elle résultait déjà des critères fondamentaux régissant la brevetabilité prévus à l’article 27-1 (selon le document de travail de l’OMC, WT/CTE/W/8 du 8 juin 1995, § 93). L’Inde considère qu’il en est de même de l’exclusion des inventions touchant les matières nucléaires ou fissibles, dont il était admis qu’elle était déjà couverte par les dispositions de l’article 73 relatives aux « exceptions concernant la sécurité » (ibidem). L’Inde utilise ainsi ces exceptions relatives à la sécurité pour justifier l’interdiction de délivrance de brevets sur l’énergie nucléaire, position qu’elle a soutenue par exemple dans le cadre de l’OMPI.

Ainsi, en cohérence avec cette interprétation, la loi indienne, par la combinaison de la section 20 de l’Atomic Energy Act de 1962 et du chapitre II section IV de l’Indian Patent Act de 1970, interdit la délivrance en Inde de brevets portant sur l’énergie nucléaire.

En effet, l’Atomic Energy Act énumère dans la section 20.1 les sujets qui sont exclus de la brevetabilité du fait de leur relation avec l’énergie nucléaire. Quant au chapitre II.IV de l’Indian Patent Act, il dispose qu’aucun brevet ne peut être délivré pour une invention traitant d’énergie nucléaire et tombant dans la section 20.1 de l’Indian Atomic Energy Act.

En outre, l’obtention préalable de l’autorisation du gouvernement fédéral est requise pour pouvoir déposer à l’étranger les résultats issus de recherches effectuées en Inde en matière nucléaire, obligation précisée à la section 20.5 de l’Indian Atomic Energy Act.

Ces dispositions de la loi indienne résultent de modifications apportées en 2005 pour répondre au refus de levée d’embargo sur certaines matières. A ce stade, l’Inde refuse de modifier les dispositions de la loi sur la propriété intellectuelle tant que l’embargo n’est pas levé.

C’est dans le souci de protéger au mieux la propriété intellectuelle liée aux travaux de recherches que la France et l’Inde vont mener ensemble que notre pays a choisi de préciser le plus possible les principes qui la régissent. Ni la Russie ni les Etats-Unis n’ont pris de telles précautions : ce sujet est réglé dans l’équivalent de notre accord-cadre, certaines questions restant sans réponse déterminée a priori.

B – L’accord permet de limiter les conséquences de cette position sur les intérêts français

L’article 1er du présent accord définit les termes employés dans sa rédaction. Il faut surtout en retenir la distinction entre les « connaissances propres », c’est-à-dire les informations ou technologies détenues ou acquises antérieurement à l’entrée en vigueur de l’accord-cadre ou des accords d’application ou résultant de recherches indépendantes de celles menées dans le cadre de ces accords, et les « résultats communs », qui sont ceux issus d’un accord d’application. Le but de l’accord est de fixer les règles de partage de certaines connaissances propres et d’utilisation et de protection des résultats communs.

Le principe de la « protection adéquate et effective » des résultats communs et des connaissances propres partagées dans le cadre des accords est posé à l’article 2 de l’accord. Pour que les Etats soient en mesure d’assurer cette protection, ils doivent s’informer mutuellement des résultats communs issus des travaux réalisés en coopération.

C’est surtout le dernier alinéa de cet article 2 qui est important pour la France. Les parties s’engagent en effet « à ne pas s’opposer à la recherche, par les participants, d’une protection des résultats dans les Etats autorisant une telle protection ». Concrètement, l’Etat indien s’engage ainsi à ne pas s’opposer à la protection à l’étranger (en France ou ailleurs, mais pas en Inde, donc) des résultats de recherches issus d’une coopération franco-indienne. Cette stipulation permettra ainsi de vider de sa substance l’obligation d’autorisation préalable de l’Etat posée par l’Indian Atomic Energy Act : l’autorisation devra être demandée, conformément à la loi, mais l’Etat indien s’engage à l’accorder.

Concrètement, le CEA par exemple pourra déposer un brevet en France sur le fruit des recherches qu’il aura menées en coopération avec l’Inde dans le cadre de son accord-cadre conclu avec le DAE, sous réserve de l’accord de ce dernier dans la mesure où il s’agira de résultats communs. Pour donner à l’organisme français le temps de mener à bien cette procédure, l’article 5 de l’accord prévoit que l’un des participants peut demander à l’autre de reporter la divulgation publique de certaines informations, pendant un délai « raisonnable » nécessaire à l’obtention de la protection des droits de propriété intellectuelle.

L’article 4 de l’accord permet en outre aux participants de prévoir, dans les accords d’application, la protection des informations et technologies confidentielles communiquées à un participant par un autre. Ces stipulations complètent celles de l’accord sur la protection du caractère confidentiel des données techniques et des informations relatives à la coopération en matière d’utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, qui portent sur les données classifiées « secret défense », « confidentiel défense » et « diffusion restreinte » (ou leurs équivalents indiens). Les données visées par l’article 4 du présent accord sont celles qui, bien que non classifiées, sont considérées par l’un des participants comme devant être protégées.

En application de l’article 3 de l’accord, chaque participant reste propriétaire de ses connaissances propres, mais il peut concéder aux autres participants le droit d’utiliser les éléments de ses connaissances propres qu’il leur aura transférés pour réaliser leur part du travail. Les bénéficiaires de ce droit ne pourront pas le retransférer, sauf si cela est prévu dans un accord d’application. Celui-ci fixera aussi les conditions de la concession de ce droit, qui devront être « équitables et raisonnables » à moins qu’elle ne se fasse en exemption de redevances. Si cela est nécessaire pour l’exploitation des résultats communs, chaque participant devra accorder aux autres le droit de retransférer ses connaissances propres, toujours dans les mêmes conditions.

L’article 7 de l’accord affirme le principe selon lequel chaque participant reste libre de transférer à un tiers ses connaissances propres. Il établit ensuite les règles applicables à l’utilisation des résultats communs ou des connaissances propres pouvant être l’objet d’une licence. Chaque participant devra accorder aux autres une licence non exclusive sans droit de sous-licence sur les éléments nécessaires soit à la réalisation de leur part de travail, soit à l’exploitation des résultats communs : dans le premier cas, cette concession se fera en exemption de redevances ; dans le second, elle se fera à des conditions équitables et raisonnables. Il faut avoir à l’esprit le fait que l’accord d’une licence n’est pas limité aux connaissances couvertes par un brevet ; en l’absence de brevet, certains savoir-faire notamment peuvent être l’objet d’une licence sous seing privé.

Par exemple, pour la conduite de travaux de recherches, un organisme français pourra accorder, à titre gratuit, à son partenaire indien une licence non exclusive sur certains codes industriels, en application de l’article 7. Si son partenaire lui en fait la demande, il aura aussi la possibilité de lui transférer l’expérience qu’il a acquise dans leur utilisation, contre rémunération, dans le cadre des stipulations de l’article 3.

Le même article 7 prévoit qu’un règlement de copropriété déterminera les droits d’usage des résultats communs : il énumère les éléments qui devront être pris en compte dans ce règlement, au premier rang desquels les contributions respectives des parties à l’acquisition de la propriété intellectuelle. En l’absence d’accord sur ce règlement de copropriété dans un délai de six mois, chaque participant pourra exploiter les résultats communs dans le monde entier, sous réserve d’une rémunération du copropriétaire. En revanche, chacun a un droit d’usage gratuit des résultats communs à des fins de recherche et développement.

Bien que plus détaillées que les stipulations généralement insérées dans les accords-cadres de coopération, ces règles sont conformes au droit international et compatibles avec les conditions d’attribution des droits de propriété intellectuelle fixées en France par le code de la propriété intellectuelle (article L. 611-1 et suivants), qui ne font pas de distinction selon le domaine de l’invention, en application du principe de neutralité technologique reconnu dans notre droit.

CONCLUSION

Le présent accord vient donc compléter très utilement l’accord-cadre de septembre 2008. Il garantit aux participants français à des programmes de recherches menés en coopération avec l’Inde la possibilité d’obtenir la protection, hors d’Inde, des résultats obtenus, et fixe les principes de partage des connaissances propres et d’utilisation des résultats communs, dans le respect des principes du droit français et du droit international. Les accords d’application qui régiront les différentes collaborations franco-indiennes devront être conformes à ce cadre.

L’entrée en vigueur de cet accord permettra donc aux organismes des deux pays d’approfondir leurs travaux communs. Jusqu’ici, les coopérations étaient limitées à des thèmes qui n’étaient pas susceptibles de créer de la propriété intellectuelle, faute de garanties sur sa protection. Cette hypothèque désormais levée, l’accord-cadre conclu entre le CEA et le DAE pourra entrer en vigueur, et de nouveaux accords d’application pourront être signés.

L’entrée en vigueur de l’accord n’étant pas conditionnée à l’achèvement d’une procédure parlementaire côté indien, elle dépend uniquement de l’approbation du gouvernement français. Votre Rapporteur est favorable à ce que notre Assemblée autorise celle-ci en adoptant le présent projet de loi.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission examine le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 18 janvier 2012.

Après l’exposé du Rapporteur, un débat a lieu.

M. Jean-Paul Lecoq. Après avoir entendu l’exposé du rapporteur, je suis nettement moins convaincu qu’à l’issue de son intervention sur le rapport d’information. A mon avis, le seul but du présent projet de loi est de vendre des EPR. Et, pour ça, on est prêt à sacrifier notre recherche et à « vendre notre âme ». Dès lors, je ne pense pas que nous devons soutenir ce genre de projet. Sur le fond, je suis rassuré que l’Inde impose une responsabilité civile illimitée aux entreprises du nucléaire. Mais on nous demande d’approuver cet accord alors même que l’Inde n’a pas signé le traité de non-prolifération. Nous aurions du profiter d’une telle occasion pour inciter ce pays à s’engager dans cette voie. Aussi voterai-je résolument contre le projet de loi et il n’est pas exclu que mon groupe demande un débat, en séance, sur ce texte.

M. Jacques Myard. Je crois que cet accord est un accord a minima. Il ne règle pas tout mais c’est une porte ouverte pour conduire l’Inde à intégrer, un jour, le monde de la protection intellectuelle. Néanmoins, je pense que l’application de cet accord ne sera pas simple car il est imprécis sur plusieurs points et nous connaissons tous la « casuistique » dont font preuve les juristes indiens.

M. Jean Claude Guibal. Je souhaiterais obtenir une précision juridique. Dès lors qu’un procédé dû à un travail commun d’industriels indiens et français ne peut être déposé ni en Inde ni ailleurs, cela veut-il dire qu’il tombe dans le domaine public ?

M. Henri Plagnol. Ce rapport est important et l’accord peut faire jurisprudence. Au delà du nucléaire, dans beaucoup de domaines tel le secteur pharmaceutique, des Etats émergents contestent le brevetabilité de certains procédés ou substances. Je souhaiterais savoir si, sur cette question, il y a un fondement philosophique et intellectuel propre à l’Inde. En outre, dans quels domaines nos chercheurs ont-ils intérêt à collaborer avec leurs homologues indiens ?

M. Hervé de Charette. Permettez-moi de faire trois observations. En premier lieu, le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis est quelque peu drôle et étrange. Comme notre collègue Jacques Myard, je pense que c’est un nid à problèmes. En deuxième lieu, je tiens à relever la dernière phrase de l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi : « Le Gouvernement de la République d’Inde n’est pas tenu par une procédure parlementaire et est donc dans l’attente de nos instruments ». C’est formidable ! Quel pays paradisiaque ! Enfin, en matière de nucléaire, on danse d’un pied sur l’autre avec l’Inde. On a accepté de facto que ce pays fasse partie du « club nucléaire » et cela illustre le caractère obsolète du TNP auquel personne n’ose toucher.

M. Eric Woerth, rapporteur. Il s’agit d’un texte un peu compliqué, alambiqué, qui en réalité s’explique par le contexte très particulier du système indien. Avec les autres pays, l’accord-cadre est suffisant.

Je respecte la vision politique exprimée par M. Lecoq, mais je crois que le sujet n’est pas celui-là. Il existe un accord-cadre. La France soutient l’Inde dans un certain nombre de dossiers et – ce n’est pas peu de le dire – elle n’a pas été le premier pays à condamner ses aspirations nucléaires. L’accord traite la question de la propriété intellectuelle afin qu’elle puisse être protégée hors des frontières de l’Inde. Je rappelle que l’accord du Groupe des fournisseurs nucléaires introduit un certain nombre de contraintes pour l’Inde, notamment la séparation entre le nucléaire civil et militaire et qu’il existe un moratoire sur les essais. Ce sont nos produits que nous tentons de vendre et certainement pas notre âme.

Concernant la responsabilité civile, c’est un sujet important. La question est de savoir si la responsabilité échoit au fournisseur ou à l’exploitant. Le droit commun établit la responsabilité de l’exploitant, alors que le droit indien prévoit une responsabilité illimitée du fournisseur. Il n’est évidemment pas question de s’engager sans que le cadre juridique soit précisément défini et acceptable. Les Etats-Unis sont montés au créneau pour obtenir des aménagements, l’Inde a édulcoré sa législation, mais certains aspects doivent encore être clarifiés.

J’approuve l’analyse de M. Myard : il s’agit d’un accord a minima puisqu’il tend à préciser l’accord-cadre sur la coopération en matière civile pour ce qui concerne les questions de droit de la propriété intellectuelle.

Pour répondre à M. Guibal, en Inde, le fruit des recherches en matière nucléaire est la propriété de l’Etat indien pour des raisons de sécurité. Il n’est pas possible de s’en tenir à cette règle lorsque des collaborations sont entreprises, par exemple par le CNRS ou le CEA. Le but de l’accord est précisément de permettre de garantir la propriété intellectuelle en déposant des brevets dans d’autres pays que l’Inde.

La philosophie générale de l’accord est la sécurité. Que peut-on y gagner ? Il y a en Inde des recherches sur d’autres matériaux que l’uranium, sur le thorium et le plutonium notamment. Des champs de recherche de tous ordres sont susceptibles de rentrer dans le cadre de l’accord.

Concernant l’entrée en vigueur de l’accord, il n’y a effectivement pas de ratification parlementaire de l’accord en Inde. Il a dû y en avoir une pour l’accord-cadre, mais l’approbation de l’accord qui nous est soumis, qui apporte des précisions, relève de la responsabilité du seul Gouvernement. Quant aux remarques formulées sur le TNP, elles sont dans l’esprit de tous.

M. le président Axel Poniatowski. Je partage également l’avis que le TNP est dépassé, mais non pas tant du fait des décisions que prennent des Etats non signataires, mais de celles que prennent certains Etats signataires. Je pense particulièrement à l’Iran.

M. Hervé de Charette. La question est aussi celle des engagements que ne tiennent pas les puissances nucléaires. Les Etats qui ne disposaient pas de l’arme nucléaire y renonçaient pour le bien collectif ; les puissances nucléaires s’engageaient quant à elle à réduire leur arsenal. Aucun des deux camps n’a respecté ses engagements. La renégociation pose donc des problèmes aux deux types d’Etats.

M. le président Axel Poniatowski. Les Américains comme les Russes ont tout de même sérieusement diminué le nombre de leurs têtes nucléaires.

Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission adopte sans modification le projet de loi (no 4021).

*

* *

La Commission vous demande donc d’adopter, dans les conditions prévues à l’article 128 du Règlement, le présent projet de loi dans le texte figurant en annexe du présent rapport.

ANNEXE

TEXTE DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de l’Inde relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire, signé à New Delhi, le 6 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.

NB : Le texte de l’accord figure en annexe au projet de loi (n° 4021).

© Assemblée nationale

1 () MWe = megawatts électriques.

2 () Le Gouvernement a été autorisé à le ratifier par la loi n° 2009-1492 du 4 décembre 2009 .

3 () Il s’agit principalement de la convention dite de Stockholm du 14 juillet 1967 établissant l’OMPI.

4 () L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) est reproduit à l’Annexe 1 C de l’accord de Marrakech instituant l’Organisation mondiale du commerce.

5 () En application de l’article 27-1 de l’accord ADPIC, est brevetable toute invention, de produit ou de procédé, dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle.