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N
° 256

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI
de finances pour 2013 (n° 235)

TOME V

DÉFENSE

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

MARINE

PAR M. Gilbert LE BRIS

Député

——

Voir le numéro : 251 (annexe 11).

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. LE BUDGET 2013 : LA MARINE À LA CROISÉE DES CHEMINS 7

A. UNE MARINE PÉNALISÉE PAR UNE DISPONIBILITÉ FRAGILE 8

1. Une tenue imparfaite des contrats opérationnels 9

2. L’activité et la disponibilité des équipements 10

B. LE MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE SOUS TENSION 12

1. Des crédits en augmentation sensible 12

2. Un équilibre toujours fragile 14

C. LES EFFECTIFS AU RENDEZ-VOUS DU LIVRE BLANC 15

1. Une déflation du personnel presque achevée 15

2. Une attention particulière à la formation des marins 16

D. UN RENOUVELLEMENT INACHEVÉ 18

1. Les forces navales de surface 18

2. Les forces sous-marines 19

3. L’aéronautique navale 20

II. LA PARTICIPATION DE LA MARINE AUX FORCES FRANÇAISES DE SOUVERAINETÉ 21

A. UN ESPACE MARITIME PLEIN DE PROMESSES, DES MOYENS EN BAISSE 21

1. La mer, une « nouvelle frontière » pour le XXIsiècle 21

a. Une zone économique exclusive convoitée 22

b. Des missions très variées 23

2. Une réduction du format des forces à contre-courant 24

a. La réorganisation engagée par le Livre blanc 24

b. Des équipements vieillissants 25

B. REDONNER À LA FRANCE ULTRAMARINE TOUTE SA PLACE DANS NOTRE STRATÉGIE DE DÉFENSE 27

1. Prendre en compte les enjeux maritimes dans le futur Livre blanc 27

a. Une stratégie peu adaptée 27

b. Un début de prise de conscience ? 28

2. Lancer les nouveaux programmes d’équipement 28

a. Les B2M pour la logistique et le transport 28

b. Les patrouilleurs BATSIMAR, au cœur de toutes les futures missions 29

TRAVAUX DE LA COMMISSION 31

I. AUDITION DE L’AMIRAL BERNARD ROGEL, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA MARINE 31

II. EXAMEN DES CRÉDITS 45

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 49

Ø INTRODUCTION

Après une année 2011 exceptionnelle sur le plan opérationnel, marquée par les succès de l’opération Harmattan en Libye et de l’opération Licorne au large de la Côte d’Ivoire, l’année 2012 a été essentiellement consacrée à la régénération du potentiel des forces navales : l’entretien des équipements et l’entraînement des hommes.

Cela ne signifie pas que la marine soit restée inactive au cours de cette période, bien au contraire : chaque jour de l’année, près de 6 000 marins et une cinquantaine de bateaux sont déployés sur toutes les mers du monde. L’activité de la marine repose, comme aime à le rappeler son chef d’état-major, l’amiral Rogel, sur un trépied : les missions stratégiques permanentes, au premier rang desquelles figurent naturellement la dissuasion, mais aussi le renseignement ; les opérations extérieures, avec notamment l’opération Atalanta de lutte contre la piraterie ; et enfin, l’action de l’État en mer, à savoir le sauvetage maritime, la lutte contre l’immigration clandestine ou encore contre les narcotrafiquants.

Alors que les travaux sur le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui va déterminer ses choix stratégiques et capacitaires pour les années à venir, sont engagés, la marine se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins.

La loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2009 à 2014, issue du précédent Livre blanc, a consenti un effort important pour les équipements de la marine. Celle-ci dispose, ou et en voie de disposer, de matériels modernes dans de nombreux secteurs : frégates européennes multimissions (FREMM), bâtiments de projection et de commandement (BPC) ou encore hélicoptères NH90 Caïman. On peut également mentionner le renouvellement complet de la flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) au cours de ces dernières années.

La crise financière et la participation du budget de la défense à l’effort de redressement des comptes publics ont fait progressivement dévier l’exécution de la loi de programmation militaire de sa trajectoire initiale. Le rythme de certaines commandes a été ralenti et de nombreux programmes de renouvellement sont en attente de lancement – sans évoquer naturellement le projet de second porte-avions, qui semble aujourd’hui totalement abandonné. Cela laisse craindre des ruptures capacitaires susceptibles de toucher toutes les composantes de la marine.

Mais la contrainte financière la plus importante est celle qui pèse aujourd’hui sur l’entretien des équipements et le fonctionnement courant. Avec les coupes budgétaires qui interviennent en cours d’année, la marine est contrainte de réduire ses crédits d’entretien et de fonctionnement. Cela signifie que certains arrêts techniques sont décalés, certaines opérations d’entretien annulées ce qui provoque un vieillissement plus rapide des équipements. Cela n’est pas soutenable dans la durée.

Le Rapporteur pense donc que, si la trajectoire de ces dernières années suit la même pente, la marine sera contrainte prochainement d’abandonner certaines fonctions, certains savoir-faire – qu’il faut parfois plusieurs décennies pour acquérir. Au moment où le processus de maritimisation du monde s’accélère, cela serait un triste signal envoyé par la France si elle renonçait à sa marine océanique à vocation mondiale. Plus que jamais, les choix opérés par le futur Livre blanc seront donc déterminants.

La spécificité des problématiques de la marine, qui font que ses hommes sont marins avant d’être soldats, justifie le choix, reconduit année après année par la commission de la défense nationale et des forces armées, de lui consacrer un avis budgétaire.

Après avoir présenté les principales orientations des crédits destinés à la marine pour 2013, le Rapporteur s’est attaché, comme le bureau de la commission en a décidé cette année, à étudier un aspect plus particulier du fonctionnement des forces navales. Son choix s’est porté cette année sur la participation de la marine aux forces françaises de souveraineté.

Le Rapporteur avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2012, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

À cette date, 70 réponses étaient parvenues, soit un taux de 98 %.

O LE BUDGET 2013 : LA MARINE À LA CROISÉE DES CHEMINS

Les crédits de la marine, hors soutien, qui relèvent du programme 212 « Soutien de la politique de défense », et hors équipements, qui relèvent du programme 146 « Équipement des forces », sont regroupés, au sein du programme 178 « Préparation et emploi des forces » de la mission « Défense » dans l’action 3 « Préparation et emploi des forces navales ». Cette action a pour objectif de maintenir la capacité de la marine à assurer les missions qui lui sont confiées, notamment dans le cadre interarmées, interministériel et international.

Avec 4,273 milliards d’euros d’autorisations d’engagement (AE) et 4,308 milliards d’euros de crédits de paiements (CP) inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013, les crédits de la marine représentent un peu moins du cinquième des crédits du programme 178.

La maquette budgétaire a été sensiblement modifiée cette année : le nombre de sous-actions est passé de 13 à 5, ce qui en facilite la lecture. Les crédits sont détaillés ci-dessous.

VENTILATION DES CRÉDITS DE L’ACTION 3 « PRÉPARATION DES FORCES NAVALES »
DU PROGRAMME 178 « PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES »

(en millions d’euros)

 

Numéro et intitulé des sous-actions

Titre 2 (personnel)

Autres titres

Total

 

AE

CP

AE

CP

AE

CP

1

Commandement et activités des forces navales

   

239

239

239

239

5

Ressources humaines des forces navales

2 471

2 471

51

50

2 521

2 521

7

Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales

   

1 372

1 408

1 372

1 408

8

Environnement opérationnel des forces navales

   

141

141

140

140

9

Rémunération des ouvriers de l’État de la DCNS

           
 

TOTAL

2 471

2 471

1 802

1 837

4 273

4 308

Source : projet annuel de performances pour 2013.

La sous-action 1 couvre désormais le commandement, les activités opérationnelles et l’entraînement des forces de la marine. Elle intègre également l’approvisionnement des munitions et les dépenses de carburants. La sous-action 5 couvre les dépenses de personnel, la gestion des ressources humaines et la formation. La sous-action 7 finance les activités d’entretien des équipements ainsi que les opérations de démantèlement. La sous-action 8 regroupe les différentes activités de soutien. Enfin, la sous-action 9, comme dans la précédente maquette, supporte les dépenses liées aux rémunérations des ouvriers de l’État mis à disposition de la société DCNS qui sont remboursés par l’entreprise. Cette sous-action n’est pas dotée en construction budgétaire mais utilisée en gestion.

Sur l’ensemble de l’action, la répartition entre les différents titres s’établit de la manière suivante.

Évolution par titre des crÉdits de l’action « prÉparation des forces navales »

(en millions d’euros)

 

LFI 2012

PLF 2013

 

AE

CP

AE

CP

Titre 2*(personnel)

2 338

2 338

2 470

2 470

Titre 3 (fonctionnement)

2 137

1 803

1 701

1 725

Titre 5 (investissement)

38

35

103

112

Total

4 512

4 176

4 273

4 308

(*) Y compris le compte d’affectation spéciale « Pensions »

Source : ministère de la défense.

L’augmentation des dépenses de personnel du titre 2 ne doit pas faire illusion : celle-ci résulte principalement d’une allocation, intervenue au cours de l’année 2012, de ressources complémentaires dans le cadre d’un rééquilibrage du compte d’affectation spécial (CAS) « Pensions » interne au programme 178 ainsi qu’une hausse de 5 % du taux de cotisation au CAS « Pensions ». Les effectifs de la marine sont en baisse. Pour 2013, la diminution du plafond ministériel d’emplois autorisés est de 669,5 équivalents temps plein travaillés (ETPT), qui se décomposent en 520,5 suppressions d’ETPT (après 645 en 2012) au titre de la réforme globale du ministère et 149 transferts d’ETPT hors de l’action 3.

Les crédits consacrés aux titres 3 et 5 s’inscrivent dans la continuité de la loi de finances initiale pour 2012. Les hypothèses de construction budgétaire du carburant opérationnel pour 2013 induisent cependant une augmentation de 49 millions d’euros à volume constant tandis que, dans le même temps, la dotation des équipements d’accompagnement et les crédits de fonctionnement courant, hors fonctionnement opérationnel, diminuent. La diminution des crédits de titre 3 est en outre amplifiée par une modification des imputations comptables sur les activités du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui augmente de manière symétrique des crédits de titre 5. Les crédits dédiés à l’entretien programmé du matériel (EPM) progressent de 3 % entre 2012 et 2013 afin de préserver au mieux l’activité des forces.

Enfin, s’agissant des AE, l’année 2013 voit le renouvellement d’importants contrats pluriannuels, essentiellement au profit de l’entretien des aéronefs. Une ressource complémentaire de 245 millions d’euros a été provisionnée à cet effet.

§ UNE MARINE PÉNALISÉE PAR UNE DISPONIBILITÉ FRAGILE

Les succès opérationnels récents ont prouvé la capacité de la marine à entrer en premier sur un théâtre d’opération et à agir dans un cadre interalliés. Ces succès ne sauraient toutefois pas cacher une réalité plus sombre : aujourd’hui, la marine n’est plus capable de mettre en œuvre, en permanence et simultanément, l’ensemble de ses capacités d’intervention sans dégrader la réalisation des contrats opérationnels des autres fonctions stratégiques.

• Une tenue imparfaite des contrats opérationnels

La fonction stratégique de protection est la fonction première des forces armées. Pour la marine, le Livre blanc de 2008 précise que celle-ci doit mettre en œuvre un dispositif d’alerte, de surveillance et d’intervention pour la sauvegarde maritime et la lutte contre les trafics, un dispositif d’alerte pour les secours en mer et le contre-terrorisme maritime ainsi qu’un dispositif de protection et de surveillance maritime lors d’événements majeurs.

Indicateur 4.1 « Taux de satisfaction des contrats opérationnels permettant d’assurer la fonction stratégique de protection »

(en pourcentage)

 

2010
Réalisation

2011
Réalisation

2012
Prévision PAP 2012

2012
Prévision actualisée

2013

Prévision

2015

Cible

Niveau de réalisation des contrats (alertes) pour la marine

93

95

90

94

95

100

Niveau de réalisation de la couverture des zones de surveillance

81,8

83

72

80

90

100

Source : Projet annuel de performances pour 2013.

La prévision pour 2012, actualisée au 30 juin 2012, est meilleure que celle envisagée dans le projet annuel de performances. Ce taux demeure toutefois en dessous de la cible de 100 % car les avions de patrouille maritime Atlantique 2 ont été engagés sur des opérations extérieures.

Le niveau de réalisation de la couverture des zones de surveillance maritime métropolitaines est également meilleur que prévue en raison de l’augmentation des missions de prévention conduites en Méditerranée. La perspective de livraisons du premier des Falcon 50, anciennement à usage gouvernemental, permet d’envisager une amélioration sensible de la valeur de l’indicateur à partir de 2013.

La fonction stratégique d’intervention signifie que les armées doivent pouvoir être engagées dans des opérations hors du territoire national pour participer à la résolution de crises avec les moyens terrestres, navals et aériens appropriés. Le contrat opérationnel de la marine prévoit que celle-ci doit être capable de déployer une force opérationnelle maritime permettant la projection d’un groupe aéronaval, d’un groupe amphibie, d’un groupe d’action maritime et d’un groupe naval de guerre des mines.

Chaque groupe d’intervention est structuré autour d’un ou plusieurs bâtiments principaux – le porte-avions dans le cas du groupe aéronaval – avec des moyens d’escorte et de soutien associés – sous-marins nucléaires d’attaque (SNA), frégates ou pétroliers ravitailleurs – qui conditionnent la disponibilité globale de la composante.

Compte tenu de la faible disponibilité technique opérationnelle des moyens d’escorte, notamment celle des frégates anti-sous-marines et des SNA, la simultanéité de la tenue des contrats opérationnels pour le groupe aéronaval, le groupe amphibie et le groupe d’action maritime n’est plus envisageable en permanence, comme en attestent les résultats présentés dans le tableau suivant.

Indicateurs 5.1 et 5.2 : « capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France » et « Taux de satisfaction des contrats permettant de circonscrire les crises »

(en pourcentage)

 

2010
Réalisation

2011
Réalisation

2012
Prévision PAP 2012

2012
Prévision actualisée

2013

Prévision

2013

Prévision

Groupe aéronaval (GAN)

53

67

70

66

25

100

Groupe amphibie (GA)

79

100

66

68

65

100

Groupe d’action maritime (GAM)

32

33

64

25

50

100

Groupe de guerre des mines (GGDM)

 

50

50

45

50

100

Source : Projet annuel de performances pour 2013.

L’arrêt technique du porte-avions entre novembre 2012 et juillet 2013 va conduire en outre à une très importante baisse de réalisation du contrat d’intervention du groupe aéronaval l’année prochaine.

Si la capacité de transport opérationnel du groupe amphibie a été renforcée, à partir du second semestre 2012, par l’admission au service actif du troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC), le Dixmude, le manque de moyens d’escorte ne permet pas d’atteindre les objectifs fixés par le contrat d’intervention.

Le groupe d’action maritime bénéficiera en 2013 d’une amélioration conjoncturelle de sa disponibilité car les moyens d’escorte attribués prioritairement au groupe aéronaval lui seront affectés pendant l’arrêt technique du porte-avions.

Enfin, la capacité d’intervention du groupe de guerre des mines demeure altérée par une capacité de déploiement limitée à deux chasseurs de mines tripartites sur quatre.

1. L’activité et la disponibilité des équipements

L’activité de la marine est inférieure à la norme définie par la LPM depuis 2010. Elle ne suffit pas à honorer les besoins organiques en cas de pleine utilisation opérationnelle dans la durée. Il en résulte, chaque année, un déficit d’activité de l’ordre de 10 %. Aux contraintes financières, s’ajoutent le vieillissement de la flotte et le retrait du service actif de certains bâtiments, partiellement compensés par l’arrivée, parfois décalée, de nouveaux matériels.

Indicateur 6.1 : niveau de réalisation des activités et de l’entraînement*

 

Unité

2011
Réalisation

2012
Prévision PAP 2012

2012
Prévision actualisée

2013
Prévision

2015
Cible

Norme LPM

Jours de mer par bâtiment

jour

92 (107)

90 (99)

90 (99)

88 (97)

100 (110)

100 (110)

Heures de vol par pilote de chasse

heure

196 (232)

180 (220)

170 (180)

180 (220)

180 (220)

180 (220)

Heures de vol par pilote d’hélicoptère

heure

199

220

210

220

220

220

Heures de vol par équipage de patrouille maritime

heure

353

320

320

350

350

350

* Les chiffres entre parenthèses représentent les jours de mer des grands bâtiments et les heures de vol des chasseurs de l’aéronautique navale qualifiés « nuit ».

Source : Projet annuel de performances pour 2013.

Pour les bâtiments de surface, l’objectif de 100 jours de mers (110 jours pour les grands bâtiments) fixé par la LPM n’a jamais été atteint ces dernières années et ne le sera pas l’année prochaine. Le surcroît d’activité généré en 2011 par l’opération Harmattan a nécessité de concentrer l’activité 2012 sur la régénération des bâtiments. Il a ainsi fallu environ six mois pour retrouver le niveau requis en termes de disponibilité. Le pic d’activité a été lissé par la suite par une diminution des jours de mer. Il faut toutefois souligner que la durée limitée dans le temps du déploiement et la proximité de la zone d’opérations ont grandement facilité les choses puisque les transits ont été peu gourmands en heures de mer et que la base navale de Toulon était à proximité. Une mission en Méditerranée orientale ou en océan Indien aurait certainement entraîné une phase de régénération plus longue.

Pour les pilotes de chasse, l’objectif de 180 heures de vol « jour » et de 220 heures pour les pilotes qualifiés « nuit » a été largement dépassé en 2011 du fait de l’intervention en Libye. Après cette année intense, l’année 2012 a été consacrée à la régénération organique des équipages : de nombreuses campagnes de qualification à l’appontage ont été organisées pour rattraper le retard engendré par cette opération dans la formation de nouveaux pilotes. La sous dotation du parc « chasse » et de la faible disponibilité des Super-étendard modernisés (SEM) ne permet cependant pas d’atteindre les prévisions de la LPM en 2012.

L’objectif d’activité des pilotes d’hélicoptère n’est pas non plus atteint à cause de la faible disponibilité technique des hélicoptères. L’activité des pilotes d’hélicoptères reste cependant plus soutenue pour les détachements embarqués que pour les pilotes à l’entraînement à terre.

Enfin, la disponibilité fragile des Atlantique 2 (ATL2) et la réduction de l’allocation en heures de vol au second semestre pénalisent l’activité de la patrouille maritime.

L’indicateur qui mesure la disponibilité opérationnelle des matériels ne prenait en compte que ceux qui sont nécessaires à la satisfaction des contrats opérationnels. Il mesure le ratio entre le niveau du matériel effectivement disponible par rapport au besoin généré par les contrats opérationnels les plus dimensionnant et au besoin organique (formation, essais…). L’indicateur est désormais étendu aux systèmes « armes et équipements » afin de mieux rendre compte de l’aptitude technique globale des bâtiments à remplir les missions requises par le contrat opérationnel.

Après un engagement très long en 2011, en océan Indien puis au large des côtes libyennes, le potentiel du porte-avions a été restauré cette année, avec sa sortie d’arrêt technique en février 2012, ce qui a rendu possible l’ensemble des activités programmées et la remontée en puissance du groupe aérien embarqué. Cette disponibilité sera en revanche considérablement réduite en 2013, avec un arrêt technique programmé de plus de six mois. On mesure ici les limites de ne disposer que d’un seul porte-avions : du fait de ces arrêts techniques, il ne peut être disponible, au maximum, que 60 % du temps.

La disponibilité des frégates est fragilisée par des difficultés techniques (liées aux lignes propulsives) et une disponibilité moyenne des armes-équipements en raison du vieillissement de la flotte. Les composantes « lutte anti-sous-marine » et « défense aérienne » sont particulièrement impactées.

Indicateur 6.3 : Disponibilité des matériels
par rapport aux exigences des contrats opérationnels

(en pourcentage)

 

2011
Réalisation

2012
Prévision PAP 2012

2012
Prévision actualisée

2013

prévision

2015 cible

Porte avions

51

46

63

38

60

SNA

56

60

63

70

67

Synthèse tous bâtiments de la marine

50

52

53

58

60

Composante frégates

55

60

46

53

55

Composante Guerre des mines

69

70

66

76

80

Bâtiments amphibie

42

49

51

57

58

Bâtiments de souveraineté et de présence

45

50

48

46

41

Synthèse matériels aéronautiques de la marine

63

49

50

50

50

Aéronefs embarqués

60

49

48

48

48

Hélicoptères (service public et combat)

70

51

51

51

51

Patrouilles maritimes

50

35

39

41

39

Source : Projet annuel de performances pour 2013.

Un nombre important d’arrêts techniques pour entretien des chasseurs de mines tripartites (CMT) a eu lieu au premier semestre 2012, ce qui a entraîné une diminution de la disponibilité de la composante guerre des mines.

La disponibilité globale des bâtiments de souveraineté et de présence s’améliore par rapport à 2011, en raison d’une diminution des indisponibilités pour aléas et d’un meilleur niveau de performance des bâtiments disponibles au cours du premier semestre 2012.

La disponibilité technique opérationnelle des aéronefs demeure insuffisante en raison de l’augmentation de la durée des visites (Supers Étendards modernisés – SEM, ATL2, Lynx, Panther, Dauphin de service public, Alouette, F50) liée à des carences en soutien logistique et à la réalisation des chantiers de modification et de modernisation pour de nombreux parcs (ATL2, Panther, Rafale). On observe également une recrudescence d’aléas techniques, entraînant des immobilisations longues et nécessitant souvent l’intervention des industriels étatiques et/ou privé sur les Rafale, les SEM, les ATL2, les F50, Falcon 10, les Lynx et les avions de voltige aérienne CAP10.

§ LE MAINTIEN EN CONDITION OPÉRATIONNELLE SOUS TENSION

• Des crédits en augmentation sensible

Le maintien en condition opérationnelle (MCO) est l’activité destinée à assurer la disponibilité des équipements, ce qui conditionne le niveau d’entraînement et le savoir-faire opérationnel des marins.

Techniquement, le MCO s’articule autour de trois activités principales : la maintenance des équipements en service, pour garantir leur bon fonctionnement et leur disponibilité ; la gestion de leur configuration et la maîtrise de leurs évolutions ; et les activités de soutien logistique, qui recouvrent l’approvisionnement, le magasinage et le ravitaillement en rechanges, les outillages ainsi que la documentation.

Le MCO des bâtiments de la marine est assuré par le service du soutien de la flotte (SSF). Le SSF passe des marchés avec des maîtres d’œuvre industriels pour assurer la maintenance. Il privilégie les contrats verticaux par famille de bâtiments (sous-marins, frégates fortement armées, frégates légères, bâtiments de soutien, etc.) mais a également recours à des contrats transverses pour certains types de matériels.

Le MCO des matériels aéronautiques est assuré par service industriel de l’aéronautique (SIAé), service de soutien qui relève du chef d’état-major de l’armée de l’air. L’adossement de la marine au SIAé permet la mise en commun des moyens humains et matériels et la réduction des coûts et des délais du soutien.

Dans la nomenclature budgétaire, les crédits dédiés au MCO sont regroupés dans deux opérations stratégiques : « Entretien programmé du matériel » (EPM) et « Dissuasion » du programme 178 (1). Ces agrégats incluent les marchés de maintenance industrielle et l’achat de pièces de rechanges mais ne financent en revanche pas les effectifs des maintenanciers, qui relèvent du titre 2, à l’exception du personnel du service industriel de l’aéronautique (SIAé).

Le tableau ci-dessous présente les crédits inscrits pour 2013. Ceux-ci augmentent sensiblement pour la partie EPM, près de 3 %.

Crédits dédiés à l’entretien programme des matériels

(en millions d’euros)

   

LFI 2011

LFI 2012

PLF 2013

action

sous action

libellé sous action

titre

OS

AE

CP

AE

CP

AE

CP

3

7

Maintien en condition opérationnelle du matériel des forces navales

3

EPM

913

933

1 232

1 036

1 199

1 024

5

EPM

-

-

-

-

37

43

Total EPM

913

933

1 232

1 036

1 236

1 067

3

DIS

297

284

482

339

79

281

5

DIS

-

-

-

-

35

38

Total DIS

297

284

482

339

114

319

Source : ministère de la défense.

L’évolution à la hausse entre 2011 et 2012 des autorisations d’engagement dédiés à l’EPM résultait de l’augmentation des notifications de contrats de soutien pluriannuels de certaines composantes, à commencer par ceux des frégates européennes multi-missions (FREMM) et des sous-marins. En 2013, ce sont principalement les renouvellements pluriannuels de contrats d’entretien d’aéronefs qui génèrent près de 245 millions d’euros de besoins d’engagement. En revanche, pour la dissuasion, la notification d’opérations majeures d’entretien des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) ayant été réalisée en 2012, les autorisations d’engagement baissent en 2013.

La dotation 2013 en crédits de paiement dédiés à l’EPM s’inscrit dans la continuité des dépenses des années précédentes. Il convient de noter que la maintenance des systèmes de transmission longue distance (hors liaisons de la force océanique stratégique) sera en partie financée, comme en 2012, par des ressources exceptionnelles liées à la vente des fréquences de la défense. Ces crédits sont disponibles sur le compte d’affectation spéciale « Gestion et valorisation des ressources tirées de l’utilisation du spectre hertzien, des systèmes et des infrastructures de télécommunications de l’État ».

• Un équilibre toujours fragile

Les crédits de MCO servent toujours de variable d’ajustement lorsque les crédits de la marine sont touchés par des gels ou annulations en cours d’année, leur rigidité à la baisse étant bien moindre que celle des dépenses de personnel, par exemple. En outre, le report de l’entretien programmé d’un bâtiment à l’année suivante ou l’annulation d’une petite réparation est indolore dans l’immédiat lorsqu’elle ne remet pas en cause sa disponibilité à court terme.

En 2012, 10,9 millions d’euros ont par exemple été soustraits au programme 178 dès la loi de finances rectificative du 14 mars 2012 tandis que le gel « État exemplaire » représentait un montant de 7,9 millions d’euros en AE et en CP. La réserve de précaution, d’un montant de 77 millions d’euros pour 2012, n’a en outre pas encore été levée à ce jour.

Mais ces coupes budgétaires fragilisent incontestablement la disponibilité à plus long terme des bâtiments de la marine. Elles conduisent en effet celle-ci à réduire les provisions financières de certains de ses contrats d’entretien, obérant sa capacité à traiter l’ensemble des besoins exprimés par les bâtiments, comme par exemple la peinture, ou à diminuer ses stocks de pièces de rechange, ce qui entrave d’autant sa réactivité en cas d’avaries ultérieures.

À long terme, la somme de ces petites suppressions entame le « capital » des bâtiments, comme l’ont indiqué au Rapporteur plusieurs de ses interlocuteurs. Les marges de manœuvre sont en outre limitées car 60 % des crédits du MCO naval sont consacrés aux bâtiments à propulsion nucléaire sur lesquels l’entretien programmé ne saurait souffrir d’impasse. Cela signifie que toutes les coupes budgétaires dans le MCO sont imputées sur les 40 % de crédits restants, qui concernent tout l’entretien de la flotte de surface, à l’exception du porte-avions !

En outre, avec le renouvellement des équipements en cours, la marine dispose à la fois de matériels très modernes qui nécessitent, dans les premières années, un entretien plus coûteux et de bâtiments très anciens, au coût d’entretien également très élevé. C’est ce que les marins appellent la « courbe en baignoire ». La coexistence de plusieurs générations de navire et d’aéronefs, aux technologies très différentes, ne facilite pas leur entretien.

On comprend pourquoi il est important que la prochaine loi de programmation militaire fasse des choix de matériels cohérents, en commandant des séries, pour que l’entretien puisse bénéficier d’un indispensable « effet de parc » pour leur créer des synergies dans l’organisation de l’entretien.

§ LES EFFECTIFS AU RENDEZ-VOUS DU LIVRE BLANC

• Une déflation du personnel presque achevée

L’essentiel des effectifs de la marine relève de l’action 3 « Préparation et emploi des forces navales » et est rassemblé dans le budget opérationnel de programme (BOP) 178-21 C.

L’effort demandé à la marine par la révision générale des politiques publiques (RGPP) et le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale est important puisque, de 2008 à 2015 la marine doit supprimer 5 600 ETPT, auxquels il convient d’ajouter le retour de marins mis à disposition d’autres BOP et également soumis à des restructurations de leur organisme d’accueil. Le total global des réductions est en conséquence de 6 000 ETPT.

Évolution des effectifs de la marine

(ETPT)

 

2010

2011

2012

Prévisions 2015

Officiers

5 103

4 795,5

4 729

4 699

Officiers mariniers

26 143

25 600,5

24 992,5

23 887

Militaires du rang

7 741

7 580,0

7 489

7 508

Volontaires

912

859,0

850

591

Militaires

39 899

38 835,0

38 060,5

36 685

A

423

358,7

428

452

B

875

694,5

477,5

546

C

2 009

1 754,5

914,5

1 045

OE

2 998

2 148,1

1 264,5

1 077

Civils

6 305

4 955,8

3 084,5

3 120

Ensemble

46 204

43 790,8

41 145

39 805

Source : ministère de la défense.

Les 6 000 ETPT supprimés se répartissent globalement en trois tiers : un au titre exclusif du soutien, un autre au titre exclusif du Livre blanc et qui se traduit par le désarmement d’unités ou la fermeture de bases et un dernier au titre de la réorganisation interne et du retour de marins servant à l’extérieur de la marine.

L’essentiel de l’effort ayant désormais été accompli, seuls 240 ETPT seront supprimés dans le BOP 178-21C en 2013.

Les transferts intra et interprogrammes s’élèvent à -132 ETPT. Ils prennent en compte notamment les transferts vers le BOP 212 77C pour la montée en puissance du service ministériel des systèmes d’information fonctionnels (SMSIF) ainsi que d’ultimes ajustements liés à la fin de la consolidation des groupements de soutien des bases de défense (GsBdD).

17 ETPT sont supprimés dans le cadre de l’externalisation d’activités du maintien en condition opérationnelle de l’aéronautique navale.

La « civilianisation » de 108 emplois militaires (dont 20 au titre du SIAé), sera réalisée dans le cadre d’une politique qui vise à recentrer les marins militaires sur les missions opérationnelles, en privilégiant une meilleure alternance terre / mer pour certaines spécialités jugées trop « sédentaires », et à améliorer l’efficacité des structures de la marine par une complémentarité accrue entre les catégories de personnel militaire et civil.

Enfin, 4 ETPT seront créés au titre de la cyberdéfense en 2013.

DÉFLATION DES EFFECTIFS DU
BUDGET OPÉRATIONNEL DE PROGRAMME (BOP) 178 21 C

(ETPT)

 

BOP 178 21C

Officiers

-35

Sous-officiers

-49,5

Militaires du rang

-88,5

Volontaires

-49

Total militaires

-222

Cat. A

-8

Cat. B

0

Cat. C

-0,5

Ouvriers d’état

-9,5

Total civils

-18

TOTAL

-240

Source : ministère de la défense.

• Une attention particulière à la formation des marins

On a coutume de dire que la marine dispose en son sein de tous les métiers de l’armée, à l’exception de celui de conducteur de char. Dès lors, on comprend aisément que, compte tenu de la réduction de ses effectifs, elle se doit d’apporter un soin tout particulier à la formation de ses marins. Les profils qu’elle recherche sont très variés puisqu’elle recrute du niveau 3e à bac + 5 et elle doit rendre toutes ces personnes directement employables à travailler en équipe dans leurs domaines respectifs.

Pendant sa carrière, un marin peut recevoir trois types de formation : une formation initiale lors de son recrutement ; des formations de spécialité par étapes lors de sa progression de carrière ; et des stages d’adaptation à l’emploi, pour l’utilisation d’un matériel ou pour la qualification à un emploi particulier.

Pour former ses marins, la marine dispose en propre ou utilise les services de 14 centres ou écoles de formation dont les 4 principaux sont le centre d’instruction naval (CIN) de Saint-Mandrier, le CIN de Brest, l’école navale et le groupe école du Poulmic, l’école des fourriers de Querqueville ainsi que 10 centres adossés sur d’autres structures marine ou interarmées. L’ensemble de ces centres regroupe, au 1er janvier 2012, un effectif global de 2 594 postes, encadrement et instructeurs compris. Ils délivrent chaque année 23 200 cours et stages aux marins.

Les réformes menées depuis quinze ans ont largement adapté le dispositif de formation dans le but de réduire le temps passé en école, à objectif de formation constant. Ainsi le temps de formation est passé de 36 jours de formation par marin et par an en 2003 à 22,5 jours en 2011, soit une baisse de plus d’un tiers.

De la même façon, les effectifs consacrés aux écoles (enseignement et encadrement) sont passés de 3 268 à 2 594 (personnels militaires et civils) sur la même période, soit une baisse de 21 %.

Les coûts de formation sont rattachés à la sous-action 5 « Ressources humaines des forces navales » de l’action 3. Ils seront de 181,2 millions d’euros pour 2013 (dont 51 % en charge des effectifs permanents et 34 % en charges des élèves) alors qu’ils étaient de 297,3 millions d’euros en 2009. Cette différence importante s’explique principalement, outre par les réductions évoquées ci-dessus, par le fait que les coûts de soutien (infrastructures, téléphonie…) relèvent désormais du BOP « Soutien ». Il convient d’ajouter également les 13 millions d’euros de formations externalisées, dont 10 millions pour la formation des pilotes de l’aéronautique navale aux États-Unis.

Les contraintes budgétaires et les besoins d’investissement dans les infrastructures conduisent la marine nationale à rechercher des solutions innovantes au centre d’instruction navale (CIN) Saint-Mandrier pour associer des industriels aux investissements nécessaires. Les synergies ainsi créées entre la marine et des partenaires autour de l’activité de formation sur le site amélioreraient la cohérence de l’offre nationale en matière de soutien à l’exportation de matériel naval, dans ses volets formation, entraînement et soutien à distance, par la création d’un centre de référence dans ces domaines pour l’ensemble du bassin méditerranéen.

De la même façon, une réflexion est en cours sur le statut de l’école navale pour qu’elle devienne un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel – grand établissement (EPSCP-GE). Ce changement de statut donnerait l’autonomie nécessaire à l’école navale pour s’adapter à l’environnement universitaire et professionnel afin d’attirer les partenaires capables de partager les investissements nécessaires dans les prochaines années.

L’entrée en service progressive de nouveaux navires aux équipages optimisés, le maintien des savoir-faire, des compétences professionnelles et l’évolution des missions nécessitent une adaptation du dispositif de formation. Dans le même temps, les contraintes pesant sur les effectifs et les budgets de fonctionnement nécessitent de poursuivre la réduction du temps passé par les marins en école et du volant de gestion lié à la formation. La tension s’accroît donc sur les moyens et les processus permettant de répondre au besoin de formation.

La réforme du soutien dans les armées a confié en 2011 aux bases de défense la responsabilité du soutien commun et spécialisé, y compris celui des écoles. Cette organisation, optimisée au niveau global de la base de défense, rend moins direct le pilotage des fonctions de soutien et des investissements d’infrastructure ou de réseaux de communication, autrefois confié au commandant d’unité. La création d’un échelon intermédiaire de coordination au niveau local est peut-être à envisager.

§ UN RENOUVELLEMENT INACHEVÉ

Malgré des programmes d’équipements modernes, la marine doit faire face à des trous capacitaires de plus en plus critiques.

• Les forces navales de surface

La loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2009 à 2014 a prévu un important renouvellement de la flotte de surface.

Appelées à devenir la véritable épine dorsale de la marine, les frégates européennes multi-missions (FREMM) remplaceront les frégates de premier rang actuellement en service. Première frégate de la série, l’Aquitaine a débuté ses essais à la mer l’année dernière et devrait être admise au service actif au printemps prochain. Une seconde frégate devrait être livrée en 2014. Le programme de 11 FREMM devrait permettre d’atteindre le format de 18 frégates de premier rang d’ici 2022 : aux 11 FREMM, il faut ajouter les 2 frégates Horizon actuellement en service ainsi que les 5 frégates légères de type La Fayette. Les FREMM seront équipées du futur missile de croisière naval (MdCN) ainsi que de l’hélicoptère de combat anti-sous-marin Caïman et du missile de défense aérienne et anti-missiles Aster. Les travaux d’infrastructure nécessaires à l’accueil des FREMM ont débuté à la base navale de Toulon. Le coût total de ces travaux est évalué à 77 millions d’euros.

Des navires modernes : des équipages optimisés

La réduction significative des équipages sur les navires modernes constitue un considérable défi pour la Force d’action navale : l’équipage d’une FREMM sera constitué de 94 personnes là où une frégate de même tonnage en nécessite 240. Cela nécessite d’opérer ce qui s’apparente à une véritable « révolution copernicienne » de la préparation des marins.

Ceux-ci, plus assez nombreux, ne seront plus capables d’assurer les tâches qu’exécutent aujourd’hui ceux du « plan d’armement socle » à terre, tout au long de l’année. La création d’un échelon à terre s’impose. Par ailleurs, le compagnonnage, qui permet à chaque marin d’apprendre son métier à bord, n’est plus envisageable au sein d’équipages aussi réduits. Enfin, chaque poste à bord étant désormais critique, chaque absence devient inacceptable.

Pour gérer cette situation la marine va s’appuyer sur deux nouveautés : le concept de reach-back, c'est-à-dire la mise en place, à quai, d’un équipage de soutien à l’équipage de la FREMM et la mise en place de structures de pré-embarquement, à base de simulateurs, à l’image de ce qui se fait déjà pour l’aéronautique ou les sous-marins. Une structure de reach-back et de pré-embarquement été créé à Brest le 1er juillet 2012 pour une expérimentation de deux ans.

Le reach-back est armé par des marins qui seront affectés sur FREMM l’année suivante. Il a pour vocation de renforcer les équipages « socle » des FREMM et d’apporter dans les meilleurs délais des réponses à des sollicitations diverses. Les effectifs du reach-back ont été dimensionnés pour contribuer aux missions de MCO, de service à quai, de soutien logistique, de soutien administratif ou encore d’entretien des surfaces.

La structure de pré-embarquement est composée de tuteurs experts des systèmes de la FREMM. Elle fonctionne comme un véritable sas de transformation du personnel au travers d’un apprentissage individuel tutoré des marins du reach-back. Pour l’apprentissage, cette structure s’appuie fortement sur des simulateurs.

Les deux frégates antiaériennes de type Cassard seront remplacées en 2022 par 2 des 11 FREMM dont le système d’armes sera adapté à la mission de défense aérienne et anti-missiles de zone au profit du groupe naval.

La flotte de bâtiments de projection et de commandement (BPC) et des transports de chalands et de débarquement (TCD) est modernisée par la livraison d’engins de débarquement amphibies destinés à renouveler la batellerie. 4 engins ont été admis au service actif en 2012 ainsi qu’un troisième BPC, commandé en 2009 dans le cadre du plan de relance de l’économie.

Le renouvellement de la composante de guerre des mines suscite quelques inquiétudes. Les missions de guerre des mines que doit assurer la marine, tant pour la protection de la force océanique stratégique (FOST), que pour la protection des approches de ports d’intérêt majeur, la sauvegarde maritime ou la projection reposent en grande partie sur les 11 chasseurs de mines tripartites. Ils arrivent aujourd’hui au dernier tiers de leur temps de service et devraient être renouvelés par un système de lutte anti-mines futur (SLAMF) qui reposera sur des drones de surface et sous-marins, et sur des bâtiments-base. Ce projet fait l’objet d’une coopération dans le cadre d’accords franco-britanniques et un premier prototype devrait voir le jour en 2016, pour un emploi capacitaire à partir de 2024. Le saut technologique et capacitaire que représente ce programme nécessitera une grande prudence pour ne pas provoquer de rupture opérationnelle si le système n’est pas totalement maîtrisé opérationnellement.

La flotte logistique, capable de soutenir simultanément en un groupe aéronaval et un groupe amphibie sur deux théâtres d’opérations distincts, sera renouvelée par un parc de quatre bâtiments de soutien logistique polyvalents, dont le programme, baptisé FLOTLOG, est à un stade trop lointain, 2018, pour ne pas susciter d’inquiétudes. La flotte des pétroliers ravitailleurs, clé de voûte de la capacité de projection du groupe aéronaval et de la force aéronavale nucléaire, est vieillissante, avec une moyenne d’âge de 27 ans. Durant l’opération Harmattan, la proximité de la base navale de Toulon a permis de gommer la faible disponibilité de cette flotte mais ses difficultés récurrentes d’entretien sont problématiques pour l’avenir.

En matière de sauvegarde maritime, le programme BSAH (bâtiment de soutien et d’assistance hauturier) fournira 8 bâtiments qui remplaceront la flotte actuelle pour assurer des missions de soutien des forces, de soutien de région et de sauvegarde maritime. La commande est attendue en 2013 pour des livraisons entre 2014 et 2016.

Enfin, pour répondre au retrait prochain de la plupart des moyens de surveillance et d’intervention maritime (cf. infra), l’acquisition de 3 B2M (bâtiments multi-missions) et de 2 patrouilleurs guyanais a été décidée en 2011 au niveau interministériel. Les livraisons sont attendues entre 2014 et 2016. À plus longue échéance, de nouveaux patrouilleurs hauturiers seront livrés dans le cadre du programme BATSIMAR (bâtiment de surveillance et d’intervention maritime).

• Les forces sous-marines

Le renouvellement de la flotte de sous-marins de la composante océanique s’est achevé en 2010 avec la livraison du quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins nouvelle génération (SNLE-NG), Le Terrible, en version M51. Les autres SNLE sont progressivement armés des missiles intercontinentaux M51.

La flotte des 6 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) est en cours de renouvellement. Le programme Barracuda livrera son premier sous-marin en 2017. Les Barracuda seront armés de la future torpille lourde Artemis, du missile de croisière naval (MdCN), du missile antinavire SM39 Exocet et auront la capacité d’embarquer et de déployer des nageurs de combat. Les trois premières unités ont été commandées en 2006, 2009 et 2011.

• L’aéronautique navale

L’aviation de chasse embarquée évolue vers un parc unique homogène d’avions polyvalents, composé de Rafale marine au standard F3. La mise en service opérationnel du Rafale F3 dans la marine est intervenue au cours du second semestre 2009. 34 Rafale ont été livrés à ce jour à la marine. Les dix premiers aéronefs, au standard F1, sont en cours de transformation pour uniformiser la flotte au standard F3.

18 avions de patrouille maritime Atlantique 2 seront rénovés et 4 avions verront leur utilisation limitée aux missions de surveillance maritime. Un format futur de 18 avions de surveillance et d’intervention maritime a été retenu avec un début de livraison en 2018. Pour atténuer la réduction de capacité correspondante, et au titre du plan de relance, 4 Falcon 50 précédemment à usage gouvernemental, sont en cours de transformation pour assurer des missions de surveillance.

Concernant la composante hélicoptères, le NH90 Caïman, version combat, remplacera le Lynx sur les frégates de la nouvelle génération, Horizon et FREMM, à raison d’un hélicoptère par frégate. 7 NH90 ont été livrés au 30 juin 2012 et participent dès à présent aux missions de sauvetage en mer et de contre-terrorisme maritime.

Un programme d’hélicoptères interarmées léger, conduit pour couvrir l’ensemble des besoins de cette catégorie dans les trois armées, viendra remplacer en priorité les Alouette III puis, ultérieurement, les Dauphin et les Panthers actuels. Les Alouette sont des hélicoptères de conception très ancienne – 12 Alouette ont un âge moyen de 45 ans – et il existe une véritable incertitude sur l’aptitude technique à assurer leur MCO dans les années qui viennent.

O LA PARTICIPATION DE LA MARINE AUX FORCES FRANÇAISES DE SOUVERAINETÉ

Déployées dans les départements, territoires et collectivités d’outre-mer, les forces de souveraineté remplissent, à l’exception de la fonction dissuasion, tout le spectre des fonctions stratégiques identifiées par le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008 : connaître et anticiper, prévenir, protéger et intervenir.

De par leur présence sur toutes les mers du monde, elles assurent la protection du territoire français et des intérêts de la France et contribuent au maintien de sa souveraineté dans sa zone économique exclusive. Elles soutiennent également l’action de l’État dans les départements et collectivités d’outre-mer. Elles constituent aussi des points d’appui précieux pour lancer ou conduire des opérations éloignées de la métropole, à l’image des opérations conduites depuis les Antilles après le séisme en Haïti en 2010 ou de la recherche de l’A310 Yemenia aux Comores avec les moyens basés à la Réunion en 2009. Elles permettent enfin de mettre en œuvre la coopération militaire bilatérale avec des pays limitrophes.

Compte tenu de la nature des enjeux, stratégiques pour la France, auxquelles elles doivent faire face, il semble que l’allégement du dispositif engagé ces dernières années fragilise la capacité de la France à préserver sa souveraineté sur les espaces en sa possession.

§ UN ESPACE MARITIME PLEIN DE PROMESSES, DES MOYENS EN BAISSE

• La mer, une « nouvelle frontière » pour le XXIsiècle

Comme le précise le Livre bleu sur la stratégie nationale pour la mer et les océans de décembre 2009, « sans l’utilisation intensive des espaces maritimes, il n’y aurait pas de mondialisation. » Le commerce mondial repose en effet sur le transport maritime pour les trois quarts de son volume et la mer véhicule la plus grande partie des échanges mondiaux d’information par la voie des câbles sous-marins. C’est la liberté des mers qui a permis l’explosion des échanges internationaux au cours du siècle dernier et accompagné la croissance économique de la plupart des pays.

Le progrès des techniques militaires, de la pêche hauturière, des exploitations minières et pétrolières offshore ainsi que les risques croissants que font peser les activités humaines sur l’environnement ont entraîné au cours du XXe siècle une multiplication des revendications territoriales, souvent concurrentes, sur les mers, voire des restrictions unilatérales des droits de navigation et de pêche. Cette situation a conduit la communauté internationale à élaborer un régime commun, adaptant la doctrine de la liberté des mers, pour résoudre les tensions entre les États. La convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay de 1982 a ainsi cherché à préserver le principe fondamental de liberté de circulation sur les mers tout en reconnaissant les droits souverains des États à l’exploitation des ressources océaniques au large de leurs côtes.

Si elle favorise les échanges commerciaux, la liberté des mers favorise également tous les flux illicites : trafics de drogue, d’armes, de marchandises de contrebande. Alors que la sûreté des mers paraissait un fait acquis, hors période de guerre, depuis plus d’un siècle, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La recrudescence de la piraterie au large de la Somalie, dans le golfe de Guinée ou dans les détroits asiatiques en est le témoignage.

De part l’étendue de son espace maritime et son insertion dans le commerce mondial, la France ne saurait tourner le dos à l’intérêt stratégique que représentent pour elle les océans.

§ Une zone économique exclusive convoitée

Avec un territoire océanique de 11 millions de km² – plus vaste que celui de l’Europe terrestre, 9 millions de km² – la France dispose d’un formidable réservoir de richesses.

La zone Économique exclusive de la France

Source : Service hydrographique et océanographique de la marine.

Cet espace maritime, qui se trouve à 97 % en outre-mer, comprend deux opportunités de croissance importantes : dans le secteur de l’énergie et celui des matières premières.

Pour ce qui concerne l’énergie, il faut distinguer les énergies marines renouvelables des ressources en hydrocarbures.

Le Livre bleu rappelle que l’océan reçoit et stocke de grandes quantités d’énergie qui peuvent être captées sous plusieurs formes : énergie thermique, cinétique (courants, vent), potentielle (barrages ou lagons), chimique (énergie osmotique), biologique (biomasse). On peut y lire que le « potentiel prodigieux associé à ces énergies marines renouvelables est susceptible à moyen ou long terme de satisfaire une part notable des besoins énergétiques de la France, et même de l’Europe. »

Le Livre bleu précise également que les zones maritimes françaises renferment des hydrocarbures (gaz, pétrole…) qui, peu exploitables ou compétitives actuellement, « pourraient devenir stratégiques dans quelques décennies. » Dans un article de Marines et Océans (2), Sylvain de Mullenheim indique qu’en Guyane, des prospecteurs ont foré à l’été 2011 une zone dont la géologie est proche de celle du Ghana, où d’abondantes découvertes faites en 2009 sont désormais en exploitation. Dans le canal du Mozambique, les eaux sous souveraineté française, autour des Îles éparses, disposent de sous-sols semblables à ceux de Madagascar où se trouvent plus de 16 milliards de barils de pétrole !

Pour les matières premières, la France dispose, dans les eaux internationales autour de Wallis et Futuna, de réserves de « terres rares » (3) parmi les plus importantes au monde. La Chine a déposé dès 2001 une demande d’exploitation pour quinze ans d’une zone de 150 000 km² auprès de l’Autorité internationale des fonds marins. La France a attendu le Comité interministériel de la mer de juin 2011 pour se doter d’une stratégie d’exploitation des fonds marins.

Comme l’ont souligné Mme Patricia Adam et M. Philippe Vitel dans leur rapport d’information sur l’action de l’État en mer, les territoires français suscitent de nombreuses convoitises, « que cela soit pour l’île de Clipperton, au large du Mexique, les îlots de Matthew et Hunter, convoités par le Vanuatu ou encore les îles Éparses » (4).

§ Des missions très variées

Le dispositif français des forces de souveraineté s’organise autour de trois points d’appui principaux : la Guyane, avec les forces armées en Guyane (FAG) pour la zone Caraïbes, la Réunion, avec les forces armées en zone sud de l’océan Indien (FAZSOI) pour l’océan Indien et la Nouvelle Calédonie, avec les forces armées en Nouvelle-Calédonie (FANC) pour l’océan Pacifique. Il s’agit là de dispositifs interarmées en mesure d’intervenir avec des groupements tactiques interarmes et les moyens de projection aéromaritimes associés.

Les Antilles, qui accueillent les forces armées aux Antilles (FAA) et la Polynésie, qui accueillent les forces armées en Polynésie française (FAPF) sont des points d’appui avec des dispositifs allégés à dominante maritime, capables d’accueillir des renforts intra-théâtre ou venant de métropole

À ces cinq implantations, s’ajoute un petit détachement maritime à Saint-Pierre et Miquelon.

Les missions exercées à partir de ces points d’appui sont très hétérogènes, ainsi que l’avait confié le contre-amiral Patrick Chevalereau, secrétaire général-adjoint de la mer lors de son audition par la mission d’information sénatorial sur la maritimisation : « les besoins de présence de patrouilles autour de la Nouvelle-Calédonie ne sont pas les mêmes que dans le secteur des îles Kerguelen ; les menaces qui s’exercent dans le nord du canal du Mozambique, non loin de Mayotte, autour des îles glorieuses, et qui sont caractérisées par l’extension géographique de la piraterie, par l’immigration illégale, ne sont pas les mêmes que dans les Caraïbes où l’on a une forte dimension de trafic de stupéfiants » (5).

De fait, les Antilles sont plutôt orientées vers la lutte contre le narcotrafic alors que la zone sud de l’océan Indien se caractérise par des missions, dans les zones nord et australes, de police des pêches et, à Mayotte, de lutte contre l’immigration clandestine. En Nouvelle-Calédonie, la priorité est donnée à la surveillance maritime et à la police des pêches. En Polynésie française, les missions sont plus diversifiées puisqu’elles comprennent à la fois des missions de souveraineté et de protection des intérêts nationaux, des missions de sauvegarde des personnes et des biens ainsi que de police des pêches et de police douanière. En Guyane, enfin, l’accent est mis sur la protection des intérêts nationaux, en raison de l’importance stratégique du centre spatial guyanais.

• Une réduction du format des forces à contre-courant

Alors que les enjeux pour la France sont considérables, celle-ci a substantiellement réduit sa présence militaire dans les territoires ultramarins au cours de ces dernières années.

§ La réorganisation engagée par le Livre blanc

Conformément aux orientations fixées par le Livre blanc de 2008, les forces de souveraineté ont vu leur format réduit au « niveau strictement nécessaire aux missions des armées proprement dites » (6), afin de laisser plus de place aux moyens de la gendarmerie nationale et de la sécurité civile. Initiée dès 2008, cette réorganisation a pour objectif de ramener les effectifs des forces de souveraineté de 10 644 personnes en 2008 à 8 234 en 2020, soit une réduction de 23 %. Le format sera atteint dès 2014 pour les militaires et en 2020 pour les civils.

Après deux années d’études et la dissolution d’unités élémentaires, les bases de défense ont été créées au 1er janvier 2011 et les dissolutions de bataillons, régiments et bases aériennes ont été effectuées à l’été 2012 (7). Les phases 2 et 3 de cette réorganisation, qui se traduisent par la rationalisation du soutien des bases de défense, sont en cours d’exécution. Au 1er juillet 2012, la marine disposait de 1 731 marins au sein des effectifs « défense » des forces de souveraineté. Les forces sont réparties de la manière suivante.

effectifs militaires des forces françaises de souveraineté

(ETPT)

 

EMPLOI FORCES (8)

SOUTIEN (BdD)

SERVICES DIVERS (9)

TERRE

MARINE

AIR

TOTAL

FAG Guyane

75

370

265

1 307

120

265

2 402

FAA Antilles

63

381

258

443

412

29

1 586

FAPF Polynésie

66

460

211

217

339

43

1 336

FAZSOI La Réunion / Mayotte

71

527

304

688

495

95

2 180

FANC Nouvelle-Calédonie

63

332

236

575

354

159

1 719

Saint-Pierre et Miquelon

0

0

0

0

11

0

11

TOTAL

338

2 070

1 274

3 230

1 731

591

9 234

Légende :

FAG : Forces armées en Guyane

FAA : Forces armées aux Antilles

FAPF : Forces armées en Polynésie française

FAZSOI : Forces armées en zone sud de l'Océan Indien

FANC : Forces armées de la Nouvelle Calédonie

Source : ministère de la défense.

§ Des équipements vieillissants

Alors que ses effectifs se contractent, la marine a vu son nombre de bâtiments déployés outre-mer décroître également de 20 % sur la période 2000-2012. Tous types confondus, ils sont actuellement 86. On peut distinguer quatre principaux types de bâtiments au service des forces de souveraineté :

– les frégates de surveillance, bâtiments lourds, pouvant embarquer un hélicoptère et plutôt destinés au combat ;

– les bâtiments de transport léger (BATRAL), bâtiments conçus pour le transport, relativement peu armés ;

– les patrouilleurs, patrouilleurs côtiers de la gendarmerie maritime (PCG) et P 400, que l’on peut comparer à des frégates miniatures, disposant seulement de canons de petit calibre ;

– les vedettes côtières de surveillance maritime (VCSM), bâtiments les plus petits, uniquement dotés d’armes non-fixes (fusils et armes de poing pour l’équipage) et mises en œuvre par la gendarmerie maritime.

Le tableau ci-après présente la répartition de ces équipements dans chacune des trois principales zones d’intervention, la zone Caraïbes, la zone Pacifique et la zone océan Indien.

RÉPARTITION DES ÉQUIPEMENTS DE LA MARINE AU SEIN DE SES TROIS PRINCIPAUX POINTS D’APPUI EN OUTRE-MER

Théâtres

Type

Nom

Observations

Zone Caraïbes

Antilles

Frégate de surveillance (FS)

Ventôse

Hélicoptère embarqué : 1 Panther

FS

Germinal

Frégate arrivée de métropole pour compenser le départ du P400 « la Gracieuse »

Hélicoptère embarqué : 1 Panther

Batral

Dumont d’Urville

Bâtiment arrivé de Tahiti pour compenser le retrait du BATRAL « Francis Garnier »

PCG

Violette

Gendarmerie maritime

Guyane

P 400

Capricieuse

 

P 400

Gracieuse

A remplacé le P400 « l’Audacieuse » (désarmé)

VCSM

Mahury

Gendarmerie maritime

VCSM

Organabo

Gendarmerie maritime

Zone Pacifique

Nouvelle Calédonie

FS

Vendémiaire

Hélicoptère embarqué : 1 Alouette III

P 400

Moqueuse

 

P 400

Glorieuse

 

Batral

Jacques Cartier

 

VCSM

Dumbea

Gendarmerie maritime

Aéronefs

Dét. Gardian

 

Polynésie

FS

Prairial

Hélicoptère embarqué : 1 Alouette III

P 400

Tapageuse

Retrait du service actif en 2012

Patrouilleur

Arago

A remplacé le P400 « la Railleuse » en 2011

PCG

Jasmin

Gendarmerie maritime

Remorqueur ravitailleur

Révi

 

Aéronefs

Flottille Gardian

 

Hélicoptères

Dauphin N3

Acquis en 2011 en achat interministériel, en remplacement des hélicoptères de l’armée de l’air

Zone océan Indien

Réunion / Mayotte

FS

Floréal

Hélicoptère embarqué : 1 Panther

FS

Nivôse

Hélicoptère embarqué : 1 Panther

Patrouilleur

Le Malin

A remplacé les P400 « la Boudeuse » et « la Rieuse » en 2011

Patrouilleur austral

Albatros

 

Batral

La Grandière

 

VCSM

Verdon

Gendarmerie maritime

VCSM

Odet

Gendarmerie maritime

Légende :

FS : Frégate de surveillance

PCG : Patrouilleur côtier de la gendarmerie maritime

VCSM : Vedette côtière de surveillance maritime

Source : ministère de la défense.

En résumé, la zone Caraïbes dispose de huit bâtiments dont seulement deux frégates, la zone Pacifique de dix bâtiments dont deux frégates et la zone sud de l’océan Indien de sept bâtiments dont quatre frégates. Cela fait bien peu pour surveiller les millions de km² de l’espace maritime français. La faiblesse des moyens hauturiers disponibles rend en outre difficile la capacité d’intervention en haute mer. Ainsi que le souligne le rapport d’information sénatorial précité, « une chose est de constater par voie de satellite le pillage de nos ressources halieutiques au large de Clipperton ou en Guyane, une autre est d’intervenir et de procéder à des contrôles, voire à des arraisonnements ».

Le rapport du Sénat souligne le décalage important entre les moyens de surveillance des zones de souveraineté (mer territoriale et zone économique exclusive) et les capacités réelles d’intervention sur place. Dans le cas, relativement hypothétique, où une puissance étrangère hostile chercherait à prendre possession d’un de ces territoires, les moyens prépositionnés s’avéreraient probablement insuffisants pour repousser l’agresseur. Compte tenu de la distance, les délais de projection d’une force de renfort venue de la métropole seraient « peu compatibles avec les exigences d’une réponse politique et médiatique immédiate » explique le rapport. La Nouvelle-Calédonie, territoire ultramarin le plus éloigné de la métropole, se situe à 16 745 km de Paris. Dans le meilleur des cas, cela la place à 20 jours de mer de Brest, sans compter les délais de préparation.

Les retraits successifs depuis 2009 des moyens vieillissants que constituent les P400 ou les BATRAL, non encore compensés par l’arrivée de nouveaux programmes, entraînent en outre une dégradation du dispositif.

S’agissant des moyens aéronautiques de la marine, le retrait des Falcon F200 Gardian affectés dans le Pacifique est actuellement planifié pour fin 2015 et le décalage à 2018 du programme d’acquisition d’aéronefs de surveillance et d’intervention maritime (AVISMAR) nécessite de recourir à des mesures palliatives, comme la prolongation des Falcon pendant trois à cinq ans. À défaut, une solution transitoire pourrait être la mise en place des Falcon « gouvernementaux » F50M – dont le premier date de 1980 – outre-mer mais cela créerait de fait un déficit capacitaire en métropole.

Les forces de souveraineté se trouvent donc, dès aujourd’hui, confrontées à des ruptures temporaires de capacité qui, si d’ambitieux programmes d’équipement ne sont pas lancés très prochainement, se transformeront en ruptures permanentes.

Interrogé par la mission d’information sénatoriale, le secrétariat général de la mer, avait ainsi noté, en Guyane, « une incapacité à intervenir en haute mer et à y employer la force de 2016 à 2018 (voire davantage) », en zone sud de l’océan Indien, « une forte dégradation des capacités de surveillance et d’intervention en haute mer à l’horizon 2015, alors que les besoins croissent pour répondre à des enjeux significatifs » et, dans le Pacifique sud, « une rupture capacitaire majeure, avec un impact fort sur la conduite des missions de souveraineté et d’assistance dans les espaces maritimes nationaux » suite au « non-remplacement, de 2015 à 2018, voire 2020, des avions de surveillance maritime Gardian ».

§ REDONNER À LA FRANCE ULTRAMARINE TOUTE SA PLACE DANS NOTRE STRATÉGIE DE DÉFENSE

• Prendre en compte les enjeux maritimes dans le futur Livre blanc

§ Une stratégie peu adaptée

Si les moyens dont dispose la marine ne semblent pas adaptés aux enjeux actuels et futurs, il faut rappeler que lors de la création de la zone économique exclusive (ZEE) en 1976, les préoccupations étaient toutes autres. À l’époque, la police des pêches et la répression des pollutions volontaires représentaient l’essentiel des missions de souveraineté. Ce n’est qu’ensuite que sont apparus des enjeux liés à l’exploration des fonds marins évoqués plus haut.

Or force est de constater, comme l’ont fait les sénateurs, que le Livre blanc de 2008 a sous-estimé la dimension stratégique des océans et leur importance pour la France : « la sensibilité croissante des États en matière de souveraineté et les tensions liées à l’exploitation des ressources naturelles qui pourraient entraîner des revendications croissantes de territorialisation des espaces maritimes non déclarés ne sont pas perçues comme des évolutions majeures du contexte géostratégique. »

L’arc de crise allant de l’Atlantique à l’océan Indien n’est ainsi appréhendé qu’au travers des pays riverains des océans, sans tenir compte de l’importance des flux maritimes que l’on y trouve. De même, le rôle stratégique du prépositionnement de nos forces, qui a donné lieu au développement de bases militaires dans plusieurs pays étrangers, est envisagé avant tout dans sa dimension terrestre. Le principal enjeu qui concerne les départements et collectivités d’outre-mer identifié par le Livre blanc de 2008 est la « possibilité de catastrophe naturelle. » Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi il a prévu de réduire le format des armées hors de la métropole au « niveau strictement nécessaire ». Il est désormais temps de changer cette approche.

§ Un début de prise de conscience ?

Avec le Livre bleu de 2009, la France s’est dotée d’une « stratégie nationale pour la mer et les océans ». Pour la première fois, il y est affirmé que « la mer, plus que jamais, constitue un enjeu et un espace géostratégique. Qu’il s’agisse de les occuper et de se les approprier ou, au contraire, d’en garantir l’accès libre à tous, la question de la maîtrise des espaces maritimes, source de tant d’affrontements passés, reste d’actualité. »

Cette stratégie nationale pour la mer et les océans a permis d’établir un diagnostic réaliste des enjeux maritimes français et a tracé de nombreuses pistes. Il s’est traduit par la mise en place de la fonction garde-côtes, pour coordonner toutes les administrations qui participent à la sécurité maritime, d’un soutien à la construction navale et au développement des énergies renouvelables, à la mise en place d’une stratégie pour l’exploitation des ressources minérales profondes.

Cette feuille de route, très ambitieuse, mérite d’être complétée par la prise en compte de la dimension proprement « défense et sécurité nationale » de ces enjeux. Comme l’ont souligné Mme Patricia Adam et M. Philippe Vitel dans leur rapport d’information précité, « il est indispensable que les enjeux de sûreté et de sécurité maritime soient clairement identifiés dans le futur Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale » car « c’est en fonction des priorités définies par le Livre blanc que la loi de programmation militaire affecte les moyens nécessaires aux forces armées ».

Cela ne signifie naturellement pas que la marine, qui finance déjà 80 % des moyens de la sécurité maritime et y consacre le tiers de son activité, doive supporter à elle seule ce nécessaire effort. Il devra être partagé par les administrations qui participent à l’action de l’État en mer, au premier rang desquelles figurent la gendarmerie et les douanes.

• Lancer les nouveaux programmes d’équipement

Parce qu’ils n’étaient pas prévus par la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, il devient urgent de lancer rapidement les programmes d’équipement destinés aux forces de souveraineté.

Outre le programme d’avions de surveillance et de patrouille maritime (AVISMAR) pour remplacer les Gardian et les Falcon F50M, deux programmes sont particulièrement importants puisqu’ils concernent le renouvellement complet de toute une gamme de navires. Le premier est celui des bâtiments multi-missions (B2M) qui vise à remplacer les bâtiments de transport léger (BATRAL). Le second programme est celui du patrouilleur hauturier du futur ou BATSIMAR (bâtiment de surveillance et d’intervention maritime), visant à remplacer les P400.

§ Les B2M pour la logistique et le transport

Le programme B2M a remplacé un premier programme en développement, le programme BIS (bâtiment d’intervention et de souveraineté). Le principal avantage du nouveau programme est qu’il prévoit une construction aux normes civiles, donc moins chère.

Quatre bâtiments devraient être commandés, en remplacement des plus anciens bâtiments actuellement en service dans les forces de souveraineté, les BATRAL. Les futurs B2M seront des bâtiments de plus de 1 000 tonnes et de 70 mètres environ (contre 1 385 tonnes et 80 mètres pour les actuels BATRAL). Ils disposeront d’une grue pour la manutention de conteneurs, d’embarcations légères et ils seront armés. La capacité de débarquement amphibie des BATRAL ne sera cependant pas conservée.

Traduction concrète du caractère transverse des problématiques de la sécurité maritime, le financement de ces navires sera interministériel. Participeront à son financement les ministères de l’Intérieur, des Finances, de l’Agriculture et les Transports. Le degré de mutualisation des coûts ne sera toutefois pas total puisque le ministère de la Défense supportera 80 % des coûts d’acquisition puis 50 % des coûts de fonctionnement.

§ Les patrouilleurs BATSIMAR, au cœur de toutes les futures missions

En raison de leur polyvalence, les patrouilleurs de surveillance constituent l’épine dorsale des forces navales de souveraineté. Leur remplacement est par conséquent attendu avec beaucoup d’impatience.

Dans ces conditions, on peut regretter que le programme BATSIMAR soit, pour le moment, repoussé à la prochaine décennie. Des ruptures capacitaires commencent déjà à poindre du fait du retrait de certains P400 et une rupture totale est à craindre en 2018. En remplacement des P400, la marine souhaite des navires simples, robustes et plus lourds, afin d’accroître leur autonomie et leur tenue en mer et embarquer un hélicoptère. Des industriels français proposent des modèles de patrouilleurs hauturiers correspondants à ces critères.

Le premier modèle navigue déjà puisqu’il s’agit de L’Adroit de DCNS. Cette plateforme présente des caractéristiques comparables à celles du modèle des CMN. Déplaçant 1 450 tonnes, L’Adroit se veut très polyvalent : il dispose de nombreux capteurs, d’un canon de 20 mm et peut embarquer un hélicoptère, un drone de surveillance et des embarcations commando. D’une autonomie de 8 000 milles, il peut prendre part à des campagnes de trois semaines et semble bien adapté au large spectre d’activité des forces de souveraineté, aussi bien en zone littorale qu’en haute mer. En service depuis le mois de mai dernier, il est mis à disposition de la marine nationale pour une durée de trois ans. DCNS, qui l’a développé et construit sur fonds propres, obtient ainsi un retour d’expérience particulièrement réaliste et un label « sea proven » de la marine, très appréciable à l’export. Il s’agit incontestablement d’un partenariat « gagnant-gagnant » tant pour la marine que pour l’industriel.

Deux autres modèles sont au stade du projet, il s’agit de La Vigilante des Constructions mécaniques de Normandie (CMN) et les Multipurpose Offshore Patrols Vessels (MOPV) de Piriou.

La Vigilante serait une plateforme de 1 400 tonnes conçue pour répondre aux contraintes budgétaires en proposant un bâtiment aux coûts d’exploitation réduits tout en demeurant très polyvalente. Longue de 79 mètres, La Vigilante pourra atteindre la vitesse de 25 nœuds et franchir jusqu’à 8 000 milles. Conçue pour rester en opération durant 30 jours, elle sera armée d’un équipage réduit, comprenant seulement 25 marins, mais pourra héberger 25 passagers supplémentaires, par exemple des forces spéciales. Le patrouilleur sera pourvu d’une passerelle avec vision à 360° et comptera deux niches sur chaque bord pour des embarcations commando. Les MOPV de Piriou ont été conçus pour les grandes patrouilles hauturières. Longs de 60 à 80 mètres, ils disposent d’une plate-forme d’hélicoptères, d’embarcations rapides et de locaux modulaires permettant une reconfiguration facile en fonction des missions.

Ø TRAVAUX DE LA COMMISSION

O AUDITION DE L’AMIRAL BERNARD ROGEL, CHEF D’ÉTAT-MAJOR DE LA MARINE

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine, sur le projet de loi de finances pour 2013 (n° 235), au cours de sa réunion du mercredi 10 octobre 2012.

Mme la présidente Patricia Adam. Les universités d’été de septembre dernier ont mis à l’honneur un thème qui vous est cher, Amiral : la maritimisation du monde. Beaucoup dans nos rangs partagent cette volonté de voir cette question émerger dans le débat public et trouver sa place dans le prochain Livre blanc.

C’est dans ce cadre que vous allez nous présenter le projet de budget de la marine pour 2013.

M. l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine. Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les députés, je suis heureux de me retrouver une deuxième fois devant vous depuis le renouvellement de l’Assemblée et vous remercie de me recevoir dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances. En cette période de réduction des dépenses publiques, je sais les choix difficiles auxquels vous êtes confrontés et vais essayer de vous apporter le meilleur éclairage possible sur les enjeux qui concernent la marine.

Je crois, Mesdames et Messieurs, que la marine vit aujourd’hui une période charnière de son histoire, car elle est confrontée à trois facteurs concomitants.

D’une part, elle est, comme les autres armées, suspendue à la fois aux conclusions du futur Livre blanc et à la trajectoire budgétaire probablement très contrainte de la prochaine loi de programmation militaire (LPM).

D’autre part, elle est confrontée à une montée sans précédent des enjeux maritimes dans le monde : la maritimisation, liée à la mondialisation, qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions, et dont nous avons largement débattu.

Enfin, elle amorce un renouvellement désormais urgent de la majorité de ses moyens. J’y reviendrai.

À titre préliminaire, je souhaiterais apporter une précision qui m’est chère : la marine n’est pas désincarnée. Ce n’est pas une succession de moyens ou d’organigrammes, ni un alignement de lignes budgétaires. Ce sont des hommes et des femmes qui se sont engagés pour défendre leur pays – et je profite de cette occasion pour leur rendre hommage. Ce qu’ils font tous les jours n’est pas ordinaire et nécessite un sens exemplaire de l’engagement, un don de soi pouvant aller jusqu’au sacrifice suprême, une disponibilité hors du commun ainsi que la volonté de servir leur pays au détriment parfois de leur propre famille. Ces femmes et ces hommes sont une ressource rare. Nous devons les protéger. Tout conflit est confrontation de volontés : préserver la défense, c’est d’abord préserver la volonté de défendre. Telle est la clé d’une défense efficace, donc la toile de fond de nos débats aujourd’hui.

Avant d’aborder le budget de l’année prochaine, je souhaiterais revenir sur les caractéristiques de l’année écoulée, que j’aborderai en quatre points.

Premier point : cette année aura été celle de la régénération du potentiel après une année 2011 particulièrement dense.

Par régénération, j’entends la reconstitution du potentiel technique mais aussi la reprise de l’entraînement dans toutes ses composantes. En un mot, le maintien de la polyvalence. La mission Harmattan, au large de la Libye, avait monopolisé une grande partie de nos moyens avec le succès que l’on sait, mais dans un contexte tactique particulier et selon des modes opératoires propres. Or l’expérience montre qu’il nous faut être prêt à réagir à tout type de mission avec un faible préavis. Des exercices dédiés ont donc été menés en Atlantique et en Méditerranée, afin de maintenir cette indispensable polyvalence d’emploi.

La reprise de l’entraînement a également concerné les pilotes de chasse du porte-avions, notamment la formation des jeunes pilotes. Les manœuvres de catapultage et d’appontage demandent une expertise très particulière et très difficile à acquérir et à maintenir. C’est une compétence unique en Europe, partagée seulement avec les États-Unis. Nous y accordons donc une grande attention.

Enfin, les crises actuelles se résolvent la plupart du temps en coalition. Il est donc nécessaire de poursuivre notre entraînement mutuel avec nos alliés – ce que nous avons fait par exemple au printemps 2012 sur la côte Est des États-Unis avec l’exercice Bold Alligator. Le savoir-faire acquis à partir des enseignements de la mission Harmattan a d’ailleurs suscité un vif intérêt de la part des Américains. À la fin du mois, nous aurons l’exercice Corsican Lion, dans le cadre du traité de Lancaster House, pour tester le volet maritime du concept d’emploi rédigé en 2012.

Deuxième point : cette régénération a été menée tout en remplissant nos missions permanentes, à un rythme toujours plus soutenu. Ces engagements se poursuivent selon ce que j’appelle le trépied de nos missions.

Premier pied : les missions permanentes des fonctions stratégiques. Avec, d’abord, la dissuasion, maintenue depuis maintenant 41 ans pour la force océanique stratégique avec un sous-marin nucléaire déployé en permanence, mais aussi des frégates et avions d’accompagnement. Il s’agit aussi de la connaissance-anticipation, qui repose sur des pré-positionnements, avec notamment la mission Corymbe, assurée depuis 22 ans sans discontinuer au large de l’Afrique de l’Ouest – la 118e relève de bâtiment a d’ailleurs été effectuée avant-hier. Ces pré-positionnements, qui ont également lieu dans l’océan Indien, le Golfe arabo-persique ou en Méditerranée orientale, sont souvent déterminants pour traiter à temps des événements avant qu’ils ne se dégradent.

Deuxième pied : les opérations extérieures (OPEX). La mission Atalanta de lutte contre la piraterie en océan Indien s’est poursuivie. La France en a d’ailleurs assumé le commandement d’avril à août 2012. C’est un succès : avec 70 navires par jour transitant dans le Golfe d’Aden, auxquels s’ajoute la présence d’une flotte française exposée de thoniers senneurs au large des Seychelles, le taux d’attaques réussies de pirates a été divisé par trois en trois ans. Nous maintenons, avec nos alliés, la pression sur ces derniers afin de garantir la sécurité de la navigation sur cet axe d’approvisionnement majeur – sachant que ce phénomène s’étend désormais au Golfe de Guinée selon des modes d’action plus violents.

Par ailleurs, le déploiement d’avions de patrouille maritime sur les différents théâtres d’opérations s’est opéré avec une efficacité toujours remarquée. C’est la polyvalence de cet outil, le seul des armées capable d’intervenir dans tous les milieux – dans l’air, sur terre, sur mer et sous la mer –, et d’effectuer des missions de renseignement, de coordination tactique, de désignation d’objectif, de sauvetage en mer ou de lutte anti-sous-marine, qui permet d’obtenir ces résultats. Il s’agit en quelque sorte du « couteau suisse » des airs.

Enfin, la mission au large de la Libye ne s’est pas terminée avec la fin de la crise : il a fallu poursuivre les opérations de sécurisation de la côte et des ports, réalisées par nos chasseurs de mine et nos plongeurs démineurs.

Troisième pied : l’action de l’État en mer. C’est le volet sécurité de notre action. Ainsi, en un an, la marine a permis le sauvetage de 235 personnes, l’interception de 2 208 migrants clandestins et de leurs 128 passeurs, le déroutement de 32 pêcheurs frauduleux, la saisie de plus de 10 tonnes de drogue, le déminage de 2 238 engins explosifs et l’assistance à 19 navires en difficulté. Sans compter notre participation aux opérations anti-pollution comme celle réalisée sur le Flaminia en juillet dernier : repérages aériens réguliers par des avions de patrouille maritime, investigation à bord et accompagnement.

Toutes les composantes y participent, à l’endroit où elles sont déployées, partout dans le monde. Je citerai pour exemple le cas du groupe aéronaval. Très récemment, le sous-marin nucléaire d’attaque d’accompagnement a repéré au cours d’un déploiement un bâtiment au comportement suspect. Cela s’est traduit par l’arraisonnement de narcotrafiquants. Ainsi se poursuit, 365 jours par an, 24 heures sur 24, l’activité de la marine. Aujourd’hui, par exemple, plus de 6 000 marins et 48 bâtiments, soit près de la moitié de la flotte, sont déployés, sans rentrer pour la plupart dans le compte des OPEX.

Troisième point : la modernisation de notre outil est amorcée.

Elle constitue la réponse à une urgence : les réductions, temporaires ou non, de capacité – rappelons que nous avons désarmé 20 bâtiments depuis 2009, et que cela continue – et l’âge de nos outils – près de 40 ans pour la frégate De Grasse, 34 ans en moyenne pour les frégates Georges Leygues, Montalm et Dupleix ou l’aviso lieutenant de vaisseau Le Hénaff – nous placent au bord d’une rupture franche. Seules deux frégates ont été livrées au cours des dix dernières années. Quant aux forces outre-mer, elles auront perdu leur capacité en patrouille et en bâtiments de transport léger (Batral) en 2016 si elles ne sont pas remplacées. Ne resteront plus que 6 frégates de surveillance et deux patrouilleurs pour 10 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE). Il n’est plus possible de retarder le renouvellement de la flotte.

Cette année, est arrivé le Dixmude, troisième bâtiment de projection et de commandement (BPC), dont l’emploi ne fait que croître. Avant même qu’il ne soit déclaré opérationnel, il menait simultanément pendant sa phase d’essai une triple mission : mission opérationnelle, en participant aux opérations Atalanta et Corymbe ; mission école pour la formation des officiers de marine – à savoir la mission « Jeanne d’Arc », du nom de l’ancien porte-hélicoptères désormais désarmé – ; mission de soutien aux partenariats stratégiques en Afrique du Sud et au Brésil. C’est dire s’il était attendu.

En fin d’année, la première frégate multimissions (FREMM) devrait être livrée, première d’une série également particulièrement attendue pour remplacer les frégates anti-sous-marines à bout de souffle, dont je vous ai parlé plus tôt.

La pertinence de ces deux types de bâtiments a été confirmée par des commandes à l’export, avec les retombées économiques que cela implique. Par ailleurs, ils représentent des gains substantiels en personnel pour la marine, avec moins de 100 personnes sur une FREMM contre près de 330 sur les anciennes frégates de type Tourville.

Pour ce qui est de l’aéronautique navale, il est prévu la livraison cette année de 4 avions Rafale Marine. La course contre la montre est lancée, les vieux mais toujours fidèles Super Étendard devant être retirés du service actif en 2016. La trajectoire nous emmène juste en dessous du contrat capacitaire en 2016 avec 38 avions pour un contrat de 40.

Il est également prévu la livraison de 4 hélicoptères Caïman-NH90, aujourd’hui au nombre de 7. Ces hélicoptères, prévus à 27 en 2021, remplacent les 10 Super Frelon, retirés du service depuis trois ans, et les 32 Lynx, dont le plan de réduction a déjà débuté. Ces retraits ont donné lieu à l’acquisition en urgence de 2 appareils EC225 pour assurer l’alerte sauvetage en Atlantique. Le respect de la cadence de livraison actuellement prévue est désormais vital. Rappelons que c’est un NH90 qui, une semaine après la recréation de la flottille, a sauvé les 15 membres d’équipage du TK Bremen.

Pour ce qui est de la composante sous-marine, le programme Barracuda se poursuit avec une vigilance particulière, car la livraison du premier sous-marin en 2017 conduira à maintenir le Rubis en service pendant 35 ans. La composante des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), quant à elle, se modernise avec la première adaptation d’un sous-marin au nouveau missile M51 en 2013. Le Président de la République a rappelé le caractère central de la dissuasion dans notre stratégie de défense : elle reste en effet le meilleur rempart face à la surprise stratégique.

Enfin, l’arrivée de nouvelles unités impose un investissement important et durable dans les infrastructures portuaires, qui conditionnent l’emploi de ces unités.

Quatrième point : ces activités sont concomitantes à la mise en œuvre des réformes du ministère.

Concernant le personnel, il s’agit de la poursuite de la déflation de 6 000 postes jusqu’à 2015, avec un résultat de 3 900 suppressions fin 2012. Ces suppressions nécessitent un effort considérable, car la marine avait déjà, avant la révision générale des politiques publiques (RGPP), recentré ses unités sur un nombre réduit d’implantations. 2 100 postes restent donc à supprimer d’ici trois ans.

En termes d’organisation, la mise en place des bases de défense a été conduite dans des délais réduits de façon à ne pas pénaliser le fonctionnement des unités pendant la phase transitoire. Aujourd’hui, il faut remédier à certaines imperfections de jeunesse, 2012 ayant été une année de rodage. Mais il faut surtout mener résolument cette réforme à son terme.

Au plan financier, la fin de l’année 2012 appelle une vigilance particulière. La levée de la réserve et du gel des crédits relatifs au fonds « État exemplaire », la concrétisation de l’abondement des crédits au titre des OPEX et de celui attendu au titre de la clause de sauvegarde sur les carburants opérationnels sont indispensables pour permettre une fin de gestion satisfaisante. Dans le cas contraire, ce déficit de ressources conduirait à hypothéquer dès le début de gestion le budget 2013 et provoquerait un effet de rupture dans certains marchés avec un impact inévitable sur l’entretien programmé des matériels, les stocks de rechanges, donc le potentiel d’emploi et la disponibilité de nos bateaux et aéronefs.

Pour conclure sur cette année écoulée, Mesdames et Messieurs les députés, vous avez donc pour servir le pays une marine dont les résultats sont quotidiens, qui a régénéré son potentiel, dont les équipements ont entamé aujourd’hui un renouvellement devenu urgent, et qui poursuit ses réformes sous forte contrainte financière. Pour résumer : pendant les travaux, l’activité ne faiblit pas, mais sans les travaux, elle serait clairement menacée, à court terme !

Venons-en maintenant au projet de loi de finance pour l’année à venir.

Il s’inscrit dans un effort sans précédent de redressement des finances publiques, dans l’attente des orientations du prochain Livre blanc, et reflète la contribution de la défense à l’effort financier avant les grands choix de la prochaine LPM.

C’est à cette aune que je l’analyse pour la marine nationale, au travers des cinq grands agrégats : la masse salariale, l’entretien programmé du matériel, l’activité, les équipements et le fonctionnement.

Les ressources en matière de masse salariale ont été réajustées au besoin, sur la base des effectifs prévisionnels et en tenant compte de la déflation de 729 postes l’an prochain. La gestion des ressources humaines prendra désormais en considération le principe d’auto-assurance, interdisant tout dépassement de l’enveloppe sur le Titre 2.

Les crédits d’entretien programmé du matériel sont préservés par rapport à leur niveau de 2012. Si cela constitue déjà en soi un effort en période de contrainte budgétaire, cela ne lève pas un certain nombre de difficultés ayant un impact direct sur l’activité opérationnelle. Le coût d’entretien des flottes augmente du fait, pour les nouveaux matériels, de leur sophistication et, pour les anciens, de leur plus grande fragilité. C’est la conséquence de la transition que nous vivons. D’expérience, nous savons que l’entretien d’une flotte connaît deux pics de coût : en début et en fin de vie.

Si la disponibilité des bâtiments est satisfaisante, les crédits prévus ne permettent pas d’atteindre les objectifs de la LPM, avec, pour la flotte de surface notamment, une prévision de réalisation des heures de mer de l’ordre de 12 % en dessous de l’objectif de la loi de programmation militaire (LPM) 2009/2014. Par ailleurs, nous sommes contraints d’immobiliser les sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) neuf mois avant leur période d’entretien majeur afin de respecter l’enveloppe allouée à leur maintenance. Afin d’optimiser la disponibilité, nous menons aujourd’hui une réforme importante d’organisation sur l’entretien de la flotte, nommée Dispoflotte 2015, pour gagner toutes les marges possibles.

Celle de l’aéronautique est quant à elle préoccupante. Elle a conduit à réduire de 9 % l’activité au 2e semestre 2012. C’est la conséquence d’un déficit de financement d’environ 20 %. Le risque est, au-delà d’un taux de disponibilité en retrait, d’affaiblir le potentiel des flottes car les stocks de rechange ne sont plus recomplétés. Là encore, toutes les solutions d’optimisation sont recherchées avec la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques de la défense (SIMMAD) pour limiter les conséquences des contraintes budgétaires.

Les crédits d’activité intègrent l’augmentation du prix des carburants opérationnels. Si ces crédits sont préservés en 2013, ils impliquent toutefois une réduction a minima des prestations d’externalisation dans le cadre de la préparation opérationnelle des forces.

Ces déficits expliquent les faibles marges de manœuvre sur l’activité et les arbitrages auxquels les décideurs sont contraints lorsque des engagements opérationnels non planifiés s’ajoutent aux missions permanentes et à l’entraînement.

Les crédits d’équipements d’accompagnement font l’objet d’une forte contrainte financière, qui pèsera en grande partie sur les munitions, repoussant d’une année la perspective de reconstituer les stocks. 2012 aura déjà été une année de forte réduction en matière de munitions d’infanterie et aéronautiques : cette situation doit être comprise comme une solution transitoire dans l’attente d’une nouvelle LPM, qui permettra par ses arbitrages de lever, ou tout au moins de mieux cibler, les efforts d’économies.

Enfin, en cohérence avec les directives du Gouvernement, les crédits de fonctionnement de la marine ont été réduits de 7 %. Cet effort s’ajoute à celui de 10 % introduit par la programmation budgétaire triennale de 2011-2013 et à l’optimisation résultant des gains de la RGPP déjà pris en compte en amont par la LPM. Or la plupart des crédits de fonctionnement restant au sein de la marine après les transferts vers les bases de défense correspondent à des dépenses difficilement compressibles : ce sont notamment pour 77 % des crédits de recrutement, de formation et de mutation. Toute réduction a donc un impact immédiat sur le moral mais aussi sur les compétences de nos marins ; il est probable que nous soyons obligés de puiser dans les crédits d’entretien pour compenser ce déficit.

Pour conclure, si ce projet de loi préserve a minima l’activité immédiate des forces, il nous oblige aussi à des concessions qui commencent à engager les prochaines années. C’est bien un budget d’attente, mais qui pose des questions sur les choix à faire à court terme, à l’heure où le volume de nos missions ne faiblit pas et où nos moyens commencent à faire défaut, soit par leur nombre, soit par leur disponibilité.

Je voudrais enfin terminer en vous disant que, dans le monde où nous vivons, la marine n’est pas une dépense, c’est un investissement !

Mme la présidente Patricia Adam. Les réductions d’effectifs prévues sont-elles compensées par les gains en personnel sur les nouveaux bâtiments que vous avez évoqués ?

M. l’amiral Bernard Rogel. La réduction des effectifs est par nature compliquée car notre armée est très spécialisée et nous devons gérer beaucoup de micro-populations – atomiciens, personnels du pont d’envol du porte-avions, personnel naviguant de l’aéronautique navale, etc. Or s’il manque une des spécialités sur un bâtiment, son activité est remise en cause. Nous sommes donc très vigilants.

Une partie de l’effectif que nous devons réduire fait partie du soutien, qui est en dehors de la marine, et une autre correspond en effet aux gains sur les futurs équipages embarqués – je rappelle que nous passons d’équipages de 330 personnes avec une frégate de type De Grasse à 95 sur la frégate Aquitaine. Cela permet plus largement d’obtenir des gains en rémunérations et charges sociales (RCS) dans la mesure où l’on divise le coût humain par deux et les coûts de formation par trois.

Nous parviendrons donc à absorber la baisse des effectifs mais cela n’est pas sans nous poser des difficultés.

M. Gilbert Le Bris, rapporteur pour avis. Les questions que j’ai adressées, dans le cadre du questionnaire budgétaire annuel, au ministère sur le budget de la marine ont fait l’objet de réponses satisfaisantes, tant en taux qu’en qualité, mais si je peux comprendre qu’un certain nombre soit classifié « confidentiel défense », la « diffusion restreinte » me paraît trop largement utilisée au regard des informations figurant déjà dans le domaine public. Je souhaiterais que celle-ci soit limitée.

M. l’amiral Bernard Rogel. Je suis tout à fait de votre avis.

M. Gilbert Le Bris, rapporteur pour avis. J'ai pu mesurer la difficulté que représentaient les coupes dans le budget du maintien en condition opérationnelle (MCO) de la marine : à force de décaler dans le temps les périodes d'entretien, on entame véritablement le capital des bâtiments et on obère ainsi leur capacité d'action future.

S’agissant des bases de défense, j’ai constaté également les imperfections de jeunesse dont vous parlez : les circuits sont plus longs, plus complexes, les interlocuteurs se sont multipliés… Mais s’agit-il seulement d’imperfections ou d’un problème structurel justifiant une nouvelle organisation avec, par exemple, un point d'entrée unique ?

Par ailleurs, j'aimerais que vous nous précisiez les besoins en équipements que vous jugez les plus urgents : les pétroliers ravitailleurs, les patrouilleurs, les avions de patrouille maritime, les hélicoptères légers ?

Enfin, quel est votre sentiment sur le programme Adroit développé par DCNS ? Comment s'est passée cette année de test pour la marine ? Ce type de bâtiment répond-il à un réel besoin capacitaire ? Préfigure-t-il le bâtiment de surveillance et d’intervention maritime Batsimar ?

M. Nicolas Dhuicq. Quelles sont les conséquences des réductions temporaires de capacité (RTC), notamment outre-mer ? Par ailleurs, est-il vraiment indispensable de disposer d’équipements d’un tel niveau de sophistication pour parer aux menaces auxquelles nous devons faire face ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Le MCO me pose un véritable problème pour l’aéronautique navale. Si c’est le cas aussi pour la flotte en termes de régénération de potentiel, la flotte de surface a un taux de disponibilité plutôt satisfaisant, de l’ordre de 70 % – au sens de disponibilité générale des bateaux.

Les principales difficultés tiennent aux retards, aux changements d’activité opérationnelle et aux modifications de contrat qui s’ensuivent, qui sont en général coûteuses. Il y a 30 ans, le système était plus souple – on s’adressait à notre service d’entretien étatique – alors qu’aujourd’hui, on doit faire appel au service de soutien de la flotte – lequel me donne, cela dit, toute satisfaction – qui contractualise les opérations d’entretien. Les coups de rabot budgétaires créent des complications supplémentaires et nous devons être très vigilants. Mais je ne crois pas que nous en soyons encore à entamer le capital.

Concernant les bases de défense, je lis tous les rapports de mes commandants sur le moral de la marine et j’y réponds personnellement. Je ne méconnais aucune des difficultés quotidiennes engendrées par l’ampleur des réformes : réductions d’effectifs, réorganisation territoriale, changement du mode de soutien, qui ont créé une révolution historique dans le fonctionnement traditionnel de la marine. Nous sommes, je le répète, dans la phase de jeunesse ; on ne peut donc tirer de bilan définitif. D’autant que tous les personnels de la marine font le maximum pour que la réforme réussisse et que l’on obtient déjà des résultats positifs : à Toulon, la gestion des carburants, par exemple, qui est passé de la marine vers le service des essences des armées, a été bénéfique.

Le soutien de proximité est, certes, plus compliqué car les nouvelles habitudes ne sont pas prises et certains marins ont le sentiment que le service est moins rapide. On a créé un fonctionnement en tuyaux d’orgues, avec beaucoup de responsables mais pas d’autorité de coordination : nous sommes en train de résoudre ce problème avec le secrétariat général pour l’administration (SGA) et un groupe de travail devrait apporter des solutions dans les semaines à venir. Le cas du contrôle des huiles, important pour l’entretien programmé du matériel, est révélateur : auparavant on venait récupérer les échantillons à bord alors que maintenant, les unités doivent les apporter à Marseille : cela est plus compliqué mais a permis de gagner des effectifs. Je rappelle à cet égard que la réforme des bases est issue de la RGPP.

Nous sommes donc en période de rodage : tout n’est pas réglé, loin de là, mais nous sommes sur la bonne voie.

S’agissant des équipements, nous avons besoin de l’ensemble des composantes pour remplir les missions qui nous incombent. Pour prendre une image, votre question équivaut à demander à un bricoleur de choisir, dans la composition de sa caisse à outil, entre le marteau et le tournevis pour intervenir sur une panne qu’il ne connaît pas encore. C’est un choix impossible ! Nous sommes dans une phase de renouvellement urgent, mais qui était prévu dans la loi de programmation militaire (LPM). C’est le cas notamment pour les frégates de premier rang et les patrouilleurs. Encore une fois, si nous ne faisons rien, il ne nous restera plus que 6 frégates de surveillance outre-mer : comme ces patrouilleurs n’étaient pas considérés prioritaires dans le dernier Livre blanc, on a assisté à une réduction temporaire de capacité (RTC), qui nous conduit aujourd’hui à désarmer tous les P 400 – lesquels ne pourront être prolongés – et les Batral, sans les remplacer tout de suite. Le programme Batsimar tend à y remédier, sachant que nous avons dû avoir recours à des moyens palliatifs avec le déploiement de l’Arago et du Malin – simple chalutier transformé en garde-côtes. Nous essayons aussi de trouver un financement interministériel pour l’acquisition de bâtiments multimissions (B2M), c’est-à-dire des navires de soutien civils, pour remplacer les Batral. On ne peut simultanément considérer la zone économique exclusive (ZEE) comme importante et laisser la situation en l’état.

Je rappelle que la marine n’avait plus d’hélicoptères lourds sur ses deux façades maritimes depuis la disparition des Super Frelons : quand on voit les opérations de sauvetage que nous avons à mener, je suis heureux et soulagé d’avoir recréé la semaine dernière la flottille 31F dans le Sud après avoir recréé la 33F en Bretagne.

En ce qui concerne l’Adroit, j’ai été très intéressé par le partenariat avec DCNS : le bateau est mis à disposition pour trois ans, ce qui nous procure un patrouilleur de haute mer supplémentaire ; nous en profitons, nous, marins, pour affiner notre besoin sur les patrouilleurs de haute-mer (BATSIMAR). Nous avons en effet des adversaires de mieux en mieux équipés : on ne rattrapera pas un « go-fast » de trafiquant de drogue avec un patrouilleur de 12 nœuds, sachant qu’il est souvent trop tard quand la drogue est arrivée sur la plage. Il en est de même pour l’immigration illégale : il ne faut pas attendre que les bateaux viennent s’échouer dans les bouches de Bonifacio pour réagir ! L’avantage pour l’industriel de cette expérimentation est de certifier le bateau – ce qui est important en termes d’export – et de permettre de l’améliorer : le partenariat est donc gagnant-gagnant.

Quant aux RTC, elles touchent non seulement les patrouilleurs outre-mer, mais aussi les frégates anti-sous-marines. Nous avons désarmé le Tourville en 2011, nous allons désarmer le De Grasse dans l’année, ainsi que, l’année prochaine, le Montcalm, et nous n’aurons, pour les remplacer, qu’une frégate Aquitaine.

Monsieur Dhuicq, la marine n’a pas attendu pour tirer les conséquences de la sur-sophistication : le BPC a été construit selon des normes civiles, mais avec pour inconvénient d’être faiblement protégé. Il convient pour accomplir des missions humanitaires dans un pays n’ayant pas d’armement naval lourd, mais lorsqu’on l’a envoyé au large du Liban pour évacuer 13 000 compatriotes, il a fallu l’entourer de frégates anti-sous-marine et antiaérienne. On peut donc trouver des équipements moins sophistiqués pour certaines missions mais on aura toujours besoin de bâtiments lourds pour d’autres.

Quant aux frégates de surveillance, elles ont été construites à Saint-Nazaire selon des normes civiles. Les frégates légères furtives, quant à elles, qui sont intégrées dans les 18 frégates de premier rang, n’ont pas de sonar et une autodéfense limitée au missile Crotale.

Je précise aussi qu’on a supprimé les remorqueurs de la marine pour louer les services d’une société de remorquage.

Enfin, pour les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH), le but est d’avoir des navires aux normes civiles, armés par des civils ou des militaires.

Les équipements les plus complexes sont le porte-avions, les sous-marins, les frégates de défense aérienne et les frégates de lutte anti-sous-marine, pour lesquels la sophistication est inévitable.

Si l’on devait demain rétablir la liberté de circulation dans un détroit, il faudrait envoyer des bâtiments capables de faire de la lutte anti-sous-marine et des frégates de défense antiaérienne – sachant que dès qu’on approche d’une côte, on peut être confronté à des missiles sol-mer, de l’aviation de chasse ou des sous-marins.

Il est prévu à l’avenir 9 frégates de défense anti-sous-marine – dont nous avons aussi besoin pour sécuriser, en particulier mais pas seulement, les approches de Brest – et 4 frégates de défense antiaérienne, ce qui est loin d’être excessif. Il faut donc éviter de descendre en dessous du « socle » nécessaire et de faire croire qu’on peut réaliser toutes les missions avec des bâtiments aux normes civiles. Je rappelle que nous sommes passés en dix ans de 41 bâtiments porteurs de sonar à 20 !

M. Philippe Folliot. Ce matin, le chef d’état-major des armées (CEMA) nous a dit que certains bâtiments avaient moins d’1 millimètre d’épaisseur de coque métallique et qu’ils tenaient essentiellement par les couches de peinture successives – ce qui est révélateur des difficultés auxquelles nous sommes confrontés !

Par ailleurs, vous avez déclaré que tout bâtiment, que l’on s’en serve ou non, s’usait…

M. l’amiral Bernard Rogel. Un navire de la marine sert tout le temps, dès qu’il est à la mer.

M. Philippe Folliot. Nous sommes, pour l’accomplissement des missions de souveraineté outre-mer et dans la ZEE, confrontés à une impasse capacitaire grave : ne peut-on redéployer des moyens de métropole pour au moins renforcer un point d’appui dans l’océan Indien et dans le Pacifique, ce qui nous donnerait en plus une capacité de projection dans certaines régions sensibles du globe ?

M. Philippe Vitel. Alors que nous avons de magnifiques bâtiments comme le porte-avions, les BPC, les FREMM, les SNLE ou les SNA, nous avons paradoxalement plus de difficultés à financer des équipements moins onéreux tels que des bateaux hauturiers ou des patrouilleurs.

Dans les commandes prévues en 2013, figurent 3 patrouilleurs pour la protection-sauvegarde : quand seront-ils livrés ?

S’agissant des BSAH, le ministère indique qu’est envisagé un partenariat dont la notification est prévue en 2013, avec une contractualisation de service pour une flotte de 8 bâtiments et une durée de 15 ans à partir de 2014 : ceux-ci seront-ils effectivement livrés dès 2014 ? Quel est le calendrier précis de cette opération ?

Enfin, où en est la coopération avec les Britanniques, notamment concernant des porte-aéronefs communs ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Monsieur Folliot, tous les P 400 et les Batral sont aujourd’hui en cours de retrait. On a donc commandé trois B2M en remplacement – sachant que les Batral, avaient des capacités amphibies, utiles par exemple pour le débarquement de fret humanitaire comme ils l’ont fait à Haïti. Si le contrat est passé l’année prochaine, comme je l’espère, nous pourrons avoir ces navires de soutien en 2015.

Monsieur Vitel, la commande des frégates ou des Batsimar faisait partie de la LPM : une marine ne se bâtit pas sur deux ou trois ans, mais sur une quinzaine d’années. Or avec l’arrivée de l’Aquitaine, le renouvellement est enclenché. La difficulté est de poursuivre celui-ci dans le contexte budgétaire que nous connaissons. Il n’y a donc rien d’étonnant : le paradoxe serait au contraire de ne pas respecter la LPM.

Sur les BSAH, l’idée est de constituer un partenariat public-privé (PPP), sachant que nous avions en 2008 sept bâtiments de soutien et d’assistance militaires auxquels s’ajoutent 4 bâtiments civils affrétés (bâtiments de soutien, d’assistance et de dépollution - BSAD). Nous achèterons un service sur la période 2015-2030, les bâtiments étant financés et entretenus par l’industriel, qui en livrera 4 à équipage militaire et 4 civils. Ils permettront de faire de la lutte anti-pollution ou des missions d’entraînement.

M. Philippe Vitel. Quand est prévu l’appel d’offres ? À quelle date ces appareils seront disponibles, sachant que le PPP risque d’entraîner un décalage supplémentaire ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Le PPP ne provoquera, je l’espère, pas de décalage car les sociétés intéressées sont déjà bien informées, mais il ne faut pas, en effet, prendre de retard : nous aurons besoin de ce service en 2015. Leur décalage d’un an nous oblige à affréter plus longtemps et à prolonger quelques bateaux, ce qui a aussi un coût. L’appel d’offres devra être réalisé en 2013.

Monsieur Folliot, pour les missions de souveraineté outre-mer, nous avons prévu, outre les B2M, les deux patrouilleurs de Guyane en raison de l’arrivée des plates-formes pétrolières et de la pêche illégale dans la région.

M. Philippe Folliot. Pour sécuriser les tirs aussi…

M. l’amiral Bernard Rogel. Oui, mais également pour l’action de l’État en mer. On espère combler partiellement le trou capacitaire avec les B2M et les patrouilleurs en Guyane, mais il faudra ensuite avoir les Batsimar.

Nous avons déjà redéployé deux patrouilleurs : Le Malin – bateau saisi pour pêche illégale aux Kerguelen, que nous avons racheté – vers la Réunion – et l’Arago vers la Polynésie. Mais les Batsimar vont aussi remplacer certains moyens métropolitains, tels que les bâtiments de surveillance des pêches : le redéploiement a donc ses limites.

Et si on met des bateaux plus gros sur les points d’appui que vous évoquez, on risque d’augmenter substantiellement le MCO.

M. Philippe Folliot. Pourrait-on mettre des FREMM outre-mer ?

M. l’amiral Bernard Rogel. C’est le même problème, mais on pourra y réfléchir lorsque nous aurons les 11 à flot !

Monsieur Vitel, la coopération avec les Britanniques marche bien : nous aurons d’ailleurs l’exercice Corsican Lion à la fin du mois. Dans la situation budgétaire actuelle, je me vois mal avoir un deuxième porte-avions : il faut donc essayer de voir avec eux – voire aussi avec les Italiens – comment avoir un groupe aéronaval commun permanent, sachant que nous n’avons pas les mêmes avions. Nous sommes en bonne voie sur ce point, sous réserve de l’accord des autorités politiques. Nous pourrions ainsi disposer, sur le porte-aéronefs de l’un, d’un état-major mixte avec une escorte mixte en cas de besoin. C’est la version minimale pour l’Europe.

Nous réfléchissons à des programmes communs comme le missile anti-navire léger (ANL), pour lequel une décision sera prise avant la fin de l’année, et sur nos capacités dans le domaine de la guerre des mines. Il faut bien distinguer à cet égard ce dont nous avons besoin de façon souveraine de ce que nous pouvons partager – ce qui n’est pas facile, d’autant que les contraintes budgétaires sont souvent de court terme alors que la construction d’outils maritimes s’inscrit dans le long terme. On n’aura donc pas d’économies dans les trois ans qui viennent, mais plutôt vers 2020 ou 2025.

M. Alain Rousset. Les opérateurs pétroliers participent-ils au coût de la sécurité des plate-formes pétrolières ?

Beaucoup des bâtiments qui vont être démantelés contiennent de l’amiante : a-t-on prévu une filière industrielle à cet effet ?

Le ministre de la défense a évoqué le report de la modernisation de l’Atlantique 2 (ATL2) : pouvez-vous nous confirmer qu’il ne s’agit pas d’une annulation ?

M. Alain Chrétien. Quel bilan peut-on tirer du programme d’entraînement « Noble Mariner 2012 » qui vient de se terminer ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Il n’est pas question de mettre des personnels de la marine sur les plates-formes pétrolières. Mais quand on met des objets nouveaux à la mer, comme ces plates-formes ou les parcs éoliens, on ne peut éviter le risque que des bateaux les heurtent, ce qui crée de nouveaux problèmes. Le fait de savoir si les missions de sécurité devront être payées par les opérateurs pétroliers relève de l’autorité politique. Lorsqu’on déploie des équipes de protection embarquées sur les thoniers senneurs, les bateaux câbliers ou les navires de recherche sismiques, ceux-ci payent le service.

M. Alain Rousset. Qu’en est-il de la protection des plates-formes pétrolières contre les menaces terroristes ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Il faut aussi prendre en compte ces menaces, mais plusieurs réponses sont possibles, de la protection par l’État où se trouvent ces plates-formes aux équipes de sociétés de sécurité privées (ESSP) si elles sont autorisées.

Pour le démantèlement des navires, nous avons un grand programme qui porte sur 100 coques – soit 95 000 tonnes –, comportant effectivement de l’amiante et d’autres produits dangereux. Certaines opérations sont urgentes. Chacune d’entre elles passe aujourd’hui par l’obtention préalable du passeport vert, ce qui engendre un coût supplémentaire. Nous devons trouver un équilibre entre la nécessaire dépollution des coques et la vente de l’acier que nous pouvons en tirer.

À cet égard, monsieur Folliot, je n’ai pas le moindre doute sur la solidité des coques de mes bateaux, mais il est vrai que sur certains d’entre eux, dans la superstructure, il y a parfois des mélanges de fer, de rouille et de peinture – qui ne remettent pas en cause la sécurité des bâtiments.

Je précise que l’ex Bouvet vient de quitter Lorient pour être démantelé.

M. Alain Rousset. Avez-vous réfléchi à la création d’une filière industrielle en France pour la déconstruction ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Je serais ravi qu’elle existe, car cela serait plus simple pour moi : encore faudrait-il qu’on m’autorise à y recourir, car nous sommes soumis au code des marchés publics. Nous faisons donc des appels d’offres internationaux, comme pour la Jeanne d’Arc, actuellement à Brest et dont il faudrait éventuellement gérer le démantèlement en Grande-Bretagne si ce pays était retenu.

Cela étant, je ne suis pas sûr que tous les ports français soient disposés à recevoir une telle filière, compte tenu des problèmes de recyclage qu’elle pose.

Mme la présidente Patricia Adam. Les appels d’offres sont-ils lancés par navire ou par série ? Une filière pourrait en effet se développer pour le démantèlement d’un nombre important de bâtiments.

M. l’amiral Bernard Rogel. Nous faisons les deux. Les gros bâtiments sont généralement vendus un par un, pour compenser les frais de dépollution, et les petits, par séries.

M. Alain Rousset. Pourquoi ne pas réfléchir avec la direction générale de l’armement (DGA) à un appel à manifestation d’intérêt sur la constitution d’un groupement industriel permettant de structurer une filière capable de répondre à vos besoins à des prix corrects ? Je pense que votre ministre devrait y être favorable.

M. l’amiral Bernard Rogel. Nous pouvons le lui proposer.

S’agissant de la modernisation des ATL 2, elle devient aussi une nécessité en raison de l’obsolescence de leurs consoles tactiques. Je n’ai pour l’instant pas entendu parler d’annulation de la modernisation de l’ATL 2, qui constitue un « couteau suisse », pouvant être utilisé tantôt au-dessus de la terre, comme on l’a vu en Libye, ou pour des opérations de sauvetage ou des opérations de lutte antinavire et anti-sous-marine. Cela signifierait, sinon, que nous perdrions notre capacité pour les avions de patrouille maritime, comme l’ont fait les Britanniques, qui le regrettent, je crois, aujourd’hui.

Quant au programme d’entraînement « Noble Mariner 2012 », qui a été conduit par la France, il s’est très bien passé : il a prouvé que nous étions au niveau attendu. Ces exercices sont vitaux dans la mesure où ils nous permettent de nous confronter aux autres et de vérifier que nous sommes au rendez-vous de l’interopérabilité pour le travail en coalition.

M. Yves Fromion. Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par groupe aéronaval ?

S’agissant de l’ANL, nous n’avons pas eu des informations concordantes, le directeur général de l’armement (DGA) nous laissant entendre que le projet serait enterré alors que, pour le CEMA, la décision n’était pas prise : pouvez-vous nous en dire un peu plus et nous indiquer l’importance pour vous de ce programme ?

Enfin, si nous ne voulons pas être absents de nos zones d’intérêt maritimes, ne faut-il pas envisager de recourir à des bâtiments civils militarisés, même si cette solution n’est pas idéale ?

M. Damien Meslot. Que vous inspire le contexte financier extrêmement difficile des prochaines années au regard, notamment, du futur Livre blanc ?

M. l’amiral Bernard Rogel. Monsieur Fromion, un groupe aéronaval est un porte-avions ou porte-aéronefs entouré d’une escorte et doté d’un état-major. Le fait d’avoir un porte-avions à catapulte nous permet d’employer des avions de chasse à long rayon d’action, contrairement aux Britanniques et aux Italiens, qui ont choisi l’avion à décollage court et appontage vertical. L’idée est d’avoir un groupe aéronaval disponible en permanence donc de mettre en place sur le porte-avions disponible un état-major tactique commun avec une escorte commune. C’est la raison pour laquelle nous faisons cela avec les Britanniques, dans l’esprit des accords de Lancaster House – lesquels supposent des décisions communes sur notre avenir et l’enchevêtrement de nos intérêts. Il s’agit donc d’une sorte de mariage.

Sur l’ANL, la décision n’est pas encore prise. Je ne peux donner qu’un avis à cet égard, le programme 146 « Équipement des forces » étant piloté par le CEMA et le DGA. Cet équipement devra faire l’objet d’arbitrages dans le cadre du futur Livre blanc. Mais la marine le demande depuis longtemps : ce missile peut être embarqué sur hélicoptère et a vocation à viser les petites embarcations rapides, ou à supprimer l’aptitude à gouverner d’un grand navire.

Concernant le contrôle de nos zones d’intérêt maritime, je rappelle qu’on a proposé de recourir aux B2M, qui sont des bâtiments civils ravitailleurs de plate-formes. Le fait d’avoir mis en place des équipes de protection embarquées nous a donné une certaine expérience sur l’armement léger – au moins en autodéfense – de bâtiments civils. Quant aux Batsimar, je souhaite qu’ils soient sous MCO civil, ce qui permettrait de les faire entretenir partout dans le monde.

Compte tenu des contraintes budgétaires, cette question devra faire l’objet d’une priorité à court terme.

Mais je ne vais pas demander des FREMM pour surveiller la ZEE. Cela étant, on ne peut non plus envoyer n’importe quel bâtiment pour faire de la surveillance de zone dans la mesure où les pêcheurs illégaux, par exemple, autour de l’île de Clipperton emploient des moyens très rapides.

Monsieur Meslot, le contexte financier rend les choses difficiles : nous devons réduire la dette, qui est un enjeu majeur, faute de quoi la défense pourrait être la première touchée. La question est de savoir combien de temps va demander l’effort demandé à la défense, ce qui déterminera les réponses capacitaires. Si cet effort dure trois ou quatre ans, on retardera des programmes et on continuera à réaliser des trous capacitaires, mais on pourra garder une dynamique positive avec l’espoir de réinvestir ensuite. S’il devait au contraire prolonger une dizaine d’années, nous serions obligés de faire des choix capacitaires, qui impliqueraient d’établir des priorités entre les missions.

M. Yves Fromion. Vous nous dites donc que la contrainte financière est bien un facteur majeur de la révision du Livre blanc.

M. l’amiral Bernard Rogel. Un Livre blanc est la mise en regard des ambitions et des contraintes budgétaires. Cela veut dire que si celles-ci s’inscrivent sur le long terme, il faudra revoir les ambitions de notre pays.

M. Yves Fromion. Réenchanter le rêve français ne sera alors pas suffisant…

Mme la présidente Patricia Adam. Amiral, je vous remercie.

O EXAMEN DES CRÉDITS

La Commission examine pour avis, sur le rapport de M. Gilbert Le Bris, les crédits relatifs à « Préparation et emploi des forces : marine » de la mission « Défense », pour 2013, au cours de sa réunion du mardi 23 octobre 2012.

Un débat suit l’exposé du Rapporteur.

M. Philippe Vitel. L’état de notre marine présente un paradoxe fondamental : alors qu’elle dispose d’un bon équipement – à supposer toutefois que les programmes prévus ou en cours soient effectivement menés à leur terme –, nous n’avons plus les moyens d’assurer la surveillance des 11 millions de km² de notre zone économique exclusive. Priorité doit donc être donnée à la mise en œuvre des programmes BATISMAR et AVISMAR.

Je note en outre que, s’agissant de la construction d’un second porte-avions, une décision devait être prise en 2012. Avec une livraison en 2020, cela aurait revenu à construire un porte-avions tous les vingt ans, ce qui ne me semble pas déraisonnable, à l’heure où l’Inde et la Chine en construisent…

Par ailleurs, les documents budgétaires indiquent que la France commandera trois patrouilleurs multi-missions en 2013 et qu’elle se dotera de bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) en ayant recours à un partenariat public-privé. Pouvez-vous nous préciser les modalités et le calendrier de ce partenariat ? Ni le ministre, ni les chefs d’état-major ne m’ont répondu sur ce point.

Enfin, pouvez-vous nous préciser la répartition des suppressions d’effectifs que vous avez évoquées entre les militaires et civils ?

M. le Rapporteur. L’histoire du deuxième porte-avions, c’est en quelque sorte l’histoire d’une nostalgie ! Les pays émergents, comme vous venez de le souligner, sont en train de s’en doter et il est dommage que nous n’ayons pas pris de décision en la matière.

Notre zone économique exclusive s’étend sur 11 millions de km² aujourd’hui et pourrait être étendue à 12 millions dans le cadre de la deuxième négociation de la convention de Montego Bay. Cela représente effectivement de vastes étendues à surveiller !

S’agissant du partenariat public-privé relatif aux bâtiments de soutien et d'assistance hauturiers (BSAH), une préannonce a été publiée en avril dernier et le ministère doit examiner les candidatures en novembre. Il n’est pas certain qu’il le fasse à cette date précise, mais l’objectif est bien de passer les commandes en 2013. Les bâtiments ainsi commandés seront mis à la disposition de l’État pendant quinze ans. À mon sens, il faut éviter tout report dans ce programme, faute de quoi notre marine ne pourra plus être présente sur un certain nombre de mers.

S’agissant de la déflation des effectifs, elle se répartit en 2013 entre 222 militaires et 18 civils pour le budget opérationnel de programme (BOP) « Marine ».

M. Nicolas Dhuicq. N’y a-t-il pas un risque, par exemple dans la perspective de possibles conflits avec des marines asiatiques, à équiper nos forces navales de bâtiments de faible technologie ?

M. le Rapporteur. Notre marine dispose aujourd’hui de bâtiments technologiquement très avancés, comme les FREMM, les BPC, sans mentionner les SNLE. Mais il y a toujours un choix à faire : soit on privilégie le niveau technologique de nos bâtiments, ce qui a un coût, soit on privilégie leur nombre, afin d’assurer une présence maritime la plus complète possible. Cela revient à arbitrer entre la projection de puissance et la force de souveraineté.

Je pense, pour ma part, que nous somme parfois allés trop loin dans la sophistication technologique. Je crois aussi qu’il nous faudrait lancer des séries de production, afin d’amortir mieux les coûts de recherche et développement et les coûts d’entretien. Notez en outre que certains bâtiments dont a besoin notre flotte, comme les ravitailleurs, ne sont pas des équipements de haute technologie.

Il faut enfin souligner que le patrouilleur l’Adroit mis à disposition de la marine par DCNS pour participer aux missions de souveraineté dispose de technologies très avancées.

M. Damien Meslot. On peut à bon droit souligner l’insuffisance des moyens accordés au maintien en condition opérationnelle de nos forces (MCO). La France peut-elle vraiment disposer d’une marine conforme à ses ambitions en consacrant si peu de moyens à la défense ? À chaque fois que, dans l’histoire, elle a sacrifié ses budgets militaires, les choses ont mal fini… Que se passerait-il, par exemple, en cas d’agression chinoise sur l’un de nos territoires d’outre-mer ?

M. le Rapporteur. J’ai déjà tiré la sonnette d’alarme sur le MCO de la flotte, car c’est vraiment le maillon faible du système. Le chef d’état-major de la marine estime que nos capacités maritimes sont « juste suffisantes » au regard des missions qui lui sont assignées. Mais la marge est étroite entre la juste suffisance et le risque d’insuffisance.

Le prochain Livre blanc définira les ambitions de notre défense. Je crois indispensable qu’il fixe comme objectif de conserver une marine océanique capable d’intervenir sur tous les océans mais aussi d’assurer une présence permanente dans notre espace maritime, ne serait-ce que parce que 80 % du commerce mondial se fait par la mer.

Il faut garder à l’esprit que la maîtrise des mers et de leurs ressources constitue un des grands enjeux du XXIe siècle. Un tiers des mers relèvent déjà d’une zone économique exclusive ; un tiers de la production de pétrole se fait offshore, et c’est sous mer que l’on fait la moitié des découvertes de gisements. Ce que l’on appelle les encroûtements sous-marins sont riches en terres rares ; c’est par exemple dans ces encroûtements que l’on trouvera l’essentiel du néodium nécessaire pour fabriquer les aimants des éoliennes.

M. Christophe Guilloteau. Dans le budget de la marine, quelle est la part consacrée à la dissuasion et à la lutte contre la piraterie ?

M. le Rapporteur. La dissuasion fait l’objet d’un rapport budgétaire spécifique. Dans le périmètre de mon rapport, qui représente 4 milliards d’euros, est compris l’entretien programmé du matériel des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE), soit 319 millions d’euros de crédits de paiements en 2013.

S’agissant de la lutte contre la piraterie, les dépenses concernées sont elles aussi éclatées entre plusieurs budgets et peuvent difficilement être isolées. Je peux cependant vous indiquer les surcoûts en entretien programmé du matériel (EPM) de l’opération Atalanta de lutte contre la piraterie : 11 millions d’euros. Le surcoût est limité puisque la marine met à disposition de cette opération des bâtiments qui, de toute façon, auraient dû être envoyés en manœuvre. L’État fournit par ailleurs à certains navires marchands des équipes de protection embarquées, mais les frais afférents à ces équipes sont intégralement pris en charge par les armateurs. Enfin, nous contribuons à la piraterie dans le cadre de notre contribution générale à l’OTAN – avec une quote-part de 11 % –, dans le cadre du programme de lutte mis en place par l’Organisation.

M. Philippe Nauche. Quels travaux d’infrastructure sont prévus pour l’accueil des FREMM ? Quant au programme de modernisation des avions Atlantique 2, a-t-il connu des changements ?

M. le Rapporteur. La rénovation des Atlantique 2 est une priorité. Elle pourrait faire l’objet d’un décalage de quelques mois, comme le ministre l’a indiqué récemment devant nous. Pour ce qui est de l’accueil des FREMM, les travaux nécessaires ont d’ores et déjà débuté, principalement sur la base navale de Toulon.

M. Philippe Meunier. Il y a une profonde incohérence à nourrir des ambitions élevées pour notre défense et à ne pas consacrer aux forces armées les moyens budgétaires nécessaires. Le fait que le ministère de la défense n’ait pas été reconnu comme prioritaire dans le projet de loi de finances pour 2013 va dans ce sens. Lorsque l’on veut trouver des moyens pour la défense, on peut faire des arbitrages : l’application du droit du sol à Mayotte coûte par exemple autant chaque année que l’entretien d’un porte-avions, soit environ 500 millions d’euros. Il s’agit donc d’une question de choix.

M. le Rapporteur. Je ne vais pas me prononcer sur cette comparaison, qui n’a pas de raison d’être – certains comptent aussi en nombre de lycées ou d’hôpitaux construits. Sur le budget 2013 de la défense, je ne constate pas, du moins pour la marine, diminution majeure des crédits par rapport à 2012. Certains programmes souffrent de ralentissement mais il n’y a pas de recul important.

M. Philippe Meunier. Je n’évoquais pas de recul important, mais j’insistais plutôt sur la proximité des menaces et la nécessité de faire des efforts.

M. Michel Voisin. Les réponses que le directeur des affaires stratégiques a fournies sur ce point à la Commission ne m’ont pas satisfait : nos Atlantique 2 survolent-ils ou non l’Algérie et le Mali ?

Nos zones économiques exclusives entre le sud de la Réunion et l’Australie sont de riches zones de pêche. De quels moyens disposons-nous pour y faire valoir la police de la pêche ?

M. le Rapporteur. Comme vous le savez, les Atlantique 2 peuvent surveiller des zones maritimes mais aussi des étendues terrestres…

Nos moyens de protection contre la pêche illégale et la piraterie maritime ont prouvé leur utilité : leur présence nous a permis de conclure un accord de surveillance conjointe avec l’Australie. Le travail mené en commun a abouti à l’éradication de la pêche sauvage à la légine. Ces moyens n’existent malheureusement pas pour faire face au pillage des ressources halieutiques au large de Clipperton, cet îlot que le Mexique nous conteste. Il nous faut des bâtiments gris pour y faire voir le pavillon.

Mme Geneviève Gosselin. Le budget 2013 comporte-t-il les crédits d’adaptation des SNLE au missile M51 ?

M. le Rapporteur. Ce programme continue normalement. Les travaux de mise en place du M51.1 sont conduits progressivement, bâtiment par bâtiment, seul le Terrible étant adapté ab initio. Parallèlement, les travaux de recherche sur le M51.2 se poursuivent.

M. Francis Hillmeyer. Quelles sont les perspectives de renouvellement du parc d’hélicoptères de la marine ? Je pense en particulier aux Alouette, relativement anciennes.

M. le Rapporteur. Le programme Caïman permet le renouvellement des hélicoptères lourds de la marine, à l’exception des Lynx. La difficulté porte sur les hélicoptères légers de type Alouette III qui, effectivement, sont d’un âge avancé, en moyenne de 45 ans. Cela pose d’importantes difficultés de MCO. La marine comme l’armée de terre comptaient sur le programme d’hélicoptères légers, mais, pour le moment il va falloir tenir avec la flotte en place.

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Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits relatifs à « Préparation et emploi des forces : marine » de la mission « Défense ».

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ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

1. À Paris

— l’amiral Bernard Rogel, chef d’état-major de la marine ;

— le vice-amiral Christophe Prazuck, directeur du personnel militaire de la marine ;

— M. Pierre-Eric Pommellet, senior vice-président, système des missions de défense de Thalès ;

— M. Patrick Boissier, président-directeur général de DCNS.

2. À Toulon, le 4 octobre 2012

— le vice-amiral d’escadre Yann Tainguy, préfet maritime et commandant de la zone maritime Méditerranée (CECMED) ;

— le vice-amiral d’escadre Xavier Magne, commandant de la force d’action navale (ALFAN) ;

— le contre-amiral Hervé de Bonnaventure, commandant la force de l’aéronautique navale (ALAVIA) ;

— le contre-amiral Antoine Beaussant, directeur du service de soutien de la flotte (SSF) de Toulon ;

— le capitaine de frégate Hugues Lainé, commandant de la frégate Surcouf et une partie de son équipage.

© Assemblée nationale

1 () Projet annuel de performances de la mission « Défense », page 179.

2 () Les promesses de l’espace maritime français, Sylvain de Mullenheim, Marine et Océans, n° 233, octobre-novembre-décembre 2011.

3 () Les « terres rares » sont des métaux stratégiques indispensables à la production de la plupart des produits de haute technologie.

4 ()  Les promesses de l’espace maritime français, op. cit.

5 () Rapport d’information n° 674 de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées par MM. Jeanny Lorgeoux, André Trillard, René Beaumont, Michel Boutant et Philippe Paul, sénateurs, juillet  2012.

6 () Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2008, p. 73.

7 () 41e bataillon d’infanterie de marine (Guadeloupe), 33e régiment d’infanterie de marine (Martinique), régiment d’infanterie de marine du Pacifique-Polynésie, bases aériennes (FAPF, FAA et FAZSOI).

8 () Effectifs gérés par l’état-major des armées au titre de l’emploi des forces : états-majors interarmées par exemple.

9 () Santé, Direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information (Dirisi), Direction du renseignement militaire (DRM),Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), action sociale…