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N
° 258

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 10 octobre 2012

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE loi de finances pour 2013 (n° 235),

TOME IV

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

IMMIGRATION, INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

PAR M. Patrick MENNUCCI,

Député.

Voir le numéro : 251 (annexe 31).

En application de l’article 49 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), les réponses devaient parvenir au rapporteur pour avis au plus tard le 10 octobre 2012, pour le présent projet de loi de finances.

À cette date, l’intégralité des réponses était parvenue à votre rapporteur pour avis, qui remercie les services du ministère de l’Intérieur de leur collaboration.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L’IMMIGRATION ET À L’INTÉGRATION 7

A. le programme « Immigration et asile » 7

B. le programme « Intégration et accès à la nationalité française » 8

DEUXIÈME PARTIE : ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE : REVENIR À DES CRITÈRES JUSTES ET TRANSPARENTS 9

I. UNE CHUTE BRUTALE DES NATURALISATIONS 9

A. Principal mode d’acquisition de la nationalité française… 9

1. L’acquisition du fait de la naissance et de la résidence en France 10

2. L’acquisition par déclaration à raison du mariage 10

a. Une durée de vie commune de quatre ans 11

b. Une communauté de vie tant affective que matérielle 11

c. La maîtrise de la langue française 11

d. Les empêchements 12

e. L’opposition du Gouvernement 12

f. Statistiques 13

3. La naturalisation 14

a. Âge et capacité juridique du demandeur 14

b. La résidence régulière en France 14

c. La condition de stage 15

d. Le comportement du demandeur 16

e. L’assimilation 17

4. La réintégration 20

B. …les naturalisations ont connu une chute brutale entre 2010 et 2012. 20

1. Une chute de près de 30 % en 2011, qui se poursuit en 2012 20

2. Le nombre total de décisions est resté stable en 2011, en dépit d’une légère baisse des demandes 22

3. La hausse du taux de décisions défavorables est à l’origine de la diminution du nombre de naturalisations 22

II. UN DURCISSEMENT DE L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE OPÉRÉ DANS L’OPACITÉ LA PLUS COMPLÈTE 24

A. La chute constatée résulte principalement d’un changement de la « doctrine ministérielle » 24

1. Une hausse considérable des décisions d’ajournement et de rejet 24

2. Une hausse considérable des ajournements fondés sur le défaut d’insertion professionnelle et le séjour irrégulier 26

B. Un changement opéré dans l’opacité la plus complète 26

1. Des instructions ministérielles confidentielles 26

a. Le durcissement de l’appréciation de l’insertion professionnelle 27

b. Le durcissement de l’appréciation du séjour irrégulier 28

2. Quelques décisions révélant de graves dérives 29

C. Des effets amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation 30

1. Des décisions défavorables prises directement par les préfets 30

2. Une réduction des délais et des stocks en partie obtenue via la hausse des décisions d’ajournement 31

3. L’impact de la déconcentration sur le taux de décisions défavorables 32

4. L’impact de la déconcentration sur l’égalité de traitement des demandeurs 33

D. Les effets limités de la loi du 16 juin 2011 33

III. REFONDER L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE SUR DES CRITÈRES CLAIRS, JUSTES ET TRANSPARENTS 34

A. Changer la doctrine ministérielle en établissant des critères clairs, équitables et uniformes, inscrits dans une circulaire 34

1. Inscrire les critères applicables dans une circulaire 34

2. Revenir à des critères justes et équitables 34

B. Réformer la gestion politico-administrative de la nationalité 35

1. La détermination du ministère chargé des naturalisations 35

2. Réformer la déconcentration de la procédure de naturalisation 36

3. Améliorer l’accueil des demandeurs 37

C. Renforcer le contrôle parlementaire 38

EXAMEN EN COMMISSION 39

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS 71

ANNEXE 73

Mesdames, Messieurs,

Le présent avis budgétaire est quasi exclusivement consacré à l’accès à la nationalité française. Cet accès est une étape essentielle d’un parcours d’intégration réussi. Or, les naturalisations, qui constituent la principale voie d’acquisition de la nationalité française, ont connu une chute brutale, en 2011 puis au premier semestre 2012. Votre rapporteur pour avis a voulu comprendre et analyser les causes de cette diminution, afin de démêler ce qui pouvait résulter d’une baisse des demandes, des modifications législatives et réglementaires intervenues en 2011, de la déconcentration des procédures de naturalisation ou d’un durcissement de l’appréciation des critères fixés par les textes. Il lui est également apparu nécessaire, après plusieurs législatures marquées par la défiance à l’égard des étrangers, de consacrer son premier avis à l’accès à la nationalité : la France est une terre d’accueil, et la naturalisation, une force pour notre pays.

L’analyse menée démontre que l’accès à la nationalité française a été, ces dernières années, entravé. Un durcissement de l’appréciation des critères de naturalisation a été opéré par le précédent Gouvernement, en catimini, par le biais d’instructions ministérielles confidentielles adressées aux préfets. Les effets de ce durcissement de la doctrine ministérielle ont été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation. Celle-ci, présentée comme une simple réforme administrative destinée à réduire les délais d’instruction, a conduit à une hausse mécanique du taux de décisions négatives. Des milliers d’étrangers méritants, parfaitement insérés dans la société française et qui souhaitaient rejoindre notre communauté nationale, se sont ainsi vus opposer un refus, au motif, par exemple, qu’ils n’étaient pas titulaires d’un contrat à durée indéterminée ou qu’ils étaient entrés illégalement en France, il y a plus de vingt ans. Il convient de mettre un terme à ces dérives. La France ne doit pas céder à la tentation du repli. La circulaire du ministre de l’Intérieur du 16 octobre 2012 constitue une première étape, importante, en ce sens. Elle a répondu, par anticipation, à plusieurs des recommandations de votre rapporteur pour avis. Une seconde étape suivra, qui remettra à plat l’ensemble des critères et leur condition d’appréciation. Votre rapporteur pour avis formule des recommandations sur ce point.

Signalons par ailleurs que le droit d’asile fera désormais l’objet d’un avis distinct : l’immigration et l’asile sont deux sujets différents, qui ont été trop souvent mélangés sous la précédente législature. Ils obéissent à des logiques propres, sont régis par des règles de droit distinctes – l’asile est une exigence constitutionnelle et un engagement international, au titre de la Convention de Genève notamment – et répondent chacun à des préoccupations spécifiques. Même si les crédits consacrés à l’une et à l’autre de ces politiques restent regroupés dans la même mission, il est apparu souhaitable à votre Commission de consacrer à chacune un avis, afin de marquer leurs spécificités.

PREMIÈRE PARTIE : L’ÉVOLUTION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L’IMMIGRATION ET À L’INTÉGRATION

La mission Immigration, asile et intégration regroupe deux programmes : le programme Immigration et asile (n° 303) et le programme Intégration et accès à la nationalité française (n° 104). Les crédits de la mission, inscrits dans le projet de loi de finances pour 2013 s’élèvent à 662,55 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 670,91 millions d’euros en crédits de paiement, soit une progression par rapport à la loi de finances initiale pour 2012 de 4,9 % en autorisations d’engagement et de 6,2 % en crédits de paiement.

A. LE PROGRAMME « IMMIGRATION ET ASILE »

L’essentiel des crédits de la mission est, comme les années précédentes, consacré au programme Immigration et asile, qui représente 90 % des crédits de la mission, avec 596,91 millions d’euros en autorisations d’engagement et 604,71 millions d’euros en crédits de paiements, soit une progression par rapport à la loi de finances initiale pour 2012 de 7,9 % en autorisations d’engagement et de 8 % en crédits de paiement.

Au sein de ce programme, l’action Garantie de l’exercice du droit d’asile, qui ne relève pas du présent avis budgétaire, absorbe 82,8 % des crédits de paiement du programme, avec 501,13 millions d’euros, et 83,9 % des autorisations d’engagements, avec le même montant. Ces crédits connaissent une augmentation de 22,6 %, liée au dynamisme de la demande d’asile.

L’action Lutte contre l’immigration irrégulière est le deuxième poste de dépense, avec 76 millions d’euros en crédits de paiement, soit 12,57 % des crédits de paiement du programme, et 69,56 millions d’euros en autorisations d’engagements, soit 11,65 % de celles-ci. Ces crédits connaissent une baisse significative par rapport à 2012, de 11 millions d’euros en autorisations d’engagement (soit – 14 %) et de 9 millions d’euros en crédits de paiement (soit - 11 %). Cette diminution résulte, d’une part des échéanciers de paiement dans le cadre des opérations immobilières menées dans les centres de rétention administrative, mais aussi et surtout des économies liées à l’optimisation de la gestion de ces centres.

L’action Soutien regroupe 24,72 millions d’euros en autorisations d’engagement (soit 4,1 % du programme) et 26,02 millions d’euros en crédits de paiement (soit 4,3 % du programme). Par rapport à 2012, les crédits de cette action connaissent une très forte diminution, d’environ 60 %. Cette baisse résulte, pour l’essentiel, du transfert des crédits de titre 2 (dépenses de personnel) vers le programme Conduite et pilotage des politiques de l’Intérieur, le programme soutien du ministère de l’Intérieur. Les moyens de fonctionnement, 9,27 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, subissent également une baisse de 4 % par rapport à 2012.

Enfin, l’action Circulation des étrangers et politique des visas représente 1,5 million d’euros en crédits de paiement et en autorisations d’engagement, soit une part marginale (0,25 %) de l’ensemble des crédits du programme.

B. LE PROGRAMME « INTÉGRATION ET ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE »

Les crédits du programme Intégration et accès à la nationalité française ne représentent que 10 % des crédits de la mission. Ils s’élèvent, dans le projet de loi de finances initiale pour 2013, à 65,64 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 66,2 millions d’euros en crédits de paiement, soit une diminution par rapport à la loi de finances initiale pour 2012 de 16,3 % en autorisations d’engagement et de 7,6 % en crédits de paiement, conformément aux orientations gouvernementales données en matière de réduction des dépenses publiques.

L’action la plus importante du programme est consacrée aux Actions d’intégration des étrangers en situation régulière. Elle représente 38,54 millions d’euros, soit 58,7 % des autorisations d’engagement et 58,2 % des crédits de paiement du programme. Elle est en baisse de 8 % par rapport à 2012. La deuxième action, en volume, du programme, couvre les Actions d’intégration des réfugiés. Elle rassemble 14,36 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, soit 21,8 % des autorisations d’engagement et 21,6 % des crédits de paiement du programme. Elle connaît une baisse de 2 % par rapport à 2012.

Les Actions nationales d’accueil des étrangers primo arrivants et de formation linguistique représentent 11,6 millions d’euros en autorisations d’engagement comme en crédits de paiement, soit 17,6 % des autorisations d’engagement et 17,5 % des crédits de paiement du programme. Elle couvre la subvention pour charges de service public versée à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui diminue de 13 % par rapport à 2012. Cette baisse résulte de l’effort de maîtrise des dépenses de fonctionnement demandé à tous les opérateurs de l’État.

L’action Naturalisation et accès à la nationalité représente 1,13 million d’euros en autorisations d’engagement (soit 1,7 % de celles du programme) et 1,7 million d’euros en crédits de paiement (soit 2,5 % de ceux du programme). Elle se stabilise par rapport à 2012, suite à la prise à bail des locaux de la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF) pour une période de 9 années. Les enjeux politiques de cette action, à laquelle le présent avis est consacré, sont sans commune mesure avec son poids budgétaire.

DEUXIÈME PARTIE : ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE : REVENIR À DES CRITÈRES JUSTES ET TRANSPARENTS

Principale voie d’acquisition de la nationalité française, les naturalisations ont connu une chute brutale entre 2010 et 2012 (I). Cette chute, d’une ampleur inédite, résulte d’un durcissement de la « doctrine ministérielle » en la matière, opéré dans l’opacité la plus complète, sans aucun débat au Parlement (II). Face à ces dérives, il convient de refonder l’accès à la nationalité française sur des critères clairs et transparents (III).

I. UNE CHUTE BRUTALE DES NATURALISATIONS

Principal mode d’acquisition de la nationalité française, les naturalisations ont connu une chute brutale en 2011, qui s’est poursuivie au premier semestre 2012. Cette chute ne résulte pas d’une diminution du nombre des demandes et des décisions rendues, mais d’une hausse sans précédent du taux de décisions négatives.

A. PRINCIPAL MODE D’ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE…

Il existe quatre voies principales (1) d’acquisition de la nationalité française pour les personnes nées étrangères ou apatrides : la naissance et la résidence en France, le mariage, la naturalisation et la réintégration. Les deux premières résultent d’une déclaration, tandis que les deux dernières sont prononcées par décret du Premier ministre. La naturalisation est, quantitativement, la plus importante de ces quatre modes d’acquisition de la nationalité : en 2010, elle a représenté près de 62 % de l’ensemble des acquisitions (effets collectifs inclus).

Rappelons qu’en application du principe de l’effet collectif, posé par la loi du 26 juin 1889, les enfants mineurs non mariés acquièrent la nationalité en même temps que leurs parents, s’ils résident avec eux de manière habituelle.

LES ACQUISITIONS DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE SELON LA MODALITÉ D’ACQUISITION

 

1995

2000

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

 

Effectif

%

Acquisitions enregistrées (A + B)

92 410

141 455

151 861

145 315

129 426

135 117

133 479

140 820

112 462

98,1%

A - Par décret (y c. effets collectifs)

40 867

77 478

101 785

87 878

70 095

91 918

91 948

94 573

66 273

57,8%

dont effets collectifs

 

1 308

32 817

28 309

22 776

28 876

28 435

29 268

19 794

17,3%

- Naturalisations

36 280

68 750

89 100

77 655

64 046

84 323

84 730

88 509

42 558 

37,2%

- Réintégrations

4 587

8 728

12 685

10 223

6 049

7 595

7 218

6 064

3 891 

3,4%

B - Par déclaration (y c. effets collectifs)

51 543

63 977

50 076

57 437

59 331

43 199

41 531

46 247

46 189

40,3%

- Par mariage

18 121

26 056

21 527

29 276

30 989

16 213

16 355

21 923

21 664

18,9%

dont effets collectifs

 

24 653

812

1 101

1 122

628

700

901

20 763

18,1%

- Manifestation de volonté

30 526

 

 

 

 

 

 

 

 

 

- Déclaration anticipées

 

35 883

27 258

26 881

26 945

25 639

23 771

23 086

23 342

20,4%

dont 13-15 ans

 

17 593

19 855

20 301

20 763

20 248

19 179

18 514

 

 

- Autres déclarations

2 896

2 038

1 291

1 280

1 397

1 347

1 405

1 238

1 183

1%

C - Déclaration sans formalités

 

8 570

2 966

2 553

2 576

2 335

2 363

2 455

2122

1,9%

Ensemble des acquisitions (A+B+C)

92 410

150 025

154 827

147 868

132 002

137 452

135 842

143 275

114 584

100%

Source : SGII, ministère de l’Intérieur

1. L’acquisition du fait de la naissance et de la résidence en France

Tout enfant né en France de parents étrangers acquiert, de plein droit et de façon automatique, la nationalité française à sa majorité si, à cette date, il réside en France ou s’il a eu sa résidence habituelle en France pendant une période continue ou discontinue d’au moins cinq ans, depuis l’âge de onze ans (art. 21-7 du code civil). Cette acquisition de la nationalité française à la majorité peut être anticipée, entre 13 et 16 ans, par les parents de l’enfant concerné avec son consentement, ou entre 16 ans révolus et 18 ans, par le mineur concerné, sans autorisation parentale. Cette acquisition anticipée prend la forme d’une déclaration. Ces déclarations acquisitives doivent être effectuées auprès du greffier en chef du tribunal d’instance compétent en matière de nationalité ou, à Paris, auprès du pôle de la nationalité française de Paris. Leur gestion relève du ministère de la Justice.

En 2011, 23 342 enfants mineurs ont acquis la nationalité française en application d’une déclaration anticipée.

2. L’acquisition par déclaration à raison du mariage

Un étranger qui se marie avec une personne de nationalité française dispose du droit de devenir français, si certaines conditions sont réunies. Contrairement à la naturalisation, l’acquisition de la nationalité à raison du mariage constitue un droit, auquel le Gouvernement peut seulement s’opposer, sous le contrôle du juge, pour défaut d’assimilation ou indignité.

a. Une durée de vie commune de quatre ans

Une durée de vie commune de quatre ans est exigée, depuis la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006. Elle est portée à cinq ans lorsque l’étranger n’a pas résidé de manière permanente et régulière au regard du droit au séjour des étrangers pendant au moins trois ans en France à compter du mariage (sauf si le conjoint français était inscrit, pendant la durée de la communauté de vie à l’étranger, au registre des Français établis hors de France). Rappelons que cette durée a beaucoup varié en fonction des alternances politiques : elle était de deux ans avec la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993 ; réduite à un an par la loi n° 98-170 du 16 mars 1998, la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 l’a ramenée à deux ans, avant que la loi du 24 juillet 2006, précitée, la porte à quatre, voire cinq ans.

b. Une communauté de vie tant affective que matérielle

La communauté de vie « tant affective que matérielle » ne doit pas avoir cessé entre les époux depuis le mariage et le conjoint français doit avoir conservé sa nationalité.

c. La maîtrise de la langue française

Le conjoint étranger doit également justifier d’une « connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française ». Depuis la loi du 26 novembre 2003, la maîtrise du français est devenue une condition de recevabilité, appréciée au stade de l’enregistrement de la demande, et non plus l’un des deux motifs pour lesquels le Gouvernement pouvait s’opposer à l’acquisition de la nationalité.

Le niveau de langue exigé et ses modalités d’évaluation, fixés par le décret n° 2011-1265 du 11 octobre 2011 pris pour l’application de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 et l’arrêté du même jour, sont identiques à ceux requis des candidats à la naturalisation. Ainsi, depuis le 1er janvier 2012, le postulant doit démontrer sa « compréhension des points essentiels du langage nécessaires à la gestion de la vie quotidienne et aux situations de la vie courante » et être capable d’un « discours simple et cohérent sur des sujets familiers dans ses domaines d’intérêt ». Ce niveau correspond au niveau B1 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) du Conseil de l’Europe, rubriques « écouter », « prendre part à une conversation » et « s’exprimer oralement en continu ».

Depuis cette même date, ce niveau de langue n’est plus évalué au cours d’un entretien individuel par un agent de préfecture : le demandeur doit en justifier par la production d’un diplôme ou d’une attestation délivrée par un organisme reconnu par l’État ou par un prestataire agréé. Un autre décret du 11 octobre 2011, le décret n° 2011-1266, a créé à cette fin un label qualité « Français, langue d’intégration », attribué à des organismes privés. L’entretien individuel avec le déclarant, dit « entretien d’assimilation », est cependant maintenu, car il permet d’apprécier l’assimilation autre que linguistique. Celle-ci ne constitue pas une condition de recevabilité de la demande, mais elle peut justifier l’adoption d’un décret d’opposition par le Gouvernement (voir ci-après).

Le nombre de refus d’enregistrement pour défaut d’assimilation linguistique oscille, de 2005 à 2012, de 354 à 624 refus.

d. Les empêchements

Les empêchements à l’acquisition de la nationalité française par cette voie sont ceux, communs à tous les modes d’acquisition de la nationalité (à l’exception de ceux relatifs aux enfants mineurs), prévus à l’article 21-27 du code civil :

– le postulant ne doit pas avoir fait l’objet de condamnations pénales pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou un acte de terrorisme ou de condamnations, quelle que soit l’infraction concernée, à une peine d’emprisonnement d’au moins six mois non assortie de sursis ;

– le demandeur doit être en séjour régulier en France ;

– le postulant ne doit pas avoir fait l’objet soit d’un arrêté d’expulsion non expressément rapporté ou abrogé, soit d’une interdiction du territoire français non entièrement exécutée.

e. L’opposition du Gouvernement

Le Gouvernement peut s’opposer, par décret en Conseil d’État, pour indignité ou défaut d’assimilation, autre que linguistique, à l’acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai de deux ans à compter de la délivrance du récépissé de la déclaration de nationalité ou à compter de la date à laquelle un jugement constant la régularité de la déclaration est devenu définitif.

L’article 21-4 du code civil précise que la situation effective de polygamie du conjoint étranger ou une condamnation prononcée à son encontre au titre de l’infraction définie à l’article 222-9 du code pénal (violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente), lorsque celle-ci a été commise sur un mineur de quinze ans (ce qui inclut, par exemple, l’excision), sont constitutives d’un défaut d’assimilation.

Les notions d’indignité et de défaut d’assimilation ont également été précisées par la jurisprudence et rappelées dans une circulaire du ministre de l’Intérieur du 24 août 2011 (2). L’indignité peut résulter de la commission de faits répréhensibles avérés, commis en France ou dans un pays étranger, en fonction de leur ancienneté, de leur répétition et de leur gravité. L’indignité a été admise par le Conseil d’État, par exemple, pour des condamnations pour vol avec effraction, violences et voies de fait avec préméditation (3) ou pour agression sexuelle (4). Elle dépend aussi du loyalisme du déclarant à l’égard des institutions publiques, de l’administration fiscale ou encore des organismes sociaux. Selon la circulaire précitée, les comportements prosélytes contraires aux valeurs républicaines, par exemple le militantisme actif au sein de mouvement ou d’associations considérés comme extrémistes ou radicaux, dès lors qu’ils encouragent la propagation de thèses contraires ou hostiles aux valeurs essentielles de la communauté française, en sont constitutifs. L’assimilation autre que linguistique suppose une adhésion aux règles de fonctionnement et aux valeurs de tolérance, de laïcité, de liberté et d’égalité de la société française. Une attitude discriminatoire vis-à-vis des femmes, telle que le refus de leur serrer la main, par exemple, est incompatible avec les valeurs de la République. Il en va de même de leur confinement à domicile ou du mariage forcé.

Par ailleurs, aux termes de l’article 26-4 du code civil, dans le délai de deux ans suivant la date à laquelle il a été effectué, l’enregistrement de la déclaration de nationalité peut être contesté par le ministère public si les conditions légales ne sont pas satisfaites. Il peut aussi être contesté par le ministère public en cas de mensonge ou de fraude dans le délai de deux ans à compter de leur découverte. La cessation de la communauté de vie entre les époux dans les douze mois suivant l’enregistrement de la déclaration constitue une présomption de fraude. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 2012-227 QPC du 30 mars 2012, a émis une réserve d’interprétation au sujet de cette disposition, selon laquelle, d’une part, la présomption de mensonge ou de fraude prévue par l’article 26-4 du Code civil « ne saurait s’appliquer que dans les instances engagées dans les deux années de la date de l’enregistrement de la déclaration », et, d’autre part, dans les instances engagées postérieurement à ce délai deux ans, « il appartient au ministère public de rapporter la preuve du mensonge ou de la fraude ».

En cas d’opposition, l’intéressé est réputé n’avoir jamais acquis la nationalité française. La procédure d’opposition est devenue d’un usage assez rare, depuis que le défaut d’assimilation linguistique est devenu une condition de recevabilité, appréciée lors de l’enregistrement : 4 en 2009, 6 en 2010, et 7 en 2011.

f. Statistiques

Le nombre d’acquisitions à raison du mariage est resté relativement stable entre 2010 et 2012 : 21 022 en 2010, 20 719 en 2011 et 9 863 au premier semestre 2012, soit 19 726 en tendance annuelle. Si l’on remonte plus loin, ces acquisitions ont connu des variations importantes, avec une baisse significative entre 2004 et 2009, du fait de l’allongement de la durée de mariage exigée à deux ans, opéré par la loi du 26 novembre 2003, puis à quatre ans, par celle du 24 juillet 2006. La première de ces modifications législatives a fait brutalement chuter les acquisitions par mariage en 2005 (- 36,54 %), avec un fort effet de rattrapage en 2006 (+ 35,69 %). L’allongement à quatre ans a, par la suite, entraîné une nouvelle chute en 2008 (- 47,82 %). Cet effet « mécanique » s’est maintenu en 2009, puis ces acquisitions sont reparties à la hausse, par un phénomène de rattrapage, en 2010 (+ 34,28 %), avant de se stabiliser en 2011.

3. La naturalisation

Contrairement à l’acquisition de la nationalité par mariage ou à raison de la naissance et de la résidence en France, la naturalisation n’est pas un droit : selon la jurisprudence, « le fait de remplir les diverses conditions exigées […] ne donne aucun droit à obtenir la naturalisation, laquelle constitue une faveur accordée par l’État français à un étranger » (5) . En d’autres termes, l’administration dispose, in fine, d’une compétence discrétionnaire et peut refuser la naturalisation, en opportunité, même lorsque les conditions légales sont remplies par le postulant, dont la demande est recevable. Il convient ainsi de distinguer la recevabilité de la demande, qui est acquise dès lors que les conditions légales sont réunies, de l’appréciation de l’opportunité de la naturalisation. Ce pouvoir discrétionnaire de l’administration n’est pas pour autant synonyme d’arbitraire, et s’exerce sous le contrôle du juge. S’il reste restreint, ce contrôle s’est renforcé au fil du temps, notamment en ce qui concerne le degré de motivation des décisions défavorables (6).

Les conditions posées par les textes sont relatives à l’âge et à la capacité juridique du demandeur, à la résidence régulière en France, à la durée de résidence en France (condition dite « de stage »), au comportement du demandeur et à son assimilation. Certaines de ces conditions ne s’appliquent qu’au stade de la recevabilité (condition de stage, régularité du séjour, âge et capacité juridique), tandis que les autres sont examinées aussi bien lors de l’appréciation de la recevabilité que pour celle de l’opportunité de la naturalisation. Les empêchements de droit commun, prévus par l’article 21-27 du code civil (voir supra) sont applicables.

a. Âge et capacité juridique du demandeur

Le demandeur doit être majeur (art. 21-22 du code civil). Toutefois, la naturalisation peut être accordée à l’enfant mineur resté étranger, bien que l’un de ses parents soit devenu français, s’il justifie avoir résidé avec lui en France durant les cinq années précédant le dépôt de la demande. Une demande formulée par une personne juridiquement incapable n’est recevable que si celle-ci est légalement représentée.

b. La résidence régulière en France

La résidence régulière en France au moment de la signature du décret de naturalisation est exigée par l’article 21-16 du code civil. La signification de la « résidence régulière » a été précisée par la jurisprudence : le demandeur doit avoir fixé en France le centre de ses intérêts matériels et familiaux. Elle est appréciée par l’administration en se fondant sur un faisceau d’indices, relatifs au séjour, aux attaches familiales, au centre des intérêts matériels du demandeur et, en particulier, au caractère suffisant et durable des ressources lui permettant de demeurer en France.

Le séjour doit, en premier lieu, être régulier : toute irrégularité du séjour entraîne l’irrecevabilité de la demande, en application de l’article 21-27 du code civil. La nature et la durée de titre de séjour sont, en second lieu, pris en compte. Un visa de court séjour ou une autorisation provisoire de séjour rendront, par exemple, la demande irrecevable, compte tenu de leur caractère provisoire. À l’inverse, une carte de résident ou une carte résident algérien valable dix ans établissent, le plus souvent, la recevabilité de la demande au regard de ce critère.

Le postulant doit avoir le centre de ses attaches familiales en France. La circonstance que le conjoint seul ou avec les enfants mineurs réside à l’étranger fera ainsi souvent obstacle à la demande. Tel n’est cependant pas le cas, par exemple, s’agissant de conjoints séparés de fait ou si la preuve est apportée que le conjoint ou les enfants mineurs ne peuvent pas, pour des raisons indépendantes de leur volonté, quitter le pays d’origine du postulant.

Le centre des intérêts matériels du demandeur doit être situé en France. Ce critère signifie, d’une part, que le postulant doit tirer l’essentiel de ses revenus d’une activité professionnelle, d’une pension de retraite ou d’un patrimoine situés en France, sous réserve de quelques exceptions (travailleur frontalier établi de longue date en France, par exemple), et, d’autre part, que ces revenus assurent son autonomie matérielle et, le cas échéant, celle de sa famille. En pratique, cette autonomie financière implique que, en principe, le postulant doit avoir réussi son insertion professionnelle et disposer de revenus stables et réguliers. À défaut, les efforts d’insertion professionnelle (comportement actif en matière de recherche d’emploi, par exemple) peuvent être pris en compte, en particulier s’agissant des postulants de moins de 25 ans dont la durée de séjour est longue (entre 5 et 10 ans) ou ayant effectué l’essentiel de leur scolarité en France, ou en cours d’études et pris en charge par leur famille durablement installée sur le territoire français.

c. La condition de stage

Le postulant doit justifier d’une résidence habituelle en France pendant les cinq années qui précèdent le dépôt de la demande (art. 21-17 du code civil). Le séjour doit avoir été régulier (c’est-à-dire fondé sur un titre de séjour valable) au cours de ces cinq années. De nombreuses exceptions, prenant la forme de réduction, voire d’une dispense de stage, sont prévues. La durée de résidence habituelle en France est ainsi réduite à deux ans dans les cas suivants, en application de l’article 21-18 du code civil :

– pour l’étranger qui a accompli avec succès deux années d’études en vue de l’obtention d’un diplôme délivré par un établissement d’enseignement supérieur français. En 2011, 2 580 étrangers ont bénéficié de cette réduction de stage ;

– pour l’étranger qui a rendu ou qui peut rendre par ses capacités ou ses talents des services importants à la France. En 2011, 15 personnes ont bénéficié de cette disposition ;

– pour l’étranger présentant un parcours exceptionnel d’intégration. Ce parcours est apprécié au regard des activités ou des actions accomplies dans les domaines civique, scientifique, économique, culturel ou sportif. Cette innovation a été introduite par la loi du 16 juin 2011, précitée. En 2011, aucune personne n’a bénéficié de cette disposition, dont l’articulation avec la dispense de stage prévue en cas de service exceptionnel rendu à la France ou de naturalisation présentant un intérêt exceptionnel pour la France paraît délicate.

Par ailleurs, le postulant n’est pas soumis à la condition de stage :

– s’il a effectivement accompli des services militaires dans une unité de l’armée française ou s’il a contracté, en temps de guerre, un engagement volontaire dans les armées françaises ou alliées. En 2011, 261 demandeurs ont bénéficié de cette disposition ;

– s’il a rendu des services exceptionnels à la France ou si sa naturalisation présente un intérêt exceptionnel pour la France (dans ce cas, le décret de naturalisation intervient après avis du Conseil d’État sur rapport motivé du ministre compétent). En 2011, 13 personnes ont bénéficié de cette dispense ;

– s’il a obtenu le statut de réfugié en France. En 2011, 3 945 réfugiés ont bénéficié de cette disposition ;

– s’il appartient à l’entité culturelle et linguistique française, à la double condition, d’une part, d’être ressortissant d’un territoire ou État dont la langue officielle ou l’une des langues officielles est le français et, d’autre part, que le français soit sa langue maternelle ou qu’il justifie d’une scolarisation d’au moins cinq ans dans un établissement enseignant en langue française. En 2011, 5 696 étrangers se sont vus appliquer cette dispense.

Au total, en 2011, si l’on ajoute les 2 929 personnes ayant bénéficié d’une absence de condition de stage lorsqu’ils ont demandé la réintégration dans la nationalité française, ce sont 15 443 demandeurs qui ont bénéficié d’une réduction ou d’une absence de stage, soit un peu plus d’un tiers (33,2 %) des naturalisés.

d. Le comportement du demandeur

Le comportement du demandeur est apprécié sous l’angle de sa moralité, de son loyalisme à l’égard des institutions de notre pays et de la notion de « bonnes vie et mœurs » au sens de l’article 21-23 du code civil.

Le demandeur ne doit évidemment pas avoir fait l’objet de l’une des condamnations pénales prévues à l’article 21-27 du code civil (crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, acte de terrorisme ou condamnations à une peine d’emprisonnement d’au moins six mois non assortie de sursis), qui font obstacle à la recevabilité de la demande. Les autres condamnations, y compris celles prononcées à l’étranger, peuvent également être prises en compte, et faire obstacle à la naturalisation ou entraîner un ajournement, en fonction de leur gravité, de leur caractère répété ou isolé et de leur ancienneté. Les atteintes à la personne (proxénétisme, agression sexuelle, violences aggravées à enfant ou à personne particulièrement vulnérable, etc.) entraîneront ainsi souvent une irrecevabilité, même si la peine d’emprisonnement prononcée était inférieure à six mois ou si elle était supérieure mais assortie d’un sursis. En opportunité, il peut aussi être tenu compte, pour ajourner voire rejeter une demande, de faits répréhensibles d’une certaine gravité, en particulier s’ils sont répétés et récents, même s’ils n’ont pas donné lieu à une condamnation pénale.

Les infractions passées à la législation sur le séjour, antérieures aux cinq ans de séjour régulier exigés au titre de la condition de stage, ont été prises en compte sous le précédent Gouvernement (voir ci-après).

Le loyalisme à l’égard des institutions françaises est pris en compte au stade de l’examen en opportunité. Le postulant qui fait preuve d’un comportement contraire aux intérêts de la France pendant un conflit armé ou qui a fait l’objet d’un avis défavorable de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) au motif qu’il présenterait un risque pour la sécurité du territoire verra ainsi sa demande rejetée. Le demandeur qui ne s’est pas acquitté de ses obligations fiscales ou qui a des dettes importantes à l’égard d’organismes publics peut aussi voir sa demande rejetée ou ajournée pour défaut de loyalisme.

e. L’assimilation

Aux termes de l’article 21-24 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 16 juin 2011, « nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République ». L’assimilation à la communauté française repose donc sur trois éléments : la maîtrise de la langue française, la connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises et des droits et devoirs conférés par la nationalité française et, enfin, l’adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République.

Comme pour l’acquisition à raison du mariage, l’assimilation linguistique était appréciée, jusqu’au 31 décembre 2011, lors de l’entretien d’assimilation, par les agents de préfecture ou les agents consulaires désignés à cet effet. Depuis le 1er janvier 2012, et en application du décret n° 2011-1265 du 11 octobre 2011 et de l’arrêté du même jour pris pour l’application de la loi du 16 juin 2011, la maîtrise du français doit être prouvée par le postulant par un diplôme ou une attestation sécurisée datant de moins de deux ans. Les diplômes acceptés sont ceux délivrés par les autorités françaises, d’un niveau égal ou supérieur au niveau Vbis de la nomenclature des diplômes (c’est-à-dire le brevet des collèges, le CAP ou encore le BEP), ou ceux délivrés à l’issue d’une formation de « Français Langue Étrangère » (FLE) validant un niveau de diplôme égal ou supérieur à B1 (diplôme d’études en langue française, DELF B1). Les attestations peuvent être délivrées par des organismes de formation disposant du label « Français Langue d’Intégration » (FLI) créé par le décret n° 2011-1266 du 11 octobre 2011 ou par des organismes agréés par le ministère de l’Intérieur. Au 31 juillet 2012, 78 organismes de formation avaient obtenu le label qualité « Français langue d’intégration ». Le coût de ce test, qui peut avoisiner une centaine d’euros lorsqu’il est passé dans un établissement commercial, n’est pas pris en charge et constitue un obstacle supplémentaire à franchir pour certains postulants.

Par ailleurs, les termes « selon sa condition » ont été maintenus, y compris pour l’assimilation linguistique, mais aucun assouplissement n’avait été prévu pour tenir compte de la situation des demandeurs âgés, par exemple. Seuls les réfugiés politiques et apatrides résidant régulièrement et habituellement en France depuis quinze années au moins et âgés de plus de soixante-dix ans se voient dispensés de l’exigence de maîtrise de la langue française, en application de l’article 21-24-1 du code civil. Pour les autres demandeurs âgés, la circulaire relative au niveau de connaissance de la langue française requis des postulants à la nationalité française du 30 novembre 2011 (7) se bornait à évoquer la possibilité que « des cas particuliers peuvent se présenter » aux préfets qu’ils ne pourront pas rejeter, dès lors qu’ils sont manifestement justifiés, tout en réservant ce traitement aux « situations d’exception ». La circulaire du ministre de l’Intérieur du 16 octobre 2012 (8) a heureusement comblé cette lacune et introduit une dispense pour les postulants à la naturalisation âgés de plus de 65 ans ne pouvant produire les diplômes ou attestations exigés.

Depuis la modification de l’article 21-24 du code civil introduite par la loi du 16 juin 2011, l’examen de l’assimilation porte également sur la connaissance « de l’histoire, de la culture et de la société françaises ». Le niveau de connaissance et ses modalités d’évaluation ont été fixés par le décret n° 2012-126 du 30 janvier 2012. Le niveau fixé, par référence au code de l’éducation, correspond à celui attendu dans ces matières d’un élève à l’issue de l’enseignement dispensé à l’école primaire (CM2). Le décret précise que ces connaissances sont évaluées à l’aide de questions posées sous forme de questionnaire à choix multiple (QCM) par l’agent chargé de l’entretien individuel d’assimilation. Ces QCM, dont des exemples ont été publiés dans la presse, comportaient des questions telles que : « À qui associez-vous l’Arc de Triomphe ? (1) Napoléon (2) Le général de Gaulle (3) Jules César » ou encore « À quelle guerre fait référence la bataille de Verdun ? (1) La guerre d’Algérie (2) La première guerre mondiale (3) La seconde guerre mondiale ». Le décret prévoyait que ce dispositif devait entrer en vigueur, au plus tard, le 1er juillet 2012. L’utilisation des QCM élaborés a été reportée par le ministre de l’Intérieur, M. Manuel Valls, lors de son entrée en fonction, puis son abandon annoncé par le ministre le 18 octobre 2012, dans un discours prononcé à la préfecture de région Midi-Pyrénées, à Toulouse, à l’occasion d’une cérémonie d’accueil des nouveaux citoyens français. La circulaire du 16 octobre 2012, précitée, indique que le degré de connaissance du postulant dans les matières concernées sera apprécié par l’agent de préfecture chargé de l’entretien d’assimilation à travers des questions qui devront s’intégrer dans le cours naturel de la conversation, afin d’éviter que ces interventions prennent le caractère artificiel d’un questionnaire. Ces questions devront rester simples tout en restant précises, éviter toute tentation d’érudition et sont avant tout destinées à susciter un échange. Une liste indicative de questions sera fournie dans les prochaines semaines. Un guide de l’entretien d’assimilation sera transmis prochainement aux préfectures, et un livret expliquant les connaissances attendues des postulants leur sera remis.

La connaissance des droits et des devoirs conférés par la nationalité française est également appréciée lors de l’entretien d’assimilation. Le second alinéa de l’article 21-24 du code civil prévoit qu’elle se manifeste, à l’issue du contrôle d’assimilation, par la signature, par l’intéressé, de la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’État, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. La charte a été approuvée par le décret n° 2012-127 du 30 janvier 2012. Une deuxième circulaire du ministre de l’Intérieur datée du 16 octobre 2012 (9) précise qu’elle doit être signée par le postulant à l’issue de l’entretien d’assimilation, cet exemplaire signé étant conservé dans son dossier. Le demandeur qui refuserait de la signer verrait sa demande déclarée irrecevable, pour défaut d’assimilation. Si la demande connaît une issue favorable, la charte est remise au nouveau citoyen français lors de la cérémonie d’accueil dans la citoyenneté française.

L’assimilation est également appréciée au regard de l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République française. Une attitude intolérante ou discriminatoire fondée sur des critères de sexe, de race, de religion ou de nationalité tels que le dénigrement de certaines communautés ou l’appartenance à des mouvements radicaux prônant l’action violente sont constitutives d’un défaut d’assimilation. De même, la pratique de la polygamie est considérée comme un défaut d’assimilation, manifestant une volonté de rester étranger aux « us et coutumes » de la France (10).

Le profil des étrangers acquérant la nationalité française par décret

En 2010, sur les 94 573 étrangers ayant acquis la nationalité française par décret (naturalisations et réintégrations, y compris les effets collectifs), 46 473 étaient des hommes, dont l’âge moyen était de 39,9 ans, et 48 100 étaient des femmes, d’une moyenne d’âge de 38,3 ans. Parmi ces acquisitions, 29 268 étaient le résultat d’effets collectifs.

Cette même année, les adultes ayant acquis la nationalité française, hors effets collectifs, séjournaient en moyenne depuis 16,8 ans en France. Cette moyenne varie sensiblement selon l’origine des acquérants. Les personnes originaires de la Communauté des États indépendants (CEI) acquièrent la nationalité après seulement 7,7 ans de présence en France, tandis que les personnes originaires d’Afrique l’obtiennent après 17,5 années de présence et celles en provenance du Maghreb après 19,7 ans. Les ressortissants d’États européens (hors CEI) acquièrent, pour leur part, la nationalité française, en moyenne, après 19 ans de résidence.

68,3 % des acquérants étaient originaires d’Afrique, dont 44,7 % originaires du Maghreb. Parmi les 31,7 % restants, 5,5 % étaient des ressortissants d’États appartenant à l’Espace économique européen et 5,3 % des ressortissants turcs.

Source : Y. Croguennec, Département des statistiques, des études et de la documentation du SGII, ministère de l’Intérieur, « Les acquisitions de la nationalité française en 2010 », Infos migrations, numéro 25, septembre 2011.

4. La réintégration

La réintégration dans la nationalité française est une procédure réservée aux personnes ayant perdu la nationalité française et qui souhaite la retrouver. Elle peut être opérée, selon la situation du demandeur, par déclaration ou par décret.

La réintégration dans la nationalité française par déclaration concerne, pour l’essentiel, les personnes qui ont perdu la nationalité française en raison du mariage avec un étranger ou qui ont volontairement acquis une autre nationalité. Elles doivent avoir conservé ou acquis des liens manifestes avec la France, notamment d’ordre culturel, professionnel, économique ou familial.

La réintégration par décret concerne les personnes ayant perdu la nationalité française qui ne relèvent d’aucun cas de réintégration par déclaration. Elle peut être demandée à tout âge et sans condition de stage. Pour le reste, elle obéit aux mêmes règles que la naturalisation. En 2011, 3 891 réintégrations par décret ont été prononcées.

B.  …LES NATURALISATIONS ONT CONNU UNE CHUTE BRUTALE ENTRE 2010 ET 2012.

1. Une chute de près de 30 % en 2011, qui se poursuit en 2012

Le nombre de naturalisations, hors effets collectifs, est passé de 65 305 en 2010 à 46 479 en 2011, soit une diminution de 28,8 %. Au premier semestre 2012, 17 873 personnes ont été naturalisées, ce qui correspond, en tendance annuelle, à une nouvelle baisse de 23 %. Au total, entre 2010 et 2012 (en tendance annuelle), le nombre de naturalisations chuterait de plus de 45,2 %. Si l’on raisonne en « année glissante », en comparant les naturalisations du 1er juin 2011 au 31 mai 2012 (33 920) à celles de la période allant du 1er juin 2010 au 31 mai 2011 (59 636), la baisse constatée est de 43,12 %.

NATURALISATIONS ET RÉINTÉGRATIONS PAR DÉCRET DE 1995 À 2012

Année

Décrets

 

Hors effet collectifs

Évolution
en %

Effets collectifs inclus

1995

28 826

 

40 867

1996

41 175

+42,84 %

58 098

1997

42 014

+2,04 %

60 485

1998

40 450

-3,72 %

58 123

1999

46 344

+14,57 %

67 569

2000

52 825

+13,98 %

77 478

2001

45 159

-14,51 %

64 595

2002

44 152

-2,23 %

64 081

2003

51 401

+16,42 %

77 102

2004

66 375

+29,13 %

99 368

2005

68 784

+3,63 %

101 785

2006

59 569

-13,40 %

87 878

2007

47 318

-20,57 %

69 831

2008

63 042

+33,23 %

91 918

2009

63 513

+0,75 %

91 948

2010

65 305

+2,82%

94 573

2011

46 479

-28,83 %

66 273

2012 :
6 mois

17 873

 

25 433

2012 :
projection
annuelle

35 746

-23,09%

50 866

Source : SGII, ministère de l’Intérieur

Cette chute, en elle-même, est surprenante, mais sa signification ne peut être mesurée que si l’on en connaît les causes. En effet, le nombre de naturalisations (46 479) en 2011 n’est pas « historiquement bas », si on le replace dans une perspective un peu plus longue. Il est supérieur à ceux des années 1995 à 2002, sous réserve de la seule année 2000. Il existe une certaine « volatilité » du nombre de naturalisations, et la seule évolution du nombre de naturalisations n’est pas, à elle seule, un indicateur pertinent.

Une diminution du nombre de naturalisations peut avoir plusieurs causes :

–  la diminution du nombre de demandes ;

–  des évolutions législatives ou réglementaires ;

–  une modification de la « doctrine ministérielle » orientant la politique de naturalisation ;

–  la mise en œuvre de nouvelles organisations du travail ou de nouvelles procédures administratives.

Ce n’est qu’en analysant ces causes qu’un véritable diagnostic de la chute des naturalisations constatée en 2011 et 2012 peut être établi.

2. Le nombre total de décisions est resté stable en 2011, en dépit d’une légère baisse des demandes

Le nombre de demandes de naturalisations a connu une baisse relative en 2010, s’établissant à 80 245 demandes, contre 93 381 en 2009, soit une baisse de 13 %. Le nombre de demandes est reparti à la hausse en 2011 (83 042).

ÉVOLUTION DES DEMANDES DE NATURALISATION DE 2005 À 2012

Année

Nombre de demandes de naturalisations

Variation %

2005

74 794

 

2006

72 257

-3 %

2007

79 011

+9 %

2008

80 907

+2 %

2009

93 381

+15 %

2010

80 245

-14 %

2011

82 000

+2 %

2012
(projection annuelle)

69 052

-16 %

Source : SGII, ministère de l’Intérieur

Cette baisse des demandes ne s’est cependant pas traduite par une diminution significative du nombre de décisions rendues. En 2011, le nombre total de décisions est en effet resté relativement stable par rapport à 2010 : 99 334 décisions ont été rendues, contre 101 586 l’année précédente, soit une baisse de seulement 2,2 %. Il se maintient ainsi à un niveau historiquement élevé de près de 100 000 décisions par an, lié en partie à l’opération de « résorption des stocks » de dossiers de demandes de naturalisation en 2009 et 2010, lors de la préparation de la déconcentration de la procédure d’acquisition de la nationalité française par décision de l’autorité publique (voir ci-après). Le nombre de décisions rendues en 2011 est ainsi supérieur de presque un tiers (31,5 %) à celui de 2007 (66 712).

3. La hausse du taux de décisions défavorables est à l’origine de la diminution du nombre de naturalisations

Le nombre de décisions rendues étant resté stable, c’est évidemment une forte hausse du taux de décisions défavorables qui explique la chute des naturalisations. Ce taux, qui était remarquablement stable de 2000 à 2008, oscillant entre 20 % et 29 %, a connu une hausse modérée en 2009 (32,4 %) et 2010 (35,7 %), avant de connaître une « explosion » en 2011 (53,2 %) et au premier semestre 2012 (55,3 %). Au total, il a plus que doublé entre 2008 et 2012. Alors qu’un peu plus de deux demandes sur dix étaient rejetées au cours de la décennie 2000, plus de cinq demandes sur dix l’ont été en 2011 et au premier semestre 2012.

Le nombre de décisions négatives est ainsi passé de 36 281 en 2010 à 52 855 en 2011, soit une hausse de 45,6 %. La baisse du nombre de naturalisations (- 18 826) résulte à 88 % de la hausse du nombre de décisions défavorables, le solde de 12 % étant constitué par la diminution de 2,2 % du nombre de décisions rendues (dans l’hypothèse où elles auraient été toutes défavorables).

DÉCISIONS FAVORABLES ET DÉFAVORABLES ET TAUX DE DÉCISIONS DÉFAVORABLES DE 2000 À 2012

Années

Favorables (effets exclus)

Défavorables

Total des décisions

Évolution du total des décisions de l'année N par rapport à l'année N-1

Taux de décisions défavorables

2000

52 825

15 134

67 959

 

22,27%

2001

45 159

12 376

57 535

-15,34%

21,51%

2002

44 152

13 488

57 640

0,18%

23,40%

2003

51 401

17 366

68 767

19,30%

25,25%

2004

66 375

16 985

83 360

21,22%

20,38%

2005

68 784

18 140

86 924

4,28%

20,87%

2006

59 569

20 984

80 553

-7,33%

26,05%

2007

47 318

19 394

66 712

-17,18%

29,07%

2008

63 042

22 409

85 451

28,09%

26,22%

2009

63 513

30 548

94 061

10,08%

32,48%

2010

65 305

36 281

101 586

8,00%

35,71%

2011

46 479

52 855

99 334

-2,22%

53,21%

1er sem 2012

17 873

22 151

40 024

 

55,34%

2012 (projection annuelle)

35 746

44 302

80 048

-19,42%

55,34%

Source : SGII, ministère de l’Intérieur

Ces statistiques démontrent, s’il en était besoin, que les nombreux témoignages de demandeurs, selon lesquels la naturalisation est devenue un véritable « parcours du combattant », marqué par la défiance de l’administration à leur encontre, sont fondés sur une réalité objective et statistique incontestable.

Comment expliquer cette hausse, sans précédent sous la Ve République, du taux de décisions défavorables ? Est-elle le fruit d’une modification des conditions exigées par les textes, d’une réforme administrative des procédures de traitement des demandes ou d’un durcissement de la « doctrine ministérielle » guidant l’appréciation des critères de naturalisation, ou d’une combinaison de ces diverses causes ?

II. UN DURCISSEMENT DE L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE OPÉRÉ DANS L’OPACITÉ LA PLUS COMPLÈTE

La hausse massive du nombre de décisions négatives observée en 2011 et au premier semestre 2012 résulte d’un durcissement de l’appréciation des critères de naturalisation par l’administration. Ce durcissement de la doctrine ministérielle a été opéré dans l’opacité la plus complète, par le biais d’instructions confidentielles adressées aux préfectures, sous la forme de fiches « blanches » ou même de courriers électroniques. Ses effets ont vraisemblablement été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation, tandis que les modifications apportées par la loi du 16 juin 2011 – les seules à avoir été débattues et votées au Parlement – n’ont eu qu’une influence limitée, pour ne pas dire quasi-nulle.

A. LA CHUTE CONSTATÉE RÉSULTE PRINCIPALEMENT D’UN CHANGEMENT DE LA « DOCTRINE MINISTÉRIELLE »

1. Une hausse considérable des décisions d’ajournement et de rejet

Afin d’expliquer la hausse du taux de décisions défavorables, il convient, dans un premier temps, d’analyser leur évolution par type de décisions défavorables. Il existe en effet quatre types de décisions défavorables :

– le classement sans suite correspond aux dossiers incomplets ;

– l’irrecevabilité signifie que les conditions posées par les textes ne sont pas remplies. Tel est le cas, par exemple, si l’étranger ne séjourne pas en France depuis au moins cinq ans, et ne peut bénéficier de l’un des cas de réduction de stage, ou s’il a fait l’objet d’une condamnation pénale pour un crime ou un délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Dans cette hypothèse, l’administration ne dispose que d’une compétence liée : elle est tenue de déclarer la demande irrecevable, en motivant cette décision ;

– le rejet constitue, à la différence de l’irrecevabilité, une décision prise en opportunité, dans le cadre d’une compétence discrétionnaire de l’administration, et non d’une compétence liée. Les conditions légales sont remplies par le demandeur, mais l’administration estime que sa naturalisation est inopportune. Tel est le cas, par exemple, s’il a fait l’objet de condamnations pénales ne faisant pas légalement obstacle à la naturalisation, mais que l’administration souhaite prendre en compte. Ces décisions doivent être motivées ;

– l’ajournement de la demande consiste à imposer un délai ou des conditions au demandeur, au lieu d’un rejet pur et simple. Le délai fixé peut aller, en pratique, de un à cinq ans. Un délai d’un an peut être imposé, par exemple, pour que le postulant ait le temps de parfaire son assimilation ou son insertion professionnelle, tandis qu’un ajournement à trois ans peut manifester l’existence de doutes sérieux sur la loyauté de la personne et sur son civisme. L’ajournement peut également être prononcé jusqu’à la régularisation d’une situation, par exemple si le demandeur n’est pas en règle avec les services fiscaux. Ces décisions doivent, elles aussi, être motivées.

L’analyse de l’évolution des décisions défavorables de 2000 à 2012 fait clairement ressortir que ce sont les décisions prises en opportunité, de rejet et surtout d’ajournement, qui ont connu la hausse la plus importante.

ÉVOLUTION DES TYPES DE DÉCISIONS DÉFAVORABLES DE 2000 À 2012

 

Ajournement

Rejet

Irrecevabilité

Classement
sans suite

Total

2000

8 658

730

4 954

792

15 134

2001

5 947

305

5 308

816

12 376

2002

6 384

384

6 132

588

13 488

2003

9 109

501

7 044

712

17 366

2004

9 647

514

6 371

453

16 985

2005

9 900

485

7 447

308

18 140

2006

8 375

366

12 031

212

20 984

2007

9 984

379

8 663

368

19 394

2008

13 544

659

7 881

325

22 409

2009

17 672

2 611

9 903

362

30 548

2010

24 133

3 773

7 781

594

36 281

2011

38 790

6 836

6 452

777

52 855

1er sem, 2012

17 093

2 686

2 216

156

22 151

Source : SGII, ministère de l’Intérieur

Ainsi, en 2010 et 2011, le nombre de décisions d’irrecevabilité, prises lorsque les conditions légales ne sont pas réunies, a diminué, passant de 7 781 à 6 452. À l’inverse, le nombre de décisions d’ajournement ont grimpé en flèche : elles sont passées de 24 133 à 38 790, soit une hausse de 60,7 %. Les décisions de rejet, numériquement moins importantes, ont également augmenté de 81,2 % entre 2010 (3 773) et 2011 (6 836).

Cette augmentation des décisions prises en opportunité démontre clairement que la hausse des décisions négatives ne résulte pas d’un durcissement des conditions légales, mais d’un choix délibéré du Gouvernement de durcir, sans modifier les textes applicables, l’appréciation des critères de naturalisation.

2. Une hausse considérable des ajournements fondés sur le défaut d’insertion professionnelle et le séjour irrégulier

Si l’on s’attache aux motifs des décisions défavorables, on constate que les motifs des décisions défavorables ayant connu la hausse la plus spectaculaire entre 2010 et 2011 sont :

– le défaut d’insertion professionnelle : les rejets ou ajournement fondés sur ce motif ont été multipliés par deux et demi, passant de 8 515 en 2010 à 21 456 en 2011. La hausse des décisions négatives fondées sur ce motif explique ainsi, à elle seule, plus des trois quarts (78 %) de la hausse du nombre de décisions défavorables constatée en 2011. Par rapport à 2009 (4 648), les décisions négatives fondées sur ce motif ont plus que quadruplé (x 4,6) ;

– le séjour irrégulier : les rejets ou ajournements fondés sur ce motif sont passés de 6 939 en 2010 à 8 230 en 2011, soit une hausse de 18,6 %. Par rapport à 2009 (4 444), c’est un quasi-doublement (x 1,85) qui est constaté ;

– le loyalisme : les rejets ou ajournements fondés sur ce motif sont passés de 1 790 en 2010 à 2 684 en 2011, soit une hausse de 50 %. Par rapport à 2009, ce motif a plus que doublé (x 2,4).

B. UN CHANGEMENT OPÉRÉ DANS L’OPACITÉ LA PLUS COMPLÈTE

1. Des instructions ministérielles confidentielles

L’explosion de ces trois motifs de décisions défavorables ne résulte ni des modifications législatives intervenues en 2011, avec l’adoption de la loi du 16 juin 2011, ni d’une modification réglementaire ou de la publication d’une circulaire ayant modifié l’appréciation des critères des naturalisations.

C’est par le biais d’instructions ministérielles confidentielles adressées aux préfets, appelées pudiquement « fiches d’aide à la décision » ou « fiches pédagogiques », et par les ajustements ponctuels apportés à ces fiches, que ce durcissement, aux effets considérables pour la vie de dizaines de milliers d’étrangers, a été opéré. Ces documents ont été obtenus, non sans difficultés, par votre rapporteur pour avis. Il s’agit de « fiches blanches », sans en-tête, ni signataire. Sur certains points, comme le séjour irrégulier, c’est même par le biais d’un simple courrier électronique adressé par la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) du ministère de l’Intérieur aux préfets ou aux secrétaires généraux de préfectures que la politique de la nationalité a été profondément modifiée. Rappelons que, à plusieurs reprises dans notre histoire, le droit de la nationalité a figuré dans la Constitution (1791, 1793, 1795 et 1799 (11)). De la Constitution à un simple courrier électronique : il s’agit là d’une évolution pour le moins préoccupante, s’agissant d’une politique dont l’objet est de définir qui appartient à la communauté nationale.

Votre rapporteur pour avis souligne que la diffusion de « fiches pédagogiques » (opérée par la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté, dans un premier temps, à l’automne 2009 pour les 21 préfectures expérimentatrices de la déconcentration des procédures de naturalisation, puis au printemps 2010 pour l’ensemble des préfectures à l’occasion de la généralisation de la déconcentration) n’est évidemment pas contestable en elle-même. Il est, au contraire, louable d’avoir cherché à éviter que la déconcentration, effective à compter du 1er juillet 2010, ne se traduise par une rupture d’égalité de traitement en tentant d’harmoniser les pratiques décisionnelles des services préfectoraux par des fiches d’aide à la décision. Ce qui est contestable et même choquant, c’est que, à l’occasion de la diffusion de ces fiches et par leur intermédiaire, un bouleversement de la politique de la nationalité ait été opéré, sans aucun débat et en catimini.

Le durcissement de l’appréciation des critères relatifs à l’insertion professionnelle et au séjour irrégulier (qui sont devenus les deux principaux motifs de rejet ou d’ajournement) peut être étudié, afin d’illustrer la technique employée.

a. Le durcissement de l’appréciation de l’insertion professionnelle

En ce qui concerne l’insertion professionnelle, c’est par le biais d’une fiche d’aide à la décision du 16 juin 2011 que le durcissement est intervenu.

Avant cette date, la doctrine ministérielle applicable consistait à vérifier si le postulant avait « réussi son insertion professionnelle ou, à défaut, qu’ayant une longue résidence en France, il a un comportement actif en matière de recherche d’emploi ou que, poursuivant ses études, il est pris en charge par sa famille installée durablement sur le territoire français » (12). S’agissant plus spécifiquement des postulants âgés de moins de 25 ans, il était indiqué que le critère de l’insertion professionnelle devait être « relativisé dans un sens favorable au postulant » lorsque celui-ci est né en France ou y a effectué l’ensemble de sa scolarité (au moins jusqu’à l’âge de seize ans) ou lorsque le postulant n’est pas né en France, mais que sa durée de séjour y est assez longue (entre cinq et dix ans).

La fiche du 16 juin 2011 a considérablement durci l’appréciation de ce critère. Cette fiche insiste ainsi sur « la stabilité de l’emploi occupé et le niveau de revenus qu’il procure », citant des exemples de rejets de demandes déposées par des postulants ne disposant, par exemple, que de contrats à temps partiels – bien que ceux-ci leur fournissent des revenus suffisants – compte tenu du caractère précaire de ces contrats. Cette fiche a naturellement été interprétée par les préfectures comme signifiant que les postulants devaient être titulaires d’un contrat à durée indéterminée, bien que ces termes ne soient pas expressément employés.

S’agissant des jeunes en cours d’études, la même fiche précise que « le principe de l’insertion professionnelle devrait guider au premier chef l’orientation de la décision et conduire à un ajournement de la demande dans l’attente que le postulant réalise son insertion professionnelle et dispose de l’autonomie financière », sous réserve de rares exceptions, fortement encadrées et dont l’application est laissée à la discrétion du service instructeur (étudiants titulaires d’une carte de résident de longue durée ou d’une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » ayant une insertion professionnelle partielle, résidant en France depuis au moins dix ans, pris en charge par un proche – conjoint ou parent – installé durablement en France et ayant effectué en France une partie substantielle de leur scolarité, ou étudiants de très haut niveau).

Enfin, cette fiche de juin 2011 indique que les femmes seules élevant ou ayant élevé des enfants ne doivent pas être dispensées de l’exigence d’insertion professionnelle, dès lors qu’elles sont en situation de travailler.

Cette fiche a, comme on pouvait s’y attendre dans un contexte économique et social dégradé, conduit à l’explosion des décisions négatives fondées sur le défaut d’insertion professionnelle. Ciblée sur des populations particulièrement vulnérables, qui figurent parmi les plus touchées par la dégradation de la situation du marché de l’emploi et par la précarité, elle a atteint, avec une redoutable efficacité, l’objectif recherché. Des milliers d’étrangers méritants ont ainsi vu leurs demandes quasi mécaniquement rejetées, nonobstant leurs efforts personnels d’insertion professionnelle – le simple fait d’être en contrat à durée déterminée ou à temps partiel suffisant à ajourner leur demande – et leur autonomie matérielle et financière.

b. Le durcissement de l’appréciation du séjour irrégulier

En ce qui concerne le séjour irrégulier, rappelons que ce dernier fait obligatoirement obstacle à la naturalisation, au stade de la recevabilité, s’il concerne la période dite « de stage », c’est-à-dire les cinq ans – ou deux ans en cas de réduction de stage – précédant la demande. Il en va de même si le postulant fait l’objet soit d’un arrêté d’expulsion non expressément rapporté ou abrogé, soit d’une interdiction du territoire français non entièrement exécutée. Pour le reste, la prise en compte ou non des infractions antérieures à la période de stage résulte d’une décision discrétionnaire de l’administration. Cette prise en compte a connu trois phases distinctes :

– avant la diffusion des « fiches d’aide à la décision », la doctrine ministérielle suivie en la matière consistait à remonter jusqu’à dix ans précédant la date d’examen de la demande de naturalisation. En d’autres termes, il n’était pas tenu compte du séjour irrégulier si la régularisation datait de plus de dix ans avant l’examen de la demande ;

– les fiches d’aide à la décision, précitées, ont modifié, en premier lieu, la date d’appréciation de la durée du séjour irrégulier, qui est devenue celle de la signature de la demande, et non plus celle d’examen de la demande. En second lieu, l’échelle des ajournements entraînés par un séjour irrégulier antérieur aux dix ans précédant le dépôt de la demande a été précisée. Ainsi, tout séjour irrégulier d’une durée inférieure à un an n’était pas opposé, tout séjour irrégulier compris entre un et cinq ans entraînait un ajournement à deux ans, tout séjour irrégulier supérieur ou égal à cinq ans et inférieur à dix ans entraînait un ajournement à trois ans, et tout séjour irrégulier supérieur ou égal à dix ans un ajournement à quatre ans ;

– par un courrier électronique de la direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté daté du 15 avril 2011, un ajustement a été opéré, conduisant à sanctionner tout séjour irrégulier supérieur ou égal à dix ans, non plus par un ajournement, mais par une décision de rejet, et ce quelle que soit l’antériorité de ce séjour irrégulier.

C’est ainsi qu’une politique publique essentielle a été bouleversée, de manière souterraine, sans aucun débat public, au Parlement notamment, et sans même que ce bouleversement n’ait fait l’objet d’une communication du ministre en charge des naturalisations en conseil des ministres ou d’une quelconque prise de position publique. Ce n’est qu’a posteriori, une fois les résultats attendus obtenus, que le ministre de l’Intérieur de l’époque, M. Claude Guéant, s’est félicité, dans un discours prononcé le 10 janvier 2012, de la baisse de 30 % des naturalisations intervenue en 2011.

2. Quelques décisions révélant de graves dérives

Votre rapporteur pour avis s’est fondé exclusivement sur des constats objectifs, établis à partir de statistiques incontestables et des documents dont il a eu connaissance. Derrière la froideur des statistiques, ce sont des destins humains qui se jouent. S’il convient de ne pas raisonner à partir de cas particuliers, dont le caractère représentatif peut toujours être contesté, quelques-unes des décisions que les associations de défense des droits des étrangers et des droits de l’homme (Ligue des droits de l’homme, Groupe de soutien et d’information des immigrés [GISTI] et Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples [MRAP]) ont communiquées à votre rapporteur pour avis mérite d’être évoquées. Elles illustrent en effet les dérives, dont l’ampleur réelle est difficile à mesurer, que le durcissement décrit a produit.

– Premier exemple : M. H., ressortissant algérien, est entré en France en 2006 afin d’y poursuivre ses études. Il a obtenu, en 2007, un master en informatique. Son épouse est française. Le couple a un enfant, âgé de neuf mois. Depuis janvier 2008, M. H. travaille sans interruption, en CDI, et est titulaire d’une carte de résident de dix ans. Il a d’abord exercé sa profession au sein d’une première société, avec un salaire net de plus de 2 100 euros, avant d’accepter, en mars 2012, un autre CDI au sein d’une autre société, avec un salaire net mensuel dépassant les 3 000 euros. Le 11 juin 2012, la préfecture de police de Paris a ajourné sa demande à deux ans « en raison du caractère incomplet de [l’] insertion professionnelle » du demandeur. L’administration souligne que « ce délai permettra d’apprécier la stabilité de votre établissement, notamment sur le plan professionnel, puisque vous venez de signer un nouveau contrat de travail à durée indéterminée le 1er mars 2012 ».

– Deuxième exemple : Mme O., de nationalité ukrainienne, est entrée en France en 2006 pour y suivre des études, qu’elle a accomplie avec succès. Elle a signé un CDI le 25 juillet 2011. Son revenu mensuel net est supérieur à 1 800 euros. Le 7 juin 2012, sa demande de naturalisation a été ajournée à deux ans par la préfecture des Hauts-de-Seine, au motif que son « premier contrat à durée indéterminée à temps plein n’a été signé que récemment, en juillet 2011 », soit près d’un an auparavant.

– Troisième exemple : M. S. est arrivé en France en 1966, à l’âge de 19 ans. Il est titulaire d’une carte de résident de dix ans, valable jusqu’en 2016. Il a trois enfants, tous nés en France et de nationalité française. Il a toujours travaillé et cotisé pendant plus de 30 ans, comme le justifient les relevés de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV). Le 15 mars 2012, la sous-préfecture du Raincy a rejeté sa demande, au motif qu’il a « séjourné irrégulièrement sur le territoire français de 1966 à 1985 », soit il y a vingt-sept ans.

C. DES EFFETS AMPLIFIÉS PAR LA DÉCONCENTRATION DES PROCÉDURES DE NATURALISATION

Les effets du durcissement de la doctrine ministérielle ont vraisemblablement été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation intervenue à compter du 1er juillet 2010, en application du décret n° 2010-725 du 29 juin 2010 relatifs aux décisions de naturalisation et de réintégration dans la nationalité française. L’évaluation de cette déconcentration fait actuellement l’objet d’une mission de l’Inspection générale de l’administration (IGA), qui devrait rendre son rapport dans les prochaines semaines.

1. Des décisions défavorables prises directement par les préfets

Cette déconcentration a été décidée à la suite des préconisations du Conseil de modernisation des politiques publiques, du 12 décembre 2007, visant à ce que le double niveau d’instruction soit supprimé afin de réduire les délais tout en préservant l’égalité de traitement.

Auparavant, les demandes de naturalisation et de réintégration étaient d’abord instruites par les préfectures ou les consulats, puis l’avis motivé, favorable ou défavorable, du préfet ou du consul était transmis au ministre chargé des naturalisations et, plus précisément, à la sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF). Longtemps rattachée au ministère des Affaires sociales, cette sous-direction a été transférée, en 2007, au ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, et fait partie, depuis novembre 2010, du secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (SGII) du ministère de l’Intérieur. Le ministre chargé des naturalisations pouvait soit suivre l’avis des préfets ou consuls, soit l’infirmer. En cas d’avis favorable, le nom de l’intéressé était inscrit dans un projet de décret, soumis à la signature du Premier ministre.

Depuis le 1er juillet 2010, et à l’issue d’une expérimentation menée dans vingt-et-un départements à compter du 1er janvier 2010, les décisions défavorables sont prises directement par les préfets (à l’étranger, les consuls continuent, pour leur part, de n’émettre qu’un avis motivé, transmis à l’administration centrale). Seules les décisions favorables continuent d’être prises après une double instruction, à l’échelon déconcentré puis au niveau central, par la voie d’un décret du Premier ministre, pris sur rapport du ministre chargé des naturalisations, sur proposition des préfets ou consuls. Depuis le 1er juillet 2010 également, les recours contentieux contre les décisions des préfets doivent être précédés d’un recours administratif préalable obligatoire (RAPO), traité par l’administration centrale, c’est-à-dire par la SDANF. Cette dernière a vocation à devenir une « administration d’état-major », pilotant et contrôlant le dispositif par des contrôles et des enquêtes et traitant les recours hiérarchique et contentieux. Ses effectifs ont été, en conséquence, considérablement réduits, avec une diminution de 40 emplois sur une base de départ de 156 agents, entre 2010 et 2013.

2. Une réduction des délais et des stocks en partie obtenue via la hausse des décisions d’ajournement

Cette réforme, qui s’inscrivait dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, a été présentée comme ayant pour objectif principal de réduire les délais d’instruction. Rappelons, à cet égard, que l’article 21-25-1 du code civil impose à l’État de répondre aux demandes de naturalisation dans un délai de dix-huit mois, qui peut être prolongé par décision motivée une seule fois, pour une durée de trois mois. La violation de ce délai n’est cependant assortie d’aucune sanction.

Cet objectif semble, à première vue, avoir été atteint : le délai moyen d’instruction, qui était de 400 jours en 2009, a été réduit à 331 jours en 2010 puis 256 jours en 2011. D’après les informations transmises à votre rapporteur pour avis, il serait de 229 jours au premier semestre 2012. Cette réduction résulte cependant, pour une part sans doute importante, de l’augmentation du taux de décisions défavorables : le traitement de celles-ci est en effet beaucoup plus rapide, notamment parce qu’il n’inclut pas le temps de préparation du décret soumis à la signature du Premier ministre.

Les opérations de résorption des stocks menées en 2009 et en 2010 semblent également, à première vue, avoir porté leurs fruits, les stocks des préfectures et de la SDANF étant passés de 107 448 dossiers au 31 décembre 2009 à 76 119 au 31 décembre 2010. Ils s’établissent, au 30 juin 2012, à près de 40 000 dossiers. Même si les efforts des agents chargés de l’instruction doivent être salués, cette résorption a cependant, là encore, été obtenue pour partie grâce à l’augmentation massive du nombre de décisions d’ajournement, qui permet, en quelque sorte, de repousser le problème.

3. L’impact de la déconcentration sur le taux de décisions défavorables

Il est particulièrement difficile de quantifier, de manière précise, l’impact qu’a pu produire la déconcentration des procédures de naturalisation sur le taux de décisions défavorables, et de mesurer la part qu’elle a pu prendre dans cette hausse par rapport à celle du durcissement de la doctrine ministérielle. Il est cependant certain que cette réforme, présentée comme destinée à « réduire les délais », n’a pas été neutre à cet égard.

En effet, avant la déconcentration, presque un avis défavorable sur deux (43,92 % de 2006 jusqu’au 1er juillet 2010) émis par les préfets n’était pas suivi par l’administration centrale et donnait lieu à une décision favorable. Au vu de ce taux élevé, il est permis de s’interroger sur les motifs de la réforme : l’un de ses objectifs inavoués n’a-t-il pas été, sous couvert d’une rationalisation administrative, de mettre fin à cette pratique, jugée laxiste, et de faire augmenter le taux de décisions négatives ? En tout état de cause, il semble évident qu’en rendant décisionnaires les préfets, dont les avis défavorables n’étaient pas suivis dans près d’un cas sur deux, le taux de décisions défavorables ne pouvait que, par un effet quasi mécanique, augmenter. C’est d’ailleurs l’analyse qui avait été développée, en avril 2009, par M. Jacques Bécot, ancien sous-directeur de l’accès à la nationalité française (13). Après la déconcentration, l’administration centrale n’exerce plus un contrôle, en pratique, sur les décisions des préfets, qu’en cas de recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Le taux de recours, en 2011, était de 21 % (10 871 RAPO). Seuls 8,58 % de ces RAPO ont conduit à une infirmation de la décision initiale cette même année. Au total, c’est donc moins de 2 % des décisions défavorables des préfets qui sont infirmées, contre près d’un avis défavorable sur deux avant la réforme.

Le taux de recours contentieux, pour sa part, est resté relativement stable, aux alentours de 8 % (4 003 recours en 2011). Les annulations sont relativement rares, compte tenu du pouvoir discrétionnaire de l’administration en matière d’ajournement et de rejet, le contrôle du juge sur la qualification juridique des faits se limitant dès lors à sanctionner les erreurs manifestes d’appréciation. En 2011, 110 postulants ont été naturalisés à la suite d’un recours contentieux.

4. L’impact de la déconcentration sur l’égalité de traitement des demandeurs

La déconcentration a multiplié le nombre de centres de décision, avec 180 sites instructeurs sur l’ensemble du territoire. Autant de pratiques décisionnelles différentes sont susceptibles d’apparaître, sans qu’une harmonisation par l’administration centrale ne soit plus opérée, sauf lorsqu’un recours administratif préalable obligatoire est introduit, ce qui ne concerne qu’une décision défavorable sur cinq.

Votre rapporteur pour avis, souhaitant aller au-delà de cette simple intuition, a demandé au ministère de l’Intérieur de lui communiquer les taux de décisions défavorables, par département, de 2007 à 2012 (voir tableau figurant en annexe). Il a cherché à évaluer l’impact de la déconcentration sur l’égalité de traitement des demandeurs en mesurant la dispersion des taux de décisions défavorables, par département, avant et après la déconcentration, ce qui peut être fait grâce au calcul et à la comparaison des écarts-types moyens de ces variables, par année. Ce calcul fait ressortir que la dispersion de ces taux entre départements est restée relativement stable, contrairement à ce qui pouvait être attendu, intuitivement. La mission de l’IGA qui travaille tout particulièrement sur ce sujet pourra sans doute affiner ce premier diagnostic.

D. LES EFFETS LIMITÉS DE LA LOI DU 16 JUIN 2011

Paradoxalement, les seules modifications relatives à la naturalisation ayant été débattues et votées au Parlement, qui figurant dans la loi du 16 juin 2011, semblent n’avoir eu, au regard des informations disponibles à ce jour, qu’un impact limité sur les naturalisations.

La réforme de l’évaluation de la maîtrise du français, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, ne semble pas avoir produit, d’après les informations transmises à votre rapporteur pour avis, un impact significatif sur les décisions de naturalisation. Il est cependant trop tôt pour en mesurer les effets, car la réforme ne s’applique qu’aux demandes déposées à compter du 1er janvier 2012. Compte tenu des délais moyens d’instruction (229 jours en 2012), les chiffres du premier semestre 2012 – qui montrent d’ailleurs un déclin du nombre de décisions négatives fondées sur un défaut d’assimilation linguistique (1 037, contre 2 954 en 2011, en année pleine) – ne permettent pas de tirer de premières conclusions sur ce point, puisque ces demandes ont été appréciées, pour leur quasi-totalité, selon les modalités antérieures.

La nouvelle exigence, introduite à l’article 21-24 du code civil, de connaissance de l’histoire, de la culture et de la société françaises, n’a, pour sa part, pas produit d’effet puisque les questionnaires à choix multiple élaborés n’ont jamais été utilisés.

La nouvelle obligation pour les intéressés de déclarer, lors de l’acquisition de la nationalité française, la ou les nationalités qu’il possède déjà, ainsi que celle(s) qu’il conserve et celle(s) auxquelles il entend renoncer, n’exerce, en principe, aucun effet sur le nombre de naturalisations.

III. REFONDER L’ACCÈS À LA NATIONALITÉ FRANÇAISE SUR DES CRITÈRES CLAIRS, JUSTES ET TRANSPARENTS

L’accès à la nationalité française doit être refondé sur de nouvelles bases, pour mettre un terme aux dérives constatées. La doctrine ministérielle ne doit plus pouvoir être modifiée subrepticement : il faut l’inscrire dans une circulaire accessible à tous. Elle doit reposer sur des critères clairs et justes. La gestion politico-administrative des naturalisations mériterait également d’être réformée sur certains aspects, la déconcentration en particulier. Le contrôle parlementaire sur cette politique devrait aussi être renforcé.

A. CHANGER LA DOCTRINE MINISTÉRIELLE EN ÉTABLISSANT DES CRITÈRES CLAIRS, ÉQUITABLES ET UNIFORMES, INSCRITS DANS UNE CIRCULAIRE

1. Inscrire les critères applicables dans une circulaire

Votre rapporteur pour avis ne remet nullement en cause la faculté, pour le Gouvernement, d’orienter, par le biais d’instructions ou de directives du ministre chargé des naturalisations, l’appréciation opérée par l’administration des critères fixés par le législateur et la jurisprudence en matière de naturalisation. Il est même souhaitable, dans le contexte d’une procédure déconcentrée, qu’une harmonisation soit opérée dans ce domaine par la voie de ces orientations, afin d’assurer l’égalité de traitement des demandeurs sur l’ensemble du territoire national. Ce qui est choquant, et ce à quoi il faut mettre un terme, c’est que les conditions d’accès à la nationalité française puissent être radicalement altérées, au point de modifier considérablement le nombre de naturalisations, en catimini, dans le « secret des bureaux », sans aucune publicité ou débat public, parlementaire en particulier.

Pour éviter qu’une telle dérive ne puisse se répéter à l’avenir, la première des recommandations de votre rapporteur pour avis est que toute instruction ministérielle ayant pour effet de modifier substantiellement l’appréciation par l’administration des critères de naturalisation soit désormais opérée par la voie d’une circulaire, évidemment publiée. Les critères appliqués doivent être transparents et clairs, accessibles à tous. Leur modification pourra ainsi, s’il y a lieu, être publiquement débattue.

2. Revenir à des critères justes et équitables

La deuxième recommandation de votre rapporteur pour avis est de mettre fin au durcissement des critères opérés par le précédent Gouvernement en ce qui concerne l’insertion professionnelle et la régularité du séjour du postulant.

S’agissant du premier critère, la nature du contrat de travail (CDD, contrats d’intérim) ne doit pas faire obstacle, en soi, à la naturalisation, dès lors que l’activité exercée permet au demandeur de disposer de ressources suffisantes et stables. Dans un contexte économique dégradé, les efforts d’insertion professionnelle doivent également être pris en compte, dans le cadre d’une approche globale du parcours professionnel de l’intéressé. Des assouplissements doivent également être apportés en ce qui concerne la situation des jeunes de moins de 25 ans et les femmes seules élevant ou ayant élevé des enfants.

S’agissant de la régularité du séjour, il convient de mettre un terme à la pratique consistant à refuser systématiquement la naturalisation en cas de séjour irrégulier supérieur à dix ans, quelle que soit son antériorité. D’une manière générale, hormis les cas visés par l’article 21-27 du code civil, les infractions à la législation sur l’entrée et le séjour des étrangers en France antérieures aux cinq ans de résidence régulière exigée par les textes ne devraient pas conduire systématiquement à un rejet de la demande.

Votre rapporteur pour avis se félicite que cette première série de recommandations ait été prise en compte par la circulaire du 16 octobre 2012 du ministre de l’Intérieur relative aux procédures d’accès à la nationalité française, qui répond pleinement à la plupart de ses préoccupations. L’annonce, par M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, d’une « circulaire-cadre » qui remettra à plat tous les critères et leur condition d’appréciation, doit également être saluée. Cette circulaire pourra s’appuyer utilement, en l’actualisant et en la précisant, sur celle qui avait été prise conjointement par le ministre de l’Emploi et de la solidarité et le ministre de l’Intérieur le 12 mai 2000.

B. RÉFORMER LA GESTION POLITICO-ADMINISTRATIVE DE LA NATIONALITÉ

Il convient également de réformer, sur certains aspects, la gestion politico-administrative de la nationalité.

1. La détermination du ministère chargé des naturalisations

Certaines des personnes auditionnées par votre rapporteur pour avis ont évoqué la question de la détermination du ministère chargé des naturalisations.

Rappelons que, jusqu’en 1945, le droit de la nationalité était intégralement confié au ministère de la Justice et, plus précisément, au bureau du droit de la nationalité, qui instruisait toutes les demandes. Il a été ensuite partagé entre plusieurs ministères. La chancellerie est restée compétente pour la préparation des textes destinés à s’insérer dans le code civil, dont la direction des affaires civiles et du sceau (DACS) est la gardienne, ainsi que pour l’enregistrement de certaines déclarations acquisitives de nationalité et la gestion du contentieux. Le ministère chargé de la population, c’est-à-dire le ministère des Affaires sociales (et plus particulièrement, la direction de la population et des migrations [DPM] et la sous-direction de l’accès à la nationalité française [SDANF]), s’est vu confier l’instruction, au niveau central, des demandes d’acquisition de la nationalité par décret. Le ministère de l’Intérieur, pour sa part, assurait la gestion du lien avec les préfectures chargées d’instruire les demandes de naturalisation et de réintégration.

Cette répartition a été profondément bouleversée en 2007, avec la création du ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire. Les compétences du ministère des Affaires sociales en matière de nationalité lui ont été intégralement transférées, et la SDANF a été intégrée au sein d’une direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC). La disparition du ministère de l’Immigration, en 2010, et l’intégration de son administration, le secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (SGII) au sein du ministère de l’Intérieur, a concentré au sein de ce dernier une très large partie des compétences en la matière.

Certains font valoir que cette montée en puissance du ministère de l’Intérieur n’est pas neutre, et qu’elle est susceptible de produire des effets sur le droit applicable, et son application concrète, au motif que « le ministère de l’Intérieur est avant tout le ministère de la police et des frontières »(14). Le retour de la nationalité dans la sphère sociale ou à la chancellerie est ainsi parfois évoqué. À l’inverse, d’autres font valoir que la concentration de l’ensemble des questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France et à l’accès à la nationalité au sein d’une même administration présente l’avantage de définir une politique cohérente en la matière, prenant en compte l’ensemble du parcours d’un étranger, depuis son arrivée en France jusqu’à sa naturalisation éventuelle.

Votre rapporteur pour avis n’est pas convaincu, à ce stade de ses travaux sur le sujet, qu’une réorganisation des attributions gouvernementales en la matière constitue une priorité. La question du ministère en charge des naturalisations relève davantage du symbole – et ils ont évidemment leur importance dans la vie politique – que de la réalité et du contenu de la politique menée. Une politique de la nationalité conduite par le ministère de l’Intérieur (qui est d’ailleurs aussi celui des libertés publiques) au sein d’un Gouvernement ayant une conception ouverte et inclusive de la nationalité sera toujours plus juste et équitable, qu’une politique confiée au ministère des Affaires sociales ou à celui de la Chancellerie au sein d’un Gouvernement dont l’action en la matière était marquée par la défiance envers les étrangers, comme l’était le précédent. Sans nier l’importance des cultures administratives, ce qui importe avant tout – et c’est heureux dans un régime démocratique – est le politique, pas l’administration, qui est là pour mettre en œuvre les orientations qu’il a défini.

2. Réformer la déconcentration de la procédure de naturalisation

La déconcentration des procédures de naturalisation ne doit pas nécessairement être remise en cause, mais il convient d’en modifier les modalités, afin de mettre fin aux dérives constatées. Deux options semblent envisageables à votre rapporteur pour avis.

La première consisterait à s’inspirer de la déconcentration qui avait été préconisée par la commission de la nationalité présidée par M. Marceau Long, dans le rapport qu’elle remit au Premier ministre en janvier 1988, Être français, aujourd’hui et demain. La déconcentration qu’avait proposée cette commission était, d’une certaine manière, exactement l’inverse de qui a été retenu en 2010 dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. En effet, il était préconisé de confier la préparation des décisions favorables aux préfets – et non des décisions défavorables –, qui les aurait adressées directement aux services du Premier ministre (secrétariat général du Gouvernement). Le double de ce projet, accompagné du dossier, serait transmis à l’administration centrale (SDANF), qui aurait trois mois pour l’examiner et, le cas échéant, s’y opposer. Au bout de trois mois, en l’absence de réaction de l’administration centrale, le décret serait présenté à la signature du Premier ministre, à la diligence du secrétariat général du Gouvernement. Les dossiers appelant un avis défavorable des préfets continueraient, en revanche, de faire l’objet d’une double instruction (15).

La seconde consisterait à mutualiser les moyens des préfectures en créant des « plateformes interdépartementales » chargées d’instruire les demandes de naturalisation et de réintégration, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’accueil des demandeurs d’asile. L’un des principaux inconvénients de la déconcentration opérée est « l’atomisation » des centres de décision, et donc des pratiques décisionnelles, et ses conséquences en matière d’égalité de traitement. S’y ajoute le « saupoudrage » des agents préfectoraux affectés à l’instruction des demandes, alors que ni les effectifs ni le taux d’encadrement de ces agents n’ont été renforcés, la réforme ayant été opérée à moyens constants, voire en diminution globale (sous réserve d’éventuels redéploiements internes au sein de certaines préfectures). Un regroupement semble indispensable, car il apparaît difficile de disposer d’agents possédant l’expertise requise par le droit de la nationalité (qui est un droit d’une grande technicité) sur 180 sites différents. D’après les informations transmises à votre rapporteur pour avis, cette mutualisation interdépartementale constitue l’une des pistes explorées par la mission de l’Inspection générale de l’administration qui devrait rendre son rapport prochainement.

3. Améliorer l’accueil des demandeurs

Votre rapporteur pour avis déplore que les conditions d’accueil des demandeurs, très variables d’un service préfectoral à l’autre, soient, trop souvent, peu satisfaisantes. Dans certaines sous-préfectures, la configuration des locaux n’est pas du tout adaptée, ce qui rend également difficiles les conditions de travail des agents préfectoraux. La prise de rendez-vous, pour la délivrance des dossiers puis leur dépôt comme pour les entretiens d’assimilation, devrait être optimisée et fluidifiée, afin d’éviter notamment que ne s’ajoute un « délai caché » de traitement, lié au délai d’obtention d’un rendez-vous permettant d’enregistrer le dossier dans l’application informatique PRENAT. Les conditions de déroulement de l’entretien mériteraient également d’être revues et uniformisées. Sur ce point, votre rapporteur pour avis regrette, par exemple, que dans certaines préfectures, une vitre sépare l’agent du postulant, ce qui ne paraît guère adapté pour avoir un véritable échange. Le guide de l’entretien d’assimilation en cours d’élaboration devrait mettre fin à ces difficultés.

C. RENFORCER LE CONTRÔLE PARLEMENTAIRE

Votre rapporteur pour avis recommande de renforcer le contrôle parlementaire sur la politique de la nationalité. Sans remettre en cause les compétences gouvernementales en la matière, il convient d’éviter qu’un bouleversement radical, comme celui constaté en 2011 et au premier semestre 2012, puisse se reproduire en dehors de tout contrôle et de tout débat parlementaire. À cette fin, le Gouvernement devrait communiquer, dans son rapport annuel au Parlement sur les orientations de la politique d’immigration et d’intégration, l’évolution du taux de décisions défavorables et des motifs sur lesquels elles se fondent. Cela exigera de renforcer la fiabilité du suivi statistique de l’accession à la nationalité (16). Aucune réorientation majeure ne pourrait ainsi être opérée subrepticement à l’avenir. Au-delà de sa technicité, le droit de la nationalité, en déterminant qui peut entrer ou non dans la communauté nationale, est un sujet essentiel, qui doit faire l’objet d’un contrôle démocratique à la hauteur des enjeux qu’il soulève.

EXAMEN EN COMMISSION

Lors de sa réunion du 25 octobre 2012, la Commission procède, en commission élargie à l’ensemble des députés, dans les conditions fixées à l’article 120 du Règlement, à l’audition de M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2013.

M. Pierre-Alain Muet, président. Monsieur le ministre, je suis heureux de vous accueillir au nom de la Commission des finances, avec Mme Élisabeth Guigou, présidente de la Commission des affaires étrangères, et M. Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois. Le président Gilles Carrez, retenu, m’a prié de bien vouloir l’excuser auprès de vous.

Nous sommes réunis en commission élargie afin de vous entendre sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2013.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je me réjouis pour ma part que la Commission des affaires étrangères ait l’occasion de dialoguer avec le ministre de l’intérieur, dont les compétences excèdent largement le cadre de l’hexagone. L’immigration est loin de se réduire à une question intérieure, ce qui explique que notre commission s’y intéresse de près : elle est une dimension de notre relation avec un très grand nombre d’États et fait l’objet d’une politique européenne très avancée.

Si je regrette beaucoup que notre rapporteur pour avis, M. Jean-Pierre Dufau, ait eu un empêchement majeur, je ne doute pas que Mme Seybah Dagoma le suppléera brillamment malgré le bref temps de parole qui lui est imparti.

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Nous avons beaucoup travaillé avec le ministre de l’intérieur ces derniers jours. Hier soir, nous examinions ici même les crédits de l’administration générale et territoriale de l’État. M. Valls fut un parlementaire assidu, il est aujourd’hui un ministre disponible, et nous lui en sommes reconnaissants.

Attentifs à ce que la majorité et l’opposition puissent s’exprimer, nous avons désigné deux rapporteurs pour avis issus l’un du groupe SRC, l’autre du groupe UMP, ce qui devrait garantir la tonicité de nos échanges.

M. Laurent Grandguillaume, rapporteur spécial de la Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire. Le courage, disait Jaurès, c’est de ne pas faire écho aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. Il faut saluer ce budget de responsabilité, de vérité, de fermeté et de dignité, qui traduit des efforts substantiels dans un contexte d’austérité et de difficultés financières en Europe, et mobilise des moyens à la mesure des besoins, pour un traitement plus digne des demandeurs d’asile.

Fixées à 662,5 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 670,9 millions d’euros en crédits de paiement, les dotations de la mission progressent respectivement de 11,6 et 13 %, ce qui représente 69 et 77 millions supplémentaires. Dans le détail, la plupart des actions des deux programmes de la mission, comme son principal opérateur, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, appliquent en réalité les instructions d’économie du Premier ministre en réduisant sensiblement les prévisions de dépenses.

Le renforcement budgétaire des crédits dédiés à la garantie du droit d’asile en est d’autant plus significatif. Il ne s’agit pas seulement de fixer à un niveau plus conforme aux consommations constatées en 2011 les dotations destinées à l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile et l’allocation temporaire d’attente qu’ils perçoivent quand ils ne peuvent accéder aux centres d’accueil, les CADA – dépenses systématiquement et fortement sous-évaluées ces dernières années. Cet effort budgétaire traduit aussi le choix d’améliorer l’efficacité et la qualité de l’accueil offert par la France aux demandeurs d’asile, d’une part, en renforçant les moyens de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides pour lui permettre de traiter les demandes dans des délais plus raisonnables que ces dernières années ; d’autre part, en créant 1 000 nouvelles places en CADA, structures qui offrent la prise en charge et l’accompagnement les plus conformes à notre devoir de solidarité internationale.

Les autres migrants ne sont pas pour autant négligés. Grâce à des réformes successives des taxes sur les titres de séjour qui lui sont affectées, l’OFII dispose de moyens consolidés. Il lui est demandé de poursuivre ses efforts de rationalisation des dispositifs dont il est chargé et d’économie sur ses dépenses de fonctionnement, mais son haut niveau d’intervention en faveur des migrants en situation régulière devrait être préservé. En 2012, près de 106 millions d’euros sont consacrés aux actions d’accueil et de formation des primo-arrivants, aux procédures d’immigration familiale et professionnelle et à l’accueil des demandeurs d’asile assurés par l’OFII.

J’évoquerai enfin, même si ces dépenses ne relèvent pas de la mission, les efforts du ministère pour développer la capacité des services préfectoraux à encadrer les multiples démarches exigées des étrangers dans des conditions plus respectueuses des individus, et bien que leurs missions soient nettement plus lourdes qu’auparavant.

En dépit de ces progrès, des questions demeurent sur l’évolution de certaines dépenses, dont celles relatives à l’allocation temporaire d’attente – ATA –, comme sur certains arbitrages non encore rendus.

Tout d’abord, ce projet de budget renforce substantiellement les crédits alloués à l’hébergement d’urgence et à l’allocation temporaire d’attente auxquels peuvent prétendre les demandeurs d’asile n’ayant pas accès aux CADA. Ne serait-il pas plus efficace du point de vue budgétaire, et plus digne, d’accroître encore les capacités d’accueil des CADA, ce qui devrait réduire les dépenses alternatives d’hébergement d’urgence et d’ATA ? À enveloppe budgétaire constante, ne peut-on imaginer un transfert de crédits entre ces différents dispositifs ?

Ensuite, le développement, l’entretien et le fonctionnement des centres de rétention administrative devraient représenter un budget d’environ 44,9 millions d’euros. Les prévisions sont certes en retrait de 3 millions par rapport aux crédits votés pour 2012. Mais, compte tenu du taux moyen d’occupation des centres, qui ne dépasse pas 57,7 % sur l’ensemble du territoire métropolitain, voire 30 % sur certains sites, ne serait-il pas opportun, voire plus rentable, de fermer les centres les moins utilisés ?

Question annexe : le premier marché de l’accompagnement juridique des retenus arrive à son terme le 31 décembre 2012. Les modalités et les conditions de sa reconduite ne sont pas décidées, si bien que les associations concernées ne peuvent définir sérieusement leurs organisations et leurs budgets pour 2013.

Par ailleurs, en 2011, près d’un tiers des personnes faisant l’objet d’une décision d’éloignement du territoire ont regagné leur pays dans le cadre d’un retour aidé. Ils sont encore 9 130 étrangers à bénéficier des aides au retour volontaire. Toutefois, il apparaît que 52 % des bénéficiaires en 2011 et 58 % au premier semestre 2012 sont des ressortissants communautaires qui pourront de plein droit revenir en France. On peut dès lors s’interroger sur la légitimité d’une aide qui ne favorise en rien un retour durable dans le pays d’origine. Ces fonds ne seraient-ils pas mieux employés au service des véritables dispositifs de réinsertion ou de développement solidaire ?

Tout le monde s’accorde sur la nécessité de réduire les délais de traitement des demandes d’asile que l’afflux massif de ces derniers années a fait dériver, retardant la reconnaissance des situations justifiant une protection et pesant lourdement sur les dépenses de prise en charge des demandeurs. Cependant, la diminution des délais d’instruction n’est pas une fin en soi. Comment l’État veille-t-il à ce que l’accélération des procédures devant l’OFPRA ne nuise pas à la qualité du traitement des demandes d’asile, et notamment à ce que les objectifs de productivité demandés aux officiers de protection ne compromettent pas la qualité des entretiens ?

Enfin, monsieur le ministre, pourquoi la construction du nouveau CRA de Mayotte, budgétée depuis plusieurs années, n’a-t-elle pas encore débuté ?

Mme Seybah Dagoma, suppléant M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur pour avis de la Commission des affaires étrangères. Les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » devraient augmenter de 4,9 % en autorisations d’engagement et de 6,2 % en crédits de paiement, ce qui représente un effort réel dans le contexte actuel de réduction des dépenses publiques. Reste que la hausse globale des moyens recouvre des évolutions très disparates. En réalité, seuls les crédits relatifs à l’exercice du droit d’asile sont en progression.

Ma première question concerne le programme « Intégration et accès à la nationalité française ». Les crédits consacrés à l’intégration des étrangers en situation régulière vont baisser de 8 % et ceux affectés à l’intégration des réfugiés vont diminuer de 2 %. Un récent rapport du Haut Conseil à l’intégration dressait pourtant un bilan peu flatteur de l’action menée dans ce domaine. L’on peut regretter que l’intégration ne soit pas une priorité budgétaire cette année. Le Premier ministre a pourtant annoncé récemment que le Gouvernement entendait redéfinir la politique d’intégration, qui a cessé depuis trop longtemps d’être efficace. Monsieur le ministre, pouvez-vous nous en dire plus sur le cadre et les grands axes de cette réflexion ?

En ce qui concerne les étrangers en situation régulière, un nouveau titre pluriannuel devrait être créé afin de sécuriser les parcours. Même si le projet de loi ne devrait être présenté qu’en 2013, pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Il existe d’autres titres de séjour pluriannuels ; quel pourrait donc être le nouveau public concerné ?

S’agissant du traitement des demandes des étrangers, je m’interroge sur les conditions d’accueil dans les préfectures. L’exemple le plus criant est assurément celui de Bobigny où, chaque jour, plusieurs centaines de personnes attendent pendant des heures pour déposer une demande de titre de séjour, de naturalisation ou de renouvellement. Au-delà des moyens humains à déployer, ne pourrait-on concevoir un système de prise de rendez-vous et/ou de gestion de dossier totalement ou partiellement dématérialisé ? Plus généralement, est-il envisagé d’améliorer les conditions d’accueil des demandeurs, notamment en Île-de-France ?

En ce qui concerne l’asile, la revalorisation des dotations vise à mieux respecter le principe de sincérité budgétaire, singulièrement malmené ces dernières années. La parlementaire que je suis est sensible à cet effort, qui est aussi un geste de responsabilité. Cela étant, je m’interroge sur les conséquences de l’arrêt rendu le 27 septembre dernier par la Cour de justice de l’Union européenne, qui rappelle qu’« un État membre, saisi d’une demande d’asile, est tenu d’octroyer les conditions minimales d’accueil des demandeurs d’asile, même à un demandeur d’asile pour lequel il décide de requérir un autre État membre pour le prendre en charge ou le reprendre en charge en tant qu’État membre responsable de la demande ». Ne faudrait-il pas ajuster en conséquence, dès à présent, les crédits destinés à l’allocation temporaire d’attente ?

En outre, seules 1 000 places supplémentaires devraient être créées en CADA, ce qui paraît bien peu au regard de la demande globale d’asile – 56 400 demandes en 2011 –, à rapporter aux 21 400 places aujourd’hui disponibles en CADA. Ces structures sont pourtant unanimement reconnues comme les plus propres à accompagner les demandeurs d’asile dans de bonnes conditions. À moyen terme, avez-vous prévu un rééquilibrage en faveur du dispositif de droit commun ? Du strict point de vue budgétaire, France terre d’asile estime qu’une place dans le dispositif d’urgence coûte plus cher qu’une place en CADA – 26,17 euros par jour pour l’hébergement d’urgence des demandeurs d’asile et 11,17 euros par jour pour l’ATA, contre 24 euros en CADA –, pour un service moindre puisque l’accompagnement fait défaut. Si l’opération est rentable, l’investissement dans la production de places de CADA serait ainsi bénéfique à la fois pour les demandeurs d’asile, mieux accueillis grâce à la création annuelle de 140 à 210 postes de travailleurs sociaux à temps plein, et pour les finances publiques.

De même, l’effort de réduction des délais de traitement des demandes d’asile est non seulement une nécessité humaine – l’on ne devrait pas faire attendre si longtemps des personnes déjà très fragilisées –, mais aussi un impératif budgétaire, car il permettrait de réduire la durée de prise en charge par l’État. Un effort a été engagé, mais l’on est encore loin des délais incompressibles. Après 2013, comment comptez-vous tendre vers un délai raisonnable de six mois au total ?

Enfin, le dispositif de rétention est formaté à 1 816 places en 2013, pour un coût par jour de 39,68 euros qui correspond au seul fonctionnement hôtelier des centres de rétention, hors coûts d’entretien, d’éloignement, de prise en charge sanitaire et d’accompagnement juridique. Or, de l’aveu même des associations intervenant en rétention, ces places ne sont pas toutes occupées. Ne pourrait-on donc fermer un nombre significatif de places sans nuire à la capacité de l’État à éloigner les personnes dont la présence est jugée indésirable sur le territoire ?

Je m’interroge en revanche sur la baisse de 0,8 million d’euros que subit l’accompagnement social dans les CRA par rapport à la LFI 2012. Assuré par les associations, qui peinent déjà à accomplir leur mission, cet accompagnement est indispensable pour garantir les droits des personnes retenues. Comment expliquer cette baisse ?

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’immigration, l’intégration et l’accès à la nationalité française. Vous l’avez rappelé vous-même à plusieurs reprises, monsieur le ministre : l’accès à la nationalité française est la conclusion logique d’un parcours d’intégration réussi. Or, les naturalisations ont connu en 2011 une chute brutale, de près de 30 %, qui s’est poursuivie au premier semestre 2012. J’ai voulu en analyser les causes afin de formuler des recommandations que je souhaite vous soumettre.

Il apparaît, à la lumière des quinze auditions et déplacements que j’ai effectués pour préparer mon rapport, que cette chute résulte non pas d’une baisse des demandes ou d’une diminution des décisions rendues – lesquelles sont restées stables, aux alentours de 100 000 par an –, mais bien d’une hausse du taux de décisions négatives sans précédent sous la Ve République. Remarquablement stable de 2000 à 2008, où il oscillait entre 20 et 29 %, ce taux a connu une véritable explosion en 2011, passant à plus de 53 %. Alors qu’un peu plus de deux demandes sur dix étaient rejetées au cours de la décennie 2000, plus de cinq sur dix l’ont été en 2011 et au premier semestre 2012.

Cette hausse du taux de décisions défavorables n’est pas la conséquence d’une modification des critères de naturalisation fixés par la loi ou les textes réglementaires. Les nouvelles modalités d’évaluation de la connaissance du français par un test, prévues par la loi du 16 juin 2011, ne sont en effet applicables qu’aux demandes introduites depuis le 1er janvier 2012, dont aucune ou presque n’avait déjà fait l’objet d’une décision au 30 juin 2012.

La chute du nombre de naturalisations provient en réalité d’un durcissement de l’appréciation des critères de naturalisation par l’administration. Or c’est dans l’opacité la plus complète que la « doctrine ministérielle » a été modifiée, sans aucun débat public, par le biais d’instructions confidentielles adressées aux préfectures sous la forme de fiches « blanches » sans en-tête ni signataires, pudiquement appelées « fiches pédagogiques ».

En attestent les documents – non signés – que je me suis procurés non sans peine auprès de la préfecture des Bouches-du-Rhône. Le premier, mystérieusement intitulé « Liste des secrétaires généraux de préfecture. Naturalisation », indique notamment qu’il doit être tenu compte de l’irrégularité du séjour quelle que soit l’époque où elle a été constatée. Ainsi des personnes qui ont été en situation irrégulière en 1966 ont-elles vu leur demande rejetée pour ce motif : un crime peut être prescrit, mais pour ceux qui ont voulu venir sur notre sol, il n’y a aucune prescription ! Le second document, le plus dévastateur sans doute, exige implicitement des requérants qu’ils soient employés en CDI. J’ai dans ma circonscription un grutier tunisien qui travaille volontairement depuis vingt ans dans des boîtes d’intérim, car il y est mieux payé que dans les grosses entreprises du BTP : il n’a pas le droit de demander à devenir français ! Telles sont les instructions que M. Guéant a données aux fonctionnaires préfectoraux, au mépris de la légalité républicaine.

Dans certains cas, elles sont venues de simples courriers électroniques de l’une des directions du ministère de l’intérieur. À plusieurs reprises dans notre histoire, le droit de la nationalité a figuré dans la Constitution. De la Constitution à un simple courriel : l’évolution est préoccupante lorsqu’il s’agit de déterminer qui appartient ou non à la communauté nationale. C’est une simple fiche du 16 juin 2011 qui a conduit les préfectures à exiger des postulants qu’ils soient titulaires d’un CDI et c’est encore par courrier électronique qu’il a été demandé aux préfets de ne pas tenir compte de l’antériorité du séjour irrégulier.

Les effets de ce durcissement ont sans doute été amplifiés par la déconcentration des procédures de naturalisation opérée le 1er juillet 2010. Avant cette date, dans près d’un cas sur deux, les avis défavorables des préfets n’étaient pas suivis par l’administration centrale. Depuis, les préfets sont devenus décisionnaires, et seule une décision négative sur cinq fait l’objet d’un recours : au total, 2 % de leurs décisions négatives sont infirmées, ce qui conduit à une hausse mécanique du taux de rejet.

Voici donc mes recommandations. Il faut refonder l’accès à la nationalité française sur des critères clairs, justes et transparents. Vous avez d’ailleurs suggéré vous-même cette orientation la semaine dernière, monsieur le ministre. Les critères ne doivent plus pouvoir être modifiés en catimini, dans le secret des bureaux : ils doivent être inscrits dans une circulaire accessible à tous. Quant au fond, il faut mettre un terme au durcissement de l’appréciation des critères relatifs à l’insertion professionnelle et la régularité du séjour. Je me félicite que cette première série de recommandations ait été prise en considération dans votre circulaire du 16 octobre 2012.

Il faudrait ensuite sinon revenir sur le principe de la déconcentration des procédures, du moins en modifier les modalités. Deux pistes sont envisageables. L’une consisterait à confier la préparation des décisions favorables – et non plus des décisions négatives – aux préfets, les autres continuant à faire l’objet d’une instruction par l’administration centrale. C’était l’une des propositions de la Commission de la nationalité présidée par M. Marceau Long en 1988. L’autre option consisterait à mutualiser les moyens des préfectures en créant des plateformes interdépartementales, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’accueil des demandeurs d’asile. Je sais que vous attendez les conclusions d’une mission de l’Inspection générale de l’administration sur ce sujet, conduite par M. Fitoussi, mais pourriez-vous indiquer vos premières orientations en la matière ?

Il faudrait également, comme l’a dit Seybah Dagoma, améliorer les conditions d’accueil des demandeurs en préfecture, souvent peu satisfaisantes, les conditions de déroulement de l’entretien et de délivrance des dossiers. À la préfecture des Bouches-du-Rhône, l’entretien a lieu à travers une glace au moyen d’un hygiaphone ! Il conviendrait d’informatiser le retrait et la constitution des dossiers ainsi que la prise de rendez-vous, pour faciliter le travail des préfectures.

Il est enfin nécessaire de renforcer le contrôle parlementaire de la politique de la nationalité, pour éviter un nouveau bouleversement radical non soumis à débat. Je suggère donc que chaque année, le Gouvernement communique, dans son rapport au Parlement sur la politique d’immigration et d’intégration, l’évolution du taux de décisions défavorables et des motifs sur lesquels elles se fondent.

J’espère, monsieur le ministre, que vous donnerez suite à quelques-unes de ces recommandations.

M. Guy Geoffroy, suppléant M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, pour l’asile. J’ai d’autant plus volontiers accepté de remplacer ce soir Éric Ciotti que je partage ses analyses et ses interrogations.

Je salue tout d’abord le fait que le ministère de l’intérieur ait conservé l’asile parmi ses compétences. Certains, en particulier dans le secteur associatif, s’en désolent, allant jusqu’à déplorer le double langage de la nouvelle majorité, qui critiquait ce choix lorsqu’elle était dans l’opposition, avant de s’apercevoir qu’il n’était pas si mauvais que cela. Je pourrais rejoindre les esprits cyniques en disant qu’il faut que tout change pour que rien ne change. Je préfère, avec mon collègue Ciotti, me réjouir pour notre pays que vous n’ayez pas remis en cause une excellente réforme.

La réduction des délais de traitement des demandes, à laquelle nous avons souhaité consacrer ce premier avis budgétaire sur l’asile, est une question cruciale, comme l’a bien montré notre rapporteur spécial. Les demandeurs ont le droit d’obtenir une décision rapide. Celle-ci aurait en outre l’intérêt d’éviter une dépense en desserrant la contrainte pesant sur le dispositif d’hébergement des demandeurs, qui est saturé. Selon vos services, une réduction d’un mois du délai d’examen permettrait d’économiser quelque 20 millions d’euros. Ne l’oublions pas au moment de nous prononcer sur l’opportunité de nouveaux recrutements à l’OFPRA ou à la Cour nationale du droit d’asile : ces recrutements sont coûteux, mais génèrent des économies plus importantes encore.

Ma première question porte sur l’engagement du président de la République, lorsqu’il était candidat, de ramener à six mois le délai d’examen des demandes d’asile, engagement souscrit dans une lettre du 25 avril 2012 adressée à France terre d’asile et précisé lors du débat télévisé de l’entre-deux tours. Ce délai de six mois doit sans aucun doute être interprété comme incluant le délai de recours devant la Cour nationale du droit d’asile. En effet, le délai d’instruction par l’OFPRA était déjà inférieur à six mois en 2011 : il serait absurde que M. Hollande se soit engagé à rallonger le délai d’examen des demandes d’asile ! Lors du débat de l’entre-deux tours, celui-ci a d’ailleurs fait clairement référence au délai d’un an et demi qu’il souhaitait réduire à six mois et qui correspond au délai de traitement par l’OFPRA et par la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA.

C’est donc avec une grande surprise que nous avons appris, en lisant une des réponses adressées par vos services, monsieur le ministre, que l’engagement présidentiel devait être entendu « recours non inclus ». Pourriez-vous rectifier officiellement ce qui est certainement une erreur d’interprétation ? Il ne s’agit pas d’un point purement technique : non seulement pour les trois quarts des demandeurs, c’est-à-dire pour plus de 40 000 personnes par an, le délai d’instruction s’entend recours inclus, mais plus d’un réfugié sur deux s’est vu reconnaître ce statut par la Cour, et non par l’OFPRA.

Ma deuxième question porte sur les moyens que vous entendez affecter à la réduction des délais. Sans esprit de polémique, je rappellerai en effet que la précédente majorité a considérablement renforcé les effectifs de l’OFPRA et de la CNDA. Le nombre d’officiers de protection instructeurs de l’Office a ainsi été porté de 106 à 162 entre 2007 et 2012, tandis que celui des rapporteurs de la Cour nationale du droit d’asile a quasiment doublé en deux ans : de 70 fin 2009, il est passé à 135 fin 2011. Ces renforts ont permis, dans un contexte difficile, marqué par une hausse considérable de la demande d’asile déjà soulignée par les orateurs précédents – plus 61 % entre 2007 et 2011 –, d’accroître de 47 % le nombre de décisions rendues par l’OFPRA au cours de cette même période, et de réduire de six mois les délais de jugement de la Cour en 2011.

On pouvait s’attendre, compte tenu de l’engagement ambitieux pris par le Président de la République, à ce que vous poursuiviez et même amplifiiez ces efforts. Je crains pourtant, à la lecture de ce projet de loi de finances, qu’il n’en soit rien. La Cour ne bénéficiera ainsi d’aucun renfort en 2013, au prétexte que les avocats ne pourraient pas suivre. Et à l’OFPRA, seuls dix officiers supplémentaires seront recrutés, quand le précédent gouvernement en avait recruté cinquante ! Compte tenu du nombre de dossiers traités par agent, il en faudrait trois fois plus pour résorber les stocks, ce qui est indispensable pour réduire les délais.

Pourquoi ne dotez-vous par l’OFPRA et la Cour des moyens nécessaires, sachant que la réduction des délais est génératrice d’économies considérables en termes d’hébergement et que ces recrutements seraient donc – la formule est peu appropriée, je le reconnais – économiquement rentables ?

Ma dernière question porte sur la vacance du poste de directeur général de l’OFPRA – l’ancien directeur général, M. Jean-François Cordet, ayant été nommé préfet de la région Picardie le 1er août dernier. Quels sont ses motifs ? Traduit-elle un désintérêt de ce Gouvernement pour les questions d’asile ? Le Gouvernement estime-t-il la fonction inutile, ou cherche-t-il ainsi à réduire les dépenses publiques ? Il serait très préoccupant de laisser ce poste stratégique vacant, au risque de plonger l’OFPRA dans des difficultés que nous ne pourrions plus résoudre.

Mme Marie-Anne Chapdelaine. Les cinq dernières années, les demandeurs d’asile et les immigrés ont été considérés comme quantité, mais aussi comme qualité négligeable. Cela n’a que trop duré. Le budget consacré au programme « Immigration et asile » a donc été établi à la mesure des enjeux qui s’imposent et des engagements que la France a pris, notamment en ratifiant la convention de Genève qui régit le droit d’asile.

Avant tout, rappelons qu’un demandeur d’asile est, a priori, en situation d’urgence tant psychologique que sociale, n’ayant eu d’autre choix que de quitter sa terre pour se réfugier en France. Rappelons que la France se devrait d’être un modèle en matière d’accueil, autant par son histoire que par les accords internationaux qu’elle a ratifiés. Rappelons que la dernière législature n’a permis de traiter ni avec efficacité, ni avec humanité, ni avec responsabilité la situation administrative, sanitaire et sociale des demandeurs d’asile. Elle n’a pas non plus permis de se justifier d’un succès quelconque en matière d’immigration.

Je ne prendrai qu’un exemple, celui du logement des demandeurs d’asile. Plutôt que de recourir systématiquement à l’allocation temporaire d’attente et à l’hébergement d’urgence, il aurait été bien plus simple de construire régulièrement le nombre de places nécessaires pour héberger les demandeurs d’asile en centre d’accueil. Il n’en a pas été ainsi, et nous héritons aujourd’hui d’une situation intenable.

En favorisant un accompagnement global des demandeurs d’asile, tant du point de vue de l’hébergement que du point de vue administratif, nous améliorons la clarté et l’efficacité du dispositif, nous garantissons un meilleur suivi des demandeurs d’asile et nous nous dotons d’un projet d’accueil et de régulation à long terme.

Tout d’abord, l’Office français pour les réfugiés et les apatrides, chargé d’instruire les dossiers des demandeurs d’asile, verra ses effectifs augmenter de dix équivalents temps plein. Cet effort permettra de diminuer le délai de traitement des dossiers et de maximiser la hausse prévue du nombre de places disponibles en hébergement pérenne.

Ensuite, la création de 1 000 nouvelles places en centre d’accueil des demandeurs d’asile nous permettra d’atteindre un taux de 45 % de demandeurs en cours de procédure hébergés à l’horizon 2015. Pourquoi seulement 45 % ? Parce que le nombre de places restera insuffisant : les demandeurs d’asile paient l’absence d’investissements réalisés au cours des dernières années. Il nous faudra donc soutenir le mouvement tout au long de la législature. En ce domaine, nous sommes limités non par notre propre volonté, mais par l’absence de volonté des dirigeants d’hier. Compte tenu du délai d’instruction des dossiers et de l’augmentation de la demande, la nécessité de réévaluer les crédits consacrés à l’hébergement d’urgence n’échappera à personne.

Par ailleurs, la dotation globale de 120 millions d’euros pour soutenir l’activité d’Adoma – une association œuvrant au niveau national en faveur du logement d’urgence –, ainsi que d’autres dispositifs à gestion déconcentrée donneront aux préfets une capacité plus importante en termes de pilotage ou de financement de projets. Mais ne pourrait-on pas utiliser ces crédits supplémentaires pour financer de nouvelles places en CADA ou en CPH – les centres provisoires d’hébergement, qui logent les demandeurs une fois qu’ils ont obtenu le statut de réfugié –, c’est-à-dire pour favoriser l’hébergement pérenne ? Il nous appartient d’y réfléchir.

L’enveloppe couvrant l’allocation temporaire d’attente (ATA) est portée à 370 millions d’euros, et 230 millions seront consacrés aux actions de prise en charge médico-psychologique et sociale. Cette dotation répond à des situations urgentes de fragilité physique et morale.

L’augmentation du budget lié aux demandeurs d’asile ne sert pas uniquement à compenser le déficit d’engagement de la législature précédente. Ces moyens sont au service d’un projet ; ils s’inscrivent dans une perspective politique globale d’accompagnement. Dans cet esprit, le volet financier consacré à l’asile et à l’immigration traduit en actes une volonté politique très forte, attentive aux personnes et soucieuse d’humanité. Le choix de faciliter l’accès à la naturalisation, annoncé par le ministre, symbolise ce changement.

Mais il nous faut continuer nos efforts. Les actions d’intégration des étrangers en situation régulière doivent se poursuivre, notamment en matière d’accès à l’emploi, d’enseignement de la langue française et de formation. Or la réduction des crédits ne risque-t-elle pas de les remettre en cause ? De la même manière, accueillir des personnes en préfecture à six heures du matin n’est pas une bonne chose.

Mes chers collègues, le Gouvernement ne considère pas celui qui fuit ses terres comme un opportuniste, ni comme une variable d’ajustement électorale ou budgétaire. Nous pouvons être fiers de cette posture politique ferme, rigoureuse et raisonnée, qui ne sombre ni dans l’angélisme, ni dans la démagogie, ni dans la stigmatisation. Chacun le sait, c’est à la mesure du sort réservé aux plus fragiles que se juge le souci de justice sociale d’un gouvernement. Le nôtre répond une fois de plus présent ; nous pouvons en être fiers.

M. Guillaume Larrivé. En m’exprimant au nom de l’UMP, je tiens à souligner d’abord combien le défi de l’immigration est difficile à aborder. Il ne s’agit pas d’un dossier comme les autres, qu’il suffirait de traiter par des règles juridiques et des crédits budgétaires ; nous parlons de personnes, d’hommes et de femmes qui souhaitent quitter leur pays pour rejoindre le nôtre.

J’ai la conviction que nous devons aborder ces questions de manière paisible, en gardant à l’esprit trois principes d’action.

Le premier est que la France, comme tout pays au monde, a le droit de choisir qui elle souhaite accueillir sur son territoire. Le mot de frontière n’est pas un tabou, et il est légitime que l’État fixe des règles pour définir qui peut entrer en France et qui peut s’y installer. Il est tout autant légitime que l’État fasse respecter ces règles. Nous n’avons pas à nous excuser de faire appliquer la loi de la République, ni d’éloigner, y compris par la contrainte, les clandestins qui refusent de retourner volontairement dans leur pays.

Le deuxième principe est que nous devons réduire les flux d’immigration vers la France compte tenu de nos capacités d’accueil. La crise économique et financière qu’affronte notre pays rend en effet nécessaire une diminution du nombre de personnes accueillies en France.

Troisième principe : les personnes étrangères qui séjournent durablement à l’intérieur de nos frontières, qui maîtrisent notre langue, qui connaissent et aiment notre pays, qui travaillent, qui respectent nos lois et nos valeurs ont vocation à rejoindre la communauté nationale. La France est une nation qui sait accueillir en son sein les personnes qui réussissent leur parcours d’intégration et, plus encore – comme le dit explicitement le code civil –, leur assimilation.

C’est au regard de ces trois principes que nous avons attentivement examiné votre budget, traduction d’une politique. Je souhaite vous faire part d’un point d’accord – avec vous, monsieur le ministre, mais pas avec le groupe socialiste – et de trois points de désaccord, qui nous conduiront à ne pas voter les crédits de cette mission.

Le point d’accord porte globalement sur la politique d’asile. Oui, la France doit rester fidèle à sa tradition d’accueil des combattants de la liberté ; oui, nous devons continuer à diminuer les délais d’examen des demandes, devant l’OFPRA comme devant la Cour nationale du droit d’asile ; oui, nous devons réussir à bâtir une véritable politique européenne de l’asile. Vous vous y employez d’ailleurs avec votre collègue allemand au sein du conseil « justice et affaires intérieures » – JAI –, vous inscrivant ainsi pleinement dans la continuité de la conférence sur l’asile organisée par Brice Hortefeux en septembre 2008, pendant la présidence française de l’Union européenne.

Mais – et c’est le premier désaccord majeur – vous n’assumez pas clairement la nécessité de reconduire dans leur pays les étrangers en situation irrégulière, si besoin en utilisant la contrainte. Si plus de 225 000 clandestins ont été raccompagnés chez eux entre 2002 et 2011, c’est parce que les ministres successifs ont assumé le fait de demander aux préfets, aux policiers et aux gendarmes d’intervenir pour les expulser. Au contraire, vous avez choisi de ne plus assigner à chaque préfet un objectif chiffré de reconduite à la frontière. De même, les documents budgétaires ne comportent aucun objectif national.

Je ne sous-estime pas les difficultés pratiques et juridiques entraînées par la jurisprudence récente de la Cour de cassation, qui a compliqué la tâche de l’administration. Il est urgent de modifier la procédure d’éloignement – et nous en débattrons bientôt en examinant un projet de loi –, mais il est aussi urgent de réaffirmer une volonté politique de lutte contre l’immigration irrégulière, qui fait aujourd’hui défaut. Notre collègue Grandguillaume veut fermer des centres de rétention administrative ; nous pensons au contraire qu’il faut les remplir.

Le Gouvernement envoie plusieurs messages d’ouverture à l’intention des clandestins. Cet été, la ministre de la santé a fait voter une réforme de l’aide médicale d’État destinée à rendre totalement gratuits les soins qui leur sont prodigués ; vous proposez quant à vous de supprimer le délit d’aide au séjour irrégulier ; et le ministre du budget a accepté, lundi soir – peut-être dans un moment d’égarement –, une forte diminution de la taxe prélevée sur les cartes de séjour de régularisation : celle-ci passe de 110 à 50 euros. Telle est, au-delà des discours, la réalité.

Le deuxième point de désaccord concerne les naturalisations. Vous avez décidé – par une simple circulaire, une méthode qui diffère peu des courriers électroniques de M. Guéant – de supprimer un certain nombre de contrôles qui permettaient aux agents de l’État de s’assurer de l’assimilation des personnes souhaitant devenir françaises. Vous êtes même allé jusqu’à donner instruction aux préfets d’accepter des demandes de naturalisation présentées par des étrangers entrés illégalement en France. Cela traduit une conception curieuse de l’assimilation dans la communauté nationale.

Enfin, le troisième désaccord porte sur la dimension internationale de la politique d’immigration. Je regrette que le budget du ministère chargé de l’immigration, contrairement à ce qui avait été engagé lors du quinquennat du président Sarkozy, ne comporte plus aucun crédit relatif à l’aide publique au développement : ils ont tous été transférés au Quai d’Orsay. C’est, je le crains, la fin de la politique de gestion concertée des flux migratoires et de développement solidaire, qui consistait à négocier des traités avec les pays d’origine. La France en avait signé treize, notamment avec les pays d’Afrique subsaharienne. Il s’agissait à la fois de limiter l’exode de compétences que subissent ces pays et de réduire en retour l’immigration en France. Interpellé à ce sujet, le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a eu cette réponse édifiante, publiée au Journal officiel : « La politique d’aide au développement n’a certainement pas pour objet la lutte contre l’immigration irrégulière ».

Tout cela prouve que le Gouvernement défait méthodiquement ce que la précédente majorité avait entrepris dans le but de réduire les flux migratoires. C’est, nous le pensons, un choix dangereux pour la France.

M. Arnaud Richard. Monsieur le ministre, le budget de la mission « Immigration, asile et intégration » est potentiellement le plus clivant qui soit, et ce n’est que par défaut que vous échappez à ce danger. Ainsi, s’agissant des demandeurs d’asile, je ne vois rien de nouveau dans le projet de loi de finances, alors que la France est l’un des premiers pays d’accueil en Europe. Vous ne faites que suivre le rythme, incontestablement soutenu en raison de l’actualité internationale et des engagements pris par notre pays. Vous vous contentez de gérer le flux.

Non seulement les taux de progression des crédits ne varient pas entre 2012 et 2013, mais on peut relever des termes identiques d’un document budgétaire à l’autre, comme dans cet exemple : « des efforts sensibles ont été réalisés, au cours des dernières années, dans la prise en charge des CADA »… Le texte conclut d’ailleurs, et c’est tant mieux, à la nécessité de maintenir cet effort.

Nous partageons bien évidemment vos préoccupations en matière de réduction des délais de traitement des demandes : c’était également celles de vos prédécesseurs. Le rapport montre d’ailleurs l’efficacité de la convention liant l’État et l’OFPRA.

S’agissant des logements des demandeurs d’asile, vous êtes paradoxalement moins généreux que vos prédécesseurs : l’abondement annuel, qui était de 51 millions d’euros en 2011-2012, tombera à 34 millions d’euros en 2012-2013.

En bref, la France reste un pays ouvert au monde, mais vous ne faites que vous inscrire dans une continuité.

En matière d’immigration irrégulière, nous partageons les principes républicains que sont l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine et la maîtrise des flux migratoires adaptée au contexte économique de notre pays, tout en veillant à garantir en toutes circonstances la dignité humaine, notamment dans les centres de rétention. Or même si ce dossier ne se résume pas à un tableau statistique, nous sommes étonnés de ne vous voir afficher aucun objectif de résultat, au prétexte de la difficulté d’évaluer la pression migratoire. S’agit-il d’un flagrant délit de cachotterie ? Cette façon de camoufler sous de bons sentiments votre incapacité à assumer une politique est décevante et dommageable pour le pacte républicain.

Ce qui ne fait aucun doute, en revanche, c’est la baisse substantielle de l’effort financier consenti : les crédits consacrés à la lutte contre l’immigration irrégulière refluent à 76 millions d’euros, après avoir atteint 85 millions d’euros en crédits de paiement en 2012. Le risque est donc majeur de ne pas maîtriser un problème très difficile. Vous devez assumer cette charge et ne pas vous contenter de stigmatiser vos prédécesseurs.

Finalement, monsieur le ministre, ce que vous nous proposez n’est pas vraiment nouveau, dès lors que vos actes politiques sont contraints par les circonstances.

Pour finir, les décisions prises aujourd’hui au Conseil européen sont déterminantes pour la politique d’asile dans notre pays. Elles vont dans le bon sens. La question sensible de l’asile, qui pollue toute la politique du logement, et notamment du logement social, doit être examinée avec beaucoup d’attention et en adoptant une attitude républicaine. C’est ce que nous espérions déjà, avec Mme Danièle Hoffman-Rispal, lorsque nous avons travaillé, juste avant les élections, sur l’hébergement d’urgence. À cet égard, la qualité de nos débats de ce soir me donne beaucoup d’espoir.

M. Marc Dolez. Le groupe GDR regrette le choix du Gouvernement de continuer à attribuer l’ensemble des compétences en matière d’immigration, dont l’asile et l’intégration, au seul ministère de l’intérieur, alors qu’elles étaient réparties sur plusieurs ministères avant 2007. Nous souhaitons en tout cas qu’une telle décision ne traduise pas la persistance d’une conception sécuritaire de l’immigration, que nous réprouvons.

Les crédits du programme « Immigration et asile » sont en augmentation, mais nous regrettons que, pour la troisième année consécutive, les dispositifs d’urgence se voient dotés d’une part nettement supérieure à celle de l’hébergement pérenne. Nous ne comprenons pas cette logique tendant à octroyer plus de crédits aux dispositifs d’urgence, plus coûteux et moins efficaces, au détriment des dispositifs pérennes, et notamment des CADA, pourtant seuls garants de la stabilité de l’accompagnement, de la dignité et de la justice tout au long de la procédure d’asile. À cet égard, les 1 000 places dont la création est prévue cette année semblent bien dérisoires quand les associations – en particulier France terre d’asile – estiment qu’il en faudrait entre 5 000 et 10 000 de plus. Nous sommes donc soucieux de constater qu’en 2013, le dispositif d’hébergement d’urgence disposera d’une capacité d’accueil identique au dispositif pérenne, institutionnalisant ainsi l’inégalité de traitement entre demandeurs d’asile.

S’agissant de la lutte contre l’immigration irrégulière, nous prenons acte avec satisfaction de la volonté exprimée par le Gouvernement de mettre un terme à la politique du chiffre. Monsieur le ministre, vous avez annoncé en juillet l’élaboration d’une circulaire adressée aux préfets et destinée à préciser les critères à prendre en compte pour régulariser les étrangers en situation irrégulière. Pouvez-vous confirmer qu’elle sera élaborée avec les associations concernées, en particulier celles qui sont regroupées au sein de la Plateforme 12 ? Dans quel délai sera-t-elle publiée ?

Malgré la diminution du nombre de personnes placées en rétention administrative, les conditions de rétention demeurent intolérables à nos yeux. Votre circulaire du 6 juillet constitue certes une avancée, mais elle n’est pas pleinement satisfaisante, car elle n’interdit pas la rétention des enfants accompagnés de leurs parents – elle se contente de préciser que cette pratique doit devenir exceptionnelle. Par ailleurs, elle ne dit rien de la rétention administrative des enfants étrangers isolés.

Concernant le programme « Intégration et accès à la nationalité française », la diminution des crédits qui lui sont consacrés nous paraît contre-productive et inquiétante, alors que les besoins ne cessent de croître. Cela étant, nous sommes satisfaits de la volonté du Gouvernement de revenir sur la très forte réduction du nombre de naturalisations mises en œuvre depuis 2010. En particulier, la circulaire que vous avez publiée la semaine dernière pour modifier les conditions de naturalisation va dans le bon sens.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. M. Richard a raison : ces questions sont difficiles, compliquées, non seulement parce qu’elles ont été utilisées sur le plan politique depuis des années – notre pays n’est d’ailleurs pas le seul à connaître un tel phénomène –, mais aussi parce que le rapport à l’autre, à l’étranger, est un problème très ancien dans notre société. Il faut essayer d’appréhender ce problème avec justesse, dans le respect des personnes, sans stigmatiser, avec la volonté de respecter les droits, mais sans faire preuve de naïveté. Nous savons en effet ce que peut coûter à une société le fait qu’une crise économique se conjugue avec une crise identitaire et culturelle. Cela peut conduire à des incompréhensions, des rejets, des mouvements de fond qui emporteraient tous les républicains. J’appelle donc à tenir un discours de responsabilité, qui doit se traduire par des actes.

Certes, nous sommes ici pour discuter d’un budget, mais derrière les chiffres, il y a des politiques, et aussi des mots. Or les mots, dans une société en crise, peuvent compter : ils peuvent aviver les tensions ou, au contraire, les apaiser en faisant appel à l’intelligence de nos concitoyens. Il est donc de notre responsabilité d’informer et de faire œuvre de pédagogie. En disant cela, je ne cherche à donner aucune leçon.

M. Grandguillaume a, avec raison, placé son discours sous l’égide de Jean Jaurès et des notions de responsabilité, de vérité, de fermeté et de justice. C’est bien la démarche que nous essayons d’adopter.

La difficulté de ce budget, c’est qu’il touche à des questions très différentes, même si elles ne sont pas sans lien entre elles. Le choix a été fait par le Président de la République et le Premier ministre de conserver une cohérence à la politique migratoire, sous la responsabilité du ministre de l’intérieur. Je l’ai dit hier à propos de la mission « Sécurité » : il n’est pas nécessaire de défaire à tout prix ce qui a été fait, ou d’opérer systématiquement des ruptures pour être efficace, pour améliorer une politique ou faire en sorte qu’elle corresponde aux valeurs que nous jugeons essentielles. Défaire, c’est prendre le risque de perdre du temps et de faire passer des messages contradictoires, à l’intérieur comme à l’extérieur de notre pays. Nous ne voulions pas prendre cette responsabilité. C’est aussi une question de cohérence.

Monsieur Dolez, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire aux associations, je n’admets pas que le ministère de l’intérieur soit perçu uniquement comme celui de la police et de la répression. La police et la gendarmerie assument, certes, l’ordre républicain, car sans cet ordre il n’y a ni progrès social, ni droits, ni possibilité de vie commune. Qui, sinon les policiers et les gendarmes, pourrait assurer la régulation des flux migratoires ? Voulez-vous que ce soient les élus, les associations, les gardes champêtres, les curés ? Soyons sérieux ! C’est aux forces de l’ordre d’assumer pleinement ces responsabilités. Mais le ministère de l’intérieur c’est aussi le ministère des droits, et c’est sous le régime de la loi et de la Constitution qu’agissent ses fonctionnaires. Je le dis avec fermeté, car j’en ai assez de cette vision répressive du ministère de l’intérieur. Cette position fait l’objet d’un débat au sein de la gauche, mais pour ma part, je l’assume.

M. Marc Dolez. Vous avez un héritage aussi !

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. C’est un autre héritage que je revendique. Vous le savez bien, monsieur Dolez, ceux qui ont gouverné à gauche depuis 1981 n’ont jamais failli quand il s’est agi de maintenir l’ordre. Mais l’héritage ne fait pas non plus des policiers et des gendarmes des sarkozystes en puissance. Il y a une continuité – et je l’assume – dans le choix de garder la politique migratoire et d’asile, et celle d’intégration et de naturalisation sous la responsabilité des préfets. Ces derniers sont des hauts fonctionnaires qui ont souvent été maltraités ; et s’ils assument une ligne politique, c’est au nom de l’intérêt général et de l’État de droit.

Il s’agit de débats compliqués, et beaucoup de questions techniques ont été soulevées.

Monsieur Larrivé, vous dites que la France a le droit de choisir qui elle doit accueillir sur son territoire. Ayant d’autres références, je préférerais, pour ma part, citer – en entier – la fameuse phrase de Michel Rocard, mais d’une certaine manière, je pourrais faire écho à votre remarque : oui, la France en a le droit, dans le respect de la loi républicaine et des conventions européennes et internationales qui régissent l’immigration et le droit d’asile. La loi républicaine doit être claire, et s’appliquer de manière égale pour tous, dans la dignité et le respect des personnes.

Je constate que vous êtes d’accord avec moi quand je suis moi-même d’accord avec mes prédécesseurs, mais en désaccord quand j’introduis un changement. Vous m’accusez de ne pas assumer les reconduites à la frontière, mais je vous mets en garde contre ce qui n’est qu’un procès d’intention. Le Président de la République a promis de lutter avec fermeté et rigueur contre l’immigration clandestine, s’attaquant avant tout à ceux qui l’organisent. Dans le cadre de cette politique de lutte contre l’immigration irrégulière, j’effectue des reconduites à la frontière ; je procède et je procéderai à des éloignements dans le respect du droit. Je ne fais pas de course au chiffre, mais le nombre de reconduites à la frontière réalisées en 2012 sera supérieur à celui de 2011. Le débat serait plutôt de savoir qui on reconduit ; en l’occurrence, il s’agit souvent de populations européennes, ce qui a également permis d’augmenter ce chiffre.

C’est non pas depuis le 15 mai, comme vous l’affirmez, mais depuis le mois de mars que les éloignements sont en diminution. Étant au pouvoir, vous aviez en effet refusé d’appliquer les recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne sur la suppression des gardes à vue des étrangers en situation irrégulière. Les juges, eux, ont commencé à appliquer cette décision par anticipation, avant même notre arrivée au pouvoir, et encore plus quand un premier avis de la Cour de cassation l’a confirmée début juillet. Un texte de loi créant un mécanisme de retenue pour vérification du droit de séjour est en cours d’examen au Sénat ; mais ce mécanisme aurait dû être anticipé avant, son absence étant l’une des raisons de la baisse des reconduites à la frontière.

À l’aide de ce nouveau mécanisme – qui doit encore être débattu et voté par le Parlement – ce Gouvernement et le ministre de l’intérieur que je suis ont la volonté de mener une politique humaine, juste, respectueuse du droit, mais très ferme concernant les reconduites à la frontière. Il n’y aura pas non plus de régularisations massives des sans-papiers ; nous préparons actuellement une circulaire allant dans ce sens et aurons aussi l’occasion d’en débattre. Cette politique est celle du Président de la République et du Premier ministre, et je l’applique sans réserve. Ces sujets ont été tellement exploités depuis quelques années que la confusion pointe dès que le débat ne respecte pas la bonne foi, les chiffres. J’espère avoir clarifié ce qu’est le fond de notre politique dans ce domaine.

J’en viens aux questions des rapporteurs. La situation relative à l’hébergement des demandeurs d’asile, qu’ont évoquée M. Grandguillaume et Mme Dagoma, n’est pas satisfaisante. Des efforts ont été faits dans le passé, notamment en matière de création de places dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA. La politique d’asile n’est pas une variable d’ajustement de la politique d’immigration, même si cette dernière doit parfois s’occuper des déboutés du droit d’asile. Je n’ai pas pu me rendre au conseil « Justice et affaires intérieures », au Luxembourg, mais nous avions anticipé ses décisions avec mon homologue allemand à l’occasion de notre rencontre à Berlin il y a deux jours. Le droit d’asile est aujourd’hui détourné par certains ressortissants des pays qui ont récemment bénéficié d’une libéralisation du régime des visas, ce qui engendre des difficultés importantes. M. Grandguillaume connaît parfaitement le sujet puisque dans tout l’est de la France, les villes, les structures de l’État et les associations font face à un afflux de demandes d’asile.

Cependant, la sous-dotation structurelle des crédits d’hébergement d’urgence place les préfets dans une situation très difficile. L’absence de visibilité sur les crédits les empêche de passer des contrats avec les structures d’hébergement dans de bonnes conditions. Pour le budget 2013, j’ai obtenu deux arbitrages importants : d’une part, la création de 1 000 places supplémentaires en CADA, bon début lorsque l’on sait qu’aucune place nouvelle n’avait été ouverte depuis plus de deux ans, alors que le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de près de 25 % durant la même période ; d’autre part, un rebasage des crédits d’hébergement d’urgence de 35 millions d’euros qui permet enfin d’ajuster la dotation à la réalité de la dépense. Si la demande d’asile n’augmente pas de façon imprévue – l’hypothèse inverse n’est malheureusement pas à exclure –, nous pourrions sortir de l’insincérité budgétaire qui complique la gestion des dispositifs au plan local.

La diminution des délais d’examen des demandes d’asile est la priorité du Président de la République, que je mets en œuvre. Début 2013, des effectifs supplémentaires seront pour cela recrutés à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Dans ces conditions, la durée de séjour en CADA devrait être réduite, ce qui entraînera un turn-over plus important et donc une capacité d’accueil accrue en CADA, au-delà des 1 000 places créées. J’ai bien entendu les remarques formulées sur les coûts respectifs des deux systèmes et l’avantage économique de l’hébergement en CADA – au demeurant pas toujours vérifié car il dépend de la composition de la famille du demandeur d’asile hébergé, et notamment de la présence ou non de mineurs. Je suis prêt à examiner en cours d’année, en fonction de la situation en CADA et de l’hébergement d’urgence, avec ma collègue Cécile Duflot, une éventuelle substitution de crédits entre les deux dispositifs, à coût constant, au bénéfice de création de places supplémentaires en CADA. Cette évolution devra être validée au niveau interministériel, en association avec le Parlement.

Une autre question concerne l’utilité de conserver tous les centres de rétention administrative. Le taux d’occupation des CRA est de 52,5 % sur les neuf premiers mois de l’année 2012, en très légère augmentation par rapport à la même période de 2011 ; il était de 46 % pour le seul mois de septembre. Ces taux – liés aux décisions de la Cour de cassation sur la garde à vue – peuvent conduire à s’interroger sur le maintien du nombre de places qui s’élève aujourd’hui à 1 672. Je ne suis pas fermé à cette réflexion, mais il faut tenir compte des éléments plus qualitatifs : certains CRA peuvent être ponctuellement indisponibles, suite à des dégradations, comme actuellement à Bobigny, à des destructions, comme dans le passé à Vincennes, ou à des travaux. La capacité d’accueil en CRA doit donc toujours prévoir une marge pour faire face à des besoins imprévus. Au-delà de la simple capacité d’hébergement, il faut aussi prendre en considération le maillage territorial. Pour que les procédures d’éloignement se déroulent dans des conditions satisfaisantes et respectueuses des droits, les CRA ne doivent pas être trop éloignés des lieux d’interpellation. Il ne faudrait pas que, comme cela a pu se faire dans le passé, faute de CRA à proximité ou disponible, les retenus soient mélangés aux gardés à vue dans des commissariats de police. Enfin, et avant toute décision de fermeture de CRA, il importe d’avoir stabilisé la réflexion sur l’articulation entre rétention et assignation à résidence, tout en tenant compte de la décision de la Cour de cassation, de la nouvelle loi à venir, et des évolutions européennes en matière de rétention qu’il nous faudrait anticiper – je compte, mesdames, messieurs les députés, sur vos conseils et sur votre travail à cet égard.

S’agissant du marché de l’assistance juridique évoqué par M. Grandguillaume, en vigueur depuis 2010, décomposé en huit lots et confié à cinq associations, il arrive à son terme à la fin de cette année. Les modalités de poursuite de cette action sont en cours d’examen et, avant de lancer un nouveau marché pluriannuel, je souhaite que la réflexion menée par nos services sur l’articulation entre rétention et assignation à résidence soit stabilisée.

Lorsque je me suis rendu en Roumanie en septembre dernier, en compagnie de Bernard Cazeneuve et de Dominique Raimbourg, tous mes interlocuteurs – ministres comme associations et ONG proches des populations roms – m’ont dit que notre système d’aide au retour humanitaire, qui coûte chaque année environ 3 millions d’euros, était inadapté, voire idiot, et qu’il avait un effet incitatif au départ pour les populations qui viennent en France. Nous sommes en train d’évaluer cette question ; je souhaite qu’elle soit traitée dans le cadre du groupe de travail mis en place au niveau européen à notre demande et accepté par la commissaire Viviane Reding, qui réunit les pays d’accueil comme les pays d’origine. S’il nous faut décider rapidement des orientations à adopter, nous devons nous garder de toute rupture brutale, car cette aide permet aussi les reconduites à la frontière et en y mettant fin, même pour de bonnes raisons, nous risquons de mettre en péril leur déroulement. Dans ce domaine délicat, il nous faudra nous appuyer sur les expériences et les possibilités disponibles ; je ne fais pour ma part qu’indiquer la direction que nous devrons prendre.

M. Alain Christnacht est revenu il y a quelques semaines d’une longue mission à Mayotte et aux Comores que le ministre des affaires étrangères et moi-même lui avions confiée. Le contexte local est celui d’une grande misère ; votre collègue Bernard Lesterlin qui connaît parfaitement le sujet peut témoigner du nombre de morts par noyade entre les Comores et Mayotte. Le CRA de Mayotte ne répond pas, en l’état, aux exigences en termes de conditions d’accueil, et son relogement est pour moi une priorité. Des travaux d’aménagement et de rénovation des locaux actuels, pour un coût de 400 000 euros, permettront avant la fin de l’année de doter le centre de trois salles dédiées respectivement aux femmes, aux familles et aux hommes, et de réaménager le poste de garde. Un nouveau CRA de 136 places, conforme aux normes d’espace et d’équipement, pourvu d’une zone d’attente de douze places et de locaux dédiés à la police aux frontières, la PAF, sera livré en 2015. Le projet est évalué à 25 millions d’euros. Le marché a été notifié le 18 septembre dernier et le début du chantier est prévu pour le printemps 2013.

L’accélération des procédures de traitement des demandes d’asile à l’OPFRA est un engagement du président de la République. Comme l’ont rappelé M. Geoffroy et Mme Chapdelaine, j’ai obtenu un renforcement des effectifs de l’Office, 10 officiers de protection devant être recrutés dès le début de l’année prochaine – chiffre non négligeable dans un contexte financier difficile. Ces mesures doivent permettre de diminuer le délai d’examen des dossiers à l’OFPRA, qui se situe déjà légèrement en dessous de six mois, alors qu’il était passé de 100 jours en 2008 à plus de 180 jours en 2011. Mais l’obtention de résultats dépend aussi de l’évolution de la demande d’asile, difficile à prévoir.

Il est vrai, monsieur Geoffroy, que le Président de la République a souhaité faire diminuer de manière significative les délais de traitement des demandes d’asile, l’objectif étant de passer de dix-huit à six mois. Mais ces délais ne dépendent pas uniquement de l’OFPRA ; le travail de la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, prend également beaucoup de temps. Le président Sauvé, avec lequel je me suis entretenu, est conscient de l’effort que chacun doit faire, mais l’objectif de réduire le délai à neuf ou huit mois me paraît plus raisonnable que celui de six mois. Ce serait déjà un progrès important, étant donné la complexité de certains dossiers.

Madame Dagoma les crédits du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » diminueront en effet de 7,5 % en 2013, passant de 71,6 millions à 66,2 millions d’euros. Cette diminution est conforme à la norme d’évolution des crédits d’intervention décidée par le Premier ministre. Néanmoins, en tenant compte de la hausse des fonds de concours européens, la baisse des crédits est limitée à 3,5 %. Cette évolution ne traduit pas un désintérêt pour la politique d’intégration des étrangers sur notre territoire, mais rend nécessaire un recentrage sur les priorités. L’essentiel de la politique d’intégration est porté par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dont le budget atteint 188 millions d’euros en 2012, soit près du triple des crédits du programme 104. La baisse de ces derniers affecte la subvention de l’État à l’OFII, principalement financé par les taxes, et à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration pour laquelle le ministère n’est qu’un contributeur parmi d’autres. Le budget de l’OFII pour 2013 préserve cependant les actions relatives à l’apprentissage du français à leur niveau de 2012. Les actions d’intégration des étrangers en situation régulière diminuant pour leur part de 3,2 millions d’euros, je souhaite les réorienter vers les étrangers arrivés récemment, pour financer en priorité l’apprentissage de la langue et l’accompagnement des familles primo-arrivantes vers une meilleure connaissance de l’école. Enfin, j’ai tenu à ce que les actions d’intégration des réfugiés soient sanctuarisées.

Nous pourrons revenir dans un autre contexte sur les grands axes de la politique du Gouvernement en matière d’intégration ; je me contente de signaler que le Premier ministre a confié au conseiller d’État Thierry Tuot une mission de réflexion sur la notion d’intégration et sur le portage administratif de la politique qui y est attachée. Nous aurons également l’occasion de reparler du projet de loi qui devrait être déposé au premier semestre 2013, visant à créer un titre de séjour pluriannuel susceptible de donner davantage de stabilité et de visibilité à ses titulaires.

Dans son arrêt du 27 septembre, la CJUE a considéré que les conditions d’accueil devaient être ouvertes aux demandeurs d’asile dont le dossier a vocation à être traité par un autre État membre en vertu du règlement de Dublin. Cela implique un hébergement d’urgence jusqu’au transfert effectif des demandeurs, alors que cet hébergement leur est ouvert actuellement jusqu’au mois suivant la décision d’admission, et l’ouverture de droits à l’allocation temporaire d’attente. Comme vous l’avez noté, l’impact financier sur les dépenses d’ATA de cette décision, intervenue après les arbitrages budgétaires, n’a pas été intégré dans le projet de loi de finances pour 2013 ; la France devra néanmoins respecter ses obligations. Une mission d’inspection doit se pencher très prochainement sur les modalités de gestion de l’ATA pour en identifier les marges d’amélioration, dans le respect des obligations légales de versement.

Monsieur Mennucci, nous avons décidé de modifier le dispositif d’accès à la nationalité française. Comme vous l’avez rappelé, ces dernières années, l’accès à la nationalité française a été entravé, ce qui s’est traduit par une baisse significative des naturalisations. La volonté du Gouvernement est de changer la donne, pour refaire de l’accès à la nationalité un moteur puissant de l’intégration.

Il ne s’agit pas d’ouvrir un grand débat sur la nationalité. Au cours de la législature précédente, j’ai présidé une mission sur la nationalité dont M. Goasguen était le rapporteur, et notre première audition fut celle de Pierre Mazeau. Cet ancien président du Conseil constitutionnel avait également été un parlementaire éminent, président de la Commission des lois à l’époque de la Commission Marceau Long que vous avez évoquée. C’est fort de toute sa sagesse qu’il nous a alors conjurés de ne plus toucher au droit de la nationalité. Ce type de débat – comme celui sur l’identité nationale, il y a deux ans – déchire la société française, et nous n’en ouvrirons pas de nouveau. Un cadre juridique existe, auquel Mme Guigou a beaucoup contribué comme garde des sceaux ; son application est assurée par des circulaires, comme celle que j’ai récemment signée – et vous en conviendrez, monsieur Larrivé, il y a quand même une différence entre une circulaire signée d’un ministre et un mail non signé.

Tout cela implique un travail important qui ne peut pas s’accomplir en quelques semaines. Une mission d’inspection qui examine en ce moment l’ensemble du dispositif pour me faire des propositions d’évolution, y compris d’évaluation organisationnelle, me remettra son rapport à la mi-novembre ; vous-mêmes, parlementaires, effectuez également un travail de qualité sur ces questions. Mais nous avons souhaité parer à l’urgence en revenant sur les critères les plus discriminants – le temps de présence sur le territoire national, l’âge, la détention d’un CDI – à l’origine de près de 70 % des refus de naturalisation. Soyez rassurés, avec les nouveaux critères, les futurs naturalisés seront de bons Français, et non des « Français au rabais » comme certains l’ont prétendu. Qui peut douter un seul instant de la volonté de ces personnes de s’intégrer dans notre société et d’être des citoyens faisant vivre nos valeurs ? Il s’agit de respecter les droits et les devoirs de chacun : si le Premier ministre a décidé l’abandon du QCM, nous maintenons le niveau d’exigence de maîtrise de la langue française, à laquelle je suis très attentif, ainsi que le principe d’une attestation, qui devient gratuite. Au total, je souhaite mener un travail ambitieux en matière de naturalisation, sans engager de polémique, mais en essayant de corriger le dispositif pour le rendre juste, transparent et efficace.

Vous avez évoqué la création de plateformes interdépartementales pour l’examen des dossiers de naturalisation. Je n’exclus pas de proposer en effet la mise en place d’une nouvelle organisation qui contribuerait à rendre le dispositif plus juste et plus transparent, qui simplifierait le traitement des dossiers tout en restant réaliste et compatible avec les moyens dont disposent les préfectures. Le cas échéant, j’examinerai la proposition de création de ce type de plateformes fondé sur le principe de la professionnalisation et de la mutualisation des pratiques des agents des préfectures. Toutefois, une telle mutualisation peut parfois soulever des problèmes s’agissant notamment des demandeurs d’asile, comme M. Grandguillaume le sait fort bien. Quoi qu’il en soit, nous tirerons tous les leçons de l’examen que nous nous apprêtons à réaliser.

Les conditions d’accueil des étrangers en préfecture, monsieur Grandguillaume, madame Dagoma, doivent en effet être satisfaisantes tant sur le plan du confort que de la discrétion. Il faut prendre sans tarder des mesures concrètes en ce sens. Cela constitue d’autant plus une priorité que la situation demeure inacceptable dans nombre de départements. Les personnes concernées attendent trop longtemps, elles sont parfois refoulées, des trafics se développent même pour accéder à la préfecture. C’est inacceptable ! Lorsque j’habitais en face de la préfecture de l’Essonne, j’ai été témoin de pareilles situations dont sont victimes, je le rappelle, des étrangers en situation régulière.

Les contraintes auxquelles nous sommes confrontés sont connues. La demande d’accueil s’est stabilisée depuis quelques années à un point haut avec près de 800 000 titres délivrés par an et 4,5 millions de réceptions aux guichets. Le nombre des étrangers accueillis augmentera toutefois puisque la biométrisation des titres oblige ces derniers à se déplacer en personne au guichet pour prendre leurs empreintes. Autre conséquence : le transfert en préfecture et en sous-préfecture de l’accueil réalisé jusqu’ici par les mairies ou les universités. C’est dans ce contexte que j’ai demandé là aussi à l’Inspection générale de l’administration de remettre un rapport faisant un point objectif de la situation et proposant des pistes d’amélioration.

S’agissant de la communication au Parlement des taux de décisions défavorables et des motifs sur lesquels elles se fondent, comprenez-moi, monsieur Mennucci : en mettant immédiatement fin aux critères les plus discriminants, je ne souhaite pas entrer dans une politique du chiffre ; je veux redonner à la France, sous l’autorité du Président de la République, des raisons d’être fière de son histoire et de ses valeurs. La chute du nombre de naturalisations que nous connaissons et sur laquelle vous avez insisté résulte d’une politique de repli. C’est précisément cela que nous voulons changer. Je veillerai à l’application de la première circulaire que j’ai envoyée aux préfets comme à celle de la circulaire cadre qui sera élaborée au début de l’année prochaine.

L’indicateur du nombre de refus n’est à cet égard pas suffisant. Il convient d’en analyser les motifs, travail forcément lourd et compliqué. Je me suis prononcé en faveur de la transparence du dispositif et, là encore, j’examinerai avec beaucoup d’attention votre proposition.

Messieurs Geoffroy et Ciotti, j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer les questions de l’intégration des politiques d’immigration dans le périmètre du ministère de l’intérieur, du délai d’examen des dossiers à l’OFPRA et à la Cour nationale du droit d’asile, ainsi que des moyens déployés.

S’agissant de la vacance du poste de directeur général de l’OFPRA, Laurent Fabius et moi-même proposerons dans quelques jours aux Commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat le nom d’un candidat que nous avons choisi pour que vous l’auditionniez. Il est en effet très important que l’OFPRA ait un directeur et il n’est pas question de réaliser des économies sur ce type de poste. Compte tenu des enjeux à venir, nous voulions choisir quelqu’un qui ait un profil d’organisateur et de diplomate. Je ne peux que vous assurer de ses grandes capacités.

Monsieur Dolez, le Président de la République, au cours de la campagne électorale, s’est engagé à fixer plus précisément les critères ouvrant droit à la délivrance d’un titre de séjour. En effet, d’aucuns peuvent avoir le sentiment que la politique menée est arbitraire en constatant les différences existant à ce propos d’un département à l’autre. J’ai donc demandé à mon cabinet et aux services du ministère d’engager la rédaction d’une circulaire en concertation avec les organisations syndicales et le milieu associatif - dont j’ai reçu personnellement les représentants - afin de clarifier les éléments d’appréciation à prendre en compte lors de l’examen par l’autorité administrative compétente.

Les catégories visées par la circulaire seront les parents d’enfants scolarisés, les jeunes majeurs et les étrangers pouvant faire valoir des considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels, notamment en raison de leur insertion professionnelle. La circulaire précisera les modalités d’appréciation de la durée de séjour mais, à ce stade, nous ne sommes pas encore entrés dans le détail. Il conviendra, ensuite, que le demandeur prouve son insertion dans la société française ainsi qu’une maîtrise orale minimale de notre langue et manifeste son respect des valeurs de la République. Les parents d’enfants scolarisés devront quant à eux prouver qu’ils assurent effectivement la charge qui leur incombe dans le suivi de la scolarité de leurs enfants. Comme vous le savez, l’engagement des parents auprès des enfants dans le cadre de la vie scolaire pendant plusieurs années constitue une preuve satisfaisante d’intégration sociale.

Pour les étrangers qui feront état de motifs exceptionnels ou de considérations humanitaires, il sera tenu compte de leurs capacités à s’insérer professionnellement, en application de l’un des articles du CESEDA. Le champ de l’admission exceptionnelle au séjour par le travail sera quant à lui ouvert à tous les métiers, la procédure de régularisation par le travail n’étant plus limitée aux titulaires d’un contrat de travail dont le métier est listé par arrêté ministériel. Pour les jeunes mineurs devenus majeurs, la circulaire soulignera sans doute l’importance de prendre en considération non seulement les liens personnels et familiaux tissés en France, mais aussi le parcours de réussite scolaire et universitaire.

La circulaire sera publiée dans le courant du mois de novembre et consacrera l’engagement de François Hollande de formuler des règles claires et appliquées de façon égale pour tous et partout. En fixant des critères, elle permettra de régulariser beaucoup d’étrangers, comme c’est déjà le cas du reste – 30 000 sont régularisés tous les ans –, mais il y aura aussi des reconduites à la frontière. Cela signifie donc qu’il n’y aura pas de régularisation massive. Je l’ai déjà dit : cette politique ne se traduira pas par des évolutions sensibles en termes de chiffres, s’agissant tant des régularisations que des reconduites à la frontière. Telle est la volonté du Gouvernement. Personne ne peut en douter : nous serons extrêmement fermes. Nous sommes, en effet, dans une situation économique et sociale où il faut être très prudent. Nous ne pouvons pas nous permettre de promouvoir des politiques qui ne seraient ni acceptables ni acceptées par nos compatriotes.

M. Pierre-Alain Muet, président. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour ces réponses détaillées et complètes.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie également, monsieur le ministre, pour la clarté et la précision de vos réponses qui montrent que vous avez une ligne et tenez un cap, ce qui est évidemment essentiel. Je partage les orientations dont vous venez de faire état, lesquelles illustrent une certaine continuité non seulement avec la politique de gouvernements dont j’ai jadis fait partie, mais aussi avec certaines politiques menées, ce qui est une bonne chose.

Les politiques dont vous avez la charge ont une dimension européenne importante, que ce soit en matière d’immigration ou d’asile. De ce point de vue-là, la qualité des politiques européennes mises en œuvre s’est accrue, de même que les processus d’intégration, mais la pression à laquelle nous sommes confrontés s’est aussi accentuée.

La principale porte d’entrée de l’immigration clandestine se situe à la frontière gréco-turque. La Grèce, pour toutes sortes de raison, éprouve les plus grandes difficultés à contrôler cette frontière extérieure de l’Union européenne. Le système européen hérité de Schengen et d’autres traités repose sur la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace européen, ainsi que sur un contrôle vigilant des frontières extérieures. Comment évaluez-vous le mécanisme européen de responsabilité et de solidarité auquel chaque État membre est soumis, lequel se manifeste à travers les fonds de concours intégrés dans cette mission budgétaire ? Est-il équitablement partagé ?

L’Europe ayant l’intention de développer un partenariat avec les pays d’immigration, notamment suite au printemps arabe, quelles sont vos priorités en la matière ?

Les politiques européennes du droit d’asile devraient être communes. De nouvelles intentions ont été formulées en ce sens et un calendrier a semble-t-il été fixé pour qu’un « paquet » de directives et de règlements nouveaux créant un tel régime commun soit adopté avant la fin de cette année. Ce calendrier vous paraît-il raisonnable ? Là encore, quels axes prioritaires entendez-vous développer ?

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. L’intérêt des questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre, est un peu obéré par la précision et l’étendue de vos réponses. Je me contenterai donc de vous demander d’approfondir certaines de celles que vous avez apportées.

Vous avez en mémoire les polémiques et les difficultés qui se sont fait jour lorsque le gouvernement précédent a quasiment fermé l’accès aux CRA. Comment jugez-vous le travail des cinq associations qui interviennent en matière d’accompagnement social, d’aide à l’information et d’exercice des droits des personnes retenues ? Qu’en est-il des définitions des modalités de l’appel d’offres ? Dans quelles conditions envisagez-vous la mise en œuvre des dispositifs d’assignation à résidence actuellement à l’étude ?

Le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) de M. Arnaud Bernard et Mme Hoffman-Rispal qui avait été rédigé parallèlement à celui de la Cour des Comptes montre, s’agissant des problèmes de logement, d’hébergement d’urgence et de CADA, que nous sommes confrontés à un véritable goulot d’étranglement. La lente augmentation des places, y compris pour des raisons techniques, génère une véritable embolie. Entre les personnes qui peuvent bénéficier des logements d’urgence mais qui n’en trouvent pas et celles qui, faute d’avoir obtenu le statut de demandeur d’asile, ne sortent pas très rapidement des CADA, on mesure l’ampleur des difficultés. Conséquence encore plus grave d’une telle situation : les offres d’hébergement d’urgence sur les territoires, indépendamment du statut des réfugiés et des demandeurs d’asile, sont réduites à la portion congrue. Dans certains départements, après le mois de novembre, on n’en dénombre même plus aucune. Comment faire pour éviter d’avoir a gérer dans l’urgence de telles situations ? Alors que des familles vont de squat en squat, que l’on confond des personnes qui ont des papiers avec celles qui n’en ont pas et que l’offre de logement est totalement fermée, les difficultés rencontrées sont grandes. Une réflexion soutenue sur les enjeux du logement ne pourrait-elle pas être menée conjointement par les ministères du logement, de la cohésion sociale et de l’intérieur ? Je me permets de rappeler que la situation actuelle se traduit par un coût d’hébergement de 1 million d’euros par jour, soit 365 millions d’euros par an : c’est une somme supérieure à l’investissement en faveur de l’aide à la pierre réalisé par le précédent gouvernement !

Enfin, ne pourrait-on pas résoudre le problème des CADA en nouant des partenariats avec Adoma, dont je tiens à souligner les difficultés, en réformant la démarche de cette institution ? Une révision des stratégies d’abandon de patrimoine que nous avons connues ces dernières années pourrait sans doute être aussi engagée afin de proposer des offres nouvelles.

Je suis très satisfait du contenu de la circulaire que vous venez d’annoncer, monsieur le ministre. Les conditions dans lesquelles les décisions interviennent seront enfin mises à plat et leur légitimité, qu’il s’agisse de reconduites à la frontière ou d’informer les demandeurs de la nature des décisions appliquées, en sera confortée.

M. Philippe Goujon. Je vous ai écouté avec beaucoup d’attention, monsieur le ministre. Comme vos prédécesseurs, vous essayez d’associer fermeté et humanité dans un domaine particulièrement difficile. Je crains, toutefois, que cet équilibre ne soit rompu.

En effet, j’ai du mal à croire que, comme vous le dites, vous parviendrez à maintenir un haut niveau de reconduites à la frontière d’étrangers clandestins – 33 000 en 2011 alors que l’objectif du précédent gouvernement était d’atteindre 40 000 en 2012. Aujourd’hui, à Paris, les interpellations d’étrangers sans papier ont chuté de 50 %. Le taux d’occupation des CRA, quant à lui, a baissé de 65 % au mois de mars 2012, de 57 % au mois d’avril, de 55 % au mois de mai, de 48 % au mois de juin, de 41 % au mois de juillet et d’environ 35 %, dit-on, au mois de septembre. La situation n’est donc pas tout à fait la même que sous la précédente majorité. Il y a quelques semaines, on nous a indiqué qu’au CRA du Mesnil-Amelot, le plus grand de France, seules 90 places sur 240 étaient occupées.

Nous sommes très inquiets, car vous ne fixez aucun objectif chiffré. Nous voulons bien vous croire et ne pas vous faire de procès d’intention quand vous dites que le taux de reconduites à la frontière sera supérieur cette année, mais vous ne fixez aucun objectif chiffré pour des raisons de fond.

Vous augmentez de 24 % les crédits de prise en charge de demandeurs d’asile, mais pas ceux consacrés aux reconduites à la frontière. Vous prônez la fermeté dans vos discours, je vous en donne acte de façon républicaine, mais vous assouplissez les critères de régularisation au risque de provoquer une vague massive d’immigration, comme nous l’avons connue sous le Gouvernement Jospin avec les 80 000 régularisations de 1998. Si votre circulaire rassure nos collègues de gauche, elle nous inquiète en revanche au plus haut point.

Favoriser l’intégration ne me semble pas compatible avec l’ouverture tous azimuts des naturalisations – même si la formule est un peu forte – auxquelles vous procédez en abaissant le niveau d’exigence de connaissances de notre langue, de notre culture, de notre histoire, en abandonnant la condition d’insertion professionnelle durable – suppression du critère de CDI –, en divisant par deux la durée de présence en France, etc. Peut-être ne s’agit-il d’ailleurs là, si je me reporte à des journaux du matin, que de compenser le report du droit de vote des étrangers aux calendes grecques…

Vous voulez inciter les ressortissants des pays d’Europe de l’Est, en particulier les Roms, à repartir dans leur pays en démantelant leurs campements – je constate ce soir encore que les choses vont dans le bon sens puisqu’un charter a été affrété à Lille pour organiser le retour, il est vrai volontaire, de 179 Roms roumains. À la fin du mois de septembre, le nombre d’expulsions sera de 7 000, mais il n’en reste pas moins que vous ouvrez le droit au logement et à l’emploi à cette population alors que nous battons des records de chômage. De plus, quels types de logements pourront-ils être mis à sa disposition ?

Vous savez également que la délinquance des ressortissants de l’Europe de l’est, concentrée sur des faits de vols et de mendicité agressive, n’a cessé de croître. Ǎ Paris, elle est en hausse de 78 % et était en 2011, pour 60 %, le fait de mineurs. Il y a bien trouble grave à l’ordre public. Le chiffre est terrible : un déferrement sur dix à la justice, à Paris, concerne désormais un migrant roumain. Certains d’entre eux sont interpellés vingt, trente, cinquante fois en flagrant délit et la justice peine à les dissuader de récidiver. Leur présence a même suscité récemment l’exaspération des Marseillais – je parle sous le contrôle de M. Mennucci. Quels moyens comptez-vous donc mettre en œuvre pour lutter contre cette délinquance de masse alors que le seul geste significatif auquel nous avons récemment assisté à Paris est la suppression des arrêtés anti-mendicité sans qu’ils aient été remplacés par un autre dispositif ?

Pouvez-vous donner de plus amples informations sur les résultats de votre déplacement en Roumanie dans le but – et nous sommes d’accord avec vous si tel est bien le cas – de développer efficacement l’aide au retour et de réintégrer cette population dans son pays d’origine en liaison avec l’Union européenne ?

Enfin, je note que l’aide au développement ne figure plus dans les crédits de votre ministère.

M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis de la Commission des lois. Des collègues ont souligné que les questions relatives à la naturalisation relevaient désormais du seul ministère de l’intérieur. Je m’en suis également fait la remarque, mais je me suis forgé une conviction suite aux différentes auditions auxquelles j’ai assisté. Peu importe, en fait, le ministère qui a la main en la matière : le problème, ce sont les orientations politiques défendues. Il serait possible, par exemple, d’imaginer une Chancellerie extrêmement sévère et un ministère de l’intérieur qui agirait comme il le fait aujourd’hui. Poser la question de cette manière, c’est donner le sentiment que notre conception du ministère de l’intérieur s’inscrit non pas dans celle que nous avons de l’action gouvernementale, mais dans ce qui se dit ou dans l’image que l’on peut avoir de la police. Je crois, quant à moi, que la politique change les choses. Ce qui compte, c’est la façon dont on applique une politique et non le ministère auquel on appartient. Prétendre qu’il en est autrement peut même être blessant. Je le dis d’autant plus volontiers que, je le répète, j’ai pu partager le point de vue qui a été exprimé avant d’examiner la façon dont les choses se sont passées et de comprendre, grâce à Manuel Valls et aux directives qui ont été prises, que ce n’est pas tant la question du ministère qui importe que celle de l’orientation politique.

M. Marc Dolez. Je ne voulais ni irriter M. le ministre ni blesser M. Mennucci, mais nous aurions préféré revenir à la répartition des compétences d’avant 2007. De plus, comme je l’ai dit au ministre, le Gouvernement ne doit pas confirmer la conception sécuritaire de l’immigration qui était celle du précédent Gouvernement. Mais j’ai cru comprendre, en l’écoutant, qu’il ne la confirmerait pas.

M. Manuel Valls, ministre de l’Intérieur. La situation à la frontière de la Grèce et de la Turquie est en effet préoccupante, même si la Grèce, avec le soutien de l’Union européenne, a commencé à assumer ses responsabilités dans une situation très difficile. Nous cherchons à obtenir de l’aide de la part de la Turquie. Ce pays a ainsi signé une convention de coopération technique avec la Grèce sous l’égide de l’agence Frontex, laquelle est évidemment soutenue par la France. La situation demeure néanmoins très fragile et la pression migratoire est très forte à la frontière gréco-turque, comme dans l’ensemble des Balkans. Nous travaillons aussi avec la Roumanie et la Bulgarie afin de les aider à renforcer leurs frontières. Des missions ont lieu ; la Commission européenne émet des avis ; les accords de Schengen soulèvent de nombreux débats qui se poursuivront dans les mois à venir. Nous sommes allés trop vite en intégrant la Roumanie et la Bulgarie, d’où les incontestables défis et problèmes auxquels nous sommes confrontés.

S’agissant des directives relatives à l’asile, le calendrier prévu pour la fin de l’année 2012 est réaliste pour une partie des textes en discussion. Il est plus incertain pour la directive procédure, qui nécessitera deux mois supplémentaires de travail à la Commission, au Parlement et au Conseil JAI, mais l’idée est de la boucler pour le début de l’année 2013.

Certes, les débats sur le nouveau système d’asile européen ont parfois été complexes, car les visions de la Commission et du Parlement, d’un côté, et du Conseil JAI, de l’autre, n’ont pas toujours été semblables. Mais il est clair qu’une adaptation des règles est nécessaire. Ce sera le cas pour l’OFPRA, avec l’entretien en présence d’une tierce personne, et pour l’agence européenne chargée de l’asile, mise en place depuis deux ans, qui aura un rôle d’appui.

La responsabilité et la solidarité seront au cœur de ces nouveaux dispositifs avec les deux pôles du système européen, le projet pilote de réinstallation des réfugiés présents à Malte et les fonds européens. Le plan d’action pour la Grèce en est l’illustration avec la réforme indispensable du système d’asile dans ce pays.

La responsabilité et la solidarité impliquent également d’assumer la reprise des demandeurs d’asile dans les pays d’entrée, conformément au règlement de Dublin. C’est aussi mettre en place un système d’alerte précoce pour éviter que ne se reproduise la situation de la Grèce : il s’agit de déclencher très tôt un programme d’appui lorsque la situation d’un État membre devient critique par rapport à ses obligations.

Monsieur Goujon, monsieur Larrivé, cette politique ne s’inscrit pas toujours dans la continuité de mes prédécesseurs, mais il était important de faire passer le message, au premier Conseil JAI, que la France ne sortirait pas et ne menaçait pas de sortir de Schengen. Il est inutile de créer des tensions avec les pays européens, même si les discussions avec eux sont franches : si nous voulons être efficaces nous avons besoin, dans cet espace défini par Schengen, de rapports de confiance consolidés.

Monsieur Le Bouillonnec, le marché de l’assistance juridique arrive à son terme. À la demande des associations titulaires du marché, j’ai donné mon accord pour que ne soit pas republié tout de suite un marché pluriannuel. L’articulation entre rétention et assignation à résidence doit être clarifiée, et pas seulement pour les familles. Je vais m’y employer. Le travail réalisé par la Cimade, l’Ordre de Malte, le Forum des réfugiés, l’ASSFAM et France Terre d’asile est de qualité. Je ne stigmatiserai pas le rôle de ces associations, qui est très important. Je tiens à maintenir avec elles un dialogue de grande qualité, même si nous pouvons diverger sur certains sujets, ne poursuivant pas les mêmes objectifs. Je n’ai pas d’a priori, car écarter telle ou telle serait contraire à l’idée de ce marché.

Vous avez raison de souligner le problème de rotation dans les CADA. Les réfugiés doivent pouvoir accéder au logement social, d’où l’effort du Gouvernement en la matière. Les déboutés, eux, doivent être reconduits quand ils doivent l’être.

Avec le ministère en charge du logement, nous menons un important travail de coordination sur l’hébergement d’urgence. Il sera long, et je ne vous cache pas mon inquiétude au regard des sommes engagées. Je mesure le défi à relever.

Nous aurons à faire face à de vrais problèmes avec l’arrivée de populations en provenance de Macédoine, d’Albanie ou de Serbie. Il nous faudra les traiter à un moment difficile pour le pays, mais je ne doute pas que le dialogue fructueux avec le Parlement nous y aidera.

Monsieur Goujon, s’agissant de la naturalisation, le niveau d’exigence de maîtrise de la langue française est maintenu. Nous ne bradons pas la nationalité française, mais nous voulons un dispositif transparent, juste et efficace. Accueillir de nouveaux Français dans de bonnes conditions est un défi pour notre pays. Sur ce sujet, nous devrions nous retrouver.

Je vous rappelle que, lors de la mission sur la nationalité, votre collègue Claude Goasguen, qui en était le rapporteur, avait mis en cause la double nationalité avant de revenir sur cette position, et avait même émis l’idée du droit de vote pour les résidents étrangers pour mettre en cause les procédures de naturalisation. Avec une certaine cohérence, François Fillon a demandé au Président de la République de renoncer au projet sur le droit de vote des étrangers et d’examiner la possibilité d’intégrer davantage par la nationalité, autrement dit par la naturalisation. L’idée de faire baisser le nombre de naturalisations me paraît totalement contraire au projet national : ne faisons pas de ce sujet un débat entre nous.

Le taux d’occupation des CRA remonte. En juin 2011, il était de 26 %, contre 48 % pour le même mois en 2012. Il est passé de 31 % en juillet 2011 à 41 % en juillet 2012. Certes, alors qu’il était de 48 % en août 2011 et de 57% en septembre 2011, il est retombé à 39 % en août 2012 et à 45,90 % en septembre de cette année, mais je vous ai expliqué pourquoi en évoquant les conséquences de la décision de la Cour de justice et de la Cour de cassation. Monsieur Goujon, je vous propose que nous nous retrouvions à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine pour évaluer les résultats du nouveau texte de loi sur la rétention.

La double politique du chiffre pour le travail des forces de l’ordre, d’un côté, et les reconduites à la frontière, de l’autre, crée des tensions et engendre l’inefficacité. J’ai donné des consignes claires aux préfets sur les reconduites à la frontière ; elles seront poursuivies. Mais je vous le dis franchement : nous enfermer dans un chiffre nous amènera à reconduire de plus en plus de Bulgares et de Roumains. Donc, pas de laxisme, pas de naïveté, mais fermeté et justice !

S’agissant de la Roumanie, monsieur Goujon, je connais les chiffres de la délinquance en Ile-de-France, notamment à Paris, et je partage votre analyse. Lors de la réunion interministérielle sur ces questions, le Premier ministre a réaffirmé que la lutte contre le crime et la délinquance était une priorité. D’ailleurs, le travail de notre police avec nos amis roumains, mis en œuvre par le précédent gouvernement, a donné d’excellents résultats. Je me suis rendu en Roumanie avec Bernard Cazeneuve, ministre chargé des affaires européennes, et le préfet de police qui a confirmé les accords avec le gouvernement roumain. Nous ne pouvons pas admettre la délinquance et l’exploitation des mineurs – mendicité, prostitution. Ces dernières heures encore, plusieurs réseaux ont été démantelés. Il y a quelques semaines, le journal Marianne a consacré un article édifiant à des réseaux dits étrangers – tchétchènes, géorgiens, roumains, bulgares – qui participent à l’organisation de la délinquance et de la criminalité. Il faut les combattre, en lien avec ces pays.

Ce que je retiens de ce déplacement en Roumanie, dans un contexte politique très particulier, c’est une volonté d’agir ensemble. Nous avons signé avec les autorités roumaines l’accord OFII, qui permet le financement de 80 microprojets pour les Roumains qui quittent la France pour retourner en Roumanie. J’ai évoqué le groupe de travail européen. Nous devons également mener un important travail avec les villes qui souhaitent appliquer la circulaire, signée par plusieurs ministres, sur les villages d’insertion et les parcours d’insertion à travers le logement, l’école, le travail. Je le dis de la manière la plus claire : ces populations ont vocation à retourner en Roumanie et à y rester. Il appartient au gouvernement roumain de faire des efforts très importants. Un grand nombre de villes se lancent dans des projets, et nous devons les aider. Si toutes les associations ne sont pas d’accord sur les villages et les parcours d’insertion, essayons néanmoins d’organiser ce débat de la manière la plus respectueuse qui soit.

Enfin, dans le cadre du projet de loi, un transfert a été opéré vers le budget du ministère des affaires étrangères, plus particulièrement du développement. Pascal Canfin m’a assuré que les obligations juridiques créées par ces accords, notamment pour le volet développement solidaire, seraient tenues. Pour l’avenir, en cas de besoin ponctuel, le ministère de l’intérieur pourra faire valoir ses priorités et proposer éventuellement la signature de nouveaux accords.

En conclusion, mesdames, messieurs, j’essaie de donner de la cohérence à une politique dans un domaine passionnant, difficile, mais que j’assume avec beaucoup d’engagement.

*

* *

Lors de sa réunion du 30 octobre 2012, la Commission examine, sur le rapport de M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis « Asile » et de M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis « Immigration, intégration et accès à la nationalité française », les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration ».

M. le président Jean-Jacques Urvoas. Je rappelle que le 25 octobre dernier en commission élargie, M. Mennucci avait donné un avis favorable à l’adoption des crédits et que M. Geoffroy, suppléant M. Éric Ciotti, avait donné un avis favorable à l’adoption des crédits consacrés à l’asile uniquement.

M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis. Je note les réponses que le ministre de l’Intérieur a faites à l’occasion de la commission élargie sur le délai de traitement des demandes en matière d’asile. L’actuel président de la République avait pris l’engagement de le ramener à six mois ; cet engagement ne sera pas respecté. Le ministre a estimé que ce délai de six mois n’était « pas raisonnable ». Il a pris l’engagement de ramener le délai actuel à huit mois. C’est un progrès sur lequel on ne peut que se retrouver. Je suis satisfait du maintien de la compétence du ministère de l’Intérieur en matière d’asile, ce qui garantit l’efficacité de l’action de l’État dans le domaine de l’immigration.

Conformément aux conclusions de M. Patrick Mennucci, rapporteur pour avis pour l’« Immigration, intégration et accès à la nationalité française, mais contrairement aux conclusions de M. Éric Ciotti, rapporteur pour avis pour l’« Asile », la Commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2013.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LE RAPPORTEUR POUR AVIS

• Ministère de l’Intérieur

Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration

– M. Stéphane FRATACCI, secrétaire général ;

– M. Michel AUBOUIN, directeur de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté ;

– M. Laurent AUDINET, sous-directeur de l’accès à la nationalité française ;

– M. Rémy-Charles MARION, chef du service des affaires générales et des finances.

Inspection générale de l’administration (IGA)

– M. Bernard FITOUSSI, Inspecteur général de l’administration ;

– M. Olivier DIEDERICHS, Inspecteur général de l’administration.

• Ministère de la Justice

– M. Laurent VALLÉE, directeur des affaires civiles et du Sceau ;

– Mme Géraldine AUVOLAT, chef du bureau de la nationalité.

• Conseil d’État

– M. Jean-Philippe THIELLAY, conseiller d’État.

• Associations

Ligue des droits de l’homme

– M. Dominique GUIBERT, secrétaire général ;

– M. Michel TUBIANA, président d’honneur.

Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP)

– Mme Bernadette HÉTIER, co-présidente ;

– Mme Martine DOUCOURÉ, membre du Bureau Exécutif.

Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI)

– Mme Danièle LOCHAK, présidente honoraire ;

– Mme Vanina ROCHICCOLI, avocate et membre du bureau.

• Université Lyon III

– M. le Professeur Hugues FULCHIRON, président.

• Déplacement à la préfecture des Bouches-du-Rhône

– M. Louis LAUGIER, secrétaire général de la préfecture ;

– M. Francis IZQUIERDO, directeur de l’immigration et de l’intégration ;

– Mme Léonne GALVAING, chef du bureau de la nationalité.

ANNEXE

Évolution des taux de décisions défavorables par département de 2007 au 30 juin 2012

Départements

 

2007

2008

2009

2010

2011

2012

1

Ain

30%

23%

25%

27%

42%

41%

2

Aisne

36%

28%

28%

25%

34%

67%

3

Allier

34%

25%

25%

31%

54%

62%

4

Alpes-de-Haute-Provence

40%

18%

28%

22%

36%

38%

5

Hautes-Alpes

38%

24%

33%

34%

45%

36%

6

Alpes-Maritimes

27%

24%

29%

25%

42%

46%

7

Ardèche

38%

25%

24%

36%

47%

48%

8

Ardennes

18%

22%

29%

40%

48%

33%

9

Ariège

19%

32%

28%

11%

58%

32%

10

Aube

35%

38%

43%

41%

50%

71%

11

Aude

30%

21%

26%

39%

45%

61%

12

Aveyron

27%

25%

27%

34%

48%

40%

13

Bouches-du-Rhône

37%

31%

45%

45%

64%

64%

14

Calvados

32%

32%

36%

37%

60%

58%

15

Cantal

45%

19%

31%

43%

48%

60%

16

Charente

41%

26%

44%

43%

48%

52%

17

Charente-Maritime

57%

36%

26%

32%

52%

48%

18

Cher

21%

28%

28%

38%

53%

41%

19

Corrèze

24%

25%

17%

35%

50%

41%

2A

Corse-du-Sud

21%

22%

12%

17%

46%

60%

2B

Haute-Corse

18%

8%

19%

18%

31%

38%

21

Côte-d'Or

36%

27%

23%

25%

40%

7%

22

Côtes-d'Armor

41%

27%

31%

40%

64%

64%

23

Creuse

32%

26%

4%

47%

38%

91%

24

Dordogne

37%

22%

32%

25%

62%

75%

25

Doubs

28%

27%

36%

38%

46%

68%

26

Drôme

23%

23%

27%

28%

47%

67%

27

Eure

27%

40%

33%

30%

69%

47%

28

Eure-et-Loir

29%

24%

33%

45%

56%

38%

29

Finistère

35%

33%

33%

36%

63%

35%

30

Gard

25%

19%

23%

33%

59%

71%

31

Haute-Garonne

35%

30%

34%

32%

64%

63%

32

Gers

41%

22%

35%

30%

47%

71%

33

Gironde

33%

20%

25%

45%

60%

61%

34

Hérault

28%

23%

33%

37%

61%

59%

35

Ille-et-Vilaine

29%

29%

35%

40%

55%

64%

36

Indre

41%

23%

34%

41%

64%

70%

37

Indre-et-Loire

31%

33%

39%

51%

63%

59%

38

Isère

29%

25%

30%

30%

55%

52%

39

Jura

24%

21%

28%

29%

41%

37%

40

Landes

19%

22%

25%

34%

42%

49%

41

Loir-et-Cher

33%

26%

44%

46%

60%

74%

42

Loire

21%

21%

25%

25%

60%

54%

43

Haute-Loire

28%

15%

18%

22%

37%

59%

44

Loire-Atlantique

35%

40%

41%

44%

60%

65%

45

Loiret

25%

28%

40%

48%

69%

64%

46

Lot

33%

31%

11%

17%

44%

72%

47

Lot-et-Garonne

25%

21%

29%

26%

49%

52%

48

Lozère

17%

8%

25%

13%

29%

25%

49

Maine-et-Loire

33%

31%

42%

44%

63%

66%

50

Manche

52%

32%

44%

35%

55%

68%

51

Marne

30%

28%

29%

32%

60%

63%

52

Haute-Marne

18%

27%

24%

15%

42%

54%

53

Mayenne

45%

31%

40%

40%

61%

59%

54

Meurthe-et-Moselle

25%

23%

25%

30%

41%

52%

55

Meuse

27%

43%

35%

45%

43%

50%

56

Morbihan

32%

38%

27%

27%

63%

57%

57

Moselle

25%

20%

29%

30%

48%

41%

58

Nièvre

32%

34%

37%

38%

40%

32%

59

Nord

23%

21%

26%

27%

48%

50%

60

Oise

34%

28%

33%

36%

49%

51%

61

Orne

35%

28%

34%

40%

52%

55%

62

Pas-de-Calais

36%

26%

27%

31%

43%

62%

63

Puy-de-Dôme

23%

19%

29%

37%

58%

56%

64

Pyrénées-Atlantiques

22%

16%

22%

28%

41%

35%

65

Hautes-Pyrénées

30%

28%

31%

35%

52%

62%

66

Pyrénées-Orientales

40%

33%

32%

42%

61%

74%

67

Bas-Rhin

30%

26%

32%

39%

47%

44%

68

Haut-Rhin

29%

23%

24%

28%

41%

50%

69

Rhône

26%

20%

28%

33%

49%

56%

70

Haute-Saône

38%

24%

29%

22%

29%

36%

71

Saône-et-Loire

23%

18%

31%

34%

39%

42%

72

Sarthe

36%

34%

40%

47%

62%

51%

73

Savoie

30%

25%

25%

33%

47%

59%

74

Haute-Savoie

18%

22%

21%

24%

42%

58%

75

Paris

35%

29%

34%

35%

48%

54%

76

Seine-Maritime

31%

25%

30%

38%

68%

64%

77

Seine-et-Marne

27%

26%

33%

34%

52%

48%

78

Yvelines

22%

19%

24%

30%

47%

45%

79

Deux-Sèvres

49%

27%

28%

29%

59%

51%

80

Somme

33%

36%

23%

25%

53%

57%

81

Tarn

36%

27%

39%

40%

48%

65%

82

Tarn-et-Garonne

32%

23%

32%

32%

56%

39%

83

Var

34%

28%

29%

34%

44%

33%

84

Vaucluse

36%

26%

31%

38%

51%

48%

85

Vendée

26%

25%

26%

36%

56%

72%

86

Vienne

45%

24%

32%

51%

74%

71%

87

Haute-Vienne

31%

28%

25%

55%

59%

64%

88

Vosges

26%

19%

23%

30%

48%

43%

89

Yonne

21%

20%

28%

34%

50%

48%

90

Territoire de Belfort

24%

32%

32%

33%

35%

37%

91

Essonne

27%

26%

29%

37%

50%

38%

92

Hauts-de-Seine

26%

25%

26%

30%

47%

49%

93

Seine-Saint-Denis

28%

29%

36%

43%

63%

65%

94

Val-de-Marne

21%

21%

29%

36%

57%

56%

95

Val-d'Oise

30%

28%

38%

33%

55%

61%

971

Guadeloupe

26%

26%

26%

25%

57%

56%

972

Martinique

26%

40%

32%

25%

63%

45%

973

Guyane

33%

39%

40%

44%

62%

67%

974

Réunion

27%

25%

23%

33%

49%

44%

976

Mayotte

41%

36%

98%

100%

75%

52%

975

Saint-Pierre-et-Miquelon

0%

0%

0%

0%

100%

100%

978

Saint-Martin / Saint-Barthélemy

100%

100%

100%

100%

67%

100%

986

Wallis et Futuna

100%

100%

67%

100%

75%

100%

987

Polynésie

36%

30%

6%

8%

10%

0%

988

Nouvelle Calédonie

22%

20%

29%

31%

31%

38%

999

Étranger

40%

42%

45%

60%

59%

38%

Total

 

29%

26%

32%

36%

53%

55%

 

Écart-type moyen

0,12

0,12

0,13

0,15

0,12

0,16

Source : SGII – ministère de l’Intérieur

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1 () Outre ces quatre voies principales, signalons qu’il est possible d’acquérir la nationalité française par d’autres voies, statistiquement moins importantes, voire marginales pour certaines d’entre elles : l’adoption, plénière (art. 20, alinéa 2, du code civil) ou simple (art. 21-12, alinéas 1 et 2, du même code), l’application des dispositions relatives aux enfants recueillis en France (art. 21-12, alinéas 3 et 4, du code civil), la possession d’état de Français (art. 21-13 du code civil), l’acquisition par un étranger engagé dans les armées françaises (art. 21-19, 4° et 21-14-1 du code civil) et, enfin, l’annexion de territoires (art. 17-8 du code civil).

2 () Circulaire n° NOR IOCN1114306C relative au contrôle de la condition d’assimilation dans les procédures d’acquisition de la nationalité française.

3 () CE, 2 mars 1994, Bouachria, n° 119779.

4 () CE, 24 janvier 2003, Souidi, n° 243062.

5 () CE, 30 mars 1984, Abécassis, Rec. T., p. 619.

6 () J. Ph. Thiellay, Le droit de la nationalité française, Berger Levrault, 3e éd., 2011, n° 106, 179 et 180.

7 () Circulaire n° NOR INTK1207286C sur les procédures d’accès à la nationalité française.

8 () CE, 30 mars 1984, Abécassis, Rec. T., p. 619.

9 () Circulaire n° NOR INTV1234497C.

10 () Réponse ministérielle n° 11002 du 10 mai 1995, JO Sénat Q du 3 août 1995, p. 1549.

11 () Constitution du 3 septembre 1791 (titre II, art. 2 à 6), Constitution du 24 juin 1793 (art. 4 à 6), Constitution du 2 août 1795 (art. 8 à 15) et Constitution du 13 décembre 1799 (art. 2 à 4).

12 () Fiche d’aide la décision n° 3, « Résidence », automne 2009.

13 () J. Bécot, « Réflexions sur la réforme de la procédure de naturalisation », 23 avril 2009, consultable en ligne à l’adresse suivante : http://combatsdroitshomme.blog.lemonde.fr//?attachment_id=1034.

14 () J. Ph. Thiellay, « Le droit de la nationalité en France, à la croisée des chemins », Notes de l’Observatoire de France terre d’asile, numéro 7, novembre 2011, p. 3.

15 () Rapport de la Commission de la nationalité, Être français, aujourd’hui et demain, tome 2, p. 132-134, 1988.

16 () Votre rapporteur pour avis a en effet constaté, et déplore, des discordances importantes entre des données pourtant communiquées par la même administration, le secrétariat général à l’immigration et l’intégration (SGII) du ministère de l’Intérieur, ainsi qu’entre les données transmises par le SGII et le ministère de la Justice.