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N
° 3113

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 octobre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
SUR LE PROJET DE
loi de finances pour 2016 (n° 3096),

TOME VII

IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION

PAR M. Jean-Pierre DUFAU

Député

——

Voir le numéro 3110

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 7

I. UNE PRESSION IMPORTANTE AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L’UNION EUROPÉENNE, AVEC UN IMPACT JUSQUE-LÀ LIMITÉ EN FRANCE 9

A.  LES FRANCHISSEMENTS IRRÉGULIERS DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L’UNION EUROPÉENNE ONT CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉ EN 2015 9

1. Des flux qui s’accélèrent 9

a. Un nouveau « record » depuis le début de l’année 9

b. Trois routes principales, mais d’importance inégale 10

2. Une accumulation de crises dans le voisinage européen 12

a. La guerre civile qui se poursuit en Syrie 12

b. La situation en Libye 14

c. Des défis à prendre en compte en Afrique 14

B. UN IMPACT DIRECT QUI RESTE LIMITÉ EN FRANCE 15

1. Les demandes de titres de séjour 15

a. Un volume globalement stable 15

b. Des dynamiques différentes selon les motifs de demande 15

2. L’évolution de la demande d’asile en France 17

a. Après plusieurs années de hausse continue, une inflexion depuis 2013 17

b. Une situation plus problématique dans d’autres pays européens 18

3. L’impact en matière de séjour irrégulier sur le territoire français 18

a. La France, pays de transit 19

b. La situation à Calais 19

II. DES DISPOSITIFS QUI CONTINUENT À SE RENFORCER AU PLAN NATIONAL 21

A. LA MISSION « IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION » : DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES GLOBALEMENT EN HAUSSE 21

a. Le programme 303 « Immigration et asile » 22

b. Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française » 23

B. LA GARANTIE DU DROIT D’ASILE 27

1. Parachever les efforts de réduction des délais d’instruction des demandes à l’OFPRA 27

a. La réforme interne de l’OFPRA 28

b. Un renforcement des moyens de l’OFPRA qui s’inscrit dans la durée 28

c. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l’asile 29

2. Rationnaliser et améliorer l’accueil des demandeurs d’asile 30

a. L’hébergement directif 30

b. La poursuite des efforts de création de places nouvelles 30

c. Une nouvelle allocation pour les demandeurs d’asile 31

C. LES ÉTRANGERS EN SITUATION RÉGULIÈRE 32

a. La réforme du parcours d’accueil et d’intégration 33

b. La réforme des titres de séjour 33

c. La réforme du dispositif « étrangers malades » 34

D. LA LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE 34

1. Une lutte contre les filières qui continue à s’intensifier 34

2. Des éloignements forcés en hausse 35

3. La réforme des aides au retour volontaire et à la réinsertion 37

III. MALGRÉ UNE CERTAINE PRISE DE CONSCIENCE ET PLUSIEURS AVANCÉES, LA RÉPONSE DEMEURE INCOMPLÈTE AU PLAN EUROPÉEN 41

A. METTRE EN PLACE UN RÉGIME EUROPÉEN D’ASILE PLUS INTÉGRÉ 41

1. La mise en œuvre des relocalisations décidées au plan européen 41

a. Des engagements d’accueil pour 160 000 personnes ayant besoin d’une protection internationale 42

b. Deux corollaires indispensables à la relocalisation : la mise en place effective des « hot spots » et le renforcement de la politique de retour 43

2. Des questions en suspens 44

a. La création d’un mécanisme permanent de relocalisation 44

b. La question de l’avenir du règlement de Dublin 45

c. L’adoption d’une liste commune de pays d’origine sûrs 45

B. GÉRER PLUS EN COMMUN LES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L’UNION EUROPÉENNE 46

1. Les opérations maritimes « Triton », « POSEIDON Sea » et « EUNAVFOR Sophia » 46

2. Les perspectives de renforcement 48

C. DÉVELOPPER DAVANTAGE LA « DIMENSION EXTÉRIEURE » DES POLITIQUES EUROPÉENNES D’IMMIGRATION ET D’ASILE 49

1. Traiter les causes à la racine 49

a. Les principaux conflits dans le voisinage européen 49

b. L’aide publique au développement 50

2. Le renforcement de la coopération avec les pays tiers 50

a. Prendre exemple sur les coopérations développées par l’Espagne ? 50

b. Les attentes placées dans le prochain sommet de la Valette 51

c. La Turquie et les autres pays tiers qui accueillent des réfugiés 51

TRAVAUX DE LA COMMISSION 53

EXAMEN DES CREDITS 53

ANNEXE : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR 55

INTRODUCTION

Depuis son premier avis budgétaire annuel sur les crédits de la mission « Immigration, asile et intégration », fin 2012, votre Rapporteur insiste sur la nécessité de renforcer la dimension européenne de ces différentes politiques. La pression migratoire qui s’est accentuée depuis deux ans aux frontières extérieures de l’Union le démontre clairement.

Cette crise met en lumière la nécessité de gérer les frontières européennes de manière plus collective, et donc plus responsable, de mettre en place une politique plus intégrée en matière d’asile, de renforcer la politique de retour au plan européen et de développer davantage les coopérations avec les pays tiers.

Une prise de conscience s’est engagée sur tous ces sujets et des avancées ont déjà pu avoir lieu, mais il reste beaucoup à faire pour mettre en œuvre le cap tracé par le Conseil européen du 15 octobre dernier. A bien des égards, l’Europe reste au milieu du gué.

Les efforts qui doivent être réalisés au plan européen ne dispensent pas, bien au contraire, de renforcer les dispositifs nationaux en parallèle. Telle est précisément l’action du Gouvernement. Elle trouve une traduction concrète dans les crédits demandés pour 2016, mais aussi dans les réformes engagées depuis le début de cette législature dans le cadre de la présente mission budgétaire.

I. UNE PRESSION IMPORTANTE AUX FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L’UNION EUROPÉENNE, AVEC UN IMPACT JUSQUE-LÀ LIMITÉ EN FRANCE

L’accélération des flux migratoires vers l’Europe, qui a commencé dès 2014, s’est poursuivie et amplifiée depuis le début de cette année. Il s’agit d’un phénomène de nature européenne, car ce sont les frontières extérieures de l’Union qui sont franchies dans plusieurs Etats membres, avec des répercussions au-delà des pays situés en première ligne. L’impact est toutefois variable au plan national. Ainsi, contrairement à l’Allemagne, la France voit aujourd’hui ses principaux indicateurs demeurer relativement stables.

A. LES FRANCHISSEMENTS IRRÉGULIERS DES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L’UNION EUROPÉENNE ONT CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉ EN 2015

1. Des flux qui s’accélèrent

a. Un nouveau « record » depuis le début de l’année

Selon l’Agence Frontex (1), le nombre des franchissements irréguliers des frontières extérieures de l’Union européenne a atteint un nouveau record, avec 710 000 détections au cours des neuf premiers mois de l’année 2015. Le nombre de franchissements irréguliers détectés s’est élevé à 190 000 au mois d’août et à 170 000 en septembre.

La hausse est très significative par rapport à 2014, où 280 000 franchissements irréguliers avaient été détectés sur l’ensemble de l’année.

COMPARAISON DES ARRIVÉES MENSUELLES PAR MER

Source : HCR

Afin de prendre la mesure des flux actuels, il faut aussi rappeler que les chiffres enregistrés en 2014 étaient déjà deux fois supérieurs à ceux des « printemps arabes » de 2011.

b. Trois routes principales, mais d’importance inégale

La Méditerranée constitue le principal point d’entrée des flux migratoires en Europe.

En 2014, 60 % des passages se concentraient sur la Méditerranée centrale, avec un peu plus de 170 000 détections, contre environ 51 000 dans la partie Est de la Méditerranée.

En 2015, les flux restent très significatifs en Méditerranée centrale, avec une pression migratoire toujours forte en provenance de la Libye et des accidents tragiques en mer (2). Mais c’est la Méditerranée orientale qui connaît désormais les flux les plus importants.

Le directeur exécutif de Frontex, M. Fabrice Leggeri, appelait en juin dernier l’attention de la commission sur les passages de plus en plus nombreux à travers la Turquie et la Grèce, ainsi que sur la montée en puissance de la route balkanique (3). Cette situation s’est confirmée au cours des derniers mois, comme le montre la carte ci-après.

Source : HCR, octobre 2015

– En Italie, où votre Rapporteur s’est rendu cette année dans le cadre de la préparation du présent avis, le nombre des arrivées par mer s’établirait à un peu plus de 130 000 au cours des neufs premiers mois de l’année (4). Les évolutions mensuelles sont très similaires à celles constatées en 2014, à l’exception du mois de septembre, marqué par une baisse de 40 % des flux. Depuis l’année dernière, la plupart des migrants sont interceptés en mer avant d’être débarqués sur les côtes italiennes. Les flux proviennent à près de 90 % de Libye, principalement depuis la région de Tripoli, même si des départs ont également été enregistrés depuis la Turquie, l’Egypte et la Tunisie. Les autorités italiennes s’inquiètent désormais de l’émergence d’un nouveau flux au Nord-Est de l’Italie, en provenance des Balkans et transitant par la Croatie et la Slovénie.

Selon le HCR, les étrangers arrivés en Italie sont originaires de plus de 65 pays, en particulier l’Erythrée (pour près d’un tiers du total), le Nigéria, la Somalie et le Soudan. Depuis le début de l’année, le nombre des arrivées en provenance de Syrie a diminué de 80 % par rapport à la même période en 2014. L’introduction de visas pour les Syriens par certains pays d’Afrique du Nord et la détérioration des conditions de sécurité en Libye pourraient contribuer à expliquer des reports sur la Méditerranée orientale, considérée comme moins dangereuse.

Au vu de l’origine des personnes débarquées en Italie jusqu’au mois de juillet dernier, le HCR considérait que 59 % d’entre elles devaient être éligibles à l’une des formes de protection internationale qui existent dans ce pays – statut de réfugié, conformément à la convention de Genève, protection subsidiaire ou protection humanitaire. Pourtant, beaucoup ne font pas de demande d’asile en Italie, car ils préfèrent rejoindre d’abord d’autres Etats européens, notamment l’Allemagne et les pays nordiques.

– En Grèce, la situation reste préoccupante, bien qu’elle ait évolué depuis le déplacement effectué par votre Rapporteur à la fin de l’année 2012. Alors que la pression migratoire s’exerçait alors essentiellement sur la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, jusqu’à la mise en œuvre de l’opération « Bouclier », ce sont maintenant les îles grecques, en particulier celle de Lesbos, qui sont confrontées à des flux massifs.

Mi-septembre, les entrées irrégulières se maintenaient à un niveau élevé de 3 000 à 4 000 arrivées par jour. Les garde-côtes grecs réaliseraient en moyenne entre 5 et 10 opérations de sauvetage toutes les 24 heures. À l’issue des rotations de ferries mises en place par les autorités vers le Pirée, les migrants quittent le pays en empruntant la voie balkanique. Une grande majorité d’entre eux ne seraient ni enregistrés ni identifiés en Grèce.

– Les franchissements massifs des frontières extérieures de l’Union européenne à travers les îles grecques ont des répercussions directes sur la route dite balkanique. Ce flux arrive par la Grèce, puis transite par l’Europe centrale vers l’Autriche et l’Allemagne, plaçant des pays tels que la Serbie, la Hongrie, la Slovaquie et la Slovénie dans des situations difficiles.

La Hongrie a rapporté plus de 204 000 détections à ses frontières, soit 13 fois plus qu’au cours de la même période en 2014 (5). On estime aussi qu’environ 100 000 personnes seraient entrées dans l’Union européenne en passant par la Croatie dans la seconde partie du mois de septembre, après que la Hongrie a fermé sa frontière avec la Serbie. La décision des autorités hongroises de fermer la frontière avec la Croatie, dans la nuit du 16 au 17 octobre dernier, a ensuite eu pour conséquence de replacer immédiatement la Slovénie sur la route migratoire.

– Un troisième flux est constitué par des migrants économiques en provenance d’Europe de l’Est et des Balkans vers l’Allemagne. Lors de son audition précitée devant les commissions des affaires étrangères et européennes réunies conjointement, le ministre de l’intérieur a estimé que 40 % des 800 000 migrants attendus en 2015 par les Allemands étaient issus, jusqu’à une période récente, de ce flux.

2. Une accumulation de crises dans le voisinage européen

Selon le HCR, les dix premiers pays d’origine des étrangers arrivés par la Méditerranée depuis le début de l’année 2015 sont la Syrie (53 %), l’Afghanistan (16 %), l’Erythrée (6 %), l’Irak (5 %), le Nigéria (3 %), le Pakistan (2 %), la Somalie (2 %), le Soudan (1 %), la Gambie (1 %) et le Bangladesh (1 %).

L’accélération de la pression migratoire aux frontières extérieures de l’Union européenne résulte des situations de crise qui s’aggravent dans son voisinage – en particulier en Syrie et en Irak, en Libye, mais aussi en Erythrée. Si une partie des migrants qui arrivent en Europe peut relever de la protection internationale en raison de la situation dans leur pays d’origine, une autre partie s’apparente en revanche à des migrations économiques et s’explique davantage par des problèmes de développement.

a. La guerre civile qui se poursuit en Syrie

Le conflit syrien, qui n’a pas cessé de s’aggraver depuis 2011, se traduit aujourd’hui par environ 250 000 morts, 8 millions de personnes déplacées à l’intérieur des frontières et environ 4 millions de réfugiés à l’extérieur du pays. Les populations civiles fuient les combats et les destructions qui en résultent – bombardements à coup de baril de TNT perpétrés par le régime, attaques au chlore, exactions commises par Daesh, l’organisation du prétendu État islamique, et par d’autres groupes extrémistes.

Le conflit syrien s’est considérablement radicalisé depuis son déclenchement, à mesure que la répression du régime augmentait et que les groupes djihadistes montaient en puissance. Les lignes de front se sont également complexifiées, entre le régime et la rébellion, entre les groupes « modérés » et Daesh, ou encore entre des forces kurdes et cette même organisation terroriste. Le conflit s’est aussi régionalisé et internationalisé de manière croissante avec le soutien apporté à la rébellion par un certain nombre de pays du Golfe, avec celui de l’Iran au régime syrien, et désormais avec l’intervention militaire directe de la Russie.

A ce stade, une très grande majorité des réfugiés syriens sont accueillis dans les pays voisins. Ces réfugiés sont au moins 2 millions (enregistrés) en Turquie, 1,1 million au Liban et plus de 600 000 en Jordanie.

Source : HCR

Les pays voisins de la Syrie ont fait preuve d’une grande hospitalité, mais le poids qui en résulte pour eux est devenu très lourd, notamment au Liban, où les réfugiés syriens représentent environ 25 % de la population. Dans le même temps, les besoins de financement recensés par les Nations Unies en réponse à la crise syrienne n’étaient couverts, mi-septembre, qu’à hauteur de 40 % pour l’année 2015. Les conditions d’accueil des réfugiés se dégradant et aucune perspective de règlement de la situation en Syrie ne se dessinant, les départs vers les pays européens s’accélèrent, principalement via la Turquie.

Les demandes d’asile présentées en Europe par des ressortissants syriens continuent à augmenter en 2015, mais elles ne représentent à ce stade qu’un peu plus de 10 % des départs depuis la Syrie. Selon le HCR, 507 421 demandes d’asile ont été introduites dans les pays européens entre avril 2011 et septembre 2015, dont 137 947 au cours de l’année 2014.

b. La situation en Libye

La crise très grave qui s’est nouée en Libye depuis la chute de Kadhafi est un des principaux facteurs ayant conduit à la montée de la pression aux frontières de l’Union européenne. Bien que d’autres routes migratoires aient gagné en importance depuis le début de l’année 2015, les itinéraires ont d’abord eu tendance à converger vers la Libye. Alors que l’Espagne s’était dotée depuis une dizaine d’années, en lien avec ses voisins, des moyens pour contrôler les flux provenant de l’Afrique de l’Ouest et de l’Est en direction de son territoire (6), le chaos libyen a ouvert une nouvelle brèche dans laquelle des organisations criminelles se sont infiltrées.

En l’absence d’État et de gouvernement exerçant une autorité réelle sur le pays, la Libye n’est pas en mesure de mettre un terme au développement du trafic des êtres humains sur son territoire, d’agir sur les flux migratoires, ni de lutter contre le terrorisme. Il faut espérer que le projet d’accord politique qui a été présenté le 9 octobre dernier puisse déboucher sur la constitution d’un gouvernement d’union nationale qui parvienne à reprendre le contrôle du pays, dans l’intérêt des Libyens eux-mêmes mais aussi des pays de la région et de l’Union européenne.

c. Des défis à prendre en compte en Afrique

Au regard des crises qui se déroulent au Moyen-Orient et en Libye, le volet africain des questions migratoires est souvent moins évoqué dans le débat. En effet, comme l’a rappelé devant la commission M. Jean-Christophe Belliard, directeur d’Afrique et de l’Océan indien au ministère des affaires étrangères (7), 90 % des migrants africains ne se rendraient pas en Europe, mais ailleurs en Afrique. Les flux migratoires africains sont davantage dirigés vers le Sud que vers le Nord : Sahéliens en Côte d’Ivoire, Maliens au Gabon, ou encore Congolais en Afrique du Sud.

En ce qui concerne l’Erythrée, qui impose à ses jeunes un service militaire illimité, ce qui pousse aux départs, la principale filière d’émigration est néanmoins tournée vers la Suède et, dans une moindre mesure, vers le Royaume-Uni. Par ailleurs, bon nombre de personnes se déclarant érythréennes à leur arrivée en Europe seraient en réalité soudanaises ou éthiopiennes (8). L’Éthiopie, pays de 90 millions d’habitants, ne parvient pas à offrir du travail à tous, ce qui conduit à une émigration surtout économique. Le Soudan est quant à lui le théâtre de plusieurs guerres.

Outre la question plus générale du développement en Afrique, celle de la démographie mériterait de faire l’objet d’une plus grande attention au plan international. À titre d’exemple, le Nigéria devrait compter autant d’habitants que les États-Unis dans vingt ans. Au Niger, le taux de fécondité est de l’ordre de 7,1 enfants par femme. Le sujet reste manifestement difficile à aborder, bien qu’un travail ait été engagé, notamment par le Fonds des Nations Unies pour la population. La question du contrôle de la natalité comporte en effet des dimensions culturelles et religieuses complexes.

B. UN IMPACT DIRECT QUI RESTE LIMITÉ EN FRANCE

Le fort accroissement des arrivées sur le territoire européen depuis deux ans, en lien avec les situations de crise dans notre voisinage et avec la structuration des routes migratoires, n’a eu qu’assez peu d’impact direct en France.

Comme le ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve, a eu l’occasion de le préciser devant la commission (9), le nombre des demandes de titres de séjour est stable dans notre pays depuis de nombreuses années ; l’augmentation des demandes d’asile a par ailleurs connu une inflexion depuis 2013.

Même si ce phénomène est par nature plus difficile à évaluer, on peut ajouter que la France semble moins concernée que d’autres pays européens par la présence d’étrangers en situation irrégulière sur son territoire.

1. Les demandes de titres de séjour

a. Un volume globalement stable

Le nombre de nouveaux titres de séjour délivrés chaque année est stable en France. Il fluctue depuis plusieurs années aux alentours de 200 000, soit environ 0,3 % de la population. En 2014 (chiffres provisoires), on a enregistré 209 782 admissions au séjour de ressortissants de pays tiers à l’Union européenne, contre 205 393 l’année précédente.

b. Des dynamiques différentes selon les motifs de demande

Les évolutions restent assez contrastées selon les principaux motifs de demande de titres.

– L'immigration familiale demeure le premier motif d’immigration en France. Selon les chiffres fournis par le ministère de l’intérieur, elle représentait 44 % du total des nouvelles admissions au séjour en 2014. Après avoir progressé depuis 2012, elle serait néanmoins en léger recul en 2014, étant passée de 93 714 à 91 997 titres délivrés.

– Alors qu’elle avait reculé en raison de la politique malthusienne qui était menée par la précédente majorité, l’immigration étudiante s’est redressée. Elle représentait 31 % de l'immigration globale en 2014.

– La même année, l’immigration professionnelle a retrouvé un niveau équivalent à celui de 2011, soit environ 9,1 % des flux migratoires en France. Il faut noter que le nombre de titres délivrés pour un motif d'immigration professionnelle s’était assez sensiblement réduit après 2008, en raison de la suppression de l'obligation de détenir un titre de séjour pour les ressortissants des nouveaux États membres de l'Union européenne et de la crise économique.

– Enfin, le nombre de premiers titres de séjour délivrés pour motif humanitaire était en hausse d’environ 10 % en 2014, après une baisse de 3 % l’année précédente. En 2014, les bénéficiaires de ces titres de séjour représentaient 9,5 % de l'immigration globale.

ADMISSION AU SÉJOUR DES RESSORTISSANTS DE PAYS TIERS À L’UNION EUROPÉENNE (*), À L’ESPACE ÉCONOMIQUE EUROPÉEN, À LA CONFÉDÉRATION SUISSE EN MÉTROPOLE

 

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014
(provisoire)

A. Économique

1 – Compétences et talents

183

368

319

289

286

251

228

2 – Actif non salarié

225

98

121

121

169

140

148

3 – Scientifique

1 926

2 242

2 268

2 073

2 691

3 036

3 272

4 – Artiste

286

183

181

173

160

146

173

5 – Salarié

11 718

14 244

13 738

13 559

11 201

12 881

13 749

6 – Saisonnier ou temporaire

7 014

3 050

1 653

1 619

1 506

1 346

1 501

Total A. Économique

21 352

20 185

18 280

17 834

16 013

17 800

19 071

B. Familial

1 – Famille de Français

48 833

53 170

49 838

48 952

52 070

50 245

50 694

2 – Membre de famille

17 304

15 171

15 678

14 809

16 581

23 127

23 090

3 – Liens personnels et familiaux

17 328

17 374

17 666

17 411

18 519

20 342

18 213

Total B. Familial

83 465

85 715

83 182

81 172

87 170

93 714

91 997

C. Étudiants

52 163

58 586

65 281

64 928

58 857

62 815

65 199

D. Divers

1 – Visiteur

4 475

5 877

6 152

6 309

6 389

6 716

6 750

2 – Étranger entré mineur

3 015

3 365

3 704

3 918

4 762

4 993

5 361

3 – Rente accident du travail

98

123

70

45

39

24

22

4 – Ancien combattant

193

225

153

141

154

257

201

5 – Retraité ou pensionné

1 398

1 200

906

544

573

547

666

6 – Motifs divers

488

553

587

676

707

611

647

Total D. Divers

9 667

11 343

11 572

11 633

12 624

13 148

13 647

E. Humanitaire

1 – Réfugié et apatride

10 742

10 764

10 073

9 715

10 000

9 936

10 579

2 – Asile territorial/protection subsidiaire

753

1 797

1 759

1 618

2 024

1 956

2 329

3 – Étranger malade

5 733

5 965

6 325

6 122

6 396

5 986

6 897

4 – Victime de la traite des êtres humains

18

55

63

32

36

38

63

Total E. Humanitaire

17 246

18 581

18 220

17 487

18 456

17 916

19 868

Total 

183 893

194 410

196 535

193 054

193 120

205 393

209 782

* À partir de 2013 la Croatie est incluse dans l’UE

Source : AGDREF/DSED/DGEF/Ministère de l'Intérieur

2. L’évolution de la demande d’asile en France

a. Après plusieurs années de hausse continue, une inflexion depuis 2013

Le nombre des demandes d’asile adressées à la France a connu une augmentation continue de 87 % depuis 2007. L’évolution a été de + 20 % entre 2007 et 2008, de + 12 % entre 2008 et 2009, de + 11 % entre 2009 et 2010, de + 9 % entre 2010 et 2011, de + 7 % entre 2011 et 2012 et + de 8 % entre 2012 et 2013.

Une inflexion s’est engagée en 2014, la demande d’asile ayant alors reculé de 2,2 % par rapport à l’année précédente. Cette évolution concerne principalement les réexamens et les mineurs accompagnants (- 5 %). Le nombre des premières demandes (45 000 sur un total de 64 811 demandes enregistrées) n’a en revanche diminué que de 1 %.

Cette stabilité de la demande globale de protection internationale s’est confirmée au premier semestre 2015. Les demandes enregistrées n’ont crû que de 0,3 % par rapport à la même période de l’année précédente. Les caractéristiques de la demande ont toutefois évolué : les premières demandes et les réexamens ont respectivement augmenté de 4,4 % et 6,7 %, alors que la baisse était de 14,8 % pour les mineurs accompagnants. Si les projections du ministère de l’intérieur se confirment, la demande d’asile pourrait augmenter de 8 % sur l’ensemble de l’année.

Comme l’a précisé le ministre de l’intérieur devant la commission, l’engagement pris par la France d’accueillir 30 000 demandeurs d’asile supplémentaires sur deux ans dans le cadre du processus de relocalisation mis en place au niveau européen devrait par ailleurs conduire mécaniquement à un quasi doublement du nombre de bénéficiaires de la protection internationale en France par an. D’environ 17 000, il devrait passer à 32 000. Ce nouveau dispositif européen est présenté dans la troisième partie du présent rapport.

b. Une situation plus problématique dans d’autres pays européens

Avec un peu moins de 65 000 demandes enregistrées en 2014, la France est passée du troisième au quatrième rang des pays industrialisés pour l’accueil des demandeurs de protection internationale, derrière l’Allemagne (près de 175 000 demandes), la Suède (environ 81 000) et les États-Unis (environ 65 000). Cette évolution s’explique d’abord par une augmentation significative de la demande d’asile en Suède entre 2013 et 2014 (+ 49,8 %). En Allemagne, les autorités ont déclaré s’attendre à au moins 800 000 demandes d’asile en 2015.

Le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), M. Pascal Brice, a estimé devant la Commission que c’est surtout l’Allemagne, et non la France, qui se trouve dans une situation exceptionnelle en matière d’asile (10). Ce phénomène s’expliquerait notamment par un effet cumulatif, les réfugiés se rendant souvent là où d’autres ressortissants du même pays sont d’ores et déjà installés. Or, en Allemagne, on recense depuis les années 1970 de nombreux travailleurs syriens, notamment kurdes, ce qui expliquerait que d’autres Syriens aient été tentés de rejoindre leurs compatriotes dans ce pays. Le directeur général de l’OFPRA a également mis en avant un « effet de réputation » lié à l’embolie du système d’asile en France, avant que les réformes engagées par la majorité actuelle ne commencent à produire leurs effets.

3. L’impact en matière de séjour irrégulier sur le territoire français

Outre la question des demandes de titres de séjour et celle de l’asile, M. Luc Derepas, alors directeur général des étrangers en France (11), expliquait en juin dernier devant la commission que les nationalités arrivées en Europe dans le cadre de la crise migratoire actuelle paraissaient peu susceptibles de donner lieu à une installation irrégulière dans notre pays.

a. La France, pays de transit

Les données sont toujours difficiles à collecter au sujet de l’immigration irrégulière, par la nature même de ce phénomène. On ne peut en général apprécier les effets qu’à l’issue de plusieurs années. M. Deperas précisait toutefois en juin qu’un impact fort n’avait pas été constaté en France à ce stade.

Dans la plupart des cas, la France ne serait qu’un pays de transit, les principales destinations étant l’Allemagne, la Suède, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. C’est plutôt dans ces pays, aujourd’hui les plus attractifs au plan économique, que l’on assiste vraisemblablement à une forte pression de l’immigration irrégulière. Cette situation s’accompagne d’ailleurs de craintes socio-économiques importantes, qui s’accompagnent d’un certain nombre de traductions politiques.

b. La situation à Calais

Le principal impact visible en France concerne la situation à Calais, où le contrôle de la frontière britannique a été déplacé, conformément aux accords du Touquet. Si les migrants se concentrent là, c’est qu’ils espèrent rejoindre l’Angleterre en essayant d’entrer dans des trains ou des poids lourds. Il en a résulté une extension de la zone d’immigration irrégulière sur place, avec une forte augmentation du nombre de migrants présents.

Le ministre de l’intérieur a eu l’occasion de présenter devant les commissions des affaires étrangères et des affaires européennes les principaux axes de la politique menée en réponse à cette situation (12) :

– étanchéifier la frontière entre la France et le Royaume-Uni, dans le cadre des accords du Touquet, afin d’envoyer aux passeurs et aux migrants le signal que les tentatives de passage sont vaines ;

– obtenir des Britanniques une participation au financement de cette stratégie pour la sécurisation de la frontière et la mise en œuvre d’actions humanitaires visant à protéger les plus vulnérables ;

– combattre résolument les filières de l’immigration clandestine – une trentaine de filières de passeurs a ainsi été démantelée à Calais et à Dunkerque depuis le début de l’année ;

– mobiliser les services compétents de l’Etat pour que les migrants présents puissent demander l’asile en France, puisqu’ils ne peuvent pas traverser la frontière pour le faire au Royaume-Uni ;

– organiser le retour à la frontière des personnes relevant de l’immigration irrégulière, dans le cadre de vols franco-britanniques ;

– humaniser les conditions d’accueil des migrants présents à Calais en mettant en place un accueil de jour, notamment afin de distribuer des repas, et en augmentant les possibilités d’accueil des femmes et enfants vulnérables.

II. DES DISPOSITIFS QUI CONTINUENT À SE RENFORCER AU PLAN NATIONAL

Les efforts engagés depuis le début de la législature pour améliorer l’efficacité des politiques d’asile, d’immigration et d’intégration se poursuivront en 2016. Ces efforts se déroulent selon trois axes principaux :

– l’engagement de profondes réformes internes, notamment au sein des deux principaux opérateurs de cette mission budgétaire, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) ;

– le déploiement de moyens humains et budgétaires supplémentaires pour continuer à renforcer les dispositifs nationaux ;

– les évolutions prévues dans le cadre de la loi relative à la réforme de l’asile, promulguée le 29 juillet dernier, et du projet de loi relatif au droit des étrangers, dont l’examen parlementaire devrait bientôt s’achever.

A. LA MISSION « IMMIGRATION, ASILE ET INTÉGRATION » : DES CRÉDITS BUDGÉTAIRES GLOBALEMENT EN HAUSSE

Les crédits demandés pour la présente mission budgétaire s’élèvent à 703,6 millions d’euros en autorisations d’engagement et à 702,9 millions d’euros en crédits de paiement (13), ce qui représente respectivement une hausse de 9,6 % et 7,8 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2015.

La mission est composée du programme 303 « Immigration et asile » et du programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française ». À périmètre constant, le programme 303 concentre 633,3 millions d’euros en autorisations d’engagement et 632,7 millions d’euros en crédits de paiement.

La commission a donné un avis favorable à un amendement du Gouvernement visant à augmenter de près de 100 millions d’euros les crédits de la mission. Cet amendement est justifié par l’accueil en France d’environ 30 000 demandeurs d’asile supplémentaires entre 2015 et 2017 dans le cadre des mécanismes de relocalisation de 160 000 personnes qui ont été décidés au plan européen au mois de septembre dernier.

Le programme 303 serait ainsi abondé à hauteur de 72,4 millions d’euros supplémentaires en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, dont 15 millions d’euros au titre de l’aide aux communes créant des places d’hébergement. Le programme 104 verrait ses crédits augmenter de 26,2 millions d’euros en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, ce programme supportant notamment la subvention pour charges de service public de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

a. Le programme 303 « Immigration et asile »

Hors amendement déposé par le Gouvernement, il est prévu une hausse de 6,6 % des crédits de paiement du programme 303, soit 39,3 millions d’euros, dans le cadre de la mise en œuvre de la réforme de l’asile (14) et des objectifs de lutte contre l’immigration irrégulière prévus dans le cadre du plan « Migrants ».

Le plan « Répondre au défi des migrations : respecter le droit – faire respecter le droit », dit plan « Migrants », présenté en Conseil des ministres le 17 juin dernier, en réponse à la forte hausse des entrées dans l’espace Schengen depuis 2014, comporte trois volets :

- améliorer l’accueil des demandeurs d’asile ;

- mieux mettre à l’abri et mieux accompagner ;

- mener une lutte déterminée contre l’immigration irrégulière.

Le dernier volet vise à :

- augmenter les contrôles et améliorer leur efficacité (renforcement aux points stratégiques, en particulier sur le port de Calais, dans les gares, sur les routes et les axes ferroviaires, mais aussi création de nouveaux pôles interservices éloignements pour mieux coordonner dans ce domaine l’action de l’État au plan local) ;

- démanteler les filières, par la création d’une task-force de police judiciaire et d’une cellule de lutte contre les passeurs au sein de la police aux frontières des Alpes Maritimes, ainsi que par une meilleure coordination au plan international ;

- renforcer l’action en direction des pays d’origine pour faciliter les opérations de réadmission, notamment par une meilleure délivrance de laissez-passer consulaires ;

- mobiliser de manière plus systématique les aides au retour et la réinsertion à destination des étrangers en situation irrégulière ;

- mettre en place des dispositifs expérimentaux de préparation au retour, sous la forme juridique de l’assignation à résidence ;

- optimiser les capacités existantes de rétention administrative.

Il y aurait en particulier une hausse de 7,4 % des crédits d’engagement et de paiement alloués à la garantie du droit d’asile, ce qui permettrait de financer :

– la nouvelle allocation pour demandeurs d’asile (ADA), créée par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, la dotation correspondante augmentant de plus de 47 % ;

– la création de 3 500 places supplémentaires en centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) ;

– une hausse de 3 % de la subvention pour charges de service public destinée à l’OFPRA pour lui permettre d’atteindre l’objectif consistant à ramener les délais d’instruction des demandes à 90 jours à la fin 2016.

En ce qui concerne la lutte contre l’immigration irrégulière, l’évolution des moyens doit notamment permettre de financer :

– une augmentation de 14,3 % des crédits de paiement pour le fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative (CRA) ;

– des opérations de mise aux normes dans les CRA à hauteur de 3 millions d’euros en autorisations d’engagement (AE) ;

– l’éloignement des étrangers en situation irrégulière pour 30,1 millions d’euros en AE, en hausse de 41 %.

b. Le programme 104 « Intégration et accès à la nationalité française »

Hors amendement déposé par le Gouvernement (15), les crédits de paiement du programme 104 sont en hausse de 20 %, soit 11,6 millions d’euros supplémentaires, pour financer le nouveau parcours d’intégration républicaine (16) qui est prévu dans le cadre du projet de loi relatif au droit des étrangers, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 23 juillet dernier, ainsi que d’autres mesures contenues dans le plan « Migrants ».

Les principales évolutions budgétaires devraient permettre de financer les mesures suivantes :

– une hausse de 17 % des crédits alloués à l’accompagnement des étrangers primo-arrivants ;

– une hausse des crédits de 40,5 % pour l’accueil des primo-arrivants et de 29,6 % pour l’accompagnement des réfugiés.

La subvention pour charges de service public versée à l’OFII devrait s’élever à 14,6 millions d’euros, en hausse de 4,2 millions d’euros, dans le cadre de la réduction des délais d’instruction des dossiers déposés par les demandeurs d’asile et du renforcement de la politique de promotion des aides au retour et à la réinsertion.

Il est aussi demandé une hausse de 30 % des crédits alloués au financement des centres provisoires d’hébergement – pour lesquels 500 places supplémentaires ont été prévues dès 2015 – et à l’accompagnement des réfugiés.

PLF 2016 : EVOLUTION PAR RAPPORT À LA LFI 2015

 

LFI 2015

PLF 2016

Ecart en €

Evolution en %

Programme 303 - Immigration et Asile

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Fonctionnement SDV *

860 000

860 000

0

0

-860 000

-860 000

-100,0%

-100,0%

Fonctionnement postes diplomatiques et consulaires

560 000

560 000

560 000

560 000

0

0

0,0%

0,0%

Action 01 - Circulation des étrangers et politique des visas

1 420 000

1 420 000

560 000

560 000

-860 000

-860 000

-60,6%

-60,6%

ATA

93 257 568

93 257 568

137 500 000

137 500 000

44 242 432

44 242 432

47,4%

47,4%

CADA

220 800 000

220 800 000

236 400 000

236 400 000

15 600 000

15 600 000

7,1%

7,1%

HU

136 000 000

136 000 000

111 500 000

111 500 000

-24 500 000

-24 500 000

-18,0%

-18,0%

Accompagnement des demandeurs d'asile

500 000

500 000

500 000

500 000

0

0

0,0%

0,0%

OFPRA

46 000 000

46 000 000

47 400 000

47 400 000

1 400 000

1 400 000

3,0%

3,0%

Action 02 - Garantie de l'exercice du droit d'asile

496 557 568

496 557 568

533 300 000

533 300 000

36 742 432

36 742 432

7,4%

7,4%

Fonctionnement CRA

25 500 000

25 500 000

29 524 082

29 150 000

4 024 082

3 650 000

15,8%

14,3%

Investissement CRA

2 980 000

13 155 000

3 000 000

3 450 000

20 000

-9 705 000

0,7%

-73,8%

Accompagnement social en CRA

5 947 000

5 947 000

6 200 000

6 200 000

253 000

253 000

4,3%

4,3%

Accompagnement sanitaire en CRA

7 800 000

7 800 000

7 800 000

7 800 000

0

0

0,0%

0,0%

Eloignement

21 400 000

21 400 000

30 100 000

30 100 000

8 700 000

8 700 000

40,7%

40,7%

Action 03 - Lutte contre l'immigration irrégulière

63 627 000

73 802 000

76 624 082

76 700 000

12 997 082

2 898 000

20,4%

3,9%

Fonctionnement DGEF

2 119 390

2 119 390

2 058 730

2 058 730

-60 660

-60 660

-2,9%

-2,9%

Fonctionnement mutualisé *

1 014 750

1 014 750

0

0

-1 014 750

-1 014 750

-100,0%

-100,0%

SI DGEF

18 720 000

18 060 000

20 720 000

20 060 000

2 000 000

2 000 000

10,7%

11,1%

SI mutualisés *

250 000

309 000

0

0

-250 000

-309 000

-100,0%

-100,0%

Action 04 - Soutien

22 104 140

21 503 140

22 778 730

22 118 730

674 590

615 590

3,1%

2,9%

Réserve parlementaire

133 500

133 500

0

0

-133 500

-133 500

-100,0%

-100,0%

Total Programme 303

583 842 208

593 416 208

633 262 812

632 678 730

49 420 604

39 262 522

8,5%

6,6%

À périmètre constant, hors réserve parlementaire
et hors opération exceptionnelle CRA Mayotte

578 603 958

577 943 958

630 262 812

629 228 730

51 658 854

51 284 772

8,9%

8,9%

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Programme 104 - Intégration et accès à la nationalité française

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Action 11 - Accueil des étrangers primo-arrivants

10 424 156

10 424 156

14 644 043

14 644 043

4 219 887

4 219 887

40,5%

40,5%

Action 12 - Accompagnement des étrangers primo-arrivants

21 175 478

21 175 478

24 708 000

24 708 000

3 532 522

3 532 522

16,7%

16,7%

Fonctionnement courant SDANF

1 056 277

1 056 277

1 204 515

1 058 600

148 238

2 323

14,0%

0,2%

Loyer SDANF *

97 500

660 500

0

0

-97 500

-660 500

-100,0%

-100,0%

Action 14 - Accès à la nationalité française

1 153 777

1 716 777

1 204 515

1 058 600

50 738

-658 177

4,4%

-38,3%

Action 15 - Accompagnement des réfugiés

15 874 710

15 874 710

20 575 900

20 575 900

4 701 190

4 701 190

29,6%

29,6%

Action 16 - Accompagnement du plan de traitement des FTM

9 300 000

9 300 000

9 237 000

9 237 000

-63 000

-63 000

-0,7%

-0,7%

Réserve parlementaire

86 398

86 398

0

0

-86 398

-86 398

-100,0%

-100,0%

Total Programme 104

58 014 519

58 577 519

70 369 458

70 223 543

12 354 939

11 646 024

21,3%

19,9%

A périmètre constant et hors réserve parlementaire

57 830 621

57 830 621

70 369 458

70 223 543

12 538 837

12 392 922

21,7%

21,4%

                 

Total Mission IAI

641 856 727

651 993 727

703 632 270

702 902 273

61 775 543

50 908 546

9,6%

7,8%

A périmètre constant, hors réserve parlementaire
et hors opération exceptionnelle CRA Mayotte

636 434 579

635 774 579

700 632 270

699 452 273

64 197 691

63 677 694

10,1%

10,0%

* mesures de périmètre avec le transfert de ces crédits sur le programme 216

             

B. LA GARANTIE DU DROIT D’ASILE

Le système d’asile français devait être réformé pour remédier à des dysfonctionnements identifiés depuis longtemps. A la faveur de la transposition de trois directives européennes qui ont été adoptées entre 2011 et 2013, la loi relative à la réforme du droit d’asile, promulguée le 29 juillet dernier, doit permettre d’accélérer le traitement des demandes, d’améliorer les conditions d’accueil et d’hébergement et de renforcer les droits des demandeurs.

Ce texte, qui était indispensable pour que la procédure d’asile cesse de s’apparenter en France à un parcours d’obstacles, est en réalité la troisième composante d’un vaste effort d’ensemble. La dynamique en cours repose aussi sur une réforme interne des deux principaux opérateurs concernés, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui est notamment en charge de coordonner le dispositif national d’accueil, et sur un renforcement des moyens engagé depuis le début de cette législature.

Comme l’a souligné le directeur général de l’OFPRA, M. Pascal Brice, lors de son audition du 30 septembre dernier par la commission, la combinaison de ces trois volets complémentaires doit permettre de traiter les déficiences structurelles de notre système d’asile, de répondre aux urgences actuelles, notamment l’instauration d’une « culture de l’asile » à Calais, aspect important de la stratégie définie par le ministre de l’intérieur pour ce territoire, et de se préparer à l’arrivée de 30 000 réfugiés supplémentaires au titre de nos engagements d’accueil dans le cadre du processus de relocalisation décidé au plan européen (17).

1. Parachever les efforts de réduction des délais d’instruction des demandes à l’OFPRA

La consolidation du système de l’asile lancée en 2012 doit permettre d’atteindre un délai moyen d’instruction des demandes de 9 mois pour l’ensemble de la procédure, du premier accueil à un éventuel recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), contre environ 15 mois aujourd’hui. L’objectif est de parvenir à atteindre ce délai de 9 mois à la fin de l’année 2016.

A l’OFPRA, cela suppose de réduire de moitié le délai d’instruction, aujourd’hui de plus de six mois, pour le ramener à trois mois. Selon les explications avancées par M. Pascal Brice devant la commission, l’Office parviendra à traiter les demandes en trois mois lorsqu’il aura fini de résorber le stock de demandes d’asile accumulé, en parallèle du traitement des nouvelles demandes.

Le délai de trois mois concernerait toutefois déjà systématiquement certaines nationalités. Il n’y aurait plus, sauf exceptions, de demandeurs d’asile russes, guinéens, syriens, kosovars ou albanais en attente depuis plus de trois mois en France.

a. La réforme interne de l’OFPRA

L’OFPRA a commencé à mettre en œuvre dès 2013, c’est-à-dire un an avant le dépôt du projet de loi sur l’asile, un ambitieux plan de réforme interne que votre Rapporteur a eu l’occasion de décrire dans ses précédents avis budgétaires. Le plan d’action pour la réforme de l’OFPRA est aujourd’hui mis en œuvre dans sa quasi-totalité. Il a permis de préparer l’Office à la réforme de l’asile qui a été adoptée en juillet dernier.

Cette démarche interne a consisté à faire évoluer les méthodes d’instruction de l’Office, à réorganiser en profondeur les services, à mettre en place des missions foraines et à réaliser des gains de productivité dans le cadre du contrat d’objectifs et de performances entre l’OFPRA et l’État.

M. Pascal Brice a précisé que l’activité de l’OFPRA avait ainsi augmenté de 13 % en 2014. Au premier trimestre 2015, l’Office a de nouveau enregistré des gains de 13 % par rapport à la même période en 2014, pour moitié grâce à des gains d’efficacité, et pour l’autre moitié grâce à des recrutements supplémentaires.

Outre ses missions foraines sur le territoire français, l’OFPRA réalise des missions d’admission humanitaire au Proche-Orient depuis la fin de l’année 2013.

La première mission a fait suite à l’annonce par le Président de la République de l’accueil de réfugiés syriens supplémentaires en France. Les équipes de l’OFPRA se sont rendues à deux reprises en Égypte, à deux reprises au Liban et à deux reprises également en Jordanie. De nouvelles missions sont prévues au mois d’octobre dans ces deux derniers pays. L’OFPRA entend dans ce cadre des familles enregistrées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en fonction de critères de vulnérabilité établis par le ministre de l’intérieur.

S’agissant des minorités religieuses d’Irak, l’OFPRA a formé des agents du consulat de Bagdad aux entretiens avec les demandeurs d’asile, ce qui a ensuite permis de décider sur dossier la protection de certains demandeurs. Cette procédure, qui doit se poursuivre, a déjà permis à l’Office de protéger rapidement plus de 1 000 personnes de confession chrétienne ou yézidie.

L’OFPRA se prépare par ailleurs au dispositif européen de relocalisation de personnes présentant un besoin manifeste de protection. Le directeur général de l’OFPRA a déclaré devant la Commission qu’il reviendrait à l’Office, dans un cadre européen, de s’en assurer.

b. Un renforcement des moyens de l’OFPRA qui s’inscrit dans la durée

Le deuxième volet de la réforme conduite à l’OFPRA repose sur la mobilisation de moyens supplémentaires significatifs.

– Il s’agit tout d’abord de moyens humains renforcés grâce à des recrutements : en 2012, 5 officiers de protection titulaires supplémentaires et 10 agents contractuels pour renforcer les services d’appui ; en 2013, 10 nouveaux emplois d’officiers de protection instructeurs contractuels ; en 2014, 10 agents de même profil ; début 2015, 55 ETP supplémentaires.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement propose de recruter 20 agents supplémentaires au titre du plan « migrants » de juin dernier. Il s’agit de résorber des goulets d’étranglement qui concernent en particulier l’enregistrement des demandes d’asile et leur numérisation, la notification des accords ou rejets et l’établissement de l’état civil des personnes protégées.

– Au plan budgétaire, une dotation supplémentaire de 1,4 million d’euros est demandée pour 2016, soit une hausse de 3 % des crédits. Cela correspond à l’augmentation de la masse salariale afférente au recrutement des 20 agents supplémentaires (pour 0,88 million d’euros), auxquels s’ajoutent des dépenses d’investissement liées aux travaux d’aménagement de locaux supplémentaires et à l’équipement des agents, ainsi qu’aux dépenses de fonctionnement supplémentaires induites.

La subvention pour charges de service public prévue en loi de finances initiale a régulièrement augmenté depuis 2012. La hausse était de 7 % en 2012, de 1 % en 2013, de 6 % en 2014 et de 17 % en 2015. Après la hausse de 3 % demandée pour 2016, la subvention sera passée de 34,5 à 47,4 millions d’euros entre 2011 et 2016.

c. La loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme de l’asile

La loi relative à la réforme de l’asile renforce les garanties procédurales pour les demandeurs. Outre la systématisation du recours suspensif devant la Cour nationale du droit d’asile, le texte permet notamment au demandeur d’être accompagné d’un tiers, avocat ou représentant d’une association habilitée, devant l’OFPRA. Afin de ne pas pénaliser le processus de réduction des délais d’instruction, la loi encadre la présence du tiers, qui ne peut s’exprimer qu’à la fin de l’entretien. Ses observations sont consignées dans la transcription de l’entretien. L’entretien doit par ailleurs faire l’objet d’un enregistrement sonore, sauf impossibilité technique, auquel cas la transcription est assortie d’un recueil de commentaire.

La loi permet également une meilleure prise en compte des vulnérabilités (personnes malades, femmes victimes de violences ou encore mineurs) à tous les stades de la demande d’asile, afin d’adapter si nécessaire non seulement l’accueil mais aussi la procédure. L’OFPRA a récemment fait usage, pour la première fois, d’une faculté nouvelle lui permettant de replacer en procédure normale une demande d’asile initialement examinée en procédure « accélérée », au vu de la grande vulnérabilité de la personne demandeuse, en l’espèce une femme victime de réseaux de proxénétisme.

La loi comporte aussi des dispositions permettant de simplifier « l’environnement juridique » de l’OFPRA en encadrant davantage certaines procédures, afin de permettre à l’Office de fonctionner de manière protectrice mais aussi efficace. Une demande de réexamen pourra ainsi être traitée sans entretien, faute d’éléments nouveaux, afin d’éviter les détournements de cette procédure.

2. Rationnaliser et améliorer l’accueil des demandeurs d’asile

a. L’hébergement directif

La loi du 29 juillet 2015 prévoit l’élaboration d’un schéma national d’accueil fixant la répartition de l’offre d’hébergement sur le territoire. Elle doit ensuite être déclinée dans le cadre de schémas régionaux par les préfets. Il devrait en résulter un rééquilibrage au plan territorial.

Afin de garantir une répartition plus homogène, le demandeur d’asile souhaitant bénéficier des conditions matérielles d’accueil (allocation et hébergement), devra accepter d’être orienté vers un hébergement correspondant à ses besoins sur le territoire national. Les demandeurs ne souhaitant pas s’inscrire dans ce dispositif ne bénéficieront pas des conditions matérielles d’accueil.

Jusqu’à présent, le ministre chargé de l’asile demandait à l’ensemble des préfets de région, à l’exception de l’Ile-de-France et de Rhône-Alpes, de mettre chaque mois à disposition du niveau central 30 % des places de CADA vacantes de leur région, afin d’assurer le fonctionnement d’un système de péréquation nationale. Dans les faits, le nombre d’orientations réalisées au niveau national était inférieur à 17 % au 1er trimestre 2015. Le nouveau dispositif devrait permettre à l’OFII de proposer au demandeur d’asile une place d’hébergement dans n’importe quel département ou région si aucune place n’est disponible au niveau local.

b. La poursuite des efforts de création de places nouvelles

Un effort considérable a déjà été réalisé depuis le début de la législature pour créer des places supplémentaires en centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les CADA. Ces structures doivent en effet être privilégiées : elles offrent une qualité d’accompagnement bien supérieure à celle des hébergements d’urgence dédiés aux demandeurs d’asile (HUDA), qui ont été de plus en plus sollicités compte tenu de la hausse de la demande d’asile jusqu’au début de l’année 2014 et de l’allongement des délais de traitement des demandes.

Ce dispositif d’urgence, qui est géré par les préfets et dont la capacité évolue en fonction de la demande d’asile et de la fluidité des CADA, comptait environ 19 600 places au 30 juin 2015. À cela s’ajoute un dispositif national d’environ 3000 places, gérées en grande majorité par la société d’économie mixte ADOMA.

Dans le cadre du plan « Migrants » précité, il est prévu de créer 4 000 places supplémentaires d’ici à 2016, dont la moitié dès 2015, au sein du dispositif d’hébergement d’urgence dit « accueil temporaire-service asile » (ATSA), géré au niveau central au bénéfice des territoires les plus en tension.

Le dispositif d’hébergement d’urgence généraliste relève pour sa part du ministère de l’égalité des territoires et du logement, en charge de la gestion des crédits du programme 177. Le nombre de demandeurs d’asile en cours de procédure hébergés dans ce dispositif, généralement pour quelques jours seulement, n’est pas connu.

S’agissant des CADA, le dispositif national d’accueil comptait 25 374 places au 18 août 2015, auxquelles il faut ajouter deux centres de transit (300 places). Au premier semestre 2015, les CADA accueillaient 39,5 % des demandeurs éligibles, contre seulement 32 % au 30 juin 2013.

Depuis 2012, 3 000 places supplémentaires ont déjà été créées en CADA et près de 5 000 autres sont en cours de création en 2015. Cela représente une hausse de 36,7 %. D’ici à 2017, il est prévu de créer 10 500 places nouvelles en CADA. Au total, 18 500 places en CADA devraient donc avoir été créées pendant la législature actuelle.

c. Une nouvelle allocation pour les demandeurs d’asile

À compter du 1er novembre prochain, l’allocation pour demandeurs d’asile (ADA) remplacera l'actuelle allocation mensuelle de subsistance (AMS), versée aux demandeurs d'asile hébergés en CADA, et l'allocation temporaire d'attente (ATA) dont bénéficient les autres demandeurs.

Le montant de l’ADA prendra en compte la composition familiale, les ressources du demandeur d’asile et les prestations en nature éventuellement fournies sur le lieu d’hébergement. Le demandeur ne bénéficiera pas de l’ADA s’il a renoncé à un hébergement ou abandonné le lieu attribué.

La gestion de la nouvelle allocation ne sera plus assurée par Pôle Emploi, mais par l’OFII. Placé au centre de la procédure d’accueil et d’hébergement, l’OFII devrait pouvoir prendre plus aisément en compte les changements dans la situation des demandeurs d’asile, tels que les décisions sur leur demande ou leur entrée en CADA. Il devrait donc être plus facile pour l’OFII de lutter contre les indus. Le directeur général de l’Office, M. Yannick Imbert, a présenté à votre Rapporteur la carte à puce qui devrait permettre de gérer le dispositif avec un maximum de souplesse et d’efficacité.

Le repositionnement de l’OFII

Comme l’OFPRA, l’OFII s’est engagé dans la mise en œuvre d’une profonde réforme interne. Elle se traduit à la fois par une évolution des priorités, l’OFII voyant notamment son rôle se renforcer dans le domaine de l’asile, ce qui implique de redéployer et de former des personnels, et par un changement dans la manière dont les missions sont exercées.

Dans le domaine de l’asile, l’OFII sera ainsi en charge de l’évaluation de la vulnérabilité des demandeurs d’asile – au plan objectif (personnes dialysées ou femmes enceintes, par exemple) –, de la gestion du dispositif d’hébergement directif et de la nouvelle allocation pour les demandeurs d’asile (ADA).

Par ailleurs, la réforme du parcours d’accueil et d’intégration (18) implique notamment la mise en œuvre d’une formation civique renforcée, d’une formation linguistique rénovée permettant d’atteindre un niveau de langue supérieur, et d’un accompagnement adapté et personnalisé vers les services de droit commun.

Il existe aujourd’hui encore un décalage temporel entre la montée en puissance, en cours, des nouvelles missions dévolues à l’OFII, et l’évolution de ses missions plus traditionnelles, liées à la gestion des flux migratoires, ce qui place l’Office en situation de tension au plan interne.

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016 (19), la subvention pour charges de service public versée à l’OFII devrait augmenter de 4,2 millions d’euros au titre du plan « Migrants ». Les effectifs de l’OFII pourront augmenter de 40 ETPT par rapport à 2015.

C. LES ÉTRANGERS EN SITUATION RÉGULIÈRE

Parmi les dispositions figurant dans le projet de loi relatif au droit des étrangers, dont l’examen en première lecture est désormais achevé à l’Assemblée comme au Sénat, le Gouvernement propose deux mesures qui devraient avoir une incidence particulière pour les étrangers en situation régulière sur notre territoire : un renforcement du dispositif d’accueil et d’intégration ; une réforme des titres de séjour destinée à assurer une meilleure adéquation entre la durée de validité des titres et celle de la présence des étrangers concernés, mais aussi à renforcer notre attractivité à l’égard de certains publics.

Dans ce même cadre, le Gouvernement propose aussi une réforme du dispositif relatif aux étrangers malades qui aurait un impact sur le fonctionnement de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), qui est avec l’OFPRA le principal opérateur dans le champ de la présente mission budgétaire.

a. La réforme du parcours d’accueil et d’intégration

Dans sa forme actuelle, le contrat d’accueil et d’intégration (CAI) destiné aux étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne, et obtenant pour la première fois un titre de séjour les autorisant à s’installer durablement sur le territoire, fait l’objet d’un constat très largement partagé. Il est généralement perçu par ses bénéficiaires comme une contrainte et non comme l’opportunité de bénéficier d’un réel accompagnement. Il est en effet insuffisamment adapté au profil des migrants et à leurs besoins. Il est également trop court et le niveau linguistique recherché n’est pas assez élevé.

La réforme proposée permettra de rendre ce parcours pluriannuel, pour une durée de 5 ans. Un diagnostic individualisé sera réalisé dès l’accueil en France afin de prescrire des formations adaptées et d’assurer une orientation plus efficace. Les formations linguistiques devraient désormais permettre d’atteindre, à l’issue d’un an, le niveau A1 du cadre européen de référence pour les langues, puis le niveau A2 sur plusieurs années. La formation civique devrait reposer sur une approche plus concrète pour mieux faire comprendre les principes et les valeurs de la République. Le projet de loi lie par ailleurs la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à l’assiduité aux formations prescrites. La délivrance de la carte de résident sera également conditionnée à un niveau linguistique défini par décret en Conseil d’État.

b. La réforme des titres de séjour

– Le projet de loi relatif au droit des étrangers devrait permettre de remédier à un certain nombre de difficultés liées au principe général de renouvellement annuel des titres de séjour jusqu’à l’obtention d’une carte de résident. Il en résulte 5 millions de passages annuels en préfecture pour 750 000 titres renouvelés, avec les problèmes matériels que cela implique pour les personnes concernées, ainsi que des difficultés à s’intégrer en raison de la précarité du titre détenu.

Hormis certaines catégories très circonscrites, tous les étrangers présents régulièrement sur le territoire national pourraient désormais avoir accès à une carte de séjour pluriannuelle, d’une durée de 4 ans dans la majorité des cas – en ce qui concerne les étudiants, elle serait par exemple ajustée à la durée des études. Il sera ensuite possible de demander une carte de résident de dix ans. L’articulation entre ces différents titres permettra de constituer un parcours plus cohérent, allant d’une carte de séjour temporaire d’un an à la carte de résident en passant par une carte pluriannuelle de quatre ans.

– Afin d’attirer davantage les mobilités de l’excellence, de la connaissance et du savoir, une carte spécifique serait destinée aux étrangers apportant une contribution au développement et au rayonnement de la France, le « passeport talents », d’une durée maximale de 4 ans. Ce nouveau dispositif a vocation à remplacer une série de titres spécifiques qui sont trop nombreux pour être visibles, dont les règles de délivrance divergent, et qui, pour certains d’entre eux, ne sont quasiment jamais utilisés, à l’image de la carte « compétences et talents ».

c. La réforme du dispositif « étrangers malades »

Les étrangers résidant habituellement en France dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité se voient délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Le Gouvernement a souhaité modifier le dispositif actuel sur deux points :

– alors qu’il est aujourd’hui posé comme condition l’absence d’un traitement approprié dans le pays d’origine, c’est désormais l’effectivité de l’accès à un traitement approprié dans ce pays qui serait prise en compte ;

– afin de garantir l’homogénéité des décisions prises sur l’ensemble du territoire, la décision du préfet ne se fonderait plus sur l’avis d’un médecin de l’Agence régionale de santé (ARS), mais sur celui d’un collège de médecins du service médical de l’OFII.

D. LA LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE

Une politique efficace de lutte contre l’immigration irrégulière nécessite en particulier une action déterminée contre les filières, un nombre suffisant d’éloignements contraints, ainsi que des aides au retour volontaire bien conçues.

1. Une lutte contre les filières qui continue à s’intensifier

Dans le contexte actuel de forte pression migratoire aux frontières extérieures de l’Union, qui se traduit notamment en France par une situation très délicate dans la région de Calais, la lutte contre les passeurs et le trafic des migrants revêt une importance particulière.

Entendu par la commission le 30 septembre dernier, le ministre de l’intérieur a précisé qu’une trentaine de filières de passeurs a été démantelée à Calais et à Dunkerque depuis le début de l’année. Au plan national, 226 filières ont été démantelées en 2014, soit 11,3 % de plus qu’en 2013. Ces filières impliquaient 1 834 personnes. Au 31 juillet dernier, 177 filières avaient déjà été mises hors d’état de nuire, représentant 1 225 personnes hors étrangers en situation irrégulière.

Le tableau ci-dessous présente les résultats obtenus depuis 2008.

Années

Filières démantelées

Personnes impliquées

2008

101

Données non comptabilisées

2009

145

1 149

2010

183

1 184

2011

181

1 023

2012

178

1 278

2013

203

1 470

2014

226

1 834

Source : ministère de l’intérieur

L’origine géographique de ces filières se répartit comme suit :

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Au 31 juillet 2015

CHINE

13

PAKISTAN

13

BRESIL

22

BRESIL

17

ALGERIE

19

ALGERIE

19

BRESIL

20

TUNISIE

16

TURQUIE

10

BRESIL

13

CHINE

15

TUNISIE

16

BRESIL

15

BRESIL

16

TUNISIE

17

MAROC

14

IRAK

8

CHINE

12

VIETNAM

15

ALGERIE

14

CHINE

14

MAROC

13

CHINE

15

CHINE

11

BRESIL

8

INDE

11

COMORES

15

TURQUIE

13

RDC

10

CONGO RDC

12

ALGERIE

14

BRESIL

9

INDE

6

IRAK

10

INDE

13

PAKISTAN

9

PAKISTAN

9

HAITI

12

MAROC

13

HAITI

9

RDC

4

ALGERIE

9

MAROC

12

VIETNAM

8

TURQUIE

8

CHINE

10

COTE D’IV.

12

RDC

8

MAROC

4

RDC

7

ALGERIE

11

CHINE

8

CAMEROUN

7

ALBANIE

9

PAKISTAN

12

ALGERIE

7

TUNISIE

4

MAROC

7

TURQUIE

9

MALI

7

REP DOM

7

ROUMANIE

7

CAMEROUN

11

TURQUIE

7

 

 

COMORES

6

PAKISTAN

8

CAMEROUN

7

   

TUNISIE

7

RDC

9

   

 

 

 

 

ROUMANIE

8

 

 

   

AFGHANISTAN

7

 

     


Source : ministère de l’intérieur

Les mesures engagées au plan européen afin de lutter contre le trafic des êtres humains, notamment l’opération EUNAVFOR « Sophia », sont présentées dans la troisième partie de ce rapport, en même temps que la question de la sécurisation des frontières extérieures de l’Union.

2. Des éloignements forcés en hausse

Le décompte des éloignements d’étrangers en situation irrégulière reflète des modalités très différentes de prise en charge, qui sont souvent confondues de manière délibérée afin d’alimenter des polémiques artificielles sur les résultats :

– les éloignements forcés, se caractérisant par une décision d’éloignement mise en œuvre par la contrainte ;

– les éloignements aidés, caractérisés par la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement sans contrainte, grâce à une aide au retour, et les départs volontaires aidés, concernant des étrangers qui ont décidé de quitter le territoire sans avoir fait l’objet d’une mesure d’éloignement mais ont recours à une aide ;

– les éloignements spontanés, sans contrainte et sans aide, après une mesure d’éloignement, et les départs spontanés d’étrangers quittant le territoire alors qu’ils étaient en situation irrégulière (20).

Le nombre d’éloignements forcés a augmenté de près de 15 % depuis 2012. On en dénombrait 12 034 en 2010, 12 547 en 2011, 13 386 en 2012, 14 076 en 2013 et 15 161 en 2014.

Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur devant la commission (21), les éloignements qui rendent le mieux compte de la volonté et de la capacité des pouvoirs publics à éloigner les étrangers en situation irrégulière sont les éloignements forcés hors de l’Union européenne.

Au cours des six premiers mois de l’année 2015, 10 801 mesures d’éloignement ont été mises à exécution à partir de la métropole, dont 3 345 retours forcés de ressortissants de pays tiers vers des pays tiers, ce qui représente une augmentation de 15,2 % par rapport au premier semestre 2014.

Les éloignements forcés hors de l’Union européenne sont les plus difficiles à réaliser, non seulement en raison de la distance, mais aussi de la difficulté à obtenir des laissez-passer consulaires (LPC) dans de nombreux cas.

Le défaut de délivrance des LPC représente 16,3 % des causes d’échec des éloignements. Il faut également prendre en compte le fait que les services préfectoraux peuvent anticiper cette difficulté : un certain nombre d’étrangers en situation irrégulière sont remis en liberté sans tentative de mise à exécution de la mesure d’éloignement parce qu’ils sont dépourvus de document d’identité et qu’ils sont présumés ressortissants d’un pays ne délivrant pas de laissez-passer consulaires.

L'ÉVOLUTION DU TAUX DE DÉLIVRANCE DES LAISSEZ-PASSER CONSULAIRES.

Année

Laissez-passer demandés

Laissez-passer obtenus dans les délais utiles

Laissez-passer obtenus hors délais

Laissez-passer refusés

Demandes laissées sans réponse

(ou en attente)

Taux de délivrance dans les délais

2010

10 668

3 493

318

3 766

3 091

32,7 %

2011

8 350

2 460

227

1 787

3 876

29,5 %

2012

6 515

2 403

177

1 481

2 454

36,9 %

2013

7 022

2 474

168

1 327

3 053

35,2 %

2014

7 423

2 857

207

1 144

3 215

38,5 %

Source : ministère de l’intérieur

Un premier plan d’action a été mis en place à la fin de l’année 2013 en direction de quinze pays dont le taux de délivrance des LPC n’était pas jugé satisfaisant. Les ambassadeurs de la plupart des pays concernés ont été reçus au ministère des affaires étrangères en présence de la direction de l’immigration, et les postes français ont été mobilisés pour faire connaître à leurs interlocuteurs les fortes attentes de notre pays. Achevé au cours du premier semestre 2014, ce plan n’a pas conduit à une amélioration significative de la part des Etats les moins coopératifs.

Une nouvelle liste de pays a été établie en 2015 par le ministère de l’intérieur et celui des affaires étrangères : Algérie, Maroc, Tunisie, Égypte, Mali, Mauritanie, Sénégal, Inde, Pakistan et Bangladesh. Selon les indications fournies par le ministère de l’intérieur, le constat a été fait que ces pays ne relèvent pas d’actions identiques, non seulement parce que les pratiques sont différentes entre les États, voire entre les représentations consulaires d’un même pays, mais aussi parce qu’il existe des cadres juridiques différents (accords bilatéraux, européens…). Il a été décidé de définir des actions cibles, pays par pays, telles que l’emploi dans certaines circonstances du laissez-passer européen (LPE), la désignation d’interlocuteurs directs auprès des autorités centrales des pays concernés ou la prise de mesures à l’encontre des postes consulaires peu coopératifs.

3. La réforme des aides au retour volontaire et à la réinsertion

– Un nouveau régime est entré en vigueur début 2013 pour les aides au retour, suite au constat que le dispositif antérieur s’accompagnait d’un effet d’aubaine pour nombre d’étrangers en situation irrégulière, qui revenaient sur le territoire français après avoir été aidés à partir. L’aide financière a alors été réduite par rapprochement avec les pratiques d’autres États européens. Les montants ont été fixés comme suit :

– 500 euros par adulte et 250 euros par enfant mineur, versés au moment du départ, pour les bénéficiaires de pays tiers ;

– 50 euros par adulte et 30 euros par enfant mineur pour les bénéficiaires des pays de l’UE, de l’EEE et de la Confédération helvétique.

Cette réforme a conduit à un effondrement de 95,9 % du nombre de retours par rapport à 2012 pour les ressortissants de l’Union européenne et à une diminution de 20,5 % pour les ressortissants de l’ensemble des pays tiers. En 2014, les flux de retour ont encore reculé de 20,6 %, tous pays confondus. La baisse était alors particulièrement marquée en ce qui concerne les retours vers les pays communautaires (- 76,50 %), mais nettement moindre s’agissant des retours vers les pays tiers (- 1,27 %).

Dans ces conditions, une rénovation de la politique des aides au retour a été adoptée pour 2015. Il s’agit de renforcer l’attractivité des aides, en réévaluant leur montant, et d’augmenter le nombre de demandeurs d’asile déboutés susceptibles d’en être bénéficiaires.

Les montants des aides sont désormais les mêmes pour les adultes et les enfants. Le barème repose sur une distinction entre les ressortissants communautaires, les ressortissants de pays tiers soumis à visa et les ressortissants de pays tiers dispensés de visas, ainsi que le Kosovo. Une majoration exceptionnelle peut être accordée dans le cadre d’opérations ponctuelles, limitées dans le temps, pour favoriser les sorties de CADA et d’HUDA ou pour évacuer des campements et des squats.

Les aides financières s’établissent désormais comme suit :

– 650 euros par personne pour les ressortissants de pays tiers soumis à visa ;

– 300 euros par personne pour les ressortissants de pays tiers dispensés de visa et le Kosovo ;

– 50 euros par personne pour les ressortissants de l’Union européenne.

Le moment venu, il conviendra naturellement d'évaluer l’efficacité de cette nouvelle réforme. Le plan « Migrants » de juin dernier demandait en particulier que les aides au retour soient proposées systématiquement, selon le nouveau barème en vigueur. Un objectif minimal de 8 000 aides au retour vers des pays tiers (hors Union européenne) versées en 2015, contre 4 000 en 2014, a été fixé.

– S’agissant des aides à la réinsertion de l’OFII, un nouveau dispositif est également mis en œuvre depuis le 1er mai 2015. Alors que le régime précédent était surtout tourné vers la création d’entreprise, ce qui ne constituait pas la priorité des migrants concernés (22), le nouveau dispositif est plus diversifié. Il repose sur trois niveaux d’aide :

– une aide à la réinsertion sociale qui vise à prendre en charge les premiers frais d’installation de la famille (une partie du loyer, achat de mobilier, d’électroménager, frais médicaux et frais de scolarisation pour les enfants mineurs) ;

– une aide à la réinsertion par l’emploi, notamment par le biais d’une aide à la recherche d’emploi et, si nécessaire, d’une formation professionnelle liée à la prise de poste ;

– une aide à la réinsertion par la création d’entreprise, ne représentant plus que 30 % de l’enveloppe budgétaire dédiée aux aides à la réinsertion.

La mise en œuvre du nouveau dispositif d’aides à la réinsertion, dont le directeur général de l’OFII a indiqué que les déboutés du droit d’asile constituaient le public prioritaire (23), s’accompagne d’une démarche plus proactive, consistant à informer systématiquement les bénéficiaires potentiels à toutes les étapes de leur parcours, jusqu’à la prise d’une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) à leur égard.

III. MALGRÉ UNE CERTAINE PRISE DE CONSCIENCE ET PLUSIEURS AVANCÉES, LA RÉPONSE DEMEURE INCOMPLÈTE AU PLAN EUROPÉEN

L’accélération des flux migratoires aux frontières extérieures de l’Union européenne nécessite des réponses communes plus affirmées. La crise actuelle a révélé des carences dans la mise en place d’un véritable régime d’asile européen commun, dans la gestion des frontières extérieures et dans la coopération avec les pays d’origine et de transit des migrations.

Toute tentative de faire cavalier seul, au plan national, serait vouée à l’échec : aucun État membre de l’Union européenne n’est en mesure de faire face de manière isolée. La réponse à la pression migratoire aux frontières extérieures doit s’inscrire dans une approche globale et commune, à laquelle participent tous les États membres. Avec l’Allemagne, la France continue donc à être à l’initiative pour renforcer la réponse européenne.

A. METTRE EN PLACE UN RÉGIME EUROPÉEN D’ASILE PLUS INTÉGRÉ

Un régime d’asile européen commun, le RAEC, a été établi par deux séries de directives, dont la dernière a été finalisée entre 2011 et 2013. Il s’agissait de rapprocher davantage les normes en ce qui concerne l’éligibilité à la protection internationale et les droits octroyés aux bénéficiaires de cette protection (directive dite « Qualification »), de renforcer l’harmonisation des procédures d'asile afin de garantir la cohérence des systèmes mis en œuvre dans les différents Etats membres (directive dite « Procédures »), et d’unifier les conditions d’accueil pour garantir des niveaux comparables partout en Europe (directive dite « Accueil »).

Malgré ces importants travaux d’harmonisation, les politiques menées par les États membres peuvent rester assez différentes, de même que les appréciations portées sur la situation des pays d’origine des demandeurs d’asile, ce qui n’échappe nullement à ces derniers, ni surtout aux passeurs. Il manque aussi une dimension essentielle, à savoir une véritable solidarité, pour que le système d’asile européen puisse être considéré comme intégré et surtout pour qu’il présente une solidité suffisante face à des situations de pression ne touchant pas tous les États membres de manière équivalente, comme c’est aujourd’hui le cas en Europe.

1. La mise en œuvre des relocalisations décidées au plan européen

Une première série d’avancées a été réalisée depuis le début de l’année 2015 au moyen de deux mécanismes de relocalisation de personnes présentant manifestement un besoin de protection internationale. Ces nouveaux dispositifs, de nature provisoire, visent à aider les pays européens situés en première ligne face à l’afflux des réfugiés : la Grèce et l’Italie, mais aussi initialement la Hongrie.

a. Des engagements d’accueil pour 160 000 personnes ayant besoin d’une protection internationale

– Un premier mécanisme de relocalisation sur deux ans, concernant 40 000 personnes en clair besoin de protection internationale, a été adopté par le Conseil, le 20 juillet dernier, sur la base de l’article 78(3) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne relatif aux situations d’urgence en cas d’afflux massif de ressortissants de pays tiers. Conformément à la procédure prévue par cet article du traité, le Parlement a rendu son avis le 10 septembre, permettant l’adoption définitive de la décision par le Conseil quatre jours plus tard.

La relocalisation doit s’effectuer en provenance de l’Italie (24 000 personnes) et de la Grèce (16 000 personnes) vers les autres États membres. Sont considérées comme étant en clair besoin de protection internationale les personnes d’une nationalité dont le taux d’accord au titre de l’asile est supérieur à 75 % des demandes au plan européen. Il s’agit en pratique de ressortissants syriens, érythréens et irakiens. Cette décision organise une dérogation au règlement de Dublin pour permettre de transférer les demandeurs d’asile concernés vers un autre État membre, qui devient alors responsable de l’examen des demandes et de l’accueil des bénéficiaires de la protection internationale.

La France a offert d’accueillir les 6 752 demandeurs d’asile que la Commission avait proposé de lui allouer dans ce cadre, ce qui place notre pays au deuxième rang des pays d’accueil, derrière l’Allemagne. Selon les informations transmises par le ministère de l’intérieur, les engagements cumulés des États membres s’élèvent à ce stade à 32 256 places, le reste restant à sécuriser.

– Au vu des arrivées en Grèce et en Italie, ainsi qu’en Hongrie, la Commission a proposé une nouvelle décision du Conseil instituant des mesures provisoires en matière de protection internationale, le 9 septembre dernier. Ce mécanisme prévoit la relocalisation en deux ans de 120 000 personnes supplémentaires.

Le Conseil du 22 septembre dernier a adopté un projet de décision reposant lui aussi sur l’article 78(3) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est prévu de relocaliser 15 600 personnes supplémentaires depuis l’Italie et 50 400 depuis la Grèce. La Hongrie s’est finalement opposée à ce mécanisme, car elle refusait d’être considérée comme un État membre de première arrivée alors qu’une grande partie des flux entrant sur son territoire ont déjà traversé la Grèce. Les 54 000 personnes qui devaient initialement être relocalisées depuis le territoire hongrois devraient donc l’être depuis d’autres pays européens, la Grèce et l’Italie, un an après l’entrée en vigueur de la décision.

A l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark qui bénéficient de clauses d’opt-in et d’opt-out, tous les États membres se sont vu attribuer un volume de demandeurs d’asile à accueillir, sur la base d’une répartition cette fois obligatoire. La contribution de la France est de  12 962 personnes à ce titre.

– Le transfert d'un premier groupe de demandeurs d'asile de l'Italie vers la Suède a eu lieu le 9 octobre dernier. Les demandeurs d'asile concernés, qui étaient arrivés par bateau en Sicile, ont été enregistrés à Lampedusa, où ils ont accepté d'être transférés.

b. Deux corollaires indispensables à la relocalisation : la mise en place effective des « hot spots » et le renforcement de la politique de retour

– La notion de « hot spots », ou zones d’accueil, est apparue pour la première fois dans un document européen avec l’Agenda pour la migration, proposé en mai 2015 par la Commission. Le but de ces structures nouvelles, qui doivent être situées sur les lieux d’arrivée des migrants, est de permettre l’identification de ces derniers, leur enregistrement et la prise de leurs empreintes, avec le soutien des agences européennes compétentes (Frontex, le Bureau européen d’appui en matière d’asile et Europol). Il s’agit ensuite de mettre en œuvre une orientation adaptée en fonction des cas individuels : une procédure d’asile pour ceux qui relèvent de la protection internationale, une procédure de retour pour les autres.

La France a toujours considéré la mise en place et le bon fonctionnement des « hot spots » dans les pays situés en première ligne comme une condition du processus de relocalisation au plan européen. Ces centres doivent en effet permettre de rétablir un contrôle des flux par une entrée rapide dans une procédure d’asile pour les personnes en besoin de protection internationale et par un éloignement lui aussi rapide et systématique des migrants qui n’auraient pas vocation à se maintenir sur le territoire de l’Union européenne.

La mise en place des « hot spots » en Grèce et en Italie doit être achevée en novembre de cette année. Le processus semble plus avancé en Italie qu’en Grèce. Au 5 octobre, la feuille de route grecque indiquait que 5 « hot spots » doivent être créés, sur les îles de Lesvos, Chios, Kos, Samos et Leros. En Italie, 4 « hot spots » devraient être prêts d’ici au mois de novembre dans les ports de Pozzallo, Porto Empedocle, Trapani et Lampedusa, d’autres centres devant ouvrir ensuite.

Parmi les points qui devront être réglés, il faudra notamment parvenir à enregistrer tous les migrants dès leur entrée dans l’espace Schengen, ce qui n’est pas actuellement le cas. S’agissant plus spécifiquement de la Grèce, une autre question cruciale est celle des capacités d’accueil des migrants sur les îles pendant les phases d’enregistrement et d’orientation. Dans la perspective d’une politique d’éloignement plus effective, la procédure mise en œuvre à l’égard des migrants n’ayant pas vocation à rester sur le territoire de l’Union européenne devra également faire l’objet d’un suivi attentif.

– L’amélioration de la politique de retour est indispensable en parallèle à la mise en place des « hot spots ». Dans cette perspective, plusieurs orientations ont été établies par le Conseil européen du 15 octobre dernier.

Il s’agit en particulier de renforcer le rôle de Frontex, par la création d’un bureau pour les opérations de retour, et d’élargir le mandat de l’agence pour l’habiliter à organiser, de sa propre initiative, des opérations de retour conjointes, tout en renforçant son rôle pour l’obtention des documents de voyage nécessaires.

Compte tenu des difficultés à obtenir des laissez-passer consulaires auprès des représentations d’un certain nombre d’Etats, le Conseil européen a également insisté sur la nécessité de promouvoir l’acceptation par les pays tiers d’un laissez-passer européen amélioré.

Un autre principe endossé par le Conseil européen consiste à accroître les incitations en matière de retour et de réadmission, en appliquant le cas échéant le principe : « donner plus pour recevoir plus ». La Commission et la Haute représentante ont été chargées de proposer des mesures dans un délai de six mois.

2. Des questions en suspens

Une avancée a été réalisée avec la mise en place de mécanismes de relocalisation qui devraient permettre de concrétiser une solidarité européenne jusque-là peu organisée et d’aider les pays situés en première ligne à assumer leurs responsabilités.

Il reste à instaurer des mécanismes pérennes au sujet desquels les conclusions du Conseil européen du 15 octobre dernier restent très générales, se contentant de renvoyer à la nécessité de poursuivre les discussions dans les enceintes appropriées.

Plusieurs mesures complémentaires sont envisagées à ce stade, en particulier la mise en place d’un mécanisme de relocalisation qui ne serait plus provisoire, mais permanent. La question de la création d’une liste commune de pays d’origine sûrs est également posée, de même que celle de l’avenir du système de Dublin.

a. La création d’un mécanisme permanent de relocalisation

Le 9 septembre dernier, la Commission européenne a présenté une proposition de mécanisme permanent de relocalisation en cas de crise, par amendement au règlement de Dublin.

Un tel mécanisme pérenne, à la différence de ceux, temporaires, qui ont été présentés plus haut dans ce rapport, serait déclenché par un acte délégué de la Commission dans le cas où un État membre se trouverait confronté à une situation susceptible de remettre en cause le fonctionnement du régime de Dublin (24). Ce même acte délégué fixerait le nombre de personnes à relocaliser, ainsi que leur répartition entre les États membres.

En vertu de l’article 78(2) du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, un tel amendement relève de la procédure législative ordinaire.

b. La question de l’avenir du règlement de Dublin

À travers cette proposition d’amendement, c’est en réalité l’avenir du « système de Dublin » qui est posé.

Le règlement dit « Dublin III » du 26 juin 2013 établit les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Ce règlement pose le principe selon lequel un seul État membre est compétent pour l'examen d'une demande d'asile et établit des critères objectifs et hiérarchisés en la matière. Un des principaux critères est celui du premier pays d’entrée dans l’Union européenne.

Les interlocuteurs rencontrés par votre Rapporteur à l’occasion de son déplacement à Rome et à Catane, dans le cadre de la préparation du présent avis, ont insisté sur la nécessité de revoir le système de Dublin compte tenu de la situation des États de première entrée. Avec la question de la charge pesant sur ces Etats, en termes d’afflux de demandeurs, se pose aussi celle des difficultés persistantes à identifier les migrants, à les enregistrer et à prendre leurs empreintes, afin de permettre le bon fonctionnement du système de Dublin. Il faut aussi rappeler que les renvois vers la Grèce à partir des autres États membres sont suspendus depuis 2011 en raison des dysfonctionnements du système de l’asile grec.

Malgré l’existence de dysfonctionnements manifestes, la question de l’avenir du système de Dublin doit être abordée avec une grande prudence. Sans Dublin – ou un autre système permettant de déterminer l’Etat responsable de l’examen des demandes d’asile – et sans un contrôle effectif des frontières en corollaire, c’est l’acquis de l’espace Schengen qui risquerait d’être mis en cause, par un repli sur les frontières intérieures.

c. L’adoption d’une liste commune de pays d’origine sûrs

Une autre question en suspens est celle d’une éventuelle liste commune de pays d’origine sûrs. Cette proposition initialement émise par l’Allemagne, et soutenue par la France, fait encore l’objet de négociations au plan européen.

Il ne s’agirait sans doute pas de s’entendre sur une liste exhaustive de pays tiers, tous les États membres de l’Union n’étant pas concernés par les mêmes flux, en particulier pour des raisons de proximité historique avec certains pays d’origine. L’adoption d’une liste commune permettrait toutefois de compléter le rapprochement des politiques d’asile au plan européen en remédiant partiellement aux différences d’appréciation qui peuvent se manifester en ce qui concerne les pays d’origine des demandeurs.

Le ministre de l’intérieur, M. Bernard Cazeneuve, a par ailleurs indiqué à la commission (25) que le fait de donner une portée juridique au plan européen à une telle liste de pays sûrs intéresse notamment la France au regard des fluctuations de sa propre liste, nationale, à la suite d’un certain nombre d’annulations prononcées par le Conseil d’État.

B. GÉRER PLUS EN COMMUN LES FRONTIÈRES EXTÉRIEURES DE L’UNION EUROPÉENNE

Bien que chaque portion des frontières extérieures de l’Union relève de la responsabilité d’un État membre en particulier, l’effectivité du contrôle ainsi exercé est une question d’intérêt commun, notamment au regard des règles de libre circulation au sein de l’espace Schengen.

Parmi les mesures devant permettre d’aller vers une gestion commune plus efficace des frontières extérieures, plusieurs opérations maritimes ont pu être lancées et renforcées, dans un premier temps. Deux d’entre elles sont placées sous l’égide de l’agence européenne Frontex : « Triton », dont l’État hôte est l’Italie, et « POSEIDON Sea », autour de la Grèce. Une opération « EUNAVFOR Sophia » a également créée au titre de la politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne.

Ces opérations présentent certes une utilité manifeste, mais elles ne suffisent pas à épuiser la question du renforcement des frontières extérieures de l’Union. Les conclusions du Conseil européen du 15 octobre dernier ont permis de tracer un certain nombre de perspectives qui restent à mettre en œuvre.

1. Les opérations maritimes « Triton », « POSEIDON Sea » et « EUNAVFOR Sophia »

Les opérations conjointes menées sous l’égide de Frontex, « Triton » en Méditerranée centrale et « POSEIDON Sea », qui couvre l’Est de la mer Egée, la mer Ionienne et la Méditerranée orientale, ont été renforcées compte tenu du niveau de la pression migratoire (26).

– L’opération « Triton » a pris la suite de l’opération italienne « Mare Nostrum » de sauvetage en haute mer. Déployée à partir du 24 octobre 2013, cette dernière opération a officiellement pris fin le 1er novembre 2014. Les caractéristiques de « Triton » sont notamment différentes de celles de « Mare Nostrum » dans la mesure où il s’agit d’une opération de contrôle des frontières extérieures et de lutte contre l’immigration irrégulière. Conformément à la convention internationale sur la recherche et le sauvetage maritime du 27 avril 1979, les moyens déployés doivent toutefois se porter au secours des embarcations en détresse qui se signaleraient.

Le périmètre d’intervention de « Mare Nostrum » était étendu au plus près des côtes libyennes. Celui de « Triton », plus restreint, a été prolongé vers le Sud jusqu’à une distance de 153 kilomètres de la Libye. « Triton » fait appel, pour la haute saison, aux moyens suivants : 3 avions de surveillance, 6 patrouilleurs de haute mer, 12 bateaux de patrouille côtière et 2 hélicoptères.

En parallèle, il faut noter que les autorités italiennes ont renforcé le dispositif aéronaval qu’elles déploient en Méditerranée centrale dans le cadre de l’opération « Mare Sicuro ». Ce dispositif qui est activé en façade des côtes d’Afrique du Nord, notamment libyennes, pour des missions de surveillance, de sécurité et de sûreté maritimes, comprend cinq unités navales et représente environ 1 000 militaires par jour.

– L’opération « POSEIDON Sea » est le volet maritime du programme POSEIDON, cordonné par l’agence Frontex. Ce programme comprend aussi un volet terrestre aux frontières avec la Bulgarie et la Turquie.

Les États participant à l’opération « POSEIDON Sea » mettent à disposition des « debriefers », chargés d’auditionner les migrants pour établir leur parcours, des « screeners », chargés de déterminer leur nationalité, des officiers de première ligne, des spécialistes en fraude documentaire et des interprètes (27). En renfort des moyens grecs, la Norvège, le Portugal, la Lettonie, les Pays-Bas et l’Italie mettent aussi à disposition des navires de patrouille côtière, tandis que la Lettonie et la Slovaquie apportent des moyens aériens. À cela s’ajoutent des moyens de surveillance.

– L’opération EUNAVFOR MED, désormais renommée « Sophia », a été mise en place à partir du 22 juin 2015, à la suite d’une décision du Conseil de l’Union européenne datant du 18 mai précédent. Cette opération a été adoptée au titre de la politique de sécurité et de défense commune, afin de lutter contre le trafic de migrants en Méditerranée.

D’abord limitée à une première phase de recueil de renseignement, l’opération est passée de manière effective, à compter du 7 octobre dernier, à une phase 2.1 qui prévoit l’arraisonnement, la fouille et la saisie, dans les eaux internationales, des navires et embarcations soupçonnés d’être utilisés pour la traite des êtres humains. Les moyens engagés interviennent actuellement à la limite des 12 miles correspondant aux eaux territoriales libyennes.

Le passage à la phase 2.2, qui se déroulerait cette fois dans les eaux territoriales libyennes, nécessiterait une autorisation donnée dans le cadre d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies (28) et l’aval des autorités libyennes. La phase 3 de l’opération consisterait à s’attaquer à terre aux embarcations, navires et ressources servant au trafic de migrants.

Les effectifs mobilisés à ce stade sont composés de 1 143 militaires mis à disposition par 18 pays. Quatre unités navales sont déployées : un porte-aéronefs italien, une frégate et un pétrolier ravitailleurs allemands, un patrouilleur britannique. L’Italie, le Luxembourg, la France et la Grande-Bretagne fournissent des aéronefs de surveillance maritime.

2. Les perspectives de renforcement

Les conclusions adoptées par le Conseil européen du 15 octobre dernier mettent l’accent sur la nécessité de renforcer la protection des frontières extérieures de l’Union européenne en travaillant à la mise en place progressive d’un « système de gestion intégrée ».

Dans un premier temps, l’approche retenue consiste à mettre pleinement en œuvre le mandat actuel de l’agence Frontex, notamment en ce qui concerne le déploiement d’équipes d’intervention rapide aux frontières, en soutien aux États en difficulté et à leur demande. Pour ce faire, il s’agirait de renforcer les moyens mis à la disposition de l’agence, comme celle-ci en a d’ailleurs fait la demande aux États membres.

Dans un second temps, le Conseil européen a accepté la perspective d’un élargissement du mandat de Frontex dans le cadre de discussions sur la création d’un corps de garde-frontières et de garde-côtes européens. Cela permettrait de mobiliser et de déployer plus rapidement des moyens en cas de nécessité. Par ailleurs, en dépit de réserves chez un certain nombre de nos partenaires sur la question des compétences nationales en matière de contrôle des frontières, la responsabilité de déployer ces moyens nouveaux pourrait désormais être confiée directement aux autorités européennes, en réponse à des difficultés constatées dans un État membre.

C. DÉVELOPPER DAVANTAGE LA « DIMENSION EXTÉRIEURE » DES POLITIQUES EUROPÉENNES D’IMMIGRATION ET D’ASILE

Si l’Europe doit elle-même s’adapter à la situation à ses frontières, en parallèle des actions engagées dans chacun de ses États membres, une partie essentielle de la réponse est aussi à chercher du côté des pays d’origine et de transit.

Cela suppose d’intégrer pleinement la dimension « extérieure » des politiques menées en matière d’immigration et d’asile, afin de s'attaquer plus efficacement aux causes profondes des flux migratoires, en particulier les crises politiques et sécuritaires, les violations des droits de l'homme, le faible niveau de développement socio-économique et la question de la mauvaise gouvernance.

1. Traiter les causes à la racine

a. Les principaux conflits dans le voisinage européen

Bien que cette question dépasse très largement le cadre du présent avis, la contribution de l’Union européenne et de ses États membres à la résolution des crises en Syrie, en Irak et en Libye constitue naturellement un aspect majeur de la réponse qui doit être apportée à la situation migratoire actuelle.

Compte tenu de la part des ressortissants syriens dans les arrivées par la voie méditerranéenne – 53 % selon le HCR –, la pression aux frontières extérieures de l’Union ne cessera pas tant que la crise syrienne continuera. Les États membres, mais aussi la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, doivent continuer à soutenir les efforts diplomatiques concernant la Syrie. L’Europe doit s’affirmer comme un acteur dans la recherche d’une solution à cette crise.

Il en va de même en Libye, dont la stabilisation est une priorité tant pour les Libyens et pour l’ensemble de leurs voisins immédiats que pour l’Union européenne. Chacun peut mesurer les conséquences de la progression de Daesh en Libye, de l’absence de contrôle des frontières et de la montée de l’insécurité dans ce pays. Une réaction européenne s’impose, notamment si le dialogue inter-libyen finit par aboutir : le moment venu, l’Union européenne devra apporter sa contribution en matière de gouvernance, de soutien au processus institutionnel et politique, de redressement et de sécurisation du pays.

b. L’aide publique au développement

Outre les efforts nécessaires pour essayer de résoudre les crises politiques et sécuritaires qui se déroulent dans le voisinage immédiat de l’Union européenne, l’outil de l’aide publique au développement mérite d’être mobilisé davantage et plus efficacement en réponse au développement des flux migratoires à dominante économique.

Afin de traiter les causes de ces migrations à la racine, il importe non seulement de dégager des moyens supplémentaires en faveur du développement, notamment en Afrique, mais aussi d’inscrire cette politique dans un cadre plus stratégique et plus intégré, en lien avec le reste de notre action extérieure et dans une perspective européenne. Le lien entre l’aide publique au développement et les questions migratoires mérite notamment d’être davantage réalisé.

2. Le renforcement de la coopération avec les pays tiers

a. Prendre exemple sur les coopérations développées par l’Espagne ?

Les autorités espagnoles se sont engagées, il y a une décennie, dans une politique de coopération avec le Sénégal, la Mauritanie et le Maroc qui visait à faire participer ces pays à la protection de leurs propres frontières et ainsi à éviter un grand nombre de passages de migrants illégaux. Cette politique a conduit à une chute drastique des départs vers les îles espagnoles des Canaries.

Cela suppose toutefois de pouvoir s’adresser à des États qui fonctionnent. Il faudra probablement encore un certain temps pour qu’une telle politique puisse être menée avec la Libye. Ce contexte particulièrement difficile rend encore plus aigüe la nécessité d’agir le plus en amont possible, au-delà de la Méditerranée et de la Libye.

Le Niger, pays pivot sur les routes migratoires de l’Afrique subsaharienne vers l’Europe, constitue ainsi l’un des points d’application prioritaires de la coopération qui doit être menée avec les pays tiers. Outre différents projets à dimension européenne, on peut notamment citer les actions menées dans ce pays par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) en matière d’assistance aux migrants en transit, d’accompagnement au retour des migrants en provenance de Libye vers leur pays d’origine, mais aussi de communication et d’information sur les risques encourus dans le cadre de l’immigration irrégulière.

Comme le Premier ministre l’a indiqué lors du débat en séance sur l’accueil des réfugiés en France et en Europe (29), notre pays soutient notamment la mise en place au Niger de centres de prévention des départs et d’aide au retour des migrants, sous l’égide de l’OIM et en pleine coopération avec les autorités nigériennes.

b. Les attentes placées dans le prochain sommet de la Valette

Dans une perspective plus globale, à l’échelle régionale, la question des migrations figure à l’agenda des sommets UE-Afrique depuis leur création. En mai dernier, dans le cadre de l’Agenda européen pour la migration, la Commission a proposé la tenue d’un sommet spécial avec des Etats africains clefs, afin d’élaborer une approche commune.

Ce sommet doit avoir lieu à la Valette, les 11 et 12 novembre 2015. Il réunira les parties prenantes du processus de Rabat, qui rassemble depuis 2006 des États membres de l’Union européenne et des pays d’Afrique du Nord et d’Afrique centrale et orientale, ainsi que les parties au processus de Khartoum, initiative similaire qui a vu le jour en décembre 2014 avec les pays de la Corne de l’Afrique.

Un fonds fiduciaire pour la stabilité et la lutte contre les causes profondes des migrations, doté de 1,8 milliard d’euros, pourrait voir le jour à l’occasion du sommet de la Valette. Les pays européens attendent par ailleurs des avancées en matière de contrôle des frontières, de lutte contre le trafic des êtres humains et de retour des migrants économiques. Les interlocuteurs que votre Rapporteur a pu rencontrer en Italie mettaient notamment l’accent sur l’application effective de l’article 13 des accords de Cotonou, en vertu duquel tous les États participants s’engagent à réadmettre leurs propres ressortissants sans autres formalités.

c. La Turquie et les autres pays tiers qui accueillent des réfugiés

Compte tenu de l’ampleur des flux, un autre volet essentiel du renforcement de la coopération avec les pays tiers doit concerner les pays voisins de la Syrie.

– Comme votre Rapporteur l’a précédemment rappelé, les besoins de financement recensés par les Nations Unies pour répondre aux aspects humanitaires de la crise syrienne ne sont aujourd’hui couverts qu’à hauteur de 40 %. Or, si les conditions d’accueil se dégradent, les flux vers l’Europe en provenance de Syrie et des pays voisins, qui accueillent une très grande majorité des réfugiés syriens, ne peuvent que s’accentuer.

A cet égard, il convient d’aider de manière plus significative des pays tels que le Liban, la Jordanie et la Turquie. Lors de la réunion informelle du Conseil européen qui a eu lieu le 23 septembre dernier, il a ainsi été décidé de renforcer le soutien apporté au Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), au Programme alimentaire mondial (PAM), ainsi qu’à d’autres programmes et agences spécialisées, et d’augmenter le financement du fonds régional d'affectation spéciale de l'UE, le fonds « Madad », qui a été établi en réponse à la crise syrienne. Il conviendra de suivre attentivement la mise en œuvre de ces décisions.

– Parmi les pays de la région, la Turquie a vocation à être un partenaire clef dans le domaine migratoire. L’importance des flux provenant de ce pays en direction de l’Europe conduit naturellement à chercher à renforcer notre coopération. Le 5 octobre dernier, un projet de plan d'action européen a ainsi été remis au Président turc. Il comporte deux volets principaux : d’une part, l’assistance que nous pouvons apporter pour l’accueil des réfugiés ; d’autre part, la lutte contre les trafics, le renforcement de la frontière avec la Grèce et la politique de réadmission en Turquie.

Les autorités turques ont formulé, dans ce cadre, une série de demandes qui concernent notamment l’accélération du processus de libéralisation des visas, le classement de la Turquie comme pays d’origine sûr, une assistance financière qui pourrait aller jusqu’à 3 milliards d’euros pour la crise des réfugiés, ainsi qu’une redynamisation du processus d’accession de la Turquie à l’Union européenne sur plusieurs chapitres de négociation.

Si la perspective d’un renforcement de la coopération avec la Turquie dans le domaine des flux migratoires doit être saluée, un suivi attentif devra là aussi être exercé dans le cadre de la commission.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

EXAMEN DES CREDITS

À l’issue de l’audition, en commission élargie, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur, le jeudi 22 octobre 2015 (30), la commission des affaires étrangères examine, pour avis, les crédits pour 2016 de la mission « Immigration, asile et intégration », sur le rapport de M. Jean-Pierre Dufau.

La commission est saisie de l’amendement II-74 (article 24, état B) du Gouvernement.

M. Jean-Pierre Dufau, rapporteur pour avis. Cet amendement du Gouvernement vise à augmenter les crédits de la mission budgétaire de près de 100 millions d’euros supplémentaires. Il s’agit de prendre en compte les engagements récents d’accueil de la France dans le cadre des décisions prises au mois de septembre dernier pour relocaliser 160 000 demandeurs d’asile au plan européen. Ils devraient être un peu plus de 30 000 à être accueillis dans notre pays. Avis favorable à cette actualisation des crédits.

La commission donne un avis favorable à l’amendement du Gouvernement.

Puis, conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission donne un avis favorable à l’adoption des crédits de la mission « Immigration, asile et intégration » pour 2016 modifiés.

ANNEXE :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LE RAPPORTEUR

1. À Paris (par ordre chronologique) :

– M. Pierre-Antoine MOLINA, directeur général des étrangers en France (au ministère de l’intérieur), accompagné de M. Jean DE CROONE, directeur adjoint à la direction de l'immigration, Mme Marie MASDUPUY, chef du service de la stratégie et des affaires internationales, Mme Brigitte FRENAIS-CHAMAILLARD, chef du service de l'asile, M. Alain CIROT, chef du service du pilotage et des systèmes d'information, et Mme Laetitia BELAN, chef du bureau du pilotage et de la synthèse budgétaire et financière ;

– M. Philippe LECLERC, représentant en France du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), accompagné de Mme Florence BOREIL, associée à la protection, et de Mme Caroline LALY-CHEVALIER, chargée de liaison auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ;

– M. Yannick IMBERT, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

2. A l’occasion d’un déplacement en Italie (les 5 et 6 octobre 2015) :

– Son Exc. Mme Catherine COLONNA, ambassadrice de France en Italie ;

– M. Jonathan CORDIER, conseiller politique à l’ambassade de France en Italie ;

– Mme Maria Guia FEDERIC, Préfète de Catane ;

– M. Claudio SANFILIPPO, adjoint au Questeur de Catane ;

– M. Marco CONSOLI, adjoint au Maire de Catane ;

– M. Sebastiano MACCARRONE, directeur du centre d’accueil (CARA) de Mineo ;

– M. Giovanni PINTO, directeur central de l’immigration et de la police des frontières ;

– Mme Micaela CAMPANA, députée PD (Partito Democratico) ;

– M. Andrea de BONIS, Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (représentation régionale pour l’Europe du Sud) ;

– M. Federico CIATTAGLIA, sous-directeur « Justice et Affaires intérieures » à la direction générale de l’Union européenne du ministère des affaires étrangères.

*

La commission a par ailleurs auditionné :

– le 3 juin 2015 : M. Fabrice LEGGERI, directeur exécutif de l’Agence européenne Frontex, et M. Luc DEREPAS, directeur général des étrangers en France (au ministère de l’intérieur), sur la situation migratoire en Méditerranée ;

– le 30 septembre 2015 : M. Pascal BRICE, directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;

– le 30 septembre 2015 : M. Bernard CAZENEUVE, ministre de l’intérieur, sur la situation migratoire (31) ;

– le 20 octobre 2015 : M. Harlem DESIR, secrétaire d’Etat aux affaires européennes, sur le Conseil européen du 15 octobre 2015 (32).

© Assemblée nationale

1 () Chargée de la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures de l’Union européenne.

2 () Selon le HCR, plus de 3 000 personnes auraient perdu la vie ou sont portées disparues en mer depuis le début 2015, contre 3 500 l’année dernière.

3 () Audition du 3 juin 2015.

4 () Source : Frontex.

5 () Même source.

6 () Sur ce point, voir la troisième partie du présent rapport.

7 () Audition du 7 octobre 2015.

8 () Même source.

9 () Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes, du 30 septembre 2015.

10 () Audition du 30 septembre 2015.

11 () Audition du 3 juin 2015.

12 () Audition du 30 septembre 2015.

13 () Dans le cadre du projet de loi, hors amendement déposé par le Gouvernement (cf. ultra).

14 () Cf. ultra.

15 () Cf. supra.

16 () Cf. ultra.

17 () Cf. ultra.

18 () Cf. ci-après.

19 () Hors amendement présenté par le Gouvernement.

20 () Jusqu’au 1erjuillet 2014, un étranger se présentant à la frontière sans avoir fait l’objet d’une mesure d’éloignement, mais étant néanmoins en situation irrégulière, pouvait faire l’objet d’une décision d’éloignement à la frontière (OQTF « flash »), la sortie du territoire étant alors enregistrée dans la catégorie des éloignements spontanés.

21 () Audition du 30 septembre 2015.

22 () A ce jour, le dispositif est ouvert aux ressortissants de 27 pays étrangers.

23 () Audition du 1er octobre 2015.

24 () Cf. ci-après.

25 () Audition du 30 septembre 2015.

26 () Dans ce contexte, le budget 2015 de l’Agence Frontex, qui était initialement de 114 millions d’euros, a été porté à plus de 142 million, l’augmentation étant consacrée pour l’essentiel aux opérations. Ce budget, qui était de 95 millions en 2014, devrait être porté à 172 millions en 2016.

27 () La France met à disposition 12 experts répartis sur les sites de contrôle des îles de Samos et de Lesbos, ainsi qu’au Pirée.

28 () Autorisation d’intervenir dans les eaux territoriales libyennes que ne prévoit pas la résolution du 9 octobre 2015 du Conseil de sécurité. Cette résolution a d’ailleurs été adoptée postérieurement au déclenchement de la phase 2.1 au plan européen.

29 () Séance publique du 16 septembre 2015.

30 () http://www.assemblee-nationale.fr/14/budget/plf2016/commissions_elargies/cr/c007.asp

31 () Audition conjointe avec la commission des affaires européennes.

32 () Audition conjointe avec la commission des affaires européennes.