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Commission des affaires étrangères

Mercredi 8 octobre 2014

Séance de 8 heures 15

Compte rendu n° 4

Présidence Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur la lutte contre le terrorisme

Audition, ouverte à la presse, de M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, sur la lutte contre le terrorisme.

La séance est ouverte à huit heures vingt.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Il est assez rare que la commission des affaires étrangères accueille le ministre de l’intérieur : c’est, en tout cas, une première au cours de cette législature. Merci d’avoir accepté notre invitation, monsieur le ministre. Il était indispensable que nous vous entendions, tant la sécurité extérieure et la sécurité intérieure de notre pays sont liées, à plus forte raison avec la menace terroriste très importante qui pèse actuellement sur lui.

Les succès militaires de Daech en Irak et en Syrie – les djihadistes viennent de prendre les faubourgs de Kobané, à la frontière turque – en ont fait un pôle d’attraction pour une nouvelle génération de terroristes. Ceux-ci viennent du monde entier, ils sont souvent très jeunes et très radicalisés, en général par une propagande active diffusée sur internet – à cet égard, nous avons pu lire récemment le témoignage d’une très jeune fille. Même si elle n’est pas la seule concernée, la France est particulièrement exposée au péril que représentent ces combattants étrangers qui reviennent au pays après s’être formés au djihad en Syrie ou en Irak et qui risquent de commettre des attentats sur le sol national. À votre initiative, monsieur le ministre, l’Assemblée nationale a adopté le mois dernier un projet de loi visant à renforcer notre arsenal législatif en matière de lutte contre le terrorisme. Ce texte est actuellement examiné par le Sénat. D’autre part, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité, le 24 septembre dernier, une résolution qui demande à tous les États membres de prendre des mesures préventives afin d’empêcher les départs, de coopérer entre eux et de sanctionner les djihadistes à leur retour.

Le nombre de Français candidats au djihad qui sont partis combattre en Syrie ou en Irak n’a cessé d’augmenter au cours des derniers mois. Le ministre de la défense, que nous avons reçu récemment, nous a communiqué des chiffres, qui ont sans doute encore évolué depuis lors. Nous souhaiterions connaître les dernières estimations : combien de Français se trouvent actuellement en Syrie ou en Irak ? Combien sont prêts à partir, en transit ou revenus ? Combien ont été tués au cours des combats ? Dans quelles circonstances ? Dans l’attente de l’adoption définitive du projet de loi, quelles mesures avez-vous mises en œuvre pour appréhender ces individus ? Quels résultats avez-vous pu obtenir ? Vos services ont procédé à de nombreuses arrestations, soit à titre préventif, soit en vue de sanctionner des Français de retour du djihad.

Les ratés dans l’arrestation de trois djihadistes français revenus de Syrie en passant par la Turquie ont suscité de nombreuses questions. Vous vous êtes expliqués à deux reprises, monsieur le ministre, sur les problèmes de transmission de l’information. Sans doute reviendrez-vous sur ce sujet. Quel est, en premier lieu, le rôle de la Turquie ? Ce pays est la porte d’entrée de 90 % des combattants étrangers en Syrie et en Irak. Or les autorités turques semblent avoir réagi tardivement à ce phénomène, en mettant en place des listes de combattants étrangers à expulser vers leur pays d’origine et en renforçant leur coopération avec les services de renseignement des pays concernés. À la suite des dysfonctionnements que j’ai rappelés, vous avez rencontré votre homologue turc à Ankara. Quelle analyse faites-vous de notre coopération avec la Turquie ? Avez-vous pu prendre des mesures concrètes pour prévenir de nouveaux dysfonctionnements ? Quelles sont nos attentes à l’égard des Turcs et, réciproquement, quelles sont leurs attentes à notre égard ?

Cette affaire a aussi révélé l’urgente nécessité d’une réponse européenne à la menace terroriste au sein de l’espace Schengen. En application des accords de Schengen, la suppression des frontières intérieures de l’Union européenne entre la plupart des États membres devait s’accompagner d’un contrôle accru aux frontières extérieures et d’un renforcement de la coopération entre États membres. Vous l’avez vous-même souligné, monsieur le ministre : notre dispositif national serait voué à l’inefficacité en l’absence d’initiatives européennes. Vous avez notamment précisé que les trois djihadistes ne seraient pas passés à travers les mailles du filet si nous avions disposé, au niveau européen, d’un registre de données des dossiers passagers – passenger name record (PNR) – permettant de partager des informations sur les personnes qui transitent par les plates-formes aéroportuaires. La mise en place d’un tel registre tarde en raison, semble-t-il, d’obstacles au Parlement européen. D’autre part, l’interdiction de sortie du territoire prévue par votre projet de loi à l’encontre des personnes suspectées de vouloir partir faire le djihad ne pourra être efficace que si le système d’information Schengen (SIS) est adapté de telle façon que cette interdiction y soit signalée. Pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, où vous en êtes de vos démarches pour mobiliser nos partenaires européens sur ces deux sujets cruciaux pour notre sécurité ?

Le point fort des terroristes de Daech est leur communication via les sites internet et les réseaux sociaux, sur lesquels ils affichent des images d’une cruauté inouïe. Ils parviennent ainsi à recruter d’autres jeunes. Le projet de loi que vous avez présenté comporte des mesures qui permettront de bloquer les sites faisant l’apologie du terrorisme, mais rien n’est prévu pour les réseaux sociaux. Vous semble-t-il possible de mettre en place une véritable contre-propagande, susceptible de faire pièce au message terroriste ? Vous êtes aussi le ministre chargé des cultes. Comment associer à cette communication les responsables religieux, en particulier musulmans ? Ceux-ci se sont déjà exprimés publiquement et ont participé à des manifestations contre le terrorisme. Mais peut-on faire plus et mieux de ce point de vue, en évitant cependant de tomber dans la stigmatisation des communautés musulmanes ? C’est, bien sûr, la communauté nationale dans son ensemble qui doit réagir.

Enfin, en matière de politique d’asile et d’immigration, que faisons-nous pour les minorités qui sont persécutées par Daech ? Les Kurdes en particulier, dont les compatriotes sont pris en étau dans la ville de Kobané, ont manifesté devant l’Assemblée nationale.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je remercie votre commission de m’offrir l’hospitalité pour évoquer la lutte contre le terrorisme. Celle-ci revêt une dimension nationale : nous devons protéger nos ressortissants contre les risques liés aux activités des combattants étrangers, Français pour certains, qui sont partis sur le théâtre des opérations djihadistes en Syrie ou en Irak. Elle présente aussi une dimension européenne et internationale : nos services de renseignement et de police coopèrent avec leurs homologues d’autres pays. Elle a, enfin, une dimension diplomatique et militaire, sur laquelle je ne souhaite pas m’exprimer, car elle relève de la compétence d’autres ministres.

Je souhaite insister, premièrement, sur la dimension exceptionnelle et inédite du problème auquel nous sommes confrontés. La France a déjà eu à affronter le terrorisme au cours des dernières décennies : l’action de groupes politiques radicalisés tels qu’Action Directe ou celle de groupes qui s’étaient structurés de façon très isolée à l’étranger et avaient commis des attentats ponctuels en France avant de repartir à l’étranger – je pense notamment à des groupes qui s’étaient constitués en Algérie au lendemain de la guerre d’Afghanistan tels que le Groupe islamique armé (GIA). Mais nous avons désormais affaire à une nouvelle problématique : celle d’un terrorisme en libre accès. Profitant de la numérisation de la société, les groupes terroristes développent une propagande très efficace sur internet, qui conduit un très grand nombre de ressortissants de l’Union européenne à s’engager dans des actions terroristes non seulement en Syrie et en Irak, mais aussi dans la bande sahélo-saharienne, où le terrorisme a essaimé avec, entre autres, Ansar Al-Charia, Al-Qaïda au Maghreb islamique, Boko Haram et Al-Mourabitoune. Ces groupes, plus ou moins liés entre eux, commettent tous des crimes et des exactions spectaculaires qui choquent les esprits.

De plus, la déréliction de l’État dans un certain nombre de pays permet aux terroristes de développer leur activité sans trop de contrôles. La Libye, en particulier, est devenu l’un des foyers les plus problématiques, à partir duquel le terrorisme essaime, notamment en Afrique du Nord. Elle est, par ailleurs, l’un des principaux pays de départ des migrants vers plusieurs pays de l’Union européenne. Si beaucoup de ces migrants – nous le constatons à Calais – fuient les persécutions, les tortures et les exécutions commises par les groupes terroristes, d’autres sont victimes d’une véritable traite des êtres humains : après avoir prélevé sur eux des sommes considérables, des acteurs de l’immigration irrégulière les poussent à emprunter des embarcations de fortune pour traverser la Méditerranée. Ces migrants sont alors exposés à des dangers considérables – mort, naufrage – et arrivent en Italie dans les conditions que nous savons. Tel est le contexte global et tels sont les risques qui pèsent sur nos pays.

Le ministre des affaires étrangères et le ministre de la défense ont rappelé devant cette commission et d’autres l’action que nous conduisons au sein de la coalition. À cet égard, je souhaite évoquer la mémoire de notre compatriote Hervé Gourdel : c’est parce que la France incarne des valeurs et des principes, en particulier l’attachement à la démocratie et aux droits de l’homme, que des groupes terroristes veulent la toucher au cœur. Les terroristes commettent ces crimes pour impressionner, semer la peur, instiller la terreur au sein des démocraties pour tenter de les déstabiliser. Nous sommes, avec les Français, sous le coup de l’émotion causée par ce crime abject, manifestation de l’horreur absolue. Mais, face à ces événements, nous devons aussi être capables de garder notre sang-froid et notre calme, afin d’arrêter tous les dispositifs qui permettent d’assurer la sécurité des Français.

Je souhaite insister, deuxièmement, sur l’ampleur du phénomène : nous assistons à des départs très importants de ressortissants de l’Union européenne vers le théâtre des opérations djihadistes en Syrie ou en Irak. Pour ce qui est de la France, le nombre de ses ressortissants combattant au sein des groupes terroristes Daech et Jabhat Al-Nosra a considérablement augmenté au cours des six derniers mois : il est passé de 234 à plus de 350, dont 76 femmes et 9 mineurs. En outre, 233 Français ont manifesté des velléités de départ, 184 sont en transit et 199 ont quitté la Syrie. Au total, le nombre de nos compatriotes liés de près ou de loin à des groupes ou a des activités terroristes est passé de 555 à près de 1 000 au cours des six derniers mois, soit une augmentation de 82 %.

En ce qui concerne les autres pays, d’après des chiffres du mois de mai, sur environ 8 600 volontaires étrangers engagés dans les groupes terroristes en Irak et en Syrie, 2 000 seraient des Européens, soit 10 % de l’effectif global de ces groupes. Les principaux contingents proviendraient du Liban et de la Jordanie – 2 000 combattants pour chacun de ces deux pays –, de la Tunisie – 1 500 à 2 000 combattants –, de l’Égypte – 1 000 –, du Maroc – 800 –, mais aussi de pays européens, en particulier du Royaume-Uni – entre 300 et 400 –, de l’Allemagne – 300 –, de la Belgique – de 200 à 300 –, de l’Espagne – autour de 100. Le Canada, l’Australie, les États-Unis et un certain nombre de pays d’Asie du Sud-Est sont également concernés. À l’occasion de mon récent déplacement à Ankara, les autorités turques m’ont indiqué avoir effectué des contrôles sur des combattants étrangers de 83 nationalités différentes.

Face à cette réalité, il faut que nous parvenions à prendre des dispositions qui permettent de protéger les Français. C’est ce que nous avons voulu faire, en agissant dans trois domaines : la prévention ; la répression, qui passe à la fois par un contrôle plus efficace des départs et par la judiciarisation de la situation de ceux qui reviennent des théâtres d’opérations terroristes ; une action européenne et internationale forte. Si la France n’agissait pas en coopération avec ses partenaires de l’Union européenne et avec un certain nombre de d’autres pays, les mesures que nous arrêtons perdraient une grande partie de leur efficacité.

S’agissant de la prévention, aussitôt après la communication que j’ai présentée en Conseil des ministres le 23 avril dernier, c’est-à-dire un mois à peine après ma prise de fonctions, nous avons mis en place une plate-forme de signalement permettant aux familles de faire part au ministère de l’intérieur du risque de basculement d’un de leurs membres, jeune ou moins jeune, vers des groupes ou des activités terroristes. Les parents peuvent avoir constaté des phénomènes de radicalisation ou bien détecté des informations témoignant de la volonté de leur enfant ou de leur proche de s’engager dans un groupe avec lequel il est entré en relation. L’activité de cette plate-forme est montée en puissance : nous en sommes à 450 signalements depuis le mois d’avril. Il s’agit d’un dispositif à vocation strictement préventive : aux termes de la circulaire que j’ai adressée à tous les préfets, lorsqu’un cas est signalé, le préfet compétent, en liaison avec le procureur de la République, réunit l’ensemble des administrations de l’État et des collectivités territoriales concernées, y compris les services qui dépendent de mon ministère, afin d’arrêter des dispositions sur mesure qui visent à éviter le basculement. Cette réponse préventive peut consister à mobiliser l’éducation nationale, des compétences médicales – le basculement est parfois le résultat de problèmes psychologiques ou psychiatriques – ou encore les services d’accompagnement de l’enfance relevant des conseils généraux. Les familles sont associées très étroitement à ce travail : nous avons mis en place, autour de la mission dirigée par Serge Blisko, un dispositif qui permet d’être à leur écoute et de les accompagner.

J’ai souvent lu dans la presse que j’avais arrêté des dispositions exclusivement répressives. C’est faux et cela traduit une méconnaissance totale de notre action, en dépit de l’effort pédagogique que je déploie pour la faire connaître. Tout ce que nous faisons n’apparaît pas nécessairement dans la loi : certains sujets ne relèvent pas de la compétence du législateur, et certaines administrations n’avaient pas besoin d’une loi pour être mobilisées. Nous avons donc agi en amont de l’adoption de la loi. Les préfets de tous les départements dans lesquels résident des jeunes concernés par les phénomènes de radicalisation m’adressent chaque semaine des rapports, que nous lisons méticuleusement et qui sont analysés par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT). Nous menons un travail préventif très fin.

Nous avons ensuite voulu prendre un certain nombre de dispositions à caractère législatif afin de protéger les Français. J’ai lu là aussi des commentaires très approximatifs, qui relèvent de la posture adoptée de manière traditionnelle, voire systématique dès qu’un texte antiterroriste est examiné par le Parlement, mais qui sont sans rapport avec le contenu réel du projet de loi que j’ai présenté.

Une première mesure vise à empêcher les départs : nous pourrons prononcer une interdiction administrative de sortie du territoire dès lors que nous disposerons, de la part de nos services, d’éléments concordants et significatifs témoignant de la volonté d’un ressortissant français de s’engager dans des opérations terroristes à l’étranger. D’une part, nos compatriotes s’exposent lorsqu’ils s’engagent dans de telles opérations : entre 37 et 40 Français ont perdu la vie sur les théâtres d’opérations djihadistes. D’autre part, lorsqu’ils reviennent après avoir été témoins d’exécutions, de crucifixions et autres décapitations, ils ont été à ce point détruits dans leur être et se trouvent dans un état psychologique tel qu’ils sont en situation de commettre des crimes. Je lis ou j’entends parfois que l’interdiction de sortie du territoire porterait gravement atteinte à la liberté d’aller et venir. Je précise que nous prendrons ces décisions pour les raisons que je viens d’indiquer, qu’elles seront destinées, comme toutes les mesures de police administrative, à prévenir des troubles graves à l’ordre public, et qu’elles seront soumises au contrôle du juge administratif qui pourra être saisi en référé à tout moment. Le recours de la personne qui fait l’objet d’une interdiction de sortie du territoire sera examiné dans le cadre d’une procédure contradictoire, et son avocat se verra communiquer la totalité des éléments sur lesquels les services de l’État se sont fondés pour prononcer cette interdiction. Tel est le contenu du projet de loi, que l’on ne retrouve guère dans les commentaires qui prétendent dénoncer son caractère liberticide.

Selon l’une des critiques qui a été formulée, l’avocat n’aurait pas accès aux documents détenus par les services de l’État. C’est faux : de même qu’en matière de droit des étrangers, nous communiquerons sous la forme d’une note blanche, sans qu’il soit besoin de procéder à aucune déclassification, les éléments dont l’avocat a besoin pour assurer la défense du requérant. Nous avons d’ailleurs tout intérêt à le faire : si nous ne communiquions pas ces éléments, nous affaiblirions nous-mêmes notre position devant le tribunal administratif et risquerions de ne pas voir reconnue la légitimité de la mesure préventive que nous avons arrêtée.

Selon un autre argument fréquent, qui a été quelquefois repris, à ma grande surprise, dans le débat parlementaire, le juge administratif ne serait pas un juge des libertés. En France, le seul juge des libertés serait le juge judiciaire. Or le juge administratif est, je le rappelle, l’un des juges qui a le mieux défendu les libertés publiques au cours de notre histoire, y compris dans les moments les plus compliqués. De très nombreux arrêts de la jurisprudence administrative en témoignent, tels que les arrêts Benjamin et Canal, rendus respectivement en 1933 et en 1962. L’idée que le juge administratif serait le bras armé de l’État et lui permettrait de porter atteinte aux libertés publiques relève absolument de la posture et totalement de la méconnaissance du droit.

Une deuxième mesure du projet de loi vise à bloquer l’accès aux sites internet qui diffusent des images et de la propagande incitant à basculer dans le terrorisme. Elle suscite des interrogations légitimes. Je réponds d’abord à celles qui portent sur les libertés publiques. Nous avons décidé de sortir de la loi sur la liberté de la presse les délits de provocation aux actes de terrorisme et d’apologie de ces actes pour les introduire dans le code pénal. L’objectif est d’améliorer la clarté et l’efficacité des procédures. De plus, les appels à la décapitation, au meurtre des Juifs à la sortie des synagogues ou à l’engagement dans des groupes terroristes qui commettent les crimes les plus abjects et les plus barbares n’ont rien à voir avec la liberté d’expression. Loin d’être choquante, la pénalisation de ces actes est une nécessité dans le contexte actuel : il faut prendre la mesure du problème auquel nous sommes confrontés. J’assume totalement cette position devant votre commission, de la même manière que je l’ai fait en séance publique et que je le ferai devant le Sénat. Je l’assume d’autant plus volontiers que la décision de bloquer l’accès aux sites sera soumise là aussi au contrôle du juge administratif. En outre, elle ne sera prise qu’après l’intervention d’une personnalité qualifiée et que si les opérateurs, informés par nos services, n’ont pas procédé aux démarches que ceux-ci leur ont demandé d’accomplir.

D’autres interrogations portent sur l’efficacité de cette mesure. Nous avons eu un débat transpartisan sur ce point lors de l’examen du texte en première lecture à l’Assemblée. Je ne nie pas qu’il existe des problèmes techniques et que le dispositif peut être contourné. Néanmoins, quand bien même je ne parviendrais à empêcher l’accès à ces sites qu’à 20 % de ceux qui les fréquentent, cette disposition serait encore utile. D’autre part, elle a une vocation pédagogique à l’égard de tous les acteurs du numérique. Contrairement à ce que vous avez dit, madame la présidente, elle s’appliquera également aux réseaux sociaux. Je rencontrerai d’ailleurs demain, avec mes homologues de l’Union européenne, les responsables de grands groupes du secteur internet, notamment Google, Facebook et Twitter. Nous leur ferons part des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Nous ferons valoir que nous sommes attachés au grand espace de liberté que constitue internet et que nous ne souhaitons nullement mettre en place des dispositifs attentatoires aux libertés publiques, mais que la liberté va selon nous de pair avec une responsabilité collective. Si, dans les rues de Paris, des individus brandissaient des pancartes appelant à la décapitation ou à la crucifixion, vous me demanderiez légitimement, toutes tendances politiques confondues, ce que j’entreprends pour faire cesser ces troubles à l’ordre public. De tels actes seraient-ils donc légitimes dès lors qu’ils sont commis sur internet ? J’appelle chacun à la réflexion sur ces sujets complexes. Les équilibres en jeu méritent d’être analysés au fond et à fond par la représentation nationale. Je me livre bien volontiers à ce débat, mais je souhaite en poser tous les termes, car il en va de l’efficacité de notre action face aux terroristes.

Une troisième disposition du projet de loi consiste à incriminer l’entreprise individuelle terroriste. Les nombreux juges antiterroristes que nous avons consultés dans le cadre de la préparation du texte nous ont expliqué qu’ils étaient confrontés à un nombre croissant de cas qui ne relevaient pas de l’association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste : de plus en plus d’actes terroristes sont préparés dans un cadre strictement individuel, sans aucun lien avec des groupes organisés. Il sera donc de plus en plus difficile aux juges d’engager des poursuites contre les personnes suspectées de tels actes. D’où la nécessité de créer le délit d’entreprise individuelle terroriste. Là encore, j’ai entendu des choses curieuses, dans des émissions ou au cours des débats : il suffirait de consulter un site internet provoquant au terrorisme pour tomber sous le coup de cette nouvelle incrimination pénale. C’est faux : pour que tel soit le cas, il faut que plusieurs éléments soient cumulés, tels que la détention d’armes, la fabrication d’explosifs et la consultation de sites. Si la consultation de sites était à elle seule constitutive du délit, nous créerions un climat qui fragiliserait les équilibres démocratiques que nous souhaitons préserver.

D’autres dispositions du projet de loi permettront, en outre, la perquisition des données stockées à distance – clouds – et l’intervention sous pseudonyme de nos services sur les forums et les réseaux sociaux pour essayer d’identifier et de démanteler les filières.

S’agissant, enfin, des interceptions de sécurité, j’ai parfois lu ou entendu que nous allions désormais écouter tout le monde. Il n’en est rien : le projet de loi ne contient aucune mesure qui viserait à étendre le champ des interceptions de sécurité. En revanche, il comprend une disposition qui allonge la durée de conservation des enregistrements réalisés dans le cadre de ces interceptions, afin de permettre leur traduction et leur exploitation lorsque les locuteurs utilisent des langues rares. En contrepartie, j’ai souhaité que la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS) puisse exercer un contrôle accru. Nous en avons d’ailleurs discuté avec elle. D’une manière générale, avec ce projet de loi, chaque fois que nous renforçons une disposition visant à assurer la sécurité des Français, nous renforçons aussi, en contrepartie, les contrôles exercés soit par le juge administratif soit par la CNCIS, afin de maintenir, en dépit du contexte exceptionnel, l’équilibre qui a toujours prévalu dans les lois antiterroristes en France.

J’en viens à la dimension européenne et internationale de la lutte contre le terrorisme. La politique que nous menons en France n’a aucune chance d’être efficace si elle ne s’accompagne pas d’une action volontariste et coordonnée au niveau européen. Les terroristes, d’où qu’ils viennent, transitent par de multiples pays. D’où la nécessité d’une coopération entre les services de renseignement et de police de ces pays. Quant aux individus qui feront l’objet d’une interdiction administrative de sortie du territoire, ils seront probablement tentés, afin d’échapper aux contrôles dans les aéroports, d’emprunter des moyens de transport dans d’autres pays de l’Union européenne pour se rendre en Turquie. Nous devons donc nous doter des instruments qui nous manquent pour faire face au risque terroriste.

Vous avez très bien présenté les accords de Schengen, madame la présidente : il s’agit non seulement d’une liberté de circulation à l’intérieur de l’espace Schengen pour les ressortissants européens, mais aussi d’un contrôle aux frontières extérieures de cet espace, ainsi que d’une sécurité. Une responsable politique française a proposé de suspendre d’urgence l’application des accords de Schengen. Pour être efficaces dans la lutte contre le terrorisme, je propose pour ma part que nous suspendions d’urgence la démagogie sur ces questions ! Il serait absurde de suspendre Schengen : nous n’aurions plus alors la possibilité de partager les éléments qui figurent dans le SIS avec les autres pays européens, ce qui reviendrait à rendre notre pays totalement aveugle !

Les individus qui feront l’objet d’une interdiction de sortie de territoire en raison de leur projet de participer à des opérations terroristes seront inscrits au fichier des personnes recherchées et feront l’objet d’un signalement Schengen, visible par les autres pays européens. Toutefois, mes collègues européens et moi-même considérons que ce dispositif n’est pas suffisant : il faudrait que l’on puisse inscrire dans le SIS un signalement spécifique « combattant étranger », afin d’exercer une vigilance particulière sur ceux qui se rendent sur les théâtres d’opérations djihadistes ou qui en reviennent. Telle est notre première proposition. Cela permettrait une coopération approfondie et constante entre les services de renseignement et de police des pays de l’espace Schengen, ainsi qu’avec Europol. Non seulement Schengen n’est pas le problème, mais c’est la solution !

D’autre part, nous avons besoin de disposer d’informations précises qui nous permettent de repérer les djihadistes lorsqu’ils transitent par les aéroports, notamment lorsqu’ils reviennent des théâtres d’opérations. La France a décidé la mise en place d’un PNR, qui sera opérationnel en 2016. L’enregistrement des données sera encadré. Il s’agira donc non pas d’un Big Brother destiné à faire intrusion dans la vie privée des citoyens, mais d’un instrument utile dans la lutte contre le terrorisme. Cependant, s’il n’y a pas de connexion entre les fichiers européens, nous n’aurons aucune possibilité de retracer l’itinéraire d’un terroriste en dehors de notre propre espace aérien. Il convient donc de créer un PNR européen. Ainsi que vous l’avez rappelé, madame la présidente, la proposition de la Commission européenne a été rejetée par la commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (commission LIBE) du Parlement européen, mais cela s’est produit dans un contexte très différent de celui qui prévaut aujourd’hui. J’ai rencontré le nouveau président de la commission LIBE, un travailliste britannique, avec qui j’ai eu une conversation très franche et directe. J’ai proposé à mes collègues européens de nous rendre ensemble devant la commission LIBE pour exposer les difficultés auxquelles nous sommes confrontés et les raisons qui justifient une nouvelle mobilisation sur ce sujet. Nous devons avancer à partir de la proposition du Conseil, qui est plus équilibrée que celle de la Commission. Elle doit permettre de préserver un équilibre entre la mise en place de nouveaux instruments de lutte contre le terrorisme et le respect des libertés.

Enfin, nous devons examiner de manière méthodique les modifications à apporter au Code frontières Schengen, de manière à renforcer les contrôles dans les aéroports, y compris pour nos propres ressortissants, sans remettre en cause l’esprit de Schengen lui-même. Les discussions au Conseil Justice et Affaires intérieures qui se tiendra ce soir et demain à Luxembourg devraient nous permettre d’avancer sur les trois dossiers que j’ai évoqués : renforcement du SIS, création d’un PNR européen et modification du Code frontières Schengen.

Je reviens, pour finir, sur les dysfonctionnements qui sont apparus la semaine dernière, ainsi que sur nos relations avec la Turquie. Il est tout à fait légitime que le Parlement pose des questions sur ces sujets dans le cadre de sa mission de contrôle du Gouvernement, et je souhaite communiquer à votre commission tous les éléments d’information pertinents.

Il convient d’abord de prendre la mesure de la situation en Turquie, ce que n’ont pas fait les articles parfois très mal informés que j’ai pu lire récemment sur les relations franco-turques. D’une part, une pression considérable s’exerce sur les frontières de la Turquie, qui gère seule – sans concours significatif de la part de l’Union européenne – près de 1,5 million de réfugiés syriens, ce qui lui a d’ailleurs valu les félicitations du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). D’autre part, une grande partie des 8 600 combattants étrangers que j’ai mentionnés précédemment transitent par la Turquie. Lorsque les autorités turques constatent, à l’occasion de contrôles aux frontières, qu’ils sont en infraction aux règles d’entrée et de séjour des étrangers, elles les placent dans des centres de rétention administrative, comparables à ceux qui existent en France. De plus, elles ne reçoivent pas nécessairement d’informations sur le profil ou le parcours de ces combattants de la part de leur pays d’origine. Mon homologue turc m’a fait part de ces éléments lorsque je me suis rendu à Ankara à la suite des dysfonctionnements constatés. Il m’a dit comprendre parfaitement l’émotion suscitée par cette affaire en France, mais il a jugé impossible de mette en place des dispositifs spécifiques pour toutes les reconduites à la frontière, compte tenu de la charge qui était celle de ses services. Dans notre pays, on examine souvent les problèmes au regard de considérations franco-françaises, sans voir la réalité globale dans laquelle ils s’inscrivent !

Que s’est-il passé dans l’affaire dont il est question ? Les trois djihadistes français se trouvaient dans un centre de rétention administrative au titre d’une infraction aux règles d’entrée et de séjour des étrangers en Turquie. Les autorités turques les ont enregistrés sur un vol de la compagnie Pegasus qu’elles nous ont signalé. Cependant, le pilote a refusé de les embarquer, et les autorités turques les ont alors enregistrés sur un autre vol sans nous prévenir de la nouvelle destination. Je précise que la Turquie a toujours refusé que des agents de police étrangers soient accrédités dans les zones d’embarquement pour ce type d’opération.

Pourquoi les trois djihadistes n’ont-ils pas été arrêtés à l’aéroport de Marseille ? Ils ne faisaient l’objet d’aucun mandat d’arrêt international, et seule la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui disposait d’une commission rogatoire, pouvait légitimement les arrêter. Certains ont alors estimé qu’une information aurait pu être diffusée à l’ensemble des services du ministère de l’intérieur pour que les djihadistes soient neutralisés à leur arrivée. Cependant, ne disposant d’aucune commission rogatoire, la police aux frontières (PAF) n’aurait pas pu les arrêter, ni même les retenir. Plutôt que de conclure de manière hâtive à l’incompétence des services de police français – ce qu’ont fait un petit nombre d’acteurs intéressés davantage par la polémique que par la vérité –, il convient d’analyser l’enchaînement des faits, la réalité du droit et la capacité des services à intervenir dans ce contexte. Nous agissons toujours, en la matière, sous l’autorité du juge. Si la PAF avait retenu les djihadistes à Marseille, on nous aurait fait un autre procès : au nom de la défense des libertés publiques, on nous aurait reproché de ne pas avoir respecté le cadre juridique.

En revanche, il y a bien eu un dysfonctionnement dans la relation entre services turcs et français. À l’occasion de ma visite à Ankara, nous avons décidé d’élaborer un protocole afin d’éviter qu’une telle situation ne se reproduise. Il est en cours de finalisation par nos services.

Mme Chantal Guittet. Qu’advient-il des jeunes, souvent mineurs, qui sont arrêtés et placés en garde à vue à leur retour de Syrie ou d’Irak ? Ces arrestations sont très médiatisées, mais on ne sait guère ce qui se passe ensuite.

Devant le Comité des sanctions de l’ONU en mai 2014, le représentant de la France avait pointé du doigt le nombre croissant de jeunes qui rejoignent les rangs des djihadistes. Ce comité est-il efficace pour résoudre les problèmes de cette nature au niveau international ?

M. Alain Marsaud. En décembre dernier, la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la DGSI ont pris contact avec la direction syrienne des renseignements généraux de M. Ali Mamlouk, qui était ignorée jusqu’alors. Il s’est agi d’une initiative très positive, visant à disposer d’un centre d’observation en Syrie. A-t-elle été prise avec l’accord du Président de la République, voire par le Président en personne ?

Mme Odile Saugues. En matière de prévention, vous avez indiqué que 450 signalements avaient été effectués depuis le mois d’avril. Lors d’une réunion à l’Assemblée, certains acteurs de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) nous ont indiqué qu’ils participaient à des signalements dans les quartiers. Dans quelle mesure la MIVILUDES est-elle associée ? Quel est exactement son rôle ?

Mme Marie-Louise Fort. Je vous remercie, monsieur le ministre, de toutes les précisions que vous avez apportées. En ma qualité de députée-maire, je tiens à témoigner de l’attention particulière que les services préfectoraux portent à ces questions. Ils sont à l’écoute, de même que les représentants locaux des cultes. Cela étant, vos précautions oratoires révèlent, me semble-t-il, les limites de la stricte observance de nos dispositifs démocratiques face au « terrorisme en libre accès », dont vous soulignez vous-même la dimension inédite, et au nombre croissant de djihadistes français. Êtes-vous optimiste pour l’avenir ?

Je reprends une question que j’ai posée la semaine dernière au ministre de la défense concernant le marketing de l’horreur. Vous allez, dites-vous, bloquer les sites internet, mais les moyens de contournement sont nombreux. Nous assistons à une banalisation de l’horreur, qui n’est sans doute pas sans lien avec la violence de nos sociétés. Au-delà du blocage des sites et des poursuites que vous souhaitez engager sur la base des dispositions contenues dans votre projet de loi, envisagez-vous de lancer une sorte de contre-offensive, via les chaînes de télévision étrangères – je pense en particulier à Al Jazeera – et les réseaux sociaux, afin de délivrer des messages nouveaux susceptibles d’intéresser les jeunes ? Il s’agirait non seulement d’apporter une contradiction, mais aussi de détourner les jeunes de la fascination qu’ils éprouvent pour ce qui est diffusé ces temps-ci.

M. Meyer Habib. Merci, monsieur le ministre, de toutes ces précisions. Je ne doute pas de votre détermination – pas plus que je ne doutais de celle de votre prédécesseur – à lutter contre ces fléaux, aux côtés de l’ensemble de la Nation.

Vos explications concernant l’arrestation manquée des trois djihadistes à la frontière ont été précises et convaincantes. Cependant, vous n’avez pas répondu à la question la plus importante : pourquoi vos services ont-ils communiqué sur cette arrestation avant même qu’elle ait lieu ? Comment une telle chose a-t-elle pu se produire ? Si vos services n’avaient pas communiqué, à la limite, personne n’aurait été au courant.

Je suis député de la huitième circonscription des Français de l’étranger, qui comprend la Turquie. Existe-t-il un danger particulier pour nos 10 000 compatriotes qui résident dans ce pays ? Nombre d’entre eux m’interrogent sur ce point.

La manifestation œcuménique organisée devant la Mosquée de Paris en hommage à notre compatriote assassiné Hervé Gourdel a réuni 500 personnes, alors que l’on aurait pu en attendre 50 000. Hier soir, la manifestation en faveur des Kurdes en a rassemblé 300. Comment expliquez-vous que la manifestation pro-palestinienne de cet été ait mobilisé, elle, 30 000 personnes ?

Vous avez cité des chiffres très précis concernant les Français candidats au djihad. Est-il possible qu’une partie d’entre eux – des dizaines, des centaines, voire des milliers – ne soient pas répertoriés et qu’ils passent à travers les mailles du filet ? Ou bien est-on capable de suivre chacun d’entre eux à la trace ?

Dans plusieurs manifestations, notamment à Paris, des drapeaux du Hamas et de Daech ont été brandis. Lorsque j’ai défendu un amendement visant à pénaliser de tels actes – je regrette d’ailleurs que les amendements présentés par les députés de droite aient tous été rejetés, alors qu’il n’y a pas de droite ni de gauche lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme –, on m’a répondu qu’il existait déjà des dispositions pertinentes dans la loi. Soit la loi n’est pas appliquée, soit elle n’est pas adaptée !

D’autre part, beaucoup de nos amendements ont été repoussés au motif qu’ils étaient inconstitutionnels. Ne faudrait-il pas modifier la Constitution sur certains points, compte tenu de l’urgence ?

M. Jean-Marc Germain. Selon vous, monsieur le ministre, pourquoi la France et la Belgique fournissent-elles les plus gros contingents de candidats européens au djihad ?

La liberté sur internet ne s’entend pas sans responsabilité, avez-vous dit. Là comme ailleurs, je crois que la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres. Pour protéger les citoyens, il faut en conséquence traiter les moteurs de recherche comme de véritables diffuseurs d’informations.

Le « ciblage » de personnalités fragiles, s’il passe d’abord par les réseaux sociaux se poursuit souvent par un contact direct et des envois massifs d’e-mails. De quels moyens disposons-nous pour lutter contre ces mécanismes d’endoctrinement ?

M. Didier Quentin. La plateforme téléphonique de prévention de la radicalisation violente aurait recueilli de nombreux signalements en milieu rural où rien ne laisse présager de tels comportements. Pouvez-vous dresser un premier bilan de ce dispositif ?

Selon la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale, celle-ci « contribue à la mission de renseignement et d'information des autorités publiques, à la lutte contre le terrorisme, ainsi qu'à la protection des populations ». Dans les zones rurales, ne serait-il pas opportun que la gendarmerie se mobilise en liaison avec les élus et la population pour lutter contre le phénomène de radicalisation ?

Avons-nous renforcé nos moyens de coopération avec les principaux services de renseignement ? Je pense évidemment aux Européens, en particulier aux Britanniques, mais aussi aux Américains et aux Russes.

M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre, estimez-vous vraiment que la MIVILUDES peut lutter efficacement contre le terrorisme ?

Le PNR ne sera pas en place avant 2016 ; n’est ce pas un peu tard ?

Disposez-vous de suffisamment de personnels pour surveiller les personnes qui reviennent de zones de combat ? Combien d’agents sont affectés à cette tâche ?

Je m’associe à la question posée par M. Alain Marsaud concernant la reprise éventuelle de contacts avec les services syriens.

Monsieur le ministre, je témoigne de la justesse de vos remarques sur la situation en Turquie où je me suis rendu récemment en tant que président de la commission des migrations, des réfugiés et des personnes déplacées de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Sur ces questions, nous n’avons pas véritablement conscience des problèmes que rencontre cet État. Ils expliquent peut-être le « raté » sur lequel vous vous êtes exprimé dont les effets réels sont à vrai dire mineurs en comparaison de son impact médiatique.

Mme Françoise Imbert. Élue de la Haute-Garonne, je souhaite savoir si Toulouse, ville où l’expression des extrémismes semble se développer, et qui a connu l’affaire Merah, fait l’objet d’un traitement particulier.

M. Patrice Martin-Lalande. L’audiovisuel extérieur de la France a pour vocation de donner une lecture française de l’actualité mondiale. Sur notre territoire, RFI et France 24 ne sont pas assez accessibles. L’amélioration de leur diffusion ne permettrait-elle pas d’éviter qu’une partie de la population ne se tourne vers des médias communautaires ou extrémistes ?

Mme Valérie Fourneyron. Monsieur le ministre, nous confirmez-vous que des attentats visant notre territoire ou des Français à l’étranger ont bien été déjoués ? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

M. le ministre. Madame Guittet, dans le cadre de procédures judiciaires ou d’enquêtes préliminaires, il est en permanence procédé à l’arrestation de personnes de retour du djihad, suspectées d’avoir participé à des opérations terroristes. À ce jour, trois cent quatre-vingt-quatorze personnes sont concernées dans le cadre de soixante-quatorze affaires judiciaires qui ont conduit à l’arrestation de cent vingt individus. Quatre-vingt-cinq personnes sont mises en examen, soixante personnes sont écrouées, vingt-cinq sont placées sous contrôle judiciaire, et près d’une dizaine de mandats d’arrêt internationaux ont été lancés.

Monsieur Marsaud, vous évoquez une certaine initiative. Je n’ai pas pour habitude de commenter des événements ou des faits que je ne confirme pas. Soit parce que je n’ai pas à le faire, soit parce ces événements ou ces faits n’ont pas d’existence. En conséquence, je n’en dirai pas plus, même si j’en ai déjà dit beaucoup…

Madame Saugues, monsieur Mariani, la MIVILUDES n’est certainement pas le seul outil dont nous disposions pour lutter contre le terrorisme. Elle fait cependant partie des acteurs que nous avons mobilisés pour faire face à un problème de grande ampleur, et elle accomplit un travail extrêmement utile.

Madame Faure, nous travaillons avec les Britanniques et avec le coordinateur de l’Union européenne pour la lutte contre le terrorisme, M. Gilles de Kerchove, à l’élaboration d’un contre-discours. Nous souhaitons faire financer par la Commission européenne, à partir des travaux effectués par les Britanniques, la diffusion d’actions pédagogiques à destination des jeunes européens.

Monsieur Habib, les services du ministère de l’intérieur n’ont pas communiqué sur l’arrestation des trois djihadistes de retour de Turquie. Certains journalistes qui détenaient plusieurs jours auparavant des informations sur le vol de retour de ces ressortissants français ont demandé une confirmation à ce sujet. En off, nous leur avons indiqué que l’information était juste, tout en signalant qu’il semblait prudent d’attendre l’atterrissage des personnes en question avant une diffusion. Sur les questions de terrorisme, nous essayons d’entretenir avec la presse une relation de confiance fondée sur la responsabilité. Absolument aucun communiqué officiel sur ce sujet n’a été diffusé en dehors de la mise au point que j’ai effectuée moi-même dans la soirée.

Cet été, j’ai pris mes responsabilités lorsque des manifestations ont été annoncées dont je savais par les réseaux sociaux qu’elles devaient donner lieu à des actes antisémites et des violences : je les ai interdites. La liberté de manifestation n’est pas négociable ; il est parfaitement légitime de manifester pour le droit des Palestiniens à disposer d’un État – j’ai moi-même pris part à de telles manifestations dans le passé. En revanche, dès lors que les réseaux sociaux ou des affiches annoncent qu’une manifestation sera l’occasion de « descendre dans les quartiers juifs », d’« attaquer des commerces », et de commettre des violences à la sortie des synagogues, je me dois d’empêcher qu’un déferlement de haine antisémite puisse avoir lieu dans les rues. Il était de ma responsabilité d’interdire de telles manifestations sachant que des violences de cette nature avaient déjà eu lieu lors de manifestations précédentes après avoir été annoncées. L’interdiction n’a donc en aucun cas engendré la violence ; elle résulte plutôt des violences passées.

Les chiffres que je vous ai communiqués proviennent du croisement des données fournies par divers ministères. Des cas ont évidemment pu ne pas être décomptés, mais les ordres de grandeur correspondent bien à la réalité.

Monsieur Germain, le phénomène de radicalisation est ancien en France. Il est notamment passé par les prisons et les réseaux sociaux. Cela peut expliquer que notre pays soit particulièrement touché. Nous travaillons avec Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice, sur le problème des prisons.

Le dévoiement du message réel de la religion musulmane permet de leurrer ceux qui ressentent un besoin d’idéal. Nous analysons de façon fine les mécanismes d’endoctrinement afin de les combattre.

Monsieur Quentin, 80 % des départements français sont concernés par la radicalisation. Le phénomène n’épargne donc pas le milieu rural. J’ai demandé à toutes les forces de sécurité qui dépendent de ma responsabilité de se mobiliser ; cela concerne évidemment les services de gendarmerie.

Monsieur Mariani, le PNR sera mis en place dans les délais les plus brefs compte tenu de l’indispensable respect des procédures de droit.

Les personnels affectés à la surveillance de ceux qui reviennent sont moins nombreux que ce que l’on pourrait souhaiter. En effet, entre 2007 et 2012, cent vingt postes ont été supprimés à la direction générale des services de la sécurité intérieure. Aujourd’hui 50 % des services de la DGSI sont mobilisés sur le sujet. Le Gouvernement a donc décidé de créer quatre cent trente-deux postes dans ces services.

Madame Imbert, tous les territoires font l’objet d’un traitement particulier. Tous les jours, des arrestations ont lieu, pas nécessairement à Toulouse, mais partout en France. Certaines ont lieu en ce moment même. Notre action est permanente.

Monsieur Martin-Lalande, l’audiovisuel extérieur ne relève pas de la compétence du ministère de l’intérieur. Il doit être mobilisé car la qualité des informations, des programmes et des journalistes concernés plaide en faveur d’un accès le plus large possible.

Madame Fourneyron, j’ai communiqué toutes les informations qui pouvaient l’être concernant les attentats terroristes que vous évoquiez. Vous en dire plus serait soit faire œuvre d’invention soit divulguer ce qui ne doit pas l’être.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le ministre, nous vous remercions vivement pour les nombreuses informations que vous nous avez apportées ce matin.

La séance est levée à neuf heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 8 octobre 2014 à 8 h 15

Présents. - M. François Asensi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Luc Bleunven, M. Alain Bocquet, M. Jean-Claude Buisine, M. Gérard Charasse, M. Jean-Louis Christ, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Jean-Marc Germain, Mme Estelle Grelier, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. André Santini, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Cécile Duflot, M. Hervé Gaymard, M. Paul Giacobbi, M. Jean Glavany, M. Armand Jung, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lequiller, M. François Scellier, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle