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Commission des affaires étrangères

Mercredi 29 octobre 2014

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 16

Co-Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente
et de Mme Danielle Auroi,
Présidente de la commission des affaires européennes

– Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes et ouverte à la presse, de M. Michael Roth, secrétaire d’État aux Affaires européennes de la République fédérale d’Allemagne, et de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le Conseil européen

Audition, conjointe avec la commission des affaires européennes et ouverte à la presse, de M. Michael Roth, secrétaire d’État aux Affaires européennes de la République fédérale d’Allemagne, et de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le Conseil européen.

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Messieurs les ministres, je vous remercie d’avoir accepté le principe de cette audition conjointe devant la Commission des affaires européennes, présidée par Mme Danielle Auroi, et la Commission des affaires étrangères.

Nous avons également le plaisir d’accueillir onze étudiants allemands, qui sont à Paris grâce à la Fondation Friedrich-Ebert.

Nous connaissons le rôle structurant joué par le couple franco-allemand au sein de l’Union européenne : nous vérifions à chaque échéance qu’il est un véritable moteur. Nos ministres des finances ont présenté conjointement des propositions visant à relancer l’investissement lors de la réunion du Conseil ECOFIN de Milan le 12 septembre dernier. Ils ont insisté sur le rôle de la Banque européenne d’investissement (BEI). Ils ont et vous avez également travaillé ensemble sur les conclusions du dernier Conseil européen qui s’est tenu les 23 et 24 octobre derniers.

Les réunions bilatérales entre le Président de la République et la chancelière sont constantes.

Je tiens à évoquer l’accord satisfaisant auquel les chefs d’État et de gouvernement sont parvenus sur la question de l’énergie et du climat. Le dernier Conseil européen s’est entendu sur un objectif de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990 et a fixé deux autres objectifs : porter la part des énergies renouvelables à 27 % de la consommation et atteindre l’objectif de 27 % en matière d’amélioration de l’efficacité énergétique, avec une clause de révision en 2020.

En adoptant ces objectifs, le Conseil a consacré le leadership européen dans la lutte contre le changement climatique, qui est une question cruciale. Il a également assuré l’équilibre entre le secteur couvert par le système communautaire d’échange de quotas d’émissions – ETS pour Emission trading scheme en anglais – et celui qui ne l’est pas, en prenant en compte les sensibilités particulières de certains pays. C’est ainsi que la Pologne a obtenu la possibilité d’allouer gratuitement jusqu’en 2030 des quotas au secteur énergétique à hauteur de 40 % de ceux qui lui sont alloués sur la base des émissions vérifiées.

Le Conseil européen a également posé un diagnostic très clair sur la situation économique. Si la nécessité de réformes nationales structurelles est établie, elle n’est malheureusement pas suffisante pour relancer la croissance. Je rappelle que 11 millions de personnes étaient au chômage en août dernier dans l’Union européenne, et que le chômage des jeunes atteint 23,1 % en zone euro.

La conférence de haut niveau sur l’emploi qui s’est déroulée à Milan le 8 octobre était le troisième sommet consacré à ce thème, après ceux de Berlin et de Paris en 2013.

Le Conseil européen manifeste dans ses conclusions sa volonté d’agir, formule un net soutien au plan visant à mobiliser 300 milliards d’investissements publics et privés supplémentaires dans des secteurs identifiés comme prioritaires – économie numérique, transports, énergie – et fixe un rendez-vous en décembre prochain pour prendre les premières décisions.

Quelles sont les options défendues par les gouvernements allemand et français dans le cadre de ce plan ? Que peuvent faire nos deux pays ensemble pour l’emploi ? Nous attendons, messieurs les ministres, vos réponses à ces deux questions.

Chacun sait que l’économie européenne a également besoin d’une demande allemande vigoureuse, compte tenu à la fois de la fin de la dynamique des exportations et du ralentissement de la croissance qui atteint aujourd'hui l’Allemagne, même si la situation y est plus favorable. La coordination macroéconomique européenne exige également des mesures nationales : monsieur Roth, quelle est la position allemande sur le sujet ? Je tiens à rappeler que le sommet de la zone euro a débouché sur une déclaration qui charge le nouveau président du Conseil européen, M. Donald Tusk, de préparer un rapport qui sera présenté au Conseil européen de décembre sur les prochaines étapes d’une coordination resserrée de la politique de la zone euro. Quels sont les objectifs respectifs et, je le souhaite, conjoints, des gouvernements français et allemand pour le Conseil du mois de décembre ? Qu’attendez-vous de la mission conjointe confiée à M. Jean Pisani-Ferry et M. Henrik Enderlein, qui vise à formuler des propositions communes sur les réformes à conduire en France et en Allemagne ?

Je souhaite également que vous évoquiez les projets d’ajustement des contributions financières, qui ont été présentés la semaine dernière par la Commission aux États membres et qui ont déclenché une tempête politique au Royaume-Uni, soutenu par l’Italie. Les règles doivent évidemment être respectées : toutefois, cette correction importante, qui se fait au détriment de certains États membres, souligne à quel point les calendriers nationaux et européens ne sont pas suffisamment articulés. Quelles améliorations en la matière est-il possible d’envisager ?

Le Bundestag a reporté la transposition des textes européens relatifs à l’union bancaire, notamment l’accord sur le transfert et la mutualisation des contributions au Fonds de résolution unique. Notre commission sera bientôt saisie de la ratification de cet accord, qui doit faire l’objet d’un vote de l’Assemblée nationale. Les députés allemands ont souhaité connaître les détails de la répartition des contributions au Fonds, qui relève d’un acte délégué ; les parlementaires français attendent aussi ces précisions pour se prononcer, notamment parce que le secteur bancaire français pourrait contribuer à ce fonds à hauteur de 25 % à 30 % de la totalité des contributions, ce qui serait disproportionné par rapport à son profil de risque, qui est estimé à 22 % du risque européen.

L’Allemagne semble avoir obtenu une diminution des contributions des petits établissements : pouvez-vous nous préciser ce point, sachant que la France considère que la petite taille n’entraîne pas nécessairement un risque faible, comme le démontrent les difficultés du secteur bancaire espagnol ? Il est très important que cette question n’interdise pas à l’union bancaire d’avancer. Nous avons en effet besoin d’elle pour consolider la zone euro.

Mme la présidente Danielle Auroi. Messieurs les ministres, je tiens à souligner à mon tour à quel point nous deux commissions sont heureuses de vous recevoir pour connaître votre point de vue sur le dernier Conseil européen. Nous savons que l’Europe ne fonctionne bien que lorsque le dialogue franco-allemand est fort : le repli frileux, dont les dernières élections européennes nous ont malheureusement donné un aperçu, n’est jamais une solution. Il nous faut continuer de tracer ensemble notre avenir commun.

Monsieur Roth, vous soutenez de manière constante la politique européenne. Nous sommes ici entre Européens convaincus. Plus vous nous éclairerez, plus nous essaierons, au sein de l’Assemblée nationale, de faire de nouveaux Européens convaincus.

Comme je suis écologiste, j’apporterai une petite nuance à l’analyse des conclusions du Conseil européen sur la question de l’énergie et du climat. Le résultat global en la matière paraît assez bon, s’agissant notamment de l’accord, contraignant au plan européen, relatif aux 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030.
Nous ignorons toutefois comment les États membres de l’Union européenne le mettront en œuvre.

De plus, les objectifs en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique sont passés de 30 % à 27 %, ce qui est un mauvais signal, même si cette baisse a pour objectif de préserver l’unité européenne et de rassurer notamment la Pologne et le Royaume-Uni. De plus, l’efficacité énergétique ne fait toujours l’objet d’aucune mesure contraignante, alors qu’elle est incontournable en matière de lutte contre le réchauffement climatique : c’en est même la clé citoyenne.

L’Allemagne et la France étant volontaristes en ce domaine, j’espère qu’elles pourront faire des propositions plus audacieuses, visant à entraîner à terme nos partenaires.

Par ailleurs, l’insuffisance de l’investissement en Europe faisant consensus, le plan, proposé par le nouveau président de la Commission, M. Junker, visant à mobiliser 300 milliards d’euros d’investissement public et privé, a fait l’unanimité. Est-il envisageable que, dans ce cadre, les eurobonds reprennent du sens ? Pouvons-nous espérer que le paquet énergie-climat devienne la référence de ce plan, du fait que ce paquet tire, à côté de l’économie numérique, une partie de l’emploi ?

Enfin, l’Europe pourra-t-elle continuer de parler d’une seule voix sur l’Ukraine ? En cette période difficile, les Européens, notamment dans le cadre du triangle de Weimar, ont beaucoup œuvré pour que ce pays continue d’être respecté et que des élections démocratiques puissent s’y dérouler – elles ne se sont pas si mal passées que cela. Chacun sait toutefois qu’il n’a pas été facile de prendre des sanctions à l’encontre de la Russie. Avez-vous l’impression que nous pourrons prolonger notre travail d’interface, en vue de sauvegarder l’équilibre européen ?

M. Michael Roth, secrétaire d'État aux affaires européennes de la République fédérale d'Allemagne (Interprétation). Je suis très honoré de me trouver devant vous aujourd'hui : c’est la première fois. Comme je suis également chargé des relations franco-allemandes, je commencerai par quelques remarques d’ordre général sur les relations entre nos deux pays et sur nos missions communes en Europe et dans le monde. Le 3 décembre, M. Harlem Désir viendra à son tour au Bundestag, à Berlin, parler devant les parlementaires allemands.

Nous sommes tous ici, vous l’avez souligné, madame la présidente Danielle Auroi, des Européens convaincus et des amis de la coopération franco-allemande. Sans ces liens étroits qu’entretiennent la France et l’Allemagne, comment ferions-nous pour surmonter les crises et résoudre les nombreux problèmes auxquels nous sommes confrontés ? La concertation entre nos deux pays est bonne, si l’on en croit la qualité des relations entre nos deux ministres des affaires étrangères, M. Laurent Fabius et M. Frank-Walter Steinmeier, qui élaborent des stratégies communes. M. Harlem Désir et moi-même sommes également très attachés à la coopération entre nos deux pays car elle nous permet d’assumer nos responsabilités à l’égard de l’Europe, notamment en matière de bien-être, de croissance, d’emploi ou de solidarité sociale. L’Allemagne et la France ont besoin d’une Europe forte et l’Europe a besoin d’une coopération étroite entre nos deux pays : nous avons pu le vérifier ces dernières années, alors que nous nous interrogions sur le rôle de la France et de l’Allemagne dans une Europe élargie. Rien ne vaut l’étroite coopération de nos deux pays.

Pour assurer la solidarité, nous avons besoin d’une Europe à la fois forte aux plans économique et politique et équitable au plan social. Sans l’équité et sans la solidarité, il ne sera pas possible de surmonter le problème de crédibilité auquel l’Europe est confrontée. Pour un grand nombre de citoyens européens, l’Europe n’est pas la solution mais le problème. C’est pourquoi il faut accélérer le processus et convaincre nos concitoyens de son bien-fondé.

Je n’ignore pas que notre partenaire le plus proche, la France, se trouve à l’heure actuelle dans une situation économique difficile. J’ai toutefois confiance dans sa volonté de conduire des réformes. Ceux qui disent le contraire ne disent pas la vérité, d’autant que ces mêmes voix ne s’élevaient pas contre la politique menée sous l’ancien président de la république et le précédent gouvernement. Il convient de resituer la politique française dans son ensemble et sur une période longue.

Nous devons avant tout nous concerter sur des initiatives concrètes, qui permettent de réaliser des avancées et de s’affranchir des critiques stériles. D’autant que la France n’est pas la seule à devoir résoudre des problèmes. L’Allemagne doit également conduire des réformes et se restructurer. Si le budget et l’emploi s’y trouvent en meilleure situation, en revanche, les résultats des élections ne sont pas sans susciter des inquiétudes et les investissements publics et privés y sont insuffisants, notamment dans les infrastructures de transport, la réhabilitation des constructions publiques et l’agriculture. Leur déficit global peut être évalué à 118 milliards d’euros. Il faut aussi compter avec notre déficit démographique. L’Allemagne est devenue, elle aussi, un pays d’immigration : elle a dû l’accepter, non sans difficulté. Sa population vieillit, en raison de son faible taux de fécondité – 1,4 enfant par femme –, lequel provoque un déficit de main-d’œuvre dans différents secteurs, notamment le secteur numérique, qui est capital.

Des réformes devant être conduites des deux côtés du Rhin, aux reproches mutuels préférons la concertation et la coopération. C’est un bon signe que les ministres de l’économie et des finances de nos deux pays aient déjà annoncé des propositions de réformes pour début décembre.

La faiblesse de la croissance est à mes yeux le problème essentiel. Il est nécessaire de la relancer pour que nos concitoyens puissent croire en l’Europe et en leur propre avenir : c’est une condition sine qua non du retour de la confiance. Cette croissance devra être solidaire et ne laisser personne de côté. Le pacte européen pour la croissance et l’emploi n’ayant malheureusement pas donné satisfaction, il est urgent de trouver une voie stable vers la croissance. C’est pourquoi je suis reconnaissant à M. Jean-Claude Junker d’avoir élaboré un agenda stratégique avec les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne. C’est maintenant que nous avons besoin d’une politique de soutien à l’emploi et à la croissance. L’Union européenne doit également agir en matière de sécurité et de coopération judiciaire.

C’est un fait : nous ne réussissons pas à atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre des différentes stratégies que nous avons adoptées – je pense à la stratégie de Lisbonne ou à « Europe 2020 ». Aussi convient-il de prendre des initiatives concrètes, pour notamment approfondir l’union économique et renforcer la politique de l’emploi et la solidarité. Il faut dépenser dans ces domaines la même énergie que celle que nous avons jusque-là consacrée aux moindres détails de notre politique budgétaire. La lutte contre le chômage des jeunes me tient particulièrement à cœur : il est inacceptable que 22 % d’entre eux ne trouvent pas de travail au sein de l’Union européenne. C’est même une honte. Le phénomène touche particulièrement l’Espagne, la Grèce et l’Italie, pays où plus de 40 %, voire 50 % des jeunes sont au chômage. Il s’agit de rendre l’espoir à nos enfants, sans quoi, aux élections, le vote en faveur des antieuropéens et de l’extrême droite continuera de progresser, non seulement en France ou en Grèce, mais partout en Europe. La politique sociale européenne doit être plus ambitieuse.

Avant d’évoquer toute augmentation des fonds, il faut étudier les projets que nous souhaitons réaliser en faveur de la jeunesse. L’Allemagne a déjà réalisé de grands progrès en matière de formation en alternance : peut-être conviendrait-il que nos deux pays coopèrent davantage en la matière. Il nous faut aussi promouvoir une communauté de valeurs. Nous ne sommes pas uniquement un marché intérieur ou une union monétaire : nous formons une union de valeurs – les valeurs de la Révolution française, l’égalité et la fraternité, sont universelles. Les citoyens de l’ancienne République démocratique allemande (RDA) partageaient aussi des valeurs communes. Aujourd'hui la démocratie et l’État de droit sont sous pression : c’est pourquoi je vous remercie de me donner l’occasion de lancer une initiative avec la France en faveur de l’État de droit et de la démocratie. L’article 7 du traité sur l’Union européenne est une véritable bombe atomique, qui nous pousse à respecter intégralement les valeurs démocratiques au sein de l’Union européenne. S’agissant de nos partenaires, même si nous ne voulons pas les sanctionner, nous devons rester crédibles, que ce soit vis-à-vis de la Chine ou de la Russie. Je vous demanderai également de faire preuve d’une plus grande solidarité à l’égard de tous les réfugiés et des pays qui les accueillent : un tiers de la population libanaise est composé de réfugiés – cela ferait 30 millions de réfugiés en Allemagne ! La situation est devenue intolérable au Liban. L’Union européenne doit accroître sa solidarité envers ces pays. Le respect de nos valeurs concourra à affermir la paix et à consolider la démocratie et l’État de droit dans le monde : nous avons tenté de le faire dans les États balkaniques, auxquels nous avons proposé des réformes dans le cadre du triangle de Weimar. L’est européen n’est pas seul concerné : les pays du sud le sont également.

La promotion de nos valeurs exige le soutien de nos parlements nationaux. Mon mandat de député – je le suis depuis seize ans – est pour moi plus important que mes fonctions actuelles de secrétaire d’État : les députés représentent leurs concitoyens, ils sont les sismographes des opinions publiques.

L’Europe ne réalise de progrès que dans le cadre d’une coopération étroite entre nos deux pays.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international. Je tiens à vous remercier d’avoir transformé cette rencontre habituelle à l’issue des Conseils européens en une audition conjointe avec mon homologue et ami Michael Roth. Le 3 décembre, nous nous retrouverons devant les parlementaires du Bundestag, signe à la fois de notre attachement au dialogue avec les représentations nationales et de la vitalité de nos relations.

Nous nous rencontrons plusieurs fois par mois, en France, en Allemagne, ainsi qu’à Bruxelles, à Luxembourg ou dans les villes qui organisent les rencontres européennes en présence de nos homologues européens. Nous faisons attention à toujours coordonner les positions de la France et de l’Allemagne. Aucune décision importante n’a pu être prise en Europe sans que la France et l’Allemagne en aient pris l’initiative.

Nous étions ensemble dans la circonscription de M. Roth à la fin du mois de septembre pour célébrer le vingt-cinquième anniversaire de la chute du mur de Berlin, qui traversait sa circonscription actuelle. Mon souvenir le plus fort demeure toutefois celui de notre déplacement à Sarajevo, le 28 juin dernier, pour célébrer le centenaire du déclenchement de la première guerre mondiale et rencontrer de jeunes Bosniaques. Pour cette région qui, hier encore, se déchirait, notre partenariat exceptionnel, notre amitié et celle des deux ministres des affaires étrangères, MM. Steinmeier et Fabius, ont valeur d’exemple.

Si la France et l’Allemagne sont différentes, notre tâche est de rapprocher leurs points de vue et de conjuguer leurs forces respectives, tant au service de l’Europe que d’une vision commune – garantir la paix et la démocratie sur le continent – et de grands projets communs dans tous les domaines, économiques, industriels, énergétiques, écologiques, éducatifs ou culturels. Car de ces grands projets dépendent l’avenir et la prospérité de nos nations.

Ensemble, nous avons permis, après la crise de 2008, à l’union bancaire de voir le jour, même s’il reste à régler des dispositions, que Mme la présidente Guigou évoquait à l’instant.

Ensemble, face à la crise qui a déchiré l’Ukraine et la Russie, nous avons permis à l’Europe de rester unie, tant dans la fermeté face aux violations du droit international que dans la recherche d’une solution diplomatique et politique. Tel est le constant objet des rencontres au « format Normandie », qui fait référence à la rencontre entre les présidents Poutine et Porochenko, permise par le Président de la République française et la chancelière allemande, le 6 juin dernier, en marge des commémorations du soixante-dixième anniversaire du débarquement allié. L’Europe a ainsi ouvert la voie à une solution politique qu’il convient désormais de mettre en œuvre : cette solution repose sur le cessez-le-feu et l’application des accords de Minsk.

Ensemble, nous avons permis à l’Europe d’agir contre le terrorisme. La brigade franco-allemande est venue soutenir l’intervention de l’armée française au Mali. L’Allemagne, la France et les autres partenaires européens participent également à la mission européenne d’entraînement au Mali – EUTM Mali –, en vue de former l’armée malienne.

Ensemble, nous sommes mobilisés contre les terroristes de Daesh. Ensemble nous répondons aux urgences des crises internationales, notamment en assistant l’Afrique de l’ouest dans sa lutte contre le virus Ebola, via la mise en œuvre à l’échelle de l’Union européenne de mécanismes de solidarité – envoi de soignants, ouverture de centres de soins –, et en assurant la protection de nos propres populations.

Ensemble nous poussons un agenda de soutien à la croissance et aux investissements en Europe. J’évoquerai, outre la contribution commune de MM. Michel Sapin et Wolfgang Schäuble, présentée, le mois dernier, devant le Conseil ECOFIN, sur le futur plan d’investissement européen, la commande, par MM. Sigmar Gabriel et Emmanuel Macron, à MM. Pisani-Ferry et Enderlein, d’un rapport sur les domaines prioritaires d’investissement, de réformes structurelles et d’actions communes en Europe. Je pense également à la préparation du Conseil européen de décembre : le Conseil a demandé au futur président de la Commission, M. Jean-Claude Junker, de préciser le contenu de son plan de relance de 300 milliards d’euros.

Nous nous rencontrons aujourd'hui au lendemain d’un Conseil européen qui a pris des décisions historiques sur l’énergie et le climat. C’est un grand succès pour l’Union européenne du fait que, non seulement, l’Europe devait trouver un accord sur des matières complexes entre ses vingt-huit États membres, dont les situations énergétiques sont très différentes, mais qu’il convenait également, afin de couvrir tous les secteurs, de mettre en œuvre des mécanismes de solidarité pour ceux des pays qui accusent un grand retard en matière de transition énergétique et de flexibilité. Il était décisif pour l’Europe d’aboutir à des engagements forts et ambitieux pour bien préparer la Conférence Paris Climat 2015.

Cet accord est effectivement ambitieux puisqu’il prévoit au moins 40 % de réduction des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 par rapport à 1990. Il a également fixé l’objectif, contraignant à l’échelle de l’Union européenne, de porter à 27 % la part des énergies renouvelables d’ici à 2030, un taux, c’est vrai, qu’il conviendra désormais de répartir entre les différents États membres, comme l’a rappelé Mme la présidente Auroi. Il prévoit enfin un objectif indicatif d’au moins 27 % en matière d’efficacité énergétique. L’Allemagne et la France auraient souhaité aller plus loin : il s’agit à leurs yeux d’une base de départ. C’est pourquoi il est prévu que l’Union européenne mobilise ses moyens pour permettre à tous les États membres de réaliser cet objectif, voire de le dépasser.

Mme la présidente Guigou a également rappelé les mesures qui ont été prises pour permettre au secteur soumis au système communautaire d’échange de quotas d’émissions d’être efficace : nous défendons en commun cette priorité. Parmi ces mesures, je citerai la création d’un instrument de stabilité du marché ETS et de mécanismes de flexibilité et de solidarité, notamment pour les États membres dont le PIB est inférieur à 60 % de la moyenne européenne : ils disposeront d’une réserve de 2 % de quotas pour financer des projets d’amélioration de leur efficacité énergétique. Quant au secteur qui n’est pas couvert par les ETS – les transports, l’agriculture et le bâtiment –, la répartition de l’effort entre les États membres se fera en fonction du PIB par habitant, c'est-à-dire en tenant compte de la richesse respective de chaque pays, et des spécificités de secteurs tels que l’agriculture – c’était très important pour le secteur français de l’élevage.

Ce Conseil européen a également fixé un objectif minimum de 10 % d’interconnexion à atteindre de toute urgence – un objectif important pour rompre l’isolement énergétique de l’Espagne et du Portugal ou des pays Baltes – et de 15 % d’ici à 2030. Une grande partie du plan d’investissement présenté par M. Junker sera orientée vers la mise en œuvre de ces interconnexions énergétiques, qui contribueront à garantir la sécurité d’approvisionnement du marché intérieur d’énergie. Nous permettrons ainsi à la solidarité de s’exercer à l’échelle de l’Union européenne. Ces objectifs sont également cohérents avec le développement des énergies renouvelables, lesquelles ne sont pas réparties de façon homogène sur le territoire.

Le Conseil européen a ainsi posé les fondements d’une véritable union de l’énergie.

L’autre grand sujet était la situation économique. Vous le savez, la France a souhaité qu’à l’issue du Conseil européen se tienne un sommet de la zone euro afin d’établir un diagnostic partagé de la situation. Celle-ci est en effet caractérisée par une très faible croissance, une stagnation, voire un risque de récession – je vous renvoie aux chiffres du deuxième trimestre de l’année 2014 –, une inflation très basse, qui a conduit la Banque centrale européenne à prendre des mesures exceptionnelles de baisse des taux et de mise à disposition de liquidités, et un chômage qui demeure très élevé. L’économie de la zone euro n’est donc pas à l’abri d’une rechute. Le sommet de la zone euro, qui s’est tenu en présence du président de la Banque centrale européenne, a conclu à la nécessité de conjuguer les réformes structurelles et la maîtrise, voire la baisse, de la dépense publique et de l’endettement, avec le soutien à l’investissement, seule manière de préparer l’avenir et d’augmenter le potentiel de croissance future de la zone euro et de répondre aux besoins précis de chacun des États membres. M. Roth a évalué à 118 milliards d’euros les besoins d’investissement de l’Allemagne : chacun des États membres peut identifier des besoins d’investissement dans les infrastructures, le numérique, l’énergie, la recherche ou la formation. Je tiens à rappeler que l’investissement a atteint aujourd'hui un niveau très inférieur à ce qu’il était avant la crise et que nous avons pris du retard par rapport à d’autres zones économiques, comme les États-Unis, où l’investissement privé et public est beaucoup plus fort. C’est pourquoi il est important de donner très rapidement un contenu au plan d’investissement proposé par M. Junker, notamment en mobilisant des outils publics, comme la Banque européenne d’investissement et le budget européen : leur effet de levier permettra de mobiliser l’investissement privé.

Tels sont les points essentiels du Conseil européen, au succès duquel la France et l’Allemagne ont très fortement contribué. J’ai eu l’occasion de participer, à Bratislava, aux côtés de M. Jochen Flasbarth, ministre allemand de l’environnement, à une réunion des pays du groupe de Visegrad, à laquelle se sont jointes la Roumanie et la Bulgarie, qui craignaient des décisions contraignantes en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et d’énergies renouvelables. La France et l’Allemagne ont réussi, ensemble, à les convaincre que l’Europe mettrait en œuvre des mécanismes de solidarité au bénéfice des pays les plus en retard et que le Conseil européen était l’occasion de fixer un cadre d’innovations technologiques et de transformation des modes de transport et de production industrielle, qui serait bénéfique à l’ensemble de l’économie européenne. Par la même occasion, l’Europe resterait le fer de lance dans la lutte contre le changement climatique, à la veille de la grande conférence mondiale sur le climat qui se tiendra à Paris en 2015

Ensemble, la France et l’Allemagne sont une force pour l’Europe et dans la mondialisation. C’est la raison pour laquelle M. Roth et moi-même attachons tant de prix à notre amitié, à notre coopération et à notre collaboration.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Votre présence, ici, après la venue des deux ministres des affaires étrangères allemand et français, est un symbole fort.

À vous écouter, nous devinons que vous avez l’habitude de travailler ensemble et que vous avez su construire des terrains d’entente importants pour l’avenir de nos deux pays et celui de l’Europe.

M. Philip Cordery. L’Europe, aujourd'hui, est au bord de la déflation. Le manque d’investissement est criant. La croissance allemande stagne. Si on ne tire pas la sonnette d’alarme, l’Europe risque d’entrer dans une spirale déflationniste, la même que celle qu’a connue le Japon dans les années 1980. Il faut l’éviter à tout prix car la spirale déflationniste peut être, pour l’économie, aussi dangereuse que la dérive inflationniste.

Le plan d’investissement de 300 milliards d’euros est une opportunité. Encore faut-il qu’il draine de l’argent neuf et qu’il ne serve pas à recycler des lignes budgétaires déjà existantes. L’Allemagne et la France sont-elles favorables à une recapitalisation de la Banque européenne d’investissement, ce qui permettrait de créer davantage de project bonds et de garantir, pour répondre aux problèmes d’accès au crédit, des prêts au sein de l’Union européenne en vue de financer les 300 milliards d’euros ?

Que pensez-vous par ailleurs de la création d’un plan d’épargne européen, qui permettrait de rediriger une partie de l’épargne nationale vers le financement de projets européens tout en faisant prendre conscience aux citoyens européens de la nécessité de favoriser les investissements ?

Par ailleurs, notre interprétation des traités européens est-elle suffisamment flexible ? Les contraintes budgétaires qui y sont inscrites ont été fixées dans une période de forte croissance : la situation déflationniste actuelle ne devrait-elle pas mériter la qualification de circonstance exceptionnelle, laquelle autorise le dépassement du taux de déficit prévu ? La France n’est pas la seule concernée, loin de là : une interprétation plus flexible et moins idéologique des traités concerne de nombreux États membres.

Il conviendrait également de sortir du calcul budgétaire certaines dépenses. Monsieur Roth, vous avez évoqué la lutte contre le chômage des jeunes. Or de nombreux pays préfèrent renoncer à des projets cofinancés par l’Europe, sachant que leur propre part de cofinancement entrerait dans le calcul de leur déficit budgétaire. Les dépenses de cofinancement de projets européens – je pense au plan d’investissement de 300 milliards ou au programme européen sur l’emploi des jeunes – ne devraient-elles pas sortir du calcul du déficit budgétaire ?

M. Pierre Lellouche. Messieurs les ministres, j’ai été profondément touché par votre autosatisfaction et vos témoignages d’autocongratulation. C’est formidable : l’Europe va bien ! Nous avons l’impression d’assister à un séminaire de l’Internationale socialiste. Je tiens à vous féliciter tous les deux. Votre attitude est très réconfortante pour tous nos concitoyens européens à l’heure où 150 députés d’extrême droite ou antieuropéens ont été élus au Parlement européen. Continuez ainsi !

Les déficits français ont donné lieu à une véritable mascarade. Par une sorte de magie budgétaire, quarante-huit heures ont suffi à trouver 3,5 milliards supplémentaires qui ont été immédiatement avalisés par la nouvelle Commission comme le signe que tout va bien, madame la marquise, et que les déficits français n’enfreignent en rien les règles qui constituent le socle de la zone euro. Monsieur Roth, le gouvernement allemand est-il lui aussi satisfait des économies ainsi réalisées par la France ? Pense-t-il que la situation peut perdurer ? En faisant de ce tour de passe-passe son premier acte politique, la nouvelle commission européenne a-t-elle assis sa crédibilité ?

Vous vous êtes félicités du succès du dernier Conseil européen : or, le paragraphe 18 de ses conclusions précise que « l’Union européenne attend de la Fédération de Russie qu’elle respecte la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale de l’Ukraine et contribue à la stabilisation politique et à la reprise économique en Ukraine. » Dimanche dernier, toute la partie orientale de l’Ukraine n’a pas pu voter : il n’y a donc pas d’accord sur le maintien de l’intégrité territoriale de ce pays. Quelles initiatives Paris et Berlin comptent prendre pour remédier à cette situation ? Monsieur Désir, la France livrera-t-elle les Mistral à la Russie alors que les conclusions du Conseil européen n’ont pas été respectées ?

Mme la présidente Elisabeth Guigou et moi-même assistions ce matin à une réunion d’information sur le projet de traité transatlantique. Monsieur Roth, quelle est la position de l’Allemagne sur l’opacité qui préside à ces négociations ? Le degré d’information des députés du Bundestag est-il supérieur à celui des députés français, qui ne sont pas du tout informés ? L’Allemagne est-t-elle favorable aux procédures d’arbitrage envisagées ?

Le Conseil européen a évoqué Ebola : les trois pays actuellement engagés dans la lutte contre l’extension du virus sont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Quelle est, monsieur Roth, la contribution de l’Allemagne à la lutte contre Ebola ? Votre pays mettra-t-il en œuvre des moyens militaires pour aider à l’amélioration de la situation ?

Enfin, M. Junker a évoqué un plan d’investissement de 300 milliards d’euros : d’où sortiront-ils ? Doit-on s’attendre à une heureuse surprise dans les semaines à venir ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je tiens seulement à rappeler que la France dépasse le plafond autorisé de déficit depuis 2003, c'est-à-dire bien avant le déclenchement de la crise financière, et que, contrairement à l’Allemagne, notre pays n’avait pas rétabli, avant la crise, le respect des taux prévus par le traité.

M. Michael Roth, secrétaire d'État aux affaires européennes de la République fédérale d'Allemagne. (Interprétation) Nous nous sommes félicités non de mon travail mais du travail de M. Désir. La critique est toujours stimulante : elle nous fait avancer. Elle permet d’obtenir de meilleurs résultats.

La situation en Ukraine est loin d’être détendue : la condition sine qua non d’une détente est l’application totale de l’accord de Minsk par les deux parties, à savoir l’Ukraine et la Russie, qui doit maintenant agir en ce sens. Tant que l’accord de Minsk n’est pas appliqué, nous ne pouvons donner aucune garantie en ce qui concerne la levée des sanctions économiques, et ce, alors même que les pays d’Europe centrale qui dépendent du gaz russe à plus de 80 % – je rentre de Hongrie – sont très inquiets. C’est pourquoi la solidarité est importante. Même s’il est possible de critiquer l’Union européenne, il convient de noter qu’en dépit du caractère très hétérogène des situations de chacun des États membres, l’Europe a réussi à parler d’une seule voix. La déclaration conjointe des ministres des affaires étrangères du triangle de Weimar – France, Allemagne, Pologne – y a été pour beaucoup.

Les élections qui se sont récemment tenues en Ukraine ont été déclarées légitimes par les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Même si elles n’ont pas pu être organisées en Crimée et dans la partie est de l’Ukraine, l’OSCE a donné son feu vert à leur validation par la communauté internationale. Il est très important à nos yeux que les élections locales prévues par l’Ukraine en décembre dans le sud-est du pays puissent avoir lieu. En revanche, nous ne pouvons pas considérer comme légitimes les élections prévues par les séparatistes au mois de novembre : la Russie doit convaincre ces derniers d’y renoncer.

Les négociations du traité de libre-échange transatlantique suscitent beaucoup d’émotion tant en France qu’en Allemagne. Mes propos ne plairont pas à tous : je ne comprends pas pourquoi l’Europe manque autant d’audace. Étant un social-démocrate moderne, je souhaite participer à la constitution du cadre de la mondialisation. Si nous voulons exercer une influence sur elle, nous avons besoin de signer des traités de libre-échange. C’est pourquoi l’Union européenne doit être capable de conduire des négociations et d’y défendre ses vues.

L’Allemagne n’est pas favorable aux procédures d’arbitrage prévues : elle souhaite qu’elles ne fassent pas partie des négociations. Il en est de même du traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada, dont, toutefois, les négociations sont terminées : revenir sur les tribunaux d’arbitrage sera donc plus difficile.

Ces négociations sont d’autant plus mal acceptées par les citoyens européens qu’elles ont été enveloppées du voile du secret. Même si le commissaire qui les a conduites a beaucoup obtenu, il est toujours dangereux de donner l’impression qu’on dissimule des choses importantes. C’est une des raisons pour lesquelles ces négociations ont suscité autant de protestations. Il convient toutefois de les poursuivre, puisque ce sera aux vingt-huit parlements nationaux qu’il appartiendra de donner leur accord, et non au seul Parlement européen.

Par ailleurs, l’Allemagne a tout fait pour renforcer le travail de l’Union européenne dans son combat contre le virus Ebola. C’est le ministère allemand des affaires étrangères qui pilote la coordination gouvernementale dans ce domaine. Les moyens ont été renforcés, des experts ont été envoyés sur place, en dépit de conditions de travail très difficiles. La situation de l’Afrique occidentale est d’autant plus dramatique qu’elle est très complexe. Nous avons également proposé l’envoi de Casques blancs et préparé une proposition commune visant à nommer un coordinateur de l’Union européenne contre Ebola – il s’agit du commissaire européen aux affaires humanitaires, le Chypriote Christos Stylianide. Travailler chacun dans son coin ne sert à rien. Pour obtenir des résultats, tous les pays doivent coopérer.

Monsieur Cordery, vous avez évoqué le projet de plan d’investissement de 300 milliards d’euros. Une telle proposition n’allait pas de soi ! Nous ne pouvons donc que nous en féliciter. M. Junker a mérité notre soutien ; il en a de plus besoin. Nous sommes très reconnaissants envers la France d’avoir présenté des propositions de réformes. L’Allemagne et d’autres pays l’ont fait également.

S’agissant des investissements, il conviendra de prévoir un paquet, composé de différentes sources de financements. Ce projet devra évidemment tenir compte du montant encore élevé des dettes de certains États membres. Il conviendra aussi de compter sur l’effet de levier de la Banque européenne d’investissement, lequel lui permet d’accorder à peu de frais des crédits importants pour financer des projets importants. Quant aux project bonds, ils permettront d’impliquer le capital privé. Comme il existe des millionnaires en Europe, il est important de canaliser leur investissement vers des projets d’infrastructures ou d’éducation, plutôt que de les laisser spéculer en investissant dans des secteurs à risque – personne ne souhaite voir éclater une nouvelle crise.

Le pacte de stabilité a été au centre d’une grande polémique en Allemagne, à laquelle le vice-chancelier et moi-même avons participé. Ce débat a été très utile car il a permis de clarifier la situation. Il faut souligner qu’il ne s’agit pas d’un simple pacte de stabilité mais d’un pacte de stabilité et de croissance – la chancelière l’a également rappelé. Maintenant, c’est à la Commission d’agir et nous ne saurions lui dicter sa politique. Le commissaire Jyrki Katainen a évalué les propositions de la France de manière constructive. Il faut éviter à tout prix de créer l’impression que les grands pays peuvent bénéficier de dérogation contrairement aux petits pays, qui devraient subir seuls les règles existantes dans toute leur rigueur. Pour que la croissance et l’emploi soient nos premières priorités, il faut en réaliser les conditions. Je suis certain que les propositions dont nous prendrons connaissance au mois de décembre seront constructives. Nous pouvons avoir confiance dans ces personnalités très qualifiées chargées de remettre un rapport, que sont MM. Pisani-Ferry et Enderlein.

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. Monsieur Cordery, vous avez raison : le risque de déflation existe pour certains États membres. Le niveau d’inflation est à un niveau exceptionnellement bas – 0,4 %, voire 0,3 % –, très loin de la cible des 2 % fixés par la Banque centrale européenne. Vous avez évoqué la stagnation japonaise : les Américains ont repris une ancienne expression économique, celle de secular stagnation. Le risque aujourd'hui est qu’en l’absence d’une demande suffisamment forte et d’un investissement soutenu, la croissance et donc l’emploi ne redémarrent pas. Il deviendra dès lors très difficile de juguler les déficits et de régler la dette. Il convient de conduire des politiques communes au sein de la zone euro et, plus généralement, de l’Union européenne, combinant la politique monétaire active menée par la Banque centrale européenne et les politiques budgétaires respectueuses des engagements pris dans le cadre du pacte de stabilité – réduction du déficit structurel et objectif de réduction de l’endettement. Pour leur succès, gardons-nous d’ajouter, via des mesures d’austérité, une dimension récessive supplémentaire à une situation qui l’est déjà. Il faut également que les politiques nationales, coordonnées au plan européen, recourent à des instruments communs de soutien à l’investissement : d’où le travail en cours pour trouver ces 300 milliards d’euros d’investissement public et privé annoncés par M. Junker.

Plusieurs propositions sont envisagées, dont la recapitalisation de la Banque européenne d’investissement. Celle-ci a déjà bénéficié d’une augmentation de son capital de 10 milliards d’euros à la suite de l’adoption, à l’initiative du Président de la République François Hollande, du pacte pour la croissance et l’emploi au Conseil européen de juin 2012. Or ces 10 milliards ont permis à la Banque d’accorder 60 milliards de prêts. J’ai récemment rencontré le vice-président français de la BEI, M. Philippe de Fontaine Vive : ces 60 milliards d’euros ont permis de mobiliser 180 milliards. L’effet de levier a donc été de 1 à 18. D’ailleurs, la BEI estime que lorsqu’elle-même ou une autre institution européenne – le budget européen a dédié 230 millions d’euros à des interventions hors Union européenne – offrent leur garantie, l’effet de levier oscille entre 1 à 18 et 1 à 20. Pour financer des projets européens, il est donc possible d’envisager une nouvelle augmentation du capital de la BEI ou encore de mobiliser une partie de l’épargne des États membres, qui, en dépit d’une légère diminution, demeure plus abondante en Europe qu’aux États-Unis. L’idée est également lancée de mobiliser une partie du capital du Mécanisme européen de stabilité (MES), ce qui supposerait que les États membres s’entendent pour permettre au MES de financer des projets européens, alors qu’il sert seulement aujourd'hui de fonds de secours en cas de crise financière.

S’agissant de l’interprétation des traités, la France n’a pas demandé que les cofinancements nationaux de projets européens soient soustraits du calcul du déficit budgétaire au sens maastrichtien. Notre pays souhaite en effet non pas une modification des traités mais qu’il soit tenu compte, comme les traités le prévoient, de la situation économique. En période de stagnation, devant un risque de déflation ou de récession, il convient d’utiliser les flexibilités inscrites dans les traités. D’autres États membres – je pense à l’Italie –, ainsi que des formations politiques du Parlement européen, ont proposé que soient décomptées les contributions apportées par les États membres au financement de projets européens cofinancés par le budget européen : certains d’entre eux hésitent en effet aujourd'hui à s’engager dans de tels projets du fait que leur part de financement viendrait grever un peu plus leur déficit. Il peut s’agir de projets d’infrastructures – le problème pourrait se poser demain pour le Lyon-Turin – ou visant à favoriser l’emploi des jeunes : ainsi, la mise en œuvre de la garantie pour la jeunesse permettrait d’allouer à l’Espagne 1,6 milliard d’euros de financement européen, à condition que celle-ci apporte un complément, qui creusera encore un peu plus son déficit au sens maastrichtien du terme. Les règles actuelles du pacte de stabilité et de croissance incitent donc certains États à renoncer à l’argent européen. L’essentiel est de débloquer le plus rapidement possible les fonds européens, car ils ont des effets positifs sur la situation économique, la croissance et les recettes des États.

Monsieur Lellouche, ne nous plaignons pas que, par-delà les clivages politiques, les relations entre les gouvernements français et allemands soient bonnes. Félicitons-nous au contraire des collaborations et des amitiés qui se sont nouées, au fil du temps, depuis le traité de l’Élysée de 1963 et l’accolade entre De Gaulle et Adenauer. Ils appartenaient, c’est vrai, à la même famille politique. Toutefois, par-delà les alternances politiques dans nos deux pays, le même état d’esprit a présidé par exemple aux relations entre le président Mitterrand et le chancelier Kohl, qui se sont tenu la main à Verdun. Il se trouve que M. Roth et moi avons une sensibilité commune et une approche partagée des questions économiques et politiques : tel n’est pas le cas de la chancelière Angela Merkel et du Président de la République François Hollande, ce qui ne les empêche pas de travailler étroitement ensemble. Il est bon qu’il en soit ainsi. Le sort de l’Europe dépendant de nos bonnes relations, celles-ci doivent dépasser nos différences partisanes.

Loin de faire preuve d’autosatisfaction, nous nous mobilisons pour redresser la situation de l’Europe. Il ne faut pas pour autant se complaire dans l’autoflagellation : la dynamique franco-allemande permet de surmonter les différences.

Les élections ukrainiennes ont été un succès même si elles n’ont pas pu être organisées dans la partie est du pays et que les séparatistes annoncent des scrutins qui ne seront pas reconnus par l’Union européenne et la communauté internationale. Nous veillons tout d’abord à maintenir l’unité européenne, qui est essentielle. Nous sommes parvenus à surmonter les différences d’approche entre les États membres – la Pologne, les pays Baltes, l’Italie, la France, l’Espagne, l’Allemagne. C’est parce que la France et l’Allemagne ont fixé le cadre des décisions européennes que l’unité a pu être maintenue : elle a permis la signature d’un premier accord, celui de Minsk, entre l’Ukraine et la Russie, qui doit être mis en œuvre sous l’égide de l’OSCE, comme sous celle de la France et de l’Allemagne qui ont proposé de contribuer à la surveillance des frontières à l’aide de drones. Cet accord porte également sur le renforcement du dialogue national, des réformes institutionnelles sur le statut définitif des régions de l’est de l’Ukraine, la promotion de l’État de droit et la lutte contre la corruption. Malheureusement, ce processus se heurte aujourd'hui à de nombreux obstacles.

Je n’établirai pas de lien entre ce dossier et celui du Mistral, qui n’a fait l’objet à l’heure où je vous parle d’aucune annonce officielle. Le Président de la République prendra sa décision en fonction de l’évolution de la situation. Le contrat de vente des Mistral à la Russie date de 2011, c'est-à-dire bien avant la crise actuelle. De plus, il ne relève pas du régime des sanctions européennes, qui n’ont aucun caractère rétroactif. Il ne faut pas entretenir un parallèle entre les deux dossiers. Le processus de Minsk et les sanctions adoptées par l’Union européenne visent le respect du droit international et le rétablissement, par la voie diplomatique et politique, de relations normales de bon voisinage entre la Russie et l’Union européenne. Tel est l’objectif de la diplomatie française, allemande et européenne.

Le projet de loi de finances pour 2015 a été validé par la Commission européenne : le commissaire Katainen n’a en effet retenu aucun manquement de la part de la France au pacte de stabilité et de croissance, ce dont il faut nous réjouir. La France a apporté les précisions nécessaires à la clarification souhaitée par la Commission sans remettre en cause le projet de loi de finances. Les taux d’intérêt très bas, le rendement plus important de la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales et une contribution moins importante au budget de l’Union européenne – laquelle a provoqué au Royaume-Uni, qui verra la sienne augmenter, une réaction très forte – permettront de réduire le déficit structurel, qui, de 4,4 % en 2011, passera à 2,05 % en 2015. L’actuel gouvernement est celui qui, en dépit d’une situation économique défavorable, aura engagé une véritable réduction du déficit structurel. Quant au déficit nominal, il était de 5,2 % en 2011. Comme l’a rappelé M. Roth, il est déjà arrivé dans l’histoire de la zone euro que la France et l’Allemagne ne réussissent pas à respecter le taux nominal de déficit – les fameux 3 % : c’était en 2003. Le Conseil européen a alors accepté un dépassement. La différence, c’est que l’Allemagne a aussitôt engagé, à l’initiative du chancelier Schröder, des réformes très importantes – l’agenda 2010 –, dont elle tire aujourd'hui les bénéfices. La France n’a pas suivi la même voie : c’est aujourd'hui que le Gouvernement doit engager des réformes et le faire dans une situation bien moins favorable qu’en 2003, qui était une période de croissance, ce qui n’est plus le cas. Nous devons quand même faire ces réformes pour reconstituer la compétitivité et la force économique de notre pays et baisser son endettement.

Nous sommes tout à fait déterminés à exiger la transparence sur les négociations du traité transatlantique : hier, les députés ont été conviés à participer à une réunion de travail du comité de suivi stratégique des sujets de politique commerciale, présidé par M. Matthias Fekl, secrétaire d’État au commerce extérieur. Il a rendu compte de la dernière session de négociations entre les États-Unis et l’Union européenne et du fait que celles-ci n’avancent pas très vite à l’heure actuelle pour des raisons politiques : élections de mi-mandat aux États-Unis, installation de la nouvelle Commission européenne la semaine prochaine. De plus, dans des domaines aussi importants que ceux des marchés publics ou des indications géographiques, les États-Unis n’ont pas fait d’offre à la hauteur de nos attentes. Les négociations devront se mener sous le contrôle des parlements nationaux et du Parlement européen, qui auront à ratifier un futur accord de libre-échange, lequel devra respecter les normes européennes en matière de sécurité des consommateurs ou de diversité culturelle – je rappelle que nous avons déjà exclu des négociations les industries de défense.

Mme Nathalie Chabanne. L’énergie sera un élément primordial de la relance de l’Union européenne dans les années à venir.

C’est pourquoi MM. Hollande pour la France et Tusk pour la Pologne ont proposé au mois d’avril dernier de relancer la construction d’une union énergétique européenne. Cette proposition repose sur six piliers, qui ont été, pour la plupart, repris par le Conseil européen. La Commission européenne a toutefois rejeté l’idée d’achat commun d’énergie par l’intermédiaire d’une agence européenne commune. Or cette agence pourrait être le moyen de protéger les États membres des pressions extérieures des pays fournisseurs d’énergie, de mieux contrôler les formes d’énergie utilisées en Europe – une agence européenne permettrait de mieux négocier les prix et de maîtriser l’origine et l’utilisation des différentes sources d’énergie – et de mieux protéger le marché intérieur de l’énergie. Une forme de protection même temporaire permettrait de faciliter la transition énergétique.

Les pays européens ont besoin de faire évoluer leur mode de consommation énergétique. À cette fin, des investissements importants sont nécessaires. Or le fait que l’énergie non renouvelable est importée à des prix ultra-compétitifs bride les investissements. C’est une bonne chose que les objectifs fixés par le Conseil européen à l’horizon 2030 soient ambitieux : encore faut-il que les États membres soient en mesure de les atteindre.

Messieurs les ministres, quelle sera la position de la France et de l’Allemagne sur la création d’une telle agence européenne ?

Monsieur le secrétaire d'État, lors de votre intervention dans l’hémicycle vous avez annoncé le soutien du Gouvernement au plan d’investissement public et privé de M. Junker et souligné que la France devait investir dans la transition énergétique afin de relever son potentiel de croissance. En matière d’interconnexion, l’objectif, non contraignant, fixé par le Conseil européen est de passer de 10 % à 15 % à l’horizon 2030. Or l’interconnexion gazière et électrique à travers les Pyrénées entre la France et l’Espagne pose aujourd'hui un vrai problème, les deux pays n’étant pas toujours à l’unisson sur le sujet. Il serait important que l’Europe joue pleinement son rôle pour diversifier nos sources d’approvisionnement en gaz – nous dépendons trop du gaz russe aujourd'hui.

Il faut notamment finaliser la section d’Arreau dans les Pyrénées atlantiques et le projet de gazoduc MidCat dans les Pyrénées orientales, d’autant qu’ils sont déjà budgétés. Le plan de relance annoncé par M. Junker prendra-t-il en compte les besoins d’interconnexion dans l’ensemble de l’Union européenne, afin de rendre aussi raisonnable que possible la facture énergétique de nos concitoyens ?

M. André Schneider. (Interprétation) Monsieur Roth, je suis d’accord avec vous sur plusieurs points. Je regrette toutefois que vous ayez donné l’impression que nous sommes ici dans une réunion du parti.

(Poursuivant en français) Contrairement à la coutume, vous vous êtes permis de formuler des critiques à l’encontre de l’ancien Président de la République et du précédent gouvernement français. J’ai souvent accompagné en Allemagne M. Lellouche, ancien secrétaire d’État aux affaires européennes. Nous n’entretenions pas de mauvaises relations avec ce pays.

Je tiens à souligner, monsieur Désir, votre hauteur de vue et la pondération de vos propos. C’est vrai, que ce soit avec le président Giscard d’Estaing et le chancelier Schmidt, le président Mitterrand et le chancelier Kohl, le président Chirac et le chancelier Schröder, les présidents Sarkozy et Hollande et la chancelière Merkel, les relations entre nos deux pays ont toujours été excellentes. Que M. Roth et vous-même apparteniez à la même famille politique ne me gêne d’aucune façon. Simplement, réservez vos déclarations politiciennes à un autre auditoire que celui des commissions.

Cela étant, tous, nous pensons que le moteur franco-allemand est indispensable – c’est un député alsacien qui le souligne. La solidité de ce tandem doit résister à toutes les divisions et à toutes les crispations – je pense notamment à la question du gaz de schiste. Nos amis polonais ont également changé de cap, s’agissant de la pollution atmosphérique.

Nous devons développer la politique sociale tout en tenant compte de la différence entre le niveau du salaire minimum français et celui du futur salaire minimum allemand. Avec Mme la présidente Danielle Auroi, hier, nous avons évoqué l’idée d’une future centrale d’achat. Nous devons collaborer sur un grand nombre de sujets : faisons-le autant que possible en pleine harmonie.

M. Arnaud Leroy. Nos collègues de l’UMP oublient que l’Europe est aussi un objet politique. Le projet pour l’Europe défendu par le parti populaire européen (PPE) lors des élections européennes n’était pas le même que celui du parti socialiste européen. M. Lellouche a raison : si l’Europe va mal, c’est qu’on dissimule le cœur politique du projet européen. Il faut marquer nos différences sur la construction européenne.

Il convient également de relancer l’idéal européen. On ne peut pas vendre l’Europe à ma génération simplement par l’intermédiaire d’un plan de relance de 300 milliards ou en s’appuyant sur les conclusions incompréhensibles du Conseil européen sur le paquet énergie-climat. Quelles que soient nos étiquettes, nous devons assumer la dimension politique de notre engagement européen. M. Junker a raison en soulignant que c’est peut-être la Commission de la dernière chance. Nous devons tous travailler d’arrache-pied à sauver ce qui peut l’être d’ici à 2019.

Monsieur Roth, les députés français du Parlement européen ont un profil différent depuis le printemps dernier. C’est un avertissement majeur envoyé par un pays fondateur de l’Union européenne. Demain, cet avertissement proviendra d’autres pays. Les électeurs allemands envoient déjà le même signal à la faveur d’élections régionales, qui voient la montée de mouvements antieuropéens. Nous devons faire attention. Comment relancer l’idéal européen ? Quel idéal pourrions-nous demain construire ensemble ? Telles sont les questions que nous devons tous nous poser si nous voulons sauver l’Europe.

M. Michael Roth, secrétaire d'État aux affaires européennes de la République fédérale d'Allemagne (Interprétation). Madame Chabanne, durant des mois, nous nous sommes efforcés de convaincre nos partenaires d’Europe centrale et orientale d’accepter des objectifs ambitieux en matière énergétique. Le sujet a été évoqué trois fois dans le cadre du triangle de Weimar. Je me félicite de l’accord obtenu car il permet à l’Europe de réaliser un grand pas en avant.

J’aurais évidemment préféré que le Conseil européen fixe des objectifs encore plus ambitieux et plus contraignants : il faut toutefois tenir compte – je l’ai dit – du grand nombre d’États membres qui sont encore fortement touchés par la crise ou qui accusent un grand retard en matière d’efficacité énergétique. L’Allemagne s’est penchée très tôt sur le sujet, en décidant notamment de sortir du nucléaire et en adoptant des mesures nationales, qui ne relèvent pas de la compétence européenne.

L’efficacité énergétique peut être un moteur de croissance : 40 % de la consommation de chaleur est actuellement produite par les ménages. Des mesures d’isolation permettront d’améliorer encore ce résultat. Aussi n’ai-je pas compris pourquoi le Conseil européen ne s’est pas montré plus ambitieux en matière d’efficacité énergétique. Nous ne pouvons toutefois que nous féliciter d’avoir trouvé un consensus réaliste.

Il convient, vous avez raison, de lier le plan d’investissement de 300 milliards au tournant énergétique, notamment en aidant les petites et moyennes entreprises à investir dans le secteur de l’efficacité énergétique.

La création d’une agence d’achat d’énergie ne saurait être envisagée tant que certains problèmes n’auront pas été préalablement résolus. Comment créer une agence commune responsable des achats si ceux-ci passent par des entreprises privées, comme c’est le cas actuellement dans les différents pays de l’Union européenne ? Ces acheteurs peuvent évidemment s’associer : ils ne formeront pas pour autant une agence publique. Il convient donc de clarifier les relations entre ces entreprises privées et les États. De plus, des contrats à long terme doivent être respectés.

M. Schneider, la fracture hydraulique est un sujet très sensible aussi en Allemagne. Le SPD, mon parti, y est opposé – je sais qu’il en est différemment de la Pologne et des États-Unis. L’Allemagne ne considère pas que la technologie actuelle soit satisfaisante. Si elle évolue, nous pourrons évidemment changer d’avis. Le gouvernement allemand a également tenu compte du très fort rejet de l’opinion publique.

Certains se demandent si le changement de gouvernement a provoqué en Allemagne un changement de politique. Je peux vous l’assurer. Le social-démocrate que je suis défend devant vous la politique menée dans le cadre de l’accord de coalition. Je n’avais pas l’intention de critiquer le précédent gouvernement français. Je voulais simplement rappeler que la politique française, qui est également critiquée par les médias allemands, a une histoire et qu’il convient de se montrer équitable à l’égard du nouveau gouvernement, qui doit engager des réformes qui auraient pu être engagées plus tôt. Je demande également aux médias allemands de faire preuve d’équité à l’égard du gouvernement français, qui se trouve dans une situation difficile du fait qu’il est obligé de procéder aux réformes maintenant.

L’Allemagne a décidé de créer un salaire minimum à compter du 1er janvier prochain et de lancer un programme de relance, de l’ordre de 15 milliards d’euros, notamment en faveur des infrastructures et de l’éducation. Je suis le premier à reconnaître que ce programme est insuffisant.

Alors que les États membres de l’Union européenne ont tous les mêmes intérêts, on entend encore parler d’intérêts nationaux. Tout ce qui est important pour l’Allemagne l’est aussi pour l’Europe. Toutes nos actions ont des effets sur nos partenaires. La relance de la conjoncture n’est pas un sujet de controverse entre nos deux pays. Tous les États membres sont confrontés aux mêmes problèmes. Nous avons besoin de procéder à des réformes structurelles : compte tenu de l’état d’endettement de nombreux pays, il nous faut coopérer à cette fin.

J’en ai par ailleurs assez d’entendre affirmer que la bureaucratie bruxelloise est responsable de tous nos maux et que seules les politiques nationales sont bénéfiques. Dans ces conditions, pourquoi continuer à prononcer de grands et beaux discours à la gloire de l’Europe ? Tous, nous sommes l’Europe. Le Conseil européen est composé des chefs d’État et de gouvernement. Les différents ministres des États membres se réunissent par compétences. Il faut le rappeler à ceux qui critiquent l’Europe.

La priorité demeure à mes yeux la lutte contre l’instabilité sociale au sein de l’Union européenne. Nous devons redonner espoir aux jeunes Européens et leur prouver que l’Union européenne n’est pas seulement un projet économique mais qu’elle est avant tout fondée sur des valeurs défendues par nos deux pays. Si nous ne pouvons pas leur démontrer que l’Europe est un projet de paix, la meilleure assurance-vie, et bien, nous échouerons. Prenons l’exemple des pays Baltes : le fait d’appartenir à la communauté européenne leur permet de ne plus craindre l’agression russe. Les États membres se soutiennent et se protègent mutuellement.

L’Europe a la capacité de susciter de grands espoirs. Je suis preneur de toutes les bonnes idées allant en ce sens !

M. Harlem Désir, secrétaire d'État aux affaires européennes. Madame Chabanne, c’est vrai, le Conseil européen n’est pas allé aussi loin que nous le souhaitions en matière énergétique. Nous ne renonçons pas à la création d’une centrale d’achat commun. La Pologne et la France ont préparé un document sur l’union énergétique parce qu’elles pensent que celle-ci constituera, demain, un nouveau mécanisme de solidarité européen. S’il faut assurément prendre en compte la diversité des contrats d’approvisionnement, je pense toutefois que l’Europe est capable de négocier ses contrats avec les fournisseurs extérieurs de manière plus coordonnée, ce qui lui permettra de diminuer sa dépendance, surtout si elle renforce parallèlement l’efficacité énergétique et la part des énergies renouvelables.

Les interconnexions ont constitué un des éléments clés de l’accord intervenu au Conseil européen. L’Espagne et la France y travaillent ardemment. Les lignes à haute tension doivent être respectueuses de l’environnement, et donc être enterrées dans de nombreux cas, ce qui revient à augmenter leur coût. Les financements européens sont nécessaires à la réalisation de tous ces projets – je pense également au gazoduc MidCat. Les conclusions du Conseil européen prévoient que ces travaux auront toute leur place dans les grands projets d’intérêt commun. Ils seront donc visés par le plan d’investissement de 300 milliards d’euros.

M. Schneider a insisté sur l’importance du tandem franco-allemand, qui doit être dynamique et ambitieux, surmonter les différences politiques et éviter tout type de crispation. M. Leroy a raison : relancer les politiques européennes dans tel ou tel domaine est insuffisant si nous laissons de côté la question de l’idéal européen. Tel est le chemin que M. Roth a tracé dans son introduction, lorsqu’il a évoqué la nécessité de promouvoir une union économique qui fasse toute sa part à la cohésion sociale. Il est nécessaire de relancer aussi l’union des valeurs.

Nous devons construire ensemble un espace démocratique, une puissance de paix, un modèle de croissance responsable, durable et écologique, afin que chaque jeune se sente non seulement Allemand ou Français ou Espagnol ou Polonais mais également Européen. Il doit connaître l’existence de cet espace de formation, qui ne doit pas être simplement réservé à ceux qui font des études supérieures mais également aux jeunes apprentis – c’est le projet Erasmus des apprentis que défend depuis très longtemps Mme Guigou et qui est devenu une réalité. Qu’ils sachent que l’Europe se mobilise pour relever de grands défis internationaux, comme c’est le cas de la lutte contre Ebola, ou qu’elle aide les peuples qui se battent pour leur transition démocratique, comme la Tunisie, qui vient de réussir d’extraordinaires élections démocratiques qui sont un exemple pour toute la rive sud de la Méditerranée. L’Europe ne doit pas se réduire à un ensemble de traités et de règles, vécus comme autant de contraintes : elle doit apparaître comme un projet qui vaut à la fois pour les Européens et pour le monde. Quand elle construit un espace de démocratie, renforce la paix, et prouve que la croissance peut être à la fois économique, sociale et écologique, elle aide le monde entier à relever les défis qui se posent à lui, que ce soit en Chine, aux États-Unis ou en Afrique.

Tel est l’idéal européen qu’il faut réussir à faire vivre. Il suppose, comme l’a souligné M. Roth, que nous allions dans les réunions européennes non pas dans le seul but de soutirer quelque chose à l’Europe ou de nous plaindre d’elle, mais au contraire, comme aimait à dire le président Delors, pour faire avancer ensemble l’Europe, nos pays et un idéal commun.

Je tiens à remercier Mme la présidente Danielle Auroi et la Commission des affaires européennes, qui nous aident à faire progresser l’idéal européen via, notamment, des dossiers concrets, ainsi que Mme Élisabeth Guigou qui nous a reçus aujourd'hui.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Il est enthousiasmant de voir deux ministres aussi combatifs et volontaires pour l’entente franco-allemande et pour l’Europe.

Je vous remercie, messieurs les ministres, de nous avoir redonné du tonus !

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 29 octobre 2014 à 16 h 30

Présents. - M. Michel Destot, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Jean-René Marsac, Mme Odile Saugues, M. André Schneider, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-Marc Ayrault, M. Patrick Balkany, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, M. Gwenegan Bui, Mme Cécile Duflot, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Benoît Hamon, M. Noël Mamère, M. Pierre Moscovici, M. René Rouquet, M. François Scellier, M. Guy Teissier

Assistaient également à la réunion. - Mme Danielle Auroi, M. Philip Cordery