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Commission des affaires étrangères

Mercredi 6 mai 2015

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 74

Co-présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente, M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

– Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission du développement durable et la commission des affaires européennes, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’Énergie sur la préparation de la Conférence Climat 2015.

Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission du développement durable et la commission des affaires européennes, de Mme Ségolène Royal, ministre de l’Écologie, du développement durable et de l’Énergie sur la préparation de la Conférence Climat 2015.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères. Nous avons le plaisir et l’honneur de recevoir Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, pour une audition, ouverte à la presse, sur la préparation de la Conférence Climat 2015 (COP21).

Madame la ministre, c’est sous votre autorité et celle du ministre des affaires étrangères que travaille l’équipe interministérielle chargée de la négociation et de l’agenda des solutions. Le communiqué du conseil des ministres du 28 janvier précise qu’il vous appartient de définir la contribution de la France à la construction d’une position européenne ambitieuse et d’occuper le siège de la France dans les instances de discussion européennes et onusiennes. Par ailleurs, la mobilisation de la société civile s’appuie sur les initiatives que vous proposez.

La diplomatie parlementaire participe à l’effort de persuasion que la France entreprend pour que cette conférence soit un succès. À l’occasion de chacune de nos réunions avec nos homologues étrangers, nous rappelons combien il est important que nous parvenions à un accord en décembre. Cette conférence aura d’ailleurs un volet parlementaire, puisque des délégations internationales de l’Union interparlementaire (UIP) et de GLOBE International doivent se réunir les 5 et 6 décembre à l’Assemblée nationale et au Sénat. En amont de cette réunion, nous organisons par ailleurs deux événements à l’Assemblée afin de créer une dynamique euro-méditerranéenne dans le domaine du climat : le président Bartolone a accepté que se tiennent simultanément des réunions de travail des présidents de l’assemblée parlementaire de l’Union pour la Méditerranée, représentant quarante-deux pays, et un Forum euro-méditerranéen sur le climat rassemblant les ONG et d’autres représentants de la société civile, forum organisé par la Fondation Anna Lindh pour le dialogue des cultures, que j’ai l’honneur de présider.

L’année 2015 s’est ouverte sur des records de température. Les pays insulaires du Pacifique subissent déjà la montée des eaux et l’aggravation des ouragans et des cyclones ; ils l’ont rappelé au sommet Oceania 21, à Nouméa, qui s’est achevé vendredi.

Plusieurs éléments mobilisent notre vigilance. Tout d’abord, des retards sont constatés dans le dépôt des contributions nationales. Au début du mois d’avril, à la première date d’échéance, trente-trois pays avaient déposé leurs contributions : la Suisse et l’Union européenne avec ses vingt-huit membres, la Russie, les États-Unis, le Mexique, la Norvège et le Gabon, mais il n’y a dans cette liste aucun pays d’Asie, alors que c’est l’un des continents les plus menacés.

La qualité des contributions et le niveau des engagements sont par ailleurs jugés décevants par les acteurs de la société civile et les experts. Par exemple, l’année de référence choisie par les États-Unis pour la réduction de leurs émissions n’est pas 1990, mais 2005, plus avantageuse pour eux. De même, la Russie met en avant la capacité d’absorption de son immense massif forestier pour éviter d’avoir à changer son modèle énergétique, et la Suisse, qui prévoit une réduction de 50 % de ses émissions, le fait à raison de 20 % au titre des mécanismes de marché, c’est-à-dire des améliorations qu’elle promeut dans les autres pays et non sur son sol.

Dans ce contexte, la contribution européenne, qui reprend le deuxième paquet « Énergie climat » pour 2030, à raison d’une baisse de 40 % des émissions de CO2 par rapport à 1990, d’un rehaussement à 27 % de la part des renouvelables dans le bouquet énergétique et de 27 % de l’efficacité énergétique, avec la perspective d’une économie enfin décarbonée au milieu du siècle, est extrêmement importante, mais aura-t-elle un effet d’entraînement ?

L’adoption de la loi sur la transition énergétique montre que notre pays prend ses responsabilités. Quelle a été sa contribution à la position de l’Union européenne ? Sur quels leviers peut-on espérer agir encore pour rapprocher la position des pays tiers ?

En ce qui concerne le financement, dernier point de vigilance, comment passer des 10 milliards de dollars de capitalisation du Fonds vert à l’enveloppe de 100 milliards par an de fonds publics et privés en faveur des pays en développement, et de quelle manière articuler ces fonds avec l’agenda des solutions de la société civile ?

Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes. Avant la COP21 qui se tiendra à Paris, il y aura deux autres rendez-vous qu’il ne faut surtout pas rater : celui d’Addis-Abeba sur le financement du développement – les pays du Sud attendent des réponses sur ce point et sur celui des transferts de technologie – et le rendez-vous de New York. Si ces deux étapes sont des succès, les choses auront été clarifiées pour l’agenda des solutions.

La France s’apprête à recevoir plus de 40 000 participants, mais elle n’a pas attendu l’organisation de cette conférence pour témoigner de son volontarisme. Elle l’a fait notamment par le biais de la loi sur la transition énergétique, sur deux points, en particulier, qui sont à mes yeux des faiblesses au niveau européen.

Le premier concerne l’efficacité énergétique. Même si l’Europe affiche un objectif de 40 % de réduction des émissions, les directives en la matière sont très insuffisantes et n’ont pas été révisées depuis longtemps. Le second point sur lequel nous devrons convaincre nos partenaires porte sur une union de l’énergie au plan européen, une union qui gère les marchés des énergies fossiles – la crise ukrainienne montre à quel point c’est devenu nécessaire – tout en développant les énergies renouvelables. La COP21 est une formidable occasion de montrer que l’Europe peut rester ce qu’elle a toujours été depuis Kyoto, à savoir la bonne élève de la lutte contre le changement climatique.

Pensez-vous, madame la ministre, que les objectifs de la stratégie européenne à l’horizon 2030, qui ont fait l’objet de quelques critiques, seront tenus ? De même, la contribution déposée par l’Union pour la COP21 vous semble-t-elle aller assez loin ? L’Europe et la France sont-elles en mesure d’avoir un effet d’entraînement dans les négociations ?

Les enjeux sont notamment ceux de l’économie décarbonée. On ne parle toujours pas de taxe carbone aux frontières de l’Union européenne, alors que cela aurait du sens. Les questions de financement seront déterminantes. Quel rôle l’Europe et la France peuvent-elles jouer pour débloquer les principaux points d’achoppement, décrits par Élisabeth Guigou ?

M. Jean-Paul Chanteguet, président de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Élisabeth Guigou a évoqué les rencontres parlementaires des 5 et 6 décembre dans le cadre de GLOBE International et de l’UIP, mais nous portons aussi un intérêt particulier au grand débat citoyen planétaire organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) et le Danish Board of Technology, qui est soutenu par les ministères de l’écologie et des affaires étrangères, par la Fondation Nicolas Hulot et par le président de l’Assemblée nationale, et qui verra le jour dans le cadre de la COP21.

Mme Ségolène Royal, ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie. Le fait que trois de vos commissions se réunissent pour cette audition prouve l’ampleur et la complexité de la tâche que représente la préparation de la Conférence Climat, ainsi que le caractère passionnant de l’action que nous avons à conduire ensemble.

Je me suis rendue ce matin dans un lycée du Bourget, où étaient présents plus d’une centaine de lycéens de différents établissements de la région, avec leurs professeurs. Ces lycéens travaillent depuis la rentrée sur une simulation des négociations sur le climat, chacun représentant un État ou groupe d’États. C’était passionnant. Ces élèves témoignent d’une grande maturité et d’une bonne connaissance des enjeux, tirée des documents officiels, et font preuve d’une grande mobilisation.

Cela me permet d’insister sur le fait que cette conférence concerne absolument tout le monde : tous les pays, mais aussi tous les citoyens, toutes les entreprises, toutes les ONG, toutes les collectivités territoriales, bref l’ensemble de la société civile, ainsi que les parlementaires que vous êtes. Vous avez en effet un rôle majeur à jouer, en tant que représentants de la démocratie. Le combat pour l’environnement est toujours lié à la question démocratique, à la capacité d’associer les citoyens aux décisions qui les concernent. Si les opinions publiques se mobilisent, les pays se mettront en mouvement. Même dans certains pays non démocratiques, les opinions publiques se manifestent, contre la pollution de l’air ou les risques industriels, par exemple, et les dirigeants, sous cette pression, sont obligés de bouger.

La France et l’Europe ont un rôle crucial à jouer. L’Europe a été à la hauteur de sa tâche en figurant parmi les premières parties à la convention-cadre des Nations Unies pour le changement climatique à communiquer son INDC (Intended Nationally Determined Contribution), avec un objectif à l’horizon 2030 de réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990, de 27 % de la consommation d’énergie à partir des énergies renouvelables et d’augmentation de l’efficacité énergétique de 27 %. À ce jour, trente-six parties à la convention-cadre, dont les vingt-huit pays de l’Union européenne, qui se sont positionnés en bloc, ont soumis leurs contributions. Ces pays représentent un tiers des émissions mondiales et 80 % des émissions des pays développés.

Je présenterai les objectifs, les outils et les échéances de la conférence.

L’objectif majeur est un changement de civilisation. Un monde est en train de disparaître, celui qui a conçu son développement sur la consommation des énergies fossiles, avec les dégâts que nous connaissons, et un nouveau monde est en train de naître, que nous devons aider à émerger. Pour cela, il faut tout d’abord surmonter quelques doutes. Certains de ces doutes se sont déjà bien estompés : plus personne ne conteste aujourd’hui les effets de la consommation d’énergies fossiles sur le dérèglement climatique et les risques graves que fait courir ce dérèglement. Le contexte est donc favorable pour mettre un terme aux tergiversations des années passées.

Des doutes subsistent sur les motivations des pays les plus riches. L’échec relatif de Lima s’explique par ces doutes des pays les plus pauvres, qui ont subi les modes de développement des pays riches et à qui l’on demande aujourd’hui de faire des choix différents. Nous devons dissiper ces doutes, tout d’abord en étant très clairs sur la question des financements : c’est un préalable au succès du sommet. Il faut espérer que ces financements seront mis en place, non seulement les 10 milliards qui sont déjà sur la table, mais pour lesquels il reste encore à définir les modalités d’engagement, mais aussi les 100 milliards d’ingénierie financière en provenance du secteur financier et des entreprises. Les entreprises et le secteur financier commencent à comprendre que le coût de l’inaction est plus élevé que celui de l’action. S’engager dans la transition énergétique et dans un autre modèle de développement peut permettre de créer des activités et des emplois, et de concevoir une sortie de la pauvreté pour de nombreux pays qui sont aujourd’hui privés d’accès à l’énergie et subissent de surcroît le plus durement, étant sous les latitudes les plus chaudes, le coût du réchauffement climatique, avec des déplacements massifs de populations que l’on appelle désormais des « réfugiés climatiques ».

Nos objectifs ne sont pas seulement arithmétiques ; ce sont des objectifs de valeurs, de survie, d’accès au développement et de sortie de crise pour les pays industrialisés. C’est un défi majeur à relever, mais aussi – c’est le message que veut porter la France – une formidable chance à saisir pour réparer les dégâts du passé et définir les conditions d’un développement durable, grâce à l’imagination, aux progrès de la technologie, à l’investissement dans les filières du futur : l’efficacité énergétique et la lutte contre le gaspillage énergétique, notamment dans le secteur du bâtiment, les énergies renouvelables, l’économie circulaire, par laquelle les déchets des uns deviennent la matière première des autres, le secteur de la biodiversité.

Il n’est pas question de séparer la transition énergétique et les actions liées à la biodiversité, à la protection de la nature, des paysages et de l’agriculture. Les actions en faveur de la biodiversité peuvent en effet elles-mêmes apporter des solutions au réchauffement climatique. Par exemple, la forêt des Landes limite l’érosion de la côte aquitaine. En outre-mer, la reconstitution des mangroves, que nous avons inscrite dans la loi de transition énergétique, permet d’amortir la violence des vagues. De même, les toits végétalisés permettent des économies d’énergie.

Si nous réussissons à accélérer la transition écologique et énergétique et à la mettre à la portée de tous par des transferts de technologie vers les pays les plus pauvres, nous aurons les moyens de définir un modèle de développement assis sur des valeurs de civilisation permettant à la planète de nourrir ses habitants, qui seront 10 milliards en 2050. C’est une question de survie.

Vous connaissez les outils pour y parvenir. Laurent Fabius les a énoncés devant vous : il s’agit de l’accord, bien sûr, de l’agenda des solutions, du financement et de la mobilisation de la société civile.

Le sujet de la Conférence Climat est systématiquement inscrit à l’ordre du jour des sommets internationaux. Du 17 au 19 mai prochain aura lieu le dialogue de Petersberg sur la transition énergétique, rassemblant une trentaine de pays sous co-présidence allemande et française. Le couple franco-allemand entend accélérer la préparation de la conférence. Se tiendront ensuite le sommet du G7, en juin, celui du G20, en novembre, le sommet d’Addis-Abeba, qui doit résoudre la question du financement, en juillet, ainsi que le sommet des Nations Unies à New York à la fin du mois de septembre, qui sera un moment clé dans la mesure où la plupart des chefs d’État et de Gouvernement seront présents et que le secrétaire général des Nations Unies, M. Ban Ki-moon, est très engagé pour la réussite de la conférence.

Aussi, je suggère que la mobilisation des parlementaires se fasse avant septembre, afin que vous puissiez peser de toutes vos forces. Je me réjouis que le sujet mobilise au-delà des clivages politiques, comme j’ai pu le constater lors des débats sur la loi de transition énergétique et la loi de biodiversité. Ce qui fait la force du message de la France, c’est justement que nos forces politiques sont unies sur cette échéance.

Le succès de la maîtrise du changement climatique sous le seuil de deux degrés dépend bien sûr de l’accord qui sera signé, mais plus encore des solutions opérationnelles locales. C’est le niveau local, et notamment l’engagement des collectivités territoriales et des réseaux d’entreprises, qui déterminera la réalité de la lutte contre le réchauffement climatique. C’est pourquoi j’ai lancé l’appel à projets sur les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV). À ma grande satisfaction, nous avons reçu cinq cents réponses, de tous les territoires. L’initiative locale a très souvent été en avance sur les initiatives nationales. Seule une bonne articulation entre une impulsion nationale, des initiatives locales et les enjeux internationaux pourra rendre le mouvement irréversible.

Votre présence est attendue lors de la Business Week, à partir du 20 mai, qui rassemblera à l’UNESCO les grandes entreprises et les grands groupes financiers. Il y aura ensuite, début juillet, un rassemblement mondial de la recherche de haut niveau. La recherche française sur les écosystèmes et dans les sciences du vivant est reconnue mondialement. Ce sommet de la science sera un moment très fort de la préparation de la Conférence Climat ; il rencontre un tel succès que l’espace ne sera pas suffisant à l’UNESCO et que plusieurs organismes scientifiques ont été mobilisés pour accueillir une partie des débats.

Ces échéances s’accompagnent, comme l’a indiqué M. le président Chanteguet, d’un grand débat mondial, que j’ai souhaité lancer avec le concours de la Commission nationale du débat public et qui démarrera début juin. Des formateurs ont été établis dans chacun des grands groupes de pays, pour éviter un trop grand nombre de déplacements et maintenir le bilan carbone à un niveau raisonnable. Nous travaillerons par visioconférence. Les citoyens du monde entier, les élus, les collectivités, les entreprises sont invités à participer à ce débat. Les résultats des grandes décisions qui seront prises dépendent des citoyens : si tout le monde se mobilise, nous pourrons compter sur le caractère opérationnel des décisions.

M. Jean-Yves Caullet. Les « climato-sceptiques » ont perdu leur combat et nous pouvons nous en féliciter. Il nous faut à présent être exemplaires et mobilisateurs. Vous pouvez compter, madame la ministre, sur le groupe SRC et, je crois, sur l’ensemble des parlementaires pour soutenir vos efforts afin que cette conférence internationale soit un succès.

Je ferai quelques suggestions pour que cette mobilisation ait tout le rayonnement nécessaire au-delà des institutions. Le badge que je porte, un smiley sur la planète bleue, a fait beaucoup d’envieux ; c’est un bon signe. (Sourires) J’espère qu’il en sera distribué quelques centaines de milliers d’ici à la conférence et que chacun des porteurs du badge entraînera avec lui au moins un millier d’autres citoyens.

Mobiliser la société civile est très difficile. Je voudrais vous suggérer de faire ce qui a été fait pour la construction de l’Europe, à savoir de vous appuyer sur des jumelages entre collectivités, jumelages qui ont pu, à l’époque, effacer les stigmates de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi ne pourrions-nous partager sur cette base les enjeux du dérèglement climatique, entre les pays du Sud et ceux du Nord, les pays qui ont bénéficié de la gabegie carbonée et ceux qui en subissent les conséquences, afin de dépasser les oppositions et les frilosités ?

La mobilisation des jeunes est également essentielle. Il faut que la jeunesse devienne un prescripteur majeur pour le monde des adultes.

Enfin, je manquerais à tous mes devoirs si je n’évoquais le rôle de la forêt et la nécessité d’engager au plan mondial une véritable diplomatie forestière. La forêt est à la fois un acteur de la lutte contre le changement climatique, un réservoir de biodiversité, et la victime de pratiques qui aggravent les conséquences du dérèglement climatique et que nous dénonçons tous. Nous pouvons là aussi être mobilisateurs, car la gestion forestière est exemplaire dans notre pays, durable, multifonctionnelle, portée par des propriétaires privés comme par des propriétaires publics au premier rang desquels les communes et l’État, par le biais de l’Office national des forêts, dont j’ai l’honneur de présider le conseil d’administration et qui fêtera son cinquantenaire cette année. Je souhaiterais que nous portions le travail de cet office comme un modèle de lutte contre l’érosion du trait de côte ainsi que d’actions pour la biodiversité et une exploitation durable des ressources, et que nous en fassions un argument pour un véritable marché du carbone international en vue de financer la lutte contre le changement climatique.

M. Jean-Marie Sermier. Vous l’avez dit, madame la ministre, tous les parlementaires partagent l’objectif de réussir la COP21 et de contenir le réchauffement climatique sous le seuil des deux degrés. Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a redit combien il était urgent d’agir et d’accroître l’ambition des promesses de réduction des gaz à effet de serre. Il faudrait ainsi réduire ces émissions de 40 à 70 % d’ici à 2050.

Les négociations préalables à la conférence de Paris vont bientôt s’ouvrir, avec trois sessions à Bonn, la première entre le 1er et le 11 juin, la deuxième à la fin du mois d’août et la troisième à la mi-octobre. La synthèse des différents scénarios présentés par les pays sera prête, a priori, pour le 1er novembre. Après la phase de réflexion, il faut à présent viser des éléments opérationnels. Un outil juridiquement contraignant, différencié et universel s’impose. Or il n’y a pas à l’heure actuelle de consensus, ni sur la nature de cet instrument, protocole ou traité, ni sur les champs d’application de l’accord. Quelle est votre position à ce sujet ?

Chaque pays doit présenter une contribution nationale pour la réalisation de l’objectif qui lui est propre, avec en vue une limitation de l’augmentation des températures à deux degrés. Ces contributions doivent être envoyées avant la fin du mois de juin. Or seuls une centaine de pays pourront envoyer leurs contributions ; trente au moins ne le pourront pas sans une aide particulière. Un fonds géré par l’Agence française de développement (AFD) a été créé pour aider quinze pays d’Afrique à présenter la leur. Pouvez-vous nous confirmer qu’une telle aide sera suffisante pour ces pays ?

Le fossé entre les pays en voie de développement et les pays développés est immense et n’a cessé de se creuser. Alors que les engagements financiers sont prévus à hauteur de 100 milliards, seuls 10 milliards ont été récoltés à ce jour. Comment comptez-vous faire en sorte que chacun respecte ses engagements ?

Enfin, les décisions qui seront prise à Paris ne devant entrer en vigueur qu’après 2020, ferez-vous des propositions relativement à une période intermédiaire ?

On voit bien qu’il y a peu de progrès concrets et que les résultats attendus à la conférence risquent d’être difficiles à obtenir. Au-delà de l’affichage, il faudra se concentrer sur la nature des contraintes de l’accord. Le Gouvernement français devra se positionner clairement sur la question des financements et des contrôles, sinon rien de sérieux ne sortira de cette conférence.

M. Bertrand Pancher. Comment faire en sorte que la conférence de Paris ne se résume pas à une vaste foire au climat ? (Murmures divers) La probabilité pour qu’elle devienne une telle foire est très forte. Un certain nombre d’entre nous participent à toutes les conférences sur le réchauffement climatique et nous voyons bien la tournure que prennent les événements.

Tout d’abord, de mauvais signaux apparaissent eu égard aux engagements des pays. Laurence Tubiana, la négociatrice française, a déclaré il y a quelques semaines que les contributions nationales déposées ne sont pas suffisantes pour maintenir le réchauffement climatique à deux degrés. Si, par bonheur, grâce à un sursaut de la communauté internationale, les contributions déposées permettent de ne pas dépasser ce seuil, dans la mesure où les accords ne sont pas contraignants et qu’il n’existe aucun moyen pour qu’ils le soient, la conférence de Paris ne pourra tout de même régler la question à elle seule.

Les parlementaires attendent donc du Gouvernement qu’il mette tout en œuvre pour aboutir à un accord sur la base des propositions des pays – et nous savons que vous y mettez les moyens –, mais aussi que vous rappeliez avec force que cet accord ne réglera pas à lui seul la question du réchauffement climatique et qu’il faut donc s’engager dans de nombreuses autres directions.

Ces directions sont connues. C’est tout d’abord la régulation de nos échanges au plan mondial et l’évolution de l’Organisation mondiale du commerce de façon à internaliser dans nos échanges les coûts externes, notamment le coût carbone. C’est aussi la nécessité pour les grands espaces économiques tels que l’Union européenne de se doter d’instruments de régulation à la hauteur des enjeux. C’est également la nécessité que les entreprises et les autres acteurs fassent preuve de responsabilité. Quelle est votre appréciation de ces mesures complémentaires ?

M. François-Michel Lambert. La COP21 n’est pas un aboutissement, mais une étape majeure : à son issue, nous devrons « avoir changé de braquet » et réussi la mobilisation planétaire des États et de toutes les composantes de la société civile. Je vous remercie, madame la ministre, de votre vision ainsi que des opportunités qui sont à présent devant nous en matière de transition énergétique et peuvent nous permettre de sortir d’un modèle de gaspillage d’énergie, de gaspillage des ressources, de destruction de nous-mêmes.

Pour saisir ces opportunités et bâtir un nouveau monde, nous devons agir dans plusieurs directions, en créant de la convergence et en avançant ensemble. Un accord ambitieux doit être obtenu : quelle est la stratégie du Gouvernement pour y parvenir ? Au-delà de l’accord, il faut des moyens. Il est prévu de mobiliser 100 milliards de dollars en 2020. Comment pensez-vous tenir une telle ambition ? Disposez-vous d’ores et déjà de certaines assurances ?

Nous sentons que la société civile est prête à mettre en œuvre des solutions, à condition qu’elle perçoive une véritable ambition politique. Comment évaluez-vous cette ambition en France, en Europe et même dans le monde ?

Le climat, c’est notre avenir, c’est-à-dire, avant tout, celui de notre jeunesse. Notre Gouvernement a fait de celle-ci un atout majeur de la politique nationale. Il faut aujourd’hui en faire un atout majeur de la mobilisation mondiale. Comment pensez-vous y parvenir ?

L’étape suivante sera la COP22 au Maroc. Comment la France assurera-t-elle la liaison avec nos amis marocains ? Pouvez-vous par ailleurs préciser l’articulation entre votre ministère et celui des affaires étrangères ?

Les écologistes sont entièrement disponibles pour la réussite de cette conférence.

M. Jérôme Lambert. Depuis sept ans, avec Bernard Deflesselle et, depuis cette année, Arnaud Leroy, je suis le processus des négociations mondiales sous l’égide des Nations Unies avec beaucoup d’intérêt. Ce processus nous conduit cette année à accueillir la COP21, qui porte l’espoir d’un accord global pour lutter contre le réchauffement climatique.

Le succès de cette conférence ne dépend pas que de l’implication de la France ; c’est une conférence mondiale et tous les pays sont, au même titre que le nôtre, en responsabilité. Cela dit, l’impulsion que donne la France aux discussions est manifeste, et nous vous en remercions, madame la ministre. Les députés sont fiers de l’implication de notre pays. Les enjeux sont primordiaux, et, à défaut d’accord à Paris, nous porterons une lourde responsabilité vis-à-vis des générations futures ; nous ne pouvons nous permettre l’attitude « après nous le déluge ». Nous soutenons donc notre Gouvernement et les Nations Unies afin que la conférence de Paris soit un succès pour l’humanité.

Le point le plus préoccupant est celui du financement en direction des pays en voie de développement. Nous avons du mal à dégager les 100 milliards de dollars promis pour la fin de cette année, et, d’après nos engagements collectifs, nous devrons trouver 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2020. Comment y parviendrons-nous ?

M. Patrice Carvalho. L’objectif, madame la ministre, est loin d’être atteint. Les scénarios climatiques établis par le GIEC indiquent qu’à trajectoires constantes, les températures pourraient croître de cinq degrés. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a organisé la semaine dernière une importante rencontre sur la lutte contre le réchauffement climatique et la préparation de la COP21. Un rapport consacré à cette conférence identifie les obstacles auxquels nous nous heurtons pour avancer. Ce qui freine le processus, c’est le manque de volonté politique. Le rapporteur du CESE relève que ces négociations sont avant tout économiques et géopolitiques, et restent dominées par une vision court-termiste, incompatible avec les enjeux du réchauffement.

Le protocole de Kyoto, signé en 1997, avait fixé des objectifs de réduction chiffrés pour les pays développés. Depuis lors, certains pays qui l’avaient ratifié s’en sont désolidarisés. D’autres l’ont rejoint au cours d’une seconde phase d’engagement, mais ce n’est pas le cas de pays comme la Chine ou l’Inde qui sont de très gros pollueurs. Ces pays considèrent que s’engager nuirait à leur développement. Ils affrètent chaque jour de grands bateaux pour venir chercher le bois de nos forêts et le rapporter chez eux avant de nous le renvoyer en planches ou en parquet. En matière de développement durable, on doit pouvoir faire mieux ! (Sourires)

Nous ne pouvons afficher une volonté de gouverner le climat si nous ne gouvernons pas l’économie. Or nous sommes incapables de prendre des directives ne serait-ce que sur les abeilles ! Le réchauffement climatique est intimement lié à nos modes de production et de consommation. Les émissions sont en grande partie l’effet des traités sur le libre-échange, qui n’ont pas seulement consacré le dumping social, mais aussi le dumping environnemental, dans une course effrénée à la concurrence. Nous sommes dans la même logique aujourd’hui avec les traités transatlantiques et transpacifiques. Tant que nous ne reconsidérerons pas nos modes de développement et de production, que nous ne placerons pas le climat au centre des négociations sur le commerce mondial, nous peinerons à trouver des solutions pérennes. Allez convaincre les Allemands qui développent le charbon à tout va !

C’est pour les mêmes raisons que nous ne parvenons pas à récolter les sommes nécessaires à l’abondement du Fonds vert, créé à Copenhague en 2009 et qui a pour finalité d’aider les pays pauvres subissant les effets du réchauffement climatique. L’objectif est d’atteindre 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020. Nous sommes loin du compte puisque la première capitalisation s’élève à 9,3 milliards de dollars. La France s’est engagée à contribuer à hauteur de 1 milliard de dollars. Pouvez-vous nous préciser comment cette contribution sera financée ?

M. Bertrand Pancher. Très bien !

Mme la ministre. Je souhaite en premier lieu dissiper un malentendu. Il ne s’agit pas d’une conférence organisée par la France, mais d’une conférence des Nations Unies. La France a offert le lieu de réunion ; elle a été la seule candidate, beaucoup de pays ayant été échaudés par les échecs précédents, notamment à Copenhague. Aussi, les questions sur la façon dont la France dégagera 100 milliards ou parviendra à un accord ne se posent pas en ces termes : la France facilite les choses, mais ce sont les Nations Unies qui organisent la conférence.

La question de la forêt, monsieur Jean-Yves Caullet, est en effet cruciale. Le sujet devra constituer une part importante de l’agenda des solutions. La forêt est un des grands enjeux du débat, à côté des océans et des vallées, car la déforestation entraîne des conséquences dramatiques sur la biodiversité et les sols. En replantant des forêts, on fait baisser la chaleur, on crée des puits de carbone et des filtrages naturels, on contribue à la conservation des sols etc.

Monsieur Jean-Marie Sermier, nous aidons vingt-trois pays à rédiger leurs contributions nationales, ce qui leur permettra de soumettre des contributions de qualité avant le 1er octobre. Nous participons également à un forum informel avec les autres États qui aident les pays pauvres à rédiger leurs contributions.

Le Gouvernement français, monsieur Bertrand Pancher, doit en effet tout faire pour faciliter l’accord, et vous avez également raison de souligner que celui-ci ne suffira pas. L’accord se nourrit de l’agenda des solutions et des engagements nationaux ; c’est parce qu’il y aura une dynamique des engagements nationaux que les pays seront amenés à signer cet accord. Si certains pays, encore très éloignés des problématiques de la transition énergétique, s’engagent sur des propositions concrètes pour leurs territoires, ils verront, avec les retombées envisageables, que signer l’accord n’est pas un problème. Il existe une synergie entre l’accord, les engagements nationaux et l’agenda des solutions.

La Conférence Climat, monsieur François-Michel Lambert, est un moment majeur dans l’histoire de la lutte contre le dérèglement climatique, dans une double dynamique. La France doit saisir cette opportunité pour accroître ses exigences écologiques, ce que nous avons fait avec les lois de transition énergétique et de biodiversité, mais cette action doit se prolonger dans les années à venir, car nous travaillons à l’échéance de 2030, et même de 2050.

Je ne souhaite pas, cependant, évoquer la prochaine COP. Certains négociateurs se projettent déjà dans la COP22, ce qui revient à considérer que notre prochain rendez-vous a peu d’importance. Non, la COP de Paris doit vraiment être un moment historique de basculement vers un nouveau modèle de civilisation, un modèle où les pays du monde prennent conscience de leur unité et de leur volonté d’agir, ensemble, mais aussi nationalement et localement, et de rendre des comptes sur leur action.

Nous devons en effet, monsieur Jérôme Lambert, mobiliser 100 milliards. Cela passe à la fois par des financements pour le Fonds vert, mais aussi par l’ingénierie financière et la mobilisation du secteur financier et des entreprises. La Business Week, à la fin du mois de mai, verra apparaître un certain nombre de problématiques, de propositions et d’initiatives. Les entreprises et groupes financiers vont comprendre qu’en finançant la transition énergétique et écologique, ils se financent eux-mêmes. Cela peut encore paraître un idéal : pourquoi la finance internationale aurait-elle intérêt à lutter contre la pauvreté et le fossé entre le Nord et le Sud, alors qu’elle en a profité jusqu’à présent ?

Les groupes d’assurance se rendent déjà bien compte que les dégâts du dérèglement climatique, tsunamis, inondations, effondrement du trait de côte…, ne leur permettent plus de chiffrer les assurances ; pour verser moins d’indemnisations, ils ont intérêt à investir dans l’atténuation du dérèglement climatique. Il appartiendra aux États et aux opinions publiques de contrôler les nouvelles règles du jeu qui, par une répartition différente des richesses et des investissements, consacreront un système plus égalitaire à l’échelle de la planète.

Je partage, monsieur Patrice Carvalho, votre préoccupation pour les abeilles, et nous allons engager un plan national de reconquête des abeilles et des pollinisateurs, durement frappés par les néonicotinoïdes et les pesticides. Nous en avons débattu à l’occasion du texte sur la biodiversité. Vous avez également raison de poser la question du commerce international : elle fait partie des négociations.

M. Jean-Marie Sermier. Nous savons que l’agenda d’un ministre est toujours très chargé, mais le groupe UMP regrette que l’audition de la ministre par trois commissions ne dure qu’une heure, ne permettant pas un réel débat. Nous souhaitons qu’une autre audition soit rapidement inscrite à l’ordre du jour, avec un temps suffisant pour permettre à chaque parlementaire de s’exprimer.

M. Bertrand Pancher. Le groupe UDI formule la même demande.

M. le président Jean-Paul Chanteguet. Ce sera le cas, nous y veillerons.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Merci, madame la ministre. Nous avons pu mesurer la force de votre engagement ainsi que votre volonté que la COP21 soit un moment de basculement volonté que nous partageons.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 6 mai 2015 à 17 heures

Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Christian Bataille, M. Guy-Michel Chauveau, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, M. Hervé Gaymard, Mme Élisabeth Guigou, M. Patrice Martin-Lalande, Mme Marie-Line Reynaud, M. Boinali Said, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Patrick Balkany, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Édouard Courtial, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, M. Jean-Jacques Guillet, M. Meyer Habib, M. Bernard Lesterlin, M. Lionnel Luca, M. Noël Mamère, M. Thierry Mariani, M. Alain Marsaud, M. Jean-Luc Reitzer, M. François Rochebloine, M. René Rouquet, M. Michel Vauzelle

Assistaient également à la réunion. - Mme Laurence Abeille, Mme Isabelle Attard, Mme Danielle Auroi, M. Guillaume Bachelay, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Louis Bricout, Mme Sabine Buis, M. Patrice Carvalho, M. Jean-Yves Caullet, M. Jean-Paul Chanteguet, M. Guillaume Chevrollier, M. Jean-Jacques Cottel, Mme Florence Delaunay, M. Yannick Favennec, Mme Geneviève Gaillard, M. François-Michel Lambert, M. Jean Launay, M. Alain Leboeuf, Mme Viviane Le Dissez, Mme Martine Lignières-Cassou, M. Gérard Menuel, M. Robert Olive, M. Bertrand Pancher, M. Philippe Plisson, M. Christophe Premat, Mme Catherine Quéré, M. Jean-Marie Sermier, M. Gabriel Serville