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Commission des affaires étrangères

Mercredi 1er juillet 2015

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 93

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, présidente

– Audition de M. Pierre Cochard, directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité au ministère des affaires étrangères et du développement international, sur les relations bilatérales entre la France et les Etats-Unis

Audition de M. Pierre Cochard, directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité au ministère des affaires étrangères et du développement international, sur les relations bilatérales entre la France et les Etats-Unis.

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous accueillons M. Pierre Cochard, pour une audition fermée à la presse consacrée à nos relations avec les États-Unis et à l’affaire des écoutes de la National Security Agency (NSA). Il est accompagné de M. Alexandre Garcia, sous-directeur des menaces transversales à la direction des affaires stratégiques.

J’avais invité Mme Jane Hartley, ambassadrice des États-Unis, à venir ce matin entendre ce que les commissaires avaient à dire sur cette affaire qui suscite une forte indignation. Mme Hartley m’a fait répondre qu’elle était indisponible car elle devait accueillir à Marseille le navire USS New York. Une autre date lui a donc été proposée. L’ambassadrice m’a fait savoir qu’elle souhaitait, avant de donner sa réponse, avoir un entretien en tête-à-tête avec moi, à l’Assemblée nationale. (Mouvements divers) Ce sera le cas, lundi prochain. J’indiquerai lundi à Mme Hartley que la commission peut la recevoir dès la semaine prochaine ; je lui dirai bien entendu mon opinion personnelle sur les activités de la NSA dans notre pays dévoilées par la presse, et l’état d’esprit des membres de la commission à ce sujet.

Nous entendrons avec intérêt les éclaircissements que vous nous donnerez, Monsieur le directeur, sur tous les volets de cette affaire. Mais, au-delà des réactions immédiates, nous devrons approfondir l’état de nos relations avec les États-Unis ; trop d’éléments suscitent des débats, au premier chef l’application extraterritoriale de la législation américaine. Je me propose donc d’organiser à la rentrée une série d’auditions sur les dossiers qui affectent la qualité de nos relations bilatérales.

Je vous informe aussi, chers collègues, que le groupe de travail sur le terrorisme international recevra tout à l’heure le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale pour une réunion consacrée à la lutte contre le terrorisme et à la protection des systèmes d’information et de communication ; il recevra également le directeur de la Direction générale de la sécurité extérieure. Nous envisageons aussi un petit-déjeuner de travail consacré à la cyber-menace, la semaine prochaine.

Nous sommes convenus, monsieur le directeur, que vous consacreriez votre propos introductif aux écoutes de la NSA et à la relation stratégique et de sécurité avec les États-Unis ; les questions de mes collègues pourront porter sur les autres dossiers bilatéraux.

Les écoutes de la NSA, qui ont visé les plus hautes autorités de l’État mais aussi nos intérêts économiques, nous ont profondément choqués. Leur divulgation par la presse a conduit les autorités françaises à des mises au point. Le 24 juin, le président de la République a rappelé au président américain les principes qui gouvernent les relations entre alliés en matière de renseignement. Selon un communiqué de l’Elysée, « le président Obama a réitéré sans ambiguïté son engagement ferme, intervenu en novembre 2013 après l’affaire Snowden, et déjà rappelé lors de la visite d’État de février 2014, d’en terminer avec les pratiques qui ont pu avoir lieu dans le passé et qui étaient inacceptables entre alliés ».

Les autorités françaises ne souhaitent pas que ces révélations affectent outre mesure la qualité de la relation avec les États-Unis, mais cela suppose que nous soyons à l’abri de ces pratiques, et pour cela que nous obtenions la garantie réelle que cessent ces agissements. Les membres de la délégation parlementaire au renseignement doivent rencontrer leurs homologues américains ; il est important que les membres de notre commission disposent d’informations de première main sur les garanties que l’on peut tenter d’obtenir des États-Unis. Pouvez-vous nous dire, monsieur le directeur, si les autorités françaises connaissaient ou soupçonnaient l’existence de ces écoutes, et de quelles garanties nous disposons aujourd’hui ?

Vous ferez le point sur cette affaire, nous présenterez l’état des lieux de la coopération franco-américaine et nous direz quelle est la réalité des relations franco-américaines dans le domaine de la sécurité sur les théâtres d’opération extérieurs.

M. Pierre Cochard, directeur général adjoint des affaires politiques et de sécurité au ministère des affaires étrangères et du développement international. Vous avez justement souligné la très vive indignation suscitée dans l’opinion publique par les récentes révélations d’une surveillance de personnalités politiques et administratives françaises jusqu’au plus haut niveau de l’État. Elles ont aussi provoqué une réaction ferme du président de la République, qui a immédiatement réuni un conseil de défense. Le Premier ministre s’est exprimé le 24 juin sur ce sujet devant votre assemblée et le ministre des Affaires étrangères a convoqué l'ambassadrice des États-Unis le même jour.

Le message adressé aux États-Unis en ces différentes occasions peut être résumé en trois points. Ces faits sont inacceptables, et ils le sont d'autant plus qu’ils émanent d’un pays ami et interviennent entre États démocratiques, alliés de longue date. Ils constituent une très grave violation de l’esprit de confiance sur lequel la relation franco-américaine s'est construite et sans lequel elle ne pourrait avoir l’intensité qui est la sienne. Ils imposent que les engagements pris par les autorités américaines, notamment lors de la visite d’État du président de la République en février 2014, soient rappelés et strictement respectés. Le président Obama les a réitérés auprès du président de la République lors de leur récente conversation téléphonique ; il lui a assuré que les promesses faites en 2014 avaient été tenues – les révélations ne portent que sur une période qui s’achève en 2012. Ces engagements ont été en partie repris dans une directive politique présidentielle publiée le même jour. Mais nous devons aller plus loin, et le Premier ministre a évoqué devant l’Assemblée nationale la possibilité d’un code de bonne conduite.

La collecte des métadonnées opérée à l’encontre de nos concitoyens, révélée en 2013, a donné lieu depuis lors à des discussions conduites à deux niveaux, qui nous inspireront dans la suite des discussions que nous aurons avec les Américains au sujet spécifique des écoutes de nos autorités politiques. Elles se sont tenues entre services de renseignement, en novembre et décembre 2013 ; dans le même esprit, le coordonnateur national du renseignement, M. Didier Le Bret, se rendra prochainement aux États-Unis. La protection des données personnelles étant une compétence européenne, les discussions ont eu lieu par ailleurs dans le cadre du groupe ad hoc d’experts Union européenne - États-Unis,

Aux États-Unis, le débat existe dans l’opinion publique mais il est centré sur la protection des citoyens américains. Nous cherchons à ce que les citoyens européens bénéficient de protections équivalentes à celles que le Congrès a apportées aux citoyens américains en adoptant, le 2 juin dernier, le USA Freedom Act.

Le groupe d’experts Union européenne - États-Unis a souligné la très grande asymétrie dans le degré de protection de la vie privée offert aux individus selon qu’ils sont citoyens américains ou citoyens étrangers ne résidant pas aux États-Unis. En particulier, aucun recours judiciaire n'est prévu pour ces derniers s’ils s’estiment lésés par les pratiques des agences américaines ou des opérateurs économiques manipulant leurs données personnelles sur le sol américain. La Commission européenne a donc présenté une série de communications visant à rétablir la symétrie de traitement. Le président Obama a annoncé l’extension aux ressortissants non-Américains de certaines protections en matière d’utilisation des données personnelles, notamment pour ce qui concerne la durée de stockage des informations recueillies. Un projet de loi, le Judicial Redress Act, vient d’être déposé dans cette perspective à la Chambre des représentants. Les Européens, la France en particulier, s’efforcent de promouvoir son adoption par le Congrès.

Ces révélations sont pour l’ensemble des services de l’État une incitation à redoubler de vigilance –non que nous ayons vécu jusqu'à présent dans l’illusion que nos systèmes de communication et de transmission nous mettaient à l'abri de tentatives d'intrusion, y compris de la part de pays amis. Nous ne sommes pas naïfs, et c’est un danger auquel nous savons être exposés, même s’il est inacceptable d’apprendre que les moyens d’un État ami ont été utilisés pour espionner nos dirigeants, y compris à propos de questions touchant nos intérêts économiques. Il est essentiel, et c’est un sujet auquel le ministère des Affaires étrangères consacre d’importants efforts, de concilier les exigences de rapidité et de mobilité de nos communications et des normes élevés de sécurité et de protection. Cet effort, conduit depuis plusieurs années, devra sans doute être approfondi.

Ces écoutes par la NSA ne doivent pas faire oublier que la France et les États-Unis ont des relations très denses en matière de sécurité. Il ne s’agit pas, ce disant, d’excuser ou d’atténuer la portée des agissements révélés mais de garder à l’esprit l’intensité et la confiance qui marquent notre coopération en ce domaine. Elle est fondée sur notre attachement à des valeurs communes – la démocratie, la défense des droits de l’homme et de l’État de droit – et sur une convergence d'intérêts, qu’il s'agisse de la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée et la prolifération des armes de destruction massive ou de la réponse à apporter aux grandes crises internationales.

Cette proximité n’est pas synonyme d’alignement. Elle s'accommode de divergences d’appréciation. Parce que nous sommes un acteur diplomatique et militaire reconnu, qui dispose de tous les outils de l’autonomie stratégique, nous sommes en mesure de nous en expliquer en toute franchise, d’être entendus et, le cas échéant, d’en tirer les conséquences.

Les États-Unis et la France sont engagés ensemble dans la lutte contre le terrorisme. Nos deux pays ont subi des attaques terroristes sur leur territoire. La volonté de coopération est renforcée par la conscience aiguë qu’il faut apporter une réponse coordonnée à cette menace, à l’émergence de Daech et à la multiplication des combattants terroristes étrangers, un phénomène qui concerne nos deux pays.

Nous avons tous en mémoire que les États-Unis ont été parmi les premiers à nous témoigner leur soutien et leur sympathie après les attentats qui ont ensanglanté Paris en janvier dernier. Les autorités américaines ont organisé, dans la foulée de ces attentats, un sommet contre l’extrémisme violent à Washington le 19 février dernier, auquel a assisté le ministre de l'intérieur.

Mais notre partenariat contre le terrorisme va bien au-delà d’un soutien symbolique. Il concerne à la fois le travail dans les enceintes internationales, les relations entre services et la coopération sur les théâtres de crise.

Sur le plan diplomatique, nous agissons de concert au Conseil de sécurité des Nations-Unies. La France et les États-Unis ont par exemple œuvré à l’élaboration de la résolution 2178 sur les combattants terroristes étrangers, adoptée le 24 septembre 2014 lors d’un sommet du Conseil de sécurité présidé par le président Obama, auquel a participé le Président de la République. Au jour le jour, nous travaillons ensemble, dans le cadre du comité 1267, pour mettre sous sanctions des individus ou des entités appartenant à Al Qaida ou à des groupes qui lui sont affiliés. Les contacts sont constants entre le Département d’État, notre ambassade à Washington et nos représentations permanentes à New York. Nos échanges sont également intenses au sein du G7, en particulier au sein du groupe Lyon-Rome, chargé dans ce cadre de la lutte contre la criminalité organisée et le terrorisme, et du Forum global contre le terrorisme, enceinte de 29 États créée en 2011 à l’initiative des États-Unis.

Des relations de travail anciennes et solides existent d’autre part entre nos services de renseignement. Comme ils le font avec les services de nos principaux partenaires, nos services coopèrent au niveau opérationnel avec leurs homologues américains - le FBI, la CIA et la NSA. Le FBI sollicite régulièrement les services français pour des criblages et des investigations. Fort d’une unité spécialisée dans le suivi de l’Internet lié au contre-terrorisme, le FBI informe régulièrement les services français des menaces contre notre territoire et autorise la déclassification des informations nécessaires à l’établissement de procédures judiciaires. Les capacités de la CIA à travers le monde en font pour nous un interlocuteur essentiel dans la prévention des menaces terroristes. Depuis 2012, les échanges concernant le Sahel se sont intensifiés et la crise en Syrie fait également l’objet d'un suivi attentif. La NSA elle-même communique aux services français une quantité importante d'informations et de renseignements techniques sur des dossiers en cours, qui permettent bien souvent d’engager ou d’étayer des investigations que nous conduisons sur le territoire national.

Enfin, la coopération existe aussi sur les théâtres de crise.

En Irak, la France prend toute sa part à la lutte contre Daech, avec l'opération Chammal, dans le cadre de la coalition internationale mise sur pied par les États-Unis et au sein de laquelle ils occupent une place prépondérante, avec 70 % des avions de chasse et 3 500 militaires déployés en Irak pour des activités de conseil et de formation. La France est pleinement impliquée dans l’action de la coalition, sous l'angle militaire d’abord. Le déploiement dans la région de notre groupe aéronaval, de février à avril dernier, a d’ailleurs été l’occasion d’une intensification de la coopération opérationnelle avec les États-Unis qui a permis de renforcer l’interopérabilité de nos forces. Sous l’angle diplomatique, la France a accueilli à Paris, le 2 juin dernier, une réunion ministérielle du groupe restreint de la coalition, qui compte une vingtaine d’États. Cette réunion, qui assure le pilotage politique des opérations militaires, a permis de réaffirmer l’unité et la détermination de la communauté internationale à combattre Daech. Par ailleurs, nous participons activement aux groupes de travail créés dans le cadre de la coalition pour combattre la menace terroriste par d’autres voies que la seule voie militaire ; ils traitent par exemple des combattants terroristes étrangers et des moyens d’assécher le financement de Daech.

En Afrique, particulièrement dans le Sahel, les États-Unis apprécient l’action de la France dans la lutte contre le terrorisme, qu’ils soutiennent par la mise à disposition de ressources logistiques et financières. Dans la bande sahélo-saharienne, depuis plus de deux ans, Washington a fourni aux forces françaises engagées au Mali et au Sahel leur plus important appui financier, logistique et opérationnel. Les forces américaines, présentes à N’Djamena et Niamey, nous soutiennent d’abord sur le terrain : dès janvier 2013, elles ont appuyé l’opération Serval en matière de transport logistique, de ravitaillement en vol et de partage du renseignement. Très vite, les États-Unis ont aussi mis en place un droit de tirage budgétaire qui n’a cessé d’être renouvelé. Dans la région du lac Tchad, nous sommes unis dans la lutte contre Boko Haram. Des officiers américains sont déployés au sein de la cellule de coordination et de liaison animée par la France et adossée au dispositif de commandement de l’opération Barkhane à N’Djamena, pour faciliter les échanges d’informations et la coordination autour du lac Tchad dans le cadre de la lutte contre Boko Haram.

Enfin, la France et les États-Unis coopèrent étroitement dans la lutte contre la piraterie et la criminalité maritime. Dans la Corne de l’Afrique, la France assure d’avril à juillet 2015 le commandement de la force maritime conjointe de lutte contre le terrorisme. Nous coopérons aussi avec US AFRICOM pour assurer la sécurisation des eaux africaines dans le Golfe de Guinée, et dans la formation des acteurs africains de la sûreté maritime.

Notre coopération policière et judiciaire, notamment en matière de lutte contre la criminalité organisée, depuis plusieurs années très intense, passe par des canaux directs ou par ceux d’Interpol, mais elle pâtit de la multiplicité des acteurs fédéraux du côté américain. Notre désir de la fluidifier pour la rendre plus opérationnelle a conduit à négocier un accord de coopération en matière d’enquêtes judiciaires. L’objectif est de faciliter les échanges d’informations sur les empreintes génétiques et digitales, en les encadrant strictement et en restreignant les droits de consultation à des fins limitativement énumérées, exclusivement dans le domaine du terrorisme et de la criminalité organisée. Cet accord, soumis à la ratification de votre Assemblée, s’inspire largement du traité déjà conclu en ce sens avec un certain nombre de pays européens.

La France et les États-Unis ont aussi des échanges constants pour la résolution et la gestion des grandes crises internationales. Dans le dossier iranien, qui fait l’objet d’intenses négociations à Vienne, nos deux pays, au sein du groupe des E3+3, sont attachés à obtenir un accord solide mettant fin à la crise ouverte par l’Iran ; nous sommes convenus que la levée des sanctions ne pourra se faire qu’à cette condition. Nos positions et notre expertise sont respectées et écoutées par les États-Unis et par nos autres partenaires, comme l’a montré l’évolution de la négociation au cours des derniers mois.

En Syrie, en dépit de divergences initiales au moment de réagir à l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien, notre coopération avec les États-Unis est étroite. Nos deux pays sont membres du Core Group, qui rassemble les États les plus proches de l’opposition syrienne modérée. Nous partageons la même vision d’une Syrie libre, unitaire, démocratique et respectueuse de toutes les composantes de la population ; nous avons la conviction partagée que seule une solution politique fondée sur le communiqué de Genève et excluant le clan Assad permettra de mettre un terme à la crise.

Dans la crise ukrainienne, les États-Unis affichent leur soutien aux négociations en format « Normandie » pour la mise en œuvre de l’accord de Minsk.

Dans la crise iranienne et dans la crise ukrainienne, la mise en œuvre de régimes de sanctions autonomes mais coordonnés par l’Union européenne et par les États-Unis a été et reste un facteur déterminant pour accroître les chances d’une solution négociée.

Comme l’a dit le Premier ministre, les États-Unis sont pour nous un partenaire historique à qui nous savons ce que nous devons et envers qui nous agissons avec loyauté. Mais la loyauté ne signifie pas l'alignement. Nous continuerons d'être des partenaires, mais des partenaires exigeants. Nous demanderons des comptes et des garanties à l’administration américaine pour que les pratiques évoquées ne se répètent plus. Ainsi pourrons-nous renouer une relation de confiance mutuelle aujourd’hui écornée et poursuivre une coopération en faveur d'un monde plus sûr.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je vous remercie, monsieur le directeur, d’avoir dressé ce tableau global et synthétique de nos relations avec les États-Unis.

M. Benoît Hamon. En vous entendant, j’ai eu le sentiment que l’on n’ose pas dire la réalité, à savoir que l’on prend acte et que, au-delà de protestations formelles, rien ne changera. Au regard des pratiques en cause – les écoutes de trois présidents de la République successifs, et le cas échéant, des positions françaises dans le cadre de négociation importantes – qui sont le fait d’un allié, notre réplique et nos protestations sont très timides. De ces écoutes, que savions-nous ? Quel est le degré d’implication technologique de nos partenaires européens ? Quelles « grandes oreilles » ont été installées à cette fin en Allemagne ou ailleurs ?

D’autre part, alors que nous sommes engagés dans la négociation de l’accord commercial transatlantique (TAFTA), je suis frappé par la faiblesse de la réflexion stratégique sur l’effet qu’aura cet accord sur la construction européenne. Les pères fondateurs avaient voulu faciliter l’interdépendance économique des États d’Europe pour créer des solidarités et favoriser l’intégration. Constituer un immense marché américano-européen fondé sur le libre-échange aura pour conséquence de réduire cette interdépendance et de ce fait la solidarité, au détriment de l’intégration européenne. C’était le projet historique des libéraux et des Anglo-Saxons de préférer le grand marché transatlantique à une Europe intégrée ; mais il est vrai qu’aujourd’hui, pour 0,5 % de PIB, on est prêt à tout faire… Cette question devra tôt ou tard être abordée. Je suis conscient qu’elle n’entre pas exactement dans le champ de l’audition, mais vous entendre parler de la coopération entre l’Union européenne et les États-Unis m’a incité à cette digression.

M. Axel Poniatowski. On sait que les services de renseignement de beaucoup de pays se comportent parfois en électrons libres et qu’il leur arrive d’outrepasser les missions qui leur ont été confiées par les pouvoirs publics. Je vous ai entendu dire que le président Obama a présenté ses excuses au Président de la République pour ces écoutes ; soit, mais sait-on quelle est la responsabilité du pouvoir politique américain dans ces pratiques ? Il est difficile de croire que l’espionnage d’un chef d’État ami relèverait seulement d’un débordement de la NSA. L’Agence a 40 000 agents ; comment est-elle encadrée ?

Vous avez indiqué que les interceptions ne se sont pas poursuivies au-delà du scandale suscité par la révélation, en 2012, que la chancelière Angela Merkel avait elle-même était placée sur écoutes. Quand les États-Unis ont cessé d’écouter la chancelière allemande, ont-ils également mis fin à l’écoute de l’Elysée ? C’est un point clef, car si ces écoutes ont perduré en France au-delà de ce moment, la situation est véritablement scandaleuse. Une date précise est d’autant plus nécessaire que l’on a appris que François Baroin, ministre de l’économie, et son successeur, Pierre Moscovici, ont également été écoutés par la NSA – avant et après l’alternance ; cette période correspond-elle toujours au « scandale Merkel » ?

Enfin, il n’est pas neutre que ces deux ministres en particulier aient été écoutés : pour l’essentiel, les écoutes visaient à obtenir des renseignements économiques. Pouvez-vous confirmer que les États-Unis recherchaient principalement des informations sur les contrats des grandes sociétés françaises et sur leur accompagnement politique ?

Mme Valérie Fourneyron. Je souhaite aussi avoir confirmation que ces écoutes ont pris fin en 2012. Vous avez rappelé les différents domaines de coopération entre les États-Unis et la France. Mais, pour l’affaire qui nous intéresse aujourd’hui, n’avez-vous pas le sentiment d’un décalage entre les excuses du président Obama et les directives qu’il a officiellement données et le fait que l’ambassadrice des États-Unis ne réponde pas à notre invitation de s’expliquer clairement et directement devant la commission des affaires étrangères ?

M. Hamon a évoqué la négociation – opaque – de l’accord commercial transatlantique et ses conséquences possibles pour l’avenir de la construction européenne. Dans ce cadre, on ne peut que s’interroger, comme il l’a fait, sur l’implication des autres pays européens dans les écoutes de la NSA ; il en va de la confiance réciproque.

M. Thierry Mariani. Je vous félicite, madame la présidente, d’avoir invité l’ambassadrice des États-Unis à venir devant notre commission. Dans cette affaire, les pouvoirs publics français sont d’une faiblesse et d’une lâcheté sans limites. Je rappelle qu’en 1995, Charles Pasqua étant ministre de l’intérieur, la France a expulsé cinq agents américains dont quatre diplomates. Un de ces agents essayait de « retourner » un fonctionnaire en poste auprès du Premier ministre et chargé des négociations du GATT ; un autre était occupé à la même besogne auprès d’un membre – également chargé des négociations du GATT – du cabinet du ministre Alain Carignon ; un troisième cherchait à circonvenir quelqu’un à France Telecom. Aujourd’hui, nous sommes en train de négocier le TAFTA, les services secrets américains font leur travail, et on se limite à une réunion suivie d’un communiqué disant que les Américains ne sont pas gentils, ce qui doit les impressionner fortement. Dans la même situation, la présidente du Brésil a eu une réaction autrement plus catégorique que celle de la présidence française, qui est en-dessous de tout.

En réalité, la coopération entre la France et les États-Unis se passe bien à chaque fois que nous avons des intérêts communs, ou lorsque les soldats français font le service que les militaires américains ne peuvent faire ; alors, oui, nous travaillons très bien ensemble, et c’est très bien pour tout le monde. Mais il se trouve que nous avons aussi des intérêts concurrents, et je trouve très inquiétants non seulement cet espionnage mais l’imperium juridique américain, ces règles fixées par un seul partenaire pour servir ses intérêts économiques propres. J’aimerais, comme mes collègues, connaître l’implication des services des autres pays européens, dont l’Allemagne, dans cette affaire, et savoir si l’on entend au moins que cet épisode ait des répercussions dans la négociation du TAFTA.

Je constate enfin que nous suivons la politique étrangère des États-Unis pour ce qui se passe à l’Est de l’Europe en appliquant les sanctions qu’ils ont souhaitées. Cela a eu pour effet l’an dernier la diminution des échanges commerciaux entre la Russie et l’Union européenne et l’accroissement concomitant des échanges commerciaux entre la Russie et les États-Unis. Et quand la France refuse de livrer les porte-hélicoptères commandés par la Russie, le groupe américain Bell produit des hélicoptères sur place ! Quand commencerons-nous de penser à nous-mêmes ?

M. Gwenegan Bui. Il y a une quinzaine d’années, on apprenait que le réseau Echelon d’interceptions planétaires des communications militaires et civiles faisait l’objet d’un traité de coopération entre plusieurs pays anglo-saxons : les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. On ne peut donc dire que les services français ignoraient ce qui se tramait. Outre que, après la révélation par la presse de la participation des services allemands aux écoutes de personnalités françaises par la NSA, la faiblesse des réactions a laissé perplexe, comme laisse perplexe la faiblesse des réactions après la divulgation de ces nouvelles turpitudes, quels moyens ont été mis en œuvre, depuis que l’ampleur du réseau Echelon a été dévoilée, pour protéger les conversations de nos plus hautes autorités ? Les cibles écoutées montrent que la NSA a un intérêt marqué pour nos activités économiques. Depuis dix ans, on ne cesse de parler d’intelligence économique et les réunions relatives à la protection des entreprises se multiplient dans la moindre sous-préfecture. Mais, puisque l’on connaît depuis l’époque des négociations du GATT la stratégie d’écoutes des États-Unis, quels moyens la République française affecte-t-elle à la protection de nos fleurons industriels et de nos intérêts commerciaux dans la perspective de la négociation du TAFTA ?

Mme Marie-Louise Fort. Vous avez parlé d’excellentes relations entre la France et les États-Unis en matière de renseignement. On a évoqué les écoutes à caractère économique ; quel pourrait être également l’intérêt stratégique de telles écoutes puisqu’il y a partage de renseignements sur les théâtres d’intervention en Afrique ? Ces révélations étonnent : ou les services de renseignement n’étaient au courant de rien et c’est dramatique, ou ils savaient et nos dirigeants étaient mal protégés. Je constate à mon tour la faiblesse des réactions qui ont suivi ces divulgations et je vous remercie, madame la présidente, d’essayer d’obtenir des éclaircissements de l’ambassadrice des États-Unis à Paris. Je trouve tout aussi curieux le peu de retentissement médiatique de cette affaire aux États-Unis.

Mme Chantal Guittet. Je suis aussi indignée que mes collègues à l’idée que les États-Unis nous écoutent. Comment pouvez-vous assurer que les interceptions ont cessé, sauf à écouter ceux qui écoutent ? On sanctionne la Russie pour sa participation à la crise en Ukraine ; pourquoi aucune sanction n’est-elle prise contre les banques aux mains de Daech, et pourquoi laisse-t-on avancer les colonnes de camions citernes qui livrent le pétrole que ce mouvement s’est approprié illégalement ? Dans un autre domaine, vous nous avez dit, monsieur le directeur, que les États-Unis soutiennent l’application des accords de Minsk ; mais y a-t-il eu concertation sur leur appui unilatéral à l’Ukraine ?

M. Jacques Myard. Nous sommes heureux de vous rencontrer, monsieur le directeur, mais vous êtes lié par la politique conduite du Gouvernement. Je souhaite donc, madame la présidente, que nous entendions le ministre ; il conviendra peut-être que les États n’ont pas d’amis. La coopération entre la France et les États-Unis est bonne dans la lutte contre le terrorisme, nous dites-vous. Elle l’est jusqu’à un certain point, puisque les États-Unis, arguant du premier amendement de leur Constitution qui protège la liberté d’expression, refusent de faire fermer des sites Internet djihadistes hébergés par des entreprises américaines.

Sur un plan général, nous subissons l’imperium des États-Unis au lieu de réagir à l’application extraterritoriale de leur législation. Si la loi 1980 dite de blocage a été adoptée, c’est qu’une volonté politique s’était manifestée pour cela. De même, en 1982, en dépit de l’embargo américain, M. Jean-Pierre Chevènement, alors ministre d’État, avait signé l’ordre de réquisition sommant Dresser-France, filiale de la Dresser-Rand Company, de livrer à la Russie les équipements destinés au gisement gazier d’Ourengoï. Nous sommes donc parfaitement capables de réagir, à condition de créer le rapport de forces nécessaire ; mais dans le cas présent, nous nous couchons. Ici même, a été adopté – sans ma voix – un texte américain de coopération administrative en matière fiscale, sans que rien en ait été modifié, au motif que nos camarades européens l’avaient fait ! Quelle raison est-ce là ? Quant aux entreprises américaines, comme l’illustre l’affaire Alstom, scandale d’État, elles instrumentalisent leur justice pour lancer des OPA sur des sociétés françaises en prenant prétexte d’infractions au Foreign Corrupt Practices Act. Bizarrement, les entreprises américaines, elles, n’ont jamais d’ennuis sur ce plan ! Il vient un moment où, peut-être en nous coordonnant avec nos camarades européens, nous devons créer un autre rapport de forces et en venir à l’arbitrage international, pour contraindre les États-Unis à changer d’attitude.

Pour ce qui est spécifiquement des écoutes, si les États-Unis disent qu’ils ont arrêté, je ne les crois pas ! D’ailleurs, le sous-directeur de la NSA a indiqué publiquement que les services français avaient été pris la main dans le sac en train d’espionner aux États-Unis… C’est ainsi. Alors, quels moyens de protection donnons-nous à nos présidents de la République et à nos ministres pour leur éviter d’être épiés ? La dernière cyber-attaque contre l’Elysée était américaine. Ne soyons pas naïfs ; les États-Unis nous espionnent, tirons-en les conséquences, car c’est trop.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous proposerons évidemment au ministre des affaires étrangères de venir avant la fin de la session extraordinaire.

M. Patrice Martin-Lalande. Serait-ce parce que nos services font ce que fait la NSA que les réactions françaises ont été aussi modérées ? Si oui, pourquoi n’ont-ils pas été pris ? Parce qu’ils font des écoutes moins sensibles ou parce qu’ils sont plus habiles que leurs homologues américains ?

M. Jean-Paul Dupré. Je suis frappé par l’apparente absence de prise de conscience par la communauté internationale, France et États-Unis exceptés, de l’exceptionnelle gravité de la menace que représentent les groupes terroristes Daech et Boko Haram, et par le peu d’empressement à rejoindre les forces sur le terrain, en dépit de l’appel pressant de nombreux pays arabes, la Tunisie en dernier lieu.

M. Michel Destot. Je pense comme Axel Poniatowski que la guerre dans laquelle nous sommes engagés avec les États-Unis n’est pas politique mais économique. Est-on sûr que d’autres pays, « amis » ou moins amis, ne nous écoutent pas ? Est-on sûr qu’il n’y ait pas de faille dans la coordination entre le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale des services – le SGDSN – placé auprès du Premier ministre, les services chargés de ces questions à Bercy et au Quai d’Orsay et le nouveau délégué interministériel à l’intelligence économique ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Vous avez eu, monsieur le directeur, un aperçu de l’état d’esprit qui nous anime tous. Je vous serais obligée de répondre pour commencer à la question de M. Poniatowski relative à la date de cessation des écoutes de la présidence de la République par la NSA.

M. Pierre Cochard. Le président Obama a pris en novembre 2013 l’engagement, pour le présent et l’avenir, que les États-Unis n’écouteraient pas le chef de l’État. Au cours des conversations récentes qu’il a eues avec le président de la République, le président Obama a dit que cet engagement avait été respecté. C’est tout ce que je puis dire à ce sujet.

M. Jean-Paul Bacquet. Étant donné les informations dont disposent les États-Unis, le plus simple ne serait-il pas de leur demander ce qu’ils attendent de nous ? Les conséquences des sanctions infligées à la Russie sont dramatiques pour notre économie et favorables pour l’économie américaine ; peut-être pourrions-nous demander aux Américains comment ils envisagent une sortie de crise en leur faveur et en notre défaveur.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je le redis, une série d’auditions consacrées à tous les volets de nos relations avec les États-Unis nous permettra de remettre les choses à plat. Nous savons d’autre part qu’en Irak, le partage des renseignements en vue de nos opérations militaires n’a pas lieu comme il se devrait, au point que notre ambassade a fait en novembre dernier des représentations à ce sujet aux autorités américaines ; la situation s’est-elle améliorée ? Comment, d’autre part, la législation des États-Unis relative à la lutte contre le terrorisme évolue-t-elle ? L’opinion publique américaine se désintéresse-t-elle entièrement de l’écoute de personnalités étrangères par la NSA ?

M. Pierre Cochard. Nous ne sommes pas naïfs, monsieur Hamon, et nous savons que les services de renseignement de pays amis ou moins amis essayent d’en savoir davantage sur nos options politiques et diplomatiques et sur nos intérêts économiques. Nos propres services s’efforcent évidemment de développer des moyens de contre-ingérence. Étions-nous au courant de l’existence de ces écoutes en particulier ? Je ne suis pas dans le secret des services de renseignement, mais à ma connaissance, non, bien sûr.

J’ai évoqué le souci constant de l’État de renforcer ses moyens de protection. Chaque ministère, monsieur Destot, doit veiller à la sécurité de ses systèmes d’information et à la pratique de ses agents, qui ne doivent pas utiliser des moyens non protégés. Depuis quelques années, l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, placée auprès du SGDSN, est spécifiquement chargée de cette mission interministérielle. C’est elle qui valide en particulier les systèmes de communication du ministère des affaires étrangères ; elle constate des menaces croissantes pour la sécurité de nos réseaux.

Je n’ai pas d’autres informations que celles dont la presse s’est fait l’écho sur le degré d’implication éventuelle de services européens, allemands et anglo-saxons notamment, dans cet espionnage.

Vous m’avez demandé, monsieur Poniatowski, si les tentatives de recueil de renseignements concernant nos intérêts économiques se développent. Ce que l’on sait et qui fait réagir les autorités politiques et l’opinion publique américaines, c’est que la NSA se livre à une collecte d’informations tous azimuts. Avec 40 000 employés et un budget de l’ordre de dix milliards de dollars, ses moyens de recueil et de stockage, renforcés après les attentats du 11 septembre 2001, sont considérables. Le discours officiel des États-Unis est que ce recueil d’informations, notamment dans le domaine économique, ne se traduit pas par une assistance aux entreprises américaines faussant la concurrence – mais la collecte est bien tous azimuts.

Plusieurs orateurs ont jugé insuffisante la réaction des autorités françaises à la révélation d’écoutes de la présidence. Je me limiterai à redire que le discours tenu est extrêmement clair et ferme, que les réactions ne sont pas à leur terme et que des contacts ont lieu avec les États-Unis pour savoir quelles mesures ils envisagent de prendre pour nous donner des garanties supplémentaires. Ce domaine ne relève pas du droit international. Les pressions politiques sont l’instrument dont nous disposons pour essayer d’obtenir des États-Unis un engagement aussi clair que possible ; cela a déjà été partiellement le cas, mais nous devons bien sûr aller au-delà.

De nombreux commissaires ont mis en relation les écoutes par la NSA et la négociation du traité commercial transatlantique, dont M. Hamon a relevé que, par son objet même, il risquait d’affaiblir la solidarité européenne. Le parti pris par les autorités françaises et l’Union européenne est que pour une croissance renforcée et durable, nous avons besoin d’un espace d’échanges commerciaux plus fluides avec les États-Unis. Cela ne signifie pas une zone d’échanges non régulés, puisque nous insistons sur une convergence réglementaire ne remettant pas en cause les normes européennes en matière de solidarité, de protection de l’environnement et de protection sociale. Les autorités françaises veillent à ce que la négociation préserve la solidarité et les spécificités auxquelles nous tenons dans l’espace européen.

Mme Fourneyron a évoqué l’opacité de ces négociations. Nous appelons avec insistance à un renforcement de la transparence et nous ne sommes pas satisfaits des propositions faites par les États-Unis en ce domaine. Alors que la Commission européenne a mis en ligne des documents de position et de négociation, la proposition des États-Unis consistant à permettre à certaines personnalités politiques européennes de consulter dans leurs ambassades les documents américains liés aux négociations nous semble insuffisante. Nous insistons, avec la Commission européenne, pour qu’il y ait une transparence accrue et équivalente de la part des États-Unis.

Plusieurs questions ont porté sur la crise en Ukraine et nos relations avec la Russie. Je rappelle à ce sujet que la politique de sanctions européennes à l’égard de la Russie a été décidée par le Conseil de l’Union européenne, non par les États-Unis. La coopération avec les États-Unis a été et continue d’être étroite en ce domaine, mais notre champ de sanctions n’est pas le même. Le commerce européen avec la Russie, qui est de dix fois supérieur aux relations commerciales entre la Russie et les États-Unis, a été lourdement touché par l’imposition des sanctions. Mais, contrairement aux informations qui ont circulé à ce sujet, le commerce entre les États-Unis et la Russie n’a pas augmenté : il a connu une moindre décrue que les échanges russo-européens.

M. Jacques Myard. Sauf dans l’industrie.

M. Thierry Mariani. Ce n’est pas ce que disent les chiffres communiqués par les Russes lors du Forum économique international de Saint-Pétersbourg.

M. Pierre Cochard. Nous avons vérifié les chiffres diffusés par la Russie et nous les contestons. Après une phase de croissance du commerce entre les États-Unis et la Russie au tout début de la crise, alors que les sanctions s’appliquaient déjà, une décrue s’est produite qui pour être moindre que celle que subissent les pays européens n’en est pas moins réelle.

Mme Guittet a mentionné l’« appui unilatéral » que les États-Unis accorderaient à l’Ukraine. La politique européenne et la politique américaine diffèrent : les États-Unis ont choisi de livrer à l’Ukraine des équipements militaires non létaux et de former la garde nationale ukrainienne ; nous donnons la priorité à la négociation politique et à la mise en œuvre des accords de Minsk, et les États-Unis soutiennent cette démarche.

À notre connaissance, Daech ne contrôle pas de banques, mais il y a sur le territoire qu’il a sous sa coupe des succursales de banques irakiennes. Nous avons travaillé avec les États-Unis et l’Irak à ce que ces succursales ne puissent plus transférer des fonds vers l’étranger et à notre connaissance nous y sommes parvenus ; cela ne signifie pas que des transferts de fonds n’ont pas lieu par d’autres voies. S’agissant des ventes de pétrole, nous savons que des convois traversent la frontière turque et nous travaillons avec la Turquie pour renforcer les contrôles. C’est un axe majeur de la lutte contre Daech.

Nous cherchons, monsieur Dupré, à mobiliser le plus de partenaires possible dans la lutte contre le terrorisme, et c’est le cas dans la coalition formée contre Daech. Nous mobilisons aussi nos partenaires européens, sous différentes formes, pour appuyer notre engagement au Sahel et, plus largement, en Afrique.

Que les règles applicables aux sites en ligne djihadistes diffèrent des deux côtés de l’Atlantique – singulièrement le fait que l’incrimination d’apologie du terrorisme n’existe pas aux États-Unis – nous pose effectivement problème, monsieur Myard, puisqu’il en résulte que des sites hébergés aux États-Unis que nous souhaiterions voir fermés ne peuvent l’être. Nous avons donc choisi une autre voie, et le ministre de l’intérieur a organisé en avril une réunion avec les principaux opérateurs de l’Internet pour renforcer une concertation qui existait déjà et les inciter à fermer plus rapidement des sites problématiques ; ce dialogue se poursuit.

Le partage des renseignements relatif à la conduite de nos opérations militaires en Irak a connu des ratés au début, madame la présidente. Nous nous en sommes entretenus avec le général John Allen, coordonnateur de la coalition du côté américain. Pour fluidifier ces échanges, des officiers français sont désormais présents dans des centres de commandement de la coalition animés par les Américains, dans la région et aux États-Unis, et les choses se sont améliorées depuis l’automne dernier.

L’indignation de l’opinion publique et de la classe politique américaines a été assez forte quand a été connue la collecte systématique des données. Cela eu pour effet qu’au Patriot Act venu à échéance a succédé le USA Freedom Act qui n’interrompt pas la collecte de métadonnées mais en confie le stockage aux opérateurs de téléphonie et encadre jusqu’à 2019 les conditions dans lesquelles le pouvoir américain, sous le contrôle d’un tribunal spécialisé, pourrait en demander la communication. La sensibilité des citoyens américains à l’espionnage à l’étranger ou à l’espionnage de ressortissants étrangers aux États-Unis n’est pas la même et la couverture de presse de cette affaire par les medias d’outre-Atlantique n’a pas été très forte. Il revient à l’Union européenne d’obtenir l’alignement des droits en ce domaine.

M. Michel Destot. Sommes-nous espionnés par des pays « amis » et les espionnons-nous ?

M. Pierre Cochard. Les services de renseignement français se préparent à l’hypothèse d’être espionnés par des pays, amis ou autres, européens ou non, dans tous les domaines. C’est un risque que l’on ne peut négliger.

M. Jacques Myard. Le rapport de la délégation parlementaire au renseignement publié l’an dernier est un florilège édifiant de la naïveté française. On y lit notamment que le ministère de l’économie et des finances est une maison de verre pour les services étrangers.

M. Patrice Martin-Lalande. Qu’est-ce qui justifierait que nos services de renseignement ne procèdent pas, eux aussi, à des écoutes ?

M. Pierre Cochard. Les éléments me manquent pour vous dire si nos services de renseignement se livrent à cette activité et, si c’est le cas, pourquoi ils ne se font pas prendre. Je note par ailleurs qu’il n’y a pas eu l’équivalent des Wikileaks pour la correspondance diplomatique française.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Les divulgations de WikiLeaks résultant des révélations qu’a voulu faire un membre des services secrets américains, peut-être faut-il rendre hommage à la loyauté des membres des services de renseignement français…

Je vous remercie, monsieur le directeur, pour ces informations précises – sur ce que vous pouviez nous dire. Nos services doivent se protéger davantage ; c’est la consigne qui a été donnée, a indiqué le Président de la République aux parlementaires qu’il a reçus à la suite de ces révélations. La délégation parlementaire au renseignement devrait faire le point sur la persistance d’une certaine désinvolture qui contrarie la nécessité de protection.

La séance est levée à onze heures.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 1er juillet 2015 à 9 h 30

Présents. - M. Kader Arif, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Louis Christ, M. Édouard Courtial, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Cécile Duflot, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, Mme Chantal Guittet, M. Benoît Hamon, M. Bernard Lesterlin, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, M. Jean-Luc Reitzer, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Michel Terrot

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Pouria Amirshahi, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Gérard Charasse, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, M. Jean-Jacques Guillet, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Serge Janquin, M. Armand Jung, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Alain Marsaud, M. Jean-Claude Mignon, M. René Rouquet, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. Guy Teissier, M. Michel Vauzelle