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Commission des affaires étrangères

Mercredi 13 janvier 2016

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 35

Présidence de M. Michel Vauzelle, vice-président de la commission des affaires étrangères et de Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes

– Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international... 2

Audition, ouverte à la presse et conjointe avec la commission des affaires européennes, de M. Harlem Désir, secrétaire d’État aux affaires européennes auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international.

La séance est ouverte à seize heures trente.

La Présidente Danielle Auroi. Monsieur le secrétaire d’État chargé des affaires européennes, je vous remercie d’être à nouveau présent parmi nous, et je vous adresse, ainsi qu’à vous tous, mes chers collègues, mes vœux pour cette nouvelle année, que nous souhaitons bien entendu plus paisible et positive que la précédente. Espérons que les difficultés que connaît actuellement l’Union européenne seront bientôt un mauvais souvenir et que, grâce au courage politique des uns et des autres, l’Europe en sortira renforcée et plus solidaire. Un nouvel élan européen est en effet nécessaire, au moment où la montée des nationalismes et les replis identitaires, de plus en en présents – je pense à ce qui se passe en Pologne ou au drame qu’ont vécu des touristes allemands, hier, à Istanbul –, laissent à penser que le pire est à l’œuvre.

Votre audition portera sur les conclusions du dernier Conseil européen – mais il s’est passé bien des choses depuis. Elle sera également l’occasion d’évoquer avec vous, alors que débute la présidence néerlandaise, les priorités de la France pour l’Europe en 2016. S’agissant du Conseil européen de décembre, nous souhaiterions que vous fassiez de nouveau le point sur les décisions prises en matière migratoire et sur l’état actuel de leur mise en œuvre, à la lumière de ce qui se passe en Méditerranée. Peut-on espérer que le mécanisme de relocalisation soit effectif ? Qu’en est-il des réinstallations en provenance de pays tiers et de l’accueil des réfugiés ? Il me semble que les accords passés dans ce domaine avec la Turquie tardent à se concrétiser. Au demeurant, les événements qui se sont produits dans ce pays hier ainsi que la dégradation des relations entre l’Iran, d’une part, les Émirats arabes unis et l’Arabie Saoudite, d’autre part, ne nous rassurent pas.

Par ailleurs, la question du « Brexit » est désormais à l’ordre du jour. Nous devons, du reste, nous rendre prochainement à Londres pour évoquer cette question avec le Parlement et le Gouvernement britanniques. Quelle est l’avancée des discussions ? Quels éléments peuvent favoriser un accord et quels sont les points de blocage ?

J’espère que vous aurez le temps d’aborder d’autres questions d’actualité. S’agissant de la relance de l’investissement, que peut-on dire, aujourd’hui, de la mise en œuvre du plan Juncker ? Ne faut-il pas envisager un plan « Juncker 2 », doté de moyens financiers plus importants ? Je pense à un grand emprunt européen centré sur la transition énergétique, puisque la présidence néerlandaise est en train de relancer l’Europe de l’énergie.

Le projet de taxe sur les transactions financières – que je considère comme l’Arlésienne, malgré un semi-accord – avance-t-il vraiment ?

Quelle est la situation des droits fondamentaux, notamment en Pologne ? La Commission européenne se réunissait ce matin pour débattre de la mise en œuvre du mécanisme relatif à l’État de droit. Pouvez-vous nous dire comment la France apprécie la situation actuelle de la Pologne à cet égard ?

Enfin, pouvez-vous nous dire un mot de la mise en œuvre de la clause de solidarité, prévue à l’article 42-7 du traité de l’Union, demandée par la France ?

Avant de vous écouter, Monsieur le secrétaire d’État, je vais donner la parole à M. Jacques Myard, qui souhaite soulever un point d’ordre.

M. Jacques Myard. Je souhaite en effet, madame la présidente, réagir au courrier que nous a adressé le Secrétariat général aux affaires européennes à propos de la consultation des documents relatifs à la négociation entre la Commission européenne et les États-Unis du fameux traité transatlantique de libéralisation du commerce. Je tiens à protester contre les conditions proprement scandaleuses et inadmissibles qui sont imposées aux parlementaires, puisque nous ne pouvons consulter ces documents que dans une salle sécurisée sous la surveillance permanente d’un fonctionnaire. De fait, nous sommes considérés comme des suspects. C’est à se demander si ce sont bien les États qui mandatent la Commission pour négocier ou si c’est cette dernière qui mandate les États ! Un tel dispositif met en cause la structure européenne telle qu’elle doit fonctionner et le pouvoir de contrôle des parlementaires. Je comprends qu’une certaine confidentialité sied aux négociations internationales, mais je ne peux admettre que l’on tienne ainsi les parlementaires en suspicion. Je tiens donc, madame la présidente, à ce que vous protestiez auprès du Gouvernement – je réitérerai moi-même mes protestations dans une question écrite. L’Union européenne se comporte, en la matière, comme si elle était aux ordres des États-Unis. Nous ne sommes aux ordres ni des États-Unis ni de la Commission !

La Présidente Danielle Auroi. Je transmettrai vos remarques au Gouvernement.

M. Michel Vauzelle, président. Monsieur le secrétaire d’État, je vous présente à mon tour mes meilleurs vœux pour l’année 2016, et je vous prie d’excuser l’absence de Mme Guigou, qui m’a demandé de la suppléer.

Nous souhaiterions que vous nous exposiez les décisions prises et celles qui sont envisagées pour sauver – on peut employer ce terme – le système Schengen. Nous constatons en effet qu’un certain nombre d’États ont rétabli les contrôles aux frontières intérieures pour tenter de contenir l’afflux massif de réfugiés. La France elle-même a rétabli ces contrôles dans la perspective de la tenue de la COP 21, puis elle les a maintenus, pour des raisons sécuritaires, à la suite des attentats du 13 novembre. Les Européens ont le plus grand mal à répondre positivement à l’obligation morale d’accueillir ceux qui fuient la guerre civile – je pense bien entendu aux Syriens. Le système Schengen est donc confronté à une crise majeure, pour ne pas dire existentielle. Comment peut-on y faire face ? Quelles sont les mesures qui devraient permettre d’assurer un contrôle effectif des frontières extérieures ? Quel accueil a été réservé aux propositions de la Commission de renforcer les capacités de Frontex et de mettre en place un système intégré de garde-côtes et de garde-frontières européens ? Quelles sont les perspectives ouvertes par le Conseil européen pour corriger les carences actuelles du mécanisme de relocalisation des réfugiés ?

Enfin, les attentats du 13 novembre dernier ont montré la nécessité de renforcer les échanges d’informations en alimentant et en consultant plus systématiquement les bases de données, en particulier celle d’Europol et le système d’information de Schengen. Dans ses conclusions, le Conseil européen souligne également la nécessité d’exercer des contrôles systématiques et coordonnés aux frontières extérieures, y compris à l’égard des ressortissants européens. Pouvez-vous nous présenter les mesures prises dans ce domaine ?

M. Harlem Désir, secrétaire d’État chargé des affaires européennes. Madame la présidente, Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous présente à mon tour mes meilleurs vœux pour l’année 2016 et je vous remercie de m’accueillir pour que je vous présente les résultats du Conseil européen des 17 et 18 décembre derniers et que j’évoque les grandes priorités européennes de la France pour l’année qui vient, priorités qui ont du reste fait l’objet d’une communication du Premier ministre lors du Conseil des ministres de ce matin.

L’année 2016 est, pour l’Europe, celle de tous les dangers. Elle fait face à des crises multiples qui mettent à l’épreuve son unité, la solidarité entre les États membres et sa crédibilité pour apporter des solutions communes aux grands défis auxquels elle est confrontée. Aussi, je souhaite que nos débats, nos travaux et les initiatives que nous prendrons dans nos rôles respectifs puissent contribuer à en faire une année de construction et d’avancées pour l’Europe. Je sais que vous devez vous rendre prochainement en Grande-Bretagne pour y rencontrer les autorités du pays, notamment vos homologues de la Chambre des Communes ; la diplomatie parlementaire et les relations entre les parlements nationaux jouent un rôle très important dans le fonctionnement de l’Union européenne.

Les travaux du Conseil européen de décembre dernier ont porté, d’une part, sur ces grandes crises, dont les plus urgentes sont l’accueil des réfugiés et la lutte contre le terrorisme, et, d’autre part, sur plusieurs chantiers structurants pour l’avenir de l’Union européenne, en particulier l’approfondissement de l’Union économique et monétaire, le renforcement du marché intérieur, l’Union de l’énergie et, bien entendu, la perspective du référendum britannique, même s’il a été convenu que ce débat serait repris lors de la prochaine réunion du Conseil, qui devrait être conclusive, au mois de février prochain.

En ce qui concerne la crise migratoire, il convient, selon le Président de la République – et le Conseil européen en a convenu –, de mettre en œuvre les décisions qui ont déjà été prises lors des précédentes réunions suite à l’afflux massif de migrants. Le phénomène auquel nous avons assisté sur la route des Balkans – dû, à l’origine, à un problème lié au franchissement de la frontière entre la Turquie et la Grèce – s’est en effet ajouté à celui que nous observons en Méditerranée centrale où, aujourd’hui encore, font naufrage, au large de la Libye, des bateaux qui tentent de rejoindre les côtes italiennes ou l’île de Lampedusa. Ces sujets ont fait l’objet de multiples réunions, notamment des ministres de l’intérieur et de la justice ; il faut maintenant que le dispositif arrêté au plan européen soit appliqué.

Ce dispositif comporte quatre volets essentiels : les hotspots, c’est-à-dire les centres d’enregistrement dans lesquels doit également être faite la distinction entre les personnes relevant de la protection internationale et celles qui n’en relèvent pas ; la relocalisation, c’est-à-dire la répartition solidaire des réfugiés entre les 28 États membres de l’Union européenne ; le retour des migrants illégaux, dans le cadre d’accords de réadmission et de coopération avec les pays d’origine, et le renforcement des contrôles exercés aux frontières extérieures communes. Si l’un des maillons de cette chaîne est faible, l’ensemble du dispositif est fragilisé. Or, force est de constater que l’application de ces décisions est aujourd’hui trop lente.

Qu’on en juge. En ce qui concerne le premier volet, deux des cinq hotspots implantés en Italie ne disposent toujours pas d’officiers de Frontex et les trois autres sont dépourvus d’agents du Bureau d’appui à l’asile, l’EASO (European asylum support office). Quant aux cinq hotspots que doit accueillir la Grèce, trois d’entre eux seulement fonctionnent, dont deux sans agents de l'EASO ; en outre, leur capacité d’accueil est trop faible, puisqu’elle est de 1 850 personnes alors que, dans ce pays, les flux de migrants représentent encore actuellement plusieurs milliers de personnes par semaine. S’agissant des relocalisations, le 8 janvier, 272 réfugiés seulement avaient été relocalisés – 190 depuis l’Italie, 82 depuis la Grèce –, alors que l’objectif global est d’en relocaliser 160 000. Certains pays n’ont même pas nommé d’officiers de liaison avec les pays de premier accueil ou n’ont pas répondu aux sollicitations de l’EASO. En ce qui concerne les retours, depuis septembre dernier, seules 683 personnes non admises à bénéficier du statut de réfugiés ont été ramenées dans leurs pays d’origine.

S’agissant du contrôle des frontières, qui est devenu la question principale, celle dont dépend en grande partie la soutenabilité du système d’accueil et de protection internationale des réfugiés, la Commission a adopté, avant le Conseil européen, un ensemble de mesures correspondant aux priorités défendues par Bernard Cazeneuve, qu’elle a regroupées sous l’appellation de « Paquet de mesures pour le contrôle des frontières extérieures communes ». Ces mesures visent tout simplement à protéger l’espace de Schengen et à nous permettre de remplir nos missions en matière d’asile. Elles consistent dans une révision du « Code frontières Schengen » et du mandat de Frontex, l’objectif étant de mettre en place un système intégré de gestion des frontières et la création de garde-frontières et de garde-côtes européens. C’est une urgence absolue, non seulement pour des raisons liées à la crise migratoire, mais aussi pour des raisons de sécurité face au risque terroriste. L’objectif est de parvenir, avant la fin de la présidence néerlandaise, qui a débuté le 1er janvier, à un accord au Conseil sur tous les instruments législatifs. Mais il convient d’appliquer d’ores et déjà plusieurs de ses décisions, notamment le renforcement des moyens de l’agence Frontex et la mise à disposition par l’ensemble des États membres d’une réserve de personnels, composée notamment d’agents des services de contrôle des frontières, qui doivent pouvoir se porter au secours des pays de première entrée – essentiellement, aujourd’hui, la Grèce et l’Italie –, pour les aider à gérer les centres d’accueil, à exercer les contrôles aux frontières et à lutter contre les réseaux d’immigration clandestine.

Ce dernier objectif est également celui de l’opération Sophia, menée par l’ensemble des marines européennes en Méditerranée. Cette opération s’inscrit cependant dans les limites d’un mandat qui, tant qu’un gouvernement d’union nationale n’aura pas été mis en place en Libye, ne permet d’agir que dans les eaux internationales, et non dans les eaux territoriales pour lutter contre les départs de bateaux. Mais un dispositif européen de contrôle des frontières beaucoup plus puissant est nécessaire dès maintenant, partout, en particulier en Grèce.

La situation en Turquie a également fait l’objet d’une discussion, puisqu’un plan d’action avait été négocié avec ce pays. Une réunion s’est tenue en marge du Conseil européen en présence du Premier ministre turc et de la Chancelière allemande, du Président de la Commission européenne et du vice-président Timmermans, qui est en charge de la négociation avec la Turquie. Le Premier ministre turc a indiqué quel était l’état d’avancement de la mise en œuvre du plan d’action, qui comporte un ensemble de réformes législatives concernant les passeports biométriques, l’amélioration de l’accès au travail des Syriens et une politique de visas plus restrictive. Dans le cadre de la discussion engagée avec la Turquie, qui comprend une aide pour l’accueil des quelque 2 millions de réfugiés présents sur son sol – il faut d’ailleurs aider également le Liban et la Jordanie : c’est une priorité de votre Commission et de la France –, nous attendons de ce pays qu’il lutte contre les réseaux d’immigration illégale, qui mettent en danger la vie des migrants, et qu’il coopère très fermement au contrôle des frontières. Pour l’instant, il a été constaté, lors du Conseil européen, que ce plan d’action ne produit pas encore d’effets. De fait, les flux ont ralenti, mais il est probable que ce ralentissement s’explique davantage par les conditions météorologiques que par une action effective de la Turquie, action qui, en tout état de cause, n’a pas suffi à arrêter ces flux.

Le deuxième grand sujet abordé par le Conseil européen est lié au contrôle des frontières puisqu’il s’agit, même s’il faut éviter tout amalgame, de la lutte contre le terrorisme.

En ce qui concerne l’action externe de l’Union européenne, on peut se féliciter de la réaction positive de la plupart des États membres à la demande de la France d’activer la clause de solidarité et d’assistance mutuelle au titre de l’article 42-7 du traité de l’Union européenne, dont je rappelle qu’il stipule que, lorsqu’un État est victime d’une agression armée, il peut demander aide et assistance aux autres États membres. Ainsi l’Allemagne a pris la décision historique – le vote du Bundestag est en effet sans précédent – de nous apporter, au titre de cette clause, un soutien dans le cadre de nos opérations contre Daech en Irak et en Syrie et des renforts dans le cadre de nos opérations au Sahel. La Chambre des Communes a également voté, sur la proposition du Premier ministre David Cameron, l’engagement de la Grande Bretagne dans la lutte contre Daech en Syrie. D’autres États membres, notamment la Suède, ont accepté de contribuer à notre action militaire contre Daech.

Au plan interne, le Conseil européen a surtout insisté sur la nécessité de renforcer l’échange d’informations. La feuille de route qui avait été adoptée le 12 février dernier, après les attentats de janvier à Paris, doit bien entendu être appliquée. Mais l’une des leçons que nous avons tirées des attentats du 13 novembre est que tous les fichiers européens – le Système d’information Schengen (SIS) et les fichiers d’Europol – doivent recevoir les informations que détiennent les différents services de police, de justice ou de renseignement des États membres afin que, lors des contrôles effectués aux frontières extérieures ou à l’intérieur de Schengen, les polices de l’air et des frontières aient connaissance du signalement d’un individu dans un des États membres pour ses liens avec des organisations terroristes. Une multitude d’exemples montrent qu’aujourd’hui, nous en sommes loin : trop peu d’États transmettent leurs informations à Europol. La garde des Sceaux a également insisté, lors des dernières réunions du Conseil « Justice et affaires intérieures » (JAI), sur la nécessité de transmettre les informations relatives au casier judiciaire en recourant à ECRIS (Système européen d’information sur le casier judiciaire).

S’agissant du PNR (Passenger name record), l’accord entre le Conseil et le Parlement européen est intervenu avant le Conseil européen du mois de décembre. Il faut maintenant que le Parlement européen adopte définitivement, en séance plénière, cette législation qui demandera encore beaucoup de travail pour être mise en œuvre au plan technique.

Dans ses conclusions, le Conseil a également demandé que des contrôles systématiques et coordonnés soient exercés aux frontières extérieures communes de l’Union européenne, y compris pour les citoyens de cette dernière – il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause la liberté de circulation. L’un des sujets de préoccupation majeurs dans ce domaine est la fraude documentaire, puisque l’organisation État islamique a mis la main sur des dizaines de milliers de passeports syriens et irakiens qui peuvent être utilisés de manière détournée par des individus qui cherchent à se rendre dans l’Union européenne. La priorité absolue est donc de mettre en place, pour des raisons de sécurité et de maîtrise de la crise migratoire, des procédures de contrôle des documents d’identité.

Enfin, le Conseil européen a entériné les décisions présentées par les ministres de l’intérieur et de la justice concernant la révision de la directive sur les armes et le renforcement de la lutte contre le financement du terrorisme. Cela semble aller de soi, mais nous nous sommes heurtés aux réticences d’États membres qui sous-estiment la gravité du problème. Certains d’entre eux ont ainsi invoqué l’utilisation des armes à des fins de défense citoyenne en vertu de traditions locales, sans comprendre qu’il ne s’agit pas de remettre celles-ci en cause mais de prendre la mesure du risque et d’agir de manière coordonnée au plan européen et international, car c’est la seule manière d’être efficace. Si nous ne sommes pas capables de montrer que toutes les mesures sont prises au plan européen pour lutter contre le terrorisme et gérer la crise des réfugiés, c’est l’Europe elle-même qui sera mise en cause et qui risque d’être balayée en 2016.

Le Conseil européen a également pris des mesures dans trois domaines importants pour l’économie et la croissance en Europe. En ce qui concerne, tout d’abord, l’Union économique et monétaire, je veux insister sur l’Union bancaire, dont le deuxième pilier, le mécanisme de résolution unique, est entré en vigueur le 1er janvier de cette année. Sur le troisième pilier, la garantie des dépôts, la discussion avec l’Allemagne n’a pas encore débouché. S’agissant, ensuite, de l’approfondissement du marché intérieur, le Conseil a invité les institutions européennes à accélérer la mise en œuvre de la stratégie pour un marché unique numérique, notamment la régulation des plateformes et les droits d’auteur, et de l’Union des marchés de capitaux, que nous préférons appeler l’Union des financements et de l’investissement, pour permettre de financer davantage les petites et moyennes entreprises. En ce qui concerne, enfin, l’Union de l’énergie, il convient, selon nous, de mettre en œuvre, à la suite de la COP21, toutes les mesures du paquet « Énergie climat » pour 2030, adopté en octobre 2014. L’Europe a joué un rôle de leader et a contribué au succès de cet accord international ; il faut maintenant qu’elle applique ses propres décisions en matière de transition énergétique tout en assurant la sécurité de son approvisionnement.

Enfin, le Conseil européen a examiné la question du référendum britannique. La position de la France et celle, unanime, du Conseil européen, consistent à encourager une convergence de vues afin que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne, sans pour autant s’engager dans une révision des traités ni remettre en cause les principes qui fondent l’Union européenne. Notre position est claire.

M. Pierre Lequiller. Non, elle ne l’est pas !

M. le secrétaire d’État. Je vais donc la rappeler. Nous sommes convaincus qu’il est dans l’intérêt de l’Europe et du Royaume-Uni que celui-ci demeure au sein de l’Union européenne. Alors que nous sommes confrontés à des défis considérables dans un monde troublé, qu’il s’agisse du terrorisme, de l’instabilité internationale, des grandes guerres ou des grandes crises qui éclatent autour de l’Europe, alors que notre sécurité et notre modèle de société démocratique sont en jeu, la place du Royaume-Uni, et c’est son intérêt, est aux côtés de ses alliés, dans l’Europe. Toutes les propositions qui permettront de rassurer l’opinion publique britannique et d’améliorer le fonctionnement de l’Union européenne sont donc les bienvenues, pourvu qu’elles ne visent pas à démanteler cette dernière et les politiques communes et qu’elles ne remettent pas en cause la possibilité pour la zone euro de poursuivre son intégration. Certaines questions parmi celles soulevées par le Premier ministre britannique sont de nature à créer des difficultés, notamment celles relatives à la liberté de circulation et aux droits sociaux des résidents de l’Union européenne vivant et travaillant en Grande-Bretagne ; il faut en en effet respecter les règles européennes de non-discrimination. Mais nous sommes également très attentifs à tout ce qui concerne les relations entre la zone euro et le reste de l’Union européenne.

J’ajouterai quelques mots sur les grandes priorités de la France pour l’Union européenne en 2016. Tout d’abord, il est essentiel, je le répète, que celle-ci soit en mesure d’apporter des réponses en matière de sécurité, car il s’agit d’un enjeu majeur. Certes, l’Europe a été bâtie autour des questions économiques : le marché commun, la politique agricole commune, etc. Mais c’est sur sa capacité à apporter aux citoyens et aux États membres une réponse forte et crédible sur les enjeux de sécurité qu’elle sera jugée. Si elle n’en est pas capable, les populismes l’emporteront, sur ce terrain. L’ensemble des mesures prises en ce domaine par le Conseil européen doivent donc constituer un véritable pacte européen pour la sécurité. Il faut que l’Europe se dote des outils appropriés ; j’ai évoqué le corps européen de garde-frontières et de garde-côtes. La question de notre sécurité extérieure peut également conduire à engager une réflexion sur le renforcement de notre politique étrangère et de défense commune.

La deuxième grande priorité demeure, bien entendu, le soutien à la croissance, qui est insuffisante, et à l’investissement, qui n’est pas encore revenu à son niveau antérieur à la crise de 2008 et qui reste inférieur au niveau qu’il atteint aux États-Unis, par exemple. Il faut notamment que notre pays, et tous les États membres, puisse mobiliser pleinement l’ensemble des instruments européens au service de l’emploi. Nous n’aurons pas le temps d’inventer de nouveaux outils ; il faut donc utiliser correctement ceux qui existent. Dans le cadre du plan Juncker, les porteurs de projets ont déposé, avec le soutien du Commissariat général à l’investissement, de la Caisse des dépôts et de la Banque publique d’investissement, de nombreux dossiers auprès du Fonds européen d’investissement stratégique – notre pays est l’un de ceux qui en ont déposé le plus –, notamment dans les domaines de la transition énergétique, du numérique, de l’innovation. Nombre d’entre eux ont été retenus, pour un montant d’investissements équivalent à 1,6 milliard. Mais l’objectif est de porter les investissements réalisés en France au titre du plan Juncker, dont je rappelle qu’il s’élève à 315 milliards, à au moins 40 milliards. C’est une action prioritaire. Encore une fois, il n’est pas nécessaire de bâtir un nouveau dispositif ; il faut bien utiliser celui que nous avons souhaité et dont nous avons soutenu la création.

De même, il faut faire appel aux fonds structurels européens. C’est maintenant que, dans le cadre de la programmation budgétaire 2014-2020 – les nouvelles régions sont devenues autorités de gestion – sont programmés les investissements réalisés dans de multiples domaines : les infrastructures, la recherche, le soutien aux petites et moyennes entreprises, le FEADER pour le monde rural et l’agriculture... Au total, les fonds structurels européens et d’investissement représenteront pour la France, d’ici à 2020, 26 milliards d’euros, soit un montant équivalent, voire supérieur dans certaines régions, à celui de l’apport de l’État dans les contrats de plan État-régions. Il convient donc de mobiliser correctement ces fonds, en présentant des projets rapidement ; nous allons y travailler avec les présidents de région.

Enfin, nous voulons lutter contre le dumping fiscal et social. À cet égard, il faut réviser la directive sur le détachement des travailleurs, faire appliquer le principe « À travail égal, salaire égal » énoncé par le Président Juncker lui-même et mettre en place le socle commun de droits sociaux annoncé par la Commission européenne, socle qui doit comprendre notamment le salaire minimum européen, sur lequel nous allons travailler avec l’Allemagne. J’ajoute que, dans ce volet social, la priorité reste à la jeunesse, car le taux de chômage des jeunes est très largement supérieur à la moyenne. Cette situation est inacceptable en termes d’avenir et de citoyenneté. La montée en puissance de la garantie jeunes, qui concerne déjà plus de 30 000 jeunes en France, le développement de la mobilité, notamment dans le cadre de l’Erasmus professionnel, figureront donc parmi nos priorités.

L’année 2016 sera marquée par l’impact des grandes crises internationales – la Syrie, la Libye, et d’autres – sur l’Europe. D’où la nécessité que celle-ci puisse s’affirmer sur la scène internationale comme un acteur qui ne compte pas sur les autres : aux États-Unis, la préparation de la prochaine élection présidentielle va dominer, et nous savons que cette période n’est pas la plus propice à des initiatives ; d’autres acteurs internationaux sont préoccupés par des problèmes liés à leur environnement immédiat ou à leur situation intérieure. Même si elle doit avoir des partenaires, l’Europe doit se saisir elle-même des grandes questions dont dépendent sa sécurité et la stabilité de son environnement. De fait, elle est entourée des crises internationales les plus violentes. Elle doit donc être capable de développer davantage une politique étrangère commune. La France doit prendre des initiatives, parce que les circonstances l’exigent et que c’est son rôle. Alors que des incertitudes majeures pèsent sur le projet européen, un engagement fort de notre pays et de son principal partenaire, l’Allemagne, nous semble plus que jamais nécessaire.

M. Joaquim Pueyo. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie pour la synthèse de la situation que vous nous avez présentée. En matière de lutte contre le terrorisme, je constate des évolutions, qu’il s’agisse de l’introduction dans le Système d’information Schengen de la deuxième génération des données concernant les combattants terroristes, de l’accès d’EUROPOL et de Frontex aux bases de données pertinentes ou du PNR.

Cependant, la question du trafic des armes à feu est importante, car nous avons appris, quelques semaines après les attentats du 13 novembre, que certaines des armes utilisées par les terroristes provenaient d’ex-Yougoslavie, où elles ont été fabriquées. En outre, le journal Bild a révélé – j’ignore si cette information est exacte – que certaines d’entre elles avaient été vendues aux terroristes en Allemagne. En tout état de cause, il est actuellement facile de se procurer ce type d’armes pour quelques milliers d’euros. Vous avez rappelé que l’Union européenne était déterminée à lutter contre ce trafic. Quelles sont les mesures qu’elle compte prendre en la matière ?

M. Pierre Lequiller. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons tellement de plaisir à vous entendre que nous regrettons que vous ne puissiez nous accorder plus d’une heure. Lorsqu’une délégation de notre Commission s’est rendue au Bundestag, la Chancelière elle-même a répondu à nos questions pendant plus de deux heures. C’est une pratique dont la France devrait s’inspirer.

J’ai le sentiment que, bien que nous subissions des crises gravissimes, les choses avancent très lentement. Le Premier ministre nous avait promis le PNR lors de son dernier discours d’investiture : il n’a toujours pas été voté, en raison d’oppositions à gauche et au Front national. Schengen connaît une crise totale, puisque les frontières intérieures ont été rétablies. Or, depuis des années, nous réclamons des moyens supplémentaires pour Frontex. On lui en a accordé quelques-uns, mais ils sont insuffisants : les frontières extérieures doivent être surveillées par les Européens ! De manière générale, il faut revoir l’ensemble de la question ; c’est pourquoi je souscris à la formule d’un « Schengen 2 ». En effet, seuls les pays décidés à jouer le jeu doivent pouvoir entrer dans le système Schengen. Par ailleurs, je crois, même si je sais que cela fait un peu grincer des dents, qu’en matière d’immigration, l’Europe devrait s’inspirer de l’expérience espagnole, car l’important est d’être efficace. Or, les Espagnols ont conclu avec la Mauritanie, le Sénégal et le Maroc des accords de coopération qui permettent à la Guardia Civil de surveiller elle-même les côtes de ces pays, de sorte que l’Espagne est parvenue à une « immigration zéro » l’année dernière.

Enfin, je voudrais évoquer le passage éventuel de la Chine au statut d’économie de marché au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Son statut actuel nous autorise à appliquer des droits de douane pour protéger nos industries, mais un certain nombre d’acteurs – notamment Angela Merkel, qui s’est prononcée en ce sens en 2010 – sont favorables à une évolution de ce statut. Or, ce serait fâcheux pour la France et l’ensemble de l’Europe. Où en sommes-nous dans ce domaine ? Je vous ai adressé une question écrite à ce sujet au mois de septembre.

M. Arnaud Leroy. Monsieur le secrétaire d’État, il me paraît important, surtout au moment où s’expriment, sur le continent européen, divers nationalismes, de rappeler qu’avant l’aventure économique, c’est la volonté de vivre en paix qui est à l’origine du projet européen. Le tableau que vous avez brossé de la situation de l’Union européenne en 2016 peut paraître pessimiste ; je le crois réaliste. Le Président Juncker lui-même a évoqué une « polycrise ». Nous sommes à un moment de vérité pour l’Union européenne. Il faut à la fois traiter diverses urgences et construire demain. Or, on semble se contenter de quelques sparadraps, tels que la garantie jeunes, destinée à aider une jeunesse européenne de plus en plus sacrifiée, sans se soucier de construire un projet d’avenir. Dix ans après la fin des travaux de la convention pour l’avenir de l’Europe, je m’inquiète de ce manque de souffle, d’ambition et d’imagination, car de nouveaux enjeux apparaissent. Il nous faut maintenir la cohésion sociale et la paix avec nos voisins, notamment ceux de la rive sud de la Méditerranée. Ne nous voilons pas la face : les Américains nous laisseront nous débrouiller avec eux.

Je souhaiterais donc que la France assume son rôle précurseur dans la construction de l’Europe. Nous pouvons tenter d’agir dans le cadre du couple franco-allemand, mais il ne faut pas avoir peur de se fâcher avec nos amis Anglais : la France ne doit pas tout accepter pour maintenir le Royaume-Uni dans l’Union européenne. Mais agissons pour qu’une fois ces crises passées, nous ayons un avenir en Europe !

M. Michel Piron. Nous sommes face à une crise gravissime, qui est d’abord due à l’incapacité de mettre en œuvre des mesures théoriquement acceptées. À propos de Schengen, on voit bien qu’il s’agit de passer « des » frontières européennes à « la » frontière européenne. À cet égard, je souhaiterais que vous apportiez une réponse concrète à la question suivante : quelles sont les alliances qui permettraient de peser suffisamment pour débloquer la situation ?

S’agissant des relocalisations, le chiffre, hélas ! ridicule que vous avez cité soulève un certain nombre de questions. Que pensez-vous de la proposition d’Alain Lamassoure d’instaurer un double quota qui prendrait en compte à la fois l’histoire des relations des différents pays européens avec ceux du pourtour méditerranéen et leur capacité à accueillir et à intégrer les réfugiés ?

Enfin, le Parlement européen pourrait-il jouer un rôle plus important auprès de l’opinion, qui est prise entre la volonté d’accueillir les réfugiés et la peur ? Un discours exclusivement sécuritaire ne peut que susciter la peur, mais un discours qui ne tiendrait pas compte de ces préoccupations ne serait pas responsable.

M. Benoît Hamon. Monsieur le secrétaire d’État, même si je ne sais pas si vous pourrez répondre franchement à cette question, j’aimerais que vous nous disiez quelles sont les raisons pour lesquelles on souhaite que le Royaume-Uni reste dans l’Union européenne. Je conçois que son départ puisse avoir un impact symbolique, car il donnerait l’image d’une désagrégation de l’Union européenne. Mais, compte tenu de la manière dont il a freiné, au cours des vingt dernières années, la construction européenne et les étapes d’intégration décisives, on peut se demander ce qui justifie qu’à ce moment charnière de l’histoire européenne, on fasse du maintien de la Grande-Bretagne au sein de l’Union un objectif pour la France.

Par ailleurs, nous nous sommes battus en faveur de la création d’un statut européen des mutuelles, afin de permettre à ce modèle non lucratif et démocratique de se développer en Europe. Le Parlement européen s’est prononcé à de multiples reprises en faveur d’un tel statut, et la Commission Barroso avait laissé entrevoir la possibilité d’y parvenir. Mais la Commission Juncker a abandonné tout projet de proposition législative en la matière, et la France semble avoir renoncé à pousser en ce sens. Je sais qu’il est parfois difficile de trouver des majorités au sein du Conseil, mais je ne comprends pas que nous abandonnions ce combat.

M. Jacques Myard. Lorsque je vous écoute, Monsieur le secrétaire d’État, vous et un certain nombre de mes collègues, j’ai le sentiment que vous utilisez toujours le logiciel des années 1960. Regardons les choses en face : le monde a changé ! Tout d’abord, il est clair que vous êtes en train de rafistoler Schengen, alors qu’il faudrait tout remettre à plat. Vous confondez liberté de circulation et absence de contrôle : c’est là que le bât blesse.

Ensuite, vous n’avez pas dit un mot de la subsidiarité. Or, si vous voulez sauver l’Europe, commencez par la faire maigrir : ses « ultra-compétences » sont en train de faire imploser le système.

Enfin, je suis désolé de vous le dire, mais ce sont les Anglais qui ont raison – pas sur toute la ligne, certes. Il faut cesser de croire en une espèce de bloc hétéroclite, car il va imploser. Il faut tout remettre à plat. C’est aussi simple que cela ! Encore une fois, changez de logiciel : le projet européen est révolu. Nous sommes dans la mondialisation et l’idée de bloc européen est transcendée par le monde tel qu’il est aujourd’hui. Bien entendu, la coopération européenne est nécessaire, mais, de grâce, pas d’intégrisme idéologique !

M. Gilles Savary. Je ne partage pas l’avis de Jacques Myard, selon qui plus le monde est puissant et imposant, plus le salut viendra du rétrécissement. Quant à moi, je suis en deuil, car je constate que l’Union européenne est en train d’être détricotée, de manière extrêmement rapide et sur plusieurs fronts. J’ai le sentiment que, Conseil après Conseil, on fait de la politique-fiction en posant des principes excellents dont la mise en œuvre demeure totalement virtuelle.

Oui, il faut renforcer les frontières extérieures ! Si, comme je le souhaite ardemment, nous voulons remettre Schengen en piste, il faut instaurer de véritables contrôles aux frontières. Mais quels sont les moyens mobilisables à cette fin : des crédits budgétaires de l’Union ? des astreintes imposées aux pays qui ont des effectifs de douaniers ? Je sais qu’il existe des sauvegardes nationales, mais je ne me résous pas à l’idée que nous en restions là.

En ce qui concerne le détachement, je me félicite des avancées obtenues, mais il me semble qu’il faudrait raisonner, non pas selon le principe « A travail égal, salaire égal », qui est déjà contenu dans les bases juridiques du détachement, mais selon le principe « A salaire égal, coût égal ». C’est pourquoi je suis favorable à ce que l’on incite Bruxelles à abandonner une des définitions du détachement, celle du détachement d’intérim ; cela permettrait de régler pratiquement tous les problèmes. De fait, le détachement d’intérim n’est pas un détachement : il ouvre un second marché du travail, qui est un marché du travail low-cost. Si l’on supprime cette troisième modalité de détachement de la directive de 1996, il sera inutile d’élaborer des règlements sophistiqués : l’essentiel sera réglé.

M. le secrétaire d’État. Je vous remercie pour vos questions. Monsieur Lequiller, j’aurais souhaité rester plus longtemps parmi vous, mais je dois assister à la cérémonie des vœux du Président de la République. Sachez cependant que je reviendrai autant de fois que nécessaire.

En ce qui concerne le trafic d’armes à feux, M. Pueyo a raison : il est certain que l’enjeu se situe dans les Balkans. C’est pourquoi le travail doit se faire en grande partie au sein de l’Union européenne, mais aussi avec des pays voisins, qui sont pour beaucoup candidats à l’adhésion et qui doivent d’ores et déjà être intégrés dans nos politiques de sécurité commune. Le trafic d’armes et d’autres trafics ont lieu, pour des raisons diverses, qui tiennent à l’histoire ou à la faiblesse des États, dans les Balkans occidentaux, aux frontières de l’Europe. De fait, il est aujourd’hui beaucoup trop facile de se procurer des armes et de les faire entrer dans l’Union européenne. C’est une illustration parmi d’autres des problèmes liés aux contrôles des frontières.

À l’instar de Gilles Savary, je crois que nous sommes plus forts si nous parvenons à affronter ces problèmes mondiaux, sinon à vingt-huit, du moins avec les autres pays de la zone euro. Ainsi, le meilleur moyen de nous assurer que ces trafics n’arrivent pas jusqu’aux frontières de chacun des États membres, c’est que tous contribuent, avec l’aide des pays du voisinage, à garantir notre sécurité collective. Plus nous coopérerons en appliquant les mêmes règles, notamment en ce qui concerne le contrôle des armes et notre frontière commune, plus la sécurité de chaque État membre sera assurée.

M. Lequiller a évoqué le rythme de la prise de décision. Là est le problème de l’Union européenne : le monde va vite, mais l’Europe va lentement. La décision politique y est en effet fragmentée car l’Union compte 28 États, dont il faut respecter la souveraineté. Si nous ne la partageons pas davantage, Monsieur Myard, nous serons toujours en retard, que ce soit au plan sécuritaire ou au plan économique. Cinq années ont été nécessaires pour obtenir un accord sur le PNR ; aujourd’hui, cet accord existe. Certes, le vote définitif du Parlement européen doit encore intervenir, mais je crois que cette mesure recueillera une majorité. Quoi qu’il en soit, je partage entièrement cette analyse : l’Europe doit se doter de la capacité de réagir beaucoup plus vite, ce qui suppose un changement d’état d’esprit, de culture et parfois de mode de fonctionnement des institutions européennes.

De fait, ce que nous élaborons en transformant Schengen – je ne crois pas que nous gagnerions quoi que ce soit à le supprimer –, notamment en révisant le « code frontières », c’est un deuxième Schengen. Nous avions fait, c’est vrai, les choses à moitié. Il était initialement prévu d’assurer à la fois la liberté de circulation à l’intérieur de l’espace et le contrôle des frontières extérieures communes. Or, ce contrôle est resté totalement lacunaire : il s’exerçait dans les aéroports, mais pas aux frontières terrestres et maritimes. Aujourd’hui, nous avons le choix : soit nous laissons Schengen s’effondrer et nous devrons rétablir les contrôles aux frontières nationales sans pouvoir avoir confiance en l’action de nos voisins ; soit nous tirons les leçons de la situation actuelle et nous décidons de renforcer le contrôle des frontières extérieures communes, de coopérer davantage dans la transmission des informations que chaque État membre a à sa disposition sur les franchissements de frontières et, si nécessaire, de disposer de capacités européennes susceptibles de renforcer celles d’un État membre, notamment en cas d’urgence liée à la sécurité ou à l’afflux de migrants. Au demeurant, les deux phénomènes sont souvent liés. Ainsi, deux des terroristes de Saint-Denis avaient utilisé frauduleusement des passeports syriens pour franchir, en Grèce puis dans les Balkans, des frontières qui n’étaient pas soumises à un contrôle suffisant.

En ce qui concerne l’expérience espagnole, nous en faisons plutôt une évaluation positive. Elle ne peut pas être entièrement transposée à l’Union européenne, mais les accords de coopération, de réadmission et de contrôle des frontières avec le Sénégal, le Maroc et la Mauritanie sont plutôt conformes à ce que nous souhaiterions voir mis en œuvre de façon plus large en Europe.

Le statut d’économie de marché de la Chine au sein de l’OMC, qui a été évoqué ce matin par la Commission, découle des accords d’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001, qui prévoyaient un délai de transition de quinze ans pendant lequel la Chine ne bénéficierait pas du statut d’économie de marché. Or, ce délai vient à expiration au mois de décembre. Il faut donc que, d’ici à cette date, une décision soit prise sur la base de l’examen par la Commission européenne du respect par la Chine des conditions nécessaires à la reconnaissance de ce statut.

M. Pierre Lequiller. Quelle est la position de la France ?

M. le secrétaire d’État. Pour la France, il faut travailler sur une base objective, celle qui est fournie par l’examen de la Commission européenne, avec laquelle nous travaillons, car sont en jeu les droits antidumping, les instruments de défense commerciaux ou l’interdiction de toute subvention d’État à des entreprises, publiques ou non. La Commission a décidé d’examiner ce point prochainement.

Arnaud Leroy a rappelé l’importance de la paix pour le projet européen. Elle en constitue en effet le fondement, mais elle était présupposée : aucun instrument n’a été prévu à ce sujet. Il est vrai que nous vivons un moment de vérité pour l’Europe. À cet égard, je partage sa réflexion politique : face à ces crises, il faut non seulement répondre aux urgences, mais prendre une initiative. Tel est l’objet des discussions que nous avons avec nos partenaires les plus proches, en particulier l’Allemagne, les pays fondateurs et ceux qui attachent une grande importance au fait que l’Europe surmonte ces crises pour aller de l’avant – cette approche est sans doute un peu différente de celle de Jacques Myard. Je crois qu’il faut agir maintenant, sans attendre que les crises soient terminées. C’est pourquoi j’ai évoqué un pacte européen pour la sécurité. C’est en effet sur les réponses collectives que l’Europe doit apporter aux défis auxquels elle n’était pas préparée que nous devons bâtir une relance européenne. Bien entendu, celle-ci doit également intervenir, pour ce qui est de la zone euro, sur le plan de l’intégration économique. C’est du reste la leçon que le Président de la République a tirée de la crise grecque en appelant à un renforcement de la gouvernance, à l’institution d’une capacité budgétaire et à la création d’un Parlement de la zone euro.

J’ai répondu en grande partie aux questions de Michel Piron.

M. Hamon souhaite connaître les raisons profondes pour lesquelles nous souhaitons que les Britanniques restent dans l’Union européenne. Il les a lui-même rappelées. Outre le fait qu’il nous paraît actuellement préférable de renforcer l’unité européenne plutôt que de l’affaiblir, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne serait un signal de désagrégation. Personne ne peut mesurer les conséquences d’une telle sortie, alors que, dans d’autres parties de l’Union, le comportement de certaines autorités par rapport à des valeurs essentielles – l’État de droit ou le principe de solidarité – pose problème. Nous savons les difficultés que nous avons rencontrées lorsqu’il s’est agi de s’accorder sur une répartition solidaire des réfugiés. Que cette question donne lieu à une discussion précise, c’est normal. Mais certains États membres remettaient en cause le principe même de la solidarité, estimant qu’ils n’étaient pas concernés par les problèmes de la Grèce ou de l’Italie. En tout état de cause, il est évident qu’à tous égards, il est souhaitable de trouver un accord, et nous allons y travailler.

Quant au projet de statut de mutuelle européenne, il a été abandonné, à ce stade, par la Commission européenne, car elle a constaté qu’il ne recueillerait pas une majorité qualifiée. Quoi qu’il en soit, la France soutient depuis très longtemps ce projet, qui peut concerner également d’autres types de structures de l’économie sociale et solidaire, telles que les coopératives. Mais il faut recueillir l’accord d’une majorité d’États membres, ce qui, hélas ! n’a pas été le cas jusqu’à présent.

M. Myard a évoqué la subsidiarité. Il faut concentrer l’action de l’Union européenne sur quelques priorités, sans se mêler, en effet, de ce que les États membres peuvent très bien faire eux-mêmes au plan national. On peut donc à la fois respecter le principe de subsidiarité et faire beaucoup mieux ce que nous avons à faire ensemble, en matière économique, en matière de sécurité et, demain, de plus en plus, en matière de politique étrangère et de défense commune.

M. Savary a soulevé la question de la mise en œuvre des décisions prises. Il s’agit désormais d’une question politique en soi. Aujourd’hui, démontrer la capacité des institutions de l’Union européenne et des États membres d’appliquer ce qui a été décidé est une priorité politique, au moins en ce qui concerne la crise des réfugiés et la lutte contre le terrorisme. Nous progressons dans ce domaine, mais beaucoup trop lentement, et ce n’est pas acceptable.

S’agissant du détachement, il faut que nous travaillions sur la piste qui consiste à distinguer le détachement qui relève de la mobilité du détachement d’intérim qui consiste à abuser des différences de niveaux de salaires ou de protection sociale et qui crée effectivement un marché du travail parallèle à bas coût. Ainsi nous pourrons faire une proposition à nos partenaires et à la Commission européenne et exercer, en France même, des contrôles très stricts afin de lutter contre le dumping social.

La Présidente Danielle Auroi. Merci, Monsieur le secrétaire d’État.

La séance est levée à dix-sept heures trente.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 13 janvier 2016 à 16 h 30

Présents. - M. Christian Bataille, M. Jean-Luc Bleunven, M. Michel Destot, Mme Chantal Guittet, M. Benoît Hamon, M. Pierre Lequiller, M. Jean-Claude Mignon, M. Jacques Myard, M. René Rouquet, M. François Scellier, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle

Excusés. - Mme Nicole Ameline, M. Jean-Paul Bacquet, M. Gwenegan Bui, M. Édouard Courtial, Mme Cécile Duflot, M. Hervé Gaymard, Mme Estelle Grelier, M. Serge Janquin, M. Armand Jung, M. Patrick Lemasle, M. Bernard Lesterlin, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Patrice Martin-Lalande, M. François Rochebloine, Mme Odile Saugues