– Informations relatives à la commission
Audition de Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence Française de Développement.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Nous recevons de nouveau Mme Paugam, directrice générale de l’Agence française de développement, à un moment particulièrement important pour cette institution, le Président de la République ayant pris l’engagement avant la COP21 d’augmenter le montant des prêts consentis au titre de l’aide au développement – qui, d’ici 2020, devraient passer de 8,5 milliards à 12,5 milliards d’euros en flux annuels – et des dons, dont la hausse devrait atteindre 370 millions d’euros. Pour ce faire, le niveau actuel des fonds propres de l’AFD est insuffisant – une contrainte qui, comme nous le savons bien, résulte de son statut bancaire et a pour effet de brider son action. C’est pour remédier à ce problème que le Président de la République a annoncé le rapprochement entre l’Agence et la Caisse des dépôts et consignations, afin d’accroître la capacité d’intervention de l’AFD en lui donnant accès aux fonds de la Caisse et de lui permettre de diversifier ses compétences.
L’objectif est simple, mais sa réalisation est extrêmement compliquée et soulève une foule de questions. C’est pour y répondre qu’une mission de préfiguration a été confiée par le Président de la République à Rémi Rioux, secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères et du développement international. Ce rapport vous a été transmis avant-hier et se trouve désormais en ligne ; nous auditionnerons M. Rioux dès la semaine prochaine. Les recommandations de sa mission de préfiguration sont les suivantes : étendre le mandat de la Caisse des dépôts à la politique de développement et de solidarité internationale, intégrer l’AFD au groupe Caisse des dépôts tout en préservant son statut d’établissement public, instaurer une gouvernance croisée entre les deux institutions pour éviter de ne faire de l’Agence qu’une simple filiale de la Caisse et nouer des liens financiers entre les deux institutions ; enfin, l’État renforcera les fonds propres de l’Agence.
La Commission sera impliquée au premier chef dans ce processus, puisque c’est par un texte de loi que les missions de la Caisse des dépôts seront modifiées afin d’y inclure l’aide au développement, et que la gouvernance commune des deux institutions et les modalités du contrôle parlementaire seront définies. Je vous propose donc, madame la directrice générale, de nous faire part de votre analyse des décisions récentes concernant ce rapprochement, ainsi que de votre point de vue sur les grands enjeux de la réforme de la stratégie de développement annoncée par le Président de la République et le rôle et les priorités de l’AFD qui en découlent, avant de dresser un bref bilan des réalisations de l’AFD en 2015.
Mme Anne Paugam, directrice générale de l’Agence française de développement. Avant d’aborder le moment très important de son histoire que l’AFD traverse en effet, permettez-moi de commencer par présenter brièvement les activités que nous avons conduites en 2015 et les perspectives de notre stratégie opérationnelle pour 2016 et au-delà, qui permettront de resituer les enjeux du rapprochement avec la Caisse des dépôts, que j’aborderai dans un second temps.
En 2015, nous avons réalisé nos principaux objectifs, conformément au contrat d’objectifs et au plan d’affaires. Pour la troisième année consécutive, l’activité de l’AFD est supérieure à 8 milliards d’euros : nous avons réalisé 8,3 milliards de financements dans les États en développement et dans les outre-mer français tout en maintenant notre priorité africaine telle que le législateur l’a fixée. Sur ce total de 8,3 milliards, environ 1,5 milliard est consacré aux outre-mer et le reste aux pays en développement, dont 3,8 milliards pour l’Afrique. Il va de soi que nous avons également respecté l’objectif de concentration de l’euro du contribuable – autrement dit, les dons et bonifications – sur le continent africain et la Méditerranée.
L’année 2015 a été une année essentielle du cadrage de la politique internationale de développement durable : en juillet s’est tenue à Addis-Abeba la Conférence sur le financement du développement, puis, en septembre, le Sommet spécial sur le développement durable à New York a permis de renouveler les objectifs. Enfin, la COP21 a définitivement intégré les questions climatiques aux modèles de développement que nous cherchons à promouvoir, qu’il s’agisse de croissance économique, d’emploi ou de réduction des fractures sociales et d’intégration des sujets climatiques et environnementaux en général.
L’AFD a opéré dans les différents secteurs de ce champ des ODD qui consacre les dimensions emploi, formation professionnelle, ville durable, consommation durable, rôle du secteur privé en matière d’entreprenariat social et d’investissements sociaux ; en clair, tous les secteurs qui, avec le climat, sont au cœur de la mission de l’Agence depuis de nombreuses années déjà. Nous sommes donc déjà bien positionnés par rapport à ce nouveau cadre stratégique, notamment par rapport à d’autres bailleurs qui ont concentré leur action sur certains objectifs de développement durable seulement. Nous incarnons ce faisant une vision française de ce qu’est le développement durable.
Naturellement, nous avons participé activement à la COP21 en présentant des exemples de projets, mais aussi en déployant en amont un travail de conviction auprès d’autres bailleurs – Banque mondiale, banques régionales et autres banques bilatérales, y compris des pays du Sud – afin de partager ce modèle de projets de développement qui ont un impact positif sur le climat. Le défi était de taille ; en le relevant, nous avons apporté notre contribution au remarquable travail accompli par l’équipe France pour faire aboutir la COP21.
Venons-en à l’avenir et à 2016. Le Président de la République a annoncé des évolutions majeures de la politique de développement qui seront portées par l’AFD. En termes quantitatifs, l’objectif consiste à déployer 4 milliards d’euros supplémentaires de prêts dans les pays en développement d’ici 2020, dont la moitié dans des projets de développement ayant un impact positif sur le climat – soit une hausse de 3 à 5 milliards des financements consacrés à ce type de projets. L’activité totale de l’AFD passera ainsi de 8,3 milliards d’euros en 2015 et 9 milliards en 2016 à 12,5 milliards en 2020. À la hausse de 4 milliards des prêts s’ajoutera une augmentation de 370 millions des dons, augmentation qui débutera dès 2016 – c’est un remarquable renversement de la tendance suivie par l’enveloppe des dons, dont l’AFD se félicite.
C’est dans cette perspective que l’AFD a conduit un travail interne en lien avec ses ministères de tutelle afin d’esquisser les bases de son futur cadrage stratégique. Notre plan d’orientation stratégique et notre contrat d’objectifs et de moyens arrivent à terme à la fin 2016. Compte tenu des décisions qui ont été prises par le Président de la République et par le Gouvernement afin d’accroître l’activité de l’Agence, le moment est venu d’anticiper la mise à jour de ce cadre stratégique, et ce par étapes : le rapprochement avec la Caisse des dépôts d’abord, puis la tenue d’un comité interministériel de la coopération internationales et du développement – le CICID – et, enfin, l’élaboration d’un nouveau contrat d’objectifs et de moyens – avant la fin 2016, je l’espère. En attendant, nous avons brossé les grandes lignes de notre stratégie pour 2016, qui est la première marche du déploiement des 4 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2020.
Ces grandes lignes ne vous surprendront pas ; elles sont en cohérence avec les dispositions de la loi adoptée l’année dernière ainsi qu’avec nos priorités géographiques et thématiques.
Un objectif important est de confirmer la vocation qu’a l’AFD à agir dans l’ensemble des pays en développement tels que les définit l’OCDE. Je propose qu’elle le fasse tout en conservant la priorité qu’elle accorde à l’Afrique et à la Méditerranée, qui correspond à une priorité géostratégique se répercutant sur la répartition de l’argent public mobilisé.
Dans le champ du développement durable, l’AFD – c’est une nouveauté – est désormais compétente en matière de gouvernance, c’est-à-dire de bonne gestion publique sous toutes ses dimensions. Ce secteur était le dernier dans lequel le ministère des affaires étrangères avait conservé une compétence de financement opérationnel ; le transfert de cette compétence à l’AFD, qui est devenu effectif le 1er janvier 2016, est essentiel, car la dimension institutionnelle – qu’il s’agisse de bonne gestion publique ou de la capacité à lever des ressources nationales, un sujet largement abordé à Addis-Abeba – est une composante-clé des objectifs de développement durable.
Autre dimension que nous devrions, me semble-t-il, développer à l’avenir : la protection sociale. La demande est très forte en la matière y compris dans les pays émergents comme la Chine, et la France possède de nombreux savoir-faire dans ce domaine. Nous avons financé la mise à niveau de la protection sociale et de l’assurance maladie en Colombie ; nous pourrions répondre à d’autres demandes du même ordre qui nous parviendraient de pays de niveau de développement similaire en promouvant la convergence par le haut des normes sociales. Une telle action, qui est au cœur des missions de l’AFD, nous permettrait aussi de promouvoir une forme de compétition économique et sociale à l’opposé du dumping par le bas, dans lequel aucune de nos entreprises ne gagnerait.
Nous souhaitons également privilégier dès 2016 ce qui a trait à la lutte contre les vulnérabilités et à la réaction aux crises. Nous avons dès l’an dernier mis au point des outils nouveaux dans ce domaine et, grâce aux moyens financiers supplémentaires qui vont nous être accordés, nous espérons pouvoir agir davantage pour répondre à ce besoin stratégique.
Enfin, notre action devra continuer à concourir au rayonnement de la France tant en matière de production de connaissances, d’influence économique qu’en termes d’influence dans le concert des bailleurs de fonds. En outre, le rapprochement de l’Agence avec la Caisse des dépôts nous offrira une opportunité de travailler davantage avec les collectivités locales françaises.
Vous le constatez : ces axes, qui formeront les grandes lignes de notre stratégie en 2016 et tout au long de la montée en puissance de l’Agence, concordent parfaitement avec les dispositions de la loi, avec les ambitions présidentielles, avec le nouveau cadre général des objectifs de développement durable et avec le nouveau cadre post COP21. C’est pourquoi nous proposerons dès la semaine prochaine au conseil d’administration de l’AFD un plan d’activité pour 2016 qui se démarquera quelque peu de notre contrat d’objectifs et de moyens initial, puisque nous franchirons dès 2016 la première marche du déploiement des 4 milliards d’euros supplémentaires. Nous proposerons de réaliser en 2016 une activité globale d’un montant en hausse de 700 millions par rapport à 2015, dont 500 millions n’étaient pas prévus dans le COM. Pour 2016, notre engagement global atteindra ainsi un montant de 9 milliards d’euros. Nous bénéficierons pour ce faire de l’augmentation dès cette année de nos fonds propres, ce qui nous permettra de mieux répondre à la demande d’un certain nombre de pays dans lesquels nous sommes obligés de brider notre capacité d’intervention car nous sommes tenus par les limites réglementaires s’appliquant aux fonds propres pouvant être mobilisés par pays – et ce malgré le renforcement des fonds propres que vous aviez voté il y a deux ans, qui nous a certes permis de remonter nos financements totaux à 8,5 milliards, et de recommencer à travailler dans certains pays, mais qui ne suffit pas à nous adapter au nouveau contexte post-2015 que j’évoquais.
En 2016, cette augmentation de 700 millions d’euros sera mobilisée dans certains pays où nous étions bridés et notamment des pays du bassin méditerranéen, mais aussi dans de nouveaux pays, en Amérique latine par exemple. Cette action devra être mise en musique de manière plus précise lors des discussions concernant le prochain COM avec vous et avec le Gouvernement. Les subventions – hors ONG – atteindront un montant total de 260 millions d’euros, qui servira à continuer d’agir dans les pays pauvres prioritaires, à développer l’entreprenariat social - nous avons développé une initiative l’année dernière et nous allons pouvoir la doter d’avantage - et à doubler notre facilité d’appui aux initiatives des collectivités locales. Nous en consacrerons également 30 à 40 millions d’euros à aider les pays les moins avancés et les petits États insulaires à la mise en œuvre de leurs « contributions prévues déterminées au niveau national », les fameuses INDC dont nous avions déjà soutenu la formulation lors de la COP21. Enfin, nous interviendrons en matière de lutte contre les vulnérabilités en privilégiant trois initiatives géographiques : la première sur les réfugiés syriens et les populations hôtes dans les pays voisins de la Syrie, la deuxième sur le Sahel et la troisième sur le Lac Tchad, en particulier dans les zones affectées par Boko Haram. Il va de soi que nous mettrons en œuvre les engagements pris lors de la COP21 qui nous concernent, en commençant notamment à déployer plus de 2 milliards d’euros en faveur des énergies renouvelables en Afrique d’ici 2020 et mettre en œuvre le triplement des financements que nous consacrerons à l’adaptation, qui ira principalement à l’Afrique.
Ce cadre général étant fixé, j’en viens à la question du rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts. Précisons d’emblée que je ne vais pas commenter ici le rapport du préfigurateur, qui comme tout rapport de ce type, a vocation à éclairer des décisions et non à être appliqué tel quel. Je vais donc vous faire part de nos observations concernant les décisions qui nous ont été transmises, y compris celles qui ont fait l’objet d’une communication en Conseil des ministres la semaine dernière à l’issue d’arbitrages interministériels. Ce dont je vous parle et que je vais commenter ce sont les décisions qui ont été prises à ce stade dans le cadre de ce processus interministériel et de la communication gouvernementale.
Globalement, ces décisions ont été bien perçues à l’AFD car elles confirment la mobilisation des moyens – fonds propres, activité, moyens en dons – permettant de renforcer son cœur de mission. Le sentiment qui prévaut parmi le personnel de l’Agence est qu’il s’agit d’une marque de confiance ; le message perçu est celui de la reconnaissance du fait que l’Agence accomplit sa mission avec professionnalisme, et que cette mission est très importante pour l’action extérieure de la France. Ce changement de dimension annoncé conforte la maison dans sa mission.
Quant aux schémas de rapprochement abordés dans le rapport de préfiguration, nous avons insisté sur l’opportunité de tenir compte de plusieurs critères et objectifs essentiels, qui figurent d’ailleurs dans la lettre de mission du préfigurateur : préserver l’identité et la personnalité juridique de l’Agence, et maintenir la cohérence du groupe AFD en préservant notamment les liens humains et professionnels très étroits et les capacités d’innovation conjointes qui ont été développés avec les filiales telles que Proparco – je pense en particulier à l’entreprenariat social et au Fonds d’investissement et de soutien aux entreprises en Afrique FISEA, qui n’aurait pas vu le jour sans l’existence de ces liens. Il convient également de préserver la capacité d’action de l’Agence ainsi que sa capacité de représentation et de dialogue avec les autres bailleurs de fonds ; nous conduisons par exemple un important travail d’influence au service des objectifs de la France concernant telle et telle dimension de l’agenda de développement. Enfin, il est essentiel que la nouvelle gouvernance de l’Agence préserve un lien étroit avec l’État, car l’AFD est l’un des instruments de la politique étrangère de la France, et son lien avec l’État fonde la pertinence et la légitimité de son action.
De ce point de vue, les décisions prises sont, de notre point de vue, les plus adaptées parmi les divers schémas envisagés, parce qu’elles tiennent compte de la plupart des critères susmentionnés tout en permettant le déploiement d’un projet stratégique s’appuyant sur des synergies communes dans le champ des objectifs de développement durable, qui est désormais universel.
Il a donc été décidé que le groupe AFD serait intégré au groupe de la Caisse des dépôts tout en conservant son statut d’établissement public. En conséquence, le mandat du groupe Caisse des dépôts doit être élargi à la politique de développement et de solidarité. Le maintien du statut d’EPIC de l’AFD et de sa personnalité morale permet de préserver ses liens avec ses filiales ainsi que son périmètre économique et social, grâce auquel elle remplit ses missions, s’agissant en particulier du continuum public-privé. De surcroît, il faut noter que même les services support de l’AFD sont tournés vers la réalisation de services aux pays en développement. Nos services financiers, par exemple, structurent des produits financiers adaptés à des pays en développement en prévoyant des différés et des clauses qui correspondent à leurs besoins. Il en va de même pour les obligations climat et d’autres services : ce ne sont pas seulement les services opérationnels, mais tous les services de l’Agence qui déploient leur savoir-faire au service de sa mission. J’ajoute que le rapprochement avec la Caisse des dépôts permettra de renforcer la complémentarité de l’action des deux institutions en outre-mer.
D’autre part, le schéma choisi permet un renforcement considérable des fonds propres de l’Agence, ce qui représente un changement majeur. Dès 2016, l’État doublera ces fonds propres, et le principe – très sain, de mon point de vue – de mise en réserve ouvre des perspectives de croissance ultérieure supplémentaire, de l’ordre d’un triplement voire d’un quadruplement. Or, ce doublement des fonds propres dès 2016 nous permettra d’enclencher sans délai le déploiement des 4 milliards d’euros de prêts supplémentaires prévus d’ici 2020 ; sans cette augmentation dès 2016, nous ne pourrions le faire. Ce renforcement sera fait par l’Etat et prendra concrètement la forme d’une transformation de quasi fonds propres en fonds propres sans impact négatif sur les finances publiques.
Il est également envisagé de placer l’AFD sous supervision bancaire nationale en lui conférant un statut de société financière.
Enfin, des liens de gouvernance et des synergies opérationnelles seront établis entre l’AFD et la Caisse des dépôts. Il est notamment envisagé que la CDC consente une contribution de 500 millions d’euros à la politique de développement sous forme de fonds d’investissements en fonds propres au bénéfice des pays du Sud.
Ces décisions placent en leur cœur la mission de développement et de solidarité et font du développement durable et de la lutte contre la pauvreté un objectif central du rapprochement. Ce schéma préserve l’identité et l’autonomie de l’Agence telle qu’elle s’est constituée depuis 1941 et, du même coup, ses savoir-faire, sa culture du développement et sa capacité d’innovation et d’anticipation sur les grands enjeux du développement. Il maintient un lien avec l’État dans le cadre d’une politique régalienne en permettant à l’AFD d’inscrire son action dans les priorités de la politique étrangère de la France. En clair, c’est un schéma simple et sécurisant qui ne prévoit ni la disparition de la personnalité morale de l’Agence ni, par conséquent, la réécriture complète de son identité et de ses méthodes de travail, qu’il s’agisse de sa gouvernance, de la renégociation des conventions d’établissement dans la centaine de pays dans lesquels elle travaille – ce qui aurait entraîné de nombreuses complications – ou encore du statut de son personnel. Il ne provoque donc aucune discontinuité majeure et permet de concentrer toutes les énergies sur la montée en puissance – hausse de 4 milliards de l’activité – ainsi que sur les synergies thématiques et opérationnelles avec la CDC. En effet, il ne faut pas sous-estimer le pas stratégique majeur que nous nous apprêtons à mettre en œuvre : augmenter notre activité de 50 % tout en développant de nouvelles synergies avec la CDC exigera un investissement considérable de la part de l’Agence, qui devra d’ailleurs pour ce faire bénéficier de moyens humains supplémentaires. Nous allons pouvoir concentrer nos énergies sur ces dimensions et nous n’aurons donc pas à gérer les complexités auxquelles nous aurions pu aboutir comme par exemple si nous avions perdu la personnalité morale et dû renégocier nos conventions d’établissement. En somme, nous allons pouvoir déployer ce schéma sans tarder et dans la sérénité.
Quelles seront les prochaines étapes ? La mission de préfiguration poursuivra ses travaux sur certains aspects qui doivent être affinés en vue des arbitrages interministériels, en particulier sur les outre-mer, un domaine dans lequel nous souhaitons accroître l’activité globale issue de l’action des deux institutions, en termes quantitatifs aussi bien que qualitatifs. Ensuite, la mise en œuvre des décisions gouvernementales passera par un projet de loi dont je crois comprendre qu’il pourrait vous être soumis dans les prochains mois. Il sera suivi d’un CICID puis, pour l’AFD, de l’élaboration d’un nouveau contrat d’objectifs et de moyens.
Nous aurons à mettre en place des mécanismes de gouvernance croisée – qu’ils figurent dans le projet de loi ou non – afin de créer des liens entre les deux institutions, qu’il s’agisse par exemple de la composition du conseil d’administration de l’AFD ou de la contribution de la direction générale de l’AFD au comité de direction du groupe Caisse des dépôts. Dès lors que le cadre législatif sera fixé, nous serons prêts à travailler sur un certain nombre de synergies concrètes : le rapprochement des expertises financières et thématiques, les deux institutions possédant des compétences en matière de transition énergétique, de climat, de ville durable, de migration ou encore de numérique, par exemple. Il faudra créer des réseaux d’experts thématiques susceptibles de se concerter, de partager leurs méthodes et de capitaliser sur leurs expériences respectives afin d’éclairer mutuellement leur action. De même, le fonds d’investissement de 500 millions d’euros qui pourra être mis en œuvre par le groupe AFD, en lien avec la Caisse. Il y a aussi la mobilisation des réseaux respectifs : le réseau international de l’Agence et du réseau national de la Caisse ; j’attends beaucoup de ce processus pour développer davantage encore les relations de l’Agence avec les collectivités locales et, si son mandat le lui permet, mener une politique de développement plus ambitieuse en s’appuyant sur un réseau en régions. Il faudra conduire une politique volontariste de mobilité des agents – politique qui, aujourd’hui, est encore modeste au sein même du groupe Caisse des dépôts. Enfin, il faudra déployer une ambition commune en matière de recherche et de production de connaissances, comme c’est déjà le cas sur le climat.
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Il s’agit là d’un sujet extrêmement important qui nous occupera pendant les semaines à venir. Je vous propose de passer sans tarder aux questions des députés.
M. Michel Destot. Comme vous, madame la directrice générale, je pense que ce rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts est opportun, car il améliorerait naturellement les capacités financières, les fonds propres et donc la croissance de l’Agence, ainsi que son action en matière de prêts et de dons. Il sera également utile pour lui ouvrir l’accès au réseau des collectivités locales, même s’il faut être nuancé en la matière.
J’ai quatre questions. Premièrement, ce rapprochement est l’occasion d’ouvrir le conseil d’administration de l’AFD aux représentants des collectivités territoriales, des ONG et des entreprises. Il me semble en effet essentiel que l’on sache en toute clarté comment la future entité sera supervisée, administrée et contrôlée par son conseil.
D’autre part, comment pouvons-nous dépasser la contradiction économique et idéologique actuelle entre contrats liés et contrats non liés afin de moins pénaliser les entreprises françaises ?
Ensuite, comment articuler l’action des collectivités locales et du nouveau groupe AFD-Caisse des dépôts sachant que la Caisse est au fond l’opérateur financier des collectivités, mais – c’est la nuance que j’évoquais – au plan national seulement ? Son expérience internationale n’implique pas les collectivités. Quel équilibre faudra-t-il dès lors trouver en matière de coopération décentralisée et de valorisation de la ville durable ? Il n’existe pas tant de sujets sur lesquels la France est en pointe dans le monde ; la ville durable en est un. Étant donné l’ampleur du phénomène de l’urbanisation, nous avons la responsabilité de ne pas nous cantonner à la théorie et d’envisager comment ces enjeux peuvent donner lieu à des politiques précises et concrètes.
Enfin, comment peut-on valoriser les parcours professionnels des agents de l’AFD et de la Caisse des dépôts dans le cadre du rapprochement prévu ? À quoi ressemblerait selon vous une politique de ressources humaines commune ? Les agents de l’AFD y sont souvent entrés assez jeunes et butent aujourd’hui face à l’impossibilité d’obtenir des responsabilités plus importantes ; l’adossement à la Caisse des dépôts devrait ouvrir ces possibilités. Inversement, certains agents de la Caisse pourraient en profiter pour acquérir une expérience internationale dans le cadre des missions de l’AFD.
M. Jacques Myard. Il s’agit en effet d’un dossier important qui soulève de nombreuses questions. La mienne semblera polémique, mais je peux facilement me laisser persuader de changer d’avis : ce rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts n’est-il pas dû au fait que la France s’est engagée lors de la COP21 à alimenter des fonds consacrés aux pays en voie de développement et qu’elle essaie en conséquence de mobiliser les crédits nécessaires, d’une manière ou d’une autre ? Que je sache, en effet, la Caisse agit principalement en faveur du développement national, sous l’autorité du Parlement. Est-ce pour répondre à la nécessité de trouver les fonds promis lors de la COP21 que ce rapprochement est décidé ? Je conçois qu’il puisse permettre de favoriser les entreprises françaises via notre action de développement international, mais je m’interroge sur ce rapprochement structurel de deux mondes qui, a priori, n’étaient pas faits pour se marier.
M. François Loncle. Toutes les questions sont certes légitimes, mais le rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts est une excellente idée, au point que l’on serait même en droit de s’étonner qu’il n’ait pas été réalisé plus tôt.
La loi Canfin a regroupé une série d’opérateurs de l’expertise technique française pour donner naissance à Expertise France. Or, l’AFD consacre une enveloppe modeste au financement de l’expertise et de la coopération technique. J’ai toujours été convaincu que l’expertise est un outil essentiel au renforcement des capacités de nos partenaires et qu’elle contribue à l’influence économique de la France. De ce point de vue, l’exemple allemand me semble très révélateur : la politique de développement s’y appuie sur une agence technique et sur une agence financière. Autrement dit, il existe une coopération et des synergies étroites entre la coopération traditionnelle et l’expertise. Quelles sont donc les relations qui existent entre l’AFD et Expertise France et quelle complémentarité souhaitez-vous créer avec cette institution nouvelle afin de renforcer la politique de développement de la France et faire jeu égal avec l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore l’Italie ?
Je conclurai par un compliment : à chacune de mes visites en Afrique, je veille à me rendre au bureau de l’AFD et à l’Institut français, qui sont les deux vitrines de notre pays. La semaine dernière encore, à Abidjan, j’ai constaté que l’AFD – qui y a implanté l’un de ses principaux bureaux – y effectue un travail remarquable.
M. André Schneider. Comme M. Loncle, je siège au conseil d’administration d’Expertise France et ma question rejoint la sienne. L’AFD lui a consacré 11 millions d’euros – soit 10 % de son activité ; l’Union européenne, quant à elle, finance ses projets à hauteur de 36 millions d’euros, soit 40 % de son activité globale – c’est une véritable marque de confiance. Nous souhaiterions que le volume de projets que vous lui confiez soit du même ordre, car Expertise France a vocation à être à vos côtés l’un des piliers de notre politique de coopération. Il nous semblerait donc logique que vous puissiez, comme l’Union européenne, conduire davantage de projets en gré à gré de sorte que nous puissions devenir des concurrents d’un poids égal à nos amis allemands et britanniques.
M. Jean-Pierre Dufau. Vous nous avez expliqué combien l’année 2016 serait cruciale, puisqu’elle serait celle de la « première marche ». Nous retrouvons dans votre propos de nombreux éléments de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale que nous avons votée et qui, enfin, se concrétise. Quelles sont les parts respectives de l’action bilatérale, de l’action multilatérale, de la coopération décentralisée et de l’action des entreprises dans le cadre de la convergence des activités de développement ? Ce point pourrait-il être éclairci pour que nous cernions mieux les synergies en cours ?
D’autre part, les parlementaires, en particulier ceux qui siègent dans notre Commission, ont fait en sorte qu’en 2016, le budget de la politique de développement augmente pour la première fois depuis des années. Reconnaissons le travail que nous avons effectué en la matière – car personne ne le reconnaîtra à notre place…
Enfin, si l’année 2016 est cruciale, l’horizon 2020 l’est tout autant, en particulier pour ce qui concerne les objectifs en matière de dons, que nous approuvons et dont nous suivrons la réalisation avec vigilance. Cette mise en œuvre pluriannuelle est-elle déjà entamée ?
M. Guy-Michel Chauveau. Nous approuvons naturellement le rapprochement entre l’AFD et la Caisse des dépôts. Comme mon collègue Michel Destot, il me semble souhaitable que les collectivités, les ONG et les entreprises puissent participer au plus haut niveau à la gouvernance de l’Agence. Vous avez également insisté, madame la directrice générale, sur la perspective d’animer davantage les réseaux de l’Agence en régions. La question de la préparation des documents d’objectifs et de moyens dans les régions nous est souvent posée car elle associe non seulement les partenaires français, mais aussi ceux du pays bénéficiaire et ceux de l’Union européenne ; tout cela doit être mis en forme. Nous insistons donc pour que les collectivités françaises et étrangères puissent participer très en amont à la préparation de ces documents.
M. Thierry Mariani. Les hasards de notre ordre du jour font que nous venons, juste avant de vous entendre, madame la directrice générale, de désigner le rapporteur du projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. Que pensez-vous de ce projet et avez-vous déjà été approchée par ses promoteurs ? Comment envisagez-vous l’évolution de l’aide consacrée à la zone couverte par cette nouvelle institution ?
D’autre part, je me demande comme M. Myard pourquoi nous n’avons que maintenant cette idée de rapprochement qui semble pourtant consensuelle : ne s’agit-il pas d’un habillage visant à trouver les fonds que la France s’est engagée à verser lors de la COP21 ?
Enfin, je tiens à signaler que vos équipes sont extrêmement réactives à toutes les demandes d’information que je leur adresse concernant la zone Asie-Pacifique.
M. Serge Janquin. En dressant le bilan de l’activité de l’AFD en 2015, madame la directrice générale, vous nous avez rappelé qu’elle est fléchée en direction de l’Afrique et du bassin méditerranéen. Ces territoires nous intéressent d’autant plus qu’ils sont le théâtre de nombreux soubresauts politiques. Parmi les pays qui ont connu les « printemps arabes » sous leurs diverses formes, une démocratie – une seule – survit : la Tunisie, récompensée par un prix Nobel. Cette démocratie est pourtant bien fragile, tant en raison de facteurs externes qu’à cause de profondes inégalités territoriales. La singularité tunisienne retient-elle l’attention de l’Agence et, puisque vous avez évoqué les collectivités locales, avez-vous l’intention de conduire des actions spécifiques dans ce pays pour y corriger ces inégalités territoriales ?
Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je m’associe pleinement à cette question.
Mme Chantal Guittet. Le rapprochement de l’AFD avec la Caisse des dépôts doit permettre de dégager des moyens plus importants. Je m’interroge sur leur nature : l’action conduite en faveur du développement des pays les plus vulnérables s’accompagnera-t-elle d’une augmentation des dons, que nous avons toutes les peines à obtenir ? Je crains en effet que les prêts soient privilégiés, alors même que les pays en guerre ou en crise ont beaucoup de mal à souscrire des prêts auprès des banques, et que l’absence de dons est pour certains d’entre eux – en Afrique, en particulier – une véritable catastrophe.
D’autre part, on met souvent en avant la diplomatie économique de la France mais, selon moi, l’aide au développement est avant tout une aide destinée aux pays bénéficiaires, et non une aide au redressement économique des pays-source. Je suis parfaitement d’accord pour que l’on favorise les entreprises françaises, mais encore faut-il que ce soit dans l’intérêt du développement. L’un n’empêche pas l’autre, certes, mais il faut dépasser ce clivage.
Enfin, je suis choquée d’avoir lu dans le rapport qui nous est présenté un paragraphe mêlant crise migratoire et sécurité. L’association des migrations et des questions de sécurité me semble être un amalgame dangereux ; il aurait été plus habile de les dissocier complètement. En l’état actuel des choses, on ne saurait laisser croire que l’immigration pose nécessairement des problèmes de sécurité.
M. Jean-Paul Bacquet. Vous avez présenté cette fusion, madame la directrice générale, en évoquant avec confiance et reconnaissance l’approbation du personnel de l’AFD et la volonté de préserver l’identité et la cohérence de l’Agence. Je me réjouis de cette appréciation mais, selon les informations dont nous disposons, le sentiment du personnel de l’Agence est loin d’être celui-là ! Est-ce le signe d’une fracture entre la direction et le personnel, ou celui-ci est-il pleinement solidaire de vos propos ?
Permettez-moi ensuite de revenir sur les propos que vous avez tenus lorsque nous vous avons auditionnée en 2015. « Tout ce que l’Agence peut faire en Afrique, elle le fait. Cela signifie que l’essentiel des dons va à l’Afrique, et que nous faisons feu de tout bois pour réaliser le maximum de volume de prêts » ; tant mieux. « Le prêt n’est pas l’ennemi du don : il est bon pour les pays pouvant s’endetter de jouer à la fois sur le don et sur le prêt. Cependant, la capacité des pays à s’endetter a une limite ». Et vous poursuiviez ainsi : « Il n’y a pas de concurrence entre ce que nous faisons sur les différents continents. Aujourd’hui, la principale limite à notre activité en Afrique réside d’une part dans la taille de l’enveloppe de don, d’autre part dans la capacité d’endettement des pays concernés ». Tout le monde ici tient les mêmes propos que vous retrouverez dans les débats parlementaires sur l’attribution des dons. Vous précisiez également ceci : « Nous ne pouvons pas augmenter les volumes d’intervention concernant ces pays, du fait des limites à leur capacité d’endettement et de la stabilité de l’enveloppe de dons ». Qu’attendez-vous donc de la fusion en termes d’amélioration des dons ? Pensez-vous que la Caisse des dépôts permettra d’augmenter considérablement le volume de dons, ou qu’elle se contentera de jouer le rôle d’une banque à peine différent du vôtre ?
Vous aviez également indiqué qu’il « faut s’interroger sur la répartition de l’enveloppe entre le bilatéral et le multilatéral ». Mme Ameline connaît bien ce sujet sur lequel M. Dufau vient également de vous interroger : quelle évolution envisagez-vous en la matière ? Il existe en effet un risque réel de décrochage par rapport à l’Allemagne, où chacune des deux agences de développement, la KFW et la GIZ, peut d’ores et déjà compter sur 2 milliards d’euros, tandis que l’AFD fait tout ce qu’elle peut faire avec les 200 millions dont elle dispose. Peut-on envisager de conduire une action de développement commune avec l’Allemagne, à l’image de ce qui se fait concernant les OPEX, l’Allemagne étant de ce point de vue pleinement associée à l’action que nous menons dans des pays tels que le Mali, par exemple ?
En mars 2015, vous avez également évoqué un autre levier de développement souvent abordé ici même : la démographie. « Le Niger au premier chef, mais aussi le Mali, ou le Tchad, c’est donc potentiellement une armée de jeunes qui a besoin de s’insérer et qui cherche des perspectives » : ces propos sont toujours d’actualité, vu la misère actuelle et les migrations qu’elle suscite. « Je ne vous cacherai pas », poursuiviez-vous, « que c’est un domaine dans lequel nous avons du mal à avoir un impact. C’est un sujet sur lequel il est pourtant crucial d’agir », qu’il s’agisse de l’éducation des filles, des zones urbaines du Sahel et d’autres questions. Quelles actions l’AFD a-t-elle menées dans ce domaine depuis mars 2015, estimez-vous qu’elle ont produit des résultats et pouvons-nous espérer que la migration de la misère s’atténuera quelque peu du fait de la baisse de la croissance démographique ?
Ensuite, une partie du Fonds mondial de lutte contre le Sida est versée à la lutte contre l’ebola. Aujourd’hui, l’épidémie d’ebola semble stabilisée, même si le virus peut encore resurgir. Quel est le montant de l’enveloppe du Fonds Sida qui a été transférée au Fonds Ebola, si toutefois il y en a eu une ? Que fera-t-on de ce Fonds ? Comment envisagez-vous l’utilisation du Fonds Sida, puisque cette maladie régresse ?
Hier, j’ai pris connaissance comme mes collègues d’un rapport dénonçant l’utilisation d’enfants dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo. Vous intervenez dans ce pays : connaissiez-vous cette situation et pensez-vous qu’il faut la dénoncer ?
Enfin, l’aide au développement n’est pas incompatible avec l’amélioration de notre propre développement économique, à condition de consentir des aides liées, dont je regrette que nous ne soyons pas suffisamment convaincus de l’utilité.
M. Michel Vauzelle. La Tunisie a été abordée à juste titre ; qu’en est-il de l’Algérie, sur laquelle nous avons peu d’informations, et du Maghreb en général ?
Mme Estelle Grelier. Les réseaux de l’AFD pourraient judicieusement se lier avec Business France, une structure créée l’an dernier avec laquelle je sais que l’Agence a noué un partenariat – intéressant en principe mais insuffisant en pratique. Quels sont vos objectifs concernant le renforcement de tels partenariats, qui me semblent utiles ?
Mme Anne Paugam. Je suis très favorable, monsieur Destot, au principe de l’ouverture du conseil d’administration de l’Agence aux représentants des collectivités locales, des entreprises et des ONG. L’usage veut déjà que le président de Coordination SUD fasse partie des personnalités qualifiées, mais on peut parfaitement envisager en lien avec les ministères de tutelle que le rapprochement de l’Agence avec la Caisse des dépôts soit l’occasion d’associer de manière plus systématique et structurée des représentants de grandes fédérations de collectivités locales ou autres. Cela me semblerait même très utile, tant les collectivités locales sont des partenaires-clé de l’AFD – et sont appelées à l’être davantage encore. Quant aux entreprises, elles sont déjà représentées parmi les personnalités qualifiées. Faut-il associer des représentants d’organisations syndicales et patronales ? Sous réserve que le conseil d’administration, qui est un organe d’échange et de décision, conserve une taille raisonnable, je suis très favorable au principe de son ouverture.
S’agissant des aides liées et non liées, je rappelle que nous avons adopté une politique visant à optimiser la convergence entre les financements consacrés au développement dans le cadre d’une approche déliée – qui est souhaitée par la plupart des pays et conforme aux engagements de la France, mais qui est aussi la plus économe pour les finances publiques, car l’aide liée, à savoir la « Réserve pays émergents », la RPE, qui est gérée par le ministère des finances, consomme beaucoup plus de bonifications et coûte bien plus cher que les financements, même bonifiés, que nous déployons. Ne consentir que des aides liées nous empêcherait d’intervenir dans certains pays, compte tenu des engagements pris par la France, et coûterait très cher. Les financements que nous mettons en œuvre au service du développement le sont sous forme d’aide déliée, plus économe en termes de deniers publics, et elles sont le fruit d’un travail de concertation très approfondi avec les acteurs du réseau, les entreprises françaises, Business France ou encore les régions. Il ne s’agit évidemment pas de demander aux pays bénéficiaires d’agir dans tel ou tel domaine au motif que nos entreprises peuvent y intervenir ; nous n’agissons qu’en fonction de la demande et des besoins. En revanche, s’il nous faut choisir entre plusieurs secteurs d’intervention, nous opterons pour ceux dans lesquels nous possédons les savoir-faire nécessaires. Tout indique d’ailleurs que les entreprises françaises répondent massivement aux appels d’offres que nous finançons et que leur taux de succès, même s’il est aussi lié à leur propre compétitivité, est élevé – d’où un effet de levier supplémentaire dû au fait qu’elles remportent souvent des marchés plus importants que le volume du financement que nous accordons, puisque nous agissons dans le cadre de cofinancements qui ne sont possibles que parce que les aides en question sont déliées.
J’ajoute que s’il faut naturellement valoriser l’expertise française, qu’elle soit publique ou privée, il faut aussi et surtout qu’elle favorise le développement – car c’est le cœur de notre mission. Ne confondons pas les outils : exploitons toutes les synergies possibles avec les instruments de financement du commerce extérieur, mais n’essayons pas de tout faire avec un seul outil. Le rôle de l’AFD est de mettre en œuvre le financement du développement au service du rayonnement de la France et de ses intérêts géostratégiques en valorisant au maximum ses savoir-faire. Il existe parallèlement d’autres outils de financement de l’exportation – aides liées ou garanties de la Coface, par exemple. Nous travaillons en concertation avec ces différents instruments : nous avons ainsi conclu des partenariats avec Business France et avec BPI France.
L’exemple allemand est très à la mode. La KFW s’appuie sur deux entités distinctes : une agence de développement, qui est l’équivalent de l’AFD, mais aussi une autre entité dont le logo, le nom, le personnel sont différents : l’IPEX, qui finance les exportations, et il n’ y a aucune confusion des rôles entre ces deux entités. Il va de soi qu’à un niveau élevé de responsabilité de gestion, la coordination entre ces différents outils est tout à fait pertinente. En revanche, face à nos interlocuteurs au Maroc ou en Tunisie, par exemple, le risque de confusion des rôles est réel si les mêmes personnes proposent simultanément les deux types d’outils. Or, si la bonne articulation des différents outils est souhaitable, leur confusion serait préjudiciable. Nous avons développé de nombreux outils dans le cadre de la feuille de route sur notre contribution à l’influence économique. Dans son rapport avec le monde de l’entreprise, l’AFD a changé d’ère depuis deux ou trois ans. Il ne faut pas pour autant la confondre avec un outil de commerce extérieur.
M. Jean-Paul Bacquet. Certains de nos ambassadeurs savent agir sur les deux plans avec succès !
Mme Anne Paugam. Certes, mais leur rôle est plus étendu que celui de l’AFD.
J’en reviens aux synergies avec la Caisse des dépôts. De ce point de vue, la valorisation des parcours professionnels est une piste prometteuse. Les pyramides des âges et les cultures d’entreprise des deux institutions sont différentes. L’AFD s’est beaucoup renouvelée et emploie un personnel plus jeune que celui de la Caisse des dépôts, laquelle indique elle-même par ailleurs que la mobilité interne en son sein est faible. Nous partons donc de loin, et le rapprochement nécessitera des efforts. Je pense néanmoins que les deux parties manifesteront leur désir de créer des réseaux d’experts exerçant dans les domaines de savoir-faire communs que nous aurons identifiés – ville durable, logement social, transition énergétique, questions démographiques et autres –, les uns au niveau national, les autres au niveau international. Une fois ces réseaux constitués, il faudra fixer de manière volontariste des objectifs annuels de mobilité entre les deux institutions en ouvrant les postes correspondants au moyen de conventions ou de mises à disposition réciproques. Chacun gérera ses ressources humaines dans le cadre de cette politique commune qui, j’en suis convaincue, sera féconde, et dont j’attends beaucoup en termes de rapprochement des cultures et des savoir-faire.
Le rapprochement de l’AFD avec la Caisse des dépôts est-il motivé par la dimension financière des engagements que la France a pris – à juste titre, selon moi – pour rester à la pointe de l’agenda de développement et du climat ? La dimension financière existe en effet : la Caisse investira à hauteur de 500 millions d’euros, et la recapitalisation de l’AFD par l’État prendra la forme d’une transformation de quasi fonds propres en fonds propres. Cependant, cette dimension n’est pas primordiale ; elle est adossée à une dimension stratégique cohérente avec les objectifs de développement durable. Il existe aussi l’idée d’une forme de mise en commun des savoir-faire et des expériences, de capacité à partager une vision du développement durable. S’agissant d’Expertise France, elle a été conçue pour devenir l’opérateur spécialisé dans la mobilisation de l’expertise publique – en la mariant quand c’est utile, comme c’est souvent le cas, avec l’expertise privée – afin de répondre aux besoins des financeurs du développement, au premier rang desquels se trouve l’AFD, qui a noué avec cette institution un partenariat très étroit. Dans ce domaine, Expertise France a un boulevard devant elle, car elle peut mobiliser cette expertise non seulement avec nous, mais aussi avec de nombreux autres bailleurs de fonds : l’Union européenne, la Banque mondiale ou encore des banques régionales, par exemple. L’expertise technique, en effet, est une dimension essentielle de notre métier. De ce point de vue, le lien est évident avec les moyens que les pays peuvent consacrer en dons, car l’expertise s’appuie sur des financements soft.
Nous nous félicitons à cet égard du renversement historique de la tendance des dons, auquel les parlementaires ont pris une part déterminante. Nous allons donc pouvoir augmenter nos financements, même s’ils ne sont pas les mêmes que ceux des agences allemandes, puisque la GIZ dispose de plusieurs milliards d’euros – ce qui la place en position non seulement d’opérateur, mais aussi de financeur – et si la KFW dispose de dons nettement plus abondants que nous pour financer les études. Je rappelle que l’AFD a, lors de ma première année de mandat, créé le Financement pour l’expertise française (FEXTE), qui est l’un des outils de projection des savoir-faire français et des entreprises dans les pays émergents. Il fonctionne si bien qu’il est épuisé ; je suis actuellement en discussion avec les ministères de tutelle pour que cette ligne de financement soit renouvelée dans le cadre de l’augmentation globale des moyens en dons que vous avez approuvée. En tout état de cause, nous faisons tout ce que nous pouvons en matière de financement d’expertise. Nous avons un partenariat privilégié avec Expertise France, à qui nous pensons même pouvoir garantir par avance des cibles de financement compte tenu de son positionnement spécifique par rapport à la galaxie des autres opérateurs tels que les bureaux d’études privés, qui savent souvent marier de l’expertise publique et privée. À chaque fois que c’est utile car ils sont alors les seuls à pouvoir répondre à la demande, nous concluons des contrats en gré à gré avec Expertise France, qui sait se distinguer des autres opérateurs dans plusieurs créneaux de valeur ajoutée, même si cet univers est très concurrentiel – ce qui permet à Expertise France de répondre non seulement à nos appels d’offres, mais aussi à ceux d’autres bailleurs. Les financements consacrés aux activités que nous conduisons ensemble sont appelés à croître ; nous avons besoin de cet opérateur et souhaitons qu’il se professionnalise afin de nourrir un vivier d’expertise publique française dans tous les domaines principaux des objectifs de développement durable. Plus il sera compétent, plus nous feront appel à lui. Quoi qu’il en soit, notre collaboration avec Sébastien Mosneron-Dupin et ses équipes est excellente et recèle un potentiel très prometteur – dans les limites des financements qui nous sont alloués.
S’agissant de l’équilibre entre actions bilatérales et actions multilatérales, les annonces concernant le renforcement des moyens en prêts et en dons vont naturellement se traduire par un redressement en faveur du bilatéral.
Les collectivités locales me semblent constituer l’un des secteurs les plus prometteurs de notre rapprochement avec la Caisse des dépôts, laquelle n’a pas compétence en termes de financement de la ville durable dans les pays en développement – compétence que nous avons. Inversement, la Caisse possède une connaissance très fine – que nous n’avons pas – des savoir-faire qui existent dans le tissu des collectivités locales françaises. Certes, nous participons aux différentes instances nationales de concertation avec les collectivités et nous avons tissé des liens avec leurs principales associations, mais nous pouvons faire bien davantage et j’attends de notre rapprochement avec la Caisse qu’il nous permette d’être plus présents en régions. En outre, au-delà de la seule question des financements, il est important d’associer les collectivités en amont des réflexions thématiques. La gouvernance, par exemple, est une compétence qui vient de nous être transférée et qui couvre des questions de gestion publique relevant directement des collectivités territoriales. Dans ce domaine comme dans d’autres, il nous sera donc très utile de pouvoir puiser dans leur expérience en les consultant en amont et de manière structurée sur nos stratégies opérationnelles et sur nos interventions. Enfin, les collectivités locales des pays dans lesquels nous intervenons expriment une demande très forte de pouvoir travailler directement avec leurs homologues des collectivités territoriales françaises, avec lesquelles elles entretiennent un lien de confiance entre élus locaux. Dans ce contexte, nous devons jouer un rôle de financeur et de facilitateur. C’est l’un des domaines dans lesquels l’AFD passera d’ici 2020 dans une nouvelle dimension non seulement quantitative, mais aussi qualitative.
L’AFD a été associée via le ministère des finances aux discussions qui ont eu lieu avant même la décision qu’a prise la France de participer à la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures et d’entrer à son capital. J’y étais pour ma part favorable : cette banque allait de toute façon se créer, et il convenait de la prendre au mot quant à ses objectifs et son engagement à respecter le plus haut niveau des normes internationales en matière de diligence environnementale et sociale ou encore d’ouverture et de déliement – ce qui semble à ce stade être le cas. Mieux vaut en effet faire le pari d’y participer pour l’influencer plutôt que de laisser faire avec le risque qu’ils redéfinissent des règles du jeu unilatérales. Cela permettra en outre d’impliquer davantage la Chine dans les normes générales de l’OCDE. Nous prônons donc une stratégie de l’engagement qui semble porter ses fruits : j’ai rencontré le préfigurateur de cette institution qui souhaite vivement établir des liens techniques directs avec l’Agence, par lesquels nous pourront exercer notre influence en matière de sauvegarde environnementale et sociale, par exemple. Qu’en sera-t-il de l’évolution du volume des financements dans la zone couverte par cette banque ? Chacun devrait pouvoir y trouver sa place, tant les besoins sont importants. Certes, la Banque asiatique de développement – à laquelle la France est partie et avec laquelle l’AFD a noué un partenariat très structuré – devra faire de la place à cette nouvelle banque, mais il ne devrait se produire aucun phénomène d’exclusion, car les besoins sont supérieurs aux financements disponibles.
Nous déployons en Tunisie une action très particulière. En termes quantitatifs, nous avons atteint les limites de ce que nous pouvons faire compte tenu de nos fonds propres actuels, mais le doublement prévu en 2016 nous permettra de faire davantage encore. Sous réserve de ce que décidera le Gouvernement, nous devrions poursuivre l’augmentation du financement global accordé à ce pays. Quant à la question des inégalités territoriales qui y existent, nous avons précisément mis en place en 2015 des programmes visant à les atténuer, notamment dans des zones rurales particulièrement défavorisées comme la région de Kasserine, par exemple, où les « printemps arabes » avaient commencé suite à l’immolation d’un jeune homme. De plus, la Tunisie est l’un des pays où nous exercerons notre nouvelle compétence en matière de gestion publique en ajoutant un poste consacré à la gouvernance dans notre agence locale.
L’Algérie, en revanche, ne contracte plus d’emprunts auprès de nous depuis de nombreuses années. Nous y avons maintenu un dispositif pour achever les financements en cours en espérant que le fil du dialogue et de la demande puisse se renouer. Nous recevons des signaux positifs mais restons très prudents en espérant une éventuelle demande. Plus que le financement lui-même, c’est le véhicule du dialogue et du partenariat qui importe.
Présidence de M. Jean-Louis Destans, vice-président de la Commission.
Mme Anne Paugam. Nous venons d’adopter avec Business France un partenariat qui a permis de conduire de nombreuses actions. Je suis preneuse de vos suggestions, madame Grelier, pour améliorer davantage les choses, mais nous faisons déjà beaucoup.
Je n’ai pas d’informations précises, monsieur Bacquet, sur l’affectation de la contribution de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida. Il me semble néanmoins que dans ce domaine, nous consacrons beaucoup d’argent à l’aide multilatérale par rapport à l’aide bilatérale, bien qu’il se produise un début de redressement. La France consacre chaque année 360 millions d’euros au Fonds mondial de lutte contre le sida, soit un montant considérable par rapport à ce que l’Agence peut consacrer à la lutte contre l’épidémie d’Ebola. J’observe néanmoins un renversement de tendance concernant l’enveloppe de dons.
Vous avez parlé de « fusion », monsieur le député, alors que le Président de la République a parlé de « rapprochement » et d’intégration. Le maintien de la personnalité morale et du caractère d’EPIC de l’Agence sont des éléments essentiels à la préservation de sa capacité d’action ; je n’emploierai donc pas le terme « fusion ».
Le personnel de l’Agence s’est exprimé de façon très régulière soit par tracts publics, soit dans les instances de concertation et de consultation ; nous abordions ensemble la réforme il y a encore quelques jours en comité d’entreprise. Depuis le mois de septembre, des échanges réguliers ont lieu avec le personnel, qui est également représenté au conseil d’administration. Je ne saurais m’exprimer à sa place, mais il me semble que chacun se sent conforté par les propos que le Président de la République a tenus lors du bicentenaire de la Caisse des dépôts en plaçant explicitement notre rapprochement sous les auspices du renforcement de la politique de développement bilatérale de la France et de son outil qu’est l’AFD. C’est la preuve que ce rapprochement ne risque pas de décentrer l’AFD par rapport à son cœur de mission, par exemple comme certains ont pu le craindre, en l’encourageant à faire plus de prêts et moins de dons. Au contraire, l’augmentation des uns sera parallèle à celle des autres d’ici 2020. J’ajoute qu’ils ne proviendront pas de la Caisse des dépôts, puisque les dons et les prêts bonifiés sont issus du budget que vous votez, et que nos autres financements proviennent des emprunts que nous effectuons sur les marchés. La question a certes pu être posée par certains de savoir si le rapprochement avec la Caisse des dépôts allait faire de l’AFD non plus une banque de développement, mais une simple banque classique, ou un outil de commerce extérieur ; les annonces du Président de la République et du Gouvernement confirment clairement l’objectif initial, qui consiste à accroître la capacité de la France à agir dans le champ du développement. Que cet objectif soit fixé en 2015 ne tient pas au hasard : chacun savait qu’il s’agissait de l’année du Sommet d’Addis-Abeba, des objectifs de développement durable et de la COP21. Qui pouvait croire qu’une AFD éternellement plafonnée à 8,5 milliards d’euros d’activité permettrait à la France d’être à la hauteur de sa mission et de l’influence qu’elle entend exercer sur la marche du monde – et donc sur son propre avenir ? Il fallait évidemment trouver des solutions ; ce fut fait en décidant du renforcement des capacités de la France en matière de financement du développement. Le cœur de mission de l’Agence ne souffre donc d’aucune ambigüité – et cette assurance est très importante pour le personnel.
En m’engageant à répondre par écrit aux éventuelles questions que j’aurais omises aujourd’hui, je vous remercie pour les compliments que vous avez adressés aux équipes de l’Agence, qui y seront sensibles.
M. Jean-Louis Destans, président. Je vous remercie.
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Pérou : Examen, ouvert à la presse, du projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Pérou (n° 1533) – M. Philippe Cochet, rapporteur
Mme la présidente Elisabeth Guigou. Nous examinons, sur le rapport de M. Philippe Cochet, le projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Pérou (n° 1533)
M. Philippe Cochet. Madame la Présidente, Mes chers collègues, les autorités françaises ont fait de notre relation avec l’Amérique latine une priorité. Sans sous-estimer l’influence réelle qui reste celle des Etats-Unis et en ayant à l’esprit que nombre de pays latino-américains se tourne aujourd’hui résolument vers l’Asie, les pays européens, et parmi eux, la France, ont une carte à jouer en Amérique latine. L’influence grandissante de pays émergents tels que le Brésil et le Mexique, la richesse de la région en matières premières et la place croissante de l’Amérique latine dans l’approvisionnement du monde en hydrocarbures, en minéraux, en produits agricoles, en font un sous-continent stratégique.
Le Pérou, souvent qualifié, comme la Colombie, de néo-émergent, est un pays qui monte en Amérique latine. Économie de taille moyenne, avec un PIB de 203 milliards de dollars en 2014, le Pérou a connu une forte croissance entre 2006 et 2013 (+ 6,78 % en moyenne annuelle). Le pays bénéficie également de bons indicateurs macro-économiques (endettement et inflation limités, réserves de change, équilibre budgétaire).
L’année 2014 a coïncidé avec un net ralentissement de la croissance (+ 2,4%) du fait, entre autres, de la baisse des prix des matières premières sur le marché international. Le ralentissement économique de la Chine, premier partenaire commercial du Pérou, risque de prolonger la période de moindre croissance.
Par ailleurs, le Pérou est confronté à des défis structurels importants : narcotrafic (le Pérou est l’un des deux principaux producteurs de cocaïne au monde), carences majeures en matière d’éducation, faiblesses de l’administration de l’Etat et des territoires, marqués par une très forte corruption, multiplication des conflits sociaux et environnementaux dans les régions minières.
La double nécessité pour le Pérou de diversifier son économie et ses partenaires commerciaux, et de répondre à ces défis sociétaux expliquent peut être le regain de dynamisme de nos relations bilatérales ces dernières années.
Les relations franco-péruviennes se sont en effet particulièrement intensifiées pendant le mandat du président Humala, francophone et francophile. Sa visite officielle en France, du 14 au 16 novembre 2012, a permis de relancer la coopération bilatérale dans de nombreux domaines : universitaire, institutionnel, judiciaire, économiques et commerciaux. Cette dynamique a été prolongée par la visite du Ministre à Lima en février 2013. M. Humala a de nouveau été reçu par le Président de la République à Paris le 9 octobre 2013, puis le 1er juillet 2014. Le Président Hollande a prévu de s’y rendre en visite officielle en février prochain.
La thématique de l’environnement est centrale dans la concertation bilatérale, puisque Paris a succédé, le 30 novembre 2015, à la présidence péruvienne de la COP20, mais d’autres domaines, tels que les échanges universitaires et scientifiques, la coopération en matière de santé sont particulièrement prometteurs. La coopération en matière de défense s’est significativement développée avec notamment la signature d’un accord-cadre de défense signé à Lima en novembre 2013, la création d’un poste d’Attaché de Défense près notre ambassade à Lima en septembre 2014 et le lancement d’une coopération spatiale ambitieuse. Enfin, en matière de sécurité, notre coopération est appelée à se renforcer, en se concentrant principalement sur la lutte contre les narcotrafics.
Après ce rapide aperçu de nos relations bilatérales, j’en viens à l’objet du présent projet de loi, soit la ratification de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale signée en 2012 entre la France et le Pérou.
En réalité notre coopération judiciaire avec le Pérou est ancienne puisqu’elle remonte à la fin du XIXème siècle, mais en matière pénale, elle ne reposait sur aucun texte, mais sur le principe de réciprocité dans le cadre de la courtoisie internationale.
En dépit de l’absence d’instrument conventionnel en la matière, notre coopération judiciaire avec le Pérou a toujours été très active. Depuis 2010, les autorités judiciaires françaises ont émis 9 demandes d'entraide en matière pénale dont 5 sont encore en cours. Sur la même période, les autorités judiciaires péruviennes ont délivré 44 demandes d'entraide dont 18 sont en cours d'exécution.
Néanmoins, en 2003, dans le contexte de l’affaire « Fujimori » mettant en cause l’ancien président péruvien, les autorités péruviennes ont proposé à la France de moderniser la convention d’extradition de 1874 et de compléter le tissu conventionnel applicable entre les deux pays en suggérant également la négociation de deux autres conventions, l’une relative à l’entraide judiciaire en matière pénale et l’autre au transfèrement de personnes condamnées.
Accueillie favorablement par la partie française, cette initiative a rapidement débouché sur la tenue d’une première réunion de négociation à Lima au mois de juin 2004. Ces négociations ont abouti, le 15 novembre 2012, à la signature par le ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, et le ministre des relations extérieures du Pérou, de cette convention d’entraide judiciaire en matière pénale.
Les stipulations du texte, qui comprend 40 articles, sont largement inspirées des mécanismes de coopération qui prévalent déjà au sein de l’Union européenne et dans le cadre du Conseil de l’Europe.
Elles reprennent, pour l’essentiel, les dispositions classiques de la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale du 20 avril 1959 et de son protocole additionnel en date du 17 mars 1978.
Le champ de cette entraide a été voulu le plus large possible. Elle est notamment étendue aux hypothèses de poursuites diligentées à l’encontre d’une personne morale à l’article 1er, ce qui permettra de coopérer en présence d’hypothèses de pollutions maritimes par exemple.
L’article 2 stipule ensuite que l’entraide, à la différence de ce qui prévaut dans le domaine de l’extradition et à l’exception des mesures coercitives visées à l’article 6, est accordée même en l’absence de double incrimination.
L’article 3 vient préciser que sont en revanche exclues du champ de l’entraide, l’exécution des décisions d’arrestation et d’extradition, l’exécution des condamnations pénales, sous réserve des mesures de confiscation, et les infractions exclusivement militaires.
De même, reprenant la logique du protocole additionnel du 16 octobre 2001, le secret bancaire ne saurait s’ériger en obstacle à une demande d’entraide.
Par ailleurs, le texte vise à rendre cette coopération la plus fluide et efficace possible. Afin d’optimiser les chances de succès des demandes formulées, le texte permet à la Partie requise d’ajourner l’entraide plutôt que de la refuser, lorsqu’une réaction immédiate à la demande pourrait porter préjudice à une enquête ou à une procédure menée sur le territoire de la Partie requise.
Dans un même souci d’efficacité, si la Partie requise doit refuser l’entraide ou y surseoir, elle doit en communiquer les motifs à la Partie requérante.
Afin de faciliter l’intégration au dossier pénal de la Partie requérante des preuves qui seront obtenues l’article 5 prévoit la possibilité pour la Partie requise de réaliser les actes d’entraide sollicités selon les modalités prévues par le droit de la Partie requérante, sous réserve que les principes fondamentaux du droit de la Partie requise ne s’y opposent pas. La convention pose également, détail important, une exigence de célérité dans l’exécution des demandes.
Enfin, le texte encadre, et la France y a veillé, l’usage des informations et éléments de preuve communiqués ou obtenus en exécution de la convention. Pour l’heure, la C.N.I.L. estime que le Pérou ne dispose pas d’une législation adéquate en matière de protection des données à caractère personnel. L’article 8 permet donc de soumettre l’utilisation des données à caractère personnel transmises aux autorités péruviennes à des restrictions.
Ceci pour souligner que la signature de la présente convention devrait utilement s’accompagner d’un renforcement de notre coopération technique en matière judiciaire, afin d’accompagner le Pérou dans la mise en place de réformes de son système judiciaire.
Le système judiciaire péruvien rencontre encore d’importantes difficultés qui ne lui permettent pas toujours de garantir la protection des droits de la personne et de régler les conflits juridiques. Très faiblement présente voire totalement absente en milieu rural, la Justice n’offre pas des services de qualité notamment aux femmes et aux enfants autochtones victimes de violence.
Par ailleurs, si le pays s’est engagé dans la voie de la lutte contre l’impunité pour les violences commises sous la présidence d’Alberto Fujimori avec notamment la mise en place d’une commission vérité et réconciliation, les mesures d’indemnisation tardent à être appliquées. Enfin, l’utilisation excessive de la force par les autorités lors des manifestations et l’atteinte aux libertés fondamentales (libertés de réunion, d’association) dans les zones de conflits sociaux sont des sujets d’inquiétude, notamment dans les régions minières.
M. Ollanta Humala fait valoir la légitimité de son Plan National des Droits de l´Homme 2012-2016 qui a été adopté après consultation de plus de vingt comités regroupant des représentants de l´Etat et de la société civile. Des progrès ont été relevés dans le traitement des affaires, la réduction des délais de procédure, renforcement de la lutte contre la corruption avec la création de juges spécialisés et le renforcement des systèmes de contrôle et d’observation. La France pourrait utilement accompagner le Pérou dans ces réformes.
Pour conclure, les procédures internes requises pour l'entrée en vigueur au Pérou de la Convention sont désormais achevées. Les autorités péruviennes ont procédé à la notification requise au titre de l'article 39 de la Convention et communiqué leur instrument de ratification à l'ambassade de France à Lima au moyen d'une note verbale du 24 juin 2015. Il revient donc à la France d’approuver cet accord.
Cette convention devrait naturellement faciliter le rassemblement des preuves dans le cadre des affaires transnationales, et favoriser la conclusion des poursuites dans des délais plus satisfaisants pour l’ensemble des justiciables concernés, français et péruviens. Ces demandes concernent principalement des affaires de biens culturels, d'infractions à la législation sur les stupéfiants et des faits de blanchiment/escroquerie/association de malfaiteurs ou de vols aggravés. S'agissant des menaces transversales, depuis 2003, trois demandes d'entraide émanant des autorités péruviennes visaient des faits de terrorisme. C’est dire l’importance de disposer d’instruments juridiques pour fluidifier nos échanges et améliorer l’efficacité de notre coopération.
Au bénéfice de ces remarques, je vous invite à adopter le présent projet de loi.
Jean-Pierre Dufau. Je me félicite que la France s’intéresse à l’ensemble de l’Amérique latine. Il faut en effet renouer avec ce continent, pas seulement avec les grands pays comme le Brésil mais également avec des pays moins importants comme le Pérou.
Philippe Cochet, rapporteur. Je me réjouis de cette tendance. Le Président de la République va d’ailleurs se rendre dans cette région dans quelques jours.
Valérie Fourneyron. En Colombie, la France est le deuxième partenaire étranger en termes de création d’emplois. Quelle est la place des entreprises françaises au Pérou ?
Philippe Cochet, rapporteur. Le rapport contient des informations sur ce sujet. Il y a au Pérou 84 filiales d’entreprises françaises, principalement à Lima, ce qui représente plus de 15 000 emplois.
L’Amérique latine est effectivement peu évoquée lorsqu’il est question des exportations françaises, ce qui est une erreur.
Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 1533) sans modification.
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Informations relatives à la commission
Au cours de sa réunion du mercredi 20 janvier 2016 à 9h30, la commission des affaires étrangères a nommé :
– M. Michel Destot, rapporteur sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord portant création de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (n° 3218) ;
– Mme Chantal Guittet, rapporteure sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord relatif aux mesures du ressort de l'Etat du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (n° 3147) ;
– M. Didier Quentin, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'adhésion de la France au protocole à la convention d'Athènes de 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages (n° 2348) ;
– M. Jean-Paul Bacquet, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'amendement à la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, pris par décision II/1 adoptée dans le cadre de la deuxième réunion des Parties à la convention (n° 3148) ;
– Mme Marie-Louise Fort, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République tchèque sur la coopération dans le domaine de la protection civile, de la prévention et de la gestion des situations d'urgence (n° 2329) ;
– M. Jean-Claude Mignon, rapporteur sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant approbation du deuxième protocole d'amendement à l'accord relatif au groupe aérien européen (n° 1800) ;
– M. François Rochebloine, rapporteur sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d'Andorre relatif à la coopération transfrontalière en matière policière et douanière (n° 2815) ;
– M. François Rochebloine, rapporteur sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre relatif à la coopération technique et à l’assistance mutuelle en matière de sécurité civile (n° 2695).
La séance est levée à onze heures trente..
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Membres présents ou excusés
Commission des affaires étrangères
Réunion du mercredi 20 janvier 2016 à 9 h 30
Présents. - Mme Nicole Ameline, M. Kader Arif, M. François Asensi, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean-Paul Bacquet, M. Patrick Balkany, M. Christian Bataille, M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Gérard Charasse, M. Guy-Michel Chauveau, M. Jean-Louis Christ, M. Philippe Cochet, M. Édouard Courtial, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Cécile Duflot, M. Jean-Paul Dupré, Mme Marie-Louise Fort, Mme Valérie Fourneyron, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Marc Germain, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, Mme Estelle Grelier, M. Jean-Claude Guibal, Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Jacques Guillet, Mme Chantal Guittet, M. Benoît Hamon, M. Serge Janquin, M. Pierre-Yves Le Borgn', M. Patrick Lemasle, M. François Loncle, M. Lionnel Luca, M. Noël Mamère, Mme Marion Maréchal-Le Pen, M. Thierry Mariani, M. Jean-René Marsac, M. Alain Marsaud, M. Patrice Martin-Lalande, M. Jacques Myard, M. Axel Poniatowski, M. Didier Quentin, Mme Marie-Line Reynaud, M. François Rochebloine, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. François Scellier, M. André Schneider, M. Guy Teissier, M. Michel Terrot, M. Michel Vauzelle
Excusés. - M. Pouria Amirshahi, M. Alain Bocquet, M. Jean-Christophe Cambadélis, M. Paul Giacobbi, M. Philippe Gomes, M. Meyer Habib, Mme Françoise Imbert, M. Armand Jung, M. Pierre Lellouche, M. Bernard Lesterlin, M. Jean-Claude Mignon