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Commission des affaires étrangères

Mardi 29 mars 2016

Séance de 17 heures

Compte rendu n° 59

Présidence de Mme Elisabeth Guigou, Présidente

– Point, ouvert à la presse, sur le mécanisme de règlement des différends états-investisseurs dans les accords sur l’investissement : Mme Seybah Dagoma, rapporteure pour avis sur les crédits du commerce extérieur.

– Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l'Atlantique Nord (n° 3578) – M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur.

Point, ouvert à la presse, sur le mécanisme de règlement des différends états-investisseurs dans les accords sur l’investissement : Mme Seybah Dagoma, rapporteure pour avis sur les crédits du commerce extérieur.

La séance est ouverte à dix-sept heures.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Mes chers collègues, Seybah Dagoma a présenté le 2 février dernier, à la commission des affaires européennes, un rapport d’information sur le mécanisme de règlement des différends investisseurs-États dans les accords internationaux. Comme elle est chargée des crédits du commerce extérieur dans notre commission des affaires étrangères, elle a souhaité nous faire également un point sur ces questions, sur lesquelles nous avons déjà pris position, en particulier quand nous avions adopté en 2013 une résolution sur le mandat de négociation du Partenariat transatlantique entre l’Union européenne et les États-Unis.

La question du règlement des différends investisseurs-États, désigné souvent sous les acronymes RDIE ou ISDS en anglais, est en effet centrale dans cette négociation. Elle a suscité une large mobilisation citoyenne, justifiée par des considérations pleinement légitimes sur le droit souverain des États à adopter des réglementations d’intérêt général, la primauté des justices nationales dans les États de droit, ou encore les doutes qui existent parfois sur l’indépendance et la déontologie des arbitres privés. Cette mobilisation a conduit la Commission européenne à organiser en 2014 une consultation citoyenne, qui a suscité 150 000 réponses. Suite à cela, des recommandations ont été faites, par le gouvernement français, puis le Parlement européen, enfin la Commission européenne, pour remplacer l’arbitrage privé par un système juridictionnel public dit ICS.

La Commission a ensuite proposé aux États-Unis, à la fin de l’année dernière, d’intégrer ce nouveau dispositif au futur Partenariat transatlantique. La négociation de ce partenariat n’avance guère, nous le savons tous, et donc les négociateurs des deux bords n’ont pas encore eu l’occasion de discuter au fond de cette nouvelle proposition.

Mais il y a eu depuis lors un rebondissement dans une négociation voisine. Vous vous souvenez qu’en 2014 l’Union européenne et le Canada avaient annoncé avoir conclu un accord économique et commercial global, dit AECG ou CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), dont le texte était depuis en phase de finalisation et de peignage juridique. Nous avons appris à la fin du mois de février que les négociateurs canadiens avaient accepté, dans le cadre de cette phase de relecture, de modifier la clause de règlement des différends prévue par l’accord pour y introduire, dans le cadre bilatéral UE-Canada, un système juridictionnel de règlement des différends sur l’investissement tel que demandé par l’Union.

Les lignes ont donc bougé assez rapidement. Comme notre commission aura un jour à se prononcer sur l’accord CETA avec le Canada, ainsi que sur le Partenariat transatlantique s’il est conclu, je pense qu’il est intéressant que nous ayons un éclairage sur cette évolution.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. Le 14 juin 2013, le Conseil a adopté le mandat autorisant la Commission Européenne à négocier un Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, plus connu sous l’acronyme TAFTA ou TIPP, avec les États-Unis. Jamais, sans doute, en Europe, la perspective d’un accord de libre-échange n’aura suscité autant de réactions.

Comme vous le savez, quelques jours avant cette date, notre commission a adopté une proposition de résolution que j’ai eu l’honneur de rapporter. Celle-ci fixait quatre « lignes rouges » parmi lesquelles l’exclusion du mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et les États – l’ISDS ou le RDIE – du mandat de négociation du PTCI. À ce moment-là, ni le Sénat, ni le Parlement européen n’en avaient fait un point dur et, comme vous le savez, le gouvernement français, comme d’ailleurs les États membres, s’il a négocié avec ses partenaires pour exclure certains sujets du mandat, à commencer par l’exception culturelle, n’a pas repris à son compte, pas plus d’ailleurs qu’aucun autre État-membre, la « ligne rouge » relative au RDIE.

Il se trouve qu’à la suite d’une mobilisation de la société civile, la Commission européenne a lancé une consultation qui a recueilli plus de 150 000 réponses, dont plus de 90 % marquaient une hostilité vis-à-vis de ce mécanisme. Cela a conduit, en mai 2015, le gouvernement français à présenter des propositions pour réformer le RDIE, propositions que la Commission européenne a reprises en partie. J’y reviendrai.

Aujourd’hui, après douze cycles de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis, le PTCI continue de susciter un certain nombre de craintes, et je dois dire que ce mécanisme investisseurs-État, ISDS ou RDIE, est un sujet qui fait l’objet d’un certain nombre de contestations.

De quoi s’agit-il précisément ?

Le RDIE est un mécanisme qui ouvre à des acteurs économiques privés, des investisseurs économiques étrangers, la possibilité d’attraire un État devant une instance internationale, en pratique un tribunal arbitral, à qui il reviendra de juger si ce dernier a violé ou non des obligations internationales en matière de protection des investissements. Si tel est le cas, les compensations peuvent être extrêmement lourdes et atteindre des montants considérables.

Dans les faits, l’État choisit un arbitre, l’investisseur choisit l’autre et tous les deux s’accordent sur un troisième arbitre. La procédure s’achève par une sentence, sans appel, qui soit rejette la plainte de l’investisseur, soit lui accorde une compensation si le tribunal estime la violation du traité avérée. Il ne s’agit que de compensations. Un tribunal arbitral ne peut jamais ordonner à un État de retirer la mesure incriminée.

Ce mécanisme existe depuis très longtemps et se retrouve aujourd’hui dans la quasi-totalité des quelques 3300 traités bilatéraux d’investissement (TBI) mais également dans certains traités plurilatéraux comme l’ASEAN, le MERCOSUR, l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ou encore le Traité sur la Charte de l’énergie.

Un point important à souligner est que ces différents traités ne créent pas d’instance de règlement des différends mais renvoient l’État et l’investisseur concernés à un cadre juridique extérieur. En effet, si toutes les tentatives de multilatéraliser le droit international de l’investissement ont échoué, notamment l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI), les États ont néanmoins réussi à s’accorder pour créer, par la convention de Washington (1965), un Centre international pour la résolution des différends relatifs aux investissements (CIRDI), institutionnalisant dès lors cette justice privée que sont les tribunaux arbitraux. Cependant, il faut encore préciser que le CIRDI ne règle pas lui-même les différends. Il fournit un cadre juridique et une assistance matérielle mais le différend est réglé par un tribunal arbitral ad hoc.

Le RDIE s’est en outre développé dans un environnement particulier. En effet, après la deuxième guerre mondiale, dans un contexte marqué par la décolonisation et les antagonismes idéologiques, les investisseurs des pays développés ont dû faire face, dans les pays en voie de développement, à de multiples expropriations et nationalisations sans pouvoir bénéficier de recours judiciaires efficaces, les juridictions de ces pays n’étant souvent pas indépendantes. Face à cette situation et afin de protéger leurs investisseurs, les pays développés ont commencé à signer des TBI avec les pays en voie de développement par lesquels ces derniers s’engageaient à accorder aux investisseurs des pays développés quatre protections :

– la protection contre la discrimination ;

– la protection contre l’expropriation sans juste compensation ;

– la protection contre un traitement injuste et inéquitable ;

– la protection de la possibilité de transférer des capitaux à l’étranger.

Les TBI comprenaient également un mécanisme de RDIE permettant la mise en œuvre effective de ces protections via la saisine d’un tribunal arbitral.

Vous l’avez compris, l’objet de ces TBI était de protéger les investissements des entreprises des pays développés dans des pays en développement qui n’offraient pas de garanties suffisantes, notamment en matière d’indépendance et d’efficacité de la justice. Dans ce contexte, le recours à des tribunaux d’arbitrage indépendants des États, garants d’équité, d’efficacité et sécurité juridique pour les investisseurs, est apparu comme une solution adéquate, qui s’est d’ailleurs rapidement imposée dans les relations économiques internationales.

En conséquence, un certain nombre d’États en développements ont fait l’objet de lourdes condamnations et se sont plaints des dérives de ce dispositif que les pays développés se sont efforcés de maintenir car il protégeait leurs intérêts. Cependant, les pays développés se sont rendus compte au fil du temps qu’ils pouvaient eux-mêmes faire l’objet de condamnations et être amenés à payer de lourdes sommes.

En revanche, les investisseurs nationaux n’avaient pas accès à ce mécanisme ni à ces protections, réservés par principe aux investisseurs étrangers.

Par ailleurs, plusieurs plaintes récentes d’investisseurs contre les États ont choqué l’opinion publique. Je pense bien évidemment à l’Allemagne, avec l’affaire Vattenfall. À la suite de l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, le gouvernement allemand a décidé d’abandonner progressivement la production d’électricité d’origine nucléaire sur son territoire. L’année suivante, un investisseur suédois, Vattenfall, propriétaire de deux centrales nucléaires en Allemagne, a estimé que cette décision violait les dispositions de la charte sur l’énergie relative à la protection des investissements et a porté le différend devant un tribunal arbitral en réclamant des compensations à hauteur de 4,7 milliards d’euros.

L’autre affaire particulièrement éloquente est l’affaire Philip Morris, qui a attaqué l’Australie sur le fondement d’un traité bilatéral d’investissement conclu entre l’Australie et Hong Kong via sa filiale hongkongaise qui avait acheté des actions de sa filiale australienne après l’adoption en 2011 de la loi imposant le paquet neutre afin de lutter contre l’addiction au tabac, là aussi en réclamant plusieurs milliards de dollars.

Ces affaires emblématiques, qui sont particulièrement choquantes, mettent en évidence la crainte ressentie par l’opinion publique, que les États perdent leur droit à réguler compte tenu des risques financiers découlant de la possibilité offerte aux entreprises multinationales d’attaquer des choix politiques dictés par l’intérêt général.

Ce sentiment de dépossession au profit des arbitres s’étend au-delà de l’Europe. Des pays comme le Venezuela, l’Equateur, l’Afrique du Sud ou encore la Bolivie ont dénoncé un certain nombre de TBI et d’autres la convention de Washington. Sans aller jusque-là, des pays développés ont pu infléchir leur pratique des TBI et préconiser comme l’Australie une politique au cas par cas.

Aujourd’hui, c’est peu dire que le RDIE traverse une crise de légitimité et se voit contesté, en particulier en Europe. Les critiques qui lui sont adressées peuvent être rassemblées en trois points.

En premier lieu, le RDIE serait inutile dans le cas de TBI entre pays développés compte tenu du fait que, dans ces pays, les droits des investisseurs sont généralement protégés, en particulier contre l’expropriation, et que les juridictions sont à la fois efficaces et indépendantes.

En deuxième lieu, le RDIE ferait peser un risque majeur sur le droit à réguler des États, comme je l’ai dit, et aurait un effet de « gel réglementaire ».

Enfin, en dernier lieu, c’est le fonctionnement même du RDIE qui est critiqué. En effet, les tribunaux arbitraux, chargés de régler des différends portant sur des choix de politique publique, sont constitués non pas de juges mais d’arbitres privés, choisis et payés par les parties, qui prennent des décisions contre les États. Ces arbitres, qui peuvent être simultanément avocats, sont donc particulièrement exposés aux conflits d’intérêts. En outre, le défaut de transparence des procédures, l’imprévisibilité des résultats, le coût exorbitant, en moyenne 8 millions de dollars, et la longueur de la procédure arbitrale sont souvent dénoncés. Enfin, les sentences étant sans appel et les tribunaux arbitraux non permanents, elles exposent tant les États que les investisseurs au risque de contradiction de jurisprudence.

Ces critiques sont largement connues et nourrissent le débat actuel sur le RDIE et, en particulier, l’opposition à sa présence dans le cadre du PTCI et de l’accord économique et commercial global (AECG).

Le PTCI a été à l’origine de la plupart des critiques, mais comme vous le savez, l’accord avec le Canada comprenait également un RDIE. C’est pour cette raison qu’il y a eu un effet collatéral, alors que, de l’avis général, l’accord entre l’Union européenne et le Canada est un bon accord. J’avais présenté au début de la législature à la Commission des Affaires européennes un rapport sur l’instrument de réciprocité dans les marchés publics dans lequel je montrais que, contrairement à nous qui ouvrons nos marchés publics à hauteur de 85 %, les Américains les ouvrent à hauteur de 32 % et les Canadiens à 16 %. Avec l’AECG, ils vont désormais ouvrir les marchés publics, y compris dans les provinces. Cet accord reconnaît également 42 indications géographiques françaises.

Mais en tout état de cause, ces critiques ont été formulées. Que faut-il en penser ?

La première catégorie de critiques pose la question de la pertinence du RDIE dans les accords entre pays développés. En effet, le RDIE, ainsi qu’on l’a vu, a été institué dans le contexte d’un flux d’investissement des pays développés vers des pays en voie de développement qui, d’une manière générale, ne présentaient pas toutes les garanties d’une justice efficace et indépendante. Par conséquent, il serait parfaitement inutile dans les accords entre pays développés qui, eux, présentent de telles garanties.

Apparemment simple, cette question oblige cependant à adopter, en plus d’un point de vue européen, le point de vue des Américains et des Canadiens. En effet, lorsque j’ai rencontré ces derniers, à Paris mais également aux États-Unis et au Canada, ils m’ont tous répondu la même chose : si l’accord était conclu entre la France et le Canada ou entre la France et les États-Unis, un RDIE ne serait pas nécessaire. Or, c’est parce que ce n’est pas le cas qu’un RDIE est pertinent.

En effet, l’Union européenne n’est pas une entité homogène. Certains États-membres comme la France présentent toutes les garanties d’une justice indépendante et efficace mais ce n’est pas le cas de tous. Voilà par exemple ce que pense le département d’État américain du fonctionnement de la justice en Bulgarie, pour ne prendre qu’un seul exemple : « la corruption au sein du système judiciaire constitue un sérieux problème. Les institutions judiciaires sont aujourd’hui les moins fiables du pays, faisant face à de larges accusations de népotisme et d’opacité dans les procédures de nomination et de promotion ainsi que d’influence des milieux politiques et économiques ». Malgré les réformes décidées par le gouvernement, « leur mise en œuvre a été contrecarrée par de fortes pressions des milieux d’affaires en faveur du statu quo, les résistances internes au changement comme le manque de volonté politique pour mettre effectivement en œuvre l’indépendance de la justice. Par conséquent, la jurisprudence est incohérente et des années de procédure sont la norme. Les juridictions de Sofia sont encombrées, disposent de ressources limitées et souffrent de procédures inefficaces qui empêchent une administration rapide et efficace de la justice ».

Ces dysfonctionnements de la justice en Bulgarie, comme dans plusieurs autres États-membres, expliquent d’ailleurs largement pourquoi 83 % des différends impliquant un État-membre de l’Union européenne ont été déclenchés par un investisseur lui-même européen, généralement contre des pays d’Europe centrale et orientale, tandis que les investisseurs des Pays-Bas, du Royaume-Uni, de France, d’Italie, d’Allemagne et d’Espagne sont à l’origine, à eux seuls, de 72 % des différents impliquant un investisseur européen.

En effet, bien que la Commission européenne ait entrepris d’y mettre un terme en introduisant des recours contre cinq États-membres en juin dernier, il existe toujours des TBI intra-européens contenant des RDIE. La France a ainsi onze traités en vigueur, principalement avec des pays d’Europe de l’Est alors que les États-Unis et le Canada n’en ont respectivement que neuf et huit. En d’autres termes, sommes-nous fondés à soutenir qu’un RDIE n’est pas pertinent dans le PTCI et de l’AECG pour protéger les investisseurs américains et canadiens alors que nous-mêmes protégeons les nôtres par des TBI incluant un RDIE ?

Si l’on adopte maintenant le point de vue européen, plusieurs arguments peuvent être avancés pour justifier l’inclusion d’un RDIE dans le PTCI.

Le premier, c’est que le PTCI ne serait pas nécessairement invocable par un investisseur européen devant un tribunal américain. En effet, comme je l’explique longuement dans mon rapport, si les juges américains conditionnent l’effet direct des traités à plusieurs conditions, c’est en pratique le Sénat qui détermine, au moment de la ratification, si un traité peut être invoqué ou non par un plaignant devant une cour américaine. En l’absence de prise de position du Sénat, le juge s’appuie sur la seule intention du pouvoir exécutif américain.

Le second argument découle du caractère politisé de la justice de certains Etats fédérés américains. 90 % des juges sont en effet élus dans 38 États, dont les campagnes sont financées notamment par les entreprises. Un cas célèbre est celui de l’entreprise Massey Coal Co, un des plus gros producteurs de charbon des États-Unis, qui aurait dépensé 3 millions de dollars pour faire élire un juge à la Cour suprême de Virginie. Cette Cour a, par la suite, annulé l’amende de 50 millions de dollars à laquelle cette entreprise avait été condamnée. Le juge avait refusé de se déporter…

Ces éléments, peu connus, complexifient incontestablement la réponse à la question de la pertinence du RDIE dans l’AECG et le PTCI. Pour autant, ce n’est pas tout d’affirmer que le RDIE puisse être pertinent. Encore faut-il que les risques – réels – qu’il comporte puissent être conjurés. Or, sur ce point, il m’apparaît important de rappeler certains faits incontestables :

– bien que plus de 3 200 TBI (dont 1 400 pour les seuls États-membres de l’Union européenne) soient aujourd’hui en vigueur, on ne recense que 608 différends entre un État et un investisseur ;

– ces différends État-investisseurs concernent le plus souvent des mesures individuelles, des contrats, permis, autorisations administratives, prises par le pouvoir exécutif, et non des mesures d’ordre général comme des lois et des règlements. Ainsi, les tribunaux arbitraux ont essentiellement sanctionné des inexécutions contractuelles de la part de l’État. Les cas de saisines sur le fondement d’une législation représentent 9 % seulement de l’ensemble des sentences connues ;

– les sentences arbitrales sont, s’agissant des différends impliquant un État-membre de l’Union européenne dans le cadre du CIRDI, très largement favorables aux États, puisque 69 % d’entre elles leur donne raison contre les investisseurs ;

– enfin, s’agissant des compensations, les plus lourdes ont été versés par les pays en voie de développement ou en transition, notamment l’Argentine et l’Équateur ainsi que par la Russie et, s’agissant des Etats-membres de l’UE, par des pays d’Europe centrale et orientale pour des faits antérieurs à leur adhésion à celle-ci. Dans le cadre de l’ALENA, intéressant puisqu’il regroupe deux pays développés et un émergent, le Canada a été poursuivi 35 fois depuis 1994 et a payé environ 150 millions de dollars aux investisseurs.

En effet, les différents Etats et, en particulier, les Etats de l’Union Européenne, ne sont pas tous logés à la même enseigne. Notre pays, pour ne prendre que cet exemple, n’a été poursuivi qu’une fois sur le fondement d’un TBI, par un ressortissant turc, et jamais condamné (l’affaire est en cours), alors même que la France a signé 107 TBI, dont 96 sont en vigueur. Ce point est important. Dans un pays comme le nôtre, dont l’indépendance et l’efficacité de ses juridictions sont reconnues, pourquoi un investisseur irait-il se lancer dans une procédure arbitrale coûteuse, longue, imprévisible et susceptible de nuire à ses relations avec l’État français alors qu’il dispose, avec le Conseil d’État, d’une juridiction accessible, indépendante et efficace appliquant une jurisprudence très protectrice des droits des investisseurs ? Je rappelle d’ailleurs que la France, sans RDIE, a versé 840 millions d’euros à Ecomouv, soit sept fois plus que ce que le Canada a versé en vingt ans dans le cadre de l’ALENA. En d’autres termes, selon qu’on apprécie le risque au niveau européen ou au niveau français, la conclusion n’est pas identique.

Reste un dernier point à analyser qui est sans nul doute le plus sensible : celui de la légitimité du RDIE. Aujourd’hui, en pratique, le RDIE a la forme d’un tribunal arbitral qui, je l’ai dit, connaît de nombreux dysfonctionnements et dérives dont certaines sont à mes yeux tout à fait inacceptables et choquantes.

Une réforme du RDIE est donc nécessaire. L’AECG, tel qu’il avait d’abord été rédigé, et le PTCI présentent deux voies possibles – amélioration de l’existant ou création d’une juridiction bilatérale – mais, pour moi, seule une juridiction multilatérale est susceptible de permettre un règlement efficace et légitime des différends.

À titre liminaire, il convient de rappeler que leurs auteurs n’ayant que très exceptionnellement été, jusqu’à une période récente, défenseurs dans une procédure d’arbitrage lié à un investissement étranger, les TBI signés par les pays d’Europe de l’ouest contiennent des clauses sommaires et vagues, remontant à un modèle élaboré en 1952 par l’OCDE. L’imprécision des définitions de l’investisseur et de l’investissement, du traitement juste et équitable, l’absence de dispositions relatives à l’éthique des arbitres, à la transparence ou encore à la préservation du pouvoir de réguler des États ne peut nous laisser indifférent. J’ai eu en main l’accord de protection des investissements signé par la France avec l’Irak, récemment par voté par notre commission. Si j’avais pris part à cette délibération, je ne l’aurais pas voté. Il compte quatre pages tout compris, alors que la seule clause RDIE dans l’AECG en fait vingt-huit.

Ce que je veux mettre en évidence avec cet exemple, ce sont les améliorations apportés au RDIE par l’AECG. C’est ainsi que, dans cet accord, le droit à réguler des Etats est affirmé dès le préambule et rappelé dans les chapitres du traité concernant la régulation dans les domaines environnemental et social ; les protections dont bénéficient les investisseurs font l’objet d’une définition précise ; des secteurs sensibles ne pourront faire l’objet de plaintes d’investissement ou celles-ci seront filtrées par les Etats les arbitres seront soumis à un code de conduite ; la transparence de la procédure sera totale, etc. Ce qui est également intéressant, c’est que ces précisions ont toutes été introduites à l’initiative des Canadiens en raison de leur longue expérience du RDIE dans le cadre de l’ALENA.

Cependant, ce type d’améliorations ne peut pas écarter le débat sur le principe même du tribunal arbitral. Quelles que soient les précautions prises et les qualités personnelles des arbitres, l’opinion publique n’accepte plus les tribunaux arbitraux qui souffrent d’un défaut intrinsèque qu’aucune réforme ne pourra supprimer : une présomption de partialité, donc d’illégitimité. Or, en matière de justice, comme le rappelle régulièrement la Cour européenne des droits de l’homme, l’apparence d’impartialité est aussi importante que l’impartialité objective.

C’est dans ce contexte que, le 29 février dernier, la Commission et le gouvernement ont annoncé le changement très important obtenu dans l’AECG : le remplacement du tribunal arbitral qu’il contenait par un système juridictionnel d’Investment Court System (ICS). Il y aura deux degrés de juridiction, avec des juges nommés par les Etats et ne pouvant être avocats, ce qui répond au problème de la présomption d’illégitimité des arbitres.

Cette modification suscite pourtant des interrogations.

Les premières sont d’ordre juridique. En effet, le texte renvoie, pour les règles de procédure, à la convention de Washington. Or, aux termes de celle-ci, les sentences sont exécutoires sans appel, les seuls recours possibles étant ceux prévus par la convention. La question est donc celle de la compatibilité de celle-ci avec la possibilité de faire appel des décisions du tribunal de première instance prévue par l’ICS. Pour les professeurs de droit que j’ai interrogés, il est très difficile de ne pas voir une contradiction entre les deux. Une autre potentielle incertitude juridique que soulève la création de cette cour, comme d’ailleurs le RDIE lui-même, est sa compatibilité avec le droit européen.

Les secondes sont politiques. Cette proposition devra être acceptée par les Américains. Or, ceux-ci sont pleinement satisfaits du RDIE tel qu’il existe aujourd’hui, car ils n’ont jamais été condamnés par un tribunal arbitral, y compris dans le cadre de l’ALENA : pourquoi créer un nouveau système juridictionnel qu’ils perçoivent comme au bénéfice des investisseurs ? En outre, il convient de noter que le Partenariat transpacifique, dont les négociations viennent de s’achever, contient un RDIE sous forme arbitrale et que, comme vous le savez, les Américains sont historiquement méfiants vis-à-vis des cours internationales. Enfin, à supposer même qu’ils soient convaincus de la pertinence de cet ICS, ils ne l’accepteront qu’en échange de concessions des Européens.

Pour ma part, même si l’ICS apporte une réelle amélioration, je considère que seule une juridiction multilatérale est susceptible de permettre un règlement efficace et légitime des différends.

Je regrette aussi que ce débat n’ait pas eu lieu plus tôt au sein de l’Union Européenne. Dans le rapport que j’avais rédigé en 2013 sur le mandat de négociation du PTCI comme dans la résolution qui l’accompagnait, j’appelais le gouvernement à ne pas inclure le RDIE dans ledit mandat de négociation. À l’époque, nous n’avions pas de position européenne commune en la matière ni même commencé à réfléchir à celle-ci. Notre Assemblée n’a pas été suivie sur ce point et l’avenir dira quel sera le sort réservé à la proposition de la Commission européenne.

Mon dernier mot sera pour souligner les insuffisances de la procédure actuelle de négociation des accords de libre-échange du point de vue démocratique. L’information des parlements nationaux et des opinions est très insuffisante. L’Union européenne devrait s’inspirer du Canada qui, dans le cadre de la négociation de l’AECG, a associé les provinces tout au long des négociations, permettant ainsi de parvenir, très en amont, à un consensus. La situation est bien différente en Europe. À supposer que la mixité de l’AECG soit finalement reconnue, les parlements nationaux devront se positionner sans avoir eu accès aux informations pertinentes lors des négociations. Maintenant que ces accords de libre-échange dit de « nouvelle génération » touchent profondément à la vie de nos concitoyens, il faut vraiment changer de manière de procéder.

Elisabeth Guigou, présidente. Merci chère collègue pour cet exposé à la fois brillant, très documenté et précis qui nous permettra de mieux saisir encore les enjeux des négociations en cours.

Pierre Lellouche. Cette séance de travail est d’une extrême importance et je tiens à remercier Mme Dagoma, non seulement pour son brillant exposé, mais pour le travail de fond qu’elle effectue depuis le début de la législature sur ces sujets.

Le débat sur le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États n’est pas à négliger. Je rappelle qu’il a été particulièrement vif dans nombre de pays européens, notamment en Allemagne où il a donné lieu à des manifestations importantes et qu’il a mis en difficulté la Commissaire européenne Mme Maelstrom. Mais ce débat se concentre sur la question de la perte de souveraineté et de contrôle normatif des Etats ; or, ce que nous avons véritablement perdu, c’est le contrôle même des négociations des grands accords commerciaux.

J’ajoute que la discussion s’est focalisée sur le règlement des différends, alors que comme vous l’avez rappelé, en la matière, le droit commun veut que les conventions bilatérales s’appliquent, et que souvent les Etats ont gain de cause. J’estime pour ma part que cette focalisation sur le problème du règlement des différends nous empêche de traiter certains problèmes de fond : il ne s’agit que d’un écran de fumée utilisé par la Commission européenne.

Le premier et principal sujet est évidemment l’imperium juridique américain qui s’étend désormais à l’Europe et dont le principe d’extraterritorialité s’applique à toutes les entreprises françaises. Sur ce point le déséquilibre de puissance avec les Etats-Unis est frappant. Deuxième question de fond, l’Europe : nous avons laissé des pays tels que la Bulgarie, dont, vous l’avez rappelé, le système judiciaire est particulièrement fragile, rentrer dans l’Union européenne ; nous en payons aujourd’hui le prix. Dois-je rappeler d’ailleurs que la Chine a largement utilisé l’entrée de la Bulgarie au sein de l’Union européenne pour y installer des entreprises et s’approprier les techniques industrielles, y compris françaises. Dernière question enfin, certaines grandes entreprises américaines ne paient que très peu d’impôts en Europe.

Sans préjudice par conséquent de la qualité de l’exposé de notre collègue, je pense que le fond du sujet n’est pas véritablement traité. J’ajoute pour terminer que le niveau d’information des députés sur le cours de ces négociations commerciales se situe en deçà du niveau des provinces canadiennes que vous évoquiez.

Elisabeth Guigou, présidente. Si diversion il y a, nous ne nous y sommes pas prêtés au sein de cette commission, car nous avons créé une mission sur le sujet, à laquelle vous participez, M. Lellouche. Nous n’ignorons pas les difficultés que vous venez d’exposer, il ne s’agit pas de les occulter. Enfin, sur la transparence des négociations commerciales avec les Etats-Unis, je rejoins vos critiques, nous les avons d’ailleurs exposées récemment au négociateur américain que nous avons ensemble reçu en entretien.

M. Jacques Myard. L’exposé de la rapporteure a été particulièrement intéressant. Je me limiterai à rappeler quelques points pour une mise en perspective.

L’arbitrage a été très à la mode dans les années 1970 et 1980 et a notamment été porté par la commission des Nations unies pour le droit commercial international (CNUDCI). La Chambre de commerce et d’industrie de Paris a elle-aussi eu tendance à multiplier les arbitrages. Mais, au fil du temps, il est apparu que la question de l’exécution des sentences était difficile, et qu’il n’est parfois par aidé d’obtenir l’exequatur dans certains pays. On a donc déchanté. Néanmoins, l’arbitrage reste dans certains cas un moyen rapide de résoudre des litiges.

Le dispositif des accords français se fonde certes sur les dispositions prévues par l’OCDE dans les années 1950, mais il a été considérablement amélioré et modifié dans les années 1980, car ce qui était prévu à l’origine était squelettique. Ce ne sont cependant pas les accords les plus précis qui sont nécessairement les plus protecteurs. Certaines notions telles que celle de l’indemnisation juste et préalable renvoient à un corpus bien étayé en droit international.

C’est celui qui a été utilisé lors des nationalisations en 1981. Il n’y a pas que les traités qui puissent entraîner des charges pour les États du fait de leur législation. Le Conseil d’État a posé en droit interne le principe de la responsabilité du fait des lois en 1938 dans l’arrêt Société anonymes des produits laitiers La Fleurette.

La justice n’est pas homogène dans l’Union européenne et le degré de confiance n’est pas le même dans tous les États. Cela a été pris en compte par la cour d’appel de Montpellier qui a refusé l’exécution d’un mandat d’arrêt européen vers un pays de l’Est où les droits de la défense n’étaient pas respectés. C’est une illustration du danger de tous les mécanismes d’extradition automatique.

L’absence de transparence sur les négociations transatlantique n’est pas admissible, mais c’est aussi une conséquence du fait que les États membres n’utilisent pas leurs pouvoirs propres. C’est une question de volonté politique. Alain Juppé a une fois réussi à faire plier un négociateur européen.

Pour ce qui concerne les États-Unis, il est clair qu’ils violent le droit international public par leurs dispositions extraterritoriales. Ils vont beaucoup trop loin en matière de concurrence et de fusion, et s’arrogent une compétence juridictionnelle beaucoup trop étendue sur la base de l’usage du dollar. Mettre fin à cela exige d’aller à l’arbitrage entre États avec eux et de montrer de la détermination, du courage et de la volonté politique. Il faut savoir dire non aux demandes des organismes américains. J’ai eu à le faire par le passé vis-à-vis de la Security Exchange Commission (SEC). Les entreprises françaises condamnées au titre des dispositions extraterritoriales arbitrent en faveur du paiement des amendes plutôt que de renoncer à leur activité sur le territoire américain. Les États n’ont pas, eux, à faire de tels arbitrages, car ils doivent défendre leur souveraineté.

Mme Chantal Guittet. L’arbitrage est certainement une procédure intéressante lorsque l’on ne peut pas faire confiance à la justice d’un pays. Cependant, les arbitres viennent souvent des grands cabinets internationaux et c’est un tout petit monde dont on peut se demander en quoi il est moins illégitime que la justice. On a vu avec les commissaires aux comptes les difficultés provoquées par des conflits d’intérêt du même ordre.

Mme Seybah Dagoma, rapporteure. Les cas de figure des avocats-arbitres, des professeurs de droit qui font des notes sont parfois très choquants. C’est un dysfonctionnement majeur dans un dossier qui est éminemment complexe.

Sur la question de la transparence, il y a en effet un vrai scandale. Il faut changer de méthode.

Monsieur Myard, je vous invite à comparer l’accord entre la France et l’Irak avec celui entre l’Union européenne et le Canada.

M. Jacques Myard. Ce n’est pas parce qu’un accord est long qu’il fonctionne mieux.

Mme Seybah Dagoma. En effet, mais il contient des clauses extrêmement précises. Le cas Philip Morris n’aurait pas pu avoir lieu si nous avions été dans le cadre de l’accord entre l’Union européenne et le Canada.

S’agissant du Conseil d’Etat, vous avez raison. J’ai d’ailleurs cité l’arrêt « Fleurette ».

Comme M. Lellouche le soulignait, il y a de nombreux sujets qui méritent d’être examinés un par un. J’ai procédé à un certain nombre de mises en garde quand j’ai présenté ma proposition de résolution sur le mandat de négociation de l’accord de libre-échange avec les Etats-Unis, en mettant en avant nos intérêts offensifs et défensifs. Comme nous n’avons pas suffisamment d’informations sur la négociation en cours, nous ne savons pas ce qu’il en est véritablement, ce qui est un vrai problème.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Il est exact que beaucoup de multinationales américaines n’ont pas payé d’impôt pendant des années, mais elles ont commencé à le faire, pour des montants extrêmement importants. C’est la volonté politique de ce Gouvernement, contrairement au précédent.

Il n’y a pas d’automatisme dans le mandat d’arrêt européen. C’est une procédure plus rapide qui permet tout de même de mener un certain nombre de vérifications. Quand il s’agit de faire revenir Salah Abdeslam en France, on peut que se féliciter de ne pas avoir à recourir à la procédure classique de l’extradition.

En ce qui concerne l’extraterritorialité, c’est l’Union européenne qui en a fait usage en premier, sur des questions de concurrence. Les raisons étaient tout à fait légitimes à l’époque, car on ne pouvait pas se contenter de traiter les questions de monopole dans un cadre seulement européen.

S’agissant de l’arbitrage privé, je considère bien sûr que des mécanismes publics de justice sont nettement préférables, mais à condition qu’ils fonctionnent de manière efficace et indépendante. Dès lors que ce n’est pas le cas, nos entreprises ont intérêt à recourir à l’arbitrage privé.

Tous ces sujets se prêtent mal à la simplification et c’est d’ailleurs le mérite de la présentation de Seybah Dagoma que d’avoir souligné toute leur complexité.

M. Jacques Myard. Sur l’arrêt de la cour de Montpellier, tout le monde a été surpris du refus d’exécution du mandat européen. Si mes souvenirs sont exacts, le refus de livrer un individu à la justice d’un pays de l’Est a été fondée sur l’appréciation par cette cour de la compétence des juges étrangers, ce qui était tout de même contraire au dispositif européen. Cela renforce la thèse des Américains sur la fiabilité inégale des justices en Europe.

Concernant les questions d’extraterritorialité, il s’agissait de décisions américaines, prises aux États-Unis en matière d’antitrust, dont les effets pouvaient être ressentis dans l’espace de l’Union européenne, donc c’est un peu différent. Nous avons fait la même chose : nous avons jugé des décisions proprement américaines en matière aéronautique comme étant contraires à la libre concurrence, donc nous ne sommes pas totalement innocents. Vous avez raison de souligner l’extrême complexité de cette matière dans laquelle il y a des effets « boomerang ». La réciprocité, c’est le début de la sagesse.

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Et en matière de concurrence commerciale, les vérités sont souvent à géométrie variable et fonction de l’appréciation bien comprise des intérêts des uns et des autres.

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Examen, ouvert à la presse, du projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l'Atlantique Nord (n° 3578).

Mme la présidente Elisabeth Guigou. Nous examinons, sur le rapport de M. Guy-Michel Chauveau, le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant l'accession de la France au protocole sur le statut des quartiers généraux militaires internationaux créés en vertu du Traité de l'Atlantique Nord (n° 3578).

M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur. La réintégration par la France de la structure du commandement intégré de l’OTAN, en 2009, conduit naturellement à se poser la question de la ratification du protocole de Paris du 28 août 1952 sur le statut des quartiers militaires internationaux créés en vertu du traité de Washington du 4 avril 1949 créant l’Alliance atlantique.

Ce protocole a été une première fois ratifié par la France, le 20 janvier 1955, alors que notre pays, membre fondateur de l’Alliance, accueillait non seulement le siège de l’OTAN, mais aussi le Grand quartier général des puissances alliées en Europe (GQGPAE ou SHAPE en anglais), à Rocquencourt. À l’Assemblée nationale, le rapporteur en était le général Pierre Billotte.

Ce protocole a été dénoncé en 1966, lorsque la France a décidé, dans les circonstances historiques que nous connaissons, de quitter la structure de commandement intégrée.

Cinquante ans après, la démarche inverse s’impose.

D’une part, la pertinence de la réintégration opérée à partir de 2009 a été confirmée dès novembre 2012 par le rapport pour le Président de la République française sur « les conséquences du retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense » établi par M. Hubert Védrine, ancien ministre des affaires étrangères.

Ensuite, le protocole est un texte uniquement technique, de conséquence, dont les dispositions de type « accord de siège d’une organisation internationale » ne soulèvent pas de difficulté. Il définit le cadre juridique, fiscal et douanier du stationnement des quartiers généraux interalliés et accorde une couverture juridique administrative, douanière et fiscale à leurs personnels militaires et civils, ainsi qu’à leurs ayant droits. Il complète et précise la convention de Londres du 19 juin 1951 entre les États parties au Traité de l’Atlantique Nord sur le statut de leurs forces, dite SOFA OTAN (Status Of Force Agreement), sur le statut des forces armées d’un pays membre de l’Alliance lorsqu’elles sont déployées sur le territoire d’un autre État membre. Cette convention n’a d’ailleurs jamais été dénoncée par la France.

De plus, le Protocole de Paris n’implique aucune inflexion ni aucun infléchissement de notre position au sein de l’OTAN.

Comme l’a précisé le secrétaire d’État aux affaires étrangères, M. André Vallini, lors de l’adoption du projet de loi au Sénat, il faut se garder de donner à l’accession au protocole de Paris une portée qu’elle n’a pas.

Ainsi, le protocole de Paris ne remet en cause aucune des conditions mises à la réintégration en 2009.

Il n’implique aucun infléchissement de notre position au sein de l’OTAN où la France continuera de faire entendre la voix d’un allié « loyal, solidaire, mais indépendant ». Il n’amoindrit en aucun cas nos ambitions pour l’Europe de la défense. Il ne porte pas non plus atteinte à l’autonomie et l’indépendance de la politique de défense de la France, et ne porte non plus aucune atteinte à sa souveraineté.

L’accession au Protocole de Paris ouvre à l’opposé la perspective d’une valorisation sur notre territoire des quartiers généraux et structures militaires français.

Cela n’interviendra pas de façon automatique et directe.

Il faut, en effet, une décision spécifique conformément à l’article 14 qui prévoit que le Conseil de l’Atlantique Nord peut décider d’appliquer tout ou partie du protocole à un « quartier général militaire international ».

Certaines structures situées en France pourraient faire à l’avenir, si nécessaire, l’objet d’une décision dite « d’activation » par le Conseil de l’Atlantique Nord, à l’unanimité, si la France le demandait. En l’état, pourraient être concernés : le quartier général du Corps de réaction rapide-France (CRR-Fr), situé à Lille ; le quartier général du Corps de réaction rapide européen (CRR-E), situé à Strasbourg ; le quartier général de la force aéromaritime française de réaction rapide (FRMARFOR) ; le centre d’excellence qu’est le centre d'analyse et de simulation pour la préparation aux opérations aériennes (CASPOA), localisé à Lyon-Mont-Verdun.

Actuellement, selon les chiffres communiqués par le ministère de la défense au rapporteur du Sénat, 1 485 militaires issus de pays de l’OTAN sont affectés en France. Parmi eux, 240 seraient susceptibles de bénéficier du protocole de Paris.

Ainsi, à quelques mois du prochain sommet de l’OTAN, qui aura lieu les 8 et 9 juillet 2016 à Varsovie, la France, qui est l’un des très rares membres de l’Alliance à avoir une capacité militaire opérationnelle de premier plan, ne peut que gagner à conforter son influence au sein de l’Alliance en montrant qu’elle est prête, si nécessaire, à développer ses quartiers généraux en accueillant sur son sol des personnels des armées alliées dans les mêmes conditions que les autres États membres.

Au surplus, il faut toujours le rappeler, l’Alliance atlantique est une alliance défensive fondée sur le principe de l’assistance mutuelle en cas d’attaque armée contre un de ses membres, comme le prévoit l’article 5 du traité de 1949.

C’est dans cette perspective que doit être adopté, sans réserve, le présent projet de loi.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte le projet de loi (n° 3578) sans modification.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 29 mars 2016 à 17 heures

Présents. - M. Philippe Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Seybah Dagoma, M. Jean-Louis Destans, M. Michel Destot, M. Hervé Gaymard, M. Jean-Marc Germain, M. Jean Glavany, Mme Linda Gourjade, M. Jean-Claude Guibal, Mme Chantal Guittet, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Jean-René Marsac, M. Jacques Myard, M. Patrice Prat, Mme Marie-Line Reynaud, M. Boinali Said, Mme Odile Saugues, M. Michel Terrot

Excusés. - M. Kader Arif, M. Jean-Pierre Dufau, Mme Valérie Fourneyron, Mme Françoise Imbert, M. François Rochebloine, M. Michel Vauzelle