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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 24 juillet 2012

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 7

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

– Audition du général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre.

– Examen pour avis du projet de loi (n° 101), adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le général Ract Madoux, votre audition fait suite à celle du ministre de la défense et à celle de vos homologues des autres armées. Elle intervient à un moment où des décisions importantes ont été prises par le Président de la République, parmi lesquelles le retrait de nos troupes d’Afghanistan. Vous comprendrez que nous nous interrogions sur les conditions de leur retour et sur la période qui suivra. Même si notre pays reste présent sur certains territoires avancés, plusieurs opérations extérieures (OPEX) ont pris fin. Dans ces conditions, quels seront les enjeux pour l’armée de terre, dans les mois et les années à venir ? D’autres OPEX seront sans doute engagées mais il est trop tôt pour le dire, pour l’instant. Ce retrait aura-t-il des conséquences sur le niveau des effectifs, sur les activités, voire sur les soldes des soldats, ce qui risquerait d’affecter leur moral et celui de leurs familles ?

Pourriez-vous également évoquer pour nous le programme Scorpion, sujet largement abordé par la commission de la défense lors de la précédente législature ? Quel est ce programme ? Où en êtes-vous ? Nous aimerions également que vous nous parliez du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

M. le général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, c’est avec un grand intérêt que je saisis l’occasion qui m’est faite de pouvoir m’exprimer une nouvelle fois devant les représentants de la Nation, sur un sujet aussi important que celui de notre défense, et en particulier de l’armée de terre.

Sous l’autorité du chef d’état-major des armées (CEMA) dont je suis le conseiller pour le milieu terrestre, c’est en responsable de la préparation opérationnelle de l’armée de terre, c’est-à-dire de la mise à la disposition du CEMA de troupes entraînées, bien équipées et aptes à remplir la mission confiée, que je m’adresse à vous aujourd’hui.

Je m’efforcerai de vous exposer les caractéristiques et les enjeux d’une armée, qui n’est peut-être pas la plus simple à appréhender en raison de la multitude de facettes qu’elle offre, mais dont la force repose justement sur la diversité, la complémentarité et la polyvalence de ses composantes.

Permettez-moi tout d’abord de vous présenter cette armée de terre de 2012, une armée façonnée par le Livre blanc de 2008 et par l’actuelle loi de programmation militaire.

Profondément restructurée par les réformes engagées depuis 2008, il s’agit d’une armée dorénavant rationalisée et ramassée sur ses seules forces de combat. En raison des transferts et suppressions de postes réalisés, elle a franchi à la baisse, cette année, le seuil symbolique des 100 000 militaires et 10 000 civils, c’est-à-dire peu ou prou les effectifs déployés par les forces d’autodéfense japonaises lors de la catastrophe de Fukushima. Permettez-moi de souligner le fait que nous sommes déjà à un minimum historique pour l’armée française et qu’en 2015, le « cœur projetable de l’armée de terre » ne s’élèvera qu’à un peu plus de 70 000 hommes. Parallèlement, de nombreux « terriens » servent en dehors de l’armée de terre, notamment au sein des états-majors et services interarmées, au sein de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris ou des unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile.

Il y a donc deux périmètres : celui du personnel appartenant à l’armée de terre au sens large, et qui dépend du chef d’état-major de l’armée de terre pour un certain nombre de domaines, notamment tout ce qui touche à la carrière, à la discipline, au statut, à l’avancement, aux récompenses, etc. ; ensuite celui des militaires de l’armée de terre, qui sont sous mes ordres et qui constituent l’armée de terre d’aujourd’hui – moins de 100 000 hommes, dont 70 000 projetables à l’horizon 2015.

Les forces terrestres s’articulent autour de huit brigades interarmes à vocations différentes – deux brigades dédiées à l’engagement d’urgence (les parachutistes et la brigade alpine), quatre brigades multirôles et deux brigades de décision, les plus fortement équipées, disposant notamment de chars Leclerc. Il faut y ajouter trois brigades spécialisées – dans le renseignement, les transmissions et la logistique – ainsi qu’une brigade de forces spéciales, la brigade franco-allemande et des régiments d’hélicoptères.

Chacune de ces brigades est composée de quelques régiments, qui sont les unités opérationnelles de référence, et dont les capacités sont en rapport avec leur vocation – aux chars, la décision et aux parachutistes, l’intervention d’urgence pour prendre les deux extrémités du spectre. La brigade interarmes est ainsi l’échelon de commandement qui assure la cohérence de l’entraînement et de l’engagement interarmes en opérations. C’est ce dispositif qui permet la polyvalence de l’armée de terre.

Dans ce modèle d’organisation, le régiment joue un rôle déterminant. Organisme clef de l’entraînement au quotidien, fort de 800 à 900 hommes, il en est le cœur et le creuset de la cohésion – c’est en effet de lui que vient l’expression « esprit de corps ». Répartis au sein de différents domaines de spécialités tels que l’infanterie, la cavalerie blindée, l’artillerie, le génie, mais également la défense nucléaire-bactériologique et chimique, la guerre électronique et d’autres encore, 82 régiments constituent aujourd’hui l’ossature de l’année de terre – contre 229 en 1989 !

Aujourd’hui, c’est cet échelon régimentaire qui subit de plein fouet la réforme du soutien interarmées et la mise en place des bases de défense. Cette lourde réforme, qui a vu ces unités perdre leurs repères, nécessitera encore du temps et certainement quelques adaptations pour se stabiliser, atteindre ses objectifs et trouver son rythme de croisière. En deux mots, auparavant, les régiments constituaient des entités autonomes disposant de la plénitude des capacités. Depuis cette réforme, toute la partie du soutien et de l’administration a été retirée des régiments et regroupée dans les bases de défense pour offrir un soutien mutualisé, générant bien sûr des économies, mais créant malheureusement, dans bien des cas, une certaine distance entre les organismes de soutien et le personnel administré et soutenu.

L’armée de terre est ainsi une véritable « boîte à outils », dont sont extraits les modules qui, combinés, permettent de répondre de manière adaptée, avec souplesse et réactivité, aux missions et opérations demandées, en tenant compte à la fois des spécificités du terrain et de la dangerosité de l’adversaire, mais également de l’effet recherché. Ce qui caractérise l’armée de terre dans l’essentiel de ses missions, c’est qu’elle s’engage, en règle générale, face à un adversaire identifié, au contact duquel elle reste dans la durée. L’armée de terre est ainsi capable de combattre durement lorsque cela est nécessaire, mais aussi d’œuvrer, dans les situations de crise, au retour vers la normalité, que ce soit en opérations extérieures comme sur le territoire national.

Certes, la loi des nombres, celle des effectifs, peut effrayer ou interroger. Il me semble pour autant que la question de ces volumes d’hommes ou de matériels, auxquels sont inévitablement attachées des masses financières importantes, mérite d’être relativisée. L’armée de terre est en effet une armée dont les coûts restent modérés.

Le premier de ses budgets est, bien évidemment celui de sa masse salariale. Les 6,3 milliards d’euros du titre 2, pensions comprises, masquent le fait qu’avec 45 % des effectifs militaires du ministère, le budget opérationnel de programme (BOP) de l’armée de terre ne représente en fait que 29 % de la masse salariale du ministère. Cela s’explique par le fait que l’armée de terre est constituée à 72 % de contractuels, proportion bien supérieure à la moyenne des armées et de la fonction publique, et que 44 % de ses militaires du rang sont concernés par les mesures dites « bas salaires » mises en œuvre depuis plusieurs années dans la fonction publique.

Dans le domaine des équipements, la part de l’armée de terre est également limitée, dans la mesure où elle représente à peine 20 % du programme 146 « Équipement des forces » des armées. Il en est de même des ressources attribuées à l’entretien programmé de ses matériels, qui sont d’ailleurs notablement inférieures à ses besoins, et ne représentent que 19 % du budget dédié à l’entretien programmé des matériels des armées, hélicoptères compris. Je tiens donc à insister sur le fait que le montant des crédits affectés à l’armée de terre depuis des années est modeste, voire insuffisant.

J’en viens maintenant aux engagements et aux opérations de l’armée de terre.

Dimensionnée à mon sens au plus juste, le dernier rapport d’information de la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat évoquant même un format d’armées « juste insuffisant », l’armée de terre n’en reste pas moins une armée cohérente et efficace, capable de peser dans une coalition et d’honorer ses contrats opérationnels, à la réserve près, il faut le reconnaître, de sa capacité à soutenir dans la durée ses contrats les plus exigeants.

Les opérations menées au cours des années passées attestent de cette efficacité. À cet égard, 2011 a été une année « emblématique » au cours de laquelle l’armée de terre a eu à prendre part, quasiment simultanément et de manière déterminante, à trois opérations de guerre, en République de Côte d’Ivoire, en Libye et en Afghanistan, tout en poursuivant ses missions sur le territoire national ou sur d’autres théâtres d’opérations, comme au Liban ou au Kosovo, sans compter bien sûr l’Afrique.

Cette efficacité remarquée par nos concitoyens, par nos dirigeants politiques mais également par nos alliés, est le fruit d’un remarquable système de formation et d’entraînement préservé des profondes restructurations menées depuis 2008 et qui, conjugué à la valeur de son encadrement, a permis à l’armée de terre de demeurer un outil de combat moderne, polyvalent et cohérent, apte à répondre aux missions qui lui ont été fixées par le Livre blanc. Peu de pays ont encore une armée de terre capable de répondre ainsi à l’ensemble du spectre des opérations. La France en fait partie. Je pense qu’il s’agit là d’une expression concrète de son ambition et un gage de sa crédibilité internationale, comme a pu vous le rappeler le chef d’état-major des armées.

Actuellement, près de 5 500 soldats de l’armée de terre sont engagés en opérations extérieures. Leur nombre se réduira d’ici à la fin de l’année, conformément aux décisions prises par le Président de la République. Pour autant, la part de l’armée de terre dans les opérations continuera invariablement à représenter près de 80 % des militaires français engagés en opérations. Cette proportion n’est pas surprenante. Elle est même naturelle dans la mesure où toute crise commence et se termine au sol. Et c’est bien là où vit l’homme que se déclenche la guerre et se gagne la paix.

J’ajouterai qu’en tenant compte des forces de présence et de souveraineté, des effectifs déployés sur le territoire national, comme, par exemple, au sein des missions Vigipirate – nous y contribuons à hauteur de 90 % –, ou Harpie en Guyane, aux côtés de la gendarmerie nationale, ainsi que des unités en alerte, l’armée de terre dispose, au quotidien, de 19 500 hommes en posture opérationnelle.

Le deuxième aspect de ce volet « engagement » est le devoir, pour les armées, d’être capables de répondre aux exigences du territoire national. Cette mission est incontournable. Nos concitoyens ne comprendraient pas que les armées ne soient pas présentes lorsqu’ils ont besoin d’elles. Notre territoire national joue, du reste, un rôle important dans les missions de l’armée de terre puisqu’il est aujourd’hui, après l’Afghanistan, le deuxième « théâtre d’opérations » en termes d’effectifs déployés – près de 1 700 hommes.

La mort en service de deux de nos camarades en Guyane remet d’ailleurs au cœur de l’actualité la question essentielle du cadre juridique d’emploi des soldats sur le territoire national ainsi que celle de leurs droits en cas de décès au cours d’une mission intérieure, droits aujourd’hui trop différents de ceux dont bénéficient gendarmes et pompiers militaires. Cela d’autant que l’armée de terre possède de solides atouts pour intervenir en France, notamment grâce à la polyvalence et à la réversibilité de ses moyens. Elle peut aussi mettre en avant son aptitude à durer dans un environnement dégradé, atout que lui permettent un format significatif de forces et une capacité constante d’adaptation au milieu, voire à l’adversaire. Par son action au cœur des populations, l’armée de terre peut donc contribuer de manière décisive au retour à la normalité.

Elle entretient un régime d’alerte de ses unités qui doit lui permettre de répondre aux exigences du contrat de 10 000 hommes fixé par le Livre blanc de 2008, en renfort du dispositif de sécurité publique et de sécurité civile. Mais il faut être clair : ce contrat n’aurait, à l’échelle de notre pays, qu’un impact limité en cas de catastrophe majeure. L’armée de terre serait donc prête, si le besoin s’en faisait sentir, à mettre en œuvre la totalité de ses moyens, hommes et matériels, dont l’efficacité serait proportionnelle au volume engagé. Sans revenir aux 100 000 hommes de Fukushima, je rappellerai que 70 000 soldats ont été engagés aux États-Unis après l’ouragan Katrina et 40 000 en Allemagne après les crues de l’Elbe, sans oublier ceux qui l’ont été après les tremblements de terre en Italie.

Plus proche de nous, je voudrais également évoquer le recours en urgence à 3 500 soldats britanniques, auxquels s’ajoutent 2 000 autres soldats placés en alerte, pour pallier la déficience de G4S, l’un des leaders mondiaux de la sécurité, dans la protection des Jeux olympiques de Londres. Ce fiasco illustre les limites de l’externalisation à outrance de la fonction sécurité, tout comme la réactivité et la faculté d’adaptation des unités militaires aux situations atypiques. 17 000 militaires britanniques devraient ainsi concourir à la sécurité des jeux, auxquels s’ajouteront les 600 soldats français de l’armée de terre en alerte de déploiement opérationnel en France, ainsi que leurs camarades de la marine et de la gendarmerie.

Je ne saurais omettre enfin, dans cette question du territoire national, le rôle majeur que joue l’armée de terre dans le lien armée-Nation, à la fois par le nombre de jeunes qui, chaque année, y trouvent un emploi, mais également grâce au formidable outil d’insertion et d’intégration qu’elle représente.

Dans une troisième et dernière partie, je terminerai en évoquant les enjeux auxquels l’armée de terre devra faire face, à court et moyen termes, dans un contexte de contraintes financières particulièrement difficile.

Le premier enjeu sera d’assurer à ses unités un niveau de préparation opérationnelle minimum. En effet, l’armée de terre ne dispose plus totalement des ressources nécessaires à une préparation opérationnelle de qualité. Le réalisme l’avait conduite à accepter une dégradation des conditions d’entraînement en ramenant l’objectif des 150 jours de préparation opérationnelle, fixés par la loi de programmation militaire, à 120 jours. Pourtant, avec 111 jours en 2012, voire moins à l’avenir, je pense que l’armée de terre est passée en dessous d’un seuil plancher qui fait peser un risque sur la préparation opérationnelle, la réussite de la mission et donc sur la vie de nos soldats. L’armée de terre a ainsi été contrainte de mettre en œuvre une préparation opérationnelle différenciée, afin de rationaliser ses moyens et préparer au mieux les unités projetées sur les théâtres d’opérations les plus exigeants.

De fait, contrairement aux idées reçues, le métier de soldat n’est pas simple. Le service de matériels de dernière génération, à l’image du système FÉLIN (fantassin à équipement et liaisons intégrées), et la complexité croissante des opérations terrestres induisent un apprentissage initial conséquent puis un entretien complet, progressif et cohérent de savoir-faire techniques et tactiques en constante évolution. Cette exigence doit permettre de réduire au maximum les risques encourus en opération. La combinaison des moyens interarmes est aussi un art complexe, auquel nos cadres doivent se préparer et s’entraîner.

Le mouvement de désengagement des opérations, notamment d’Afghanistan, rend encore plus prégnante la nécessité d’apporter une réponse adaptée à cette problématique essentielle. C’est bien en ce sens que j’ai souhaité capitaliser sur les infrastructures militaires des départements et collectivités d’outre-mer afin d’entretenir une formidable culture de projection, tout en renforçant les capacités d’intervention de l’armée de terre.

Le deuxième enjeu important pour l’armée de terre concerne le renouvellement de ses matériels. La loi de programmation militaire et le plan de relance de l’économie ont permis d’accélérer depuis 2009 le renouvellement d’une partie des matériels de troisième génération et de rattraper les retards pris lors de la loi de programmation militaire précédente. Cet effort a concerné, entre autres, le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), le petit véhicule protégé (PVP), le véhicule blindé hautement protégé Aravis, l’hélicoptère Tigre et, tout dernièrement, l’hélicoptère de transport NH90 Caïman. Pourtant, bien que la réorganisation initiée en 2008 soit maintenant achevée, le renouvellement complet des équipements de l’armée de terre reste à poursuivre.

L’armée de terre se trouve ainsi dans une situation paradoxale dans laquelle sa cohérence est mise à mal par la coexistence de matériels les plus modernes et d’autres obsolescents. Elle se voit donc opposer la double contrainte du maintien en service de matériels d’ancienne génération dont le coût d’entretien est de plus en plus élevé, et de la prise en compte de matériels de dernière génération, dont la technologie est malheureusement coûteuse.

Tout le défi réside donc dans la poursuite du renouvellement des équipements majeurs, principalement dans le cadre du programme Scorpion. Celui-ci vise à remplacer, notamment, les engins de la classe 20 tonnes, les plus utilisés en opérations depuis quarante ans : véhicule blindé multirôles (VBMR) à la place des vénérables véhicules de l’avant blindé (VAB) et engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) en lieu et place des AMX 10RC et ERC 90 Sagaie. Ce besoin de modernité et de cohérence est essentiel à la capacité opérationnelle future de l’armée de terre. Il faut cependant noter que ce programme repose sur une démarche globale de rationalisation, dans le respect du principe de juste suffisance technologique et de maîtrise des coûts de possession de ces futurs matériels. C’est là un point absolument majeur du programme Scorpion. D’autres renouvellements s’avèrent également indispensables. Ainsi l’armée de terre éprouve-t-elle un vif intérêt pour le projet Watchkeeper qui permettrait un remplacement rapide des systèmes de drone tactique intérimaire (SDTI) qui viennent juste de rentrer d’Afghanistan et des synergies certaines avec nos camarades britanniques. Le projet d’une unité commune est à l’étude.

Le dernier enjeu est celui du long terme : pouvoir répondre, quelles que soient les circonstances, tant aux « guerres choisies » qu’aux « guerres ou crises subies ».

Le monde d’aujourd’hui est incertain, en tout cas, bien plus que les experts avaient pu le prévoir à la disparition du pacte de Varsovie.

Le recours aux forces armées depuis 1990 est une constante. Mais il est important de souligner que les engagements auxquels la France a pris part ont tous relevé de la catégorie des « guerres choisies », que ce soit dans le cadre d’engagements nationaux, en coalition ou sous l’égide de la communauté internationale. Les contributions faisant l’objet de négociations internationales, les armées n’ont jamais fait défaut, l’ampleur de leur engagement étant proportionnée au niveau de la volonté politique.

Le vrai défi réside donc davantage aujourd’hui dans la capacité des armées à répondre à la mise en cause de nos intérêts dans le cadre de « guerres ou crises subies ». La réponse devrait alors être nécessairement adaptée à la menace. Elle serait bien plus contraignante, ne laissant pas le choix des armes. Nous ne pourrions alors mettre en œuvre que les seuls moyens disponibles. Or les contraintes budgétaires successives ont peu à peu rendu difficiles l’exécution et le soutien de certains de ces contrats opérationnels, notamment dans la durée, ainsi que leur simultanéité. Certains domaines de spécialités sont aujourd’hui à un niveau plancher et ne pourront supporter de nouvelles réductions, sauf à imposer d’abandonner lesdites capacités. Cela aurait pour conséquence de fragiliser la cohérence de l’ensemble des forces terrestres et d’hypothéquer leur efficacité et leurs capacités d’action. À titre d’exemple, nous ne disposons plus que d’un unique régiment dans de nombreuses spécialités : drones, lance-roquettes unitaire, artillerie sol-air, franchissement, armes NBC (nucléaires, bactériologiques et chimiques), etc.

Les récentes opérations ont d’ailleurs montré la sagesse d’avoir su conserver toutes ces capacités et savoir-faire alors que certaines d’entre elles ont pu paraître, un temps, inutiles ou dépassées. Je pourrais ainsi évoquer le rôle déterminant de l’artillerie en Afghanistan, alors que le dernier coup de canon remontait à 1995 lorsqu’il fallut desserrer l’étau de Sarajevo. Le cas de l’hélicoptère d’attaque est encore plus frappant puisque, avant l’opération Harmattan où il fit des merveilles, son dernier emploi remontait à la guerre du Golfe. Cette démonstration est valable pour d’autres matériels comme le char de bataille, utilisé dans le Golfe, au Kosovo et au Liban et appelle à la plus grande prudence sur les choix d’avenir.

Pour conclure, je voudrais rappeler que les forces terrestres, impliquées tout à la fois dans la projection de force et la projection de puissance, s’inscrivent véritablement au cœur de l’outil de défense et expriment mieux que quiconque la détermination de la Nation.

Cela m’amène à revenir sur ce qui est l’essence même de l’armée de terre, à savoir l’Homme sur lequel repose en premier lieu sa capacité opérationnelle. Je voudrais ainsi rendre devant vous un hommage appuyé au dynamisme, à l’enthousiasme et à l’esprit d’innovation et d’adaptation dont font preuve au quotidien ces jeunes qui ont choisi de servir notre pays en allant parfois jusqu’au sacrifice de leur vie. Je tiens à témoigner de la résistance exceptionnelle de nos soldats à la douleur, à la fois dans l’engagement et dans la perte de camarades, à souligner la détermination de nos blessés qui se battent, sans amertume ni animosité, pour retrouver leur place parmi les leurs et, enfin, à saluer le courage de nos familles qui ont été soumises à rude épreuve au cours de ces dernières années ainsi que de la dignité de celles qui ont perdu un proche. Je me permets d’ajouter que cette admiration est partagée par les deux derniers Présidents de la République et ministres de la défense que j’ai eu l’honneur d’accompagner dans les contacts avec les familles de tués et les blessés. Nous pouvons tous en être extrêmement fiers. Et je souhaite que vous puissiez rencontrer tous ces hommes et femmes qui composent l’armée de terre, car c’est à leur contact que vous appréhenderez le mieux les réalités de notre armée.

Vous avez d’ailleurs souhaité, madame la présidente, que les membres de la commission puissent s’immerger le plus rapidement possible au sein des différentes armées. J’espère pouvoir vous proposer de nouer les premiers contacts avec l’armée de terre, quelques jours après les universités d’été de la Défense, dans le sud de la France. Il s’agirait d’une activité organisée par l’armée de l’air et l’armée de terre entre Istres et Carpiagne, les 17 et 18 septembre. Vous serez invités à passer la journée du 17 avec l’armée de l’air, et une partie de la journée du 18 avec l’armée de terre à Carpiagne. J’essaierai également de vous proposer durant l’automne une date pour vous présenter de façon un peu plus concrète le programme Scorpion et le Centre d’entraînement aux actions en zone urbaine (CENZUB) de Sissonne, une des fiertés de l’armée française, que beaucoup nous envient. Je ne serai malheureusement pas avec vous à Carpiagne le 18 septembre, du fait d’une mission en Amérique latine, mais je suis sûr que le commandant des forces terrestres saura répondre à vos attentes.

M. Joaquim Pueyo. Mon général, lors de votre exposé, vous avez exprimé vos inquiétudes s’agissant des moyens et des effectifs de l’armée de terre. À plusieurs reprises, vous avez fait allusion à d’éventuelles insuffisances. Le retour d’Afghanistan va-t-il induire une présence plus marquée de l’armée de terre dans ses missions intérieures ? Je m’interroge également sur l’attractivité de l’armée de terre pour les jeunes recrues : êtes-vous en mesure de leur présenter un déroulement de carrière conforme à leurs attentes ?

Par ailleurs, vous avez parlé plusieurs fois des équipements de haut niveau. Pouvez-vous nous dresser un premier bilan, à la suite des livraisons à l’aviation légère de l’armée de terre (ALAT) de l’hélicoptère NH90 Caïman, actuellement en phase d’expérimentation technico-opérationnelle, et faire le point sur le calendrier des autres livraisons de cet hélicoptère à l’armée de terre ?

M. Yves Foulon. Mon général, vous nous avez indiqué qu’en 2015 l’effectif de l’armée de terre serait de 70 000 hommes et femmes. Vous avez dit que ce serait une armée « rationalisée » et « ramassée ». Ramassée, nous en sommes certains, compte tenu du chiffre avancé. Mais rationalisée, nous en doutons quelque peu.

Pensez-vous, en tant que soldat, qu’avec un tel effectif, vous aurez les moyens de remplir les missions qui pourraient vous être confiées à l’extérieur ? Cela aura-t-il des incidences sur notre territoire ? Quels seront les endroits directement touchés par cette importante réduction d’effectifs ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Je commencerai, parce que c’est un sujet absolument majeur, par l’attrait que l’armée de terre peut éventuellement avoir pour les jeunes Français.

J’ai l’honneur d’être responsable d’une armée de terre qui, aujourd’hui, a le plein de ses effectifs – cas unique dans les armées professionnelles des pays occidentaux. Et notre recrutement, qui se fait en fonction du niveau des jeunes gens ou des jeunes femmes, est de qualité. Il faut noter que le taux de féminisation de l’armée de terre est de 10 %, ce qui est une caractéristique de notre armée. Les officiers rentrent sur concours ou sur dossier de bac + 3 jusqu’au master, et les sous-officiers au-dessus du bac. En dessous, nous recrutons des militaires du rang. Mais il est important de noter que notre système de promotion, et c’est une de nos forces, permet d’effectuer de véritables carrières. Ainsi, quasiment 70 % de nos sous-officiers sont aujourd’hui issus des militaires du rang, et un peu moins de 70 % de nos officiers sont issus du recrutement interne, parmi les sous-officiers et les officiers sous contrat. Sous réserve de le vouloir et d’être méritant, il est réellement possible de mener une carrière exceptionnelle au sein de l’armée de terre. Même les jeunes gens qui n’ont pas le BEPC, certains ont simplement le niveau d’entrée en sixième, deviennent en un an de remarquables militaires du rang, qui font l’admiration de tous par leur maturité et leur calme. En quelques années, cinq pour ceux qui nous quittent le plus rapidement, nous en faisons des Français bien accomplis.

Vous vous interrogez fort justement sur l’impact du retour d’Afghanistan et sur la baisse du nombre des opérations extérieures. Je dois veiller à ne pas rendre la vie de ces jeunes soldats ou de ces jeunes cadres, qu’ils soient officiers ou sous-officiers, inintéressante ou répétitive. Certes, je suis moi aussi persuadé, madame la Présidente, que les organisations internationales ne vont pas tarder à demander à nouveau aux pays qui en ont la volonté et le courage de contribuer à assurer la stabilité ou le retour de la paix dans certaines parties du monde. Mais il est tout à fait légitime d’envisager le cas où le retrait de nos troupes d’Afghanistan entraînerait une « marée basse » dans nos opérations extérieures – soit moins de 5 000 hommes engagés dans de telles opérations. Sachez que depuis que j’ai pris mes fonctions, nous travaillons à toute une série d’initiatives destinées à profiter d’une éventuelle accalmie pour faire ce que nous n’avons pas pu faire en période de très fort engagement opérationnel – par exemple donner l’occasion à nos jeunes cadres, aux capitaines et à leurs subordonnés de former dans la durée leurs hommes et leurs équipes, pour les préparer aux engagements futurs.

À cet égard, je voudrais devant vous rendre hommage à l’ALAT qui, au cours des années passées, s’est entraînée seule et avec beaucoup d’application à combattre la nuit, à agir à partir de la mer, à préparer ses équipements et ses équipages. L’année dernière, elle a ainsi été capable en deux semaines, sans préavis, de s’engager en Libye et a obtenu des résultats qualifiés d’exceptionnels par l’ensemble des armées modernes. De fait, en une quarantaine de raids de nuit, nos équipages d’hélicoptères ont détruit plus de 600 objectifs libyens, soit près de la moitié de ce que l’ensemble des forces françaises a détruit au cours de l’opération Harmattan. Ils ont agi dans des conditions extraordinaires d’efficacité et de discrétion, sans perdre ni homme ni machine. Ce résultat n’est pas à mettre au compte de la seule Sainte-Clotilde, la patronne des hélicoptères et des équipages de l’ALAT : c’est le résultat d’un travail dans la durée. Nous pouvons dire la même chose de nos artilleurs et des soldats du génie qui ouvrent les routes en Afghanistan, relevant des engins explosifs improvisés (EEI) qui tuent tant de civils et de militaires.

S’il ne s’agit pas aujourd’hui de « désapprendre » l’Afghanistan, il y a en effet d’excellentes leçons à tirer de cet engagement, nous ne devons pas cependant nous préparer exclusivement à des opérations de ce type car la situation peut être totalement différente sur d’autres terrains.

Vous m’avez également interrogé sur l’hélicoptère NH90 Caïman, dont j’ai évidemment salué l’arrivée près de Valence à la fin de l’an dernier. Nous en aurons probablement un de plus au mois de juillet et deux ou trois autres à la fin de l’année. Mais il faudra encore un an pour obtenir la mise en service opérationnelle de cet hélicoptère, dans la mesure où il nous faut conduire toute une série de tests.

Les premiers résultats sont tout à fait remarquables. Nous avons attendu cet hélicoptère, dont certains de nos partenaires européens, notamment italiens, et nos camarades de la marine nationale sont déjà équipés. Pour faire une comparaison, le NH90 Caïman nous offrirait, en Afghanistan aujourd’hui, le double de capacité d’emport, même par température élevée.

C’est un hélicoptère plein de ressources. Le programme est bien parti, puisque le premier contrat représente deux tranches de 34 hélicoptères, soit 68, et que la cible totale théorique est de 133. Je suis vigilant sur ce programme qui est majeur pour l’armée de Terre et que nous devons protéger des habituelles tentations d’économies et de rationalisations.

Je reste confiant, malgré tout, car le calendrier de la mise en service du NH90 Caïman a permis de réaliser des économies très importantes sur les hélicoptères Puma et Cougar. De fait, la décrue des Puma est d’ores et déjà entamée. Vous le savez tous, les hélicoptères de transport ou de manœuvre constituent un atout majeur au cours des opérations, qu’elles soient conventionnelles, spéciales, ou qu’elles visent à secourir les populations. À Draguignan, par exemple, des dizaines de personnes ont été sauvées d’une mort certaine et des centaines d’autres ont été secourues dans des circonstances très périlleuses. Ces outils, certes un peu chers par rapport au coût moyen des équipements de l’armée de terre, sont extrêmement importants.

En évoquant le chiffre de 70 000 hommes projetables en 2015, je n’ai pas cherché à provoquer chez vous de choc psychologique. Ce niveau était prévu dans le Livre blanc de 2008 et la loi de programmation militaire qui nous menait jusqu’à 2015. Ce format ne m’inspire pas de crainte car nous avons été associés à sa définition et notre armée a été précisément taillée et construite pour répondre au contrat opérationnel du Livre blanc de 2008. Si nous avons du mal aujourd’hui à assumer tous les contrats opérationnels, c’est du fait d’un problème de moyens : on a en effet « rogné » au fil des années dans les munitions, les stocks, dans les pièces de rechange, dans les crédits d’entretien programmé du matériel. Il ne faudrait pas qu’au nom de nouvelles économies ou de nouveaux renoncements, nous descendions en dessous de ce niveau. Si vous partez du principe que, sur ces 70 000 hommes, 10 000, 15 000 ou 20 000 sont engagés à l’extérieur du territoire et quelques milliers dans les missions permanentes, vous comprendrez aisément qu’on finira par ne plus pouvoir répondre simultanément aux opérations extérieures et à nos obligations sur le territoire national.

Sur le territoire national, nous savons répondre à l’objectif de 10 000 hommes, qui a été fixé par le Livre blanc. Je viens d’ailleurs de signer un plan d’action « territoire national pour l’armée de terre » qui vise précisément à recenser la totalité des capacités des régiments de l’armée de terre. Il s’agit, en partenariat avec tous les acteurs agissant sur le territoire national, de repérer les lacunes et d’essayer de faire porter l’effort dans les domaines où notre contribution serait la plus précieuse.

Je tiens une fois encore à vous rassurer : sous réserve que les moyens donnés à cette armée de terre, ramassée dans son format, soient réunis, je suis confiant sur notre capacité, à l’horizon 2015, à répondre tant aux missions qui nous seront fournies à l’extérieur du territoire national qu’aux besoins éventuels de notre pays sur le territoire national, dans la limite du raisonnable, bien sûr.

M. Christophe Guilloteau. Mon général, je voudrais revenir sur le retour d’Afghanistan qui, j’imagine, mobilise fortement l’armée. J’ai lu qu’on avait déjà rapatrié 500 conteneurs et quelques véhicules. Ce transport est-il financé sur le budget de l’armée de terre ? A-t-il été budgété sur plusieurs exercices ?

Dans votre propos, vous avez parlé d’un « monde incertain ». Ce monde est-il compatible avec une « juste suffisance » ?

M. Nicolas Dhuicq. Mon général, le vocabulaire utilisé témoigne du niveau de faiblesse des armées occidentales. On parlait autrefois de divisions, on parle maintenant de brigades. Pour donner une idée, notre armée correspondrait en fait à deux divisions blindées ! Or on ne peut pas gagner des conflits à très haute intensité avec une telle armée. Nous n’avons plus qu’à prier le ciel qu’il nous préserve des coups durs, y compris sur le continent européen, dans les dix ou vingt ans qui viennent.

J’observe par ailleurs que l’exercice « Flandres » a montré que nos meilleurs alliés non continentaux, qui travaillaient avec nous, étaient un peu moins bavards que les Français dans leurs communications et qu’il y avait encore beaucoup de progrès à faire pour parvenir à mutualiser nos moyens avec les forces britanniques.

Je tiens enfin à exprimer mon inquiétude concernant l’arme blindée cavalerie. Les combats en zone urbaine ont probablement de l’avenir devant eux. Où en est-on des programmes d’adaptation du char Leclerc à ces combats en zone urbaine ? Pensez-vous avoir les moyens nécessaires pour maintenir la compétence de ces forces de mêlée qui, seules, permettent de gagner les conflits de haute intensité ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Le ministre et moi-même étions il y a peu en Afghanistan. Je l’ai accompagné dans la visite qu’il a faite aux forces, principalement aux unités de l’armée de terre, il y a une semaine. J’ai bien sûr profité de l’occasion pour m’assurer que le retour de nos unités, certes un peu accéléré, restait possible dans de bonnes conditions.

Là encore, je peux vous rassurer. Sous l’autorité du CEMA, nous saurons gérer dans le calme le retour pour la fin de l’année des forces de combat implantées en Kapisa et Surobi. Au mois de janvier 2013, il restera à peu près 1 500 hommes, dont 1 000 devraient revenir d’ici l’été de cette même année. Ces 1 000 hommes auront à rapatrier tout le matériel restant sur zone, si possible par la route – par le Pakistan ou par les voies nord. Le ministre est allé négocier des accès par les voies nord. Pour ma part, je me suis rendu, voilà quatre mois, au Pakistan où j’ai pu évoquer, notamment, l’utilisation de la voie terrestre.

Il semblerait que l’on puisse rapporter au moins une partie du matériel non sensible par voie terrestre. Le reste se fera par porteurs stratégiques loués, ce qui aura un coût. Celui-ci sera supporté par le budget opérationnel de programme (BOP) OPEX. Cela relève en partie de l’opération Pamir, dont le coût est collectif : budget de la défense et budget commun dans le cadre de la loi de finances rectificative. Il est en effet d’usage que la République française finance, en fin d’année, les surcoûts entraînés par certaines opérations, comme ce fut le cas de l’opération Harmattan, au cours de l’année 2011. Il est heureux qu’il en soit ainsi : même si les sommes dont il est question ici ne sont pas considérables, elles peuvent atteindre tout de même quelques centaines de millions d’euros.

Monsieur le député, vous opposez « monde incertain » et « format juste suffisant ». Je vous le dis en toute simplicité : la France ne serait pas raisonnable d’abaisser régulièrement son effort en matière de défense. Et je ne suis pas le seul à le penser. Avec le CEMA et les deux autres chefs d’état-major, nous avons donc fait savoir aux représentants politiques que nous souhaitions qu’ils organisent un débat pour décider du niveau d’ambition de la France en matière de défense et donner ensuite les orientations voulues aux responsables des moyens. Nous ne souhaiterions pas en effet que « la technocratie budgétaire » nous fasse collectivement passer dans un cadre toujours plus petit, au détriment de la cohérence et au mépris d’une analyse objective des dangers de ce monde.

Je ne peux que répéter ce que j’ai déjà dit en octobre : est-il raisonnable d’avoir une armée de terre en dessous de 100 000 hommes, c’est-à-dire au plus bas de son histoire, dans un pays qui n’a jamais été aussi peuplé ? « Heureusement que le monde n’est pas dangereux… », avais-je observé à l’époque.

Oui, monsieur Nicolas Dhuicq, nous sommes désolés de constater avec vous le nombre limité de régiments restant : dans l’arme blindée cavalerie, une dizaine, dont quatre équipés chacun de cinquante chars, ainsi que des unités de reconnaissance et de renseignement légères, soit 6 500 hommes ; de même, 20 régiments seulement dans l’infanterie française, soit 19 000 hommes. C’est pourtant là le cœur de la capacité de manœuvre de l’armée française…

Cela étant, je ne suis pas du tout inquiet pour l’arme blindée cavalerie, que je traiterai avec la même attention que les autres armes : elle a sa place, même réduite, notamment en zone urbaine.

Il fut un temps où l’on appliquait la méthode « du petit Nicolas » : on plaçait l’infanterie dans les bois et dans les zones urbaines, et les chars dans les intervalles. Mais nous avons constaté que les chars vont se réfugier et agir là où ils sont à l’abri, notamment de l’aviation, c’est-à-dire dans les zones urbaines. Voilà pourquoi nous sommes allés débusquer, avec nos hélicoptères de combat, des chars du colonel Kadhafi dans les villes et les villages où ils étaient cachés.

Aujourd’hui, en Syrie, la supériorité tactique des forces gouvernementales réside dans les chars, les engins blindés d’infanterie et les hélicoptères de combat. En Irak, les Britanniques se sont emparés de Bassorah et les Américains de Fallujah avec des chars et des blindés. On n’engage plus les soldats sans leur assurer une certaine protection sur le champ de bataille. Et on ne doit pas utiliser les véhicules de transport d’infanterie seuls dans le combat de haute intensité, parce qu’ils seraient trop vulnérables. Cela suppose, bien évidemment, des dispositifs cohérents.

Je terminerai sur la mutualisation franco-britannique. À la suite du traité de Lancaster House, nous avons été fortement incités à nous rapprocher des Britanniques. Nous le faisons de bon cœur dans la mesure où nous avons des points communs et où nous nous sommes engagés depuis fort longtemps, côte à côte, dans certaines opérations. Mon homologue britannique et moi-même avons trouvé plusieurs domaines d’entente. J’ai évoqué les drones tactiques. Nous avons aussi des projets en matière de blindés légers. Et surtout, nous préparons un engagement commun avec une brigade franco-britannique. Bien entendu, nous travaillons également sur l’interopérabilité au niveau des postes de commandement et des états-majors, selon un calendrier échelonné dans le temps. L’objectif a été fixé à 2016, mais nous progressons étape par étape. Voilà pourquoi sont jumelées deux brigades pilotes, notre 11e brigade parachutiste et la 16e Air Assault Brigade britannique, qui ont de nombreux points communs.

M. Alain Marty. Pour la première fois, une unité équipée du système FÉLIN a été projetée en opérations. On connaît les avantages de ce système, notamment pour le tir nocturne et la communication. Quels enseignements tirez-vous de son utilisation en Afghanistan ?

M. Philippe Nauche. Autrefois, la doctrine d’emploi du régiment, qui constitue l’unité de base, tenait dans la formule « un chef, une mission, des moyens ». Or la mise en place des bases de défense a, selon vous, quelque peu perturbé cette organisation. Le Livre blanc prévoyant de ramener le nombre de militaires projetables à 70 000, quelles sont les modifications encore envisageables en termes de soutien, s’agissant des compétences civiles ? Quel bilan faites-vous de la satisfaction des besoins en matière de soutien, qu’il s’agisse des opérations intérieures ou extérieures ? Enfin, quelles orientations ou réorientations suggéreriez-vous ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Le programme FÉLIN, conduit à un rythme soutenu, a permis d’équiper rapidement une part non négligeable de notre infanterie et d’en projeter certaines unités en opérations : tout d’abord le premier régiment d’infanterie de Sarrebourg, puis le 16e bataillon de chasseurs.

L’équipement FÉLIN offre de nouveaux moyens de protection, de tir, de vision nocturne et de communication : grâce à un moyen de communication reposant sur la vibration osseuse dans la boîte crânienne, les troupes peuvent par exemple manœuvrer en silence, ce qui est très discret et assez impressionnant pour l’adversaire. Cet équipement a aussi porté la distance de tir à 500 mètres, de jour comme de nuit, contre seulement 200 mètres le jour et 100 mètres la nuit, il y a quarante ans, et 300 mètres il y a peu encore ; son système de vision a permis d’améliorer, non seulement la détection de l’adversaire, mais aussi la communication de sa position grâce à un nouveau système d’information qui, comme tout nouveau système est encore perfectible.

Quant à l’équipement de protection balistique, il pèse lourd, quel que soit le matériau utilisé. En Afghanistan, on a atteint certaines limites puisque des soldats portaient jusqu’à 50 kilos sur le dos, par 40 degrés à l’ombre. La préparation sportive et musculaire a d’ailleurs été adaptée en conséquence. Comme nous, les Américains réfléchissent à des solutions plus performantes, en particulier des piles électriques plus légères et plus autonomes, car il faut aujourd’hui porter sur soi des piles de rechange.

Même si le programme FÉLIN est bien né, nous ne cessons de l’adapter au retour d’expérience. Certaines améliorations seront ainsi portées sur les prochaines tranches de livraison. Les derniers régiments seront donc équipés de systèmes FELIN revalorisés.

Peut-être ai-je été un peu pessimiste monsieur Nauche sur l’impact de l’embasement, qui fut sans doute plus fort pour l’armée de terre que pour la marine nationale, dont les trois ports constituaient des bases toutes trouvées, et l’armée de l’air, dont douze des quatorze bases offraient déjà des bases de défense. Pour l’armée de terre, en revanche, c’est un système multiséculaire qui a été bouleversé. J’en veux pour preuve le régiment de Picardie, qui est aussi le plus vieux d’Europe, et qui date de 1479 ! Nous allons donc faire des propositions afin d’améliorer au plan local la cohérence entre le commandement classique « Terre » et le commandement du soutien interarmées, lequel descend de l’état-major des armées jusqu’à la base de défense. Le but est de désigner un responsable unique pour chaque base, ce qui sera également plus lisible pour l’environnement civil.

Il faut cependant faire preuve de patience, la réforme n’étant généralisée que depuis le 1er janvier 2011. De plus, lorsque l’on modifie les périmètres d’organisation, les enveloppes budgétaires ne sont pas forcément ajustées aussitôt ; en l’occurrence, celle qui a été allouée au soutien interarmées semble légèrement insuffisante. Enfin, la révision générale des politiques publiques (RGPP) ayant exercé une pression impitoyable sur les effectifs, les systèmes d’information attendus ne se sont pas tous trouvés au rendez-vous – comme on l’a vu notamment avec la gestion des soldes. Ce n’est donc pas le système, en tant que tel, qui est inadapté, mais l’empilement simultané de différentes réformes, dont vous observerez tout de même que nos soldats les accueillent avec un calme et une patience qui forcent l’admiration. C’est pour cette raison qu’il ne faudrait pas « en rajouter », si vous me passez l’expression.

M. Jean-Jacques Candelier. Compte tenu des contraintes budgétaires, on évoque de plus en plus souvent le remplacement des forces classiques par les forces spéciales. Quel est votre sentiment sur ce point ?

Certains opposent le déploiement des forces terrestres aux vertus de la projection de puissance, laquelle permet, par les seules frappes aériennes, de faire plier un adversaire. D’ailleurs, il n’y a pas eu de projection terrestre en Libye ; et en Afghanistan, nos forces terrestres ont reçu l’ordre de ne plus bouger de leurs bases, afin d’éviter les pertes. Peut-on parler d’échec du dispositif de projection au sol ?

M. Patrick Labaune. Vous avez parlé de la brigade des forces spéciales : celle-ci est-elle spéciale à la seule armée de terre ? Les chefs d’état-major, en plus d’avoir le commandement de chacune des trois armes, ont-ils également celui des forces spéciales ? Si les conflits des années quatre-vingt-dix, Kosovo et Guerre du Golfe, ont essentiellement mobilisé les forces conventionnelles, ceux de Libye et de Côte d’Ivoire, pour prendre les deux exemples les plus récents, ont davantage concerné les forces spéciales. L’Afghanistan n’a-t-il pas révélé, d’ailleurs, les limites de la puissante machine de guerre américaine ? A contrario, les opérations menées en Libye et en Côte d’Ivoire n’ont-elles pas montré que l’on pouvait vaincre à moindre coût et grâce à une meilleure connaissance du terrain, en particulier de la sociologie locale ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Les forces spéciales sont composées de moins de 4 000 hommes, dont près de 2 500 appartiennent à l’armée de terre, laquelle les a regroupées au sein d’une brigade. Celle-ci est composée du 1er régiment de parachutistes d’infanterie de marine, du 13e régiment de dragons parachutistes et du 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales. L’armée de l’air dispose d’unités de commandos parachutistes de l’air (CPA) ; quant à la marine nationale, elle dispose d’unités de fusiliers marins et commandos.

Ces effectifs sont peu nombreux car ils forment une élite : les augmenter en ferait automatiquement diminuer le niveau de qualité. Les soldats des forces spéciales, sélectionnés de façon drastique, sont également hyperentraînés, le coût de leur formation étant plus élevé que celui des forces classiques. On leur confie des missions qu’on ne peut confier aux autres unités, et dont la planification et le commandement dépendent directement du chef d’état-major des armées.

Les trois chefs d’état-major d’armée sont organiquement responsables des forces spéciales, qu’ils supervisent et dont ils assurent l’entraînement et une part de l’équipement sur leurs budgets.

Il faut noter que l’effectif projetable de 72 000 hommes de l’armée de Terre inclut les quelques 2 500 soldats qui appartiennent à ces forces. À ces effectifs projetables, il faut y ajouter les milliers de militaires du rang et les officiers et sous-officiers en formation, qui sont donc non disponibles en opérations. Au total, en ajoutant le personnel occupant des emplois fixes, les effectifs de l’armée de terre atteindront, au terme de la réforme, environ 93 000 militaires et 8 500 civils.

Quant à la distinction entre projection de puissance et projection de forces, monsieur Candelier, j’ai pour habitude de dire que les crises commencent et finissent au sol. La crise libyenne a commencé au sol ; si elle n’est pas totalement terminée, c’est sans doute que le retour au calme et la sécurité ne sont pas encore pleinement assurés au sol...

Il faut par ailleurs rendre à César ce qui est à César : en Côte d’Ivoire, la bataille d’Abidjan n’a pas été remportée par les forces spéciales mais par des forces conventionnelles au sol appuyées par des hélicoptères, en l’occurrence le 12e régiment de cuirassiers, deux compagnies du 16e bataillon de chasseurs et du 13e bataillon de chasseurs alpins ainsi que des parachutistes venus en soutien. Lors des cérémonies du 11 novembre dernier, le Président de la République Nicolas Sarkozy avait d’ailleurs récompensé ces formations. Cela n’exclut en rien le rôle qu’ont pu jouer des éléments des forces spéciales, bien sûr, mais je n’ai pas à l’évoquer.

Sans l’engagement des hélicoptères de combat en Libye, les forces du Conseil national de transition (CNT) seraient peut-être encore à Ajdabiya et Brega. Une fois que les bombardements ont détruit leurs cibles, l’adversaire se terre et disparaît. Au Kosovo, par exemple, seulement douze chars serbes avaient été détruits après des semaines de bombardements. L’adversaire peut être initialement surpris, comme ce fut le cas pour une unité de blindés en Libye, mais après un moment il s’adapte. Un soutien au sol ou près du sol devient alors nécessaire, comme celui qu’ont apporté nos hélicoptères qui manœuvraient au plus près des forces terrestres du CNT. Le Président de la République l’a d’ailleurs dit de la façon la plus claire : ce sont notamment les hélicoptères qui ont fait basculer la situation tactique au mois de juin, alors que l’on commençait à parler d’enlisement. Cette prise de décision d’engager des hélicoptères était risquée mais elle fut payante.

Quoi qu’il en soit, j’ai l’intime conviction que l’armée française ne serait plus tout à fait elle-même si elle négligeait le contact avec les populations et la présence au sol, qu’il s’agisse de rétablir la paix ou de faire respecter un cessez-le-feu, au profit de seuls bombardements aériens conduits à distance, sans parler bien sûr du recours ultime à la dissuasion. S’il a été décidé, au plus haut niveau, de faire défiler le 1er régiment de tirailleurs avec un béret bleu ONU en tête des troupes sur les Champs-Élysées, c’est bien pour montrer que les opérations de maintien de la paix, menées dans le cadre de l’ONU, ainsi que les engagements à caractère humanitaire, font aussi partie des missions des armées.

M. Philippe Vitel. On parle peu de la légion étrangère, qui est pourtant une composante originale de notre armée de terre et que l’on retrouve dans la plupart des grands moments de notre histoire militaire. Quelle place peut-on lui donner au sein de votre armée ? Quel est l’avenir de cette composante ? Est-elle atteinte par les diminutions d’effectifs ? Est-elle toujours aussi attractive ?

M. Daniel Boisserie. S’agissant des contraintes budgétaires, vous est-il arrivé de penser que les moyens à votre disposition vous empêchaient d’intervenir ?

On parle peu du Liban, dont le voisinage, entre la menace iranienne et le drame syrien, est pourtant rempli de périls. Comment voyez-vous évoluer la situation ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Dans le cadre de la réduction des effectifs de l’armée de terre et de la réforme du soutien, monsieur Vitel, ceux de la légion étrangère sont passés d’environ 8 000 hommes à un peu moins de 7 000. Cette grande unité se porte néanmoins très bien. Son niveau de recrutement est supérieur à celui du reste de l’armée de terre. Le taux de sélection est en moyenne d’un reçu pour huit candidats, ces derniers étant présélectionnés dans les centres de recrutement périphériques. Par ailleurs, la légion étrangère n’engage plus de criminels de droit commun ou d’hommes ayant commis, en France ou dans leur pays, des actes trop répréhensibles. Ces différents éléments expliquent que sa résilience est sans doute supérieure à la moyenne, comme l’a montré encore son intervention en Afghanistan.

Le « miracle » de la légion étrangère peut être illustré par l’histoire de Goran F., jeune légionnaire d’origine serbe tombé en Afghanistan au service de la France au mois de novembre dernier, à vingt-quatre ans. Originaire d’un village situé près de Belgrade, il y avait été surnommé « le légionnaire » dès l’âge de dix ans, car il collectionnait des photographies de la légion et ne cessait d’en écouter les musiques, à une époque où les relations de notre pays avec le sien étaient pourtant ce que l’on sait. Ses parents, que nous avons rencontrés, bien que très affectés, nous ont néanmoins fait part de leur fierté. Vous savez aussi que deux légionnaires ont été naturalisés « par le sang versé » lors d’une cérémonie au Sénat le 13 juillet dernier.

Monsieur Boisserie, en octobre dernier, j’avais indiqué à votre commission que les moyens alloués à l’armée de terre me semblaient à la limite de ce qui lui est nécessaire pour assurer ses missions, voire un peu en deçà. J’ai semble-t-il été entendu puisqu’au début de l’été, malgré de nouveaux efforts de rationalisation, deux lignes budgétaires ont été épargnées – le budget « Activités » et le budget de préparation opérationnelle du programme 178 « Préparation et emploi des forces ». Bien entendu, il a fallu trouver des économies ailleurs, en l’occurrence sur nos programmes d’armement et l’infrastructure, qui est pourtant une réelle source d’inquiétudes.

Grâce à des hommes remarquables, un encadrement de qualité et des équipements qui globalement se modernisent, nous sommes capables d’assurer nos missions, même s’il arrive qu’une « main invisible » coupe régulièrement des crédits alloués. Je n’incrimine ni les autorités politiques ni la chaîne de décision administrative, mais lorsque l’on réduit des enveloppes déjà insuffisantes, les difficultés sont inévitables.

Je me suis rendu au Liban en fin d’année dernière. Ma rencontre avec le chef d’état-major de l’armée de terre libanaise m’a fait comprendre combien notre présence, à travers les soldats français de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL), était importante : ces 1 000 hommes constituent, aux yeux des Libanais, une garantie que la France sera à leur côté si le besoin s’en fait sentir. Le moindre retrait d’une partie de nos troupes suscite d’ailleurs une grande inquiétude.

Force est néanmoins de constater que ce pays fait aujourd’hui un peu figure d’exception pacifique au milieu d’une poudrière. En tout état de cause, les soldats français ont évidemment leur place au Liban, et ils devront, si nécessaire, être à la hauteur des espérances de cette population amie, qu’il s’agisse des chrétiens ou des autres confessions, bien entendu.

M. Nicolas Bays. Comme vous, je suis convaincu que l’armée de terre est un lieu d’intégration et une fabrique de citoyens accomplis. Combien de jeunes, dont beaucoup sortent de l’armée après cinq ans, y ont reçu une formation alors qu’ils n’en avaient pas en entrant ? Sont-ils accompagnés lorsqu’ils réintègrent la vie civile, en particulier dans leur recherche d’emploi ? Si oui, avec quels résultats ? Existe-t-il des partenariats pour adapter leur formation aux besoins de l’industrie ?

Des militaires encadrent des jeunes qui effectuent leur service civique, notamment dans les domaines de la protection civile et des actions de mémoire et de citoyenneté. Le Président de la République souhaite porter le nombre de jeunes en service civique de 50 000 à 100 000. L’armée de terre peut-elle offrir de nouvelles possibilités en la matière ?

M. Éduardo Rihan Cypel. Vous avez souligné la nécessité d’une stabilisation quantitative des forces spéciales. À la lumière de leurs dernières missions, quelle doit être à vos yeux leur évolution qualitative, en particulier sur le plan technologique ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. La limite de notre action en matière d’intégration, monsieur Bays, est notre format, puisque, au regard de la population française, nos effectifs ne dépassent pas deux pour mille. L’armée de terre recrute chaque année 12 000 jeunes, dont environ 11 000 engagés volontaires et quelque 1 000 officiers et sous-officiers, soit un peu moins que le nombre de personnes qui en sortent, puisque nos effectifs vont décroissant. Parmi les officiers et sous-officiers qui quittent notre armée, beaucoup arrivent au terme de leur carrière. À ce sujet, le ministère des finances nous reproche une pyramide des grades trop ancienne alors que c’est le gouvernement a pris la décision d’allonger la durée de service de deux ans… ce dont chacun, au sein de l’armée de terre, s’est au demeurant félicité.

Pour ce qui concerne la formation et l’aide à la recherche d’emploi, elle n’est accessible, pour l’essentiel, qu’au personnel ayant accompli au moins un premier contrat en totalité (5 ans en général) avec tout de même l’idée de les fidéliser par un 2e contrat. Un dispositif de reconversion dorénavant mis en œuvre par une agence interarmées permet ainsi d’assurer l’adéquation des militaires avec les besoins du monde du travail.

Le personnel militaire des unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile (UIISC), des sapeurs-pompiers de Paris ou des marins-pompiers de Marseille participe à la formation des jeunes effectuant leur service civique. J’y suis évidemment très favorable, mais dans la limite de nos capacités et à condition de disposer d’un minimum de moyens. Le service civique est une expérience dont on garde souvent un beau souvenir ; aussi ai-je donné des instructions pour que notre armée accueille chaque étudiant volontaire. Cela ne concerne que quelques centaines d’étudiants par an, mais le système fonctionne, sans oublier les 450 polytechniciens environ qui effectuent chaque année leur service au sein des armées.

Les forces spéciales évoluent en permanence, notamment sur le plan technologique, monsieur Rihan Cypel ; cependant, leurs missions étant de la responsabilité du chef d’état-major des armées, je ne puis m’exprimer à leur sujet.

M. Olivier Audibert-Troin. Vous avez souligné le rôle essentiel des hélicoptères lors de la catastrophe naturelle à Draguignan le 15 juin 2010 ; de fait, je tiens à témoigner du fait que sans les 1 600 hélitreuillages effectués dans la nuit, le nombre de victimes aurait été bien plus élevé.

Hier, à Varsovie, le ministre de la défense a plaidé pour une relance de l’Europe de la défense, qui est à ses yeux « une nécessité du point de vue budgétaire, capacitaire et stratégique ». La lettre de mission que le Président de la République a adressée à Monsieur Jean-Marie Guéhenno indique que des Britanniques et des Allemands seront associés aux travaux préparatoires au Livre blanc, ce qui est une première. Vous avez vous-même évoqué, s’agissant des drones et des blindés légers, une mutualisation avec les Britanniques. Est-ce à dire que notre salut, dans ce contexte d’économies budgétaires, viendra de partenariats avec nos voisins européens, qui rencontrent d’ailleurs les mêmes difficultés que nous ?

Mme Daphna Poznanski-Benhamou. Vous avez dit, dans votre propos liminaire, que le régime juridique applicable aux ayants droit des soldats décédés lors d’opérations sur le territoire national, comme ce fut récemment le cas en Guyane, n’est pas le même que celui des ayants droit des gendarmes et des pompiers militaires. Pourriez-vous préciser ce point ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Monsieur Audibert-Troin, l’armée de terre accomplit ses missions au profit de la population puis repart, de sorte qu’elle n’en tire pour ainsi dire que peu profit dans les médias. Reste qu’elle est toujours disponible ; c’est dans cet esprit que nous nous efforçons d’améliorer ses capacités d’intervention.

Chacun, dans nos armées, adhère à l’idée d’une relance de l’Europe de la défense, comme il a approuvé la clarification des relations avec l’OTAN : en effet, depuis 1965, chaque réunion au sein de cette organisation à Bruxelles débutait par une explication de la position française ! Cela dit, le principal problème de la défense européenne est qu’une partie des pays européens fait confiance à l’OTAN et aux autres pays, réduisant en conséquence drastiquement leur effort en matière de défense. La première motivation de notre ministre est, je pense, de remobiliser ces pays.

La deuxième grande orientation consiste à réaliser des économies grâce à des mises en commun. Le drone watchkeeper intéresse l’armée de terre dans la mesure où, en plus de répondre précisément à ses besoins, son développement a déjà été financé par les Britanniques. Mes homologues britannique, allemand, italien et moi avons réfléchi, en petit comité, à des solutions en matière de mutualisation. Je pourrais ainsi évoquer les perspectives de mutualisation avec les Allemands dans la formation des équipages de lance-roquettes unitaire, ceux-ci étant en avance sur nous en ce domaine. Nous avons aussi évoqué la formation des équipages d’hélicoptères avec les Italiens.

Il faut néanmoins raison garder. En l’absence d’Europe politique, la coopération dans les domaines de la défense et du renseignement restera forcément limitée, chaque pays entendant préserver son autonomie de décision. La deuxième guerre d’Irak avait ainsi fissuré la solidarité européenne, notamment entre, d’un côté, les Britanniques et les Italiens et, de l’autre, les Français et les Allemands. De même, les Allemands ne se sont pas engagés en Libye ; mais une mutualisation excessive mène à la paralysie. Si elle est assez naturelle dans le transport aérien et maritime ou la formation, les Allemands étant par exemple intéressés par une coopération pour la formation de parachutistes, elle est plus difficile dans l’interopérabilité, celle-ci étant d’ailleurs facilitée par la détention de matériels communs ; mais cela suppose souvent des programmes définis dix ou quinze ans à l’avance, comme c’est le cas à Bourges avec les Britanniques avec le canon de 40 millimètres CTA. En tout état de cause, je veux tempérer les espérances en matière de coopération, qui à mon avis ne génère pas d’économies considérables, même si elle constitue souvent un signal fort. Le week-end dernier, à Coëtquidan, ont été récompensés, par un général allemand et en présence du ministre de la défense, cinq jeunes Allemands qui venaient d’achever leurs trois années de scolarité à Saint-Cyr après avoir préparé le concours pendant deux ans. De la même façon, quatre ou cinq officiers français de l’armée de Terre sont formés chaque année en Allemagne.

En cas de décès survenus au cours d’une même opération sur le territoire national, madame Poznanski-Benhamou, la mise en œuvre des dispositions définies par les articles L.50 et 33 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre fait apparaître des disparités flagrantes selon qu’il s’agit d’un militaire ou d’un membre des forces de l’ordre. Les conséquences sur la pension des ayants cause sont de l’ordre de 50 %. Cette disparité fait l’objet d’une réflexion au sein du ministère.

La différence de traitement entre un soldat tué en opérations extérieures et un autre qui l’est au fin fond de la jungle guyanaise est très sensible, bien qu’il s’agisse dans les deux cas d’opérations de combat. Même si cette question ne constitue pas une revendication majeure, nous allons donc la suivre de près.

Mme la présidente Patricia Adam. Vous avez bien fait, en tout cas, d’en informer notre commission : certains d’entre nous réfléchiront à une modification législative en ce domaine.

M. Christophe Guilloteau. À propos des soldats morts en opération qui ne peuvent pas voir leur nom inscrit sur les monuments aux morts du fait qu’ils ne sont pas « morts pour la France », je suggère que notre Commission réfléchisse et fasse des propositions. Par ailleurs, je regrette qu’il n’ait pas pu être possible d’auditionner le ministre chargé des anciens combattants. Celui-ci a certainement des contraintes, mais je pense que nous aurions pu quand même l’auditionner, quitte à le faire la nuit !

Mme la présidente Patricia Adam. Il est effectivement prévu, dans le programme de la Commission, de travailler sur le sujet évoqué. S’agissant de l’audition de M. Kader Arif, je rappelle que celle-ci a été annulée pour une raison de force majeure. Il présente ses excuses aux députés de la Commission. Je suis personnellement favorable à votre proposition de travailler tard le soir ou d’autres jours que le mardi et le mercredi matin. Il ne me semble en effet pas possible de rester contraint par l’emploi du temps actuel décidé par le Bureau et ce dernier devra donc se saisir de la question pour proposer d’autres façons de travailler.

La Commission examine pour avis le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan (n° 101).

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, la Commission s’est saisie pour avis du projet de loi autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan. Ce traité a été signé par le précédent Président de la République le 27 janvier dernier. Plusieurs dispositions concernent la défense, qu’il s’agisse du renforcement du dialogue politique et stratégique ou de la coopération de sécurité et de défense.

Nous devons aujourd’hui nommer un rapporteur, je vous propose la candidature de M Philippe Folliot.

La Commission nomme donc M. Philippe Folliot, rapporteur pour avis sur le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité d’amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d’Afghanistan (n° 101).

M. Philippe Folliot, rapporteur pour avis. Voici plusieurs années que je suis tout particulièrement notre engagement militaire en Afghanistan. Je me suis rendu plusieurs fois sur ce théâtre entre 2008 et 2011, à la suite de l’embuscade d’Ouzbine, pour partager le quotidien du 8e RPIMa de Castres, ou encore dans le cadre d’une mission d’information sur les actions civilo-militaires pour le compte de la Commission.

C’est donc avec un intérêt tout particulier que j’ai travaillé sur ce projet de traité d’amitié et de coopération entre notre pays et la République islamique d’Afghanistan, adopté par le Sénat la semaine dernière. La commission des affaires étrangères est saisie pour examiner le projet sur le fond et notre Commission s’est saisie pour avis : elle va essentiellement examiner son contenu du point de vue des forces armées. Je me suis efforcé de rassembler le plus grand nombre possible d’éléments sur la question dans un laps de temps extrêmement court, à savoir deux semaines. Je regrette que l’Assemblée nationale dispose de si peu de temps pour travailler sur un sujet aussi crucial, alors même que, du côté afghan, les plus optimistes tablent sur une autorisation parlementaire au mieux pour la fin de l’année. J’ai néanmoins pu rencontrer le CEMA, le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) ainsi que le directeur central du service de santé des armées (DCSSA).

Comme vous le savez, notre pays est engagé sur le théâtre afghan depuis 2001. Nous participons à deux opérations internationales : l’opération Liberté immuable et la force internationale d’assistance et de sécurité, la FIAS, qui est sous commandement de l’OTAN. Nous avons déployé des forces afin d’accompagner la reconstruction du pays et de ses forces de sécurité.

Outre l’envoi de ses forces spéciales, la France a pris une part active à la formation de l’armée nationale afghane (ANA) dans le cadre des fameuses équipes de liaison et de tutorat opérationnel (ELTO), les modules de formation initiés par l’OTAN. Nous avons formé à ce jour 25 000 soldats afghans. La France contribue ainsi fortement à l’objectif commun des autorités afghanes et de l’OTAN d’en former 150 000. De son côté, le dispositif ÉPIDOTE nous permet de former directement les élites militaires afghanes.

Ce travail a fait la preuve de son efficacité. On doit regretter cependant qu’il ait fallu attendre le début de cette année seulement pour que les troupes formées par les Français soient affectées dans leur zone de responsabilité. Les perspectives d’évolution des forces de sécurité afghanes, ANA et polices, sont inquiétantes. En particulier, j’ai relevé que la coalition s’efforçait d’atteindre l’objectif de disposer de 350 000 personnels en uniforme à la fin de cette année, tout en planifiant une décroissance de ces mêmes effectifs pour atteindre 228 000 en 2015. Cela me semble extrêmement préoccupant, car nous ne savons pas ce que deviendront les 120 000 personnels mis de côté. Nous devrons suivre la question avec la plus grande attention.

En dehors des actions de formation, la France est également présente au combat. En 2008, le Président Sarkozy a décidé de nous engager davantage dans les missions de combat menées par la coalition. Au sommet de Bucarest, la France a ainsi annoncé prendre la responsabilité du district de la Kapisa, à l’est de Kaboul. Il s’agit d’une région clé, qui verrouille l’accès à la capitale. Elle est l’objet d’une activité intense de l’insurrection. Parallèlement, notre pays recevait également la responsabilité de la Surobi, une vallée difficile contiguë à la Kapisa, mais relevant d’une autre zone de commandement. C’est dans cette vallée que dix soldats, dont huit du 8e RPIMa de Castres, ville et régiment si chers à mon cœur, étaient tombés dans une embuscade.

De ce point de vue, on peut considérer que l’engagement de notre pays en Afghanistan a connu un véritable tournant en 2008. Notre commission s’est adaptée à la nouvelle donne. Au lendemain de l’embuscade d’Ouzbine, une délégation de notre commission s’est rendue sur place et a formulé un certain nombre de recommandations portant notamment sur l’équipement et l’aéromobilité. Elles ont été rapidement mises en œuvre par le Gouvernement. Un mois plus tard, une mission d’information sur notre engagement dans ce pays a été confiée à nos collègues MM. François Lamy et Pierre Lellouche. Leurs travaux ont conduit à la création d’une cellule de coordination interministérielle dite cellule Afpak, au regroupement de nos forces sous une seule chaîne de commandement, ainsi qu’au renforcement du volet civil de notre investissement. Plus récemment, j’ai conduit avec notre collègue Guy Chambefort une mission sur les actions civilo-militaires qui faisait la part belle au théâtre afghan et formulait des propositions de nature à les rendre plus efficaces et à clarifier leur financement.

Parallèlement à cela, la France a initié un programme de formation de l’ANCOP (Afghan National Civilian Order Police), qui pourrait s’apparenter à terme à une force de gendarmerie mobile afghane. C’est la force de gendarmerie européenne et notamment les gendarmes français qui sont en charge de ce programme. Au contraire du programme européen de formation de la police afghane, EUPOL, le travail mené par nos gendarmes à Mazar-e-Sharif puis aujourd’hui dans le Wardak fonctionne particulièrement bien. Les gendarmes se louent de l’excellente collaboration avec l’armée française qui assure leur soutien.

Ces efforts ont donné de bons résultats : formation de 25 000 soldats et de 8 000 policiers, sécurisation de l’accès à Kaboul, développement humain. Mais elles ont également eu un coût : 87 soldats y sont morts et plus de 700 ont été grièvement blessés, sans compter, sur le plan budgétaire, plusieurs milliards d’euros de surcoût OPEX.

C’est dans ce contexte que le nouveau Président de la république a décidé d’accélérer le retrait de nos troupes. Les forces combattantes auront quitté le territoire afghan en 2012 et les autres seront de retour en France d’ici fin 2014. Bien que j’aie désapprouvé cette décision, elle a été validée par le suffrage universel et le retrait est aujourd’hui en marche. Le traité dont nous devons aujourd’hui autoriser la ratification accompagne le nouveau partenariat que nous devons maintenant construire.

Les questions de défense et de sécurité n’occupent qu’une partie du texte, plus précisément son article 3. Le traité organise trois commissions mixtes, permettant une concertation régulière à haut niveau dans ces deux domaines.

Le traité préconise la mise en place de coopérants auprès des autorités afghanes, par exemple un coopérant gendarmerie sera placé auprès du général commandant l’ANCOP, afin d’organiser le conseil, la formation ainsi que les échanges d’informations entre les deux institutions, des efforts de formation en Afghanistan et en France notamment au sein de l’école de guerre, de l’école supérieure d’état-major et la remise à niveau d’unités formées par la mission ÉPIDOTE, un partenariat renforcé dans les domaines de sécurité suivants : lutte contre les stupéfiants, soutien dans le domaine de la police judiciaire, appui au développement de la sécurité civile, le fonctionnement de l’hôpital de KAIA, jusqu’en 2014 au moins, date de la fin de la mission de la FIAS, et la contribution au laboratoire européen de lutte contre les engins explosifs improvisés (EEI).

Ces préconisations correspondent à travail déjà engagé et planifié jusqu’en 2016. La France a déjà augmenté le nombre de ses officiers de liaisons et coopérants sur place. Le retrait des forces de gendarmerie et l’afghanisation du centre de formation du Wardak permettront néanmoins le maintien de quelques coopérants aux côtés de l’ANCOP.

En vérité, l’enjeu réside non pas dans la liste des actions qui seront mises en place, mais bien dans le financement des mesures d’accompagnement du retrait, dont le coût est estimé à 88 millions d’euros d’ici à 2016.

Globalement, toutes les actions pourront être financées en interministériel par le BOP OPEX jusqu’au retrait définitif de nos troupes, c’est-à-dire 2014. La difficulté apparaît pour la période 2014-2016. Mes interlocuteurs m’ont tous indiqué que des actions de coopération seraient maintenues, mais demeurent dans l’incertitude quant à leur financement. Il s’agira alors de mesure de coopération, complétant les autres domaines mis en avant par le traité : agriculture, éducation, archéologie, etc. L’ensemble relèvera de l’action extérieure de l’État et devra donc être financé par le ministère des affaires étrangères ainsi que par l’agence française de développement.

Autre point d’inquiétude : le financement de l’ANA. Les États-Unis considèrent que les membres de la coalition devront les aider à continuer à financer les soldes des soldats au cours de la décennie. Ils estiment le coût actuel à 4,1 milliards de dollars par an et souhaitent que la France prenne en charge 10 %, au moins entre 2015 et 2017, ce qui représenterait une somme cumulée de plus d’un milliard d’euros. Cela n’est pas acceptable. Dans la conjoncture difficile que nous connaissons, la France a déjà fait beaucoup pour la coalition et le redressement de l’Afghanistan. Elle ne saurait, en plus, se substituer à des bailleurs tels que l’Union européenne ou les pays non engagés militairement comme par exemple le Japon, ou les pays du Golfe, dont c’est davantage la vocation et qui, eux, n’ont pas payé le prix du sang.

Nous devrons, au sein de cette commission, nous montrer particulièrement vigilants sur ce point. Au moment où nous préparons une forte baisse des crédits de défense, il serait difficilement compréhensible que nous financions chaque année l’armée afghane pour l’équivalent d’un programme d’armement.

Il n’en reste pas moins que ce traité permet de faire évoluer les relations franco-afghanes, en prenant acte du retrait de nos forces et en passant d’une aide essentiellement militaire à une coopération à dominante civile. Le processus est difficile et demande une volonté politique forte. Je crois qu’il nous faut encourager cette démarche et je formule donc un avis favorable à l’adoption de ce projet de loi.

Mme la présidente Patricia Adam. Je remercie le rapporteur.

M. Christophe Guilloteau. Le groupe UMP votera pour l’autorisation de ratifier ce traité, négocié et conclu sous la précédente législature. Je regrette toutefois que nous n’ayons pas eu plus de temps pour l’examiner.

L’hôpital de KAIA conservera-t-il sa configuration actuelle ? Si tel est le cas, il faudra y maintenir des personnels de notre service de santé des armées en nombre important, ainsi que des soldats pour assurer leur protection.

Plus généralement, du point de vue financier, le dispositif de coopération institué par ce traité risque de nous impliquer durablement. Même s’il n’est pas dans nos pouvoirs de le faire ici, ne faudrait-il pas lui fixer un terme dans le temps ? Surtout, il n’y a pas de raison que la France, qui a déjà contribué par le sang à la sécurité de l’Afghanistan, fournisse de surcroît une contribution financière démesurée par rapport à celle d’autres États qui sont parfois riches – comme leurs investissements en Europe le prouvent.

M. Nicolas Dhuicq. La rédaction de l’article 3 m’inquiète. Il est en effet prévu que la France et l’Afghanistan adaptent leur coopération à la situation de l’Afghanistan et se concertent sur la sécurité régionale en général, alors que l’Iran est un acteur clé de celle-ci.

M. Gilbert Le Bris. Cet article institue une coopération technique entre les deux pays dont il précise qu’elle aura un caractère opérationnel et qu’elle portera notamment sur la lutte contre le trafic de stupéfiants. Or chacun sait que l’Afghanistan est un producteur important de pavot, dont la culture alimente massivement la production de drogue. Si la France s’engage à lutter contre ces trafics de manière opérationnelle, il est donc à craindre que cela ne l’entraîne plus loin qu’il ne le faudrait. Pour l’après-2014, nous devons veiller au contraire à ce que notre rôle en Afghanistan ne nous conduise ni à dépenser trop, ni à faire la loi.

M. le rapporteur pour avis. S’agissant de l’hôpital militaire implanté sur l’aéroport international de Kaboul, il a pris le relais d’un établissement précédemment installé au camp de Warehouse. L’hôpital de KAIA est un établissement performant : il offre un niveau de soins dit « de rôle 3 », contre seulement « de rôle 2 » pour celui de Warehouse, et compte 120 praticiens, dont 90 sont français, issus du service de santé des armées, les autres étant actuellement bulgares et danois.

Pour ce qui est des effectifs consacrés au soutien sanitaire, il est tout à fait logique que leur importance relative dans notre dispositif s’accroisse à mesure que progresse notre désengagement : habituellement, ils représentent 5 % des effectifs, mais ce taux passera rapidement à 10 %. Il y a en effet un nombre incompressible de personnels à maintenir pour assurer le soutien médical ; ils sont en quelque sorte les derniers à partir.

Ainsi, pour l’hôpital de KAIA, la feuille de route est claire jusqu’en 2014. Après la fin de la mission de la FIAS, sa configuration reste à préciser : il existera toujours, mais la question reste ouverte de savoir quels seront exactement ses personnels.

S’agissant du caractère opérationnel des actions de lutte contre le trafic de stupéfiants que nos forces seront amenées à conduire dans le cadre du traité, il s’agira d’encadrer la gendarmerie afghane – l’Afghan National Civil Order Police, ANCOP – dans ses missions. Pour la partie française, cela concernera un nombre limité de conseillers et d’officiers de gendarmerie. Il est d’ailleurs à noter qu’aujourd’hui, 67 % des membres des forces de sécurité afghanes qui sont morts au combat appartenaient non à l’armée nationale afghane, mais à l’ANCOP. Cette dernière est donc une véritable force de combat de proximité, dont le Gouvernement afghan pourrait vouloir réorienter les missions, une fois la sécurité rétablie sur le territoire, vers la lutte contre le narcotrafic.

Par ailleurs, s’il n’est pas en notre pouvoir d’amender le texte du traité, nous n’en avons pas moins un devoir de vigilance, notamment sur l’impact financier du dispositif de coopération qu’il institue.

Enfin, la sécurité de l’Afghanistan me semble tenir largement à la capacité de l’État à payer les forces de sécurité afghanes. À cet égard, on peut avoir des craintes sur le choix fait conjointement par les États-Unis et par l’Afghanistan d’accroître l’effectif des forces de sécurité afghanes pour le réduire assez rapidement de 120 000 hommes. Le risque est grand de voir ces soldats formés passer à l’insurrection parce qu’elle aura les moyens de les payer.

M. Michel Voisin. Je me limiterai à un seul commentaire : lorsque l’on sait que le coût de la guerre, financé par les États-Unis, revient à 300 dollars par mois et par Afghan alors que la rémunération des soldats afghans est de 200 dollars par mois, il me semble que l’on peut très facilement financer le désengagement, tout en faisant des économies !

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi.

La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Pierre Barbier, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Nicolas Dhuicq, M. Richard Ferrand, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Patrick Labaune, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marty, M. Philippe Nauche, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Stéphane Saint-André, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Jean-Jacques Bridey, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Yves Fromion, M. Christophe Léonard, M. Bruno Le Roux, M. François de Rugy

Assistaient également à la réunion. – M. Jean-Pierre Fougerat, Mme Geneviève Gosselin, M. Jacques Moignard, Mme Sylvie Pichot