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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 10 octobre 2012

Séance de 11 heures

Compte rendu n° 8

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— –– Audition de l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, sur le projet de loi de finances pour 2013

La séance est ouverte à onze heures dix.

Mme la présidente Patricia Adam. Quand nous l’avons auditionné en juillet, l’amiral Édouard Guillaud, chef d’état-major des armées, avait exprimé ses inquiétudes sur le budget de la défense. La loi de programmation militaire (LPM) arrivant au terme de son exercice et la rédaction d’un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale étant déjà en cours, il avait souligné l’importance de faire des choix cohérents et de privilégier la dimension humaine, le moral des armées restant une préoccupation majeure.

Le budget pour 2013, qui est de transition, est-il à la hauteur de cette ambition et permet-il de maintenir l’efficacité de notre outil de défense ?

Amiral Édouard Guillaud, chef de l’état-major des armées. Notre rendez-vous automnal, consacré au projet de loi de finances, prend cette année une importance particulière compte tenu des échéances qui viennent d’être rappelées.

Les enjeux budgétaires que j’avais évoqués en juillet ne sont plus un secret pour personne. Je crois pourtant indispensable d’y revenir pour vous fournir un éclairage sur la situation de déséquilibre que connaissent nos armées.

Le modèle défini par le Livre blanc de 2008 n’est plus soutenable, malgré les efforts que l’État a consentis pour la défense et ceux des armées pour s’optimiser. Depuis 15 ans et la fin de la conscription, l’outil de défense est dimensionné en moyenne à 32 milliards constants en valeur de 2012. Le nouveau budget triennal programme 29 milliards pour 2015, soit quasiment 10 % de moins. C’est clairement un changement de portage.

Il faut en conséquence repenser nos ambitions. C’est ce à quoi travaille la Commission du Livre blanc, dans laquelle vous êtes représentés. Une fois que le Président de la République aura fixé le cap, le ministère de la défense concevra un modèle d’armée adapté à ces ambitions non pas réduites mais revisitées, c’est-à-dire formulées d’une autre façon.

Certaines de nos difficultés sont structurelles ; d’autres relèvent de conjonctures malheureusement persistantes. Le défi sera de mettre en œuvre la transition entre la situation actuelle et le modèle qui sera défini au vu des contraintes budgétaires et des rigidités de court ou de moyen terme de nos dépenses.

Je voudrais, avant de rentrer dans l’analyse budgétaire, évoquer les opérations. Elles sont notre finalité, notre raison d’être. Extérieures ou permanentes – comme Vigipirate, la sûreté aérienne ou l’action de l’État en mer –, elles révèlent la performance de nos capacités, c’est-à-dire de nos soldats, de notre matériel, de nos savoir-faire et de notre organisation.

L’Afghanistan reste en haut de notre agenda. Pour les forces françaises, 2012 aura été une année charnière, avec la décision de désengagement prise par le Président de la République. Le défi logistique est considérable, mais ce n’est qu’une partie de l’équation. Le désengagement est une opération à part entière, en termes de planification, de conduite et de vigilance puisque, jusqu’au départ de notre dernier soldat, les risques sont réels. Pour l’heure, nous tenons les échéances fixées par le Président de la République. Il restera 1 500 hommes sur place à la fin de l’année.

Onze ans après nos premières reconnaissances aériennes sur ce territoire, nous devons être fiers du travail réalisé par nos soldats, nos marins et nos aviateurs. Nous avons joué un rôle majeur dans l’afghanisation des provinces placées sous notre responsabilité, comme dans la formation et l’encadrement des forces armées et de sécurité afghanes. Si les choses ne se passent pas toujours comme nous le voudrions ici, les progrès sont incontestables, quoi qu’en dise le rapport défaitiste de l’International Crisis Group. Ainsi, nous avons quitté la Surobi, que les Soviétiques n’avaient jamais réussi à pacifier, et la base opérationnelle avancée que nous occupions est désormais aux seules mains des forces afghanes. Depuis notre départ en juillet, le nombre d’incidents n’a pas augmenté et la route Jalalabad-Kaboul est ouverte en permanence.

Je rends hommage à l’action de nos militaires. Parmi eux, 88 ont vécu leur engagement jusqu’au don de leur vie ; des centaines ont été blessés dans leur chair, de manière souvent durable, parfois irrémédiable. L’Afghanistan est trop fréquemment caricaturé dans les médias. Ne perdons pas de vue nos réussites ni le coût consenti par la Nation, à travers le sacrifice de ses soldats. C’est mon devoir et notre responsabilité de nous en souvenir.

Parmi les succès de nos armes, figurent aussi les missions de lutte contre la piraterie conduites au large de la Somalie. Depuis le lancement de l’opération Atalanta, le nombre d’attaques réussies a sensiblement diminué : 6 depuis le 1er janvier 2012 contre 23 l’an dernier, sur la même période. Le nombre de bateaux piratés se limite désormais à 9, et le nombre d’otages détenus est d’environ 150, contre plusieurs centaines il y a deux ans. Sur le plan militaire, Atalanta est donc une opération concluante. Le succès revient à l’ensemble des composantes impliquées. Nos armées, à l’origine du projet, en portent une part significative, moyennant un coût raisonnable eu égard au volume des moyens engagés : 1,4 bâtiment porte-hélicoptères et un peu plus d’un avion en moyenne sur l’année. Atalanta est enfin une opération fédératrice et motrice, emblématique de ce que peut faire l’Union européenne quand elle le veut. Cette année, de toutes les coalitions internationales impliquées, elle est la seule à avoir autorisé les moyens engagés à mener des actions contre les bases logistiques de pirates à terre. Cette option, qui n’a été utilisée qu’une seule fois, constitue une avancée très positive. L’Union a compris que le traitement de la menace était nécessairement global. Il faut s’en féliciter et le faire savoir à nos partenaires.

L’efficacité de nos armées, c’est encore, pour citer un exemple récent, le déploiement d’une antenne médicochirurgicale en Jordanie, moins de quinze jours après que le Président de la République l’a décidé. Ce déploiement illustre l’aptitude de nos armées, directions et services à combiner leurs capacités pour produire le résultat souhaité dans un cadre particulier. Si nous avons pu répondre vite et bien, c’est parce que notre service de santé est pleinement intégré à la manœuvre des armées.

Récemment, le Président de la République a dessiné, à la tribune des Nations unies, les contours de nos engagements à venir. Ce pourrait être le soutien, notamment logistique, des forces africaines qui interviendront dans le nord du Mali, État ami qui doit recouvrer sa pleine souveraineté. Pour nous aussi, la stabilisation de la zone sahélienne est un enjeu de sécurité nationale.

L’évolution de la situation au Moyen-Orient pourrait nous confronter à des scénarios plus durs que ces dernières années. Je pense, en plus des actions terroristes traditionnelles, à la menace sol-air et aux risques d’emploi ou de détournement des armes de destruction massive.

Ce parcours rapide de quelques-uns de nos engagements extérieurs en cours ou potentiels illustre la diversité de nos missions, des moyens engagés et des dispositifs projetés, qui sont constamment confrontés à la réalité du terrain. Il met en relief deux points essentiels.

Le premier est l’intérêt de disposer d’un éventail capacitaire couvrant toute notre ambition, c’est-à-dire capable de faire face à la diversité des situations et des menaces. Un éventail large, ce sont – même à volume redimensionné – des forces bien préparées, bien équipées et capables de durer. Ces qualités, que possèdent encore nos armées, directions et services, permettent à la France de concrétiser sa volonté, lorsque le recours à la force s’impose.

Le deuxième point, c’est la nécessité de ne pas baisser la garde, pour pouvoir faire face à l’imprévu.

Disposer d’un éventail capacitaire large et ne pas baisser la garde sont des enjeux du présent, parce que l’action militaire s’impose souvent sans préavis, mais aussi des enjeux d’avenir, parce que la capacité d’intervention ne se décrète pas : elle se construit sur la durée et s’entretient au jour le jour, dans le temps long des ressources humaines et des programmes. C’est aussi une affaire de crédibilité, qui se construit également dans la durée. Tel est l’objet de la loi de programmation militaire et de sa traduction annuelle, la loi de finances.

En juillet, j’avais évoqué devant vous les grandes lignes de l’exécution de la LPM pour 2009-2014, laquelle a été globalement conforme jusqu’en 2011, du moins en ce qui concerne les paiements et donc la livraison des matériels. Quant aux commandes, les contraintes de la programmation budgétaire triennale 2011-2013 nous ont déjà obligés à reporter la plupart des lancements de programmes nouveaux. En tout état de cause, 2012 marque une rupture, dont nous savons qu’elle est irréversible.

Commençons par la période 2009-2011. Malgré un certain nombre de dépenses non programmées que nous avons dû financer, nous avons bénéficié de 98 % des ressources attendues, les 2 % manquants représentant tout de même 1,9 milliard, soit près de deux années de production du Rafale ou dix avions ravitailleurs MRTT (Multi Role Tanker Transport), ou encore l’intégralité du programme MUSIS (Multinational Space Based Imaging System), successeur du satellite d’observation Hélios.

Nous avons cependant poursuivi notre effort en faveur des équipements, engagé la transformation de nos structures, la revalorisation de la condition du personnel et atteint en avance de phase nos objectifs de réduction du format.

Dans le domaine du renouvellement des équipements, nous avons réceptionné quasiment tout ce qui était prévu. Nous avons également commandé une bonne partie des matériels prévus, à l’exception, pour 2011, des programmes nouveaux. La fiche qui vous a été remise résume ce bilan.

La transformation de nos structures correspond à la rationalisation et à la mutualisation des implantations et des modes de fonctionnement. À la fin de 2012, 85 % des réorganisations prévues sur l’ensemble de la période auront été réalisées.

La difficile manœuvre des ressources humaines a pour l’instant suivi, voire anticipé le rythme attendu. Sur le périmètre de la mission « Défense », 30 000 des 54 000 postes prévus avaient été supprimés à la fin de 2011. À cette date, nous étions déjà en avance de 1 300 emplois. Cette avance sera portée à la fin 2012 à quelque 3 600 emplois, ce qui représente une demi-annuité de déflation, en tenant compte du gel de 10 % du recrutement en 2012, soit 2 000 emplois, inscrit dans la lettre plafond pour 2013 afin de réduire nos dépenses de masse salariale.

Pour autant, tout n’a pas été nominal. Nos difficultés ont débuté dès l’été 2010. La programmation budgétaire triennale pour 2011-2013 a exercé sur la programmation une pression substantielle. Elle a décalé d’un à trois ans la plupart des programmes futurs : avion ravitailleur MRTT, lance-roquettes unitaire (LRU), rénovation des Mirage 2000D, flotte logistique. Entre 2010 et 2012, le budget de fonctionnement a été réduit de 7,5 % et l’activité de préparation opérationnelle a diminué progressivement, avec la baisse des crédits d’entretien programmé des matériels sur la période.

Les opérations extérieures restant prioritaires, on n’est plus très loin d’une armée à deux vitesses – une partie faisant la guerre, l’autre non –, ce qui n’est jamais une bonne solution. Je l’avais souligné lors de ma précédente audition. On en voit les effets, chez certains de nos partenaires européens, sur le moral, le recrutement et la qualité des hommes.

À partir de 2012, la trajectoire des ressources diverge encore plus nettement de la trajectoire de référence tracée en 2008. La pression budgétaire s’est accrue après la révision des prévisions de croissance, compte tenu de l’obligation de redresser les comptes publics.

En tenant compte des lois de finances rectificatives et du gel de crédits supplémentaires intervenu en juillet, les crédits de 2012 sont désormais en recul de 1,2 milliard par rapport à l’annuité initialement prévue. Conjugué à l’écart cumulé de 1,9 milliard de la fin de 2011 et sans préjuger des conditions de la fin de gestion de 2012, le recul dépassera les 3 milliards à la fin de l’année.

Pour 2012, la fin de la gestion est sous tension. Sont déjà formellement identifiés les surcoûts des OPEX et la hausse du carburant opérationnel, pour un total de 250 millions. La levée des réserves n’a pas encore été obtenue. Enfin, le déficit structurel du titre II est en cours de consolidation. On n’obtient d’ailleurs pas les mêmes chiffres selon qu’on utilise le logiciel LOUVOIS ou Chorus, ce qui ne simplifie rien.

Il est essentiel d’appliquer les clauses de sauvegarde prévues par la LPM pour les OPEX, le carburant opérationnel et le titre II. À défaut, pour éviter que certains postes ne soient en cessation de paiement dès la fin du mois d’octobre, il faudrait ponctionner une fois encore les crédits d’équipement ou aggraver le volume de nos factures en attente de paiement de fin d’année, autrement dit notre report de charges, ce qui n’est pas de bonne gestion.

D’autres risques concernent le domaine des ressources humaines. Les économies décidées imposent de geler le recrutement de 2 000 personnes en 2012 et de diminuer de nouveau, en 2013, des mesures catégorielles. Le taux de retour des économies dégagées par les déflations s’établit, selon le ministère, à 33 % en 2011 et à 20 % en 2012. Selon le projet de loi de finances, il atteindra 30 % en 2013, soit beaucoup moins que la norme en vigueur qui est de 50 %. Le moral est déjà fragile, je l’ai souligné en juillet. Ce ne sont pas ces mesures qui vont l’améliorer.

Quel est le bilan capacitaire, rapporté aux priorités définies par le Livre blanc de 2008 ?

Le plan de modernisation de la dissuasion a été respecté. Le Terrible, quatrième sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de la classe Le Triomphant, a été admis au service actif fin 2010 avec le nouveau missile M-51. L’adaptation des trois premiers SNLE est lancée. Elle s’achèvera en 2018. La composante aéroportée a atteint le format défini par le Livre blanc, qui a réduit de trois à deux le nombre d’escadrons de chasse dotés du nouveau missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A). Un escadron est équipé en Rafale, et un autre en Mirage 2000N, destiné à terme à être remplacé par le Rafale.

La fonction stratégique connaissance et anticipation était prioritaire. Tous les objectifs ne sont pas atteints, par exemple pour les drones MALE (moyenne altitude longue endurance), mais le ministre de la défense a lancé une remise à plat volontariste du dossier pour une décision à brève échéance. D’autres programmes sont en retard du fait de difficultés techniques ou de coopération.

Malgré les contraintes financières, la fonction connaissance et anticipation a été correctement dotée et soutenue dans les arbitrages. Plusieurs programmes majeurs, dont les satellites MUSIS, ont été lancés. Pour les matériels en service, cette fonction stratégique a bénéficié régulièrement de la procédure des urgences opérationnelles ou des acquisitions accélérées, par exemple pour le soutien des drones Harfang en Afghanistan ou les capteurs infrarouge des Atlantique 2 (ATL2).

Les fonctions protection et prévention ont été préservées. Au final, c’est surtout la fonction intervention qui a fait l’objet des arbitrages les plus sévères, ce qui est paradoxal, puisqu’elle est emblématique des armées et que la densité opérationnelle a été très élevée sur la période.

Le ministre l’a confirmé : le budget pour 2013 sera un budget d’attente et de transition, c’est-à-dire qu’il ne préemptera pas les conclusions du Livre blanc. De fait, les crédits sont globalement identiques à ceux de la loi de finances initiale pour 2012, la baisse des crédits budgétaires étant compensée par une hausse équivalente des prévisions d’emploi des ressources exceptionnelles.

Dans ces conditions, la priorité accordée à l’activité des forces et à l’entretien du matériel a été intégrée. Les crédits d’activité financeront au plus juste la préparation opérationnelle, dans un contexte de diminution des engagements en opération extérieure. Nous sommes 10 à 15 % en dessous des normes annuelles d’activité définies par la LPM. Toutefois, les crédits consacrés à l’entretien programmé des matériels, en augmentation de 8 % par rapport à la LFI pour 2012, retrouvent quelques couleurs, ce qui permettra d’accompagner au mieux la mise en service des matériels nouveaux, dont le coût de maintenance est toujours supérieur à celui des matériels remplacés.

Ce niveau de ressources nécessite de nombreuses économies sur le fonctionnement courant, c’est-à-dire hors activité opérationnelle, sur la masse salariale et surtout sur les équipements.

Le fonctionnement courant baisse de 7 % entre 2012 et 2013 conformément aux directives gouvernementales. Cette baisse s’ajoute à celle de la précédente programmation budgétaire triennale, qui s’appliquait elle-même à une programmation initiale déjà ambitieuse en termes d’économies. Les bases de défense ont pourtant dû être accompagnées, avec un budget abondé à 720 millions, dont 20 millions de fonds de concours, financés par redéploiement sur le fonctionnement des armées. Pour mémoire, le budget prévu cette année était de 650 millions. La somme de 720 millions reste cependant inférieure aux attentes des commandants de base de défense.

La masse salariale diminue de plus de 100 millions, sous l’effet du gel des recrutements en 2012 et de la diminution des mesures catégorielles.

Pour les équipements et parce qu’il s’agit d’un budget d’attente, il a été décidé de reporter au-delà de 2013 la plupart des commandes qui pouvaient l’être. Ces reports évitent de générer, avant le vote de la prochaine LPM, des situations irréversibles telles que des ruptures capacitaires, des ruptures de capacités industrielles de développement et de fabrication, ou des ruptures contractuelles. Le délégué général pour l’armement (DGA) développera mieux ce point.

Parmi d’autres opérations d’armement, ont été maintenus en 2012 et 2013 la commande de 34 hélicoptères NH-90 dans la version transport destinée à l’armée de terre, le lancement du standard F3-R du Rafale, le lancement du MRTT et la réception de la frégate multi-missions (FREMM) Aquitaine.

Les économies réalisées sur les équipements représentent 850 millions. Au total, la diminution des engagements atteint 5,5 milliards en 2012 et 2013, dont près de 4,5 pour les seules opérations d’armement, le reste se répartissant entre les petits équipements des armées et l’infrastructure. Sur deux ans, elle représente plus de la moitié d’une annuité du titre V.

Ces décalages, qui préservent les choix futurs, impliquent dans l’immédiat des aggravations ou de nouvelles réductions temporaires de capacité, sans parler de la prolongation d’équipements à bout de souffle : les cloisons intérieures de certains avions sont dans un triste état ; dans la coque de certains navires, l’épaisseur du métal n’est plus que d’un centimètre en comptant les couches de peinture ; le châssis de certains blindés montre des faiblesses…

Il faudra aussi limiter, dans une moindre mesure, la protection des forces ou leurs capacités de déploiement. C’est le cas pour les hélicoptères et les avions de transport tactique, les véhicules logistiques terrestres et plus globalement les véhicules blindés VAB et VBL de l’armée de terre, et les bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) en métropole ou outre-mer. Dès lors, sur le terrain, les problèmes risquent d’être logistiques plutôt que tactiques. Sur le théâtre afghan, nous laisserons détruire une quarantaine de véhicules de l’avant blindés en mauvais état, dont l’âge moyen est 32 ans.

À plus long terme, sur le plan de l’équipement, l’accumulation de ces décalages en un temps réduit complique notre capacité à préparer l’avenir. L’arrivée simultanée des nouveaux équipements poserait un problème d’absorption. Toutes les opérations d’armement, majeures et secondaires, sont concernées. Nous risquons de perdre en cohérence.

Enfin, reports et annulations de commandes touchent également l’infrastructure, à hauteur de 750 millions sur 2012 et 2013, soit une diminution de 30 %.

J’en viens au projet de loi de finances (PLF) pour 2013, qui est de transition. Le décrochage des ressources amorcé dès 2011, avec l’impossibilité de consommer les ressources exceptionnelles des cessions de fréquences, s’amplifie. Le modèle sous-tendu par la LPM en cours était bâti, entre autres, sur une prévision d’augmentation en volume des ressources de 1 % par an à partir de 2012. Dans les faits, le budget de la défense diminuera de 4 % en valeur sur la période 2012-2015.

Au résultat, la divergence cumulée entre les ressources prévues aujourd’hui et la programmation initiale atteint 10 milliards pour 2013-2015, soit presque une année de masse salariale du ministère hors pensions ou la totalité du programme des six sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) Barracuda. Si l’on prolonge la tendance actuelle, on obtiendra en 2020 un écart de 40 milliards en valeur de 2012, soit 130 % du budget total d’une année.

Un tel écart n’est pas de l’ordre de l’ajustement. Il nous impose de revisiter nos ambitions. Pour mémoire, l’effort de défense était, aux normes OTAN –c’est-à-dire hors pensions et hors gendarmerie –, de 2 % du PIB en 1997, avant de se stabiliser ces dix dernières années entre 1,6 % et 1,7 %. En 2012, il est de 1,55 %. À l’horizon de 2015, il dépassera à peine 1,3 %. Compte tenu de la situation des finances publiques, le modèle en vigueur n’est plus soutenable. Nous devrons donc penser autrement.

C’est tout l’enjeu de la préparation du nouveau Livre blanc, puis de la prochaine LPM. Du Livre blanc, nous attendons d’abord une ambition pour notre défense. Inutile de prétendre que nous saurons tout faire, et que nous saurons le faire partout. C’est aujourd’hui hors de notre portée. À ce stade de nos travaux, je vous soumets trois idées forces.

D’abord, la situation budgétaire ne doit pas brider la réflexion stratégique. Construisons la maison en commençant non par le toit, mais par les fondations, c’est-à-dire par nos ambitions : quelles menaces, quels risques devons-nous prendre en compte ? Que voulons-nous faire, où et avec qui ? La situation économique n’est pas l’unique donnée d’entrée.

Ensuite, quel que soit notre niveau d’ambition, la cohérence de notre modèle d’armée est primordiale. Nos capacités doivent être adaptées aux réponses que nous souhaitons apporter, et soutenables financièrement aussi longtemps que nécessaire. Par « capacités », j’entends les hommes et les femmes, l’activité opérationnelle, les équipements et le soutien. C’est une question d’efficacité militaire, de résilience et – encore et toujours – de crédibilité sur la scène internationale.

Enfin, toute réforme ajoutée à la réforme présente un risque, puisqu’elle ne nous laisse pas le temps de tirer tous les dividendes de la réforme actuelle. Elle risque en outre de soulever des défis insoupçonnés, car une réforme est toujours une période de vulnérabilité. L’échéance de notre transformation actuelle était initialement fixée à 2015.

J’ajoute à ce propos deux conseils de bon sens : ne réparons pas ce qui n’est pas cassé ; ne démontons pas une montre pour savoir pourquoi elle marche. On risquerait tout au plus de ne pas savoir la remonter.

Je conclurai ce volet financier par des inquiétudes de court terme. Quelles que soient les orientations stratégiques définies par le Président de la République, qui modèleront les capacités et le format futur de notre outil de défense, il sera difficile de respecter le niveau de ressources fixé par la programmation budgétaire triennale. La transition devra prendre en compte, outre les difficultés budgétaires du pays, les rigidités des dépenses du ministère à court terme – masse salariale, entretien des matériels, préparation opérationnelle ou fonctionnement courant –, tout en préservant les programmes nouveaux ainsi que la base industrielle et technologique de défense.

L’exercice sera difficile parce que les marges de manœuvre sont étroites.

Les déflations d’effectifs de la LPM en cours s’étalent jusqu’en 2015. Aller au-delà impliquerait des dissolutions de structures et d’unités de combat supplémentaires. On ne peut donc considérablement réduire la masse salariale.

Deuxièmement, les marges de manœuvre sur le fonctionnement courant sont désormais réduites à leur plus simple expression. Vous qui êtes au contact des réalités locales, interrogez les commandants d’unités ou de bases de défense. Ils vous diront que la fin de l’année sera difficile. Même si l’on décidait de nouvelles restructurations, seules à même de générer des effets d’échelle, elles ne produiraient pas d’économie à court terme, puisque toute réforme commence par un investissement.

Troisièmement, l’activité opérationnelle est 10 % à 15 % en deçà des objectifs de la LPM, selon les capacités et les matériels. Le ministre de la défense a obtenu que les crédits soient plus importants en 2013, ce dont nous ne pouvons que nous réjouir : leur niveau actuel n’est pas loin de remettre en cause le choix d’une armée polyvalente et homogène, garantissant réactivité, souplesse d’emploi et endurance.

Quatrième contrainte, les crédits d’entretien du matériel, en retrait de 550 millions sur les prévisions initiales pour 2009-2012, croissent en 2013, mais, en raison de l’arrivée de nouveaux matériels, ils devront ensuite être soutenus si nous ne voulons pas dégrader davantage une disponibilité technique déjà moyenne. Celle des matériels déployés en opérations est bonne, mais nous en sommes réduits à déshabiller Pierre pour habiller Paul. En ce qui concerne le maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos matériels, nous avons réussi à faire autant avec moins de moyens ; nous ne ferons pas mieux avec encore moins. Dès lors, les seuls nouveaux gisements d’économies sont externes. Ils se situent notamment dans les contrats de MCO que nous passons avec nos industriels, dont les marges, pointées par la Cour des comptes et l’inspection des finances, peuvent dépasser 50 %. Nous devrons négocier avec eux, quitte à le faire assez brutalement.

Enfin, les programmes d’armement sont rigides, à cause du niveau d’engagements récent, parce que, pour dégager des économies, nous avons fait des commandes globales, et parce qu’il y a déjà eu en 2009 une grande vague de négociations pour contenir les financements. La réouverture des contrats, qui incombe au DGA, risque d’être délicate.

Pour résumer ces inquiétudes, ces inerties, ces rigidités, je dirais que la défense est comme un grand navire lancé à 32 milliards d’euros : on ne peut pas réduire sa vitesse aussi rapidement qu’on le voudrait. Cela ne signifie pas qu’il n’existe aucune alternative à la situation tendue que nous connaissons, surtout si l’on considère l’ensemble des leviers, mais ceux-ci sont indissociables. Ne me demandez pas de choisir aujourd’hui : c’est la déclinaison de l’ambition nationale définie par le Livre blanc qui déterminera le levier à privilégier.

Les militaires sont conscients des difficultés économiques et budgétaires. Nous sommes solidaires et nous ne nous dérobons jamais. Les armées sont totalement mobilisées pour identifier et mettre en œuvre de nouvelles voies. Elles prennent d’ores et déjà toute leur part dans ces travaux qui nous engagent tous, au service de la France dans le monde.

M. Joaquim Pueyo. Les modalités du retrait des troupes hors de l’Afghanistan, par voie maritime, terrestre ou aérienne, ont-elles évolué depuis votre dernière audition ? Rencontre-t-on sur le terrain des difficultés particulières ? L’opération aura-t-elle une incidence sur le moral de nos soldats ? Une action préventive, comme le versement de primes, est-elle envisagée ?

L’abaissement régulier du format de l’armée de terre va-t-il entraîner un abandon capacitaire ? Notre armée pourra-t-elle rester au premier plan ? Certaines fonctions fragilisées doivent-elles bénéficier d’une attention particulière du Gouvernement et du Parlement ?

M. Daniel Boisserie. Je ne suis pas sûr que notre armée soit encore indispensable au Kosovo, où je me suis rendu récemment. Peut-on envisager une opération commune pour retirer en même temps nos troupes et nos matériels hors de ce pays et de l’Afghanistan ?

Pour 2013, la dotation de financement partiel des OPEX, qui se monte à 630 millions, vous paraît-elle généreuse ou réaliste ?

M. Philippe Vitel. Peut-on en savoir un peu plus sur le programme des nouveaux bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) que le ministère de la défense considère non comme une acquisition patrimoniale mais comme un partenariat public-privé (PPP) mis en place pour quinze ans ?

Le port d’attache des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) de classe Barracuda est Toulon, mais, hier soir, le secrétaire général pour l’administration a évoqué des investissements en infrastructures à Toulon et à Brest. Envisage-t-on de répartir ces sous-marins sur les deux ports ?

La construction d’un missile antinavire léger (ANL), envisagée dans le cadre d’un accord industriel franco-britannique, est-elle toujours d’actualité ou la France y a-t-elle définitivement renoncé ?

Amiral Édouard Guillaud. Les modalités du retrait d’Afghanistan n’ont pas changé depuis juillet. Il s’effectue pour l’instant par la voie aérienne mais, au nord, la voie terrestre se dégage, l’Ouzbékistan ayant ratifié la semaine dernière des accords techniques. Restons prudents, toutefois : les Américains, en avance sur nous, ont mis six mois à sortir de la jungle administrative, après la signature de leurs accords. Pour l’heure, nous avons réalisé 28 % de notre plan de marche, contre 25 % prévus à cette date, ce qui dégage une marge d’avance, par exemple au cas où la météo se gâterait.. Nous réalisons donc fidèlement le programme fixé par le Président de la République.

Aucune difficulté nouvelle n’est apparue. Officiellement, rien n’est sorti d’Afghanistan par le Pakistan depuis l’annonce de sa réouverture. Presque rien n’y est entré. Seuls 50 conteneurs ont quitté Karachi. Il est logique d’attendre quelques mois en pareil cas.

Pour 2012, on évalue à moins de 500 millions d’euros le surcoût des opérations en Afghanistan. En 2013, les surcoûts baisseront sous l’effet de la diminution du nombre d’hommes sur place– ils ne seront plus que 1 500 à partir du 1er janvier –, la fin de l’opération de désengagement étant prévue au 1er juillet. Les sommes consacrées à l’Afghanistan sont pratiquement équivalentes en 2011 et en 2012, mais les dépenses se sont déplacées des combattants vers les surcoûts logistiques.

Toutes les unités de l’armée de terre sont passées en Afghanistan.. Si elles disposent d’un savoir-faire, la guerre qui s’y déroule n’a rien à voir avec les opérations qu’il faudrait conduire, par exemple, pour soutenir la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) au Mali ou sécuriser les armes de destruction massive en Syrie. Certaines leçons, que nous avons correctement identifiées avec nos alliés, sont pérennes. D’autres sont spécifiques au théâtre afghan.

Le format de l’armée de terre doit rester cohérent. Il n’est pas prévu de renoncer à certaines fonctions, même si leur proportion peut être réduite. Pour des raisons stratégiques, les abandons éventuels devront être étroitement coordonnés avec nos alliés dans le cadre du traité de Lancaster House, du triangle de Weimar, de Weimar plus, de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ou de l’OTAN, le risque étant que les États « se repassent la patate chaude ». Tant que le Livre blanc n’est pas paru, nous ne connaissons pas nos ambitions, qui devront ensuite être déclinées à la fois armée par armée et de manière globale.

Le Kosovo ne saurait profiter géographiquement de la ligne de retour aérienne ou maritime de l’Afghanistan. Une mutualisation est d’autant moins envisageable qu’il ne s’agit pas des mêmes matériels. Si le nombre de gendarmes présents au Kosovo a beaucoup diminué dans le cadre de la mission EULEX, notre présence reste indispensable sur place, où le conflit demeure entre Kosovars d’origine serbe (KOS) et d’origine albanaise (KOA), notamment autour de l’Ibar. La question peut être posée au Gouvernement mais, sur le plan non de la politique mais de la géostratégie, il sera plus difficile de nous retirer du Kosovo, situé à 1 500 kilomètres des capitales européennes, que de l’Afghanistan, qui est à 7 000. Si le Kosovo progresse sur la voie de l’indépendance, la Kosovo Security Force (KSF) n’a ni le savoir-faire ni la rectitude d’une gendarmerie ou d’une armée. Le côté serbe n’étant pas très calme, je pense que nous resterons encore quelque temps sur place.

Pour 2013, l’enveloppe de 630 millions consacrée aux OPEX me semble réaliste mais nous ne savons jamais exactement quelles seront les dépenses. Cette année, nous terminerons à 870 millions, pour 630 budgétés. Une loi de finances rectificative prendra l’écart en compte. Reste que le budget ne prévoit pas l’ouverture d’une opération nouvelle, qui pourrait intervenir en Afrique ou ailleurs. À la différence du Royaume-Uni ou des États-Unis, la France est un des rares pays à inclure les OPEX dans le budget de la défense.

Pour les BSAH, deux versions concurrentes étaient prévues : l’une, en PPP, l’autre patrimoniale, avec 8 navires aux normes civiles dont 4 à équipage civil et 4 à équipage militaire, ce qui revenait à reconduire le dispositif actuel avec des bâtiments plus modernes et mieux adaptés. Ces BSAH ne doivent pas être confondus avec les Abeille Bourbon, remorqueurs d’intervention, d’assistance et de sauvetage, dont le rapport coût-efficacité n’est plus à démontrer, même si des contraintes budgétaires nous obligent à « rogner » sur les équipements.

Le stationnement des SNA en Méditerranée n’est pas remis en cause, et leur entretien majeur est à ce jour prévu à Toulon. Pour l’heure, je n’ai pas de changements considérables à annoncer, sinon que la baisse de 30 % de nos crédits d’infrastructures, lesquelles ont été trop souvent sacrifiées depuis vingt ans, posera à terme des difficultés, notamment dans le domaine nucléaire.

Le projet de missile antinavire léger (ANL), un des programmes phares de la coopération franco-britannique, n’est pas abandonné, mais il est provisoirement suspendu pour des raisons de calendrier..

M. Philippe Vitel. Les Anglais ne risquent-ils pas de réaliser ce projet sans nous ?

Amiral Édouard Guillaud. Ils l’ont annoncé, mais si MBDA s’en chargeait, on ne pourrait dire qu’ils l’ont fait seuls. Les Anglais sont de rudes négociateurs mais à ce jeu, nous nous sommes améliorés. Le DGA peut le confirmer.

M. Jean-Yves Le Déaut. L’armée a-t-elle appréhendé les mutations technolo-giques très rapides propres au renseignement et à l’observation ? N’a-t-on pas pris du retard dans ce domaine ? Malgré un contexte budgétaire contraint, ne faut-il pas investir, notamment dans les études, puisqu’il est essentiel d’augmenter la dissuasion et que l’aide à l’aéronautique est contrainte ? La sécurité des systèmes d’information et de la communication est un enjeu capital. Il y a dix ans, travaillant sur le bioterrorisme, j’avais rédigé un rapport sévère sur les capacités de détection rapide des armées.

Le Livre blanc de 2008 insistait sur l’importance de disposer d’une maîtrise nationale des technologies et des équipements nécessaires à notre souveraineté. Sommes-nous à ce niveau pour les drones ?

M. Alain Marty. Combien de biens immobiliers seront touchés par la décision du Gouvernement de mettre à la disposition des collectivités des emprises ou des bâtiments faisant l’objet d’un projet social ? Vos services ont-ils évalué les conséquences de cette décote ? Envisagez-vous de demander une compensation ?

Pour le programme MRTT, l’acquisition patrimoniale a prévalu, puisque le domaine du ravitaillement et du transport souffre d’un déficit capacitaire qui peut mettre en difficulté la composante aérienne de notre force de dissuasion. La décision sera rendue fin 2013 pour une livraison en 2017. Quel sera le rythme de commande et comment sera renouvelée cette capacité indispensable à la projection de nos forces ?

M. Charles de La Verpillière. En dépit des succès rencontrés en Afghanistan, avez-vous constaté sur place des faiblesses, en matière d’armement ou de méthode, dont nous pourrions tirer des enseignements ? D’autre part, pouvez-vous dresser un premier bilan de la création des bases de défense ?

Amiral Édouard Guillaud. Nous ne sommes pas en retard, Monsieur Le Déaut, en ce qui concerne les nouvelles technologies de l’information ou les biotechnologies. Pour 2013, le budget des études, en augmentation, se monte à 750 millions. La DGSE recrutera quelque 70 nouveaux spécialistes, notamment en sécurité des systèmes d’information. Elle ne peut en recruter davantage, tant le vivier – où puisent Thales, Areva ou d’autres administrations – est réduit. Dans ce domaine, les contraintes budgétaires et humaines se rejoignent. Peut-être la France ne forme-t-elle pas assez d’ingénieurs ou les forme-t-elle trop lentement, mais c’est un autre problème.

En quatre ans, nous aurons recruté 500 à 600 ingénieurs de plus, qui appartiennent au cadre A, voire A+. Certains prétendront que nous avons pris du retard au démarrage mais, partis deux ou trois ans après les Américains, nous avons aussi été instruits par leur expérience. Il est même arrivé que le Pentagone nous interroge. Vendredi dernier, un pays du Golfe qui avait choisi une structure de protection à l’américaine – peu pertinente, car sa population n’est pas celle des États-Unis – nous a également sollicités.

Je me souviens fort bien de votre rapport sur la menace biologique, dont j’ai parlé hier soir avec Mme Marion Guillou, ancienne présidente de l’INRA. S’il est difficile d’évaluer le niveau de risque biologique, qui est réel, notre expertise en la matière est reconnue dans le monde entier. Le service de santé des armées et l’Institut de recherche biomédicale des armées (IRBA), basé à Brétigny-sur-Orge, font notre fierté.

Quand nous avons constaté que les solutions proposées pour accéder - par étapes -  à  une capacité « drones » durable nécessitaient plus de 2,4 milliards d’euros et ne permettaient pas d’espérer des livraisons du système final avant 2020, il aurait été absurde de s’y lancer à la seule fin de contenter des grands groupes européens. Par ailleurs, sur un drone, la charge utile compte plus que le vecteur. Or, en ce qui concerne les charges utiles, nous avons de véritables atouts. Le meilleur exemple est le système de reconnaissance de nouvelle génération Reco-NG du Rafale. Ses capacités d’imagerie exceptionnelles ont permis d’assurer 40 % des photos de la coalition au-dessus de la Libye. En 2008, j’aurais bien évidement aimé disposer de 2,4 milliards pour acquérir le Talarion d’EADS, même si ce projet avait surtout axé l’effort technologique sur le vecteur plutôt que sur les charges utiles. Or, sur un drone, je le répète l’effort principal doit être consenti au profit des charges utiles, du C2 et de la station de contrôle déployable.

Monsieur Marty, le dossier des ressources exceptionnelles immobilières est géré par le secrétaire général pour l’administration. Nous ne prévoyons que 200 millions pour 2013. Si les prévisions pour la LPM se montaient, en euros constants, à 1,9 milliard, les surestimations et les ventes pour un euro symbolique ont réduit cette somme à moins de 1,4 milliard. Les nouvelles conditions de cession diminueront encore les ressources exceptionnelles. Je n’ai pas malheureusement entendu parler de compensation.

Pour le programme MRTT, le rythme prévu est d’un appareil en 2017, puis de deux par an. J’espère que l’Airbus A330 sera retenu car je ne vois aucune raison d’aller chez Boeing. Nous avons choisi le patrimonial, le seul PPP existant en la matière mettant l’heure de vol à 50 000 euros quand nous visons un coût de 17 500. Certes, le MRTT est simultanément cargo et avion de passagers mais il n’a pas paru opportun de conclure un PPP, même lorsqu’on nous a proposé de réduire le coût de vol à 30 000. Le patrimonial s’impose aussi au regard de la dissuasion.

En Afghanistan, nous avons eu de mauvaises surprises, ce qui est habituel, mais, sur le plan militaire, nous avons été au rendez-vous. On ne peut dire que nous ayons utilisé un mauvais matériel ou que celui-ci soit à améliorer. Compte tenu des rapports de la Direction générale de l’armement, non seulement avec l’état-major mais avec les armées, nous n’avons pas eu besoin, contrairement aux Britanniques, de procéder à beaucoup d’achats en urgence opérationnelle, preuve que le matériel correspondait en nombre et en qualité à nos besoins. Les urgences opérationnelles représentent cette année moins de 30 millions d’euros, contre un milliard de livres pour les Britanniques. Au cours de la dernière décennie, le maximum annuel que nous ayons dépensé pour ce poste a été de 230 millions.

Pour la tactique, nous nous sommes adaptés à l’asymétrie du combat et à la difficulté de s’intégrer à une coalition de 52 participants, où des pays qui n’ont engagé que cinq hommes voudraient avoir le même poids politique que les autres. C’est d’ailleurs non pas le plan militaire mais le plan politique qui a le moins bien fonctionné. Je pense aux efforts pour une bonne gouvernance ou à l’aide au développement, qui aurait pu être plus rapides et plus puissants, du moins au début. Aux yeux des militaires français et d’une grande partie de ceux de la coalition, il s’agissait des prérequis puisque, si l’on n’envisage pas l’amont et l’aval, une opération militaire peut tourner à la catastrophe, ce qui s’est produit en Irak.

L’idée des bases de défense revient à l’armée de terre. Elle a ensuite été validée par l’état-major des armées, avant que j’en hérite, et que j’en assume totalement la responsabilité. Quoi qu’on en dise, il s’agit globalement d’une réussite. Il existe soixante bases. Quel serait le nombre idéal ? Certainement pas 20, comme l’affirme la Cour des comptes, mais peut-être moins qu’aujourd’hui. Le dossier doit être examiné de près.

Lundi, le ministre a visité à Orléans une base de défense armée de terre et armée de l’air, qui fonctionne. Auparavant, on ne lui avait montré – intentionnellement – que celles qui connaissent des difficultés. Celles-ci peuvent s’expliquer par la qualité de leurs patrons, par des contraintes locales ou géographiques, voire par des différences de culture. Brest, quasiment monocolore, Toulon, plus bariolée, marchent bien, comme Angers, Saumur, Orléans, Nancy, qui est bicolore, ou Valence, qui est monocolore. Les difficultés liées à l’ajustement des financements ont été prises en compte. D’autres, non anticipées, ont été résolues, comme la responsabilité légale en matière d’hygiène et de sécurité des conditions de travail. C’est pour l’armée de terre que la réforme, qui a remis en cause le modèle régimentaire cinq fois séculaire, a représenté la plus grande révolution. Il a été plus facile aux aviateurs ou aux marins de se couler dans le moule, même si s’occuper des autres armées a réclamé une évolution des mentalités.

Peut-être y avait-il d’autres solutions que la création des bases de défense, mais nous n’avons plus les moyens de faire marche arrière. Distinguons en tout cas ce phénomène des difficultés exogènes que posent les logiciels Chorus ou Louvois, la formation ou l’acquisition des données. Les 60 bases de défense sont opérationnelles depuis le 1er juillet 2011. Gardons-nous de jeter le bébé avec l’eau du bain. D’ailleurs, nous continuons à apporter des améliorations. Depuis le 1er octobre, de nouvelles expérimentations sont à l’œuvre, en particulier dans le mode de commandement. Il faut tenir compte des spécificités locales. Pour commander la base de défense de Pau où chacun des trois régiments de parachutistes est commandé par un colonel très brillant, il faut une personne à poigne. À Brest et à Toulon, regroupant 22 000 et 30 000 hommes, on a nommé deux très hauts potentiels, sans leur laisser d’autre choix que de relever le défi. Ils y sont parvenus. En somme, nous avons fait preuve de volontarisme et nous nous sommes donné des moyens.

M. Nicolas Dhuicq. Le bruit court que le terme d’arc de crise serait abandonné pour celui de zone d’intérêt régional. Est-ce une manière de prendre en compte l’aspect marin et ultramarin de la nation ?

M. Christophe Guilloteau. Est-il question, comme vous l’avez laissé entendre, de modifier le format des bases de défense et, le cas échéant, à quel endroit ? Comment évolue la situation au Sahel, auquel vous n’avez pas fait allusion dans votre exposé ?

M. Bernard Deflesselles. Que recouvre pour vous l’expression de mutualisation capacitaire, qui fait florès ? Quelles sont vos intentions en la matière ? Négociation après négociation, il semble que l’OTAN soit amenée à contribuer financièrement à la défense anti-missiles. Dans ce cas, quelle serait notre participation et à quelles retombées peut-on s’attendre en matière industrielle et technologique ?

Amiral Édouard Guillaud. L’arc de crise est une approche pertinente sur le plan géographique et stratégique, même si l’on doit s’interroger sur le tracé de ses contours : il identifie les zones d’instabilité potentielles, sur la base d’un constat. Il ne désigne aucun théâtre d’intervention, mais la notion peut être mal comprise par les populations concernées. Lorsque l’on parle de zone d’intérêt régional, on change de registre : celui des intérêts, de fait plus complexe. Quand des problèmes surgissent entre la Corée et le Japon et entre celui-ci et la Chine, nous n’y sommes intéressés que de fort loin. Tout aussi éloignée, la mer de Chine méridionale – l’entrée du détroit de Malacca –, qui voit passer 40 % du commerce mondial, nous intéresse en revanche au premier chef. La notion de distance n’est pas la seule pertinente. D’ailleurs, elle ne signifie rien dans l’espace ou le cyberespace. Je fais confiance à la Commission du Livre blanc et à son président Jean-Marie Guéhenno pour choisir l’expression la plus appropriée.

Pour les bases de défense, il y a quelques écueils à éviter. Les représentants de la Cour des comptes ont dû regarder une carte sans relief quand ils ont suggéré qu’en Corse, une seule base de défense pouvait suffire. Ont-ils jamais fait en voiture la route qui mène de Solenzara à Ajaccio ? En revanche, on peut probablement s’interroger sur le statut de Vannes et de Lorient.

Pour le Sahel, le Président de la République a indiqué que nous serions prêts à soutenir une opération africaine ou internationale. Un projet est en cours d’élaboration à l’ONU. Placé sous chapitre VII de la charte des Nations Unies, il concerne une mission non seulement de maintien mais d’imposition de la paix. Nous suivons le dossier de près. Nous soutiendrons bien entendu la légalité internationale mais il faut aussi une appétence malienne, qui ne se manifeste pas clairement.

La notion de mutualisation capacitaire est une auberge espagnole, comme le pooling and sharing ou la smart defence. Si j’y suis extrêmement favorable, je suis aussi très prudent. Avant de mutualiser, il faut avoir un accès garanti, ce qui relève du politique, et très bien connaître l’autre, pour ne parler que du bilatéral. Il est aussi plus facile politiquement et diplomatiquement de mutualiser des capacités de défense ou de résilience que des capacités offensives. Ainsi, nous travaillons avec les Allemands en vue de rapprocher nos services de santé, domaine dans lequel l’accord du Bundestag est acquis. D’autre part, il est plus facile à deux pays de la même taille de mutualiser. Enfin, il existe des stratégies de niches, comme en développent les Néerlandais ou les Danois. La mutualisation n’est pas la panacée, mais seulement un outil parmi d’autres.

À l’égard de l’OTAN, la position française est de proposer non un financement mais des fournitures en nature. Certes, à mesure que leur budget diminue, des industriels américains ont tendance à réclamer des financements à l’OTAN. Ils font preuve de la même agressivité pour négocier les contrats d’armement à l’exportation. Il faut toutefois se rappeler la déconvenue industrielle qu’a représentée la guerre des étoiles, soutenue par les grands groupes français, qui n’ont bénéficié d’aucune retombée. Même bilan pour l’avion F-35 ou Joint Strike Fighter (JSF), auquel tout le monde s’était rallié. Les Britanniques, qui financent 10 % de son développement, n’ont pas pu accéder aux codes de furtivité : il y a deux ans, la direction de Lockheed leur a répondu qu’ils avaient signé un accord avec le Gouvernement américain, mais non avec elle. Il y a trois jours, la Fédération des industries danoises a protesté parce qu’aucun contrat industriel n’avait été passé aves le Danemark sur ce dossier. Regardons l’histoire avant de céder aux industriels.

M. Jacques Lamblin. La chaîne de décision, qui peut être rapide – il n’a fallu que trois ans pour créer les bases de défense –, ne l’est pas toujours pour le choix de certains investissements. Peut-on remédier à cette inertie, qui n’est plus en phase avec l’évolution du monde ?

M. Alain Chrétien. Qui protégera nos personnels en Afghanistan quand nos troupes combattantes auront quitté le pays et qu’il ne restera sur place que 1 500 hommes ?

M. Richard Ferrand. Qu’attendez-vous, sur le plan budgétaire, des négociations sur les marges des industriels dont vous avez annoncé qu’elles seraient menées avec une certaine brutalité ?

Amiral Édouard Guillaud. Quand il s’agit d’investir, le ministère de la défense n’est pas le seul concerné. Bercy peut geler des crédits ou ne pas les passer au contrôle financier, ce qui retarde certaines décisions, quitte à déclencher un effet de cliquet annuel. C’est un moyen de régulation externe que nous subissons.

Le projet des bases de défense a pu être mené rapidement parce qu’il ne prévoyait pas de construction de matériel et concernait uniquement les hommes. Un programme d’armement peut s’étendre sur 70 ans. Il s’écoule 15 ans entre le moment où l’on choisit un char ou un avion de combat et celui où le premier modèle est opérationnel. Le matériel dure 40 à 50 ans, suivis de quelques années de démantèlement. Ce temps de 70 ans est à peu près le même dans tous les pays. Le programme Leclerc a été lancé pour 1 200 chars, quand l’URSS existait encore. Nous en avons aujourd’hui 254. Plus le matériel est complexe, plus le temps de décision est long. Si le Caesar a pris moins de temps, c’est que l’idée a germé non dans l’armée, mais chez Nexter, qui a dû y penser deux ou trois ans avant nous. J’aimerais que les délais soient plus courts, mais l’armée n’est pas seule décisionnaire. Si elle l’avait été pour les drones, il y a longtemps que le problème aurait été réglé.

Sur les 1 500 Français qui resteront en Afghanistan au 1er janvier, il restera 30 % à 40 % de forces offensives et, sur les 500 qui resteront au 1er juillet, 50 % de forces offensives. Parmi les 1 500, il y aura beaucoup de logisticiens et, parmi les 500, des médecins, infirmiers et personnels médicaux, 150 formateurs et autant d’anges gardiens, le reste appartenant à la structure de commandement de l’aéroport de Kaboul, qui est multinational et dont nous n’assurons pas directement la sécurité.

J’aimerais vous répondre sur l’ampleur des gains que peuvent nous ouvrir des négociations, sachant que les marges, allant de 15 % à 90 %, excèdent en moyenne de 25 % à 30 % celles qu’on trouve dans l’industrie sur du matériel neuf. Nous tenterons de gagner quelques centaines de milliers d’euros pour les réinjecter. La difficulté, même pour négocier de manière brutale, vient du fait que nous parlons à un partenaire en situation de quasi-monopole. Dès lors, il faut recourir à des moyens de pression, comme la médiatisation.

M. Jean-Michel Villaumé. Où en est le programme FÉLIN ? Combien d’unités ont été équipées ? Un bilan a-t-il été réalisé ? Quelle évolution envisagez-vous, au sein du programme européen et de la bulle opérationnelle aéroterrestre (BOA) ?

M. Philippe Folliot. Qu’en est-il du programme Balard ? Les nouvelles conditions de cessions immobilières sont-elles de nature à le remettre en cause ?

Amiral Édouard Guillaud. Pour le programme FÉLIN, 9 régiments ont été équipés. Fin 2012, un peu plus de 10 000 équipements auront été livrés. Le retour d’Afghanistan est excellent. Pour des raisons financières, les évolutions seront limitées au strict minimum. Nous travaillons avec d’autres pays comme le Brésil sur l’adaptation au milieu de la jungle, qu’on trouve par exemple en Guyane.

Pour le programme Balard, je dispose de la même source d’information que vous : les blogs. La location de la corne ouest rentre dans l’équation financière générale. Une mission d’enquête conjointe de l’inspection générale des finances et du contrôle général des armées est en cours. Je ne peux préjuger de son résultat. Quoi qu’il en soit, j’ai besoin de ce programme, même s’il doit être implanté ailleurs.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.

La séance est levée à treize heures dix

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Membres présents ou excusés

Présents. –  Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, M. Richard Ferrand, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, M. Christophe Guilloteau, M. Patrick Labaune, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel

Excusés. –  M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, Mme Catherine Coutelle, M. Lucien Degauchy, M. Yves Foulon, M. Francis Hillmeyer, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. François de Rugy