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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 17 octobre 2012

Séance de 11 heures 15

Compte rendu n° 12

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président

— Audition du général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2013.

La séance est ouverte à onze heures quinze.

M. Philippe Nauche, Président. Je tiens d’abord à excuser la Présidente Patricia Adam, retenue toute cette journée par les travaux de la commission chargée de préparer le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

J’ai le très grand plaisir d’accueillir en son nom et en votre nom à tous ici présents, le général Bertrand Ract Madoux, chef d’état-major de l’armée de terre, à qui je souhaite la bienvenue.

Vous allez nous présenter, mon général, le projet de budget de l’armée de terre pour 2013. Plusieurs défis de taille attendent nos militaires dans les semaines à venir. Nos forces quittent en ce moment même le théâtre afghan, après plus de 10 années de présence, et ce retrait complexe et dangereux semble en bonne marche. Ce budget permettra-t-il à l’armée de terre, de retour sur le territoire national, de disposer des ressources nécessaires à une préparation opérationnelle de qualité ? De plus quelle incidence la fin de cette OPEX a-t-elle sur le moral des militaires ?

J’aimerais que vous nous précisiez également pour l’armée de terre les enjeux en matière d’équipements en 2013 et au cours des années à venir. Le programme Scorpion, notamment, devrait être décalé. Cette situation est-elle inquiétante pour la régénération du matériel de l’armée de terre, qui semble désormais indispensable ?

Je voudrais enfin que vous nous décriviez l’état d’esprit de l’armée de terre, qui a subi une importante réduction de son format et des réformes. Celles-ci, notamment pour la chaîne soutien, qui ont pu déstabiliser son fonctionnement. Je pense tout particulièrement à la mise en place du système Louvois, pour le paiement des soldes, qui a connu et connaît encore d’importants dysfonctionnements.

Ce rendez-vous budgétaire annuel est l’occasion pour nous tous de rappeler l’attachement des représentants de la Nation à ceux qui la servent – et d’avoir avec vous des échanges toujours passionnants.

M. le général Bertrand Ract Madoux. Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres de la commission, je vous remercie de m’offrir cette opportunité de pouvoir, une nouvelle fois, m’adresser à la représentation nationale.

Ma précédente intervention m’avait amené en juillet à vous présenter les caractéristiques et les enjeux d’une armée, qui n’est peut-être pas la plus simple à appréhender mais dont la force repose justement sur la diversité, la complémentarité et la polyvalence de ses composantes. Je vous avais ainsi exposé nos missions, nos points de satisfaction et nos inquiétudes.

Je partagerai cette fois avec vous mon appréciation sur le projet de loi de finances 2013, un exercice qui requiert une importance toute particulière en cette année de révision du Livre blanc.

J’ai pu constater que ce budget avait été, à juste titre, qualifié de budget d’attente ou de transition par le ministre de la défense et le chef d’état-major des armées. Cette attente ne sera pas sans conséquence pour une armée de terre qui représente, comme j’ai coutume de le dire, 20 % du programme 146, 20 % de la préparation opérationnelle hors titre 2 (personnel) des armées et 20 % de l’entretien programmé des matériels (EPM) des armées. Or dans ce processus de recherche d’économies de court terme, elle supportera, en 2013, une grande part des efforts du ministère.

1. L’armée de terre supportera ces efforts, tout d’abord, dans le domaine des équipements dans la mesure où, sur les années 2012 et 2013, l’armée de terre devra contribuer à hauteur d’environ 40 % du total des reports ou annulations en autorisations d’engagement ainsi que des crédits de paiement. Cet effort apparaît encore plus disproportionné pour la seule année 2013, avec une part dans la réduction des engagements estimée à 76 %. Cela s’explique par ses nombreux petits programmes particulièrement propices aux économies de court terme et par le fait que plusieurs programmes majeurs tels SCORPION et le porteur polyvalent terrestre (PPT), n’ayant pas encore été notifiés, pouvaient donc être décalés.

Le plan des autorisations d’engagement 2013 devrait ainsi maintenir les seuls investissements prévus les années précédentes et geler toutes les commandes initialement prévues en 2013, pour un montant de 546 millions d’euros.

Déjà, après les dernières grosses commandes des programmes majeurs de 2009, véhicule blindé de combat et d’infanterie (VBCI et FELIN), 2010 et 2011 ont été des années d’étiage. La reprise devait être amorcée en 2012 avec le NH90 CAÏMAN et le missile moyenne portée, pour augmenter plus nettement en 2013 avec le lancement des programmes majeurs de l’armée de terre : SCORPION, armement individuel du fantassin, roquette de nouvelle génération, autant de programmes indispensables au renouvellement des équipements parmi les plus anciens de l’armée de terre et aujourd’hui à bout de souffle. En raison des mesures d’attente, 2012 aura donc été moins ambitieuse que prévue et l’année 2013 reprendra seulement certaines commandes prévues en 2012.

Certes, il n’y aura pas eu d’annulation de programme majeur, c’est l’essence même de ces mesures dites « d’attente ». Mais les mesures prises porteront essentiellement sur des décalages de commandes qui post 2014, terme de la loi de programmation militaire en cours, auront des conséquences déstructurantes dans la mesure où un cinquième des mesures en crédits de paiement concernent les programmes d’environnement (ou autres opérations d’armement), si importants, malgré leur diversité pour l’armée de terre.

Les conséquences immédiates en seront notamment le décalage à l’été 2013 de la notification des travaux complémentaires d'architecture pour le programme SCORPION. Si cette mesure qui affecte le programme majeur de l’armée de terre est surtout emblématique, d’autres auront des conséquences capacitaires plus importantes telles que l’impossibilité de projeter plus de 4 hélicoptères CAÏMAN jusqu'à fin 2016 ou la rupture capacitaire sur le segment des porteurs logistiques terrestres à partir de 2015.

Ces restrictions ne remettront pas en cause le modèle capacitaire de façon irréversible et permettront de ne pas préempter les décisions du Livre blanc et de la loi de programmation militaire à venir. Elles représentent, en revanche, une rupture très nette dans la trajectoire des ressources. Celle-ci menace à moyen terme la modernisation et donc la cohérence de certaines fonctions opérationnelles.

Quels que soient l’issue des travaux du Livre blanc et les formats retenus, l’effort devra donc impérativement être rétabli dès 2014 et prolongé dans la prochaine loi de programmation militaire, pour garantir l’indispensable modernisation des forces terrestres, dans la mesure où une grande partie des commandes et livraisons d’équipements futurs de l’armée de terre y seront prévues :

– commandes du véhicule blindé multirôle (VBMR) et de l’engin blindé de reconnaissance et de combat (EBRC) pour remplacer un parc de blindés à bout de souffle, utilisé dans toutes les crises et conflits (véhicule de l’avant blindé – VAB, AMX10-RC, ERC-90 SAGAIE) ; c’est le cœur du programme, SCORPION avec le système d’information et de combat (SICS), pour permettre la mise en réseau des unités de combat ;

– livraison des 68 hélicoptères NH-90 d’ici à 2020 pour consolider l’aérocombat et éviter une rupture capacitaire imminente ;

– acquisition d’une capacité missile de moyenne portée (MMP) pérenne et moderne française permettant d’engager tout type d’adversaire, en remplacement des vieux MILAN ;

– acquisition effective et rapide d’une capacité de drone tactique. Le programme Watchkeeper correspond ainsi au besoin de l’armée de terre. Il offre, outre les perspectives de coopération franco-britannique, une optimisation des coûts d’acquisition, de soutien, de formation et d’entraînement des utilisateurs ;

– enfin, acquisition d’une capacité de frappe à distance, priorité de la LPM 2009-2014 mais remise en cause par le décalage du programme lance-roquettes unitaire (LRU). Ce dernier était pourtant la condition à la réduction du nombre de pièces dans l’artillerie…

2. L’armée de terre supportera également une part importante des efforts du ministère dans le domaine des effectifs.

Sa contribution ira ainsi au-delà de l’objectif fixé par la loi de programmation militaire (environ 2 700 postes en 2013) en raison d’une accentuation de la pente de déflation, consécutive aux décisions contenues dans la lettre plafond de cet été.

Certes, cet effort supplémentaire et ponctuel a été qualifié d’avance sur les déflations prévues en 2014 et 2015. Mais, j’avais pu vous préciser, comme mon prédécesseur l’avait fait avant moi d’ailleurs, que les dernières années de la réforme seraient les plus difficiles à réaliser.

L’armée de terre doit en effet prendre en compte un certain nombre d’obstacles à la réalisation de sa cible que sont les mesures imposées aux armées postérieurement au Livre blanc de 2008 : maintien de telle unité ou de telle garnison, ouverture de chantiers nouveaux (OTAN, cyberdéfense,…). Ces mesures n’ont malheureusement pas été accompagnées des effectifs supplémentaires correspondants et ont in fine un impact sur la réalisation de la cible 2015. L’effort supplémentaire imposé de 825 postes en 2013 portera ainsi sur plusieurs fonctions opérationnelles et de façon répartie, notamment sur l’infanterie. J’ai en effet refusé, en l’état, et dans l’attente des conclusions des travaux du Livre blanc, de proposer la dissolution d’un nouveau régiment. Mais il s’agit d’une perspective que je ne pourrai pas écarter en cas d’éventuel effort supplémentaire.

Ainsi, dans un contexte de diminution programmée des effectifs, les ressources du titre 2, hors pensions, diminuent logiquement de 30 millions d’euros. Mais je constate également que de façon mécanique, le poids des pensions augmente de manière bien plus importante. Je voudrais attirer votre attention sur cette part du titre 2 consacrée aux pensions qui ne fera qu’augmenter avec la diminution des effectifs.

Enfin, je regrette la clause d’auto-assurance qui a été assortie à la mesure de « resoclage » du titre 2 en 2012. Cette mise sous condition impliquera que toute mesure imposée ou non programmée en gestion se traduise par des mesures correctrices sur la masse salariale, à l’image des mesures bas salaires, mesures par ailleurs manifestement positives.

Cette approche est dangereuse car les effectifs des armées répondent à des contrats opérationnels définis par la représentation nationale et traduisent l’ambition de la France. Ce ne sont pas de simples variables d’ajustement.

Récemment pointée du doigt sur les questions de masse salariale et d’avancement, souvent à tort, l’armée de terre saura, enfin, prendre les mesures qui s’imposeront pour maîtriser sa masse salariale. Mais il va sans dire que les révélations de l’été 2012, par médias interposés, ont été un choc. J’étais d’ailleurs lundi avec les représentants des officiers de l’ensemble des régiments réunis en séminaire. Ce sujet d’inquiétude était sur toutes les lèvres. Il dépasse bien évidemment la seule catégorie des officiers car la restriction de l’avancement, dont je rappelle qu’il se fait presque essentiellement « au choix », c’est-à-dire au mérite, aura un impact sur « l’escalier social » qui est la force des armées et qui permet, à chacun, selon ses capacités, d’accéder à des responsabilités supérieures. Je vous rappellerai ainsi que 70 % des sous-officiers sont issus des militaires du rang et que 70 % des officiers ne sortent pas directement des écoles de Coëtquidan.

Je m’inquiète donc de ces polémiques qui, en pointant telle ou telle catégorie ou grade, distillent injustement ressentiment et tension intercatégorielle qui n’ont pas lieu d’être dans notre institution. Je me dois ainsi de rappeler que toutes les catégories de personnel ont bénéficié, à partir de 2008, du mouvement de rattrapage des soldes souhaité par le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire dans son premier rapport de février 2007. Celui-ci a logiquement débuté par les militaires du rang en 2008 pour s’achever en 2011 avec les officiers supérieurs.

3. La préparation opérationnelle et l’entretien programmé des matériels de nouvelle génération sont, en revanche, relativement préservés. Je tiens à saluer l’action résolue du ministre de la défense qui a permis de préserver l’essentiel dans ce domaine qui était par ailleurs l’une des préoccupations majeures que je partageais avec les parlementaires. Mais cet effort en faveur de la préparation opérationnelle a été effectué sous enveloppe, au prix d’efforts significatifs sur le fonctionnement, certaines réalisations d’entretien programmé du personnel (EPP) et des matériels (EPM) plus anciens.

Qui plus est, cette tendance à la baisse n’a pu être infléchie et l’objectif des journées de préparation opérationnelle maintenue sur sa cible initiale de 105 jours fixée par le projet annuel de performances pour 2013. Mais je sais également que, dans la recherche d’économies, les travaux préliminaires auraient considérablement dégradé cette cible, ce que n’a pas voulu le ministre.

Il n’empêche qu’avec cette diminution de 111 jours à 105, la préparation opérationnelle globale de l’armée de terre sera néanmoins affectée. Elle sera ainsi amenée à renforcer son modèle de préparation opérationnelle différenciée qui fait un effort ponctuel et cyclique, le plus souvent lié à un engagement opérationnel, sur certaines unités pour les amener aux standards les plus exigeants. Je dois en revanche saluer la reconnaissance des 200 heures de vol par pilote d’hélicoptères comme cible future, à l’image de ce qui se pratique déjà dans l’armée de l’air.

Au-delà de ces perspectives chiffrées, c’est bien la garantie de l’excellence opérationnelle de l’armée de terre qui est en jeu.

Je souhaite également qu’à l’avenir certaines lignes budgétaires soient mieux discriminées pour éviter des coupes « aveugles » dans des domaines qui, à l’image de la communication, ne relèvent pas uniquement du fonctionnement au sens de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Je regrette aussi une lecture parfois trop technique, parcellaire et analytique qui est faite du budget. Cette approche nuit à la cohérence globale. Quel sens y aurait-il à préserver des journées d’activités opérationnelles si les crédits EPM n’étaient pas abondés en conséquence pour permettre un entraînement suffisant ? Et quand bien même le serait-il, ce qui n’est, aujourd’hui, malheureusement pas le cas, si les indemnités liées aux exercices hors garnison (ISC : indemnité de service en campagne) étaient amputées ?

Puis-je vous rappeler qu’avec 85 millions d’euros, seuls 26 jours d’activités sont aujourd’hui indemnisés contre 29 en 2011, ces jours correspondant aux absences en exercice loin des familles et de la garnison. Cela est d’autant plus important que la part des opérations est, comme vous le savez, en nette diminution. Enfin, rappelons qu’il s’agit, hors opérations extérieures, de la seule prime dont nos militaires du rang peuvent bénéficier.

En Afghanistan le retrait se poursuit, en effet, selon le calendrier programmé. Le 30 septembre dernier, le 16e bataillon de chasseurs a ainsi évacué la base de Tagab qui était une des positions parmi les plus dangereuses que nous ayons tenues. Nos troupes auront définitivement quitté la Kapisa en fin d’année et seront regroupées à Kaboul. Ils seront moins de 1 200 de l’armée de terre à Noël. Ce mouvement de retrait s’effectue en très bon ordre. Nos soldats peuvent ainsi sortir la tête haute de cette opération. Ils ont rempli leurs deux missions : contenir les Talibans dans leur zone d’action et former l’armée afghane pour prendre la relève.

Début 2013, le territoire national deviendra de facto le plus important des théâtres d’opérations de l’armée de terre. Elle y a toujours été présente mais peu de nos concitoyens s’en doutent. Il s’agit d’un « théâtre » essentiel pour lequel elle mène, actuellement, une réflexion approfondie sur les moyens qu’elle serait capable de déployer en cas de nécessité, en étroite coordination avec les forces de sécurité.

L’armée de terre prend acte de ce désengagement, sans état d’âme. J’ai engagé ce mouvement de retour sur les garnisons dès ma prise de fonctions, il y a un an. Les efforts de préparation opérationnelle ont été adaptés en conséquence. Cela est d’autant plus important que l’armée de terre n’a en référence, depuis sa professionnalisation, aucune année sans engagement majeur.

Il s’agit maintenant d’effectuer un travail de fond pour tirer les enseignements de 10 ans d’Afghanistan et préparer les engagements futurs. Car comme j’ai déjà pu le dire, préparer la guerre, ne consiste pas uniquement à s’appuyer sur les conflits passés.

Un certain nombre de parlementaires, avec lesquels j’ai eu l’occasion de m’entretenir, m’ont d’ailleurs fait part de leur inquiétude sur l’impact que pourrait avoir la baisse des opérations en termes de moral, de recrutement et de fidélisation. Il s’agit là effectivement de véritables enjeux. Au-delà de nouvelles opérations qui, dans notre monde instable ne manqueront vraisemblablement de se déclencher, il importe effectivement de pouvoir apporter à des professionnels ce qu’ils sont en droit d’attendre, à savoir les conditions pour effectuer correctement leur métier. Nous avons ainsi l’obligation de conserver un rythme d’activités suffisant. Au regard du budget du ministère, les sommes nécessaires sont d’ailleurs marginales. Je pense également qu’à l’avenir une petite partie des actuels budgets OPEX pourrait très utilement abonder les budgets consacrés à la préparation opérationnelle. Il n’en faut pas beaucoup pour faire un soldat heureux : de la reconnaissance, de l’équité et les moyens d’exercer normalement son métier. Enfin, ponctuellement, vous savez que la situation budgétaire de 2012 aura un impact majeur pour 2013. C’est pourquoi j’attends absolument une levée de la réserve de précaution réalisée sur nos crédits 2012 ainsi que le remboursement de nos surcoûts OPEX.

4. Vous l’avez bien compris, il y a derrière mes propos l’inquiétude de voir la cohérence d’un outil efficace et aguerri, affaiblie par des mesures budgétaires de court terme et de voir les données budgétaires préempter les débats stratégiques en cours.

Or, je ne saurai vous rappeler combien le combat moderne est complexe et qu’il faut du temps pour acquérir expérience et légitimité, combien avec des équipements de plus en plus sophistiqués l’entraînement doit être exigeant. À titre d’exemple, une seule section d’infanterie d’environ quarante soldats détient aujourd’hui plus de types d’armes différents qu’un régiment d’infanterie de ligne en 1914.

La France possède aujourd’hui avec l’armée de terre un outil remarquable qui, malgré les réformes lourdes, n’a jamais fait défaut pour répondre à ses engagements opérationnels. Mais elle est dans une situation d’équilibre qu’il lui est de plus en plus difficile de préserver. Son format est tout « juste insuffisant » expliquait un récent rapport du Sénat. Il ne faut, en effet, pas oublier qu’en 2009, l’armée de terre, avec le même format, était en situation de « surchauffe » opérationnelle. Je pense donc qu’elle a effectivement atteint un seuil plancher au-dessous duquel elle ne pourra descendre sans renoncements capacitaires, renoncements qui lui feront perdre sa cohérence et son efficacité et pourrait affecter l’image de la France.

Car c’est bien avec le volume de la force terrestre projetable (aujourd’hui 73 000 hommes) que doivent se raisonner les contrats opérationnels et non avec les effectifs de l’armée de terre au sens large (135 000 militaires et civils), effectifs qui comprennent notamment 11 000 hommes servant au sein des ministères de l’intérieur (pompiers, sécurité-civile) et de l’outre-mer (service militaire adapté - SMA) et 23 000 hommes au sein des services et directions interarmées du ministère de la défense.

Le président de la République a pu le rappeler lors de son allocution à la XXe conférence des ambassadeurs, le monde se caractérise par son instabilité et son incertitude, « un ordre ancien a disparu, mais aucun autre n’a encore émergé ».

Ce monde nouveau, instable et incertain doit, je pense, nous inciter à la plus grande prudence sur nos choix d’avenir. Prudence quant aux choix stratégiques qui seront pris, prudence dans le suivisme trop rapide de nouveaux concepts stratégiques qui pourraient, à l’image du mythe de la campagne sans homme au sol, dont les récentes opérations ont montré les limites, amener les armées françaises dans une impasse. Il viendrait amoindrir le large éventail d’actions vantées par le Président de la République. De même que laisser la question de la dette à nos enfants est irresponsable, les laisser sans défense crédible le serait tout autant.

Mes motifs de satisfaction sont donc aujourd’hui d’un tout autre ordre que de nature financière. Je voudrais ainsi mettre en avant le comportement exemplaire de nos soldats en opérations dans une période de désengagement qui n’a pas été facile. Les joueurs de jeux de plateau, échec ou dames, le savent bien, il est toujours moins facile d’être le 2e à jouer, surtout lorsqu’il ne s’agit pas d’un jeu. Ces circonstances auront permis à l’armée de terre d’asseoir sa confiance en elle, confiance qu’elle avait pu gagner en montrant notamment sa capacité à affronter des opérations de combat particulièrement dures. C’est également le résultat de l’excellent niveau opérationnel atteint par les différentes unités au terme du long processus de professionnalisation initié en 1996. L’armée de terre pourra ainsi répondre « présent » lorsque notre pays sera confronté à des scénarii plus durs que ceux des dernières années.

Mais au-delà de ces opérations, je voudrais souligner la qualité et la disponibilité de ces hommes et de ces femmes - auxquels j’ai rendu plus de cent visites en un an - qui servent notre armée de terre avec conviction, et d’un point de vue plus général, mettre en exergue leur très fort degré de mobilisation pour honorer les missions, de toutes natures, qui leur sont confiées. Ils n’ont jamais défaut et nos concitoyens savent qu’ils peuvent compter sur eux.

Ces derniers en sont d’ailleurs parfaitement conscients. En attestent les marques de sympathie qui se sont multipliées au cours des derniers mois lors des manifestations auxquelles ont pu participer les forces armées, à Paris mais également dans les garnisons de province.

Cette affection trouve son pendant dans le crève-cœur que constitue la dissolution d’un régiment ou la fermeture d’une garnison. J’ai pu le mesurer, avant l’été, à Châteauroux puis à Chalons en Champagne et Laon-Couvron, et je comprends combien cette perspective est difficile pour une ville comme Commercy, comme elle le serait pour les garnisons qu’il nous faudrait éventuellement fermer encore dans le cadre de restructurations auxquelles pourrait aboutir le futur Livre blanc.

Je souhaite enfin saluer la remarquable capacité qu’ont les militaires de l’armée de terre à s’adapter aux évolutions de leur environnement. Peu de corps constitués de la fonction publique ont vécu des transformations de leur quotidien aussi importantes et aussi denses. Ces difficultés n’ont, jusqu’à présent, pas eu d’impact sur le taux de fidélisation. Ce qui traduit leur attachement à notre institution, attachement dont la plus belle preuve est la reconnaissance de nos blessés pour le soutien et la prise en charge que l’institution leur prodigue. J’estime donc de mon devoir de tout faire pour faciliter leur quotidien.

C’est en ce sens que j’ai proposé à l’état-major des armées l’expérimentation, sur des bases de défense où l’armée de terre est prédominante, d’une meilleure cohérence locale en plaçant chacune d’elle sous l’autorité d’un chef unique comme ont su le mettre en œuvre l’armée de l’air et la marine dans leurs zones de responsabilité. Cela concernera les bases d’Angoulême, Grenoble, Draguignan et Strasbourg, les quatre ayant un profil différent.

Inversement, vous pouvez légitimement comprendre mon désarroi lorsque je ne peux apporter de solutions aux difficultés que rencontrent mes subordonnés comme c’est aujourd’hui le cas avec le nouveau système de solde dont les dysfonctionnements sont désormais générateurs d’exaspération.

En conclusion, je vous ai dressé, pour reprendre l’expression du chef d’état-major des armées, un panorama de l’armée de terre parfois sombre mais sans concession. Je ne peux vous cacher, non plus, que l’adhésion aux réformes s’érode sensiblement. En l’absence de perspective d’améliorations rapides, la lassitude commence à gagner les esprits.

L’annonce, par médias interposés, du blocage d’un tiers du volume de l’avancement pour 2013 a cristallisé la crise de confiance des militaires envers leurs hauts responsables. Les comparaisons avec le traitement différent dans d’autres ministères suscitent également de l’amertume.

Mais malgré les difficultés induites par les restrictions budgétaires, tous estiment normal que l’armée de terre prenne sa part à l’effort de redressement des finances publiques. « Pas plus, pas moins ». Mais ils espèrent également tous qu’elle ne sera pas oubliée lorsque sera venu le moment de bénéficier du redressement de l’économie française. Après avoir accepté tous ces efforts, l’armée de terre de 2012 n’est plus celle de 2008. Je pense qu’il en est de même pour son environnement local, fatigué et inquiet par tant de sacrifices. Cet état d’esprit partagé par civils et militaires devra être pris en compte dans le processus de décision à venir.

Comme promis, je vous renouvelle mon invitation à venir approfondir votre connaissance de l’armée de terre. Vous avez pu mieux appréhender, le 18 septembre dernier, à Carpiagne, ses capacités, ses enjeux et contraintes mais aussi la richesse de ses hommes et la diversité de ses métiers. En novembre prochain, je vous propose donc de venir à Sissonne découvrir, dans une démonstration du combat futur en zone urbaine, le programme SCORPION, programme clef pour lequel l’armée de terre se met progressivement en ordre de bataille dans l’attente de son expérimentation.

M. Joaquim Pueyo, Rapporteur. Mon général, nous avons bien compris quelles étaient vos inquiétudes pour l’avenir et les difficultés que l’armée de terre rencontrait. Je voudrais revenir sur les journées de préparation opérationnelle : 150 sont prévues par le Livre blanc alors que 105 seulement seront effectuées cette année : est-ce que cette situation est inquiétante ?

Le Livre blanc de 2008 avait tracé un cadre pour la réforme des armées qui consistait à réformer le soutien pour préserver les capacités opérationnelles : celles-ci ont-elles été réellement préservées ?

Je voudrais également avoir votre sentiment sur les bases de défense – vous venez de faire des propositions pour que soient désignés des chefs uniques de la chaîne du soutien au niveau territorial. Est-ce que les objectifs ont été atteints ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Toutes les difficultés de l’armée de terre ont une seule origine : la lente et immuable érosion du budget de la défense. Les intentions du Livre blanc de 2008 étaient pourtant bonnes, puisque l’effort a porté sur les équipements et nous sommes très heureux de ceux que nous avons reçus. Mais nous n’avons plus aujourd’hui les moyens suffisants pour les faire fonctionner, compte tenu de la réduction des crédits consacrés au fonctionnement, à l’entretien du matériel et la contraction de la masse salariale. Nous avons par exemple perdu, sur quatre ans, une année complète de crédits d’entretien programmé du matériel pour nos hélicoptères. Pour les autres équipements, nous avons perdu une part significative du budget. Dans le même temps, près de 4 000 postes de maintenanciers ou mécaniciens ont été supprimés.

Le Livre Blanc de 2008 nous avait été présenté comme la perspective d’une armée plus petite mais avec plus de moyens. Ce n’est en réalité pas le cas. Nous sommes aujourd’hui encore capables d’assurer les contrats opérationnels de 2008 mais plus de les soutenir dans la durée.

Concernant les 150 jours d’activité, mes prédécesseurs ont très vite compris que ce n’était pas un objectif tenable et en ont fixé un autre, de 120 jours, plus réaliste. Mais nous sommes encore en dessous de ce seuil. Il faut savoir que ces jours d’activité comprennent les opérations extérieures, l’entraînement et que les réduire à 88, comme cela a un temps été envisagé, n’aurait pas été raisonnable.

Sur la capacité de l’armée de terre à réussir les réformes, je dirais que nous avons toujours eu l’habitude de remplir les missions qui nous sont confiées – comme nous sommes en train de le démontrer avec le retrait de nos troupes d’Afghanistan ! Nous aurions achevé la réforme prévue sur la période 2008-2015 s’il n’y avait pas eu cette contrainte financière extérieure. Nous allons néanmoins atteindre l’objectif de déflation des effectifs en milieu d’année 2014, soit avec une année et demie d’avance sur le calendrier initial.

L’armée de terre dispose d’un potentiel humain tout à fait admirable. J’avais dit il y a un an, qu’on risquait d’avoir un mouvement de grogne dans les casernes avant la fin de l’année. Celui-ci s’est produit, pas pour les raisons que j’avais envisagées, mais à cause des défaillances du système de paiement des soldes, Louvois. Je suis donc très heureux que le ministre ait pris ce dossier en main, à son niveau, tant cette question est complexe et sensible.

Si on donne à l’armée de terre les moyens nécessaires et un objectif mobilisateur, nous accomplirons les réformes nécessaires. Mais si la réforme consiste à simplement baisser les effectifs et les crédits, cela sera plus difficile…

M. Nicolas Dhuicq. Si j’ai bien compris vos propos, mon général, en continuant à ce rythme, le roi sera nu. Or, nous savons l’importance de l’envoi de troupes au sol dans tous les types d’intervention. Il en va de la capacité d’influence de la France dans le monde. Je vois un risque majeur, une réduction homothétique du format, qui toucherait l’armée de terre. Est-ce qu’il faut s’y résoudre ? Ou sinon, dans quels domaines l’armée de terre va-t-elle rencontrer des réductions temporaires ou irrémédiables de capacité ?

M. Yves Fromion. Je voudrais rendre hommage aux soldats de l’armée de terre qui, envoyés par la République, ont laissé beaucoup d’eux-mêmes en Afghanistan, dans une opération très difficile. Nous devons le conserver en mémoire. Le drame d’Uzbin a mis en lumière les carences en équipement auxquels l’armée de terre a dû faire face et nous savons qu’elle doit être équipée dans les meilleures conditions pour accomplir ses missions.

Je voudrais vous interroger, mon général, sur le programme SCORPION, dont on a du mal à percevoir le contenu. Est-ce que la totalité des hommes de l’armée de terre, soit 70 000 hommes – qui tiennent dans le Stade de France – en seront équipés ? Est-ce que, pour la première fois, l’armée de terre a exprimé un besoin global, qui permette de mettre en cohérence toutes ces unités ?

Je voudrais enfin que vous fassiez le point sur l’éventuel transfert de la section technique de l’armée de terre (STAT) de Versailles vers Bourges.

M. le général Bertrand Ract Madoux. Je vais vous répondre sur l’influence de la France et la réduction homothétique de notre format. Nos voisins britanniques et allemands viennent de se fixer des objectifs de réduction de leur format et de leurs capacités qui sont très proches de ceux que nous nous étions fixés en 2008. Nous nous sommes par exemple fixé un seuil d’environ 200 chars et ils ont globalement retenu ce même seuil. Ces deux pays se sont, me semble-t-il, inspirés de notre modèle, avec leurs particularités – plus d’hommes au Royaume-Uni, des équipements de grande qualité en Allemagne, qui ne dispose pas de la dissuasion –, et ne semblent pas prêts à relâcher leur effort de défense.

Par ailleurs, je ne suis pas contre une réduction homothétique si celle-ci demeure raisonnable. L’armée de terre assumera ainsi pleinement les décisions prises. Mais je ne souhaite pas que l’on nous dise, telles parties ou telles composantes étant intouchables, l’effort devrait porter sur le restant, à savoir l’armée de terre. Celle-ci constitue, en effet à mes yeux, le socle de la défense de notre territoire national.

Nous n’avons pas du tout l’intention de renoncer à toute ambition européenne. Mais il ne serait pas cohérent de vouloir nous afficher comme l’un des leaders d’une Europe de la défense avec une armée de confettis ! Il nous faut donner des signes tangibles de notre volonté de soutenir notre effort de défense.

Monsieur Fromion, je vous remercie de l’hommage que vous avez rendu à nos soldats. Le secteur de la Surobi, où a eu lieu le drame d’Uzbin, était l’un des plus dangereux d’Afghanistan. Aujourd’hui, on peut y circuler librement et cette zone est sous contrôle de l’armée nationale afghane. Des carences en équipements ont peut-être été évoquées à l’occasion de cette embuscade. Mais un effort de plus 300 millions d’euros sur trois ans a depuis été accompli pour équiper au mieux nos hommes, effectivement un peu en dehors des programmes prévus.

Le programme SCORPION va vraiment nous permettre de moderniser nos capacités d’action. Il équipera non pas la totalité, mais près de la moitié de nos effectifs, à savoir toute l’infanterie et la cavalerie, ainsi que les appuis associés. Nous voulons vraiment mettre en place un standard commun à tous nos nouveaux équipements dans un souci d’économie. Ce programme répond donc à des besoins communs à toutes nos composantes de manœuvre et de combat.

Le transfert de la section technique de l'armée de terre (STAT) vers Bourges n’est sans doute pas d’actualité. La première raison est budgétaire, ce déplacement ayant été évalué à plusieurs dizaines de millions d’euros. La seconde est une raison de fond. Je pense qu’il est important de conserver ces compétences en Ile-de-France, à proximité des officiers de programme de l'état-major de l'armée de terre, des directeurs de programme de la Direction générale de l’armement (DGA) et des industriels des armements terrestres, qui doivent tous travailler ensemble.

M. Damien Meslot. Vous avez été franc et direct sur le budget en mentionnant l’existence d’un « seuil plancher » et en évoquant pour la première fois la possibilité de supprimer des unités. Le nouveau Livre blanc se rédige dans la précipitation. Il est vrai que le corps social de l’armée est moins remuant que celui des enseignants ! S’agissant des bases de défense, de gros efforts ont été faits et les résultats sont plutôt bons. Or, on nous parle de rapprochements, voire de coupes budgétaires. Ne croyez-vous pas qu’il faille laisser les réformes prendre corps avant tout changement ?

M. Jean-Michel Villaumé. Ma question concerne les militaires qui arrêtent leur carrière et tout spécialement les jeunes. On connaît les efforts de reconversion et de reclassement que l’armée y consacre ; pouvez-vous nous donner plus d’éléments sur le sujet ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Je tiens à vous rassurer sur les bases de défense et leur implantation. Il n’y aura pas de modification de leur périmètre, ni de coupes budgétaires. Comme l’a souligné l’ensemble des chefs d’état-major, il faut néanmoins que le budget qui leur sera consacré en 2013 soit suffisant. Du fait de sa dispersion sur le terrain, l’armée de terre a été plus affectée que les autres armées par la création des bases de défense. Je propose donc de revenir à une véritable cohérence locale qui permette d’identifier clairement le chef, comme c’est déjà un peu le cas en Île-de-France.

S’agissant des départs et des reconversions, l’armée de terre a bien évidemment le souci de se préoccuper de son personnel, d’autant plus s’il a consacré un temps long à l’institution militaire. Les départs poussés par la réduction du format sont certes plus problématiques et des discussions difficiles sont engagées avec Bercy pour disposer des moyens d’aide au départ, notamment des pécules, nécessaires à assurer ces reconversions dans de bonnes conditions. Sur la période 2008-2012, on constate 15 000 départs par an, 2 600 avec le bénéfice de la retraite et 12 400 sans bénéfice de la retraite. Le nombre de départs en retraite est en diminution, ce qui est un motif de satisfaction car cela prouve que les gens se plaisent dans leur fonction.

M. Michel Voisin. Je voudrais vous interroger sur l’évolution des réserves et sur l’adhésion volontaire des jeunes Français.

M. le général Bertrand Ract Madoux. Je suis très attaché à la réserve. Nous avons aujourd’hui 16 000 réservistes pour un objectif de 22 000 en 2015. L’écart s’explique par la dissolution d’unités et la répétition de coupes budgétaires en 2010 et 2011 qui ont désorganisé et démobilisé une partie de nos réservistes. Je note cependant que chaque régiment possède actuellement une unité de réserve. Mon prédécesseur a, par ailleurs, créé le dispositif « Guépard réserve » qui concerne environ 500 personnes. On peut ainsi disposer en 24 heures et en permanence d’une section de réserve. J’ai pour, ma part, appuyé la création de bataillons de réserve qui auront la capacité d’occuper le terrain là où il n’existe plus d’unité d’active. Ils sont essentiels pour préserver l’esprit de défense, fournir une aide au recrutement et apporter une aide opérationnelle. Mais les crédits actuels consacrés aux réserves ne s’élèvent qu’à 38 millions d’euros. Pour les rendre plus attractive, il faudra donc naturellement y consacrer à l’avenir des crédits plus significatifs. J’insiste également sur la nécessité de modifier la loi pour permettre à des réservistes en entreprise d’effectuer leur période de réserve à d’autres moments que ceux des vacances.

M. Olivier Audibert Troin. On parle beaucoup d’une perte de moral des troupes liée à la baisse du budget. A-t-elle des incidences sur l’efficacité opérationnelle et sur le commandement ? Par ailleurs, vous avez indiqué que nous étions en avance sur la suppression des effectifs et que les efforts portaient principalement sur l’infanterie. Quels sont ces efforts ?

M. Serge Grouard. Je vous remercie pour votre honnêteté et votre courage qui sont à la fois bienvenus et nécessaires. Je ne poserai pas de question précise mais me contenterai d’une remarque générale. Je travaille depuis plus de trente ans dans le secteur de la défense et je n’ai jamais entendu un propos aussi alarmiste et aussi juste que le vôtre. Je n’hésite pas à dire que nous sommes en voie de rupture capacitaire et de déclassement stratégique. Le futur Livre blanc est un leurre car on sait bien que le monde n’est pas moins dangereux aujourd’hui qu’en 2008. Ce qui est en jeu c’est le rang de la France et la sécurité des Français. En tant qu’élu, chacun en porte une part de responsabilité. La situation me rappelle les années trente que je connais bien pour les avoir enseignées. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas !

M. le général Bertrand Ract Madoux. Compte tenu de mon statut, vous comprendrez que je doive me cantonner à une certaine réserve. Si j’ai dit que l’armée de terre comptait parmi ses rangs des hommes extraordinaires, il ne faut pas pour autant les confronter à des difficultés croissantes. Le soldat doit être traité avec justice et respect. Je ne veux certes pas être alarmiste sur le moral des troupes mais j’ai assisté pour la première fois cette année à des manifestations de femmes de militaires. Concernant le futur Livre blanc, nous sommes bien évidemment prêts à « jouer le jeu » mais il nous faut une perspective de sortie du tunnel. Or, on ne peut pas adhérer facilement à un parcours budgétaire s’il se présente comme un toboggan ! J’adhère donc pleinement aux déclarations du Président de la République qui a annoncé une relance prochaine de l’économie, en assurant que la défense y serait associée. Il faut une armée crédible et respectable qui assure le rang de la France. À ce titre, je remercie mesdames et messieurs les parlementaires d’avoir insisté pour que soit accordée une place aux chefs d’état-major des armées dans la commission de préparation du Livre blanc.

M. Philippe Folliot. La situation actuelle est le fruit de dérives anciennes, de quelques décennies de renoncement. Nous sentons effectivement une inquiétude grandissante et les contraintes d’aujourd’hui sont certainement la « goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

J’ai l’impression que l’armée de terre subit une double peine. Déjà affectée, on lui demande plus d’efforts que les autres administrations civiles : 58 % des baisses d’effectifs de la fonction publique décidées en 2013 s’effectueront dans la défense, essentiellement dans les rangs de l’armée de terre. C’est bien cette injustice qui pose problème.

Se dirige-t-on vers une restructuration des délégations militaires départementales ? Vont-elles être supprimées au profit de structures départementales ?

M. Bernard Deflesselles. Je vous félicite pour cet exposé équilibré et courageux. La situation de l’armée de terre est particulièrement préoccupante en comparaison avec les autres armées mais également avec les autres administrations. J’ai bien noté que vous évoquiez les notions de « rupture capacitaire » ou encore de « préparation opérationnelle délicate ».

Une armée sans munitions peut se comparer à un parlementaire sans parole. Existe-t-il des difficultés de renouvellement ? Où en sont nos stocks, en particulier dans le contexte d’engagement en Afghanistan ?

M. le général Bertrand Ract Madoux. Les délégués militaires départementaux fournissent un travail très précieux. Ils dépendent du chef d’état-major des armées (CEMA) et participent à une chaîne partant du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) et des états-majors de zones de défense. Nous sommes très attachés à leur présence et je n’ai pas conscience qu’elle soit menacée. Ils devraient continuer à fonctionner avec leurs moyens, déjà réduits.

La comparaison avec d’autres pays est normale. Il ne me semble bien évidemment pas pertinent de comparer nos moyens à ceux des États-Unis ou des grands pays émergents. Je n’ai pas parlé de rupture mais de risques de rupture capacitaire sur certains équipements. C’est notamment le cas pour les véhicules légers tout-terrain P4, les hélicoptères, les camions logistiques. Ces programmes sont souvent victimes de leur taille modeste. Nous pouvons déployer 30 000 hommes mais nous ne pouvons pas les faire tenir dans la durée sur le plan des munitions. La réduction des stocks nous interdit de fait la soutenabilité dans la durée.

La Libye a affecté certains stocks, avec notamment la consommation de 425 missiles Hot par nos hélicoptères de combat. Il n’y a néanmoins pas de carence car nous disposons de stocks de crise et de guerre. Il faudra également lancer le programme MMP dans le domaine de l’antichar, le remplacement des MILAN étant impératif.

M. Jacques Lamblin. La notion d’un format « tout juste insuffisant » s’applique-t-elle également aux transmissions et à leurs équipements ? Je crains que le statut militaire qui impose discipline et silence soit une opportunité : Bercy exerce une pression supérieure pour imposer des économies sur des critères politiques et syndicaux plutôt que de tenir compte de nos intérêts fondamentaux. La facilité l’emporte sur la nécessité.

Mme Marianne Dubois. Les baisses de crédits vont-elles fragiliser l’engagement de nos troupes contre la piraterie maritime au large de l’Afrique ?

M. le général Ract Madoux. Les transmissions sont un très bon exemple. Leur format est effectivement tout juste insuffisant et il ne remontera pas. Nous conduisons actuellement un exercice nommé Citadelle Guibert qui est le plus important exercice de postes de commandement (PC) en Europe cette année. Il mobilise 3 000 personnes sur le terrain dont 1 500 officiers et beaucoup d’étrangers. Il permet de tester notre corps de réaction rapide et est un cadre intéressant de coopération franco-britannique. Pour ce faire, nous avons dû faire appel à tous les moyens disponibles en métropole, compte tenu de l’engagement toujours important en opérations.

Les Gouvernements successifs ont choisi de conduire le programme CONTACT permettant de renouveler nos radios. Il s’agit d’une décision positive qui placera la France dans le peloton de tête de ce domaine.

Nous ne disposons plus aujourd’hui que de certaines capacités « échantillonnaires » avec un seul régiment d’artillerie sol-air et un autre pour les drones, par exemple. C’est peu et, de ce fait, les nouvelles réductions portent maintenant notamment sur l’infanterie.

S’agissant de la piraterie, il me semble que la solution définitive est à terre. La lutte en mer apporte des résultats face à une menace qui n’est plus aussi forte. Mais Atalante reste une belle opération de coopération européenne qui montre la capacité des marines à mutualiser leurs efforts.

M. Philippe Nauche, président. Merci pour ces réponses franches. Le Livre blanc devra en effet statuer sur ce que doit être le bon niveau de nos armées en fonction de nos ambitions.

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La séance est levée à treize heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Guy Chambefort, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M.  Lucien Degauchy, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, M. Patrick Labaune, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M.  Jean-Yves Le Déaut, M.  Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Damien Meslot, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. –  M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-David Ciot, M. Christophe Guilloteau, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Marty, M. Jacques Moignard, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François de Rugy