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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 14 novembre 2012

Séance de 16 heures 30

Compte rendu n° 21

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition, ouverte à la presse, de M. Gérard Amiel, PDG de Renault Trucks Defense, sur la dimension industrielle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

La séance est ouverte à seize heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, je suis heureuse d’accueillir M. Gérard Amiel, PDG de Renault Trucks Defense. Nous entamons ainsi un cycle d’auditions de notre commission sur la dimension industrielle du Livre blanc de défense et de sécurité nationale, avec en toile de fond la prochaine loi de programmation militaire.

Vous êtes, monsieur Amiel, le premier industriel que nous auditionnons dans ce cadre. Nous avons déjà reçu M. Jean-Marie Guéhenno, président de la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, Michel Foucher, directeur de la formation des études et de la recherche de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) et Sir Peter Ricketts, ambassadeur du Royaume-Uni. Nous recevrons d’autres industriels sur des enjeux qui sont importants non seulement pour la défense du pays, mais également pour son économie et pour l’emploi.

Renault Trucks Defense compte dans le milieu terrestre français : on lui doit notamment nos fameux véhicules de l’avant blindés, les VAB, à la démonstration desquels nous avons assisté à Carpiagne. Toutefois, monsieur le président-directeur général, on ignore souvent que votre entreprise appartient à un groupe étranger, en l’occurrence suédois.

Si Renault Trucks Defense est dynamique, sa taille demeure modeste au regard de ses grands concurrents européens. Conscients de la nécessité de vous regrouper en France, vous venez d’acquérir la société Panhard. Cet achat permet de constituer un pôle français de taille plus critique mais place de fait une partie encore plus grande de notre industrie sous un contrôle extérieur.

Plusieurs des commissaires ici présents m’ont accompagnée à Prague, à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, ce qui nous a permis d’évoquer avec nos homologues européens la question, qui nous préoccupe particulièrement, des budgets de la défense de nos pays respectifs.

Sans plus attendre, monsieur le président, je vous cède la parole.

M. Gérard Amiel, Président-directeur général de Renault Trucks Defense (RTD). Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m’offrir l’occasion de pouvoir m’adresser à la Commission de la défense nationale et des forces armées. Je suis très honoré d’être le premier industriel à participer aux auditions relatives au Livre blanc.

Alors que nous allons bientôt célébrer le centième anniversaire du début de la Première guerre mondiale, je tiens à rappeler que Renault est sans doute un des plus anciens fournisseurs de l’armée de terre. C’est en effet Renault qui avait mis au point en 1917 le FT17, fort justement dénommé le « char de la Victoire ».

Paradoxalement, si ce souvenir glorieux est bien connu, je dois admettre que la société que je dirige l’est beaucoup moins ! Pourtant, Renault Trucks Défense (RTD) est sans nul doute aujourd’hui l’un des principaux fournisseurs de l’armée de terre dans le domaine des plates-formes. J’ai été frappé lors du dernier 14-Juillet de constater que 95 % des calandres des véhicules qui défilaient provenaient des bureaux d’études et des chaînes de montage du groupe Renault Trucks Defense. Ce groupe, qui comprend également ACMAT et Panhard, ce sont en effet 4 000 véhicules de l’avant blindé (VAB) – l’engin le plus employé en Afghanistan avec plus de 600 unités –, 1 600 véhicules blindés légers (VBL), 1 100 petits véhicules protégés (PVP), la partie mobilité du véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI), assemblé par Nexter, et celle du camion équipé d’un système d’artillerie Caesar, également commercialisé par Nexter, 1 500 véhicules légers de reconnaissance et d’appui (VLRA), ainsi que des milliers de camions et de véhicules légers, sans compter un parc très important en service dans de nombreuses armées étrangères.

Nous équipons également le service des essences des armées et l’armée de l’air, à laquelle nous fournissons les porteurs des lanceurs antiaériens de moyenne portée terrestre SAMPT. Ceux d’entre vous qui ont eu la possibilité d’aller sur un théâtre d’opérations sont très certainement montés au moins une fois à bord de l’un de nos blindés.

Je commencerai mon propos en vous présentant synthétiquement l’entreprise industrielle que je préside.

Au regard des autres intervenants de l’industrie de défense, Renault Trucks Defense demeure une entreprise de taille modeste : le groupe devrait atteindre 430 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012 et 700 millions en 2015 s’il réalise son plan stratégique de développement. Il emploie un millier de personnes en France, réparties sur cinq sites industriels – Saint-Nazaire pour la marque ACMAT, Marolles-en-Hurepoix et Saint-Germain-Laval pour la marque Panhard, Fourchambault et Limoges ainsi que Lyon et Versailles – deux sites tertiaires –, pour la marque Renault Trucks. Le groupe devrait compter 1 700 collaborateurs en 2013. Point particulier : nous sommes déjà un acteur européen et mondial, puisque nous appartenons au groupe Volvo, le deuxième constructeur mondial de poids lourds, présent dans plus de 120 pays et dont le siège social est situé à Göteborg en Suède. Renault Trucks est toutefois une entreprise française qui, cédée par le groupe Renault à Volvo en 2001, emploie plus de 12 000 personnes en France. Aucun Suédois ne fait partie de l’organisation de RTD dans quelque division que ce soit en France, où tous les postes de responsabilité sont occupés par des Français. Nous sommes donc plus français que suédois. Je me permets également de vous rappeler que Renault SA est l’actionnaire de référence du groupe Volvo, lequel a vendu en 1998 sa branche automobile à Ford, qui l’a à son tour cédée au chinois Geely il y a deux ans.

Cette appartenance à un groupe mondial est une force. On retrouve ce business model – excusez le terme – chez la plupart de nos concurrents, non seulement en Italie – Iveco – et en Allemagne – Rheinmetall –, mais aussi en Inde – Tata ou Ashok Leyland –, en Chine – AVIC. Il en est de même au Brésil. Ce lien nous permet de bénéficier des capacités de recherche du groupe, par exemple dans le domaine des moteurs hybrides et des effets de série sur les pièces, et de disposer de plusieurs réseaux de distribution. Aujourd’hui, ces trois domaines sont mobilisés au profit de l’armée française. Par exemple, les camions de l’armée de terre sont entretenus à proximité des unités de combat, dans les concessions Renault Trucks – une centaine. À ce propos et sans esprit de polémique, nos coûts, qui sont souvent critiqués, sont audités par différents services du ministère et synthétisés par le Contrôle général. Nous agissons ainsi en toute transparence, avec des marges raisonnables, mais nécessaires à la préservation de la capacité d’innovation et d’investissement de la société, car nous investissons le plus souvent sur fonds propres.

Sachez que si nous sommes européens, 100 % de notre production est réalisée en France, dans les cinq usines que j’ai précédemment citées. L’an passé, nous avons recruté plus de 150 collaborateurs supplémentaires, la plupart en province et dans le domaine industriel.

Après avoir décrit une entreprise industrielle nationale, je souhaiterais évoquer la question des exportations qui est extrêmement importante pour Renault Trucks Defense.

Pour tordre le cou à quelques idées reçues, je tiens à souligner que les possibilités à l’exportation dans le domaine de l’armement terrestre sont nombreuses et que, même si elles ne sont pas médiatisées, les Français y ont toutes leurs chances. En 2012, Renault Trucks Defense a remporté quatre appels d’offres pour l’équipement de l’armée égyptienne contre des concurrents italiens et américains. Si les composantes de ces contrats sont intégralement réalisées, RTD sera dans quelques années le premier partenaire français de l’armée égyptienne.

Nous sommes en train de changer de modèle économique : auparavant, nous vendions d’abord à l’armée française des programmes et des volumes importants, puis, grâce à cette référence, à des clients étrangers. Aujourd’hui, les cycles de remplacement des équipements sont plus rapides dans le monde qu’en Europe, si bien que nous livrons des clients étrangers bien avant l’armée française. Le cas de notre véhicule blindé de dix tonnes, le Sherpa, est révélateur : nous en avons vendu plus de 300 dans le monde – nous en vendrons 500 en 2013 – et seulement une trentaine pour le moment à l’armée française. Dans un contexte économique difficile, les sociétés ne peuvent envisager un soutien de l’État autre que le label « Armée française », lequel cependant apporte un effet multiplicateur important dans la vente à l’exportation et un retour en termes d’emplois pour la France.

Ce changement de modèle et cette possibilité de pouvoir s’appuyer sur une base industrielle en France sont aussi une chance pour l’armée de terre. Je veux profiter de cette audition, exercice peu courant pour un industriel comme moi, pour vous livrer quelques réflexions. Nous avons en effet bien saisi que le budget du ministère de la défense et, en particulier, celui de l’armée de terre seront sous tension dans les prochaines années.

Des solutions pourraient être envisagées pour permettre de sauvegarder en même temps le format de l’armée de terre, qui est un gage du rayonnement de la France et de sa capacité à résoudre les crises, et ses capacités opérationnelles, en la dotant d’équipements modernes, fiables et déjà en service dans d’autres pays. Il est très important en effet que les unités de l’armée de terre disposent de matériels en nombre suffisant. C’est nécessaire non seulement pour réaliser la formation des équipages et les exercices d’entraînement, mais également pour être en mesure de déployer rapidement des moyens importants en cas de crise.

Pour répondre à cette nécessité de formation et à une réduction du coût de soutien des matériels anciens, des achats de matériels neufs en nombre limité pourraient être envisagés.

Ces solutions, qui peuvent être apportées par un industriel national, ne le seraient pas forcément par un fournisseur étranger car, en matière de défense, la loi de l’offre et de la demande joue contre les pays européens qui sont devenus de petits clients. Pour notre part, nous dépassons cette approche mercantile. En voici quelques exemples.

Alors que des réflexions sont menées sur le programme de véhicule blindé multirôles (VBMR), en vue de relever le défi du lancement d’un programme complètement nouveau et très ambitieux d’un point de vue technologique, nous soutenons les réflexions des services de l’État par le biais de nombreux travaux exploratoires de réduction des coûts. Nous avons, de même que Nexter, réalisé un démonstrateur, en cours d’évaluation par la DGA. Nous soutenons ce programme majeur, en investissant sur fonds propres dans le développement de l’architecture et des fonctions mobilité, protection et systèmes d’information.

En cas de crise majeure, l’armée de terre doit également pouvoir compter sur nous pour aider à son déploiement. Compte tenu du fait que nous produisons différents engins blindés pour l’exportation, nous sommes en mesure de proposer des parcs de véhicules blindés ou de camions en urgence. Il nous suffit d’adapter nos cadences de production. C’est là aussi l’un des intérêts de disposer, en France, d’une base industrielle terrestre. Un fournisseur étranger le ferait plus difficilement.

Signalons toutefois que le code des marchés publics, ou du moins l’utilisation qui en est faite par le ministère de la défense, n’est pas adapté à l’urgence opérationnelle, comme c’est le cas chez nos voisins européens, ce qui ne facilite ni notre tâche, ni celle de la DGA. Pour répondre à des besoins exports de remplacement de milliers de blindés M113, nous avons également réalisé le VAB Mk3, présenté au dernier salon de Satory. Son développement a été financé sur fonds propres et les contraintes budgétaires nationales ont été prises en compte en amont. Ce matériel reprend, en plus de l’architecture, tous les éléments qui ont fait le succès du VAB – modularité, polyvalence d’emplois, grande mobilité –, avec un niveau élevé de protection. Aujourd’hui, plus de dix pays sont intéressés par ce blindé de nouvelle génération. Il commencera d’être livré au début de 2014.

Notre base industrielle est également un atout dans le domaine du soutien : le VAB en est un excellent exemple. Pendant toute la crise en Afghanistan nous avons, main dans la main avec la DGA et l’armée de terre, fait évoluer ce blindé pour augmenter ses capacités de protection et d’agression, via un nombre important de programmes d’urgences opérationnelles – une quinzaine. La dernière optimisation, le VAB Ultima, a même été renvoyée sur le théâtre pour faciliter le retrait des troupes. C’est parce que, en tant qu’industriel français, nous sommes très proches de notre client national, que nous avons la capacité de faire évoluer un matériel sur le théâtre. En tant que français, nous sommes et serons derrière nos soldats.

Cette capacité de soutien prend également tout son sens sur le territoire national. Je voudrais citer l’exemple de Fourchambault, près de Nevers, ancienne base de l’armée de terre : c’est une opération d’externalisation réussie. En 2007, nous avons repris cet établissement industriel, auparavant géré par l’armée de terre. Ce site a su monter en puissance et offrir une réelle qualité de service à l’armée française.

D’une soixantaine de VAB réparés tous les ans au début, nous sommes passés à 160 durant les neuf premiers mois de 2012, ce qui permet d’améliorer, à des prix raisonnables, la disponibilité du véhicule blindé le plus employé de l’armée de terre. Nous avons parallèlement créé 220 emplois sur un territoire à revitaliser. Ce type de partenariat entre un industriel et l’armée de terre doit être souligné. Il permet, en cas de réduction du format des équipes de maintenance de l’armée de terre, de maintenir malgré tout la disponibilité des équipements. Ce partenariat pourrait, si nécessaire, être étendu à d’autres sites.

Enfin, comme vous le savez, Renault Trucks Defense a initié la consolidation de l’armement terrestre français au travers de l’acquisition de Panhard. Il reste pourtant quelques étapes à franchir pour disposer d’un champion franco-européen capable d’affronter les plus grands groupes mondiaux. Alors que des réflexions sont en cours pour une restructuration européenne, une consolidation française peut avoir un sens. Il faudra bien, un jour, que les responsables politiques tracent l’avenir de cette filière industrielle française et donnent des orientations à Nexter. Sachez que le groupe RTD, avec tous les atouts que je vous ai cités, sera présent pour accompagner cette démarche, quel que soit le choix du Gouvernement.

Je voudrais enfin profiter de cette tribune pour saluer le professionnalisme des hommes et des femmes de l’armée de terre qui utilisent au quotidien, et parfois dans des missions très exposées, nos matériels. Les collaborateurs de RTD et leur président sont très fiers de pouvoir les aider à accomplir leur mission.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous évoquerons avec les responsables de Nexter, lorsque nous les auditionnerons, la question d’éventuels rapprochements aux plans français et européen.

M. Joaquim Pueyo. Je viens de rapporter l’avis de la commission de la défense sur le budget des forces terrestres : j’ai pu noter l’importance du programme Scorpion qui vise à régénérer l’équipement des forces terrestres, privilégiant une approche intégrée sur une juxtaposition de petits programmes. La modernisation de l’outil de combat terrestre est une des priorités avancées du Livre blanc. Quel est votre sentiment ?

Pouvez-vous par ailleurs être plus précis sur la compétitivité de votre entreprise ?

Quelle est, enfin, la part de la maintenance dans votre cahier des charges ?

M. Gérard Amiel. Le programme Scorpion vise essentiellement à doter l’armée française d’un outil de communication intégré au niveau des groupements tactiques interarmes – GTIA –, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, à renouveler des matériels anciens, notamment le VAB et l’AMX-10RC, et à moderniser les chars Leclerc en particulier.

Il est vital pour l’armée de disposer le plus rapidement possible d’un outil de communication cohérent et d’un niveau technologique élevé. Quant aux matériels susceptibles d’être remplacés, leur âge est avancé : alors que les premiers VAB ont été livrés en 1976, il est projeté de les faire durer jusqu’en 2025. Il faut savoir que les opérations régulières de maintenance ou de modernisation sont coûteuses et demandent du temps. Il en est de même de l’AMX-10RC.

Il appartient aux clients, c'est-à-dire aux utilisateurs, de définir le contenu des cahiers des charges. Alors que nos gammes comprennent des produits récents, exportés dans le monde entier, il est vrai que les programmes français, généralement très longs, coûteux et relativement sophistiqués, ne donnent lieu qu’à des produits spécifiques et difficilement exportables. L’industriel qu’est RTD est capable de proposer des produits déjà expérimentés sur le terrain et disponibles.

S’agissant de notre compétitivité, j’ai donné l’exemple de l’Égypte, qui n’est évidemment pas notre seul marché. Nous exportons aujourd'hui dans une quarantaine de pays, la plupart émergents, qui ne disposent pas pour la plupart d’industrie militaire – sinon, ils feraient jouer la préférence nationale, habituelle en matière d’approvisionnement militaire. On trouve sur ces marchés tous les compétiteurs mondiaux, en provenance aussi bien de l’Europe ou du continent américain que d’autres pays émergents, comme la Turquie ou l’Afrique du Sud. Nous remportons régulièrement des appels d’offre dans ces pays, ce qui démontre à la fois notre exigence de compétitivité et notre capacité à gagner des marchés.

Il convient évidemment d’assurer la maintenance des produits que nous vendons, qu’il s’agisse du diagnostic des pannes, de l’intervention sur les véhicules ou de la fourniture des pièces de rechange. Comme nous appartenons à un producteur mondial de véhicules, nous disposons d’un réseau également mondial de soutien, fort de quarante magasins de pièces de rechange, ce qui nous permet de fournir une pièce, dans n’importe quelle partie du monde, en moins de vingt-quatre heures.

S’agissant de l’armée de terre française, nous assurons la maintenance de 8 000 camions, y compris dans les DOM-TOM.

M. Damien Meslot. Alors même qu’en raison de leurs contraintes budgétaires, les États européens consacrent des crédits de moins en moins élevés à leur défense, la taille critique de votre entreprise vous permet-elle d’assumer des frais de recherche suffisants pour rester compétitif face, par exemple, à l’industrie américaine ?

M. Gérard Amiel. Le groupe auquel nous appartenons étant à la fois dual et mondial, nous bénéficions de son apport en matière de recherche et développement, notamment dans le domaine des chaînes cinématiques. Le secteur militaire bénéficie donc des recherches civiles et n’a besoin que d’un budget complémentaire de R & D, en matière notamment de protection des systèmes. Ce ne serait pas le cas si nous étions une entreprise à vocation uniquement militaire.

De plus en plus, les entreprises de défense, particulièrement dans le domaine terrestre, devront, pour subsister, être adossées à des activités civiles permettant de soutenir des activités militaires dont le volume serait insuffisant à satisfaire leurs besoins en R & D. Il en est ainsi notamment de MAN, Rheinmetall, Iveco Defence, Scania, Tata ou Ashok Leyland : les plus gros ensembliers, en dehors des Américains, s’appuient sur des groupes civils.

Des budgets monstrueux ont assurément permis aux Américains de soutenir des industriels qui n’avaient pas d’activités civiles aussi développées. Toutefois, rien n’indique qu’il en sera de même dans les années à venir, compte tenu des coupes budgétaires très sombres qui s’annoncent dans le secteur de la défense. De nombreux groupes américains, qui n’ont pas développé d’activités annexes, souffriront de la disparition d’un pan complet de leur chiffre d’affaire.

M. Damien Meslot. Ils ont donc plus intérêt à s’orienter vers notre modèle d’entreprise que nous n’en avons à nous orienter vers le leur…

M. Gérard Amiel. Oui, je le pense.

M. Michel Voisin. Je suis élu dans la quatrième circonscription de l’Ain. Or Renault Trucks vient d’annoncer sept jours de chômage partiel sur son site d’assemblage de Bourg-en-Bresse. Certes, l’activité défense n’est pas la seule en cause, mais le cahier des charges de l’entreprise permet-il de se montrer optimiste ?

Par ailleurs, pourquoi le losange de Renault disparaît-il des véhicules coproduits par RTD et Nexter ?

M. Gérard Amiel. Il est vrai que Nexter a supprimé le logo Renault des calandres du Caesar.

M. Michel Voisin. Mais pourquoi ? Je pose la question depuis plusieurs années et je n’ai jamais reçu de réponse.

M. Gérard Amiel. Nous sommes les premiers partenaires de Nexter, qu’il s’agisse de la France ou de l’export. Nous avons remporté ensemble le marché indonésien du Caesar. J’attribue la disparition du losange à la culture d’entreprise de Nexter.

Le losange apparaît toutefois sur les moyeux des roues du VBCI.

C’est la crise qui est responsable de la baisse d’activités de notre site de Bourg-en-Bresse. La récession que connaît l’Europe pèse directement sur la production de camions, qui assurent la logistique des échanges marchands. On peut dire que le marché du camion est le premier indicateur économique. Du reste, Renault Truks n’est pas seul concerné. Tout le groupe Volvo sous ses différentes marques souffre en Europe, au même titre, du reste, que ses concurrents.

M. Michel Voisin. Lamberet Constructions Isothermes, à vingt kilomètres de Bourg-en-Bresse, vient d’embaucher cinquante personnes…

M. Gérard Amiel. L’industrie de la carrosserie étant atomisée, les entreprises du secteur s’en sortent plus ou moins bien. Durisotti a de gros soucis. De manière générale, le camion et l’automobile ne vont pas bien en Europe aujourd'hui.

M. Alain Rousset. Comment votre groupe, qui est dual, articule-t-il les deux secteurs, civil et militaire, notamment en matière d’innovation ?

Par ailleurs, les Américains ont adapté aux biocarburants leurs véhicules terrestres et leurs avions : RTD a-t-il fait de même ?

Comment, enfin, réagissez-vous à d’éventuels rapprochements dans la filière industrielle, par exemple entre BAE et EADS ou Nexter et SNPE ?

M. Gérard Amiel. L’intérêt d’une entreprise comme RTD est d’appartenir à un grand groupe mondial : sa taille critique est donc celle du groupe auquel elle appartient. Ma division peut survivre avec un chiffre d’affaire bien plus faible que celui d’une entreprise de défense autonome. Il convient de prendre en considération la nature des entreprises pour évaluer leur taille critique.

Je tiens à vous rappeler que Nexter est une entreprise nationale : il appartient donc à son propriétaire de réfléchir à son avenir. J’ai été mandaté par mon groupe, il y a deux ans, pour racheter une partie du capital de Nexter, en accord avec le gouvernement de l’époque. Les négociations n’ont pas abouti, Nexter ne souhaitant pas l’entrée d’une entreprise privée dans la gouvernance du groupe. C’est à la suite de cet échec que nous avons proposé à l’entreprise Panhard de la racheter.

Un regroupement des différentes entreprises françaises du secteur terrestre de la défense est à nos yeux hautement souhaitable. Encore faut-il que tous les acteurs soient convaincus de l’intérêt d’une telle synergie.

M. Alain Rousset. On ne saurait défendre à la fois une production française et la course au gigantisme. La restructuration de la stratégie industrielle à travers de grosses entreprises de taille intermédiaire est préférable à la constitution de groupes gigantesques appelés à se délocaliser. Je n’ai donc aucune arrière-pensée sur la notion de taille critique.

Les industries terrestres de défense, y compris les munitionnaires, semblent toutefois appelées à se rapprocher au plan européen. Il convient donc que la Commission de la défense de l’Assemblée nationale soit informée de la réalité des enjeux.

M. Gérard Amiel. RTD et Nexter sont deux entreprises complémentaires au plan national. Elles travaillent ensemble depuis dix ans sans entretenir de lien capitalistique. Elles ont conçu le VBCI et Caesar et ont signé un accord pour le VBMR dans le cadre du programme Scorpion. Leur avenir est donc lié en grande partie, en dehors des secteurs de l’armement pur et des munitions, qui sont propres à Nexter.

Le groupe Volvo est, par ailleurs, un groupe mondial. La plupart des autres constructeurs d’armement européens sont des concurrents du groupe Volvo – l’un est MAN, l’autre est IVECO. Des rapprochements européens entre ces groupes sont rendus difficiles par l’impossibilité de créer des monopoles. C’est pourquoi Volvo privilégie les recherches de partenariats au plan mondial et non au plan européen.

Nos moteurs sont adaptés aux biocarburants – c’est le cas, au Brésil, de plusieurs centaines de milliers de camions. Si l’armée française décidait d’y recourir, nous pourrions répondre à sa demande sans aucun problème. Il en est de même des moteurs hybrides : des flottes Volvo d’autobus hybrides roulent à Londres ou à Göteborg, ainsi que dans d’autres villes européennes. En France, roulent des bennes à ordures ménagères hybrides. Renault Trucks a également mis au point des distributeurs hybrides de Coca-Cola. Seul son coût retarde l’expansion de cette technologie. Il faut savoir que toutes les technologies émergentes ont un coût élevé à leur apparition et que seul leur développement permet de les rendre moins onéreuses. Il convient donc de les aider à passer le cap de l’économie d’échelle, leur permettant d’atteindre un niveau de prix acceptable par le marché. Il en est de même de la voiture électrique, dont le développement est conditionné aux subventions qu’elle reçoit.

M. Daniel Boisserie. Les élus du département de la Haute-Vienne sont attachés à votre unité de Limoges, en dépit de leurs déceptions passées.

La réduction passée, présente et à venir des crédits de la défense n’y menace-t-elle pas vos activités ? Quelle évolution des effectifs prévoyez-vous ?

Quel est l’avenir de votre entreprise, notamment en matière de recherche ?

M. Gérard Amiel. Notre niveau de recherche atteint les 7 %. Nous bénéficions chaque année de quelque 1,5 million d’euros de crédits d’impôt pour un budget de recherche de 36 millions.

Pour 2013, le carnet de commandes est assuré.

Le site de Limoges est directement concerné par deux programmes de l’armée de terre. Il s’agit tout d’abord du VBCI, assuré par Nexter, et dont RTD fournit les bases roulantes. Ce programme prévoit la livraison de soixante-quinze véhicules par an jusqu’en 2015. S’il venait à être réduit, le site de Limoges en subirait les conséquences.

Le second programme, celui du VAB Ultima, porte sur une tranche conditionnelle de quatre-vingt-dix véhicules pour laquelle Limoges emploie soixante personnes et dont nous attendons la confirmation.

M. Daniel Boisserie. Peut-on parler d’un avenir serein, en matière de commandes et donc en termes d’emplois ?

M. Gérard Amiel. Pour parer aux risques liés à une éventuelle baisse du budget de la défense nationale, il nous faut développer les exportations, comme le prévoit notre plan stratégique, qui vise à augmenter notre chiffre d’affaire de 100 millions d’euros par an sur trois ans, pour le faire passer de 400 millions en 2012 à 700 millions en 2015.

Mme Édith Gueugneau. Je salue votre engagement pour la production militaire française.

Je tiens à évoquer la réhabilitation du site bourguignon de Fourchambault, sur lequel 220 emplois ont été créés. Ce territoire rural est fort d’un vrai savoir-faire industriel. Comment envisagez-vous l’avenir à court et moyen terme de ce site ?

M. Gérard Amiel. L’avenir de Limoges est sinon serein, du moins positif, même si le site industriel risque d’être rapidement saturé. Le site de Fourchambault a, lui, l’avantage d’être une ancienne base de l’armement terrestre très étendue. Nous y disposons de 20 000 mètres carrés couverts dont nous utilisons à l’heure actuelle un tiers seulement. Fourchambault qui dispose également d’une piste d’essai et d’autres équipements que nous louons à l’armée, pourra donc, grâce à son potentiel immobilier, absorber une grande partie de notre extension. Le site produira à partir de 2014 le VAB Mk3. Si les clients suivent, il est promis à un véritable développement, d’autant que nous sommes très satisfaits de l’excellente qualité de la main-d’œuvre locale et de la collaboration des élus locaux. Je suis personnellement favorable aux petites entreprises bien intégrées dans leur territoire – nous avons huit sites en France. Toute restructuration s’accompagnerait d’une grande perte d’énergie et de frustration. Chacun des sites doit se développer en fonction de sa capacité d’innovation et de son énergie.

Ce sont les personnels de Fourchambault qui ont restauré le char FT17, qui était auparavant exposé dans la cour d’honneur de l’usine de Boulogne-Billancourt et que le patrimoine Renault nous a concédé il y a un an. Nous inaugurons sa restauration ce soir à Versailles.

M. Daniel Boisserie. Monsieur le président-directeur général, Limoges offre également des possibilités d’extension.

M. Nicolas Bays. En termes de commercialisation, le canon Caesar s’annonce un véritable succès, notamment en Inde.

M. Gérard Amiel. Oui, puisque nous avons signé pour plusieurs centaines d’unités en plusieurs tranches.

M. Nicolas Bays. L’Inde vous a-t-elle assuré que vous remporteriez le marché des porteurs, alors que, comme vous l’avez rappelé, elle dispose, avec Tata, d’une industrie nationale ?

M. Gérard Amiel. L’Inde est un cas particulier puisque le contrat prévoit pour 35 % d’offset. Nous avons joué cartes sur table avec Nexter. Il faut savoir que le porteur du Caesar est très spécifique : il intègre un plancher de tir qui a coûté 12 millions d’euros de développement sur quatre ans. Ce porteur est donc loin d’être un camion anodin ! L’ensemble nous appartient et est protégé.

Nexter, à ma demande, a consulté, en Inde, des constructeurs locaux, Tata notamment, qui a fait une offre inférieure de 50 % au coût d’un camion français. Il n’est pas question évidemment que nous transmettions la propriété intellectuelle du plancher de tir à Tata.

Parallèlement, je négocie une offre de montage, en Inde, du porteur et de son plateau de tir avec Eisher, qui est le numéro 3 du camion indien, avec lequel le groupe Volvo a créé une coentreprise.

L’appel d’offre sortira à la fin de l’année ou au début de l’année prochaine. Être partenaires n’interdit pas d’être pragmatiques : Nexter aura donc le choix entre deux offres, un choix qui comprend à la fois des aspects économiques et technologiques. Que le meilleur gagne ! C’est en toute transparence que nous travaillons sur ces projets. Je n’en voudrai pas à Nexter si nous ne remportons pas le marché. La compétition mondiale rend modeste.

Nous avons perdu l’appel d’offre du programme PPT (porteur polyvalent terrestre) au profit d’Iveco parce que nous avions été mauvais. Cela nous a servi de leçon et nous avons, depuis cette date, pris quatre fois notre revanche sur l’entreprise italienne.

M. Francis Hillmeyer. L’armée française fait-elle appel à vous sur le site de Fourchambault où entretient-elle elle-même ses matériels ?

M. Gérard Amiel. Fourchambault est un centre dédié à l’armée française pour l’entretien du VAB. L’armée réalisait auparavant cette activité : elle nous l’a transférée en 2007 dans le cadre d’un plan de sept ans, au terme duquel nous serons les seuls à assurer le maintien en condition opérationnelle du VAB.

Je propose de réitérer la même opération sur d’autres sites, dans le cadre de l’évolution de l’armée de terre : ce type de transfert peut répondre efficacement aux nouvelles données économiques de la défense, domaine dans lequel il ne faut surtout pas opposer le public au privé.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, monsieur le président-directeur général.

Mes chers collègues, je vous rappelle que le général Ract Madoux, chef de l'état-major de l'armée de terre, a invité tous les membres de notre commission à une démonstration des capacités de l'armée de terre, le jeudi 29 novembre prochain, au Centre d'entraînement en zone urbaine (CENZUB) de Sissone. Les sénateurs de la commission chargée de la défense sont également conviés.

Cette présentation dynamique et statique vise à montrer les plus-values qu'apportera aux unités le programme Scorpion, de même que les enjeux industriels qui y sont liés, dont nous venons de parler. Seront présents lors de cette présentation le chef d'état-major de l'armée de terre et M. Jacques Tournier, rapporteur général de la commission du Livre blanc. Il me semble que cette présentation, conçue pour nous, présente un intérêt majeur s'agissant de notre soutien à l'armée de terre et à la modernisation de son équipement par le programme Scorpion.

Le secrétariat de la commission vous a transmis par message électronique cette invitation, pour recueillir les inscriptions et prévoir la logistique en fonction du nombre de participants. Un car sera prévu au départ de l'Assemblée. Je prie nos collègues qui voudraient s'y rendre de le signaler rapidement au secrétariat.

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La séance est levée à dix-sept heures trente-cinq

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. Jean-Pierre Barbier, M. Nicolas Bays, M. Daniel Boisserie, M. Luc Chatel, M. Bernard Deflesselles, Mme Marianne Dubois, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Jean-Claude Gouget, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, M. Patrick Labaune, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Damien Meslot, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, M. Alain Rousset, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Catherine Coutelle, M. Lucien Degauchy, M. Yves Foulon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin, M. Éric Jalton, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Philippe Nauche, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé