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Commission de la défense nationale et des forces armées

Jeudi 22 novembre 2012

Séance de 9 heures

Compte rendu n° 25

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente et de Mme Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères

— Audition, ouverte à la presse, conjointe avec la commission des affaires étrangères, de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, sur le rapport annuel sur les exportations françaises d’armement.

La séance est ouverte à neuf heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, pour une audition conjointe avec la commission des affaires étrangères, sur le rapport au Parlement sur les exportations françaises d’armement en 2011.

Je salue l’effort particulier de transparence dont vous faites preuve cette année, monsieur le ministre, en venant présenter oralement ce document attendu sur ce sujet sensible devant nos deux commissions réunies.

Vous y informez la représentation nationale sur le marché mondialisé de l’armement et sur les deux volets en miroir que constituent le soutien de l’État et le contrôle des exportations.

Je souscris bien entendu pleinement à votre « souhait d’une association plus étroite du Parlement à ce volet de notre action extérieure », dont vous faites état dans la préface.

Après l’adoption par la Commission européenne du « paquet défense » en décembre 2007, deux directives ont été transposées en 2009 afin de faciliter le développement d’un marché européen des équipements de défense. Or ces textes et l’application qui en est faite par les autres pays européens suscitent des insatisfactions de la part des industriels. Quelle est votre appréciation sur la mise en œuvre effective de ce « paquet défense » ?

Par ailleurs, le tissu industriel en matière de défense se tourne de plus en plus vers l’exportation, afin de pallier les baisses de dépenses liées aux commandes publiques en Europe et aux États-Unis. Or la concurrence est rude et les contrats d’achats d’armement comportent de plus en plus fréquemment des clauses relatives à la fabrication locale, aux transferts de technologie ou à la participation au développement de programmes qui sont susceptibles à terme de générer de nouveaux concurrents. Comment dans ces conditions préserver une base industrielle et technologique solide tout en respectant les règles internationales et européennes ?

Enfin, pouvez-vous nous donner quelques précisions sur le calendrier d’examen de deux textes législatifs – réclamés par la société civile – que vous envisagez de présenter prochainement à la représentation nationale : d’une part, le projet de loi déposé au Sénat le 5 juin 2007 relatif au régime d’autorisation des opérations d’intermédiation et d’achat pour revendre et modifiant le code de la défense ; d’autre part, le projet de loi relatif à la violation des embargos et autres mesures restrictives déposé le 21 février 2006 et adopté par le Sénat le 10 octobre 2007 ?

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Monsieur le Ministre, nous ne pouvons que saluer votre volonté d’associer plus étroitement les parlementaires aux réflexions et aux débats sur cette question sensible des exportations d’armements.

La France est aujourd’hui le 4e exportateur mondial dans ce domaine. Nous n’avons pas à en rougir et, souvent, ceux qui critiquent ce fait sont les premiers à demander qu’on intervienne dans des pays confrontés à des tragédies, comme la Syrie.

Cette réunion va être l’occasion de nous présenter de façon plus détaillée la situation de la France dans le marché mondial des exportations, ainsi que les considérations d’ordre économique, juridique et stratégique qui entourent nos ventes d’armement.

Comment se situe, à cet égard, le dispositif français de contrôle des exportations de matériels de guerre par rapport à ceux des autres États membres de l’OTAN ou de l’Union européenne ?

Dans votre rapport, vous évoquez le dépôt, d’ici la fin de l’année, du projet de loi relatif à la violation des embargos, qui a été adopté par le Sénat il y a plus de cinq ans et sera renvoyé à la Commission des affaires étrangères. Je souhaiterais également que vous nous précisiez le calendrier d’examen de ce texte, que la précédente majorité n’avait pas inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée.

Nous savons aussi que la Grèce a bénéficié de plus de 700 millions d’euros d’autorisations d’exportation de matériels de guerre (AEMG) en 2011, ce qui est un montant important. Avez-vous des informations sur les achats d’armes par ce pays, alors qu’il traverse une crise économique, sociale et politique extrêmement grave ?

Le rapport indique que « notre politique d’exportation doit être transparente ». Dans quelle mesure un tel objectif est-il atteignable ? Ne peut-il pas nuire à notre efficacité ?

Ce rapport rappelle également que plusieurs instruments – notamment la position commune du 8 décembre 2008 prise dans le cadre de l’Union européenne – s’opposent à la vente d’armement aux pays ne respectant pas les droits de l’homme ou y portant gravement atteinte. À quel niveau est placé le « curseur » ? Comment l’apprécie-t-on ?

Enfin, alors que les exportations d’armement sont un moyen appréciable de rééquilibrer notre balance commerciale, comment sont encadrés les transferts de technologie ?

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Je suis heureux de présenter au Parlement ce rapport de 2012 sur les exportations d’armement, qui est désormais public. Je tenais à le faire moi-même pour que la transparence soit la plus grande possible. Cette transparence correspond d’ailleurs à un engagement que le Président de la République avait pris dans son discours du 11 mars 2012. Notre politique d’exportations doit pouvoir faire l’objet d’un dialogue continu avec la représentation nationale. Celui-ci, aujourd’hui public, a vocation à se poursuivre au cours de l’année, sous une forme éventuellement plus confidentielle.

La politique d’exportation d’armement est une politique de l’ensemble du Gouvernement. Le ministère de la défense, du fait de ses compétences techniques, de son rôle vis-à-vis des industries de défense, de la place qu’il occupe dans le dialogue avec nos principaux partenaires étrangers sur les grandes questions stratégiques, joue bien évidemment un rôle tout particulier dans ce dispositif.

J’ai eu l’occasion de dire à plusieurs reprises ces derniers mois que le premier impératif qui s’est imposé à moi a été de remettre de la cohérence dans cette politique, en redéfinissant, notamment, le rôle de chacun et en accordant une attention prioritaire au dialogue politique et stratégique d’État à État pour encadrer, accompagner et soutenir nos exportations.

Cette répartition des rôles doit intervenir à chaque étape de nos projets d’exportation.

La première d’entre elles, essentielle, est celle du contrôle. Davantage qu’une étape initiale, c’est même un préalable. Cela peut sembler une évidence, mais il faut le rappeler tant la précipitation ou l’urgence peut parfois conduire à brouiller les lignes entre l’impératif du contrôle et celui de la promotion de nos exportations dans le domaine de la défense.

Ce contrôle doit être rigoureux. Il doit notamment permettre de garantir que chaque exportation autorisée le soit dans le plein respect de l’ensemble de nos obligations internationales. Il doit également assurer qu’elle ne puisse déboucher sur des atteintes aux droits de l’homme, ni sur le risque de déstabilisation d’un pays ou d’une région. Il doit enfin garantir que rien de ce que nous exportons ne puisse constituer à l’avenir une menace se retournant contre nos propres forces ou celles de nos alliés.

La prise en compte de l’ensemble de ces impératifs nécessite l’implication d’un nombre significatif d’agents et de services du ministère de la défense : au sein de la direction générale de l’armement (DGA), lorsque l’analyse technique de certains équipements est nécessaire, ou de l’état-major des armées, qui peut juger de l’impact des projets d’exportation sur nos forces. Je souhaite ici saluer le travail rigoureux, méticuleux et peu connu de l’ensemble de ces fonctionnaires, qui permet le bon déroulement des procédures de contrôle centrées autour de la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG).

La deuxième étape est celle du soutien. C’est seulement une fois qu’un projet d’exportation a été autorisé dans le cadre de cette instruction interministérielle rigoureuse, placée sous l’égide du Premier ministre, que l’État peut, à différents niveaux, soutenir les projets d’exportation de nos industriels. Non seulement il peut, mais il doit le faire, dès lors que ces projets ont été dûment examinés et validés.

Il est en effet dans l’intérêt de notre pays que ces entreprises du secteur de la défense soient performantes à l’exportation. Le chiffre d’affaires et l’activité qui découlent de nos exportations alimentent le plan de charge de nos entreprises : ils permettent de maintenir des compétences techniques et d’en développer de nouvelles, sachant que celles-ci peuvent de moins en moins reposer sur la seule commande publique, du fait du contexte budgétaire que vous avez rappelé. L’enjeu pour le Gouvernement est donc de conserver et de développer une base technologique, qui est la condition du maintien en France d’emplois souvent hautement qualifiés. Vous savez combien ces compétences ont souvent un impact direct sur notre compétitivité générale, bien au-delà du seul secteur de la défense.

Enfin, le geste d’exporter est une condition pour conserver notre autonomie stratégique. Le maintien en France d’une industrie de défense robuste conditionne dans une très grande mesure notre capacité, celle de l’État, à orienter les choix futurs de cette industrie et donc permettre l’adéquation de ceux-ci avec les besoins de nos forces. Si nous voulons continuer, à l’avenir, d’équiper ces dernières avec les successeurs de systèmes aussi performants que l’avion Rafale, les frégates FREMM ou nos armements terrestres comme le VBCI, il est important que les entreprises qui les produisent puissent trouver des débouchés à l’exportation, dès l’instant où le contrôle a été bien effectué.

Je tiens à préciser ici le rôle que j’entends jouer, dans la clarté, pour soutenir nos entreprises.

Si les autorités politiques ou un ministre s’immiscent dans les détails d’une négociation commerciale, il y a confusion des genres. Mais l’État est dans son rôle lorsqu’il agit pour encadrer, garantir et arbitrer. Encadrer, parce qu’il contrôle et insère l’exportation dans un ensemble de relations profondément politiques. Garantir, car il faut démontrer au pays acheteur que le geste de l’exportation fait partie d’une politique publique dont l’État vendeur assume les conséquences vis-à-vis de l’État acheteur. Arbitrer entre des intérêts divergents, lorsqu’il y en a, dans la mesure où il lui revient de veiller à l’intérêt général du pays. Ainsi, des exportations aussi sensibles que les exportations d’armement, parce qu’elles engagent bien souvent sur une durée longue, parfois de plusieurs décennies, ne peuvent reposer que sur une relation étroite de confiance.

En tant que ministre de la défense, j’ai pour mission de m’assurer que les relations politiques avec nos principaux partenaires stratégiques créent un terrain propice à la réussite de nos entreprises. C’est ce que j’ai fait aux Émirats Arabes Unis en octobre dernier ou au Brésil au mois de novembre ; c’est aussi ce que je ferai prochainement en Arabie saoudite et en Inde.

Cette notion de partenariat stratégique n’est pas un terme général, mais une réalité très concrète, que le ministère de la défense est en grande partie chargé de faire vivre. Nos partenaires stratégiques – sans être des alliés comme peuvent l’être des pays de l’Union européenne ou de l’OTAN – sont pour l’essentiel des États avec lesquels nous partageons une communauté de vues sur le contexte stratégique international, bien souvent même une communauté de valeurs – comme c’est le cas avec ces deux grandes démocraties que sont le Brésil ou l’Inde –, ainsi qu’une communauté d’intérêts. Cela justifie que nous ayons avec eux une relation qui se rapproche de celle que nous avons avec nos principaux alliés.

Cela peut se traduire par la décision d’autoriser des transferts de technologie plus importants qu’avec d’autres, des échanges plus poussés dans le domaine de la formation ou pour les exercices opérationnels, ou bien l’instauration de relations plus étroites dans des domaines sensibles comme le renseignement ou la maîtrise de risques tels que la prolifération nucléaire, les cyberattaques ou le terrorisme. C’est souvent sur la base de ces relations étroites que pourront se bâtir nos plus importants succès à l’export.

Au-delà des très grands contrats, qui concernent nos partenaires étrangers les plus importants, je veux également insister sur les PME, qui doivent avoir toute leur place et tout le soutien de l’État pour se développer à l’international. Je veux pour cela qu’elles puissent bénéficier des aides qui sont généralement accordées aux grands groupes, car les démarches commerciales sont souvent très longues et d’autant plus difficiles à soutenir pour des structures plus petites. Je présenterai dans quelques jours à cet effet, comme je l’avais annoncé à la Commission de la défense, un plan stratégique pour les PME de défense – qui sont au nombre de 4 000.

Enfin, je voudrais vous présenter quelques-unes de mes principales priorités pour l’année 2013.

Pour ce qui est de notre dispositif de contrôle, je souhaite que nous puissions continuer à travailler ensemble à son renforcement.

Cela concerne directement les assemblées parlementaires puisque, comme s’y est engagé le Président de la République, j’entends vous proposer de reprendre très prochainement la discussion, interrompue depuis trop longtemps, sur les deux projets de loi importants que vous avez évoqués.

Le premier vise à pénaliser la violation des embargos, notamment ceux mis en place par l’Union européenne et l’ONU. De manière croissante, ces dernières années, les organisations internationales ont adopté des mesures restrictives visant des États dont le comportement pouvait menacer la stabilité et la sécurité internationales – l’Iran ou la Syrie par exemple. Or il est important que nous envoyions, comme d’ailleurs le Conseil de Sécurité de l’ONU nous y invite, le signal de notre plus grande détermination à lutter contre ceux qui entendent contourner ces mesures.

Le second projet vise à renforcer l’encadrement des activités d’intermédiation, notamment pour assurer que celles menées par des ressortissants français à l’étranger soient couvertes par nos dispositifs de contrôle et d’autorisation.

Par ailleurs, je souhaite que l’exercice auquel nous nous livrons aujourd’hui se renouvelle beaucoup plus tôt l’année prochaine, dans la mesure où il est un peu surréaliste de faire le point au mois de novembre sur nos exportations de l’année précédente. J’ai donc l’intention de vous présenter au cours du premier semestre 2013 le bilan de l’année 2012.

Je souhaite aussi organiser avec les ONG, les représentants des industriels et les think tanks un dialogue fructueux sur les données statistiques du rapport, qui nous permettra d’être plus précis – sachant que la France est dans ce domaine l’un des pays européens qui informe le plus la représentation nationale.

L’année 2013 verra aussi, l’été prochain, entrer en vigueur un nouveau dispositif pérenne de contrôle, avec la mise en place d’une licence unique qui se substituera à l’agrément préalable (AP) et à l’AEMG. Le traitement des dossiers sera également simplifié, en particulier pour les moins sensibles, avec un examen plus rapide, en flux continu.

Ces novations seront adossées à un nouveau système d’information pour la gestion administrative des licences d’exportation, appelé SIGALE, qui assurera une dématérialisation complète des procédures.

L’ensemble de ces mesures permettra un contrôle plus efficace, plus ou moins approfondi selon le caractère plus ou moins sensible des exportations, et un processus plus rapide pour ceux qui auront l’autorisation d’exporter.

L’an prochain, je souhaite également que nous puissions rationaliser et clarifier le régime du double usage. Ce travail devra être conduit en concertation avec les autres ministères concernés, notamment celui chargé du redressement productif, avec lequel nous avons un dialogue fructueux.

La rigueur que nous nous imposons au plan national pour le contrôle de nos exportations d’armement doit également nous conduire à rechercher, sur le plan international, un consensus pour qu’un nombre croissant d’États applique les normes les plus exigeantes.

Nous ne sommes pas parvenus, cet été, malgré le plein engagement de la France, à faire émerger un consensus international sur le Traité sur le commerce des armes (TCA). Mais nous n’abandonnons pas ce sujet et nous nous félicitons que la commission compétente de l’Assemblée générale des Nations unies vienne de confirmer la reprise de la négociation au printemps prochain, sur la base du texte négocié en juillet dernier grâce au soutien d’un nombre important de pays. Nous continuerons à œuvrer pour qu’un dispositif à la fois consensuel et robuste soit adopté.

Dans le cadre de cette politique de contrôle, je continuerai également à défendre en 2013 les intérêts de nos industriels dans l’esprit que je viens de décrire.

Je continuerai en particulier de travailler au renforcement de nos relations et de notre partenariat stratégiques avec des pays comme l’Inde, le Brésil, les Émirats Arabes Unis, le Qatar ou l’Arabie Saoudite. En Inde, nous attendons l’aboutissement de la négociation d’un contrat d’une importance considérable – portant sur 126 avions Rafale –, pour lequel Dassault Aviation est en négociation exclusive depuis plusieurs mois avec les représentants de ce pays, à l’issue d’un processus de sélection rigoureux qui a démontré une nouvelle fois les qualités techniques de ces appareils. Je souhaite que ce contrat soit signé en 2013, marquant ainsi le caractère exceptionnel du partenariat stratégique qui nous lie à l’Inde depuis 1998.

Mme Marie Récalde. Merci pour cette présentation.

Le ministre des affaires étrangères allemand a récemment appelé de ses vœux une interdiction européenne de l’exportation des logiciels de surveillance et d’espionnage vers des régimes répressifs comme ceux de l’Iran ou de la Syrie, faisant ainsi écho à des propos similaires de la commissaire européenne Nelly Kroes : quelles sont les dispositions prévues en France dans ce domaine et quelle est votre position sur ce sujet ?

Je rappelle qu’une société française filiale de Bull avait équipé fin 2009 le centre de surveillance d’Internet de Tripoli et qu’en mai 2012, le tribunal de grande instance de Paris a ouvert une information judiciaire à son encontre pour complicité d’actes de torture – ce qui pose la question de la judiciarisation des relations commerciales en matière de défense.

M. Michel Terrot. Je n’ai reçu le rapport qu’en début de semaine : il serait bon que nous puissions disposer à l’avenir d’un délai plus important, d’une dizaine ou une quinzaine de jours, pour l’examiner.

De plus, ce document porte sur des exportations dont certaines peuvent remonter à environ 18 mois : ne pourrait-on avoir un suivi en temps réel grâce à des fiches trimestrielles qui pourraient être adressées à nos deux commissions ?

Enfin, il serait utile que celles-ci puissent faire le point au début de l’année prochaine sur le TCA, dont la négociation finale aura lieu en mars aux Nations unies.

M. Yves Fromion. Je me réjouis, monsieur le ministre, de votre présence ici dans la mesure où, lors du vote de la dernière loi de programmation militaire (LPM), j’ai fait modifier le code de la défense pour faire en sorte que le ministre de la défense soit l’autorité politique responsable des exportations d’armements, cette responsabilité juridique incombant seulement auparavant à un directeur des relations internationales de la DGA.

J’ai par ailleurs suscité la création, au niveau du Premier ministre, d’une commission ad hoc visant à organiser le soutien étatique pour les grands contrats d’exportation : après avoir été mise en place, sa compétence a été étendue à d’autres domaines comme le nucléaire. Cette structure indispensable existe-t-elle toujours ?

S’agissant des directives européennes qui viennent d’être évoquées, lorsque j’étais rapporteur du projet de loi de transposition, nous avons – de concert avec le Sénat et en liaison avec la commission compétente à Bruxelles – réalisé un travail approfondi avec les industriels, qui ont examiné en détail le texte : je suis donc étonné qu’il ne corresponde plus à leurs besoins. Qu’en est-il exactement ?

M. Guy-Michel Chauveau. Merci de votre souci de transparence.

La coopération industrielle européenne est importante dans ce domaine : si elle n’avançait pas, nous serions amenés à acheter certains de nos produits sur étagère à d’autres pays. Comment se traduit-elle, notamment avec la Grande-Bretagne, l’Allemagne et les pays du groupe "Weimar +", qui représentent 60 à 65 % des budgets de défense de l’Union européenne ?

M. Gilbert Le Bris. Merci pour votre présence ici et votre nouvelle approche de la vente d’armements.

Dans ce domaine, un marché n’est pas gagné tant qu’il n’a pas été signé : or on a trop vu dans le passé des présidents ou des ministres annoncer la conclusion de contrats de façon prématurée. En tout cas, la vente d’armements ne se fait pas sur la place publique. L’approche que vous avez eue avec les Émirats arabes unis, consistant à dire qu’on a autre chose à faire avec les États que de traiter de ce type de ventes, est bonne. Il ne faut avoir ni naïveté ni cynisme.

Cela étant, on sait bien que la qualité des matériels n’est pas le seul critère pris en compte : nos exportations peuvent-elles être assorties de prêts financiers d’État à État comme aux États-Unis avec les foreign military sales ou les foreign military financing ?

Mme Émilienne Poumirol. Je vous remercie à mon tour pour votre effort de transparence et la promesse que vous nous faites de venir régulièrement devant nos commissions.

Quelle est votre position sur le TCA ?

M. Alain Chrétien. Quelles sont, selon vous, les lacunes de l’outil statistique ? Comment entendez-vous l’améliorer, sachant qu’il faut tenir compte du secret défense et des marchés non encore négociés ?

M. François André. Quelles mesures sont prévues pour contrôler a posteriori la bonne utilisation des matériels exportés et sanctionner d’éventuelles violations de la réglementation ?

Que se serait-il passé, par exemple, si nous avions vendu des avions Rafale à la Libye de Khadafi et si celui-ci les avait utilisés contre la population civile ?

M. Axel Poniatowski. Le montant des exportations françaises, de 6,5 milliards d’euros, est assez faible : il correspond à environ 8 % des exportations mondiales. Cela est dû au fait que le Rafale ne s’est pas vendu depuis une dizaine d’années et que les industriels français ont mené avec un certain succès des politiques en faveur des marchés domestiques dans un certain nombre de pays occidentaux, européens notamment.

Lors de la conférence des ambassadeurs, le Président de la République a déclaré l’été dernier que la diplomatie économique était une priorité : comptez-vous mettre en place de nouveaux dispositifs pour relancer nos ventes d’armes dans les zones où elles font défaut ?

Par ailleurs, notre industrie navale est probablement la plus performante dans le domaine de l’armement : voyez-vous des réorganisations ou regroupements européens en la matière ?

M. Philippe Vitel. Les partenariats stratégiques et les transferts de technologie qui y sont liés sont en effet importants : les échecs que nos industriels ont parfois rencontrés viennent souvent du fait qu’ils se présentaient seuls, sans le soutien de l’État.

Pourrions-nous disposer d’un inventaire de ces partenariats stratégiques, précisant les engagements en cours ? Pourriez-vous également nous faire part des partenariats nouveaux, en discussion, afin que nous soyons pleinement informés lors de nos déplacements à l’étranger ? Ce sujet ne pourrait-il pas donner lieu à un rapport du ministère ?

M. Jean-Jacques Bridey. Merci pour la qualité de ce rapport.

Comment rendre plus solide le secteur industriel de la défense en vue d’accroître nos exportations ? Quelles sont vos propositions en matière de concentrations et pour mieux protéger les capitaux des PME vis-à-vis de certaines tentatives de rachat ?

Par ailleurs, la ligne budgétaire consacrée à la recherche et la technologie au travers des études amont a sensiblement augmenté, passant de 750 à 800 millions d’euros : comment continuer à l’accroître, dans le contexte budgétaire actuel, pour donner à nos entreprises une capacité d’innovation leur permettant de remporter davantage de marchés à l’exportation ?

M. Gwenegan Bui. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a souhaité muscler la diplomatie économique en mettant en place un certain nombre d’outils, notamment une direction au Quai d’Orsay : quelle est l’articulation entre cette stratégie et l’action des attachés de défense de nos ambassades ?

M. Olivier Audibert Troin. Jusqu’où pouvons-nous baisser le budget de nos forces armées sans porter préjudice à nos exportations d’armement ?

M. le ministre. S’agissant de la méthodologie, je souhaite créer les conditions du débat et de la transparence. D’abord, en venant ici présenter ce rapport – je crois que c’est la première fois que le ministre de la défense le fait. Puis en vous l’adressant dorénavant plus longtemps à l’avance et ce, dès le premier semestre suivant l’année étudiée.

Nous avons aussi des progrès à faire sur les catégories de matériels, les matériels autorisés et ceux qui ont été livrés.

Madame Guigou, les livraisons à la Grèce sont de 80 millions d’euros en 2011, soit un montant très inférieur à celui des autorisations d’exportation que vous avez évoqué. Elles concernent essentiellement des pièces détachées pour le perfectionnement et le maintien de ses matériels militaires.

S’agissant des partenariats stratégiques, je rappelle que nous devons avoir avec certains pays une relation de longue durée, ne se limitant pas à l’achat de tel matériel militaire à un moment déterminé : c’est ainsi que nous réussirons.

J’ai été frappé à cet égard de constater, à mon retour des Émirats arabes unis ou du Brésil, que les médias étaient seulement intéressés par le fait de savoir combien nous avions vendu de Rafale. Or si nous confondons l’acte commercial – qui appartient à l’industriel et dans lequel il doit avoir toute latitude de négociation – et l’intervention de l’État – qui doit apporter des garanties et favoriser l’environnement politico-stratégique d’un partenariat de long terme fondé sur la confiance –, cela ne marchera pas.

Ainsi, quand j’ai rencontré Cheikh Mohammed aux Émirats arabes unis – avec lesquels nous avons une relation forte et ancienne ainsi qu’une identité de vues sur les grands dossiers internationaux –, nous n’avons pas parlé, cette fois, de Rafale : j’ai visité nos forces présentes sur place et nous avons débattu de l’ensemble de la situation internationale ainsi que de notre relation bilatérale – à la fois en termes stratégiques dans la zone et au regard de l’engagement d’une série de discussions pour l’avenir, concernant les satellites, les avions de combat ou le matériel naval. Je sais qu’après, nous en viendrons aux perspectives de vente d’armements, dans la mesure où nous avons mis en place un partenariat de haut niveau permettant la poursuite des discussions sur les sujets sensibles en concertation avec les industriels.

Il en est de même avec le Brésil, avec lequel nous avons un partenariat récent fort, qui s’est traduit par des engagements sur des matériels militaires navals, notamment les sous-marins, en plus de l’acquisition d’un porte-avions. Sachant que ce pays souhaite investir dans un groupe aéronaval, j’ai fait remarquer à mes interlocuteurs qu’il fallait aussi des avions pour ce faire. Nous avons par ailleurs passé un contrat très important, qui comporte notamment la mise en place d’une base navale, avec un transfert de technologie, des formations et l’acquisition de matériels. C’est sur le fondement de ces relations de confiance que d’autres perspectives pourront s’ouvrir.

C’est ainsi que je perçois mon rôle et j’ai cru comprendre que les industriels le concevaient également de cette façon.

Quant au matériel naval, sa part dans les exportations françaises est importante. Nous nous interrogeons sur les possibilités d’alliances, mais nous attendons d’avoir des partenaires prêts à s’engager, l’Allemagne notamment. Nous avons de grands atouts dans ce domaine, ne serait-ce que les bâtiments de projection et de commandement (BPC) – les deux premiers étant en cours de réalisation pour la Russie, en attendant éventuellement deux autres – ou les sous-marins Scorpène – qui ont été exportés non seulement au Brésil, mais aussi en Inde, en Malaisie et au Chili.

Monsieur Poniatowski, le montant global des exportations n’est en effet pas très important – il risque même d’être moindre en 2012 –, mais il est supérieur à 2010 : on ne peut avoir tous les ans des résultats exceptionnels, ceux-ci dépendant largement de quelques gros contrats.

Madame Récalde, les printemps arabes et la crise libyenne ont montré que l’utilisation de certains appareils liés à la surveillance électronique et aux réseaux d’Internet n’était pas jusqu’à présent prise en compte dans les restrictions à l’exportation : nous sommes d’accord pour que ce soit désormais le cas. La position allemande nous convient à cet égard pour éviter les dérives constatées en Libye.

Cela nous ramène à la question des technologies duales que j’ai évoquées, pour lesquelles il est nécessaire de trouver, dans les dispositifs de contrôle, un moyen de s’assurer que des technologies exportées dont la partie militaire n’est a priori pas évidente ne puissent se retourner contre nous ou nos alliés à l’avenir.

Monsieur Le Bris, nous n’avons pas en France l’équivalent des foreign military sales. Il serait compliqué de mettre en place un tel dispositif, notamment au regard de la réglementation européenne. En revanche, dans certains cas, comme pour l’Inde, nous instaurons des dispositifs interétatiques permettant d’apporter des garanties.

Monsieur Fromion, la Commission interministérielle d’appui aux contrats internationaux (CIACI) devait en effet être activée : elle se réunira d’ailleurs prochainement. Quant au fait de confier au ministre de la défense la responsabilité de l’ensemble de la politique d’exportation d’armement, il s’agit d’une bonne mesure.

Monsieur Chauveau, plusieurs coopérations entre pays et industriels européens permettent l’exportation de matériels à l’étranger, pour laquelle nous menons, avec d’autres pays, une action d’accompagnement. C’est le cas notamment pour les hélicoptères NH90, Tigre, ou bien l’avion A400M. 

En outre, il est très positif que les pays du groupe de "Weimar +" aient pu se réunir la semaine dernière à Paris. Ce n’était pas gagné d’avance : il s’agit en soi d’un acte politique.

Nous souhaitons que l’Europe de la défense se construise de façon pragmatique : c’est une nécessité, d’abord en raison des contraintes budgétaires de chacun – je rappelle que les États-Unis entendent économiser, sur les dix prochaines années, 490 milliards de dollars sur leur budget de la défense, ce qui aura notamment pour conséquence d’aviver l’appétit de concurrence de leurs entreprises sur les marchés émergents et européens. De plus, les menaces, qui sont fortes, tendent à s’accroître, et la stratégie américaine est de se déplacer progressivement vers l’Asie et le Pacifique.

La construction européenne doit se traduire à la fois au niveau opérationnel – au travers, par exemple, de l’opération Atalante ou de celle prévue pour le Mali, voire éventuellement pour le Kosovo – et dans le domaine capacitaire – ce qui suppose de définir ensemble en amont nos besoins, et non que ceux-ci soient dictés par l’offre industrielle. Il en est ainsi pour les drones MALE, qui font l’objet d’un début de coopération intéressant : j’espère qu’elle se poursuivra dans le cadre de "Weimar +", voire, si possible, dans un cadre européen plus large.

Concernant nos relations avec les Britanniques, nous poursuivons le processus lancé à Lancaster House, en particulier dans le domaine nucléaire. D’autres actions en commun doivent être mises en œuvre dans ce cadre – même si c’est plus difficile – et donner lieu à un élargissement à d’autres partenaires, notamment sur les drones.

Monsieur Bridey, je ferai connaître dans les prochains jours les propositions de mon plan en faveur des PME de défense, de manière à ce que celles-ci prennent toute leur place dans le processus d’exportation – certaines d’entre elles ayant été jusqu’ici étouffées par de grands groupes alors qu’elles sont en large partie à l’origine de l’innovation. C’est aussi la raison pour laquelle je maintiendrai le budget relatif aux études amont dans les années à venir. Il s’agit d’une priorité.

Sur les recompositions industrielles en France, le champ est ouvert, notamment depuis l’échec de la fusion entre BAE et EADS. Si des initiatives pouvaient aboutir, je vous en ferais part, sachant que l’État n’est pas seul maître du jeu dans ce domaine.

Monsieur André, il faut faire en sorte que les matériels que nous exportons ne se retournent pas contre nous. S’agissant des réexportations, le mécanisme de contrôle prévoit des pénalisations, mais il n’est pas toujours possible de les mettre en œuvre lorsque les transferts sont illicites. Il nous faut donc avoir la vigilance nécessaire pour éviter de tels retournements en cas de réexportation ou de changement de régime, ou tenir compte de ces risques dans les performances. Monsieur Bui, les attachés de défense jouent en effet en permanence un rôle de vigilance, d’incitation et d’alerte. Certains ingénieurs de l’armement font partie des équipes dont nous disposons dans ce domaine, lesquelles sont en général très performantes. Leur rôle est déterminant, notamment dans les pays avec lesquels nous voulons nouer des partenariats stratégiques de long terme.

En ce qui concerne les directives européennes, je n’ai pas l’intention de recommencer leur transposition, celle-ci ayant été menée, me semble-t-il, avec soin. La question est de savoir si certains pays voisins ne retiennent pas une interprétation plus souple ou plus restrictive que nous.

Je suis donc dans l’ensemble attaché à ce que nous ayons une politique d’exportation d’armement à la fois rigoureuse dans les principes et audacieuse dans les résultats.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le ministre, je vous remercie.

La séance est levée à dix heures quinze.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Jean-Jacques Bridey, Mme Nathalie Chabanne, M. Alain Chrétien, M. Yves Fromion, M. Jean-Claude Gouget, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Philippe Vitel

Excusés. – M. Claude Bartolone, M. Daniel Boisserie, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, Mme Geneviève Gosselin, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé

Assistaient également à la réunion (membres de la commission des affaires étrangères) - Mme Nicole Ameline, M. Avi Assouly, M. Laurent Baumel, M. Jean-Luc Bleunven, M. Gwenegan Bui, M. Jean-Claude Buisine, M. Guy-Michel Chauveau, Mme Élisabeth Guigou, M. Serge Janquin, M. Pierre Lellouche, M. François Loncle, M. Alain Marsaud, M. Axel Poniatowski, M. Michel Terrot