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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 4 décembre 2012

Séance de 18 heures 15

Compte rendu n° 30

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition, de M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter, sur la dimension industrielle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

La séance est ouverte à dix-huit heures vingt.

Mme la présidente Patricia Adam. Je souhaite la bienvenue à M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter, entreprise que les membres de notre commission connaissent bien. Spécialisée dans le domaine de l’action terrestre, c’est encore l’une des rares grandes structures détenues intégralement par l’État.

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. À 100 %, en effet.

Mme la présidente Patricia Adam. Ceux qui parmi nous ont pu assister aux démonstrations de l’armée de terre à Carpiagne ont pu voir en action le canon CAESAR, le véhicule de l’avant blindé (VAB) ou, encore, le véhicule blindé de combat d’infanterie (VBCI). Les plus anciens commissaires, en particulier, n’ignorent rien de ces matériels.

Dans le cadre du nouveau Livre blanc, monsieur le président, nous souhaiterions connaître vos attentes et votre vision quant à l’industrie de défense terrestre en France mais, également, en Europe.

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Je suis très honoré d’être devant vous aujourd’hui et je vous remercie d’avoir bien voulu recueillir mon avis sur la dimension industrielle de la mise à jour du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Alors que les menaces restent très présentes et se manifestent sous des formes changeantes et que la compétition se renforce à l’international ou en Europe avec l’ouverture des marchés, il importe que la représentation nationale soit informée de la situation de son industrie et, plus particulièrement, dans le secteur de la défense terrestre, de ses forces, de ses difficultés et de ses enjeux.

En premier lieu, je souhaite vous parler du groupe Nexter, entreprise leader de la défense terrestre en France.

La phase la plus difficile de la restructuration est terminée depuis 2006. Le groupe Nexter, qui a été créé à cette époque-là, demeure en effet détenu à 100 % par l’État via la société holding Giat Industries, que je préside. En cette fin d’année 2012, les faits attestent du retour du groupe parmi les acteurs mondiaux qui comptent dans le secteur de la défense terrestre. Nexter est l’héritier de 250 ans de traditions, de compétences et de savoir dans ce domaine : les armes, les munitions, les blindés et, plus généralement, les systèmes de défense sont notre patrimoine.

Le partage des rôles voulu par l’État a conduit à placer dans notre portefeuille d’activités tous les équipements et services hors le petit calibre - depuis 1998 -, le mortier, les véhicules légers et les camions. C’est dans ce cadre que, pour ce qui est du passé récent, les systèmes d’armes les plus emblématiques qui équipent les forces ont été conçus comme, par exemple, le char Leclerc, l’AMX 10 RC, les 4 000 VAB, qui ont été produits dans notre établissement de Saint-Chamond.

La mutation du groupe a été majeure, surtout dans sa dernière phase. Nous avons parlé, à juste titre, d’une refondation, terme qui caractérise le travail en profondeur que nous avons mené sur les processus, l’organisation, les systèmes d’information, les relations sociales, la culture, l’image, en parallèle de tout ce qui a été plus médiatisé et, en particulier, notre format industriel ainsi que notre potentiel de ressources humaines.

Avec l’appui constant de l’État, que je salue tant il a été déterminant dans la réussite de cette transformation, et tout en maintenant le consensus dans la communauté des personnels convaincue de l’urgence de ce changement en dépit des difficultés inhérentes à une telle situation, nous nous sommes transformés en une société de 2 700 salariés – nous étions 14 000 en 1990 –, mobilisée autour de sa mission qui est d’apporter les matériels et services les meilleurs et les plus compétitifs aux forces de notre pays comme aux forces des autres pays clients.

Avec un chiffre d’affaires qui s’établit actuellement entre 800 millions et 1,1 milliard, le groupe Nexter dispose d’une offre produits/services qui inclut aujourd’hui les systèmes blindés moyens et lourds, à chenilles et à roues - dont l’Aravis et le VBCI -, les systèmes d’artillerie avec le CAESAR, le Trajan – retour dans le matériel tracté de 155 mm – et le canon de 105 mm, les armes et tourelles avec les armes du Rafale et du Tigre, le Narwhal, qui équipe les FREMM, l’ARX 20, les munitions de moyen calibre - dont le 40 mm, que nous développons avec nos amis anglais - et de gros calibre. Tout ceci est complété par les services, tel le MCO, mais aussi les systèmes de systèmes, les systèmes d’information tactique, la robotique et les équipements associés. Il s’agit d’un portefeuille large pour une société qui se veut un acteur global.

Au cours de ses sept années d’existence, le groupe Nexter a continûment dégagé un résultat positif avec un taux de marge d’exploitation - EBIT, pour les Anglo-Saxons - toujours supérieur à 10 %, ce qui montre que les contrats sont bien menés et menés à terme. Ceci a permis au groupe de générer un milliard de flux de trésorerie, plus de 700 millions de dividendes ayant été versés à l’État actionnaire.

Société française par son actionnariat, Nexter est aussi française par son ancrage dans les territoires. Nous avons gardé notre implantation dans dix territoires en France, avec un dimensionnement allant de trente à quarante salariés jusqu’à un peu plus de 800 pour le site le plus important, à Roanne. Ces sites sont spécialisés soit sur un segment de marché, soit sur une activité industrielle spécifique et leurs moyens, dès 2006, ont été mis en stricte adéquation avec les missions qui leur sont données.

Française, la société l’est aussi par son effectif, localisé en métropole à 98 %, et par ses achats dont 92 % du volume est dirigé vers les entreprises de notre pays. Parmi nos 1 400 fournisseurs, 850 sont des PME. Pour faire face à sa charge, en octobre dernier, Nexter avait déjà embauché 44 salariés sur sa cible de 90 recrutements en 2012, dont 28 apprentis.

Enfin, notre pratique est celle d’une entreprise où les relations sociales restent fondées sur l’échange et le dialogue. Après une année 2011 marquée par la signature d’un accord sur l’égalité professionnelle hommes-femmes, l’année 2012 voit se développer un plan d’action pour renforcer la sécurité au travail et deux accords importants ont été signés avec tous les syndicats, l’un concernant la prévention des risques psychosociaux et l’autre l’emploi des seniors.

Il est utile de dire un mot sur notre métier. Dans les années 90, nous étions un manufacturier ; nous avons maintenant l’habitude de nous définir en tant que systémier- intégrateur de la défense terrestre afin de souligner que le centre de gravité du groupe est aujourd’hui dans les systèmes d’armes intégrés, tout en gardant en propre les compétences d’études, d’ingénierie et de production des composants, plateformes et armements dont nous jugeons essentielle la maîtrise pour garantir la permanence de notre offre et la performance de nos systèmes.

En parallèle, le secteur terrestre de la défense – et c’est un des points de débat du Livre blanc – reste une industrie de souveraineté qui contribue à l’autonomie d’action des forces et du pays. À ce titre, l’industriel français de la défense terrestre que nous sommes se doit de garder les capacités de conception, production et maintien en condition opérationnelle qui permettent le moment venu l’indépendance pérenne des forces engagées. Notre modèle industriel, décidé en 2003, a bien sûr préservé cette capacité souveraine en termes d’armes et de munitions tout en la dimensionnant à son juste équilibre économique.

La liberté du maître d’œuvre est de concevoir et de spécifier le matériel qui répond au besoin du client dans le cadre de compétitivité déjà souligné. Pour cela, il est nécessaire - j’y insiste - qu’il garde toute liberté en matière d’architecture et, sans être bridé par une préférence ou une exclusivité, qu’il recherche en interne ou en externe les solutions et les composants les plus adéquats qui permettront de définir cette solution technique – matériel, service – dans la limite des engagements qu’il a pris vis-à-vis de son client.

L’exemple du CEASAR que nous avons conçu sur fonds propres à partir de 1992 est à cet égard emblématique. Les premiers prototypes ont été conçus et testés avec l’industriel alsacien Lohr Industries sur base Unimog, c’est-à-dire, Mercedes. Cette image de marque allemande a sans doute contribué au choix de cette solution par un client du Moyen- Orient, avec le nombre le plus important de CAESAR – 132 – commandés à ce jour. La France, pour sa part, a préféré la solution du groupe Volvo, orientant le choix de deux pays clients d’Asie, l’Indonésie et la Thaïlande.

Nexter se prépare pour soumissionner en 2013, en Inde, pour un matériel du type CAESAR et discute avec les fournisseurs indiens de solutions de châssis afin de satisfaire aux exigences de compensation. Nous aurons donc à choisir, le moment venu, entre Tata, Ashok Leyland, BEML ou Eicher. Une autre solution de mobilité pour le CAESAR est en cours d’examen avec une société brésilienne qui a déjà travaillé sur un châssis tchèque.

Cet exemple montre bien que le monde de la défense terrestre, sous la contrainte de la compétitivité, doit aussi accepter la différenciation, reflet de la grande variété des besoins des clients. La meilleure solution est celle qui répondra aux besoins techniques et d’industrialisation locale.

L’autre enjeu lié à notre modèle économique tient à la volonté de Nexter de se placer en tant qu’acteur global du segment terrestre. Le mot « global » comporte lui aussi une signification bien précise.

En premier lieu, l’efficacité d’un système d’armes tient d’abord et avant tout à la performance combinée et démultipliée des sous-systèmes qu’il intègre. Ainsi l’arme ne peut être conçue et intégrée sans que la munition ne soit prise en compte dès les premiers jalons du processus de développement ; l’expérience au jour le jour pour les petits et les grands calibres montre tous les bénéfices d’une telle prise en compte symbiotique pour l’utilisateur dans l’utilisation et le maintien en condition opérationnelle. Si tel n’est pas le cas, les problèmes au développement et en service seront nombreux.

En parallèle, la globalité de l’offre est importante dans un métier de projets et de contrats comme le nôtre. Alors que nous n’avons pas la certitude de garnir le carnet de commandes avec un périmètre limité, la globalité d’une offre peut nous permettre d’harmoniser les cycles ou de compenser l’un par l’autre. Il convient de constater à ce sujet que les deux grands leaders mondiaux que sont General Dynamics et BAE Systems ont tous les deux un même modèle économique, depuis les armes, les équipements, les munitions et les services.

Je tiens maintenant à préciser nos axes d’effort actuels liés à notre développement. Ils sont de trois ordres : le renforcement de la compétitivité, l’innovation et l’exportation.

Nexter est revenu dans les grandes compétitions internationales, qui forment aussi un outil très puissant d’étalonnage de notre offre par rapport à celle de nos concurrents. Nous avons mis en œuvre depuis trois ou quatre ans les actions de renforcement de notre compétitivité aussi bien sur le plan de nos compétences et savoir-faire qu’au plan de nos coûts de production. En 2011, j’ai lancé le projet Grand Large pour signifier cette ouverture vers d’autres horizons, lequel a mobilisé 500 cadres et techniciens de l’entreprise autour de 26 thèmes. Au final, l’objectif de réduction d’un quart de nos coûts de production a été atteint, chaque équipe projet définissant concrètement les actions à court, moyen et long termes à cette fin, leurs coûts associés ainsi que le retour attendu. Nous sommes en phase de mise en œuvre. Un peu de temps et des investissements seront nécessaires.

Le premier gisement principal d’amélioration des coûts de production relève de la conception de nos systèmes. Nos ingénieurs, nos cadres, nos techniciens ont d’eux-mêmes trouvé les solutions plus simples, plus économiques, plus faciles à produire tout en répondant aux besoins des forces clientes. Nous avons réexaminé les processus de production ainsi que le périmètre de nos fournisseurs pour en sélectionner d’autres, plus compétitifs.

Deuxième axe : l’innovation. Nexter investit fortement dans le renouvellement et l’élargissement de sa gamme de produits et services. Cette démarche est structurée, fondée sur un bon niveau de chaînage stratégique. Chaque segment fait l’objet d’une revue qui vise à vérifier ou à modifier l’alignement de l’offre Nexter à court ou moyen terme avec les besoins des marchés. Les différents domaines technologiques sont eux aussi analysés et travaillés, bien souvent en partenariat avec les laboratoires, écoles, instituts, centres de recherche de notre pays ; ainsi, en 2012, auront été concrétisés des programmes sur des thèmes différents avec CEA Tech, l’École des Mines, Telecom Paris.

Au total, cette année, 15 % du chiffre d’affaires du groupe sont consacrés à la recherche et au développement, dont la moitié aura été autofinancée. Au titre de notre préparation aux enjeux du programme Scorpion, nous aurons investi à nouveau en 2012 une quinzaine de millions.

Ce niveau d’autofinancement, très important, est rendu possible par la bonne marche de l’entreprise et des résultats satisfaisants. Il illustre de surcroît notre capacité à prendre le relais du financement des études et de la préparation alors que les programmes d’études amont (PEA) de la Direction générale de l’armement (DGA) sont en baisse. Cela constitue, d’une certaine façon, un changement de modèle. Dans cette phase de forte concurrence et d’offres nombreuses, nous devons d’abord concentrer nos efforts de développement et d’innovation sur notre cœur de métier. Ainsi avons-nous retenu des projets sans tenter par voie de diversification d’aller explorer d’autres marchés hors de la défense terrestre sur lesquels nous ne serions pas attendus et qui seraient nouveaux pour nous.

Troisième axe, enfin : l’exportation. Il est clair que dans un contexte de compétition renforcée, la compétitivité et l’innovation sont des facteurs clés de réussite sur les marchés. De même, la bonne prise en compte des besoins des clients, avec agilité et réactivité, permet de saisir les nombreuses opportunités que le marché mondial nous offre. Le marché de la défense terrestre, en effet, demeure actif en raison des menaces que nous connaissons.

Nexter n’a pas de difficulté d’accès aux marchés internationaux, qu’il aborde la plupart du temps en partenariat avec des acteurs importants du marché visé. Le dispositif étatique et l’Armée de Terre démontrent au quotidien leur disponibilité pour nous soutenir, ce dont je souhaite à nouveau les remercier. Ainsi, en 2012, Nexter compte-t-il 34 prospects actifs ; 130 offres ont été remises dans l’année, ce qui est pratiquement d’un niveau identique à celui de l’année précédente.

Le résultat qui devrait être atteint en 2012 concernant les prises de commandes – entrées en carnet, nouvelles affaires prises en 2012 –, devrait être supérieur à celui de 2011, supérieur à la facturation de cette même année – nous aurons renouvelé notre carnet de commandes – et 80 % des prises de commandes proviendront de l’exportation. C’est un jalon – dont les équipes de Nexter pourront tirer satisfaction – qui résulte de la conjonction d’une offre produits/services en adéquation avec le besoin et d’une réelle mobilisation de toute l’entreprise pour saisir les opportunités.

Toute cette mobilisation de Nexter sur ses enjeux actuels se réalise en préservant un élément primordial de notre modèle : Nexter est proche des forces de notre pays et travaille en parfaite harmonie avec elles, au jour le jour, pour le maintien du parc en service ou pour la conception des matériels futurs. Les personnels de Nexter sont fiers de participer au soutien des capacités opérationnelles des forces, dont je salue la valeur, le courage et l’engagement.

J’aborde maintenant le thème de l’industrie française de la défense terrestre, secteur mal connu mais dont le poids économique doit être souligné alors que des orientations structurantes le concernant sont en préparation.

L’industrie de défense terrestre et aéroterrestre représente en France de l’ordre de 20 700 emplois tenus par des personnels très qualifiés qui font de ce secteur un acteur compétitif mondialement représenté et apprécié. L’industrie du terrestre présente une structure diversifiée alliant des divisions de grands groupes, des donneurs d’ordre de taille intermédiaire comme Nexter, et un tissu très actif de PME. Les emplois industriels sont dans notre secteur aussi bien orientés vers les activités de développement que vers celles de la production ou du soutien. Parmi ces emplois, approximativement 15 000 sont localisés dans les entreprises de taille intermédiaire et dans les PME. À ces 20 700 emplois directs viennent s’ajouter à peu près autant d’emplois indirects localisés dans les sociétés sous-traitantes.

L’activité générée par la défense terrestre irrigue l’ensemble des régions du pays même si 70 % des emplois se concentrent dans quatre d’entre elles : l’Île de France, la région Centre, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur et la région Rhône-Alpes. Dans ces territoires, l’effet d’entraînement de ces entreprises ainsi regroupées est d’autant plus important que dans de nombreux cas ces mêmes bassins d’emploi rassemblent des acteurs étatiques de la défense : centre d’essais, écoles…

Le chiffre d’affaires du secteur a atteint 5,3 milliards en 2011, dont 40 % à l’exportation. Ainsi l’industrie de défense terrestre non seulement prépare les matériels et les services qui contribuent à la défense du pays et à la préservation de sa souveraineté mais apporte une contribution directe très importante au développement économique national.

Un fait majeur mérite d’être souligné : 60 % de l’activité de défense terrestre sont liés à la commande nationale, vecteur bénéfique à quatre niveaux : la vision pluriannuelle permet l’investissement et la pérennité de l’emploi ; une prise de risques sur des nouvelles technologies ; des partenariats ; la commande de l’État, enfin, reste quelquefois incontournable à l’exportation.

C’est dans ce cadre que le programme Scorpion, attendu par nos forces, représente un enjeu très important pour notre industrie.

Ce programme s’inscrit dans la continuation du renouvellement du parc de l’Armée de Terre. Après les mises en service du VBCI, du Tigre, du CAESAR et du Félin, il convient de procéder au remplacement du parc des VAB, dont le premier a été livré en 1976, par le véhicule blindé multi-rôles (VBMR), et des AMX 10RC - chars légers à six roues qui sont aussi en service depuis la fin des années 70 - par l’EBRC. De plus, compte tenu du rythme qui est imposé par le renouvellement rapide en électronique, en numérique et en système d’information, il est nécessaire de planifier la rénovation du cœur du système de combat du Leclerc, de même que d’apporter les communications modernes et numérisées qui permettront d’unifier et de moderniser le système d’information du combattant.

Scorpion est surtout une « démarche » que l’industrie partage avec l’Armée de Terre et la DGA. Elle vise en premier lieu à la mise en cohérence des programmes des matériels et des équipements afin que les soldats agissent sur un mode collaboratif lors de leurs engagements.

Cette standardisation génère des économies de frais fixes de développement mais aussi dans le domaine du soutien des matériels, lesquels incluront plus de composants communs. Nous avons commencé le travail sur le coût global de possession, lequel inclut le coût d’acquisition ainsi que le coût de soutien dès l’étape initiale de la conception des matériels.

Je souhaite à ce propos vous indiquer en quelques mots la portée, pour Nexter, du programme Scorpion.

Aujourd’hui, et jusqu’à la fin de 2014, l’activité de production et d’intégration de Nexter Systems est générée pour moitié par le programme VBCI France. Comme je l’ai indiqué, Nexter développe ses meilleurs efforts pour placer le VBCI en tête dans les compétitions actuelles à l’international.

Dans la programmation actuelle, la consultation VBMR, que Nexter Systems prépare en coopération avec RTD, représenterait le relais souhaité de maintien du potentiel industriel si le VBCI, entre-temps, ne devait pas remporter de succès à l’exportation.

L’enjeu du programme EBRC, légèrement décalé de deux ans dans la programmation actuelle par rapport au VBMR, se situe pour Nexter au plan de la charge générée, mais aussi et surtout au niveau du maintien de la compétence, unique en France, de développement d’un système d’armes blindé. Outre l’utilisation du nouveau standard d’arme de 40 mm télescopé développé depuis 1993 en partenariat avec BAE Systems, le programme EBRC permettra de maintenir en France la compétence de fonction feu et d’intégration de celle-ci dans une plateforme avec les technologies de nouvelle génération. Le programme de rénovation du Leclerc, qui devrait ensuite se développer, en bénéficiera directement.

Enfin, le troisième enjeu important pour Nexter dans la programmation future est celui du maintien du principe des contrats pluriannuels de munitions. Ils ont été mis en place lors du grand projet de restructuration de notre groupe, en 2004, d’abord sur le moyen puis sur le gros calibre. Nous sommes maintenant arrivés à des phases de renouvellement.

Je rappelle l’intérêt de ces contrats pluriannuels pour le client et l’industrie, qui permettent le maintien de la capacité de production en activité et donnent ainsi la possibilité d’une montée en puissance rapide pour les besoins OPEX éventuels.

Ce maintien de l’outil garantit également la qualité des produits et diminue les risques de requalification, avec les montants associés.

Enfin, la visibilité, la pérennité et l’effet d’échelle apportent un gain estimé à 10 % par rapport à des commandes placées ponctuellement.

La première échéance importante à ce titre, pour Nexter, est la confirmation de la tranche conditionnelle du Contrat Pluriannuel des Munitions Gros Calibre au mois de mars 2013 – Nexter est désormais la seule entreprise, en France, produisant des munitions de moyen et de gros calibres, en l’occurrence à La-Chapelle-Saint-Ursin, dans la Région Centre. Ceci permettra d’assurer le socle et la pérennité de l’outil munitionnaire national.

Pour terminer cette intervention, je voudrais aborder la perspective stratégique du secteur terrestre européen et la vision que Nexter développe dans cet environnement.

Le paysage industriel européen dans la défense terrestre reste très fragmenté avec un nombre important d’acteurs, eux-mêmes principalement orientés vers leur marché national. En parallèle, alors que les engagements extérieurs y conduisent naturellement, les fournisseurs américains sont de retour et l’État américain tente de placer ses surplus vers les marchés tiers. Les concurrents des pays émergeants redoublent d’activité, montent en gamme et leur placement prix reflète leur structure de coûts, tirée vers le bas. Je songe à la Turquie, très présente, à l’Afrique du sud, à la Corée, à la Chine et à d’autres encore.

Au plan stratégique, l’industrie européenne se trouve placée devant l’alternative suivante : soit maintenir un profil d'acteur généraliste multi-segments du terrestre visant à couvrir, avec une gamme large, une part importante des besoins - pour tenir ce rang, les acteurs doivent participer à la consolidation dans un objectif d'accroissement de leur taille et donc des moyens financiers nécessaires à l’autofinancement ; soit, et certains ont raisonné ainsi dans le panorama européen, être confiné dans une position d'acteur de niche, mono-segment voire mono-produit, qui expose à une disparition progressive à mesure du vieillissement des produits ou dans le cadre d’une concurrence croissante sur le segment concerné puisque l’entreprise ne dispose pas des moyens de renouveler ses produits au rythme imposé par ladite concurrence. En lien avec les responsabilités que Nexter porte sur la pérennité des systèmes d'armes et produits qu'il a conçus et livrés à ses clients, au premier rang desquels l'armée française, notre ambition est de demeurer dans la première catégorie, par voie d'alliance avec d’autres entreprises du secteur terrestre et de participation à la consolidation.

Alors que les deux leaders du terrestre, BAE Systems Land & Armaments et General Dynamics, sont transatlantiques – je devrais dire américains puisque le siège du premier est désormais à Arlington – et d’une taille à peu près similaire - 4,5 milliards –, l’objectif est donc de favoriser l'émergence d'un troisième acteur global de la défense terrestre européen permettant l’autonomie des choix et des actions de notre continent.

Cette ligne directrice répond aux considérations suivantes : en premier lieu, pérenniser une capacité industrielle en Europe, autonome dans la conception – je songe aux règles ITAR – ou dans l’utilisation et le soutien des matériels, capable de servir les besoins des forces armées de l’Union en matière de systèmes et d’équipements de défense terrestre ; en second lieu, réunir par ce biais-là les conditions à moyen terme d'une viabilité économique améliorée et robuste car assise sur une base d'activité élargie et moins tributaire des budgets européens puisque dotée d’une capacité commerciale export multipliée.

Nexter, son actionnaire et votre serviteur ont analysé concrètement les opportunités et examiné les projets en gardant à l’esprit les quelques idées force suivantes, qui sont déclinées au cas par cas.

Bien sûr, il ne s’agit pas de faire un meccano mais d’élaborer un vrai projet industriel avec une analyse approfondie des aspects techniques, industriels, économiques et sociaux. Les situations respectives des partenaires, les complémentarités comme les synergies sont donc examinées à partir de la réalité vécue par chacun des partenaires.

L’objectif de Nexter est de maintenir l’unité des activités systèmes et des munitions du groupe. En effet, cette organisation intégrée a démontré son efficacité et elle génère d’importantes synergies.

De même, Nexter veut préserver sa liberté de décision de systémier. Ainsi le partenaire potentiel ne doit pas pouvoir imposer des choix dans les solutions techniques que le systémier définit en électronique, en mobilité ou autres. Cela pourrait se faire au détriment des performances des matériels et services, ou de leur prix, offerts au client.

Enfin, l’ambition de Nexter dans ce cadre d’examen de possibles alliances vise à la formation d’une entreprise intégrée dans laquelle les intérêts français seraient préservés : majoritaires ou à égalité de droits, tout en pérennisant en France les compétences nécessaires au maintien de l’autonomie d’approvisionnement des forces.

Dans les trois dernières années, les opportunités existant en France et en Europe ont été discutées au cas par cas avec chaque partenaire.

Ainsi, en France, des discussions ont été menées au 1er trimestre 2011 avec le Groupe Volvo pour un rapprochement de Renault Trucks Défense (RTD) avec une entité véhicule à roues de Nexter qui n’existe pas et qu’il aurait fallu accepter de détourer, ce qui signifiait en contrepoint, pré-condition du groupe Volvo, que le reste de l’activité demeurait dans un périmètre Nexter et n’était pas importé. Prenant acte d’une volonté de contrôle opérationnel par Volvo des grandes fonctions de la société commune qui en aurait découlé - ingénierie, achats, soutien - les discussions ont été arrêtées en accord avec l’actionnaire et la coopération s’est établie sur le seul programme du futur VBMR dans le cadre du protocole que j’ai signé le 2 novembre 2011.

Une offre de rachat de 100 % des actions de Panhard Général Défense a été remise par Dexter au mois de février 2011 et repoussée par les actionnaires de l’époque en raison de son montant. En relation avec la concurrence très forte sur ce segment des blindés légers et la faiblesse des perspectives d’activité de la société cible, Nexter, ses conseils et l’actionnaire n’ont pas envisagé de surenchérir. Il est intéressant de noter que le prix annoncé par le groupe Volvo pour l’achat en 2012 de Panhard serait inférieur au total proposé par Nexter un an auparavant. Certains éléments de l’affaire n’ont donc pas encore été dévoilés.

Deux dossiers restent à l’examen en France.

Le premier est celui de TDA, filiale à 100 % du groupe Thales, dont le métier est centré sur les mortiers et les roquettes. L’option retenue par l’État, en 2011, pour cette opération, était celle d’un apport de la société et de FZ, sa filiale, en processus de gré à gré, rémunéré par des titres de Nexter Systems. L’instruction du projet industriel et les due diligences ont été commencées sans que les valorisations ne soient échangées. Le processus est suspendu depuis le printemps dans l’attente des orientations des autorités. Il convient de souligner que le groupe Nexter dispose d’une trésorerie qui lui permettrait, si ceci était la voie retenue, de procéder à l’achat comptant de 100 % des actions de TDA.

L’autre dossier est celui des Poudres et Explosifs. Dès 2007, Nexter a manifesté son intérêt pour une reprise d’Eurenco lui permettant d’internaliser la fourniture de ces composants essentiels pour ses munitions. Le rapprochement européen représente l’étape ultérieure envisageable pour atteindre la taille critique. J’ai confirmé ma disponibilité, au deuxième trimestre de cette année, pour étudier l’hypothèse d’une reprise d’Eurenco mais aussi de sa maison mère, SNPE, dans le but de rationaliser les structures de défaisance existantes dans le terrestre.

En Europe, les contacts nécessaires sont établis avec les partenaires potentiels et les discussions se poursuivent pour rapprocher Nexter de ceux qui partagent le bien-fondé de sa vision stratégique en vue de constituer le leader européen souhaité.

Certaines entreprises ne partagent pas l’actualité de cette vision, par exemple en Belgique ou en Finlande. D’autres, en Angleterre ou en Allemagne, ne souhaitent discuter que d’une prise de contrôle de Nexter. Aucun partenaire, je le confirme, n’est arrêté par l’aspect étatique de notre actionnariat. Des discussions se développent et vous comprendrez que l’impératif de confidentialité dans ces étapes préliminaires m’impose la discrétion. En tout cas, en Europe comme en France, ces échanges sont encadrés par les mêmes idées-forces et les mêmes lignes stratégiques.

Nexter approfondit donc le dialogue avec ses partenaires afin de construire son avenir à moyen et long termes et ainsi pérenniser l’outil efficace et compétitif qu’il constitue, en appui des forces dans leurs missions et en contribuant à la souveraineté du pays.

M. Daniel Boisserie. Nous avons plaisir à entendre un chef d’entreprise faire part de l’existence d’une trésorerie confortable, d’excellents résultats et d’une augmentation du chiffre d’affaires, ce qui n’est pas courant. Néanmoins, certains présidents de sociétés que nous avons interrogés ici même nous ont assuré que, s’ils avaient du travail, les bureaux d’études n’en avaient pas. Qu’en est-il dans votre entreprise ?

M. le ministre de la défense vous a demandé d’intensifier vos relations avec les PME dont 850, avez-vous dit, sont vos sous-traitantes. Dans le cadre du Livre blanc, ne conviendrait-il pas de préciser aux industries de défense les exigences de l’État ?

M. Joaquim Pueyo. J’ai entendu vos propos s’agissant du programme Scorpion et, notamment, des véhicules blindés multi-rôles, dont je comprends l’intérêt.

Nous constatons en effet que vous obtenez de bons résultats et que le carnet de commandes est bien rempli à court terme mais le fait que l’État soit intégralement actionnaire de Nexter constitue-t-il un atout, notamment dans le cadre des accords bilatéraux avec certains pays dont, par exemple l’Angleterre ou dans le cadre de Weimar Plus ? Pouvez-vous y être pleinement présent ?

S’agissant de l’Europe de la défense, que pensez-vous du processus que les États souhaitent développer ? Est-il indispensable ? Comment jugez-vous ses premiers pas, qui permettront de promouvoir des programmes industriels sur le plan de l’Union européenne ?

M. Yves Fromion. Votre exposé a été si complet, monsieur le président, que vous avez un peu asséché les sources d’inspiration de nos questions !

Où se situe la deadline s’agissant de la tranche conditionnelle pour les munitions ? Avant quelle date les pouvoirs publics devront-ils confirmer le calendrier et l’importance de la commande ?

Comment expliquez-vous que nous ne parvenions pas à exporter le VBCI, engin de grande qualité comme nous l’avons constaté en Afghanistan ? Certes, des fabricants émergeant un peu partout, la concurrence se développe et les créneaux se réduisent mais il y a là quelque chose d’un peu gênant.

Enfin, qui de vous ou de Thales a pris l’initiative de bloquer la négociation via TDA ? Je rappelle que la consolidation avec Thales constituait naguère une option très forte et quasiment prioritaire. Pourquoi un tel arrêt ?

M. Alain Chrétien. Vous l’avez dit, monsieur le président, et nous serons sans doute tous d’accord ici : nous avons besoin d’une restructuration profonde et globale de l’industrie de défense terrestre. Vous avez évoqué différentes pistes. Comment y parvenir afin de faire émerger un géant mondial ? Faut-il, dans un premier temps, passer par une étape nationale, vous qui avez conclu votre intervention liminaire par une allusion à la « souveraineté du pays » ? Est-il possible de passer directement à l’échelle européenne ? Vous avez précisé que le caractère étatique du capital n’était pas rédhibitoire dans le cadre d’une négociation internationale. Dans cette hypothèse, l’Agence européenne de défense (AED) peut-elle jouer un rôle de catalyseur, de négociateur, d’harmonisateur ou de médiateur ? Nous nous rendons compte, en effet, que pour l’instant, si vous me passez l’expression, « cela va dans tous les sens » et qu’il faudra bien qu’au plus haut niveau quelqu’un fixe une direction afin que chaque élément s’agrège au sein d’un consortium global.

M. Philippe Nauche. Nous vous entendons, monsieur le président, ainsi que certains de nos collègues. Votre modèle semble être celui du « big is beautiful ». Or, sur quoi un tel point de vue repose-t-il en matière d’industrie terrestre de défense ? D’autres exemples, en effet, témoignent que l’hyper-concentration ne conditionne pas nécessairement la réussite industrielle en matière d’innovation, de recherche et développement et de technologies. Pourquoi une telle vision ? Est-ce l’air du temps, tout le monde considérant qu’il convient d’opérer des regroupements et des concentrations afin de parvenir à une taille critique ? Dans ce cas, quelle est-elle ?

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Je vous remercie.

En effet, Nexter dispose d’une trésorerie d’un niveau appréciable qui permet de verser des dividendes à l’État. Cependant, comme c’est sans doute le cas pour tous les grands groupes de défense, cette trésorerie provient aux deux tiers de nos clients, par le préfinancement des contrats que nous avons signés avec eux, ce qui constitue un argument fort quant à l’utilisation possible de cette trésorerie, et le reste est issu des résultats dégagés par l’entreprise. La question de la croissance externe est certes fondamentale, mais je me dois aussi de préparer à très court terme les encours et les stocks pour satisfaire mes engagements contractuels.

M. Daniel Boisserie. Votre trésorerie ne vous appartient pas.

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Elle appartient donc à mes clients et à mon actionnaire, ce qui explique que sa gestion, en ces temps plutôt chahutés sur les marchés financiers, soit prudente.

Comme nous sommes dans une période d’établissement des budgets et des prévisions à moyen terme, la question de la visibilité du plan de charge de la société est très prégnante. Pour les deux ans à venir, la charge devrait être en adéquation avec le potentiel. Certes, nous pouvons toujours être confrontés à un retrait dans certains secteurs de l’entreprise en raison de contrats qui se terminent ou parce qu’une interruption se produit dans telle ou telle spécialité. Nous saurons le traiter parce que, sur un plan global, nous avons cette visibilité de la charge à 24 mois. Je le répète d’ailleurs aux partenaires sociaux : nous sommes dans une situation que nombre d’entreprises industrielles peuvent nous envier.

Dans ce cadre-là, nous devrons cependant continuer à travailler afin de confirmer la moitié de notre charge pour 2015. Pour les activités d’ingénierie – et donc, nos bureaux d’études, - dans notre entreprise composée aux deux tiers de cols blancs –, l’activité sera liée au programme Scorpion et, notamment, au VBMR et à l’EBRC. Si les notifications étaient retardées – nous commencerons ces programmes par les phases de développement et de conception –, nos bureaux d’étude devraient faire face à une difficulté en 2015.

Plus en aval, s’agissant des activités de production et d’intégration, nous avons déjà entré dans nos carnets des tranches conditionnelles pour des munitions de gros calibre, pour la version 32 tonnes du VBCI et pour le marché de soutien du char Leclerc et du VBCI. Ces tranches doivent être confirmées afin que nous en tirions l’activité industrielle subséquente en 2015. Une partie de notre charge, quant à elle, dépend de nos succès à l’exportation dans les mois à venir, notamment dans le domaine de l’artillerie.

Comme les autres industriels, nous avons donc nos propres enjeux, certains étant aussi directement liés à la loi de programmation militaire qui sera promulguée l’année prochaine, avec des calendriers et des cibles que nous attendons. En tout cas, nous nous y préparons.

S’agissant des PME, j’ai participé la semaine dernière à l’intervention de M. le ministre de la défense au cours de laquelle il a fait part d’une charte très importante incluant quarante mesures. Il va de soi que nous les déclinerons et que les objectifs formulés s’intègrent dans notre rôle de donneur d’ordres.

Nous accordons beaucoup d’importance aux PME. Lorsqu’une entreprise a connu des difficultés, nous n’avons pas hésité à verser un acompte par anticipation. Une entreprise du secteur de la mécano-soudure en redressement nous a également demandé le rééchelonnement de certains de ses programmes et nous l’avons fait. Nous sommes à l’écoute du réseau de fournisseurs et nous réalisons un suivi mensuel de leur situation. Chaque fournisseur est connu et nous définissons les actions nécessaires afin de le soutenir le cas échéant. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, je rappelle que nous sommes intéressés à la continuité de leur travail ! Dans la situation économique difficile pour eux et pour les sous-traitants de notre pays, un travail en partenariat s’impose. J’ajoute que, voilà deux ans, nous avons signé la charte des grands donneurs d’ordre, laquelle est appliquée et déclinée au sein de l’entreprise.

Dans la phase de restructuration que nous avons traversée, l’État actionnaire a constitué un immense atout pour notre entreprise, non seulement sur un plan financier mais en raison de la continuité de sa présence. La transformation de l’entreprise n’aurait en effet pas été possible au travers d’un actionnariat privé, tant sur le plan financier, et il est normal que, maintenant, nous versions des dividendes à l’État –, que s’agissant de toutes les actions de reclassement de nos personnels et du contrat d’entreprise qui nous a apporté le volume d’affaires nécessaire à notre restructuration et à notre nouveau décollage. Il s’agit donc d’un atout passé mais aussi présent puisque, eu égard aux contraintes de court terme s’appliquant aux marchés financiers, l’actionnariat de l’État nous apporte de la visibilité.

L’État est à l’écoute des propositions que je formule en termes de stratégie et de développement, et il les soutient. J’en discute avec les ministères concernés, la défense, mais aussi les ministères de l’économie et du redressement productif, l’Agence des participations de l’État (APE) ayant cette double tutelle. Je n’éprouve aucune difficulté quant au statut étatique de notre actionnariat.

Certes, en tant qu’actionnaire, l’État pourrait souhaiter une mobilité accrue de son périmètre et envisager une réduction de sa part détenue au capital du groupe, et cette décision lui appartient, bien évidemment. Quoi qu’il en soit, l’État développe pour Nexter une vision industrielle sur le long terme afin de conforter le développement de l’entreprise à travers ses différents projets, en étroite discussion avec la direction.

L’Europe de la défense constitue un sujet d’importance sur lequel j’aurais aimé faire quelques développements. J’ai eu l’occasion d’en parler dans le cadre du groupe de travail n° 6, mais vous me donnez l’occasion d’y revenir.

Nous souhaitons que l’Europe de la défense se développe. La vraie menace, aujourd’hui, n’est plus intra-européenne mais provient de pays qui montent progressivement en gamme en capitalisant sur leurs domaines de compétences – camions, engins spéciaux, autobus. Grâce aux transferts de technologies – ils se constituent une industrie puissante fondée sur des besoins nationaux d’équipements – ils produisent de grandes séries – et une structure de coûts que nous ne pouvons pas atteindre. Dans le domaine de la défense terrestre, nous sommes face à une concurrence où les produits se comptent par dizaines dans certains créneaux. Outre la concurrence traditionnelle, c’est donc à cette nouvelle concurrence émergente que nous sommes aussi confrontés. À moyen ou long terme, nos marchés risquent d’être déstabilisés. L’Europe de la défense, alors que les budgets européens seront plutôt stables – pour ne pas dire en régression… - doit faire émerger un format industriel européen comme une convergence sur les plans étatiques et des forces armées. Dans le domaine terrestre, il n’existe pas de programme commun en Europe, hors celui que je mène avec BAE Systems, l’analyse des besoins demeurant nationale.

J’ai eu l’occasion de citer deux exemples illustrant cette situation dans le cadre du groupe de travail n° 6.

En France, un groupe de combat se compose de dix soldats ; en Angleterre et en Allemagne, de huit. Vous comprendrez que la taille d’un système embarquant huit ou dix hommes n’est pas la même.

Par ailleurs, la doctrine britannique de réparation des véhicules, jusqu’à il y a peu de temps, visait à effectuer les opérations au plus près de la ligne de contact. Si le VBCI, en 2008, n’a pas connu le succès en Angleterre, c’est notamment parce que nous n’avions pas conçu un bloc-moteur en power pack, démontable en moins de trois quarts d’heure et remontable dans le même délai. Nous avions en effet conçu le VBCI - nous sommes en train de faire évoluer - sur la base d’un besoin national qui dérive de notre doctrine selon laquelle le véhicule doit être ramené à l’arrière pour y être réparé, un nouveau véhicule étant envoyé en remplacement de celui qui est endommagé. Dès lors que, dans le domaine terrestre, nous n’avons pas franchi cette étape de l’harmonisation des besoins, nous resterons handicapés – et je ne parle pas des problèmes de synchronisation des calendriers.

Il faut rapprocher l’industrie de défense et commencer par le commencement, c’est-à-dire par ce type d’actions concrètes qui pourra favoriser l’émergence d’une doctrine d’emploi commune, pour ne pas dire communautaire. Peut-être pourrait-on travailler au rassemblement des écoles d’application ou encore des méthodes de gestion des programmes. Ainsi, le moment venu, les spécifications pourront être aussi semblables que possible.

Un premier pas important pour l’Europe de la défense a été franchi en 2011 avec la transposition des deux directives. La mise en œuvre est progressive et nous n’en avons pas encore perçu les pleins effets ; nous y parvenons et ainsi depuis deux semaines nous sommes, quant à nous, certifiés au titre de la directive « transferts intra-communautaires » (TIC). Du temps a été nécessaire pour cela, et c’est normal, la confiance réciproque étant fondée sur une vérification approfondie réalisée par les autorités nationales.

Certains pays, toutefois, n’ont pas encore transposé les directives, notamment celle concernant l’ouverture des marchés. C’est le cas semble-t-il de deux pays importants, la Pologne et les Pays-Bas, la Slovénie et le Luxembourg étant quant à eux moins essentiels pour nous. Il faut donc veiller à ce que la transposition soit effective et à ce qu’elle se fasse selon des règles à peu près identiques, de même d’ailleurs que sa mise en œuvre.

Je ne peux en dire plus mais, le constat est que chacun reste focalisé sur ses propres préoccupations et utilise les marges d’interprétation qui demeurent, malgré l’accord conférant au pays intégrateur et exportateur la responsabilité de donner l’autorisation d’export vis-à-vis du client final. Du travail reste donc à accomplir. La représentation nationale devrait être saisie de cette question et je suis prêt quant à moi à évoquer devant vous des cas concrets concernant les différentes manières de décliner et d’appliquer les directives par nos voisins.

M. Yves Fromion. Il faudrait également que les industriels du pays en question soient tous d’accord sur la façon de transposer les directives, ce qui n’est pas forcément évident dans tous les domaines.

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Il faut aussi faire en sorte que les législations nationales évacuent peu à peu les autres dispositifs qui entravent un libre fonctionnement du marché.

À ce titre, je souhaite aborder le sujet de la compensation industrielle. J’ai relevé que dix-neuf États sur les Vingt-Sept ont toujours des dispositifs de compensation industrielle. Là encore, nous devrons reparler de cette question et évoquer au cas par cas les actions qui sont nécessaires pour favoriser une véritable fluidité de ces marchés et, donc, une vraie compétition.

Concernant la tranche conditionnelle du contrat pluriannuel de munitions gros calibres, sa notification est prévue au mois de mars, ce qui est très proche.

S’agissant du VBCI, nous avons été éliminés, de mémoire, dans une seule affaire, en 2010, en Suède. Les autres affaires sont en cours. Deux compétitions se déroulent actuellement, respectivement au Canada, où le client a qualifié notre offre de compétitive, avec un retour industriel pour le pays de bon niveau, et au Danemark, où elle est également jugée compétitive. Les deux décisions doivent être prises l’an prochain. En ce qui me concerne, je reste confiant. Sachez en tout cas que toute l’entreprise travaille avec ardeur et réactivité afin de saisir ces opportunités.

Sur le plan stratégique, vous avez évoqué un « blocage » de la négociation avec Thales. Je parle quant à moi d’une suspension et je crois que mes amis de cette entreprise utilisent le même langage.

M. Yves Fromion. Les dieux de la guerre vous entendront peut-être !

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Nous y avons beaucoup travaillé jusqu’au printemps, moment où les échéances nationales ont entraîné le changement des équipes. Il appartient maintenant aux autorités de faire part de leur orientation sur ce dossier. En l’état, je le répète, les négociations sont suspendues.

S’agissant de la restructuration du paysage industriel en Europe, vous aurez compris à l’énoncé des quelques cas que je viens de décrire, que nous avons travaillé sur les différentes options, nationales et européennes. Lorsque des opportunités se présentent dans le monde de l’industrie, il faut les instruire concrètement et pragmatiquement. C’est ce que nous avons fait sans attendre un mouvement global au plan européen, et ce tant en ce qui concerne les cas français qu’européens que j’ai cités. En l’état, l’AED ne peut catalyser de tels mouvements, cela ne figure pas dans son mandat, même s’il pourrait en être autrement. Des initiatives concrètes peuvent être prises, entre les actionnaires ou les entreprises. C’est dans ce cadre-là que j’ai travaillé.

Is big beautiful ? Je partage votre point de vue. En 2006, nous avons filialisé Nexter alors que certains pensaient qu’il fallait maintenir la centralisation du groupe. Je rappelle que celui-ci a compté 14 000 personnes et que nous sommes aujourd’hui 2 700. Nous avons pensé qu’il était utile de focaliser les équipes vers des couples produits-marchés, et de mettre à leur disposition ce qui leur est strictement nécessaire pour réussir sur ces marchés. Nous avons maintenu la centralisation des outils communs, comme les services juridiques ou le financement à l’exportation, et nous avons donné au groupe un format privilégiant l’énergie et la responsabilité individuelles, ainsi que la connaissance des marchés spécifiques. Tel est notre mode d’organisation.

Mécanique Creusot-Loire, que nous avons récupérée en 1992, constituait une partie d’un grand groupe qui avait échoué parce qu’il avait peut-être oublié l’essentiel ; la réussite, dans nos métiers comme ailleurs, résulte de la bonne adéquation d’un produit performant et compétitif avec son marché ; l’objectif est la satisfaction des clients. La taille ne constitue qu’un moyen à cette fin.

Aujourd’hui, la situation est relativement bonne mais, à moyen terme, serons-nous capables d’assumer les mêmes montants d’autofinancement pour renouveler notre gamme ? Tel est l’enjeu.

M. Yves Fromion. Assurément.

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Il s’agit de disposer de la capacité financière adéquate et c’est là que la question de la taille se pose. À moyen terme, elle nous permettra de financer le développement de nos produits, en parallèle du retrait de l’État qui déjà en demande le cofinancement - peut-être un jour nous demandera-t-il d’ailleurs de financer intégralement nos développements. Nous devons donc nous préparer, à moyen terme, à un tel changement de modèle. Aujourd’hui, nous sommes capables de cofinancement. À moyen terme, je le répète, c’est la taille qui nous permettra, dans la structure rassemblée et agrandie d’un groupe européen, de faire face à ces nouveaux enjeux.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie pour cet exposé très complet.

M. Philippe Burtin, PDG du groupe Nexter. Je vous remercie.

La séance est levée à dix-neuf heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Olivier Audibert Troin, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Alain Chrétien, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, M. Francis Hillmeyer, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Christophe Guilloteau, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Maurice Leroy, M. Jean-Michel Villaumé