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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 5 décembre 2012

Séance de 10 heures 15

Compte rendu n° 32

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président

— Audition, ouverte à la presse, de M. Luc Vigneron, PDG du groupe Thales, sur la dimension industrielle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

La séance est ouverte à dix heures quinze.

M. Philippe Nauche, président. Je suis heureux d’accueillir M. Luc Vigneron, Président du groupe Thales, pour une audition sur la dimension industrielle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Je vous remercie d’avoir accepté que cette audition soit ouverte à la presse.

Votre groupe occupe une place de premier plan dans le paysage industriel de défense européen, avec deux grands pôles, l’un français et l’autre britannique. Il participe à de nombreux programmes de grande envergure au titre des systèmes radars, de l’optronique, de la défense anti-aérienne ou encore des télécommunications, pour ne citer que quelques exemples. Thales assure ainsi une part majeure du programme Rafale, de l’équipement des drones ou encore dans la fabrication des satellites.

Nous souhaitons entendre une présentation générale de votre entreprise et de sa situation économique. Nous voulons également entendre vos attentes relatives au nouveau Livre blanc ainsi que les ambitions de votre groupe dans le cadre de la restructuration des industries de défense française et européenne.

Nous connaissons tous votre brillant parcours industriel. M. Charles Edelstenne, président de Dassault Aviation, nous rappelait encore hier que l’entreprise Thales a retrouvé une réelle capacité sur le plan industriel depuis votre arrivée.

M. Luc Vigneron, PDG du groupe Thales. L’entreprise Thales a connu une période difficile en 2009-2010. Aujourd’hui, nous sommes heureusement sortis de l’ornière et le groupe connaît désormais une belle dynamique de transformation. Thales est en effet un des fleurons technologiques et un des plus grands exportateurs du pays. Elle concentre une réelle capacité en matière de recherche et développement et de recherche technologique. En effet, le groupe se redresse avec des résultats redevenus positifs en 2011. Pour 2012, nous tenons les objectifs annoncés aux marchés et nous revenons à des niveaux de profitabilité historiques.

On mesure le redressement au fait que nos commandes se maintiennent bien dans un environnement pourtant chahuté. Avec 53 % de nos activités dans le secteur de la défense, nous souffrons pourtant du ralentissement de ces marchés dans le monde. Nous résistons néanmoins car nos activités sont bien en accord avec les attentes des clients en matière de renseignement, de surveillance, de mise en réseau des forces, d’aide à la prise de décisions et d’interopérabilité, domaines qui restent prioritaires dans toutes les armées en dépit des réductions de budget.

La répartition entre nos activités civiles et militaires nous permet d’équilibrer globalement nos résultats. Si l’entreprise Thales est bien connue sur le marché de la défense, il convient en effet de souligner que nous sommes également très présents sur les marchés civils. Nous sommes ainsi leader mondial sur le contrôle du trafic aérien civil, numéro 2 dans le domaine de la signalisation ferroviaire (métro et train), numéro 2 du multimédia de bord et numéro 3 mondial dans l’avionique de bord pour avions commerciaux. Ces positions sont remarquables pour un groupe français et nous sommes pleinement satisfaits du rebond de l’entreprise.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’inquiétude pour les marchés de défense à l’avenir. On observe qu’il n’est pas si simple de compenser le ralentissement du marché domestique par l’export. En effet, certains marchés qui connaissaient pourtant des perspectives de croissance encourageantes sont aujourd’hui en phase de ralentissement, comme le Brésil par exemple. De plus en plus de pays réservent par ailleurs à leur industrie nationale une part croissante de leur budget de défense. Je crois pour ma part beaucoup à l’importance de la dualité civile et militaire qui nous permet de limiter les effets négatifs de la décroissance du marché militaire, notamment sur le plan social, sachant que 34 000 personnels de Thales travaillent en France sur un effectif total de 68 000 personnes.

S’agissant de l’évolution de l’industrie de défense française et européenne – que j’observe en tant que responsable d’une société de défense depuis 14 ans – je crois, après l’échec de la fusion BAE/EADS, que la probabilité d’un grand « deal » européen diminue, en raison de la crise économique qui suscite de grandes peurs pour l’emploi et relance la protection des intérêts nationaux. Certes, la nécessité de consolider l’industrie européenne demeure. C’est sa mise en œuvre au plan global qui est difficile. Dans son histoire, Thales a développé des approches pragmatiques, bottom-up, consistant à créer des ponts industriels entre pays européens, ouvrant ainsi une véritable voie à une consolidation européenne par secteurs, produits et niches : c’est le cas en matière de radar de défense aérienne avec la Hollande, de cryptologie avec la Norvège ou dans de nombreux domaines d’application avec le Royaume-Uni.

Il ne faut pas oublier qu’un groupe de défense comme le nôtre est une collection d’activités (radars, optronique, guerre électronique, systèmes de commandement, sonars…) très pointues sur le plan technologique, dont chacune doit conserver une taille critique pour que les ventes ne s’effondrent pas. Thales et ses homologues européens (Finmeccanica, Cassidian et Rheinmetall) n’ont pas l’homogénéité de plateformistes comme Airbus et Eurocopter. Je crois profondément que des voies s’ouvriront pour des accords de « consolidation à taille humaine » sur des sujets particuliers.

Cela pourra se faire soit par l’acquisition de sociétés, soit par la création de sociétés communes soutenue par les gouvernements, comme nous l’avons déjà réalisé à plusieurs reprises : avec le groupe italien Finmeccanica dans le domaine spatial, avec le groupe allemand Diehl dans l’aéronautique et les munitions, et, pour sortir d’Europe, comme nous le faisons également avec Raytheon aux États-Unis ou avec Samsung en Corée du Sud dans le domaine de l’électronique de défense. Il est en tout cas essentiel de pousser par des rapprochements à la rationalisation de l’offre. S’agissant de la France, mon sentiment est que beaucoup de rationalisations ont déjà été faites grâce au rôle du ministère de la défense en matière de politique industrielle et spécialement de la DGA. Les redondances entre acteurs français n’existent presque plus. Une des dernières qui subsistait, en matière d’optronique entre Safran et Thales, a finalement abouti cette année à la création d’une société commune qui a vocation à devenir le véhicule commercial pour tous les développements à venir pour les besoins de la défense en France.

Par ailleurs, Thales est présent au capital de DCNS, dans le cadre d’un partenariat orienté vers l’exportation. Notre proposition faite au Gouvernement vis-à-vis de Nexter procède de la même philosophie. Il s’agit de démarches pragmatiques qui visent à être plus efficaces sur certains prospects à l’exportation. Thales est un électronicien spécialisé dans les équipements électroniques que l’on met à bord des plateformes (avions, sous-marins, navires de combat et blindés). Les plateformistes sont dans un « business model » très différent. En effet, un plateformiste a besoin de liberté pour choisir ses équipements ; à l’inverse l’équipementier vend ses produits et systèmes à plusieurs plateformistes. Thales vend ainsi, dans le domaine naval, pour plus d’un milliard d’euros vers d’autres plateformistes navals que DCNS ; c’est grâce à cela que nous avons la taille critique.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que c’est toujours l’État qui, in fine, décide de l’évolution de l’industrie de défense dans tous les pays, y compris les pays les plus libéraux. En effet, l’État, premier client de cette industrie, est souvent impliqué au capital des entreprises de défense et dispose d’un pouvoir réglementaire important.

DCNS et Nexter ont toujours besoin de croissance européenne dans leurs métiers pour donner une taille critique à leurs bureaux d’études. La question de l’effet d’échelle dans leurs coûts se pose également en raison de la décroissance du marché domestique. Une réponse peut être trouvée dans une alliance européenne et on peut aussi imaginer un rapprochement entre DCNS et Nexter. DCNS et Nexter sont deux plateformistes et vous voyez dans d’autres pays des groupes industriels qui regroupent à la fois des plateformes terrestres et des plateformes navales.

Le Gouvernement a ainsi une large palette de possibilités de choix pour faire évoluer l’industrie nationale.

Thales se félicite de sa présence au sein de DCNS mais il va de soi que si le Gouvernement souhaitait que nous nous en retirions, nous le ferions. Je rappelle que l’essentiel en la matière demeure la compétitivité de l’industrie française à l’exportation.

J’en viens maintenant au Livre blanc. Les enjeux sont naturellement très importants. Je me contenterai d’évoquer trois d’entre eux.

La recherche et développement, tout d’abord. Elle est absolument fondamentale pour les industries de défense. C’est, si je puis dire, le nerf de la guerre ! L’un de ses aspects est particulièrement intéressant, c’est celui des démonstrateurs. La chaîne de production de valeur est très couteuse à chaque nouveau stade de développement d’un système d’armes. Or plus aucun pays, à l’exception des Etats-Unis, n’est capable de garantir à ses industriels d’aller jusqu’au bout du processus de production. Mais de nombreux pays sont aujourd’hui capables d’aller jusqu’au dernier stade de développement, à condition que nous l’ayons amorcé. Nous venons par exemple de conclure avec les Emirats arabes unis (EAU) un contrat qui prévoit, et cela est nouveau, qu’ils financent eux-mêmes une partie du développement et de l’industrialisation d’un nouveau matériel. Ils seront ensuite titulaires d’une partie des droits de propriété intellectuelle de cet équipement qui va venir enrichir la gamme de Thales. Or pour convaincre nos clients de financer un tel développement, il est très important de pouvoir leur présenter un démonstrateur. Ce genre de schéma est appelé à se développer dans les années qui viennent.

Ensuite, je voudrais évoquer le besoin de renforcer les coopérations bilatérales au niveau européen. Nous travaillons sur deux sujets très technologiques avec nos partenaires britanniques : les drones tactiques et la guerre des mines. Nous avons aussi d’importants partenariats avec l’Italie, les Pays-Bas – sur les radars, et nous devons approfondir nos relations avec l’Allemagne, y compris dans le domaine du spatial.

Enfin, il est important que la France continue à fournir des capacités à l’OTAN dans la décennie à venir pour continuer à y jouer un rôle important. Il faut pour cela valoriser les bijoux technologiques dont nous disposons, notamment en matière de défense aérienne (programme ACCS LoC 1) et dans le système de défense aérienne moyenne portée que nous développons avec MBDA.

Mme Marie Récalde. Je voudrais savoir quels seraient les impacts industriels de la conclusion du marché de Rafale avec l’Inde. Quel est le niveau de compétence des sites français, je pense en particulier à celui du Haillan, par rapport à d’éventuels retrofits ? Enfin comment préserver nos compétences, c’est-à-dire comment lutter contre les délocalisations en renforçant notre compétitivité ?

Mme Marianne Dubois. Les salariés de l’usine de Thalès Air Systems de Fleury-Les-Aubrais sont inquiets. Au-delà des succès enregistrés par le nouveau radar de défense aérienne GM400, ils se demandent si la charge de travail sera suffisante dans le domaine des missiles dans les années qui viennent ?

M. Luc Vigneron. L’impact du marché avec l’Inde serait naturellement très positif pour la charge de nos usines ! Au-delà du site du Haillan, c’est toute notre supply chain qui devrait bénéficier de ce contrat. Comme vous le savez, les usines de Thalès ne sont que des usines d’intégration et nous nous appuyons sur un tissu de 4 000 petites et moyennes entreprises (PME) pour fabriquer nos systèmes.

Concernant le maintien des compétences, l’Inde souhaite que nous procédions à un transfert de technologie. Tous les contrats d’armement comprennent désormais une part de transfert de technologie. Nous y sommes habitués. Cela ne signifie pas que nous n’avons pas de bonnes années devant nous : les bureaux d’études en France seront associés tout au long de l’exécution du contrat. Par ailleurs, ce type de contrat procure des opportunités de développement international à toute la supply chain française. Il ne faut pas craindre cette évolution car nous, Français, sommes particulièrement agiles dans ce domaine.

Enfin, pour répondre à vos craintes sur les pertes de compétences, sachez que nous suivons de manière très fine ce sujet.

Madame Dubois, je connais l’inquiétude des salariés du site de Fleury. Il faut avouer que nous avons eu des prises de commandes remarquables ces dernières années à la suite du succès rencontré sur le marché international par la nouvelle famille de radar Ground Master, que nous avons développée sur fonds propres et qui a occasionné des investissements importants sur le site. L’évolution des commandes reflète la croissance de notre part de marché au niveau mondial, dans ce domaine où nous sommes donc en croissance. Pour ce qui concerne l’activité des missiles, nous faisons de gros efforts pour vendre nos systèmes à l’export, notamment en vue de la modernisation des forces de l’Arabie saoudite en ce moment, et vous me permettrez d’être discret sur le sujet.

M. Philippe Folliot. Vous avez évoqué l’enjeu que représente le développement des capacités de l’OTAN dans les années qui viennent : est-ce que cela est exclusif d’un développement des capacités européennes ? Concernant le projet de défense anti-missile balistique (DAMB), ne craignez-vous que cela nécessite beaucoup d’efforts de la part des Européens pour des profits qui seraient essentiellement américains, qu’on assiste en quelque sorte à un « siphonage » des budgets européens ?

M. Nicolas Dhuicq. Une des raisons des succès de votre entreprise est que vous avez su y développer un véritable esprit d’équipe, dans un environnement difficile qui vous conduit à réaliser une profonde transformation, comme vous nous l’avez expliqué. Pouvez-vous nous détailler votre politique sociale, qui semble cohérente et dynamique ?

M. Luc Vigneron. Il n’y a pas d’exclusive entre le développement futur des capacités de l’OTAN que j’ai évoqué et l’intégration européenne. Il y aura un recouvrement dans le domaine de la DAMB mais les deux démarches sont complémentaires.

Je ne peux pas me prononcer sur le « siphonage » en absence de vision globale des budgets. En revanche, je peux vous dire que la France, qui est très en pointe dans l’évolution technologique de ses systèmes, ne doit pas rater une marche au risque de disparaître du paysage international de ces technologies d’ici une dizaine d’années. Et pour bâtir cette coopération européenne, nous ne pouvons partir d’une page blanche.

Vous m’interrogez sur la politique sociale de Thales. Compte tenu de la taille de l’entreprise, il est inévitable que la transformation en cours provoque des remous. Il faut pourtant noter que Thales a une histoire sociale très riche : nous avons conclu de nombreux accords sociaux, souvent en avance sur les autres entreprises. En décembre dernier encore, nous avons conclu un accord sur le handicap qui figure parmi les plus avancés en France : nous comptons 5 % de personnes handicapées dans nos effectifs – taux qui est très supérieur à ce que l’on constate dans beaucoup d’entreprises françaises. Autre exemple : l’alternance, domaine dans lequel Thales se place dans le peloton de tête des sociétés françaises, avec 1 300 employés en alternance, soit 3,8 % de la population de Thales en France.

Alors, quand la presse parle de blocage social chez Thales, je trouve cela outrancier. Si je n’avais personnellement aucune capacité au dialogue social, je n’aurais certainement pas réussi à mener à bien la difficile restructuration de GIAT Industries…

Revenons aux faits : certaines organisations syndicales représentatives ont refusé d’entrer en discussion avec moi sur un point de négociation sociale. Ceci n’a rien d’extraordinaire et son écho médiatique n’aurait pas été le même s’il s’était agi d’une autre entreprise. Dans le même temps, les mêmes organisations syndicales poursuivent d’ailleurs le dialogue avec la direction des ressources humaines du groupe : ils ont tenu pas moins de sept réunions en octobre et en novembre et nous avançons dans la discussion de certains accords très importants comme celui concernant l’anticipation. Notez en outre que nous n’envisageons ni licenciement, ni fermeture d’usine en France... Il apparaît clair que les organisations syndicales utilisent toutes les armes à leur disposition dans la négociation : c’est normal et cela ne va pas plus loin.

M. Gilbert Le Bris. Je partage tout à fait l’idée selon laquelle la France a intérêt à contribuer aux grands projets de l’OTAN en y apportant des briques technologiques, plutôt qu’en y contribuant financièrement. Pourquoi privilégier la rénovation des avions de patrouille maritime Atlantique 2 plutôt que le développement de drones ? Par ailleurs, n’y a-t-il pas une sorte de concurrence interne à votre groupe, par exemple entre sa filiale française et sa filiale britannique ?

M. Alain Rousset. Les assembliers et les plateformistes ont fait le choix de se regrouper : pourquoi n’est-ce pas le cas des équipementiers ? Je ne me fais pas l’avocat d’une course au gigantisme, mais je crois indispensable que l’on réfléchisse à une véritable stratégie industrielle française, en tenant compte de tous les aspects de la question – y compris l’emploi, la R&D, le développement technologique, la concurrence internationale, les technologies duales, etc. Dans ce cadre, la question pourrait se poser de savoir si des entreprises comme Thales et Safran n’ont pas intérêt à se rapprocher.

Par ailleurs, comment entendez-vous structurer votre supply chain et améliorer vos relations avec vos sous-traitants ? Il est temps à mon avis qu’un grand groupe se saisisse de la question et donne l’exemple. En effet, les PME de la défense sont très fragiles aujourd’hui : à la différence de ce que l’on observe en Allemagne, elles n’ont pas la taille critique suffisante pour négocier avec les grands groupes dans une position qui ne leur soit pas très défavorable. Elles sont souvent dépendantes d’un donneur d’ordres unique, et lié à lui par des contrats de courte durée – un an, voire deux.

M. Luc Vigneron. Les choix opérés concernant l’Atlantique 2 relèvent plus du ministère de la Défense que de l’équipementier que nous sommes. Le développement de certains matériels a un coût important, et nous devons continuer à en assurer l’exploitation, ne serait-ce que parce que nous y sommes engagés contractuellement. Nous venons d’ailleurs de proposer sur l’Atlantique 2 une nouvelle technologie de radar (dit à « antenne active »), qui a vocation à équiper plus tard des drones. De ce point de vue, l’Atlantique 2 a ainsi un rôle de porteur pour le développement de nouveaux équipements multiplateformes.

S’agissant de la concurrence entre les différentes entités du groupe Thales, il y a naturellement des limites à ce que peut faire le patron d’un groupe international, notamment dans le domaine de la défense. En effet, les gouvernements sont les décideurs en dernier ressort, et il peut arriver qu’ils ne souhaitent pas, pour des raisons de souveraineté, que des mesures de rationalisation soient entreprises entre deux entités d’un même groupe présentes dans deux pays différents. Tel a été le cas par exemple en matière de sonars pour sous-marins : Thales France et Thales Royaume-Uni ont dû développer chacun leur propre système pour les sous-marins nucléaires de chaque pays, les gouvernements estimant que ces technologies ne pouvaient pas être partagées. Dans ces conditions, il serait choquant aux yeux des gouvernements que la direction générale du groupe aille trop loin dans le pilotage de ses filiales sur ces sujets de souveraineté.

La concentration des industriels, monsieur Rousset, n’est pas nécessairement pertinente dans tous les secteurs. Le business model des plateformistes n’est pas celui équipementiers. Quant à un éventuel rapprochement entre Thales et Safran, nous produisons des équipements trop différents, mis à part le domaine de l’optronique, pour qu’un rapprochement permette de dégager des synergies significatives. Pour l’optronique, le rapprochement est déjà fait, au sein de la société commune dont je vous ai parlé tout à l’heure. Notez d’ailleurs que notre coopération ne peut porter que sur les équipements que nous développerons ultérieurement : en effet, pour les équipements que nous fabriquons aujourd’hui, nous sommes chacun engagés auprès de nos clients à les suivre – c’est-à-dire, notamment, à les mettre régulièrement à jour – pendant les dix ou quinze ans qui viennent.

En outre, il me semble important de veiller à ne rien entreprendre qui soit susceptible d’aller contre les intentions de nos clients. Si les grands plateformistes sont hostiles à un rapprochement qui déboucherait sur la constitution d’un acteur nouveau, il peut être prudent de s’en abstenir.

M. Alain Rousset. Pourtant, pris conjointement, les équipements de Thales et de Safran représentent 45 % de la valeur d’un avion !

M. Luc Vigneron. Il n’est justement pas certain que nos clients voient d’un bon œil la constitution d’un groupe aussi important. Or ils ont des possibilités de rétorsion : il leur suffit par exemple de privilégier d’autres fournisseurs. Or toute perte significative de parts de marché chez Airbus par exemple, aurait des conséquences importantes sur les effectifs de Thales en France.

Mme Nathalie Chabanne. Je souhaiterais revenir sur la situation de Thales et Safran. Dans ma circonscription, un même groupe construit à la fois des trains d’atterrissage et des moteurs. Lorsqu’on voit le premier vol du démonstrateur nEUROn, on a un exemple d’un travail en commun (Safran, Thales, Finmecanica) qui fonctionne bien. N’y a-t-il pas là matière à réflexion ? S’agissant des PME, je ne suis pas satisfaite de leurs relations avec les grands groupes. Vous nous avez indiqué que Thales s’appuyait sur un tissu dense de PME. Quelle est votre politique vis-à-vis d’elles en matière de protection de l’emploi, de transfert de technologies et de clauses offset ?

M. Luc Chatel. Pouvez-vous nous donner des précisions sur le développement du drone Watchkeeper ? Où en sont les essais pour l’armée française ? Quelles seraient les conséquences industrielles pour Thales si la France décidait d’en acquérir ?

M. Yves Foulon. Nous exportons beaucoup vers des pays émergents qui ont de plus en plus d’exigences. Comment vivez-vous la possibilité qu’ils soient de futurs concurrents ? Par ailleurs, quelles actions mène Thales en matière de cybersécurité ?

M. Luc Vigneron. Le nEUROn est un superbe succès.

S’agissant des relations entre Safran et Thales, il est possible d’entreprendre des choses en commun sans pour autant être dans le même groupe ou la même société. Je signale qu’avec Eurocopter, nous travaillons au développement du futur hélicoptère X4/HC4 et avons réinventé, dans le cadre du plan d’investissement de l’avenir, l’avionique de cockpit. S’agissant du schéma de rapprochement évoqué entre Thales et Safran, il faut avant tout s’assurer que les clients n’y voient pas ombrage, ce qui, d’après mes informations, est loin d’être évident. Alors que la fusion des sociétés pose beaucoup de problèmes, il faut plutôt s’intéresser à la performance de chaque « business » et les faire travailler ensemble par la suite, c’est d’ailleurs la philosophie des pôles de compétitivité.

S’agissant des relations avec les PME, Thales a un besoin vital de celles-ci et réciproquement. Il s’agit d’une véritable relation symbiotique. Thales est très en pointe en matière de relations avec les PME. Thales a été classé par le magazine Challenge à la huitième place des entreprises les plus performantes en termes de bonne pratique (et à la première place dans le secteur). Thales a été au premier rang des fondateurs du pacte PME. Parmi les sous-traitants et fournisseurs de Thales, 500 PME sont associées à la recherche et développement. Notre nouveau casque viseur pour pilote est ainsi 10 % moins lourd que l’ancien grâce à l’invention d’une PME dont nous dépendons. Nous sommes bien conscients que les PME sont fragiles. C’est pourquoi nous nous imposons une règle, à savoir de veiller à ce qu’une PME ne réalise pas plus de 25 % de son chiffre d’affaires avec Thales afin de ne pas la rendre trop dépendante de nos commandes ; je suis avec une attention particulière les délais de paiement des PME. Par ailleurs, nous parrainons des entreprises dans une démarche citoyenne en mettant des cadres à leur disposition pour leur donner des conseils et les aider pour les exportations. Nous organisons également de nombreuses réunions avec des PME innovantes ; c’est dire la grande importance que Thales attache aux PME.

Nous sommes très heureux que l’armée française ait décidé d’essayer le drone Watchkeeper. Nous avons désormais un contrat pour réaliser l’expérimentation en France du Watchkeeper britannique. Je suis très optimiste vis-à-vis de l’issue de cette expérimentation au regard de la qualité des images fournies par les drones tactiques en Afghanistan. C’est un outil formidable de protection des vies humaines. Nous partons d’une plateforme de drone israélienne transformée aux trois-quarts dans son contenu par le programme Watchkeeper britannique. Le degré d’évolution du contenu dans le cadre d’une francisation reste à définir par la DGA et par les opérationnels.

S’agissant de la crainte de voir apparaître des concurrents dans le cadre des transferts de technologies, il faut souligner que l’État les contrôle déjà par son droit de veto. Par ailleurs, les technologies qui seront utilisées dans dix ans pointent aujourd’hui dans nos laboratoires de recherche et développement, qui travaillent déjà sur les générations suivantes, si bien que nous conservons toujours un temps d’avance sur les marchés internationaux.

La cybersécurité, qui s’inscrit dans la problématique étatique de la sécurité nationale, doit recueillir une attention particulière dans le Livre blanc. Ceux qui disent que nous sommes dangereusement exposés ont raison. Il faut savoir que les États-Unis font un effort colossal dans ce domaine et que les Britanniques ont également augmenté les budgets relatifs à la cybersécurité, malgré la décroissance globale de leur budget défense.

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La séance est levée à douze heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Jean-Pierre Barbier, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Luc Chatel, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, Mme Catherine Coutelle, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. François de Rugy

Excusés. – M. Nicolas Bays, M. Philippe Briand, M. Bernard Deflesselles, M. Lucien Degauchy, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, M. Jean-Claude Gouget, M. Christophe Guilloteau, M. Charles de La Verpillière, M. Maurice Leroy, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel