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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 11 décembre 2012

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 34

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition, ouverte à la presse, de M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe EADS et président d’EADS France, sur la dimension industrielle du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

Mme la présidente Patricia Adam. Je suis heureuse d’accueillir M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe EADS et président d’EADS France. L’audition des responsables des grands groupes industriels de défense contribuera à la réflexion des députés sur les questions qui seront tranchées par le Président de la République dans le prochain Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

L’actualité nous a permis de suivre les récentes évolutions du groupe EADS, sur lesquelles nous serons heureux de vous entendre, monsieur le directeur général. Mais nous aborderons sans doute également les questions européennes. À ce propos, je vous indique que nous avons tenu hier une réunion avec une quinzaine de parlementaires allemands membres de la commission de la défense du Bundestag et que cet échange nous a convaincus qu’il existait, de la part des deux parlements, une volonté partagée de travailler ensemble sur les sujets de défense.

M. Marwan Lahoud, directeur général délégué du groupe EADS et président d’EADS France. C’est un grand honneur pour moi d’être ce soir devant votre Commission pour vous transmettre les messages de mon entreprise. Je ne répéterai cependant pas les messages que vous avez déjà entendus de mes homologues représentant d’autres entreprises, car je souscris à tous leurs propos soulignant l’importance que revêtent, pour l’avenir de notre industrie, la base industrielle, technologique et de défense, la recherche et développement et les budgets.

Je m’attacherai surtout à montrer ce qu’EADS a de particulier, voire d’unique. Du fait de l’importance de ses activités civiles, on sait peu que notre groupe était en 2011 le premier fournisseur du ministère de la défense. EADS est de fait une entreprise duale très implantée et, si elle réalise les trois-quarts de son chiffre d’affaires hors de la défense, c’est aussi ce qui lui permet de tirer le meilleur parti du croisement des technologies : les transferts technologiques représentent un mouvement à double sens entre les domaines civil et militaire. Ce n’est pas un élément du « passé » comme certains veulent le faire croire : cette dualité contribue également à amortir l’effet des cycles économiques propres aux activités civiles et de défense. Ainsi, la seconde a beaucoup soutenu l’activité d’Airbus lorsque cette société a connu des difficultés, puis Airbus a soutenu à son tour les activités militaires et spatiales lorsqu’elles en ont eu besoin, dans les années 2000.

EADS est une entreprise multinationale dont les racines sont européennes. Nos effectifs se situent à 95 % dans quatre pays : la France et l’Allemagne, avec environ 50 000 personnes dans chacun de ces pays, le Royaume-Uni, avec près de 20 000 employés, et l’Espagne, avec un peu plus de 10 000. L’ensemble de nos effectifs dans le monde se monte à 135 000 personnes. Ce caractère international fait d’EADS le groupe le mieux à même de piloter des projets internationaux, comme nous l’avons prouvé à diverses reprises.

EADS est enfin une entreprise de maîtrise d’œuvre, qui dispose des capacités financières et humaines lui permettant d’assumer les risques et de les partager avec le maître d’ouvrage, et qui est capable de fédérer un tissu industriel de sous-traitants, qu’il s’agisse d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou de petites et moyennes entreprises (PME).

Nous avons plusieurs priorités. Je présenterai tout d’abord les programmes que nous menons en coopération et la préparation de l’avenir, compte tenu de la dualité de notre activité. L’observation des cycles et flux technologiques est frappante : souvent, en effet, le développement de recherches à caractère militaire arrive à maturité au bout de dix ans dans le domaine militaire avant d’être transposé, dix ans plus tard, dans le domaine civil. J’évoquerai également nos sous-traitants et plus particulièrement les PME ; enfin, l’exportation – sur laquelle est bâti le modèle d’activité de notre industrie – et l’enjeu d’une filière industrielle nouvelle : celle de la sécurité.

Hors dissuasion nucléaire – domaine dans lequel nous fournissons les missiles des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) et, par notre filiale MBDA, les missiles nucléaires aéroportés –, la quasi-totalité de nos programmes sont réalisés en coopération avec un ou plusieurs partenaires européens. C’est le cas notamment du programme de l’A400M – un excellent avion que nous ne doutons pas de pouvoir livrer en temps et en heure à notre premier client, l’armée de l’air française –, des hélicoptères NH90 et Tigre et du satellite MUSIS destiné à l’observation de la Terre.

Je suis convaincu que la compétitivité de notre secteur repose au premier chef sur les petites et moyennes entreprises, qui représentent plus de 10 000 de nos 11 000 fournisseurs. Nous veillons donc soigneusement à entretenir la capacité d’innovation de ce tissu de PME, au prix d’une implication constante de notre management. Plusieurs initiatives ont ainsi été prises en interne en vue de respecter au mieux le calendrier de nos contrats, notamment pour ce qui concerne les paiements dus à ces entreprises. EADS a en outre été le premier groupe à répondre favorablement à l’initiative du ministre de la défense en faveur du pacte Défense-PME et nous signerons demain une convention avec le ministre de la Défense à cet effet.

L’investissement dans la recherche et technologie (R&T) prépare, je le répète, la compétitivité d’après-demain. Pour ce qui est des modalités de cet investissement, outre la démarche consistant à « sanctuariser »  un montant déterminé, il est possible d’envisager, de nouvelles formes de partenariat. Nous avons ainsi déjà démontré notre aptitude à investir aux côtés de l’État, à partager l’effort. Dans une période budgétaire difficile, il ne faut pas faire preuve d’innovation et de créativité seulement en matière de R&T, mais aussi dans le financement de cette dernière.

Nous sommes également prêts à investir dans le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels. Je préciserai ma pensée en rappelant qu’en France, lorsque nous livrons ces matériels aux forces qui les réceptionnent, leur entretien est assuré par des organes publics. Notre groupe est déjà partiellement impliqué dans le MCO, mais nous sommes disposés à revoir les lignes de partage. Cette participation de l’industrie au maintien en condition des équipements est importante pour l’avenir de nos forces et de nos capacités militaires. Celles-ci pourront compter sur l’industriel non seulement pour développer mais aussi pour soutenir et maintenir ces équipements. Nous intervenons du reste déjà dans ce domaine pour les armées de l’air britannique et allemande, où les rôles de l’industriel et des militaires sont répartis d’une manière plus fluide.

Pour ce qui concerne les exportations, je formulerai deux propositions. La première consiste à tenir compte de la nécessité d’exporter dès la définition initiale des programmes, en prévoyant plusieurs versions d’équipements, pour qu’ils soient d’emblée exportables. Cette proposition prend toute son importance dans la période budgétaire difficile que nous connaissons.

La deuxième proposition consiste à mieux organiser la coopération entre États européens en matière de soutien à l’exportation, ce qui suppose un changement complet d’état d’esprit et de culture. Les comparaisons avec nos voisins britanniques et, dans une moindre mesure, allemands, ne sont pas de mise dans la compétition à l’exportation dès lors que l’essentiel de nos programmes est mené en coopération avec eux. Comment déterminer, en effet, le pays exportateur d’un avion construit en partenariat ? Le critère du pays d’assemblage est artificiel et particulièrement peu pertinent si l’avion est assemblé dans un pays parce que les accords de vente y ont imposé l’installation d’une chaîne d’assemblage. Il y a des propositions et des évolutions concrètes à apporter sur la manière de concevoir cette coopération.

Enfin, compte tenu du développement très important de l’activité industrielle dans le domaine de la sécurité, qui recouvre aussi bien des équipements simples de détection que des systèmes de protection globaux, voire des dispositifs de cybersécurité, il conviendrait qu’une filière industrielle française se structure dans ce secteur à l’instar de l’industrie aéronautique, à qui son excellente structure permet de bien traiter son tissu de sous-traitants. EADS étant l’un des leaders de cette filière, nous sommes prêts à y travailler, avec des partenaires comme Safran.

Mme la présidente Patricia Adam. Quelles seront les conséquences des modifications intervenues, après l’échec de la fusion avec British Aerospace (BAE), dans l’actionnariat d’EADS, en particulier pour ce qui est des rôles de la France et de l’Allemagne ?

M. Marwan Lahoud. EADS a été structurée sur la base d’un accord entre actionnaires permettant aux États d’être indirectement impliqués – la France par l’intermédiaire de Lagardère et l’Allemagne par celui de Daimler. Cette organisation ne pouvait être longtemps maintenue, car un industriel ne peut pas investir durablement dans une entreprise qui ne relève pas de son secteur. Dans un premier temps, une certaine confusion entre les hommes et les institutions a pu masquer ce défaut. Daimler, qui est un grand de l’automobile, n’a pu immobiliser du capital dans l’aéronautique au profit de l’État allemand que parce que la quasi-totalité de ses responsables étaient d’anciens dirigeants de l’aéronautique. Au départ de Manfred Bischoff, la logique a repris ses droits. Le même raisonnement vaut, mutatis mutandis, pour Lagardère. Il est donc très vite apparu que les actionnaires privés souhaitaient mobiliser leur capital pour d’autres projets.

La semaine dernière, EADS, l’Agence des participations de l’État, la Direction générale de l’armement (DGA), le gouvernement allemand, l’homologue allemand de la Caisse des dépôts, Daimler et Lagardère ont résolu que les États pouvaient être directement actionnaires et exercer leurs droits comme tels sans avoir besoin de mandataires. Les États ont, du reste, des pouvoirs qui ne dépendent pas de l’actionnariat et qui existeraient même s’ils ne détenaient aucune action. EADS est, je le rappelle, le premier fournisseur de la défense française et de la défense allemande, et il est des domaines, comme la dissuasion nucléaire, dans lesquels l’entreprise ne peut pas décider à sa guise sans consulter les autorités françaises. Trois États, la France, l’Allemagne et l’Espagne, détiennent les deux premiers 12 % chacun et le troisième 4 % du capital d’EADS, soit un total de 28 % qui leur assure, dans le cadre d’une capitalisation boursière de 25 milliards d’euros, un pouvoir certain.

La gouvernance est par ailleurs « normale », ce qui signifie que les décisions se prennent dans les instances où elles doivent être prises : le comité exécutif, le conseil d’administration et l’assemblée générale du groupe, chacun selon ses intérêts. Le conseil d’administration est constitué de personnalités du niveau requis par l’importance du groupe et l’assemblée générale vote des résolutions à la majorité simple ou qualifiée selon la nature des décisions. Le seul accord entre les États actionnaires est que ces États, qui n’ont pas de représentant au conseil, voteront indépendamment à l’assemblée générale, à l’exception d’un point : dans le cas où un actionnaire proposerait une résolution modifiant les dispositions relatives à la gouvernance – qui garantissent notamment l’enracinement du groupe en Europe ou empêchent une prise de contrôle en limitant à 15 % la détention d’actions –, l’opposition d’un seul des trois États engagerait les deux autres à voter dans le même sens. À l’exception de cette disposition, je le répète, EADS vit comme une entreprise normale.

La nouvelle gouvernance protège l’enracinement européen du groupe et interdit toute prise de contrôle par un actionnaire indésirable. L’accord trouvé est un grand progrès qui marque une véritable renaissance. L’entreprise est, pour ainsi dire, parvenue à l’âge adulte et quitte le domicile de ses parents, Daimler et Lagardère.

M. Joaquim Pueyo. Dans une interview, le ministre de la défense a déclaré que les grands groupes devaient avoir le « réflexe PME », ajoutant qu’une convention serait conclue courant décembre 2013 entre son ministère et EADS. Pouvez-vous nous en dire plus sur le sujet ?

D’autre part, les dispositifs de soutien actuels, comme le crédit d’impôt recherche (CIR), sont-ils suffisants pour qu’EADS soit compétitive par rapport aux autres entreprises, notamment américaines ?

M. Jean-Jacques Candelier. Je me réjouis de l’abandon du projet de fusion entre EADS et BAE Systems, mais je suis inquiet de l’accord relatif à la gouvernance d’EADS, qui prévoit que l’entreprise gaspille 3 milliards d’euros pour racheter ses propres actions et que 70 % du capital seront désormais flottants. Le poids des États, dont la France, sera réduit au sein du conseil d’administration. Cet accord ne représente-t-il pas un recul dangereux pour l’indépendance nationale ?

M. Philippe Folliot. EADS se caractérise par un fort ancrage régional, notamment dans le Sud-Ouest, et l’A400M suscite de fortes attentes. La date précise de livraison des premiers avions est-elle connue ? Vos projets en matière de MCO s’appliquent-ils à cet appareil ? Si tel est le cas, pouvez-vous développer ce point ? Quelles sont, enfin, les perspectives d’exportation de l’A400M ? Si les commandes extérieures nous ménageaient de bonnes surprises, serait-il possible d’augmenter la cadence de production – et, le cas échéant, jusqu’à quel point – pour pouvoir répondre aussi au besoin urgent qu’ont nos forces de cet avion ?

Mme Émilienne Poumirol. Pour Toulouse, EADS est l’employeur le plus important, qui fait en outre travailler de nombreux sous-traitants. Dans une grande ville universitaire qui forme de nombreux ingénieurs et techniciens, mais qui compte aussi de nombreux jeunes sans formation, quel rôle peut jouer pour vous le crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et comment les emplois d’avenir pourraient-ils vous permettre de former des jeunes ?

M. Alain Moyne-Bressand. Le projet de fusion entre EADS et BAE Systems, que vous portiez en votre qualité de directeur de la stratégie d’EADS, était-il destiné à faire de la nouvelle entité la première entreprise mondiale du secteur, devant Boeing, ou à permettre une meilleure stratégie et des économies d’échelle dans la fabrication ? Êtes-vous déçu de son échec ? Vous avez par ailleurs écrit que vous étiez à la recherche de nouveaux partenariats : dans quelle perspective les envisagez-vous ?

M. Marwan Lahoud. La fusion entre EADS et BAE Systems se justifiait moins par un souci d’économies que par le fait que nos portefeuilles sont très complémentaires. On nous a parfois reproché de manquer de ce fait de « synergies », mais ces synergies tenaient en l’espèce à nos capacités en matière d’accès aux marchés, domaine où les bénéfices sont moins faciles à quantifier que les suppressions de postes intervenant après la fusion d’entités dont les activités se recoupaient. Les deux entreprises avaient choisi deux chemins différents, BAE s’étant recentrée sur la défense tandis qu’EADS voyait fortement croître son activité civile. Le raisonnement stratégique consistait à constituer un groupe équilibré, non seulement pour des raisons de cycles économiques – on ne voit du reste plus guère aujourd’hui de cycle économique de l’aéronautique –, mais plutôt pour assurer une complémentarité des cycles de financement, sachant par exemple qu’une entreprise d’aéronautique civile doit, tous les cinq à dix ans, dépenser de 10 à 15 milliards d’euros pour développer un nouvel avion. Il s’agissait aussi d’assurer les flux de technologies.

Je suis bien évidemment déçu que ce beau projet n’ait pu être mené à son terme. Il n’en faut pas moins continuer à regarder devant nous. Le projet n’était au demeurant pas vital pour EADS, qui continue de croître et de remporter des marchés. C’est une occasion ratée, mais il n’y a pas péril en la demeure.

Avec ou sans BAE, nous sommes en train de mettre à exécution une décision prise en février et confirmée en juin : le groupe EADS, qui avait jusqu’à présent toujours eu deux sièges – l’un à Paris et l’autre à Munich –, aura un siège unique, à Toulouse, capitale européenne de l’aéronautique et de l’espace. Cette décision s’imposait avec une telle évidence que nous sommes étonnés de l’étonnement de certains commentateurs. EADS compte à Toulouse 30 000 salariés, avec ses usines et ses bureaux d’études les plus importants. Il est donc normal que ses dirigeants soient proches des opérations.

Poursuivant l’impulsion donnée par Louis Gallois, EADS entend faire beaucoup plus à l’avenir pour l’apprentissage. Nous avons déjà accentué notre effort en la matière en nous inspirant de l’exemple allemand, et même de la situation qui prévaut au Royaume-Uni, où 60 % des cadres de l’aéronautique ont été d’abord apprentis dans l’entreprise. Bien que les besoins d’une entreprise où la qualification est importante ne répondent pas directement à ceux des jeunes sans qualification, nous nous efforçons de développer des formations spécifiques pour nos équipes et nous avons déjà pris une initiative en ce sens, avec la région et avec l’éducation nationale.

L’un des problèmes auxquels se heurtent les PME tient dans leur difficulté à attirer des apprentis. Dans le cadre du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (GIFAS), nous nous employons à développer le binômage : un grand groupe forme un apprenti, puis l’encourage à aller travailler dans une PME sous-traitante. Cette démarche peu coûteuse contribue à la solidité de la filière.

Au-delà de tels gestes, les PME attendent aussi de nous que nous leur payions ce que nous leur devons et que nous répercutions dans les contrats de sous-traitance les conditions que nous obtenons dans la négociation des marchés publics. Ces gestes simples supposent néanmoins tout un travail d’éducation de nos acheteurs, à qui l’on demande par ailleurs d’être performants et à qui il faut donc expliquer que la performance ne passe pas seulement par la dureté immédiate dans la négociation, qu’il faut aussi veiller à la pérennité du tissu industriel que représente la sous-traitance.

Les dispositifs de soutien à l’exportation sont tout à fait satisfaisants, du moins pour un grand groupe comme le nôtre, qui peut interagir avec l’administration plus facilement qu’une PME. C’est là encore un domaine dans lequel un grand groupe peut apporter une aide aux PME. Cette aide peut notamment revêtir la forme d’un portage à l’exportation et nous pourrions emmener plus systématiquement avec nous certaines PME dans des pays où nous sommes très présents.

S’agissant d’EADS, nous envisageons en effet, sous réserve de la décision du conseil d’administration et des conditions qui seront celles du marché au printemps prochain, de lancer un programme de rachat d’actions. Il ne s’agira pas pour autant d’argent mal dépensé, car une entreprise doit veiller à la structure de son capital : cet investissement d’avenir doit nous donner plus de liberté d’action, de développement et de croissance. Aujourd’hui, n’importe quel actionnaire « de contrôle » peut, pour des raisons tout à fait externes à l’entreprise, s’opposer au lancement du développement d’un nouvel avion. L’assainissement de la structure du capital évitera de telles situations pour le futur. C’est donc bien un investissement dans notre avenir. Le fait que 70 % du capital soit sur le marché pourrait être facteur de risque si ce capital flottant n’était pas encadré par des règles. Or il est prévu qu’aucun actionnaire, individuel ou de concert, ne peut détenir plus de 15 % du capital, ce qui écarte tout risque de prise de contrôle rampante d’EADS, groupe essentiel à la défense de la France, de l’Allemagne, de l’Espagne et du Royaume-Uni.

Pour ce qui est de l’A400M, n’oublions pas qu’un directeur de programme passe son temps à jongler avec les bonnes et les mauvaises nouvelles. Plus on approche de la date d’entrée en service d’un matériel, plus les mauvaises nouvelles pèsent lourd et plus il faut les gérer du mieux possible. Je répète que nous sommes confiants dans le fait que l’avion sera livré en temps voulu, mais savoir si ce sera en mars ou en avril n’est pas signifiant pour un programme de cette ampleur.

Nous proposons bien évidemment de nous impliquer complètement dans le MCO de l’A400M, à la fois parce que cet appareil est le fer de lance de notre gamme militaire et, je l’avouerai franchement, pour tirer parti de l’investissement important que nous avons réalisé pour cet avion.

Nous avons décidé le 1er décembre que le programme était désormais assez mûr pour reprendre les offres à l’exportation. En 2009, lorsqu’il a fallu réfléchir à l’économie d’ensemble du programme et accepter un investissement lourd dans son développement, le poids des prospects possibles à l’exportation – qui se chiffrent en centaines d’avions – a été déterminant pour que Louis Gallois et le conseil d’administration acceptent un tel niveau d’autofinancement pour un développement militaire. Si des commandes importantes étaient confirmées, il nous faudrait bien évidemment revoir l’économie générale du projet – notamment les cadences, parmi bien d’autres facteurs.

M. Christophe Guilloteau. Quel est, selon vous, l’avenir de l’avion de combat et de la filière missiles en Europe ?

M. Bernard Deflesselles. En douze ans, votre entreprise est devenue leader mondial de l’aéronautique civile et militaire. L’« occasion ratée » de la fusion avec BAE a donné lieu à de nombreuses spéculations. Pouvez-vous nous en dire plus sur les causes de cet échec, notamment sur le rôle de l’Allemagne ?

D’autre part, quelques jours après la présentation par l’un de vos concurrents d’un démonstrateur d’avion sans pilote et alors que l’on construit aujourd’hui en Europe trois avions de chasse différents – l’Eurofighter d’EADS, le Rafale de Dassault et le Gripen de SAAB –, comment voyez-vous l’évolution dans ce domaine au cours des dix à vingt prochaines années ?

M. Daniel Boisserie. Après l’échec de la fusion avec BAE, je souhaiterais moi aussi savoir quelles sont vos perspectives. Voyez-vous un peu de ciel bleu ?

Pour ce qui concerne l’apprentissage, à quel niveau de formation envisagez-vous de rechercher des candidats ?

M. Jean-Jacques Bridey. En matière de drones, la France va sans doute se fournir dans un premier temps « sur étagère ». Comment votre groupe entend-il se positionner pour la « francisation », voire pour l’armement de ces matériels ?

À plus long terme, est-il raisonnable que les grands groupes français et européens se fassent concurrence sur ce marché ? Un travail en synergie ne serait-il pas préférable ?

Mme Marie Récalde. Pourriez-vous nous apporter quelques précisions sur ce que vous entendez lorsque vous déclarez que votre groupe est prêt à investir dans le MCO et à « revoir les lignes de partage » ?

M. Marwan Lahoud. Nous sommes prêts à étudier avec le ministère de la défense, l’armée de l’air et toutes les parties prenantes une meilleure organisation du MCO. Nous n’avons pas à cet égard de plan prédéfini et n’avons pas davantage l’intention que ce travail se fasse au détriment des acteurs actuels. Si par exemple il y a une meilleure manière de s’organiser avec le service industriel de l’aéronautique – les ex-ateliers industriels aéronautiques (AIA) –, ce sera fort bien. Mais l’État voudra peut-être s’interroger avec nous sur une meilleure répartition des tâches, voire sur une externalisation. Chaque débat budgétaire remettant en lumière le poids insupportable du MCO, nous sommes prêts à voir comment contribuer à une meilleure répartition de ce poids. L’intérêt que nous y trouvons n’est pas seulement financier : il tient aussi à la pérennité de l’investissement dans les développements et au fait que les marges budgétaires ainsi dégagées permettraient de préparer l’avenir.

Pour ce qui est de la fusion manquée avec BAE, peut-être était-il encore trop tôt pour convaincre les États que leurs intérêts n’étaient pas mis en danger. La fuite qui a mis fin à la confidentialité du travail sur ce projet l’a tué. La discussion comportait en effet une part importante de pédagogie et il nous aurait fallu plus de temps pour emporter la conviction. Du reste, la gouvernance qui s’est mise en place avec l’accord des États procède directement de ces échanges – nous avons seulement eu plus de temps pour les mener en confidence.

Occasion ratée, certes. Il n’y a pas pour autant péril en la demeure : l’entreprise va très bien et rebondit. Le ciel est assurément bleu pour l’aéronautique civile, qui connaît une croissance de 5 % par an, sans équivalent dans les autres secteurs industriels. Même sans croissance et avec des budgets contraints, nos activités militaires et spatiales se portent bien elles aussi. Nous allons poursuivre cette trajectoire et engager des partenariats, notamment pour les avions de combat.

Pour ce qui est de l’Eurofighter, je rappelle qu’en août 1985, un communiqué laconique du ministère de la défense annonçait que la France se retirait de la coopération sur l’avion de combat européen. Nous subissons depuis lors les conséquences de cette décision. Tout le monde dit que l’avion du futur se fera en coopération ou ne se fera pas ; je m’inquiète, pour ma part, de ce que la dernière branche de l’alternative impliquerait en matière de compétences.

Nous sommes actionnaires de Dassault à 46 % et partie prenante de son programme nEUROn, dont nous réalisons la partie espagnole. Nous sommes donc très fiers d’avoir contribué au vol du premier drone de combat européen. Le « partage du monde » opéré jadis entre Dassault et EADS a certes vocation, comme tout partage, à être remis en cause mais, en 2004, un accord tacite a attribué à Dassault les drones de combat et à EADS les drones de surveillance. Nous sommes du reste le seul industriel « tenant du titre »  en matière de drones de surveillance à avoir actuellement un drone en service, dont les militaires nous ont fait savoir qu’il s’était bien comporté en Afghanistan et en Libye.

Pour le futur, nous souhaiterions développer une capacité européenne, mais le marché des drones est très étroit et ne peut donc pas supporter de frais fixes importants. Il est dès lors normal que les ministères de la défense français et allemand s’interrogent sur l’opportunité d’importer des drones et d’en européaniser les capacités – c’est du reste ce que nous avons fait avec le Harfang, qui n’est autre chose qu’un drone Heron francisé. Lorsque la France décidera des capacités intérimaires dont elle veut se doter, EADS, en tant que « tenant du titre », sera tout désigné pour participer à la compétition. Il nous faut en tout état de cause écouter les souhaits de l’utilisateur, qui n’est pas seulement mû par des idées à court terme et qui est in fine le mieux placé pour connaître ses propres besoins.

Quant à l’apprentissage, il est souhaitable à tous les niveaux, même post-baccalauréat, comme dans le cadre de l’année de césure ménagée par de nombreuses écoles de commerce ou d’ingénieurs. Notre modèle éducatif doit évoluer : on ne distingue plus aujourd’hui la période des études de celle du travail.

Mme la présidente Patricia Adam. Monsieur le directeur général, je vous remercie. Nous serons heureux de vous accueillir à nouveau.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Luc Chatel, M. Bernard Deflesselles, M. Richard Ferrand, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, Mme Geneviève Gosselin, M. Christophe Guilloteau, M. Bruno Le Roux, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. François André, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, Mme Catherine Coutelle, M. Yves Foulon, Mme Edith Gueugneau, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Philippe Nauche, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, Mme Paola Zanetti