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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 12 décembre 2012

Séance de 9 heures 30

Compte rendu n° 36

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de S. Exc. Mme Susanne Wasum-Rainer, Ambassadrice d’Allemagne à Paris, sur le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale

La séance est ouverte à neuf heures trente.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, madame l’ambassadrice, d’avoir répondu à notre invitation. Notre rencontre avec nos collègues allemands du Bundestag, lundi dernier, fut très sympathique et prometteuse pour l’avenir des relations entre nos deux pays. Nous sommes convenus de nous réunir ainsi deux fois par an ; notre prochain séminaire parlementaire devrait avoir lieu vers le mois de juin 2013, et le suivant après les élections allemandes. La réunion de lundi nous a permis d’évoquer le positionnement de nos pays respectifs au sujet notamment de la Syrie et du Sahel – à propos duquel les échanges ont été francs, comme nous le souhaitions. En revanche, d’autres questions n’ont pu être abordées sur lesquelles nous aimerions vous entendre aujourd’hui, dont le pooling and sharing – le partage des missions et des capacités – et la dimension industrielle.

Nous aurons naturellement besoin de vous pour resserrer encore les liens franco-allemands. À cette fin, j’invite également mes collègues à participer aux cérémonies du cinquantenaire du traité de l’Élysée (22 janvier 1963) et à mettre à profit les nombreux jumelages qui unissent les villes françaises et allemandes – par exemple Brest, dans ma circonscription, et Kiel.

Notre dialogue sur les questions de défense, qui sont difficiles, nous demandera beaucoup de travail. Mais l’Allemagne participe déjà aux travaux de la Commission chargée de préparer le Livre blanc et la présentation devant cette commission de l’exercice de même nature auquel elle se livre a mis en évidence de nombreuses préoccupations communes.

Mme Susanne Wasum-Rainer, ambassadrice d’Allemagne en France. Madame la présidente, je vous remercie de m’avoir invitée et je vous suis très reconnaissante de l’accueil que vous avez réservé aux députés allemands lundi, ainsi que de la possibilité offerte à mon collègue M. Ischinger et au général Finster d’apporter leur contribution aux débats sur votre Livre blanc. Je suis heureuse que cette fructueuse coopération – dont les jumelages, idée révolutionnaire, sont un autre pilier – coïncide en outre avec les préparatifs du cinquantenaire du traité de l’Élysée.

J’aborderai tout d’abord sous l’angle de la politique de sécurité la réforme de la Bundeswehr, qui, vous le savez, a déjà subi une profonde transformation il y a une vingtaine d’années, devenant l’« armée de l’unité » après la fin de la partition de l’Allemagne. Je vous présenterai ensuite les principes directeurs de la politique de défense qui président à sa restructuration.

La réforme de la Bundeswehr en est actuellement à la phase de mise en œuvre. À l’issue de ce processus, l’armée aura été en grande partie restructurée. La réorientation est rendue nécessaire par la modification du cadre international : les défis en matière de politique de sécurité se font plus complexes et leur nombre ne semble pas près de diminuer. La réorientation de la Bundeswehr permet ainsi à l’Allemagne de conserver sa capacité d’action et d’être un allié fiable.

Depuis l’époque de la guerre froide, la notion de sécurité s’est étendue. Outre les menaces que représentent les armes de destruction massive, on voit émerger des menaces d’un nouvel ordre, dont les cyberattaques. La mise en danger potentielle d’infrastructures sensibles, telles que les systèmes d’information ou les circuits de commercialisation, devient un enjeu de plus en plus crucial de la prévention nationale des risques. Aux menaces concrètes s’ajoute un nombre croissant de dangers d’un nouveau type – je pense aux réseaux internationaux du crime organisé ainsi qu’aux conséquences des catastrophes climatiques et écologiques. Par ailleurs, nous devons tenir compte de la raréfaction des matières premières, des difficultés d’approvisionnement en ressources ainsi que des épizooties et des épidémies.

La sécurité ne se définit donc plus exclusivement selon des critères géographiques, puisque les événements qui ont lieu dans des régions situées à la périphérie de l’Europe peuvent avoir des répercussions immédiates sur la sécurité de l’Allemagne. Des crises et conflits peuvent surgir à tout moment, et de manière imprévisible. Il faut alors pouvoir agir rapidement, parfois à grande distance. Les expériences des dernières années et l’analyse des évolutions récentes nous conduisent ainsi à modifier les instruments de notre sécurité. Les forces armées ne sont pas toujours concernées, mais elles sont confrontées à de nouvelles exigences qui relèvent d’un projet interministériel.

Les pays émergents pèsent de plus en plus, y compris du point de vue de la sécurité. Nouveaux acteurs sur la scène internationale, ils cherchent leur place. Nous devons aussi nous adapter à cette réalité. Par ailleurs, des régions entières, au Proche-Orient et en Afrique du Nord, connaissent des bouleversements parfois violents. Il n’est jamais totalement exclu que les conflits se propagent à d’autres régions, on le voit en Syrie, avec des menaces sur la frontière entre la Syrie et la Turquie, le Liban ou la Jordanie. Nous en faisons également la triste expérience depuis de nombreuses années dans l’ouest des Balkans.

Si l’Allemagne veut prévenir efficacement les nouveaux dangers, elle doit les combattre assez tôt et, surtout, activement. L’action du gouvernement fédéral est guidée par deux critères. Premièrement, nous utilisons tous les instruments dont nous disposons, selon une approche globale (comprehensive approach). Cela signifie que les mesures économiques, de développement, diplomatiques, policières et militaires doivent aller de pair, car aucun des conflits auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ne saurait être résolu par des moyens purement militaires.

D’un autre côté, les moyens militaires ne doivent pas être exclus. L’intervention de la Bundeswehr n’est qu’un instrument parmi d’autres, mais un instrument essentiel. Quelle que soit la zone d’intervention, le gouvernement fédéral est mû par cette conviction : pas de développement possible sans sécurité, pas de sécurité possible sans développement. En Afghanistan, nous avons appliqué ce principe à de multiples égards.

Deuxièmement, dans un monde globalisé, l’Allemagne, pas plus qu’un autre pays, ne peut résoudre seule les conflits. Comme tous ses partenaires, y compris les États-Unis, elle doit compter sur les alliances et les partenariats. L’OTAN, et notre étroite relation avec les États-Unis restent le pilier de notre politique de sécurité. Au cours des dernières années, l’Allemagne s’est impliquée pour que notre alliance soit moderne et efficace. Elle a participé à plusieurs missions de l’OTAN : l’Allemagne est le troisième contributeur de troupes de la Force internationale d’assistance et de sécurité (FIAS) et le premier fournisseur de contingents de la KFOR. Les budgets de la défense étant eux aussi soumis à des restrictions, la mutualisation et le partage des ressources – pooling and sharing – permettent aux États d’accéder ensemble à des capacités au sein de l’OTAN qu’ils n’auraient plus individuellement.

Parallèlement à l’OTAN, notre action en matière de sécurité s’insère également dans la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) de l’Union européenne. Pour l’Allemagne, l’OTAN et la PSDC forment un tout cohérent ; elles se complètent et chacune apporte une valeur ajoutée spécifique et incontournable. Par le biais de ses missions, la PSDC œuvre en faveur de la sécurité et de la paix en de nombreux lieux dans le monde. Depuis la création de la Communauté économique européenne (CEE), la politique allemande se définit par sa défense d’une Europe libre et unie ainsi que par sa volonté de concourir à une intégration européenne englobant tous les domaines politiques concernés. En tant que communauté politique, l’Europe doit désormais accroître sa capacité d’action en matière de sécurité afin de pouvoir exercer ses responsabilités et relever de manière autonome les défis de la sécurité commune à l’intérieur et en dehors de l’Europe.

Actuellement, l’Europe travaille activement à son futur engagement au Mali. On ne peut accepter que le terrorisme international bénéficie d’une zone de repli sûre au nord du pays. Or, nous savons que les forces armées maliennes, trop faibles pour agir, ont besoin d’un soutien extérieur. C’est la raison pour laquelle la chancelière fédérale a déclaré très tôt que l’Allemagne était prête à participer à une mission de soutien au Mali si les conditions en étaient définies et réunies. Nos partenaires français ont réagi très favorablement à cette prise de position, ce dont je me réjouis. Comme eux, nous jugeons décisif que tout ce qui se passe au Mali soit pris en main par l’Afrique elle-même et s’appuie sur des décisions du Conseil de sécurité de l’ONU. Nos ministres des Affaires étrangères, MM. Fabius et Westerwelle, ont souligné dans une tribune conjointe le consensus franco-allemand sur la question du Sahel.

L’Allemagne est très engagée dans les missions de la PSDC. Souvenez-vous par exemple de la mission de sécurisation des élections en République démocratique du Congo en 2006, dont l’état-major stratégique était installé à Potsdam. L’implication de l’Allemagne s’illustre également dans les missions en cours, par exemple EULEX au Kosovo ou encore l’opération Atalante de lutte contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique. Vous le savez, toute participation à une opération militaire armée requiert un mandat du Bundestag ainsi qu’un mandat international conformément à l’article 24(2) de la Loi fondamentale, sauf s’il s’agit d’un cas de légitime défense collective au sens de l’article 51 de la Charte des Nations unies.

La politique de sécurité européenne est caractérisée par une étroite imbrication des moyens civils et militaires. L’Allemagne est favorable à son optimisation et au renforcement du volet civil de la PSDC. Mais cette évolution doit être sous-tendue par un consensus sur les défis, les intérêts et les actions possibles.

Grâce à sa réorientation, la Bundeswehr s’adapte avec cohérence au nouveau contexte de ce début de XXIe siècle. Ses structures et capacités sont revues pour tenir également compte des évolutions démographiques et pouvoir être financées à long terme. La réforme de la Bundeswehr repose sur les principes directeurs de la politique de défense présentés en 2011 par le ministre fédéral de la défense, M. de Maizière. Ces principes s’articulent autour des axes suivants : préservation des intérêts nationaux, prise de responsabilités sur la scène internationale et action commune pour la sécurité. Ils décrivent le cadre stratégique de la vocation et des missions de la Bundeswehr et formulent les objectifs de la politique de sécurité et les intérêts de la République fédérale d’Allemagne dans ce domaine.

Outre le contexte stratégique de sécurité que je viens d’évoquer, des questions essentielles sont en jeu, qui ont conduit à définir des valeurs, des objectifs et des intérêts. Je ne citerai ici que les principaux. D’abord, les intérêts de l’Allemagne, sa responsabilité dans l’Europe et le monde. Parmi eux figurent notamment la sécurité et la protection des citoyens allemands ainsi que la préservation de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l’Allemagne et de ses alliés. L’Allemagne entend contribuer à prévenir et résoudre les crises, et défendre ainsi de manière durable et crédible ses positions en matière de politique étrangère et de sécurité. L’Allemagne défend le respect des droits de l’homme, des principes démocratiques et du droit international dans le monde entier. Parmi nos objectifs figurent également la réduction de la fracture entre régions pauvres et riches du globe, un commerce mondial libre et sans entraves ainsi que la garantie du libre accès à la haute mer.

Ensuite, la Bundeswehr doit être dotée des capacités qui lui permettent d’exercer ses missions dans tous les domaines. S’agissant de la coopération internationale, les partenariats servent à nouer des liens de confiance, à promouvoir la stabilité et, par là même, à prévenir les conflits armés. En ce qui concerne la protection du territoire et la prévention à long terme en matière de sécurité, une attaque conventionnelle et directe du territoire allemand étant aujourd’hui improbable, il n’est plus nécessaire de conserver le personnel tenu auparavant à disposition dans cette seule hypothèse. Cependant, en vue d’une prévention adéquate, le potentiel évolutif des forces armées est conservé et le service militaire universel et obligatoire reste inscrit dans la Loi fondamentale, malgré la suspension de la conscription obligatoire.

L’évolution cohérente des capacités civiles et militaires de l’Europe, de même que la coopération technologique et industrielle au sein de l’Union européenne, sont au service du renforcement politique de l’Europe, donc des intérêts nationaux en matière de sécurité. Sur ce point, l’Allemagne est en accord avec ses partenaires. En élaborant des projets bilatéraux et multilatéraux, elle affiche des initiatives constructives. Du fait de leur caractère spécifique, souligné par le traité de l’Élysée, et de leur exceptionnelle densité, les relations franco-allemandes jouent dans ce domaine un rôle primordial. Disposer d’une base technologique performante dans les domaines clés est la condition pour œuvrer activement à la préservation et, le cas échéant, au développement d’une industrie européenne de l’armement qui soit compétitive.

Pour pallier les impondérables stratégiques durables et imprévisibles, la Bundeswehr doit pouvoir conserver un éventail large et flexible de capacités militaires. Les opérations en cours ne constituent qu’une base d’orientation. La Bundeswehr doit disposer des ressources nécessaires pour mener des opérations de toutes sortes allant jusqu’aux missions d’observation, d’assistance, conseil et formation, ou encore de prévention en matière de sécurité.

Mais parvenir à exercer toutes ces missions reste un défi. Les adaptations se font toujours dans des conditions difficiles. À l’instar de la France, l’Allemagne est soumise à des contraintes budgétaires. Des fermetures de sites et des réductions d’effectifs seront inévitables. Ainsi, le nombre des installations de la Bundeswehr passera de 394 à 264 et celui des soldats de 220 000 à 185 000. En ce qui concerne le matériel, l’industrie allemande de l’armement continuera d’apporter une contribution décisive à la production d’équipements modernes et performants ainsi qu’à la fourniture d’une assistance technique et logistique en vue de leur utilisation. L’Allemagne acquiert ce dont elle a besoin et ce qui est financièrement accessible, et non ce qu’elle voudrait bien avoir ou ce qui est proposé.

Cela étant, du fait de la baisse des stocks, le renforcement de la coopération militaire entre les États européens doit également se traduire dans le domaine industriel. Il sera essentiel d’adopter une démarche synergique concertée dans la mise au point, l’acquisition et l’utilisation de systèmes militaires afin de garantir à l’Europe les capacités militaires dont elle a besoin. Cela vaut également pour la coopération en matière de technologies de l’armement au sein de l’Alliance ainsi qu’avec d’autres partenaires internationaux. Les capacités industrielles seront d’une grande importance partout où la Bundeswehr apportera des capacités significatives et reconnues pour l’exécution de missions nationales ou de missions au sein des alliances. À l’image de la Bundeswehr, l’industrie de l’armement devra faire preuve de souplesse face à des objectifs qui évoluent. Ce sera pour elle le seul moyen de contribuer à la prévention nationale à long terme en matière de sécurité.

L’enjeu de la réforme de la Bundeswehr est double. Il s’agit, d’une part, de supprimer la bureaucratie et les doublons dans la répartition des compétences ; d’autre part, de montrer que la Bundeswehr est non seulement une armée efficace, mais aussi un employeur attrayant. Après la suspension du service militaire obligatoire et au vu de l’évolution démographique en Allemagne, c’est là un double impératif. La Bundeswehr doit rester une organisation moderne et efficace. C’est ce qui a motivé l’ouverture du grand chantier de la réforme.

Quelques mots enfin sur la dimension parlementaire. La Bundeswehr est une armée parlementaire. Chacune de ses interventions armées doit être décidée par le Bundestag. Le mandat délivré par le Parlement a toujours une durée de validité limitée et s’appuie en premier lieu sur le mandat du Conseil de sécurité des Nations unies. Par ailleurs, il précise et limite en principe la zone d’intervention – en Afghanistan, par exemple, il s’agissait du nord du pays. Et le contrôle parlementaire s’exerce en permanence grâce aux informations communiquées régulièrement par le gouvernement au Bundestag, en l’espèce à ses commissions de la défense et des affaires étrangères. En cela, l’Allemagne se distingue fondamentalement de la France.

Mme la présidente Patricia Adam. En effet, le pouvoir du Parlement allemand est bien supérieur à celui dont nous disposons. Cela devrait nous encourager – ici et sans doute au sein de la commission des affaires étrangères – à développer nos relations avec nos collègues allemands si, comme je le crois, en matière de défense les décisions se prennent d’abord au Parlement. Nos états-majors travaillent déjà étroitement ensemble et ils n’attendent que des messages politiques pour confirmer leur action commune, et peut-être pour aller plus loin. La brigade franco-allemande n’est guère utilisée, voire pas du tout. C’est l’un des sujets que nous n’avons pu aborder lundi et dont j’aimerais discuter avec vous.

M. Daniel Boisserie. Madame l’ambassadrice, vous avez beaucoup parlé de la Bundeswehr, mais il existe aussi en Allemagne un organisme de sécurité civile remarquablement efficace qui nous a beaucoup aidés en 1999 et 2000, pendant la tempête. Pourriez-vous nous en parler ? Cela relève aussi du Livre blanc.

Par ailleurs, l’Allemagne collabore avec d’autres États pour installer des batteries de missiles en Turquie, le long de la frontière syrienne. Y engage-t-elle également des effectifs militaires ?

M. Nicolas Dhuicq. Madame l’ambassadrice, en Afghanistan, vos forces armées étaient soumises à tant de restrictions que l’aviation s’est limitée à des missions de reconnaissance. Pensez-vous qu’à terme, la République fédérale allemande pourrait faire preuve de plus de souplesse lors des opérations extérieures en accomplissant un travail équivalent à celui des Français et des Britanniques ?

Ensuite, l’Allemagne a sagement conservé toutes ses compétences industrielles, ce qui explique sans doute que vous insistiez beaucoup sur l’industrie de la défense. Mais vous avez également évoqué les matières premières. Face à la politique chinoise de raréfaction, où la République fédérale allemande pense-t-elle s’approvisionner à l’avenir en métaux rares destinés à son industrie ?

Enfin, l’Allemagne, puissance continentale, a possédé autrefois l’une des plus belles flottes au monde. Une grande partie de votre commerce dépend de la voie maritime. Vous réduisez vos forces terrestres, mais avez-vous l’intention de renforcer votre flotte ?

Mme l’ambassadrice. Monsieur Boisserie, l’organisme que vous évoquez à propos de la tempête est le Technisches Hilfswerk (THV), institution civile relevant du ministère de l’intérieur et spécifiquement chargée de ce type d’événement puisque la Constitution allemande n’autorise pas l’intervention de l’armée à l’intérieur.

Sur le second point, il est exact que notre gouvernement a décidé d’envoyer des soldats à la frontière syro-turque. Il lui reste à solliciter l’aval du Bundestag en lui soumettant une proposition de mandat.

Je ne suis pas d’accord avec vous, monsieur Dhuicq. L’Allemagne est un allié comme les autres au sein de l’OTAN. Son engagement y est exemplaire, notamment par le nombre de soldats qu’elle envoie, surtout en Afghanistan. Que voulez-vous dire au sujet des restrictions ? Tous les partenaires qui coopèrent en Afghanistan doivent aussi satisfaire à des exigences nationales, et l’Allemagne ne fait pas exception en la matière.

M. Nicolas Dhuicq. Il existe une différence opérationnelle puisque les Rafale et les Mirage larguaient des bombes guidées laser, de même que les avions britanniques et américains, alors que les avions allemands ne menaient que des opérations de reconnaissance. Cette question a d’ailleurs fait l’objet d’un débat au Bundestag lors duquel certains des alliés du gouvernement actuel se sont opposés à ces missions de reconnaissance elles-mêmes, craignant qu’elles ne mènent à des opérations de guerre.

Mme l’ambassadrice. Il s’agit en quelque sorte d’une division du travail !

Quant à notre flotte, nous n’avons pas prévu de la réduire. Mais sur ce point, je laisse la parole au général Weisenburger.

M. Werner Karl Weisenburger, général de brigade. Nous avons réduit notre marine d’environ 10 %, mais tout en la modernisant, de sorte que, grâce aux nouvelles frégates qui vont être mises en service au cours des deux années à venir, sa capacité va augmenter. Le changement de génération des bateaux permet ainsi à l’Allemagne de rester présente en mer : sa contribution à la chasse aux pirates en témoigne. La marine va donc rester l’un de nos piliers.

La dernière réorganisation de la Bundeswehr a abandonné l’armée de conscription au profit de la professionnalisation. La réduction des effectifs correspond ainsi pour l’essentiel au nombre antérieur d’appelés puisqu’elle concerne 50 000 appelés pour seulement 10 000 professionnels. Le nombre de professionnels et la capacité en brigades et en matériel restent presque inchangés : il s’agit d’une réorganisation interne, qui consiste surtout à « réduire les têtes » – les effectifs du ministère de la défense sont passés de 3 000 à 1 800 personnes.

Mme l’ambassadrice. En ce qui concerne les matières premières, puisque l’Allemagne n’en a pas, il faut bien qu’elle aille les trouver sur le marché international, comme le fait la France en Asie ou en Afrique.

M. Jean-Jacques Candelier. Ma première question s’adresse autant à Mme la présidente qu’à Mme l’ambassadrice. Je me réjouis du partenariat franco-allemand. L’Allemagne participe à l’élaboration de notre Livre blanc ; c’est une première. Mais quel est le rôle exact du représentant de l’Allemagne au sein de la commission du Livre blanc ? A-t-il accès au dossier nucléaire ? Dans l’affirmative, est-ce sous condition de réciprocité ?

Par ailleurs, madame l’ambassadrice, quel est le montant du budget militaire allemand, en investissement et en fonctionnement ?

Mme la présidente Patricia Adam. La commission du Livre blanc n’est évidemment pas destinataire d’informations relatives au nucléaire dont elle ne devrait pas avoir connaissance. En outre, la décision ayant été prise de poursuivre la dissuasion, cette question n’y suscite aucun débat.

Mme l’ambassadrice. Sur le premier point, la participation d’un collègue allemand à la préparation de votre Livre blanc constitue à nos yeux une extraordinaire preuve de confiance. M. Wolfgang Ischinger, ancien ambassadeur, a été convié par le président de la commission du Livre blanc ; sa nomination n’a pas été décidée par le gouvernement allemand mais résulte d’un contact entre nos deux gouvernements. Membre de la commission, il prend part à toutes ses discussions et dispose du même droit d’accès aux documents que les autres commissaires. En Allemagne, il est en contact régulier avec le ministère des affaires étrangères.

Quant au budget allemand de la défense, il représente 34 milliards d’euros cette année, 33 milliards les années suivantes, et la part de l’investissement s’y élève aujourd’hui à 21 %.

M. Joaquim Pueyo. Co-rapporteur sur l’Europe de la défense, je me suis rendu il y a quelques semaines à Berlin à l’invitation de la Fondation Adenauer. La Fondation Robert Schuman était associée à l’événement, de même que le représentant de la brigade franco-allemande. Tous les intervenants étaient pro-européens et favorables à l’Europe de la défense, que les autorités françaises veulent aujourd’hui relancer. L’Allemagne est-elle en principe favorable à cette relance ? Sur ce point, le secrétaire d’État à la défense nous a apporté certaines réponses. Dans l’affirmative, du point de vue allemand, l’Europe de la défense doit-elle être le pilier européen de l’OTAN ou peut-elle s’affirmer en dehors de ce cadre ?

L’Allemagne fait partie, avec la France, du groupe Weimar Plus, dont les ministres de la défense ont souligné dans leur déclaration commune du 15 novembre dernier la nécessité de renforcer notre coopération en matière d’industrie et de recherche. Rappelons que les coopérations structurées permanentes que prévoyait le traité de Lisbonne en matière de défense n’ont été mises en œuvre ni par la France ni par l’Allemagne – ni par l’Angleterre, naturellement.

Mme l’ambassadrice. Comme la France, l’Allemagne cherche à renforcer la coopération européenne en matière de défense. Nous parlons plutôt d’« Europe de la sécurité et de la défense » afin de promouvoir une approche globale fondée sur les deux piliers civil et militaire. Mais pour nous, l’OTAN reste un élément essentiel. Nous ne voulons pas d’une concurrence entre les structures européennes et l’OTAN. Il faut donc créer des synergies.

Nous sommes tout à fait d’accord pour utiliser et renforcer les structures du Triangle de Weimar, mais nous hésitions davantage à l’étendre dès à présent à d’autres États. À nos yeux, ce serait faire le deuxième pas avant d’avoir accompli le premier ! Quoi qu’il en soit, le gouvernement allemand accorde une grande importance à ces questions.

M. François André. Merci, madame l’ambassadrice, pour vos propos éclairants. Notre partenariat en matière de défense se concrétise par des projets industriels – je songe notamment à EADS –, mais aussi au sein de l’instance de dialogue née du Triangle de Weimar, auquel l’Italie et l’Espagne s’ajoutent pour former Weimar Plus. Ainsi est née l’idée d’un battlegroup de Weimar associant les trois armées sous un commandement commun afin d’améliorer leur interopérabilité ; il sera installé en janvier 2013 et son entraînement a déjà commencé. Quel est votre point de vue sur ses missions et ses perspectives d’évolution, notamment dans le cadre de Weimar Plus ? Quel avantage l’antériorité du groupe de Weimar peut-elle lui donner sur les autres battlegroups européens ?

M. Werner Karl Weisenburger. Nous sommes très favorables aux battlegroups, mais le problème est moins d’en créer que de leur fournir matériel et personnel ! Et cela, c’est presque toujours l’Allemagne qui s’en charge. De plus, on parle des battlegroups, on les prépare, on les entraîne, mais on ne les utilise pas. Ce n’est pas un problème militaire, c’est un problème politique : il appartient aux hommes politiques, y compris allemands, de décider d’employer ces structures.

Il en va de même pour la brigade franco-allemande, que je connais bien, car j’y ai appartenu pendant cinq ans. Elle est employée tous les jours dans la mesure où nos deux nations utilisent partout ses personnels au service des états-majors et des unités, ce qui les forme et leur donne de l’expérience. Mais nous n’avons réussi à en faire véritablement usage qu’à deux reprises : en 1996 à Sarajevo et quelques années plus tard en Afghanistan. Là encore, le problème est politique.

Mme la présidente Patricia Adam. À nous d’y travailler, donc. Message reçu !

M. Bernard Deflesselles. Parlons donc politique puisque vous nous y invitez. Madame l’ambassadrice, vous avez évoqué le rôle stratégique de l’Allemagne dans l’Union européenne, mais en insistant sur ses liens avec les États-Unis et l’OTAN et en refusant toute concurrence entre l’OTAN et l’Europe de la défense. Pourriez-vous nous éclairer davantage sur le positionnement de l’Allemagne dans l’Europe de la défense ? Et que pensez-vous de son levier, l’Agence européenne de la défense, que j’ai pour ainsi dire portée sur les fonts baptismaux avec plusieurs de mes collègues et qui, aujourd’hui, ne fonctionne manifestement pas ?

Par ailleurs, vous avez vous aussi un Livre blanc, qui comporte comme le nôtre un volet de stratégie industrielle. Notre grand champion, EADS, vient de changer de gouvernance : l’État français et l’État allemand en détiendront désormais 12 % chacun. Comment intégrez-vous EADS dans votre stratégie industrielle et quelle place votre Livre blanc réserve-t-il à ceux de ses produits qui seront livrés en Allemagne ?

Mme l’ambassadrice. Nous n’avons pas actuellement de Livre blanc.

M. Werner Karl Weisenburger. Le dernier Livre blanc allemand date de 2006. Depuis lors, nous n’avons publié que des documents stratégiques beaucoup moins volumineux, à l’instar de celui de M. de Maizière dont nous avons parlé. Nous ne préparons pas aujourd’hui de Livre blanc et ces deux ou trois dernières années, c’est sans Livre blanc que nous avons restructuré la Bundeswehr. Notre rythme de travail diffère totalement du vôtre, qui fait se succéder Livre blanc et loi de programmation militaire. Notre restructuration a été décidée et mise en œuvre très rapidement. La discussion avec le ministre Guttenberg a débuté il y a moins de trois ans, la décision de mettre fin à la conscription a été prise au bout de six mois, et elle est appliquée depuis le 1er juillet dernier. Désormais, nous procédons à la réorganisation interne de la Bundeswehr selon les principes que j’ai énoncés : nous « réduisons les têtes » et nous modernisons le matériel.

Mme l’ambassadrice. Comment l’Allemagne se positionne-t-elle en Europe et comme membre de l’OTAN ? Notre participation à l’OTAN est, je le répète, un pilier de notre politique étrangère et de défense. Aucune stratégie, aucune mesure politique qui amoindrirait son importance ne saurait être acceptée. Sous cette réserve, nous sommes tout à fait favorables au développement de l’Union européenne de sécurité et de défense. Il s’agit de parvenir à un équilibre tel que l’Union européenne ne se développe pas contre l’OTAN.

M. Alain Marty. Alors que le Bundestag joue un rôle essentiel lorsqu’il s’agit d’engager une opération, en France, c’est le Président de la République, chef des armées, qui décide, et sa décision peut être immédiatement appliquée. On l’a bien vu lors de l’opération Harmattan. En cas de crise, cette différence peut pénaliser la coopération franco-allemande. Qu’en pensez-vous ? Constatez-vous des changements dans l’opinion publique allemande au sujet du cadre d’emploi de la Bundeswehr, inscrit dans la Loi fondamentale et hérité de l’histoire ?

Mme l’ambassadrice. La nécessité d’un aval du Bundestag, inscrite dans la Loi fondamentale et soulignée par plusieurs décisions de la Cour constitutionnelle allemande, est bien acceptée par le gouvernement, par le Parlement, bien sûr, ainsi que par l’opinion publique. Elle n’est jamais remise en question. En outre, notre système fonctionne très bien : il n’a jamais été impossible d’obtenir l’aval du Bundestag en temps et heure. Au fil des années, les propositions de mandat sont devenues de plus en plus précises : initialement limitées au nombre de soldats et à la quantité de matériel, elles détaillent aujourd’hui toutes les capacités, la zone géographique concernée, les dates, etc. De plus, elles font l’objet de trois lectures au Parlement, comme les lois ordinaires. Si telle était votre question, il n’y aucune chance que ce système change.

L’opinion publique est généralement très réticente vis-à-vis de nos opérations militaires à l’étranger. Cela étant, plusieurs de nos opérations en cours sont bien acceptées, y compris la mission Atalante – au contraire des missions de lutte contre le terrorisme international. Y a-t-il une évolution ? Nous sommes aujourd’hui beaucoup plus à l’aise vis-à-vis des opérations militaires, car nous avons accumulé une grande expérience au fil des années : nous participons aux opérations militaires internationales à l’étranger depuis la grande décision de la Cour constitutionnelle à ce sujet, en 1994.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci pour toutes ces précisions. Contrairement à nous, les parlementaires allemands anticipent les décisions et s’y préparent très en amont, s’agissant par exemple, aujourd’hui, du Sahel ou de la Syrie. Les interventions à l’extérieur ne se décidant pas de but en blanc, la différence entre nos deux systèmes ne me paraît pas constituer un obstacle à notre coopération et je suis personnellement très favorable à votre manière de faire. Je l’avais d’ailleurs prônée comme modèle lors du précédent Livre blanc, car j’estimais que le Parlement devrait se prononcer sur une intervention non pas au bout de quatre mois, mais tout de suite. Malheureusement, ce ne fut pas l’avis de tous mes collègues !

La séance est levée à dix heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, M. Jean-Pierre Barbier, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Luc Chatel, M. Alain Chrétien, M. Bernard Deflesselles, M. Nicolas Dhuicq, Mme Marianne Dubois, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin, M. Jacques Lamblin, M. Charles de La Verpillière, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, M. Gwendal Rouillard, M. Stéphane Saint-André, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Lucien Degauchy, M. Philippe Folliot, M. Yves Fromion, M. Jean-Claude Gouget, Mme Edith Gueugneau, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marleix, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Philippe Nauche, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel