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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 16 janvier 2013

Séance de 17 heures 30

Compte rendu n° 40

Présidence de M. Philippe Nauche, vice-président

— Audition des représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : l’Union nationale des syndicats autonomes/défense (UNSA/DÉFENSE)

La séance est ouverte à dix-sept heures trente-cinq.

M. Philippe Nauche, président. Pour cette première réunion de la Commission de l’année 2013, je vous prie de bien vouloir excuser la présidente Patricia Adam, qui assiste aujourd’hui à une réunion plénière de la commission du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Je suis très heureux d’accueillir aujourd’hui les représentants de l’Union nationale des syndicats autonomes-Défense (UNSA-Défense) : M. Bruno Mésange, trésorier de la fédération UNSA-Défense ; M. Laurent Tintignac, secrétaire national des ouvriers de l’État, et M. Bruno Jaouen, secrétaire général du syndicat de la base de défense de Brest/Lorient.

Mme la présidente de la Commission a souhaité, le 24 octobre dernier, lors de l’audition conjointe des six syndicats de personnels civils du ministère de la défense, améliorer notre dialogue en engageant un échange avec chacune des organisations syndicales prise individuellement et en amont des échéances budgétaires. Les six organisations syndicales seront donc auditionnées en janvier de cette année, dans un ordre qui répond exclusivement à des contraintes d’agenda. Avec 23,34 % des votes aux élections professionnelles de 2011, avec une liste commune, l’UNSA et la CGC sont considérées comme la deuxième force syndicale du ministère.

Nous avons entendu, le 24 octobre dernier, vos préoccupations sur la baisse des crédits affectés au ministère de la défense, sur la réduction des effectifs, sur les excès des externalisations, sur le blocage des rémunérations des personnels civils et sur les fonctions de soutien remplies par des militaires.

M. Bruno Jaouen, secrétaire général du syndicat de la base de défense de Brest/Lorient. Nous tenons à vous remercier de nous recevoir aujourd’hui afin d’enrichir le dialogue social, hors des contraintes du débat budgétaire.

Nous précisons d’emblée que le périmètre d’actions de l’UNSA DEFENSE se limite aux services du ministère de la défense et, dans une moindre mesure, à celui de l’intérieur, depuis le transfert de la gendarmerie et de ses personnels.

Au sein des industries de défense, et notamment à DCNS, l’UNSA dispose de ses propres structures qui sont aussi à votre disposition le cas échéant.

Les valeurs essentielles de l’UNSA sont la laïcité, la légalité, le dialogue social, le respect des hommes et des conditions de travail. Si nos actions consistent à défendre et à promouvoir les personnels civils, cela ne saurait être de développer ou de susciter une défiance entre civils et militaires,

Nous avons bien conscience que cette audience se situe dans un contexte bien particulier : des interventions sont en cours au Mali et en Somalie – et nous exprimons bien évidemment notre solidarité et notre soutien aux collègues militaires concernés ; par ailleurs, un nouveau Livre blanc, ainsi qu’une nouvelle loi de programmation militaire, sont en cours de préparation.

Nous demandons à la Commission de la défense d’être attentive aux personnels civils lors des audiences des différentes autorités ministérielles.

Faut-il rappeler ici que les personnels de la défense, et donc les personnels civils que nous représentons, connaissent des restructurations depuis vingt ans, avec les changements de statuts de GIAT Industries et DCNS, et les réorganisations successives du ministère ? Lors des commissions de restructuration, les agents sont parfois qualifiés de « polyrestructurés ». Certes, le monde bouge, les structures doivent s’adapter et l’UNSA ne le conteste pas ; mais, pour nous, un accompagnement humain de qualité sera toujours indispensable.

Après quatre années de mise en œuvre de la loi de programmation militaire 2009-2013, loi consécutive au Livre blanc de 2008, le bilan est assez négatif pour l’UNSA-Défense. Comment pouvait-il en être autrement, lorsque l’on sait qu’il n’y a pas eu de réelle politique de conduite du changement, alors que l’on créait les bases de défense et que l’on supprimait 54 000 postes tout en maintenant un nombre très élevé d’interventions opérationnelles ? Comment pouvait-il en être autrement lorsque l’on créait des bases de défense et leurs structures de soutien avec des objectifs presque exclusivement comptables ?

Alors que son organisation était bouleversée, le ministère a cru bon de modifier fortement celle de la gestion des ressources humaines, qui aurait dû être au contraire renforcée, ou à tout le moins conservée, pour permettre une réactivité d’autant plus indispensable que l’on exigeait des personnels une mobilité interne et externe.

Il nous paraît important de souligner que le dispositif territorial est inadapté et trop complexe, en particulier pour ce qui concerne les ressources humaines. Il y a aujourd’hui deux directions des ressources humaines : la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) et la division « ressources humaines » de l’état-major des armées (EMA-RH). Comment l’accepter ?

La « civilianisation » est en panne, et trop d’agents souffrent dans un monde construit pour et autour du militaire. Pourtant, le Livre blanc de 2008 avait consacré le rôle des personnels civils dans le domaine du soutien. S’il fallait citer un seul argument, ce pourrait être celui de la stabilité des organisations : comment accepter que des organisations de service soient parfois remises en cause tous les deux à trois ans, au gré du mercato des officiers ?

Le nombre de personnels civils est en constante diminution, ce qui amène à des situations pour le moins surprenantes, notamment le recours massif à des personnels réservistes sur des fonctions de soutien. Des compétences, qu’il sera difficile de retrouver, se sont perdues ; ces pertes sont aggravées en particulier par l’interdiction de recruter des ouvriers d’État depuis 2009. C’est le cas notamment des pyrotechniciens – métier pourtant stratégique du ministère : nous n’en recrutons plus, et les effectifs commencent à manquer.

Le recours aux externalisations s’est souvent fait de façon dogmatique, sans conserver les compétences qui permettraient de vérifier les services faits sur le plan technique et financier : entre « faire » et « faire faire », on a trop souvent tranché sur des bases purement comptables. Ainsi, la gamme commerciale de véhicules, la sécurité et le gardiennage ou encore le domaine « restauration, habillement et loisirs » ont été externalisés. Ces situations se retrouvent dans des domaines plus stratégiques, et entraînent aujourd’hui la création de monopoles – EADS, Renault Trucks… Nous dénonçons donc des externalisations qui ne distinguent pas ce qui relève du soutien commun de ce qui relève du soutien opérationnel.

Concernant la civilianisation, il est important de noter que les personnels civils sont employés non pas uniquement dans le soutien au sein des bases de défense, mais aussi dans des secteurs opérationnels tels que le soutien « munitions », le service industriel de l’aéronautique (SIAé) ou la Direction générale de l’Armement (DGA), dont les méthodes de management n’ont rien à envier au secteur privé.

Sur le plan catégoriel, il nous semble important de relever le profond malaise des personnels. Lors de la précédente législature, la fonction publique avait ouvert plusieurs chantiers concernant les catégories C, puis B, et enfin A. De ces chantiers, seul celui de la catégorie B a été à la hauteur de la négociation, bien qu’il ait laissé au bord du chemin le corps des techniciens supérieurs d’études et de fabrications (TSEF), classé en catégorie C-II, ayant le niveau de la catégorie A. Je reconnais ici plusieurs parlementaires qui nous avaient apporté leur soutien sur ce point, mais l’aboutissement de ce dossier est encore aujourd’hui plus qu’hypothétique et loin des attentes et des promesses. Le chantier de la catégorie A n’a abouti qu’à la création de deux grades fonctionnels attendus par les personnels techniques depuis plus de deux ans et à l’attribution de la prime de fonction et de résultats aux administratifs. Quant aux personnels de catégorie C, pourquoi le huitième échelon des adjoints administratifs est-il un échelon au choix, contrairement à ce qui se passe pour les personnels techniques ?

Une de nos revendications est d’obtenir pour les civils un parcours professionnel leur permettant d’accéder à des postes d’encadrement dans le soutien. Bien sûr, nous entendons que les agents se forment tout au long de leur carrière pour pouvoir occuper ces postes. Mais la notion de parcours professionnel dans notre ministère concerne presque exclusivement les administrateurs civils et les personnels militaires – le directeur des ressources humaines l’a lui-même reconnu. Prétendre, comme on l’entend parfois, que c’est l’absence de mobilité des personnels civils qui freine leur accès aux postes à responsabilité est une contre-vérité : que le ministère mette en place de réels parcours professionnels avec des déroulements de carrière, et les personnels seront mobiles ! Notons aussi que les restructurations, si elles touchent les agents, ont de fortes conséquences pour leurs familles, comme c’est le cas pour nos collègues militaires.

Plus que tous les autres, les agents de la catégorie A sont victimes du refus de civilianiser les postes de soutien. Pourtant, dans leurs fonctions de cadres, ils sont en première ligne dans la mise en œuvre des réformes, face aux agents qu’ils encadrent, sous la pression de leur hiérarchie qui leur fixe des objectifs de résultats, et dans un contexte budgétaire qui amène leurs rémunérations à baisser. L’UNSA-Défense a des projets pour promouvoir ce corps afin qu’il puisse intégrer un corps interministériel. Nous comptons sur votre Commission pour soutenir ces propositions, que nous pourrons vous détailler par ailleurs.

Enfin, ne devient-il pas urgent de revoir les montants des remboursements des missions et stages qui n’ont pas été réévalués depuis 2003 ? Ils représentent aujourd’hui 60 euros la nuit à Paris, avec le petit-déjeuner, et 15,25 euros le repas. Ces remboursements sont aujourd’hui l’une des causes du refus de certains agents de se former, ou au moins l’une des difficultés qu’ils rencontrent.

Nous ne pouvons que souligner que la politique salariale démotive les agents : les rémunérations – point d’indice et bordereau ouvrier – sont gelées depuis trois ans et ce gel a été confirmé pour 2013, et même 2014 si l’on en croit les propos entendus. Pourtant, la masse salariale du ministère de la défense a augmenté d’un milliard d’euros ! Comment ne pas alors comprendre l’exaspération des personnels civils face à cette iniquité de traitement ? Ils se demandent où est passé ce milliard d’euros.

Nous vous savons attentifs au dialogue social, et cette audition le montre. Nous prenons acte des chantiers lancés par l’actuelle équipe gouvernementale tant au sein de la fonction publique sous l’égide de Mme Lebranchu qu’au ministère de la défense sous l’autorité de M. Le Drian. Mais nous mettons en garde : pour l’UNSA-Défense, parler est une chose, se concerter en est une autre et négocier une troisième. La précédente équipe gouvernementale n’avait jamais caché que, pour elle, le dialogue social se limitait à se réunir et à parler. Le président Hollande a fixé des objectifs ambitieux en termes de dialogue social. L’UNSA en accepte le principe et se veut un acteur constructif. Mais le dialogue social doit aller jusqu’à la négociation, y compris au sein du ministère de la défense qui y est peu habitué. Là encore, votre Commission doit jouer, selon nous, un rôle important de contrôle. Car si in fine le dialogue social se limitait de nouveau à un dialogue de sourds, c’est toute la crédibilité du Gouvernement en la matière qui serait atteinte, et probablement aussi celle des organisations syndicales qui se seraient inscrites dans cette démarche.

Nous avons noté les propos tenus par M. Le Drian dimanche matin : « Il ne faut pas rajouter des réformes aux réformes. Il faut retrouver de la sérénité ». Il faut donc de la stabilité. Que le ministre tienne ses propos est un acte fort. Mais l’UNSA-Défense sait très bien qu’entre les propos ministériels et les actes sur le terrain, il y a souvent une marge. Il appartient donc selon nous à votre Commission de veiller à la mise en application des lignes politiques décidées par le ministre.

Nous vous demandons donc, mesdames, messieurs les parlementaires, d’avoir le souci permanent des conditions réservées aux personnels civils au ministère de la défense.

Concernant le Livre blanc et la future loi de programmation militaire, nous ne reviendrons pas sur les travaux que nous avons fournis à la commission chargée de la rédaction du Livre blanc. Nous souhaitons pouvoir également faire part de nos propositions aux parlementaires chargés de préparer la future loi de programmation. Mais nous ne pouvons que partager les propos tenus récemment par Mme Patricia Adam : les conflits en cours nécessitent de prévoir les financements nécessaires correspondants. Et là encore, citons le ministre : « La défense doit participer à l’effort budgétaire, mais pas plus que les autres ». Or, en 2013, la défense participera à hauteur de 65 % aux réductions d’effectifs des agents de la fonction publique, alors qu’elle ne représente que 12 % des agents.

Enfin, nous insistons sur le fait qu’il devient plus qu’urgent de clarifier la place des personnels civils au sein de l’institution et de s’en tenir à cette position. Nos collègues nous font souvent part de leur sentiment que l’on fait peu de cas de leur travail, par exemple dans les publications internes au ministère. Il s’agit de dresser un état des lieux, et pas forcément de rappeler le rôle qu’ils devraient tenir, car pour cela il suffirait de relire les paragraphes concernés du Livre blanc de 2008, les précédents rapports parlementaires ou encore l’instruction ministérielle de 1999 relative aux personnels civils dans la défense. Pour l’UNSA-Défense, votre Commission a un rôle majeur à jouer. Certes, les rapports établis ces cinq dernières années, notamment par MM. Cazeneuve et Cornut-Gentille, ont établi certains constats. Mais force est de constater que l’exécutif n’en a pas toujours tenu compte : cela est inacceptable.

L’UNSA-Défense vous demande donc solennellement de commander un rapport sur les personnels civils du ministère de la défense – non pas, encore une fois, pour débattre du positionnement relatif des uns et des autres, mais pour dresser un bilan de leur réelle situation, de l’utilisation de leurs compétences, de leurs conditions de travail et souvent de leurs souffrances, afin de leur ouvrir des perspectives. Les personnels civils ne sont pas dogmatiquement opposés aux réformes, mais ils n’y adhèrent que lorsqu’elles ont un sens, que si leur efficacité est évaluée et qu’ils ressentent une certaine considération.

Encore une fois, nous vous remercions de cette initiative de dialogue social au sein de votre commission.

M. Philippe Nauche, président. La Commission a choisi de prolonger la mission menée par MM. Cazeneuve et Cornut-Gentille : elle est maintenant confiée à Mme Geneviève Gosselin et à M. Damien Meslot.

Vous avez raison d’insister sur la nécessité d’offrir aux agents des perspectives à moyen et à long terme : ce sont elles qui donnent sens à leur action quotidienne.

M. Joaquim Pueyo. Nous avons entendu votre inquiétude pour l’avenir des personnels civils du ministère de la défense. La question de l’externalisation – qui ne concerne pas le seul ministère de la défense – est très sensible pour les organisations syndicales ; c’est un sujet important qui sera abordé par la prochaine loi de programmation militaire. Quel bilan peut-on tirer des externalisations qui ont été mises en œuvre ? Quelles fonctions peut-on, et quelles fonctions ne peut-on pas, externaliser ?

Par ailleurs, les montants de remboursements que vous avez cités ne concernent-ils pas l’ensemble de la fonction publique ?

M. Bruno Jaouen. Ils concernent effectivement toute la fonction publique.

Les personnels civils de la défense ne sont pas dogmatiques : si l’on nous démontre que l’externalisation coûte vraiment moins cher, nous sommes prêts à l’accepter. Mais le ministère y a souvent eu recours de façon irréfléchie, comme le montre le retour en arrière que nous sommes obligés d’effectuer pour la gamme commerciale de véhicules, qui est sans doute onéreux. C’est pourquoi nous insistons fortement sur la nécessité d’une évaluation, notamment financière : certains services, parce que les compétences se sont perdues, sont aujourd’hui amenés à externaliser certaines fonctions alors même que cela revient plus cher.

Dresser une liste de ce qui pourrait être externalisé ne paraît pas souhaitable, et ce n’est certainement pas notre rôle. La limite à ne pas dépasser, c’est pour nous celle de l’efficacité opérationnelle et de la capacité de réaction de notre armée : il serait impensable d’externaliser la maintenance de munitions.

M. Laurent Tintignac, secrétaire national des ouvriers de l’État. Nous nous sommes nous aussi adaptés, contraints et forcés, au discours sur les externalisations. D’expérience, nous séparons celles-ci en deux grands domaines : ce qui relève du soutien commun et ce qui relève directement du soutien à l’opérationnel. Nous essayons de conserver une frontière nette entre ces deux domaines.

Les externalisations devraient obéir à quatre principes, qualifiés de « principes de base » par le ministère même : elles ne doivent pas affecter les compétences propres ; elles doivent représenter un gain économique réel et avéré ; la capacité opérationnelle doit être préservée ; ces externalisations ne doivent pas conduire à la création de situations de monopole.

Malheureusement, le ministère a souvent agi de façon dogmatique, et nous n’avons guère de retour d’expérience, ou alors trop tard pour permettre un retour en arrière, car les compétences se sont perdues. Nous apprenons que le ministère de la défense s’apprête à racheter 18 000 véhicules de la gamme commerciale : ce travail ne peut plus être fait aujourd’hui dans ses garages.

Ainsi, des monopoles ont bel et bien été créés, puisqu’EADS fabrique aujourd’hui des avions de transport, assure la formation des pilotes et l’entretien des appareils. Si ce n’est pas un monopole, cela y ressemble étrangement ! On pourrait citer bien d’autres exemples.

De plus, ces externalisations ont pour conséquence de faire encore diminuer les effectifs de personnels civils du ministère.

M. Bruno Mésange, trésorier de la fédération UNSA-Défense. Lorsque le ministère achète par exemple aujourd’hui des véhicules de la gamme Scania, seul l’industriel peut réparer ces véhicules (valise diagnostique qui permet de remettre en route le véhicule après réparation) – comme c’est le cas pour n’importe quelle voiture privée récente. Si l’un d’entre eux tombe en panne lors d’une opération extérieure, il restera sur le bord de la route !

Le domaine opérationnel est donc touché : il nous semble que ces externalisations ne sont pas compatibles avec la mission confiée aux militaires. Nous ne savons plus aujourd’hui fabriquer des véhicules terrestres de la gamme commerciale de transport et nous achetons « sur étagères ». Or les véhicules que nous achetons présentent peu de caractéristiques militaires, par exemple le blindage : toutes les caractéristiques actuelles des gammes commerciales sont présentes sur nos véhicules. Un véhicule défaillant qui polluerait pourrait-il être limité à une vitesse maximum de 25 km/h sur un théâtre d’opérations militaires, sous le feu de l’ennemi ?

M. Christophe Guilloteau. C’est la première fois que la Commission de la défense, dont je suis membre depuis de nombreuses années, auditionne les organisations syndicales de façon séparée. Cette initiative, dont vous pouvez remercier la présidente de la Commission, nous permet de travailler en partenariat avec vous, ce dont je me félicite.

En 2010, l’armée comptait 242 366 personnels militaires pour 69 990 personnels civils, hors gendarmerie. Sachant que le format de l’armée diminue – et selon le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale cette déflation devrait se poursuivre – quel serait pour vous le juste nombre de personnels civils ? Il est légitime que vous défendiez vos intérêts, mais l’évolution de la société nous conduit à externaliser et à mutualiser. Ne pensez-vous pas que la diminution du format de l’armée entraînera indubitablement celle du personnel civil ?

M. Bruno Jaouen. Nous avons remercié Mme Patricia Adam d’avoir organisé ces audiences bilatérales, plus intéressantes en effet que les auditions regroupant l’ensemble des syndicats. Nous souhaitons que ces échanges soient réguliers et surtout suivis d’effets.

J’en viens au nombre de personnels civils au sein du ministère. Nous sommes effectivement dans une logique de déflation d’effectifs et nous le savons. Si nous vous répondions en citant tel ou tel pourcentage, nous serions en contradiction avec notre souci d’éviter tout ce qui pourrait accentuer la défiance entre personnels civils et militaires.

Il s’agit pour nous non pas d’augmenter le nombre de personnels civils par rapport au nombre de militaires, mais de distinguer les missions qui relèvent du soutien – et qui à ce titre doivent être confiées à des personnels civils – et les missions opérationnelles qui relèvent des militaires, étant entendu que ceux-ci ne se trouvent pas en permanence sur les théâtres d’opérations et doivent occuper des postes qui pourraient être confiés à un civil. Il est important d’évaluer le rôle des personnels civils et de leur proposer des parcours professionnels.

Actuellement, les personnels civils effectuent l’ensemble de leur carrière au ministère de la défense. Il n’est pas interdit d’imaginer qu’ils pourraient travailler dans d’autres ministères.

Le ministre de la défense du précédent Gouvernement, Hervé Morin, avait évalué à 60 % de civils et 40 % de militaires les besoins en personnels relevant du soutien. Ce taux a probablement été atteint dans certaines bases de défense, mais il concerne généralement les personnels d’exécution, ce qui explique le malaise des cadres. S’agissant des agents de catégories B et A, ce taux n’était que de 10 ou 15 %.

M. Bruno Mésange. Il est effectivement nécessaire de définir, pour chaque poste, s’il nécessite des compétences militaires ou civiles. C’est cette notion qui nous pose un problème, car certains postes, par exemple la gestion des personnels civils, sont pourtant occupés par des militaires. Pourquoi tous les services RH des bases de défenses défense sont-ils tenus par des militaires ? Est-ce leur cœur de métier ? La DGA, mis à part l’encadrement militaire, ne comprend pratiquement que des civils et nous n’avons pas les soucis que l’on connaît en base de défense.

Aujourd’hui notre place, à nous personnels civils, est celle que veulent bien nous laisser nos collègues militaires. Nous n’arrivons pas à pénétrer l’encadrement. Pourquoi le patron d’un groupement de soutien de base de défense (GSBdD) serait-il un militaire (4 postes de civils sur 51) ? Parce que la prise de fonction passe par une prise d’armes essentiellement militaire deux fois par an ?

M. Laurent Tintignac. Le recensement des personnels civils au sein de l’institution de la défense, qui a été établi il y a un an à l’occasion des élections, évaluait notre nombre à 67 000. Sachant que nous avons perdu près de 2 000 personnes, on peut évaluer entre 64 000 et 65 000 l’effectif des personnels civils du ministère de la défense.

Comme l’a indiqué Bruno Jaouen, nous n’entendons pas quantifier le ratio entre les personnels civils et les militaires ; simplement nous rappelons la doctrine actuellement en vigueur selon laquelle le soutien relève des personnels civils et l’opérationnel des militaires. Il importe de bien définir ce qui relève du soutien et ce qui relève de l’opérationnel. Or il existe un dogme au sein de la défense qui consiste à dire qu’en termes de soutien, tout ce qui peut être fait ailleurs ou en dehors de la défense sera forcément mieux fait.

Selon le rapport de la Cour des comptes, malgré la déflation du nombre de personnels civils – 23 000 personnes ont quitté l’institution depuis 2009 –, la masse salariale de la défense a augmenté d’un milliard d’euros ! Cette réalité est totalement incompréhensible pour les personnels de la défense, d’autant que, dans le même temps, nos rémunérations, hors pensions, ont été gelées.

M. Philippe Folliot. Je me félicite à mon tour du format de notre rencontre et de vos réponses, qui témoignent de votre sens des responsabilités. Tous les personnels, qu’ils soient civils ou militaires, participent au service public de la défense : cette réalité doit nous amener à éviter toute forme de dogmatisme.

Votre position est effectivement difficile, car la réduction des personnels civils se fait au profit non seulement de personnels militaires, mais également d’externalisations vers le secteur privé, voire vers d’autres administrations.

Pour le député centriste que je suis, la notion de pragmatisme doit prévaloir en la matière. Lors de l’examen de la précédente loi de programmation militaire, j’avais déposé un amendement visant à externaliser en totalité la fonction restauration. Mais peut-on laisser les militaires intervenir sur un théâtre d’opérations si leur service de restauration est assuré par une société privée ? Ce n’est pas envisageable. Il convient en la matière d’adopter une position modérée et non de chercher à définir un chiffre global.

M. Bruno Jaouen. Les personnels civils sont au service des militaires sur le terrain, nous n’avons pas d’état d’âme sur ce point.

M. Bruno Mésange. Lorsque nous avons dénoncé l’externalisation de la restauration – à laquelle nous préférions la mutualisation –, nous avons demandé des chiffres au ministère de la défense, mais nous ne les avons jamais obtenus. Par la suite, sous le ministère de M. Hervé Morin, une expérimentation comparative a été menée dont les résultats montraient que la mutualisation était moins coûteuse. L’externalisation coûte également plus cher au personnel puisqu’elle a multiplié par deux, voire par trois, le prix des repas. Si le ministère gagne à externaliser telle ou telle fonction pour réduire le niveau des rémunérations et des charges sociales, les personnels et le service rendu, eux, sont perdants.

M. Alain Rousset. Une réflexion globale sur le cœur de métier des personnels civils doit être engagée, notamment s’agissant du maintien en condition opérationnelle (MCO) de nos armes. Nous avons réalisé une étude à l’atelier industriel de l’aéronautique (AIA) de Florac comparant le coût de maintenance des moteurs lorsque celle-ci est externalisée et lorsqu’elle a été conservée au sein de l’AIA. Moyennant certaines modifications de l’organisation des process, les avantages de conserver la réparation des moteurs à l’AIA sont considérables. Car en cas de panne, l’opérateur propose de changer totalement ou de réparer l’un des éléments du moteur dans sa globalité, ce qui représente un coût beaucoup plus élevé. En outre, l’externalisation de la maintenance de certains avions de transport au Portugal a pénalisé la disponibilité de ces avions.

Pour une organisation syndicale comme la vôtre, quelles sont les activités stratégiques ? À l’évidence, l’activité de maintien en condition opérationnelle des moteurs du Rafale, du Mirage ou d’autres matériels terrestres n’est pas comparable à la restauration. J’invite les organisations syndicales à réfléchir à la définition du cœur de métier avant d’entreprendre des discussions avec le ministère de la défense, à qui il incombe de veiller au maintien en condition opérationnelle de l’armée, de limiter son budget et d’assurer la disponibilité du matériel sur les théâtres d’opérations. À cet égard, nous tirerons un enseignement des opérations qui se déroulent actuellement au Mali, après celles de Lybie.

M. Laurent Tintignac. Si vous voulez nous faire dire que le MCO doit rester au cœur de métier du soutien à la défense, vous êtes au cœur du problème, monsieur le député. Mais le soutien opérationnel met en concurrence deux logiques : celle du ministère de la défense et celle des industriels du secteur privé, qui recherchent le profit et la rentabilité. Or aujourd’hui, ce sont eux qui fabriquent les matériels utilisés par les armées, tandis que le ministère se positionne plutôt sur le soutien. Le fait de savoir que les constructeurs, qui sont à la fois concepteurs et fabricants de ces matériels, peuvent à tout moment en récupérer l’entretien, est une formidable incitation à la performance industrielle pour les AIA et le service industriel de l’aéronautique (SIAé).

Le soutien opérationnel est beaucoup plus économique s’il est réalisé en régie étatique que s’il est externalisé. Je prendrai l’exemple du Mirage 2000N 234 qui s’est crashé en bout de piste. Qualifié d’épave par le constructeur, Dassault – ce qui lui aurait permis de vendre un avion neuf –, il a été réparé par le SIAé pour un dixième du prix d’un avion neuf et il est aujourd’hui en service.

M. Alain Rousset. Le problème des AIA est récurrent. La simple défense syndicale du statut et du nombre de postes ne suffit pas face à des arbitrages politiques et financiers. Il faut vous appuyer sur un modèle parfaitement défendable, tant sur le plan social que sur les plans économique et militaire. Après avoir défini le cœur de métier et son économie, il est indispensable de maintenir les AIA, car lorsque les compétences sont perdues nous ne les retrouvons pas. Quant aux constructeurs, ils ne proposent pas de maintenance mais un déverminage, et uniquement dans les deux premières années de l’appareil.

M. Laurent Tintignac. Comme vous l’avez remarqué, nous essayons de sortir du dogme des organisations syndicales arc-boutées sur des principes désuets et qui voudraient maintenir une activité en dépit du bon sens.

M. Bruno Mésange. Votre propos me surprend, monsieur Rousset. J’ai eu l’occasion d’acheter à un industriel du matériel et le maintien en condition opérationnelle de niveau II et III (MCO). Le contrat prévoyait le renouvellement de la maintenance. J’avais cru comprendre que le ministère de la défense souhaitait engager des contrats de MCO afin d’éviter les pics de dépenses dus aux renouvellements des contrats. J’ai notamment contractualisé un marché avec Renault Trucks qui prévoyait dix ans de maintenance – réparations, pièces détachées et maîtrise technique – pour un coût de 160 millions d’euros (pour 10 ans).

J’ai également participé à ce même type de contrat sur des moteurs d’hélicoptère Turbomeca. Propriété de l’armée francaise, ces moteurs étaient spécifiquement militaires ; depuis le contrat de MCO contractualisé auprès de Turboméca, ce n’est plus le cas.

Le coût des contrats de maintenance a été multiplié par six par rapport aux anciens, mais on l’a permis !

M. Alain Rousset. Il est vraisemblablement compliqué de « réinternaliser » les activités de maintenance des moteurs d’hélicoptère. Cela dit, le fait d’utiliser les mêmes moteurs pour les hélicoptères civils et militaires ne me semble pas poser de problème, sauf si survenait un durcissement dû à une situation de conflit. Je note que le modèle économique des AIA est pertinent, en plus d’être social et opérationnel.

M. Jean-Pierre Maggi. J’ai été président de SDIS et je dois avouer que, s’agissant de l’encadrement, les pompiers passaient avant les personnels administratifs et techniques. Il est important de trouver un équilibre.

Toutes les collectivités pratiquent les externalisations. Dans le domaine de la défense, il faut simplement savoir quelles sont celles qui pourraient mettre en danger l’outil de défense.

Je suis député depuis peu : serait-il possible, monsieur le président, d’établir un lexique de tous les sigles et formules utilisés par la Commission de la défense ?

M. Philippe Nauche, président. Vous avez exprimé le vœu d’une mission d’information sur le devenir des personnels civils : ce sujet est prévu dans le cadre de la mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense qui succède à celle de la précédente mandature.

Pour conclure, messieurs, quelle est votre position sur l’équilibre à trouver entre militarisation, externalisation et civilianisation d’un certain nombre de fonctions ? Je pense pour ma part qu’il faut observer la situation globalement et pas uniquement d’un point de vue strictement défensif. Il me semblerait pertinent d’étudier les redistributions qui pourraient se produire.

Pouvez-vous nous indiquer, dans un document complémentaire, quelles sont les compétences dont la disparition nous priverait de capacités de maintenance à brève échéance, c’est-à-dire dans les trois ou quatre ans qui viennent ?

M. Bruno Jaouen. L’échéance est encore plus courte. Jean-Yves Le Drian a ouvert des chantiers de dialogue social, dont l’un consacré aux ouvriers d’État. Il voudrait exclure les métiers stratégiques du moratoire qui a été mis en place en 2009 pour les ouvriers d’État. La discussion est en cours.

J’ai évoqué les personnels pyrotechniciens, qui sont véritablement le cœur de métier du secteur munitions. Compte tenu des derniers départs en retraite, le problème de la disparition de compétences se pose dès aujourd’hui. La difficulté de recruter des pyrotechniciens est telle que le ministère envisage de recourir à des contractuels.

Nous répondrons ultérieurement à votre question concernant les métiers stratégiques dont le non-renouvellement pourrait poser des problèmes.

M. Philippe Nauche, président. Il n’est pas inquiétant de perdre des compétences en matière de restauration collective, car nous pouvons les retrouver facilement, mais ce n’est pas le cas dans d’autres domaines.

M. Bruno Jaouen. En effet, lorsque nous voulons recruter quatre artificiers, nous ne pouvons pas nous adresser à Pôle Emploi.

Rien n’empêche le ministère de définir des postes mixtes, qui seraient ouverts à la fois à un militaire et à un civil. Une affectation de quatre ou six ans sur un tel poste permettrait à un militaire de respirer après une intervention sur un théâtre d’opérations.

M. Laurent Tintignac. La perte de compétences induit des externalisations, qui elles-mêmes accélèrent le processus de perte de compétences. Les industriels ne sont pas intéressés par la maintenance dans la deuxième partie de vie des matériels, d’où l’utilité du MCO au sein des établissements de la défense.

La situation est tendue dans l’institution défense. Force est de constater que celle-ci a tendance à entretenir une opposition malsaine entre personnels civils et personnels militaires. Certes, cette situation est plus criante dans certains secteurs. Le militaire a tendance à protéger l’institution militaire, au détriment des personnels civils, et les restructurations permanentes ne font que conforter cette situation. Nous avons dénoncé à plusieurs reprises le recours abusif à des personnels militaires pour des postes de soutien pur, normalement dévolus aux personnels civils qui vivent de plus en plus mal cette tendance.

M. Sylvain Berrios. Je suis membre de la Commission du Livre blanc. Les syndicats ont-ils été entendus de façon séparée et avez-vous remis votre rapport ?

M. Laurent Tintignac. Nous avons été reçus séparément, comme nous le sommes par votre commission, et nous avons remis notre rapport.

M. Bruno Mésange. La DGA a tout externalisé – la restauration, les espaces verts, le gardiennage – pour ne conserver que la mission régalienne. Or nous entendons parler de nouvelles suppressions d’emplois. Cela se traduira de fait par une ou des fermetures d’établissements de la DGA. Quelle mission celle-ci va-t-elle considérer comme étant régalienne ?

L’intervention française au Mali oblige les personnels à réagir. Vous pouvez considérer que ceux-ci sont trop nombreux, mais face à une situation critique, ils doivent adapter des matériels militaires qui n’ont pas été initialement prévus pour cela, et cela dans des délais fortement contraints.

Si une diminution des effectifs de la DGA se produit, ne pouvant réduire les moyens consacrés au soutien, il faudra couper dans les missions régaliennes. Sera-t-on capable de doter de blindage des véhicules en confiant l’exclusivité de ma mission à un industriel sans aucun contrôle de l’État. Nous découvrirons alors tel ou tel problème matériel au cours d’une opération. Lorsque nous sommes partis en Afghanistan, aucun de nos camions de transport n’était équipé d’une cabine blindée. Nous avons dû nous adapter rapidement et faire preuve de réactivité au service de l’opérationnel.

M. Philippe Nauche, président. Je vous remercie, messieurs. Nous avons apprécié de pouvoir discuter librement avec vous.

La séance est levée à dix-huit heures quarante.

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Information relative à la Commission

Les états-majors des armées de terre et de l’air et de la marine nationale ont préparé des programmes pour 2013 de stages d’immersions permettant, aux députés qui le souhaiteraient, une acculturation aux affaires militaires, des démonstrations dynamiques et une rencontre avec les hommes et les femmes travaillant sur les bases dans les territoires.

Ces programmes, pour les trois armées, ont été communiqués aux députés de la commission par messagerie électronique. Les candidatures doivent être signalées au secrétariat de la Commission (commission.defense.sec@assemblee-nationale.fr / tél : 01.40.63.41.11 / 12).

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Membres présents ou excusés

Présents. – M. Sylvain Berrios, M. Philippe Folliot, M. Christophe Guilloteau, M. Jean-Pierre Maggi, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, M. Joaquim Pueyo, M. Alain Rousset, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, Mme Patricia Adam, M. François André, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, M. Lucien Degauchy, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Marleix, M. Philippe Meunier, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé, Mme Paola Zanetti