Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 23 janvier 2013

Séance de 11 heures 45

Compte rendu n° 41

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, sur la situation au Mali

— Informations relatives à la commission 9

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

Mme la présidente Patricia Adam. Je remercie M. le ministre de la défense, dont l’agenda est particulièrement contraint, de sa présence aujourd’hui parmi nous. Cette audition se déroulant à huis clos, je vous rappelle, mes chers collègues, que la discrétion est de mise. La réussite de l’opération est en jeu et surtout la vie de nos soldats sur le terrain.

Le Bureau de la commission a proposé la création d’une mission de suivi de l’opération Serval au Mali, comme ce fut le cas pour les opérations menées en Afghanistan. Les présidents des groupes politiques en désigneront les membres et, compte tenu de son caractère exceptionnel, j’en assurerai moi-même la présidence. Les deux corapporteurs, qui pourraient être M. Philippe Nauche et M. Christophe Guilloteau, appartiennent respectivement aux deux groupes majoritaires, le groupe SRC et le groupe de l’UMP. Nous avons tous trois proposé cette répartition qui assure la meilleure parité possible. Les autres groupes politiques seront bien entendu représentés selon la répartition habituelle.

L’audition de M. le ministre de la défense était, pour d’évidentes raisons, très attendue par notre commission ; mais M. le ministre ne peut bien entendu être partout à la fois. Nous avons donc d’abord auditionné, conjointement avec la commission des affaires étrangères, M. Fabius la semaine dernière. Par courrier, monsieur le ministre, je vous ai fait part d’une demande, conforme aux souhaits du Président de la République et du Premier ministre, d’organiser un point d’information hebdomadaire de la commission de la défense sur l’opération en cours, soit en votre présence, soit avec un représentant de l’état-major.

Nous sommes tous très sollicités sur cette opération, notamment par les médias. À ce sujet, j’ai été choquée par certaines déclarations faisant état d’une « impréparation » : elles sont une forme d’insulte à l’égard de nos forces militaires et de notre état-major, qui, de fait, se préparent depuis longtemps. Je remercie d’ailleurs l’ensemble des collègues qui, toutes sensibilités politiques confondues, se sont exprimés avec responsabilité. Nos forces auront en effet besoin du soutien de toute la nation.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Je suis heureux d’avoir l’occasion de faire ce point d’étape devant vous, et vous redis ma disponibilité, en dépit des contraintes de mon emploi du temps, pour un rendez-vous hebdomadaire : l’information des commissions de la défense de l’Assemblée et du Sénat est bien entendu une priorité. Compte tenu de l’importance de la bataille de l’information, je souhaite néanmoins, chacun le comprendra, que ces réunions aient lieu à huis clos.

Sur leurs bandeaux défilant, certaines chaînes d’information en continu ont fait état d’événements qui n’avaient pas eu lieu ou de proclamations qui n’engageaient que leurs auteurs, de surcroît restés anonymes. Ainsi, contrairement à ce que l’on a pu lire ou entendre, il n’y a jamais eu de frappes sur Kidal, non plus que de combats « au corps à corps » à Diabali. Seules les informations validées par l’état-major des armées (EMA) doivent être prises en compte, qu’il s’agisse de celles données par l’adjoint du chef d’état-major des armées à l’occasion des trois points de presse techniques hebdomadaires, ou de celles délivrées sur place, à Bamako. J’ajoute que les groupes terroristes, dans cette bataille de l’information, jouent leur propre jeu. En plus de nos réunions régulières, je me tiens bien entendu à votre disposition pour vous donner, autant que faire se peut, tous les compléments que vous souhaiteriez.

Je ne reviendrai pas sur l’historique, l’ayant déjà fait la semaine dernière dans l’hémicycle à l’occasion du débat sans vote ; la veille, j’avais d’ailleurs donné toutes les informations aux présidents des commissions et des groupes. Nos forces, je le rappelle, se sont vu confier quatre missions. La première est d’aider les forces armées maliennes à stopper la progression des groupes terroristes vers le sud, que ce soit par des frappes aériennes – de notre aviation de chasse comme de nos hélicoptères – sur des cibles identifiées ou le déploiement de troupes au sol, les premières appuyant les secondes. La deuxième est la destruction des bases arrière – dépôts d’essence ou de munitions, centres d’entraînement, infrastructures diverses –, comme nous l’avons fait à Gao et à Tombouctou, afin d’empêcher les groupes terroristes de se reconstituer. Il s’agit, en troisième lieu, de soutenir la stabilité du Mali et de ses institutions, notamment par une présence à Bamako, laquelle nous permet aussi d’assurer la sécurité de nos ressortissants comme de ceux, peu nombreux, de l’Union européenne. La quatrième mission, enfin, est de favoriser l’accélération du déploiement des forces armées africaines de la Mission internationale de soutien au Mali, la Misma, autour de l’état-major nigérian installé à Bamako, et d’aider à la mise en œuvre rapide de la mission européenne de formation et d’encadrement de l’armée malienne, dite « EUTM Mali », puisque la France en est la nation cadre.

À l’heure où je vous parle, 2 600 militaires sont déployés au Mali dans un dispositif associant forces terrestres et aériennes. Le commandement de l’opération Serval est assuré au niveau stratégique, à Paris, par le Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), et au niveau opératif par le général de Saint-Quentin, qui rejoindra prochainement à Bamako son second, le général Barrera.

J’en viens à l’analyse tactique de la situation. Les groupes terroristes étaient entrés, au sud, en empruntant les voies est et ouest, avant que nos troupes ne les bloquent à Konna. Sur le fuseau ouest, des coups sévères ont été portés par des avions de chasse et des hélicoptères français, en particulier sur la katiba d’Abou Zeid, leader d’Aqmi dans la zone de Diabali. Les forces maliennes, appuyées par les françaises, ont repris cette ville après le repli des groupes terroristes défaits vers Léré, Tombouctou ou la forêt de Ouagadou, zone très vaste, située à l’ouest, où il est très difficile de les repérer. Lorsque ces groupes n’ont pas réussi à se mêler à la population dans des lieux précis, ils se dispersent dans différentes directions.

Sur le fuseau est, Mopti, Sévaré et Konna sont désormais tenus par l’armée malienne, avec notre soutien. Nous avons aussi aidé les forces maliennes à reprendre la ville de Douentza, qui était contrôlée depuis quatre ou cinq mois par le groupe Mujao, lequel s’est replié vers l’est, comme Ansar Dine.

Le mouvement des troupes du Mujao se poursuit vers Gao et Ménaka ; Aqmi, pour sa part, semble privilégier le sanctuaire de Tombouctou.

Nous poursuivons les frappes visant les capacités des groupes terroristes sur l’ensemble du territoire malien, car il s’agit avant tout d’une guerre de mouvement. La montée en puissance du dispositif aéro-terrestre se poursuit ; notre principale priorité, d’ordre tactique, technique et diplomatique, est maintenant d’assurer celle de la force africaine, à qui il reviendra de contrôler le territoire aux côtés de l’armée malienne constituée.

Des unités togolaises, béninoises, nigérianes et sénégalaises sont aujourd’hui déployées sur le sol malien, pour un total d’environ 1 000 soldats africains ; le Burkina Faso, de son côté, vient d’envoyer des unités installées à Markala. La Misma, que l’état-major nigérian a pour mission de structurer, est donc en cours de constitution ; elle aura à prendre le relais sur les territoires dont nous prenons le contrôle en appui des forces maliennes.

Le Niger et le Tchad ont eux aussi confirmé leur participation ; l’armée tchadienne a d’ores et déjà diligenté un peu plus de 600 éléments au Niger. Cette mobilisation, que le Tchad annonce substantielle – notamment en matériels –, va se poursuivre, mais les transports et l’organisation logistique réclament évidemment du temps.

Le transport des forces africaines, qui manquent singulièrement de moyens en ce domaine, mais aussi des matériels, y compris français, est assuré avec la participation active de nos alliés européens – Britanniques, Danois, Belges, Allemands et Espagnols –, américains et canadiens.

Samedi dernier, les chefs d’État et de Gouvernement des pays africains concernés, réunis à Abidjan, ont chaleureusement salué l’initiative française et réaffirmé leur volonté de participer à la Misma. Par ailleurs, la conférence des donateurs de la Misma, dont la mise en place nécessite du temps, se tiendra mardi 29 janvier prochain à Addis-Abeba.

Le ministre des affaires étrangères et moi avons fait savoir au Président Traoré qu’il était temps, pour lui, de présenter une feuille de route précisant ses objectifs politiques, une fois l’intégrité du territoire assurée par la Misma et avant l’ouverture de la période électorale. Ce message semble avoir été entendu.

À une ou deux exceptions près, l’ensemble des pays du monde, y compris la Russie, soutiennent l’opération : le secrétaire général des Nations unies l’a dit et répété.

Telles sont, mesdames et messieurs les députés, les informations dont je disposais avant le Conseil des ministres de ce matin ; a priori, il n’y a pas eu d’éléments nouveaux depuis deux heures.

Mme la présidente Patricia Adam. Qu’en est-il des otages ?

M. le ministre. La situation n’a pas évolué, ni dans un sens, ni dans l’autre.

M. Philippe Vitel. L’impréparation, madame la présidente, n’a pas été militaire mais politique : nous savons nos troupes parfaitement formées et préparées depuis le mois de mars dernier. En revanche, notre pays n’est pas parvenu à mobiliser ses alliés au sein d’une coalition européenne : quoi que vous en disiez, monsieur le ministre, la France est encore seule sur le terrain.

Plusieurs pays se mobilisent, en particulier pour les transports ; un centre d’appel a été mis en place à l’état-major de l’Union européenne à Bruxelles afin de coordonner les demandes des pays africains en fonction des avions disponibles ; mais, à en croire certaines informations, les Américains factureraient leurs prestations et les Anglais, dans le cadre du système ATARES – Air Transport, Air-to-Air Refuelling and other Exchanges of Services –, évoquent des échanges selon lesquels, par exemple, une heure de C-17 équivaudrait à cinq heures de C-130. Cet étonnant système marchand semble devoir se mettre en place alors que l’opération Serval, à vous entendre, n’engendrerait, en surcoût d’Opex, que 8 millions d’euros par mois. Cela semble bien peu, au regard des 45 millions engagés tous les mois en Afghanistan, et compte tenu du nombre de soldats engagés comme des moyens qu’il faudra mobiliser sur ce terrain très vaste. Pourriez-vous nous apporter des précisions sur ce point ?

M. Nicolas Bays. Je remercie le ministre de la défense et son cabinet, ainsi que le ministre des affaires étrangères, pour leur disponibilité. Je salue également l’engagement du Président Hollande, qui a su intervenir au Mali le premier – et non seul, comme certains aimeraient le faire croire.

A-t-on une idée des types d’armement dont disposent les terroristes, et de la provenance de ces armements ? Les médias ont largement évoqué la piste libyenne : la confirmez-vous ?

Quels sont les pays qui se sont d’ores et déjà engagés à participer à la réunion des contributeurs ? Qui gérera le fonds ?

La presse s’est enfin fait l’écho d’un éventuel soutien de la Russie : qu’en est-il ?

M. Marc Laffineur. Nous sommes fiers de l’engagement de nos soldats et le soutenons sans réserves. Reste que notre pays ne peut demeurer seul sur un théâtre aussi vaste, d’autant que celui-ci s’étendra aux pays voisins où les terroristes trouveront refuge : il faudra bien, dans les semaines et les mois qui viennent, poser la question des alliances. Les armées africaines qui nous soutiennent, on le sait, ne sont pas toujours d’une grande efficacité. Pourtant, en termes de matériels ou de renseignement, il faudra des moyens considérables. Nos lacunes, en ce qui concerne notamment les drones, rendent nécessaire l’aide des États-Unis et du Royaume-Uni ; or le second ne s’engagera sans doute pas si les premiers ne le font d’abord. Ces réticences ne sont-elles pas le prix du non-respect des termes de nos alliances en Afghanistan ? Enfin, combien de militaires français seront-ils mobilisés à terme ? De fait, ils sont déjà presque aussi nombreux qu’en Afghanistan.

M. le ministre. Monsieur Vitel, c’est la France qui, par la voix du Président de la République à l’assemblée générale des Nations unies en septembre dernier, a sensibilisé l’opinion publique internationale sur les dangers de la situation au Mali. C’est grâce à cette prise de conscience, faible au départ, qu’a été adoptée à l’unanimité, le 21 décembre, la résolution 2085, sur la base d’un texte proposé par la France, et que fut ainsi créée la Misma ; et c’est en interpellant, par mon intermédiaire, nos collègues européens sur une situation dont ils ne soupçonnaient pas la gravité, que nous avons obtenu, lors du Conseil européen de la mi-décembre, la création d’une mission d’appui à l’armée malienne. Avant cela, l’opinion publique, essentiellement focalisée sur la Syrie et l’Afghanistan, ne se préoccupait guère du Mali – au point que certains de mes homologues européens, à qui j’en avais parlé fin septembre, semblaient découvrir la situation. C’est enfin parce qu’ils ont senti que ces forces seraient opérationnelles avant la saison des pluies que les groupes terroristes ont décidé de s’unir dès le 7 janvier, alors que des tiraillements les divisaient jusqu’alors.

L’intervention française, faut-il le rappeler, a débuté seulement cinq heures après la fin du conseil de défense réuni par le Président de la République le vendredi 11 janvier à onze heures trente. Si le chef de bataillon Boiteux y a malheureusement trouvé la mort, elle a permis de stopper la progression des groupes terroristes, en particulier à Konna. Dès la nuit de vendredi à samedi, des unités d’infanterie furent diligentées sur place afin de sécuriser nos ressortissants et d’éviter tout phénomène de panique à Bamako. Bref, la préparation politique était réelle et la réactivité de nos forces fut exemplaire.

Contrairement à ce que certaines informations ont laissé entendre, aucune prestation ne sera facturée par nos alliés : même si une telle idée a pu germer dans l’esprit de certains, Leon Panetta, avec qui je me suis entretenu à plusieurs reprises au téléphone, m’a confirmé qu’elle n’était pas à l’ordre du jour.

On peut avoir une vision un peu touristique des pick-up, monsieur Bays, mais en l’occurrence, ce sont des automitrailleuses, d’ailleurs en nombre significatif. Les groupes terroristes disposent de matériels militaires performants, tels que des lance-roquettes ou des mitrailleuses. Cet arsenal vient en grande partie de Libye, mais aussi, pour l’armement d’origine française, de l’armée malienne elle-même – qui a subi quelques revers depuis mars dernier – et, enfin, du trafic. N’oublions pas que le Mali est situé dans la zone des narcotrafiquants, laquelle s’étend du Brésil – via la Colombie – jusqu’en Afghanistan, en passant par la Guinée-Bissau. Si le Mali était tombé aux mains des terroristes, il serait devenu un État « narco-terroriste ».

Une réunion des contributeurs de la Misma se tiendra mardi prochain à Addis-Abeba, en marge du Sommet de l’Union africaine. Les sommes collectées seront réparties entre deux fonds : le premier, géré par les Nations unies, sera affecté à la Misma elle-même, et le second à l’armée malienne. Je ne suis pas en mesure de vous donner aujourd’hui une estimation précise du montant des contributions, mais tout laisse à penser qu’elles seront significatives.

Quant à la Russie, elle a effectivement fait savoir qu’elle était prête à mettre à disposition des moyens de transport.

Le financement de l’opération dépendra de l’évolution de la situation et des exigences tactiques, monsieur Laffineur. Son niveau, déjà significatif, progressera sans doute un peu, mais l’architecture globale est cohérente. Cependant, la France n’a pas vocation à s’établir au Mali : notre mission, je le répète, est de permettre à la Misma et aux forces maliennes de prendre le relais, ce qui n’est assurément pas une vue de l’esprit. Une fois que l’ensemble des sites seront sous contrôle, il faudra en effet assurer une présence sur un territoire particulièrement vaste. La formation de l’armée malienne, qui s’effectuera au cours des combats, pourra débuter rapidement, selon le vœu des ministres des affaires étrangères de l’Union réunis le 17 janvier dernier. Les Allemands, hier, nous ont confirmé leur participation à cette mission dont le général Lecointre, déjà sur place, assurera la mise en œuvre ; elle doit en tout cas permettre à l’armée malienne d’adopter des comportements corrects, en matière militaire comme civile. Outre la Misma, notre priorité, depuis avant-hier, est d’assurer la reconnaissance de toutes les populations : nous l’avons fait savoir au Président Traoré, et le Président de la République a réaffirmé en Conseil des ministres, ce matin, que la plus grande vigilance s’imposait pour éviter les exactions de tel ou tel groupe à l’encontre des Touaregs. La formation de l’armée malienne sera déterminante à cet égard.

L’Algérie, victime l’acte terroriste que vous savez, a décidé de fermer ses frontières, tout comme la Mauritanie. Mes homologues de ces deux pays m’ont confirmé que tout était mis en œuvre pour empêcher les terroristes de s’échapper, y compris vers la Mauritanie par la forêt de Ouagadou.

M. Christophe Guilloteau. Votre audition, monsieur le ministre, évitera peut-être les interventions intempestives de certains dans les médias.

Il était sans doute normal que la France, qui partage avec le Mali une langue et une histoire, fût à l’initiative de cette opération, que soutient d’ailleurs aussi la communauté malienne de France. Je tiens également à rappeler que la représentation nationale l’approuve. Pourquoi, cependant, n’avoir pas consulté nos partenaires européens en amont ? Des parlementaires allemands m’ont indiqué, hier, qu’ils ne comprenaient pas non plus cette absence de dialogue.

Pourriez-vous enfin nous dire un mot sur la Somalie, même si ce sujet n’est pas à l’ordre du jour ?

M. Philippe Nauche. Qu’en est-il des relations entre les Touaregs et le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), que vous n’avez pas mentionné ?

M. François de Rugy. La position du groupe écologiste sur cette opération est connue ; je n’y reviens donc pas.

Le soutien de nos partenaires européens ira-t-il au-delà de ce qu’il est aujourd’hui, et, si oui, selon quel calendrier ? La même question se pose pour la Misma, du point de vue des effectifs mobilisables comme du calendrier.

Par ailleurs, sans lancer un débat sur ce sujet délicat, je considère que les méthodes employées par l’État algérien ne sont pas les nôtres. Qu’en est-il de la coopération avec lui, au-delà de la question de la fermeture des frontières ?

M. le ministre. La discussion avec nos partenaires européens sur l’envoi d’une force militaire au Mali, monsieur Guilloteau, a eu lieu en novembre et en décembre : nous avons dû les en convaincre, car cette idée, à l’origine, ne faisait pas l’unanimité. Pour ce faire, la France s’est appuyée sur la résolution 2085, adoptée, je le rappelle, à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Le Président Traoré a fait appel à la France, et à elle seule – pour les raisons historiques qui lient nos deux pays –, au titre de l’article 51 de la Charte des Nations unies, lequel fait obligation aux pays concernés de rendre compte au Conseil de sécurité, dans les trois jours, de l’usage qui en est fait. Aux termes du droit international, la Misma a pour mission de rétablir la souveraineté du Mali ; c’est donc ce à quoi elle doit s’employer, avec le soutien international le plus large.

S’agissant de la Somalie, il ne m’appartient pas de commenter les opérations du service Action de la DGSE. Reste qu’il fallait mener cette opération. Denis Allex avait été enlevé il y a trois ans et demi ; nous avions fini par identifier précisément l’endroit où il se trouvait. Dans ces conditions, nous avions le devoir d’agir. L’opération, bien préparée, était soutenue par d’importants moyens techniques. Elle était à deux doigts de réussir, et nous aurions été coupables de ne pas la tenter ; le Président de la République n’avait guère hésité avant de la décider ; il l’avait d’ailleurs fait bien avant l’intervention au Mali.

Nous sommes en contact avec le MNLA, dont se rapprochent certains Touaregs d’Ansar Dine qui se détournent d’Iyad ag Ghali. Trouver la bonne solution politique n’est cependant pas simple ; c’est là, comme je l’indiquais, notre grande priorité avec le déploiement de la Misma. Nous avançons donc avec précaution.

De 400 à 450 militaires, monsieur de Rugy, participent à la mission européenne, laquelle sera sur place dès la semaine prochaine ; ce chiffre inclut non seulement les formateurs, mais aussi les soldats qui les protégeront. Attendons, avant d’envisager de nouveaux effectifs, un premier bilan de cette mission.

Quant à la Misma, elle compte environ 1 000 hommes ; aux termes de la résolution 2085, l’objectif est de les porter à 3 300. Je rappelle cependant que le Tchad ne fait pas partie de cette force – non plus que de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la CÉDÉAO –, et qu’il se propose de mobiliser plus de 2 000 soldats, dont 600 sont déjà sur place : au total, ce seraient donc de 5 500 à 5 800 militaires africains qui pourraient assurer la souveraineté recouvrée du Mali – car c’est bien là l’objectif : nos forces, comme l’a clairement répété le Président de la République, n’ont pas vocation à rester sur place.

L’acte terroriste qui a frappé l’Algérie constitue, au vu de son ampleur – 800 personnes prises en otage –, un véritable acte de guerre, expression d’ailleurs reprise à son compte par le Président de la République. L’Algérie y a répondu par un autre acte de guerre. Chacun en jugera : je n’ai pas d’observations à faire sur ce point, sauf pour rappeler que c’est bien l’Algérie qui a été agressée – ce dont on pouvait douter en entendant certains commentaires. Par le fait, même s’il est un dissident d’Aqmi, Mokhtar Belmokhtar se trouve aujourd’hui au Mali, et il alimente les forces terroristes que nous combattons.

M. Jean-Michel Villaumé. Qu’en est-il de la situation humanitaire, dans le contexte de pauvreté et d’insécurité alimentaire qui est celui du Mali ? On évoque des déplacements de population et des camps de réfugiés, notamment en Mauritanie. Quelles actions peuvent être mises en œuvre, en particulier avec les ONG, dans le cadre de la résolution 2085 ?

M. Yves Foulon. Vous avez parlé, monsieur le ministre, de « guerre de mouvement ». Compte tenu de la dimension territoriale du Mali, le volume actuel de nos troupes, notamment au sol, vous semble-t-il suffisant ? Est-il amené à augmenter, et, si oui, dans quels délais ? Nos moyens matériels de reconnaissance et d’identification sont-ils également suffisants ? Enfin, quelles conséquences entendez-vous tirer de ce conflit pour la rédaction du Livre blanc ?

M. Éduardo Rihan Cypel. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre présence hebdomadaire, même si je conçois évidemment que, dans ce contexte, vous ayez d’autres priorités.

Sur la question des frontières, vous avez évoqué la Mauritanie et l’Algérie. Quel est, sur ce point dont dépend la mobilité des groupes terroristes, le soutien apporté par le Niger, le Burkina Faso et les autres pays limitrophes ?

Enfin, MM. ag Ghali, Zeid et Belmokhtar sont-ils au Mali, et, si oui, êtes-vous en mesure de les localiser ? Je comprendrais évidemment que vous ne puissiez pas dire grand-chose à ce sujet.

M. le ministre. La situation humanitaire, déjà grave au départ, est bien entendu préoccupante, monsieur Villaumé. Les événements de mars 2012 avaient provoqué la constitution de camps de réfugiés ; depuis le début de l’opération Serval, néanmoins, il n’y a pas eu d’afflux massifs de réfugiés : les Maliens se sont réinstallés dans leurs villes une fois celles-ci reprises par l’armée malienne. Une bonne articulation entre l’action des ONG et celle des militaires est devenue nécessaire. Nous nous y employons donc.

Quant aux moyens, monsieur Foulon, les carences en matière de transport, de ravitaillement en vol et de renseignement – via les drones – ne sont pas nouvelles : un tel problème ne se règle pas en six mois, et il faudra en tenir compte dans la rédaction du Livre blanc. Nous parons à ces difficultés par le soutien de nos alliés, notamment celui des Américains sur le ravitaillement en vol et le renseignement, pour lequel leur coopération est totale. Cela dit, le renseignement n’est pas aisé : en plus d’être étendu, le territoire malien est largement désertique et les groupes terroristes le connaissent bien. Dans l’Adrar des Ifoghas, les difficultés seront plus grandes encore.

Dans cette guerre de mouvement, il importe que les forces maliennes reprennent le contrôle des villes et que la Misma, avec les moyens d’accompagnement nécessaires, empêche les groupes terroristes de s’y rétablir afin de sécuriser l’ensemble du territoire.

Le Niger, monsieur Rihan-Cypel, a placé deux bataillons près de sa frontière, et le Burkina Faso est lui aussi mobilisé. Je m’entretiens régulièrement avec les ministres de la défense de ces pays. L’intervention de la France crée les conditions d’une mobilisation qui n’aurait pas été possible sans elle : les pays se sentant soutenus, ils agissent, à l’instar de l’Algérie et de la Mauritanie, qui, comme je l’ai dit, renforcent également leurs moyens de sécurité aux frontières.

Les personnes que vous avez nommées sont au Mali, et nous savons à peu près où ; mais elles se déplacent. On nous demande parfois d’aller vite ; mais personne n’a oublié, je suppose, qu’il a fallu onze ans aux Américains pour trouver Ben Laden…

Mme la présidente Patricia Adam. Les collègues qui n’ont pu poser leurs questions aujourd’hui seront bien entendu prioritaires pour le faire la semaine prochaine.

Monsieur le ministre, je vous remercie.

L’audition est levée à onze heures cinquante-cinq.

*

* *

Informations relatives à la commission

La commission a désigné :

– M. Nicolas Bays, rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification du traité de coopération en matière de défense entre la République française et la République de Djibouti ;

– M. Bernard Deflesselles, rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un partenariat de défense entre la République française et la République de Côte d’Ivoire ;

– Mme Marie Récalde, rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant la ratification du traité instituant un partenariat en matière de coopération militaire entre la République française et la République du Sénégal ;

– M. Philippe Meunier, rapporteur pour avis sur le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Serbie relatif à la coopération dans le domaine de la défense et au statut de leurs forces.

La commission a ensuite nommé :

– Mme Patricia Adam, présidente de la mission d’information sur l’opération Serval au Mali et MM. Christophe Guilloteau et Philippe Nauche, rapporteurs de cette mission. Les autres membres seront nommés ultérieurement.

Par ailleurs, suite à la création par la commission des Finances d’une mission d’évaluation et de contrôle (MEC) sur la « conduite des programmes d’armement en coopération », outre les deux rapporteurs de la commission des Finances (MM. Jean Launay et François Cornut-Gentille), la commission a désigné M. Jean-Jacques Bridey pour participer, en qualité de co-rapporteur, aux travaux de cette mission.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. François André, M. Olivier Audibert Troin, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Luc Chatel, M. Alain Chrétien, M. Jean-David Ciot, Mme Catherine Coutelle, M. Bernard Deflesselles, M. Richard Ferrand, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, M. Sauveur Gandolfi-Scheit, Mme Geneviève Gosselin, M. Jean-Claude Gouget, Mme Edith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Patrick Labaune, M. Marc Laffineur, M. Charles de La Verpillière, M. Christophe Léonard, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Philippe Meunier, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, M. Jean-Claude Perez, Mme Sylvie Pichot, Mme Émilienne Poumirol, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Lucien Degauchy, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo, Mme Paola Zanetti

Assistait également à la réunion. – M. Jean Launay