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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 29 janvier 2013

Séance de 17 heures 45

Compte rendu n° 44

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente puis de M. Philippe Nauche, vice-président

— Audition des représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : Fédération des établissements et arsenaux de l'État (FEAE-CFDT)

La séance est ouverte à dix-sept heures quarante-cinq.

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui les représentants de la Fédération des établissements et arsenaux de l’État (FEAE-CFDT), M. Luc Scappini, secrétaire général fédération CFDT Défense ; M. Pascal Feuardent, délégué central CFDT à DCNS ; et M. Daniel Coutaudier, délégué central CFDT à Nexter.

Je rappelle que la FEAE-CFDT a obtenu 22,04 % des votes aux élections professionnelles de 2011, ce qui en fait la deuxième organisation syndicale du ministère après FO (non compris la liste commune UNSA/CGC au comité technique ministériel).

M. Luc Scappini, secrétaire fédération CFDT Défense. Cette audition est une grande première pour nous. Nous nous réjouissons de l’attention que nous porte la commission de la défense.

Je m’en tiendrai dans cet exposé à évoquer les points qui nous préoccupent le plus et qui font l’actualité dans cette période consacrée au Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

D’abord, la CFDT exprime des inquiétudes sur le lien Armée-Nation, qui se trouve fragilisé, dans le monde civil comme dans le monde militaire, depuis la professionnalisation des armées et les nombreuses restructurations du secteur de la défense.

Malgré un contexte économique difficile, il nous semble important de défendre pied à pied le budget de la défense notamment en termes de pourcentage du PIB. Nous sommes, en cette année 2013, à la croisée des chemins. C’est pourquoi la CFDT demande l’organisation des « états généraux de la défense », c’est-à-dire d’un débat ouvert au-delà des experts et destiné à faire comprendre à l’ensemble de nos concitoyens l’importance des choix budgétaires et des enjeux de nos activités. À cet égard, nous avons interpellé avec Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, le Président de la République, chef des armées, et nous souhaitons obtenir le soutien des parlementaires de la commission de la Défense..

Par ailleurs, l’avenir des ouvriers de l’État suscite également notre inquiétude. Nous nous impliquerons totalement dans l’agenda social qui se déclinera en six chantiers pour le ministère de la défense : formation professionnelle, parcours professionnels et mobilité, santé et sécurité au travail, bilan des accords de Bercy, égalité professionnelle homme femmes, avenir des ouvriers de l’État. Un consensus s’étant dégagé sur l’importance des recrutements ciblés d’ouvriers de l’État, nous attendons de la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) qu’elle affecte les moyens nécessaires. D’autant qu’en raison de l’absence de gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences (GPEEC) au ministère, la DRH-MD est dans l’incapacité de connaître précisément les métiers importants et le nombre de postes menacés par les départs. J’ajoute que les ouvriers de l’État ayant été exposés aux travaux insalubres et pénibles doivent pouvoir faire valoir leurs droits à la retraite ; ceux qui ont dépassé l’âge de soixante ans ne peuvent valider leurs trimestres. Sur ce dossier, la validation en réunion interministérielle du projet de décret permettrait de régler les 400 dossiers en souffrance, mais aussi ceux à venir.

Mme la présidente Patricia Adam. Des réunions interministérielles sur le sujet ont déjà eu lieu.

M. Luc Scappini. Enfin, la CFDT souhaite que la gestion des ressources humaines, civiles ou militaires, du ministère de la défense relève à nouveau de la responsabilité du secrétaire général pour l’administration et de la DRH-MD. En effet, les référentiels des effectifs en organisation (REO), gérés actuellement par l’état-major des armées (EMA), manquent singulièrement de transparence. Une professionnalisation de la filière RH est indispensable au ministère de la défense.

M. Pascal Feuardent, délégué central CFDT à DCNS. La loi de programmation militaire suscite des inquiétudes chez les représentants CFDT de la DCNS au regard des programmes Barracuda, frégate multi-missions (FREMM) et IPER (indisponibilité périodique pour entretien et réparations) adaptation du missile M 51 (IAM 51). Certes, l’entreprise a gagné des contrats à l’export, mais l’amputation des programmes aurait des conséquences importantes sur nos emplois et ceux de nos sous-traitants – d’autant qu’un grand nombre des contrats signés incluent un transfert de technologies.

À Lorient, DCNS a construit un OPV (offshore patrol vessel), loué pour trois ans à la marine nationale. Il constitue pour nous un espoir de gagner des marchés. Cependant, nous ne comprenons pas la volonté du conseil d’administration de créer une coentreprise (joint venture) avec Piriou, où l’entreprise ne serait présente qu’à hauteur de 49 %.

Le groupe naval envisage également de monter sa participation à 51 % dans la société OpenHydro afin de développer des hydroliennes, notamment avec un projet dans le raz Blanchard. Nous avons là l’occasion de créer une véritable filière d’énergies marines renouvelables en France avec des emplois industriels non délocalisables. Reste que l’État doit lancer un appel d’offre en conséquence.

Nous avons aussi créé des sociétés en Inde, en Malaisie, au Brésil. Jusqu’à la fin 2012, nous avions une alliance dans le domaine des torpilles avec l’allemand Atlas, mais le projet a été gelé en raison du blocage de TKMS, ce qui a plongé les salariés dans l’incertitude.

Parmi les axes de développement de DCNS, figure également le nucléaire civil. Elle a ainsi développé, en collaboration avec Areva, EDF et le CEA, le projet Flexblue.

Actuellement, le groupe naval compte 13 000 salariés. La participation de Thales est montée à 35 % dans son capital. Reste que nous nous interrogeons au regard de l’actionnaire Dassault et des éventuels regroupements européens. La CFDT juge important de maintenir les technologies et les compétences de l’industrie navale militaire en France et en Europe.

DCNS fait appel à un grand nombre de sous-traitants, mais aussi à des intérimaires. Il faut veiller à ne pas fragiliser les entreprises locales en payant trop peu les salariés ainsi employés. En la matière, la vigilance de l’État, actionnaire majoritaire, est donc de rigueur.

Enfin, le groupe emploie des personnels de droit privé – recrutés à partir de 2003 – et des personnels mis à disposition du ministère de la Défense, qui représentent plus d’un tiers de l’effectif, soit 4 500 salariés. Or seuls les premiers sont concernés par la prime de participation annuelle versée par l’entreprise. La CFDT demande que l’ensemble des personnels bénéficie des mêmes droits en matière de primes.

(M. Philippe Nauche, vice-président de la Commission, remplace Mme  Patricia Adam à la présidence de la séance.)

M. Daniel Coutaudier, délégué central CFDT à NEXTER. L’entreprise Nexter, dont le chiffre d’affaires est compris entre 800 millions et 1 milliard d’euros, emploie 2 700 salariés en contrat à durée indéterminée (CDI), dont 50 % de cadres. Basée sur neuf sites en France répartis sur sept bassins d’emplois, l’entreprise, qui s’est recentrée sur son cœur de métier – la fabrication et le montage des engins blindés, depuis le plan « GIAT 2006 » –, fait appel à un grand nombre de PME sous-traitantes. Je rappelle qu’en France, la défense terrestre génère plus de 20 000 emplois en direct.

Grâce à l’amélioration de sa productivité, Nexter peut aujourd’hui proposer à son principal client, l’État, des matériels à des prix compétitifs. Elle a également gagné en réactivité, dans ses bureaux d’études et sa capacité d’industrialisation : les cycles de production de ses matériels sont passés de près de cinq ans à dix-huit mois – on a pu le constater pour le véhicule blindé hautement protégé Aravis. Ainsi, la disponibilité des matériels pour les armées a fortement augmenté, comme celle du char Leclerc qui est passée de 80 % à 95 %. Ces bons résultats lui ont permis d’améliorer son image en France et à l’étranger. Elle peut désormais participer à des appels d’offre à l’export – elle vient de se porter candidate pour équiper l’armée de terre canadienne. Enfin, la création de sa filiale Nexter Robotics signe sa capacité d’innovation. L’entreprise souhaite offrir à ses clients des matériels compétitifs, performants et dont les niveaux de technologie peuvent être élevés.

Vous le voyez, Nexter s’est beaucoup remise en question. Je le dis devant les représentants de l’Assemblée nationale, les budgets confiés au travers des commandes sont le socle de l’entreprise. Ils sont essentiels si l’on veut que Nexter reste l’un des piliers de l’armement en France et, nous l’espérons, demain en Europe – la CFDT a déjà discuté de ce point plusieurs fois avec le ministre.

Nexter fabrique encore des véhicules de moyen à fort tonnage. Elle produit également des systèmes d’artillerie, mais aussi des armes et munitions de gros et moyen calibre pour ses matériels propres et pour le Rafale. L’avenir est à la munition de 40 millimètres, que l’entreprise a étudiée en collaboration avec le Royaume-Uni.

Pour finir, je tiens à souligner l’importance des commandes pluriannuelles munitionnaires et du programme VBMR (véhicule blindé multi-rôles), dont la remise en cause du calendrier mettrait en péril l’équilibre de l’entreprise, qui repose actuellement sur le VBCI (véhicule blindé de combat de l’infanterie), dont l’échéance est prévue pour fin 2014. J’appelle votre attention sur le fait que le VBMR, dont la réalisation se fera en collaboration avec Renault Trucks Defense (RTD), ne donnera pas de charge avant fin 2015. Nous ne voulons pas être amenés à revivre les douloureux plans sociaux des précédentes années chez GIAT Industries.

M. Daniel Boisserie. Comment les bureaux d’études envisagent-ils l’avenir ?

M. Damien Meslot. Qu’attendez-vous de la prochaine loi de programmation militaire ?

Pouvez-vous préciser votre pensée sur le relâchement du lien Armée-Nation, qui selon moi est davantage lié à la réforme du service national ?

M. Daniel Coutaudier. Les bureaux d’études ont beaucoup travaillé sur le programme Scorpion (système du contact renforcé par la polyvalence et l'info-valorisation), et donc sur le VBMR et l’EBRC (engin blindé de reconnaissance et de combat). Nexter s’est lancé dans la robotique. Elle améliore ses armes et ses équipements, en particulier avec le système de vision périmétrique des véhicules. Le dossier VBMR est celui sur lequel Nexter a le plus avancé. Cependant, les bureaux d’études sont en attente depuis le mois de juin, la volonté ayant été clairement affirmée de décaler le programme de dix-huit mois. Enfin, nous collaborons avec le CEA et l’École des mines pour élaborer les futurs équipements de l’armée française.

M. Pascal Feuardent. Nos bureaux d’études travaillent sur les programmes Barracuda, FREMM et FREMM antiaériennes. Des travaux ont également été engagés sur la future génération de sous-marins nucléaires. Nous avons développé un sous-marin côtier. L’entreprise apporte une aide au Brésil pour la construction d’un sous-marin nucléaire, pour sa partie non-nucléaire. Nous avons signé un contrat avec la Malaisie portant sur des corvettes. Au total, les salariés des bureaux d’études travaillent en France, mais aussi à l’étranger en mission ou en expatriation.

M. Luc Scappini. Nous espérons que la loi de programmation militaire sera respectée et ne connaîtra pas les fluctuations du passé. Dans le contexte économique difficile que nous connaissons, nous craignons en effet que les crédits de la défense soient rognés, alors que les investissements pour l’avenir sont à nos yeux primordiaux. Les programmes de la défense ayant des cycles à trente ans, c’est la défense de demain qui est en jeu. Alors que les États-Unis consacrent un budget considérable à leur défense mais se tournent davantage vers l’arc Asie-Pacifique, les budgets de la défense européens s’effondrent pendant que l’Europe de la défense est malheureusement en panne. Dans ce contexte, la France doit et devra à l’avenir prendre ses responsabilités – l’exemple du Mali est éclairant.

Enfin, depuis la suspension de la conscription, qui constituait une sorte de repère, le lien Armée-Nation se trouve distendu. Les restructurations très douloureuses auxquelles on a procédé par vagues successives ont également eu un impact. Le profond malaise des militaires est d’ailleurs exprimé dans les blogs qui fleurissent. Cela nous inquiète. Il est à noter par ailleurs que la France reste l’un des derniers pays de l’Union européenne à ne pas accepter une forme de liberté d’expression et d’association des personnels militaires. Il faudra un jour ouvrir le débat sur ce point.

M. Damien Meslot. Je suis totalement opposé à l’idée d’autoriser des associations professionnelles ou des syndicats à s’implanter au sein des armées.

M. Luc Scappini. L’organisation actuelle avec le Conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) ne semble plus adaptée à la situation et aux enjeux. Mon premier souci n’est pas la question de l’implantation syndicale.

M. Philippe Folliot. La très grande majorité de nos circonscriptions ne comporte pas de site lié à l’armement. Par conséquent, nombre de nos concitoyens mais aussi d’élus méconnaissent les questions ayant trait à la défense, notamment du fait de la suspension du service militaire. D’où un problème de désinformation que vous soulignez à juste titre.

Alors que le déficit de notre commerce extérieur avoisine les 70 milliards d’euros par an, la balance de notre défense est excédentaire de 6,5 milliards d’euros. Le secteur de la défense a donc des conséquences directes sur l’emploi. C’est pourquoi nous vous soutenons dans votre démarche.

M. Jean-Jacques Candelier. Quel est le taux de syndicalisation dans votre secteur ?

La fermeture de la manufacture du Mans a-t-elle été une erreur stratégique ?

Enfin, une montée en puissance de notre appareil industriel dans des délais acceptables est-elle prévue dans la perspective d’une nouvelle tension sur notre continent à un horizon de vingt ans ?

M. Luc Scappini. Dans notre secteur, le taux de syndicalisation est élevé. En France, le niveau de syndicalisation est bas dans les TPE et les PME. S’il est plus élevé dans les pays d’Europe du Nord, c’est lié à l’histoire et aux prérogatives différentes des organisations syndicales dans les différents pays. Les syndicats d’Europe du Nord gèrent, par exemple, les caisses d’allocations chômage et les mutuelles ; l’adhésion y est systématique - pour ne pas dire quasi-obligatoire. En Italie, les cotisations syndicales sont prélevées directement sur la feuille de paie alors qu’en France, un salarié qui souhaite adhérer doit faire une démarche volontaire, comme pour une association régie par la loi de 1901. La problématique du syndicalisme français, particulièrement pour certaines organisations, est qu’il surtout présent dans la fonction publique. En outre, dans les petites entreprises, un salarié qui veut créer une organisation syndicale peut être inquiété par son employeur.

M. Pascal Coutaudier. En fermant l’établissement du Mans en 1995, la France a abandonné la munition de petit calibre pour acheter des munitions sur étagère, ce que nous regrettons car les munitions du fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne (FAMAS) ont malheureusement valu à des soldats d’être blessés. Aujourd’hui, notre pays ne fabrique plus d’armes de petit calibre. Devant la menace qui pèse sur l’atelier d’entretien et d’expertise du petit calibre de Nexter basé à Tulle, la CFDT a proposé au ministère de la défense, afin de maintenir le savoir-faire des ouvriers de cet atelier, la rénovation de quelques fusils FAMAS supplémentaires, dans l’attente de la fabrication du prochain fusil d’assaut, qui sera confiée à un constructeur étranger, mais dont nous espérons obtenir une partie de l’activité.

M. Pascal Feuardent. À la DCNS, le taux de syndicalisation de la CFDT se situe entre 18 % et 20 %.

L’enjeu est le maintien des outils industriels, car la réduction ou l’étalement d’un programme peut avoir des conséquences dramatiques pour le futur, notamment pour les sous-traitants et les bassins d’emploi concernés.

M. Jean-Pierre Fougerat. La DCNS ne pense-t-elle pas que les horizons sont plutôt optimistes pour le Barracuda, l’éolien ou encore l’entreprise STX ?

M. Guy Chambefort. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la méconnaissance des spécialités des ouvriers d’État ?

M. Pascal Feuardent. Le site de Nantes - Indret, spécialisé dans la propulsion, s’est orienté vers le nucléaire civil. S’il devait s’orienter vers l’éolien, sa contribution ne serait pas très importante. Quant au programme Barracuda, nous espérons qu’il sera respecté. Un étalement aurait des répercussions importantes sur la charge des établissements.

M. Luc Scappini. Je confirme la méconnaissance des métiers indispensables à la défense. Pour le chantier de l’agenda social, sur le recrutement des ouvriers de l’État, la DRH-MD n’a d’autre solution que de s’adresser à l’ensemble des directions. Or à l’heure actuelle, seule la direction générale de l’armement (DGA) dispose d’un outil en ressources humaines, le plan stratégique des ressources humaines (PSRH), qui est une forme de GPEEC. Nous demandons pour l’avenir des compétences du ministère de la Défense, afin de répondre aux besoins de nos armées, et l’établissement par la DRH-MD d’une cartographie de l’ensemble des métiers listant les postes stratégiques.

M.  Philippe Nauche, président. Merci beaucoup, messieurs, pour votre contribution.

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La séance est levée à dix-neuf heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Candelier, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Damien Meslot, M. Philippe Nauche, M. Joaquim Pueyo, M. Michel Voisin

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, Mme Sylvie Pichot, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. François de Rugy