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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mercredi 6 février 2013

Séance de 10 heures

Compte rendu n° 49

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition des représentants des syndicats des personnels civils du ministère de la défense : Fédération syndicale Force ouvrière de la défense, des industries de l'armement et des secteurs assimilés (FO Défense)

La séance est ouverte à dix heures.

Mme la présidente Patricia Adam. La Fédération syndicale Force ouvrière est le premier syndicat du ministère de la Défense, ayant obtenu 26,6 % des voix aux dernières élections professionnelles.

M. Gilles Goulm, secrétaire général de la Fédération syndicale Force ouvrière de la défense, des industries de l’armement et des secteurs assimilés (FO Défense). Je voudrais évoquer devant vous le problème de la place respective des personnels civils et militaires, celui de la formation professionnelle, ainsi que la réorganisation du ministère en bases de défense.

Depuis plusieurs années, la répartition des personnels entre militaires et civils dans les fonctions de soutien fait l’objet de revendications majeures de notre syndicat. Ce sujet est au cœur des débats autour de la mise en place des bases de défense et de leurs groupements de soutien (GSBdD). Nous n’entendons pas opposer deux catégories d’agents, qui sont complémentaires, mais faire observer que la place des civils ne cesse de reculer.

Nous dénonçons en effet le recours systématique à des personnels militaires engagés à la place de personnels civils dans les fonctions de soutien sans caractère opérationnel. C’est notamment le cas dans l’armée de l’air, avec des militaires affectés à des tâches de secrétariat et qui ne seront jamais déployés dans des opérations extérieures (OPEX).

Cette politique résulte d’une réticence culturelle à l’accueil de personnels civils dans les armées et de la souplesse de gestion qu’apportent les engagés volontaires contractuels (EVC).

La réforme actuelle a encore aggravé la situation puisque les référentiels en organisation (REO) des GSBdD ont été établis à partir des effectifs existants, ce qui tend à maintenir le vieux déséquilibre entre civils et militaires.

Nous ne souhaitons pas tomber dans la caricature consistant à n’affecter les militaires qu’en OPEX et les civils qu’en soutien. Car une mixité doit exister sur certains postes, les militaires ayant besoin de respirer au retour d’OPEX et devant être formés à de nouvelles compétences. Mais on comprend mal le recrutement de militaires dans des métiers tels que ceux de la restauration au motif de maintenir des capacités opérationnelles alors que, par ailleurs, on externalise cette fonction, même en OPEX.

Nous militons en faveur d’une politique de ressources humaines (RH) cohérente, seule à justifier auprès du ministère chargé du budget l’emploi du personnel sous statut dans des fonctions de soutien.

La masse salariale des personnels militaires est supérieure à celle des civils en raison des différences de grilles indiciaires et de régimes indemnitaires.

Lors des études relatives à l’externalisation de la fonction restauration, hébergement et loisirs (RHL), le ministère de la défense a reconnu que les personnels militaires n’étaient disponibles que 1 000 heures, sur 1 600, à l’inverse des personnels civils employés en totalité sur leur poste. Cela ne résulte évidemment pas d’une faible productivité des militaires mais des impératifs liés à leur statut, notamment sportifs et de formation technique.

Ce ratio de disponibilité conjugué avec l’écart de masse salariale soulève donc des difficultés et conduit trop souvent à des externalisations alors que nous avons démontré que le recours à une régie rationalisée, avec des civils remplissant les mêmes tâches que les militaires malgré des effectifs inférieurs de 40 %, générait des économies substantielles.

Nous comprenons naturellement la nécessité de la reconversion de certains personnels militaires tout en tenant compte de leurs spécificités statutaires et du recrutement par concours des personnels civils.

Les faibles niveaux de recrutement de ces derniers depuis plusieurs années ne favorisent pas le rééquilibrage des effectifs sur les fonctions de soutien. Ainsi le budget de la défense pour 2013 prévoit 22 000 recrutements, dont 21 000 militaires. Et les 1 000 recrutements restants pourraient surtout concerner des militaires en reconversion par application des règles relatives à leur détachement.

Et voilà que, sans aucune concertation préalable ni même information des syndicats, une récente note émanant du directeur des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) interdit le recrutement de personnels civils pour 2013, repousse le recours à des personnels contractuels après la période estivale et à la condition, d’une part que la déflation des effectifs précédemment prescrite ait été scrupuleusement respectée, d’autre part que les sureffectifs aient été résorbés. Sur ce dernier point, on ne connaît d’ailleurs que ceux concernant les civils : nous demandons en vain, depuis des années, qu’on nous communique aussi ceux concernant les militaires.

Les postes ouverts aux personnels civils ne peuvent être pourvus que par accueil du personnel restructuré. L’inadéquation des statuts et des métiers, comme les difficultés liées à l’éloignement géographique, expliquent en partie la vacance de certains postes pendant plusieurs mois, voire plusieurs années, et l’affectation de personnels militaires.

Pour l’état-major des armées (EMA), les personnels civils manqueraient de mobilité.

Le maintien des compétences pour des métiers sensibles ou stratégiques, comme ceux du maintien du matériel en conditions opérationnelles, notamment dans l’aéronautique, se trouve menacé par l’insuffisance des recrutements. Les ouvriers de l’État subissent en effet une interdiction d’embauche depuis cinq ans, tandis que les agents de l’État pâtissent d’un gel de leurs traitements depuis deux ans.

Cette politique de RH dévoyée positionne des personnels militaires sur des fonctions qui ne leur étaient pas originellement dévolues.

Alors que des postes de responsabilité, comme ceux de chef de GSBdD, sont offerts aux personnels civils, on constate des lacunes dans la prise en compte de leur parcours professionnel de la part de la DRH-MD. La bourse nationale des emplois (BNE), instituée pour une bonne gestion des personnels dans le cadre d’une politique de restructuration, est devenue le point de passage obligatoire de ces parcours. Or elle ne saurait devenir le seul instrument de gestion des carrières.

Depuis des années, les moyens de l’administration centrale se réduisent au profit de ceux des centres ministériels de gestion (CMG) déconcentrés dont la vocation n’est pas de gérer les parcours professionnels des agents, notamment de ceux de catégorie A.

Dans son discours de campagne du 11 mars 2012, M. François Hollande avait déclaré : « Pour les civils, la place souvent recule depuis 2007 au profit des militaires qui, eux-mêmes, s’éloignent de leur métier pour exercer des fonctions qui pourraient être assurées sans avoir le statut militaire. Comment comprendre ? Donc nous devrons renforcer les unités opérationnelles avec des effectifs militaires, qui manquent souvent, en redessinant les superstructures pour consolider la place des civils dans les fonctions non directement opérationnelles. Il ne semble pas que l’on prenne aujourd’hui le chemin ainsi tracé.

Mme la présidente Patricia Adam. Toutes les décisions n’ont pas encore été prises…

M. Gilles Goulm. Nous sommes habituées aux promesses non suivies d’effet.

On reproche souvent aux personnels civils une formation insuffisante. Mais, pour 2013, les crédits de formation ne permettront guère d’améliorer les choses.

Une mode consiste aujourd’hui à mettre en place des crédits en fonction des montants consommés l’année précédente. Mais, justement, on les a consommés en fonction de leur inscription ! Avec une telle méthode, on continuera de baisser dangereusement les crédits de la formation professionnelle et de l’action sociale.

Trop souvent la formation s’avère inadaptée aux besoins des établissements et ne prend pas convenablement en compte les parcours professionnels. Il arrive que les formations d’adaptation à l’emploi ne soient dispensées que trois ou quatre ans après la prise de fonction de l’intéressé. Les prises en charge des périodes de formation, avec un per diem de 27 euros, n’incitent guère les personnels à s’y engager. Nous en réclamons depuis des années la revalorisation.

En outre, une grande partie des crédits de formation sont aujourd’hui obérés par les actions de formation liées aux restructurations.

Le ministère de la défense a éprouvé bien des difficultés à modifier son organisation territoriale comme à changer, dans le même temps, les règles de représentativité découlant des accords de Bercy, que FO n’a pas signés, et de la loi de 2010. En résultent des dysfonctionnements du dialogue collectif mettant en péril la cohésion sociale dans les établissements. La réforme en cours a, en effet, remis en cause un principe fondamental au sein des armées : qui commande paye et qui paye commande. Il devient souvent difficile d’identifier le chef ou le responsable de l’organisme à qui reviennent les décisions, notamment en matière d’hygiène, de sécurité et de conditions de travail (HSCT). De plus, les bases de défense ont été budgétairement sous dimensionnées : il leur manquait 130 millions d’euros en juillet dernier pour boucler l’exercice 2012. De sorte qu’un certain nombre de mesures de sécurité des agents ne peuvent être mises en place. C’est un facteur d’alourdissement du climat psychologique dans nos établissements. Nous tirons donc le signal d’alarme.

Un élément supplémentaire vient encore accroître les tensions : l’insuffisance de moyens matériels de base dans la vie quotidienne. Les établissements manquent de savon, de papier toilette, de cartouches d’imprimante… Depuis qu’il n’y a plus d’appelés, les agents font souvent eux-mêmes le ménage dans les bureaux. Faute de pouvoir passer un marché avec un prestataire d’entretien, on leur fournit des kits de nettoyage et on leur conseille d’aller acheter, sur leurs propres deniers parfois, les produits d’entretien au supermarché d’en face ! Est-ce digne d’une armée moderne ? Croit-on mobiliser ainsi un jeune fier de combattre sous les couleurs de la République ?

Dans ces conditions, évoquer des risques psychosociaux, sans que cela soit inutile, paraît cependant déconnecté de la réalité concrète de chaque jour. Le ministre de la défense a lancé six chantiers de discussion, sinon de négociation. Soit, mais ne faudrait-il pas commencer par le commencement, c’est-à-dire le confort minimum dû aux agents, civils ou militaires ?

L’utilisation de la réserve, notamment opérationnelle, pose aussi quelques problèmes, alors que celle-ci représente peut-être le dernier maillon du lien entre la nation et son armée. Ses conditions d’emploi sont opaques et son volume est difficilement compréhensible dans l’actuel contexte budgétaire. 71 millions d’euros lui sont consacrés, pour 60 000 réservistes, dont 2 000 au titre de la réserve citoyenne.

Cette dernière mise à part, combien de réservistes sont employés à des fonctions opérationnelles et déployés en OPEX ? Il n’est pas rare que des réservistes soient affectés à des tâches administratives, chargés de communication ou de secrétariat… Est-ce le rôle d’un colonel de réserve que de faire des photocopies pour pallier le manque de personnels civils ? Car les chefs d’établissements, principalement soucieux d’accomplir leurs missions, les font réaliser par les personnels dont ils disposent, quel que soit leur statut. De surcroît, traînent toujours en la matière des rumeurs de copinage.

Enfin, les restrictions budgétaires doivent s’appliquer à tout le monde. Or, les services de l’État ne sachant pas suspendre le traitement d’un agent public pour une semaine, un réserviste fonctionnaire touche à la fois son traitement normal et sa rémunération de réserviste, qui plus est exonérée d’impôt sur le revenu.

Nous demandons donc une enquête approfondie sur l’utilisation de la réserve, qui ne saurait intéresser seulement les états-majors.

Voilà donc plusieurs mois que nous attendons des signes en faveur d’un avenir meilleur pour les personnels civils du ministère de la défense et que nous ne voyons rien venir. On peut apparemment discuter de tout mais à la condition de ne pas parler d’argent ! Or il faudra bien, à un moment ou à un autre, intégrer les éléments budgétaires pour 2014 dans le dialogue social. Comment, sinon, parler sérieusement d’emploi, de mobilité de formation professionnelle ou de risques psychosociaux comme pourtant le ministre nous y invite ?

Le ministre a aussi souhaité que l’on discute, dans la perspective d’un accord-cadre, de l’égalité entre les hommes et les femmes. Encore faut-il que cela débouche sur des actions précises et coordonnées entre les établissements et les autorités centrales d’emploi.

Mais pourquoi n’avons-nous plus, comme auparavant, d’accord cadre quinquennal sur la formation ? J’en appelle à une certaine cohérence.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci de cet exposé qui peut éclairer nos travaux, à la fois pour la préparation de la prochaine loi de programmation militaire et sur l’organisation du ministère de la défense. Je donne donc la parole aux deux rapporteurs en charge de ces questions.

Mme Geneviève Gosselin, co-rapporteure de la mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense. Quelle serait, selon vous, la meilleure organisation possible pour la gestion des ressources humaines civiles du ministère de la défense ?

M. Damien Meslot, co-rapporteur de la mission d’information sur la mise en œuvre et le suivi de la réorganisation du ministère de la défense. Comment jugez-vous les dernières restructurations du ministère de la défense ? Qu’espérez-vous, ou que redoutez-vous, de la prochaine loi de programmation ?

M. Gilles Goulm. La réorganisation de la fonction ressources humaines pour les personnels civils du ministère de la défense est un sujet complexe. Nous ne sommes pas hostiles à la mise en place des sept centres ministériels de gestion (CMG), dont le nombre va être ramené à six, mais celle-ci a subi un certain « retard à l’allumage. » Le fonctionnement des centres, qui commence tout juste, soulève bien des difficultés. Car on pratique une fausse déconcentration : la gestion de plusieurs catégories de personnels, dont les ouvriers de l’État, qui représentent encore la moitié des effectifs de personnels civils du ministère, était déjà déconcentrée au niveau des établissements. Aujourd’hui, il n’existe pratiquement plus de fonction ressources humaines en leur sein, de même que dans les bases de défense (BDD).

Les référentiels en organisation, en vertu du principe de réduction de la dette publique et des effectifs de personnels civils, n’inscrivent plus de postes « ressources humaines » de personnels civils. On a ainsi détruit une fonction, dont par ailleurs se sont complètement désintéressés les états-majors, puisqu’on les en a dessaisis au profit de la DRH-MD et des CMG. De sorte que nous avons perdu l’expertise en matière de ressources humaines et que, si nous n’y prenons pas garde, nous allons également perdre celle de la paye. Allons-nous assister à un « Louvois des civils » ? Les CMG sont géographiquement trop éloignés des réalités du terrain et les relations de proximité entre agents ont disparu. On assiste ainsi parfois à des aberrations : c’est le CMG de Bordeaux qui va désormais gérer les personnels de l’atelier industriel de l’air (AIA) de Cuers-Pierrefeu, situé dans le Var, alors qu’il existe un CMG à Toulon !

L’expertise se perd aussi par manque d’effectifs, faute de temps pour l’acquérir. On voit aujourd’hui dans les CMG des personnels civils travailler jusqu’à 21 ou 22 heures afin d’assurer les payes compte tenu de la nouvelle organisation ! Comment pourraient-ils lever « le nez dans le guidon » et prendre connaissance de l’environnement nécessaire à se forger une expérience ?

Nous tirons aussi le signal d’alarme sur la diminution des moyens au niveau du ministère, consécutive à la déconcentration mais aboutissant à un mauvais suivi des dossiers. Nous craignons que la DRH-MD ne puisse mener efficacement les six chantiers de négociation ouverts par le ministre.

Le ministère de la défense souffre de restructurations continues depuis 1993. Il serait bon de le laisser souffler un peu.

Mais ce que nous avons supporté, à partir de 1996, n’était rien comparé à ce qui nous attendait à partir de 2007. La réforme alors engagée, prévoyant notamment la suppression d’un septième des effectifs, fut pénible pour le ministère lui-même, pour ses personnels militaires et pour ses personnels civils. Ces derniers étaient 145 000 il y a une quinzaine d’années. Ils seront bientôt moins de 60 000. Certes la direction des constructions navales (DCN) et le groupement industriel des armements terrestres (GIAT industries) étaient alors intégrés dans le ministère mais ils n’employaient pas 100 000 personnes.

Il avait été décidé, en 1996, de professionnaliser les armées, ce qui aurait dû augmenter les effectifs civils et accroître le nombre de postes de responsabilités. Cela ne s’est pas produit. Un exemple : le centre de pilotage et de conduite du soutien (CPCS) compte aujourd’hui 1 800 officiers, pour 230 personnels civils de catégorie A.

Nous avons donc le sentiment que les états-majors sont toujours parvenus à détourner à l’avantage des personnels militaires et au désavantage des personnels civils chacune des réformes engagées. Les objectifs affichés ne sont jamais respectés.

Contrairement à ce qu’a déclaré le Premier ministre lors de la dernière conférence sociale, la révision générale des politiques publiques (RGPP) n’a pas pris fin. Au ministère de la défense, les mesures précédemment décidées ont été confirmées par le ministre actuel, notamment les suppressions d’emplois prévues pour 2013. Nous craignons surtout de nouvelles réductions d’effectifs dans les fonctions de soutien au motif qu’il faut conserver la balance égale avec les réductions d’effectifs militaires. Nous avons maintenant atteint la limite de la rupture.

La RGPP présentait au moins l’avantage de fournir la réalité des chiffres. Nous savons donc qu’en 2008, 188 000 agents travaillaient dans les fonctions de soutien, dont 112 000 militaires. Si la même politique se poursuit, on arrivera à 40 000 civils et à 70 ou 80 000 militaires. Le rééquilibrage n’aura pas eu lieu.

Nous sommes certes favorables à la reconversion interne des personnels militaires mais pourquoi continue-t-on à recruter des militaires à qui on confie des missions civiles ?

Nous n’accepterons donc pas, à l’occasion de la préparation de la prochaine loi de programmation militaire, de nouvelles suppressions d’emplois civils, qui seraient en contradiction avec l’objectif affiché de « civilisation » du ministère. Les chantiers de négociation deviendraient inutiles si aucune ouverture ne se dessinait sur la répartition entre civils et militaires dans les fonctions de soutien.

M. Jean-Jacques Candelier. Nous savons bien que la RGPP ne fut pas une bonne chose.

Quel est le taux de syndicalisation chez les salariés du ministère de la défense ?

Le fusil d’assaut de la manufacture d’armes de Saint-Étienne (Famas) devrait être remplacé en 2015. Il est aujourd’hui entretenu par Beretta et ses munitions de petit calibre, provenant de l’industrie israélienne, seraient mal adaptées. En outre, il rouillerait facilement. Le confirmez-vous ?

La fermeture de la manufacture du Mans était-elle inévitable ?

M. Jacques Lamblin. Les difficultés que vous avez mentionnées dans la vie quotidienne des armées ne sont-elles pas marginales et amplifiées par le discours syndical ?

Dans les fonctions de soutien et de maintenance, les personnels civils du ministère de la défense semblent mal trouver leur place entre, d’une part, celle des militaires et, d’autre part, l’externalisation des tâches. L’équilibre à trouver entre la souplesse de gestion et la modération des coûts rend leur position souvent difficile. Avez-vous procédé à une analyse méthodique et chiffrée des différents métiers que pourraient exercer les personnels civils afin de démontrer qu’ils constituent la meilleure solution de recours ? Ce serait une bonne façon de défendre leurs intérêts auprès de ceux qui décident.

M. Gilles Goulm. La question du nombre de salariés syndiqués se pose dans des termes comparables à celle du nombre d’électeurs par rapport au nombre d’adhérents aux partis politiques.

Le nombre d’adhérents aux syndicats soulève le problème de leurs moyens d’existence et non de leur représentativité puisque les personnels civils du ministère de la défense participent à plus de 80 % aux élections professionnelles.

Les taux d’adhésion restent tenus secrets par les syndicats mais on peut estimer que 10 à 15 % des personnels que je représente sont syndiqués. Il existe donc d’importantes possibilités de développement pour nos organisations, y compris dans le secteur privé. Mais nous restons hostiles à toute forme d’adhésion plus ou moins obligatoire, comme cela existe dans les pays nordiques.

En tant que syndicat, nous nous interdisons généralement de nous exprimer sur la politique de défense. En outre, peu de personnels civils sont employés dans la maintenance opérationnelle. Nous savons cependant que le Famas soulève quelques problèmes : c’est un fusil vieillissant, qui rouille très facilement et dont les munitions, bleuissant sous la pluie, ne peuvent plus ensuite enter dans les chargeurs.

Le fusil d’assaut devant le remplacer, HK 416, est de fabrication allemande. Comment faire autrement ? Voilà des années qu’on détruit la capacité de notre pays à produire lui-même ses armes d’assaut et de poing. Il ne nous reste plus, dans ce secteur, qu’une seule entreprise survivant péniblement à Molsheim.

La fermeture de la manufacture du Mans s’inscrit hélas dans ce processus.

Nous sommes donc condamnés à nous approvisionner « sur étagères » à l’étranger.

La vie quotidienne des agents du ministère de la défense se dégrade pour de bon. Je n’ai rien exagéré. On peut faire les mêmes constats sur presque toutes les bases de défense et pour presque tous les régiments. Lors de chaque déplacement du ministre, son cabinet nous interroge sur les thèmes de préoccupation des personnels civils et, à chaque fois, les mêmes sujets pratiques reviennent. On manque de tout, faute de crédits. Le problème ne cesse de s’étendre, il ne faut pas le minimiser.

Le délégué général à l’armement (DGA) nous a confié qu’il restait prudent face à la mutualisation des fonctions de soutien à travers les bases de défense. Car il craint de voir se dégrader le soutien de qualité dont bénéficient aujourd’hui ses différents établissements. J’ai pu le vérifier, par exemple, au centre d’essais aéronautiques de Toulouse (CEAT).

N’ajoutons pas à la situation déjà difficile des personnels du fait des restructurations, des salaires et des régimes indemnitaires, des tracas quotidiens aussi pénibles qu’humiliants.

Les fonctions de soutien et de maintenance qu’assurent les personnels civils sont effectivement prises entre l’exigence de souplesse de gestion et le recours à des personnels contractuels. Mais c’est souvent en raison du manque d’effectifs que les commandants de base recourent, contre leur gré, à l’externalisation.

L’armée de terre vient de lancer une magnifique campagne de recrutement de 10 000 personnels militaires mais hélas mensongère. Combien d’entre eux seront affectés à des unités combattantes et combien seront employés à des tâches de secrétariat ? Regardez combien l’armée de l’air a recruté de secrétaires militaires il y a quelques mois ! Et combien de jeunes militaires des bases aériennes partiront en opérations extérieures ?

En outre, le recours à des prestataires privés ne coûte pas nécessairement moins cher que des personnels civils permanents. Si c’était vrai, le ministère de la défense ne s’apprêterait pas à racheter 18 000 véhicules après en avoir externalisé 22 000, contre l’avis des organisations syndicales et contre celui de membres du cabinet du ministre de l’époque, Mme Michèle Alliot-Marie : la décision fut imposée de Matignon. Manquent les 390 millions d’euros qui seraient nécessaires pour un nouveau marché externe, alors que nous avons aussi supprimé nos capacités de maintenance des véhicules : un bel exemple de gabegie !

Nous avons heureusement réussi, au cours des cinq dernières années, à freiner un peu le processus. Il est vrai qu’un grand défenseur de l’externalisation fut le ministre Alain Richard. Dans la fonction restauration, hébergement, loisirs (RHL), nous avons réussi à démontrer que d’importantes économies seraient réalisées par le recours – que nous appelons la régie rationalisée - aux personnels civils du ministère : 60 d’entre eux accomplissent le même travail que 100 militaires, compte tenu des disponibilités respectives eu égard à la nature des postes. Nous avons été suivis, et il en est de même pour la bureautique.

Tous les ministres successifs ont prétendu n’avoir aucun dogme sur l’externalisation : ce ne sont pas eux les plus dangereux mais ceux qui les entourent, y compris parmi les militaires, et certains grands industriels qui ont leurs entrées privilégiées…

M. Philippe Folliot. Avec la précédente loi de programmation militaire, nous avons voulu maintenir une certaine capacité de restauration assurée par des personnels militaires, essentielle sur les théâtres d’opération.

Pouvez-vous préciser quels sureffectifs militaires vous visez ? Avez-vous des exemples à fournir ?

Enfin, que pensez-vous de l’économat des armées ?

M. Francis Hillmeyer. On m’a déjà répondu sur le ratio entre personnels civils et militaires ainsi que sur le gain attendu de l’attribution de tâches administratives à des personnels civils.

M. François de Rugy. Il est normal que vous défendiez les personnels civils et que vous vous dressiez contre les restrictions budgétaires. Mais la situation des finances publiques s’impose à tous, y compris aux crédits de la défense qui sont parmi les plus importants. Il faut aborder la question avec lucidité et dire la vérité. Le Président de la République l’avait fait avant d’être élu : il ne peut y avoir de malentendu sur ce point. Et nous devons chercher à réaliser des économies partout où cela s’avère possible.

M. François André. Il y a quelques mois, dans son bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire, la Cour des comptes a relevé un paradoxe : malgré la déflation des effectifs, le taux d’encadrement a augmenté parmi les personnels civils, de catégorie A et A+. Le confirmez-vous ? Quelles en sont les raisons ?

M. Gilles Goulm. Dans bien des domaines, la représentation nationale comprend nos difficultés et nous aide. C’est notamment vrai pour la préservation de la fonction restauration, quand on s’orientait vers une externalisation totale, que d’ailleurs le ministre n’approuvait pas.

Les données relatives aux sureffectifs militaires sont complètement opaques, alors que la transparence s’exerce parfaitement concernant les effectifs civils. Les chefs d’établissements cachent la réalité. Et j’attends toujours de voir un DRH d’armée publier une note comparable à celle du DRH du ministère que j’ai mentionnée tout à l’heure et interdisant donc tout recrutement militaire pour des fonctions sans rapport avec leur mission. Nous dénonçons fermement cette inégalité d’approche.

L’économat des armées doit fonctionner normalement, ce qui exige un changement de perception de la fonction restauration au sein du ministère. Nous sommes favorables à ce que la totalité de la fonction soit confiée à la chaîne du commissariat aux armées, dont c’est le métier, afin de sortir de l’actuelle cacophonie. Dans bien des établissements, comme à Villacoublay ou à Istres, les militaires ne payent pas leurs repas alors qu’on augmente les tarifs applicables aux personnels civils. Je sais que, heureusement, la question est actuellement à l’étude au cabinet du ministre.

Je ne nie pas la contrainte des restrictions budgétaires mais je dois m’élever aussi contre certains gaspillages. La rigueur doit s’appliquer également à tous. Par exemple, à quoi sert un gouverneur militaire ? Personne ne sait répondre à cette question quand je la pose. Ce qui n’empêche pas celui de Metz de disposer, pour son service personnel, d’une quinzaine d’emplois équivalents temps plein (ETP). L’armée de l’air envisagerait de dépenser plusieurs centaines de milliers d’euros pour fêter les soixante-dix ans de la patrouille de France. Ce montant inclurait une part de mécénat, mais à quelle hauteur ? Fallait-il, pour loger le commandant des forces aériennes basé à Dijon, dépenser 600 000 euros dans la rénovation de sa résidence de fonction ? Par ailleurs certains équipements opérationnels attendent d’être restaurés depuis des années. Le service d’infrastructure de la défense (SID) a donc mis « sur le haut de la pile » une dépense qui n’était ni urgente ni même nécessaire. Que je sache, nous ne sommes plus sous l’Ancien Régime !

Le taux d’encadrement des personnels civils du ministère de la défense a augmenté en raison de la requalification des agents de la filière administrative. Ce qui n’était pas un luxe quand vous aviez 30 propositions d’avancement pour 18 000 postulants possibles ! D’où les passages de catégorie B en catégorie A.

Mais la Cour des comptes signale aussi que la masse salariale des personnels civils a diminué, tandis que celle des officiers a progressé de 4,7 % en un an. À un tel rythme elle doublera en dix ans. Veut-on faire une armée mexicaine ? Sinon, comment expliquer un tel dérapage ?

M. Philippe Nauche, président. Nous vous remercions.

La séance est levée à onze heures.

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Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. François André, M. Nicolas Bays, M. Sylvain Berrios, M. Jean-Jacques Bridey, M. Jean-Jacques Candelier, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Lucien Degauchy, Mme Marianne Dubois, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Foulon, Mme Geneviève Gosselin, M. Jean-Claude Gouget, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Jacques Lamblin, M. Maurice Leroy, M. Jean-Pierre Maggi, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, M. Alain Moyne-Bressand, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. François de Rugy, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Alain Chrétien, M. Serge Grouard, Mme Danièle Hoffman-Rispal, M. Éric Jalton, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Bruno Le Roux, Mme Daphna Poznanski-Benhamou, M. Joaquim Pueyo