Accueil > Travaux en commission > Commission de la défense nationale et des forces armées > Les comptes rendus

Afficher en plus grand
Afficher en plus petit
Voir le compte rendu au format PDF

Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 19 février 2013

Séance de 18 heures 30

Compte rendu n° 55

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition du général Didier Bolelli, directeur du renseignement militaire (DRM) au ministère de la Défense

La séance est ouverte à dix-huit heures trente.

Mme La présidente Patricia Adam. En 1992, la création, à l’initiative de M. Pierre Joxe, alors ministre de la défense, de la direction du renseignement militaire (DRM), organisme mal connu mais non pas secret, voulait tirer les enseignements de la guerre du Golfe en disposant d’un service spécialisé analysant l’information dans une perspective spécifiquement militaire.

Placée sous l’autorité du chef d’état-major des armées (CEMA), elle assure le renseignement pour l’ensemble des armées, que celles-ci soient ou non en opérations.

Permettez-moi cependant, avant l’audition de ce jour, de vous annoncer que nous venons d’apprendre qu’un légionnaire d’un commando parachutiste a été tué au nord du Mali, ce matin à 11 heures, par un groupe terroriste. En outre des otages français, trois adultes et quatre enfants, ont été pris au nord du Cameroun, alors qu’ils visitaient une réserve d’animaux sauvages. Nous ne savons pas encore si leur enlèvement est lié aux événements du Mali. Des groupes terroristes très violents agissent dans cette zone limitrophe du Nigeria.

Général Didier Bolelli. Avant d’en venir à la DRM, que je dirige depuis 2010, je me permets de rappeler brièvement mon parcours personnel : j’ai auparavant dirigé, pendant deux ans, la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), après avoir été, pendant quatre ans, directeur des opérations à la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). D’une façon générale, l’essentiel de ma carrière s’est déroulé dans l’univers du renseignement. Je suis membre du Conseil national du renseignement (CNR) depuis sa création en 2008.

La DRM est un service discret mais non secret. J’en décrirai les missions, l’organisation et l’environnement avant d’évoquer les grands enjeux du futur, notamment dans le cadre du nouveau livre blanc de la défense.

Frédéric II, le « roi soldat », disait, après la bataille de Rossbach, qu’on peut vous pardonner d’avoir été battu mais jamais d’avoir été surpris. Tel est le fondement de la DRM. Dans le cadre de la veille stratégique, nous renseignons les autorités politiques et le CEMA sur les risques et les menaces, en fonction desquels sont ensuite proposées des options militaires pour la conduite des opérations.

Nous analysons et diffusons donc toutes les informations que nous recueillons, en permanence et partout dans le monde, sur les forces armées étrangères, étatiques ou non, sur leurs capacités, leurs équipements, leur doctrine et leur environnement culturel et social.

Nous agissons en uniforme, dans le cadre officiel des opérations de nos armées. Nous n’intervenons ni en France, ni de façon clandestine.

La DRM constitue un service autonome, intégré aux armées et subordonné au CEMA. Le directeur du renseignement militaire est en outre le conseiller du ministre de la défense en matière de renseignement d’intérêt militaire.

Elle maîtrise le cycle complet du renseignement : l’orientation des capteurs, le recueil des informations, leur analyse, leur traitement et leur diffusion, enfin, si nécessaire, la réorientation des capteurs.

Elle couvre tous les domaines du renseignement : d’origine humaine (dit ROHUM), d’origine électronique (dit ROEM), provenant d’images (dit ROIM) et, dans une moindre mesure, d’origine informatique. Nous débutons à peine l’exploration du domaine du cyber espace, ou « cyber » tout court.

Chaque année, le CNR produit un plan national d’orientation du renseignement, validé par les autorités politiques. Les armées en déduisent leurs orientations stratégiques et leurs priorités. En découle une directive annuelle du renseignement que la DRM adresse à tous ses correspondants et qui lui permet de répartir au mieux ses moyens.

La DRM est également « tête de chaîne » du renseignement militaire, c’est-à-dire responsable de la doctrine du renseignement pour toutes les armées et de l’utilisation des moyens correspondants. Elle peut orienter les attachés de défense, qui pratiquent toujours le renseignement ouvert. Dans bien des pays, ceux-ci sont rattachés aux services de renseignement mais, en France, ils dépendent du cabinet du ministre de la défense et du CEMA.

La DRM dispose à la fois de ses propres capteurs stratégiques et de ceux placés au sein des armées.

Nos capteurs techniques résident :

- dans la constellation formée par les familles de satellites d’observation Helios, purement militaires, et Pléiades, à la fois militaires et civils,

- dans les moyens embarqués, notamment ISR (pour intelligence surveillance and reconnaissance) par les avions Atlantic et Rafale équipés du système de reconnaissance de nouvelle génération (dit pod reco NG),

- dans nos capteurs spatiaux d’interception des signaux électromagnétiques, dont Elisa, bientôt périmé et que nous espérons pourvoir remplacer par le capteur Ceres,

- dans notre capteur maritime le navire Dupuy de Lôme,

- enfin dans notre capteur aérien, le Transall Gabriel, très engagé ces derniers temps (un deuxième avion du même type est en cours de révision).

Nos capteurs humains appartiennent soit directement à la DRM soit au Centre des opérations spéciales (COS) à travers le 13e régiment de dragons parachutistes.

Nos installations se répartissent entre Paris et Creil (Oise).

À Paris siègent notamment notre échelon de direction et le « J 2 », placé au sein du centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), ce dernier garantit la permanence du lien entre les chaînes « renseignement » et « opérations ».

Nous comptons trois sous directions : celle des opérations, chargée du recueil des informations, celle de l’exploitation, chargé de leur analyse et de leur diffusion, et celle des personnels, finances et capacités, en charge du soutien, des études amont et du suivi des grands comptes.

Nous disposons aussi de douze centres spécialisés et de huit détachements autonomes des transmissions répartis dans le monde entier.

Nous possédons, à Creil, un centre d’analyse de l’image, un centre d’analyse des signaux électromagnétiques et un centre de formation au renseignement humain.

Enfin, nous avons, à Strasbourg, une école du renseignement, qui s’appelait autrefois l’école interarmées du renseignement et des études linguistiques (EIREL), qui est devenu le centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR) et qui reçoit de nombreux stagiaires, français et étrangers.

L’effectif total de la DRM s’élève à 1 620 personnes, alors que le service équivalent au Royaume-Uni atteint les 4 000. Pour 80 % d’entre eux, nos agents sont issus des trois armées. Nous comptons 24 % de femmes. La moyenne d’âge est de 38 ans car on entre souvent dans le renseignement en deuxième partie de carrière.

Notre budget annuel s’élève à 155 millions d’euros, inscrits dans le programme 178 du ministère de la défense, dont 34 millions hors dépenses de personnels et finançant pour l’essentiel des équipements nécessaires à la conduite des opérations. Les grands programmes d’équipement pour le renseignement, dont les satellites et les drones, ne sont pas à la charge de la DRM mais de l’état-major des armées.

Nous produisons 19 000 documents par an, dont près de 4 000 dossiers d’imagerie.

Nous appartenons à la communauté nationale du renseignement et travaillons aussi avec de nombreux services étrangers.

La création du CNR a apporté une considérable plus-value en faisant se rencontrer, une fois par mois, tous les chefs de services de renseignements, ce qui facilite et favorise grandement notre collaboration. Nous avons ainsi conclu des protocoles avec tous les autres services de renseignement. Avec nos partenaires européens, nous échangeons notamment des images, l’Italie et l’Allemagne disposant aussi de satellites.

La mutualisation interservices, notamment avec la DGSE et avec la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), constitue un autre progrès important, en particulier dans le cadre de la « convention Lagrange » en vigueur depuis près de cinq ans. Nous possédons des cellules de crise communes dédiées au suivi des opérations en cours.

Mais la mutualisation ne doit pas entraîner de régression des moyens des services : si on abandonne une capacité technique au profit d’un autre service, il faut que les prestations soient de qualité au moins égales à celles rendues précédemment.

Ne pouvant suivre tous les pays du monde, nous coopérons beaucoup avec les services étrangers qui nous servent de relais et avec qui nous pouvons, en confiance, échanger nos informations. Selon un principe simple : chacune amène ce qu’il a au pot commun et ce qu’il obtient en retour est à peu près de valeur équivalente à son apport.

Par an, nous tenons ainsi plus de 100 réunions bilatérales et recevons une vingtaine de chefs de services de renseignements étrangers ; j’effectue également une vingtaine de déplacements à l’étranger pour rencontrer mes homologues.

Il en va de même avec l’OTAN et l’Union européenne (UE), au sein desquelles nous participons à des réunions régulières.

Les grands enjeux de la DRM dans le cadre du Livre blanc et dans la perspective des années à venir, portent d’abord sur les investissements capacitaires en satellites : déjà évoqué dans le livre blanc de 2008, Ceres, satellite de renseignement d’origine électromagnétique, nous permettra de survoler des pays non permissifs et donc d’adapter les contre-mesures de nos avions et nos armes aériennes aux menaces sol-air et anti missiles balistiques.

Nous attendons, en deuxième lieu, le remplacement des satellites de renseignement par images de la génération Helios par ceux de la constellation Musis, dont les performances sont meilleures et réduisent les délais de revisite.

En troisième lieu, nous avons besoin de drones à double capacité, électromagnétique et imagerie : la charge électromagnétique permet de détecter des émissions suspectes sur un champ large ; la caméra associée peut ensuite surveiller les sites à partir desquels ces émissions ont été passées sur un champ étroit et confirmer ou non l’intérêt de l’objectif.

En quatrième lieu, la maîtrise des flux d’informations doit s’adapter à l’accroissement exponentiel de ceux-ci. Tous les services de renseignements sont confrontés à ce même défi.

Enfin, nous estimons notre besoin en personnels supplémentaires à une centaine de postes pour remplir parfaitement nos missions et nous adapter à leur rapide évolution.

La DRM, aujourd’hui éclatée entre deux sites principaux, devrait profiter du regroupement des services du ministère de la défense à Balard, dit le « Balardgone », pour regrouper la plupart de ses activités.

En somme, après trente ans d’expérience, j’observe que l’outil du renseignement français a beaucoup et favorablement évolué, grâce notamment aux progrès de la coordination et de la collaboration entre les services. La France est aujourd’hui une des seules puissances à posséder une capacité d’appréciation autonome. Si, par exemple, nous ne sommes pas intervenus en Irak et que nous sommes intervenus au Mali, c’est parce que nous savions, grâce à nos propres informations, quelle était la réalité et, partant, l’intérêt stratégique pour la France.

Nous devons faire encore progresser la coopération interservices qui a déjà démontré son excellence et dévoilé son potentiel. J’ai moi-même assez vécu l’avant et l’après 11 septembre pour vous dire qu’une dynamique s’est instaurée depuis et qu’elle continue de progresser vers des succès communs et partagés.

Nos opérations militaires sont de plus en plus « intel-led », c’est-à-dire conditionnées, sinon déterminées, par le renseignement. Nous l’avons éprouvé en Afghanistan, en Libye et le mesurons encore au Mali.

On définit souvent le renseignement comme une activité consistant à chercher un chat noir dans une pièce noire sans même savoir s’il s’y trouve. Mais que le chat y soit ou non constitue une information en soi et c’est à cela que servent les services de renseignement ! C’est pourquoi nous faisons tous notre métier avec passion, bénéficions à plein de la fonction « anticipation-connaissance » créée en 2008 et croyons aussi beaucoup dans le prochain livre blanc.

M. Jean-Michel Villaumé. Nous ne sommes pas à l’abri d’attaques informatiques de la part de terroristes. Pour y faire face, nous possédons déjà de l’Agence nationale de sécurité des systèmes d’information (ANSSI). Comment la DRM travaille-t-elle avec elle ? Comment considérez-vous ce type de menaces ? Et quels moyens attendez-vous du Livre blanc pour vous organiser contre ces « cyber-attaques » ?

M. Alain Chrétien. Je me pose exactement la même question à propos de la montée en puissance du « cyber-renseignement » ? Comment vous coordonnez-vous dans ce domaine avec l’ANSSI ?

Général Didier Bolelli. Nous débutons dans le domaine de la « cyber-guerre ». Pour le moment, nous nous limitons à rechercher des informations, à travers un certain nombre de sites ou de réseaux.

Au niveau national, interviennent déjà l’ANSSI, placée auprès du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), ainsi que la DGSE et l’EMA. Mais la DRM va également s’en préoccuper, notamment pour identifier ce que nous appelons les organigrammes cyber, c’est-à-dire l’état des forces adversaires en cyber espace. Certains pays ou entreprises internationales ont déjà été victimes d’attaques de ce type, avec des destructions d’ordinateurs à distance. La menace est sérieuse et nous incite à la plus extrême vigilance. La DRM va y travailler pour la partie militaire mais les autres services de renseignement sont également interpellés. À ce jour, au niveau étatique comme industriel, nos parades me paraissent très insuffisantes. Les attaques sont souvent lancées depuis des pays dépourvus de législation en la matière ou de repères individuels offshore.

M. Joaquim Pueyo. Peut-on encore accroître le partage des renseignements militaires avec des pays comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et la Pologne ?

Les techniques évoluant vite, peut-on envisager de nouveaux types de collaborations internationales ?

L’exploitation des données et des images se fait-elle dans les meilleures conditions possibles ? Éprouvez-vous des difficultés pour bien former les agents chargés de traduire les informations recueillies en fiches utilisables pour la détermination d’une stratégie ?

M. Francis Hillmeyer. Comment se répartissent, entre les trois armes et aussi la gendarmerie, vos 80 % de personnels militaires ?

Général Didier Bolelli. Nous avons en effet une dizaine de gendarmes. Pour le reste, 40 % de nos effectifs viennent de l’armée de terre, 30 % de l’armée de l’air et 20 % de la marine. Les autres viennent de la Direction générale de l’armement (DGA) et du secteur civil.

La France se caractérise par une indépendance marquée dans le domaine du renseignement. C’est pourquoi de nombreux pays sont très heureux de coopérer avec nous. Nous les intéressons notamment par notre connaissance de l’Afrique francophone. En contrepartie, ils nous renseignent sur leurs zones d’intérêt. Nous pratiquons aussi avec eux des échanges linguistiques afin de former nos personnels.

La plupart des pays de l’Union européenne (UE) voient celle-ci comme une alliance économique beaucoup plus que militaire. Nous travaillons en direct avec les pays membres de l’UE mais n’appartenant pas à l’OTAN. Nous travaillons avec les autres dans le cadre de l’Alliance atlantique. Concernant notre opération au Mali, nous informons sans distinction, par des notes quotidiennes, tous les États européens.

Rien n’est plus simple que l’imagerie quand on vous indique ce qu’il y a sur l’image. Or, l’interprétation peut s’avérer difficile ! Former un bon analyste d’images prend donc beaucoup de temps, ce dont nous nous chargeons.

M. Damien Meslot. Dans quels secteurs précisément avez-vous besoin de personnels supplémentaires ?

Comment se passent, depuis la chute du mur de Berlin, les relations avec les services de renseignements militaires russes ?

M. Philippe Folliot. La DRM exerce à la fois des missions préventives, antérieurement à des opérations militaires ou pour assurer la veille stratégique, et des missions qui font suite aux opérations militaires. Comment s’organisent-elles et se déroulent-elles ? En d’autres termes, de quelles capacités disposons-nous pour traquer, postérieurement, ceux qui ont mené des actions contre la France afin d’éviter qu’ils ne tentent de les renouveler, craignant désormais nos réactions ? La DRM est-elle impliquée dans de telles missions ?

Comment se passent vos relations avec les services de renseignements chinois ?

Général Didier Bolelli. Nos besoins en personnel supplémentaire résultent de la rapide augmentation du nombre de dossiers que nous avons à traiter. Depuis ma prise de fonctions il y a trois ans, je n’ai connu que des situations de crise, faisant se succéder les cellules du même nom, fonctionnant 24 h sur 24 : Afghanistan, Côte d’Ivoire, Libye, République centrafricaine, la Somalie par intermittences du fait de la piraterie le long de ses côtes, et maintenant le Mali. Or nos ressources en personnels étant forcément limitées, je me vois souvent contraint de basculer des agents de la fonction d’anticipation stratégique vers la fonction d’appui aux opérations.

Nous avons surtout besoin d’analystes « renseignement » et de spécialistes du domaine de l’imagerie, car Musis nous fournira davantage d’images, et surtout de linguistes. En effet, il faut se préoccuper des éventuelles crises à venir. C’est pourquoi nous avons besoin d’interprètes en chinois, en persan, etc. Or il s’agit de langues rares, difficiles et qui ne s’apprennent pas en six mois. Nous ne pouvons non plus dépendre de ressortissants locaux dont la fiabilité est plus difficile à évaluer.

La DRM intervient sur les théâtres d’engagement de nos armées. Les opérations terminées, nous continuons de suivre la situation sur place mais sans recourir à des agissements clandestins. En cas de besoin, nous mettons bien sûr nos moyens techniques à la disposition de la DGSE.

M. Daniel Boisserie. Vous avez beaucoup parlé de vos moyens, inévitablement insuffisants mais devant être mis en rapport avec la situation de nos finances publiques. Comment bouclerez-vous votre budget dans les années qui viennent ?

M. Yves Fromion. Quelles sont vos relations avec le centre satellitaire de l’UE, installé à Torrejón de Ardoz, près de Madrid, et qui est un peu l’équivalent de la DRM au niveau européen ? Comment peut s’organiser le renseignement militaire communautaire compte tenu notamment de la création du Service européen d’action extérieure (SEAE) ?

Général Didier Bolelli. En termes d’équipement, j’exprime des besoins, qui feront ensuite l’objet de priorités et d’arbitrages. Il faut simplement savoir que nous souffrons de quelques insuffisances capacitaires, notamment au titre du renseignement électromagnétique, des drones et de Musis.

Depuis toujours un grand débat agite les armées : à quoi sert-il de savoir sans pouvoir ? Mais à quoi sert-il de pouvoir sans savoir ? Plus les moyens opérationnels des armées sont limités, plus la fonction « connaissance et anticipation » est importante. Dit autrement : moins on sait avant, moins on fait après. La question principale devient donc : où met-on le curseur ? Problème politique plus que militaire. D’où mes remarques précédentes sur nos besoins en satellites et en drones. Il existe des virages à ne pas manquer ; nous avons manqué celui des drones dans les années 2000, ils sont aujourd’hui indispensables. Les rattrapages sont quelques fois plus coûteux que les investissements réalisés à temps.

Nous collaborons avec le centre de Torrejón de Ardoz par l’entremise du centre d’orientation satellitaire de Creil. Mais, dès lors qu’un satellite est européen, les nations ne sont plus individuellement maîtresses de leurs images. Elles ne peuvent fournir d’images à un pays tiers sans l’accord des tous leurs partenaires satellitaires, ce qui représente une lourde contrainte.

M. Alain Rousset. Des agents de nos forces s’entraîneraient en ce moment en Angleterre à l’utilisation du drone Watchkeeper. Que pensez-vous de ce drone, que la France a décidé d’acheter ?

Selon le journal Le Monde, qui consacre aujourd’hui un article aux « hackers d’État », l’Allemagne aurait pris une longueur d’avance dans la lutte contre leurs agissements. Quelles coopérations pourrait-on bâtir en la matière ?

Même si vous n’êtes pas directement acquéreur d’équipements lourds, je suppose que vous entretenez avec la DGA des relations étroites à ce sujet. Souhaitez-vous que l’on passe des commandes précises et expertisez-vous les travaux de nos entreprises comme de nos laboratoires universitaires ?

M. Eduardo Rihan Cypel. Dans quelle mesure les progrès de la piraterie informatique modifient-ils votre travail ? Quels risques courent vos propres instruments ? Comment vous-en prémunissez-vous ?

Les activités de renseignements imbriquent étroitement les facteurs humains et techniques. Comment s’articulent-ils au sein de la DRM ?

L’Europe a-t-elle pris conscience de l’importance du renseignement militaire et de la nécessité d’en mutualiser les moyens ? Quelles sont les perspectives en la matière ?

Général Didier Bolelli. Le Watchkeeper n’est pas un drone stratégique et ne relève donc pas de la DRM. Nous nous préoccupons en revanche du remplacement du Harfang.

La DRM n’est pas en pointe dans la « cyber guerre », contrairement à l’ANSSI ou à la DGSE. Il n’en demeure pas moins que la menace est importante. Nous nous en protégeons principalement en usant de réseaux fermés et indépendants les uns des autres.

L’OTAN comporte un important département du renseignement et l’UE dispose d’une cellule de renseignements avec lesquels nous travaillons.

La mutualisation des moyens s’opère déjà, comme je l’ai indiqué, entre services français. Il est trop tôt pour savoir si elle jouera aussi à l’échelle européenne. Pour le moment, nous nous limitons à mettre des moyens à disposition, de l’OTAN comme de l’UE, pour une opération donnée.

M. Jean-Yves Le Déaut. Vous avez déjà évoqué vos insuffisances capacitaires, notamment en renseignements électromagnétiques. Le système satellitaire Musis assurera-t-il la continuité d’Helios ?

Les capacités des drones actuels ne sont pas excellentes, du fait de nos choix antérieurs et alors que nous sommes en situation de conflit. Au Mali, nous ne sommes plus une puissance associée aux opérations, comme lors des précédents conflits, mais la puissance maîtresse d’ouvrage et maîtresse d’œuvre. Comment coopérons-nous avec les États-Unis ? Ils se sont d’abord montrés distants, notamment au travers des déclarations de M. Léon Panetta, secrétaire à la défense, puis ont changé de position, se disant sans doute que l’engagement de la France était nécessaire. Partagent-ils pour autant leur technologie avec nous ? On dit qu’ils fournissent des renseignements mais qu’ils restent secrets sur la façon dont ils les obtiennent. La coopération avec eux serait donc un peu déséquilibrée. Quel est votre sentiment à ce sujet ?

M. Alain Marty. Le centre de simulation du 1er régiment d’hélicoptères de combat, qui devrait relever dans deux mois le 5e régiment, utilise les images d’Afghanistan pour son entraînement en raison du caractère comparable des terrains. Est-ce la DRM qui fournira aux unités l’imagerie du Mali et dans quels délais ?

Général Didier Bolelli. Dans le monde du renseignement, notamment électromagnétique, on n’échange que les résultats et non la façon de les obtenir, afin de ne pas dévoiler ses capacités, notamment la technologie, souvent nationale, des ses capteurs.

Oui, Musis est le successeur d’Helios ; si Helios venait à devenir inopérant, nous disposerions toujours de Pléiades, constellation civilo-militaire qui apporte déjà beaucoup d’informations.

Au Mali nous collaborons avec les Américains dans d’excellentes conditions, comme nous l’avons fait en Afghanistan. Là-bas, leur concours nous a permis d’accomplir de remarquables progrès techniques.

Oui, la DRM fournit les images d’origine satellitaire aux unités sachant qu’un satellite transmet ses images une fois par jour. Pour ce qui est des prises de vues aériennes, l’armée de l’air fournit directement les images provenant de ses drones et de ses avions, comme nous le faisons pour les images des satellites.

Mme Marie Récalde. On a plus parlé des images que des hommes. Confirmez-vous la nécessité de la complémentarité des facteurs humains et techniques ?

Général Didier Bolelli. J’ai effectué toute ma carrière dans le renseignement humain. J’en connais donc l’importance. Mais l’expérience montre que le renseignement repose sur un triptyque : l’imagerie, l’électromagnétique et l’homme. Partout, nous avons perçu, et percevons encore, les limites de la technique car vient un moment où il faut pouvoir choisir entre des informations, ce qui exige une intelligence humaine.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous vous remercions.

La séance est levée à vingt heures.

*

* *

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Jean-Jacques Bridey, M. Alain Chrétien, M. Philippe Folliot, M. Jean-Pierre Fougerat, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, Mme Edith Gueugneau, M. Francis Hillmeyer, M. Charles de La Verpillière, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Alain Marty, M. Damien Meslot, M. Jacques Moignard, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, Mme Marie Récalde, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin, Mme Paola Zanetti

Excusés. - M. Ibrahim Aboubacar, M. Claude Bartolone, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Luc Chatel, M. Yves Foulon, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Maurice Leroy, M. Alain Marleix, M. Philippe Nauche, Mme Sylvie Pichot, M. François de Rugy