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Commission de la défense nationale et des forces armées

Mardi 26 février 2013

Séance de 17 heures 15

Compte rendu n° 59

Présidence de Mme Patricia Adam, présidente

— Audition de M. Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur (DCRI) au ministère de l’Intérieur.

La séance est ouverte à dix-sept heures quinze.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous recevons aujourd’hui M. Patrick Calvar, directeur central du renseignement intérieur, à qui je donne la parole pour nous présenter son service.

M. Patrick Calvar. La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) est un service jeune, puisque né en 2008 de la fusion de la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG) et de la Direction de la surveillance du territoire (DST). Il s’agissait d’éviter des doublons : le ministère de l’intérieur comptait deux services de sécurité, ce qui pouvait entraîner des concurrences aux effets négatifs. Il fallait remettre de l’ordre, et aussi réaliser des économies d’échelle par la mutualisation des moyens et la rationalisation de l’emploi des ressources. Il convenait aussi d’éviter toute instrumentalisation par des services étrangers qui pouvaient être tentés de jouer un service contre l’autre. Enfin, la fusion, grâce à laquelle la France disposait d’un service unique du renseignement intérieur, permettait la création d’un pendant naturel à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Le point fort de l’ancienne DCRG était le maillage territorial ; celui de la DST, une forte centralisation au service d’une action dirigée vers la défense des intérêts fondamentaux de la nation.

Au moment de la fusion, priorité a été donnée à la prise en compte des critères sociaux, car on ne fait pas une réforme contre le personnel. Aussi, tous les fonctionnaires qui étaient affectés dans les deux anciennes directions ont été reclassés, et toutes les implantations conservées. Ce n’est qu’un an plus tard qu’a été appliquée la première réforme d’envergure ; elle s’est traduite par la fermeture d’une trentaine de sites.

La DCRI, seul service de sécurité intérieure français, a des missions spécialisées de renseignement, préventif et défensif. La première est le contre-espionnage et la contre-ingérence, pour protéger les intérêts fondamentaux du pays, ce que l’on oublie souvent : nous avons des missions de souveraineté, c’est-à-dire de protection de la nation. De nombreux services étrangers sont particulièrement actifs sur notre territoire, où ils se livrent à des activités qui nuisent considérablement à nos intérêts. Il convient de les combattre avec des armes spécifiques. Nous devons donc disposer de fonctionnaires spécialisés. Cette exigence commande que notre politique du personnel puisse évoluer.

La deuxième mission, essentielle, de la DCRI est la lutte contre le terrorisme sous toutes ses formes : terrorisme islamiste, terrorisme d’État et terrorisme domestique. Il s’agit pour notre service d’une priorité absolue, qui se traduit par une stratégie préventive visant à identifier les réseaux et à les neutraliser par la conjonction du renseignement et du judiciaire.

Une autre de nos missions est la contre-ingérence économique, qui vise à protéger nos savoir-faire, nos emplois et notre recherche. En ce domaine aussi, nous devons bénéficier de compétences et de modes opératoires particuliers pour avoir une efficacité réelle. Les attaques informatiques constituent à mon sens le danger le plus grave, et il ne fera que croître. Nous devons donc nous armer pour le combattre. Dans cette lutte, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a un rôle majeur, mais la DCRI est le seul service de renseignement de sécurité engagé dans ce domaine.

Nous avons aussi pour mission de lutter contre les proliférations. Il s’agit là d’empêcher certains États d’acquérir les matériels et les connaissances qui leur permettraient de fabriquer des engins nucléaires. Nous sommes chargés d’empêcher que des entreprises françaises n’exportent le matériel nécessaire à ces pays pour se doter de capacités nucléaires, balistiques ou chimiques. Nous entretenons à cette fin des relations très étroites avec le monde de l’industrie, et nous avons noué des coopérations internationales fortes.

Nous avons enfin mission de protéger l’État contre la subversion et les extrémismes politiques violents. Il convient, à ce sujet, de distinguer ce qui relève de nos activités et ce qui n’en relève pas : nous ne nous intéressons pas aux individus qui pourraient être tentés de porter atteinte à l’ordre public lors de manifestations démocratiques classiques mais aux groupes extrémistes dont l’objectif est de s’attaquer aux institutions républicaines.

La différence entre la DCRI et d’autres services, c’est que nous avons une quasi-obligation de résultats. Si nous ne les obtenons pas, nous sommes immédiatement montrés du doigt, accusés d’incurie et vilipendés. Nous devons couvrir l’ensemble de nos missions sous la très forte pression de l’opinion publique.

J’y ai fait allusion : notre service a pour particularité d’avoir une compétence judiciaire en matière de terrorisme, d’espionnage, de compromissions et d’attaques informatiques. De cette compétence, nous retirons une grande force : à travers le monde, de nombreux services étrangers acceptent de nous parler parce que nous leur garantissons la confidentialité et le secret des sources. À partir des informations qui nous sont ainsi communiquées, nous pouvons engager des procédures judiciaires qui nous permettront, une fois les preuves réunies, de traduire en justice les auteurs des infractions. Quelques rares autres services européens – au Danemark, en Suède, en Irlande – ont la même compétence.

En matière de lutte contre le terrorisme, nous recevons des renseignements que nous travaillons et qui nous permettent de neutraliser des réseaux et d’empêcher ainsi la commission d’actes terroristes. Pour autant, nous ne sommes pas infaillibles ; nul, dans ce métier, ne peut se prévaloir d’une réussite à tout coup et parfois, les choses ne se passent pas aussi bien que nous aurions pu l’espérer. Mais, depuis 2008, date de la création de la DCRI, et uniquement pour ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, nous avons interpellé 272 personnes dont 121 ont été mises en examen, 76 écrouées et 45 placées sous contrôle judiciaire. Cela montre l’étendue du travail réalisé.

Nos activités ont une dimension internationale. Nous entretenons des relations avec 170 services dans le monde, car nous devons chercher le renseignement très en amont. Nous avons un rôle exclusivement défensif. Nous sommes présents dans neuf pays avec lesquels nous avons établi une coopération bilatérale. Par ailleurs, nous poursuivons des coopérations institutionnelles multilatérales au sein de différents clubs et nous participons aux synthèses sécuritaires de l’OTAN et de l’Union européenne. Nous y traitons de thèmes importants sur les plans institutionnel et opérationnel.

Je vous dirai quelques mots de l’organisation et des moyens de la DCRI. Nous avons 88 implantations territoriales. Nos directions zonales sont calquées sur les zones de défense. Nous avons des directions régionales, et nos implantations départementales sont fonction de l’actualité et de nos besoins ; ainsi, dans les Pyrénées-Atlantiques nous sommes installés à Bayonne et à Pau. Nous sommes évidemment présents dans les DOM-COM. Nos structures varient sensiblement selon nos missions et nos besoins.

Beaucoup a été dit sur nos effectifs. Avant la fusion, la DST comptait 1 773 agents et la DCRG, 3 364 fonctionnaires. Lors de la fusion, 3 301 fonctionnaires ont été affectés à la DCRI. Aujourd’hui, notre effectif dépasse légèrement 3 000 fonctionnaires. Le taux d’encadrement à la DCRI est relativement faible par rapport à celui d’autres services.

Nos crédits de fonctionnement s’élèvent à 36 millions d’euros par an, fonds spéciaux compris.

J’en viens aux défis que nous devons relever. Le premier tient au caractère trop policier de notre maison. Appartenir à la police nationale a pour avantage que nous exploitons les informations et les renseignements recueillis par les forces de police et de gendarmerie partout sur le territoire. Mais comment des fonctionnaires de police, dont ce n’est ni la vocation ni la formation, peuvent-ils traiter des questions économiques et financières ? Nous devons ouvrir notre service à d’autres spécialistes. L’enjeu, majeur, implique une révolution culturelle qui devra être nécessairement acceptée par le personnel et négociée avec les syndicats. Nous devons en finir avec un fonctionnement corporatiste ; si nous ne le faisons pas, nous n’atteindrons pas les objectifs qui nous ont été fixés. La DCRI a besoin d’un personnel qualifié qu’elle doit fidéliser, de techniciens rompus aux règles strictes de confidentialité que requièrent les habilitations. L’évolution devra se faire progressivement ; elle est indispensable.

Pour ce qui est des contractuels, parce que nous sommes soumis aux règles de la police nationale, nous ne pouvons, à la différence de la DGSE, recruter qui nous voudrions faute de pouvoir verser les salaires attendus. Mais comment parer les cyber-attaques si nous n’avons pas dans nos rangs les ingénieurs qui nous permettraient de comprendre et d’anticiper les manœuvres ?

L’autre défi que nous devrons surmonter est l’insécurité juridique dans laquelle nous nous trouvons. En premier lieu, l’époque est à la médiatisation universelle. En démocratie, la transparence est normale, mais qu’elle ait pour effet d’exposer publiquement certains de nos modes opératoires n’est pas sans conséquences, négatives, notamment sur l’évolution de nos relations avec les gens qui acceptent de travailler pour nous.

Un autre défi tient à ce que nous avons affaire à de nouveaux adversaires aux méthodes très inventives, alors que nous en sommes restés à des moyens d’action presque archaïques. Les écoutes téléphoniques n’ont plus aucun intérêt sinon pour localiser celui qui parle, car tout le monde se méfie. D’ailleurs, tout passe désormais par l’Internet ; mais de quels moyens de surveillance de l’Internet disposons-nous ? Un cadre judiciaire permet, fort heureusement, d’importants moyens d’investigation par le piégeage informatique, le piégeage audio à domicile et le piégeage de véhicules, mais aucune de ces techniques n’est autorisée en renseignement. Pourtant, on nous demande de déterminer la dangerosité d’un individu puis de déclencher une action judiciaire pour le neutraliser ; comment sommes-nous censés procéder ?

D’autres grandes démocraties ont tranché : les Britanniques et les Américains ont doté leurs services de renseignements de ces moyens. Bien entendu, l’exercice doit être strictement encadré. Il faut définir les domaines dans lesquels nous pouvons agir ; délivrer des autorisations a priori de manière que personne, dans un service, ne puisse décider seul de ce qu’il peut faire ; définir aussi un contrôle a posteriori pour vérifier si l’action menée a été légitime et conduite dans le cadre légal. Ne pas prévoir un cadre de ce type, c’est se priver de capacités importantes, risquer des dérapages et accepter que la légitimité des services soit systématiquement mise en cause. C’est le point clé de ce que doit être l’évolution d’un service de sécurité intérieure qui ne peut ignorer la contrainte légale dans laquelle il est tenu d’agir.

À la demande du ministre, pour donner suite aux conclusions tirées de l’affaire Merah, nous avons entrepris une réforme. Elle tend d’une part à rapprocher nos services de Paris et de province en créant une structure dédiée, d’autre part, à installer une inspection interne qui a pour tâche d’auditer le service et de se pencher sur les questions de doctrine, de méthode et de sécurité du service lui-même.

Nous faisons aussi en sorte de nous rapprocher de la sous-direction de l'information générale (SDIG). En effet, il y a une nécessité absolue de complémentarité entre nos services. C’est en ce sens que le ministre a tranché, et cela s’est traduit par la création de structures communes, qui nous permettent d’échanger dans le respect des missions de chaque service.

En conclusion, la France a besoin d’un service de sécurité efficace ; elle doit pour cela en définir clairement les missions, les moyens et le contrôle. Nous y sommes prêts, et nous avons tout à gagner au renforcement de la légitimité de notre action. Nous travaillons pour le bien de tous, mais nous devons savoir exactement ce que nous pouvons faire et de quelle manière. J’ai servi très longtemps à la DST, j’ai fait un passage aux Renseignements généraux, j’ai été directeur du renseignement à la DGSE et je dirige maintenant la DCRI. Cette expérience protéiforme me permet de penser que des décisions doivent être prises.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie, monsieur Calvar, pour la franchise de vos propos. Les questions relatives à l’évolution de la DCRI qui vous tiennent à cœur ont été évoquées par la commission chargée de l’élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, qui se préoccupe notamment de la protection des salariés de votre service et du rôle respectif de la magistrature, de l’exécutif et du législatif dans le contrôle des missions qui vous sont confiées. Des évolutions sont indispensables.

M. Jean-Michel Villaumé. Vous avez répondu d’avance, et fort bien, aux questions que je m’apprêtais à vous poser sur les effectifs de votre service et les moyens techniques dont vous disposez pour lutter contre le terrorisme et la cybercriminalité. Je vous en remercie.

M. Christophe Guilloteau. Vous nous avez indiqué que le service de sécurité intérieure a réduit la voilure au moment de la fusion. Qu’en est-il, par exemple, en Rhône-Alpes ? Avez-vous une direction régionale et des implantations départementales ? Par ailleurs, vous avez fait état de bureaux dans neuf pays étrangers. Cela signifie-t-il qu’une plaque « DCRI » est officiellement apposée ? Enfin, vous en appelez au législateur pour qu’il définisse le cadre de votre action ; quelles mesures jugez-vous être les plus urgentes ?

M. Patrick Calvar. La région lyonnaise est richement dotée, avec une direction zonale dont dépendent des directions régionales et départementales. Quand une affaire est découverte, elle est traitée par l’effectif présent sur place si cela est possible ; s’il apparaît qu’un effectif supplémentaire est nécessaire, il est dépêché, très rapidement, depuis d’autres sites de la région, voire de Paris. En bref, nous adaptons notre dispositif en fonction des besoins et de la difficulté de traitement de l’opération considérée. D’une manière générale, nous nous efforçons de maintenir sur le territoire des équipes de surveillance fortes, quitte à faire venir un expert s’il ne s’en trouve pas sur place. Souplesse et réactivité prévalent.

Nos neuf postes à l’étranger sont abrités au sein de nos ambassades et déclarés à nos partenaires locaux : le ministère des affaires étrangères du pays où nous sommes et nos correspondants, c’est-à-dire les services avec lesquels nous dialoguons quotidiennement.

Pour ce qui est de l’évolution souhaitable de la DCRI, je n’ignore pas que différents problèmes se posent. Il n’empêche : on doit s’interroger sur les modes opératoires utilisés par nos adversaires, en faire l’inventaire précis et, en regard, celui de nos capacités à y faire face. S’il apparaît que nous sommes inefficaces sur le plan du renseignement car les pouvoirs dont nous disposons ne nous permettent pas de faire une surveillance de qualité, il faudra aller plus loin, par la loi. Certains considèrent qu’il faudrait pour cela modifier la Constitution ; je ne me prononcerai pas sur ce point. J’observe que les meilleurs services au monde demeurent les services britanniques – les services américains étant les plus efficaces en raison des moyens dont ils disposent –, qui sont dotés de ces capacités. Le Royaume-Uni n’est-il pas une démocratie ? Les Britanniques ont fait le constat que les dangers ont changé de nature, que les terroristes utilisent désormais l’Internet, et ils en tirent les conclusions nécessaires. Nous ne l’avons pas encore fait, ce qui provoque de nombreuses difficultés.

C’est pourquoi je plaide en faveur d’un dispositif qui, s’inspirant de la loi Perben II, instaurerait un cadre très strict d’autorisations a priori et de contrôle a posteriori. C’est ce dont nous avons besoin pour remplir efficacement nos missions de renseignement.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous sommes très attentifs à ces questions et nous y travaillerons avec la commission des lois.

M. Éduardo Rihan Cypel. Je vous remercie, monsieur le directeur, pour cet exposé clair et sincère. Je vous remercie également, en ma qualité de député de Torcy, pour avoir mis hors d’état de nuire des individus qui s’apprêtaient à commettre des actes terroristes, et dont quelques-uns habitaient ma commune. C’est une manifestation de l’excellence de vos services. On sait aussi que vous aviez communiqué à vos homologues américains, avant le 11 septembre 2001, des renseignements qui auraient dû être très utiles mais qui, malheureusement, n’ont pas été traités correctement. C’est une autre démonstration de votre efficacité, et cet épisode doit nous servir de leçon.

Vous avez décrit les cyberattaques comme étant une nouvelle menace majeure pour notre sécurité. J’ai compris, en vous écoutant, que vous ne disposez pas de tous les moyens nécessaires pour être en pointe dans ce domaine. Quels sont vos besoins ? Le partage des moyens avec la DGSE est-il possible, et jusqu’à quel point ? De manière générale, quelles sont les cibles principales des cyberattaques ? Tendent-elles davantage à l’espionnage, à l’intelligence économique ou la déstabilisation de l’appareil d’État ? Qui, par ailleurs, en sont les acteurs principaux – États, groupuscules ou individus isolés ?

M. Patrick Calvar. Nous avons un dialogue constructif avec la DGSE mais elle a ses propres missions. Nous devons développer des capacités défensives ; cela a été fait avec l’ANSSI, qui va être renforcée, mais nous sommes partie prenante. La cybercriminalité représente un danger majeur, dans tous les secteurs - criminalité de droit commun, terrorisme, espionnage et intelligence économique. Il n’est pas certain que le vrai bilan ait été fait des dégâts déjà commis, car de nombreuses entreprises ne souhaitent pas une contre-publicité de cet ordre. Nous devons définir une stratégie dans laquelle chacun joue un rôle complémentaire. Cela prendra du temps.

M. Philippe Folliot. Le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale insistait sur la nécessité d’un continuum entre défense et sécurité, la mutualisation des moyens devant permettre de faire face aux menaces de toutes sortes – terrorisme, cybercriminalité, espionnage économique. Ne peut-on craindre toutefois que d’autres que nous se défendent mieux en étant plus discrets ? Ne faisons-nous pas preuve d’une certaine naïveté dans un monde où nombreux sont ceux qui cherchent à nous déstabiliser ? Les moyens dont vous disposez pour sensibiliser les entreprises aux menaces qui pèsent sur elles et pour les doter des capacités qui leur permettraient de se défendre sont-ils adaptés aux besoins ? Par ailleurs, pensez-vous qu’un cas semblable au cas Farewell, dont on sait la considérable importance géostratégique qu’il a eue pour notre pays, pourrait se reproduire ?

M. Patrick Calvar. Le renseignement n’a pas de lettres de noblesse en France. La sécurité est d’abord affaire de comportement, et c’est par l’éducation qu’il faut commencer. Nous avons la capacité de sensibiliser les entreprises mais, j’y reviens, nous devons ouvrir notre maison de manière que, quand nous nous adressons à un banquier, nous parlions le même langage que lui, au lieu de passer pour des paranoïaques. Nous faisons donc face à un triple problème : crédibilité, comportement sécuritaire, adaptation de nos moyens.

Quand on parle d’« intelligence économique », il conviendrait de rappeler que l’on parle de défense économique. La plupart des grandes entreprises françaises savent se protéger car elles redoutent la concurrence. C’est en matière de brevets que les difficultés apparaissent : par méconnaissance du système international, elles peuvent se faire piller. D’autre part, d’assez nombreuses PME performantes mais désargentées sont ciblées par des intérêts économiques étrangers. La véritable difficulté est de déterminer s’il s’agit d’une concurrence normale ou d’autre chose. Nous transmettons un message, mais il revient ensuite à chaque entreprise de développer sa culture de sécurité.

M. Joaquim Pueyo. S’agissant de la surveillance des mouvements radicaux armés, et à la lumière de l’affaire Merah, quelles sont les relations entre la DCRI et l’administration pénitentiaire ? On sait que des détenus condamnés pour terrorisme cohabitent en prison avec d’autres détenus qu’ils peuvent radicaliser.

M. Patrick Calvar. Nous avons des relations de très grande confiance avec l’administration pénitentiaire, dont le travail est particulièrement difficile.

M. Michel Voisin. Je souhaite revenir sur l’affaire Merah. Depuis son épilogue, plusieurs intervenants ont été arrêtés, dont deux aujourd’hui encore, un an après les faits. Ces gens étaient-ils connus des services et sous surveillance ? Ont-ils joué un rôle dans ces crimes, ou s’agit-il d’individus recherchés pour terrorisme international en bande organisée ? Dans un autre domaine, des documentaires dits d’investigation tels que Au cœur de l’enquête semblent créer des difficultés aux forces de l’ordre, en rendant publiques certaines de leurs méthodes d’intervention ; qu’en pensez-vous ?

M. Patrick Calvar. Vous comprendrez que je ne puisse répondre à des questions relatives à l’affaire Merah, qui fait l’objet d’une information judiciaire ; par ailleurs, les interpellations dont vous avez fait état ont été réalisées par nos camarades de la police judiciaire.

Un attentat meurtrier a été commis en décembre 1996 à la station de métro Port-Royal, à Paris ; nous ignorons toujours qui est à l’origine de cet acte. Nous avons pu éviter la commission de certains actes terroristes mais nous ne sommes pas infaillibles. D’autres actions meurtrières seront commises à des fins terroristes ou criminelles. Au début juillet 1995, un attentat avait été commis à la station du métro Saint-Michel à Paris ; il nous a fallu des mois pour trouver les coupables. Il a fallu un miracle pour que la bombe posée, en 1995 aussi, devant l’école juive de Villeurbanne, ne cause pas de nombreux morts. Notre métier n’est pas simple, et toute action qui se termine par un décès est cruelle. C’est pour nous un échec qui montre que nous n’avons pas su anticiper, et nous le vivons mal. Notre société n’admet plus l’échec ; malheureusement, il y en aura toujours, aussi vigoureusement nous efforçons-nous d’en réduire le nombre et les conséquences. Nous n’abandonnons pas : nous recherchons ainsi toujours qui était derrière les attentats commis rue des Rosiers et contre la synagogue de la rue Copernic. Il nous faut du temps, et il faut nous laisser ce temps, mais je puis vous assurer que nous n’oublions jamais. Voyez Carlos.

M. Yves Fromion. Je reviens aux problèmes liés à l’usage et au développement de l’Internet. La DGSE dispose d’équipements et de moyens humains considérables. Les contraintes budgétaires étant celles que l’on sait, comment imaginer dupliquer les moyens qui ont été mis à la disposition de la DGSE ? La solution ne consiste-t-elle pas à renforcer la mutualisation des moyens ?

M. Patrick Calvar. Ce serait en effet une hérésie de dupliquer ces moyens. En revanche, nous devons en bénéficier. Les objectifs et les contraintes des deux services ne sont pas forcément les mêmes mais un dialogue constructif est engagé avec la DGSE pour parvenir au résultat que nous souhaitons ; une main nous est tendue, à nous de la saisir.

Mme la présidente Patricia Adam. Je partage ce point de vue, et je pense que le rééquilibrage que vous appelez de vos vœux doit se traduire aussi par la reconfiguration de vos moyens humains. La ventilation, dans votre effectif, entre agents de catégorie C et de catégorie A doit être revue.

M. Francis Hillmeyer. Jugez-vous la fusion positive ? Que pensez-vous par ailleurs de la polémique née autour de la création des fichiers Edvige et Cristina ?

M. Patrick Calvar. La fusion était nécessaire, aujourd’hui plus encore qu’hier. Avec les fichiers, vous touchez au cœur du problème. Le fichier Cristina fait l’objet d’un décret qui n’est pas publié. Il obéit par ailleurs aux règles attachées aux fichiers de souveraineté ce qui donne le droit de consigner un certain nombre d’informations sortant du cadre ordinaire des fichiers ; mais aussi de bénéficier de délais de conservation plus longs. Si la CNIL n’a qu’un droit d’accès indirect à ce fichier, elle vérifie, par des visites régulières au service, que le fichage est conforme aux missions de la DCRI. Je pense que les missions, les moyens et les contraintes ne peuvent être dissociés ; le fichier Cristina fait partie des moyens nécessaires.

M. Philippe Nauche. Vous avez évoqué les limites des procédures administratives auxquelles vous êtes soumis et souhaité qu’elles évoluent, en contrepartie d’un contrôle parlementaire renforcé. Mais jusqu’où ce contrôle parlementaire peut-il aller ?

M. Patrick Calvar. Un contrôle doit s’exercer, et la représentation nationale y a toute légitimité. Aux États-Unis, la CIA vient expliquer au Congrès ce qu’elle fait. Nous n’avons rien à cacher, et nous pourrions, pareillement, venir expliquer notre action devant vous, avec le contrat de confiance que la confidentialité de nos échanges soit respectée de manière que nos capacités opérationnelles ne soient pas obérées. Le contrôle parlementaire légitimerait notre action. C’est pourquoi je suis favorable à la clarification de nos missions et à un contrôle poussé de nos activités. Cela éviterait le flou, et avec lui la polémique.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous devrons changer l’intitulé de la délégation parlementaire au renseignement, qui a actuellement une mission de suivi et non de contrôle - bien qu’elle exerce un contrôle, mais a minima, faute de moyens. Je vous remercie, monsieur Calvar, pour votre franchise. D’évidence, il y aura beaucoup à débattre sur les questions que vous avez abordées, lors de l’examen de futurs textes législatifs.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

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Membres présents ou excusés

Présents. – Mme Patricia Adam, M. Daniel Boisserie, M. Laurent Cathala, Mme Nathalie Chabanne, M. Guy Chambefort, M. Philippe Folliot, M. Yves Foulon, M. Yves Fromion, Mme Geneviève Gosselin, M. Serge Grouard, Mme Édith Gueugneau, M. Christophe Guilloteau, M. Francis Hillmeyer, M. Jean-Yves Le Déaut, M. Christophe Léonard, M. Philippe Meunier, M. Philippe Nauche, Mme Émilienne Poumirol, M. Joaquim Pueyo, M. Eduardo Rihan Cypel, M. Gwendal Rouillard, M. Alain Rousset, M. Stéphane Saint-André, M. Jean-Michel Villaumé, M. Philippe Vitel, M. Michel Voisin

Excusés. – M. Ibrahim Aboubacar, M. François André, M. Claude Bartolone, M. Sylvain Berrios, M. Philippe Briand, M. Jean-Jacques Candelier, M. Éric Jalton, M. Bruno Le Roux, M. Alain Marleix, M. Alain Marty, M. François de Rugy